Alejandro Gómez - 1790 1886 Tesis Doctoral

Embed Size (px)

DESCRIPTION

alejandro gomez, trabajo de investigacion, historia

Citation preview

  • COLE DES HAUTES TUDES EN SCIENCES SOCIALES

    ECOLE DOCTORALE DHISTOIRE ET CIVILISATIONS

    Thse de doctorat en Histoire

    LE SYNDROME DE SAINT-DOMINGUE

    Perceptions et reprsentations de la Rvolution hatienne dans le Monde Atlantique, 1790-1886

    par

    Alejandro Enrique GMEZ PERNA

    sous la direction de

    Frdrique LANGUE

    Membres du jury :

    Carmen BERNAND

    Aline HELG

    Frdrique LANGUE

    Annick LEMPRIRE

    Jean-Frdric SCHAUB

    Clment THIBAUD

    Soutenue le 13 dcembre 2010

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 2

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 3

    Cette thse a t prpare dans le cadre des centres

    de recherches suivants :

    Centre dtudes et de recherches sur les

    Mondes amricains (C.E.R.M.A.)

    Mondes Amricains,

    Socits, Circulations, Pouvoirs

    (XVme - XXIme sicle)

    (M.A.S.C.I.P.O.), UMR 8168

    cole des Hautes tudes

    en Sciences Sociales,

    54 bd Raspail,

    75006 Paris.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 4

    Rsum

    Jusqu{ la dernire dcennie du XVIIIe sicle, Saint-Domingue tait la colonie de

    plantation la plus prospre du continent amricain. Ce fut prcisment dans le nord de

    ce territoire insulaire que se produisit en 1791 la rbellion desclaves qui marqua peut-

    tre le plus lhistoire du Nouveau Monde. Cet vnement a t suivi par des conflits civils

    et militaires qui, ultrieurement, ont conduit { l'Indpendance dHati en 1804. Ds le

    dbut de ce processus de nature sociale et politique, la situation des Blancs sen trouva

    affecte, notamment dans les socits esclavagistes voisines qui craignaient pour leur

    propre paix intrieure et salarmrent de la violence dune insurrection qui dboucha

    sur une Rpublique indpendante dirige exclusivement par des Noirs et des multres.

    De cette crainte collective on trouve des manifestations presque dans toute la Grande

    Carabe, aussi bien de manifestations dangoisse, de peur que de panique, ainsi dans le

    discours tenu sur ce point par les Blancs. Elles continurent de se manifester tout au

    long du XIXe sicle, jusqu{ ce que lesclavage ft aboli dans chaque territoire, et parfois

    mme au-del{. Ces manifestations mettent en vidence lexistence dun traumatisme de

    porte supranationale li aux vnements survenus dans la Perle des Antilles , et la

    rception de ces derniers jusqu{ constituer un syndrome collectif . Notre travail

    sattache par consquent { dterminer la vritable extension et les consquences de ce

    phnomne, en analysant dans le dtail et dans diverses aires culturelles du Monde

    Atlantique (anglophone et hispanophone) chacune de ses manifestations, voire de ses

    enjeux sur le plan politique, travers des outils analytiques inspirs notamment des

    sciences cognitives.

    Mots cls

    Monde Atlantique, Carabes, Hati, Saint-Domingue, Venezuela, Cuba, Jamaque, Virginie,

    tats-Unis, Rvolution hatienne, abolitionnisme, esclavage, peur, motions, Psychologie

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 5

    Titre en anglais

    The Syndrome of Saint-Domingue: Perceptions and representations of the Haitian

    Revolution in the Atlantic World, 1790-1886

    Abstract

    Until the last decade of the eighteenth century, Santo Domingo was the most

    prosperous plantation colony in the Americas. It was precisely in the north of this

    insular territory where in 1791 broke out the slave rebellion that perhaps marked

    the most the history of the New World. This event was followed by civil and military

    conflicts which, further on, led to the independence of Haiti in 1804. From the beginning

    of this social and political process, the situation of the Whites was affected, especially in

    the nearby slave societies who feared for their own inner peace and were alarmed by

    the violence of an insurgency which could led to an independent Republic ran

    exclusively by Blacks and Mulattos. Evidences of this widespread collective alarm can be

    found almost everywhere in the Greater Caribbean, as well as expressions of anxiety,

    fear and even of panic, also in the discourse held on this issue by the Whites. These

    evidences continued to happen throughout the nineteenth century, until slavery was

    abolished in each territory, and sometimes even later. They highlight the existence of a

    supranational traumatism related to the events occurred in the Pearl of the Antilles ,

    which has been described as a collective syndrome. Our work aims therefore to

    determine the real extent and consequences of this phenomenon, by analyzing in detail

    each of its manifestations in the various cultural areas of the Atlantic World (English and

    Spanish speaking), including its political repercussions, by using analytical tools

    particularly inspired in the cognitive sciences.

    Keywords

    Atlantic Word, Caribbean, Haiti, Saint-Domingue, Venezuela, Cuba, Jamaica, Virginia,

    United States, Haitian Revolution, Abolitionism, Slavery, Fear, Emotions, Psychology

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 6

    ma famille et mes collgues

    vnzuliens qui, malgr tout,

    continuent se battre pour la

    bonne histoire .

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 7

    Il n'y a pas de haine de races parce qu'il n'y a pas de

    races. [] L'}me mane, gale et ternelle, des corps

    diffrents en forme et en couleur. Il pche contre

    l'Humanit celui qui fomente et propage l'opposition et la

    haine des races .

    Jos Mart, Notre Amrique ,

    Revista Ilustrada de New York, 1871

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 8

    REMERCIEMENTS

    Cette thse doctorale est le rsultat de plusieurs annes de recherches dans les

    archives et bibliothques des deux cts de l'Atlantique. Un grand nombre de personnes

    et dinstitutions ont contribu { sa ralisation, et je leur dois { toutes une reconnaissance

    profonde. Lide dentamer les recherches dont je prsente ici le rsultat mest venue en

    1998, quand jtais encore tudiant { lUniversit Central de Venezuela. En liaison avec

    cette thmatique, mon parcours de chercheur a en effet commenc lors de ces premires

    recherches effectues sous la direction de mon professeur et ami Ramn Aizpurua, que

    je tiens { remercier tout particulirement de mavoir fait apprcier lhistoire de la

    Carabe, et de mavoir montr que la Terre Ferme hispanique faisait galement partie de

    cette merveilleuse Mditerrane des Amriques . Il convient galement de remercier

    les professeurs Jos Rafael Lovera, Germn Carrera Damas, Mara Elena Gonzlez de

    Lucca, Henry Surez, Michelle Ascencio, Bernard Gainot, Georges Lomn et Franois-

    Xavier Guerra ; leurs conseils initiaux mont considrablement aid dmarrer avec un

    bon vent mon projet de recherche.

    Depuis mon arrive en France, jai fait la connaissance de nombreuses personnes

    dont lamiti na fait que faciliter mon sjour et le bon droulement de mes recherches.

    Je pense en premier lieu, ma directrice de thse, Frdrique Langue, qui a toujours t

    dispose { me donner toute laide dont javais besoin, tant du point de vue acadmique

    que personnel. Je lui exprime galement ma gratitude pour les encouragements quelle a

    su me prodiguer pendant la dure de cette recherche, les conseils pertinents quelle ma

    donns et sa patience sans mesure mon gard. Il me faut galement mentionner

    Capucine Boudin, Elizabeth Burgos, Aude Argouse, Annick Lemprire, Marcel Dorigny,

    Lydia Robin, Christophe Giudicelli, Mara Eugenia Albornoz, Leonardo Garca, et Juan

    Carlos Garavaglia. Hors de France, Carole Leal, Manuel Barcia, Manuel Garate, Salvador

    Bernabeu, Jordana Dym, Matthew Brown, Ins Quintero, Carlos J. Gmez, et Estrella

    Marciano.

    Les approches psychologiques mont toujours fascin, et je le dois { mon pre,

    Otto Lima Gmez, qui ma transmis ses inquitudes de chercheur et directeur pendant

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 9

    plusieurs annes durant dun centre de recherches en psychologie exprimentale. Je

    remercie par ailleurs trs vivement Alessandro Stella, Johanna von Grafenstein, Robin

    Blackburn, Rebecca Scott, Federica Morelli, Laurent Dubois, Gilles Havard, Michel

    Zeuske, Clment Thibaud, Consuelo Naranjo, et John Garrigus ; leurs conseils,

    recommandations et critiques m'ont grandement aid et guid dans mes recherches. Je

    dois galement beaucoup Romy Snchez, Manuel Covo, Laurie-Anne Laget, Gilles

    Havard et Carmen Bernand, qui ont procd une relecture critique de certaines parties

    de la version finale de ce travail.

    Ces remerciements seraient incomplets si ny taient mentionns les organismes

    et institutions qui m'ont permis de raliser ce travail de recherche. En premier lieu,

    l'Ambassade de France au Venezuela, qui ma accord une bourse de doctorat par

    lintermdiaire dEdu-France, malgr le refus ultrieur du gouvernement vnzulien

    dhonorer ses engagements { mon gard dans le cadre de ce programme de coopration

    binational... Jexprime galement ma reconnaissance au C.E.R.M.A., au MASCIPO et

    lcole doctorale dHistoire et civilisations de lE.H.E.S.S., qui ont contribu au soutien

    financier de mes recherches. Mes remerciements s'adressent galement aux institutions

    qui mont octroy des bourses de recherche, ainsi la Virginia Historical Society, le Gilder

    Lehrman Institute of American History, The David Nicholls Memorial Trust, et la Escuela

    de Estudios Hispanoamericanos. Je remercie galement le Centro de Estudios Histricos

    BOLIVARIUM, de lUniversit Simn Bolivar, de mavoir accueilli pendant la premire

    tape de mes recherches.

    Enfin, mes penses vont tout naturellement et tout spcialement ma famille au

    Venezuela, en particulier { mes parents, Dulce et Otto Lima, mais aussi { ma sur

    Hannia, mes frres Otto et Leopoldo, ainsi que mon beau-frre Carlos, pour la confiance

    et le soutien quils ont manifest durant ces longues annes de recherche. En tout

    dernier lieu, je dois remercier mon fils Alejandro Jos ( qui cette thse a vol tant de

    moments) et mon pouse Marianne, pour laide quils mont constamment prodigue,

    ainsi que pour la patience dont ils ont fait preuve de tout au long de ce parcours. Si cette

    thse a pu voir le jour, cest en grande partie gr}ce { leur soutien affectif et leur

    comprhension de tous les jours.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 10

    TABLE DES MATIERES

    Introduction ...................................................................................................................................................................... 19

    Partie I - Chapitre 1

    Le ciel au-dessus du Cap-Franais sest illumin .................................................................................................. 41

    1.1. La logique des informations officielles ..................................................................................................... 43

    1.1.1. Des visiteurs informs ............................................................................................................................ 44

    1.1.2. Rseaux dinformation ........................................................................................................................... 45

    1.1.3. Espions, agents et autres informateurs ........................................................................................... 47

    1.2. Les gouverneurs espagnols ........................................................................................................................... 48

    1.2.1. Santo Domingo informe les territoires hispaniques ................................................................. 48

    1.2.1.1. Une frontire chaude ......................................................................................................... 50

    1.2.1.2. Massacre Juana Mndez ....................................................................................................... 55

    1.2.1.3. Les reprsailles des troupes auxiliaires ............................................................................ 57

    1.2.2. Personne nest mieux inform que le gouverneur cubain ....................................................... 59

    1.2.2.1. un souffle de vent ............................................................................................................ 59

    1.2.2.2. La mission dArango .................................................................................................................. 64

    1.2.3. Le Venezuela : si loin et pourtant si proche ................................................................................... 66

    1.3. Les gouverneurs de la Jamaque : un regard depuis le Sud-ouest ................................................. 70

    Partie I - Chapitre 2

    Les drames des rfugis blancs de La Hispaniola ................................................................................................. 83

    2.1. L exode des rfugis de La Hispaniola ............................................................................................... 85

    2.2. Santo Domingo: rcepteur et gnrateur de rfugis ........................................................................ 88

    2.3. Les territoires daccueil .................................................................................................................................. 90

    2.3.1. Cuba : le foyer des migrs saint-dominguois ....................................................................... 90

    2.3.2. Venezuela : le refuge des Espagnols dominicains ....................................................................... 92

    2.3.3. Jamaque : une solidarit limite ....................................................................................................... 94

    2.3.4. La Virginie et le dpart massif de 1793 ........................................................................................... 96

    2.4. Des calamits la premire personne ...................................................................................................... 98

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 11

    2.4.1. La ruine de la famille Rouvray ............................................................................................................ 99

    2.4.2. Lodysse dun jeune planteur................................................................................................... 102

    2.4.3. Une Nord-Amricaine aux Carabes ............................................................................................... 105

    2.4.4. Doa Francisca et Don Arredondo ................................................................................................. 108

    2.5. Des pnuries sajoutent aux horreurs ............................................................................................. 113

    2.5.1. Sorties in extremis ................................................................................................................................. 114

    2.5.2. Les pnuries de lmigration ............................................................................................................ 114

    2.5.3. chapper la misre ............................................................................................................................ 117

    2.5.4. Sparations familiales ......................................................................................................................... 118

    2.5.5. Pris par des corsaires........................................................................................................................... 119

    2.5.6. Pnuries en haute mer ........................................................................................................................ 120

    2.5.7. La solidarit des locaux ....................................................................................................................... 122

    Partie I - Chapitre 3

    Calamits noir sur blanc ...................................................................................................................................... 127

    3.1. Les horreurs dans la presse ................................................................................................................ 130

    3.1.1. Saint-Domingue dans la Gaceta de Madrid .................................................................................. 130

    3.1.2. Saint-Domingue dans la presse virginienne ............................................................................... 132

    3.2. Chroniques chaud ................................................................................................................................ 139

    3.2.1. Publications dans lAtlantique britannique ................................................................................ 139

    3.2.1.1. Pamphlets franais traduits et publis Londres ........................................................... 140

    3.2.1.2. Le rcit historique de monsieur Gros ............................................................................. 142

    3.2.1.3. Ltude historique de Bryan Edwards ................................................................................. 144

    3.2.1.4. L objectivit de Marcus Rainsford .................................................................................. 148

    3.2.2.5. Le Toussaint de Dubroca ........................................................................................................... 153

    3.2.2. Publications dans lAtlantique hispanique .................................................................................. 155

    3.2.2.1. Une histoire de Santo Domingo .............................................................................................. 155

    3.2.2.2. Le Dessalines de Dubroca ......................................................................................................... 156

    Partie II - Chapitre 4

    closion dinquitude chez les Blancs de la Grande-Carabe ........................................................................ 165

    4.1. Subir et dcrire une nouvelle angoisse .............................................................................................. 166

    4.2. Craintes antrieures et autres angoisses contemporaines ............................................................ 168

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 12

    4.2.1. Rbellions desclaves avant 1791 ................................................................................................... 168

    4.2.2. Linsurrection { venir (ou qui ne vient pas) ............................................................................... 173

    4.2.3. Lennemi interne .................................................................................................................................... 176

    4.2.4. Des thmatiques et des mesures inopportunes .................................................................... 178

    4.2.4.1. Le dbat abolitionniste en Grande-Bretagne ............................................................... 178

    4.2.4.2. Un code et une grce drangent les Blancs espagnols ...................................... 180

    4.3. La tourmente rvolutionnaire franco-antillaise se rapproche..................................................... 183

    4.3.1. Les dangereux idaux rvolutionnaires franais .............................................................. 183

    4.3.1.1. Le Cordon sanitaire hispanique ................................................................................... 183

    4.3.1.2. La grippe galitaire qui menace les West Indies .................................................... 185

    4.3.1.3. Alarme pour les dsordres dans les les du vent .................................................. 186

    4.3.2. Rsistance dinspiration franco-antillaise ................................................................................... 187

    4.3.2.1. L insolence des esclaves .................................................................................................. 188

    4.3.2.2. Rbellions dinspiration franco-antillaise ...................................................................... 190

    4.3.2.3. En semant des rumeurs ......................................................................................................... 197

    4.3.2.4. Ptitions des libres de couleur ............................................................................................ 199

    4.4. Individus indsirables : rfugis et prisonniers. ................................................................................ 201

    4.4.1. Mfiance croissante envers les rfugis franais ..................................................................... 201

    4.4.1.1. Jamais les bienvenus dans les territoires hispaniques ............................................ 202

    4.4.1.2. La Jamaque sen mfie aussi .............................................................................................. 203

    4.4.1.3. Lacceptation des tats-Unis ............................................................................................... 210

    4.4.2. La prsence de prisonniers franais inquite ........................................................................... 213

    4.5. Conspirations, rumeurs et invasions dinspiration jacobine ........................................................ 216

    4.5.1. La bonne parole de la rvolution voyage par la mer ....................................................... 216

    4.5.2. Une conspiration dinspiration jacobine sur la Terre Ferme hispanique ...................... 219

    4.5.3. Menaces et rumeurs dinvasion ....................................................................................................... 223

    4.5.3.1. Des multres de Rigaud Maracaibo ............................................................................... 223

    4.5.3.2. Linvasion attendue en Virginie et Cuba ......................................................................... 225

    4.5.3.3. Laffaire Sasportas .................................................................................................................... 227

    Partie II - Chapitre 5

    Les autorits face aux rvolutions franco-antillaises ...................................................................................... 232

    5.1. Les Blancs se protgent ............................................................................................................................... 233

    5.1.1. Des renforts de troupes pour la Jamaque ................................................................................. 233

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 13

    5.1.2. Renforant la dfense des ctes ..................................................................................................... 237

    5.1.2.1. Les dfenses de Cuba ........................................................................................................... 237

    5.1.2.2. Des allis peu fiables ............................................................................................................ 240

    5.1.3. Demande de renforts en Virginie .................................................................................................. 242

    5.1.4. Aides aussi solidaires que pragmatiques ................................................................................... 244

    5.1.5. Lgislation sur les esclaves et les libres de couleur ............................................................... 249

    5.2. Polmiques autour de larmement des Noirs ..................................................................................... 251

    5.2.1. Non aux Noirs arms .......................................................................................................................... 252

    5.2.2. Mfiance { lgard des Noirs allis ................................................................................................ 257

    5.2.2.1. Les Noirs auxiliaires Cuba ....................................................................................... 257

    5.2.2.2. Des troupes coloniales en Jamaque ....................................................................... 260

    5.3. Non aux Noirs franais .......................................................................................................................... 261

    5.3.1. Mesures visant empcher leur entre ...................................................................................... 261

    5.3.1.1. Transgressant le cordon sanitaire hispanique ................................................... 261

    5.3.1.2. Virginie : un refus volutif ................................................................................................. 264

    5.3.1.3. Accords et dsaccords en Jamaque ............................................................................... 268

    5.3.2. Les intrusions clandestines .............................................................................................................. 274

    Partie II - Chapitre 6

    Saint-Domingue chez nous .................................................................................................................................. 279

    6.1. Une motion [presque] insaisissable ..................................................................................................... 281

    6.2. Apprhensions atlantiques au temps des rvolutions .................................................................... 282

    6.2.1. Un comte cossais contre la Convention nationale ................................................................. 282

    6.2.2. Des multres saint-dominguois Curaao ................................................................................. 292

    6.2.3. La dcision du gnralissime ..................................................................................................... 303

    Partie III - Chapitre 7

    Qui craint le mauvais exemple de Saint-Domingue ? ................................................................................ 316

    7.1. Une peur voile ............................................................................................................................................... 317

    7.1.1. Les planteurs jamacains profitent de la conjoncture ............................................................ 318

    7.1.2. Le rve d'Arango devient ralit ..................................................................................................... 320

    7.1.3. Les diffrends au sujet du commerce avec Saint-Domingue et Hati ............................... 324

    7.2. La Terreur, Saint-Domingue et les ides politiques rpublicaines ............................................ 328

    7.2.1. Soutien la Rvolution franaise .................................................................................................... 329

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 14

    7.2.2. La grande dsillusion rpublicaine ................................................................................................ 332

    7.3. Lutopie des nations blanches ou blanchies ........................................................................................ 336

    7.3.1. Bolvar et la menace de la pardocratie .................................................................................. 336

    7.3.2. La Nation blanche des habitants de Virginie .............................................................................. 341

    7.3.3. Esclavage et libralisme Cuba ....................................................................................................... 346

    7.4. Isoler ou dtruire la nation d'ex-esclaves ............................................................................................ 350

    7.4.1. La rinstauration de l'ancien rgime colonial Saint-Domingue ..................................... 351

    7.4.2. L'Amrique aux Amricains , et non aux Hatiens.............................................................. 355

    7.4.3. Bolvar : entre les prjugs et la ncessit .................................................................................. 356

    Partie III - Chapitre 8

    Un argument trs convaincant ................................................................................................................................ 363

    8.1. Saint-Domingue dans le Parlement britannique ............................................................................... 365

    8.1.1. La rvolte de 1791 : un vnement, deux leons ..................................................................... 370

    8.1.1.1. La faute aux abolitionnistes ................................................................................................. 370

    8.1.1.2. L'opportunisme des esclaves ............................................................................................... 374

    8.1.2. La menace latente ........................................................................................................................... 376

    8.1.2.1. Trop d'esclaves comme Saint-Domingue ................................................................... 376

    8.1.2.2. Le problme des nouveaux esclaves (Edward Long dixit) ..................................... 378

    8.1.2.3. Scurit des Indes Occidentales britanniques ............................................................ 381

    8.1.2.4. Sombre dans loublie ........................................................................................................... 384

    8.1.2.5. Justifier la rvolte .................................................................................................................... 387

    8.1.2.6. Un exemple alarmant ............................................................................................................. 391

    8.1.3. Accuser la France et les abolitionnistes ....................................................................................... 393

    8.1.3.1. Les Friends of the Blacks sont des Jacobins ............................................................ 393

    8.1.3.2. Les abolitionnistes britanniques font de mme ......................................................... 396

    8.1.3.3. Ils veulent dtruire les Indes Occidentales ................................................................... 399

    8.1.3.4. Les abolitionnistes aux abois.............................................................................................. 403

    8.1.3.5. Distinguer abolition et mancipation ............................................................................. 406

    8.1.3.6. La prcipitation injustifie des abolitionnistes ....................................................... 408

    8.2. Saint-Domingue dans les Cortes espagnoles ....................................................................................... 412

    8.2.1. Les Cortes de Cdiz de 1810 et 1821 ............................................................................................. 414

    8.2.2. Une proposition inattendue .............................................................................................................. 417

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 15

    8.2.3. L'avertissement du pre Varela ....................................................................................................... 419

    8.2.4. Les ides des nouveaux abolitionnistes espagnols ................................................................. 421

    8.2.5. L'exemple hatien dans les derniers dbats ............................................................................... 423

    Partie III - Chapitre 9

    Langoisse continue : Saint-Domingue dans la mmoire historique .................................................... 431

    9.1. Mmoire et oubli de la Rvolution hatienne ...................................................................................... 433

    9.1.1. La menace sternise ........................................................................................................................ 433

    9.1.1.1. Cuba .............................................................................................................................................. 433

    9.1.1.2. La Jamaque ............................................................................................................................... 439

    9.1.2. Un silence apparent au Venezuela et en Virginie ..................................................................... 443

    9.1.2.1. Un traumatisme qui en efface un autre ? ................................................................ 443

    9.1.2.2. Un trou de mmoire gnrationnel........................................................................... 448

    9.2. Explosion de mmoire en Virginie ................................................................................................... 450

    9.2.1. La tragdie de Southampton ...................................................................................................... 450

    9.2.2. Les moyens imprims du souvenir ................................................................................................ 454

    9.2.3. Un exemple pour les abolitionnistes du Nord ........................................................................... 458

    9.2.4. De Cap-Franais { Harpers Ferry ................................................................................................... 460

    Conclusion ........................................................................................................................................................................ 469

    Annexe 1 : Les lites blanches euro-amricaines .................................................................................... 491

    Annexe 2 : Approche mthodologique ................................................................................................................ 494

    Annexe 3 : Distribution ethno-dmographique .............................................................................................. 498

    Annexe 4 : Le paradis des Antilles .................................................................................................................. 504

    Annexe 5 : Liste de gouverneurs, 1790-1805................................................................................................... 506

    Annexe 6 : Chronologie .............................................................................................................................................. 507

    Annexe 7 : Cartes historiques ................................................................................................................................. 509

    Sources et bibliographie ............................................................................................................................................. 515

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 16

    TABLE DES FIGURES

    Figure 1 : Incendie du Cap. Rvolte gnrale des Ngres ................................................... 40

    Figure 2 : Plantations incendies dans la Plaine du Nord en 1791 ........................................... 51

    Figure 3 : Disposition des cadavres dans lglise de Dajabon ..................................................... 56

    Figure 4: Liste de quelques noms des Blancs morts Saint-Domingue en 1804 ................ 79

    Figure 5 : Incendie du Cap-Franais en 1793. ................................................................................... 97

    Figure 6: Massacre de tous les Blancs Saint-Domingue. ..........................................................137

    Figure 7 : The mode of exterminating the Black Army ......................................................154

    Figure 8 : Revenge taken by the Black Army .........................................................................154

    Figure 9 : Blood Hounds attacking a Black Family in the Woods ......................................154

    Figure 10: Cristobal comandte del Exercito ..........................................................................160

    Figure 11: Fue muerta y destrozada .........................................................................................160

    Figure 12: Desalines huye del valor francs ..........................................................................160

    Figure 13 : A real sans-culotte ........................................................................................................164

    Figure 14 : Rvolte des Noirs Coromanti ..........................................................................................172

    Figure 15: Libelle qui circula Caracas en 1790 ............................................................................182

    Figure 16: Proclame du gouverneur Balcarres. ..............................................................................206

    Figure 17: Vue de lentre { la baie de Kingston ............................................................................207

    Figure 18 : Cocardes rquisitionnes Kingston en fin dcembre 1799 .............................230

    Figure 19 : Un Noir dans un red coat ...........................................................................................256

    Figure 20 : Balcarres, Lauffer et Miranda .........................................................................................286

    Figure 21 : Capitulation des Marrons .................................................................................................291

    Figure 22 : Le port de Willemstadt ......................................................................................................298

    Figure 23: Des Jacobins noirs selon Gillray ...............................................................................315

    Figure 24 : Lapothose dHoche ....................................................................................................398

    Figure 25 : Le gnie de la France triomphe ...............................................................................403

    Figure 26 : The new Union Club .....................................................................................................410

    Figure 27: El Negro Santos de Santo Domingo .........................................................................422

    Figure 28 : Rbellion des esclaves la Jamaque ...........................................................................441

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 17

    Figure 29 : Horrid massacre en Virginie .....................................................................................455

    Figure 30 : Lincoln signe la proclamation dabolition de lesclavage .....................................465

    Figure 31 : Une plantation aux Antilles ..............................................................................................504

    Figure 32 : Vue du Cap-Franais. ..........................................................................................................504

    Figure 34 : Plan de la ville du Cap-Franois .....................................................................................505

    Figure 33 : Une place au centre du Cap-Franais ...........................................................................505

    TABLE DES CARTES

    Carte 1 : Routes de navigation et directions des vents aux Carabes. ...................................... 39

    Carte 2 : Frontire entre Saint-Domingue et Santo Domingo ..................................................... 49

    Carte 3 : Le Passage du vent .............................................................................................................. 60

    Carte 4 : Circulations des rfugis de La Hispaniola, 1790-1806 .............................................. 86

    Carte 5 : Fort Amsterdam et Over Zde .............................................................................................297

    Carte 6 : Baies de St. Ann et de St. Michel ..........................................................................................297

    Carte 7 : Littoral de la Province de Caracas ......................................................................................308

    Carte 8 : Saint-Domingue .........................................................................................................................510

    Carte 9 : Cuba ...............................................................................................................................................511

    Carte 10 : Virginie .......................................................................................................................................512

    Carte 11 : Jamaque ....................................................................................................................................513

    Carte 12 : La Terre Ferme hispanique ................................................................................................514

    TABLE DES GRAPHIQUES

    Graphique 1: Prix du muscovado Londres et production de sucre la Jamaque .................. 318

    Graphique 2 : Population cubaine, 1791-1861 ................................................................................................ 501

    Graphique 3 : Population de la Jamaque, 1775-1834 .................................................................................. 501

    Graphique 4 : Population du Venezuela, en 1800 et 1839 .......................................................................... 502

    Graphique 5 : Population de Virginie, 1792-1861 .......................................................................................... 502

    Graphique 6 : Virginie. Quantit desclaves par comt ................................................................................. 503

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 18

    LISTE DES ABRVIATIONS

    AGI Archivo General de Indias

    AGN Archivo General de la Nacin

    AGS Archivo General de Simancas

    AHN Americas Historical Newspapers

    CAOM Centre d'Archives d'Outremer

    CO Colonial Office

    GCG Gobernacin y Capitana General

    LOV Library of Virginia

    JCB John Carter Brown

    N.d. Non disponible

    PQ Proquest

    S.d. Sans date

    S.t. Sans titre

    SHM Service Historique de la Marine

    TNA The National Archives

    VHA Virginia Historical Society

    WO War Office

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 19

    INTRODUCTION

    Le 24 aot 1791, l'inspecteur des frontires du village de Dajabn (situe dans la

    partie nord-occidentale de Santo Domingo) envoya un message dune teneur pour le

    moins inquitante son gouverneur : Il y a un incendie gnral dans la colonie ,

    faisant allusion de la sorte la colonie franaise de Saint-Domingue. Au loin, dans la

    Plaine du Nord, plus prcisment dans la Petite-Anse, du feu tait visible et selon les

    informations qui parvinrent, au moins une habitation avait t brle. Il savra que

    cette ambiance de destructions tait conscutive un soulvement d'esclaves, qui s'tait

    dclench la veille de lincendie relat par linspecteur des frontires. Toujours selon

    l'information dont disposaient ces autorits, les esclaves soulevs faisaient de tous les

    Blancs qu'ils rencontraient des victimes de leur frocit 1.

    Cette missive fut la premire des nombreuses informations qui allaient concerner

    les vnements violents survenant dans l'le de La Hispaniola tout au long des annes

    suivantes, en particulier dans la partie franaise, et qui ne prendront fin que peu aprs

    l'Indpendance dHati en 1804. La diffusion de ces informations par diverses voies fit

    leffet dun cataclysme dont le Monde Atlantique en gnral se trouva tre le th}tre.

    Elles mettaient en effet en vidence, devant les yeux incrdules des Europens et des

    descendants des Europens dans lAncien et le Nouveau Monde, la manire la colonie la

    plus riche des Amriques leur chappait peu peu dans ce tourbillon impromptu et

    sanglant, au point de devenir une nation de Noirs et de multres.

    la fin du XVIIIe sicle, Saint-Domingue tait en effet devenue un territoire

    colonial extrmement prospre : principal producteur de caf et de canne sucre du

    monde, ainsi que l'un des principaux producteurs d'indigo et d'autres produits agricoles,

    la commercialisation de ses productions constituait un moteur important de l'conomie

    1 Mensaje del inspector de frontera (Dexabon, 24/08/1791) , AGI, Santo Domingo, 1029, f. 1-2.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 20

    franco-atlantique. Au total, la valeur de ses exportations annuelles s'levait cette

    poque plus de 137 millions de livres, ce qui reprsentait 70 % de la somme que la

    France rcoltait de la production de toutes ses possessions amricaines. Ce chiffre

    reprsentait plus que ce que rapportaient les mtaux prcieux du Brsil et de la

    Nouvelle-Espagne, et dpassait largement l'ensemble de la valeur de l'exportation de

    toutes les autres les des Carabes runies, en incluant la riche colonie de la Jamaque.

    Ceci grce la production de 790 plantations de canne sucre, 54 de cacao, 3 151

    d'indigo, 789 de coton, 3 117 de cafires et 182 de distillerie de rhum2.

    L'impressionnante rentabilit de cette dpendance coloniale franaise, facteur

    dterminant de lenrichissement des finances royales, contribua au dveloppement de

    villes portuaires mtropolitaines (comme Bordeaux, La Rochelle, Le Havre, Marseille et

    Nantes), ainsi que leurs hinterlands respectifs. Ctaient en effet plus de 1 500 navires

    qui, depuis ces villes ainsi que depuis d'autres ports de la faade atlantique, participaient

    rgulirement au commerce transatlantique3. La cl du succs de cette colonie franaise

    rsidait par consquent, non seulement dans l'essor du commerce de ces produits

    locaux et le dveloppement connexe du capitalisme europen, mais galement dans

    l'implantation prcoce in situ de ce quil est convenu dappeler un complexe de

    plantation 4. Grce cette implantation, la fin du XVIIIe sicle, Saint-Domingue tait

    devenue la colonie de plantation caribenne qui comptait le plus d'esclaves : prs d'un

    demi-million, pour seulement 30 381 Blancs et 24 000 libres de couleur5. La prosprit

    atteinte par la colonie ne se refltait pas seulement dans des chiffres positifs, mais

    galement dans la magnificence des habitations , et dans la splendeur des villes. De

    2 J. Cauna, u temps des isles { sucre : histoire d une plantation de saint-domingue au xviiie si cle,

    Paris, A.C.C.T, 1987, pp. 12-13 ; D. P. Geggus, Saint-Domingue on the eve of the Haitian Revolution , in D. P. Geggus, N. Fiering, (ds.), The World of the Haitian Revolution, Bloomington, Indiana University Press, 2009, p. xi ; J. D. Garrigus. Before Haiti : Race and Citizenship in French Saint-Domingue, New York, Palgrave Macmillan, 2006, pp. 173 et ss.

    3 J. Cauna, u temps des isles { sucre, op.cit., pp.12-13 ; D. P. Geggus. Saint-Domingue on the eve of the Haitian Revolution , op.cit., p. xi ; J. D. Garrigus. Before Haiti, op.cit., pp. 173 et ss.

    4 Le complexe de plantation tait un ordre politique et conomique colonial mis en place dans les plantations qui se trouvaient sur le tropique amricain, sur lesquelles travaillait une main d'uvre principalement compose d'esclaves d'origine africaine, et dont la production tait destine principalement aux marchs mtropolitains. S. Mintz. Caribbean Society , in D. Silla, (d.), International Encyclopaedia of the Social Sciences, vol.II, New York, Macmillan and Free Press, 1968, p.xi ; P. D. Curtin, The Rise and Fall of the Plantation Complex : Essays in Atlantic History, Cambridge, Cambridge University Press, 1990.

    5 D. Watts, Las Indias Occidentales, modalidades de desarrollo, cultura y cambio medioambiental desde 1492, Madrid, Alianza, 1992, p. 370.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 21

    prospres commerants venus de diverses parties d'Europe y vivaient, de mme des

    Franais nobles qui, bnficiant de concessions ou en raison d'unions maritales, s'taient

    installs dans la colonie6. Cet ensemble de circonstances ne pouvait quavoir des

    rpercussions sur les plans d'urbanisation et les ornements publics des villes, parmi

    lesquelles se distinguait celle que ses propres habitants appelaient la Paris de Saint-

    Domingue : Cap-Franais7.

    Le modle de cette colonie prospre tait admir l'tranger. Le clbre

    historien jamaquain Bryan Edwards, nhsita pas { lappeler le paradis du Nouveau-

    Monde 8 [Annexe 4], tandis que l'lite cubaine, qui prenait ce modle pour rfrence,

    transforma lle en une colonie de plantation, avec le soutien sans faille de la Couronne

    dEspagne9 . De sorte que les conflits internes que connut cette colonie franaise partir

    de la dernire dcennie du XVIIIe sicle jusqu'au dbut du XIXe, conflits qui dtruisirent

    une bonne partie de sa capacit de production, ainsi que plusieurs de ses villes, qui

    mirent fin la vie de milliers de personnes de couleur et qui firent pratiquement

    disparatre la population blanche, ne pouvaient pas passer inaperus aux yeux des

    Europens et de leurs descendants aux Amriques. Nanmoins, l'image qu'on eut de ces

    violences ne fut pas labore en fonction de ce seul cas, aussi exemplaire soit-il, dans la

    mesure o elles se manifestrent dans un contexte beaucoup plus vaste de combativit

    des catgories socio-ethniques concernes, situation qui dbouchait sur une remise en

    question de l'esclavage et nombre de questionnements quant au statut des afro-

    6 J. Cauna. u Temps es Isles { Sucre, op.cit., pp.12-13 ; D. P. Geggus. Saint-Domingue on the eve

    of the Haitian Revolution , op.cit., p.xiJ. D. Garrigus. Before Haiti, op.cit., pp.173ss. 7 Entoure des plantations les plus importantes de l'le, Cap-Franais, qui se trouvait dans la

    Plaine du Nord, face l'ocan Atlantique, tait considre comme la ville la mieux situe pour le commerce avec la mtropole et avec d'autres rgions. C'tait une ville de plus de 18 850 habitants, dote de 56 rues qui formaient un ensemble de 260 pts de maisons. Elle comptait 1 400 maisons (construites en pierre, pour la plupart) et prs de 300 immeubles de deux tages, voire de trois. La ville bnficiait galement d'un aqueduc efficace qui approvisionnait les habitants en eau frache. Au centre, les quartiers des Blancs taient lgants, un thtre y avait t difi, o l'on jouait des pices rcentes, venues d'Europe, et les rues taient paves jusqu'au port. Ici, dans la Rue du Gouvernement, il y avait des boutiques o l'on trouvait les dernires marchandises arrives d'Afrique, d'Europe et d'Amrique. D. Marley, Historic Cities of the Americas: An Illustrated Encyclopedia, vol.I, Santa Barbara, ABC-CLIO, 2005, p. 113 ; L. Dubois, Avengers of the New World: The Story of the Haitian Revolution, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 2004, pp. 21-24.

    8 B. Edwards, D. M'Kinnen, The history, civil and commercial of the British Colonies in the West Indies, vol.IV, Philadelphie, Printed and sold by James Humphreys, 1806, p. 127.

    9 M. D. Gonz|lez-Ripoll, Desde Cuba, antes y despus de Hait : Pragmatismo y dilacin en el pensamiento de Francisco Arango sobre la esclavitud , in M. D. Gonzlez-Ripoll, A. Ferrer, C. Naranjo Orovio, [et al.], (ds.), El rumor de Hait en Cuba, temor, raza y rebelda, 1789-1844, Madrid, CSIC, 2004, pp. 41 et ss.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 22

    descendants. Dans ce contexte sinsrent en effet la Rvolution franaise, les rvoltes et

    rbellions diverses dans d'autres rgions caribennes et le dbat abolitionniste en

    France et en Grande-Bretagne.

    Cette conjoncture produisit des attentes diffrentes dans les divers secteurs qui

    constituaient les socits esclavagistes de la Grande Carabe. De nombreux Africains et

    leurs descendants de couleur prirent conscience de l'injustice de leur situation, ce qui,

    en de nombreuses occasions, se traduisit par des manifestations de rsistance,

    essentiellement sous forme d'insolence et de tentatives d'insurrection dinspiration

    franco-antillaise10. Au sein de la population blanche, ces phases dextrme agitation

    rendirent plus perceptibles les incertitudes vis--vis de l'avenir, accentuant ce que Jean

    Delumeau qualifia pour la priode moderne de climat d'inscurit prexistant11. La

    rbellion d'aot 1791, du fait de son importance et de son caractre unique, contribua

    de manire dterminante cette intensification. Elle compta jusqu' quatre-vingt mille

    insurgs, des esclaves et des Marrons, et se solda par prs de deux cents plantations

    dvastes, des dizaines de Blancs et de multres, ainsi que des centaines de Noirs, morts

    ou blesss. Ces faits en font la rbellion la plus importante de toutes celles qui eurent

    lieu durant la priode moderne en Amrique. la fin, mme si les meneurs de la

    rbellion y laissrent leur vie, celle-ci ne put tre touffe dans sa totalit, contrairement

    ce qui s'tait pass tant de fois dans le pass, crant ainsi un prcdent trs

    dangereux pour l'hgmonie europenne dans les colonies.

    la fin du XVIIIe sicle, la crainte ressenties par les Blancs devant les

    soulvements des secteurs subalternes de couleur, en particulier des rvoltes d'esclaves,

    ne constituait pourtant pas une nouveaut. De fait, ces sursauts pisodiques avaient

    commenc se produire au moment mme o les Noirs-Africains avaient t introduits

    10 la fin du XVIIIe sicle, les esclaves et les libres de couleur qui participrent des rvoltes dans

    l'aire des Carabes, souvent firent rfrence ce qui se produisait la mme poque en divers endroits dans l'Atlantique franais. Cela dnoterait d'aprs Julius Scott l'impact important produit sur ces secteurs subalternes par les conflits sociopolitiques qui cette poque-l bouleversrent la France et ses dpendances coloniales. Parmi ceux-ci, le cas de Saint-Domingue se distingue dans la mesure o il montrait la voie suivre et apportait la preuve que la rvolte tait non seulement possible, mais couronne de succs. Pour cette raison, il devint lun des leitmotivs des manifestations de rsistance violente orchestres par les secteurs de couleur. J. S. Scott, The Common Wind : Currents of afro-american communication in the era of the Haitian Revolution, Duke University, 1986 ; D. P. Geggus. Slavery, War, and Revolution in the Greater Caribbean, 1789-1815 , in D. P. Geggus, D. Gaspar, (ds.), A Turbulent Time. The French Revolution and the Greater Caribbean, Bloomington ; Indianapolis, Indiana University Press, 1997.

    11 J. Delumeau, La peur en Occident XIVe-XVIIIe si cles : une cit assige, Paris, Fayard, 1978, p. 2.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 23

    en masse dans le Nouveau Monde, aprs avoir t considrs comme des esclaves

    parfaits au dbut du XVIe sicle. cette poque, les colons espagnols exprimaient dj

    leur inquitude face aux manifestations de rsistance violente de ce type12 ; par

    consquent, les premires mesures pour les prvenir ou les liminer commencrent

    tre mises en place13. L'inquitude face { lventualit que de semblables soulvements

    ne se reproduisent persista dans tous les endroits o la population de couleur tait

    nombreuse et pendant toute l'poque moderne, s'tendant des territoires coloniaux

    portugais et, partir du XVIIe sicle, franais, britanniques, danois et nerlandais14. la

    fin du sicle suivant, suite aux vnements de La Hispaniola en particulier aprs la

    grande rvolte de 1791 dans la Plaine du Nord, un changement majeur intervint :

    daprs Eugene Genovese15, il tait en effet devenu manifeste, et pour la premire fois,

    qu'un groupe suffisamment nombreux d'esclaves tait mme de se soulever avec

    succs, et mme den finir avec une colonie aussi riche que l'avait t jusqu'alors Saint-

    Domingue.

    Les informations qui circulrent dans l'espace atlantique sur les conflits

    rvolutionnaires dans cette colonie franaise mettaient souvent en avant les scnes

    d'atrocits commises { lencontre des Blancs, principalement par des hommes de

    couleur, ce qui contribua donner l'impression qu'une rvolution noire anarchique

    tait en marche. Dans l'ensemble, ces nouvelles, ajoutes aux manifestations locales de

    rsistance (associes ou non aux rvolutions franco-antillaises), contriburent

    12 D'aprs Michel Craton et Germn Carrera Damas, il y eut principalement deux types de

    manifestations de rsistance de la part des esclaves, l'une violente (insolence, dsobissance, rbellion, empoisonnement, marronnage...) et l'autre passive (avortements, infanticide, suicide, obissance feinte...). G. Carrera Damas, Huda y enfrentamiento , in frica en mrica Latina, Mxico, Siglo Veintiuno Editores, 1977 ; M. Craton, Forms of resistance to Slavery , in General History of the Caribbean. The Slave Societies in the Caribbean, vol.III, Hong Kong, Macmillan; UNESCO, 1997.

    13 Certaines de ces mesures prsentaient un caractre simplement prophylactique, visant viter que le nombre d'esclaves naugmente, telle que l'interdiction de 1516 d'importer des Noirs dans le Nouveau Monde. D'autres prsentaient un caractre exemplaire, telles que les ceps, le fouet, la mutilation, voire la mise mort. Au XIXe sicle encore, nous verrons comment des mesures de ce type perdurrent dans d'autres rgions esclavagistes d'Amrique. Sur cette premire interdiction, voir : J. L. Corts Lpez, Esclavo y colono: Introduccin y sociologa de los negros africanos en la Amrica espaola del siglo XV, Salamanca, Universidad de Salamanca, 2004, p. 19.

    14 En ce qui concerne l'Amrique du Nord, Herbert Aptheker a montr comment d'autres types de manifestations associes la rsistance d'esclaves (allis aux indiens, ou l'ennemi europen du moment) gnrrent de la crainte parmi les colons anglo-saxons en Amrique du Nord, depuis le XVIIe sicle. H. Aptheker, American Negro Slave Revolts, New York, International Publishers, 1993, p. 19.

    15 Eugene Genovese indique que la Rvolution hatienne a marqu un tournant dans l'histoire des rvoltes des Noirs en Amrique. E. D. Genovese, From rebellion to revolution. Afro-American slave revolts in the making of the modern world, Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1979, pp. 87 et ss.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 24

    convaincre les Blancs des autres socits esclavagistes de la Grande Carabe cest--

    dire, celles qui se trouvaient aux Carabes et dans l'aire circum-caribenne16 que dans

    les territoires o ils rsidaient une rvolution semblable pouvait clater. Du point de vue

    des membres des lites euro-amricaines ou blanches de ces socits (dont les

    membres constituent, avec les autorits, les acteurs de notre tude)17 [Annexe 1], la

    possibilit que l'exemple de Saint-Domingue puisse tre imit par les populations de

    couleur locales reprsentait une menace trs grave pour leurs vies, leurs familles, leurs

    possessions matrielles, et mme pour l'ordre de hirarchisation socioethnique ou

    racial 18 tabli par les Europens depuis l'poque de la conqute ou de la colonisation.

    Pour les autorits, cette ventualit comportait des risques significatifs pour la scurit

    des territoires dont la protection leur avait t confie par le roi (dans le cas des

    colonies europennes) ou par ses reprsentants (pour les territoires indpendants).

    La possibilit que leur monde s'effondrt cause des esclaves et des hommes

    libres de couleur allait affecter durablement la tranquillit mentale de ces lites

    blanches. Cela entraina chez leurs membres une srie d'attitudes et de comportements

    qui refltaient une sensation de vulnrabilit croissante face aux masses de couleur qui

    les entouraient. Du fait de la forte charge motive des manifestations qui mettent en

    vidence cette modification, celles-ci ont t dcrites par l'historiographie

    principalement en termes dmotions, et plus prcisment de peur19. Les historiens en

    particulier n'hsitrent pas utiliser des termes aussi forts ou connots que crainte ,

    psychose , paranoa , et mme horreur pour les dcrire. Un lexique motif qui

    parfois ressemble celui utilis l'poque afin de dcrire des comportements

    16 D. P. Geggus, D. Gaspar, (ds.), A Turbulent time: the French Revolution and the Greater

    Caribbean. Bloomington; Indianapolis, Indiana University Press, 1997, p. viii. 17 F. X. Guerra, LEuro-Amrique, constitution et perceptions dun espace culturel commun , in

    Les civilisations dans le regard de l'autre, Paris, Unesco, 2002. 18 Dans ce travail, on emploiera les termes race , racial , racisme , et racialiste depuis

    une approche strictement analytique, afin d'viter l'emploi excessif des expressions composes associes avec la voix ethnie , ou parce que les acteurs tudis les utilisent. Ceci ne signifie pas la reconnaissance de l'existence des races ; en fin de compte, comme l'indique Andr Pichot, les tres humains ne sont ni ingaux ni diffrents, ils sont incomparables . A. Pichot, La socit pure: de arwin { Hitler, Paris, Flammarion, 2000, p. 435 [Je remercie C. Thibaud de m'avoir fait connatre cette uvre]. Voir galement : F. Ortiz Fern|ndez, l enga o de las razas, La Habana, Editorial P|ginas, 1945.

    19 Parmi les niveaux affectifs, il convient de distinguer, aux cts de l'humeur et des sentiments, les motions de bases ou primaires ; celles-ci se subdivisent en six types culturels universellement reconnus, la peur, la joie, la tristesse, la colre, la surprise et la rpugnance. Ces motions se manifestent toutes sans exception par des ractions affectives dont l'intensit sera proportionnelle la force du stimulus reu. C. M. J. Braun, F. Crpeau, valuation neuropsychologique, Montral, Dcarie, 1997, pp. 330-331.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 25

    inhabituels 20, mais qui ne concide pas ncessairement avec ce que signifient ces

    expressions en termes psychologiques. Ce vice d'origine nest pas sans avoir influ sur la

    formulation pistmologique de ce qui a t appel par l'historiographie des rvolutions

    dans l'aire caribenne la peur hatienne .

    Les chercheurs qui ont tudi de manire approfondie ce phnomne signalent

    tous l'existence gnralise d'un phnomne psychologique collectif d'envergure

    atlantique, comparable comme le suggrent Michael Zeuske et Clarence Munford

    la Grande Peur du complot aristocratique pendant la premire anne de la

    Rvolution franaise21. D'autres, considrant les similitudes que prsentent des cas a

    priori diffrents mais qui mettent en vidence son existence, sy sont rfrs comme {

    un syndrome . La dfinition quen propose Arturo Morales Carrin est ainsi la

    suivante : la crainte que, une fois un systme esclavagiste cr, arrive le jour o les

    esclaves se rebellent contre une condition dgradante, anantissent des vies et brlent

    des haciendas 22. Malgr l'ingalable valeur historiographique que revt cette

    interprtation, ainsi que dautres dailleurs, aucune ne repose sur une base

    vritablement empirique, { mme de la justifier. Cest pour cette raison que sauf

    exceptions qui ne confirment pas la rgle23 on a continu dcrire l'impact de la

    20 J. Nicolas utilise lexpression comportements inhabituels pour qualifier les termes originels

    utiliss au XVIIIe sicle en France, pour dcrire des comportements collectifs violents. Dans notre cas, nous lutilisons pour identifier des termes dans les sources qui pourraient voquer une raction motive relie la peur hatienne . J. Nicolas, La R ellion Franaise : Mouvements populaires et conscience sociale (1661-1789), Paris, Seuil, 2008, p. 29. 21 Cette comparaison fait rfrence au travail classique de Georges Lefebvre, La Grande Peur de 1789, dportant sur la peur des paysans d'un complot aristocratique, complot parfonde de surcrot sur des rumeurs. cette occasion, et comme les historiens l'indiquent, les individus en proie cette peur n'taient pas des bourgeois ou des paysans mais des planteurs, et ceux que lon craignait n'taient pas des vagabonds ou des aristos , mais des esclaves noirs . C. J. Munford, M. Zeuske, Black Slavery, Class Struggle, Fear and Revolution in St. Domingue and Cuba, 1785-1795 , The Journal of Negro History, 1988, vol. LXXIII, n 1/4, p. 24.

    22 A. Morales Carrin, Ojeada a las corrientes abolicionistas en Puerto Rico , Anuario de Estudios Hispanoamericanos, 1986, n 43, pp.295-296 ; J. V. Grafenstein. Nueva spa a en el ircuncari e - : Revoluci n ompetencia Imperial y V nculos Intercoloniales, Mxico, Universidad Nacional Autnoma de Mxico, 1997, p. 156.

    23 Nous pensons ici principalement ce qu'indique C. Naranjo sur les manipulations intresses de la peur hatienne par les autorits espagnoles Cuba aux annes 1830, la problmatisation propose par Ada Ferrer galement pour Cuba, et aux ambiguts et contradictions que David Geggus relve dans le cas des manifestations qui dnotent l'impact de la Rvolution hatienne au-del de ses frontires. C. Naranjo Orovio, La amenaza haitiana, un miedo interesado : Poder y fomento de la poblacin blanca en Cuba , in M. D. E. A. Gonzlez-Ripoll, (d.), El rumor de Hait en Cuba, temor, raza y rebelda, 1789-1844. Madrid, CSIC, 2004, pp. 160 et ss. ; A. Ferrer, La socit esclavagiste cubaine et la Rvolution hatienne . Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2003, LVIII, n 2, pp. 5-6 ; D. P. Geggus, The Impact of the Haitian Revolution in the Atlantic World, Columbia, U. of South Carolina Pr., 2001, p. 247.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 26

    Rvolution hatienne sur les Blancs des autres socits esclavagistes en termes de peur,

    en contournant d'autres manifestations plus ou moins motives.

    Nous reconnaissons certes les avantages mthodologiques que comporte la

    notion de syndrome en tant que catgorie analytique, nous y recourrons par

    consquent pour tudier les diffrentes manifestations de ce que dsormais nous

    dnommerons le syndrome de Saint-Domingue . Demeurant toutefois un concept

    rarement appliqu au terrain de l'analyse historique, il nous semble indispensable de

    procder, au pralable, de brves considrations thoriques : un syndrome ne

    renvoie pas un cas d'application psychologique mais une situation clinique. De fait, il

    constitue une altration pathologique caractrise par une srie de symptmes qui se

    rptent toutes les fois qu'il se prsente24. Dans le cas d'un syndrome collectif nous

    nous appuyons ici sur le travail de Henri Rousso propos du syndrome de Vichy 25

    ces phnomnes sont la consquence d'une situation traumatique subie par une

    communaut, soit de manire directe en tant prsent sur les lieux de l'vnement, ou

    distance travers les informations transmises par les moyens de diffusion du moment.

    Dans la perception d'un vnement traumatique, la relation imaginaire tablie

    avec les victimes directes joue un rle fondamental pour la formation du traumatisme

    collectif 26. Dans le cas qui nous occupe, cette relation a pour cadre non pas une

    communaut nationale ou culturelle, mais bien une identit ethnique. Dans les socits

    esclavagistes de la Grande Carabe, elle seffectue pour lessentiel en termes dides et de

    valeurs raciales partages par les Blancs, dont le soutien { lesclavage et le mpris {

    lgard des afro-descendants en taient les principales expressions. Ainsi, bien que ceux-

    ci ne rsidassent pas Saint-Domingue, les terribles expriences prouves par leurs

    homologues de la colonie franaise eurent sur les premiers un impact psychique

    considrable. En fin de compte, { linstar des Blancs saint-dominguois, ceux qui

    rsidaient dans les territoires environnants taient galement des Europens ou des

    24 J. Quevauvilliers, A. Somogyi, A. Fingerhut, Dictionnaire mdical, Paris, Elsevier Masson, 2007,

    p. 889. 25 Dans cet ouvrage, H. Rousso dfinit son objet d'tude comme lensemble htrogne de

    symptmes, des manifestations, en particulier dans la vie politique, sociale et culturelle, qui rvlent lexistence du traumatisme engendr par lOccupation nazie et les consquences que ce fait engendra en France : le rgime collaborationniste du gnral, Vichy, la dportation des Juifs dans les camps d'extermination, etc. H. Rousso, Le syndrome de Vichy, de 1944 nos jours, Paris, Seuil, 1987, pp. 18 et ss.

    26 J. C. Abric, Pratiques sociales et reprsentations, Paris, Presses Universitaires de France, 1994, pp. 15-18.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 27

    descendants d'Europens. Do la formation dun traumatisme collectif de porte

    grande caribenne, rsultant des informations qui leur parvenaient sur les vnements

    violents de La Hispaniola27, ainsi que d'autres situations similaires survenues au-del

    des frontires gographiques et temporaires de la Rvolution hatienne.

    Mme si certains lments nous permettent de situer le dbut de la rvolution

    la fin des annes 1780, concidant plus particulirement avec les activits politiques

    effectues par les dputs blancs et multres en France partir de 1788, ou encore avec

    une rbellion importante de multres en octobre 1790, l'historiographie spcialise la

    fait commencer avec l'insurrection esclave d'aot 1791. Cette insurrection ne fut

    cependant pas inspire par les ides et les faits rvolutionnaires qui, cette poque,

    agitaient tout l'Atlantique franais, mais surtout par la rsistance traditionnelle

    l'esclavage. Aprs le dbut de la guerre de la premire coalition de puissances

    europennes contre la Rpublique franaise en 1793, la colonie de Saint-Domingue est

    en effet envahie par les forces espagnoles et britanniques. Les agents rpublicains se

    voient dans lobligation dabolir l'esclavage afin de renforcer leurs troupes, mesure qui

    fut ratifie par la Convention nationale en fvrier de l'anne suivante. Aprs que les

    forces britanniques se soient retires en 1798, le leader noir, Toussaint Louverture,

    aprs sa victoire dans une guerre civile contre les multres de l'le (Guerre du Sud), fait

    approuver une constitution pour la colonie qui fait de lui le gouverneur vie et qui

    confirme labolition de l'esclavage.

    En 1802, une puissante arme arriva de France sous le commandement du

    gnral Leclerc, envoy par Napolon qui, profitant de la signature de paix avec la

    Grande-Bretagne, prtendait rinstaurer Saint-Domingue et dans les autres les

    franaises l'ancien rgime colonial, esclavage compris. Louverture fut arrt et envoy

    en prison en mtropole o il dcda quelque temps plus tard. Lorsque les multres et les

    Noirs prirent conscience des intentions du premier consul franais, ils s'engagrent

    aussitt dans une sanglante guerre ethno-civile. Alors que les Franais russirent

    s'imposer en Guadeloupe et en Martinique, Saint-Domingue la lutte se poursuivit sans

    rel}che. Cette rsistance inattendue sajoutait aux normes pertes que connut le

    27 Les recherches sur l'impact psychologique des attentats du 11 septembre sur la population des

    tats-Unis ont montr qu'il n'tait pas ncessaire d'tre prsent sur les lieux des vnements pour dvelopper des dsordres post-traumatiques. J. A. Updegraff, R. C. Silver, E. A. Holman, Searching for and finding meaning in collective trauma : results from a national longitudinal study of the 9/11 terrorist attacks , Journal of Personality and Social Psychology, 2008, vol. XCV, n 3, pp. 710 et ss.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 28

    contingent en raison dune part de la fivre jaune, et dautre part de la reprise des

    hostilits avec la Grande-Bretagne. Les troupes mtropolitaines durent battre en retraite

    la fin de l'anne suivante. Le 1er fvrier 1804, le leader noir Jean-Jacques Dessalines

    dclare l'indpendance du territoire, sous le nom de Rpublique d'Hati.

    De tous les vnements qui, dune manire ou dune autre, donnrent forme et

    consistance la Rvolution hatienne, seuls quelques-uns peuvent tre considrs

    comme { lorigine du syndrome que nous avons mentionn et de ses manifestations

    diverses. Il sagit principalement de situations dans lesquelles les Blancs furent victimes

    des multres ou des Noirs, comme la rbellion de 1791, l'incendie de Cap-Franais en

    1793, l'occupation de Santo Domingo par Toussaint Louverture en 1801, la dfaite des

    forces napoloniennes en 1803, le massacre des Blancs orchestr par les adeptes de

    Jean-Jacques Dessalines en 1804, et enfin, l'invasion de cette colonie espagnole par le

    mme leader noir en 1805. Cette conjonction de tensions fait apparatre une dynamique

    temporelle qui lui est propre et qui ne concide pas totalement avec la chronologie mise

    en exergue par lhistoriographique du processus rvolutionnaire .

    En effet, et au moins jusqu'en 1805, des vnements violents continurent de se

    succder, entranant l'apparition de nouvelles manifestations du syndrome cit. Ces

    vnements ne se limitrent pas davantage, d'un point de vue gographique, l'espace

    de la colonie franaise de Saint-Domingue : dautres violences se produisirent en effet

    dans la partie espagnole de l'le, ainsi lors des invasions de 1801 et 1805. Parfois, nous

    trouvons mme des manifestations associes des vnements hors de La Hispaniola,

    essentiellement dans d'autres colonies franaises telle la Guadeloupe, qui connut un

    processus similaire celui de Saint-Domingue, mais sans pour autant parvenir

    l'indpendance.

    Cette conjonction de situations traumatisantes ne fut pas perue de manire

    homogne dans tous les territoires esclavagistes de la Grande Carabe, do les

    modalits extrmement varies de limpact de ces informations sur les populations

    blanches. Ces diffrences furent en effet subordonnes la manire dont elles se

    prsentrent, selon les niveaux d'accs et du type d'information diffuse en chaque

    lieu. Ainsi, les diffrentes impressions qui en rsultrent ne refltrent pas avec une

    parfaite exactitude les vnements de La Hispaniola, mais bien plutt ce que les acteurs

    sociaux imaginrent ou furent amens imaginer en fonction des informations dont ils

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 29

    disposaient. Ultrieurement, cette dpendance par rapport { lorigine et la fiabilit des

    sources dinformation fut compense par des canaux mnmoniques , qui permirent

    prcisment aux nouvelles gnrations de l'lite blanche de reconstruire la mmoire

    des vnements survenus dans cette le (principalement dans la partie franaise)

    pendant les annes de la rvolution, lorsque la ncessit de se les remmorer se faisait

    sentir28.

    La diffusion des informations et lexercice de mmoire constituent des lments

    essentiels afin de comprendre le dclenchement des ractions voques. Cependant, ces

    mmes lments seraient dpourvus de sens si leur analyse ntait complte par ltude

    des circonstances mmes et de la manire dont les faits transmis furent valus et

    interprts. Nous sommes donc amens prciser les traits psychoculturels des acteurs,

    lesquels dpendent en grande partie de leur exprience de vie et de mcanismes

    mmoriels. Depuis la philosophie de l'histoire, Reinhardt Koselleck a dgag

    l'importance de cette variable, quil qualifie d espaces d'exprience (cest--dire

    marqus par la prsence consciente ou inconsciente d'une ralit passe dans le

    prsent ), afin de comprendre les attitudes futures des individus situs en fonction

    d horizons d'attente : un futur fait prsent, dans lequel s'expriment leurs espoirs,

    leurs inquitudes, leurs dsirs et, bien entendu, leurs craintes29.

    Nous combinerons ces outils thoriques avec d'autres instruments danalyse

    emprunts aux sciences cognitives lesquelles ont connu un essor certain voire une

    vritable rvolution depuis un demi-sicle le principal aspect tant la prdilection

    manifeste en faveur de lapproche mentaliste au dtriment du behaviourisme 30.

    En nous fondant sur la psychologie cognitive et la psychologie sociale, nous serons par

    consquent amens prter attention aux facteurs influenant la perception de nos

    acteurs confronts une ralit locale et aux vnements de La Hispaniola. Nous

    insisterons tout particulirement sur les motions et leurs rpercussions sur lapproche

    28 En ce sens, L. Valensi suivant M. Halbwachs affirme que le contenu des souvenirs rpond

    la pression collective et aux sollicitations du prsent, la mme srie dvnements connatra inflexions et transformations au cours du temps. L. Valensi, Fables de la mmoire : la glorieuse bataille des trois rois, 1578 : souvenirs d'une grande tuerie chez les chrtiens, les juifs & les musulmans, Paris, Chandeigne, 2009, p. 18.

    29 R. Koselleck, Futuro pasado. Para una semntica de los tiempos histricos, Barcelona, Paids, 1993, pp. 333-357.

    30 H. Gardner, Histoire de la rvolution cognitive : la nouvelle science de l'esprit, Paris, Payot, 1993 ; J. Dortier, La rvolution cognitive , in : J. Dortier, (d.), Le cerveau et la pense. La rvolution des sciences cognitives, Paris, ditions Sciences humaines, 2003, pp. 35-42.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 30

    rationnelle des vnements (essentiellement dans le cadre dactions individuelles), et

    galement aux reprsentations sociales en tant que filtres de la cognition, afin

    dexpliquer principalement les prdispositions ou les sensibilits de ces acteurs [Annexe

    2].

    Les expriences antrieures qui ont t { lorigine de prdispositions des acteurs

    sociaux pris de court par lembrasement de lle, renvoient en fait { des manifestations

    de violence locales mettant en scne des individus de couleur. Parmi elles, et compte

    tenu de leur frquence et de leur intensit, les rvoltes d'esclaves occupent une place

    privilgie. Ce type de tensions continua en effet dexister et de se manifester jusqu{

    labolition de l'esclavage, gnrant comme l'indique Herbert Aptheker une peur

    endmique, indpendamment que du fait que se produisent ou non de nouvelles

    rvoltes31. Le fait d'assister { ces vnements, den tre le spectateur, modela en effet

    l'opinion que les Blancs se forgrent des individus de couleur, les prsentant comme

    potentiellement dangereux. Leur opinion du moins en ce qui concerne les membres

    les plus illustres de l'lite blanche ont galement t sous influence , et leur

    volution rythme par les avertissements annonciateurs de nouvelles catastrophes, et

    ce, depuis la moiti du XVIIIe sicle, et dans lhypothse o lintroduction desclaves dans

    les colonies europennes des Carabes se poursuivrait.

    Parmi ces avertissements, celui de Abb Raynal acquiert une signification

    particulire : dans son Histoire des deux Indes (un ouvrage lu dans tout le monde

    atlantique) se trouve en effet annonce lapparition probable d'un Spartacus noir , qui

    conduirait ses semblables la vengeance et au carnage 32. Au sein mme des socits

    esclavagistes, des voix slevrent, comme dans le cas d'un pamphlet anonyme qui

    circulait en Jamaque en 1743, prdisant que si l'on ne mettait pas un terme dfinitif au

    trafic desclaves l'le serait prise d'assaut et dvaste par ses propres esclaves 33.

    Nanmoins, comme aucune rbellion, aussi violente et sanglante ft-elle, ne put se valoir

    dun succs vritable ou marquer durablement les esprits, il ne sensuivit pas de

    situations assez traumatiques pour que les lites modifient leurs positions sur

    31 H. Aptheker, American Negro Slave Revolts, op.cit., p.19. 32 G. A. Raynal, Histoire philosophique et politique des tablissemens et du commerce des Europens

    dans le deux Indes, vol.VII, Paris, A. Costes, 1820, pp. 226-227. 33 Anonyme, An essay concerning slavery, and the danger Jamaica is expos'd to from the too great

    number of slaves, Londres, Charles Corbett, 1746, p. 18.

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 31

    l'esclavage ou sur la traite. Leur opinion sur la population de couleur nen fut pas

    davantage plus altre : les lites continurent de considrer les esclaves comme des

    tres plus ou moins dociles, infrieurs du point de vue racial, et incapables de mener {

    bien leurs insurrections. Par consquent, la discrimination pratique { lencontre des

    libres de couleur et lexploitation des esclaves pouvaient se poursuivre avec un niveau

    acceptable de scurit. La persistance dans le temps de cet tat de vulnrabilit

    tolrable tait lie dans une trs grande mesure, comme lavaient soulign les

    prdictions les plus pessimistes ou les plus ralistes , la configuration ethno-

    dmographique de chaque rgion. Un pourcentage ou une concentration levs de

    personnes de couleur (libres ou esclaves) dans une population donne tendait crer un

    paysage humain particulier, et constituait un facteur d'inscurit pour les Blancs qui

    rsidaient sur place ou taient amens visiter les lieux.

    Ces considrations historiques et thoriques mises { part, lhypothse majeure

    sur laquelle nous avons fond notre analyse, est en effet la suivante : les informations

    qui ont circul dans les espaces considrs propos des violences enregistres La

    Hispaniola entre 1791 et 1805, auraient jou un rle de catalyseurs, ces stimuli

    traumatisants altrant considrablement la sensation de scurit dont jouissaient

    traditionnellement les Blancs des autres socits esclavagistes. L'imaginaire social issu

    de ce vritable tournant motif, mme s'il a pu varier d'un lieu l'autre (selon la nature

    de l'information laquelle chaque individu ou communaut eut accs), fut en gnral

    associ partir de cette poque ce territoire insulaire, et plus particulirement sa

    partie francophone. Les diffrentes dnominations adoptes sont explicites sur ce point

    et selon laire linguistique : St. Domingo ou San Domingo, pour les anglophones ; et

    Guarico, ou simplement, Santo Domingo franais, pour les hispanophones, synonymes

    d' horreur ou mauvais exemple . Cette smantisation des imaginaires et des

    reprsentations sociales en fonction dvnements particuliers nous autorise en ce sens

    parler d'un syndrome collectif, d'extension principalement grand-caribenne, mais

    galement atlantique.

    Do lintrt que dapprhender ce phnomne dans une perspective compare,

    et en considrant les comportements des acteurs sociaux comme des units

    comparatives qui permettront dvaluer et de mesurer au fil du temps l'incidence

    tel-0

    0555

    007,

    ver

    sion

    2 - 1

    Feb

    201

    1

  • 32

    individuelle et collective d'un ensemble d'informations traumatisantes34. En ce qui

    concerne le niveau d'analyse , il convient de souligner que les rgions o les

    manifestations de ce syndrome ont t le plus frquentes partageaient en fait une sorte

    d entrelacement historique et de circonstances communes35. la fin du XVIIIe sicle,

    ces socits esclavagistes de l'aire grande-caribenne disposaient, { linstar de Saint-

    Domingue, dune structure ethno-dmographique trois niveaux (Three-tier

    structure), en dautres termes dune population compose essentiellement de Noirs,

    Blancs et libres de couleur36. Nous insisterons cet gard sur les cas de Cuba, de la

    Jamaque britannique, de l'tat esclavagiste nord-amricain de Virginia, et du Venezuela

    de la priode coloniale puis de lIndpendance37. Dans presque tous les cas, la

    distribution ethnique y tait en effet