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Alfred Hitchcock 01 Quatre mystères 1963

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Alfred HITCHCOCK

QUATRE MYSTERES

C'EST tout spécialement pour la jeunesse qu'Alfred Hitchcock a écrit ce livre passionnant.

Cinq objets sans rapport entre eux disparaissent. Pourquoi?

Sept pendules en bon état de marche indiquent sept heures différentes. Que faut-il en conclure?

Trois chasseurs de fauves semblent avoir tiré sur un collectionneur de timbres. Comment?

Un auteur de romans policiers disparaît d'une maison hermétiquement close. Est-ce possible?

Voilà quatre énigmes ourdies, commentées, discutées, piégées par Alfred Hitchcock; le maître du mystère en personne.

En face de lui, quatre garçons dont le sort dépend de l'ingéniosité avec laquelle ils répondront aux questions étranges qui vont leur être posées...

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QUATRE MYSTERES

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LES TROIS DETECTIVES

ORDRE ALPHABETIQUE

1. Au rendez-vous des revenants (The Secret of Terror Castle, Robert Arthur, 1964) 2. Envolée, la volaille ! (Murder To Go, Megan Stine et H. William Stine, 1989) 3. L’aigle qui n’avait plus qu’une tête (The Mystery of the Flaming Footprints, M V Carey, 1971) 4. L’arc en ciel à pris la fuite (The Mystery of the Vanishing Treasure, Robert Arthur et William

Arden, 1966) 5. L’aveugle qui en mettait plein la vue (The Mystery of the Scar-Faced Beggar, M V Carey, 1981) 6. L’éditeur qui méditait (The Mystery of the Magic Circle, M V Carey, 1977) 7. L’épée qui se tirait (Mystery of the Headless Horse, William Arden, 1977) 8. L’épouvantable épouvantail (The Mystery of the Sinister Scarecrow, M V Carey, 1979) 9. L’insaisissable home des neiges (The Mystery of Monster Mountain, M V Carey, 1972) 10. L’ombre qui éclairait tout (The Mystery of the Laughing Shadow, William Arden, 1969) 11. La baleine emballée (The Mystery of the Kidnapped Whale, M V Carey, 1983) 12. La Mine qui ne payait pas de mine (The Mystery of Death Trap Mine, M V Carey, 1976) 13. La momie qui chuchotait (The Mystery of the Whispering Mummy, Robert Arthur, 1965) 14. La Saisie des sosies (The Mystery of the Deadly Double, William Arden, 1978) 15. L'ânesse qui se pavanait (An Ear For Trouble, Marc Brandel, 1989) 16. Le chat qui clignait de l'oeil (The Secret of the Crooked Cat, William Arden, 1970) 17. Le Chinois qui verdissait (The Mystery of the Green Ghost, Robert Arthur, 1965) 18. Le crâne qui crânait (The Mystery of the Talking Skull, Robert Arthur et William Arden, 1969) 19. Le démon qui dansait la gigue (The Mystery of the Dancing Devil, William Arden, 1976) 20. Le dragon qui éternuait (The mystery of the coughing dragon, Nick West, 1970) 21. Le drakkar hagard (The Mystery of the Creep-Show Crooks, William Arden, 1985) 22. Le flibustier piraté (The Mystery of the Purple Pirate, William Arden, 1982) 23. Le journal qui s'effeuillait (The Secret of Phantom Lake, William Arden, 1972) 24. Le lion qui claquait des dents (The Mystery of the Nervous Lion, Nick West, 1971) 25. Le miroir qui glaçait (The Secret of the Haunted Mirror, M V Carey, 1972) 26. Le perroquet qui bégayait (The Mystery of the Stuttering Parrot, Robert Arthur, 1964) 27. le requin qui resquillait (The Secret of Shark Reef, William Arden, 1979) 28. Le serpent qui fredonnait (The Mystery of the Singing Serpent, M V Carey, 1971) 29. Le spectre des chevaux de bois (The Secret of Skeleton Island, Robert Arthur, 1966) 30. Le tableau se met à table (The Mystery of the Shrinking House, William Arden, 1972) 31. Le testament énigmatique (The Mystery of the Dead Man's Riddle, William Arden, 1972) 32. Le trombone du diable (The Mystery of the Moaning Cave, William Arden, 1968) 33. Les caisses à la casse (Hot Wheels, William Arden, 1989) 34. Les douze pendules de Théodule (The Mystery of the Screaming Clock, Robert Arthur, 1968) 35. Quatre Mystères (Alfred Hitchcock’s solve-them-yourself mysteries ? )36. Silence, on tue ! (Thriller Diller, Megan Stine et H. William Stine, 1989)37. Treize bustes pour Auguste (The Mystery of the Fiery Eye, Robert Arthur, 1967) 38. Une araignée appelée à régner (The Mystery of the Silver Spider, Robert Arthur, 1967)

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LES TROIS DETECTIVES

ORDRE DE SORTIE

1. Quatre Mystères (Alfred Hitchcock’s solve-them-yourself mysteries ? )2. Au rendez-vous des revenants (The Secret of Terror Castle, Robert Arthur, 1964) 3. Le perroquet qui bégayait (The Mystery of the Stuttering Parrot, Robert Arthur, 1964) 4. La momie qui chuchotait (The Mystery of the Whispering Mummy, Robert Arthur, 1965) 5. Le Chinois qui verdissait (The Mystery of the Green Ghost, Robert Arthur, 1965) 6. L’arc en ciel à pris la fuite (The Mystery of the Vanishing Treasure, Robert Arthur et William Arden,

1966) 7. Le spectre des chevaux de bois (The Secret of Skeleton Island, Robert Arthur, 1966) 8. Treize bustes pour Auguste (The Mystery of the Fiery Eye, Robert Arthur, 1967) 9. Une araignée appelée à régner (The Mystery of the Silver Spider, Robert Arthur, 1967) 10. Les douze pendules de Théodule (The Mystery of the Screaming Clock, Robert Arthur, 1968) 11. Le trombone du diable (The Mystery of the Moaning Cave, William Arden, 1968) 12. Le crâne qui crânait (The Mystery of the Talking Skull, Robert Arthur et William Arden, 1969) 13. L’ombre qui éclairait tout (The Mystery of the Laughing Shadow, William Arden, 1969) 14. Le dragon qui éternuait (The mystery of the coughing dragon, Nick West, 1970) 15. Le chat qui clignait de l'oeil (The Secret of the Crooked Cat, William Arden, 1970) 16. L’aigle qui n’avait plus qu’une tête (The Mystery of the Flaming Footprints, M V Carey, 1971) 17. Le lion qui claquait des dents (The Mystery of the Nervous Lion, Nick West, 1971) 18. Le serpent qui fredonnait (The Mystery of the Singing Serpent, M V Carey, 1971) 19. Le tableau se met à table (The Mystery of the Shrinking House, William Arden, 1972) 20. Le journal qui s'effeuillait (The Secret of Phantom Lake, William Arden, 1972) 21. L’insaisissable home des neiges (The Mystery of Monster Mountain, M V Carey, 1972) 22. Le miroir qui glaçait (The Secret of the Haunted Mirror, M V Carey, 1972) 23. Le testament énigmatique (The Mystery of the Dead Man's Riddle, William Arden, 1972) 24. La Mine qui ne payait pas de mine (The Mystery of Death Trap Mine, M V Carey, 1976) 25. Le démon qui dansait la gigue (The Mystery of the Dancing Devil, William Arden, 1976) 26. L’épée qui se tirait (Mystery of the Headless Horse, William Arden, 1977) 27. L’éditeur qui méditait (The Mystery of the Magic Circle, M V Carey, 1977) 28. La Saisie des sosies (The Mystery of the Deadly Double, William Arden, 1978) 29. L’épouvantable épouvantail (The Mystery of the Sinister Scarecrow, M V Carey, 1979) 30. le requin qui resquillait (The Secret of Shark Reef, William Arden, 1979) 31. L’aveugle qui en mettait plein la vue (The Mystery of the Scar-Faced Beggar, M V Carey, 1981) 32. Le flibustier piraté (The Mystery of the Purple Pirate, William Arden, 1982) 33. La baleine emballée (The Mystery of the Kidnapped Whale, M V Carey, 1983) 34. Le drakkar hagard (The Mystery of the Creep-Show Crooks, William Arden, 1985) 35. Les caisses à la casse (Hot Wheels, William Arden, 1989) 36. Envolée, la volaille ! (Murder To Go, Megan Stine et H. William Stine, 1989) 37. L'ânesse qui se pavanait (An Ear For Trouble, Marc Brandel, 1989) 38. Silence, on tue ! (Thriller Diller, Megan Stine et H. William Stine, 1989)

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ALFRED HITCHCOCK

QUATRE MYSTERES

TEXTE FRANÇAIS DE VLADIMIR VOLKOFFILLUSTRATIONS DE JACQUES POIRIER

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HACHETTE 281

L'ÉDITION

ORIGINALE DE CE ROMAN, ,A PARU EN LANGUE ANGLAISE,

CHEZ RANDOM HOUSE, NEW YORK,SOUS LE TITRE :

ALFRED HITCHCOCK'S SOLVE-THEM-YOURSELF MYSTERIES

(c) Random House, 1963 etLibrairie Hachette, 1965.

Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.

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Je vais préciser quelques points qui demeurent encore obscurs.

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INFO

Les Trois Jeunes Détectives

Les Trois Jeunes Détectives (The Three Investigators) est une série de romans policiers américains pour la jeunesse.

Ayant eu plusieurs auteurs écrivant leur aventures (l'auteur principal et créateur étant Robert Arthur), l'édition française de Bibliothèque Verte nomme comme auteur Alfred Hitchcock, qui « présente » la série, comme il prêtait son nom à des recueils de nouvelles policières ou d'angoisse. Ces œuvres utilisaient son nom pour mieux attirer l'attention.

Les personnages

Hannibal Jones (Jupiter Jones en version originale), Peter Crentch (Peter Crenshaw) et Bob Andy (Robert « Bob » Andrews) sont un trio de jeunes adolescents vivant dans la ville fictive de Rocky en Californie. Ils travaillent comme détectives privés dans leur temps libre. Se faisant connaître comme Les trois jeunes détectives, ils enquêtent dans des affaires allant du surnaturel jusqu'au sombres intrigues criminelles.

Les trois jeunes détectives en détail

Étant bien entendu au nombre de trois, leur symbole est le point d'interrogation. Ils ont leur propre carte de visite qui a trois points d'interrogation consécutifs, ce qui attire très souvent les questions des gens à qui ils les montrent, demandant ce qu'ils signifient, parfois si c'est dû à leur propre doute en leurs capacités. Ils répondent toujours que cela représente le mystère et les énigmes qu'ils ont à résoudre. Leur devise : « Détections en tout genre » (ou selon le volume, « Enquêtes en tout genre », etc.)

Hannibal Jones : Détective en chef. Le chef de la bande, il est très intelligent et ne s'en cache pas. Il a un problème de surpoids qui attire parfois les moqueries, ce qu'il déteste. Orphelin, il vit avec sa tante Mathilda et son oncle Titus qui s'occupent d'une brocante nommée Le Paradis de la Brocante (The Jones Salvage Yard). Plus jeune, certains comme Skinny Norris le surnommaient « Gros Plein de Soupe » mais il déteste ce surnom.

Peter Crentch : Détective adjoint. Le sportif de la bande, il est physiquement fort, ce qui est toujours utile. Malgré cela, il a tendance à être peureux. Il peut tout de même montrer du courage en cas d'urgence. Son père travaille au cinéma pour les effets spéciaux. Son expression favorite en cas de grande pression est « Mazette ».

Bob Andy : S'occupe des archives et recherches. Fluet, portant lunettes et souvent plongé dans les livres, il est un peu l'archétype du nerd. Son père est journaliste et sa mère est décrite comme jeune et jolie.

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Personnages secondaires

Alfred Hitchcock : Le célèbre cinéaste fut le premier client des détectives, puis devint une sorte de mentor pour eux pendant les trente premiers volumes, « préfaçant » chacune de leurs aventures (travail de l'auteur, bien sûr) et retrouvant les héros à la fin pour discuter de l'affaire et de son dénouement. La maison d'édition Random House payait pour utiliser légalement son nom. À sa « vraie » mort en 1980, les Hitchcock demandèrent encore plus d'argent; il fut remplacé par un personnage fictif, Hector Sebastian. Les dernières éditions américaines ont changé les volumes de sorte que Hitchcock n'apparaisse plus et soit remplacé par Hector Sebastian.

Hector Sebastian : Un ancien détective devenu écrivain, auteur de romans best-sellers. Il prit la place de Hitchcock dans la série dès L'aveugle qui en mettait plein la vue.

Titus Jones : Oncle de Hannibal et propriétaire du Paradis de la Brocante, c'est un petit homme moustachu jovial, qui préfère acheter pour son affaire des objets qui le passionnent personnellement plutôt que des choses pratiques.

Mathilda Jones : Tante de Hannibal et femme de Titus, c'est une femme forte et sévère mais qui malgré son apparence dure, a un fond très bon (dans certains volumes de la version française, elle s'appelle Mathilde).

Warrington : Chauffeur bbritanique de la Rolls Royce dont Hannibal a gagné l'usage pendant trente jours à un concours (jusqu'à ce que son usage soit finalement étendu). Homme droit et distingué, il va parfois personnellement aider les détectives.

Samuel Reynolds : Commissaire de la police de Rocky. Ayant d'abord une certaine antipathie pour les héros, il finit par reconnaître leur talent et leur fournit même une carte signée qui les désigne comme auxiliaires de la police. Reynolds intervient souvent pour arrêter les criminels que les trois jeunes détectives débusquent.

Hans et Konrad : Deux Bavarois physiquement très forts qui travaillent au Paradis de la Brocante pour les Jones. Ils sont aussi sympathiques que musclés et sont toujours prêts à aider les héros.

Skinny Norris : Jeune voyou d'une famille aisée, il est toujours à mettre des bâtons dans les roues des trois jeunes détectives dont il prend plaisir à se moquer. Il va parfois jusqu'à collaborer avec des criminels, plus par idiotie que délinquance. Il est grand, maigre (ce qui lui vaut son surnom de « Skinny » signifiant « maigre » en anglais et a un long nez.

Huganay : Criminel français distingué, Huganay se spécialise dans le vol d'objets d'arts.

Auteurs

Robert Arthur (aussi créateur) William Arden Nick West Mary Virginia Carey

Hitchcock lui-même n'a rien écrit dans la série, ni même les préfaces qui sont « signées » de lui (ce ne sont que des travaux des auteurs). D'abord intitulée Alfred Hitchcock and the Three Investigators en version originale, elle devint simplement The Three

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Investigators dès le volume 30 (L'aveugle qui en mettait plein la vue), après la mort d'Hitchcock.

Notes

Chaque couverture de volume montre la silhouette de la tête d'Alfred Hitchcock, comme dans les débuts de ses films.

Dans la version originale, la plupart des titres commençaient par les mots « The mystery of... » ou « The secret of... ». La plupart des titres en version française tentent, eux, de faire des jeux de mots.

Les derniers volumes montrent les protagonistes plus âgés et ayant plus de préoccupations d'adolescents. Cela a commencé dans la partie appelée Crimebusters en version originale.

La série est particulièrement populaire en Allemagne. Les acteurs ayant participé à des versions audio y sont des vedettes. Deux films produits en Allemagne ont d'ailleurs été tournés.

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Introduction

Bonjour.

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Alfred Hitchcock vous souhaite la bienvenue dans son bureau de recherches, enquêtes et filatures, et présente aujourd'hui à Son public une invention tout à fait spéciale.

Il s'agit d'un livre bourré d'angoisse et de mystère, mais le tout dans le genre « petit bricoleur », ou « débrouillez-vous Vous-mêmes » — du moins pour ceux d'entre vous qui aiment à jauger leurs capacités détectives à l'aide de bons indices solides sous la dent.

Quant à ceux qui préfèrent galoper aux chausses du malfaiteur en rugissant : «Taïaut, Taïaut! », ils n'ont qu'à me laisser faire. Galopez autant qu'il vous plaira : les indices, je m'en | charge. Je les ramasserai après vous et je les mettrai en ordre, grâce à des interventions que je me permettrai de faire de temps en temps, au cours du récit.

Un dernier mot. Certains parmi mes plus chauds partisans ont inventé un jeu. Toute la famille se réunit et chacun lit une page de mon livre, à tour de rôle et à haute voix. Aussitôt que l'un des auditeurs croit avoir décelé un indice, il pousse un grand cri et marque un point. La lecture s'arrête et la discussion commence pour savoir s'il s'agit d'un vrai indice et ce qu'il signifie.

Voilà un excellent moyen de passer le temps en société Mais que vous en fassiez l'épreuve ou non, je vous supplie de ne transgresser en rien le code le plus strict des- amateurs d'énigmes. Une lois que vous avez terminé un récit, n'en révélez le secret à personne.

Vous vous donnez bien la peine de lire chaque histoire de bout en bout? Vos petits amis n'ont qu'à faire comme vous.

ALFRED HITCHCOCK

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TABLE

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Le mystère des cinq larcins 16

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Le mystère des sept pendules 48

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Le mystère de la chambre forte 76

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Le mystère de l'homme qui s'évapora 137

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LE MYSTÈRE DES CINQ LARCINS

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ALFRED HITCHCOCK : Permettez-moi de prendre un instant la parole.

Je suppose que vous aimez le cirque? Quand j'étais petit garçon — eh! oui, si curieux que cela vous paraisse, cela m'est arrivé, à moi aussi —, tous les garçons corrects de mon âge rêvaient de s'engager dans un cirque ou de devenir détective : comme Sherlock Holmes. Moi, je ne suis jamais parvenu à me décider et vous savez comment j'ai tourné .plus tard. Laissons cela. Quant à vous, vous pouvez faire les deux à la fois sans quitter votre fauteuil. Vous n'avez qu'à ouvrir l'œil pour trouver des indices, tandis que Jerry Mason enquête sur...

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LE MYSTÈRE DES CINQ, LARCINS

JERRY venait à peine de quitter la grand-route lorsqu'il sentit que quelque chose n'allait pas au cirque Clanton vers lequel il se dirigeait. Il s'approchait des roulottes et des tentes par-derrière et pouvait constater que rien n'avait changé depuis que, une heure plus tôt, il était parti pour poster en ville la lettre recommandée que lui avait confiée son oncle Frank.

Et pourtant, il sentait bien que quelque chose n'allait pas. Jerry était grand et mince, avec des cheveux blonds et rebelles. Sa passion était de débrouiller les situations confuses... Il s'arrêta et examina le petit cirque en détail.

Au fond, se dressait la grande tente bariolée où le spectacle avait lieu tous les jours, en matinée et en soirée. Une oriflamme portant les mots CIRQUE CLANTON flottait paresseusement au sommet du mât central. Jerry ressentait un mouvement

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de fierté chaque fois qu'il l'apercevait. C'était la première fois que ses parents lui permettaient d'accompagner le cirque en tournée. C'était aussi la première année que le cirque appartenait à son oncle Frank qui l'avait racheté, avec ses économies, à M. Claypole Clanton, l'ancien propriétaire.

Dans un cirque, le travail ne manque pas, et Jerry avait pour mission de donner un coup de main à tous ceux qui en avaient besoin. En particulier, il aidait son oncle dans la comptabilité et était même autorisé à paraître sur la piste avec les clowns, par faveur spéciale.

Maintenant, après tout un été passé avec le cirque, il se prenait pour un véritable enfant de la balle et aurait aimé se voir traité comme tel par tous ses camarades, qui le tenaient encore pour un « bleu ».

Minutieusement, Jerry observait le cirque. A côté de la grande tente de spectacle, il y avait celle de la parade, bleue et blanche, et celle des animaux, toute rouge. Puis, la tente-cuisine et la tente-dortoir. Enfin les camions et les roulottes qui transportaient de ville en ville ce petit monde à part que formait le cirque Clanton.

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Bien sûr, ce n'était qu'un tout petit cirque, mais Jerry était convaincu que c'était le meilleur des États-Unis.

Trente-sept roulottes en plus ou moins bon état s'alignaient sur deux rangs devant la grande tente. Jerry les avait comptées dès le premier jour. Lorsqu'il y avait assez de place, on les rangeait en cercle mais ici, à Green City, comme le terrain était étroit, on avait dû les garer le long de la route. Chaque équipe avait sa propre remorque. Jerry et son oncle se partageaient celle qui servait aussi de caisse de location.

Jerry se remit lentement en marche, toujours préoccupé. Il n'avait rien pu déceler d'extraordinaire, et pourtant le sentiment d'inquiétude qui s'était emparé de lui ne le quittait pas.

Tout à coup, il comprit.C'était le silence.A cette heure-ci, par une claire matinée d'août, le cirque aurait dû

n'être que vacarme. Martèlement des maillets sur les

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piquets des tentes, rugissement rauque d'un lion, barrissement d'un éléphant, bourdonnement des conversations, une douzaine de bruits caractéristiques auraient dû retentir de tous côtés, en prévision du spectacle de l'après-midi.

Au lieu de cela, le silence. Ou presque.On entendait quelques bruits, bien sûr, mais si peu!...Et ce silence incomplet avait quelque chose de menaçant. De

tendu. De presque effrayant.En approchant de la première roulotte, Jerry vit que bon nombre

des occupants se tenaient dehors et regardaient tous dans la même direction, vers la grande tente ou peut-être vers la roulotte de son oncle qui était garée à côté.

M. Fissel se tenait près de son véhicule et paraissait préoccupé. M. Fissel était contorsionniste et faisait mettre sur ses affiches : Fissel, l'homme qui fait des nœuds. A ce moment précis, il se tenait debout sur les mains, les jambes ramenées en arrière, si bien que ses pieds lui pendaient par-dessus les épaules et se balançaient de part et d'autre de son menton. Il avait trente ans de métier et ne cessait de s'exercer pour conserver la forme.

« Monsieur Fissel, demanda Jerry avec anxiété, qu'est-il arrivé? Y a-t-il un malheur? »

M. Fissel hocha la tête pour montrer qu'il n'en savait rien. Puis, lentement, il dénoua ses membres et se remit debout. Jerry pressa le pas.

De l'autre côté de la route, se trouvait le camion d'Anderson le cowboy, spécialiste du lasso. Le gaillard s'entraînait en visant un poteau, à bonne distance. Jerry fut stupéfait de voir que le cowboy manquait son but et ramenait la corde sans même paraître s'apercevoir de son échec. Lui non plus, il ne quittait pas des yeux la roulotte du directeur. Jerry se rappela avoir entendu dire que la femme d'Anderson était à l'hôpital, et qu'il lui envoyait tout son salaire.

Après celle du cowboy était garée la roulotte d'Imo et Jimo, les deux jongleurs japonais, toujours silencieux, toujours graves, qui, les massues à la main, en oubliaient de jongler, tant ils paraissaient préoccupés.

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En face d'eux, Ahmed et Abdullah, les acrobates égyptiens, préparaient leur numéro. Abdullah était debout, les jambes largement écartées. Il portait en équilibre sur sa tête une perche d'aluminium, longue de deux mètres, épaisse de dix centimètres, terminée par des embouts de caoutchouc. Au sommet de la perche, la tête en bas, oscillait Ahmed. Jerry approchait lorsque Ahmed perdit l'équilibre et tomba. Il fit un saut périlleux en l'air et atterrit sur les pieds. La perche, elle, s'abattit avec un bruit sourd presque sur les orteils d'Abdullah.

Devant tant de maladresse, le petit homme basané se serait d'ordinaire mis à jurer dans une langue rauque et sifflante - de l'arabe, peut-être, mais, en tout cas, fort peu littéraire. Aujourd'hui, il ne dit pas un mot. Il ramassa seulement sa perche et, la tenant solidement d'une seule main, il tourna les yeux vers la tente centrale, comme les autres.

Devant la roulotte suivante — d'un gabarit peu courant — se tenaient le géant Grossomodo — taille : 2,47 mètres; pointure : 54 — et le major Microbe — taille : 1,14 mètre; poids : 20,5 kilos. Grossomodo avait une longue figure à l'expression perpétuellement perplexe; Microbe portait des diamants à tous les doigts et s'habillait avec le raffinement d'un petit mannequin. Les mauvaises langues du cirque disaient qu'il était criblé de dettes, tant il achetait de vêtements et de bijoux; en effet, il ne portait jamais un costume plus de deux mois.

Personne n'avait jamais vu le major paraître en public sans sa petite canne en bois poli, à manche recourbé, qui lui servait à attirer l'attention des gens en leur accrochant l'avant-bras. En ce moment, il s'était suspendu par ce moyen au coude de Grossomodo.

« Grosse barrique, lui criait-il de sa petite voix flûtée, veux-tu me lever! Je ne vois rien!

- Il n'y a rien à voir », bougonna Grossomodo tout en arrondissant ses deux paumes réunies pour que le major pût grimper.

Sur les épaules du géant, Microbe s'installa comme sur un mirador et se maintint en équilibre en se tenant aux rudes cheveux de son partenaire.

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« Qu'est-il arrivé? demanda Jerry. Y a-t-il eu un accident? »Grossomodo secoua la tête négativement, si bien que le major

faillit tomber.« Tiens-toi tranquille, grosse bête! hurla-t-il. Tu veux me tuer? »Ils ne cessaient de se quereller, mais voyageaient toujours

ensemble et étaient malheureux l'un sans l'autre.« C'est Jerry, fit le géant.— Je vois bien que c'est Jerry. J'ai des yeux! » répliqua le nain,

tout en regardant Jerry de haut en bas.Cela lui faisait toujours plaisir de pouvoir toiser les gens. « Nous

avions entendu quelqu'un crier, expliqua-t-il à Jerry. Mais quand nous sommes sortis,, c'était fini.

— Je parie qu'il y a encore eu un vol, marmonna Grossomodo. Si c'est ça, je m'en vais, je démissionne, vu?

— Pas avant que j'aie retrouvé ma canne, répliqua le major. Ma plus jolie canne, ma canne porte-bonheur! Et toi, il faut qu'on te rende tes chaussures. Tes belles chaussures de chez le bottier.

— Moi, je démissionne, répéta le géant. Tant pis pour la canne et les chaussures. »

Jerry poursuivait son chemin. Quelle mauvaise nouvelle pour son oncle, si Grossomodo et Microbe prenaient sérieusement la décision de quitter le Cirque! Le public les aimait beaucoup.

Le garçon allait prendre le pas gymnastique lorsqu'il s'entendit appeler. Il fit volte-face et aperçut une petite vieille souriante, le visage tout ridé et les yeux pétillants, qui se tenait derrière lui, à moitié cachée par un camion. C'était For-tunata, la diseuse de bonne aventure, vêtue de sa robe bariolée de bohémienne. Sur le poing, elle portait son perroquet, qui s'appelait M. Coco. Il penchait la tête de côté et son œil rond était fixé sur Jerry.

« Tracas, tracasseries! cria-1-il soudain.— Tais-toi donc, lui répondit Fortunata. Tu n'es qu'un oiseau.

Mais pour ce qui est des tracas, ça ne m'étonnerait pas si nous en avions encore. Il est arrivé malheur à Mme Winifred.

— La charmeuse de serpents? Est-elle malade? demanda Jerry.

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— Tracas, tracasseries ! répéta le perroquet.— Si elle était malade, elle crierait moins fort, fit Fortunata,

qui ne souriait plus. Mme Winifred n'est pas contente du tout. Elle doit être chez votre oncle, en ce moment. Je crois qu'on a encore volé quelque chose.

— Encore! J'espère bien que non! s'écria Jerry. Je vais voir si je peux aider oncle Frank. »

II partit au pas de course vers la roulotte de son oncle. Chemin faisant, il passa devant les Six Ferdinand volants, et le mélancolique Espadon; les uns, au lieu de faire leur numéro de voltige, l'autre au lieu d'avaler ses sabres, regardaient la roulotte de tête. Jerry s'y précipita, tout haletant.

M. Frank Mason siégeait derrière son bureau. Son visage, tanné par les intempéries, paraissait grave. En face de lui, était assise Mme Winifred, petite bonne femme boulotte qu'on appelait la Reine des serpents. Sur ses affiches, on la voyait entourée de tous les reptiles de la jungle, mais, dans la vie quotidienne, c'était une brave personne qui adorait tricoter des chandails

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pour ses amis. En ce moment, il est vrai, un serpent s'enroulait sur son bras gauche comme un énorme bracelet et lui caressait la joue de sa tête triangulaire.

« Jerry! s'écria Mme Winifred. L'avez-vous vue? Savez-vous où est ma chère petite Belle?

- Belle? » répéta Jerry.Il essayait de se rappeler une personne portant ce nom.« Mais oui, Belle, ma ravissante petite Belle, toute blanche, toute

mouchetée, ma plus vieille amie, ma plus chère compagne. On me l'a prise! On me l'a enlevée! »

Mme Winifred affectait toujours de parler de ses serpents comme de personnes humaines.

« Volée! dit Jerry, en se laissant tomber sur une chaise. En êtes-vous sûre?

- C'est précisément la question que je posais à Mme Winifred », bougonna oncle Frank.

Il se pencha en avant :« Winifred, vous le savez, un serpent passe par une fente

minuscule. Peut-être Belle...- Non, non! C'est impossible! cria Mme Winifred. Il n'y a qu'une

fenêtre solidement grillagée. Quelqu'un a coupé le grillage pour voler Belle. Allez voir vous-même. »

Frank Mason et Jerry se levèrent.« C'est ce que nous avons de mieux à faire, dit l'oncle de Jerry.

Restez ici, Winifred, et calmez-vous. Nous retrouverons Belle si c'est humainement possible. »

Laissant la charmeuse de serpents dans la roulotte-bureau, ils sortirent par-derrière, sans prêter attention à tous les regards fixés sur eux.

« Jerry, fit M. Mason sérieusement, tout en marchant vers une roulotte vert olive, sur laquelle était écrit en grosses lettres le nom de MADAME WINIFRED, la situation devient critique. Avons-nous un fou parmi nous? Il y a cinq jours, on volait la plus belle paire de chaussures de Grossomodo; la nuit suivante, la canne porte-bonheur du major. La nuit d'après, le meilleur lasso d'Anderson disparaît. Hier, Espadon ne retrouve plus l'un de ses

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sabres. Et aujourd'hui, un serpent prend la clef des champs. Je ne vois aucune logique dans tout cela. »

Jerry ne répondit pas. Qui pouvait voler un assortiment pareil d'objets sans valeur réelle? Jerry pensait aussi à un autre larcin, dont son oncle n'avait pas parlé. Un diamant, appelé « la Flamme verte », avait été volé cinq jours plus tôt au musée de Millerton, justement quand le cirque Clanton y donnait une représentation. Et la Flamme verte valait près de 100000 dollars...

Sans prêter attention à la partie avant de la roulotte de Mme Winifred, aménagée en un appartement, ma foi fort confortable, oncle Frank passa dans la partie arrière, où l'on accédait en franchissant deux portes, l'une en métal, l'autre en grillage serré. Derrière la deuxième porte se trouvaient sept ou huit cages de verre dans lesquelles des serpents de diverses couleurs se tenaient lovés. L'un d'eux, un gros python, dressa la tête.

« Elle a raison, dit M. Frank. Belle n'aurait pu s'échapper. Winifred enferme toujours ses petits amis à clef. Mais regarde le grillage de la fenêtre de ventilation : il a été découpé. »

L'unique fenêtre était petite — 40 centimètres de côté — et elle se trouvait tout au fond de la roulotte, sous le toit. Le grillage avait été découpé le long des bords.

« Regardons de l'extérieur », dit M. Mason.Ils sortirent de la roulotte et virent que la fenêtre se trouvait

placée nettement au-dessus de la tête de M. Mason.« Grimpe et jette un coup d'œil! » commanda l'oncle en se

préparant à faire la courte échelle à son neveu.A ce moment, Jerry s'écria :« Regarde! »Là, par terre, à l'aplomb de la fenêtre, on voyait une empreinte de

pied dans le sable. C'était une empreinte énorme, presque deux fois plus longue et plus large qu'une empreinte normale.

« Grossomodo, murmura M. Frank. Il est venu ici hier soir...- A moins que..., fit Jerry, qui ne savait plus que penser. Laisse-

moi chercher d'autres indices. »Avec l'aide de son oncle, il se hissa jusqu'à la fenêtre. Le grillage

avait été découpé sur les côtés et à la partie inférieure,

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de façon à pouvoir être repoussé à l'intérieur. Jerry introduisit sa tête et ses épaules dans la roulotte. En bas, hors de sa portée, se trouvaient les cages. L'une d'elles était vide. A part cela, tout paraissait en ordre.

Jerry retira sa tête et se laissa glisser à terre.« Grossomodo n'aurait jamais pu passer ses épaules par cette

ouverture, remarqua-1-il. D'ailleurs, il a peur des serpents.- Et Microbe? Il aurait pu passer, lui, et se pencher à

l'intérieur.- Mais ses bras auraient été trop courts. Il n'aurait jamais pu

atteindre Belle.- La canne! s'écria M. Mason. Il accroche toujours les gens avec

sa canne. Il aurait fort bien pu accrocher Belle par le milieu du corps et la soulever. Le géant et le nain auraient travaillé ensemble.

- Mais, oncle Frank, protesta Jerry, puisqu'on a volé une des paires de chaussures de Grossomodo et la canne de Microbe! C'est quelqu'un d'autre qui a pu utiliser ces accessoires pour détourner nos soupçons ! »

M. Mason se mordait la lèvre en silence. Ces vols absurdes avaient créé une atmosphère de suspicion et d'anxiété qui pesait lourd sur le petit monde du cirque Clanton.

« Tu as peut-être raison, admit-il. Mais il se peut aussi que Grossomodo et le major aient menti en nous disant qu'ils avaient été volés.

- Et le lasso d'Anderson? Et l'espadon du Sabre... je veux dire le sabre d'Espadon?

- Microbe aurait fort bien pu se glisser dans les camions pour dérober ces objets. Je parie que le sabre a servi à découper le grillage. Et le lasso a pu être utilisé pour attacher la malle ou la caisse dans laquelle on a caché Belle.

- Mais pour quoi faire? demanda Jerry, qui n'avait pas envie que Grossomodo et le major fussent coupables.

- Je n'en sais rien. Peut-être pour brouiller les idées du détective de cette compagnie d'assurances qui enquête sur le vol du diamant de Millerton. Nous apprendrons le motif quand nous

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Avec l'aide de son onde, il se hissa jusqu'à la fenêtre.

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aurons retrouvé le serpent. Je vais faire fouiller tout le cirque, centimètre par centimètre. Et je vais soigner particulièrement la roulotte du major et de son géant.

- Ne leur montrez pas que vous les soupçonnez, oncle Frank, conseilla Jerry. Grossomodo menace déjà de démissionner. Il est dans tous ses états.

- Nous sommes tous dans tous nos états, repartit M. Mason en prenant la direction du bureau. Si nous ne retrouvons pas Belle, nous aurons quantité de désertions. Peut-être n'aurons-nous plus de quoi assurer un spectacle. Alors, adieu les économies que j'ai investies dans ce cirque. »

Dans la roulotte, ils retrouvèrent Mme Winifred qui roucoulait quelque chose au serpent enroulé sur son bras gauche. Elle leva les yeux, pleine d'espoir :

« Vous avez retrouvé Belle?- Pas encore, répondit Mason. De quelle taille était-elle?- 177 centimètres de pied en cap, si on peut dire qu'elle a un

pied et un cap, répondit Mme Winifred. 9 centimètres de diamètre et le plus charmant caractère de serpent que j'aie jamais rencontré. Bien sûr, elle se fait vieille maintenant et je ne peux plus m'en servir pour mon numéro, mais je l'aime toujours beaucoup.

- Nous allons retourner le cirque de fond en comble pour la retrouver, déclara M. Mason. Rentrez chez vous et préparez-vous pour le spectacle.

- Je vais baigner Hercule, mon gros python, répondit Mme Winifred. Et je ferai cuire des œufs pour mes petits chéris. »

Elle sortit. M. Mason poussa un profond soupir.« Jerry, veux-tu aller me chercher Parker, le détective? Nous

allons prendre Jake Ferrel et deux autres hommes de confiance pour fouiller tous les coffres, toutes les valises, toutes les barriques où on aurait pu cacher Belle.

- J'y vais, oncle Frank. Je pourrai vous aider à fouiller?- Je regrette, mon garçon. J'aurai besoin de toi à la caisse.

N'oublie pas de casser la croûte avant de revenir. »Jerry sortit de la roulotte. Le soleil brillait et l'atmosphère du

cirque Clanton avait changé de nouveau. Le bruit main-

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tenant ne manquait plus, mais il trahissait la nervosité des artistes. Tout le monde savait la nouvelle : on discutait ferme sur la signification de ce nouveau larcin. Les gens du voyage sont superstitieux : Jerry savait bien que, si l'on commençait à dire que le cirque Clanton portait malheur, M. Mason serait définitivement ruiné.

C'est alors que Jerry décida de résoudre l'énigme. Il ne savait pas encore comment il allait s'y prendre, mais il ne doutait pas de la réussite.

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ALFRED HITCHCOCK : Hum! hum! Cela ne se fait pas, de lire par-dessus l'épaule des gens. Mais, voyez-vous, je constate que Jerry vient de décider de percer le mystère des cinq larcins et je me demande si vous n 'allez pas essayer de le percer avant lui. Bien sûr, si vous en avez déjà deviné le fin mot, je n'aurai pas l'air très malin. Du reste, l'expérience des émissions-mystères que je fais à la télévision m'a appris à redouter les imaginations juvéniles... Mais enfin, en admettant que vous ne soyez pas encore tout à fait prêts à passer les menottes aux vrais coupables, vous auriez tout intérêt à prêter une attention soutenue à ce qui va suivre. Et vous pourriez peut-être aussi relire ce qui précède. Il y a déjà eu deux indices, ma foi, fort curieux...

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Jerry trouva M. Parker dans la tente-cuisine. Le détective de la compagnie d'assurances accompagnait le cirque dans ses déplacements depuis la disparition de la Flamme verte à Millerton, la semaine précédente.

Parker était un petit homme mince et chauve. Il se faisait passer pour un journaliste qui menait une enquête sur la vie des cirques.

« Dites donc, mon garçon! s'écria-t-il dès qu'il eut aperçu Jerry. J'ai une proposition à vous faire. Vous êtes tout le temps à tourner dans le cirque, vous entendez les gens discuter. Vous avez peut-être déjà votre petite idée sur le bonhomme qui a volé la Flamme verte dans le musée de Millerton. Moi, ajouta-t-il en soupirant, je n'arrive pas à faire bavarder vos camarades. Ils

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ont dû deviner qui j'étais. Mais si vous m'aidez à retrouver le diamant, je veux bien partager la récompense avec vous. Cinq mille dollars, ça vous dit quelque chose? »

Si Parker avait été un bon détective, il se serait aperçu que la plupart des artistes du cirque Clanton considéraient Jerry comme un bleu, pas du tout comme un camarade. Il ne gagnerait leur confiance qu'en restant parmi eux assez de temps pour devenir un ancien ou alors en accomplissant un exploit quelconque qui leur montrerait qu'il faisait partie de la maison. De son côté, si c'était vraiment l'un des artistes qui avait volé la Flamme verte, Jerry voulait que le voleur fût découvert, pour laver la réputation des autres.

« Pourquoi êtes-vous si sûr que le coupable soit l'un des artistes? demanda Jerry.

- C'est évident, répondit Parker. Écoutez-moi. A Millerton, votre terrain est à cinq cents mètres du musée. Samedi dernier, pendant que vous montiez vos tentes, quelqu'un a grimpé jusqu'à une fenêtre du deuxième étage, en s'aidant du lierre qui couvre le mur. Il a brisé la vitrine où la Flamme verte était exposée. Elle était enchâssée dans un grand pectoral hindou en or et il y avait aussi dans la vitrine d'autres échantillons d'art oriental. Mais le voleur n'a pris que le pectoral, parce que le diamant était le seul objet de valeur qu'il pût espérer vendre. Voilà qui indique du bon travail de professionnel : un amateur se serait bourré les poches.

- Résultats : vous-même et la police, vous vous êtes empressés de conclure que le coupable était l'un de nos artistes, répliqua Jerry. Les policiers sont venus et nous ont tous fouillés. Ils ont mis le cirque sens dessus dessous. Nous avons été obligés de supprimer la, matinée, oncle Frank a perdu beaucoup (l'argent et nous étions tous drôlement furieux!

- Sauf l'un de vous, qui avait drôlement peur, repartit Parker. Quelqu'un a bien extrait la pierre du pectoral, puisque la police l'a retrouvé, sans le diamant, dans les buissons derrière vos lentes. Évidemment, un diamant, c'est plus facile à cacher qu'un grand pectoral d'or. Si je suis encore là, c'est que la

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police n'a pas trouvé le diamant, et que je suis sûr qu'il n'est pas loin!

- Je crains bien que vous n'ayez raison, reconnut Jerry malgré lui. Je vous aiderai si vous...

- C'est gentil de votre part! s'écria Parker.- Laissez-moi finir. Je vous aiderai à retrouver le diamant si vous

nous aidez à retrouver Belle.- Belle? Qui est Belle?- Un des serpents de Mme Winifred.- Un serpent? Dites donc! Je n'ai pas envie de me faire piquer

par une de vos sales bêtes.- Aucun de nos serpents n'est venimeux, monsieur Parker.

Quelqu'un a volé Belle, comme on a volé les souliers du géant, la canne du nain, le lasso du cowboy et le sabre de l'avaleur de sabres.

- Un petit farceur qui s'amuse ! répondit Parker. Ces choses-là, ça ne me regarde pas. Je suis un détective pour hommes. Pas un détective pour serpents.

- Écoutez, monsieur Parker. Mon oncle va faire fouiller le cirque pour retrouver Belle. Il voudrait que vous l'aidiez. Cela vous permettra de chercher encore une fois votre diamant. Puisque vous êtes détective, vous penserez peut-être à des cachettes que les amis de mon oncle auraient négligées.

- Si vous le prenez comme ça..., hésita Parker, en se grattant le menton. Voulez-vous me décrire le disparu?

- 177 centimètres de long, 9 centimètres de diamètre, moucheté noir sur blanc, charmant caractère, répondit Jerry. C'est un vieux serpent qui retombe en enfance.

- Hum! fit Parker, en regardant autour de lui. Un vol de serpent! Jamais vu ça. Où peut-on cacher un serpent? Dans un pneu de rechange, peut-être, ou dans un tuyau à incendie?

- Plutôt dans une boîte, une caisse, une malle, un panier, répliqua Jerry. De toute façon, oncle Frank veut que vous fouilliez tout. Vous feriez mieux d'aller le voir tout de suite. »

Le détective obéit et Jerry déjeuna tristement. Le cuisinier, un ancien hercule, faisait des commentaires moroses sur la situation :

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« Voilà maintenant qu'ils se mettent à voler des serpents! Et il paraît qu'il va y avoir encore une fouille.

- Il faut bien que l'on retrouve Belle, dit Jerry.- En tout cas, ils ne vont pas la chercher dans mes cubes de

glace, grommela le cuisinier. Le commissaire m'a cassé toute ma glace, à Millerton. Et quelqu'un m'a pris un panier plein d'œufs durs. Jerry, mon garçon, j'ai vu de bons cirques ruinés pour moins que cela. »

Jerry repartit dans la direction de la roulotte-bureau. Il était si absorbé dans ses pensées qu'il ne prêta aucune attention à l'activité qui régnait autour de lui, jusqu'au moment où une main lui toucha le coude.

« Jerry!Tiens, Fortunata! »C'était la bohémienne, M. Coco toujours perché sur son bras, qui

avait arrêté le jeune garçon.« Tracas, tracasseries ! cria le perroquet.

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- Nous le savons bien sans toi, répliqua Fortunata. Viens avec moi, Jerry. M. Coco te dira la bonne aventure. »

A l'intérieur de la petite tente de Fortunata, se trouvait une table de bois sur laquelle reposaient six cages. Dans chacune des cages, on apercevait une boîte renfermant une pile de bouts de papier soigneusement plies.

« II faut donner la pièce à M. Coco, dit Fortunata en souriant. Horoscope gratis ne vaut rien. »

Jerry trouva une pièce dans sa poche. L'oiseau la prit dans le bec et la jeta dans un bol vert. Puis il suivit une rampe qui montait vers les six cages. Il s'apprêtait à entrer-dans celle du milieu lorsque Fortunata siffla. Aussitôt, le perroquet courut jusqu'à la dernière cage, y choisit un papier et le rapporta à Jerry. Jerry, perplexe, lut le message suivant :

Pour réussir, pense droit.« Une prédiction agréable? demanda Fortunata, ses yeux noirs

tout brillants.- C'est certainement un très bon conseil, répondit Jerry en

hésitant. Mais dans la situation actuelle, je ne crois pas qu'il puisse me servir à grand-chose.

- M. Coco donne toujours des conseils utiles. Penses-y comme il faut, Jerry. »

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ALFRED HITCHCOCK : Pardonnez mon intervention. Je vous propose de vous arrêter cinq minutes pour réfléchir. Quelque chose me dit que M. Coco et Fortunata s'efforcent de communiquer un secret à Jerry. Bien sûr, mais lequel?...

Revenons à notre histoire.

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La roulotte-bureau de location était vide. Jerry se laissa tomber dans le fauteuil de son oncle, saisit un morceau de papier et un crayon pour mettre ses pensées en ordre, comme il aimait à le faire. Après quelques instants, il relut ce qu'il venait d'inscrire noir sur blanc :

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OBJETS VOLÉS

1. Un diamant de grande valeur.2. Une paire de chaussures de géant.3. La canne d'un nain.4. Un lasso.5. Un sabre. -6. Un serpent.

QUESTIONS

Est-ce la même personne qui a volé ces objets? Dans l'affirmative, pourquoi? Quel rapport entre un diamant et le reste? Peut-être y a-t-il un rapport entre certains objets mais pas entre les autres?

Réflexion faite, Jerry ajouta :

Un panier d'œufs durs aurait aussi été volé.

Cela rendait les choses encore plus confuses. Probablement les œufs avaient-ils été simplement dérobés par un affamé.

Jerry était prêt à donner sa langue au chat lorsque son oncle entra. Il paraissait fort ennuyé.

« Nous n'avons pas trouvé le serpent, fit-il. Pourtant, nous avons regardé partout. Ce Parker est un imbécile. Il voulait fouiller les pneus de rechange, la grosse caisse de l'orchestre et les bassines sur lesquelles les éléphants se tiennent en équilibre. Le cuisinier a failli le rosser quand il s'est avisé de plonger son nez dans la farine et le sucre en poudre. »

M. Mason eut un petit rire sec. Mais il reprit gravement :« Jerry, je ne sais pas ce que nous allons faire. Tout le inonde est

si nerveux... Enfin, pour l'instant, il faut se préparer pour la matinée... »A ce moment, on frappa à la porte. Jake Farrell, un grand

rouquin, entra. Sur sa figure sympathique, on lisait une expression étrange.

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« Ça y est, c'est retrouvé, fit-il.- Qui? Belle? demanda M. Mason.- Non, pas Belle. Les autres choses. Les chaussures, la canne et le

reste.- Où cela?- Le tout était enterré derrière la tente-cuisine. Venez voir. »

Cependant le public commençait déjà à arriver. Les gensachetaient des friandises, écoutaient la parade, visitaient la

ménagerie.M. Mason et Jerry suivirent Farrel jusqu'à la tente-cuisine. Un

groupe d'hommes gardaient les yeux fixés sur un morceau de toile étendu par terre. Farrel la souleva et découvrit une fosse-dans laquelle se trouvait une caisse étroite, toute noire, qui ressemblait à un cercueil en miniature. Le couvercle était transpercé par le sabre de l'avaleur de sabres, enfoncé jusqu'à la garde.

« Diable! » s'écria M. Mason.Déjà, Farrel ramenait la caisse, arrachait le sabre, soulevait le

couvercle...Jerry se haussa sur la pointe des pieds pour mieux voir et sentit un

frisson d'horreur lui descendre le long du dos.Dans le petit cercueil, on voyait les chaussures de Grossomodo

réduites en lambeaux. Par-dessus, des morceaux de la canne du major Microbe. A côté, un lasso dans la boucle duquel avait été passée une poupée de chiffons. Sur le bras de la poupée, on avait dessiné grossièrement un serpent, si bien que, de toute évidence, elle figurait Mme Winifred.

On aurait dit que la personne qui avait enterré ces objets en voulait à la vie même de leurs propriétaires.

« Cachez cela! commanda Frank Mason qui avait blêmi. Et n'en parlez à personne. »

Farrell enveloppa la caisse dans la toile.« Trop tard, grommela-t-il. On nous a vus déterrer le trésor et, à

l'heure qu'il est, tout le cirque doit être au courant.- Alors, que les hommes retournent à leur travail. Venez, Farrell.

Il faut que nous discutions la situation. Jerry, prépare-toi pour la matinée.

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- Oui, oncle Frank », dit Jerry, qui ne pensait qu'au bizarre contenu de la caisse. Il aurait aimé parler un instant à son oncle. Personne n'avait remarqué que, de tout ce qui avait été volé, seule Belle manquait encore. Quelqu'un avait enterré le reste de telle façon qu'il serait sûrement retrouvé. Le serpent, non. Pourquoi? Le voleur désirait-il que la boîte noire et son contenu fussent découverts? Jerry pensait que oui. Mais dans quel dessein? Le résultat obtenu ne serait qu'un mécontentement général encore plus poussé.

Quelqu'un essayait-il donc de ruiner le cirque? Était-ce là le mot de l'énigme?

Tout en réfléchissant, Jerry se rendit à la tente des clowns. Tom Click, le clown en chef, l'homme le mieux payé du cirque, était en train de se maquiller. Il traitait Jerry de haut mais amicalement.

« Tu es en retard, mon garçon, remarqua-1-il.- Oui, monsieur Click », répondit Jerry.Il endossa un costume de clown, blanc et rouge, puis il

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commença à se maquiller. Il mit du rouge sur son nez, des cercles blancs autour des yeux, se fit de grosses lèvres rouges cernées de blanc.

« L'année prochaine, je pourrai encore faire le clown, monsieur Click? demanda-t-il.

- Hum! fit M. Click, en se mettant sur la tête une perruque où des pétards étaient dissimulés. Y aura-t-il une année prochaine? »

Il glissa un canard vivant dans sa poche.« On ne parle plus que du cercueil. Beaucoup d'entre nous

pensent que le cirque est ensorcelé et se préparent à partir. Grossomodo, Microbe, Mme Winifred, Anderson... »

Jerry acheva de se maquiller en silence. Il était persuadé que le coupable avait autre chose en tête que la sorcellerie.

La musique familière retentit à ses oreilles et il courut avec les autres clowns pour participer à la parade. Pendant une heure, il n'eut plus le temps de penser : il faisait la roue et toutes sortes d'exercices à quoi il excellait.

Lorsque les clowns eurent fini leur numéro, ils se retirèrent de façon à pouvoir aider leurs camarades, le cas échéant. En effet, la tradition du cirque Clanton voulait que si un incident quelconque survenait pendant un numéro, les clowns vinssent aussitôt à la rescousse en attirant sur eux l'attention du public.

Ce jour-là, tout alla de travers. Les animaux eux-mêmes devenaient nerveux par contagion. La vieille Mom, chef de file des éléphants, ne voulut pas danser et les autres éléphants l'imitèrent. Les lions se battirent entre eux : il fallut les séparer.

Imo et Jimo, les jongleurs japonais, qui se lançaient des torches enflammées -- ils auraient pu faire ce tour-là les yeux fermés —, perdirent leur assurance, et Imo se brûla grièvement.

Jerry fit la roue sur la piste pour leur permettre de se retirer. Ahmed et Abdullah entrèrent en courant et leurs acrobaties stupéfièrent le public... jusqu'au moment où, subissant les effets de la nervosité générale, ils manquèrent leur grand numéro, celui où Ahmed se tenait la tête en bas sur une perche d'aluminium qu'Abdullah portait sur sa tête à lui. Ahmed n'était pas encore en position qu'il perdait déjà l'équilibre et tombait à terre. Le

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Le cylindre d'aluminium s'abattit sur lui avec un bruit mat.

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cylindre d'aluminium s'abattit sur lui, avec un bruit mat.Jerry se dit que cette chute lui rappelait quelque chose... Puis,

avec les autres clowns, il essaya de distraire le public.Les Égyptiens sortirent en s'injuriant. Tom Click vint jouer une

pantomime où il figurait à lui tout seul deux lutteurs : il y mettait tant de talent qu'on croyait voir son invisible adversaire...

Le filet fut installé pour les Ferdinand volants qui commencèrent par redresser la situation en réussissant leur numéro aérien. Tout à coup, Signor Ferdinand manqua de rattraper sa femme qui faisait un double saut périlleux arrière. Elle tomba dans le filet.

Le filet avait été mal attaché et céda sous le poids. La foule poussa un cri de terreur. Aussitôt la signera Ferdinand bondit sur ses pieds, pour montrer qu'elle n'était pas blessée et les clowns se précipitèrent de nouveau pour faire diversion. Les Ferdinand, vexés et furieux, quittèrent la piste.

« L'année prochaine, ils ne reviendront pas!» souffla Tom Click à Jerry qui faisait semblant de le gifler.

Les pétards cachés sous la perruque éclatèrent. Tom poursuivit :« Ça va mal, mon garçon. On vient de me dire que le cowboy est

déjà parti. Grossomodo et Microbe ont voulu prendre la poudre d'escampette aussi, mais ton oncle les a retenus : il veut les faire arrêter. »

Machinalement, Jerry fit la roue. Grossomodo et Microbe n'avaient rien à voir dans tout cela : il en était sûr. Tous les événements qui avaient eu lieu portaient la marque d'un esprit astucieux, ingénieux, tortueux comme un serpent...

Tortueux comme un serpent! Mais les serpents ne sont pas toujours tortueux...

Tout à coup, toutes les pensées qui trottaient dans la cervelle de Jerry retombèrent en place, comme les différentes pièces d'un puzzle.

Il comprenait maintenant ce que signifiaient :

un cercueil en miniature, une paire de chaussures et une canne volées,

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un serpent disparu,un géant et un nain qui s'énervaient et voulaient démissionner

immédiatement,un panier d'ceufs durs volatilisés,la prophétie de M. Coco,et un bruit sourd qu'il avait entendu deux fois ce jour-là.

Tout cela avait un sens. Mais il fallait agir avant qu'il ne fût trop tard.

D'un bond, Jerry revint au centre de la piste où Tom Click faisait l'étonné sous les feux d'artifice qui sortaient de sa chevelure.

« J'ai quelque chose d'urgent à faire! » souffla Jerry au clown en chef.

Sans attendre de réponse, il fit la roue jusqu'à la sortie des artistes.

Une fois dehors, il se remit debout et courut vers les véhicules.Le terrain était presque vide, mais de la roulotte de Grossomodo

et de Microbe provenaient des cris. Le nain et le géant se tenaient dehors et apostrophaient quelqu'un qui se trouvait à l'intérieur.

Jerry ne s'arrêta pas.De l'autre côté de la route, il vit les Ferdinand volants qui, l'air

sinistre, se préparaient à partir. Le camion du cowboy avait disparu.Mais la roulotte bleue, toute luisante, qui intéressait Jerry n'avait

pas encore bougé.Pourtant deux hommes avaient déjà pris place dans la cabine du

véhicule qui la remorquait, et le conducteur venait de mettre le moteur en marche. Jerry fit le tour de la roulotte, si bien que les deux hommes ne pouvaient plus le voir. Il y avait une porte de derrière. Pourvu qu'elle ne fût pas fermée à clef! Jerry tourna la poignée, la portière s'ouvrit. La roulotte se mettait déjà en mouvement, lorsque Jerry grimpa à l'intérieur et se mit à fouiller dans les accessoires rangés. à l'arrière. Il vit ce qu'il cherchait, et s'en empara. L'objet était lourd et incommode à porter. Jerry le saisit à deux bras, sauta dehors

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et remonta la route au pas de course. Il espérait que les deux hommes ne le verraient pas.

Mais ils le virent.L'automobile s'arrêta.Les portières s'ouvrirent.Les deux hommes se précipitèrent à la poursuite de Jerry.

Furieux, ils l'appelaient à grands cris, mais le garçon ne s'arrêta pas. Portant toujours son fardeau, il courait de toutes ses forces.

Grossomodo et le major Microbe étaient encore devant leur roulotte et discutaient rageusement avec quelqu'un. Jerry se précipita vers eux, tandis que ses poursuivants gagnaient du terrain.

« Grossomodo ! cria Jerry en rassemblant tout ce qui lui restait de souffle. Au secours... »

II était sur le point de se mettre sous la protection du géant étonné lorsque l'un des poursuivants le plaqua au sol. Jerry tomba. L'objet qu'il portait vola loin de lui, sa tête heurta quelque chose de dur et il perdit connaissance.

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ALFRED HITCHCOCK : Excellente occasion pour que je fasse une apparition. Pendant que Jerry reprend ses esprits, dites-moi donc si vous avez résolu le Mystère des cinq larcins. Je crains bien que vous ne répondiez oui et, à vous parler franchement, je n'aime pas beaucoup les jeunes gens qui se montrent plus astucieux que moi. Quant à ceux d'entre vous qui cherchent encore laborieusement, je leur conseille de méditer ceci. Il n'y avait qu'un motif pour voler Belle. Il y en avait deux pour voler les chaussures, la canne, le lasso et le sabre. Un serpent n'est pas toujours tortueux. Et n'oubliez pas le bruit mat... Suffit. J'en ai déjà trop dit. Si vous êtes pressé, en avant toute! Je vous promets de ne plus réapparaître avant la fin.

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CONCLUSION

Jerry ouvrit les yeux et vit que son oncle l'aidait à s'asseoir. Farrell se tenait auprès d'eux. Jerry battit des paupières. Sa tête lui faisait mal. Un peu plus loin, Grossomodo tenait fermement les deux hommes qui avaient poursuivi le garçon.

« Jerry, comment te sens-tu? demanda M. Mason.- Ça va, dit Jerry, en se frottant la tête. Excepté cettebosse.- Alors, dit M. Mason d'un ton grave, en aidant Jerry à se lever,

tu pourrais peut-être nous donner quelques explications. Ces deux messieurs affirment que tu leur as volé un de leurs accessoires et que c'est toi aussi qui as subtilisé les chaussures de Grossomodo, la canne du major et le reste. Est-ce que tu t'es vraiment livré à ces enfantillages sans penser aux conséquences ?

— Non, oncle Frank, répondit Jerry solennellement. J'ai pris ceci — il indiquait l'accessoire que tenait maintenant JakeFarrell—, mais j'étais obligé. Je crois que j'ai compris tout ce qui s'est passé.

- Alors dépêche-toi de nous l'expliquer, dit M. Mason un peu plus doucement.

- Je vais commencer par le commencement, proposa Jerry. En réalité, c'est tout simple.

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— Simple? s'écria Frank Mason. Nous verrons cela. Allons discuter dans la roulotte. Grossomodo, amène-moi ces deux-là. »

Les deux hommes protestèrent en se débattant, mais Grossomodo les tenait chacun d'une main et les fit entrer de force dans la roulotte. Jerry, son oncle, Parker et le major les suivirent. Grossomodo ferma la porte et s'y adossa. Les deux hommes se taisaient, l'air accablé.

« Tout a commencé il y a cinq jours, à Millerton, dit Jerry, le jour où la Flamme verte a été volée.

- Je le savais! s'écria Parker, mais Mason le fit taire d'un coup d'œil.

- Le cirque se trouvait sur un terrain proche du musée, poursuivit Jerry. Quelqu'un a grimpé jusqu'au second étage, en s'aidant du lierre. Le vol a visiblement été commis par un ou des voleurs expérimentés...

- Précisément ce que je disais! interrompit Parker.- La police de Millerton nous a tout -de suite soupçonnés, peut-

être simplement parce que nous ne sommes pas du pays, et s'est mise à fouiller nos tentes et nos roulottes. Cette fouille a terrifié le voleur. Il devait cacher le diamant immédiatement dans un endroit où jamais aucun policier ne penserait à le chercher. Pas dans sa propre roulotte, bien sûr, parce que si on l'y retrouvait, le voleur serait découvert. Alors il a enlevé le diamant de sa monture, a jeté la monture et a caché le diamant.

- Où ça? demanda Farrell, l'œil sombre.- J'y arrive, répondit Jerry. Mais laissez-moi d'abord parler des

autres vols. La nuit après la disparition de la Flamme verte, les souliers de Grossomodo furent volés, ce qui l'ennuya beaucoup.

- Je crois bien! grommela le géant. Ma plus jolie paire de «chaussures. }e l'ai payée cent dollars au bottier.

- La nuit suivante, poursuivit Jerry, le major ne retrouva |)lus sa canne.

- Ma canne porte-bonheur! piailla Microbe. La canne qui ne m'a pas quitté depuis que je suis artiste! Elle vaut plus que «le l'argent. Si jamais je rencontre le coquin qui me l'a cassée, M lui tords le cou! »

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Il serrait ses petits poings d'un air comique, mais personne ne sourit.

« Puis on vola le sabre d'Espadon et le meilleur lasso d'Anderson, reprit Jerry. C'était absurde.

- Pas du tout, répliqua Parker. Ces objets ont servi au voleur pour enlever Belle.

- Mais non, répondit Jerry. Ou bien, s'ils lui ont servi, ce n'est qu'après coup. Il avait de meilleures raisons pour voler des objets aussi hétéroclites. D'abord, il voulait mettre tout le monde mal à l'aise. C'est pour cela qu'il a enterré le tout dans un cercueil en miniature. Pour faire accroire aux gens que quelqu'un essayait d'ensorceler le cirque. »

Jerry regarda les visages sourcilleux qui l'entouraient. Le petit minois du major Microbe lui-même était devenu un masque de perplexité.

« Voyez-vous, reprit Jerry, depuis le début, le voleur voulait enlever le serpent de Mme Winifred, Belle. Les voleurs, devrais-je dire, car il est évident que pour voler Belle il fallait deux hommes, l'un faisant la courte échelle à l'autre. Mais en outre, il fallait que, après avoir enlevé Belle, ils pussent quitter le cirque sans éveiller de soupçons. En volant les chaussures et les autres objets, ils créaient une atmosphère telle que certains de nos camarades nous ont abandonnés d'eux-mêmes : cela leur permettait donc de partir, eux aussi, sans être soupçonnés. De plus, personne ne pouvait deviner que Belle seule était importante. Tout le monde a pensé ce que les voleurs voulaient que nous pensions, c'est-à-dire que Belle faisait simplement partie d'une série d'objets sans lien logique. C'était là la seconde raison.

— Un instant! s'écria Frank Mason. Tu veux dire qu'il y a un rapport entre le vol du diamant et celui de Belle? »

Jerry secoua la tête affirmativement si fort que sa bosse recommença à lui faire mal.

a J'en suis persuadé, fit-il. Surtout depuis que je sais, grâce au cuisinier, qu'un panier d'œufs durs a disparu le même jour que le diamant. »

L'étonnement se répandit sur les traits de Farrell.

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« Attends! Je crois que j'ai compris, s'écria-t-il. Winifred donne des œufs à manger à ses serpents, vous l'avez tous vue faire rouler ses œufs : alors, les serpents croient qu'ils sont vivants et les avalent. »

Les autres inclinèrent la tête, mais sans comprendre. Farrell poursuivit :

« Prenons quelqu'un qui aurait volé un diamant. Il sait qu'il va être fouillé dans quelques instants. Il faut qu'il cache le diamant dans un endroit où personne ne le cherchera mais où lui, plus tard, pourra aller le récupérer. Il constate que la roulotte où se trouve Belle n'est pas gardée. Il pense aux serpents. Il dérobe des œufs durs à la cuisine en profitant de la confusion générale et... »

Farrell regarda Jerry :« A toi d'achever, mon garçon, puisque c'est toi qui as trouvé le

pot aux rosés.- Je pense, reprit Jerry, que les voleurs ont creusé un trou

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dans un œuf dur et qu'ils y ont introduit le diamant après l'avoir extrait de sa monture. Puis, ils ont donné l'œuf à Belle qu'ils avaient choisie parce qu'elle avait exactement la taille qu'il fallait pour entrer dans la cachette qu'ils avaient en tête.

- Je veux bien être pendu, dit Frank Mason, si j'ai jamais entendu parler d'une histoire pareille. Cacher un diamant dans un serpent! Mais ton raisonnement a l'air logique.

- Bien sûr, ajouta Farrell. Et plus tard, il a fallu qu'ils volent le serpent sans exciter de soupçons. Alors, ils ont dérobé les autres objets pour nous brouiller les idées. Maintenant, Jerry, il te reste à nous dire où est dissimulée Belle. »

Jerry lui prit des mains la perche d'aluminium dont Ahmed et Abdullah, les acrobates égyptiens, se servaient pour leur numéro. « Cette perche a deux mètres de long et dix centimètres d'épaisseur, dit-il. Belle a 177 centimètres de long et 9 de diamètre. Ne trouvez-vous pas que cette perche est bien lourde et mal équilibrée, pour un tube d'aluminium? Le bruit qu'elle faisait en tombant et le message de M. Coco m'ont mis sur la piste. A moins que je ne me trompe, nous trouverons donc... » Avec un effort il arracha l'embout de caoutchouc et souleva la perche. Alors tout le monde put voir le serpent disparu glisser lentement hors du tube et retomber sans vie sur le sol.

Ahmed et Abdullah bondirent vers la porte. Mais Grosso-modo n'avait nulle intention de les laisser passer et ils furent rapidement réduits à l'impuissance. Mason ramassa le serpent.

« Pauvre Belle! fit-il. La voilà morte. Asphyxiée, je suppose. Il est vrai qu'elle n'en avait plus pour longtemps à vivre, de toute façon. Nous ferons cadeau d'un autre serpent à Mme Winifred. Et nous n'aurons pas de difficulté à vérifier ton hypothèse, Jerry.

- Si vous ne vous êtes pas trompé, jeune homme, dit Parker d'un ton important, je compte vous donner une part de la récompense que je vais toucher pour avoir retrouvé le diamant. Vous aurez dix pour cent.

- Vous moquez-vous de nous? cria Farrell. C'est Jerry qui a résolu l'énigme. S'il y a récompense, elle est pour lui tout entière! »

II se tourna vers Jerry et lui tendit sa large main.

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« Ça t'aidera à finir tes études, lui dit-il. En attendant, tu es le bienvenu parmi nous. Tu n'es plus un bleu, mon garçon, mais notre camarade. Désormais, tu fais partie du cirque Clanton ! »

II broya la paume de Jerry dans la sienne et Jerry n'aurait pu souhaiter de plus belle récompense.

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ALFRED HITCHCOCK : J'aime bien avoir le dernier mot. C'est pourquoi, avant de ranger le Mystère des cinq larcins au nombre des affaires classées, je vous dirai que Jerry ne s'était pas trompé : l'autopsie révéla que le système digestif de la malheureuse Belle contenait effectivement le diamant disparu. Les serpents, voyez-vous, digèrent très lentement...

On apprit qu'Ahmed et Abdullah étaient, en réalité, des voleurs professionnels qui opéraient dans toute l'Europe. Pendant la saison d'été, ils jouaient les acrobates Égyptiens dans des cirques pour se donner une couverture et, en hiver, pratiquaient leur véritable métier.

Si vous me demandez pourquoi ils n'ont pas repris le diamant aussitôt après avoir enlevé Belle, je vous répondrai que, de toute évidence, ils ne voulaient pas que l'on pût retrouver Belle avec une incision dans l'estomac, car alors on aurait pu deviner tout le stratagème. Ils étaient obligés de quitter le cirque en emportant Belle et sans avoir éveillé de soupçons.

Maintenant, le fameux bruit sourd. Eh bien, Jerry a vu Ahmed et Abdullah échouer deux fois dans leur numéro. Il a pensé tout d'abord que c'était par nervosité, mais à chaque fois, il a eu une impression d'étrange té. Tout à coup, après le deuxième échec, il constate que la perche, en tombant, rend un son sourd au lieu de la vibration métallique normale! Il y avait donc à l'intérieur quelque chose de mou qui étouffait le son et déséquilibrait par la même occasion la perche, si bien qu'Ahmed cl Abdullah ne pouvaient plus faire leur numéro.

Le reste, je crois, est évident. Plus de questions?Ah! si. Fortunata, M. Coco et leur prédiction? Jerry n'apprit

jamais w la vieille bohémienne en savait plus qu'elle ne voulait l'admettre. Il pensa que, en réalité, elle avait tout compris, mais que les traditions

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de sa race lui interdisaient de dénoncer qui que ce fût. C'est pourquoi elle avait me d'un procédé détourné pour mettre Jerry sur la bonne piste. Car enfin, lorsque vous pensez à un serpent enroulé dans une malle, une valise ou une grosse caisse, l'idée ne vous vient pas qu'il pourrait aussi bien être allongé et caché dans une tige crème.

Maintenant, en voilà assez. Passons, si vous le voulez bien, à l'affaire suivante.

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LE MYSTERE DES SEPT PENDULES

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ALFRED HITCHCOCK : Le saviez-vous? Le temps est élastique. Quelquefois, vous le voyez ramper à la vitesse d'un escargot allant chez son dentiste. Quelquefois, il fonce comme un satellite sur l'orbite. Il lui arrive aussi de marcher à reculons.

Ci-dessous, par exemple...Détectives, à vos indices.'Nous allons résoudre ensemble.

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LE MYSTERE DES, SEPT PENDULES

IL ÉTAIT six heures et demie du soir. M. Peter Perkins, journaliste spécialisé dans les devinettes, cryptogrammes et jeux d'esprit divers de L'Étoile du Dimanche, se rendait chez l'horloger Fritz Sandoz. Fritz, un vieux petit bonhomme d'origine suisse, réparait miraculeusement montres, horloges et pendules. Peter et lui étaient liés d'amitié depuis des années.

Le journaliste descendit l'allée qui menait chez l'horloger cl poussa la porte de derrière.

Il ne frappa pas, car Fritz était sourd. Muet aussi d'ailleurs, .1 la suite d'un accident qui lui était arrivé dans sa jeunesse. Mais il avait équipé sa porte d'une serrure spéciale. Elle s'ouvrait si vous tourniez la poignée trois fois à droite, quatre fois à gauche et deux fois à droite. Peter connaissait la combinaison. H entra dans une pièce obscure et appela très fort : « Fritz? Fritz?... »

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Une voix rugit, tout près de son oreille :« Je te tiens ! »D'énormes mains agrippèrent M. Perkins et l'entraînèrent dans

l'arrière-boutique brillamment éclairée.« J'ai capturé l'assassin, prononça une voix de basse. Il revenait

sur les lieux du crime. »Peter Perkins battit des paupières pour accommoder ses yeux.Devant lui se tenait l'inspecteur Grull, de la police locale. Plus

loin, deux hommes se penchaient vers un objet étendu sur le sol, au pied d'une grande horloge de campagne qui faisait partie de la collection de Fritz Sandoz.

Avec un mouvement d'horreur, Peter Perkins comprit ce que regardaient ces hommes : ce n'était pas un objet mais le corps de son vieil ami, le merveilleux petit réparateur de pendules, Fritz.

Le regard de Peter revint se fixer sur la face de bouledogue de l'inspecteur Grull qui le considérait sans aménité.

« Lâche-le, Snider, commanda Grull, c'est Peter Perkins, l'homme aux devinettes. Un empoisonneur public, mais pas un assassin.

- Mais il est entré par la porte de derrière, protesta le policier qui tenait Perkins. Et vous aviez dit, inspecteur, que je devais capturer le criminel qui reviendrait sûrement sur les lieux du ...

- Ça va, dit brutalement Grull. File aider les autres. Quant à vous, Perkins — il fixait sur le journaliste un regard d'acier -pourquoi vous introduisiez-vous subrepticement ici?

- Je ne m'introduisais pas subrepticement, répondit le journaliste avec dignité. Je venais voir mon ami Fritz. Nous devions inventer des énigmes ensemble.

- Inventer des énigmes? répéta Grull en fronçant les sourcils.- Oui, Fritz était très fort. Il appartenait, comme moi, à la

Société nationale des amateurs de devinettes.Très bien, fit Grull. Mais, dans le cas présent, il ne s'agit pas de

devinettes. Il s'agit d'un assassinat. Et, cette fois, vous ne viendrez pas mettre votre nez dedans. Compris? »

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Grull faisait allusion à quelques affaires pour lesquelles Perkins lui avait fait des suggestions. Certaines de ces suggestions s'étaient révélées excellentes, ce qui n'avait servi qu'à rendre Grull plus hargneux.

« Qui l'a tué? demanda Peter. Qui a tué Fritz? »Il essayait d'empêcher sa voix de trembler mais n'y parvenait pas

tout à fait.« Je suis là pour l'apprendre, répliqua Grull. C'est arrivé la nuit

passée. Sandoz était ici, en train de remonter ses pendules. Donc il devait être minuit, heure à laquelle il avait l'habitude de le faire. »

Peter inclina la tête : c'était exact.« Quelqu'un est entré, grâce à une double clef, je suppose,

puisque la porte n'a pas été forcée. Fritz, qui était sourd, n'a rien entendu. L'assassin s'est glissé derrière lui et l'a frappé à la tête. Voilà ce que nous savons. C'est là-dessus que nous allons nous fonder pour capturer l'assassin.

- C'est sûrement quelqu'un qui le connaissait, dit Peter. Quelqu'un qui savait que Fritz n'avait pas confiance dans les banques et conservait tout son argent dans le tiroir secret de son bureau. Il n'avait pas d'ennemis : donc il a sûrement été tué pour son argent?

— Belle déduction! Nous l'avons faites avant vous, grogna Grull. D'autant plus que les tiroirs du bureau ont été forcés. Mais essayez donc de vous mettre dans la tête que nous n'avons aucun besoin de nous faire aider par des amateurs farfelus dans votre genre! Prenez la porte et... Non. Allez donc plutôt vous asseoir dans le bureau pour le cas où j'aurais des questions à vous poser. Ne touchez à rien. »

Des questions, Perkins aurait aimé en poser lui-même. Mais il connaissait le caractère de Grull. Il passa donc en silence dans le petit atelier qui donnait dans l'arrière-boutique.

C'était une petite pièce encombrée de pendules. On y voyait .inssi un tabouret, un fauteuil et-le bureau qui servait d'établi, ci dont les tiroirs, comme le disait Grull, avaient été forcés. I ,r magasin lui-même où Fritz vendait ses horloges se trouvait MU le devant de la maison, au bout d'un couloir.

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Peter Perkins déposa son chapeau sur le bureau et s'assit dans le fauteuil en se plaçant de façon à voir ce qui se passait dans l'arrière-boutique : là se trouvait l'étonnante collection de vieilles pendules que Fritz avait patiemment rassemblées.

Le premier sentiment de Perkins avait été tout de stupéfaction et de douleur. Le deuxième fut une exigence de justice : le coupable devait expier son crime. Grull ne s'était pas montré amical, mais il était tout de même un policier consciencieux, encore qu'il détestât les amateurs. Si Perkins avait des suggestions sérieuses à faire, Grull l'écouterait.

Des indices, il fallait d'abord en chercher dans l'atelier où Perkins se trouvait. L'assassin y avait passé quelques minutes, pour forcer les tiroirs qui contenaient l'argent, cet argent que Peter avait tant de fois supplié Fritz de mettre à la banque.

Assis sans bouger, Peter commença à passer la pièce en revue. Il examina les étagères sur lesquelles se trouvaient les pendules déjà réparées. Il détailla le tableau hérissé de petits crochets auxquels pendaient toutes sortes de montres. Il regarda l'établi du pauvre Fritz. Les outils étaient disposés dessus. On y voyait aussi une pendule électrique à laquelle l'horloger avait été en train de travailler. Or, Fritz était un homme très soigneux. Il rangeait toujours son ouvrage quand il l'avait terminé. De toute évidence, il avait été interrompu en plein travail.

Le regard de Peter allait se déplacer plus loin, mais la sensation d'une certaine bizarrerie le ramena sur la pendule. Qu'avait-elle de curieux, cette pendule? Rien, et pourtant...

Tout à coup Peter comprit.La pendule marchait à l'envers !Les yeux fixés sur les deux aiguilles qui remontaient le temps

dans leur rotation à rebours, Peter Perkins sentit un frisson particulier. C'était... c'était tellement contre nature! Une pendule marchant à l'envers dans le magasin de Fritz Sandoz qui avait mis toute sa fierté à rendre les pendules ponctuelles et fidèles !

Le phénomène était si étrange que Peter Perkins sentit qu'il signifiait nécessairement quelque chose.

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Tout à coup, Peter comprit.

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Oui, mais quoi?

--------------------------------------------------------------------------------------ALFRED HITCHCOCK : Question judicieuse. Je .peux vous le

dire en confidence, cette pendule qui marche à l'envers signifie quelque chose d'important. Peut-être avez-vous déjà déduit tout ce qu'on peut déduire d'une pendule qui marche vers hier et non pas vers demain?

Dans le cas contraire, n'oubliez pas d'y réfléchir.--------------------------------------------------------------------------------------

Peter Perkins suivit des yeux l'aiguille des minutes. Puis il tira de sa poche un bloc-notes et un crayon. Il griffonna deux petits dessins en donnant un titre à chacun :

Puis il se leva et s'approcha de l'établi. Il se pencha pour examiner la pendule en détail. Elle était très vieille, probablement l'une des premières pendules électriques jamais faites. L’étiquette portait le nom de Mme Murphy, ce qui expliquait pas mal de choses. Mme Murphy était une voisine de Fritz et lui .importait souvent du bouillon chaud ou d'autres mets qu'elle avait préparés elle-même. Pour elle, Fritz pouvait accepter de réparer une pendule électrique : il ne l'aurait fait pour personne d'autre, car il les détestait : il n'aimait que la bonne vieille mécanique pleine de ressorts et d'engrenages.

Un tournevis avait été posé à côté de la pendule. On aurait <iii que Fritz lui-même venait de le mettre là. Peter se sentit convaincu que Fritz était en train de régler cette pendule-ci précisément, au moment où il avait été interrompu. Tout à coup, il lève les yeux et voit l'intrus, peut-être un pistolet à la main.

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Et il met le mécanisme en marche. Mais à l'envers. Pourquoi? Sous l'effet de la surprise? Ou de propos délibéré? Fritz Sandoz connaissait l'horlogerie à fond, il savait tout ce qu'on peut faire avec une pendule, il...

« Perkins! »Le journaliste sursauta. L'inspecteur Grull rugissait dans son

oreille :« Perkins, je vous avais dit de ne rien toucher!...— Je n'ai rien touché du tout, répondit Péter. Mais regardez :

avez-vous vu cette pendule qui marche à l'envers? »Grull jeta un coup d'œil à la machine folle.« Et alors? fit-il. Elle est détraquée et Fritz devait la réparer.

Allez attendre dans l'autre pièce. Les spécialistes des empreintes digitales vont travailler ici. »

Peter ne discuta pas. Il réintégra la vaste arrière-boutique qui contenait la collection de Sandoz ou, comme disait l'horloger lui-même, « sa famille ». Le journaliste s'installa dans un coin, pour ne gêner personne.

La pièce bourdonnait d'activité. L'équipe technique était arrivée. Un photographe prenait des clichés de la pièce et du malheureux Fritz, étendu au pied de la grande horloge de campagne, à l'endroit où il avait été abattu. On recouvrit l'horloger d'un drap et on l'emporta. Les spécialistes des empreintes s'affairaient. Peter était sûr qu'ils ne trouveraient rien. L'inspecteur Grull donnait des ordres. D'autres inspecteurs et des agents en uniforme entraient et sortaient. Au moins, ils se donnaient beaucoup de mal.

Peter Perkins était abîmé dans ses pensées lorsque l'une des horloges fit entendre son carillon argentin. Peter attendit les autres. Fritz les 'réglait toujours si parfaitement que tous les carillons sonnaient en même temps.

Chose étrange, ils ne sonnèrent pas. Peter chercha celui qu'il avait entendu et, soudain, retint son souffle...

Plusieurs parmi les merveilleuses horloges de Fritz Sandoz ne donnaient pas l'heure juste. Et, qui plus est, elles ne donnaient pas toutes la même heure fausse !

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C'était simplement incroyable. Aussi incroyable que la pendule qui marchait à rebours. Une soudaine émotion s'empara de Peter. Les horloges qui indiquaient une heure fausse n'indiquaient-elles pas autre chose en même temps? Leurs erreurs ne composaient-elles pas un message?

De plus en plus séduit par.son hypothèse, il examina les horloges de plus près. Il y en avait de toutes sortes dans la pièce. Celles qui lui faisaient face étaient toutes de hautes horloges rustiques. A la dernière de la rangée Fritz avait donné le surnom de « Monsieur le Temps » à cause de sa taille et de sa vétusté. C'était à son pied que l'horloger se trouvait étendu lorsque Peter était entré dans la pièce.

Les trois premières horloges de la rangée donnaient l'heure juste. Puis venaient les horloges déréglées. Puis, de nouveau, deux horloges exactes.

Peter tira encore une fois son bloc-notes et son crayon et dessina rapidement ce qui suit :

Le journaliste regarda longuement son dessin, puis il le remit dans sa poche. Les horloges déréglées signifiaient quelque chose, mais quoi? Il n'en savait rien.

" Il se rejeta en arrière sur sa chaise, concentrant ses pensées. Tout en dessinant, il s'était aperçu que toutes les horloges de

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la pièce étaient arrêtées, à l'exception des douze horloges de campagne. Cela voulait dire que Fritz Sandoz n'avait pas eu le temps de les remonter la veille; elles étaient arrivées à bout de ressort.

Perkins essaya de reconstituer les événements.Fritz ferme sa boutique à six heures, comme d'habitude. Il se

prépare un petit souper dans son logement et, vers sept heures, il s'installe dans son atelier, comptant y rester jusqu'à minuit, à moins qu'un ami comme Peter ne vienne lui rendre visite.

Minuit approche. Fritz commence à remonter les horloges, arrive au pied de « Monsieur le Temps » et tombe abattu par l'assassin qui s'est introduit dans le magasin. En d'autres termes, Fritz avait été tué à minuit.

A la vérité, Peter Perkins ne croyait pas que les choses s'étaient passées ainsi.

Il était sûr que Fritz avait été en train de travailler dans son atelier quand l'inconnu était entré par surprise. Probablement le voleur avait-il un pistolet. Il avait menacé Fritz. Fritz avait mis la pendule électrique en marche, à rebours. Puis l'inconnu avait forcé Fritz à remonter une partie des horloges pour que la police crût que l'assassinat avait eu lieu à minuit. Fritz, qui connaissait l'homme et qui savait sa propre vie en danger, avait délibérément déplacé les aiguilles de certaines horloges, tout en les remontant. Il l'avait fait dans un effort désespéré pour laisser un message que quelqu'un pourrait lire. Puis le voleur l'avait abattu, avait cambriolé le bureau et était sorti par la porte de derrière sans être vu.

Aucun doute là-dessus : l'assassin s'était procuré un excellent alibi pour minuit. Mais si cette hypothèse était exacte, comment découvrirait-on jamais à quelle heure véritablement le malheureux Fritz avait été tué ?

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ALFRED HITCHCOCK : Je voudrais vous faire une petite suggestion. En admettant que la théorie de Peter soit vraie — et j'avoue qu'elle m'inspire confiance — la pendule électrique s'est mise à marcher dans le sens contraire très peu de temps avant l'assassinat. Mais êtes-vous

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capable de lire l'heure juste sur une pendule qui marche à reculons? Plus précisément, comment pouvez-vous déterminer l'heure où elle s'est mise à marcher à reculons ?

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Après avoir mûrement réfléchi, Peter Perkins parvint à se faire une idée très claire de la tactique de l'assassin, qui avait laissé de faux indices pour induire les enquêteurs en erreur. I Maintenant, il fallait convaincre l'inspecteur Grull...

Mais l'inspecteur Grull n'avait pas la moindre intention d'écouter les théories d'amateur. Quelques heures plus tard, lorsque l'activité fébrile du début de l'enquête se fut un peu apaisée, il sortit de l'atelier et se laissa tomber dans un fauteuil, à côté de Perkins.

« Nous trouverons l'assassin, dit-il sombrement. Voici 1 comment d'après moi, les choses se sont passées...

Inspecteur..., commença Peter.

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— Ne m'interrompez pas, Perkins! rugit Grull. Avez-vous seulement compris que vous êtes notre suspect n° 1 ?

— Moi? s'écria le journaliste avec indignation.— Oui, vous. Mais comme je n'arrive pas à m'imaginer que vous

puissiez tuer quelqu'un, je cherche ailleurs. Et pourtant! Le voleur était un familier de Fritz, connaissait ses habitudes et l'existence de cet argent. Il venait ici assez souvent pour pouvoir relever une empreinte de la clef d'entrée et s'en faire faire un double. Cela ne me plaît guère, mais il est clair que l'assassin est quelqu'un qui habite et travaille dans le voisinage immédiat.

— Je suis de votre avis, dit Peter.— Bien. Or Fritz a été tué hier, à minuit, nous le savons

puisqu'il remontait justement ses hor...— Monsieur l'inspecteur, recommença Peter, je voulais

justement...— Je vous ai dit de ne pas m'interrompre! tonna Grull. Fritz a été

tué à minuit, hier. Ce matin, Mme Murphy a remarqué qu'il n'ouvrait pas son magasin. Le croyant malade, elle lui a apporté du potage, ce soir. Comme il ne venait pas ouvrir, elle nous a appelés au téléphone. Voilà comment nous avons découvert l'assassinat. Remarquez que mes hommes n'ont pas chômé. Je me suis procuré une liste de cinq individus demeurant dans ce pâté de maisons, connaissant Fritz de longue date et ayant des ennuis d'argent. Je suis à peu près sûr que l'un d'eux est le coupable. »

Grull montra à Perkins une liste écrite au crayon, que l'autre se hâta de graver dans sa mémoire. Les noms suivants y figuraient :

Jack Harrison, peintre, Thomas Fentriss, bijoutier, Bill Lawden, épicier, Joseph Finchly, coiffeur, Bob Rogers, serrurier.

« D'après moi, reprit Bill, ce serait ou bien Rogers, qui a monté une nouvelle serrure le mois dernier et aurait très bien

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pu conserver une clef de rechange, ou Lawden, l'épicier, qui fait des livraisons ici plusieurs fois par semaine. Mais les autres viennent souvent aussi et auraient pu se procurer une empreinte de la serrure. Harrison a repeint le magasin il y a trois mois. Finchly était le coiffeur de Fritz et ils avaient donc l'occasion de bavarder. Fentriss faisait faire par Fritz des réparations trop difficiles pour lui. N'importe lequel des cinq peut avoir tué Sandoz. Pour lui c'étaient des amis, fit remarquer Peter, mal à l'aise.

— Quand il s'agit de gros sous, adieu l'amitié! dit Grull. Ils ont tous besoin d'argent, pour diverses raisons. Je vais les interroger moi-même et celui qui n'aura pas d'alibi pour minuit sera notre homme.

— Écoutez, Grull, essaya Perkins encore une fois, ne voyez-vous pas que l'assassin...

— Perkins, occupez-vous de vos devinettes et laissez les meurtres aux experts, conseilla Grull. Maintenant, rentrez chez vous. »

M. Perkins prit son chapeau et sortit, l'esprit préoccupé. Si seulement Grull voulait l'écouter! Mais non : inutile de lui expliquer que l'assassin voulait faire accroire à la police que l'assassinat avait été commis à minuit, alors qu'en réalité il avait été commis bien avant. Grull ne ferait que grogner de mépris si Peter commençait à lui parler de pendules tournant à rebours et d'horloges déréglées. Si Peter pouvait déchiffrer le message... Hélas! il ne le pouvait pas. Pas encore.

Peter rentra dans son petit appartement et, avant de se coucher, passa une heure à étudier les dessins qu'il avait rapportés. Aucune inspiration ne lui vint.

Il dormit mal parce que son esprit restait préoccupé. Pourtant Peter Perkins était très fort pour deviner les énigmes, mais celle-ci...

Celle-ci concernait un assassin véritable, ce qui changeait tout...

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ALFRED HITCHCOCK : Hum! hum! Je me demande si vous avez saisi au vol le très important indice qui se trouve dans les pages

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que vous venez de lire. Peut-être l'avez-vous manqué ? Tiens, tiens! Il va falloir que vous donniez votre démission de détective.

Enfin, ne soyez pas trop contrit. Peter Perkins n'a rien remarqué non plus.

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Le lendemain, dans son petit bureau de journaliste, Peter se montra fort distrait. Il lut à peine les devinettes et les histoires drôles que lui envoyaient ses lecteurs pour qu'il les publiât. Vers midi, il téléphona à l'inspecteur Grull.

« Pardonnez-moi, inspecteur. Je voudrais savoir si vos cinq suspects vous ont appris quelque chose.

— Non, répondit Grull d'un ton maussade. Ils ont tous un alibi pour minuit. Et même à partir de dix heures. Je ne suis pas arrivé à en faire se couper un seul.

— C'est que, commença Peter, voyez-vous, je pense que...— Perkins, je suis occupé! » répliqua Grull en raccrochant.Perkins raccrocha aussi, le cœur lourd. Si seulement il pouvait

bavarder de cette affaire avec quelqu'un! Avec un autre fervent d'énigmes, qui lui fournirait un point de vue tout neuf... Lui, Perkins, se sentait trop près de toute cette histoire, trop directement touché.

Distraitement, il ouvrit une lettre et la parcourut.Elle contenait un cryptogramme, d'ailleurs excellent. Et elle était

signé Daniel Grull junior.Peter sursauta.Daniel Grull junior! C'était sûrement le fils de l'inspecteur Grull.

Et un amateur d'énigmes par surcroît!Le journaliste nota l'adresse, saisit son chapeau et sortit du bureau

en courant. Un taxi l'emmena chez l'inspecteur en dix minutes.Dans le jardinet qui s'étendait devant la maison, un jeune garçon

élancé et bien bâti ratissait les feuilles mortes.Peter monta vivement l'allée.« Daniel Grull? demanda-1-il.— Bonjour, monsieur Perkins, répondit le garçon. Votre photo

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Page 65: Alfred Hitchcock 01 Quatre mystères 1963

dans le journal est très ressemblante : vous voyez, je vous ai reconnu. Avez-vous reçu mon cryptogramme?

— Oui, et je compte le publier, dit Peter. Mais je viens vous voir pour quelque chose de beaucoup plus important. »

En quelques mots, il raconta à Daniel l'histoire de Fritz Sandoz et des horloges déréglées.

« Vous voyez, acheva-t-il, je suis sûr qu'il a essayé de nous laisser un message en déplaçant les aiguilles de ces horloges. »

Le garçon acquiesça de la tête.Regardez donc ce croquis, dit Perkins. Il y a sûrement un

code quelconque. Fritz était très fort pour les codes et il pensait probablement que je serais capable, moi, de lire celui-ci. Mais il y a trop peu de chiffres pour qu'on puisse décoder. Peut-être allez-vous remarquer un détail que j'ai laissé passer... »

Le garçon fronça les sourcils.« Sûr que c'est un code », murmura-t-il.Tout préoccupé, il s'assit sur le perron et Peter l'imita. Ils

examinèrent ensemble le croquis représentant les mystérieuses horloges. Enfin Daniel leva les yeux.

« Savez-vous, dit-il, ces aiguilles me font penser aux signaux de sémaphore. Cela doit être une idée baroque, mais...

— Pas du tout! s'écria Peter en lui saisissant le bras. Le sémaphore, bien sûr! Fritz, dans sa jeunesse, a été militaire en Suisse, dans un régiment de transmissions. Le sémaphore, il connaissait sûrement cela! Mais moi, je ne le connais pas. Je n'ai étudié que les codes secrets.

— Monsieur Perkins, je dois me tromper, répondit Daniel Grull. Je suis scout, je connais le sémaphore et la position de ces

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aiguilles ne signifie rien pour moi. Quelques lettres au hasard et quelques figures qui ne sont même pas des lettres.

— Évidemment, Daniel! » Les yeux de Peter Perkins brillaient d'émotion. « Les aiguilles n'indiquent plus l'heure qu'elles indiquaient au inoment où Fritz les a mises en place. Elles ont avancé. Pour lire son message, il faudrait que nous sachions quand les aiguilles ont été réglées et que nous calculions leur position initiale.

— Alors, cela doit être impossible, soupira le garçon. M. Sandoz a eu une bonne idée, mais il n'a pas pensé que son message serait sérieusement difficile à lire.

— Mais si, Daniel, il y a pensé! cria Perkins. C'est pour cela qu'il a mis en marche l'horloge électrique à rebours. Dites-moi : que vous indique une horloge arrêtée?

— Oh! C'est facile, monsieur Perkins. Elle m'indique l'heure juste deux fois toutes les vingt-quatre heures.

— Et une horloge qui marche à reculons, avec une régularité, une précision parfaites, mais toujours vers le passé, que vous donne-t-elle?

— Je n'en sais rien, dit Daniel en ouvrant de grands yeux. Est-ce qu'il y a des horloges qui marchent à l'envers?

— Les plus anciennes pendules électriques, oui. Elles avaient des moteurs si rudimentaires qu'on pouvait les faire tourner dans un sens ou dans l'autre. Maintenant, regardez ceci. »

Peter montra au garçon le premier croquis qu'il avait fait ce soir-là.

« Ainsi donc, au moment où la pendule inversée marquait 12 h 10, il était en réalité 6 h 40.

— Et si la pendule inversée indiquait l'heure juste quand

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elle a commencé à tourner en sens inverse, ajouta Peter, à chaque minute qui passe, il y a deux minutes de plus de différence entre l'heure qu'elle indique et l'heure juste.

— Hum ! oui, acquiesça le garçon qui réfléchissait. Mais les deux pendules avancent vers un point où elles vont se rencontrer, qui correspondra à une heure juste, et où elles passeront deux fois toutes les vingt-quatre heures si on compte deux minutes pour une.

— Autrement dit, si nous continuons à faire tourner en arrière les aiguilles de la pendule inversée et en avant celles de la pendule qui marche dans le bon sens, le point où elles indiqueront la même heure correspondra au moment où la pendule inversée a démarré ou, en d'autres termes, l'heure approximative de l'assassinat de Fritz! s'écria Peter. Non, attendez une minute.

— Quelque chose qui ne colle pas, monsieur Perkins? demanda Daniel.

— Nous avons fait une erreur, gémit Perkins. Puisqu'une pendule avance et l'autre recule, les aiguilles indiqueront la même heure toutes les six heures, soit quatre fois par jour. Deux de

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ces moments correspondront à la position des aiguilles telle qu'elle était à l'instant où la pendule inversée s'est mise en marche ; les deux autres moments comporteront un écart de six heures.

- Alors, soupira Daniel, nous n'y arriverons jamais. »Peter Perkins réfléchit longuement, le visage contracté. Puis ses

traits se détendirent graduellement.« Je crois que j'y suis, fit-il. Tous les suspects ont un alibi après

dix heures du soir et nous sommes sûrs que le crime ne peut avoir été commis qu'après six heures du soir puisque c'est l'heure où Fritz a fermé boutique. Cela signifie que le crime se situe entre six et dix heures. D'accord?

- D'accord, monsieur Perkins.- Alors calculons quand viendra le moment où les aiguilles des

deux pendules indiqueront la même heure — à condition qu'elles tournent encore, bien entendu. Si c'est une heure entre six et dix, nous saurons que c'est celle que nous cherchons. Si c'est une heure entre dix et six, nous décalons de six heures et nous retombons sur nos pieds.

- C'est cela, fit Daniel après un moment. Il faut bien calculer avant de comprendre, mais je crois que je vois. Ce serait plus facile si nous avions deux pendules et que nous fassions tourner les aiguilles pour de vrai. Voulez-vous que nous prenions nos deux montres? Nous pourrions les mettre d'abord à l'heure portée sur votre croquis et puis faire tourner vos aiguilles dans le bons sens, les miennes dans le sens contraire jusqu'à ce que...

- Ce serait possible, interrompit Peter. Mais cela ira encore plus vite si nous faisons un peu de calcul mental. La pendule inversée recule à partir de 12 h 10. La pendule juste avance à partir de 6 h 40. La différence entre elles est de... laissez-moi compter... cinq heures trente minutes. Soit trois cent trente minutes. Elles se rencontreront - c'est-à-dire qu'elles indiqueront la même heure — dans précisément deux fois moins de minutes. Trois cent trente divisé par deux fait cent soixante-cinq, soit deux heures quarante-cinq minutes. Ajoutons deux heures quarante-cinq minutes à 6 h 40 et nous obtiendrons... un instant...

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nous obtiendrons 9 h 25. Ou bien retranchons deux heures quarante-cinq minutes de 12 h 10 et nous obtiendrons... je ne me trompe pas?... oui, nous obtenons également 9 h 25. En d'autres termes, les deux pendules indiqueront la même heure à 9 h 25, moment qui s'insère parfaitement dans la période que nous avions délimitée entre 6 et 10. Par conséquent...

- Par conséquent, s'écria le garçon, M. Sandoz a mis la pendule en marche à reculons à 9 h 25, le soir où on l'a tué!

- Exactement. A cette heure-là, les deux pendules se présentaient comme ceci. »

Moment où l'assassin apparut.Moment où la pendule inversée se met en marche à rebours.« Maintenant, reprit M. Perkins, nous savons à quel moment Fritz

a déplacé les aiguilles des horloges. Admettons que cinq minutes se soient écoulées entre ce moment-là et celui où l'assassin fait son apparition. Il devait clone être neuf heures et demie quand Fritz a commencé à remonter ses horloges et à écrire un message avec leurs aiguilles.

- Et il était 6 h 45 quand vous les avez vues et dessinées, enchaîna Daniel. On le voit sur votre deuxième croquis1. La différence entre 9 h 30 et 6 h 45 est de deux heures quarante-cinq. Nous n'avons plus qu'à ajouter deux heures quarante-cinq minutes aux heures indiquées par chaque horloge et nous aurons les positions indiquées par M. Sandoz quelques instants avant qu'il ne fût tué.

- Ce qui nous prendra deux secondes... »Cela leur en prit plus que cela. Mais, au bout de quelque temps,

ils eurent sous les yeux un nouveau croquis fait par Peter :

1. Voir page [50].

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QUATRE MYSTERES

Comment Sandoz avait disposé les aiguilles.

Sous chaque horloge, M. Perkins ajouta une petite silhouette faisant des signaux, conformément à la position des aiguilles.

« Voilà. Cela signifie-t-il quelque chose?Et comment, monsieur Perkins! En code sémaphore, cela veut

dire... »

Sous chaque silhouette, Daniel traça une lettre au crayon.Le journaliste écarquilla les yeux et avala sa salive avec quelque

difficulté.« Daniel, déclara-t-il, vous venez d'écrire le nom de l'un des

suspects qui figurent sur la liste de votre père. Vous avez résolu l'énigme. Mais maintenant, il va falloir que, vous et moi, nous persuadions votre père que nous avons raison et qu'il doit tenter une méthode très peu orthodoxe pour contraindre l'assassin à avouer. Car, voyez-vous, nous ne ferons jamais admettre à un tribunal que le merveilleux message du malheureux Fritz soit un témoignage légalement valable. »

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ALFRED HITCHCOCK : Ne boudez pas, je vous en prie. Nous ne vous avons pas oublié. Si nous avons omis le nom même de l'assassin, c'est pour vous donner le plaisir de le découvrir par vos propres moyens. Je ne doute pas que la question des horloges ne soit pour vous claire comme

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de l'eau de roche. Pour ma part, il m'a suffi de quatre explications pour la comprendre.

Ah! Vous affirmez que vous ne connaissez pas la signalisation par sémaphore.. Je déplore qu'un aspect important de votre éducation ait été aussi lamentablement négligé. Mais ce n'est pas une raison pour vous abriter derrière votre ignorance.

Il y a encore un indice que Peter Perkins n'a toujours pas remarqué et qui ne requiert aucune connaissance spéciale dans l'utilisation. Si vous voulez vous entraîner à la détection, relisez donc ce récit depuis le début.

Ou alors, si vous préférez la facilité, lisez ce qui suit : vous y trouverez la conclusion de notre petit imbroglio.

--------------------------------------------------------------------------------------CONCLUSION

Une étrange réunion se tint, ce soir-là, dans l'arrière-boutique de Fritz Sandoz. L'inspecteur Grull était accompagné d'une demi-douzaine de policiers. Les cinq suspects étaient là : Jack Harrison, Bill Lawden,

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Joseph Finchly, Bob Rogers et Thomas Ftn-triss. A l'arrière-plan, tout surexcité, se tenait Daniel Grull. Enfin il y avait Peter Perkins.

Mais Peter était méconnaissable. Il portait une longue robe blanche, un énorme turban et une fausse barbe des plus réalistes : il avait loué le tout chez un costumier.

C'était lui qui avait eu l'idée de cette réunion. D'abord Daniel avait persuadé son père de prêter attention à leurs calculs. Ensuite M. Perkins lui-même avait expliqué à l'inspecteur que tout en possédant le nom de l'assassin, ils ne disposaient d'aucune preuve. Après de longues discussions, Grull avait donné son accord.

Peter, sous son déguisement, était installé devant une petite table. Les suspects étaient assis en face de lui, en demi-cercle. Les policiers gardaient la porte.

« Écoutez-moi, vous autres, commença Grull d'un ton rogue. Vous avez tous été volontaires pour nous aider à trouver l'assassin de Fritz Sandoz, parce que vous étiez, tous les cinq, ses amis. Le prince Ali que nous avons parmi nous — il désignait le journaliste déguisé -- est un spirite. La nuit passée, il a reçu un message de Fritz. Le message lui disait que les horloges qu'il avait remontées le soir de son assassinat nous apprendraient le nom de l'assassin. Mais lorsque nous arrivâmes ici, toutes les horloges s'étaient arrêtées. »

C'était vrai. On n'entendait plus un seul tic-tac. La police n'avait pas remonté les horloges de Fritz.

« C'est pourquoi, poursuivit l'inspecteur, le prince Ali va essayer de reprendre contact avec l'esprit de Fritz Sandoz ce soir, pour apprendre de lui le nom du meurtrier. »

Il y eut quelques mouvements trahissant un certain malaise parmi le petit groupe de suspects, mais aucun d'entre eux ne protesta. L'assassin, Peter le savait, devait se rappeler qu'il avait vu Sandoz modifier la position des aiguilles. En ce moment, le coupable tremblait sûrement en se demandant ce que ce geste avait bien pu signifier.

« Maintenant, dit Grull, nous allons éteindre les lumières et passer au prince Ali la direction des opérations. »

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Peter Perkins ferma les yeux, comme s'il se concentrait. Tout à coup, toutes les lumières s'éteignirent et il fit noir comme dans un four. Pendant une bonne minute, Perkins ne dit rien. Puis, d'une voix sépulcrale :

« Fritz Sandoz, êtes-vous là? Votre esprit est-il présent? »On n'entendit rien que le souffle un peu rauque des autres

occupants de la pièce. L'un d'entre eux toussota nerveusement.« Fritz Sandoz, reprit Peter, de votre vivant vous étiez muet. Si

vous ne pouvez toujours pas parler, nous ne nous étonnerons pas. Révélez-nous votre présence d'une autre façon. Êtes-vous parmi nous?»

Très, très lentement, au-dessus de leurs têtes, le mot O-U-I apparut, faible lueur bleue inscrite dans l'air.

On entendit un halètement angoissé. Le mot disparut.« Votre assassin est-il parmi nous? » demanda Peter.De nouveau le mot O-U-I apparut dans les airs, luminescent et

bleu.Quelqu'un étouffa un cri.« Avez-vous été assassiné à minuit, il y a deux jours? »Cette fois les lettres N-O-N apparurent dans la nuit.« Avez-vous été assassiné à neuf heures et demie? »O... U... I...« Nous avez-vous laissé un message contenant le nom de

l'assassin, en modifiant la position des aiguilles des horloges lorsqu'il vous força à les remonter? »

O... U... I...L'un des assistants respirait trop vite, trop fort...« Les horloges se sont arrêtées. Donnez-nous son nom encore une

fois, par un autre procédé. »Une chaise craqua dans l'obscurité, comme si quelqu'un se

préparait à se lever.Pendant un bon moment rien ne se passa.Puis sur le verre de l'une des horloges de campagne, apparut la

luminescence bleue de la lettre F. Elle lut suivie d'un I, d'un N, d'un C, d'un H, d'un L cl d'un Y.

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Le nom tout entier luisait dans la nuit :F-I-N-C-H-L-Y.« Non! hurla une voix. Non, ce n'est pas moi! »On entendit des pas précipités, des cris.a Lumière! » rugit Grull.Les lampes s'allumèrent et tout le monde put voir Finchly, le

coiffeur, qui luttait avec un policier gardant la porte.« II était sur le point de me dénoncer, pleurnicha Finchly. Il avait

appris que j'organisais des jeux de hasard dans mon arrière-boutique et il allait me dénoncer.

- Ça va, ça va, dit Grull. Emmenez-le au commissariat. Je pense que notre petite séance de spiritisme est terminée. »

Quelques heures plus tard, l'inspecteur tapait fièrement sur l'épaule de son fils et faisait un grand sourire à Perkins.

« C'est dit : Daniel va faire des études de criminologie, déclara-t-il. Mais comment diable, Peter, l'idée vous est-elle venue de faire écrire ces mots sur des bouts de tissu tenus en l'air par mes hommes et de les faire éclairer par Daniel, avec une lampe ultra-violette?

- C'est tout simple, répondit Peter. C'est un truc qui se pratique dans les « trains fantômes » des fêtes foraines. De la peinture lumineuse éclairée à l'ultra-violet, c'est vraiment impressionnant. Or, je m'étais fait couper les cheveux par Finchly des dizaines de fois et je savais à quel point il était superstitieux. Savez-vous qu'il porte une patte de lapin sur lui et qu'il n'ouvre jamais son salon un vendredi treize?

« Aussi m'étais-je dit qu'avec un assassinat sur la conscience, il ne tiendrait pas devant notre petite séance.

- Et vous aviez raison! s'écria Grull. Peter, le jour où vous aurez une théorie, soumettez-la-moi : je vous écouterai. Oui, mon vieux, je vous écouterai! »

Et il administra dans le dos du journaliste une tape si cordiale que le turban du « prince Ali » en tomba à terre.

Mais Peter comprit que c'était un compliment.

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ALFRED HITCHCOCK : La prochaine fois que vous rencontrerez un fantôme, n'y prêtez pas attention. Ce ne sera probablement qu'un peu de peinture lumineuse oubliée en l'air...

S'il vous reste des doutes sur le fonctionnement de l'ingénieux message île Fritz Sandoz, procurez-vous quelques pendules autant que

possible, ne choisissez pas celles auxquelles vos parents tiennent le plus — et suivez les déductions de Peter Perkins et 'de Daniel Grull en faisant tourner les aiguilles, comme ils le suggéraient. Je pense que vous constaterez que tout marche parfaitement. Si par hasard, vous découvrez une erreur quelconque, ce sera la faute des correcteurs d'épreuves...

Ah! vous voulez que nous parlions de ce fameux indice que Peter n'avait pas vu. Vraiment, vous y tenez?... C'est si simple que je ne sais fuis si je dois... Enfin, il faut bien en passer par là.

Retournez en arrière et faites l'effort de remarquer que sept horloges, précisément sept, avaient été utilisées pour coder le message. Or nu seul suspect avait un nom de sept lettres. Rien de plus facile,

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par conséquent, que de trouver que c'était Finchly. Ce n'est pas votre avis ?

Évidemment, vous auriez pu ne pas penser à compter Les horloges déréglées. Mais alors, le titre de notre histoire... Voilà, vous y êtes! Le principal indice était là, sous votre nez, depuis le début.

Mais on ne remarque jamais l'évidence, n'est-il pas vrai?Passons donc à l'histoire suivante.

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LE MYSTERE DE LA CHAMBRE FORTE

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ALFRED HITCHCOCK : Maintenant vous avez eu le temps de vous mettre en train pour notre chasse aux criminels. C'est pourquoi je serai bref dans la présentation des noirs forfaits qui nous attendent. Dans quelques instants, vous allez, faire connaissance avec un milliardaire qui habite un château hanté, qui collectionne les timbres et dont le passe-temps favori est de se faire détester.

Certains d'entre vous, me dit-on, se plaisent à deviner tout de go le dénouement des histoires énigmatiques, dans les livres, au cinéma, à la télévision. C'est là une habitude que je réprouve. Mais si vous insistez vraiment, alors je vous défie haut et clair de deviner toutes les retorses astuces que vous trouverez dans :

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LE MYSTÈRE DE LA CHAMBRE FORTE

1

JAMAIS Andy Adams n'oublierait cette voix terrible, métallique, appelant au secours. Andy, qui dormait ferme, s'était réveillé, les couvertures entortillées autour de lui et l'angoisse au cœur. « Au secours ! criait la voix. Au secours !... » II semblait à Andy, encore mal réveillé, que c'était la voix d'un géant enfermé dans la même chambre que lui.

« Il m'a tué! hurlait la voix, tandis qu'Andy tâchait de reprendre pleinement conscience. Je soupçonne la v... »

Ici la voix sembla s'enrayer. Puis elle reprit, chaque mot coûtant un effort effroyable : « Je soupçonne la v... »

Le cri s'acheva dans un râle. On entendit encore : « 1-aaa-vvv...», puis plus rien.

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En tâtonnant dans l'obscurité, Andy trouva le cordon de la lampe. Il alluma et ne reconnut pas la pièce où il se trouvait. Au-dessus de lui, émergeant du mur, il aperçut le haut-parleur d'où provenait la voix, cependant qu'il se posait à lui-même une question absurbe :

« La v..., la v...? La vermine? Sans doute, il y a des rats et des souris dans ce vieux château, mais comment pourraient-ils avoir tué quelqu'un? »

En même temps, il s'efforçait de se rappeler où il se trouvait et comment il y était venu.

Tout à coup, la mémoire lui revint.« C'était le seul authentique château hanté d'Amérique! » avait dit

Paul Adams.Sqn fils Andy, presque aussi grand que M. Adams, mais maigre

comme un échalas, avait jeté autour de lui un regard circulaire, partagé entre la crainte et la curiosité. Ils se trouvaient dans une vaste pièce, au sol de pierre, avec un plafond à poutres apparentes. A un bout de la salle, dans une immense cheminée, un feu de bois flambait à grand bruit.

Le sol était jonché de peaux d'animaux : zèbres, lions, tigres, girafes. Des têtes naturalisées hérissaient les murs : buffles, sangliers, tigres, lions, chamois, léopards, etc.

Jamais Andy n'avait pensé se trouver dans une salle comme celle-ci.

Jusqu'à neuf heures du soir, ce jour-là, qui était la veille de la fête de Merci-Donnant1, la vie avait été parfaitement ordinaire. Sa mère étant à Philadelphie auprès de sa sœur malade, il s'était trouvé seul à la maison avec son père. Ils avaient joué aux échecs. Andy avait gagné une partie, il en avait perdu une autre et il était bien décidé à remporter la belle quand le téléphone avait sonné.

Paul Adams, détective spécialisé dans les faux, les escroqueries et l'authentification de documents anciens, testaments et autres,

1. En anglais Thanksgiving Day, journée d'action de grâces célébrée traditionnellement aux États-Unis le quatrième jeudi de novembre.

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était allé répondre au téléphone, puis il était revenu, l'oreille basse.« Il faut qu'on y aille, fiston, avait-il dit. J'ai essayé de refuser mais

il n'y avait pas moyen. Prends quelques affaires : nous en avons peut-être pour plusieurs jours. »

Partir en mission avec son père! Andy était si ému qu'il fourra pêle-mêle son pyjama, sa brosse à dents et son linge de rechange dans un sac de voyage.

Après une heure de route à travers la campagne du Sud de la Nouvelle-Angleterre, on était arrivé à la plus étrange maison qu'Andy eût jamais vue. Ne comportant qu'un seul étage, elle avait la forme d'un U à angles droits; elle était construite en énormes blocs de pierre grossièrement taillés et paraissait avoir des siècles. A chacune des extrémités de l'U se dressait une tour carrée. Le plus surprenant, c'était que des douves pleines d'eau, larges de dix mètres, et que l'on ne pouvait traverser qu'au moyen d'un pont-levis, entouraient le château.

Pour M. Adams et son fils, le pont-levis avait été abaissé, si bien qu'ils purent aller garer leur voiture dans l'espace situé entre les deux ailes du bâtiment. Puis Robin, un petit homme en veste rouge et culotte rouge étroite — de toute évidence, un valet —, les avait fait entrer dans le grand salon.

Et voilà que le père d'Andy annonçait que cette maison était un vrai château, hanté de surcroît!

Le garçon n'eut pas le temps d'examiner toute la salle. Un homme étonnamment gros, la tête complètement chauve, venait de faire son apparition. C'était M. Mayfair, le maître de maison. Il s'avançait vers les visiteurs, installé dans un fauteuil roulant équipé de batteries et d'un moteur électrique.

Le fauteuil s'arrêta. Le maître des lieux, qui avait la face grosse et rouge, toisa les visiteurs d'un regard méprisant de ses petits yeux.

« Alors le fameux détective, c'est vous? fit-il en prononçant non pas à la façon des Américains, mais à celle des Britanniques. Je ne vous trouveras une tête de détective, moi. Et vous vous appelez Paul Adams! Ce n'est pas un nom pour un détective, ça! »

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Andy sentit la moutarde lui monter au nez, mais son père demeura calme. Tirant sa pipe, le détective, solide et trapu, considéra froidement le gros bonhomme dans son fauteuil roulant.

« Sherlock Holmes m'irait peut-être mieux, reconnut-il. Et vous, « Crumshaw la Goutte-au-nez » vous conviendrait très bien! »

Un instant, Andy crut que le gros homme allait exploser. Il était devenu rouge comme une betterave, il s'était gonflé comme un dindon furieux. Puis, tout à coup, il éclata de rire.

« Vous ferez l'affaire! s'écria-t-il. Mais pourquoi avez-vous éprouvé le besoin d'amener votre gamin avec vous? »

II jeta sur Andy un regard d'une telle intensité que le garçon se sentit frissonner des pieds à la tête.

« Mon fils, rectifia Paul Adams, en tirant sur sa pipe. Vous m'aviez dit qu'il s'agissait de timbres dans votre affaire. Andy est philatéliste. Je l'ai amené à titre d'expert.

- Vraiment! » fit le gros homme, en articulant ce mot comme une insulte. Pendant un moment, il ne dit plus rien et l'on put entendre le feu qui pétillait et la bise de novembre qui ululait dans les nombreux chênes du parc. Enfin M. Mayfair reprit d'un ton plus civil : « Eh bien, je suis ravi de rencontrer un confrère. Vous spécialisez-vous dans une branche quelconque, mon jeune ami?

- Oui, monsieur, répondit Andy. Dans les commémoratifs américains.

- Moi, je me spécialise dans les raretés et les erreurs les plus chères. J'ai le plaisir de posséder au moins un exemplaire et quel que-fois jusqu'à six de tous les timbres importants dans ce domaine. »

Tout en parlant, il faisait saillir sa lèvre inférieure d'un air arrogant. Andy comprit que l'homme mettait ses connaissances à l'épreuve.

«Je vous demande pardon, répondit le garçon. Je pense que vous oubliez le 1 cent carmin de la Guyane anglaise, datant de 1856.

- Qu'a-t-il de particulier, celui-là? demanda le maître des lieux, en baissant son énorme tête, comme un taureau qui va charger.

- Il est si rare qu'on n'en connaît qu'un seul exemplaire.

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Le catalogue Scott l'estime à 50 000 dollars, mais on dit que le propriétaire actuel ne veut pas le vendre. Or je sais que ce n'est pas vous. Donc, monsieur, vous ne possédez pas vraiment tous les timbres importants.

- Vous avez raison ! » tonna le gros homme.Ses joues s'empourprèrent de nouveau. Il saisit une cravache en

peau de rhinocéros et fouetta rageusement la table.« Non, je ne l'ai pas! rugit-il. Je donnerais n'importe quoi pour

l'avoir. Un million de dollars, s'il fallait. Et cet imbécile ne veut pas le vendre. Mais un jour, je l'aurai, ou je ne m'appelle plus Nigel Mayfair!»

II administra encore une demi-douzaine de coups de cravache à la table, puis, haletant, il lança un regard furibond à Paul Adams.

« Je sais ce que vous êtes en train de vous dire, vous, le fin limier, grogna-t-il. Vous êtes en train de vous dire que je ne m'appelle pas Nigel Mayfair pour de bon. Juste. N'empêche que, tôt ou tard, je posséderai ce timbre de Guyane. Et alors, mon cher monsieur, je serai le premier collectionneur du monde. »

Il reprit difficilement haleine et poussa un rugissement :« Henderson! Où diable êtes-vous fourré? J'ai besoin devous! »Un homme de haute taille, vêtu d'un costume de tweed, le visage

souriant, parut.« Me voici, fit-il.- Henderson, grogna Nigel Mayfair, vous voyez ce gars-là? C'est

Adams, le détective que vous m'avez conseillé de convoquer. Adams, Herbert Henderson est mon homme de loi — ce que nous appelons un avoué, en Grande-Bretagne. Enfin, il fait partie de mon écurie de juristes. »

Ils se serrèrent la main. Puis le blond homme de loi serra fermement la main d'Andy.

« Ravi de vous voir tous les deux, fit-il. Comptez-vous mettre M. Adams au courant dès maintenant, monsieur? demanda-1-il à M. Mayfair.

— Allez au diable, répondit aimablement le gros homme. Je veux que le détective fasse d'abord connaissance de toute la vermine qui vit sur mon dos. Où est Pardo?

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- A votre service, monsieur. »Un homme trapu et rougeaud, portant un très beau costume,

descendit l'escalier de pierre couvert d'un tapis qui menait au premier étage.

« Pardo! rugit Nigel Mayfair. Voici M. Adams, le détective. Il m'aidera à faire mettre en prison l'un des occupants de cette maison. A moins que je ne les écrabouille tous d'ici là.

— Bien, monsieur, dit Pardo, qui avait, lui aussi, l'accent britannique.

- Pardo est mon chien d'attaque, mon garde du corps et mon chauffeur, expliqua M. Mayfair. Cela n'empêche qu'il est peut-être aussi le chacal qui a eu l'audace de me voler... Pardo! où 'sont ma belle-sœur et cet avorton de beau-fils dont j'ai hérité pour mes péchés?

- Mlle Lavinia et M. Reginald seront là dans un instant, monsieur, répondit Pardo, du ton d'un domestique bien stylé, mais en lançant à M. Mayfair un regard brûlant de haine. Ils sont en train de s'habiller afin de se rendre à une réception que M. Howard Lawerdy donne à l'occasion de la fête de Merci-Donnant, qui tombe demain. Ils seraient désireux que je les conduise en voiture. Dois-je le faire, monsieur, ou dois-je leur appeler un taxi?

— Conduisez-les! hurla le gros homme. Que voulez-vous que cela me fasse, quel moyen de locomotion ils prendront pour aller chez ce coquin? Le seul fait qu'ils y courent contre ma volonté... Ah ! les voilà ! »

Il fit pivoter son fauteuil et Andy put voir une jeune femme, d'une grande beauté, vêtue d'une robe de soirée et de fourrures de prix, descendre l'escalier. Un jeune homme en smoking, pâle et maussade, l'accompagnait. La dernière marche descendue, ils s'arrêtèrent. Nigel Mayfair les considérait d'un regard incendiaire.

« Ainsi vous y allez tout de même! fit-il. Alors que je le soupçonne d'être de connivence avec le gredin qui m'a volé! Alors qu'il n'est lui-même qu'un fripon, une crapule, un escroc! »

La jeune femme haussa les épaules.« Mon cher Nigel, dit-elle, vous vous couvrez de ridicule.

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Howard est un homme charmant. Vous l'enviez parce qu'il a tué de plus gros gibiers que vous et qu'il se connaît mieux en timbres. — Ne me poussez pas trop loin, Lavinia, grogna Mayfair. J'ai fait à votre sœur la faveur de l'épouser : cela ne vous donne pas le droit de me parler sur ce ton.

- Ici, répliqua sa belle-sœur, nous sommes en Amérique. Vous n'êtes plus un. tyranneau régnant sur un petit royaume plongé dans la terreur. Je n'avais pas encore l'intention de vous l'annoncer, mais puisque l'occasion s'en présente... Sous peu, j'aurai quitté votre grotesque château fort pour de bon. Je vais épouser Howard Lawerdy.»

M. Mayfair aspira beaucoup d'air. Andy s'attendait à une explosion, mais elle ne vint pas. Dans le silence, ce fut Reggie, le beau-fils, qui parla.

« Et moi, fit-il, je partirai avec ma tante. Ah! j'y pense... Demain j'ai un rallye automobile. Je vous le signale à toutes fins utiles. Bonne nuit, beau-père adoré. Faites de beaux cauchemars.

- Demain, vous serez peut-être en prison », répliqua le gros homme.

Sans se retourner, la tante et le neveu quittèrent la salle, suivis de Pardo, le chauffeur.

« Alors elle épouse Lawerdy! grommela Mayfair, en regardant l'homme de loi. C'est peut-être elle qui m'a volé ces timbres pour lui et il a décidé de la récompenser. Ou alors c'est cet avorton de Reggie, par affection pour sa tante... Ils me haïssent tous les deux. Tout le monde dans cette maison me déteste. Vous m'entendez, Adams? Qui me connaît ne peut rne souffrir. Vous aussi, vous me détesterez. Vous verrez. »

Le gros homme s'apitoyait si ridiculement sur lui-même qu’Andy pensa que son père allait éclater de rire. Mais le détective se retint.

« On peut dire que vous y mettez du vôtre », remarqua-t-il.Mayfair le toisa sans aménité.« Pas d'impertinences, mon bonhomme! dit-il sèchement. Je vous

paie pour faire mon travail. Gardez vos distances !

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- Andy, fit M. Adams en se tournant vers son fils, je pense, réflexion faite, que je ne vais pas me charger de l'affaire de M. Mayfair. Prenons la voiture et rentrons.

- Non! rugit le maître des lieux avec une puissance telle que son rugissement emplit la salle. Vous êtes bien susceptibles, vous autres Américains! Venez dans mon bureau et mettons-nous au travail. D'ailleurs, ajouta-t-il en voyant que le détective hésitait, je compte bien que vous allez me facturer, outre vos services, ceux de votre expert. »

Andy jeta à son père un regard si intense que M. Adams se mit à rire malgré lui. Jusqu'ici, le travail de son père avait paru fort mystérieux à Andy mais maintenant, puisqu'il s'agissait de timbres, il allait peut-être pouvoir lui donner un coup de main?...

« D'accord, dit enfin le détective. Montrez-moi le chemin..— Henderson, dit M. Mayfair, je vous appellerai quand j'auraibesoin de vous. »Le gros homme fit pivoter son fauteuil et fonça vers une porte. Le

juriste fit un signe de tête encourageant à Andy et à son père,

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tout en se laissant tomber sur un divan recouvert d'une peau de léopard.

« S'il commence à crier trop fort, je viendrai à la rescousse, chuchota-t-il. Il arrive à M. Mayfair de... de s'énerver un peu. »

II

Andy, qui accompagnait son père, se trouva dans une pièce beaucoup plus petite que la précédente. Mais les murs étaient • également en pierre grossière et tapissés de peaux d'animaux. Des armures entières se dressaient sur des chevalets; aux murs, «ni voyait six têtes naturalisées -- rien que six: un lion, un tigre, un chamois, un léopard noir, un buffle et un ours grizzly. Au zoo, Andy avait vu des spécimens vivants de ces espèces, mais ceux-là avaient dû être des géants. Naturalisés, ils semblaient encore prêts à bondir sur les spectateurs et à les déchiqueter.

« Fermez la porte! » commanda Nigel Mayfair.

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Andy obéit.Le gros homme, du bout de sa cravache en peau de rhinocéros,

indiqua deux chaises. Le père et le fils s'assirent. Paul Adams tirait tranquillement sur sa pipe, tandis qu'Andy tremblait de surexcitation, encore qu'il s'efforçât d'imiter son père et de paraître calme.

« Cette cravache, dit Mayfair sans quitter son fauteuil roulant, a été faite dans la peau d'un rhinocéros que j'ai tué moi-même. Les têtes proviennent également de mes chasses. Personne n'en a de plus grosses, cette crapule de Lawerdy peut dire ce qu'il veut. S'il en a, c'est qu'il a triché : des indigènes auront pris le gibier au piège, ou quelque chose dans ce goût-là. »

M. Mayfair était sur le point de se mettre en colère, mais il se calma.

« Je vais commencer par vous parler de moi, déclara-t-il. Je veux que vous me compreniez. C'est important de comprendre à quel genre d'homme on a affaire. Pas votre avis, le détective? - C'est utile », acquiesça M. Adams.

Andy écoutait, l'oreille tendue, les yeux grands ouverts.« Bon, reprit Mayfair. Moi, j'ai été collectionneur toute ma vie.

J'ai commencé dans un taudis, dans les bas quartiers de Londres. Ce n'était pas joli, de mon temps. Pas tellement plus joli maintenant, d'ailleurs. Mais enfin, ça vous forme la jugeote. »

II montra les dents : c'était, pensa Andy, sa façon de sourire.« C'est à cette époque-là qu'on m'a surnommé Crumshaw la

Goutte-au-nez, reprit le gros homme. J'étais enrhumé tout le temps et j'avais le nez qui coulait. Je ramassais des bouteilles vides. Je les nettoyais et je les vendais un demi-cent pièce. Lorsque j'eus réuni assez d'argent, crac! me voilà parti pour l'Afrique du Sud. Je trouve un poste dans une compagnie minière qui travaillait dans les diamants. J'invente un procédé inédit pour faire sortir les diamants de la mine, en contrebande. Je n'avais pas vingt et un ans, j'étais millionnaire. Alors je pris un nouveau nom : Nigel Mayfair. Je trouvais que cela faisait plus aristocratique... »

Les yeux de Nigel Mayfair vrillaient ceux de Paul Adams.

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« Oui, monsieur, c'est comme je vous le dis. Lorsque je fus devenu Nigel Mayfair, gentleman et milliardaire, je me mis à collectionner de l'argent. J'en collectionnai beaucoup. Vous savez ce que c'est qu'un collectionneur : il ne tient pas toujours compte des raffinements de la loi. Pas vrai? »

De nouveau, il montra les dents, dans un sourire de requin.« Lorsque j'eus collectionné assez d'argent, je me mis à

collectionner du gros gibier. Les grandes chasses, à l'époque, c'était passionnant. J'épousai une noble dame anglaise, la veuve d'un duc. Nous étions très heureux ensemble, mais il a fallu qu'un tigre la dévore aux Indes, et que je me retrouve encombré de son avorton de fils, Reggie, et de sa sœur, Lavinia Ramier, que vous avez vus. Ils vivent à mes crochets et me méprisent parce que je suis né dans un taudis et eux dans un château. Ensuite, j'attrape une maladie tropicale. Me voilà impotent pour le restant de mes jours. Les toubibs me disent que le climat de la Nouvelle-Angleterre me fera du bien : je m'installe ici. Comme je voulais montrer à Reggie et à Lavinia ce que l'argent peut procurer, je fais un saut au pays et je m'achète un château fort : celui où vous êtes. Il s'appelait Cragie Castle. Il est arrivé au complet, fantôme compris. Du reste, je ne l'ai pas encore vu, ce fantôme! La traversée l'a peut-être incommodé. »

Les yeux de M. Mayfair luisaient de satisfaction et sa voix s'était transformée en une sorte de ronronnement.

« Eh oui! J'ai acheté un château fort. Pas immense, mais authentique. Et vieux. Il s'est dressé à la frontière entre l'Angleterre et l'Ecosse pendant quatre siècles! Il a changé de propriétaires une douzaine de fois ! Le sang a souvent ruisselé sur ces dalles, du temps que les Écossais et les Anglais se faisaient la guerre. »

Il racontait cela si joyeusement qu'Andy jeta un coup d'œil à ses pieds, se demandant vaguement s'ils ne baignaient pas dans une mare de sang. Son père lui fit un clin d'œil qui signifiait : qu'il parle tant qu'il voudra. Souvent, M. Adams avait dit à son fils que, plus un homme parlait, plus on pouvait recueillir d'indications sur son caractère, sa personnalité et même le fonctionnement de son intelligence.

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« J'ai donc ramené toutes les pierres ici et je les ai lait remettre les unes sur les autres. Le château Cragie avait un pont-levis. J'ai gardé le pont-levis et j'ai fait faire de vraies douves. Bien sûr, j'ai ajouté l'électricité, un ascenseur, ce genre de choses. Néanmoins, je suis le seul homme du monde à vivre, aux États-Unis d'Amérique, à l'intérieur d'un véritable château hanté encerclé de douves. Posséder quelque chose que personne ne possède, c'est une grande satisfaction. Mon garçon - il s'adressait maintenant à Andy —, vous pouvez me croire sur parole. Puisque vous êtes collectionneur, vous savez le plaisir que vous éprouvez à posséder un timbre qui manque à vos amis. Donc, maintenant que je suis impotent et réduit à collectionner des timbres, j'aurai ceux que personne n'a. Les plus nombreux, les meilleurs et les plus rares ! »

Pour ponctuer cette déclaration, M. Mayfair administra au dallage un grand coup de sa cravache de rhinocéros.

« Je pense que nous vous avons compris, dit alors Paul Adams en rangeant sa pipe. Mais je ne suis... nous ne sommes toujours guère renseignés sur vos difficultés. »

Andy se sentit tout fier d'entendre son père corriger « je ne suis » en « nous ne sommes ».

« C'est juste, reconnut Nigel Mayfair. Voulez-vous soulever cette peau de zèbre, sur ce mur? »

II la désignait de sa cravache. Le détective obéit. Sous la peau de zèbre, Andy aperçut, à sa grande surprise, une imposante paroi d'acier, interrompue par une porte dont le bas atteignait le sol, sans le moindre jeu. Il sembla à Andy que la serrure était particulièrement compliquée.

« Ouvrez! grogna le gros homme. J'ai déverrouillé à votre arrivée. Et allumez donc! Vous avez, le commutateur à côté de vous.»

M. Adams tira la poignée. La porte pivota.Ce faisant, elle découvrit une chambre forte de deux mètres de

large sur deux mètres cinquante de profondeur et deux de haut. Les murs étaient d'acier. Au milieu, on voyait un petit bureau et une chaise. Tout autour couraient des étagères, supportant des dizaines d'albums reliés en cuir.

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« Voilà mon trésor. J'y entre avec mon fauteuil, dit Nigel Mayfair. La valeur des timbres qui s'y trouvent dépasse le million de dollars. Aucun danger d'incendie ou de cambriolage. Si une armée entière équipée de chalumeaux voulait entrer, elle le regretterait. » II ricana. « Des gaz toxiques empliraient immédiatement la chambre forte et aussi cette salle. Qui plus est, la combinaison consiste en un mot de six lettres que personne sur terre ne connaît que moi. Six lettres. Pas une chance sur un million pour qu'un voleur la découvre. Et pourtant... — ici il recommença à cogner par terre avec sa cravache — quelqu'un l'a découverte! Quelqu'un qui fait partie de la maison est entré dans cette chambre forte et a volé mes petits trésors les plus chéris!

- Calmez-vous, monsieur, dit sèchement Adams. Je comprends votre émotion, mais votre énervement ne vous avance à rien.

- Sans doute, avoua le gros homme en faisant un effort sur lui-même pour reprendre son calme. Mais vous n'êtes probablement pas capable de comprendre, tout détective que vous êtes. On m'a volé, moi, Nigel Mayfair! On m'a pris quelques-uns des timbres que j'aimais le plus. Dérober un objet de collection, c'est bien autre chose que de voler de l'argent, monsieur! »

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Adams ne répondit rien. Après un instant clé silence, M. Mayfair reprit :

« Bien sûr, on ne m'a volé qu'une demi-douzaine de timbres. Vingt ou trente mille dollars, quoi. Mais c'est quelqu'un dans la maison qui a fait cela! Lavinia, peut-être. Ou Reggie. Ou Pardo, ou Henderson. Ou Robin. Ou mon cuisinier français. Non, pas celui-là : il ne rêve que de cuisine. Mais enfin, c'est quelqu'un de la maison. Et le voleur a dû vendre son butin à ce maudit Lawerdy qui est mon voisin, le seul que j'aie. Ou alors Lavinia a pu les prendre et lui en faire cadeau. En témoignage d'amour. Pouah ! »

II se racla la gorge de façon répugnante et fixa les yeux sur Andy.« Je ne vais pas voir mes trésors tous les jours, dit-il. Quelquefois

des semaines se passent sans que j'entre dans la chambre forte. J'aurais pu ne rien remarquer pendant tout le temps qu'il fallait au voleur pour me dépouiller complètement. Seulement, il y a quelques jours, deux gars m'ont fait savoir qu'ils possédaient quelques-uns des fameux timbres commémoratifs de Dag Hammarskjôld, les quatre cents, avec des erreurs, vous voyez ce que je veux dire?

- Bien sûr, monsieur, répondit Andy. Plusieurs personnes en avaient. Quelqu'un, dans le Midlle West, en avait collé sur des lettres. Et un collectionneur de la région en avait toute une feuille qu'il estimait un bon prix.

— Effectivement, dit Mayfair. Mais je lui ai proposé de doubler toutes les enchères qui se présenteraient et j'aurais fini par posséder une feuille entière de la première erreur importante aux États-Unis depuis les avions à l'envers sur le 24 cents « Poste aérienne » de 1918. Mais savez-vous ce qui est arrivé? »

Sa voix s'était muée en véritable mugissement. Andy connaissait parfaitement l'histoire, mais M. Mayfair ne lui laissa pas le temps de répondre.

« Cet imbécile de ministre des Postes de Washington! tonnait-il, tout en abattant la cravache sur le sol presque à chaque mot. Il a décidé de faire imprimer des millions de commémoratifs Hammarskjôld avec l'erreur originale, pour que tout le monde

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puisse en avoir. « Une collection de timbres n'est pas une loterie! » a-t-il déclaré. Impudent personnage, va! Il m'a privé de cette chance que j'avais de me procurer une feuille entière d'erreurs originales, qui aurait valu une fortune dans quelque temps. Maintenant, je n'en voudrais pour rien au monde dans ma maison. Mais le résultat — il criait toujours le plus fort qu'il pouvait et les veines de ses tempes saillaient de façon alarmante — le résultat, c'est que j'ai consulté mon album d'erreurs et de raretés. Et j'ai constaté que j'avais été volé. Alors j'ai commencé à devenir fou. Je ne sais pas qui c'est, mais je veux sa peau! Je veux qu'il soit châtié, qu'il paie, qu'il souffre... »

La voix de M. Mayfair s'éraillait. M. Adams était sur le point de se précipiter à son secours lorsque la porte s'ouvrit : Pardo, Henderson et le valet Robin, pâle et terrifié, entrèrent en courant.

« Laissez-moi faire, monsieur », dit Pardo en s'approchant du gros homme.

M. Mayfair ouvrit la bouche pour pousser un cri de fureur, mais Pardo lui fit immédiatement boire le contenu d'une petite fiole.

« Cela lui fera du bien, monsieur Adams, dit Henderson. C'est un .tranquillisant, pour son cœur et ses nerfs. Cette histoire de timbres l'a vraiment bouleversé. D'abord sa déconvenue avec les erreurs du timbre Hammarskjôld, et puis ce vol ! »

Nigel Mayfair reprenait son état normal. Sa respiration était encore difficile, mais son teint revenait du pourpre à l'écarlate ordinaire.

« Merci, Pardo, fit-il. Vous avez effectué la livraison?— La livraison, monsieur?- Oui, vous avez emmené madame et ce cher Reginald chez mon

honorable voisin, à sa réception?— Oui, monsieur. Il semble s'agir d'une réception

nombreuse et bruyante, du style américain. M. Lawerdy se propose de ramener madame et M. Reginald lui-même. Si monsieur n'a pas besoin de moi, j'irai m'occuper de la voiture. Il faut que je règle le carburateur.

- Vous allez commencer par me coucher, dit M. Mayfair. Et moi, je vais commencer par écrire une lettre au président

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des États-Unis pour lui dire ce que je pense de son ministre des Postes. Il va la sentir passer ! Adams !

- Oui?- Nous finirons demain matin. Demandez tout ce que vous

voudrez à Robin. Pardo, direction la chambre !- Oui, monsieur. »Le volumineux garde du corps s'approcha de la cloison et appuya

sur un bouton. Ce qu'Andy avait pris pour de la pierre se révéla être une porte adroitement camouflée, qui glissa et découvrit un petit ascenseur où Nigel Mayfair s'engouffra avec son fauteuil sans jeter un seul regard derrière lui.

« Messieurs, je vous souhaite le bonsoir », dit Pardo en fermant la porte, derrière laquelle il disparut avec son maître.

Lorsqu'ils furent hors de vue, Andy constata soudain qu'il ne respirait presque pas, tant l'atmosphère avait été tendue. L'explosion de fureur de M. Mayfair avait passé comme un orage.

L'homme de loi, Henderson, alla à la chambre forte, ferma, verrouilla. Puis il éteignit la lumière.

« II était sérieusement ému, remarqua-t-il, pour partir en laissant son trésor à la merci du premier venu!... Vous êtes témoins : j'ai tout fermé. Croyez-moi : il ne me soupçonne pas moins que les autres occupants de ce ridicule château fort. »

Haussant un sourcil, M. Henderson se tourna vers Andy.« Comment trouvez-vous M. Nigel Mayfair? demanda-t-il.- Il ne me plaît pas, répondit Andy. Il n'a cessé de se vanter

d'avoir passé sa vie à mentir, à escroquer et à voler.- Ou pire, fit Henderson.- De toute façon, dit Paul Adams, la soirée sera probablement

plus tranquille. Vous pourriez peut-être me donner quelques précisions, monsieur Henderson.

- Volontiers.- Et toi, mon garçon, dit le détective en souriant, tu devrais aller

te coucher. Je monte dans un instant. Il n'y aura plus grand-chose d'intéressant ce soir, je suppose. »

II se trompait. Oh! comme il se trompait! Mais cela, personne n'en saurait rien, avant une heure.

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ALFRED HITCHCOCK : Je commence à en avoir assez de me taire. J'ai été vraiment très discret jusqu'ici. En conséquence, pendant qu'Andy va se coucher, vous allez me permettre de reprendre sommairement quelques points que j'ai remarqués.

Primo, notez le caractère de M. Nigel Mayfair,' né Crumshaw la Goutte -au-nez. Visiblement, il ne saurait supporter qu'un autre possède ce qu'il ne possède pas lui-même. Observation subtile, peut-être, mais à ne pas négliger. Elle va devenir très importante par la suite.

Secundo, je m'adresse aux philatélistes.. Vous aurez déduit sans difficulté la date à laquelle se déroule cette affaire. Les erreurs du quatre cents commémoratif Dag Hammarsko'ld situent l'époque. Notez que novembre est un mois venteux et froid, dans le Sud de la Nouvelle-Angleterre. J'espère que vous avez pris bonne note de l'intensité du vent de cette nuit-là. Remarquez aussi que la plupart des arbres du parc étaient des chênes. Qu'est-ce que les chênes, demanderez-vous, ont donc de si particulier? Eh bien, on fait d'excellents meubles en chêne. Les chênes produisent des glands. Les chênes ne perdent pas leurs feuilles à la même époque que les autres arbres, mais seulement à la fin de l'automne.

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L'écorce du chêne est utilisée par les tanneurs. Vous voyez ce que je veux dire ?

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III

Robin, le valet, conduisit Andy le long d'un large escalier, jusqu'à sa chambre, située au premier étage. C'était une vaste pièce; les meubles paraissaient très anciens; il y avait deux lits en bois sculpté. Le pyjama d'Andy était étalé sur l'un d'eux; celui de M. Adams, sur l'autre.

« Ce soir, monsieur dormira dans un lit où des rois ont dormi, dit le valet. Pas des rois d'Angleterre, mais des rois tout de même. Le moindre meuble que possède M. Mayfair a été acheté dans quelque cour d'Europe. Où il marche, des rois ont marché. Où il s'assied, des rois se sont assis. La pensée lui en est agréable... »

Coucher dans un lit où un roi — plusieurs rois peut-être -avaient dormi ! Cela devait faire une drôle de sensation !

Andy alla à une fenêtre — il y en avait plusieurs — et regarda. Une des ailes du château se dressait, énorme et sombre, à sa gauche. Au premier, on voyait de la lumière. A droite Andy distinguait l'aile est du château où toute une rangée de fenêtres était illuminée.

Le vent s'acharnait sur les chênes du parc, de l'autre côté du fossé l'on voyait un foyer lumineux apparaître et disparaître sur la gauche, tout au bout de l'aile ouest, mais à une distance considérable.

« Quelle est cette lumière, Robin? demanda Andy, ne sachant trop comment s'y prendre pour faire parler un valet de chambre.

— C'est la fenêtre de M. Henderson, monsieur. Il occupe la dernière chambre de l'aile ouest. M. Mayfair occupe l'aile est à lui tout seul.

- Non, je voulais dire la lumière qu'on voit au loin.- Celle-ci? C'est la résidence de M. Howard Lawerdy, qui donne

une réception ce soir. M. Lawerdy et M. Mayfair étaient

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de grands amis et même des associés, il fut un temps. Mais, je regrette de le dire, ils sont devenus ennemis. Monsieur prendra-t-il un bain chaud? »

Andy penchait pour l'affirmative. Il n'hésita plus lorsqu'il vit que la chambre avait une salle de bain particulière qui comportait une baignoire de marbre rosé presque aussi vaste qu'une piscine et équipée d'accessoires en or massif.

« Quelle température désire monsieur? » demanda le valet, en ouvrant les robinets.

Andy ne s'était jamais préoccupé de la température de son bain : trop chaud, trop froid, ou juste à point, il n'en savait pas plus. Mais il prit un air dégagé pour répondre :

« Comme vous voudrez, Robin. »Cela le gênait de voir un homme fait l'aider à prendre son bain.« Dites-moi, Robin, fit-il, M. Mayfair a-t-il tué lui-même tous les

animaux qui sont en bas?- Oh! non, monsieur. »Robin tira une immense serviette d'une armoire et la plia

commodément.« Mlle Rainier, sa belle-sœur, en a tué quelques-uns. Son beau-

fils, M. Reginald, en a tué aussi. Un ou deux ont été abattus par Pardo et j'ai l'honneur d'être représenté par une espèce de panthère, petite par la taille, mais grande par la rareté.

- Alors, dit Andy tout surpris, tout le monde, dans cette maison chasse le gros gibier?

Tout le monde sauf le chef, monsieur.- Le chef?- Le cuisinier, monsieur. M. Henderson lui-même n'est pas sans

expérience. Toutefois, il s'en est tenu aux chevreuils. »Andy n'aurait pas voulu paraître trop fouineur mais enfin, on est

détective ou on ne l'est pas. A force de poser des questions, il pourrait peut-être apprendre quelque chose qui tendrait service à son père?

« Robin, demanda-t-il, est-il vrai que tout le monde déteste M. Mayfair? »

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Le valet s'éclaircit la voix.« M. Mayfair ne fait guère d'efforts pour se rendre sympathique,

monsieur, fit-il.- Vous le détestez, vous? Et Pardo? et tout le monde?- Si M. Mayfair n'avait pas déjà fait allusion à cette situation,

répondit le valet avec dignité, je ne me serais certes pas permis d'en parler. Néanmoins, c'est exact. Nous le détestons tous du fond de notre cœur. Mlle Rainier et M. Reginald inclus.

- Mais alors! s'écria Andy. Pourquoi restez-vous avec lui? Vous êtes en Amérique, vous êtes libres.

- Les choses ne sont pas aussi simples qu'il semble à monsieur. Il arrive que l'on fasse... dirons-nous un faux pas? C'est très facile, surtout lorsqu'on est réduit au désespoir. M. Mayfair conserve dans une petite cassette d'acier des papiers compromettants qui nous obligent tous à le servir fidèlement. La cassette se trouve dans la chambre forte que monsieur a vue.

- Vous voulez dire qu'il vous fait chanter?- Je ne me permettrais pas d'employer un mot pareil,

monsieur.- M. Henderson aussi? » demanda Andy. Robin fit oui de la tête.« Et Mlle Rainier? Et Reggie?- Mlle Rainier et M. Reginald sont pauvres et criblés de

dettes. M. Mayfair les nourrit, mais ne veut pas les laisser partir. De plus, il ne leur rend pas une petite propriété que Mme Mayfair leur avait laissée, et qui les mettait à leur aise. Monsieur désire-t-il que je revienne l'essuyer lorsqu'il aura fini son bain? Ou que je reste pour l'aider à se frotter le dos?

- Ça, alors, non! éclata Andy. Je peux encore me débarbouiller tout seul. Euh... vous pouvez disposer, ajouta-t-il, répétant une expression qu'il avait entendue dans un film.

- Bien, monsieur. Bonne nuit, monsieur. »Robin sortit sans bruit et Andy poussa un soupir de soulagement.

Il n'aurait pas aimé avoir tout le temps des domestiques autour de lui.Mais le bain dans la baignoire de marbre aux robinets d'or

l'amusa. Il y resta longtemps, car il était sûr de ne plus

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jamais avoir l'occasion 'de « baigner » dans un luxe pareil. Lorsqu'il finit par s'écrouler sur l'un des deux énormes lits, il s'endormit aussitôt après avoir éteint.

Il dormait à poings fermés lorsque la voix du géant l'éveilla.« Au secours, criait-elle. Au secours!... »Andy se dressa dans son lit, se débattant pour se libérer de ses

couvertures et faisant des efforts pour ouvrir les yeux.« Il m'a tué! hurla la voix, si métallique, si transformée, qu'Andy

ne la reconnut même pas. Je soupçonne la v... »La voix s'enraya. Puis reprit, lentement, articulant à grand peine :« Je soupçonne la v... »Un halètement encore, puis le silence. Le dernier mot s'étirait en

un lll-aaa-vvv sans signification.A tâtons, Andy trouva le commutateur. Il regarda autour de lui la

chambre inconnue, s'efforçant de se rappeler où il se trouvait et comment il y était arrivé.

Tout à coup la mémoire lui revint; il quitta le lit d'un bond. Celui de son père n'avait pas été défait. Andy courut à la porte, l'ouvrit, se précipita dans le couloir. Au bout, il vit M. Adams ouvrir une porte et disparaître. Il courut après lui.

« Papa! appelait-il. Papa!... »Apparemment, son père ne l'entendait pas. La porte se referma.

Andy l'ouvrit et entra. Il se trouva dans une chambre immense, avec de nombreuses fenêtres, les murs couverts de tapisseries anciennes. M. Adams se tenait auprès d'un lit à baldaquin dans lequel M. Mayfair gisait sur le flanc, tout haletant, les yeux clos, une main posée encore sur les boutons de l'interphone dans le micro duquel il venait de crier et qui communiquait avec toutes les autres pièces du château. La lampe de chevet était allumée; quelques papiers se trouvaient répandus sur l'oreiller...

Paul Adams se retourna.« Andy, dit-il, quelqu'un a tiré sur Mayfair. Assis dans son lit,

avec sa lampe, quelle cible! Il est peut-être en train de mourir. Il nous faut un médecin. »

Il se pencha vers l'interphone et cria :

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« Robin! Pardo! Arrivez immédiatement! »Puis il se redressa. Son regard alla à la fenêtre, suivi par celui

d'Andy. La vitre de la fenêtre centrale avait été traversée par trois balles, qui y avaient ouvert trois petits trous bien ronds autour desquels rayonnaient des craquelures. Fasciné, Andy s'approcha de la fenêtre. Regardant par l'un des trous, il vit, droit devant lui, les lumières de la résidence de M. Lawerdy, qui apparaissaient et disparaissaient alternativement.

« Papa... », commença-t-il en se retournant.Mais avant qu'il eût eu le temps de parler, Pardo se précipita dans

la pièce, les mains dégouttantes d'huile. Robin le suivit; il endossait sa veste rouge tout en marchant. M. Henderson arriva aussitôt après Robin, il finissait d'enfiler sa robe de chambre par-dessus son pyjama et n'avait qu'une pantoufle.

Sèchement, Paul Adams donna des ordres :« Robin, téléphonez au médecin de M. Mayfair. Il vit encore, si

peu que ce soit. Henderson, allez voir ce qui se passe dans le parc : c'est probablement de là qu'on a tiré. Moi, je me charge d'appeler la police. Andy, retourne au lit. »

Andy était sur le point de répondre qu'il savait, lui, d'où les coups de feu provenaient. Mais lorsque son père parlait de ce ton-là, il était préférable de ne pas discuter.

« Bien, papa! » fit-il.Et il prit la direction de sa chambre.Ce ne fut qu'une fois dans son lit qu'il comprit quel genre de «

vermine-» avait essayé de tuer M. Mayfair,Grièvement blessé, le maître de maison avait essayé de confier à

l'interphone le nom de l'homme qu'il soupçonnait. Il avait essayé de dire : « Je soupçonne Lawerdy », mais n'avait pu aller plus loin que : «Je soupçonne Law... »

Puis, une autre idée vint à Andy. Peut-être M. Mayfair avait-il voulu dire : «Je soupçonne Lavinia », ou même, puisqu'il se plaisait à appeler ainsi Reggie : «Je soupçonne l'avorton...»

Entre les trois « vermines » possibles, Andy ne parvint pas à faire un choix ce soir-là. Fut-ce malgré toutes ses émotions ou à cause d'elles? Il s'endormit profondément.

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--------------------------------------------------------------------------------------ALFRED HITCHCOCK : Permettez-moi de vous interrompre

un instant, pour vous demander si vous avez remarqué certain indice qui, s'il ne prouve la culpabilité de personne, innocente à coup sûr un ou plusieurs suspects. Or, en éliminant un nombre suffisant de suspects, celui qui reste sera notre homme.

Si vous n'avez rien remarqué, cela ne vous fera aucun mal de relire les dernières pages. En mettant les choses au pire, vous recueillerez toujours le bénéfice d'un exercice de lecture et ce livre vous paraîtra d'autant plus long.

Réflexion faite, il serait peut-être utile de reprendre toute l'affaire depuis le début, à la lumière des événements qui viennent d'être contés. /c n'avais pas l'intention de vous en parler, mais, emporté par un élan de générosité, je veux bien vous révéler qu'un indice extrêmement significatif a fait une brève apparition au début de notre histoire et qu'on ne le verra plus.

J'en ai déjà trop dit. Faites un petit effort de votre côté.--------------------------------------------------------------------------------------

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IV

Lorsque Andy s'éveilla, le soleil était levé depuis longtemps. M. Adams avait visiblement dormi dans son lit, mais il n'y était plus. La montre d'Andy lui apprit qu'il était 9 h 30. On avait peut-être déjà résolu la double énigme des timbres dérobés et de l'assassinat de M. Mayfair?

Se débarbouiller, se brosser les dents, enfiler ses vêtements, fut l'affaire d'une minute. Andy bondit dans le couloir, s'arrêta. Tout au bout, vla porte de la chambre de M. Mayfair était ouverte.

Irrésistiblement attiré, il approcha sans bruit. Arrivé au niveau de la porte, il constata que la chambre était vide. On avait emmené M. Mayfair, probablement dans un hôpital. Si la porte n'avait pas été ouverte, Andy ne serait pas entré, mais, dans les circonstances présentes, il n'hésita pas.

Le dossier du lit, qui était en bois sculpté, avait été traversé par une balle : ce coup-là, apparemment, n'avait pas fait mouche. Il avait sans doute été tiré à l'instant où M. Mayfair roulait sur le flanc pour crier dans l'interphone.

Un fil noir avait -été fixé au point d'impact d'une part ei, à l'autre extrémité, au troisième trou de la vitre.

L'ordre des trous était facile à déterminer.La première balle, en perforant le carreau, avait provoqué des

fêlures tout autour de l'impact. La seconde balle avait également provoqué des fêlures, mais elles s'arrêtaient lorsqu'elles rencontraient les fendillements occasionnés par la première balle Les fendillements de la troisième s'arrêtaient dès leur intersection avec les fêlures de la seconde.

Andy comprit aussitôt à quoi servait le fil. En alignant les deux trous faits par la même balle sur une seule droite, on avait essayé de déterminer la trajectoire du projectile.

Andy se pencha de façon que son œil se trouvât placé au niveau du fil. Son regard passa par le trou de la vitre et, comme il s'y était attendu, alla se placer sur la terrasse d'une importai ni bâtisse en briques et bois qui se trouvait à quelques centaine.

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de mètres de là, au sommet d'une petite colline : la résidence de M. Howard Lawerdy.

Andy s'approcha de la fenêtre et considéra le paysage avec attention.

Le vent de la soirée précédente s'était apaisé. On pouvait voir un tronçon du fossé de dix mètres de large qui entourait le château. L'eau scintillait au soleil. Plus loin régnait une rangée de chênes, plantés à intervalles égaux; ensuite venait une muraille de pierre; enfin, trois cents mètres plus loin, le manoir Lawerdy.

La balle avait passé entre deux chênes, profitant d'un intervalle de quelque deux mètres.

Au cours de sa trajectoire, elle avait rasé — à 1,50 mètre près environ — l'angle de l'aile ouest du château. Andy examina l'aile ouest, pour s'assurer qu'il ne se trompait pas, que le coup de feu n'avait pu être tiré de là.

La fenêtre la plus proche du coin, celle de M. Henderson, était entrouverte, mais de là l'angle de tir aurait été tout autre. A la rigueur, s'il y avait eu un rebord... Mais il n'y avait pas de rebord. Non, ce coup de feu-là n'avait pu être tiré de cet endroit, pas plus que d'aucun autre de la maison ou des dépendances, ni de la terrasse, ni de la pelouse, ni du parterre qui séparait le bâtiment du fossé.

Tout à coup, Andy eut une émotion. A l'extrémité de l'aile ouest, il venait d'apercevoir la partie inférieure d'une échelle appuyée contre le bâtiment, de toute évidence contre l'extrémité même de cette aile. Bien sûr, personne n'aurait pu se tenir au haut de cette échelle et tirer, tout simplement parce que le tireur se serait trouvé alors derrière le coin et n'aurait même pas pu voir.la fenêtre de M. Mayfair. Mais Andy avait une autre idée, si singulière qu'il se demanda si son père l'avait eue aussi? Si l'idée était bonne, cela transformait la situation!

En toute hâte, Andy courut retrouver son père et faillit renverser Robin dans l'escalier.

« Robin! s'écria-t-il en retenant le valet pour l'empêcher de tomber. Savez-vous où est mon père?

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L’ordre des trous était facile à déterminer

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- M. Adams est dans la bibliothèque, monsieur, répondit Robin. Je crois savoir qu'il prend des notes.

- A-t-il résolu l'affaire?- Je ne le pense pas, dit Robin, qui ne semblait pas en être attristé

outre mesure. La police est là et nous avons tous été interrogés. Cependant, mon impression personnelle est que ces messieurs nagent complètement.

- Merci, Robin. »Andy courut vers la porte que le valet lui avait indiquée.Mais, en passant, il en vit une autre qui n'était pas complètement

fermée et s'arrêta.A l'intérieur, un officier de police qu'il connaissait, le lieutenant

Dick Fields, interrogeait un homme de haute taille, le nez busqué, les cheveux abondants et noirs : M. Howard Lawerdy, pensa Andy.

Bien sûr, le garçon n'avait pas l'habitude d'écouter aux portes. Mais, pour l'instant, ne menait-il pas une enquête? N'y avait-il pas sa fonction officielle, lui qui avait été amené là comme expert? De plus, la porte était entrouverte... Andy s'accroupit et se mit à nouer et à dénouer son lacet de chaussure, l'oreille tendue.

« Voyons, monsieur Lawerdy, disait le lieutenant Fields d'une voix lasse, cette carabine a été repêchée du fossé par mes hommes. C'est une arme de chasse, de fabrication belge, à lunette. Elle doit être précise jusqu'à cinq cents mètres.

- Jusqu'à mille, répondit Lawerdy sans se laisser démonter. La lunette est extraordinaire. Vous avez l'impression que l'objectif se trouve à trois mètres. La carabine m'appartient, je la reconnais parfaitement. Elle se trouvait au râtelier, avec quelques autres. C'est là qu'on a dû la voler.

- A quel moment? En avez-vous une idée?- Pas la moindre. La salle où j'entrepose mes armes est au bout

de la maison. Il m'arrive de passer des journées sans y entrer. La carabine a pu être empruntée hier, ou bien il y a un jour ou deux. Je suppose que l'usager l'a jetée dans le fossé pour ne pas courir un risque inutile en la remettant à sa place. J'avais une réception : mes invités se promenaient un peu partout.

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- Peut-être vous êtes-vous absenté vous-même quelques instants, monsieur Lawerdy? Peut-être vous êtes-vous servi vous-même de votre carabine?

- Pour tuer le vieux Mayfair? Ah! non, lieutenant. Tirer un homme au gîte, calmement assis dans son lit, cela ne se fait pas. Ce n'est pas sport. D'ailleurs, je n'ai pas quitté mes invités : vous le savez fort bien puisque vous vous êtes renseigné sur ce point.

- Pourtant, vous êtes l'ennemi de M. Mayfair.- Erreur. Il me déteste peut-être, mais j'aurais plutôt tendance à

l'admirer. Il sort vraiment de l'ordinaire! En fait, il est furieux parce que j'épouse Mlle Rainier. Je me suis même installé dans la région pour n'être pas séparé d'elle.

- Vous n'auriez pas par hasard acheté des timbres à M. Mayfair?- Des timbres dont il prétend qu'ils lui ont été volés? Non.- Je vous remercie, dit le lieutenant Fields en soupirant.

Mademoiselle Rainier!- Oui, lieutenant? »Andy reconnut la voix de la belle jeune femme qu'il avait entre-

vue la veille.« Avez-vous quelque chose à ajouter à votre déposition d'hier?- Rien. Je n'ai pas tiré sur Nigel. Remarquez que j'aurais pu le

faire et que j'en ai souvent éprouvé la tentation. Mais il se trouve que je n'ai pas quitté les autres invités un moment.

Tout de même, à trois cents mètres, vous n'auriez éprouvé aucune difficulté à abattre un homme avec cette carabine de chasse à lunette?

- Aucune, mon cher lieutenant, aucune. Je vous ferai volontiers une démonstration de mes capacités, si vous le désirez.

- Ce ne sera pas nécessaire, mademoiselle. A vous, monsieur Reginald Whitford.

- Dites donc, mon vieux, répondit Reggie de sa voix languide, vous ne croyez pas que nous sommes en train de perdre notre temps? Moi, non plus, je n'ai pas tiré sur le vieux bonze, mais j'aurais pu le faire et je l'aurais probablement fait si j'y avais pensé. Mon alibi est le même : j'étais avec toute la bande.

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Maintenant faites un petit effort de gentillesse et laissez-moi déjeuner : j'ai un rallye automobile cet après-midi. »

Visiblement, l'interrogatoire s'achevait. Andy partit comme une flèche pour la bibliothèque. Il y trouva son père, assis à un bureau sur lequel était posée une feuille de papier.

« Papa! cria Andy. M. Mayfair est-il déjà...? Est-il encore...?- Il est à la clinique, répondit M. Adams. Il n'a pas sa conscience.

Il y a cinquante chances sur cent pour qu'il en réchappe. Même alors, il ne parlera pas avant plusieurs jours.

- Et tu ne sais vraiment pas quelle « vermine » l'a blessé? » demanda Andy.

Aussitôt après il rougit, sentant qu'il venait de dire une sottise.« Cette histoire de « vermine » nous rendra fous, la police et moi,

répondit le détective sans s'étonner. Tiens, voilà le lieutenant Fields. Du nouveau, Dick? »

Le lieutenant, jeune officier de police sanglé dans son uniforme, venait d'entrer.

« Rien du tout! » fit-il en s'asseyant.

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A ce moment, Robin entra avec un plateau sur lequel il apportait deux tasses de calé, un verre de lait, deux œufs mollets et une pile de toasts. Il plaça le café devant les deux hommes et le reste devant Andy.

« Je me suis permis de servir monsieur », fit-il.Andy trouva que c'était une excellente initiative et attaqua son

repas avec voracité, pendant que le policier et le détective discutaient de l'affaire.

« Il faut que nous arrêtions le coupable le plus vite possible, Paul, dit Dick en sirotant son café. Sinon, pensez à ce que diront les journaux! Un vrai château avec douves et pont-levis, une chambre forte, un philatéliste milliardaire, un coup de feu dans la nuit. La victime tente de dénoncer son assassin et parvient seulement à articuler lav... Vous voyez d'ici les manchettes.

- Cette chambre forte, murmure M. Adams, le sourcil froncé... Il faudrait absolument arriver à l'ouvrir. Autrement, nous ne saurons pas ce qui a été volé. En outre, il pourrait y avoir un indice à l'intérieur.

- Robin m'a assuré que M. Mayfair y conservait des papiers qui auraient pu causer des ennuis à son personnel, intervint Andy. Il fait chanter tous ses domestiques, si bien qu'ils le servent fidèlement tout en le détestant.

- Précisément, acquiesça le lieutenant Fields. M. Mayfair n'est pas ce qu'on appelle un homme très délicat. Mais je, pense que nous ne parviendrons pas à ouvrir cette chambre forte, à moins qu'il ne nous en livre la combinaison.

- Un mot de six lettres que Mayfair est seul à connaître, dit M. Adams en tirant sur sa pipe. Nous pourrions essayer cent mille mots sans trouver le bon. Et pourtant, malgré toute l'astuce de Mayfair, quelqu'un l'a deviné ou l'a découvert. Nous n'avons qu'à en faire autant.

Timbre! » dit tout à coup Andy.Les deux hommes le regardèrent.« Je veux dire, expliqua-t-il en avalant une bouchée de toast, que

le mot « timbre » a six lettres et que M. Mayfair s'intéresse aux timbres. Ce pourrait être le mot de la combinaison.

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- Bonne idée, fils, dit M. Adams en secouant la tête, mais nous y avons déjà pensé. De même qu'à Helena, le prénom de sa première femme, à Castel, à Manoir, à Cragie, et à beaucoup d'autres. Aucun résultat.

- Il va falloir laisser la chambre forte de côté, dit le lieutenant Fields. De toute façon, si nous arrêtons l'assassin, nous tiendrons le voleur du même coup. Apparemment votre arrivée ici, hier soir, a affolé notre homme. Perdant son sang-froid, il a résolu de tuer Mayfair pour déjouer votre enquête.

- Je n'en suis pas sûr, fit le détective, en fronçant encore plus les sourcils. Peut-être le voleur avait-il déjà l'intention de le tuer hier soir et a-t-il opéré sans se soucier de ma présence.

Tu veux dire qu'il avait choisi la soirée d'hier à cause de la réception de M. Lawerdy? demanda Andy. C'était une occasion pour Mlle Rainier et pour Reggie qui pouvaient ainsi quitter le château sans exciter de soupçons. A la faveur du remue-ménage d'une grande soirée, il leur aurait été facile de s'éclipser sans que leur absence soit remarquée. Même chose pour M. Lawerdy qui a pu tirer lui-même.

- Précisément, dit le détective, content des déductions de son fils. Plusieurs suspects en scène et beaucoup de confusion pour brouiller la piste. Mon cher Dick, il s'agit d'un crime prémédité. Je ne vois aucune trace d'improvisation. Regardez : j'ai ici un plan du terrain et j'y ai porté la trajectoire de la balle. »

V

M. Adams plaça une feuille de papier au milieu de la table. Andy et le lieutenant Fields se penchèrent dessus.

« C'est clair, dit le lieutenant. Lawerdy, Reggie ou Mlle Rainier, n'est-ce pas?

- C'est évident. Mais comment choisir entre nos trois « vermines »?

- Papa! s'écria Andy. L'échelle. Elle est portée sur ton croquis. Là, à l'extrémité de l'aile ouest.

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- Et alors, demanda le détective.-J'ai une idée! explosa Andy. Est-ce que nous pourrions

l'.essayer? C'est à propos de l'échelle.- Paul, ton fils est en train de suivre tes traces, remarqua le

lieutenant Fields. Qu'il nous montre en quoi consiste son idée, quelle qu'elle soit.

- Bien sûr, fit le détective en vidant les restes de sa tasse de café et en frappant sur l'épaule d'Andy. Allons-y, liston. »

Une minute plus tard, ils furent sur la terrasse qui se trouvait derrière la salle des gardes du château. Ils contournèrent l'aile ouest et découvrirent une lourde échelle à coulisse, appuyée à une fenêtre du second étage.

« Cela fait une semaine qu'elle y est, précisa Paul Adams. Un maçon devait remettre du ciment sur l'appui de la fenêtre; puis il est tombé malade et n'a pas terminé son travail. Alors, ton idée ?

- Il faut poser l'échelle par terre, dit Andy. Je n'étais pas sûr que c'était une échelle à coulisse, mais c'en est bien une. Elle doit faire quinze mètres.

- Exact. Dick, veux-tu nous aider? Il faudra nous mettre à trois pour la bouger. »

L'échelle était lourde. En la redressant, ils faillirent la laisser tomber, la rattrapèrent à grand peine et retendirent précipitamment. Andy tira la corde qui permettait de mettre en place la rallonge de l'échelle.

« Maintenant, fit-il, haletant, il faut la poser perpendiculairement au fossé.

- Saperlipopette! s'écria Dick Fields, plein d'admiration. Dis donc, Paul, ni toi ni moi n'avons songé que l'échelle aurait pu servir de pont. Nous avons pensé à d'autres choses mais pas au pont! Ton fils nous montre que nous ne sommes pas aussi malins que nous l'imaginions.

- Je me plais à le reconnaître », dit M. Adams.Ils poussèrent alors l'échelle de telle façon que, le fossé n'ayant

que dix mètres de large, elle prit appui solidement sur les deux rives.

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« Qu'est-ce qui t'a fait penser à cela, Andy? Demanda M. Adams.- Une fois, aux actualités, j'ai vu des pompiers se servir

d'une échelle comme d'un pont jeté par-dessus une rue pour sauver une femme d'une maison en feu. Je me le suis rappelé. Maintenant, regarde.»

Il traversa légèrement le fossé dans un sens puis dans l'autre, sautant d'échelon en échelon avec une agilité de chamois, grâce à ses chaussures à semelle de caoutchouc.

« Vous voyez? s'écria-t-il. Il n'est pas nécessaire que le coupable soit allé à la réception. N'importe qui dans la maison aurait pu traverser le fossé, se glisser chez M. Lawerdy pour voler la carabine, tirer sur M. Mayfair, revenir, jeter la carabine dans le fossé, remettre l'échelle en place, et jouer l'innocent.

- Voilà des migraines en perspective, Dick, fit M. Adams en riant. De nouveaux suspects. Tout le tremblement, quoi !

- Remettons l'échelle en place, proposa le lieutenant Fields. Vois-tu, Andy, ajouta-t-il pendant qu'ils s'efforçaient tous les trois de soulever l'échelle, le danger, lorsqu'on fait des déductions,

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c'est qu'on a tendance à en faire une bonne et, ensuite, à s'arrêter. On est si content de soi qu'on ne cherche pas les défauts de son propre système ni les autres possibilités. »

Avec un grand choc, l'échelle reprit sa place, contre l'appui de la fenêtre et le policier s'épousseta les mains.

« Ton idée est bonne, Andy, elle est très bonne. Mais allons plus loin. Nous avons eu quelque difficulté à déplacer cette échelle, n'est-ce pas? Et nous étions trois!

- Oui, monsieur... »Aussitôt, Andy se sentit au désespoir. Comment avait-il pu

négliger une objection aussi évidente?« Vous voulez dire que, même à supposer qu'un seul homme ait

été capable de déplacer cette échelle, il aurait eu besoin de beaucoup de temps, surtout la nuit? Personne dans la maison n'aurait pris un tel risque, d'autant plus que papa et moi, nous avons vu Robin, Pardo et M. Henderson en haut, deux ou trois minutes après les coups de feu.

- Tu y es, mon garçon. »Mais Andy eut aussitôt une autre idée. Aujourd'hui, elles

pleuvaient. Une fois qu'il avait commencé son enquête, plus moyen d'arrêter le mécanisme mental qui les fournissait.

« Supposons que tout le personnel soit d'accord, dit-il. Tous les trois, complices! Ils auraient pu enlever et remettre l'échelle rapidement et n'importe lequel des trois aurait pu tirer les coups de feu : ce sont tous de bons tireurs.

- Diable! s'écria Fields. Paul, voilà encore une idée que nous n'avons pas prise en considération. Si ce garçon avait quelques années de plus, je le mettrais directement à l'école de la police. Ses idées, même fausses, sont intéressantes.

- Et celle-là? demanda Andy, presque agressif. Elle est fausse aussi ?

- Il se peut qu'elle soit vraie, répondit son père. En tout cas, elle est riche de possibilités. Mais n'oublie pas que M. Mayfair soupçonnait quelqu'un. Il avait probablement de bonnes raisons pour cela. Il a essayé de nous dire de qui il s'agissait. C'est là tout le sens du message « vermine ».

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Pour quelques instants, Andy s'avoua battu. Mais, bientôt après, il se ressaisit et posa aux deux hommes un nouveauproblème.

« Peut-être, fit-il, M. Mayfair voulait-il dire «je soupçonne la valetaille ». Ce serait bien dans sa manière de parler ainsi de Pardo, de Robin et peut-être même de M. Henderson. Et nous aurions lav tout de même. »

Le lieutenant Fields se mit à rire. M. Adams inclina la tête en signe d'assentiment :

« Andy, si tu plaidais pour l'accusé, nous ne parviendrions jamais à le faire condamner, quel qu'il fût. Mais il y a encore une raison pour laquelle ton idée, si ingénieuse qu'elle soit, n'est pas recevable. En tout cas, pas dans les circonstances d'hier soir. Vois-tu pourquoi? »

Andy réfléchit un moment. Il songea à l'obscurité, à la façon dont les lumières avaient apparu et disparu à cause de la bourrasque qui agitait les branches des chênes, et il comprit.

« Tu veux dire, papa, que c'était facile pour moi de courir sur cette échelle en plein jour, mais que, la nuit, par tempête, personne ne pourrait le faire sans risquer de poser le pied entre les échelons et de se casser une jambe ou de tomber dans l'eau. On serait obligé de ramper, ce qui serait beaucoup plus long. Les complices n'auraient pas pu se présenter si vite après ton appel, chez M. Mayfair.

« Tu y es, dit M. Adams, très content de son fils. Tu as compris la méthode. Dans une demi-heure, nous avons tous rendez-vous dans la chambre de M. Mayfair et nous allons essayer, le lieutenant Fields et moi, d'obtenir les aveux du coupable. Tu assisteras à la scène et tu observeras les suspects. »

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ALFRED HITCHCOCK : Eh bien, vous ne voyez pas comment on pourrait perfectionner les brillantes idées d'Andy?...

Laissez-moi vous dire que, au point où nous en sommes, il ne vous manque plus rien pour résoudre l'énigme de l'assassinat manqué de M. Mayfair.

Pensez à une rangée de chênes. A un gros homme assis dans son lit,

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éclairé par une lampe de chevet, cible parfaite. A une nuit de novembre, au vent qui se lamente et qui hurle. A une chambre forte dotée d'une combinaison de six lettres. Pensez-y ferme à cette combinaison car, dam quelques instants, une question de vie ou de mort y sera suspendue. Pensez à des échelles, à des haut-parleurs, à un homme qui voulait posséder les timbres les plus rares du monde.

Puis attaquez la suite de notre récit. Vous y trouverez un candidat assassin démasqué, un retournement de la situation, et une devinette fantastique dont dépendra la vie d'un être humain.--------------------------------------------------------------------------------------

CONCLUSION

VI

Andy Adams se tenait adossé au mur de la chambre de M. Nigel Mayfair.

La chambre, si vaste qu'elle fût, paraissait pleine de monde.M. Adams se tenait près de la fenêtre criblée de balles. Le

lieutenant Fields, près de la porte qui donnait sur le couloir et qu'il avait fermée à clef. Pardo, Robin et un gros homme en bonnet blanc de cuisinier étaient rangés de l'autre côté du lit; ils paraissaient agressifs ou peut-être effrayés. M. Henderson, accoudé au mur à côté d'Andy, réfléchissait profondément tout en fumant. Mlle Ramier, la seule femme, s'était installée avec une nonchalance royale dans un fauteuil, non loin du détective. M. Lawerdy se tenait auprès d'elle. Reggie, le beau-fils, se vautrait dans un autre fauteuil, les jambes étendues et les mains dans les poches.

« Messieurs, madame, commença le lieutenant Fields, cette réunion fait officiellement partie de l'enquête que je mène concernant la tentative d'assassinat dont M. Mayfair a été l'objet. M. Adams nous fera profiter de quelques idées qu'il a eues, grâce au fait qu'il était dans la maison au moment où le crime a été commis. Avez-vous des questions à poser? »

Personne n'en avait. Reggie bougea comme s'il avait eu l'intention de dire quelque chose, puis y renonça. M. Adams prit la parole.

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« Tout d'abord, commença-t-il, je vous demanderai de prêter attention au fil tendu entre le lit et la fenêtre. Il détermine la trajectoire des balles tirées contre M. Mayfair. Deux de ces balles l'ont atteint. Monsieur Lawerdy, voulez-vous prendre la ligne de mire?

- Volontiers. »Le grand homme brun vint placer son œil au niveau du fil et

regarda longuement.« La trajectoire, dit-il en se redressant, passe entre deux chênes et

aboutit à ma terrasse, à trois cents mètres d'ici.- Avez-vous un commentaire à formuler?- Oui, répondit Lawerdy avec un sourire oblique. J'ai mes

félicitations à vous présenter.- Comment dois-je les prendre? — Comme vous voudrez. »M. Lawerdy sourit et regagna sa place.« Mademoiselle Rainier, dit le détective en se tournant vers la

jeune femme, avez-vous un commentaire à formuler?

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- Je ne peux que m'associer à celui de Howard. Toutes mes félicitations.

- Et vous, Reggie? demanda M. Adams en s'adressant au jeune homme. Avez-vous quelque chose à dire? »

Reggie ne prit pas la peine de se lever. Il eut un sourire de biais.« Si vous comptez que je vais vous aider, vous vous trompez,

déclara-t-il. Le vieux bonze est en train de mourir : il n'a que ce qu'il mérite. Il passait son temps à nous terroriser. Vous ne pouvez rien prouver contre Howard, ma chère tante ou moi : nous étions à la réception tous les trois et nous avons eu autant d'occasions de tirer ces coups de feu les uns que les autres. De plus (et, à ces mots, Andy, stupéfait, vit Reggie sourire largement), votre histoire ne tient pas debout; seulement vous n'aurez jamais l'astuce de vous en apercevoir.

- Point de vue constructif, fit observer M. Adams. Vous connaissez tous les derniers mots de M. Mayfair, qui ont été « je soupçonne Law... », ce qui pouvait signer indifféremment Lawerdy, Lavinia ou l'avorton, c'est-à-dire vous, mon cher monsieur Reggie. »

En prononçant ces mots, le détective dévisageait successivement chacun des trois suspects. Aucun d'eux ne baissa les yeux ou ne perdit son calme. Le cœur d'Andy battait anxieusement. Comment son père ferait-il pour choisir un coupable parmi les trois suspects? C'était impossible.

« Vous aviez tous un mobile, poursuivit le détective. Vous, monsieur Lawerdy, vous désiriez peut-être protéger votre fiancée. Vous, mademoiselle Rainier, vous avez peut-être volé les timbres et vous n'aviez pas envie d'aller en prison. Vous, jeune Reggie, vous aviez le même motif.

- Motif? ricana le jeune homme. J'en avais des dizaines, de motifs, môssieu le détective. Je n'ai qu'un regret : c'est de n'avoir pas réussi à trouver la combinaison qui ouvre la fameuse chambre forte. Il y a longtemps que je serais parti en emportant ses précieux timbres.

- Néanmoins, reprit Paul Adams en jetant un bref regard à son fils, je pense être à même de prouver, de façon presque décisive, que vous êtes tous les trois... innocents. »

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Il attendit que l'émotion se fût un peu apaisée et poursuivit : « La nuit dernière, un vent d'ouest soufflait en tempête et secouait durement les arbres. Lorsque j'ai regardé par cette fenêtre après l'attentat, j'ai vu les lumières de votre résidence, monsieur Lawerdy, paraître et disparaître. Le vent s'acharnait sur les chênes qui se trouvent de l'autre côté du fossé avec tant de puissance que, la moitié du temps, cette fenêtre n'était certainement pas visible de votre terrasse. Un tireur d'élite, quelles que fussent ses capacités, aurait-il pu espérer toucher un homme à trois cents mètres par grand vent, alors que les branches d'un chêne, chargées de feuilles mortes, s'agitaient sans cesse, dans sa ligne de mire?

- Évidemment non, répondit Lawerdy. Je me demandais si vous y penseriez. Premièrement, il aurait été impossible d'estimer l'effet du vent. Deuxièmement, le mouvement des feuillages aurait faussé le coup d'œil. Troisièmement, il se pouvait fort bien que les branches fassent dévier les balles elles-mêmes. Personne n'aurait pu toucher Mayfair de ma terrasse, hier soir.

- Eh bien ! dit Reggie, admiratif malgré lui. Vous autres, les policiers, vous êtes tout de même moins stupides que je ne le pensais.

- Un instant! fit Pardo, le chauffeur garde du corps, en s'avançant et en plaçant son œil au niveau du fil. Si ce coup de feu n'est pas venu de la terrasse, il est venu de nulle part, car il ne peut provenir d'aucune fenêtre de cette maison. C'est un coup de feu qui tombe du ciel !

- En un certain sens, oui, acquiesça le détective. Il m'a suffi de me dire cela pour comprendre comment les choses se sont passées. Veuillez, tous, vous écarter du lit. Vous allez voir une reconstitution du crime d'hier soir. »

Il ouvrit la fenêtre, vérifia que tous les spectateurs s'étaient écartés, puis installa un gros oreiller blanc bien en évidence sur le lit et retourna à la fenêtre pour faire un signal avec son mouchoir. Un instant plus tard, Andy voyait un des spectacles les plus inattendus de sa vie.

Tous les assistants regardaient par les fenêtres voisines

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de celle que les balles avaient traversée. Ils poussèrent un cri de stupéfaction, lorsqu'ils virent apparaître une échelle à l'extrémité de l'aile ouest.

C'était l'échelle qu'Andy avait remarquée plus tôt. Maintenant elle s'inclinait non pas vers le mur mais au contraire en s'en éloignant. A califourchon sur le dernier échelon, était installé un policier en uniforme, une carabine à la main.

Andy s'attendait que l'échelle tombât. Mais elle ne tomba pas. En regardant attentivement, il vit qu'une corde reliait l'échelon supérieur à la dernière fenêtre de l'aile ouest. L'échelle continua à s'incliner si bien que son sommet se trouva à quatre mètres environ de la maison; alors elle s'arrêta, maintenue en position par une corde qui devait être attachée à un point fixe quelconque à l'intérieur.

Qui aurait jamais pu imaginer une échelle appuyée contre le vide?

Une fois en place, le policier, les pieds rivés aux échelons, épaula son fusil et fit feu.

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Une détonation retentit et l'on vit le duvet de l'oreiller transpercé voler en l'air, comme un petit geyser.

La balle avait frappé exactement à l'endroit où, la veille au soir, M. Mayfair avait été assis dans son lit.

Quelqu'un attira de nouveau l'échelle vers la maison et le policier descendit au sol, mais personne ne s'en souciait plus : tous gardaient les yeux fixés sur Paul Adams.

« Voyez-vous, reprit le détective, un coup de feu pouvait très bien provenir du ciel tout en ayant l'air de provenir d'ailleurs; plus particulièrement, monsieur Lawerdy, de votre terrasse. Mais puisque je savais qu'il ne pouvait provenir de votre terrasse, je n'avais plus qu'à trouver d'où il était venu. Je finis donc par remarquer que le sommet de cette échelle, s'il s'éloignait un peu du mur, se trouverait précisément sur la trajectoire de la balle. A si petite distance, même par grand vent, il ne fallait pas être un tireur particulièrement expérimenté pour être sûr de son coup.

- Mais alors ce serait... », commença Pardo.

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Soudain tous les regards se tournèrent vers M. Henderson qui se tenait debout, accoudé à une porte, près d'Andy.

« Ce serait M. Henderson, dit le détective d'un ton grave. Monsieur Henderson, la fenêtre contre laquelle l'échelle est appuyée donne dans un couloir, à côté de votre chambre. Dans votre chambre même, nous avons trouvé une rallonge de fil électrique, très solide comme toutes ces rallonges, et qui porte des traces indiquant qu'elle a été attachée à quelque chose de chaud, par exemple le tuyau du radiateur qui se trouve juste sous la fenêtre. En vous aidant de cette rallonge, vous avez pu, vous tenant sur l'échelle, vous repousser dans le vide et tirer de votre perchoir sur M. Mayfair.

« Personne n'aurait pu faire la même chose sans dépasser le laps de trois minutes qui s'est écoulé entre le moment où les coups de feu ont été tirés et celui où vous vous êtes présenté. Vous, en revanche, vous n'aviez qu'à jeter la carabine dans le fossé, à tirer sur la rallonge pour rapprocher de nouveau l'échelle de la fenêtre, à grimper à l'intérieur et à venir nous rejoindre. De plus, si quelqu'un d'autre que vous avait tiré du même endroit, vous n'auriez pas manqué d'entendre les détonations et vous nous l'auriez signalé.

- Mais M. Henderson ne fait pas partie de la « vermine! » s'écria tout à coup Andy.

Puis, rouge de confusion, il porta la main à sa bouche comme pour s'empêcher de parler. Mais il était trop tard.

« Tu veux dire, Andy, que son nom ne commence pas par lav. fit le détective. Mais, ne l'oublie pas, M. Mayfair est Anglais. Et les Anglais appellent leurs hommes de loi des avoués. C'esi sous ce titre qu'il nous a présenté Henderson. Le voilà, ton lav! M. Mayfair essayait de dire : «Je soupçonne l'avoué. »

Andy avala sa salive. Le vent, le chêne plein de feuilles mortes, le mot « avoué », l'échelle qu'il avait tenue lui-même en équilibre, à trois mètres de l'aile ouest : il avait eu tous les indices entre les mains et il n'avait pas su en déduire la signification. Jamais il ne serait détective.

Il fut tout surpris de sentir que M. Henderson entourait ses

épaules d'un bras vigoureux tandis qu'un objet dur et froid entrait en contact avec le creux de son dos.

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« Pas de chance! dit M. Henderson. Se laisser duper par une petite bise! Et moi qui étais si fier de mon stratagème. Autrement, je n'aurais jamais poussé Mayfair à vous faire venir, Adams. Mais je vous imaginais comme un petit bonhomme tout voûté, à moitié aveugle d'avoir déchiffré des documents poussiéreux et, en suggérant à Mayfair de vous engager, je lui démontrais qu'il avait tort de me soupçonner. Ce qui me donnait le temps de mettre au point mon plan pour le tuer. Dommage que tout cela n'ait pas marché. Enfin, étant donné les circonstances, je crois que le moment est venu pour moi de prendre congé. »

A la surprise d'Andy, la porte qui se trouvait derrière lui s'ouvrit. Avant que quiconque ait eu le temps de bouger, l'avoué fit un pas en arrière tout en tirant le garçon après lui et claqua la porte.

Tous les deux se trouvaient dans un ascenseur qui descendait rapidement.

VII

« L'ascenseur privé de Mayfair, expliqua Henderson. Toi, mon garçon, ne te débats pas. J'ai un pistolet et m'en servirai si tu m'y forces. Si tu restes calme, tu n'as rien à craindre. »

L'ascenseur s'arrêta en douceur. La porte s'ouvrit. Henderson poussa Andy devant lui, le maintenant toujours fermement, puis lui fit traverser le bureau de M. Mayfair de façon à pouvoir verrouiller la lourde porte qui en fermait l'issue.

« II n'y a pas d'autre entrée. Cette porte est en bon chêne. Cela nous donne cinq minutes de tranquillité. »

Il saisit le poignet d'Andy et lui tordit le bras derrière le dos.« Ne bouge pas si tu tiens à garder tes deux bras intacts. »Andy obéit. La face contre le mur, il devina que Henderson

faisait jouer la combinaison de la chambre forte. Le garçon ne s'était pas trompé, car, un instant après, la porte d'acier pivota. L'avoué alluma l'électricité, poussa Andy dans la chambre forte

et le fit asseoir dans le fauteuil qu'il poussa tout contre le bureau, si bien que le garçon était immobilisé.

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« Maintenant, mon petit, dit Henderson, si tu essaies de bouger, j'ai tout le temps de t'abattre. Si tu obéis, tu as une chance d'en réchapper. »

II montra à Andy le pistolet automatique qu'il tenait, puis le glissa dans sa poche.

Sans cesser de surveiller le garçon, l'avoué s'empara de plusieurs albums de cuir qui se trouvaient sur l'étagère inférieure. Andy ne bougeait pas. Il savait que Henderson aurait largement le temps de saisir son pistolet avant que lui, Andy, n'ait trouvé celui de se lever.

Le souffle court, le fils du détective suivait des yeux le criminel.« Bien sûr, fit observer celui-ci, j'ai eu tort de voler ces quelques

timbres. Mais j'avais besoin d'argent de poche. Maintenant je vais faire le travail proprement, comme prévu. »

Tout en fredonnant un petit air, l'avoué parcourut rapidement les albums. Il arrachait les petits sachets de cellophane qui contenaient les timbres les plus rares et les fourrait dans une enveloppe. L'enveloppe pleine, il la mit dans sa poche et se retourna. Toute l'opération ne lui avait pas pris une minute.

« Et voilà, annonça-t-il. Au catalogue, ils valent au moins trois' cent mille dollars. J'en tirerai bien cent mille en Europe. Bon. Il va falloir que je te quitte. Désolé d'avoir à te laisser tout seul ici. Ah! un petit détail encore. »

Il prit une cassette d'acier sur une étagère.« Mayfair gardait là-dedans des documents désagréables pour

moi et pour les autres. Tout le monde sera ravi d'apprendre que je compte brûler le contenu.

- Vous ne pourrez pas sortir, dit Andy, en essayant d'affermir sa voix. Écoutez! Ils sont déjà en train d'attaquer la porte du bureau à coups de hache.

- Exact. Mais je prendrai le risque de sortir tout de même. Vois-tu, mon cher Andy, je compte t'enfermer ici. Tu as assez .d'air pour cinq ou six heures et personne ne peut découvrir la

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combinaison en moins de temps. Si la police accepte de me laisser partir en me donnant quatre heures d'avance, je téléphonerai la combinaison à ton père. Sinon... Sinon, eh bien, lorsqu'on t'aura tiré de là, cela te sera complètement égal. »

II fit un pas vers la porte de la chambre forte, puis s'arrêta, bien qu'on entendît les coups de hache qui martelaient la porte du bureau.

« Mon garçon, reprit Henderson, tu m'es sympathique et j'ai de l'admiration pour ton père qui a déjoué mes plans. C'est pourquoi je vais m'offrir le luxe d'un geste sportif à ton égard. Je vais te fournir quelques indices pour te permettre de trouver le mot qui ouvrira celle chambre. Moi, j'y suis parvenu autrement : sous le coup d'une inspiration subite. Toi, tu auras tout le temps de faire de savantes déductions. Maintenant, écoute-moi attentivement.

« En classe, si tu fais du français, tu as sûrement dû étudier une pièce appelée Le Cid, d'un nommé Corneille. Dans cette pièce, Don Diègue dit au comte que la valeur du second a bien

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rempli la place du premier. Il va falloir que tu te rappelles comment elle était, cette valeur, car tout dépend d'elle. « Imagine maintenant que tu trouves la même valeur à ce menu qu'il faut consommer à la deuxième heure : tomates en rondelles, ignames en purée, marmelade, bouillon de légumes, rosbif et escalopes. Si tu résous cette énigme, tu auras un indice pour découvrir le mot qui ouvre cette chambre. Tourne-le en avant, en arrière, à l'envers, à l'endroit et la tête en bas. Cela te semble un peu compliqué? Vraiment, c'est tout ce que je peux pour toi. J'ai beaucoup de chemin à faire pour trouver une cachette. Si notre sympathique Mayfair ne meurt pas, il fera tout au monde pour se venger de moi. »

Sur ces mots, il claqua la lourde porte d'acier et Andy entendit le cliquetis sourd de la combinaison.

Le garçon se trouvait seul, dans une chambre étanche où - à moins que son père ne réussît à le sauver — il suffoquerait dans quelques heures.

Andy repoussa le fauteuil en prenant appui sur le bureau, et bondit vers la porte. Il saisit la poignée et se mit à la tourner de toutes ses forces. La panique s'emparait de lui. Son cœur battait à se rompre. Ses poumons ne trouvaient plus d'air. Déjà, il étouffait.

Puis il fit un effort sur lui-même. Il se contraignit à reprendre son calme. Il y avait assez d'air pour plusieurs heures, surtout s'il ne bougeait pas trop. Son père trouverait sûrement le moyen d'ouvrir la chambre forte. Aucun doute là-dessus.

Andy refusa d'admettre qu'il n'en était pas du tout sûr. Il revint au bureau, s'assit. Sur le bureau traînaient les albums où M. Henderson avait prélevé les pièces rares. Andy les voyait à peine. Il essayait de reconstituer très exactement les paroles de M. Henderson. Que signifiait l'énigme imaginée par l'avoué?

Un vers français tiré de cette pièce, Le Cid, qu'Andy avait justement au programme cette année-là. Il en avait même appris des scènes entières, par cœur... «Votre... valeur a bien rempli ma place... » Grande? Belle? Forte? Non.

Tout à coup, il se souvint.

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« Votre rare valeur a bien rempli ma place... » Rare. Qu'est-ce que cela voulait dire? Rien du tout. Il est vrai que les devinettes ne veulent jamais rien dire tant qu'on ne connaît pas la réponse.

La réponse de cette devinette-là pouvait lui sauver la vie. Il prit donc un morceau de papier et écrivit :

« Votre rare valeur a bien rempli ma place. »Et, plus bas, le menu absurde proposé par M. Henderson.

MENU

tomates en rondelles,ignames en purée,marmelade,bouillon de légumes,rosbif,escalopes.

Il regarda le texte attentivement. Ce texte qui, apparemment, ne voulait rien dire. Il n'y avait même pas un seul mot de six lettres. Et ce menu, d'après Henderson, avait la même valeur que celle de Don Gorrnas...

Tout à coup, des larmes emplirent les yeux d'Andy. A propos de menu, c'était le jour de Merci-Donnant. Si tout s'était passé normalement, M. Adams et son fils auraient dû être en train, en ce moment, de faire rôtir eux-mêmes, la dinde traditionnelle, puisque Mme Adams n'était pas là... Andy ne put se retenir de pleurer.

A cet instant, la voix de son père résonna à ses oreilles. « Andy! Andy, m'entends-tu? »

II regarda autour de lui sans comprendre.La chambre forte était toujours fermée. La voix provenait d'une

petite boîte grillagée qui se trouvait sur le bureau : c'était un haut-parleur, comme M. Mayfair en avait fait installer dans toute sa maison pour demeurer en communication constante avec son personnel.

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« Andy, si tu m'entends, appuie sur le bouton rouge de l'interphone et réponds-moi. Puis lâche le bouton pour m'entendre. » Andy ne se le fit pas dire deux fois. « Oui, papa, je t'entends.

- C'est encore une chance. Écoute-moi, fils. Nous avons conclu un marché avec Henderson. Nous lui donnons quatre heures d'avance, après quoi il me téléphone la combinaison. Tu comprends? Tu ne cours aucun risque. Tu n'as qu'à rester très calme pendant quatre heures. L'air ne te manquera pas d'ici là.

- Ne t'inquiète pas pour moi, papa, dit Andy, aussi fermement qu'il put.

- En attendant, nous allons essayer de découvrir la combinaison.- Papa ! » interrompit Andy.Il transmit à son père les indices que Henderson lui avait donnés :

le vers français et le menu absurde. Il y eut un long silence. Puis M. Adams répondit, sans conviction :

« Cela n'a pas l'air de signifier grand-chose. Mais nous allons demander à un expert de la police de décoder ce texte. En attendant, garde ton calme. Nous n'allons pas cesser de travailler et je vais te parler toutes les cinq minutes. Tu sais que nous ne pouvons pas tenter de découper la porte au chalumeau, n'est-ce pas?

- Oui, papa. J'ai entendu ce qu'a dit M. Mayfair. Des gaz toxiques se répandraient partout.

— Précisément. Alors essaie de tuer le temps en feuilletant la collection de timbres. Et surtout, pas de panique. »

Pas de panique, facile à dire! Andy jeta un regard aux murs d'acier qui l'entouraient et crut les voir se rapprocher lentement pour l'écraser... L'air lui manquait... Son cœur battait la chamade, la sueur lui trempait le front... Tout à coup, épouvanté, il bondit sur le bouton rouge :

« Papa! Papa!— Oui, Andy? »Il avait été sur le point de demander : « Et si M. Henderson ne

téléphone pas? » Mais il connaissait la réponse et il était inutile de moulin à son père qu'il avait peur.

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« Rien. Je voulais seulement entendre ta voix.- Je suis là, Andy. Mlle Rainier et Reggie nous aident à chercher

des mots que M. Mayfair aurait pu utiliser pour sa combinaison.- Quelle chance! »En lui-même, Andy était sûr que Mlle Rainier et Reggie ne

trouveraient rien. Mayfair s'était bien gardé de donner une seule indication qui permît à quiconque de percer son secret. Et pourtant, Henderson avait réussi! Donc, c'était possible. Mais quel rapport avec Le Cid?

Votre rare valeur a hien rempli ma place... Tomates en rondelle!,, ignames en purée, marmelade, bouillon de légume!,, rosbif, escalopes...

Ces mots ne quittaient plus le cerveau d'Andy. Ils y tournaient en rond, pleins d'ironie. Et ils n'avaient aucun sens!

Pour ne pas rester à ne rien faire, Andy prit le premier album relié que Henderson avait abandonné. Sur la couverture, en hautes lettres d'or, figurait l'inscription suivante :

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ERREURS ET RARETÉSCollection

de M. Nigel Mayfair

Andy ouvrit l'album. La première page portait en titre :

Guyane anglaise1 cent carmin

1856

Plus bas, un emplacement était réservé pour le timbre et son enveloppe protectrice. La partie inférieure de la page était consacrée à l'histoire de ce timbre, le plus rare du monde, dont l'unique exemplaire connu avait été découvert tout d'abord par un garçon nommé Vaughan, qui l'avait vendu pour un dollar cinquante, et qui valait maintenant 50 000 dollars.

Mais, de toute évidence, ce timbre n'avait jamais été la propriété de M. Mayfair. Il appartenait à quelqu'un d'autre qui ne voulait pas s'en séparer. Ainsi donc, si M. Mayfair lui avait tout de même réservé une page, c'était qu'il avait fermement résolu de s'en emparer un jour, par n'importe quel moyen...

Andy passa aux pages suivantes. Elles étaient presque vides : les « erreurs » triangulaires du cap de Bonne-Espérance, les cinq pièces rares de l'île Maurice, la collection complète des timbres provisoires émis en 1861 par chacun des États confédérés d'Amérique, des vingtaines d'autres pièces de grande valeur, M. Henderson avait tout emporté.

Désolé d'avoir manqué cette occasion de contempler des timbres qu'on ne trouvait que chez les collectionneurs les plus fortunés, Andy prit un autre album et se força à l'examiner. Il lui fut plus facile ainsi d'oublier les minutes qui passaient et l'air qui s'épuisait.

L'album qu'il avait choisi contenait une collection complète des timbres commémoratifs américains. A n'importe quel autre moment, Andy aurait été passionné; mais, pour cette fois, il ne

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put s'y intéresser pendant longtemps. Il repoussa l'album, songeant à la fureur avec laquelle M. Mayfair avait parlé du ministre des Postes, qui avait fait paraître une nouvelle édition des « erreurs Hammarskjôld » avec ce résultat que, maintenant, elles n'étaient plus des raretés du tout.

Comme il repoussait l'album, son regard tomba sur la feuille de papier où il avait écrit ce vers du Cid et cet inconcevable menu. Alors -- peut-être parce qu'il venait de penser à des timbres rares -- il remarqua soudain que le deuxième mot du vers était rare. Or, M. Henderson avait dit que son menu devait être consommé à la deuxième heure et qu'un adjectif semblable s'appliquait au menu et à la valeur. Le moins qu'on pût dire, justement, c'était que le menu en question n'était pas commun...

Aussitôt, les premières lettres de chacune des lignes du menu semblèrent s'aligner spontanément pour former un mot :

Votre rare valeur a bien rempli ma place.

MENU

Tomates en rondelles,Ignames en purée,Marmelade,Bouillon de légumes,Rosbif,Escalopes.

Lorsqu'il eut résolu l'énigme, Andy en déduisit le mot, le mot unique que M. Mayfair n'aurait jamais pu oublier, le mot auquel il pensait sans arrêt, le mot qu'il avait certainement utilisé comme combinaison pour sa chambre forte.

Andy appuya si violemment sur le bouton rouge qu'il se fit mal au pouce.

« Papa! Papa! »Sans parvenir à cacher sa surexcitation, il exposa ses déductions à

son père.

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« Bravo, mon garçon! Nous allons essayer. Ne sois pas trop déçu si cela ne fonctionne pas. »

Andy attendit, le souffle coupé. Il avait raison. Il en était certain. Il fallait qu'il eût raison.

Mais la porte ne s'ouvrait pas... Elle aurait dû déjà être ouverte... Il s'était trompé! Il enfonça le bouton rouge.

« Papa! cria-t-il, que se passe-t-il?- Je regrette, mon garçon, répondit le détective en prenant grand

soin de rester maître de sa voix. Ton mot n'a pas l'air de convenir... »Andy se retint pour ne pas sangloter. Il ne parvenait pas à

retrouver sa respiration. Il n'y avait plus d'air. Andy suffoquait.Un instant, le malheureux garçon faillit se jeter sur la lourde porte

d'acier et la marteler de ses poings comme s'il pouvait compter l'ouvrir ainsi. La voix de son père l'arrêta, ou plutôt le souvenir de cette voix qui, un jour, avait dit :

« Mon fils, rappelle-toi toujours que, plus la situation où l'on se trouve est critique, plus il est important de garder son sang-froid et de ne pas céder à la panique. »

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Respirant avec peine, il serra les poings et se força à réfléchir. M. Henderson avait encore dit autre chose. Qu'était-ce? Une sorte de mode d'emploi du rébus...

« Tourne-le en avant, en arrière, à l'envers, à l'endroit et la tête en bas... »

« Oui! cria Andy. A l'envers!... »Il enfonça une fois de plus le bouton rouge.« Papa, appela-t-il, papa!- Oui, mon fils?- Papa, essaie encore le mot que je t'ai donné mais, cette fois, à

l'envers.- A l'envers? Mais... Enfin, bon. Nous allons

essayer. »Andy entendait son propre cœur tictaquer comme une pendule à

mesure que les secondes passaient.La pendule semblait tictaquer de plus en plus vite, de plus en plus

fort, jusqu'au moment où...Lentement, la lourde porte pivota. Comme une flèche, Andy se

précipita dans les bras de son père qui l'étreignit.

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« Papa! s'écria-t-il. Papa, j'avais tellement peur de me tromper !- Et moi donc! », dit M. Adams, en refusant de se laisser aller à

l'émotion qui le gagnait.Par-dessus son épaule, il ajouta :« Dick, tu peux te mettre en chasse. Henderson a une demi-heure

d'avance tout au plus.- J'ai déjà téléphoné pour qu'on mette les barrages routiers en

place, répondit le lieutenant. Allez donc dans la bibliothèque, tous les deux. Vous y serez tranquilles. »

Dans la bibliothèque, M. Adams passa son bras autour des épaules d'Andy.

« Mon fils, déclara-t-il, tu as agi en vrai détective. Tu as analysé le caractère de Mayfair et c'est ainsi que tu as résolu une énigme sur laquelle nous nous étions tous cassé les dents. Maintenant, veux-tu m'expliquer exactement comment tu en es arrivé à trouver le mot qui ouvrait la serrure? »

Andy réussit à sourire.« Eh bien, papa... »Ce ne fut pas sans quelque vanité qu'il expliqua à son père

comment il avait résolu le rébus qui donnait les mots timbre rare.« Or, conclut-il, M. Mayfair voulait être le premier partout. Il

voulait posséder des choses que personne ne possédait. Par exemple, le seul château fort ou le seul vrai fossé des États-Unis.

- C'est juste.- Mais il existe un timbre qui est unique au monde, un timbre de

la Guyane anglaise. Et M. Mayfair ne le possédait pas. Alors, comme j'avais les indices que m'avait donnés M. Henderson, il m'était facile d'imaginer M. Mayfair passant son temps à gémir sur ce timbre qu'il ne pouvait se procurer. Il devait y penser tout le temps. Et ce timbre avait un nom en six lettres : Guyane. Il est donc logique que ce soit le mot qui ouvrait la chambre forte.

- Tu as eu raison. Seulement, il fallait lire le mot en commençant par la fin?

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- Oui, papa, parce que M. Mayfair a l'esprit tortueux. Écrire les mots à l'envers, c'est tout à lait dans son genre. D'ailleurs M. Henderson m'avait aiguillé là-dessus.

- Peut-être, jeune Adams, dit le détective. Mais tu as joliment su utiliser l'aiguillage! »

Paul Adams n'appelait son fils par son patronyme que lorsqu'il était tout particulièrement satisfait de lui.

« De sorte que, acheva-t-il, j'ai bien envie de changer un de ces jours le nom de ma firme d'enquêtes et filatures. Au lieu d'Adams tout court, nous pourrions mettre Adams et fils, qu'en dis-tu?

— Ça me plairait assez... », répondit le fils, en souriant jusqu'aux oreilles.

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ALFRED HITCHCOCK : Nous terminerons sur cet accord parfait. Il est inutile de revenir sur les indices qui ont tous été dépouillés. Mais vous voudriez peut-être savoir ce qu'il advint de M. Henderson, après sa brillante évasion.

Je suis heureux de vous signaler qu'il tint parole et fit savoir, par télégramme, le nom de la combinaison. La police ne le captura pas immédiatement. Il s'était réfugié dans un village voisin où il s'était déjà composé, au moyen d'une fausse barbe, le personnage d'un auteur de romans policiers qui n'écrivait que la nuit. Il fut tout de même pris en janvier 1963.

A cette époque, en effet, le prix des timbres augmenta aux États-Unis. M. Henderson se rendit à la poste et, cédant à ses instincts de collectionneur, acheta des feuilles entières de nouveaux timbres. Le postier en parla au lieutenant Fields. Peu de temps après, M. Henderson était sous les verrous et passait aux aveux.

Homme de loi et philatéliste indélicat, M. Henderson avait commis une petite escroquerie qui l'avait mis à la merci de M. Mayfair-. Son digne employeur voulut alors l'obliger à dérober le fameux timbre de la Guyane anglaise. Il préféra voler ceux de M. Mayfair lui-même.

Sans nul doute, il méritait d'être sévèrement puni, ne fût-ce que pour inciter à la prudence les petits garçons qui ont tendance à confondre les collections de timbres de leurs amis avec les leurs propres...

Néanmoins, lorsque M. Mayfair fut rétabli et que l'on eut appris

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que certains de ses timbres à lui avaient déjà été volés à d'autres collectionneurs, il préféra retirer la plainte pour vol qu'il avait déposée contre son homme de loi.

Reste, évidemment, la tentative d'assassinat qui n'a pas encore fait l'objet d'un procès, et risque de coûter gros à notre Môssieu Henderson...

Je ne peux donc rien vous dire de définitif concernant le destin de ce gentleman, sinon, bien entendu, qu'il s'est pourvu d'un excellent avocat.

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LE MYSTÈRE DE L'HOMME QUI S'ÉVAPORA

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ALFRED HITCHCOCK : J'ai beaucoup de respect pour les auteurs de romans policiers. Après tout, c'est grâce à eux que j'ai pu faire mes Films. Malgré cela, je ne me sens jamais tout à fait à mon aise avec eux. Ils ont l'imagination active et quelque peu sinistre. Je n'en ai pas encore rencontré un seul qui ne m'ait regardé comme s'il se préparait à me donner le râle du gros cadavre de son prochain roman. Heureusement, leurs activités criminelles se limitent généralement aux crimes littéraires. Mais lorsqu'un auteur de romans policiers se trouve mêlé à l'une de ses propres inventions, alors des choses étranges commencent à arriver, comme vous allez sans doute vous en apercevoir.

Certes, les indices ne manquent pas. Mais les recueillerez-vous à temps pour résoudre:

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LE MYSTÈRE DE L'HOMME QUI S'ÉVAPORA

DEPUIS qu'il savait lire — ou presque —Jeff Landrum adorait les histoires policières, quelles qu'elles fussent. Du moins, il l'avait cru.

Maintenant, il avait fait connaissance avec un genre de roman policier qu'il n'aimait pas du tout : le genre de romans où il se trouvait être l'un des personnages. Ou plutôt, l'une des victimes...

Désespérément, Jeff mordillait la corde qui ligotait les poignets de son ami. Jeff avait peur, mais il refusait de l'avouer. Il y avait bien dix minutes que le garçon mordillait le chanvre, espérant dénouer le nœud, et il le sentait faiblir. « Dépêche-toi, Jeff! »

Ce n'était qu'un chuchotement, car il ne fallait pas que l'homme qui veillait à l'extérieur pût entendre.

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« Nous n'avons guère de temps. »Jeff ne répondit pas. C'eût été perdre une seconde. Pour sa taille,

Jeff était un peu grassouillet, mais il n'avait jamais été mou : avec l'énergie d'un fox-terrier, il continuait à ronger la corde, bien que ses lèvres et sa langue fussent tout écorchées par le frottement contre le chanvre grossier.

D'ailleurs, maintenant que la corde était humide de salive, elle devenait moins rugueuse et moins glissante. Rageusement, Jeff y plongea ses incisives. Et il sentit que le nœud cédait.

« Bravo! reprit la voix. Encore un petit effort. »Jeff tira. Le nœud se défaisait.Mais avant que le garçon eût eu le temps d'en faire plus, le

geôlier entra. Il marcha directement vers l'endroit où Jeff et son ami étaient étendus sur le sol, au pied de la bibliothèque. Il se pencha vers eux...

Jeff sentit le cœur lui manquer. Maintenant, d'un moment à l'autre, cette fantastique histoire dans laquelle il s'était empêtré, arriverait à son dénouement...

Elle avait commencé où il était naturel qu'elle commençât : au congrès des Ecrivains policiers américains.

Cette association groupait la plupart des écrivains policiers américains et était connue sous le sigle E. P. A.

Pendant des années, Jeff avait lu des histoires policières sans se soucier de savoir à quoi ressemblaient les gens qui les écrivaient. S'il pensait jamais à eux, il les imaginait comme d'étranges personnages habitant des manoirs solitaires, portant de grosses lunettes, passant leurs journées devant leur machine à écrire et se levant de temps à autre pour consulter, dans leur bibliothèque, je ne sais quel antique volume sur les poisons rares.

Ce ne fut donc pas sans surprise que Jeff apprit que son professeur d'anglais, M. Howard Matthews, écrivait des nouvelles policières.

M. Matthews avait les cheveux blonds, les yeux marron, tout pétillants, et ne nécessitant aucune espèce de lunettes. Il avaii été champion de saut en hauteur de son université, était marié à une charmante jeune femme et avait trois filles bruyantes et

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espiègles. En classe, il aimait raconter des histoires drôles.

Dès que Jeff eut appris que certaines des nouvelles qui, plus que toute autre, lui faisaient dresser les cheveux sur la tête, et qui étaient signées du sinistre pseudonyme « Zébédée Mohr » avaient, en réalité, été composées par M. Matthews, il décida qu'il pouvait fort bien en écrire une, lui aussi.

Il se mit aussitôt à l'ouvrage et trouva que c'était bien plus difficile qu'il ne s'y était attendu. Mais, comme il ne manquait pas d'obstination, au bout d'un mois il eut terminé quelque chose qui ressemblait à une vraie nouvelle, encore qu'il sentît que son œuvre n'était pas parfaitement au point. Il la montra tout de même en classe d'anglais et le résultat final fut que M. Matthews l'invita à aller avec lui à New York pour assister au congrès des E. P. A.

Jeff partit donc, très impressionné.Il fut étonné de voir qu'une association d'écrivains policiers

ressemblait à n'importe quelle autre association. Il y en avait de petits et de grands, de gros, même de barbus. Ils paraissaient tous très gentils. Pourtant, à entendre certaines de leurs conversations, au cours desquelles ils discutaient de nouveaux procédés pour assassiner les gens et faire disparaître les cadavres, on avait aussitôt envie de prévenir la police.

Le plus passionnant pour Jeff, ce fut de rencontrer des écrivains qui, jusque-là, n'avaient été que des noms pour lui et qui, maintenant, devenaient des personnes réelles. Erle Stanley Gardner, le père de l'illustre Perry Mason, se trouva être un homme de loi, solide et trapu. Il raconta à Jeff que, dans sa jeunesse, il avait réussi à prouver l'innocence d'un de ses clients, un Chinois. Il y avait gagné l'estime de toute la communauté chinoise et une expérience qui lui avait servi plus tard pour écrire ses livres.

Ellery Queen, écrivain aussi célèbre, se révéla sous la forme de deux hommes qui travaillaient en équipe. Jeff oublia leurs vrais noms et les baptisa, dans son esprit, l'un M. Ellery, l'autre M. Queen.

Le Grand Merlini, qui ne s'appelait pas du tout Merlini et

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qui écrivait des livres sur la magie, était tout de même un magicien, car lorsque Jeff lui serra la main, celle de Merlini resta dans la sienne! Très sérieusement, le Grand Merlini lui fit remarquer qu'il avait la poigne vigoureuse et redemanda sa main, qui était postiche. Puis il tira de sa poche un mouchoir qui se transforma en un œuf d'où sortirent des mètres et des mètres de ruban de couleur.

A ce moment, on annonça que, dans la salle voisine, un expert de la police new-yorkaise faisait une conférence sur l'identification des échantillons sanguins. Jeff pensa que ce sujet pouvait être intéressant, mais M. Matthews lui prit le bras et le guida vers l'escalier qui menait à l'excellent restaurant français, au rez-de-chaussée, où ils avaient déjeuné.

« J'écris des romans d'aventures, Jeff, expliqua M. Matthews, et je n'ai pas besoin de renseignements aussi techniques. D'autre part, je pense que tu aimeras rencontrer Harley Newcomb. Il prend un café en bas.

— Harley Newcomb ! »Jeff avait souvent entendu son père mentionner ce nom !

Landrum était un fervent lecteur de Newcomb.« C'est le monsieur qui écrit des histoires qui se passent toujours

dans des chambres closes, n'est-ce pas?— Fermées à clef, ou scellées. Ou dans d'autres endroits où il

semble impossible qu'un crime puisse être commis. Newcomb est un excellent écrivain. Il n'aime qu'une chose au monde : écrire. On a même du mal à le faire venir à ces congrès ou à lui faire rencontrer des amis. Regarde : il est assis à la table, là-bas. Et encore en train d'écrire!»

A l'autre bout de la salle, Jeff vit un petit homme aux cheveux blancs et longs, attablé dans un coin et occupé à griffonner dans un carnet.

« Mais c'est le locataire du pavillon de Tom Higgins ! s'écria Jeff.

— Exact. Il est presque notre voisin, à Laketown. Mais il ne fréquente personne parce qu'il ne veut pas que l'on sache que c'est lui le célèbre Harley Newcomb. Il craint qu'on ne le dérange dans son travail.»

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Comme ils approchaient, Harley Newcomb leva les yeux et les regarda à travers ses lunettes à monture dorée, d'un modèle démodé.

« Tiens! Bonjour, Howard, fit-il. Je vous ai aperçu en haut, il me semble.

— Oui, Harley, répondit M. Matthews, tout en présentant Jeff. Vous écrivez toujours? ajouta-t-il en montrant le carnet.

— Bien sûr, bien sûr! s'écria l'écrivain. Mais asseyez-vous donc, l'un et l'autre. Il est temps que je m'arrête. C'est une mauvaise habitude que j'ai prise, d'écrire partout où je vais. »

Il tapota le carnet et se pencha en avant.« Mon cinquantième livre! dit-il fièrement. Et qui plus est, l'un

des plus énigmatiques que j'aie jamais écrits.— Étant donné la qualité du reste, Harley, ce n'est pas peu dire !— Voici la situation, dit le petit homme, en se penchant encore

vers ses auditeurs, ses yeux brillant derrière ses lunettes. Le héros est seul dans sa villa. La villa est en pierre; les murs, épais; le sol, en ciment. Pas de cheminée.

« Le héros téléphone à un de ses amis pour lui dire qu'il est en train de faire des expériences de magie. Dans un vieux livre, il a trouvé un procédé de sorcellerie pour faire disparaître les gens. Tout à coup, il crie : « Au secours, au secours ! Je rétré « cis... » La communication est coupée. »

L'écrivain gloussa et regarda Jeff.« Et après? demanda-t-il. Que pensez-vous qu'il arrive?— Je ne sais pas, monsieur, répondit Jeff. Le sujet est très

impressionnant. A moins qu'il ne s'agisse d'une plaisanterie?...— Une plaisanterie! se récria Harley Newcomb, choqué. Mes

histoires sont toujours sérieuses. Voici ce qui se passe ensuite. L'ami se rend à la villa, avec des policiers. La porte est fermée à clef de l'intérieur. Des planches sont clouées sur toutes les fenêtres, clouées de l'intérieur. On abat la porte à la hache et on voit qu'elle aussi était bouchée avec des planches clouées. Toute la villa a été hermétiquement fermée de l'intérieur : une souris ne pourrait sortir. Il n'y a pas de trappes ni d'issues dérobées. Rien de ce genre-là. Et pourtant l'homme a disparu.

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Complètement. Il s'est évaporé d'une chambre que personne ne pouvait quitter!

— Ça alors! dit Jeff, ébahi. Où prenez-vous vos idées, monsieur Newcomb ?

— Partout, répondit l'écrivain en glissant le carnet dans sa poche. Celle-ci, je l'ai prise dans une conversation que j'aie eue avec quelqu'un que je connais. C'était... Un moment. Nous sommes aujourd'hui le vingt et un et c'était le premier : il n'y a donc que trois semaines que je travaille à mon livre. Mais je pense l'avoir terminé avant la fin du mois. »

Il se leva précipitamment.« II faut que je rentre, dit-il. Je viens d'avoir une nouvelle idée. Je

vais probablement écrire toute la nuit. Venez me voir le mois prochain, Matthews, et amenez votre jeune ami. »

Sur ces mots, le petit homme à cheveux blancs s'éclipsa.« II serait temps que nous partions aussi, Jeff, dit le professeur.

Nous avons deux heures de route. »En rentrant à Laketown, Jeff ne cessa de bavarder de ce qu'il

avait vu et entendu ce soir-là. Tout avait été si passionnant!« Monsieur Matthews, demanda-t-il, croyez-vous que je pourrais

vraiment écrire une histoire qui serait publiée?— Certainement, Jeff, si tu es prêt à passer plusieurs années à

apprendre le métier. Certains écrivains ont commencé très tôt. Robert Bloch, que tu as vu, et qui est l'auteur de Psychose, a commencé sa carrière professionnelle à dix-sept ans. Et puis, tu connais, bien sûr, Frankenstein.

— Je crois bien. C'est une histoire formidable! J'ai vu le film à la télévision.

— Si difficile qu'il soit de le croire, mon cher Jeff, l'histoire a été écrite par une jeune femme de dix-neuf ans. Donc, tu vois, tu as tes chances. »

Pendant le reste du voyage, Jeff se demanda s'il avait vraiment la vocation d'un auteur de romans policiers ou simplement celle d'un lecteur. Heureusement pour lui, il ne savait pas qu'il allait sous peu vivre une aventure plus énigmatique, plus fantastique que toutes celles qu'il avait lues.

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La semaine qui suivit le congrès, Jeff n'eut guère le temps de lire. Outre ses études, il s'occupait de la vente annuelle de l'Association sportive. Cette vente, qui servait à alimenter la caisse de l'association, avait toujours lieu en dehors de la ville, dans une grange. Plusieurs milliers de personnes y venaient pour acheter n'importe quoi, depuis un réfrigérateur d'occasion jusqu'à une paire de chaussures d'enfant. Mais il fallait rappeler aux gens de préparer leurs dons et ensuite aller les chercher, tout cela plusieurs semaines d'avance.

Jeff avait prospecté le quartier qui lui avait été affecté. On lui avait promis des vêtements, des livres, de vieux outils, des postes de radio, des meubles en mauvais état, deux réfrigérateurs et même trois balles de foin. Des camionneurs se chargeraient des articles les plus lourds, mais M. Matthews avait offert à Jeff de venir le samedi avec sa voiture pour l'aider à transporter le reste.

L'arrière de la voiture et le coffre furent remplis de cartons contenant des vêtements, des souliers de toutes les pointures et de toutes les formes, des outils et des livres. Puis on partit pour la ferme de Tony Higgins. Tony possédait la seule grange vaste et vide à proximité de la ville, si bien que la vente avait toujours lieu chez lui.

Au moment où la voiture s'engagea dans le chemin qui conduisait à la grange, Jeff se rappela que l'écrivain auquel il avait été présenté, Harley Newcomb, habitait un pavillon construit par Tony.

« Je me demande, fit-il, si M. Newcomb a fini le livre dont il nous a parlé.

- Probablement, répondit M. Matthews. Il nous a dit qu'il aurait terminé pour la fin du mois et nous sommes le trente. Il nous a invités à venir le voir. Nous pourrions faire un saut lorsque nous aurons déchargé la voiture et, s'il a terminé, il nous racontera des anecdotes extraordinaires. Il a connu Conan Doyle, le « père » de Sherlock Holmes. »

Après avoir contourné un bouquet d'arbres, la voiture s'arrêta dans la cour de la ferme où habitaient Tony Higgins et sa femme. La cour était pleine de poussière; les bâtiments semblaient prêts

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Tony Higgins était en train de scier un madrier

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à tomber en ruine. Deux boucs attachés à des arbres chevrotèrent en apercevant les visiteurs. Le fermier lui-même, un homme trapu, la quarantaine passée, portant une combinaison plus qu'usagée et une chevelure que le coiffeur n'avait pas touchée depuis longtemps, leva les yeux et fit un signe de bienvenue.

Tony Higgins était en train de scier un madrier qui, apparemment, allait lui servir à redresser le toit d'un appentis sous lequel s'abritait son camion à l'allure préhistorique. Pour l'instant, l'angle du toit reposait sur un bout de bois trop court qui, à son tour, était soutenu par le cric du camion, lequel cric n'aurait pas atteint la hauteur nécessaire sans un socle composé de quelques briques.

Si l'on y pensait, l'ensemble expliquait fort bien pourquoi la grande grange de M. Higgins était toujours vide et libre pour la vente. Tony, en effet, n'aimait guère à se fatiguer. Aussi avait-il cessé, depuis longtemps, de s'occuper sérieusement de ses terres. Par conséquent, il n'avait rien à mettre dans la grange.

« jour, fit-il en se redressant lentement. Beau temps...— Très beau, reconnut M. Matthews. Nous pouvons mettre la

marchandise dans la grange, Jeff et moi?— A votre aise, répondit Tony. Je vous aurais bien aidés, mais j'ai

un travail important à faire. »M. Matthews fit un clin d'œil à Jeff.« Cela se voit, Tony ! »Le professeur et Jeff commencèrent tous les deux à porter les

cartons dans la grange qui sentait encore le foin et la poussière. D'autres ramasseurs étaient venus avant eux, si bien qu'il y avait déjà une montagne d'objets hétéroclites qu'il faudrait trier et mettre en place pour la vente.

« Tony va faire un joli petit boni cette année! » remarqua M. Matthews en riant.

Au lieu de payer à M. Higgins la location de la grange, l'Association sportive lui laissait tout ce qui n'avait pas été vendu. Il" restait toujours quelques habits, des outils, un vieux poste de radio, quelquefois une machine à laver qu'on pouvait réparer, des lits, des meubles, etc.

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« Je me demande ce que Tony peut bien faire de tout le rebut qui lui reste, dit Jeff, en allant chercher un: autre chargement dans la voiture. Pensez-vous qu'il le vend?

— Bien sûr, répondit M. Matthews. Tony aime cent fois mieux rester assis à rafistoler une vieille machine que travailler la terre. Sa femme rapièce les vieux vêtements et ils les revendent aussi. Quelquefois ils ont un vrai coup de chance! Il arrive que quelqu'un donne de beaux vêtements d'il y a trente ou même cinquante ans. Personne ne veut les acheter. Alors Tony les enferme dans son grenier. Or, tous les directeurs de tournées théâtrales savent que, s'ils ont besoin de costumes, ils ont de grandes chances d'en trouver ici. Tony se fait, du reste, payer un bon prix. Tous ces petits revenus lui permettent de vivre. On ne le dirait pas à le voir, mais ses voisins le savent bien : ce gaillard-là flaire un dollar à deux kilomètres ! »

Lorsqu'ils eurent fini de décharger la voiture, M. Higgins leur fit « au revoir » de la main.

« J'aurais bien aimé vous aider, remarqua-1-il, si je n'avais pas été si occupé.

— Nous reviendrons! lui cria M. Matthews en démarrant. Maintenant, ajouta-t-il en s'adressant à Jeff, nous allons contourner le petit bois et faire un saut chez Harley Newcomb. »

Par la route, le pavillon se trouvait à quatre cents mètres. Il était situé à l'écart, entouré d'arbres; cet isolement sylvestre garantissait la solitude dont l'écrivain avait besoin.

« Monsieur Matthews, s'écria Jeff, lorsque la voiture roula dans l'allée, regardez ! Sa boîte à lettres est pleine !

— Hum! Oui. »Ils descendirent de voiture et le professeur se retourna pour

regarder la grosse boîte à lettres si pleine de journaux et de revues que son couvercle en restait entrouvert.

« Et son lait! Il ne l'a pas pris non plus », remarqua Jeff.M. Matthews constata que trois bouteilles de lait, pleines, étaient

déposées devant la porte.« II doit être absent, dit le professeur. Nous allons frapper tout de

même. »

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Il suivit le sentier de gravier qui menait à l'entrée du pavillon, solide petite bâtisse de pierre. II y avait un gros heurtoir sur la porte et M. Matthews s'en servit sans ménagement.

Il n'y eut pas de réponse. Le professeur frappa encore une fois.« Regarde par la fenêtre, Jeff! » fit-il.Jeff s'approcha d'une fenêtre et essaya de jeter un coup d'ceil à

l'intérieur. Il poussa un cri de surprise qui fit accourir M. Matthews.Quelqu'un avait cloué des planches sur la fenêtre, de l'intérieur, à

deux centimètres l'une de l'autre environ. En regardant par les interstices, on ne voyait guère que l'obscurité et, en tout cas, aucun signe de M. Newcomb.

M. Matthews et Jeff firent le tour du pavillon qui n'avait qu'un rez-de-chaussée. Toutes les fenêtres avaient été bouchées de l'intérieur. La porte principale et la porte de derrière étaient toutes les deux fermées à clef.

« Jeff, commanda M. Matthews, va chercher Tony Higgins! Dis-lui d^'apporter sa clef et une hache. Nous serons peut-être obligés d'enfoncer la porte. Je crains que quelque chose de grave ne soit arrivé.»

Le professeur n'avait pas fini de parler que Jeff courait déjà. Il passa devant le garage, construction-dé bois, toute branlante, que Tony n'avait jamais achevée. La voiture de M. Newcomb y était abritée : donc l'écrivain n'était pas parti.

Jeff suivait le sentier. Il traversa le petit bois, longea un étang, traversa un ruisseau et se précipita dans la cour de derrière de la ferme de Tony. Des poules se sauvèrent en caquetant.

« Monsieur Higgins! cria Jeff. Vite! Vite! M. Newcomb a disparu.»

Tony Higgins se redressa avec une vivacité surprenante.« Disparu? Sans payer son loyer? Il n'a pas le droit de me faire ça !— Nous avons peur que quelque chose ne lui soit arrivé. Voulez-

vous apporter votre clef et une hache? Vite, s'il vous plaît! »Effrayé à son tour, le fermier saisit une hache qui était enfoncée

dans un billot.

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« J'ai la clef dans mon trousseau, fit-il, en exhibant un énorme trousseau de clefs, de toutes les formes et de toutes les dimensions. Qu'est-il arrivé au scribouillard?

- Nous n'en savons rien. Le pavillon est tout cloué de l'intérieur. » Courant ensemble — le fermier, à dire vrai, ne courait pas

très vite —, ils arrivèrent au pavillon. M. Matthews essayait de voir à l'intérieur par l'une des fenêtres.

« Je ne l'aperçois toujours pas, annonça-t-il, Tony, tachezd'ouvrir la porte.- Ça, je ne vais pas me le faire dire deux fois! répondit M.

Higgins. C'est marqué dans le contrat qu'il n'a pas le droit de partir sans me régler son loyer d'avance. »

II fouilla dans son énorme trousseau et finit par trouver une clef qui fit jouer la serrure. Il tira violemment la poignée, mais la porte ne céda pas.

« C'est quelque chose de pas catholique ! bougonna le fermier. La porte ne bouge pas plus qu'un rocher. Et voyez : il y a des clous qui dépassent. »

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Il les montra. Jeff vit à son tour les pointes aiguës qui dépassaient du vantail.

« II a dû clouer la porte aussi, supposa Jeff.- Autrement dit, il va falloir la défoncer, répondit M. Matthews,

qui paraissait très sombre.- Eh! attendez! protesta Higgins. Les portes, ça coûte de

l'argent, de la bonne argent.- Il faut bien que nous entrions. Quelque chose est arrivé à

Harley Newcomb. C'est évident. Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois, Tony?

- Pour la dernière fois? »Le fermier se gratta le menton et fronça le sourcil en faisant un

effort pour se rappeler.« Ça devait être le mois dernier... Il y a six semaines environ. Il

m'avait téléphoné pour me dire qu'il y avait une fuite dans un tuyau. Comme il n'aimait pas être dérangé, je n'allais jamais le voir sans qu'il ait téléphoné.

- Six semaines? Nous, nous l'avons vu en ville, il y a dix jours.

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On dirait qu'il n'a pas pris son courrier et son lait depuis une semaine.

— Attendez voir... Trois bouteilles de lait. Il en prenait une tous les deux jours. Ça ferait six jours. Oui, près d'une semaine, monsieur Matthews.

— Il semble donc que quelque chose lui soit arrivé trois jours après son retour. Peut-être est-il à l'intérieur, malade ou alors... De toute façon, il faut entrer. Cassez un carreau, Tony, si vous ne voulez pas défoncer la porte.

— Bon, d'accord. Une vitre, c'est moins cher qu'une porte », dit M. Higgins.

Il s'approcha de la première fenêtre et, d'un coup du talon de la hache, il brisa un carreau. Puis il martela les planches épaisses qui se trouvaient derrière. En une douzaine de coups, elles commencèrent à céder.

« Elles sont solidement fixées, remarqua-t-il entre deux han. Ça vient tout de même. Il y a déjà un bout de décloué. Maintenant, en poussant, on pourra se glisser à l'intérieur. Vous passez le premier, monsieur Matthews.

— Entendu, dit le professeur. Repoussez les planches. » Tandis que le fermier repoussait les planches et les maintenait dans cette position, M. Matthews se glissa à l'intérieur. Puis il tira les planches à lui pour élargir l'ouverture, de façon que Jeff et Tony Higgins pussent entrer à leur tour.

A l'intérieur, la pénombre régnait, car toutes les fenêtres étaient clouées. Jeff battit des yeux pour s'habituer à l'obscurité. M. Matthews appela d'une voix forte :

« Harley!... Ho! Harley! »Pas de réponse.« Allumons ! » dit le professeur.Il fit jouer un commutateur. Rien ne se produisit. Il faisait

toujours aussi sombre. Seulement, comme les yeux de Jeff s'accommodaient, il put distinguer une collection de masques diaboliques des mers du Sud suspendus aux murs. On aurait cru des démons qui le regardaient d'un air furibond. Tout un mur était tapissé de livres. Le milieu de l'une des étagères était libre et trois

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crânes humains, un grand, un moyen et un tout petit, souriaient là-haut d'un air sinistre.

« Je n'aime pas du tout ça, fit Tony Higgins, à voix basse. Vrai de vrai, je n'aime pas du tout ça.

— Venez. Il est peut-être dans la chambre », dit M. Matthews.Il entra dans la chambre. Outre la petite cuisine et la salle de bain,

il n'y avait pas d'autre pièce. Tony Higgins suivit. Jeff avisa deux bougies et un briquet sur une table. Il alluma les bougies et les leva pour mieux voir.

Les flammes vacillantes faisaient courir d'étranges ombres à travers la pièce. Au-dessus de javelots entrecroisés, les masques sur les murs semblaient loucher et grimacer.

Tenant toujours les bougies à bout de bras, Jeff s'approcha d'un grand bureau sur lequel se trouvait une machine à écrire. Près de la machine, un grand livre, ouvert. Visiblement, c'était une édition très ancienne, et le texte était en latin. Jeff ne comprenait pas le latin, mais il comprit fort bien ce qui était dactylographié sur la feuille de papier engagée dans la machine. En tout et pour tout, il n'y avait qu'une seule ligne, et cette ligne disait :

« Au secours! Au secours. 'Je rétrécis... » C'était tout. Mais cela donnait la chair de poule. « Monsieur Matthews! » appela Jeff d'une voix faible. Le professeur et Tony Higgins sortirent de la chambre à coucher. « II n'y a personne, disait M. Matthews, et les fenêtres sont clouées comme ailleurs.

— Et moi, je vous dis, répliquait le fermier, que celui qui a cloué ces planches sur ces fenêtres et ces portes est sûrement encore à l'intérieur. Même un chat ne pourrait pas sortir.

— Et pourtant Harley Newcomb est sorti! repartit le professeur. Merci de nous éclairer, Jeff. Mais tu es bien pâle...

— C'est... c'est le message, sur la machine, bégaya Jeff. Et le... le livre. Il est si vieux et tout en latin... »

M. Matthews lut les quelques mots dactylographiés, puis examina le livre.

« Oui, c'est du latin, fit-il. Le volume a au moins quatre

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cents ans d'âge. Je ne comprends pas le texte mot à mot, mais il s'agit... il s'agit d'un charme, d'une formule magique pour faire disparaître un homme. »

Jeff avala péniblement sa salive. C'était ce qu'il craignait.« Je vais appeler la police », dit M. Matthews.Il se dirigea vers le téléphone, prit le récepteur et forma un

numéro. Il attendit un moment, puis se pencha pour regarder le fil téléphonique.

Il avait été coupé.« Quelqu'un a coupé le fil et enlevé les fusibles ! » remarqua

sombrement M. Matthews.Tout à coup son regard se fixa sur le sol, derrière la chaise où

l'écrivain avait dû être assis pour taper à la machine. Jeff regarda aussi. On voyait sur le sol une grande tache rouge de forme irrégulière.

« Du sang..., haleta le garçon.- Non, dit M. Matthews. De l'encre rouge. Voici la bouteille qui

a été renversée. Puisque l'encre est sèche, cela a dû arriver il y a plusieurs jours, une semaine probablement. Mais regarde ici : une trace de semelles. Comme si Harley s'était levé de sa chaise, avait marché dans l'encre et était parti en courant.

- Voilà une autre trace, dit Tony, qui avait pris une bougie à Jeff et qui se penchait vers le sol, deux mètres plus loin. Et en voilà encore une. Et une autre. Et encore deux. Il y en a six en tout. Mais regardez-les, monsieur Matthews, regardez-les bien et dites-moi si j'ai la berlue. »

Le professeur et Jeff se penchèrent aussi sur les traces rouges, faites par quelqu'un qui avait marché dans l'encre à un moment où elle était encore humide.

Tout à coup, Jeff sentit ses cheveux se hérisser...La première empreinte était celle d'un homme de taille normale.

La seconde ne comportait pas de talon : la semelle seule avait porté sur le sol, comme si l'homme avait été en train de courir. Mais elle était déjà plus petite que la première.

Quant aux autres empreintes, elles allaient en s'amenuisant; la dernière paraissait avoir été faite par le pied d'un enfant.

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« Il se sauvait! dit Tony Higgins, sa pomme d'Adam montant et descendant et sa voix devenue basse et rauque. Il se sauvait vers la chambre et il devenait de plus en plus petit tout en se sauvant. Et après... après il a disparu. Évaporé! »

Ils s'entre-regardèrent et Jeff dut faire un effort sur lui-même pour que sa voix ne tremblât pas.

« Monsieur Matthews, fit-il. Vous rappelez-vous l'histoire que M. Newcomb nous a racontée au congrès? Il y avait un homme enfermé dans un pavillon et il disparaissait en faisant de la magie. Son histoire... son histoire s'est réalisée! »

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ALFRED HITCHCOCK :Je ne vous dérange pas?Je croyais de mon devoir de vous signaler que plusieurs indices

significatifs vous ont déjà été fournis concernant l'étrange Mystère de l'homme qui s'évapora. Indices subtils, il est vrai. Si vous n'avez pas la moindre idée sur la façon dont un homme a pu sortir d'un pavillon fermé de l'intérieur ou sur la manière dont une vieille formule magique pouvait le faire rétrécir jusqu’ 'à disparition complète, ne perdez pas le moral ! La police ne se montrera pas plus douée que vous.

Il est vrai que les policiers n'ont plus guère l'occasion de résoudre ce genre de problèmes.

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M. Matthews alla à la ferme pour appeler la police, tandis que Tony et Jeff restaient à monter la garde devant le pavillon vide. Ni l'un ni l'autre ne voulut demeurer à l'intérieur. Tony bougonna plusieurs remarques sur la malhonnêteté de Harley Newcomb qui avait disparu sans payer son loyer, mais n'eut même pas le courage de se mettre vraiment en colère. Plusieurs fois aussi, il fit le tour du pavillon en le regardant d'un œil fixe et en secouant la tête, comme s'il s'était attendu à découvrir une porte qu'il n'avait encore jamais vue. Jeff l'accompagna dans ces rondes, mais regarder ne servait à rien. Le pavillon restait tel qu'il était : en bonne grosse pierre, avec un toit à auvent, et sans la moindre trace d'effraction.

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M. Matthews revint, bientôt suivi de la voiture de police. Dès que les policiers eurent compris de quoi il s'agissait, ils appelèrent la caserne par radio et, avant peu, cinq voitures de police arrivaient ensemble et des agents en uniforme envahissaient le pavillon.

Ils enlevèrent les planches que Tony avait déclouées mais ils laissèrent tout le reste en place pour pouvoir photographier et examiner à loisir. Jeff put ainsi suivre une vraie enquête policière jusqu'au soir.

Les policiers tapotaient les murs avec des marteaux, pour trouver une issue dérobée, tiraient sur les planches qui recouvraient les fenêtres, rampaient sur le toit pour s'assurer que les tuiles n'avaient pas été déplacées.

Ils apprirent que les planches clouées sur les portes et sur les fenêtres provenaient d'un grand tas qui se trouvait derrière le garage que Tony n'avait pas achevé de construire. Les clous avaient été pris dans une boîte abandonnée près des planches. Le marteau aussi avait été ramassé là : Tony l'y avait laissé pour le cas où, un jour, il aurait envie de terminer le garage. N'importe qui, donc, aurait pu se servir des outils et du matériel. Pas d'indices de ce côté-là.

L'enquête en resta là. Il était évident que personne ne pouvait sortir d'un pavillon devenu hermétique, pas même un chat. Et pourtant Harley Newcomb avait disparu. La police aurait bien aimé trouver une porte dérobée ou une trappe dans le toit, mais elle n'en trouva pas. Tony Higgins répétait s

ans cesse d'un ton plaintif :« Je vous dis, les gars, qu'il n'y a pas de trappes secrètes ni

aucune ânerie de cette espèce. Je le sais, puisque j'ai construit ce pavillon .moi-même, avec mon ouvrier Joe Caruso, il y a cinq ou six ans. De la bonne pierre, du bon mortier pour les murs; du bon béton pour le sol, un bon toit qui n'a jamais coulé. Et aussitôt que le pavillon a été fini, M. Newcomb est venu l'habiter et il ne l'a plus quitté. Je n'ai pas eu le moindre ennui avec lui. Pas une fois. Et maintenant voilà qu'il s'évapore sans payer son loyer ! La magie, ça devrait être interdit. »

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Les policiers n'étaient guère satisfaits de cette explication mais ils se révélèrent incapables de découvrir la moindre trace de Harley Newcomb. Si le célèbre écrivain ne s'était pas évaporé, comme le prétendait Higgins, sa disparition n'en était que plus mystérieuse.

Finalement, les policiers admirent que Harley Newcomb avait disparu exprès, pour se faire de la publicité, mais personne n'en crut un mot. Le plus incrédule fut M. Matthews.

« Ils disent des sottises, Jeff, déclara-t-il, en ramenant le garçon à la maison, à la fin de l'après-midi. Harley détestait la publicité. Il faisait des efforts pour l'éviter.

— Alors vous pensez que... que la formule magique a vraiment opéré?

— Certainement pas ! répondit le professeur d'un ton moins assuré qu'il ne l'eût voulu. A te parler franc, je ne sais que penser. Nous serions nettement plus avancés si nous avions la moindre idée de la façon dont il est sorti du pavillon ou dont son cadavre .— je n'aime pas du tout parler ainsi du pauvre Newcomb — en a été retiré.

— Vous pensez que...— Je ne sais pas. J'espère que non. Mais c'est possible. En tout

cas, si je suis sûr d'une chose, c'est que le responsable de tout cela n'est pas Harley mais quelqu'un d'autre. Et pourtant, je ne lui connaissais pas un ennemi au monde.

— Peut-être essayait-il de mettre en pratique l'idée dont il nous avait parlé? supposa Jeff. Il voulait être sûr qu'elle était viable et il s'est blessé.

— Alors nous aurions retrouvé une trace, un indice quelconque. A dire vrai, la tête me tourne. Allons dormir : la nuit porte conseil. Tu sais que la police n'a pas retrouvé le roman qu'il était en train d'écrire. On a téléphoné à New York, et son éditeur a répondu qu'il n'avait rien reçu. Comprends-tu ce que cela veut dire?

— N... non, répondit Jeff. Je n'ai pas l'impression de comprendre.

— Cela veut dire que son manuscrit a été volé. Or, à quoi peut-il servir de voler un manuscrit policier inachevé?

— Je ne vois pas à quoi, en effet.

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— Moi non plus. A moins que ce manuscrit ne contienne le secret de la disparition de Harley Newcomb... Te voici chez toi, Jeff. Je te revois lundi, au collège. La police aura peut-être découvert quelque chose d'ici là. »

Mais, lundi, la police n'avait rien trouvé. Harley Newcomb n'avait pas reparu. La police s'en tenait à sa théorie : l'écrivain voulait de la publicité.

L'attitude des journaux fut tout autre. Ceux de New York comme les journaux locaux publièrent des reportages et des photos qui donnaient à toute l'histoire un air de magie noire. Les titres étaient gros et suggestifs. Ils étaient libellés ainsi :

UN ÉCRIVAIN CÉLÈBRE SE SERAIT-IL VOLATILISÉ?

REVIVANT SON ROMAN, UN ÉCRIVAIN DISPARAIT D'UNE CHAMBRE HERMÉTIQUEMENT CLOSE.

RÉTRÉCISSEMENT D'UN ÉCRIVAIN A 100 POUR 100 GRÂCE A UNE ANCIENNE FORMULE MAGIQUE.

Le vieux livre de magie rédigé en latin, les crânes sur l'étagère, les masques et les javelots, tout cela était fort photogénique. Lds comptes rendus de la presse ne se privaient pas d'insinuer que des choses étranges et diaboliques s'étaient produites dans le pavillon.

Il y eut des photos des empreintes qui rapetissaient, des photos du message dactylographié, même des photos de Jeff, de M. Matthews et de Tony Higgins.

Jeff n'en finissait plus de raconter son aventure à tous ses amis.Chacun brûlait de curiosité, si bien que beaucoup de citadins de

Laketown et même des habitants de New York vinrent voir le pavillon. La police fut obligée d'envoyer un agent pour diriger la circulation et un autre pour monter la garde devant le pavillon et empêcher les amateurs de curiosités d'emporter des souvenirs.

M. Higgins commença à faire des patrouilles avec un fusil de chasse :

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« S'il ne revient pas me payer son loyer, déclarait-il, tout ce qui est dans le pavillon m'appartient. Personne n'emportera rien. Pas même un clou. »

Trois jours plus tard, la presse commençait à parler d'autre chose et la police, incapable de découvrir quoi que ce fût, se réfugiait une fois de plus derrière sa théorie publicitaire. Mais les gens n'en venaient pas moins visiter le « pavillon mystérieux » comme on l'appelait maintenant.

Tony Higgins, toujours astucieux lorsqu'il s'agissait de gagner un peu d'argent, demanda à un cousin de l'aider à poser une énorme pancarte rédigée en ces termes :

POUR UN DOLLARVISITEZ LE PAVILLON MYSTÉRIEUX

AVEC SON APPEL AU SECOURSSES EMPREINTES ROUGES

L'ÉNIGME DU SIÈCLEPOUR UN DOLLAR!

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En outre, M. Higgins fit un petit escalier, pour que les visiteurs pussent accéder aisément au trou pratiqué dans la fenêtre. Mais au reste rien ne fut touché. Le cousin montait la garde à l'intérieur, pour empêcher les vols; M. Higgins lui-même faisait sentinelle à l'extérieur et exigeait un dollar par curieux.

A la fin de la semaine, ses voisins estimaient qu'il avait dû gagner au moins deux cents dollars et hochaient la tête adrnirativement devant l'astuce de Tony.

Peu à peu, l'émotion générale s'affaiblissait, mais Jeff, si occupé qu'il fût, ne pouvait cesser de penser à la bizarre « évaporation » de M. Newcomb. Après tout, Jeff avait eu une part dans la découverte de la disparition proprement dite : pourquoi ne résoudrait-il pas l'énigme qu'elle posait?

Un indice lui vint à l'esprit. Un indice qu'il avait oublié et que la police ne connaissait pas.

Le jour même, après la classe, il fit un saut à bicyclette chez le lieutenant de police chargé de l'affaire.

M. Newcomb, expliqua Jeff, avait parlé à M. Matthews et à lui-même du nouveau livre qu'il écrivait et avait précisé que l'idée lui en était venue à la suite d'une conversation avec quelqu'un qu'il connaissait. Il avait même daté cette conversation du premier du mois.

« Vous comprenez? demanda Jeff. Si vous arriviez à découvrir qui a donné l'idée à M. Newcomb, vous pourriez peut-être trouver comment il a fait pour disparaître du pavillon? »

L'officier sourit avec indulgence.« Merci d'essayer de nous aider, fiston, dit-il. Mais écoute bien.

M. Newcomb a disparu exactement de la façon dont le héros de son livre devait disparaître. Oui?

- Oui, fit Jeff de la tête.- Alors il est évident que l'ensemble relève d'un plan destiné à

attirer l'attention sur le livre lorsqu'il paraîtra. Un truc de publicité, pur et simple.

- Mais le livre a disparu aussi, insista Jeff. Il n'était pas dans le pavillon et l'éditeur ne l'a pas reçu.

- Parce que M. Newcomb, où qu'il se trouve, est en train de

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le finir, répondit l'officier de police. Tu verras. Un de ces jours, le livre sera publié et M. Newcomb réapparaîtra pour recueillir les fruits de son astuce publicitaire. C'est fort ennuyeux que les gens inventent toujours de nouveaux trucs pour se faire de la place dans les journaux.»

Jeff s'en alla, abattu mais non pas convaincu. Il alla voir M. Matthews qu'il trouva occupé à corriger des copies, et à qui il exposa son idée.

« Bien calculé, Jeff, apprécia le professeur. J'avais oublié ce point. Mais puisque nous pouvons dater la conversation avec-précision et que nous savons que Harley Newcomb n'allait pratiquement jamais nulle part, sauf le premier du mois, jour où il venait en ville pour faire des achats, tu pourrais peut-être réussir toi-même à découvrir qui lui a donné sa fameuse idée et en quoi elle consistait. Si nous savions comment il a fait pour quitter le pavillon, nous serions bien près de résoudre le mystère tout entier. Tu pourrais poser des questions autour de toi d'un air naturel, sans exciter trop de curiosité.

- Des tas de gens pensent que M. Newcomb s'est réellement évaporé, qu'il s'est rétréci à cent pour cent, dit Jeff. A cause des empreintes.

- Je le sais bien, mais, pour ma part, je ne crois toujours pas à la magie noire. Bonne chance, Jeff. Fais-moi signe si tu découvres quelque chose. »

Jeff sortit, prit sa bicyclette et partit dans la direction de la ville, tout pensif. Qui pouvait se rappeler une conversation qui avait eu lieu près de six semaines plus tôt?

Jeff alla d'abord voir M. Martine, épicier, fournisseur habituel de M. Newcomb. M. Martino était un gros Italien jovial, équipé d'une moustache en guidon de vélo. Il écouta attentivement les questions que lui posa Jeff.

« Si nous avons bavardé? demanda-t-il. Oui, oui, nous avons causé, lui et moi. Il m'a dit qu'il était pressé. Il voulait rentrer pour écrire. Il avait une nouvelle idée. Sensationnelle. Tu y vois plus clair, maintenant, Jeff?

- A quelle heure était-ce? » s'empressa de demander Jeff.

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Visiblement, M. Newcomb tenait déjà son idée au moment où il était venu à l'épicerie.

« Après déjeuner. Vers trois heures ou trois heures et demie. Difficile à dire.

- Merci beaucoup! » s'écria Jeff, en partant au pas de course. Il se rendit ensuite à la poste où le vieux M. Rogers, maigre

et chauve, mit un certain temps à le comprendre.« Hum! fit enfin le postier en se tiraillant l'oreille. Quand ai-je vu

l'écrivain pour la dernière fois? Voyons, voyons... Je crois qu'il a envoyé une lettre recommandée... Je vais voir dans mon registre. »

Jeff attendit, le cœur battant, pendant que M. Rogers feuilletait ses livres.

« Voilà, voilà. Le premier du mois dernier. A une heure trente.— Est-ce qu'il vous a parlé de ce qu'il écrivait ou de quelque

chose de ce genre? »Le postier secoua négativement la tête, si bien que ses lunettes à

monture dorée glissèrent sur son nez.« II était très pressé. Il voulait faire partir cette lettre le plus vite

possible. Le destinataire, c'était une librairie de New York spécialisée dans je ne sais quels vieux bouquins.

- Merci ! » fit Peter et il se dépêcha de poursuivre son enquête. Sauf erreur, M. Newcomb. avait commandé ce jour-là le livre

de magie que l'on avait retrouvé sur son bureau. En d'autres termes, il tenait déjà son idée et réunissait les éléments qui lui permettraient de l'exploiter. Il avait donc parlé à quelqu'un plus tôt dans la matinée. Mais à qui?

Jeff passa chez le libraire, chez le pharmacien, à la compagnie des téléphones où M. Newcomb était allé payer sa note. Partout on lui dit que M. Newcomb avait été très pressé. Il avait conseillé au libraire de faire venir son nouveau livre dès qu'il sortirait : le livre devait être encore meilleur que les précédents. La visite au libraire avait été faite à onze heures du matin.

Jeff ne savait plus à qui s'adresser. Il était allé rendre visite à toutes les personnes que M. Newcomb voyait ordinairement.

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Peut-être l'écrivain avait-il rencontré quelqu'un dans la rue? Quelqu'un qu'on n'avait aucune chance de retrouver?

Perdant courage, Jeff rentra à la maison. Ses parents étaient allés passer la soirée chez des amis. Il dîna donc seul, fit ses devoirs et se mit au lit de bonne heure.

Couché dans l'obscurité, les mains nouées derrière la tête, il cherchait toujours. Avec qui M. Newcomb avait-il été en train de causer ce jour-là lorsque sa merveilleuse idée lui était venue? Quelle autre personne en ville avait-il pu aller voir?

Soudain, Jeff se mit sur son séant.« Bien sûr! s'écria-t-il. C'est évident. C'est sûrement lui. »Sans réfléchir un instant, il se dépêcha de s'habiller. Ses parents

ne rentreraient pas avant une heure ou deux. Il arracha une feuille de papier dans un carnet et griffonna :

J'ai été obligé de sortir, mais je serai bientôt de retour. Ne vous inquiétez pas. Bons baisers.

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Il plaça le papier sur son lit et sortit en refermant la porte, sans songer que lorsque ses parents verraient la porte fermée, ils le croiraient endormi et n'iraient pas prendre connaissance dumessage.

Il décrocha sa bicyclette, alluma le phare, descendit les marches du perron. Un instant plus tard, il pédalait de toutes ses forces dans la direction de la maison de M. Matthews, qui se trouvait à l'extérieur de la ville.

En remontant l'allée qui conduisait à la villa, il vit que les fenêtres de la salle de séjour étaient encore éclairées. Le professeur était assis à son bureau, occupé à corriger les compositions trimestrielles. Mme Matthews et les petites filles devaient dormir. Jeff frappa légèrement au carreau. M. Matthews s'approcha de la fenêtre, reconnut son visiteur et le fit entrer.

a Monsieur Matthews, dit Jeff tout haletant, je crois savoir à qui M. Newcomb a parlé ce jour-là et à qui il a peut-être emprunté son idée.

Tiens, tiens! fit M. Matthews. Tu as découvert quelque chose cet après-midi?

— Non, mais j'ai raisonné. Il faut que je pose une question à Tony Higgins, monsieur Matthews. Nous pourrions peut-être y aller maintenant?

- Maintenant? Mais il est tard!- Bien sûr qu'il est tard, mais si j'ai raison, nous tenons l'indice

qui nous manque! Je n'arriverai pas à m'endormir sans savoir si j'ai tort ou raison.

— Je vois, dit M. Matthews en riant, et en mettant son veston. Dans ce cas, pas d'hésitation; allons voir Tony et pose-lui ta question. Mais ne compte pas sur lui pour se rappeler quelque chose qui est arrivé il y a plus d'un mois. »

Ils montèrent en voiture et partirent pour la ferme de Tony. Le professeur était bien tenté de demander à Jeff en quoi consistait son idée, mais le garçon était si ému et avait si grande envie de lui en réserver la surprise, que M. Matthews ne posa pas de question directe. Il demanda seulement:

« Tu penses peut-être que quelqu'un est venu voir Harley Newcomb ce jour-là et qu'il a demandé son chemin à Tony?

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- Pas tout à fait », répondit Jeff.Jeff mourait d'envie de confier son idée à M. Matthews, mais

aussi du désir de le surprendre. Réflexion faite, il se tut.En approchant de la ferme, le professeur et son élève virent une

lumière briller du côté du pavillon de l'écrivain.« Monsieur Matthews! s'écria Jeff. Il y a quelqu'un dans le

pavillon. A cette heure-ci !- Juste, dit le professeur en prenant l'allée. C'est Tony, je

suppose. Il doit être en train de transformer le pavillon en musée pour pouvoir le faire visiter tout l'été. Il gagnera pas mal d'argent... »

M. Matthews arrêta la voiture. Ils descendirent tous les deux. Jeff contenait à peine son impatience. Par la fenêtre, ils virent Tony Higgins, toujours vêtu de sa vieille combinaison, circuler dans le pavillon.

« En, Tony! appela M. Matthews. On peut entrer? »Le fermier approcha de la fenêtre et regarda à l'extérieur, en

battant des paupières pour mieux voir :« Un dollar par personne! annonça-t-il. Homme, femme ou

enfant, c'est pareil... Oh! c'est vous, monsieur Matthews. Vous et Jeff. Bon, bon. Vous devez avoir le droit d'entrer sans payer.

- Vous êtes trop aimable. »Le professeur se glissa par la fenêtre, suivi de Jeff. « Comment

marche votre syndicat d'initiative, Tony? demanda M. Matthews. On dit que vous avez beaucoup de touristes.

- Pas mal, pas mal. Mais il faut les surveiller pour qu'ils n'emportent rien. C'est fatigant. »

Jeff regarda autour de lui avec curiosité. Peu de choses avaient changé depuis le jour où le mystère avait été découvert. Tony avait seulement placé des plaques de verre protectrices sur les empreintes rouges et des cordes le long de la bibliothèque et autour des empreintes, pour empêcher les visiteurs d'en approcher. En outre, il avait changé la disposition des crânes humains qui, auparavant, se trouvaient sur l'étagère. Maintenant il y en avait un à côté de la machine à écrire, un autre sur le grand dictionnaire de M. Newcomb, le troisième n'avait pas bougé. Enfin, M. Higgins

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avait ajouté un ou deux masques particulièrement diaboliques. « J'ai juste un peu arrangé les choses, dit Tony, en voyant ses visiteurs regarder autour d'eux. Pour que ce soit plus intéressant. Je voulais que mes touristes en aient pour leur argent.

- Et si M. Newcomb revient? demanda M. Matthews.- Il ne reviendra pas, répondit le fermier sans hésiter. Je veux

dire que s'il avait eu l'intention de revenir, il l'aurait déjà fait. Je vais vous dire, moi, ce qui s'est passé : sa formule magique s'est détraquée, et il s'est complètement évaporé à l'heure qu'il est.

- J'espère bien que non, répondit le professeur. Mais Jeff a une question à vous poser. Vas-y, mon garçon. Demande à Tony ce que tu voulais savoir. »

Un instant, Jeff hésita. Tout à coup, il lui sembla qu'il était fort sot d'essayer de trouver la clef du mystère tout seul. Mais il avait déjà sa question sur la langue et ne put la retenir :

« Monsieur Higgins, vous avez parlé à M. Newcomb le premier du mois, n'est-ce pas? »

Aussitôt, le professeur claqua des doigts :a Mais bien sûr, Tony! Vous disiez que vous ne l'aviez pas vu de

plusieurs semaines mais vous lui avez parlé ce jour-là. Vous, le propriétaire de ce pavillon, vous n'auriez sûrement pas oublié de venir chercher votre mois de loyer!

— Et, en causant avec lui, vous lui avez donné une idée, ajouta Jeff. Une idée pour un nouveau livre. Vous êtes le seul qui ayez pu le faire puisque, lorsqu'il est arrivé en ville, il se préparait déjà à écrire. »

La face hâlée de Tony Higgins s'assombrit de colère. Ses yeux brillèrent et sa bouche se crispa.

« Parbleu, oui, je lui ai donné une idée. J'étais venu le matin, pour toucher mon chèque. Il tournait dans ce pavillon comme un fauve en cage. «J'ai un livre à écrire, qu'il me dit, « et pas d'idée. » II lui fallait un système inédit pour sortir d'une pièce fermée à clef. «Je donnerais cinq cents dollars « pour une idée », qu'il me dit! »

A mesure que le fermier parlait, son visage s'empourprait

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davantage et ses yeux brillaient d'un éclat de plus en plus furieux. Ses grandes mains s'ouvraient et se fermaient. Jeff avait entendu dire que Tony pouvait être violent à ses heures, mais c'était la première fois qu'il le voyait ainsi.

« Et alors, vous lui avez donné une idée? demanda M. Matthews calmement, comme pour apaiser le fermier.

- Vous parlez que je lui en ai donné une, d'idée! Je lui ai donné une idée hors concours. Oui, monsieur, hors concours! Et il m'a dit qu'il y penserait, mais qu'elle avait déjà sûrement été utilisée. Comme c'était son métier de savoir ces choses-là, je l'ai laissé. Et puis, voilà qu'à la fin du mois, je viens le voir pour lui demander ce qu'il en pensait, et je le vois en train de taper à la machine. Je jette un coup d'ceil, et je m'aperçois qu'il l'utilise à plein, mon idée! A fond, quoi, je lui demande les cinq cents dollars et il me répond qu'elle en vaut à peine cinquante.

- Et alors, Tony, qu'avez-vous fait? demanda M. Matthews, plus doucement encore, tandis que Jeff, de plus en plus angoissé, voyait la fureur croissante du fermier.

- J'ai exigé les cinq cents! rugit Tony. Il m'a dit que c'était absurde. Alors je lui ai fait voir si c'était si absurde que ça.

- Comment? demanda le professeur, essayant de distraire le fermier de sa colère.

- Je m'en vais vous le faire voir, à vous aussi ! » tonna M. Higgins.

Avant que M. Matthews n'eût le temps de l'éviter, le poing de Tony l'atteignait au menton et l'envoyait rouler sur le sol.

Il fallait du renfort, vite. Jeff bondit vers la fenêtre, mais Tony le saisit par la ceinture et le jeta à terre.

Pour quelques minutes, le garçon perdit connaissance.

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ALFRED HITCHCOCK : Brave Jeff! C'est tout de même très bien d'avoir pensé à cette chose si simple, que la personne qu'on voit généralement le premier du mois est le propriétaire du logement qu'on habite.

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Et vous? Vous gui connaissiez l'avarice de Tony, avez-vous pensé qu'il ne pouvait laisser passer le premier du mois sans aller toucher son loyer?

Si oui, vous devez être sérieusement en avance sur nous, vous connaissez le secret du pavillon hermétique, de l'homme qui s'évapora et des empreintes rouges. Nous vous avons donné tant d'indices...

El pourtant, vous pourriez encore vous tromper.Un point est clair : Jeff aurait dû confier ses déductions à M. Matthews,

car apparemment Tony doit être en train de préparer quelque chose de fort désagréable pour Jeff et son professeur...

Lisez la suite et vous verrez de quoi il s'agit. En même temps, vous pourrez vérifier l'exactitude de vos déductions.

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CONCLUSION

Jeff, encore tout hébété, ouvrit les yeux. Il lui fallut plusieurs secondes pour comprendre où il était et ce qui s'était passé. Puis il essaya de s'asseoir et retomba aussitôt en s'écriant : « Aïe! » Sa tête fui faisait mal. Ses poignets et ses chevilles aussi. La tête, parce qu'il l'avait cognée en tombant; les poignets parce que ses bras étaient attachés derrière son dos; les chevilles parce qu'elles étaient attachées elles aussi, avec une corde grossière.

Il était étendu par terre, sur le flanc, au pied des étagères de livres. M. Matthews, ligoté aussi, était auprès de lui.

« Jeff, tu n'es pas blessé? demanda le professeur, inquiet.- Je ne crois pas. C'est Tony Higgins qui nous a garrottés?- Ficelés comme des saucissons, répondit M. Matthews. Il

nous a attachés et il est parti en disant qu'il allait revenir.- Que... que croyez-vous qu'il compte faire de nous?

demanda jeff, en essayant de paraître courageux.- Je préfère ne pas tenter de pronostics. Si c'était un homme

raisonnable, je pourrais lui parler. Mais il n'est pas raisonnable du tout. Tu as vu dans quelle fureur il s'est mis en racontant que Newcomb lui avait refusé de l'argent.

- J'ai vu, dit Jeff.

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- Je vais essayer tout de même, mais je ne pense pas qu'il m'écoute. Jeff, j'ai fait mon possible pour détendre le nœud autour de mes poignets. Si je te tourne le dos, tu pourrais essayer de continuer avec tes dents.

- Je tâcherai, monsieur Matthews. »Le professeur roula sur le flanc et Jeff se tortilla jusqu'au moment

où il put voir sous son nez les poignets attachés de M. Matthews. Tony avait fait un gros nœud bien serré et Jeff craignait que leur projet ne réussisse pas, mais ce n'est guère une raison pour perdre du temps. Il saisit un bout de corde dans ses dents et commença à la mordiller, comme un petit chien qui jouerait avec une pantoufle.

Ses dents glissaient; la corde meurtrissait ses lèvres. Il essaya de nouveau. Cette fois-ci, il s'assura une meilleure prise sur la corde. Il tirait dessus désespérément lorsque des pas lourds retentirent dehors.

Higgins revenait!Toutefois, il n'entra pas. Il poussait une brouette. On entendait le

gravier crisser sous la roue. Tony s'arrêta. Il y eut un bruit métallique suivi d'un martèlement sourd, sur du bois. Puis, après un moment, un cliquetis imprévu : celui d'un cric d'automobile.

« Que fait-il? » chuchota Jeff.Les deux prisonniers se trouvaient face au mur et ne pouvaient

rien voir par la fenêtre ouverte.« Je n'en sais rien, Jeff. Mords toujours. Il va peut-être nous

donner le temps de nous libérer. »Furieusement, Jeff reprit le nœud entre ses dents.Dehors, le cliquetis, lent et méthodique, retentissait toujours. Le

cric montait. Puis il y eut un bruit nouveau : un grincement de madriers accompagnait chaque déclic.

Que se passait-il? Jeff n'en avait pas la moindre idée. Il mâchait toujours. Cinq minutes passèrent, puis dix. Enfin il sentit que le nœud cédait légèrement.

« Vite, Jeff! chuchota le professeur. Il ne doit plus nous rester beaucoup de temps. »

Le cliquetis et les grincements avaient cessé. Tony Higgins

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marchait dehors. Les lèvres et la langue de Jeff étaient à vif. Mais maintenant la torde, toute mouillée, ne glissait plus et offrait moins de résistance.

Rageusement, Jeff plongea ses dents dans le nœud et tira. Il sentit que le bout de la corde venait.

« Très bien! encourageait M. Matthews. Encore un effort. »Une dernière fois, Jeff mordit : le nœud se défaisait. A ce

moment, Higgins se laissa lourdement glisser par la fenêtre, et se dirigea vers ses prisonniers.

M. Matthews s'était empressé de rouler sur le dos pour cacher ses mains presque libres. Jeff l'avait imité. Le fermier se pencha vers eux, sinistre :

« Ça va, vous deux? Je vais pouvoir m'occuper de vous... »Jeff écoutait à peine : son regard s'était fixé sur l'un des quatre

angles de la pièce, à la hauteur où le toit aurait dû reposer sur le mur. Comme la pièce n'avait pas de plafond, la charpente était apparente et Jeff, à sa grande surprise, put voir que le toit avait été soulevé d'une trentaine de centimètres. On voyait une large fente entre le bord du toit et le mur.

M. Matthews s'en aperçut aussi et il parla aussitôt, pour gagner du temps.

« C'est donc là votre secret! s'écria-t-il. Tony, vous êtes très malin. Pas d'issues dérobées. Simplement le toit que l'on soulève un peu, de façon qu'un homme puisse se glisser dans l'interstice, après avoir cloué portes et fenêtres de l'intérieur. Puis on abaisse le toit et tout paraît normal. Nous aurions dû y penser. Bien sûr, un toit a toujours l'air solidement fixé à la maison qu'il recouvre, mais il arrive qu'il tienne surtout par son propre poids... »

Un instant, sa ruse réussit. Tony Higgins ricana.a Précisément, fit-il. Mon ouvrier Joe a fait toute la maçonnerie.

C'était un fameux maçon. Et moi, je faisais la charpente. Les clous ont commencé à me manquer quand je suis arrivé à cet angle-ci. C'était trop fatigant d'aller en ville en chercher d'autres. Alors j'ai laissé ce coin comme il était. Je me disais bien qu'un cric de camion soulèverait le madrier sans difficulté

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et j'avais raison. Voilà l'idée que j'ai donnée à M. Newcomb. Et il a dit qu'elle était absurde!»

De nouveau, son visage s'assombrit de colère.« Mais il ne le dit plus, maintenant. J'ai dupé tout le monde,

police comprise.— Vous nous avez tous bernés, reconnut M. Matthews. Mais ces

empreintes qui diminuaient...? Comment vous y êtes vous pris?— Facile. J'ai toutes sortes de chaussures, de toutes les

dimensions, qui restent de la vente. J'ai pris l'une de celles de M. Newcomb et plusieurs chaussures d'enfants, de taille différente. Je les ai trempées dans l'encre et j'ai fait les empreintes. Et j'ai tapé le message sur la machine. Pensez à tout ce qu'ont raconté les journaux sur l'homme qui s'évapora!... »

Il riait aux éclats.« Je ne me suis jamais autant amusé de nia vie. Tous ces gens qui

venaient, qui se cassaient la tête pour trouver la solution... - Qui était si simple, admit le professeur. Mais qu'avez-vous fait de Harley Newcomb?

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- Il est encore dans mon grenier, que je tiens toujours fermé à clef, à cause des costumes que j'y garde. Le livre dont il m'a volé l'idée est avec lui. J'attendais pour voir si quelqu'un devinerait que c'était moi qui avais tout cloué, qui étais sorti par la fente sous le toit et qui avais remis le toit en place. Comme personne n'a deviné, je peux mettre mes projets à exécution! »

Il avait dit cette dernière phrase d'un ton si froid, si menaçant, que Jeff frissonna.

« Écoutez-moi, Tony, dit M. Matthews. Pour l'instant, vous n'avez causé de tort sérieux ni à M. Newcomb ni à nous. Relâchez-nous, relâchez-le, et vous vous en tirerez sans trop de dommage.

- Que je vous relâche? demanda Higgins, stupéfait. Vous qui connaissez mon secret et qui gâteriez toutes mes affaires? J'ai l'air fou, ou quoi?

- Tony, vous feriez mieux d'y réfléchir à deux fois, avant de...- C'est tout réfléchi, rugit le fermier. D'abord, je voulais

seulement cacher M. Newcomb assez longtemps pour lui montrer ce que valait mon idée et pour lui apprendre à ne pas tromper les gens. Mais ensuite les curieux ont commencé à vouloir visiter le pavillon mystérieux et j'ai vu que je ne pouvais pas relâcher Newcomb. Pensez-y. En moins d'une semaine, j'avais gagné quatre cents dollars. Je ne vais quand même pas me laisser saboter mon commerce!

- Écoutez-moi, Tony... »Le fermier fit taire M. Matthews en criant un bon coup : « C'est

vous qui allez m'écouter! Pas question pour Newcomb de me tarir ma petite mine d'or. Pour vous deux, non plus. Non, monsieur. Au contraire, vous allez me l'alimenter. Quand on aura trouvé ce pavillon tout cloué de nouveau, quand on sera entré dedans à coups de hache, quand on vous y aura découverts tous les deux, ce sera, pour tout de bon, le plus grand mystère du siècle. Combien pariez-vous que je ferai du cent dollars par jour? Près de mille par semaine.

- Qu'entendez-vous par : « on nous y découvrira tous les deux? » répliqua M. Matthews.

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Jeff, qui aurait aimé poser la même question, sentit sa bouche devenir sèche et un frémissement lui descendre le long du dos, lorsqu'il vit Tony exhiber deux cordes, dont chacune se terminait par un nœud coulant.

« J'entends qu'on vous trouvera suspendus à ces poutres que vous voyez au-dessus de vos têtes, répondit Tony. Pas moyen non plus de savoir comment vous êtes entrés, qui vous a pendus ou comment celui qui a fait le coup est ressorti. Une mine d'or, je vous dis, pour le restant de mes jours! Quand même je le voudrais, je ne pourrais plus vous relâcher maintenant : cela me coûterait trop d'argent. Maintenant, assez causé. A vous, professeur. »

II se pencha sur M. Matthews. Jeff ferma les yeux pour ne pas voir ce qui allait suivre.

Il eut tort, car, ainsi, il ne vit pas le professeur couché sur le dos ramener brusquement ses genoux contre sa poitrine et puis lancer les pieds en avant de toutes ses forces, sans être en rien gêné par les liens qui maintenaient ses chevilles.

Tony Higgins reçut ce formidable coup en plein estomac. Jeff ouvrit les yeux à temps pour voir le fermier catapulté en arrière aller donner de la nuque contre le mur et glisser au sol, assommé.

M. Matthews se mit sur son séant. Pendant sa conversation avec Tony, il avait réussi à terminer le travail de Jeff. Il tira donc un canif de sa poche, trancha les liens de ses pieds et courut ligoter les poings et les chevilles de M. Higgins au moyen des nœuds coulants que celui-ci avait si soigneusement préparés.

Un instant après, Jeff était libre lui aussi. La tête lui tournait un peu de la peur qu'il avait eue.

« Ça alors ! fit-il lorsqu'il put parler. Mais c'est que M. Higgins se préparait à nous... nous...

— Exactement, dit M. Matthews, en se frottant les poignets pour rétablir la circulation. Si son plan avait réussi, je suis sûr qu'il aurait fait faire des mannequins en cire à notre ressemblance et qu'il les aurait suspendus à notre place pour donner la chair de poule aux touristes des années à venir. Personne,

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je pense, n'aurait résolu le mystère. Son stratagème était d'une simplicité véritablement diabolique.

Tout cela, pour avoir un pavillon mystérieux ! Pour gagner un peu d'argent sans travailler!

- Je pense que Tony n'est pas normal lorsque l'argent est en cause. Pouvoir en gagner tant si facilement! Il en a perdu la boussole. Nous avons eu de la chance qu'il se soit penché sur-moi comme il a fait, car, autrement, je n'aurais pas eu raison de lui. Je suis surtout fort des cuisses et des jarrets et il m'a donné l'occasion d'utiliser mes muscles! »

Tony Higgins reprenait peu à peu son souffle. Il aspirait l'air par longues goulées, tout en frissonnant. M. Matthews l'observait avec vigilance.

« Jeff, je sais que tu n'as pas encore ton permis, mais que tu sais conduire. Pour cette fois, je te permets de prendre ma voiture et de descendre en ville. Demande à ton père de téléphoner à la police. Moi, je vais garder Tony. Ton père pourrait te ramener ici et vous iriez tous les deux libérer M. Newcomb qui

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est toujours dans son grenier. Il sera content de vous voir, j'imagine.

- Bien, monsieur Matthews! » dit Jeff, en se dirigeant vers la fenêtre.

Tout en se glissant à l'extérieur, il prit une décision : il n'écrirait jamais de romans policiers; il se contenterait d'en lire. Les écrivains, décida-t-il, couraient trop de risques!

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ALFRED HITCHCOCK : Tony Higgins est actuellement logé et nourri aux frais de l'État, ce qui le ravit. D'autant plus qu'on lui a expliqué quels impôts il aurait dû payer s'il avait gagné mille dollars par semaine, ce qui l'a fait sérieusement réfléchir.

Harley Newcomb est parti, pour l'Angleterre : les toits y tiennent solidement sur les maisons, qui ont des siècles d'âge. M. Newcomb, voyez-vous, ne croit plus aux maisons modernes.

Quant, à vous, veuillez noter que, dans cette affaire, nous avons joué le jeu. Nous vous avons dit à quel point Tony aimait l'argent et nous avons précisé qu'il était propriétaire de la maison habitée par

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Harley Newcomb. Vous auriez donc pu déduire facilement qu'il mentait en indiquant la date où il avait vu le disparu pour la dernière fois. Nous avons mentionné les chaussures de pointures diverses qui étaient à la disposition de Tony et, nous vous avons même montré le cric supportant un toit. Si vous avez déduit que Tony était l'homme auquel M. Newcomb avait parlé le premier du mois, vous êtes bon pour servir d'auxiliaires temporaires occasionnels de la police. Si vous en avez conclu qu'il était l'auteur de la disparition, vous serez promus officiers de police adjoints. Si vous avez également résolu le mystère des empreintes qui allaient en rétrécissant, vous ferez des officiers de police acceptables. Au cas où vous auriez pénétré le secret du toit et du cric, nommez-vous commissaires .sans tarder. En revanche, si tous ces points vous ont échappé... Hein? Vous dites? Qu'ils ont aussi échappé à la police? Je le sais bien. C'est tout à fait regrettable...

Au moment de terminer ce Mystère de l'homme qui s'évapora, je soupçonne fort certains d'entre vous d'être déçus parce que la magie noire n'y jouait, en réalité, aucun rôle. Voilà donc pour vous une excellente leçon. Sachez qu'il n'y a pas de magie et que les tours les plus surprenants s'expliquent toujours de la façon la plus simple.

Il faut maintenant que je vous dise adieu. J'espère que vous avez pris plaisir à notre petite excursion au pays des énigmes, et de l'angoisse.

En, outre, j'espère que vous garderez scrupuleusement pour vous les quatre clefs de nos quatre mystères. Comme je vous le disais dans mon introduction : vous avez pris la peine de -me lire, vos amis n'ont qu'à faire comme vous.

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Je vais préciser quelques points qui demeurent encore obscurs.

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INFO

Les Trois Jeunes Détectives

(The Three Investigators) est une série de romans policiers américains pour la jeunesse.

Ayant eu plusieurs auteurs écrivant leur aventures (l'auteur principal et créateur étant Robert Arthur), l'édition française de Bibliothèque Verte nomme comme auteur Alfred Hitchcock, qui « présente » la série, comme il prêtait son nom à des recueils de nouvelles policières ou d'angoisse. Ces œuvres utilisaient son nom pour mieux attirer l'attention.

Les personnages

Hannibal Jones (Jupiter Jones en version originale), Peter Crentch (Peter Crenshaw) et Bob Andy (Robert « Bob » Andrews) sont un trio de jeunes adolescents vivant dans la ville fictive de Rocky en Californie. Ils travaillent comme détectives privés dans leur temps libre. Se faisant connaître comme Les trois jeunes détectives, ils enquêtent dans des affaires allant du surnaturel jusqu'au sombres intrigues criminelles.

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Les trois jeunes détectives en détail

Étant bien entendu au nombre de trois, leur symbole est le point d'interrogation. Ils ont leur propre carte de visite qui a trois points d'interrogation consécutifs, ce qui attire très souvent les questions des gens à qui ils les montrent, demandant ce qu'ils signifient, parfois si c'est dû à leur propre doute en leurs capacités. Ils répondent toujours que cela représente le mystère et les énigmes qu'ils ont à résoudre. Leur devise : « Détections en tout genre » (ou selon le volume, « Enquêtes en tout genre », etc.)

Hannibal Jones : Détective en chef. Le chef de la bande, il est très intelligent et ne s'en cache pas. Il a un problème de surpoids qui attire parfois les moqueries, ce qu'il déteste. Orphelin, il vit avec sa tante Mathilda et son oncle Titus qui s'occupent d'une brocante nommée Le Paradis de la Brocante (The Jones Salvage Yard). Plus jeune, certains comme Skinny Norris le surnommaient « Gros Plein de Soupe » mais il déteste ce surnom.

Peter Crentch : Détective adjoint. Le sportif de la bande, il est physiquement fort, ce qui est toujours utile. Malgré cela, il a tendance à être peureux. Il peut tout de même montrer du courage en cas d'urgence. Son père travaille au cinéma pour les effets spéciaux. Son expression favorite en cas de grande pression est « Mazette ».

Bob Andy : S'occupe des archives et recherches. Fluet, portant lunettes et souvent plongé dans les livres, il est un peu l'archétype du nerd. Son père est journaliste et sa mère est décrite comme jeune et jolie.

Personnages secondaires

Alfred Hitchcock : Le célèbre cinéaste fut le premier client des détectives, puis devint une sorte de mentor pour eux pendant les trente premiers volumes, « préfaçant » chacune de leurs aventures (travail de l'auteur, bien sûr) et retrouvant les héros à la fin pour discuter de l'affaire et de son dénouement. La maison d'édition Random House payait pour utiliser légalement son nom. À sa « vraie » mort en 1980, les Hitchcock demandèrent encore plus d'argent; il fut remplacé par un personnage fictif, Hector Sebastian. Les dernières éditions américaines ont changé les volumes de sorte que Hitchcock n'apparaisse plus et soit remplacé par Hector Sebastian.

Hector Sebastian : Un ancien détective devenu écrivain, auteur de romans best-sellers. Il prit la place de Hitchcock dans la série dès L'aveugle qui en mettait plein la vue.

Titus Jones : Oncle de Hannibal et propriétaire du Paradis de la Brocante, c'est un petit homme moustachu jovial, qui préfère acheter pour son affaire des objets qui le passionnent personnellement plutôt que des choses pratiques.

Mathilda Jones : Tante de Hannibal et femme de Titus, c'est une femme forte et sévère mais qui malgré son apparence dure, a un fond très bon (dans certains volumes de la version française, elle s'appelle Mathilde).

Warrington : Chauffeur bbritanique de la Rolls Royce dont Hannibal a gagné l'usage pendant trente jours à un concours (jusqu'à ce que son usage soit finalement étendu). Homme droit et distingué, il va parfois personnellement aider les détectives.

Samuel Reynolds : Commissaire de la police de Rocky. Ayant d'abord une certaine antipathie pour les héros, il finit par reconnaître leur talent et leur fournit

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même une carte signée qui les désigne comme auxiliaires de la police. Reynolds intervient souvent pour arrêter les criminels que les trois jeunes détectives débusquent.

Hans et Konrad : Deux Bavarois physiquement très forts qui travaillent au Paradis de la Brocante pour les Jones. Ils sont aussi sympathiques que musclés et sont toujours prêts à aider les héros.

Skinny Norris : Jeune voyou d'une famille aisée, il est toujours à mettre des bâtons dans les roues des trois jeunes détectives dont il prend plaisir à se moquer. Il va parfois jusqu'à collaborer avec des criminels, plus par idiotie que délinquance. Il est grand, maigre (ce qui lui vaut son surnom de « Skinny » signifiant « maigre » en anglais et a un long nez.

Huganay : Criminel français distingué, Huganay se spécialise dans le vol d'objets d'arts.

Auteurs

Robert Arthur (aussi créateur)

William Arden Nick West Mary Virginia Carey

Hitchcock lui-même n'a rien écrit dans la série, ni même les préfaces qui sont « signées » de lui (ce ne sont que des travaux des auteurs). D'abord intitulée Alfred Hitchcock and the Three Investigators en version originale, elle devint simplement The Three Investigators dès le volume 30 (L'aveugle qui en mettait plein la vue), après la mort d'Hitchcock.

Notes

Chaque couverture de volume montre la silhouette de la tête d'Alfred Hitchcock, comme dans les débuts de ses films.

Dans la version originale, la plupart des titres commençaient par les mots « The mystery of... » ou « The secret of... ». La plupart des titres en version française tentent, eux, de faire des jeux de mots.

Les derniers volumes montrent les protagonistes plus âgés et ayant plus de préoccupations d'adolescents. Cela a commencé dans la partie appelée Crimebusters en version originale.

La série est particulièrement populaire en Allemagne. Les acteurs ayant participé à des versions audio y sont des vedettes. Deux films produits en Allemagne ont d'ailleurs été tournés.

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LES TROIS DETECTIVES

ORDRE ALPHABETIQUE

1. Au rendez-vous des revenants (The Secret of Terror Castle, Robert Arthur, 1964) 2. Envolée, la volaille ! (Murder To Go, Megan Stine et H. William Stine, 1989) 3. L’aigle qui n’avait plus qu’une tête (The Mystery of the Flaming Footprints, M V Carey, 1971) 4. L’arc en ciel à pris la fuite (The Mystery of the Vanishing Treasure, Robert Arthur et William Arden, 1966) 5. L’aveugle qui en mettait plein la vue (The Mystery of the Scar-Faced Beggar, M V Carey, 1981) 6. L’éditeur qui méditait (The Mystery of the Magic Circle, M V Carey, 1977) 7. L’épée qui se tirait (Mystery of the Headless Horse, William Arden, 1977) 8. L’épouvantable épouvantail (The Mystery of the Sinister Scarecrow, M V Carey, 1979) 9. L’insaisissable home des neiges (The Mystery of Monster Mountain, M V Carey, 1972) 10. L’ombre qui éclairait tout (The Mystery of the Laughing Shadow, William Arden, 1969) 11. La baleine emballée (The Mystery of the Kidnapped Whale, M V Carey, 1983) 12. La Mine qui ne payait pas de mine (The Mystery of Death Trap Mine, M V Carey, 1976) 13. La momie qui chuchotait (The Mystery of the Whispering Mummy, Robert Arthur, 1965) 14. La Saisie des sosies (The Mystery of the Deadly Double, William Arden, 1978) 15. L'ânesse qui se pavanait (An Ear For Trouble, Marc Brandel, 1989) 16. Le chat qui clignait de l'oeil (The Secret of the Crooked Cat, William Arden, 1970) 17. Le Chinois qui verdissait (The Mystery of the Green Ghost, Robert Arthur, 1965) 18. Le crâne qui crânait (The Mystery of the Talking Skull, Robert Arthur et William Arden, 1969) 19. Le démon qui dansait la gigue (The Mystery of the Dancing Devil, William Arden, 1976) 20. Le dragon qui éternuait (The mystery of the coughing dragon, Nick West, 1970) 21. Le drakkar hagard (The Mystery of the Creep-Show Crooks, William Arden, 1985) 22. Le flibustier piraté (The Mystery of the Purple Pirate, William Arden, 1982) 23. Le journal qui s'effeuillait (The Secret of Phantom Lake, William Arden, 1972) 24. Le lion qui claquait des dents (The Mystery of the Nervous Lion, Nick West, 1971) 25. Le miroir qui glaçait (The Secret of the Haunted Mirror, M V Carey, 1972) 26. Le perroquet qui bégayait (The Mystery of the Stuttering Parrot, Robert Arthur, 1964) 27. le requin qui resquillait (The Secret of Shark Reef, William Arden, 1979) 28. Le serpent qui fredonnait (The Mystery of the Singing Serpent, M V Carey, 1971) 29. Le spectre des chevaux de bois (The Secret of Skeleton Island, Robert Arthur, 1966) 30. Le tableau se met à table (The Mystery of the Shrinking House, William Arden, 1972) 31. Le testament énigmatique (The Mystery of the Dead Man's Riddle, William Arden, 1972) 32. Le trombone du diable (The Mystery of the Moaning Cave, William Arden, 1968) 33. Les caisses à la casse (Hot Wheels, William Arden, 1989) 34. Les douze pendules de Théodule (The Mystery of the Screaming Clock, Robert Arthur, 1968) 35. Quatre Mystères (Alfred Hitchcock’s solve-them-yourself mysteries ? )36. Silence, on tue ! (Thriller Diller, Megan Stine et H. William Stine, 1989)37. Treize bustes pour Auguste (The Mystery of the Fiery Eye, Robert Arthur, 1967) 38. Une araignée appelée à régner (The Mystery of the Silver Spider, Robert Arthur, 1967)

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LES TROIS DETECTIVES

ORDRE DE SORTIE

1. Quatre Mystères (Alfred Hitchcock’s solve-them-yourself mysteries ? )2. Au rendez-vous des revenants (The Secret of Terror Castle, Robert Arthur, 1964) 3. Le perroquet qui bégayait (The Mystery of the Stuttering Parrot, Robert Arthur, 1964) 4. La momie qui chuchotait (The Mystery of the Whispering Mummy, Robert Arthur, 1965) 5. Le Chinois qui verdissait (The Mystery of the Green Ghost, Robert Arthur, 1965) 6. L’arc en ciel à pris la fuite (The Mystery of the Vanishing Treasure, Robert Arthur et William Arden,

1966) 7. Le spectre des chevaux de bois (The Secret of Skeleton Island, Robert Arthur, 1966) 8. Treize bustes pour Auguste (The Mystery of the Fiery Eye, Robert Arthur, 1967) 9. Une araignée appelée à régner (The Mystery of the Silver Spider, Robert Arthur, 1967) 10. Les douze pendules de Théodule (The Mystery of the Screaming Clock, Robert Arthur, 1968) 11. Le trombone du diable (The Mystery of the Moaning Cave, William Arden, 1968) 12. Le crâne qui crânait (The Mystery of the Talking Skull, Robert Arthur et William Arden, 1969) 13. L’ombre qui éclairait tout (The Mystery of the Laughing Shadow, William Arden, 1969) 14. Le dragon qui éternuait (The mystery of the coughing dragon, Nick West, 1970) 15. Le chat qui clignait de l'oeil (The Secret of the Crooked Cat, William Arden, 1970) 16. L’aigle qui n’avait plus qu’une tête (The Mystery of the Flaming Footprints, M V Carey, 1971) 17. Le lion qui claquait des dents (The Mystery of the Nervous Lion, Nick West, 1971) 18. Le serpent qui fredonnait (The Mystery of the Singing Serpent, M V Carey, 1971) 19. Le tableau se met à table (The Mystery of the Shrinking House, William Arden, 1972) 20. Le journal qui s'effeuillait (The Secret of Phantom Lake, William Arden, 1972) 21. L’insaisissable home des neiges (The Mystery of Monster Mountain, M V Carey, 1972) 22. Le miroir qui glaçait (The Secret of the Haunted Mirror, M V Carey, 1972) 23. Le testament énigmatique (The Mystery of the Dead Man's Riddle, William Arden, 1972) 24. La Mine qui ne payait pas de mine (The Mystery of Death Trap Mine, M V Carey, 1976) 25. Le démon qui dansait la gigue (The Mystery of the Dancing Devil, William Arden, 1976) 26. L’épée qui se tirait (Mystery of the Headless Horse, William Arden, 1977) 27. L’éditeur qui méditait (The Mystery of the Magic Circle, M V Carey, 1977) 28. La Saisie des sosies (The Mystery of the Deadly Double, William Arden, 1978) 29. L’épouvantable épouvantail (The Mystery of the Sinister Scarecrow, M V Carey, 1979) 30. le requin qui resquillait (The Secret of Shark Reef, William Arden, 1979) 31. L’aveugle qui en mettait plein la vue (The Mystery of the Scar-Faced Beggar, M V Carey, 1981) 32. Le flibustier piraté (The Mystery of the Purple Pirate, William Arden, 1982) 33. La baleine emballée (The Mystery of the Kidnapped Whale, M V Carey, 1983) 34. Le drakkar hagard (The Mystery of the Creep-Show Crooks, William Arden, 1985) 35. Les caisses à la casse (Hot Wheels, William Arden, 1989) 36. Envolée, la volaille ! (Murder To Go, Megan Stine et H. William Stine, 1989) 37. L'ânesse qui se pavanait (An Ear For Trouble, Marc Brandel, 1989) 38. Silence, on tue ! (Thriller Diller, Megan Stine et H. William Stine, 1989)

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