Alfaric. Les écritures manichéennes. 1918. Volume 2

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    LESCRITURES MANICHENNES

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    ANGERS. IMPRIMERIE F. GAULTIER & A. THEBERT

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    LES

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    II

    TUDE ANALYTIQUEPAR

    PROSPER ALFARICDocteur es lettres

    (Pc BLICATION B?ICOCRAGSB PAR LA SOCIT AsrATlQUK)

    PARISE. NOURRY, DITEUR62, RUE DES COLES, 62

    19^9

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    IKL iNSTITUTE Of fciLCiArVAL STUL.i-S10 ELP^SLEY PLACTORONTO 6, Canada.DEC 101931

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    LESCHITURES xMANICHENNES

    PRFACELes Ecritures manichennes se divisent en deux grandes

    sries. Les unes sont nes du Manichisme et visent enexposer la pure doctrine. Les autres proviennent de milieuxdiffrents et plus anciens. Elles ont t adoptes ct despremires parce qu'elles montraient dans leurs grandes lignesle mme esprit et les mmes tendances. Elles constituent unesorte de Bible deutrocanonique d'un caractre plus large etplus vari.

    Les Ecritures proprement manichennes se subdivisent elles-mmes en deux groupes principaux. Les unes sont l'uvre deMani. Les autres viennent de ses disciples soit immdiats, soitplus ou moins tardifs. Les premires sont les plus importantes, cause de la personnalit de leur auteur et du rle consid-rable qu'elles ont t appeles jouer. Ainsi demandent-elles tre tudies d'abord. Mais les secondes n'ont pas t sansvaleur ni sans influence. Elles s'imposent donc galement l'attention des historiens.

    D'autre part, les Ecritures de provenance trangre qui ontt associes aux prcdentes se subdivisent leur tour entrois sries bien distinctes. A l'exemple des Gnostiques ant-rieurs, les Manichens distinguaient, en dehors de leur Eglise

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    2 LES CRltURES MANICHENNeSconsidre comme la seule orthodoxe, trois grandes religionso le vrai se trouvait ml au faux, savoir le Judasme, leChristianisme, l'Hellnisme ou, plus gnralement le Paga-nisme. Et ils lisaient certains livres qui se rattachaient chacun de ces groupes rivaux et qui en exposaient lestraditions sous une forme acceptable pour eux. On ne peutdonc avoir une connaissance complte de leurs textes sacrssans passer en revue tous les crits juifs, chrtiens ou paensdont il se sont servis.De cet aperu rapide se dgage naturellement la division de

    la prsente tude.

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    PREMIRE SECTIONCRITURES PROPREMENT MANICHENNES

    CHAPITRE V'CRITS DE MANI

    Divers auteurs, parlant des uvres de Mani, s'accordent lesrpartir en deux sries nettement tranches. L'une comprendses {grands crits, l'autre ses travaux secondaires. La premireest la plus emportante et aussi la mieux connue. Avant d'entudier le contenu prcis, il est ncessaire d'en fixer les contours.

    GRANDS RECUEILSIl semble qu'il y ait cil divers recueils des principaux ouvrages

    de Mani.I) TTRADE MANICHENNE. D'aprs Ics Actcs d'Archlaus,

    l'hrsiarque aurait laiss ses disciples quatre grands critsqui contenaient l'essence de sa doctrine. Cette ttrade auraitd'ailleurs exist bien avant lui. Son origine remonterait auxtemps apostoliques. C'est ce qu'Archlaus lui-mme expliquebrivement aux fidles de Kashkar, aprs avoir victorieusementdiscut devant eux avec le fondateur de la nouvelle religion.

    Je vais, dit-il, vous exposer l'histoire et la vie de ce Mans.

    7X

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    4 LES ECRITURES MANICHENNESJe VOUS montrerai aussi trs clairement d'o procde sa doc-trine. Il n'a pas t le seul ni le premier la constituer.

    L'auteur et le chef de sa secte fut un certain Scythien, dutemps des Aptres, un de ces nombreux apostats qui, dsirants'arroger la priniaut, substiturent dans leurs crits l'erreur la vrit. Ce novateur introduisit deux Principes contraires,qu'il tenait, comme tous les autres Dualistes, de Pythagore i.Il admit leur antagonisme et tout ce qui s'en suit. Ce Scythientait de la race des Sarrasins ^. Il f)ousa une captive de laIlaute-Thbade qui le dcida habiter en Egypte, plutt quedans les dserts ^. L, il apprit la sagesse des gyptiens ^.D'aprs le tmoignage que nous. ont laiss ceux qui l'ont connu,il avait beaucoup de talent et de richesses. 11 recruta un disciple,nomm Trbinthe, qui lui crivit quatre livres. Il intitula lepremier Les Mystres, Ae second Les Principes, le troisimeL'vangile, et le dernier Le Trsor ^. Aprs un certaintemps , il tint passer en Jude pour y entrer en rapportavec tous les Docteurs qui s'y prsenteraient. Mais il mourutaussitt aprs (y tre arriv) sans avoir pu rien faire ^.

    Son disciple, ayant ramass tout son bien, prit la fuite etgagna la Babylonie ^. L, il fit savoir qu'il possdait toute lasagesse des Egyptiens, qu'il ne s'appelait plus Trbinthe maisBouddha et que ce nom lui avait t impos^. Il prtendit tren d'une vierge et avoir t nouiTi par un ange dans les mon-tagnes ^. Un prophte, nomm Parcus, et Labdacus, fils deMithra, l'accusaient de mensonge et discutaient chaque jourassez opinitrement avec lui... ^^. Sans se laisser arrter parleurs attaques, il leur parlait de ce qui avait exist avant le

    i^ Act. Arch., 5i cire. fin. Cf. Hippolylc, Philos, I, 2 (Pythagore) ;IV", 21 (Gnostiques) ; VI, 21-29 (Valeiitinicns) ; VI, Sa (Marcus) ; VIII, i5(Monomasi ; IX, 17 (Elchasates) ; IX, 27 (Esscniems).

    2) Act. Arch. 5 cire. fin.3) Act. Arch. 62, init.4) Act. Arch. 62, cire. init.5) Act. Arch. 52, cire. init.6) Act. Arch. 62, cire. med.7) Act. Arch. 52, cire. med.8) Act. Arch. r>2, cire. med.9) Act. Arch. 52, cire. med. Cl". Hieron, Adv. loviti, I, di (naissancedn ct d'une vierge).10) Act. Arch. 52, cire. med. C'est la seule mention qui nous soit

    connue de rapports entre la religion de Mani et celle de Mithra. Lespersonnages signals ici n'apparaissent nulle part ailleurs.

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    ECRITURES PROPREMENT DITES 5temps, de la sphre et des d

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    6 LES CRITURES MANICHENNESLui-mme recruta trois disciples, nomms Thomas, Addas etHermas ^ Prenant les quatre livres, il les traduisit, y ajoutantde nombreuses fables, semblables des contes de vieillefemme 2. Les trois disciples taient complices de ses faux. Ilmit donc sur ces livres son propre nom, aprs avoir effac celuide son devancier, comme si c'tait de lui-mme et par lui seulqu'il les et crits ^. Puis il envoya ses disciples, avec sesEcritures, dans les principaux endroits de la province, danstoutes sortes de villes et de villages, pour s'y faire des adeptes.Thomas voulut passer en Egypte et Addas en Scythie. SeulHermas prfra rester avec lui ^.

    (( A leur retour, les messagers racontrent au Matre ce quileur tait arriv. Dans toutes les wlles o ils taient passs, ilss'taient vus excrs de tout le monde, mais surtout des adora-teurs du Christ ^. Mans leur demanda de lui procurer leslivres des Chrtiens. Munis d'une certaine quantit d'or, ils serendirent dans les endroits o on copiait ces livres ^. Puis,se prsentant comme des catchumnes, ils demandrent qu'onvoulut bien les leur vendre '^ . Bref, ils achetrent ainsi toutesnos critures et les portrent leur Matre^ Alors cefourbe tudia nos livres pour les mettre au service de sondualisme. Il en critiqua certains dtails, en modifia certainsautres et leur emprunta seulement le nom du Christ, auquelil affecta de tenir, afin de faire cesser l'horreur et l'aversionque provoquaient en tout lieu ses disciples. Puis, il envoyaces derniers prcher leurs erreurs ainsi dissimules ^. place que les traditions babylonniennes occupent dans l'enseignementde Mani.

    i) Act. Arch., 53 cire. med. Cf. ibid. 11 jin. Ces trois personnagesjouent un grand rle dans les traditions des glises d'Orient et sousleur nom ont circul divers crits dont il sera parl plus loin.

    2) Act. Arch., 53 cire. med.3) Act. Arch., 53 cire. med.4 Act. Arch., 53 cire. med. Cf. ibid, 11 fin. (Addas, Thomas Hermas,

    vanglisent respectivement l'Orient, la Syrie, l'Egypte).5) Act. Arch., 54 init. Dtail caractristique de l'accueil fait aux Mani-

    chens dans les milieux orthodoxes.6) Act. Arch., 54 cire. init.7) Act. Arch., 54 cire. med.8) Act. Arch., 54 cire. med. Par l, l'auteur veut expliquer les rf-

    rences biblicfues dont sont remplis les crits de Mani.9) Act. Arch., 54 cire. fin. C'est la suite de cette 2 mission que leManichen Turbo, prsent comme un disciple d 'Addas (ibid. '4), est

    cens avoir prch le dualisme Kashkar dans l'glise d'.\rchlaus.

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    ECRITURES PROPREMENT DITES 7Ce rcit a joui d'une trs grande vogue. Il a t admis sans

    la moindre rserve par la plupart des auteurs chrtiens quiont crit contre les dogmes de Mani. Il a mme inspir, jusqu'ces derniers temps, des crivains consciencieux qui se piquaientde critique ^. Un examen quelque peu attentif suffit pourtant en montrer l'invraisemblance. Si Scythien avait vcu autemps des Aptres , Trbinthe, form prs de lui, aurait dtre bien antrieur Mani, qui est prsmt, au cours du mmeouvrage, comme un contemporain de Probus ^. Or il meurtdu vivant de l'hrsiarque, qui a dj s^pt ans lorsque la veuvele prend chez elle afin de ne pas rester seule. Mani lui-mmen'a pu (( traduire les ouvrages dont sa matresse avait hritsans possder au moins deux langues. Cependant, en croireun autre discours d'Archlaus, il n'aurait connu ni le grec,ni le latin, ni l'gyptien, mais seulement le chaldaque ^.Les quatre livres de Scythien ne renfemiaient que quelqueslignes . Comment un auteur initi la sagesse des Egyp-tiens a-t-il pu tre si peu prolixe? De tels dtails trahissentla lgende.Le rcit des Acta n'en est pas moins instructif. Il montre quedans le milieu oii l'ouvrage a paru on connaissait seulementquatre grands crits de Mani. Et il nous fournit sur cette ttraded'utiles renseignements. Si Archlaus s'tend longuement surles devanciers de l'hrsiarque, c'est parce qu'il tient faireremarquer que celui-ci s'est born dmarquer et gloser desuvres plus anciennes, celles par exemple de Basilide, dontla conclusion des Acta rapporte un passage important*. S'ilprsente Scythien comme un apostat, n dans les dserts del'Arabie et migr en Egypte, qui s'est assimil la science dePythagore et celle de son pays d'adoption, mais non celle desJuifs, c'est parce que les livres qu'il lui attribue s'cartentsensiblement soit de la tradition, soit des rgles classiques etrappellent tantt les thories des Nopythagoriciens, tantt

    i) Kessler, Mani, p. 62 suiv. Cf.Ern. Rochel, Essai sur Mani, p. 64-73.2) Act. Arch., 27 cire, fin., 28 init.3) Ad. Arch., 36 cire. med.4) Act. Arch., 55 pn. (texte complet dans l'dition Beeson).

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    8 LES CRITURES MANICHENNEScelles des Gnostiques, en s'opposant toujours au Judasme.S'il donne Terbinthe comme le Bouddha et un adepte de lamagie, qui disserte sur les premiers principes, sur l'organisa-tion du monde, la destine finale des mes et tout particuli-rement sur la lutte engage au dbut contre Dieu, c'est parceque les crits qu'il lui fait rdiger pour son matre traitent desmmes sujets et renferment un grand nombi^ d'lmentsbouddhiques ou magiqu('s. S'il dit que Is quatre livres ont tlgus Corbicius par une veuve trs ge, c'est parce qu'ily trouve beaucoup de contes de vieille femme )>, exposs enun style diffus ^ Enfin, s'il raconte que Mani s'est assimilla science de la Perse et a longuement tudi le Nouveau Testa-ment, c'est parce qu'il a constat travers toute son uvrel'influence des traditions persanes et surtout celle du Christia-nisme. Bien que lgendaire, son expos nous fournit doncd'utiles renseignements sur les grands crits de l'hrsiarque.Epiphane ne s'en est pas rendu compte. Il n'a pas vu que

    les livres de Scythien et de Trbinthe se confondent avec ceuxde Mani. Aprs avoir racont la vie de ce dernier, d'aprs lerapport des Actes d'Archlaus ^, il parle de ses uvres commes'il ne l'avait pas encore fait. Il en signale une qui ouvre lasrie et qui traite de la foi nouvelle ^. Puis il ajoute :

    (( En effet, Mani a publi diffrents livres. Un d'entre euxest intitul Mystres de Maniche, un autre Le Trsor. A ceslivres, pour mieux sduire, il a associ celui qu'on appelleLe Petit Trsor et un autre Sur VAstrologie^.Mais Epiphane est un tmoin peu sr et il se montre ici assezmal renseign ^. D'autre part, ce n'est peut-tre pas par un

    i) Act. Arch., 53 cire. med.2) Haer, LXVI, i-5 et 10-12.3) Hncr, LXVI, i3 cire init.4) Haer, LXVI, i3 eire. fin.5) Il cite im peu phis loin (i3 fin., i4 init.) le dbiit dm i^^ livre de

    Mani, c'est--dire, d'aprs le contexte, des Mystres. Mais il emprunte sacitation, comme la plupart des dtails de sa critique du Manichisme,fi Titus (le Bostra (Adv. Man., I, 5), qui parle bien du dbut, de l'ensei-gnement de Mani, m*ds non de son i^ livre, ni de ses Mystres.

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    CRITURES PROPREMENT DITES 9pur hasard que lui-mme signale directement quatre grandscrits de Mani. Il a pu entendre parler vaguement d'un recueilde ce genre dont il aura dtermin les lments d'une faonarbitraire et fautive.

    Par ailleurs, l'ancienne formule grecque d'abjuration duManichisme mentionne galement quatre grands crits del'hrsiarque en dehors du recueil de ses Lettres^ savoir :Evari^gile vivant, le Trsor de vie, le livre des Mystres et laPragniateia ton Pantn, trait De VUnivers (ou Pragmateia tonGigantnt, trait Des Gants) ^. Ce dernier seul ne se trouvepas mentionn sous ce nom dans la liste du rcit d'Archlaus,oii il est plutt question du livre des Principes (Kephalaa).Mais les deux titres s'accordent assez bien et peuvent dsignerun seul et mme ouvrage.En fait, la ttrade jouait un assez grand rle dans la mytho-logie de la nouvelle religion. D'aprs An Nadim, Mani deman-dait avant tout ses adeptes de croire aux quatre Essencesmagnifiques, Dieu, sa Lumire, sa Force et sa Sagesse ^. Illeur prescrivait quatre grandes prires quotidiennes^. Enfinil leur montrait comment, au dernier jour, quatre puissantsgnies se runiraient des quatre parties du monde vers le nou-veau Paradis o les lus devaient se grouper avec eux *. Ilpouvait donc bien leur prsenter aussi quatre crits principauxqui contenaient la somme officielle de leurs croyances, de leursobligations et de leurs esprances. Mais, d'autre part, cettettrade a pu se constituer d'une faon fortuite. En tout cas, ellene s'est pas impose universellement.

    II) Pentateuque manichen. C'est plutt sous la formed'un Pentateuque qu'apparaissent en Afrique les grandsouvrage de Mani. Une confrence contradictoire eng'age

    i) J. Goar, Euchologlon sive Pdtuale Grcorum, Paris, 1017, fol.p. 885 et P. G., C, 1S21.

    2) Flijgel, Mani, p. gS.3) FIgel, Mani, p. 96. /i) Fliigel, Mani, p. 101-102, avec les corrections indiquces dans F.W. K. Mller; Handschr. Rest., p. 20.

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    10 LES CRITURES MANICHENNESle 7 dcembre /\0U entre le Manichen Flix et l'vque d'Hip-pone est, cet gard, trs instructive. Augustin y pose d'abordnettement la question :

    Vous savez que vous avez promis hier de dfendre lesEcritures de Maniche et de prouver qu'elles renferment lavrit. S'il vous plat de le faire aujourd'hui et si vous vousen sentez la force, vous avez la parole. Je ne renie pas la promesse que j'ai faite de dfendre maLoi pourvu qu'on en produise les auteurs, Si je lis quelque passage de ce manuscrit que j'aia{)port, de VEpire de Maniche, dite du Fondement, le recon-natrez-vous P Je le reconnatrai ^ .

    Bientt Flix commence faiblir. Au lieu de rpondre auxcritiques diriges contre le Manichisme, et do montrer, commeon le lui demande, que le fondateur de cette religion a euraison de se dire un Aptre du Christ , il veut qu'on luiprouve d'abord la vrit du Catholicisme. Mais Augustin leramne la question :

    Reconnaissez que vous n'avez pas rpondu mes demandes,et je vous montrerai, l'aide de nos critures, en quoi consistela foi chrtienne. Et rhoi, rplique Flix, si tous me prsentez les cri-tures de Maniche les cinq auteurs dont j'ai parl, je donnerai toutes vos questions des rponses convaincantes.1 C'est prcisment de ces cinq auteurs qu'a t priseVEptre dont nous avons tudi le dbut et o nous lisons :(( Maniche aptre de Jsus-Christ . Or je constate que vousne pouvez seulement pas en justifier les premiers mots, carvous ne prouvez pas que Maniche soit un aptre de Jsus-Christ . Si je ne le prouve point avec elle, je le prouve par lesecond (auteur). Par quel second (auteur) P Par le Trsor. Ce Trsor que vous avez ainsi appel pour sduire desmalheureux, par qui a-t-il t crit ? Par Maniche ? Je neveux pas que vous vous appuyiez sur lui. Maniche ment ense disant ce qu'il n'est pas. A vous de le prouver en vous appuyant sur un autre. Que voulez-vous me faire prouver ?

    i) Cont. Fel., I, i init.

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    CRITURES PROPREMENT DITES H Que Maniche est un menteur. Parce que vous ne pouvez pas prouver qu'il a dit vrai,dois-je prouver qu'il a menti ? Pourquoi n'ai-je pas pu fournir la preuve ? Est-ce qu'avantde constater mon impuissance on m'a remis les critures quej'avais demandes ? Mais ces Ecritures dont vous avez fait la demande sontcelles de Maniche. Or nous n'y croyons point ^ .

    D'aprs l'ensemble du texte, les

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    12 LES CRITURES MANICHENNESCe fait n'a rien qui doive nous surprendre. Les Manichens

    admettaient cinq lments bons et cinq autres mauvais quiavaient constitu d'abord les deux Royaumes opposs et dont lemlange expliquait notre monde i, cinq Divinits qui avaientprsid la formation du Cosmos et qui veillaient encore saconservation 2, enfin cinq degrs hirarchiques dont se com-posait la vritable glise ^. Ils pouvaient d'autant plus comp-ter cinq livres de Mani qu'ils les opposaient au Pentateuque deMose comme la Loi d'e Dieu celle du Prince de cemonde ^ .m. Heptateuque manichen. Cependant les Orientaux ontconnu un recueil plus important, un Heptateuque manichen.

    Le (( Matre de la Loi qui, en 768, porta la religion dualistede Lo-Yang (llo-nan-fou) dans l'cmpiro turc de l'Orkhon com-prenait parfaitement, dit-on, les sept ouvrages ^. D'aprsle contexte, 011 il n'est question que de la conversion desOugours, ces

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    CRITURES PROl'REMENT DITES l3Le Fo }o Voa lien che (Bouddha, Bouddha, Matre dbordant

    d'affection? ou Guide des passions rejetes par lesBouddhas?),

    Le Fo chouo t'i lei (Sur les larmes, prononc par le Bouddha,ou Paroles du Bouddha sur les larmes),

    Le Ta siao niirkg wang tclioa che Kirig (Livre saint de la venuedans le monde des grands et des petits rois de la

    * Lumire),Le K'ai yuan KoiAin ti pien wen (Texte de la mtamorphose qui

    ouvre l'origine et embrasse la terre ? ou Dissertationsur le commencement du Ciel et de la terre?),

    Le Tsi fien louen (Conciliation des opinions contradictoiressur le Ciel? ou Dissertation sur le ciel rgulateur? ,

    Le Wou lai tseu K'iu (Chant du cinquime qui est venu? ^ .Il semble bien que ces derniers ouvrages appartiennent,comme le premier, au Canon manichen ^. Malheureusement

    leurs titres, au sujet desquels les traductions proposes sonttrs divergentes et trs hypothtiques, ne nous offrent pareux-mmes aucun sens prcis et ne permettent aucune conclu-sion ^.

    L'historien arabe An Nadim se montre bien plus prcis.(( Mani, dit-il, composa sept livres, un en persan et six enlangue syriaque. Parmi eux se prsentent :D'abord le livre des MystresSecondement le livre des GantsTroisimement le livre des Prccpt''s pour les Auditeurs avecun appendice des Prceptes pour les Elus.Quatrimement le livre intitul ShpouraknCinquimement le livre De la VivificationSiximement le livre intitul Farakniatija '*.i) Chavanncs et Pelliot, Joixrn. Astat., igiS, p. 356-357.2) La mention du Bouddha ne prouve aucunement le contraire, car

    dans les textes chinois Mani est plusieurs fois qualifi de Bouddha{Journ. Asiat., 191 1, p. 687 ; 1913, p. 333, 348, etc.).

    3) Ghavannes et Pelliot, Journ. Asiat., 1913, p. 356, not. 3 : La tra-duction que nous proposons n'est qu'un pis-aller . ^

    4) Flgel, Mani, p. io2-io3.

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    1^ LES CRITURES xMANICHENNESLe septime livre n'est point nomm par An Nadim, dont le

    texte prsente ici de graves lacunes. Mais ce ne peut tre queYEvangile.

    Blrouni confirme ces donnes. Dans une lettre adresse unde ses amis, qui l'a interrog sur l'origine de la mdecine grec-que et sur les uvres de Razi, il fait remarquer que ce dernier,dans son trait sur la Science divine, renvoie souvent aux critsde Mani et notamment au livre des Mystres, Il ajoute que,pendant longtemps, lui-mme a vivement souhait connatrece dernier. Quarante annes durant, il l'a cherch en vain.Un jour, grce un certain Fazl ibn Sahlam, il a fini par trou-ver Havy^arizm, dans une bibliothque, un volume de livresmanichens. Or ce recueil contenait :

    la Farakmatija (Piiagmateia?),le livre des Gants,le Trsor de la Vivification,le Soleil de la Certitude et du Fondement.YEvangile,le Shpourakn,une quantit d'Epitres de Mani,enfin le livre dsir des Mystres ^.

    Celui-ci n'appoi'at, en dernier lieu, que pour la commoditdu rcit. Il venait certainement avant le groupe des Epitres.Si nous mettons ces dernires part, il nous reste sept grandsouvrages. Et leurs titres rappellent ceux qu'a donns An Nadim.Seul le Soleil de la Certituck et du Fondement semble diffrerdes Prceptes pour les Auditeurs et pour les Elus. Encore est-onen droit de supposer, du moment o les deux listes s'accordentsur tous les autres points, que la diffrence demeure purementapparente. La Certitude se rapporte la connaissance. Ellepeut donc viser les Auditeurs qui on ne demandait gure quede professer la vraie doctrine. Le Fondement concernerait

    i) Birouni, Chronologie orientalischer Vlker, d. Sachau, Leipzig.1878, 4^ Introd., p. XXXVIIL

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    CRITURES PUOPREMENT DITES 15l'action et s'adresserait aux Elus qui taient tenus de conformerstrictement leur conduite leur foi.

    Ya'qobi donne un catalogue peu prs identique. Selon sespropres termes,

    (( Mani composa des crits dans lesquels il exposait le dua-lisme. Son uvre comprend :

    le livre qu'il intitule le Trsor de la Vivification ,le livre qu'il appelle le Shpourakn ,le livre qu'il appelle De la direction^ et de la conduite,les 12 (lire 22) Evangiles, dont chacun est dsign par

    lui avec une lettre de l'alphabet ,le livre des Mystres ,le livre des Gants.

    De lui viennent aussi un grand nombre d'crits et d'Epi-ires ^ .

    Laissons de ct ces Eptres )> et (( crits innomms,qui forment pour Ya'cjobi une section distincte. Il nous restesix grands ouvrages qui se retrouvent chez Birouni. Car le Livrede la direction et de la conduite se confond sans doute avec leSoleil de la certitude et du fondement . 11 ne manque ici que leFarakmatij. Et l'on peut souponner que, si l'historien arabea nglig de le mentionner, c'est seulement parce qu'il n'encomprenait pas le titre, qui n'a aucun sens en arabe.On conoit, par ailleurs, que les Manichens aient comptsept grands ouvrages de leur Matre. Comme les Gnostiqueset, en particulier les Sabens ^ et les disciples de Barde-sana ^, ils attribuaient un rle considrable l'Hebdomade.Ils rendaient un culte aux sept plantes, qui prsidaient, d'aprseux, aux sept jours de la semaine ^. Ils admettaient septEsprits suprieurs ^ et sept lments correspondants tablis

    i) Kessler, Mani, p. 828-329.2) W. Bousset, Hauptprohl. der Gnos., p. 27 et suiv.3) Ephrem, Opra, t. II, p. 55o ; t. III, p. XXIII et suiv.4) Prface arabe du Concile de Nice, dans Mansi, Coll. Conc, t. II,

    p. 1057.5) An Nadim, chez Flgel, Mani, p. 102 (ch. 7 des Mystres de Mani) ;Chavannes et PeMiot, Journ. Asiat., igii, p. 544 (trait manichcen deTouen houane:), avec la note des diteurs, el p. 621, not. i.

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    16 LES CRITURES MANICHENNESen tout homme ^ Chez eux, les lus taient astreints septprires quotidiennes ^ et les Auditeurs sept sortes d'au-mnes ^. Ils taient donc naturellement conduits admettreaussi sept grandes Ecritures.

    Historiquement, cet llcplateuque apparat aprs le Penta-teuque manichen, qui se montre lui-mme plus tardif que lattrade du rapport d'Archlaus. En prsence d'une pareillevolution, on ne peut s'empcher de se demander si les sup-plments ajouts la premire liste ne sont pas apocryphes.Ils le seraient sans doute si cette liste initiale avait la prtentiond'tre complte. Mais de tout temps on a distingu, en dehorsdes livres principaux de Mani, un recueil de travaux secon-daires ^. Or, des travaux qui passaient d'abord pour secon-daires ont pu prendre ensuite une importance plus grande quiles a fait ranger dans le premier Canon. D'ailleurs, en dehorsde leur pays d'origine, certains d'entre eux ont pu n'tre tra-duits qu'assez tardivement et ne faire dfaut sur les listesinitiales queparce qu'ils n'taient pas encore connus. Une tudedtaille de ces uvres nous permettra seule d'en comprendrel'origine et le vrai caractre.

    Les listes signales indiquent l'ordre suivre. Au premierplan s'offrent nous les quatre grands crits mentionns parle rapport d'Archlaus, savoir : les Mystres, les Principes,VEvangile et le Trsor. A leur suite se prsente le Shpourakn,certaine.ment distinct des quatre livres prcdents, qui apparat ct d'eux dans le Pentateuque manichen de Birouni, peut-tre aussi dans celui de la grande formule grecque d'abjuration.Viennent enfin les deux dernires uvres qui achvent deformer l'Heptateuque d'An Nadim, savoir le mystrieux Farak-matiffL et le Livre des prceptes pour les Auditeurs et pour lesElus. Avec celui-ci se confond sans doute, selon une remarque

    i) Ghavannes et Peliiot, Journ. Asiat., 191 1, p. 523 et 544, not. 1. Cf.ibid, fin de la note, citation d'Ephrem sur Bardesane, le matre deMani .

    2) An Nadim, chez Fliigel, Mani, p. 98 ; Ghavannes et Peliiot, Journ.Asiat., igiS, p. 38, avec la note 6.

    3) A Von Le Goq, Turkish Khuasluanijt, XI, 222.4) P. G., I, i465 ; LXXXVI, 21 ; Flgel, Mani, p. io3, etc.

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    CRITURES PROPREMENT DITES5 17dj faite, le Soleil de la Certitude et du Fondement, Avec lesprcdents doivent s'identifier aussi, selon toute apparence,Epitre du Fondement, le trait des Gants et les autres grandscrits de Mani, qui semblent d'abord ne pas rentrer dans lecadre indiqu.

    IICRITS PRINCIPAUX

    I. Les Mystres. Le livre des Mystres apparat en tte del'Heptateuque d'An Nadim, de mme qu'il ouvre la ttrade desActa Archelai et celle d'Epiphane. Ce dernier auteur le dit divis en 22 parties qui correspondent aux 22 lettres del'alphabet syrien . Puis il cite le dbut et il en rsume la suite,tout en le critiquant ^. Seulement il ne l'a point lu. L'analysequ'il en donne est emprunte Titus de Bostra ^, qui, en ralit,ne parle point de Mani lui-mme, mais d'un de ses disciples ^.Epiphane a t tromp par quelques phrases ambigus danslesquelles son devancier prtendait exposer

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    18 LES CRITURES MANICHiNNEs4) Du fils de la pauvre veuve (qui est, au sens de Mani, leMessie crucifi par les Juifs),5) Du tmoignage d'Isa (Jsus) sur lui-mme par rapp.Laux Juifs (ou Juda ?),6) Commencement du tmoignage de Jamn aprs sa

    victoire,7) Des sept esprits,8) Sur la doctrine des quatre esprits passagers,9) Du rire,

    10) Du tmoignage d'Adam sur Isa (Jsus),11) De l'apostasie,12) De la doctrine des Deisanites sur l'me et le corps,i3) Dispute contre les Deisanites sur l'me vitale,l) Des trois fosss,i5) De la garde du monde,16) Des trois jours,17) Des Prophtes;18) De la rsurrection. -Voil les chapitres qui forment le livre des Mystres^ .Cette attestation est trop prcise pour pouvoir tre conteste.

    Elle se trouve confirme, d'ailleurs, par d'autres documents.Mas'oud constate que, dans l'ouvrage dont il s'agit, Maniconsacre un chapitre aux disciples de Baidesane ou Deisa-nites 2. Ya'qobi ajoute qu'il y dcrie les miracles des Pro-phtes ^. Photius explique qu'il s'y efforce de renverserleur enseignement^ et l'auteur de la formule grecque d'abju-ration renouvelle contre lui la mme accusation ^.

    D'aprs ces divers tmoignages, le livre des Mystres s'ten-dait longuement sur les rapports du Judasme et du Christia-nisme, ainsi que sur ceux de l'me et du corps. Par l, il serattachait troitement au mouvement gnostique. l discutait,ds son premier chapitre et tout au moins dans deux dessuivants, les thories de Bardesane. Justement les partisans de

    1) Fliigel, Mani, p. io2-io3.2) Le livre de l'avertissement et de la rvision, trad. Carra de Vaux,Paris, 1898, 8, p. 188. 3) Kessler, Mani, p. 829.4) Cont. Man., I, 12.5) P. G., I, i465.

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    GRllttJRES PROPREMENT DIES 19ce dernier, lisaient aussi un livre des Mystres ^. L'ouvrage deMani en tait sans doute une critique ou une mise au point.

    Les mentions qui en sont faites par des auteurs si diffrentsque Mas'oud ou Ya'qobi et Photius ou l'auteur de la formulegrecque d'abjuration montrent dj qu'il a t trs lu. Vive-ment pris partie ds le \f sicle par Ilraclien de Chalc-doine ^, il fut, d'autre part, comment par un certain Abdial,dont l'uvre prit rang parmi les Ecritures manichennes ^.Birouni constate que le mdecin Razi le cite frquemment avecbeaucoup d'loges, que c'est pour ce motif qu'il a lui-mmedsir le connatre et qu'il l'a cherch avec ardeur pendant delongues annes. Il ajoute qu'en le lisant il a t du, mais que,pour permettre aux esprits curieux d'en prendre connaissancesans tant de peine, il en a fait un rsum*. Ce dernier travailn'est pas arriv jusqu' nous. Mais l'tude de l'Inde du mtaeauteur nous donne plusieurs citations qui doivent en provenir.

    Birouni note d'abord, propos de la tradition hindoue con-cernant les tendances naturelles, que sur cette thorie Mania bti la sentence suivante :

    (( Les Aptres interrogrent Jsus sur la vie de la natureinanime, sur quoi il leur dit : Si ce qui est inanim est sparde l'lment vivant qui lui est mlang et apparat seul avecsoi-mme, il est de nouveau inanim et n'est pas capable devivre, tandis que l'lment vivant qui l'a abandonn, retenantson nergie vitale inaltre, ne meurt jamais ^ .

    L'historien arabe ne donne ici aucune rfrence prcise. Maisle texte cit doit appartenir la Dispute contre les Deisanitessur Vme vitale .

    Quelques pages plus loin, Birouni cite expressment commeemprunt au livre des Mystres cet autre passage de Mani,qui prsente un rapport assez troit avec le prcdent et quipourrait venir du chapitre De la rsurrection )> :

    i) S. Ephrem, Opra, t. II, p. ^Sg.2) Photius, Biblioth., Cod. 85.3) Flgel, Mani, p. io5, ti 74.\^ Chronologie, d. Sachau, Leipzig, 187S, Introd., p. XXXVIII.5) India, trad. Sachau, t. I, p. ^S.

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    20 LS GRitUkES MANICHENNES(( Gomme les Aptres savaient que les mes sont immortelles

    et que, dans leurs migrations, elles revtent toutes les appa-rences, prennent la forme de tous les animaux et sont moulesdans le moule de toutes les figures, ils demandrent au Messiequelle serait la fin de ces mes qui n'auraient pas reu la vritni appris l'origine de leur existence. Et il leur rpondit : Toute me faible, qui n'a pas reu tout ce qui lui appartientde vrit prit sans aucun repos ou bonheur ^ .Sur quoi l'historien arabe observe trs judicieusement que

    par la perte de l'ime Mani entend sa punition, non sa dispa-rition totale 2.A l'appui de cette dernire remarque, Birouni ajoute : Enun autre endroit il dit :

    Les partisans de Bardesane pensent que l'me vivantes'lve et se purifie dans la carcasse. Ils ne savent pas que cettedernire est l'ennemie de l'me, que la carcasse empche l'mede s'lever, que c'est une prison et une rude punition pourl'me. Si ce corps humain tait une existence relle, son cra-teur ne le laisserait pas s'user et subir du dommage et nel'aurait pas forc se reproduire par le sperme dans l'utrus .Quoique aucune rfrence ne soit donne, ce nouveau texte

    doit se rfrer, comme le prcdent, au livre des Mystres.Sans doute se lisait-il dans la chapitre De la doctrine des Dei-sanites sur l'me et sur le corps. Au chapitre ii*" du mme ouvrage, qui s'intitulait DeVApostasie, a pu appartenir aussi la citation suivante, qui estgalement attribue Mani, sans autre indication, par la grandeformule grecque d'abjuration :

    Je ne suis pas inhumain comme le Christ et je ne renieraipas celui qui m'aura reni devant les hommes ; je recevraiplutt avec joie celui qui aura menti pour se sauver, celui qui,par peur, aura reni sa foi ^ .

    i) Op. cit., I, 54-55.a) Op. cit., I, 55.3) P. G., I, 1469. Philastrius de Brescia attribue un propos analogue

    Basilide : Prohibet etiam pati martyrium homines pro nomine Christi,dicens ita : Ignoras quid desideras : non enim passus est, inquit, Chris-

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    CRITURES PROPREMENT DITES 21Il est vrai que l'authenticit du texte n'est pas indiscutable.

    Mani, qui se prsentait comme un Aptre du Glirist et qui leconsidrait comme le Fils de Dieu, n'a pu l'accuser d'inhuma-nit. D'autre part, il proscrivait svrement le mensonge.Cependant ces objections ne sont pas dcisives. Le texte citpouvait ne viser en sa forme premire que le Christ des Evan-giles dont Mani faisait volontiers la critique. Par ailleurs, iln'approuve pas le mensonge ni l'apostasie, mais il dclare quele pardon en sera accord aux croyants qui ne s'y seront laisssentraner que malgr eux et par peur. Or, une telle affirmationest trs conforme la thologie manichenne, qui se montretrs indulgente pour les pchs de faiblesse . Et nous voyonsun fervent Auditeur, Secundin de Rome, promettre au v'sicle un pardon analogue un coreligionnaire apostat, Augus-tin de Thagaste ^. Rien ne permet donc de nier l'authenti-cit du propos attribu Mani. Malheureusement il est le seul,aprs les textes cits par Birouni, que nous puissions attribueravec vraisemblance au livre des Mystres.

    II. Les Principes. Le second crit de la ttrade d'Archlaus,celui qui s'intitulait les Principes (Kephalaia), devait exposer,d'aprs son titre, la thorie des deux Natures ternellementopposes qui constituait la base du Manichisme et qui, sousdes formes diverses, s'affirmait plus ou moins chez tous lessystmes gnostiques antrieurs. Sans doute se rattachait-il d'unefaon troite au trait De la Lumire et es Tnbres attribu Bardesane '^. Ce dernier auteur professait, en effet, un dua-lisme trs apparent celui de Mani ^.

    tua, neque crucifixus est ; quomodo itaque potes, inquit, confiteri niinecriicifixuin, cum non sit crucifixus et ignoras qui passus sit ? (Haer,XXXII). Epiphane dit aussi qu'Elchasa ( la lecture duquel s'est formMani) permettait ses disciples de le renier en temps de perscution, condition de le faire seulement desi lvres (Haer, XIX, i fin.).

    i) Epist.. ad Aug., 5 (P. L., XLII, 676).2) An Nadim, chez Flugel, Mani, p. 162.3) Voir Ephrem cit par Kessler, Mani, p. 277 ( Bardaisan, le matre

    de Mani ) et Sharastni cit par Flgel, Mani, p. ifin.

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    22 LES CRITURES MANICHENNESL'ouvrage n'est jamais cit d'une faon expresse sous le nomque lui donnent les Actes d'Archlaus. Mais il parat avoir t

    frquemment utilis. Et en rapprochant les textes qui s'y rap-portent, nous pouvons arriver nous faire de lui une ideassez nette.

    Dj Alexandre de Lycopolis parat lui emprunter son expossommaire de la doctrine manichenne. Il dclare, en effet, pr-senter les principes essentiels du nouveau Christianismeprofess par Mani ^. Or, ces Kephalaia importants entre tousdont le philosophe gyptien se fait le rapporteur sont les sui-vants :Au commencement existaient deux tres opposs, Dieu et laMatire. L'un tait bon, l'autre mauvais, et le premier l'empor-tait plus en bien que le second en mal. Chacun avait sonservice certaines Puissances, qui participaient sa nature. Aupremier appartenaient la clart, la lumire, la hauteur, ausecond l'obscurit, les tnbres, la bassesse. Et ces deux tresavaient des dsirs opposs, bons ou mauvais comme eux 2.

    Or, un jour, la Matire, s'tant leve, dcouvrit de loin laLumire divine et voulut s'en emparer. Dieu dlibra sur lesmoyens de la repousser. Et, comme il n'avait aucun mal luiopposer, il envoya ses devants une Ame qui devait se mler elle, puis, en s'en dtachant, causer sa mort ^.Une fois le mlange accompli, il dpcha vers cette Ame uneautre Puissance qui devait la dlivrer en procdant la crationdu monde *. Ce Dmiurge dgagea d'abord les lments spi-rituels qui n'avaient pas souffert et ft avec eux le soleil et lalune. Puis, avec ceux qui n'avaient subi que de trs lgresaltrations, il forma les toiles et l'ensemble du ciel. Il rejetaau loin la Matire qui s'y trouvait mle et qui constitue le feubrlant et tnbreux. Dans l'intervalle apparurent des min-raux, vgtaux et animaux, oii le mlange subsistait avec des

    i) De Plac. Man., 5 init.2) De Plac. Man. 2 fin3) Ibid., 3 iiit.4) Ibid., cire. med. Cf. Titus de Rostra, Adv. Man. I, 25 init.

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    CRITURES PROPREMENT DITES 23proportions diverses. Et c'est en dgager la substance de l'meque servit le cosmos ^.Une nouvelle Puissance fut charge de rgler en ce sens lecours des astres ^. Et son action saute, pour ainsi dire, aux

    yeux des aveugles eux-mmes. Car la Lune s'emplit progres-sivement d'lments lumineux, puis elle les dcharge peu peu dans le soleil, qui va les apporter dans les rgions divineset le mme travail recommence sans cesse ^.Or la Matire, Awant dans le grand Luminaire une forme

    humaine, celle de l'Ame dfinitivement libre, forma avec leconcours de toutes les Puissances mauvaises, un homme o uneparcelle de cette Ame restait emprisonne dans la chair ^. Maisl'hornme cleste, le Christ spirituel, se reconnaissant dans cetteimage, vint son aide, pour la dgager des liens charnels. Ildescendit sur la terre et affranchit une partie notable de l'hu-manit. Enfin, il montra dans sa Passion comment le saluts'obtient par le crucifiemen.t ^.

    Selon ses enseignements, il faut que la matire prisse etque l'me s'en chappe pour ne plus en tre dsormais la cap-tive. Il convient donc de ne prendre aucune nourriture ani-male, mais seulement des lgumes et autres vgtaux qui nsont pas anims, de ne pas contracter d'union charnelle et dene pas donner le jour des enfants, en qui l'esprit serait denouveau li un corps, de ne pas pratiquer d'homicide, maisde procder des purifications graduelles, en attendant le jouro les lments matriels, rduits eux-mmes, seront enfinjets dans le feu extrieur ^.

    Titus de Bostra donne une analyse analogue et parfois pluscomplte, qui, sans dpendre de la prcdente, s'accorde tropavec elle pour ne pas dpendre d'un mme ouvrage, et qui seprsente comme un Kephalaion de la nouvelle foi. A plusieurs

    i) Ihid., cire. fin.2) Ihid., 4 init.3) Ihid., 4 cire. init.4) Ihid., 4 cire. med.5) Ihid., 4 cire. fin.6) Ihid., 4 fin.

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    2i LES CRITURES MANICHENNESreprises, il nomme expressment Mani ensemble citer ses pro-pres termes.Ce fou, dit-il, commence ainsi : (Au dbut) existaient Dieu

    et la Matire, la Lumire et les Tnbres, le Bien et le Mal,deux Principes absolument opposs en tout, de faon n'avoirentre eux, sur aucun point, de communion ni de socit, tousdeux inengendrs et vivants ^. Entre eux tait un mur d'ai-rain 2. Et le Mal tait relgu au Sud, tandis que le Bien si-geait dans les autres rgions ^.

    La Matire, ajoute Mani, s'agitait sans ordre, prolifiait, sedveloppait travers de nombreuses Puissances, et, en crois-sant ainsi, s'levait constamment sans connatre le Bien. Or, force de se hausser, elle l'aperut et s'effora de le saisir^.Alors Dieu envoya ses devants une Puissance destine luiservir d'appt et la calmer, ce qui arriva en effet. A la vuede ce Messager, la Matire prise de lui, se jeta sur lui, lesaisit, le dvora et fut prise au pige comme une bte froce,assoupie au moyen d'un charme. Les deux forces rivales semlangrent ^.

    C'est de ce mlange que le monde a t fait. De l vient qu'icibas certaines choses sont bonnes, comme l'me, d'autres mau-vaises comme le corps qui l'emprisonne ^. Or, le cosmos at organis par Dieu, malgr la rsistance de la Matire. C'estpour cela que l'ordre s'y montre, mais imparfaitement, que,par exemple, les riches y coudoient incessamment les pau-vres ^. L'uvre du Dmiurge a t faite pour arracher auxmauvais lments la proie injustement ravie. Cette uvre delibration s'opre particulirement au moyen de la Lune, quireoit comme un seau la substance divine et la dverse ensuitedans le Luminaire voisin ^. Comme les phases lunaires,

    i) Adv. Man., I, 5 cire. init.2) Ibd., I, 7 cire. init.3) Ihid., I, 7 cire. fin.^) Ihid., I 12 init. et i5-22 passim.5) Ihid., I, 12 fin., 28-24 passim., 29 cire. med.6) Ihid., I, i3 init.7) Ihid., i3 cire. med.8) Ihid., i3 fin. et 3o cire. fin.

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    CRITURES PROPREMENT DITES 25la stabilit de la terre, la chute des pluies et les autres phno-mnes cosmiques s'expliquent par cette guerre mort engageentre le Bien et le Mal i.C'est d'elle aussi que vient l'apparition de l'homme. LaMatire, voyant que l'me allait lui tre peu peu enleve,voulut la fixer dans les liens de la chair 2. Par l, elle retardale triomphe divin. Mais Dieu finira par la vaincre. Des hau-teurs 011 il sige, il prcipite sans cesse de nouveaux dbris desa rivale dans les rgions infrieures dont il comble lesvides ^. Et un jour il enfermera dfinitivement les Puissancesmauvaises dans un globe de feu *.La mme analyse se retrouve en termes presque identiqueschez Epiphane, qui l'emprunte directement Titus de Bos-tra ^. Elle reparat sous une forme nouvelle et plus prcisechez Theodoret de Cyr ^. Celui-ci dclare par deux fois expo-ser sommairement les Kephalaia de l'hrsie nouvelle ^. Etil semble avoir entre les mains l'uvre mme de Mani, car ilen rapporte des dtails encore indits.

    Mans, dit-il, admet deux Principes engendrs et ternels :Dieu et la Matire, la Lumire et les Tnbres, le Bien et le Mal,un Arbre bon charg de bons fruits et un Arbre mauvais por-tant de mauvais fruits. D'aprs lui, le premier occupait le Nord,l'Est et l'Ouest, le second le Sud. Ils taient spars et s'igno-raient mutuellement ^.

    Or, aprs beaucoup de sicles, les (( fruits de la Matireluttant entre eux, se fuyant et se poursuivant, vinrent jusqu'auxconfins de la Lumire. Ils la contemplrent, l'admirrent, vou-lurent s'en emparer. Puis, unissant leurs forces, ils marchrentcontre elle ^.

    i) Ibid., i/i nit.2) /b/ff., 29 ]in.3") Ihid., 3i cire. med.10 Ibid., 3o cire. med. el 3r cire. med.5) Haer, LXVI, id suiv.6) Haer, fab., l, 26.7) Loc. cit., cire, med et cire. fin. '8) Loc. cit., init.9) Loc. cit., cire. init.

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    26 LES CRITURES MANICHENNESDieu fut saisi de peur. Comme il n'avait ni eau, ni feu, ni

    fer, ni autres armes leur opposer, il eut recours la ruse. Illeur lana, en guise d'appt, une parcelle lumineuse qui futaussitt saisie et engloutie par eux et il les prit ainsi comme un hameon. Puis, avec eux, il forma le monde i.

    Alors Saclas, le Prince de la Matire, s'accouplant Nem-brod, forma d'abord Adam, qui avait la forme d'une bte, puisEve, qui n'avait point d'me ni de mouvement et qui, ayantreu l'un et l'autre de Jol, la Vierge de la Lumire, fit perdre Adam son aspect bestial, coucha ensuite avec Saclas, en eutun fils figure animale et s'associa encore ce dernier ^.Le Christ n'a pris qu'une apparence humaine et il a fait sem-blant de souffrir et de mourir. En ralit, il s'identifie avec lesdeux grands Luminaires, dont l'un se voila son crucifiement.Par ailleurs, le Soleil et la Lune sont comme des navires quiprennent les mes la Matire pour les rapporter dans lesrgions lumineuses. Ainsi s'expliquent les phases lunaires.Elles correspondent l'embarquement et au dbarquementprogressif des mes libres ^.Quand l'uvre de cette libration spirituelle sera finie, laMatire, mise part, formera un globe immense o tous les corpsse consumeront sans relche. Car aucun d'eux ne doit entrerau ciel. A ce mme feu de l'enfer seront soumises les mesrebelles. En attendant, beaucoup sont perdues ici-bas en desoiseaux, des animaux domestiques ou sauvages et mme desserpents ^.

    Or, pour se confoitoer la loi de Mani, il faut s'abstenir dumariage, de la nourriture animale, de toute violence. Les Par-faits ne brisent mme pas du pain, n'arrachent mme pas unlgume, pour ne pas commettre d'homicide. Ils vivent avec cequ'on a bris ou arrach pour eux ^.Dans sa CXXXIIP Homlie, Svre d'Antioche rappelle, eni) Loc. cit., cire. med.2) Loc. cit., cire. med.3) Loc. cit., cire. med.Ix) Loc. cit., cire. fin.5) Loc. cit., cire, fin.

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    CRITURES PROPREMENT DITES 27termes analogues, souvent mme identiques, la doctrineexpose par Mani dans un de ses livres dont on ne doit pointparler^ . Et il donne mme de cette uvre des extraitsimportants, qui ressemblent trop l'expos d'Alexandre deLycopolis, de Titus de Bostra et de Thodorct de Cyr pour nepas provenir aussi des Kephalaia 2.

    D'aprs la doctrine manichenne, dit-il, au dbut existaientdeux Principes, le Bien et le Mal, la Lumire et les Tnbres,appeles aussi la Matire.

    Chacun d'eux, dclare Mani, est incr et sans commence-ment, soit le Bien qui est la Lumire, soit le Mal qui est lafois les Tnbres et la Matire. Et ils n'ont rien de communl'un avec l'autre ^ .

    (( Le Bien est un Arbre de vie. Tl occupe' les rgions del'Orient, de l'Occident et du Septentrion. Le Mal est un Arbrede mort. Tl occupe les rgions australes et mridionales ^.

    (( La diffrence qui spare les deux Principes, dit textuelle-ment le Thologien, est aussi grande qu'entre un roi et unporc. L'un vit dans les lieux qui lui sont propres commue dansun palais royal. L'autre, la faon d'un porc, se vautre dansla fange, se nourrit et se dlecte dans la pourriture, ou, commeun serpent, est blotti en son repaire^ .Comme lui, ce porc et ce serpent sont ns d'eux-mmes^.

    Quant aux choses qui existent perptuellement et sans com-mencement, dit ce fou de Mani, chacune d'entre elles existepar sa nature. C'est ainsi qu'existe l'Arbre de vie, qui est ornl de toutes ses beauts et de toutes ses splendeurs, qui est rem-pli et revtu de tous ses biens, ferme et stable dans sa nature.Sa terre contient trois rgions, celle du Nord, qui est en dehorset en dessous, l'Orient et l'Occident, en dehors et en dessous.Et en dessous il n'y a rien qui soit plong ou revtu par luidans aucune de ces rgions. Mais l'infini est en dehors et endessous. Il n'y a aucun corps tranger ni autour, ni au-dessonsde l'infini, ni dans aucune de ces trois rgions Mais il est de

    i) Fr. Gumont, Rech. sur le Man., p. 99.2) Fr. Gumont, ibid., p. i5i-i62.3) Fr. Gumont, ihid., p. 91-92.4) Fr. Gumont, ibid., p. 96.5) Fr. Gumont, ibid., p. 97.6) Fr. Gumont, ibid., p. 98.

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    28 LES CRITURES MANICHENNESlui-mme en dessous et en dehors au Nord, l'Orient et l'Occident. Et rien ne l'entoure et ne l'enferme dans ces troisrgions. Mais il est en lui, de lui-mme, enveloppant en luises fruits et la royaut est en lui Il n'est pas dans la rgionaustrale et cela parce qu'il est cach dans ce qui est son sein.Dieu a, en effet, entour ce lieu d'un mur ^ .Et ce mur est autophyte , c'est--dire subsistant par lui-mme 2.

    ^ (( Sa lumire et sa beaut, dit plus loin Mani, ne sont pasvisibles, afin qu'il ne fournisse pas une occasion de dsir l'Arbre mauvais qui est le Sud et qu'il ne soit pas pour lui uneoccasion d'tre excit, d'tre tourment et d'tre expos au dan-ger. Mais il est enferm dans sa gloire et ne fournit pas d'oc-casion cause de sa bont. Mais il s'est protg dans sa justiceet il est dans cette gloire, tout en tant continuellement dansla nature de sa grandeur dans les trois rgions. Et l'Arbre demort n'a pas de vie par sa nature et il n'a des fruits de bont aucun de ses rameaux. Et il est continuellement dans la rgionaustrale. Et il a aussi un lieu propre, savoir celui qui est au-dessus de lui ^.

    L'arbre de mort est divis en un grand nombre ; la guerreet la cruaut est entre eux ; ils sont trangers la paix, remplisd'une complte mchancet et n'ont jamais de bons fruits. Ilest divis contre ses fruits. Et les fruits sont diviss contre l'ar-bre. Ils ne sont pas unis celui qui les a engendrs, mais tousproduisent la teigne en vue de la corruption de leur emplace-ment. Ils ne sont pas soumis celui qui les a engendrs, maisl'Arbre tout entier est mauvais. Il ne fait jamais rien de bon,mais il est divis contre lui-mme et chacune de ses partiescorrompt ce qui est proche d'elle'* .

    (( Ces choses-l ont trait la Matire, ses fruits et sesmembres. Mais l'occasion de monter jusqu'aux mondes de laLumire leur fut fournie par leur rvolte. En effet, ces mem-bres de l'Arbre de mort ne se connaissaient pas les uns lesautres et n'avaient pas la notion les uns des autres. Car chacund'eux ne connaissait rien de plus que sa propre voix et ilsvoyaient (seulement) ce qui tait devant leurs yeux. Lorsquequelqu'un criait, ils entendaient. Ils percevaient cela et ils

    i) Fr. Cumonl, ibid., p. 99-io3.2) Fr. Cumont, ihd., p. 109.3) Fr. Cumont, ihid., p. io4-io5.4) Fr. Cumont, ihid., p., 117-118,

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    CRITURES PROPREMENT DITES 29s'lanaient avec imptuosit vers la voix. Ils ne connaissaientrien d'autre. Us furent ainsi excits et instigus les uns par lesautres se rendre jusqu'aux frontires de la terre glorieuse dela Lumire ^.

    (( Quand ils virent le spectacle (de la Lumire) admirable etsplendide, qui est bien suprieure la leur, ils se runirentet ils complotrent contre la Lumire en vue de s'y mlanger.Ils ne savaient pas, cause de leur folie, qu'un Dieu puissantet fort y habitait. Us cherchrent donc monter et s'lever,parce qu'ils n'avaient jamais remarqu qui tait Dieu. Mais ilsjetrent un regard insens, par suite du dsir du spectacle dece monde bni, et ils pensrent qu'il allait devenir le leur -.

    (( Tous les membres de l'Arbre des Tnbres, qui est la Matirecorruptrice, s'levrent donc et montrent avec des Puissancesnombreuses dont il est impossible de dire la quantit. Toustaient revtus de la matire du feu. Et ces membres taientdiffrents. Les uns, en effet, avaient des corps durs et taientd'une grandeur infinie. Les autres, incorporels et intangibles,avaient une tangibilit subtile, comme les dmons et les spec-tres des fantc)mes. Aprs s'tre leve, toute la Matire montaavec ses vents, ses temptes, ses eaux, ses dmons, ses fan-tmes, ses Princes et ses Puissances, tous recherchant avec soincomment ils s'introduiraient dans la Lumire ^. _u A cause de l'agitation qui fut suscite des profondeurscontre la Terre de la Lumire et contre les fruits saints, il taitncessaire qu'une parcelle de la Lumire vint se mlanger ces Mchants, afin que les ennemis fussent pris au moyen dumlange, qu'il y et la paix pour les Bons, que la nature duBien ft conserve, cette nature bnie ayant t dlivre du feude la Matire et de la teigne corruptrice ; que, d'autre part, lesLumineux fussent dbarrasss de la Matire par la Puissancequi y avait t mlange, afin que la Matire ft dtruite etque l'Arbre de vie devint Dieu en tout et sur tout.Dans le mondede la Lumire, en effet, il n'y a pas de feu brlant qui puissetre lanc contre le mal, le fer tranchant n'existe pas, il n'y apas d'eaux suffocantes, ni aucune autre mauvaise chose sem-blable. Tout, en effet, est Lumire et rgion noble et il ne peutpas lui nuire. Mais il y a cette issue, c'est--dire ce moyen pourque les ennemis, aprs avoir t disperss par la parcelle dta-

    t) Fr. Cumont, ibid., p. ia^-iaS.2) Fr. Cuinont, ibid., p. 128-125.3) Fr. Cumont, ibid., p. 125-126.

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    ^'^ LES CRITURES MANICHENNESche de la Lumire, arrtent leur lan et soient pris au moyendu mlange ^)).

    D'aprs la suite du rcit, c'est ce mlange qui a donn lieu la cration du monde, puis celle de l'homme. Car, c'estpour dgager la parcelle lumineuse emprisonne dans lesTnbres que Dieu organisa le cosmos. Et c'est pour le retenirtoujours en son pouvoir que la Matire donna le jour Adam ^.Au cours de son expos. Svre fait remarquer que Ma nirange en bataille contre celui qui est seul Dieu l'artne mauvaisede la Matire^ et que le polythisme des Paens et lescombats des Gants sont modestes et mdiocres ct de sonblasphme^ . De fait, d'aprs un des textes qu'il reproduit,certains Dmons

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    CRITURES PROPREMENT DITES 3lDe ces rapprochements, on est en droit de conclure avec

    vraisemblance que le livre des Principes dont parlent les textesgrecs est identique avec celui des Gants que signalent les his-toriens arabes. De fait, les auteurs qui connaissent le premiersemblent ignorer le second et rciproquement. Seul Timothede Constantinople mentionne l'un et l'autre. Parmi les critsde Mani, il signale, aprs le livre des Prires, u celui des Prin-cipes et celui des Gants , ainsi que plusieurs recueils van-gliques ^. Mais il peut avoir en vue un seul et mme ouvragequi porterait deux noms diffrents. Et, s'il croit deux traitsdistincts, cela ne prouve aucunement qu'il les ait vus, car ilpeut conclure simplement de la dualit des titres celle ducontenu.

    Sur le second, d'ailleurs, les historiens arabes ne fournissentaucun renseignement prcis. Seul un auteur peu connu, AlGhadanfar, rapporte son sujet un dtail suggestif : Ce livrede Mani le Babylonien, dit-il, est rempli d'histoires de gants,tels que Sam et Narimn, dont il a emprunt les noms VAvestade Zardoust d'Adarbaigan ^ . Ce dernier dtail, est trscontestable et ne se fonde que sur une simple supposition dunarrateur. Sans doute, Sam et Narimn tiennent une grandeplace dans la tradition persane^. Mais ils jouent aussi un rleimportant dans la littrature sacre du Mandisme, troitementapparente celle des anciens Sabens, dont Mani a subi l'in-fluence ^. Leur lgende a beaucoup de rapports avec celle desGants antdiluviens. Et il a circul, au sujet de ces derniers,dans les cercles gnostiques, toute une littrature, qui se ratta-chait celle d'Adam, de Seth, d'Henoch et de No, souventinvoque par les Manichens ^. Il a exist notamment une(( Ecriture des Gants , qu'on disait avoir t trouve dans un

    i) P. G., LXXXVI, 21.2) Cit par Kessler, Mani, p. 190.3) Voir Fr. Cumont, Rech. sur le Man., p. ^, not. i.4) Voir Bousset, Haupiprobl. dcr Gnos., p. fn.5) Augustin, Cont. Faust., XTX, 8, cire. Init. D'aprs Origne, les

    Ophites faisaient {rrand ras dos mythos dos Titans et des Gants ,Cont. Cels., VI, 28.

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    32 , LES ECRITURES MANICHENNESchamp, soit par Kanan, soit par Sala ^ et qu'il faut peut-trerapprocher d'un livre mentionn dans le Dcret du Pseudo-Glase et consacr au a Gant Ogias )> et aux luttes engages parlui contre le Dragon , aprs le dluge 2. Mani a pu s'ins-pirer d'un travail de ce genre. C'est pour cela que son uvreaura port un titre analogue.Dans l'Asie centrale et en Chine oij cette Gigantomachie int-

    ressait bien moins que l'antithse du Bien et du Mal, l'crit futdsign par des titres nouveaux qui faisaient ressortir son dua-lisme foncier. C'est lui que vise, selon toute apparence, uncolophon dj cit, qui se lit la fin d'un feuillet dtach et oun Auditeur Ougour se flicite d'avoir rcit (( ce livre saintdes Deux Racines^ . Malheureusement, l'ensemble du feuilletne semble porter que des additions de copistes. Il ne fournitaucun dtail nouveau sur le contenu de l'ouvrage.

    Le titre donn par le texte ougour est l'exacte traduction duPehlvi Do Bun, qui se lit en tte de feuillets manichens gale-ment dcouverts dans la rgion de Tourfan et qui signifie lafois les (( Deux Racines et les Deux Principes *.C'est sous ce dernier titre que le* Kephalaia ont circul en Chine.Ils doivent s'identifier avec le livre des Deux Principes qu'unFou-to-tan venu de Perse apporta en 694 dans l'Empire duMilieu, qui fut incorpor vers 1019 dans le canon taoste, del'empereur Tschen tsong et qui se trouve encore mentionn auxnf sicle par le bonze Tsong-Kien de Leang-tschou ^.Ce dernier auteur fournit sur lui quelques renseignc^ments

    curieux : Pour ce qui est, dit-il, (du livre saint) des DeuxPrincipes, on appelle ainsi (celui) 011 hommes et femmes nedoivent pas se marier, o, en se tenant l'un l'autre, ils ne doi-vent pas se parler, o, en cas de maladie, on ne prend pas deremdes, o, la mort, on enterre des (cadavres) nus, etc. .

    1) Cdrne, Hist. comp., P. G. CXXI, 53 D.2) P. L., LIX, 162-163.3) A Von Le Coq, Tridsche Manichaca, I, 3o ; Chavannes et Pelliot,Journ. Asiat., igiS, p. i4i-i42.4) F. W. K. Mller, Handschr. Rest., i5, 16.5) Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., 1913, p. i33 et suiv.6) Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., 1913, p. 35/4-356.

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    CftiTURES PROPREMENT Dllfe 33Tsong Kien se contente de relever dans le livre certains dtailscurieux, qui lui paraissent extravagants. Il ne se proccupe pasd'en pntrer l'esprit. *

    Le fragment manichen de ouen houang apport Parispar la mission Pelliot, faisant allusion la mme uvre, endgage, au contraire, l'ide gnrale, mais sans en essayerl'analyse : Celui, remarque-t-il, qui demande entrer en reli-gion doit savoir que les deux Principes de la Lumire et del'Obscurit ont des natures absolument distinctes. S'il ne dis-cerne pas cela, comment (pourrait-il) mettre en pratique (ladoctrine) .^ ^

    Dans le Khouastouanift de Touen houang, les Auditeurs Mani-chens s'expriment en termes analogues : (( Quand nous som-mes venus connatre le vrai Dieu et la Loi pure, racontent-ils, nous avons connu les Deux Racines Nous avons connuque la Racine Lumineuse tait le domaine du Ciel et que laRacine obscure tait le domaine de l'Enfer ^.

    Le trait manichen de Touen houang, cons.erv Pkin, d-veloppe cette dernire image. 11 dcrit longuement les (( Arbresde mort et les Arbres de vie et c'est d'eux qu'il fait venirtout le mal comme tout le bien qui s'opre en nos mes ^. Sansdoute, rsume-t-il ici une partie du livre des Deux Principes,celle qui se rapporte au dualisme humain. Il semble, d'ailleurs,faire allusion cet ouvrage. Il dit, en effet, au sujet des D-nvars ou des Parfaits : (De tels Matres).... croient ausens des Deux Principes ; leur cur est pur et ne conoit aucundoute ; ils rejettent l'Obscurit et suivent la Lumire commel'ont prescrit les Saints *

    .

    Tous ces dtails s'accordent trs bien avec ceux qui ont temprunts Alexandre de Lycopolis, Titus de Bostra, Tho-doret de Cyr, Svre d'Antioche, au sujet des Kephalaia, et ils

    i) Gliavannes et Pelliot, Joum. Asiat., igiS, p. ii4.2) A Von Le Ck)q, Turkish Khiiastuanift, VIII, 156-172, avec les remar-ques complmentaires de Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., p. i37-

    i38.3) Chavannes et Pelliot, Journ. Asiat., 191 1, p. 559-563, 571-586.4) Ibid., p. 579.

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    34 LES CRITURES MANIGHENNEles compltent avantageusement. Ils confirment les conclusionsdj formules sur ce livre et permettent de le suivre jusqu'une poque tardive.

    III. L'VANGILE VIVANT. Vvajigile de Mani, signal dansla ttrade d'Archlas immdiatement aprs le livre des Prin-cipes ^, se trouve aussi trs souvent mentionn. Il apparatmme en tte de la ttrade chez Qyrille de Jrusalem ^, ainsique chez Pierre de Sicile et Photius ^. Il ouvre galement laliste des livres manichens dans les deux formules grecquesd'abjuration ^, chez Timothe de Gonstantinople ^ et dansun passagee de Birouni qui dpend d'un texte chrtien ^.Photius constate que, dans les sept premiers livres de sa criti-que du Manichisme, Diodore de Tarse s'tait occup de lecombattre et que, plus tard, Hraclien de Chalcdoine en avaitrfut les doctrines ''. C'est dire que l 'uvre avait une grandeimportance et a t trs lue.

    Plusieurs textes l'appellent VEvangile vivant. Le premier motdsigne un rcit exposant la carrire de Jsus et son enseigne-ment. Le second trahit le Gnosticisme. Le livre de Mani se pr-sentait comme la vritable gnose rvle aux hommes de bonnevolont par le Sauveur divin. D'aprs Photius, l'auteur y falsi-fiait audacieusement la vie du Christ ^. A en croire Pierrede Sicile, il n'en parlait seulement pas ^. C'est parce qu'il ypi'ofessait un doctisme tout fait radical, parce qu'il yprsentait l'incarnation du Sauveur, sa passion, sa mort et sarsun'ection comme de pures apparences, parce qu'il n'atta-chait d'importance qu' son enseignement et qu'il s'en faisait,d'ailleurs, une ide fort peu orthodoxe. A tous ces points de vue.

    i) Act. Arch., 52 cire. med.a) Catech., VI, 22.3) Pierre de Sicile, Hist. Man., I, n Photius, Coni. Mon., I, ia.4) P. G., I, i465 et C. iSai.5) P. G., LXXXVI, 21.6) ChronoL, trad. Sachau, p. 191.7) Biblioth., Cod. 85.8) Cont. Man., I, 12.9) Hist. Man., I, 11.

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    CRITURES PROPREMENT DITES 35il se rattachait sans doute particulirement YEvangile de lavrit des Valentiniens ou l'uvre similaire de Basilide.Ce dernier avait crit vingt-quatre livres de Commentaires

    vangliques ^ Il y exposait sa doctrine sous une forme exg-tique en la rattachant un crit plus ancien et respect. L'au-teur des Actes d'Archlaus donne entendre que cette uvrea servi de modle Mani. Et, pour le montrer, il en cite unpassage qui donne une description de la lutte initiale du Bienet du Mal fort peu diffrente de celle qui avait cours chez lesManichens ^.

    11 semble que l'auteur de VEvangile vivant s'est inspir nonseulement du contenu, mais encore de la forme mme desCommentaires de Basilide. Selon toute apparence, son livrelui-mme n'tait qu'une simple glose d'un texte plus ancien.On peut le conclure d'un passage curieux de Samuel d'Ani, oil est dit que des Syriens, la parole de miel, apportrent enArmnie, avec diverses critures chrtiennes, mais apocr^-phes, u Explicaiion de VEvangile de Mani^ . La nature desautres uvres donne penser que celle-ci devait se prsentercomme un commentaire d'un livre orthodoxe non d'un crithrtique.

    D'aprs Birouni, le texte comment par Mani ne faisait paspartie du Canon officiel de l'Eglise : Chacun des adeptes deMarcion et de Bardesane, dit l'historien arabe, se sert d'unEvangile qui contredit en partie les Evangiles vritables. Maisles adeptes de Mani en ont un qui, du commencement jusqu'la fin, renferme le contraire de la croyance des Chrtiens. Ilsen professent la doctrine ; ils le prsentent comme le seul vri-table ; ils disent qu'en lui est enseigne la vraie foi de Mani etqu'en dehors de lui on ne trouve que vanit et que men-songe '^ . Le sens de cette remarque est trs clair. Marciongardait l'Evangile de Luc, sans accepter pourtant le texte dont

    i) Eusbe, Hist. eccL, TV, 7, 6 (d'aprs Agrippa Castor).2) Act. Arch., 55 fin. (texte complet dans l'dition Beeson).3) Chron. univ., dans P. G., XIX, 685-686.4) Chronol., trad. Sachaii, p. 27.

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    36 LES CiRitUHS MANICHENNESfaisaient usage les Catholiques ^. Bardesane se rattachait l'cole de Valcntin 2, o l'on adimettait les textes canoniques,mais en Jes soumettant une critique minutieuse et souventradicale '^. L'uvre prfre de Mani comme de ses disciples,tait, au contraire, en dehors du Canon.

    L'vque de Harran, Thodore Abou-Kourra complte cesdonnes : D'aprs lui, les

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    38^ LES CRITURES MANICHENNESct est divis en deux colonnes et crit en plusieurs encres.Sur le recto, dont le dbut manque, on lit d'abord un loge d.ela (( Vierge de la Lumire, Tte de toutes les Grandeurs , etdes Prdicateurs et Auditeurs de la parole . Puis, aprs ungrand vide, vient une doxologie adresse, d'une part, laSainte Religion dans la Force du Pre et la Louange de la Mre ,de l'autre au Pre, au Fils et au Saint Esprit . Le verso quis'intitule De VEnangile , porte d'abord quelques remarquesfragmentaires : u (La parole de Evangile vivant de l'il et del'oreille) est enseigne et le festin de la vrit est servi. Toutce qui est, qui fut ou qui sera subsiste par sa force . Puis,aprs un nouveau vide, le texte continue :

    Moi, Mani, l'envoy de Jsus l'Ami, dans l'amour du Pre,du glorieux , de qui fut Les Bienheureux recevront cetteoffrande, Les Sages sauront, les Forts rechercheront la bontdes savants ^ .Nul doute que nous n'ayons ici le dbut du nouyel Evangile.

    La premire section devait s'ouvrir avec la phrase : Moi, Mani,l'Aptre de Jsus , qui rappelle la salutation initiale dosEpitres de Paul et qui, en ougour comme en syriaque, coon-mence par la premire lettre de l'alphabet.Un second fragment venu de Tourfan se rfre cette mmesource : Ainsi, dit-il, parle (Mani) dans VEvangile alaf des vi-vants ^ )). Mais il s'arrte l. Et jusqu'ici on n'a dcouvertaucun autre manuscrit qui porte un titre analogue.Un troisime feuillet pourrait se rapporter Evangile deMani, bien qu'il ne le cite pas expressment. C'est un fragment

    trs morcel du rcit de la Passion, qui s'intitule, au verso :(( Extrait sur le crucifiement . Jsus y apparat devant le tri-bunal du Procurateur et les Juifs, semble-t-il, demandent qu'on

    i) F. W. K. Millier, Handschr. Rest., p. 25-28 ; ihid., ioo-io3. Dans cedernier passag^e, Mlillor tudie un autre feuillet qui ressemble au pre-mier et qui permet d'en comprendre certaines particularits. C'est lque j'ai pris la mention de la parole de VEvangile vivant de l'il et del'oreille (ihid., p. toi).

    2) F. W. K. Mller, Handschr. Rest., p. 3i.

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    CRITURES PROPREMENT DITES 39le mette mort pour voir si en vrit il est le Fils de Dieu .Le texte, qui commence brusquement par ces derniers mots,ajoute ensuite :

    Et Pilate rpondit : Je suis innocent du sang de ce Fils deDieu. Les officiers et les soldats reurent alors de Pilate l'ordresuivant : Gardez ce commandement secret Une grave lacune coupe le rcit. Mais il est clair que tout

    le passage appartient un commentaire de l'Evangile. Eneffet, le texte comment est nettement vis dans les phrases quisuivent:

    Il montre que le dimanche, au premier chant du coq,Mariam et Salom et (Arsenia) ^ vinrent avec d'autres femmesapportant un parfum odorant de nard. Arrives prs du tom-beau, elles...

    Ici encore le feuillet prsente une importante lacune. Ilreprend brusquement, au verso : Voyez la grandeur , comme firent Mariam, Salom etArsenia, quand les deux Anges leur dirent : Ne cherchez pas le

    vivant parmi les morts. Pensez la parole de Jsus qu'il vousadressait en Galile : Ils me livreront et me crucifieront et autroisime jour je ressusciterai d'entre les morts. Allez en Galileet communiquez cette nouvelle Simon... et aux autres.., ^ .De ce fragment manichen, on peut rapprocher le suivant

    qui se rapporte aussi au crucifiement :(( Jsus, mis en prsence du Procurateur, de Pilate, rpondit

    sa question : Je ne suis pas de la maison de Jacob et de larace d'Isral Il rpondit Pilate : Ma domination n'est pasde ce monde. Cependant par la violence des Juifs, charg deliens (il fut envoy?) au roi Hrode (Et les soldats lui enle-vrent ses ?) habits placrent (une couronne d'pines) sursa tte..., le frapprent avec un roseau sur les joues, luicrachrent sur les yeux et lui crirent : Notre Seigneur Messie.Ainsi par trois fois et trois fois ils tombrent terre ^ .

    i) Le texte porte MaT7am. Mais comme il n'ajoute aucun qualificatifqui distingne cette Maryam do la premire et comme un peu plus loinil donne la troisime fenime le nom d 'Arsenia, il doit y avoir ici uneerrein" de transcription,

    2) F. W. K. Mller, Handschriften Reste..., p. 3^-36,3) F, W. K. Mller, op. cit., p. 36-37.

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    40 LES CRITURES MANICHENNESCe texte pouvait appartenir la mme uvre. Rien ne per-met pourtant de l'affirmer.En somme, le commentaire vanglique de Mani n'a pas

    laiss de traces bien nettes. C'est sans doute parce qu'une uvrede ce genre s'efface forcment devant un expos direct et per-sonnel. Ce doit tre surtout parce que le texte comments'clipsa assez vite devant ceux q,ui avaient cours parmi lesCatholiques. En l'invoquant, les Manichens faisaient tropfigure d'hrtiques.

    Aussi, dans les pays occidentaux oii l'orthodoxie chrtiennea toujours t plus rigoureuse qu'ailleurs, VEvangile vivantn'apparat pas une seule fois sous son vrai nom. Quand Faustede Milve met en avant des textes vangliques, il a unique-ment en vue ceux de l'Eglise officielle, comme s'il n'en con-naissait point d'autre ^. Et Augustin ne lui fait pas, sur cepoint, la moindre observation. L'ouvrage de Mani avait pour-tant une telle importance qu'on ne conoit pas qu'il ait pu treignor en Afrique ou Rome. Il a d circuler en Occidentcomme en Orient, mais sous un autre titre. En fait, Turibiusconstate que les Manichens, comme les Priscillianistes etd'autres hrtiques du mme genre, qui essaient d'tablir l'en-semble de leur hrsie l'aide d'Actes des Aptres apocryphes,invoquent aussi et plus encore un livre intitul Mmoire desAptres, oii le Christ rejette la Loi ancienne et professe sur leCrateur et sur la Cration une doctrine oppose celle deMose 2. Orose fait une remarque analogue propos des par-tisans de Priscillien ^. L'apocryphe dnonc par les deuxpolmistes s'identifie sans doute avec VEvangile des douzeAptres comment par Mani. Mais pour les Manichens, lecommentaire faisait sans doute corps avec le texte et portaitds lors le mme titre.

    Peut-tre faut-il encore identifier avec oe livre un travail

    i) Augustin, Cont. Faust, II, i ; V. i, etc.2) Epist. ad Hyd. et Cep., parmi les Epitres de Lon le Grand, P. L.,

    LIX, 695.3) Commonit., 2.

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    CRITURES PROPREMENT DITES 41important dont divers auteurs persans du Moyen Age font leplus grand loge et qu'ils appellent VArtank ou VErtenk deMani, quelquefois aussi VErjeng ou VErtscheng, le Teng ouTscheng ^. Le titre primitif est assez difficile dterminer.Et sa signification demeure nigmatique. Peut-tre vient-il duvieux persan airf>canka, qui veut dire

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    42 LES CRITURES MANICHENNESje reviendrai sur la terre vous apporter un message de Dieu .Il ajouta : Comme tous taient ptrifis d'admiration, il leur dit : J'aiapport du ciel cette tablette pour tablir mon caractre pro-phtique ^ .Tout ce rcit est manifestement lgendaire. Il rappelle des

    traditions analogues qui circulaient sur Zoroastre ^, sur Dosi-tihoc ^, sur Mithra ^. On ne peut en tirer aucun renseigne-ment direct sur l'origine et la nature relle de VErtenk. Maisil montre l'ide qu'on s'en faisait en Perse pendant le MoyenAge. Or, une lgende semblable a circul au sujet du commen-taire vanglique de Mani. En effet, Mrchnd a commenc pardire au sujet de l'hrsiarque qu'il s'imagina tre le Para-clet et que, pour prouver sa mission divine, il prsenta unlivre appel Vvangile, qu'il prtendait tre descendu du ciel .De l'identit des traditions, on peut conclure avec une assezgrande vraisemblance celle des uvres. Le rcit de la gpottene serait alors qu'une explication trs libre et fantaisiste dutmoignage que Mani se rendait lui-mme au sujet de sonlivre. L'historien persan ne connat sans doute pas directementr ouvrage dont il parle. Pour lui, comme pour les auteurs Per-

    i) Hist. univ. (BorrLbay, i854, t. I, p. 228 suiv.) ; Kessler, Mani, p. 387-38o.

    2) Dion Chrysosome, Orat., 86.3) Montgomery, The Samaritans, Oxford, 1913, 8^ p. 256, d'nprsAboiil Fath, Annal. Samar, d. Vilmar, p. i5i.

    4) Porphyre, De aniro Nympharum, 6 ; Fr. Cumont, Texte8 et docu-ments figurs relatifs aux Mystres de Mithra, p. 55 cl suiv.

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    CRITURES PROPRE.MEM DITES 43sans du Moyen Age, Ertenk dsigne moins un trait prciscomme l'Evangile vivant que l'uvre, dsormais fabuleuse,d'un magicien clbre. Mais cette confusion n'en montre quemieux la haute signification du texte d'abord dsign sous cenom.

    IV. Le Trsor. Non moins suggestif tait le dernier critde la ttrade manichenne. Timothe de Constantinople,Pierre de Sicile et Photius, ainsi que les deux formules grec-ques d'abjuration, l'appellent le Trsor de vivification. Ce titre,comme celui de l'Evangile vivant, est emprunt la traditiongnostique ^ Il se retrouve chez les Mandens dont il dsigneune criture trs importante -, Et cette concidence mrited'autant mieux d'tre note que Mani s'est form chez les anc-tres de ces Sabens, chez les Moughtasilas ou Baptiseurs de largion des tangs ^.

    Par son contenu, le Trsor de vie se rattache aussi troitementau Gnosticisme. Il est associ par Jrme l'uvre de Basi-lide ^. D'aprs Ya'qob, l'auteur y expliquait quelles par-ties de l'me viennent de la pure Lumire et quelles partiesprocdent des Tnbres vicieuses^ . Or, le Basilidien Isidoreavait dvelopp le mme dualisme psychologique dans son livreDe l'me .adventice ^. Mani s'inspirait sans doute de cet critou d'autres analogues.

    Mais ici encore il gardait sa pleine indpendance. D'aprsMas'odi, un chapitre du Trsor tait consacr aux Marcioni-tes ^. Sans doute contenait-il une critique de leurs doctrines.Marcion n'adlmettait pas seulement deux Principes contraires.

    i) Voir, par exemple, l'index de la Pistis Sophia, d. C. Schmidt, p. 4oiau mot Schatz.

    2) H. Petermann. Thsaurus seu liber niagnus vulgo liber Adamiappellatus. Berlin 1867, 2 vol. m-^.

    3) An Nadim. chez Flgel, Mani, p. 83-84-^) Advers. Vigilant., 6.5) Kessler. Mani, p. 2o4 et 328.6) Clem. Alex., Strom, II, 20, ii3.7) Mas'ondi, Le Livre de l'avertissement et de la rvision, trad. Carra

    de Vaux, p. 188.

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    44 LES CRITURES MANICHENNESIl leiir adjoignait une substance intermdiaire qui participait leur double nature i. Mani devait tablir contre lui quel'opposition de la Lumire et des Tnbres suffit tout expli-quer.Un fragment de cette uvre nous a t conserv par Birouni

    .

    Il traite des corps spirituels et montre combien ceux-ci diff-rent des organismes charnels.

    (( Les armes resplendissantes seront appeles jeunes femmeset vierges, pres et mres, fils, frres et surs, parce que telest l'usage dans les livres des Prophtes. Mais dans le pays dela joie il n'y a ni homme, ni femme, ni organe de la gnra-tion. Tous les habitants sont dous de corps vivants. Ayant descorps divins, ils ne diffrent pas les uns des autres par leurfaiblesse ou leur force, leur grandeur ou leur petitesse, leurforme ou leur aspect. Ils sont comme des lampes semblablesallumes une mme lampe, alimentes par la mme subs-tance. La cause de ce genre d'appellation vient, en dfinitive,de la lutte des deux Royaumes qui les a mls l'un l'autre.Lorsque le Royaume infrieur et tnbreux se leva de l'Abmedu Chaos et que le Royaume suprieur et resplendissant le vitform de mles et de femelles accoupls, ce dernier donna desformes extrieures du mme genre ses propres enfants quise mirent combattre le monde rival. Et, dans le combat, ilopposa chaque espce de l'autre monde la mme espced'tres 2)).

    Un autre passage, qui se lisait dans le second livre duTrsor est cit par Augustin et par Evode. Il est trs court etne comprend qu'un commencement de phrase. Mani y parle deces gens

    (( qui, par suite de leur ngligence, ne se sont pas laiss puri-fier de la souillure des esprits mauvais, qui n'ont pas observbien exactement les prceptes divins, qui n'ont pas voulu garderla Loi donne par le Librateur et qui ne se sont pas conduitsde la faon qui convenait^ .Malgr sa brivet, ce texte a un sens trs net. Il se rattache

    la conception des deux Ames rivales dont l'une procdei) Fliigel, Mani, p. iBg-iBo (texte d'An Nadim).2) BirouTii, India, trad. Sachau, t. I, p. 89.3) Augustin, Cont. Fel, II, 5 cire, med.; Evode. De Fide cont. Man., 5.

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    CRITURES PROPREMENT DltES 45des Tnbres vicieuses , tandis que l'autre provient de la pure Lumire .Un autre fragment beaucoup plus long et important estencore foiAni par Augustin et par Evode ^. 11 se lisait dans le

    (( septime livre du Trsor . Mani y expose en ces termes le rlejou par le Troisime Messager et par la Vierge de laLumire dans la libration des lments divins que retiennentencore les Dmons ariens :

    Ce Bienheureux Pre, qui a les navires lumineux pourrsidence et pour habitation, porte secours avec sa clmencehabituelle sa substance vitale, pour la dlivrer de ses attachesimpies, de ses difficults et de ses tourments. Par un signalinvisible, il transfigure celles de ses Vertus qui se trouvent dansla nef brillante (celle du soleil) et il les fait apparatre auxPuissances adverses qui ont t tablies dans les diverses rgionsdu oiel. Gomme ces dernires Puissances ont les deux sexes,mle et femelle, il ordonne aux dites Vertus d'apparatre lesunes sous la forlne de jeunes gens tout nus la gent opposedes femmes, les autres sous la forme de jeunes filles dpour-vues de tout voile la gent oppose des mles. 11 sait bien quetoutes ces Puissances ennemies, par suite de leur concupis-cence mortelle et tout fait immonde, se laisseront facilementprendre et rduire en esclavage par Tapparition de ces formesmerveilleuses et finiront ainsi par se laisser aller.

    Vous ne devez pas ignorer, en effet, que ce BienheureuxPre ne fait qu'un avec ces mmes Vertus, auxquelles il donnetour tour, pour un motif inluctable, l'aspect de jeunes genset celui de jeunes filles. 11 les emploie comme autant d'instru-ments de combat gui lui permettent d'accomplir ses projets.Ces Vertus divines, ainsi dresses comme des conjointes devantla gent infernale et habitues excuter allgrement . et ais-ment leur programme au moment mme o elles l'ont conu,remplissent les navires lumineux. Ds que la raison leurdemande d'apparatre aux mles, ces saintes Vertus se font voirsous l'apparence de jeunes filles. D'autre part, quand elles arri-vent devant les femmes, abandonnant leur extrieur de jeunesfilles, elles se montrent sous l'aspect de jeunes gens tout nus.

    (( Devant cette vision attrayante, les Puissances mauvaisesredoublent d'ardeur et de concupiscence. Le fien de leurs pen-ses dtestables se relche aussitt et l'me vivante qui restaitenferme dans leurs membres, se trouvant libre, s'chappe

    i) Augustin, De nat. bon., i'i et Exode, De Fid. cont. Man., i4-i6.

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    ^^ LES CRITURES MANICHEENNESet se mle l'air trs pur. Elle s'y purifie compltement. Puiselle monte dans les navires lumineux qui ont t prpars pourl'embarquer et la conduire sa patrie. Les dchets qui gardentla souillure de la gent ennemie descendent par petites partiesavec le feu et la chaleur et se mlent aux arbres, aux planteset toutes les semences, en se colorant de teintes diverses.

    Ainsi, sur la grande et brillante nef (du soleil), les figuresde jeunes gens et de jeunes filles apparaissent aux Puissancescontraires tablies dans le ciel qui ont une nature igne et, parsuite de cette apparition attrayante, elles font relcher et descen-dre sur la terre, avec la chaleur, la portion de vie qui se trouvedans les membres de chacun d'eux. De mme cette trs hautePuissance qui habite dans la nef des eaux vitales (dans la Lune)se montre par ses Anges sous la forme de jeunes gens et dejeunes filles aux Puissances dont la nature est froide et humideet qui ont t aussi tablies dans les cieux. Elle apparat auxfemelles sous la forme de jeunes gens, aux mles sous celle dejeunes filles. Devant ce changement et cette diversit de per-sonnes divines doues d'une grande beaut, les Princes mleset femelles de la gent froide et humide se laissent aller et lasubstance vitale qui tait en eux prend son essor. Les dchetsqui demeurent sont amens ici-bas avec le froid et se mlent toutes sortes de terrains .Ce mythe cosmologique tend expliquer non seulement les

    mouvements du soleil et de la lune, mais encore l'clair et letonnerre, les vapeurs et les pluies, la fcondation du sol et lagermination des plantes. A premire vue, il semble tout faittranger au programme nettement anthropologique du Trsor.En ralit, il s'y rattache troitement. Pour Mani, en effet,l'homme est un raccourci du monde ^. C'est seulement parl'tude du macrocosme qu'on peut se rendre colmpte de la com-position du microcosme. La suite du texte cit devait doncexpliquer comment il y a en nous des puissances analogues celles qui viennent d'tre observes dans le ciel et comment leBien et le Mal s'y livrent une lutte identique.Justement le trait manichen de Touen houang rappelle

    d'abord trs brivement l'apparition des deux Luminaires etleur rle salutaire :

    i) De nat. bon., 46 ^in. (citation de VEpitre du Fondement). Cf.Shikand goumanig Vidshar, trad. West, p. 244, trad. Salemann, ElnBruchstuk, p. i8.

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    CRITURES PROPREMtNT DITES 47 Tsing long (le Vent pur , c'est--dire l'Esprit puis-

    sant ))), fit deux navires lumineux qu'il mit sur la mer de lavie et de la mort pour la faire traverser aux hommes de bienet pour les amener dans leur monde primitif, cela en sorte queleuil nature lumineuse ft dfinitivement calme et heu-reuse ^ )).

    Puis il ajoute : Quand le dmon de la haine, le matre de la convoitise eutvu cela, il en conut des sentiments d'irritation et de jalousie ;

    il fit alors les formes des deux sexes, le mle et la femelle, afind'imiter les deux grands navires lumineux qui sont le soleil etla lune, de dcevoir et de troubler la nature lumineuse, en sortequ'elle montt sur les bateaux d'obscurit, que, mene par eux,elle entrt dans les enfers, qu'elle transmigrt dans les cinqconditions d'existence, qu'elle subit toutes les souffrances etqu'en dfinitive il lui ft difficile d'tre dlivre^ .La suite du trait parat venir d'une autre source. Mais la

    partie qui prcde les textes cits semble avoir la mme origine.Elle commence par rappeler sommairement comment le mondea t fait d'un mlange de bien et de mal par l'Esprit puissant,dsireux d'arracher ainsi les bons lments aux mauvais. Maisc'est toujours pour expliquer comment le Dmon furieux formal'homme avec le mme mlange et sur le mme plan pour em-prisonner dans la chair la substance divine ^. On peut dslors conjecturer que cet expos drive galement du Trsor etn'en est qu'un simple rsum.De ces deux sections initiales du trait de Touen houang, la

    premire, celle qui vient d'tre rsume et qui traite de l'hommeen gnral, est assez longue, la deuxime, celle qui a t citeplus haut et qui parle des deux Luminaires et des deux sexes, estbeaucoup plus courte et ne comprend que deux phrases. On estainsi conduit supposer que le trait qu'elles rsument se divi-sait lui-mme en deux parties d'ingale longueur. Cette suppo-sition semble confirme par un texte d'Eipiphane qui, aprs

    i) Chavaniies et Pelliot, Journ. Asiat., 191 1, p. 53i-533.2) Chavannes et Pelliot, ibid., p. 533-534-3) Chavaimes et Pelliot, ibid., p. 5io-53i.

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    48 Les critures manichennesavoir dit que Mani a crit un livre intitul le Trsor, ajouteque, pour mieux sduire ses lecteurs, il lui a associ celui qu'onappelle le Petit Trsor ^. On a cru gnralement, et Epiphanelui-mme croyait peut-tre, que le second crit tait un simplersum du premier. Mais on peut se demander s'il n'en taitpas plutt un complment. On ne voit pas bien Mani se rsumant lui-mme. On comprend mieux qu'aprs avoir rdig ungrand trait sur l'homme, il en ait consacr un plus court la icmme. En fait, le second crit est mis sur le mme rangque le premier par plusieurs autres polmistes. Cyrille de Jru-salem mentionne les Trsors parmi les grands ouvrages deMani ^. Saint Nil les signale ct du livre des Mystres 5.Et Photius ajoute qu'Hraclien de Chalcdoine en fit la criti-que *. Si loin qu'on pousse l'amour de la discussion, onn'prouve gure le besoin, aprs avoir combattu un texte, d'encombattre encore le rsum. Au contraire, si l'crit comprenaitdeux sections complmentaires, il est tout naturel que chacuneait exig une tude spciale.

    Peut-tre faut-il rattacher la mme uvre un travail duManichen lanou ou lanne, qui est signal par An Nadim etqui semble avoir t intitul : Sur Vcrit cki Trsor ^. Nousaurions l un commentaire analogue celui qui est attribu Abdial par le mme historin ^. L'importance du texte com-menter justifie cette interprtation. Le Trsor de vie clt, eneffet, la liste des grand crits de Mani mentionns dans lattrade d'Archlas.

    V. Le Shapourakan. Le Shpourakn, qui s'ajoute chezBirouni aux quatre grands ouvrages dj tudis pour former

    i) Haer, LXVI, i3 cire, fin,2) Catech., VI, 22.3) Epist., I, 117.4) Biblioth., Cod. 85.5) Flgel, Mani, p. io4, n 54, corrig par Kessler, Mani, p. 234, "

    54. Kessler prend le mot (( trsor au sens propre et pense qu'il s'agitici d'un crit concernant une leve d'argent. Il semble beaucoup plusnaturel de penser l'uvre de Mani. i

    6) Flugel, Mani, p. io5, n 74. "

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    CRITURES PROPREMENT* DITES 49avec eux une sorte de Pentateuque manichen, offre un intrtspcial cause des circonstances dans lesquelles il a paru. Ilremonte au dbut de la prdication de Mani et reprsente lapremire forme de son enseignement. D'aprs l'auteur de laChronologie, il est ainsi intitul parce qu'il fut compos pourSapor , peu avant la mort d'Ardaschir, c'est--dire vers /i/io,et, pour ce motif, il prend rang parmi les ouvrages des Per-ses ^ .

    Cette dernire remarque se rattache visiblement la languedans laquelle le livre fut rdig. Elle cadre fort bien avec unrenseignement dj cit d'An Nadim, d'aprs lequel un desgrands crits de Mani fut compos en persan 2. Il tait naturelqu'une uvre ddie au fils et l'hritier prochain du roi dePerse, en une poque de nationalisme ardent, empruntt laforme usuelle des actes officiels. On comprend aussi qu'ellen'ait pas t mentionne par l'auteur des Actes d'Archlaus,qui ignorait apparemment cet idiome barbare^ .Une traduction dt en tre faite de bonne heure en syriaque.

    Et elle prit sans doute un autre titre plus clair et plus prcis. Del vient, apparemment, que le Shpourakn n'apparat jamaissous son premier nom chez les auteurs chrtiens. Peut-tre doit-il s'ident