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G.H. WEIL Alias Marco Polo Roman Chronique de Gilhem du Rosemont Marco Polo est une figure légendaire, le monde entier a eu vent des « Merveilles du Monde ».Mais qui a déjà entendu parler de Gilhem du Rosemont ? Personne, car l’unique exemplaire vient enfin de revoir le jour, réécrit dans un souci de lisibilité, mais toujours saisissant d’authenticité. Des ballons vosgiens aux rivages de « Cypango », en passant par les steppes de Mongolie, l’homme relate son incroyable aventure, sur les traces du fameux marchand devenu explorateur.

Alias Marco-Polo

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Marco Polo est une figure légendaire, le monde entier a eu vent des « Merveilles du Monde ». Mais qui a déjà entendu parler de Gilhem du Rosemont ? Personne, car l’unique exemplaire vient enfin de revoir le jour, réécrit dans un souci de lisibilité, mais toujours saisissant d’authenticité. Des ballons vosgiens aux rivages de « Cypango », en passant par les steppes de Mongolie, l’homme relate son incroyable aventure, sur les traces du fameux marchand devenu explorateur.

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Page 1: Alias Marco-Polo

G.H. WEIL

Alias Marco Polo Roman

Chronique de Gilhem du Rosemont

Marco Polo est une figure légendaire, le monde entier a eu vent des « Merveilles du Monde ».Mais qui a déjà entendu parler de Gilhem du Rosemont ? Personne, car l’unique exemplaire vient enfin de revoir le jour, réécrit dans un souci de lisibilité, mais toujours saisissant d’authenticité. Des ballons vosgiens aux rivages de « Cypango », en passant par les steppes de Mongolie, l’homme relate son incroyable aventure, sur les traces du fameux marchand devenu explorateur.

Page 2: Alias Marco-Polo

Table des matières

Préface. ............................................. 2

Chapitre I. Ursule de Ferrette ............... 6

Chapitre II. Angeot Colombus............. 28

Chapitre III. Paulus Venetus. .............. 50

Chapitre V. Sorghatani Beki ............... 98

Chapitre VI. Bekhchin. ...................... 122

Chapitre VII. A-Chu.......................... 139

Chapitre VIII. Achmat ...................... 170

Chapitre IX. Li-taï Ki sse. .................. 180

Chapitre X. Kökeedjin ....................... 193

Chapitre XI. Alburg Généry. .............. 211

CHRONOLOGIE. ............................... 235

De 1215 à 1324. .............................. 235

Chanzun de la guarra. ...................... 238

GLOSSAIRE. .................................... 240

Page 3: Alias Marco-Polo

Préface.

Rédigé, sous ma dictée, le présent récit

utilise parfois une orthographe étrange.

Elle est l’œuvre d’un envoyé de Charles

de Valois nommé Alburg Généry, qui fit

ma rencontre à la prison de Venise. J’y

fais état de mes tribulations en

compagnie de la famille Paulus Venetus,

et plus précisément de celui que ses

concitoyens appellent du plaisant surnom

de « Il Milione », en raison de la fortune

colossale rapportée de ses voyages. Mais

aussi, bien que dans une moindre

mesure, des révélations extraordinaires

qu’il fait de ceux-ci dans son livre appelé

le livre du Million de Merveilles. L’ouvrage

pourrait d’ailleurs aussi bien s’appeler le

livre de Kubilaï Khan, en cela que tout ce

qu’il y relate n’à de sens que par les

révélations du plus puissant empereur de

l’histoire du monde connu. Le grand

Khaân est le sujet, le centre ainsi que

l’unité d’une œuvre qui ne comporte pas

moins de quatre parties. Auxquelles il

convient d’ajouter le prologue qui raconte

le premier voyage de son père Nicolo et

de son oncle Mattéo. La première partie

décrit l’Orient jusqu’au Cathay, aussi

Page 4: Alias Marco-Polo

appelé Céleste Empire ou Empire du

Milieu et aborde l’histoire des Mongols. La

deuxième partie s’attache à Kubilaï-khan

et son gouvernement, ainsi qu’à la

description de l’empire Song et de la

province de Hangzhou. Il inclut

également une évaluation des immenses

recettes fiscales du khaân, destinée à

faire comprendre les bases de la

puissance de l’empereur. La troisième

partie traite de l’empire lui-même, de

l’extrême Orient et des mers de Cypango

jusqu’aux lointaines îles des indes

Orientales. La quatrième et dernière

partie comporte des fragments

historiques, destinés à illustrer les

guerres fratricides entre tribus Mongoles.

C’est, un recueil de « merveilles’,

étonnant, surprenant ou effrayant. Par le

fait que j’en suis la source, il ne contient

que des informations exactes, plus

savantes que ne le pourrait laissé

supposer la simplicité du langage ou la

légèreté du ton. Écrit lui aussi sous la

dictée, le manuscrit est sorti de la prison

Génoise. Transcrit du patois Pisan de

messire Rustichello, dans tous les

dialectes italiens et en latin, en quelques

mois, toute l’Italie en fut emplie.

Page 5: Alias Marco-Polo

Reprenant les termes de sa préface, je

dirai à mon tour que ; « Sans doute il y a

ici certaines choses que nous ne vîmes,

mais nous les tenons d’hommes dignes

d’être crus et cités. C’est pourquoi nous

donnerons les choses vues pour vues et

les choses entendues pour entendues, en

sorte que le livre soit droit et véritable,

sans nul mensonge. Ainsi quiconque en

fera ou en entendra la lecture y devra

croire, parce que toutes choses y sont

véritables. »

Voici la chronique de Gihlem du

Rosemont.

Page 6: Alias Marco-Polo

Chapitre I. Ursule de Ferrette

En ce temps là les gens de ma région,

parlaient romanche. Ce langage était

compris depuis les Franches montagnes,

au delà du Comté de Montbéliard et

jusqu’aux marches de l’alsace, vers

Altchirsh ! C’est une langue qui appartient

au groupe rhéto-roman, proche du latin

et du frioulan et dont l’usage me permit

de bientôt entendre presque tous les

patois s’y rapportant, jusqu’aux contrées

lointaines d’au-delà nos montagnes. Il

faut dire que mon père m’avait beaucoup

fait bénéficier de ses connaissances dans

les domaines relatifs aux différents

parlés. Cela lui venait de son ancien état.

Car avant de se fixer en Jura et d’épouser

ma mère, il fut lansquenet. Un

Doppelsöldner, ce qui signifie ‘double

solde’ en français, terme réservé aux

soldats d’élite. Utilisant comme arme de

prédilection la ‘flamberge’, une longue

épée capable d’abattre aisément un

cheval. Mais aussi la hallebarde et de

longues piques, pouvant atteindre six

mètres voir plus, sans omettre

l’arquebuse.

Page 7: Alias Marco-Polo

D’ailleurs mon père n’aimait pas le terme

de lansquenet, lui préférant celui de Söldner. Il m’expliqua que lansquenet

venait de l’allemand Landsknecht. ‘Land’

signifiant campagne et ‘Knecht’, valet. « Nous ne sommes pas des valets de

ferme mais des Reislaüfer, des mercenaires. » Il expliquait préférer cette

terminologie en raison de l’origine latine du mot mercenarius, tiré de merces

signifiant salaire. Du peu de choses qu’il avait ramené de ses vicissitudes passées,

figuraient ses contrats ‘d’endenture’. La pièce du parchemin découpée selon un

tracé non rectiligne, et dont chaque partie contractante conservait une part.

L’exacte correspondance des deux découpes attestant de l’authenticité du

document.

Revenu de ses campagnes estropié, un œil et un bras en moins, il s’estimait

pourtant comme étant particulièrement fortuné. C’est que, se plaisait-il à

affirmer, « dans nos combats souvent la moindre blessure était synonyme

d’infection. La mort précédait ou suivait l’amputation, car l’infection évoluait

presque toujours en gangrène ». Il est de fait que, quand ce n’étaient les blessures

reçues directement lors des combats, l’espérance de vie de ces soldats de

fortune se voyait particulièrement réduite par les maladies, vénériennes ou autres.

Le sort des survivants n’était guère plus

Page 8: Alias Marco-Polo

enviable car ils étaient plutôt mal vus par

les populations. Y compris parmi les couches sociales dont ils étaient issus,

paysans, journaliers, petits artisans et

compagnons. Soudards et pillards, rien de réjouissant

n’était à attendre de leurs passages qui s’accompagnaient de massacres, mises à

sac, viols et vols. Ils étaient pourtant souvent plus proches de la misère que de

la fortune ou de la gloire. La solde n’avait pas résistée aux beuveries et

extravagances. Quand aux rapines, elles donnaient plus facilement mauvaise

réputation que capital. S’il fut, je ne songerais pas à le nier, pilleur et robeur,

c’est à l’imitation de tous les gens de guerre tels Du Guesclin ou Jean Chandos.

On doit donc admettre que mon père fut

un brigand, mais seulement dans le sens littéral du mot, c'est-à-dire homme de

guerre ! Car brigand vient de ‘brigandine’, qui est une pièce d’armure composée de

petites plaques en fer ou en cuir bouilli et portée sur le torse. Son propre père, mon

grand-père, était maraîcher dans un petit village du bord du Rhin, nommé Weil am

Rhein. Sa famille avait été trucidée en totalité, lors du passage d’une ‘Grande

compagnie’ conduite par le capitaine Arnaud de Cervole. Mon aïeul ne dut la

vie qu’à la vitesse de sa course. Fuyant les mauvais souvenirs et la misère, il prit

le chemin de l’exil.

Page 9: Alias Marco-Polo

Semblables mésaventures n’étaient pas

rares en ces périodes troublées, les ‘routiers’ infestaient les campagnes en

tous royaumes et Empires. Ces bandes

composées de montagnard Suisses ou de lansquenets venus des plaines du

Swartzwald. Reîtres, tour à tour soldats puis bandits, au gré de leurs besoins ou

de leurs alliances avec les princes. Réfugié dans la vallée de Thann, au pied

des ballons vosgiens, Simon, mon grand-père, épousa une fille de métayers qui lui

donna neuf enfants. Les trois filles trouvèrent mariage dans la région sans

difficultés. Mon père, prénommé Edmond, cadet des six garçons, suivit la famille

lorsqu’elle entreprit un second exil. Départ décidé pour de vagues et

incertaines questions de religion. En

réalité consécutifs à de sordides histoires de partages fonciers n’ayant pas tournés

en faveur de mon grand-père, ce qui l’avait conduit à quelque violente

réaction. Ils gagnèrent alors une terre ou les

‘parpaillots’1 étaient bien accueillis, dans la Comté de Montbéliard. L’endroit où ils

s’établirent dépendait de la seigneurie du Rosemont, que mon grand père

s’obstinait à appeler Rosenfels. C’était, au midi du massif des Vosges, un fief dont le

chef-lieu se situait sur les hauteurs d’un village appelé Vescemont. On devait à

Louis de Mousson, comte de Montbéliard,

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d’avoir fait édifier ce donjon à l’endroit le

plus étroit de la vallée. En un passage stratégique, au pied d’un verrou rocheux

dominant le passage et la Rosemontoise.

C’est cette rivière, qui avait son lit entre Vescemont et Riervescemont, qui donna

son nom au château. De tous temps, bien avant la période

gallo-romaine, une voie reliant le pays des Lingons à l’Alsace, passait par ce

diverticule qui permettait de gagner les vallées de la Moselle.

Le domaine était accueillante aux gens de labeur, le lieu plaisant et la place y était à

profusion. Il n’est peut-être pas inutile de préciser

pour la commodité du lecteur, et ainsi faciliter la compréhension de la suite du

récit, que la seigneurie comportait trois

mairies. Celle de Banvillars, regroupant Argiésans et Urcerey. Celle d’Evette

comprenant les villages d’Eloie, Essert, Salbert et Valdoie. Enfin celle de ‘la Burg’,

que les français appelaient ‘du Val’ avec les villages de Chaux, Giromagny, Lepuy-

Gy, Rougegoutte, Sermamagny et Vescemont ou se trouvait le château du

Rosemont. Le seigneur du lieu avait nom Jean André

du Rosemont, c’était un modeste lieutenant du comte Louis de Mousson.

Semblable à ses pareils, il ne s’intéressait qu’à la chasse et accessoirement à la

guerre. Aussi laissait-il volontiers aux

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bourgeois ou fermiers importants le libre

exercice d’entreprendre tous desseins à leur convenance.

A l’exemple d’un ancien métayer, enrichi

on ne sait de quelle manière, qui devint propriétaire exploitant des mines de

Grosmagny et de Lepuy-Gy. On y extrayait plomb, cuivre, mais surtout

argent en grande quantité. Cet homme aimait à parer son patronyme de la

précision du lieu de sa maison. C’est ainsi qu’il se présentait « Jean Neury du

contrevau ». Ce qui avait le don de faire rire également nobles et vilains.

Mais, laissons ces considérations aux fins de revenir à ce qui est de mon humble

personne. Je grandis dans les dépendances du

château, ma mère ayant emplois de

préceptrice pour les enfants du seigneur. Situation qui me valu d’apprendre en leur

compagnie la lecture puis l’écriture. Bien que de façon détournée, car j’étais admis

au seul motif de recharger l’âtre en hiver et tenir le cruchon d’eau fraîche en été.

Tout allait pour le mieux et je ne songeais pas à me plaindre de ma modeste

condition. Jusqu’au moment où il devint question de manier les nombres en de

savantes combinaisons. Les ajoutant puis les retranchant entre eux, d’inextricables

façons. Pour autant de prétendre faire obéir les mots puis les phrases, en des

règles que l’on eu dites inventées pour

Page 12: Alias Marco-Polo

torturer l’esprit... J’y perdis le mien et ne

tardais pas à me voir interdit d’études. Situation qui suscitait fort l’envie des

jeunes nobliaux, contraints eux de

poursuivre leur instruction entendement ou pas. Ils ne se faisaient pas faute de

purger leurs rancœurs dès que la cloche les libérant avait retentie. Mes

affermissement d’homme de lettres s’arrêtèrent courts mais ceux de l’art d’en

découdre progressèrent à proportion. J’en vins vite à rechercher les occasions, puis

à les provoquer lorsqu’ils ne manifestaient plus suffisamment d’ardeur

belliqueuse. Le sir du Rosemont qui apercevait parfois

nos empoignades entrait invariablement dans de noires colères lorsque, comme

c’était presque toujours le cas, ses

rejetons rompaient le combat ou se faisaient mettre à mal par le manant que

j’étais. « Comment ! » leur criait-il, en leur

faisant administrer une volée de verges par ses valets ; « comment deux gaillards

de votre naissance ne peuvent-ils se rendre maîtres d’un garnement de basse

extraction et seul de surcroît ! » Tant et si bien que les héritiers de Jean

André se prirent à me fuir comme la peste, désireux d’éviter toutes

échauffourées les conduisant à être doublement marris. Hélas pour eux, leur

père s’obstinait à vouloir les confronter

Page 13: Alias Marco-Polo

dans l’attente de la manifestation d’une

vaillance filiale qui ne se manifesta jamais. Ne pouvant admettre la faiblesse

sous quelque forme que ce soit et faute

d’obtenir les résultats attendus, il résolu de changer de précepte. A compter d’un

clair matin peu après la Pâques, obéissant à ses instructions, je fus admis

parmi ses bâtards et autres fils de nobliaux des contrées avoisinantes, à

suivre l’enseignement des maîtres d’armes. Ne parvenant à me réduire par

l’entremise de ses rejetons, il m’adoptait comme champion sous ses couleurs. Nul

ne trouva à y redire et j’en fus le premier à m’en trouver bien. Curieusement, mon

père ne manifesta pas une joie débordante et ma mère se tordit les

mains. Toutefois ils ne pouvaient aller à

l’encontre des décisions seigneuriales. Bien que d’une constitution plutôt élancée

et beaucoup moins fortement charpentée que l’ensemble de mes commensaux, ma

vivacité et la promptitude de mes jugements me permirent de me vite

tailler une réputation d’adversaire redoutable. Car dans le maniement des

armes, s’il faut de la puissance et de l’endurance, il importe surtout de savoir

jauger l’adversaire et l’emporter par quelque action qu’il n’attendait pas ou la

mise à profit d’une faiblesse décelée. Chaque combattant ayant reçu une

formation identique, tous n’agissaient que

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part et dans l’attente de vous voir réagir

à l’image des préceptes qui lui avaient été inculqués. L’exercice de mes

improvisations fit sensation mais suscita

force grincements de dents et rancunes tenaces.

En l’été de ma dix-septième année, pour les feux de la saint Jean, mes progrès me

valurent d’être retenu pour participer aux festivités qui se déroulaient du temps de

la grande foire annuelle, au château de Montbéliard.

J’étais né un dimanche vers le midi du jour, ce qui d’après ma mère me

prédisposait à une carrière d’ecclésiastique…A n’être qu’un fainéant,

selon mon père. J’inclinais fortement à préférer cette dernière aptitude. D’autant

que je m’éveillais tout juste aux plaisirs

charnels et que mon intérêt pour le déduit croissait au point d’accaparer la

majeure partie de mes activités, diurnes et nocturnes.

Pourtant les joutes qui allaient se dérouler en présence de messire le comte

Louis, de sa dame et de ses gents, ne se rapportaient que peu ou proue à la

courtoisie. Je m’étais bien porté d’avoir fait mon choix d’épreuves en éliminant

les luttes, ou la masse l’emportait sur la vaillance, et en privilégiant les assauts

d’adresse et de célérité. Après avoir réalisé une belle prestation

en archerie et tout autant fait honneur à

Page 15: Alias Marco-Polo

mon maître d’armes dans le lancer du

javelot et des masses, je me dirigeais vers le champ réservé aux duels de

bâtons. Passant devant la machinerie

dressée par un artisan venu de Dole, mon attention se porta sur l’édifice et je

m’approchais derechef, pour ouïr le bonimenteur. Je n’étais pas le seul et une

foule nombreuse se massait a l’entour du jurassien. L’estrade qui avait été dressée,

abritée par des dais pour la commodité des assistants de marque, était

pareillement comble. Pourtant je ne remarquais qu’un unique visage au milieu

de l’aréopage. Une jeune pucelle2, d’un âge apparenté au mien, se tenait

sagement assise au coté d’une forte dame. Quelque chose d’indéfinissable

captiva mon attention. Je n’aurais su dire

quoi, car la damoiselle n’avait rien pour retenir spécifiquement les regards. Sa

coiffe s’encadrait entre deux couronnes de cheveux dorés réunis en tresses sur sa

nuque. Son maintien était empreint de la retenue qui sied à son sexe, tandis que

ses yeux fixaient le sol avec obstination. On l’aurait crue en punition tant son

attitude semblait pétrie de contrition. Dés lors je n’eu de cesse d’avoir percé le

mystère de ce regard dérobé. L’occasion m’en fut donnée lorsque

l’inventeur cessa son battage pour vanter sa création, afin de laisser place au

Page 16: Alias Marco-Polo

premier brave déterminé à en venir

affronter le mécanisme. Celui-ci consistait en une construction

composée principalement d’un passage

dressé sur un échafaudage, de façon à le surélever d’au moins trois pieds du sol.

D’une taille proportionnelle à celle des rondins de pins du jura qui le

composaient, il était rendu intentionnellement glissant, par

l’adjonction d’huiles. Les complications venaient de mécanismes mobiles, placés

de part et d’autre. Le premier mouvait une courte perche terminée par une

boule de cuir emplie de paille. Les engrenages la faisaient tourner en sorte

de balayer le passage par sa rotation horizontale. Le second consistait en une

herse de fer qu’il fallait faire basculer

pour libérer la voie. Le troisième obstacle était autrement plus menaçant, car

composé de roues verticales placées des deux cotés mais décalées. Surtout elles

étaient équipées de lames semblables aux fers des hallebardes, tournant en

sorte de vouloir hacher l’imprudent qui prétendait passer. Entre chaque obstacle,

des roues hérissées de longues pointes tournaient dessous, calculées pour

dépasser les rondins de façon à trouer les chausses de ceux qui tentaient le

franchissement. De plus, une trappe avait été judicieusement aménagée, entre la

herse et les piques. Toutes ces

Page 17: Alias Marco-Polo

mécaniques étaient mues par une grande

cage dans laquelle deux hommes pouvaient prendre place. Tout à fait

semblablement a celles que les écureuils

faisaient tourner pour le ravissement des enfants. Celle-là, énorme, était reliée par

des courroies aux assemblages. Par la vigueur de leurs déplacements les

volontaires actionnaient ainsi, plus ou moins vivement, l’ensemble des obstacles

que le champion devait franchir. Leur acharnement étant proportionnel à leur

volonté de mettre à mal celui qui tentait l’aventure.

Les compétiteurs n’étaient pas légion, en dépit de provocations et fanfaronnades

provenant des jouvenceaux attirés par le spectacle. Seuls trois audacieux avaient

tentés la gageure, mais nulle réussite. Le

premier n’avait pas dépassé la boule, qui l’avait cueilli en plein dos et envoyé

comme un projectile de catapulte au milieu des badauds. Le second, un bel

homme fait, était parvenu devant les hachoirs rotatifs après avoir triomphé des

premières embûches, mais avait jugé préférable de les esquiver... en sautant à

terre. Le troisième, un vrais colosse, avait si bellement poussé la herse pour la faire

s’effacer, qu’emporté par son élan il n’avait pu éviter de choir par la trappe.

Ce qui lui valu de se retrouver dans une fosse emplie de poix. Lorsqu’il parvint,

avec moult difficultés à s’en extraire, ce

Page 18: Alias Marco-Polo

fut pour devenir la proie de garnements,

placés tout exprès avec des sacs de plumes de volailles, pour l’en enduire à

profusion. Bref, ces mésaventures en

avaient refroidi plus d’un. Les candidats potentiels s’employaient à se faire oublier

de leurs compagnons, devenus d’un enthousiasme par trop encombrant.

C’est alors, que remarquant le vif intérêt manifesté par celle que mon imagination

paraît déjà du titre de ‘Dame jurée’, je conçu l’insensé projet d’attirer son

attention par un exploit à la mesure de mon nouveau et irrépressible sentiment.

Résolu à m’affronter au manège, je n’en négligeais pas toute prudence pour

autant. Nonchalamment je m’approchais, détaillant les difficultés en cherchant

quelle parade je lui pouvais opposer. La

boule ne présentait pas une véritable épreuve, il suffisait de l’esquiver en

souplesse. La herse en revanche constituait un obstacle plus redoutable.

J’avais observé que la force nécessaire pour la basculer entraînait un

déséquilibre extrêmement dangereux. J’envisageais dans un premier temps de

la tirer vers moi, profitant qu’elle ait été articulée pour résister à la poussée pas à

la traction. Mais à la réflexion, la position résultante me placerait en mauvaise

posture relativement à ces pointes qui ne manqueraient pas d’en profiter pour me

percer les talons. Une autre éventualité

Page 19: Alias Marco-Polo

me vint alors à l’esprit. Restait le

redoutable franchissement des roues armées. Je ne pouvais que m’en remettre

à ma bonne étoile pour la réussite de

cette gageure, aucune parade autre ne m’étant apparue.

Des indécis avaient remarqués mon manège, enjoués de trouver matière à

railleries et pour certains dérivatif à leurs embarras, ils me prirent derechef pour

cible de leurs quolibets. S’encourageants les uns les autres, ils rivalisaient de

provocations ; « Alors, un roturier prétend à primer sur écuyers et fils de

sang noble ! Le jeune ‘garde-porc’ aurait donc plus grande goule que grande

panse ! » J’ignorais qu’il eut été fait mention d’une

récompense, pour cette entreprise. Mais

l’idée ne m’en déplut pas, bien au contraire. Comme je m’avançais pour

prendre rang officiellement, le tenancier m’arrêta pour me mettre en garde. Je

soupçonne qu’il le fît surtout pour s’assurer que je n’agissais pas sous

l’emprise de quelques boissons fortes qui m’auraient fait perdre l’entendement.

Rassuré sur ce point il déclara en forçant sa voix afin d’être entendu par toute

l’assistance que ma réussite me vaudrait l’admiration sans partage des personnes

présentes autant que de celles qui en entendraient le récit. Ajoutant sans

reprendre haleine qu’un prix magnifique

Page 20: Alias Marco-Polo

restait offert pour le premier vainqueur,

en l’espèce du palefroi qui paissait en bout de prairie. A ces mots l’assemblée

dirigea ses regards vers l’endroit ainsi

désigné et… parti d’un énorme éclat de rire ! Le pauvre animal qui, insouciant

des railleries, broutait l’herbe du champ tenait en effet plus d’une haridelle3 que

d’un fringuant destrier. Je me désintéressais de la question pour céder à

une pulsion que, depuis lors, je ne me suis jamais expliquée. Toisant la

compagnie, je regardais droit dans la direction des tribunes. D’une voix que je

ne me connaissais pas encore, je déclarais ; « J’en viendrais à bout, ou j’en

périrai, en l’honneur de la Dame de mes pensées ! »

La stupeur qui accueilli mes paroles se

mua vite en murmures puis en un brouhaha assourdissant. Tous en étaient

de se demander, qui pouvait bien être cette mystérieuse égérie, Dames et

Damoiselles présentes se regardaient l’une l’autre avec effarement.

Heureusement dans la foule des croquants qui flanquaient les gradins, une

petite lavandière que j’avais troussée dans les jours précédents, ce crût ainsi

désignée et, ne se tenant plus de joie, trépignait en criant des mots

d’encouragement. La distance ne me permettait pas de bien en comprendre la

teneur, mais ne m’empêcha nullement

Page 21: Alias Marco-Polo

d’en éprouver une grande navrance. La

petite gourde ruinait ma tentative… encore qu’il me sembla bien que celle qui

en était le véritable objet n’ait pas été

abusée par l’intempestive intervention. Quoi qu’il en fût, il me restait à réaliser

mon exploit. Je marchais vers l’épreuve, un peu avec l’état d’esprit d’un condamné

qui monte à l’échafaud, le regard fier mais les fesses serrées.

Une rixe éclatait dans le même temps, tous voulant également se disputer le

privilège d’actionner la roue. Avouant, sans vergogne leur intention bien arrêtée

de s’employer à ma déconfiture, deux rustauds parmi les plus déterminés y

parvinrent par la force de leurs poings. Le silence, sans qu’il ait été nul besoin de

le réclamer, se fit dès que je me fusse

avancé au pied des trois marches qui donnaient accès à la plateforme.

Les compères, cramponnés aux barreaux de la roue, en oublièrent la raison de leur

situation. Contemplant le spectacle, sans plus songer que d’eux seuls dépendait ma

réussite… d’avantage mon échec, selon ce qui me semblait être de l’espérance

générale. Le propriétaire ne se fit pas faute de les rappeler à leurs obligations

en y employant de ces sonores et vilains jurons, si fortement prisés par les

charretiers. Se ressaisissant, ils s’employèrent à compenser leur

étourderie par un surcroît d’ardeur. La

Page 22: Alias Marco-Polo

boule sifflait en fauchant l’air, à une telle

vitesse que l’œil se savait plus l’apercevoir. Je mis à profit l’instant ou ils

durent reprendre leur souffle, relâchant

un tant soit peu leur effort, pour esquiver l’obstacle d’une souple contorsion. Sur le

même élan, je parvins à atteindre la herse, elle était d’une hauteur qui me

venait à la taille. D’un seul bond je m’enlevais sur la barrière et y pris appel

pour franchir le trou, béant sur la fosse. Je perçu alors un cri, un hurlement

d’enthousiasme qui s’élevait de la foule. Étais-je encouragé ou conspué ? J’avais

d’autres préoccupations que celle de m’en soucier. Ma réception de l’autre coté de

l’ouverture, se fit profitablement. D’extrême justesse toutefois, ce qui, pour

retrouver mon équilibre, m’imposa un

vigoureux rétablissement. Las, les pointes traîtresses bloquèrent net mon élan,

provoquant une chute impossible à éviter, sauf de partir en plongeon horizontal. Je

dois en remercier la providence car de cette faible hauteur les tranchets ne

pouvaient m’atteindre. Aussi je n’entrepris rien pour y remédier,

faisant en sorte de faciliter au maximum ma progression en glissant sur les

rondins gras. Dès que je pu juger les moulinets mortels franchis et le danger

éloigné, j’entrepris de me redresser. L’enthousiasme avait troublé mes

capacités d’appréciation, j’effectuais ce

Page 23: Alias Marco-Polo

mouvement trop précipitamment. Une

vive douleur dans le gras de la fesse gauche vint m’en donner la sanglante

sanction. La plaie ne pouvait être

vraiment profonde, son étendue n’excédait pas une largeur de paume.

Mais elle était mal placée et m’en causait plus de dommages à l’âme qu’au fessier.

Plaquant mes mains sur la partie lésée, moins pour tenter d’en atténuer le feu

que pour la dissimuler, je sautais à bas de l’édifice.

Ainsi que l’on m’y invitait de pressantes façons, je m’avançais vers une estrade.

Elle semblait tout expressément édifiée pour me mettre en évidence, tandis que

l’on me remettait lots et compliments. Du coin de l’œil, je pu constater que le

propriétaire de la machinerie faisait triste

mine… Sans doute regrettait-il son canasson.

Du temps que le Bailly et ses échansons me couronnaient de louanges autant que

de lauriers, je fouillais des yeux l’endroit ou se tenait celle qui m’avait, d’un seul

regard, conduit à ce pinacle. Hélas, je ne parvins pas à la retrouver.

Contre toute logique j’étais horriblement déçu, ne parvenant pas à accepter le

constat qu’elle ne s’était pas empressée de me venir féliciter.

Lorsque l’agitation s’apaisa un peu, je laissais mon débiteur faire front aux

enragés qui, s’inspirant de ma prestation

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victorieuse autant qu’astucieuse,

voulaient en rééditer l’exploit. Le bonhomme ne l’entendait pas de la même

oreille arguant de mes agissements, non

codifiés, ainsi que de l’urgence de certains réglages, pour refuser de se

risquer dans l’aventure de perdre les quelques rosses constituant le reste de

son maigre troupeau. Pour l’heure, j’étais passablement

importuné par un personnage ventru, qui ne cessait de m’assener de violentes

tapes entre les omoplates. Il jurait à qui voulait l’entendre, mais surtout à mes

oreilles, que je lui avais fait passer un excellant moment et qu’il tenait à m’en

remercier par le partage d’un pot de vin. Ce faisant il m’entraînait vers les tréteaux

d’une des nombreuses échoppes qui en

faisaient le débit. Je me laissais bourriauder, tout en continuant de

scruter les chalands. Cette attitude finit par attirer l’attention du rustre, qui n’eut

de cesse de vouloir apprendre ce qui la pouvait justifié.

Je commençais par refuser de m’asseoir sur le banc, autant pour couper court à la

familiarité envahissante du butor, que par la cuisante douleur que j’en aurais

assurément ressenti. La plaie de mon fondement se rappelant fâcheusement à

mes attentions. A n’en pas douter l’usure de mes nerfs,

occasionnée par ma dépense d’énergie du

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tantôt, fut cause de la soudaine faiblesse

qui m’empara inopinément. Cédant au désarroi d’une jeune âme, cruellement

frustrée de sa plus vive espérance, je me

laissais aller au point de lui confier la raison de mon comportement. Conscient

qu’il le pouvait juger singulier dans l’ignorance du tourment qui m’occupait

tout entier. Je dois dire que le bougre me sidéra de belle façon, en saisissant

presque immédiatement de qui il pouvait s’agir.

J’étais encore tout entier dans l’étonnement d’une telle promptitude

d’esprit, insoupçonnable chez celui qu’inconsidérément j’avais qualifié de

grossier. C’est alors que le drôle entreprit illico de me faire éprouver deux nouvelles

surprises. L’une presque heureuse, l’autre

chargée de désolation. Le caractère successif et opposé de ces révélations eut

raison de… ma raison ! M’emparant du broc de vin, j’entrepris de le vider à la

régalade, insoucieux du gobelet qui l’accompagnait sur la table. Le résultat ne

se fit pas attendre. Jambes fauchées, tête empourprée comme écrevisse, je tombais

sur mon séant, sans plus faire cas de l’accro qui le défigurait. Serviable et

empressé mon nouvel ami commandait deux autres pichets de cette piquette

assassine. Craignant que je n’aie point saisi ses paroles il entreprit aimablement

d’en réitérer la nouvelle.

Page 26: Alias Marco-Polo

- Comme je vous dis, celle que vous avez

remarquée, s’était si bellement enchantée de vos prouesses qu’elle en oublia la

retenue exigée par son rang, car c’est la

fille d’Hugues de Ferrette. Vous comprendrez mon ami qu’un tel

scandale lui valu d’être écartée sur le champ du spectacle et raccompagnée par

sa duègne, les servantes, les valets et les pages, jusqu’au château ou la famille

recevait l’hospitalité du comte. Si vous voulez bien m’en croire, vous feriez

mieux d’oublier vos émois. Partageons plutôt cette chopine, pendant qu’elle est

encore fraîche.

Page 27: Alias Marco-Polo
Page 28: Alias Marco-Polo

Chapitre II. Angeot Colombus.

Les secousses et le soleil jouant avec les

frondaisons me tirèrent des songes nauséeux dans lesquels m’avaient

plongées les libations de la veille. Je pouvais ouïr le pépiement des oiseaux et

les grincements des roues de… De quoi, au fait ? J’étais sur du foin, ça je pouvais

m’en rendre compte, mais que faisais-je dans ce charroi ! En voulant me redresser

une douleur fulgura à l’intérieur de mon crâne, une autre y répondit venant d’une

autre extrémité de ma personne. Je du

m’y reprendre avec plus de douceur, après avoir laissé les élancements se

calmer. Le gémissement qui m’avait échappé fut

probablement perçu, car l’homme assis au coté du conducteur et que je ne voyais

que de dos, se retourna. - Palsambleu, mon ami ! Vous voici donc

de retour céans. Auriez-vous, à nouveau, la gorge sèche ?

Le gros lourdaud de tantôt ! Que faisait-il là ?

- Mais, ça, par le diable ! Vous existez donc véritablement. Je vous croyais un

produit de mes mauvaises rêveries.

- Je me nomme Angeot Colombus, mon prince, marchand itinérant pour vous

servir. Puisque vous invoquez le diable, apprenez qu’il s’est emparé de vous dans

Page 29: Alias Marco-Polo

cette taverne. Au point que vous ne

devez qu’à l’intervention des servantes et à ma bourse, de ne point avoir subit un

mauvais sort. Les arsouilles, coupe-

jarrets et éventreurs, que vous avez houspillés plus que de raison, entendaient

bien vous exorciser à leur façon. Par la barbe de Jérémie le prophète, la foire

s’est terminée sans vous et c’est sans vous que les gens de votre compagnie

s’en sont retournés à leurs charges et occupations. Venant de champagne je

suis présentement en route pour le canton de Bâle, appelé par mes affaires.

Nous passerons, au mitan de la journée, par le village de Larivière. En moins de

dix lieues vous aurez regagné votre pays de Vescemont et vos parents.

- Comment connaissez-vous ma

destination ? - Vos amis, ceux auxquels je faisais

allusion à l’instant, vous ont cherchés. Le bruit avait couru toute la foire, qu’égaré

sans doute par votre récente prouesse, vous nourrissiez le dessein de courtiser

demoiselle Ursule de Ferrette. Intention, d’ailleurs par vous hautement proclamée,

j’en puis témoigner. Les gens du Duc joints à l’ensemble du guet, n’épargnaient

pas leur peine pour vous mettre la main dessus. Avec, n’en doutez pas, l’intention

clairement affirmée de vous en faire passer envie et prétention. Excusez mais

Page 30: Alias Marco-Polo

votre vineuse somnolence vous rendait

flegmatique à toutes ces péripéties. Il m’a suffit de tendre l’oreille, pour

profiter de la plaisante description,

braillée aux quatre vents, de vos attaches et autres particularités. Mes explications

vous satisfont-elles, jeune damoiseau ou voulez-vous que je vous en fasse le

détail ?

Après avoir répondu successivement en acquiesçant, puis en en refusant les deux

propositions contenues dans la même phrase, j’affectais de retomber dans le

sommeil. Il me fallait de la tranquillité, pour digérer à mon aise ces informations.

Occupation simple mais qui, en raison de la confusion régnant dans mes

sentiments, employa un temps assez

long. Ces réflexions avaient en outre le vif désagrément de soulever une kyrielle

de questions, pour lesquelles je n’avais pas les plus petits éléments de réponses.

Au premier plan survenait un nom, celui d’Ursule, la fille du Duc de Ferrette.

C’était donc elle, la beauté qui avait enflammée mon âme et mes sens ?

L’homme avait aussi mentionné un recourt à sa bourse. Je devais lui être

redevable de quelques sommes, comment allais-je m’acquitter de cette

dette ? Cédant à une brusque impulsion, je déclarais à Richard vouloir continuer le

parcours jusqu’à Altchirsh. La réaction en

Page 31: Alias Marco-Polo

retour ne fut pas celle à laquelle je

m’attendais. Empourpré comme écrevisse au feu, messire Angeot puisque tel était

son nom d’usage, m’apostropha avec une

étonnante vivacité - Altchirsh, hein ! Ne serais-ce pas plus

exactement au château de Ferrette que tu songerais à te rendre ! Mon garçon tu

cours au devant de rudes ennuis, ignores-tu n’être point du même lignage

que cette gente demoiselle. Votre accord ne pourra se faire sans dommages, pour

toi principalement ! Renonce mon ami, fie toi à ma vieille expérience. Si tu ne

souhaite pas rejoindre tes verts vallons, accompagne nous dans notre entreprise.

Nous allons nous joindre à une troupe dont l’ambition est de voyager jusqu'à

Chambalech, la capitale du pays de

Cathay. La rudesse et la désolation de certaines contrées te porteront sans

doute à la nostalgie des versants vosgiens que tu auras si inconsidérément

quittés. Malgré tout, je considère que pour toi l’aventure offre une chance. Car

de deux choses l’une, bonnes également ; soit tu oublieras ta jeune

duchesse dans les bras de quelques princesses orientales, soit tu reviendras si

riche que tes projets s’ils se peuvent encore réaliser, auront alors bien

davantage de chances d’aboutir. De nos jours, même un titre de Chambellan se

peut acheter. Qu’en dis-tu ? Prends ton

Page 32: Alias Marco-Polo

temps nous avons encore cinq lieux à

parcourir avant d’atteindre ton croisement… pour Larivière ! Ah ! Voici un

frais ruisseau ombragé de fayards4, qui

va nous faire un excellant lieu d’accueil le temps d’une petite collation, que nous

allons partager sans plus y mettre de manières.

L’intelligence encore toute enfumée des

vapeurs de la veille, je ne sus que répondre. Ce silence fut considéré comme

un acquiescement et l’équipage prit derechef ses quartiers. J’entrepris de

conduire à quelques distances, pour lui assurer bonne pâture, le témoin de ma

bravoure. Ce maigre bidet nous suivait vaillamment avec les autres animaux de

l’équipée, soit une mule et une splendide

jument à la robe isabelle appartenant tous deux à mon nouveau mentor.

Je n’étais pas très éloigné et soulageait une forte envie par trop différée, lorsque

des mouvements furtifs attirèrent mon attention. Un petit groupe de trois

hommes progressait prudemment. Le luxe de précautions dont ils s’entouraient

pour ne pas dévoiler leur présence, m’alerta suffisamment pour que le simple

entraperçu de leur vêture et de leur physionomie emporte ma conviction.

Leurs intentions n’étaient pas de simple politesse, manifestement ils nourrissaient

l’espoir de surprendre les voyageurs pour

Page 33: Alias Marco-Polo

leur faire un mauvais parti. Par prudence

je m’assurai qu’ils ne constituaient pas l’avant-garde d’une troupe plus

nombreuse. Cette précaution fit qu’ils

purent surgir, dagues et gourdins brandis révélant ainsi leur dessein de mettre à

mal les deux malheureux. Ils comptaient par la promptitude et l’inattendu de leur

action se ménager tous loisirs pour piller charrette et contenu, puis de déguerpir

rassasiés. D’un bond j’enfourchais le vieux canasson

et piquant des deux, fondit sur les assaillants en braillant de toutes mes

forces. J’agitais vivement un bâton, dont je m’étais équipé, sans plus réfléchir au

dérisoire de cette arme. La surprise fut mon alliée, totalement pris au dépourvu

les coquins n’hésitèrent pas à choisir la

fuite en débandade. Renonçant à détailler leur agresseur et encore moins à tenter

d’opposer une quelconque résistance. Je n’engageais pas une poursuite très

longue, d’un coup porté au milieu du dos j’envoyais au sol le moins vif et regagnait

la clairière sans plus me soucier de son pendable sort.

Mes deux compagnons n’avaient pas bronchés. Rétrospectivement la sueur

emperla leurs fronts tandis qu’ils retrouvaient l’usage de la parole, car c’est

à peine s’ils avaient eut le temps d’avoir peur. Le concert de louanges joint aux

affirmations d’indéfectible gratitude

Page 34: Alias Marco-Polo

auxquelles ils s’abandonnèrent alors,

faillit bien entamer ma modestie. Lorsque nous reprîmes la route, la nature

de nos relations en parut modifiée. J’en

pris pour preuve le fait que parvenus à hauteur de la vieille croix de fer

enchâssée dans un socle de pierres. Ouvrage qui marquait la bifurcation pour

gagner les villages du nord-ouest, en direction des sommets discernables dans

les lointains, nuls commentaires et pas la moindre velléité d’y marquer un arrêt ne

se manifesta. J’en tirais la conclusion que ma présence

ne soulèverait aucune objection, quelles que soient mes intentions, y compris

celles relatives à ma destination. Cela me convenait parfaitement, car j’avais dans

le moment présent, résolu de renoncer à

la belle Ursule, transformant mes rêves de conquêtes galantes en conquêtes de

puissance et richesses. Je m’approchais du sieur Angeot, à la fois pour vérifier la

justesse de mes déductions et tâcher d’obtenir quelques précisions sur ses

intentions futures. Le sir ne se fit point trop tirer l’oreille pour me satisfaire

- Mon garçon, je vais t’ouvrir mon cœur et mes sentiments. Ta prouesse de la

foire m’avait semblée…comment dire ? Entachée de ces forfanteries de jeunes

coqs qui font faire les pires bêtises aux jeunes gens avides de briller. Surtout

quand ils sont, ou se croient, amourachés

Page 35: Alias Marco-Polo

d’un joli minois. Un coup de chance la

dessus et l’affaire passe au profit de l’imprudent. Pour autant, ton attitude

face aux canailles qui nous voulaient

agresser, m’a ouvert les yeux sur ton courage et ta vaillance, tous deux

authentiques et irrécusables. Dans le genre d’entreprises qui sont ma pratique,

ces qualités sont appréciées et un bon compagnon est un trésor. C’est ainsi que

si tu choisi de te joindre a nous, tu recevras une part des bénéfices que nous

pourrons retirer par le négoce que nous mènerons chez les Mongols et au retour.

Oui ! C’est chez les Tartares5 que nous conduisons notre destinée.

- Beau sir, vous parlez de vous au pluriel ? Sinon qui sont ces ‘on’ dont vous

parez votre compagnie. Ce ne peut être

le seul brave charretier, assoupis à vos côtés !

- Holà ! Un peu de patience, j’allais y arriver. Depuis des décennies, les

marchands des républiques Vénitienne et Génoise ont établis des comptoirs

caravaniers et maritimes, en Crimée et jusqu’à une grande citée appelée

Constantinopolli ou aussi Byzance. Ils y commercent avec les disciples de

Mahomet, qui contrôlent les routes de l’Orient. Pour nous, si tu décide

d’accepter mon offre, nous nous rendrons à Bale. Oh ! Peu de temps, juste celui d’y

recevoir des instructions et d’échanger

Page 36: Alias Marco-Polo

nos écus contre des pierres précieuses,

plus aisées d’utilisation dans les contrées lointaines. Ensuite nous devrons nous

rendre jusqu’en terre Sainte, pour nous

joindre aux autres membres de l’expédition. Ces fameux ‘on’ dont tu fais

si grand cas. A présent, si ta curiosité est satisfaite et que tu t’en sentes la force,

nous allons entreprendre de nous mettre en chemin et de n’y point traîner. Notre

destination est encore éloignée, espérons ne pas faire de plus mauvaises

rencontres.

A la tombée de la nuit la petite troupe trouvait asile, pour une halte prévue de

trois jours, dans une auberge située hors le ban6 de la ville. D’évidence, aux

réponses relatives à la disposition de ce

bourg, la citée est appelée ‘Basel’ par les gens du lieu. pour l’usage ils parlent un

patois germanique, dont l’emploi ne franchit pas les limites du canton.

Cependant rompus aux choses du commerce, presque tous comprennes le

Romanche. Cela me fut d’un grand secours pour la conduite de nos

entreprises et messire Angeot se déclara n’être pas trop mécontent de mes

aptitudes. Plus tard, il fallu m’établir un sauf conduit, l’officier chargé de le rédiger

parut grandement surpris de découvrir mon patronyme.

Page 37: Alias Marco-Polo

- Giachem Wertl ! C’est comme cela que

vous êtes inscrit sur les registres baptismaux ?

Impatienté mon guide intervint avec

autorité. - Eh, que nous chantez nous là ! Vous ne

suivez point la doctrine de l’Église Catholique que je sache ! Alors que vous

importent les fronts baptismaux et leurs registres ?

Le scribe n’entendait pas se laisser dicter sa conduite, il répliqua du même ton.

- Papiste ou pas, un état-civil reste un état-civil. Alors, j’inscris ce nom ou non ?

- Bien sur, allez-y ! C’est celui que mon père m’a donné, lui il s’appelait Edmund,

à présent les gens le saluent par celui d’Edmond, il s’y ait fait !

- Hé, bien dans ce cas pourquoi ne pas

simplifier et vous inscrire comme Gihlem ? Gihlem Wertl, ça à tout de

même plus d’allure, non ! - Faite comme vous l’entendez ! Après

tout, passées les marches de vos provinces j’userai du nom qu’il me sera

seyant de porter. Giachem, Guilhem ou Gihlem… l’homme reste le même.

Munis des provisions de bouche, des

laissez-passer et autres documents de douane, nous fûmes en mesure de nous

mettre en route. Une cache, destinée à receler une judicieuse répartition des

pierres précieuses négociées par Angeot

Page 38: Alias Marco-Polo

dans le quartier des joailliers, fut

habilement ménagée dans nos houppelandes, par un juif de la cité dont

ce paraissait être une occupation

routinière. Les capes étant chaudes mais de simple facture, n’attiraient pas les

convoitises. Outre le chariot tiré par deux fortes

mules, nous avions conservé nos chevaux ainsi que le mulet de rechange. Robert

avait insisté pour m’offrir une monture plus digne que mon roussin. M’étant bien

habitué au brave animal, je refusais de m’en dessaisir. Appelé Canasson dès le

début, il allait dorénavant garder ce nom. Je dois dire sans fausse modestie que

l’animal m’avait pris en particulière affection et n’acceptait d’ordres que de

ma seule personne. Plus têtu que nos

mules, il ne cédait ni aux coups ni aux flatteries. Ce trait de caractère avait,

fortement contribué à renforcer mon propre attachement.

Au cours des jours et surtout des soirées précédentes, j’avais pu glaner des

précisions sur cette entreprise devenue la mienne tout autant. Colombus était en

rapports, depuis plusieurs années, avec des marchands vénitiens, Génois ou

Pisans. Ces négociants possédaient comptoirs et palais, autant que relations

dans les pays de l’Orient et même au delà. Par goût des découvertes, sans

doute aussi pour augmenter leurs profits,

Page 39: Alias Marco-Polo

un petit nombre d’entre eux avaient

décidés d’entreprendre un très extraordinaire périple. Selon les dires

d’Angeot, ils projetaient rien moins que

de s’élancer sur les traces d’hommes qui, bien que ne figurants pas dans le bagage

de mes modestes connaissances, avaient laissés à la postérité leurs témoignages

sur la variété des diverses régions du monde. Permettant par les relations qu’ils

en firent, d’informer Seigneurs, Empereurs, Rois, Ducs, Marquis, Comtes,

Chevaliers et Bourgeois sur les grandissimes merveilles et diversités que

l’on rencontre quand on marche à la rencontre de la Tramontane, du vent

Grec et du Levant. Décrivant les us et coutumes de la grande et petite Arménie,

de la perse ainsi que de maintes autres

provinces de l’Europe et de l’Asie moyenne.

Avide d’apprendre, je n’eus de cesse avant d’entendre le récit de leurs

exploits. Pour sa tranquillité et parce qu’il aimait bien tenir un auditoire, lorsque sa

choppe ne menaçait pas de rester vide, Angeot Colombus accepta de satisfaire

ma curiosité. - Vois-tu, mon ami, les Mongols… Tu as

entendu parler des Mongols, n’es ce pas ? - Évidemment, me prenez-vous pour un

total inculte ! Tachez de ne point oublier que j’ai eu un précepteur au château.

Page 40: Alias Marco-Polo

- Fait excuse mon garçon, il n’entrait

nullement dans mon intention de douter de ton éducation, il importe seulement

que je m’assure de sa qualité. Être

entendu c’est une chose, être compris en est une autre ! Il est bon de se pourvoir

de la première comme de la seconde. Les Tartares ou Tatars, donc envahirent

Moscou, Kiev puis la Pologne. Bientôt, menaçant Vienne et s’emparant de

Zagreb, non loin de la mer Adriatique. Les troupes, que les Mongols appellent

d’un mot que nous entendons comme ‘hordes’, étaient commandées par le

Grand Khaân… - Le grand ‘canne’ ? Que voici un titre

bien singulier - Oui, c’est ainsi qu’ils appellent leurs

rois… Si tu ne cesse de m’interrompre

nous ne termineront avant l’aube et j’ai déjà sommeil ! Donc, le Grand Khan

Ogödei, fils du grand Khan Gengis, mourut. La nouvelle provoqua le retrait

des chefs vassaux, qui s’en retournèrent pour régler leurs problèmes de succession

au fond des steppes de l’Asie centrale, d’où ils venaient. Toute la Chrétienté

avait tremblée, bien que certains parmi les plus hauts dignitaires de l’Église

considèrent encore que les possibilités d’entente avec les peuplades de Mongolie

semblent plus grandes qu’avec ceux qui se réclament de l’islam, les Mahométans

restant l’ennemi désigné depuis le XIème

Page 41: Alias Marco-Polo

siècle. Non seulement les habitants des

steppes ne se sont pas intégrés à la religion du prophète, mais on sait qu’ils

comptent parmi eux des chrétiens. Ce

sont les descendants des disciples d’un dissident, un prophète, mort en Égypte

au Vème siècle et connus sous le nom de Nestorius.

Sa doctrine, complètement séparée de notre grande Église apostolique et

catholique donc du pape de Rome, avait rayonnée jusqu’au Tibet et même dit-on

jusqu’aux confins des territoires mystérieux de Zhöngguo7. Avec cette

perception des choses et dans la crainte d’un retour inévitable des hordes, le pape

Innocent IV voulut prendre les devants. A la fin de 1244, il décida d’envoyer à la

rencontre du Grand Khan le franciscain

Jean de Plan Carpin, assisté d’un dominicain nommé Ascelin de Crémone.

Partis de Lyon vers l’Orient, ils étaient porteurs de lettres, courtoises mais

bougrement maladroites. Persuadé d’être la seule puissance spirituelle ici-bas, le

pape annonçait tout crûment qu’il réprouvait les massacres et les

destructions commis par les Mongols. Il adjurait leurs chefs à rentrer dans le droit

chemin… celui de l’Église apostolique et Romaine bien entendu. Parti vers l’est, le

frère Jean de Plan Carpin rencontra près de Karakorum le nouveau Khan Güyük,

fils d’Ogödei. Celui-ci se montra fort irrité

Page 42: Alias Marco-Polo

par le ton de la missive. Il fit répondre à

Innocent IV, que « Le Khaân océanique du grand peuple tout entier - C’est ainsi

que les interprètes traduisirent ses titres

- n’avait pas précisément l’intention de se soumettre à une quelconque autorité

temporelle ou spirituelle, autrement que par la force des armes ». Magnanime il

voulait bien cependant, désireux, lui aussi d’éviter d’inutiles massacres parmi les

populations occidentales, accepter de reconnaître le grand chef des chrétiens…

au titre de simple vassal ! Je dois avouer que l’on ne connaît rien de la réaction du

pape, en recevant cette réponse. Ascelin de Crémone, qui avait fait route vers la

Perse pour rencontrer une importante fraction des troupes tartares stationnées

là, éprouva encore plus de difficultés. Sa

mission faillit mal tourner, particulièrement lorsque Baïju le chef des

armées, eut écouté la lecture de la lettre papale et que, pris de fureur, il

commanda de trancher la tête du Dominicain. Constatant l’épouvante du

pauvre frère, sa colère se mua en une franche hilarité, l’incitant à surseoir à sa

funeste intention. Cédant en finalité aux préconisations de ses capitaines et

conseillés, il se contenta de le flanquer de deux ambassadeurs et d’une forte

escorte, avec mission de remettre au pape un message évoquant la possibilité

d’une alliance entre les armées

Page 43: Alias Marco-Polo

chrétiennes et celles du Grand Khan. On

était en novembre 1245 et Innocent IV s’empressa d’accepter la proposition.

Fatalité, la réponse, remise à de simples

coursiers, n’atteignit pas son destinataire. Elle tomba entre les mains d’Altigidaï,

commissaire mongol en Transcaucasie. Celui-ci, peu porté au respect des choses

religieuses et encore moins de ceux qui en font ministère, reprit la transaction.

Mais à son compte, en proposant directement à Louis IX roi des Francs,

d’engager une action guerrière commune. Notre Saint-Louis était alors installé à

Chypre, d’où il dirigeait la septième croisade. Ils échangèrent informations et

suggestions, dans le but d’élaborer une stratégie commune. Il s’agissait, rien

moins, que de porter un coup fatal à leur

ennemi commun. Un plan fut bientôt retenu, dans lequel les armées franques

devaient engager les combats avec le sultan du Caire, de façon à fixer les

troupes dans le sud. Du même temps, les Mongols attaqueraient le califat de

Bagdad situé au nord. Mais Louis IX ne se satisfaisait pas d’un accord passé avec un

subalterne. Pour prendre confirmation des engagements réciproques, il avait

envoyé une délégation à la cour du Grand Khaân, conduite par un autre frère

dominicain, André de Longjumeau. Hélas, lorsque celui-ci y parvint, Güyük venait

de mourir. C’est alors sa veuve Oghul

Page 44: Alias Marco-Polo

Qaïmish, qui reçut les présents, lettres et

cadeaux. Parmi ceux-ci figuraient des reliques de la Vraie Croix. Les morceaux

de bois n’obtinrent pas le succès

escompté. Malgré tout elle fit remettre aux envoyés français, des bijoux et de

l’or ouvragé pour leur souverain. Aux cadeaux était jointe une réponse, qui

avait la forme d’une déclaration condescendante. Elle invitait le roi des

Francs à bien vouloir se rappeler qu’il avait été admis, lui et tous les rois de la

chrétienté, à se considérer comme les vassaux du grand Khaân ou de la

régente… Comme tu vois, depuis les premières ambassades de Plan Carpin,

les choses avaient peu évoluées. A cette différence près toutefois, qu’André de

Longjumeau avait su rapporter des

informations très utiles, surtout pour le Saint-Siège de Rome, toujours avide

d’encourager le prosélytisme et l’expansion de la seule ‘véritable’ foi. Les

renseignements ramenés en effet, portaient principalement sur l’absolue

neutralité des Mongols en matière religieuse. Insistant sur la présence de

Chrétiens réfugiés venant d’origines diverses, Géorgiens, Hongrois, Coumans,

Alains. Les nestoriens notamment, occupaient des postes de haute

responsabilité dans l’administration de l’Empire et jusque dans le proche

entourage de l’empereur. La mère, la fille

Page 45: Alias Marco-Polo

et plusieurs femmes du Khan, étaient

chrétiennes. Il se disait que c’était aussi le cas de Sartach, un arrière petit fils de

Gengis Khan qui commandait les armées

Tartares stationnées entre deux très grands fleuves Russes8. L’aristocratie des

steppes semblait donc acquise aux menées occidentales, en tout cas au

niveau des philosophies religieuses. Ces considération intéressaient aussi bien sur

le très pieux Saint-Louis, mais ne faisaient pas vraiment avancer ses

affaires politiques, principalement au plan des alliances. Il décida donc d’envoyer

une nouvelle délégation. Instruit par les échecs précédents, le sage roi préféra ne

pas lui donner une importance et un caractère trop officiel. Portant son choix

sur un frère mineur franciscain qui

gravitait parmi ses conseillers intimes. Le frère Guillaume de Rubrouck, Rubroeck

étant le nom de son village d’origine en Flandre d’expression française. Je sais

moi qu’il était appelé ‘Rubruquis’ par le roi et ses proches, c’est te dire la grande

confiance dont il bénéficiait. Le moine reçu des lettres qui ne contenaient que

des politesses pour le Khan et sa cour. Elles priaient l’empereur de bien vouloir

autoriser le porteur, ainsi que son compagnon Frère Barthélémy de

Crémone, à séjourner sur le sol de l’Empire Tartare. Aux fins disaient-elles

qu’ils puissent y enseigner la parole de

Page 46: Alias Marco-Polo

Dieu. Toutefois notre bon souverain,

souhaitant donner à la mission un caractère à la fois géographique

missionnaire et politique, avait bien

recommandé à Guillaume de lui rapporter tout ce qu’il pourrait observer et

apprendre des Mongols. Mission préparée comme une véritable expédition militaire,

les deux franciscains se plièrent à une période de formation sous la férule des

géographes Solinus et Isidore de Séville. J’ai moi-même eu le privilège d’étudié

avec ce dernier… Mais, bon, continuons ! Ils ne quittèrent Byzance que le sept mai

1253. Guillaume, d’extraction paysanne, est un robuste gaillard au modèle

Flamand. Alors que l’Italien Barthélémy se révèle plus malingre, affligé en outre

de faiblesses au niveau du foie, qui lui

donnent un teint verdâtre. Naturellement le premier supporte mieux les difficultés

du voyage, son compagnon étant toujours sur le point de défaillir, se

plaignant de fatigue, d’inconfort, de froid, de faim ou de maladies et nausées. Pour

comble, son estomac délicat supporte très mal les nourritures exotiques. Malgré

tout ils parviennent à rencontrer les Tatars, qu’ils n’hésitent pas à qualifier de

‘démons’. En franchissant un long passage, resserré entre deux vastes

étendues d’eau et bordée de montagnes rébarbatives, dénudées et vides de toutes

présences9, Guillaume écrira qu’ils ont

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ressentis l’impression que les portes de

l’enfer venaient de se refermées derrière eux. Ils se trouvaient face à un paysage

tel qu’ils n’en avaient jamais vu, la

Steppe ! La description que frère Guillaume en fera témoigne bien de son

effarement ; « C’est un monde sans forêts, sans montagnes, sans pierres,

sans rivières. Juste couvert d’herbes, mais d’une herbe magnifique ! » La

première horde qu’ils rencontrent est celle de Batou, encore un petit-fils de

Gengis Khan. Il campe sur la rive orientale d’un large fleuve, non loin de

son embouchure10. Je dois te préciser que ‘Horde’ ne signifie pas troupe ou

armée, mais est un mot qui dans leur langue signifie campement militaire. De la

même façon, leurs tentes circulaires en

poils, sont appelées yourte. Celle du chef est dressée au milieu de la horde et

chacun installe la sienne plus ou moins vers l’extérieur, en fonction de sa place

dans la hiérarchie. Pour autant les règles qui régissent la troupe…ou horde, sont

impérieuses et sévères. Tout autour règne un incroyable grouillement de gens

issus des peuples les plus divers et de troupeaux d’animaux de toutes les sortes

qui se puissent concevoir. Avec même affirma Guillaume, des chevaux contrefais

portant de grosses bosses sur leur dos… Je lui en laisse la responsabilité, à mon

idée il avait du avoir la vision troublée par

Page 48: Alias Marco-Polo

les boissons fortes dont ces peuplades

font dit-on un usage très immodéré. Il est rapporté qu’ils boivent du lait de jument,

en mangeant des nourritures barbares.

Comme des viandes crues ou du contraire, putréfiées. La robuste

constitution du flamant et sa grande ouverture d’esprit, lui facilitent une

accoutumance assez rapide aux manières et aux nourritures des Mongols. Dans le

récit qu’il en fera à son retour, cette faculté lui permettra de se montrer plutôt

bienveillant à leur égard. La rencontre avec Batou se déroula devant tout l’état-

major. Le chef se tenait assis sur un siège doré, auquel il devait accéder par

trois marches élevées. Ses lieutenants et hauts fonctionnaires se tenaient tout

autour. Les ambassadeurs furent assistés

par un interprète nommé Abdallah. Guillaume, sans doute intimidé par la

comparution, improvisa un discourt. Mais faute de l’avoir préparé, il ne parvint à se

remémorer qu’un extrait des évangiles. C’est ainsi qu’Abdallah incrédule dut

répéter au Khaân ; « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, mais celui qui ne

croira pas sera condamné ! » Un silence stupéfait accueilli ces paroles

inattendues. Sur sa lancée, le pauvre frère ne sachant plus que faire cru utile

d’insister sur les peines éternelles qu’encourrait inéluctablement celui qui

repousserait la vraie foi. Le rire gagna

Page 49: Alias Marco-Polo

alors le Chef, puis toute sa cour par

contagion et servilité. La déconfiture des religieux occidentaux à été complète.

Mais en contre partie, ou peut-être grâce

à cela, Batou va faire preuve de bienveillance à leur égard. Leur faisant

offrir du lait de jument dans une coupe en or ornée de joyaux, ce qui est la

marque d’une grande faveur.

Page 50: Alias Marco-Polo

Chapitre III. Paulus Venetus.

A ce stade de la narration, j’éprouvais

des fourmillements dans la langue et ne pu me retenir d’apostropher le conteur.

- Mais, par le diable comment pouvez-vous avoir connaissance de ces

événements ? Surtout avec un tel luxe de détails et de précisions. Vous y étiez

donc ! - Non point ! Non point, mais cette

histoire tenue de la bouche même de frère Guillaume, fut recoupée par un récit

que le roi d’Arménie Héythoum Ier, en fit

à un autre religieux, du nom de Jacques Iseo. Il se trouve que j’eu l’occasion de

rencontrer les deux ecclésiastique, Guillaume et Jacques. Séparément, bien

entendu et à plusieurs années d’écart. D’eux je tiens directement les tenants et

aboutissants de toute l’entreprise. - Fort bien, mais vous ne faites plus

guère mention de cet infortuné Frère Barthélémy de Crémone. Lui serait-il

arrivé un mauvais parti au cours de cette entrevue, ou avant ?

- La faiblesse de sa constitution doit être tenue pour seule cause de son manque

d’implication dans l’évolution de leur

voyage. D’ailleurs son triste état fut remarqué de toute l’assemblée. Est-ce

pour cette raison qu’un riche marchand Mongol, les prenant en pitié leurs offrira

Page 51: Alias Marco-Polo

des habillements de fourrures, avec

bonnet tartare et bottes de feutre, je ne saurais le dire. Ce présent constitua une

grande chance pour eux car leur mission

était loin d’être terminée. Batou n’était pas le grand Khaân, les relations de

souverain à souverain avec le roi de France ne relevaient pas de sa

compétence. Seul l’Empereur Mongku était habilité à recevoir le courrier de

Louis IX, et à y faire réponse… s’il le jugeait nécessaire. Ils devaient

absolument aller le trouver dans son fief de Karakorum, au nord d’un très vaste et

très effroyable désert11. En compagnie du généreux négociant et protégés par

une forte escorte de guerriers détachés par Batou, ils quittent les rivages du

fleuve le seize septembre 1253. D’après

les dates relevées dans le récit de Guillaume, ils auraient mis moins de

quatre-vingt jours pour parcourir les huit cent lieues qui les séparaient du but de

leur voyage12. Considérant qu’ils devaient franchir des cols élevés13 et

escarpés en pleine rudesse hivernale, la performance est plus que remarquable.

Même en considérant qu’ils bénéficièrent du service des postes de l’empire, mis à

leur disposition par Batou Khan. Cette attention a dû faciliter leur progression,

sans pour cela lui enlever son incroyable difficulté. Mais la vérité fut qu’ils

rencontrèrent la horde de Mongku bien

Page 52: Alias Marco-Polo

avant d’arriver à Karakorum14. Il

convient ici que je vous dise un mot de ce Mongku, aussi appelé Mangou. Petit fils

de Gengis khan, il avait quarante-six ans

au moment de la rencontre que nous relatons ici. En 1248, avant de succéder à

Güyük, il avait participé aux expéditions qui aboutirent aux invasions de la Russie.

On prétend qu’à Kiev, il aurait voulu préserver les richesses byzantines du

pillage et de la destruction par ses propres troupes. Cette intention, si elle

est réelle, lui conférerait un côté cultivé et magnanime. Mais un côté seulement,

car un autre aspect de sa personnalité, vérifié celui-là, réside dans la façon

impitoyable qu’il avait de régner. Intransigeance qui confinait à la cruauté

pure. Pour accéder au titre de Khaân et

monter sur le trône, il dut déjouer un complot, fomenté par la veuve de

l’empereur. Y parvenant, la répression qui s’en suivit fut sanglante. On rapporte qu’il

n’hésita pas à faire coudre la coupable veuve dans un sac jusqu’à ce qu’elle y

périsse… étouffée. Les ambassadeurs du roi des francs furent reçus par le Khan

dans le palais de Cirina, qui n’est point le nom d’un lieu mais celui de sa fille

préférée. Cirina est chrétienne, ce qui enchante les deux religieux. D’ailleurs un

banquet est offert en leur honneur, l’ambiance est chaleureuse, l’alcool de riz

coule à flot et tout le monde boit

Page 53: Alias Marco-Polo

beaucoup. L’interprète et l’empereur s’y

livrent à une amicale compétition, dont le pauvre Abdallah sortira quasi trépassé.

Mongku résiste beaucoup mieux,

enchanté de sa soirée au point d’insister pour que les religieux partagent son

euphorie. Guillaume relève vaillamment le défi, mais Barthélémy argue de sa

santé défaillante pour décliner poliment mais trop fermement l’invitation. Ce refus

met le Khan de mauvaise humeur, il décide de se calmer les nerfs en faisant

empaler une quarantaine de captifs. Hommes et femmes, coupables sans

doute d’avoir refusés de payer un impôt quelconque. Le supplice du pal n’est pas

une mince affaire chez les tartares. Imagine mon jeune ami, des rangées de

pieux plantés dans le sol, la base grosse

comme une tête d’homme et plus hauts que le garrot d’un cheval. Ils sont

progressivement effilés, pour finir en pointe… mais pas très fine pour repousser

les chairs et organes, sans les percés. Outre leur conicité, les pals sont enduits

de cire. Les suppliciés ligotés et nus sont pris sous les aisselles par deux cavaliers

qui les enlèvent et les enfilent par le fondement sur le sommet des poteaux.

Leur poids les faits descendre assez profondément, aussi l’enfoncement est-il

accompagné de cris de douleur épouvantables. Sachant que l’œuvre de la

gravité seule s’arrêterait rapidement,

Page 54: Alias Marco-Polo

conduisant à une agonie trop longue pour

un spectacle confortable. Des soldats passent leur attacher des gueuses de

fonte aux chevilles, afin que la

pénétration puisse se continuer jusqu’à ce que la pointe leur sorte, par la bouche

ou par le col. Le temps d’un sablier et les derniers à mourir cessent enfin tous

tremblements. C’est à ce spectacle que le khan convie les voyageurs et toute sa

Cour. Si l’on excepte ces moments plutôt pénibles, le premier contact n’est pas

totalement négatif. Les deux religieux obtiennent la permission de séjourner sur

place pendant deux mois ou de se rendre à Karakorum. Ils vont bien sur choisir de

rester près du khan, conservant l’espoir de parvenir à l’évangéliser. De toute

façon la horde, l’empereur et eux avec,

ne tarde pas à lever le camp pour retourner dans la capitale de l’empire ou

elle arrive le cinq avril 1254. C’est la première fois que des ambassadeurs

venus d’occident pénètrent dans la citée. Leur qualité particulière, de ministres du

culte chrétiens apostoliques et Romains, leur vaut en outre d’être accueillis

solennellement par les Nestoriens, venus en procession à leur rencontre. Dans le

récit qu’il fera à son retour, Guillaume décrit Karakorum, en se référant et

comparant aux villes qu’il connaît : « Cela ne vaut pas Saint-Denis, et le palais du

khan ne représente pas la moitié du

Page 55: Alias Marco-Polo

monastère de notre bon saint », écrira

t’il. En revanche il est vivement frappé par le quartier des Sarrasins ; « Vaste

bazar où les commerçants de toutes

espèces grouillent comme vermine sur bas clergé et dont les échoppes sont

fréquentées par les ambassadeurs aussi bien que les élégants seigneurs et dames

de la Cour impériale ». Du quartier des ‘fils du ciel’, comme ils se nomment eux-

mêmes, il retiendra surtout la pauvreté, mais aussi l’habileté merveilleuse des

nombreux artisans, qui excellent dans tous leurs œuvres.

Par-dessus tout, il ne manquera pas de remarquer les marchés extérieurs.

Installés aux quatre portes de la citée, chaque jour y arrivent cinq cent chariots

de vivres, ainsi que d’immenses et

bruyants troupeaux destinés à nourrir toute cette population. C’est que le bon

frère n’oublie pas sa mission, il note que Karakorum abrite deux mosquées

musulmanes, une église nestorienne et douze temples bouddhistes. Le moine

avouera naïvement sa stupéfaction en constatant que toutes ces religions

officient dans la paix et la plus parfaite tolérance. Du moins c’est ce qui lui

semble, car même si cela s’avère exact pour ce qui est de l’ordre public et la

tranquillité des habitants, il existe de nombreux correctifs à cette appréciation.

Par exemple dans les plus hautes

Page 56: Alias Marco-Polo

sphères, chez les dignitaires de ces

confessions. Il aura d’ailleurs l’occasion de s’en faire rapidement une idée assez

précise car les Nestoriens sont gens bien

en Cour, exerçant dans l’entourage du khan des responsabilités de tous premiers

plans comme celles d’interprètes, de fonctionnaires, de ministres ou de

précepteurs des enfants royaux. On les trouve aussi dans les bureaux des

chancelleries et dans les cours des tribunaux, ou profitant et abusant de ces

positions, ils se sont peu à peu créé une exécrable réputation. Guillaume

n’hésitera pas à affirmer qu’ils sont un peu plus cupides, corrompus et dépravés

que la moyenne de ce que l’on peut observer... Sortant de la bouche d’un

homme réputé pour sa pondération, cet

euphémisme est des plus révélateurs ! Citant Sergius, un ancien tisserand qui se

prétendant moine arménien avait réussi à se faire admettre comme ‘guérisseur’

auprès d’une des femmes de Mongku nommée Cotta, il relève la présence

d’évêques, qui dans cette caste ordonnent tous les enfants mâles, même

ceux qui sont au berceau ; « De sorte que chez les Nestoriens, presque tous les

hommes étaient prêtres ». Sergius l’imposteur s’était fait confectionner un

trône épiscopal, avait commandé des gants et une mitre…en plumes de paon.

Ornée d’une croix d’or, il est vrai !

Page 57: Alias Marco-Polo

L’imbécile avait fière allure, ne reculant

devant aucune extravagance au point de se présenter généralement en arborant

une bannière décorée de croix peintes

attachée à une sorte de lance et de déambuler ainsi en procession à travers

tout le campement. Guillaume rapporte qu’appelé auprès d’un Nestorien mourant,

le bougre l’avait piétiné avec rage, se vantant ensuite de l’avoir fait mourir par

ses prières car c’était un ennemi de la vraie foi qui refusait de lui léguer ses

biens par testament. Aussi, sous des dehors pittoresques le drôle avait envers

les Sarrasins notamment, une propension à la brutalité la plus inouïe les accablants

de coups de fouet tout en les traitants de chiens ! De tels charlatans accourus de

tous les coins de la chrétienté, pullulaient

dans la horde de Mongku. Inutile de te dire qu’il s’en était rejailli un discrédit

certain sur l’ensemble du christianisme et de ces représentants. Les chrétiens

n’étaient pas en odeur de sainteté, pouvons-nous dire… Ha, ha, ha ! Les

deux religieux en sont d’ailleurs informés dès leur arrivée, par les soins d’un

orfèvre du nom de Guillaume Buchier. C’était un artisan qui avait tenu boutique

à Paris, sur le Pont au Change. Les Mongols l’avaient fait prisonnier à

Belgrade et emmené en captivité avec eux. Plus tard, le khan avait été informé

de ses talents et le prenant sous sa

Page 58: Alias Marco-Polo

tutelle, avait fait de lui une sorte de

ministre des arts. Heureux de rencontrer des compatriotes, Buchier organise en

l’honneur des voyageurs une soirée ou

toute l’assistance parle français. Son épouse bien sur, une Lorraine née en

Hongrie, mais aussi le fils d’un Anglais né en Isle de France ainsi que nombre

d’autres nobles personnages de la Cour. Par l’ancien orfèvre, Guillaume fait la

connaissance d’un nommé Pâquette. Celui-ci les accompagnera pour le reste

de leur séjour, se révélant une mine d’informations sur les dessous de la vie

dans l’entourage du grand Khaân. C’est par son entremise que des prisonniers

catholiques, originaires de l’occident, viennent lui rendre visite au prétexte

officiel de confessions. Confessions bien

anodines, d’après ce que j’ai pu entendre de la bouche même du franciscain,

certains s’accusaient d’avoir volé leur maître, quand ceux-ci ne leur donnaient

pas de quoi se nourrir et se vêtir a suffisance. Guillaume leur expliquait qu’il

n’y a pas péché en conscience, dès lors qu’ils prennent sur le bien de leur maître

ce qui leur est nécessaire pour vivre. D’autres sont soldats et confessent les

turpitudes propres à ceux qui exercent ce métier. A ceux-là, il se contente

d’interdire de combattre contre d’autres chrétiens. On en profite pour glaner, de ci

de là, tels ou tels renseignements. Les

Page 59: Alias Marco-Polo

rencontres entre Rubrouck et toutes ces

personnes, sont vite connues de tout un chacun. Mongku en est bien sur informé,

mais ne prend aucune mesure pour les

faire interdire. Bien au contraire, il s’amuse du prosélytisme de toutes ces

religions convaincues, également, de détenir le vrai Dieu. A tel point qu’il

décide d’organiser la controverse et fait annoncer la tenue d’un grand débat,

opposant musulman, bouddhiste, chrétien et idolâtre. La rencontre se tiendra au

palais du khan, à la veille de la Pentecôte. Les participants doivent promettre de ne

pas employer de paroles injurieuses pour leurs contradicteurs, ni provoquer

tumulte qui puisse troubler la conférence, sous peine du pal ! La première joute

oratoire oppose Guillaume, que les

Nestoriens chargent de parler en leur nom, au représentant des bouddhistes.

L’homme à été choisi non par rapport à la force de sa rhétorique ou sa science dans

la doctrine philosophique du Bouddha, mais parce qu’il est un juge très célèbre

auprès de la Cour impériale. Le franciscain l’emporte avec tant d’aisance

sur le point de l’unité et de la toute-puissance de Dieu, que les Sarrasins

applaudissent sans chercher à retenir leurs sarcasmes. Les débats suivants

n’apportent rien de déterminant au profit de l’une ou l’autre confession, les

controversistes reconnaissent seulement

Page 60: Alias Marco-Polo

la grande verve dialectique du frère

flamant. Malgré ce succès d’éloquence, au grand dépit du religieux, aucunes

conversions n’en viendront concrétiser

l’effet. Les musulmans et les nestoriens se rejoignent pour garder leurs acquis à

la cour et chantent ensemble les louanges du grand khan. Les bouddhistes se

taisent, et pour finir tous boivent copieusement. Bernard de Vaulx me

confiera lors de notre rencontre, en évoquant ce moment pénible pour son

frère de confession ; « Avec tristesse, Rubrouck voyait s’évanouir ses rêves

d’apôtre. » Le lendemain de cette confrontation les deux moines seront

reçut par Mongku, qui leurs tint un bref mais ferme et bien senti

discours ; « Nous les Mongols, nous

croyons qu’il n’y a qu’un seul Dieu, par lequel nous vivons et par lequel nous

mourons. Nous avons pour lui un cœur pur et droit… Pourtant, de même que

Dieu dans une main créa plusieurs doigts, de même il a donné aux hommes

plusieurs voies. Vous autres chrétiens vous prétendez que Dieu vous a choisis,

en vous révélant les Écritures saintes. Mais vous ne les observez pas ! A nous il

à donné les devins et Chamans. Nous suivons leurs conseils et nous n’avons

pas de polémiques avec ou contre les autres croyances. ». Penauds, les

religieux ne trouvent rien à redire. Le

Page 61: Alias Marco-Polo

khan clôt alors la rencontre, en leur

signifiant qu’il est temps pour eux de retourner dans leur pays afin d’y

transmettre ses paroles. Il leur remet

lettres et cadeaux, Guillaume refuse tout présent à titre personnel, mais ne peut

faire autrement que d’accepter la mission confiée.

Mongku l’assure qu’un bon accueil lui sera réservé, pour le cas ou son roi

déciderait de le charger d’une nouvelle ambassade. De retour à Acre, Rubrouck

et son compagnon font parvenir à Louis IX les lettres du khan, accompagnées de

notes manuscrites dont je viens de te donner de si larges extraits. J’espère

n’avoir pas abusé de ta patience et que mes propos auront eu l’heur de te plaire.

Il me fallait manifester mon intérêt. Je m’y employais sur le champ.

- Je me rends bien compte que ces témoignages ahurissants sur les contrées

traversées, la communication qui en fut faite au monde, l’ont été au prix d’une

abnégation extraordinaire, surtout pour de pauvres moines. Mais qu’advint-il de

cette mission ? Eut-elle des conséquences pour la suite des événements ?

La satisfaction qui se peignit sur le visage

joufflu, me payât largement de mon attention. S’accordant à peine le temps

d’une lampée, Angeot donnait à nouveau

Page 62: Alias Marco-Polo

libre court à un flot de paroles. Ponctuées

de gestes démonstratifs qui finissaient immanquablement par l’ingurgitation

d’une nouvelle et forte lampée.

- Puisque tu insiste. Vois-tu, en au moins une occasion, l’alliance si souvent

évoquée et espérée entre les armées chrétiennes d’occidents et les hordes

Mongoles, se trouva bien proche d’être conclue. En 1260 une armée franque,

commandée par Julien de Sidon, se joignit aux troupes du général Hülegü. Ils

entreprirent une expédition contre les musulmans du califat des Abbassides,

auquel ils prirent Damas. Hélas, les chevaliers francs voulurent en profiter

pour piller la ville. Les Mongols qui s’y étaient déjà installés interprétèrent ces

actions comme un acte d’agression

délibéré. Ils réagirent, prirent le dessus et poursuivirent les francs jusqu’en la

ville à laquelle Sidon avait donné son propre nom. Ville qu’ils assiégèrent, en

dévastant les terres alentours. Ruiné, Julien du revendre son comté aux

chevaliers du Temple. Cette première tentative d’actions communes, fut aussi

la dernière. Mais ce ne sont plus les intrigues et ambitions guerrières qui nous

occupent. Depuis ces temps, Gènes mais surtout Venise sont devenues des cités

prospères. La république vénitienne dominant Byzance, commerce avec les

Mahométans qui contrôlent la route des

Page 63: Alias Marco-Polo

Indes et de l’Asie. Les riches marchands

de ces citées établissent des comptoirs jusqu’en Crimée. Certains veulent à

présent aller plus loin, cherchant à

s’affranchir des intermédiaires Sarrasins ou Arméniens. C’est le cas des deux

personnages que nous allons retrouver à Acre, les frères Paulus. Que nous

appelons plus souvent à la façon de leurs concitoyens ‘Polo’, enfin peu importe. Les

frères Nicolo et Mattéo de Venise, sont des commerçants prospères et avisés

possédant notamment un comptoir sur une île, que je ne connais pas, nommée

Curzola. Enthousiasmés par les descriptions successives de Jean de Plan

Carpin, Ascelin de Crémone, André de Longjumeau, Guillaume de Rubrouck,

Barthélémy de Crémone. Stimulés par les

récits de ces moines courageux, ils décidèrent de tenter à leur tour

l’aventure. S’avançant dans les contrées d’extrême Orient, ils ne furent de retour à

Venise, qu’a l’issue de quinze longues années d’absence. Te plairait-il

d’entendre le récit de leur voyage ? Je crains que cela ne fasse un

peu…surcharge avec les descriptions antécédentes. Mais, puisque nous avons

une longue route à faire de concert, je ne t’en ferai la délivrance que par fragments,

au gré des étapes.

Page 64: Alias Marco-Polo

Ainsi fut fait ! Au fil des haltes ou des

parties aisées de notre avance, Angeot me détailla le périple long et périlleux

accomplit par ceux que nous cherchions à

rejoindre tandis que nous progressions sur les vieux chemins, battus par les

caravanes marchandes qui depuis des millénaires empruntaient cet itinéraire.

Nous y relevions les traces illustres des légions Romaines, ainsi que celles moins

civilisatrices des invasions barbares ou celles, plus récentes mais tout autant

sanguinaires, des croisades qui s’étaient succédées en direction de la terre Sainte.

J’en fais ci-devant le condensé, pour bien vous pénétrer des lieux et des

personnages par eux rencontrés. Je gage que la clarté de mon propos devrait y

gagner, pour votre bon entendement

gentils lecteur. Ainsi donc, l’an 1253, ils quittèrent Venise

pour embarquer sur une nef afin de contourner le pays des Grecs et rejoindre

une Mer, que l’on nomme Mer Noire, pour je ne sais qu’elle raison n’observant point

cette coloration en ses eaux transparentes. Ils parviennent ainsi à

Byzance. En cette ville ils achètent des pierres précieuses, avant de gagner

Soudak, un port de pêche sur les rivages de Crimée. De là, par terre ils gagnent

Soldaïa où ils retrouvent Marco, leur frère aîné établi de longue date dans cette ville

avec sa famille. Rapidement ils en

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prennent congé afin de poursuivre leur

route jusqu’à Suray, une grosse bourgade établie sue les bords d’un fleuve

puissant15. Ils resteront un an à la cour

du khan de Russie, échangeant leurs pierres contre des marchandises diverses,

avant de se préparer pour prendre le chemin du retour. Hélas peu de temps

après, une guerre civile éclate entre les seigneurs Mongols. Berké khan souverain

de la Horde d’Or, dans le pays des ‘Tartares du Ponant’, et son cousin

Hugarü, Khan des ‘Tartares du Levant’. A la même époque Byzance tombe aux

mains des génois, rivaux acharnés sur terre comme sur mer des vénitiens. Ne

pouvant, à cause de la guerre et des génois revenir par le couchant, en

utilisant le chemin qu’ils avaient parcouru

à l’aller. Coincés en tenaille par les hordes Mongoles toutes proches. Ils

recherchent alors une autre route, choisissant un passage par les terres

situées entre une vaste Mer et longeant une autre mer plus petite, au midi de la

première16. Ils parviennent, après dix-sept jours de

marche à travers le désert, à rejoindre Boukhara en Perse, c’est l’une des cités

les plus importantes sur la route de Cathay. Tentant de fuir la guerre, ils s’y

retrouvent bloqués trois années durant, avant que le roi Hugarü ne finisse par

remporter la victoire. Temps suffisant

Page 66: Alias Marco-Polo

pour que la nouvelle de leur présence

fasse le tour de l’empire. Ce qui leur vaut la visite d’un dignitaire du nouvel ikhan,

chargé de les informer qu’ils sont attendu

par le grand Khaân ; « désireux de rencontrer des Européen ». Ils ne

peuvent refuser et se mettent en route, sous bonne escorte. Kubilaï avait pour

habitude de traiter les affaires concernant l’ouest de son empire, dans sa résidence

d’été à Changtou en Mongolie. A peine sont-ils mis en présence de l’empereur

que celui-ci leurs confie deux missions, importantes également. Conduire une

ambassade chargée de présents destinés au pape. Puis revenir, après lui avoir

demandé, en retour, la faveur d’une goutte de l’huile du Saint-Sépulcre. Et,

conjointement, l’envoi à sa Cour d’une

centaine d’érudits, savants et théologiens, afin qu’ils transmettre les

connaissances et les enseignements de la foi catholique. Aussi, bien que de façon

beaucoup plus discrète, de rapporter des informations sur les nouvelles armes

mises au point en occident. C’est que, sous l’étiquette de voyageurs,

marchands, propagateurs de la foi Chrétienne, etc. Les patriciens vénitiens

étaient toujours et surtout des officier d’armée, diplomates ou conseillers d’État.

Ainsi Matéo était-il officier du génie, expert en armes de jet. Pour leur servir

de sauf-conduits, ils sont pourvus de

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‘Gerege’, tablettes de la longueur d’un

avant-bras et larges d’une main. Ceux en or et remis par l’empereur lui-même,

donnent le privilège à leurs détenteurs de

se trouver sous sa protection directe. Comme tel, ils peuvent obtenir tout ce

dont ils ont besoin pour le voyage, chevaux, nourritures ou fournitures

diverses. Aussi bien sur, que celle d’aller et venir sur le territoire de l’empire sans

risques d’être inquiété ou arrêté. Reprenant presque immédiatement la

route du retour, c’est sans encombre qu’ils reviennent en Cilicie, à Laïas, aussi

appelé Layazo. Là ils embarquent pour rejoindre Acre puis l’Italie. Ils empruntent

la voie maritime car ils cherchent à gagner sur le temps. Hélas pour eux,

quand ils parviennent enfin à regagner la

Mer Adriatique et l’Italie, le pape vient de mourir. En arrivant Nicolo éprouve la

douleur d’apprendre la mort de sa femme, survenue quatre ans avant son

retour. Simultanément il éprouve la consolation de se savoir père d’un fils, né

moins d’une année après son départ. Le garçon, prénommé Marco comme son

grand oncle, est alors âgé d’une quinzaine d’années. Pour les frères,

passée la joie du retour, s’installe une longue période d’attente et d’inactivité.

Deux ans, en effet s’écoulent, sans qu’un nouveau pape soit élu. Ils jouent

vraiment de malchance, car il leur faut

Page 68: Alias Marco-Polo

après la mort de Clément IV, supporter le

plus long interrègne de l’histoire de la papauté.

Craignant qu’une trop longue absence ne

finisse par mécontenter le grand Khaân, les deux frères décident de ne plus

attendre et de repartir, délaissant les théologiens et l’huile sainte. N’omettant

pas toutefois de requérir l’escorte d’un homme de guerre particulièrement expert

en maniement des armes les plus modernes. Plus qu’un simple soldat, car

capable de concevoir et mettre en œuvre des engins et nouvelles techniques de

sièges. La rencontre qui devait avoir lieu avec le conseillé engagé n’avait pu se

tenir. L’homme participait dans le même temps à une opération militaire en Écosse

et les difficultés du trajet lui avaient

provoqué un grand retard. Quand enfin la troisième année de vacance pontificale

s’achève par l’avènement de Grégoire X. Ils sont déjà dans les murs de la

forteresse d’Acre. Dès qu’ils apprennent la nouvelle, Matéo et Nicolo décident de

rebrousser chemin pour porter, enfin, le message de Kubilaï au nouveau pape. Le

contretemps, du retour à Rome allait rendre possible de nouvelles retrouvailles

avec le maître d’armes de siège, quelque part sur la route de Palestine…

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Chapitre IV. Paulus Marcus.

Ce cranequinier17, choisi comme maître

d’armes moderne par les deux frères, n’est autre que messire Colombus

Angeot, je ne vous apprends rien par cette nouvelle. Mais ce que peut-être je

suis en mesure de vous révéler, c’est que nous sommes accompagnés par un

illustre membre des entreprises de Guillaume de Rubrouck et Barthélémy de

Crémone. En la personne de Messire Pâquette, devenu ci-devant charretier. Le

bougre n’avait rien laissé paraître de son érudition et j’étais à cent lieux d’en

concevoir le moindre soupçon. Depuis lors, je vous confesse contempler

d’un œil neuf ces hommes à la trouble

personnalité. D’apparences ordinaires et de savoirs étendus. Pour un fils de

Lansquenet, les arbalètes sont choses presque familières. Méprisée par les

chevaliers qui la considèrent comme une arme déloyale ; « capable de tuer à

distance sans permettre à l’adversaire de se défendre ». Ce sont surtout depuis le

concile du Latran en 1139, des armes réservées aux mercenaires.

Il est de fait que son usage, n’exigeant pas une longue et grande formation,

permettait à de simples piétons de terrasser un preux chevalier en armure.

Alors que celui-ci avait consacré presque

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toute sa vie à sa formation physique et

chevaleresque. A l’exemple du grand roi Richard Cœur de

Lion, qui mourut de la blessure infligée

par un carreau d’arbalète. Celui qui le blessa mortellement n’était pourtant pas

un quelconque manant. Il s’appelait Bertrand de Gudrun et était chevalier

français, natif du Limousin. Durant le siège de Châlus, le 26 mars 1199, il

s’essaya au tir… Avec succès ! Puisqu’il toucha le roi d’Angleterre à la base du

cou. Après la capitulation de la place forte, sa victime croyant que la blessure

ne serait pas mortelle, lui pardonna. L’assurant qu’il ne serait pas puni et

poussant la complaisance jusqu’à lui offrir une somme de cent shilling, en

récompense de son adresse. Cependant,

les chirurgiens ne parvinrent pas à extirper le carreau fiché profondément

dans l’épaule. L’infection survint rapidement, provoquant la mort de

Richard Cœur de Lion le six avril suivant. Plus tard, Mercadier, un des capitaines du

roi, ignorant la promesse faite au chevalier, le fera écorcher vif puis

exposer sur les fourches patibulaires. En vérité, un tir pouvait percer une

armure jusqu’à une distance double de celle d’un archer efficace. Cette

perversion de l’acte guerrier inquiéta le clergé. Au point qu’il en vint à estimer

que l’usage de l’arbalète était un acte de

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grande immoralité. L’argumentation

s’appuyait principalement sur le peu de courage et d’entraînement qu’elle exigeait

de son servant. En conséquence, le

deuxième concile du Latran va tenter d’en interdire strictement - et définitivement -

l’utilisation dans toutes les armées de la chrétienté. Cette recommandation ne

sera suivie d’aucun effet. A tel degré que quatre années plus tard

en 1143, le pape Innocent II devra aller jusqu’à menacer non seulement les

arbalétriers, mais les fabricants de cette arme ainsi que ceux qui en faisaient le

commerce, que ce fusse de manière directe ou indirecte, d’excommunication

et d’anathème. Assortissant tout de même cette mesure de la réserve qu’elle

ne s’appliquait que pour les combats

entre chrétiens. Malgré tout, elle sembla si médiocrement appliquée par les princes

d’Occident, que le pape suivant, Innocent III, dû réaffirmer en 1205, les interdits

du concile. Seule conséquence notable, les rois font

appel à des mercenaires étrangers, notamment italiens avec une

prédominance de génois. Mon ami Colombus n’est pas originaire de cette

ville. Il est né sur une île assujettie à Pizze, dans un hameau de pêcheurs,

appelé Calvi. Encore enfant Angeot fut victime d’un sort jeté par un ‘mazzeru

’rival de son père. Ce mal, appelé

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‘annuchjatura’ dans le patois de l’île, est

étrange. Les symptômes, maux de tête, fièvres, nausées, apparaissaient

soudainement sans causes connues et

disparaissaient comme ils étaient venus. Un marchand Génois, passant par là en

conçut un tel étonnement qu’il demanda au père de lui confier la garde du jeune

Angeot. Il avait besoin d’un aide pour ses déplacements, étant négociant en armes

de toutes espèces. Philippe Sulaz, du nom dont il se présenta, invoqua la nécessité

de soustraire l’enfant à l’Onciu, le mauvais œil. Après avoir consulté la

famille, le père ne s’y opposa pas plutôt soulagé d’avoir une bouche de moins à

nourrir. La décennie suivante, Angeot couru avec son protecteur les cours

d’Europe et de Navarre. Devenu adulte,

c’est lui qui reprit les affaires de son père adoptif lorsque celui-ci reçut sur la tête,

le boulet du mangonneau qu’il était en train de vendre et dont il faisait la

démonstration. Sulaz ne survit pas, la confrontation d’un crâne avec un boulet

de pierre que quatre hommes peinent à soulever, ne donne pas longtemps

matière à interrogation. Peu après notre rencontre, Angeot

m’avait confié que son métier était lucratif, bien que la concurrence y fût très

rude. Sans négliger une toujours possible vindicte de la part des victimes

réchappées aux ‘bonnes affaires’

Page 73: Alias Marco-Polo

antérieures. Bref, il lui fallait renouveler

son chalandage, si possible en trouvant des clients assez distants les uns des

autres. La proposition de Maître Matéo

Paulo tombait à point. Cette confidence faite par mon

compagnon m’avait intriguée, tout en ajoutant à l’admiration que j’éprouvais

pour un homme qui parlait couramment cinq langages civilisés ainsi qu’une infinité

de patois. Ne l’avais-je pas entendu donner répliques en toscan, sicilien,

vénitien et bien d’autres dialectes encore, dont j’ignore jusqu’au nom. Une question

me tourmentait l’esprit et la langue. A la fin n’y tenant plus je me risquais à la

poser ; - Messire Angeot, comment avez-vous eu

raison de ce mal qui vous avait emparé

dans votre enfance ? - Par les cornes du diable, que t’importe à

présent ? Tu es en vérité un fieffé curieux, hein ! C’est que tu me demande

de trahir là, tout bonnement des choses qui ne se disent point. Que dirait ma

pauvre vieille Mama, si elle me pouvait ouïr dégoisant un secret de notre île. Mais

basta ! Mon petiot, nous partons pour des rivages où mes pauvres traditions ne

signifieront pas d’avantage que les poésies grecques aux pâtres de mes

montagnes. Si comme à mon exemple et par extraordinaire tu venais à en être

frappé Gihlem, voici mon seul conseil. Il

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te faudra faire appel à une signatora.

Pour éloigner le sort elle procédera à un rituel bien défini qui lui permettra de

‘barrer’ le mauvais œil. Une sorte

d’exorcisme mêlant paroles cabalistiques et prières à la Vierge Marie, mais

attention, sans que personne ne puisse l’entendre ou la comprendre. La

Signatora se livrera ensuite à des incantations prononcées au-dessus d’une

soucoupe dans laquelle ont été mêlées huile et eau. Selon les dessins, les yeux,

que forme l’huile, elle parvint à conjurer le sort ou s’il se trouve que tu n’en sois

pas victime, à supprimer ta maladie. Plus le mal est grand ou plus le mauvais sort

qui à été prononcé par le jeteur de sort, le mazzeru, est puissant, plus elle va

bâiller intensément. En cas d’échec, la

personne atteinte doit répéter le rituel en choisissant d’autre Signatore. Et surtout

en respectant un nombre impair, tout comme le nombre des prières du rituel.

C’est comme cela que j’ai retrouvé une bonne santé… comme tu le peu

constater ! Encore une chose, ceux de mon île sont souvent taxés de fainéants.

C’est que nous cultivons uniquement le lopin de terre nécessaire pour nourrir la

famille. Nous préférons conserver le maquis pour la chasse et la vendetta. Les

génois ne comprennent pas que nous n’utilisions pas tout le terrain pour en

revendre le produit, ils nous taxent de

Page 75: Alias Marco-Polo

paresse et en répandent la rumeur par

toutes les terres de la chrétienté...Chi diavolo u benedica !18

Ma curiosité ainsi amplement rassasiée, je décidais de me consacrer aux soins de

mon pauvre Canasson. Ce cheval de forte encolure, fut autrefois un destrier

fringuant. Les années et quelques éprouvantes campagnes l’ont un peu

fatigué. Encore qu’après quelques semaines de bons traitements le pauvre

animal avait retrouvé une meilleure prestance. Je le ménageais le plus

possible, consacrant une bonne part de mon temps à ses soins. Je crois qu’il en

avait pris conscience et me vouait une estime qui dépassait la simple

reconnaissance du ventre.

Quand nous progressons par les chemins, je marche le plus possible pour me

donner de l’exercice. Tel n’est pas le choix de mes compagnons qui ne quittent

les banquettes du chariot que pour aller satisfaire leurs besoins naturels, tant

ceux qui entrent que ceux qui sortent. Pour les premiers, nous avons un boucau

d’eau, outre les rivières au gré du parcours. Pour les seconds la nature n’est

point avare d’espaces propices à leurs satisfactions.

Dans le mitant de la journée l’arrêt n’est destiné qu’au repos des animaux, même

si nous le mettons à profit pour finir

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quelques restes économisés de notre

repas de la veille. Car, que ce soit en plein champs, dans les bois ou la salle

enfumée d’une auberge, nous ne

sacrifions aux nécessités de nos estomacs qu’aux haltes de chaque soir, avant de

profiter d’une toujours trop courte nuit de sommeil.

C’est que le lever se fait d’accoutumé fort avant matines. Le but espéré, ainsi que

monsieur Pâquette se plait à le répéter, serait ; « de mettre pleinement à profit

les quiétudes d’une chevauchée, exempte des tracas générés par la densité des

déplacements diurne ». Billevesées, pour ce qui est de mon opinion. Mais allez

donc essayer d’engager controverse avec messire Pâquette…

Lors des passages prolongés en forêt ou

encore lorsque les contrées traversées sont d’une tristesse par trop affligeante,

je me réfugie dans la lecture. Cet exercice intellectuel m’est bénéfique, en

ce sens qu’il occulte à mes yeux la tare dont je suis affligé.

De fait, il se trouve que je suis toujours chagriné par la perspective d’être réduit à

coucher quelques lignes, en les traçant de ma main sur un parchemin. Les mots

semblent emparés de sorts qui les rendent récalcitrants à l’ordonnancement

des lettres. En fait, si je parviens, relativement aisément à déchiffrer les

écrits d’autrui. La réciproque n’est pas

Page 77: Alias Marco-Polo

valable, les lecteurs de ma prose en

perdent leur latin. En revanche, je m’exerce aux opérations arithmétiques,

grâce à Pâquette, qui c’est révélé érudit

en écriture des chiffres introduits par Gerbert d’Aurillac. Ce merveilleux

système de numérotation décimale, qui inclus un signe appelé ‘zéro’, se révèle

beaucoup plus pratique d’emplois que la numérotation avec les chiffres romains.

Multiplications et divisions n’ont bientôt plus de secrets pour moi. En contrepartie,

je confesse avoir moins de réussite avec la deuxième branche des mathématiques.

J’ai beau m’évertuer aux tons, demi-tons, bémols et dièses qui forment les modes

musicaux, la musique me reste hermétique.

Pâquette ravi d’avoir su m’imposer son

érudition et en cela mérité mon admiration, tient à en rajouter. Il se

complaît à m’interroger sur mes connaissances nouvelles ;

- Aurais-tu une idée de la provenance de ces nombres nouveaux, introduits par ce

Gerbert d’Aurillac, connu à présent comme Monseigneur le Pape Sylvestre

II ? - Je crois que vous m’avez parlé d’études

menées en l’an de grâce 967, au monastère de Vich, en Catalogne. Les

monastères catalan recèlent de nombreux manuscrits de l’Espagne sarrasine, j’en

déduis qu’ils sont d’extraction Arabe.

Page 78: Alias Marco-Polo

- Pas du tout ! Il en rapporta aussi

l’astrolabe, qui est pourtant d’origine grecque, alors ! Dans ce cas précis, les

sarrasins ne font qu’utiliser une invention

rapportée par Al-Khawarizmi de ses voyages en Inde19. La véritable source

de cette science n’est autre que celle de la ‘Société des Neuf Inconnus’ !

- Fichtre ! Que voici un plaisant nom pour une confrérie. Où tient-elle ses assises,

messire Pâquette ? Neufs inconnus en assemblée ne doivent point passer

inaperçus. - Par dieu, ne te moque point petit

dévergondé ! C’est là chose secrète et mystérieuse dont onques ne se moque

impunément. Reste donc avec tes incrédulités, tu demeureras dans ton

ignorance.

- Allons, vous brûlez de m’en faire état. Cela se remarque aisément à la brillance

de votre regard. Je suis en mesure d’affirmer que l’on ne peu le voir si vif

qu’à l’approche des repas, lorsque vous flairez l’odeur d’un pot de vos boissons

préférées, vin ou bière ou encore lorsque vous humez la perspective d’infliger vos

sornettes à un auditoire sans méfiance. - Mes sornettes, hein ! Quelle ingratitude.

Pour le coup tu n’en apprendras rien d’avantage, satané petit ruffian !

- Hé bien, soit ! Mais ne comptez plus sur moi pour vous narrer la suite des

aventures d’Erec et Enide. Vous sembliez

Page 79: Alias Marco-Polo

pourtant fort captivé par la lecture que je

vous fis du premier chapitre ! Ne voulez-vous donc point savoir ce qu’il advint du

combat entre Erec et le chevalier Yder ?

- Par les moustaches du diable, je commence à regretter de t’avoir professé

ma science, petit drôle. Voyons, t’engage-tu à m’en bailler une tranche

chaque jour, quelques soient tes dispositions d’esprit ? A cette unique

condition, je consens à te dévoiler un secret qui vaut fortune. C’est qu’il ne me

sied point de continuer à dépendre de tes humeurs, pour ouïr ou non les poésies de

messire Chrétien de Troyes. - Sur mon honneur, je m’y engage ! Mais

commencez par me bayer votre propre chronique. Je serai ainsi en mesure de

mieux juger de qui fera le dindon dans

cette farce. - Bon, hum…C’est, encore une fois, de

l’Orient lointain, de l’Inde mystérieuse que nous vient ce prodige. Il faut

remonter deux siècles entiers avant la naissance de notre Seigneur Jésus Christ.

Le Prince Asoka petit fils de Chandragupta, accède au trône.

Successeur de son père et de son grand-père qui furent tous deux de grands

unificateurs, il nourrit l’ambition d’en continuer les conquêtes. Son choix se

porte particulièrement sur l’État de Kalinga, dont le malheur était d’être

voisin du sien. Ses ambassades

Page 80: Alias Marco-Polo

proposant l’intégration sont repoussées.

Il décide alors, chose arrêtée de longue date, de recourir à la force de ses

armées. Les Kalinganais, peuple peu

belliqueux, tentent pourtant de résister à l’envahisseur. Ils le font farouchement,

mais perdent cent mille hommes dans l’ultime bataille. Au soir de sa première

victoire, l’Empereur Asoka contemple l’immense charnier du champ de bataille.

En déclenchant cette guerre il ne pouvait imaginer quelle serait tellement atroce.

Le dégoût amène le doute, le doute introduit des pensées profondes. A l’issue

d’une nuit de réflexion, il prend la décision de renoncer désormais à

annexer les pays qui s’y opposeront. Il déclarera devant son conseil que ; « La

vraie conquête est celle du cœur des

hommes, car la ‘Majesté sacrée’, le Dieu de toutes choses sur terre, désire que

tous les êtres animés, humains et animaux, jouissent de la sécurité, de la

liberté à disposer d’eux-mêmes, de la paix et du bonheur. ». Bien entendu, ses

conseillers lui rétorquent que cela est un vœu impossible à réaliser. Ses parents,

amis et serviteurs, lui expliquent que depuis qu’il est sur terre l’homme utilise

ses connaissances pour détruire et asservir, les animaux autant que ses

semblables ! Cela est dans la nature du fort d’en user pour réduire le faible, et

dans celle du faible d’inventer des

Page 81: Alias Marco-Polo

moyens pour devenir fort à son tour et

user de même. L’homme tue pour manger, mais aussi, souvent, pour

s’amuser. Et parfois, simplement pour

assouvir ses instincts ou perversions. Asoka décide alors d’interdire aux

humains l’usage destructeur de l’intelligence. Pour y parvenir il fonde une

société de neufs sages. Elle est chargée de conserver dans le plus grand secret les

sciences de la nature, passées présente et à venir. Avec le souci de protéger la

planète contre son pire ennemi, l’humanité. Cette société, bien que

demeurée secrète, fut bientôt connue sous le nom des « Neufs Inconnus ».

Chacun des sages qui la composent aurait la responsabilité d’une science et de sa

transmission à son successeur.

Poursuivant des recherches bénéfiques pour les êtres vivants et scellant celles

qui risqueraient de leur nuire. Ils conserveraient ce savoir dans d’étranges

livres virtuels, constamment mis à jour. Les rumeurs circulant sur cette société

leur attribuent par exemple le mystère des eaux du Gange. Des millions de

personnes atteintes des plus épouvantables maladies s’immergent à

longueur d’année dans les Eaux Sacrées, sans pour cela contaminer ceux qui ne

sont pas atteints. Libérations d’énergies inconnues, usage de la psychologie pour

animer des actions contre les pouvoirs ou

Page 82: Alias Marco-Polo

les doctrines. Utiliser la guerre pour lutter

contre la guerre, la terreur pour annihiler les oppressions. Voici quelques une des

manifestations qui leurs sont attribuées.

D’autres, encore existent et existeront, sans que nous puissions en comprendre

les significations exactes. Voilà, jeune écuyer, ce que je connais de la société

des Neufs Inconnus. - Messire, je ne sais si vous m’avez

berné ! Mais point ne vous en garderai rancune. Le conte est plaisant autant

qu’édifiant. Puisque nous avons convenus que je reprendrai mes propres

narrations… lorsque je m’en sentirai dans les dispositions d’esprit requises, vous

l’ouïrez donc, pas plus tard que demain. Pour ce jour d’hui, les fables et poésies

m’ont par trop rebattu les oreilles. Bonne

nuit donc messire Pâquette ! - Holà ! Ho-là, vilain ! Ce ne sont point là

les termes de notre accord. Fais-moi, pour le moins, l’aumône de me rafraîchir

la souvenance du récit. J’y trouverai de quoi patienter jusqu’à ton bon vouloir. Un

contrat reste un contrat, même pour un faquin de ton acabit !

- A votre gré, encore que je vous soupçonne fortement de réclamer, dans

l’unique but d’affirmer votre maîtrise des joutes orales. Baste nous avons encore

un peu de temps de reste. Alors souvenez-vous, Erec, était l’un des

chevaliers du roi Arthur. Jeune adoubé, il

Page 83: Alias Marco-Polo

faisait partie de l’escorte de la reine

Guenièvre. Le chevalier qui commandait ce détachement s’appelait Yder, et était

rude ne cessant de mener dure vie aux

écuyers. Parvenus dans une ville lointaine, ils sont reçus par le seigneur et

sa fille Enide. Les deux preux, l’aguerri et le nouvel admis, tombent pareillement

amoureux de la pucelle. La belle Enide répond avec feu à l’amour qu’Erec lui

confesse, mais Yder prétend s’imposer ne fusse qu’en usant de la préséance due à

sa haute lignée. Dés lors un combat singulier doit les départager, en un

affrontement à l’épée nue. Contre toute attente, c’est le jeune champion qui

triomphe, désarmant son adversaire. Quoique, par grande mansuétude lui

accordant merci. Cet obstacle levé, rien

ne va s’opposer à l’amour des tourtereaux. Erec fait alors sa demande

au père d’Enide, laquelle apporte ses supplications afin que ce dernier y

consente, ce à quoi il finit par se résoudre. Mais Yder est puissant, les

autres chevaliers jaloux de la bonne fortune du jeune vainqueur abondent aux

insinuations du vaincu ; « S’il à choisi l’épée et délaissé la lance, c’est qu’il est

piètre cavalier ». De là à l’accuser de poltronnerie, il n’y à qu’un pas que

franchissent bientôt les détracteurs du jeune chevalier. Pour sauver son honneur

et garder sa prestance aux yeux de sa

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dame, il doit partir en quête d’actes

héroïques. Enide n’accepte pas de rester à filer la laine au château pendant que

son amant part guerroyer, elle

l’accompagnera donc. Erec consent, mais lui interdit de le prévenir de tout danger.

Gageure impossible à tenir pour une femme au cœur empli d’amour. Chaque

fois que survient un risque, elle ne peut se retenir de l’en avertir. Erec en prend

ombrage mais aussi l’habitude. Si bien que la malheureuse, cédant enfin à ses

prières, ne l’informera pas de la venue sur ses arrières d’un fourbe assaillant.

Surprit, son amant perdra la vie dans l’attaque. Le traître n’est autre qu’Yder,

qui enlève Enide et veut la forcer, le jour même des funérailles d’Erec. Alors…

Alors !

Mais brisons-là ! Votre fringale saura patienter jusqu’au prochain épisode. En

vous renouvelant mes vœux de bonne nuitée, sans rancune, messire !

- Oui, cruel compagnon qui n’avez nulle pitié pour ma curiosité. Qu’importe !... je

crois me souvenir qu’Erec se relève de son lit de mort et sauve sa belle ! Je

rongerai mon frein jusqu’à demain vermine. Tâche de ne pas faillir à ta

promesse ou il pourrait bien t’en cuire !

Au gré des récits et des campagnes traversées, notre petite troupe parvint

sur le lieu prévu pour les retrouvailles

Page 85: Alias Marco-Polo

avec les Vénitiens. Revenant de Rome, la

famille Polo et sa suite peuvent se prévaloir du titre et des fonctions

d’envoyés spéciaux du pape. Ils sont en

effet chargés de lettres et de présents destinés à l’empereur Kubilaï.

Toutefois nous prenons tout de suite conscience d’une importante différence.

En lieu et place des cent scientifiques et docteurs théologiens demandés par le

Khan, les Vénitiens ne sont accompagnés que de deux dominicains. Les frères

Nicolo de Vicence et Guillaume de Tripoli. Cette constatation amène Angeot à

hasarder une question. Pour réponse, avec l’assentiment de son père, le jeune

Marco annonce qu’il porte effectivement sur lui l’ampoule d’huile sainte de

Jérusalem. Avec cette relique du Christ et

les compétences de mes compagnons, le Grand Khaân n’aura pas à se plaindre,

nous compensons par la qualité ce que nous avons perdus en quantité.

Religieux et parents m’ont faits bonne figure, mais je reste plutôt circonspect

avec Marco. Bien que sensiblement du même âge que moi, il apparaît

visiblement bien moins aguerri. Lui de son côté affecte de m’ignorer, lors même

que je remarque ses regards dérobés et que l’on - enfin Paquette,

particulièrement - me rapporte les questions nombreuses qu’il ne cesse de

poser à mon sujet.

Page 86: Alias Marco-Polo

Cinq jours sont employés aux derniers

préparatifs et à l’affrètement d’une nef. Quand enfin nous quittons les rivages de

Palestine, c’est pour cingler vers ceux de

la petite Arménie. Hâte bien vaine, car en prenant pied sur

notre lieu de débarquement, nous avons triste communication de l’imminence

d’une guerre. Les hostilités, conduites par le sultan d’Égypte, ont commencées dans

la région que nous projetions de traverser. La rumeur, qui circule comme

le vent, sème crainte et désespoir dans les caravanes qui avaient l’intention de

suivre le même itinéraire que nous. Gagnés par la contagion de la peur, les

deux religieux refusent d’aller plus avant. Ils se joignent avec une farouche

détermination, aux passagers du navire,

qui repart sur Acre. Nous les regardons réembarquer avec des sentiments

mitigés. Après tout cette défection, si elle est déplorée par les marchands vénitiens,

semble plutôt réjouir l’âme de Pâquette et Angeot qui selon toutes apparences

n’apprécient que modérément les serviteurs de l’Église, et ce quelques

soient leur convictions. Après longues consultations des pèlerins qui arrivent

des horizons troublés, nos guides optent pour une continuation du voyage sur les

traces de la première expédition des deux frères Polo, dix ans auparavant20. Avec

toutefois un détour par le Caucase et le

Page 87: Alias Marco-Polo

royaume de Géorgie, très au septentrion

de leur ancienne voie. Durant le temps que nous longeons la Mer intérieure21

pour rejoindre Tâbris22, je prends

conscience que le clan des Polo me considère ni plus ni moins qu’à l’égal d’un

domestique ou d’un valet. Certes sans hostilité, mais tandis que le jeune Marco

affligé d’une constitution fragile bénéficie de tous les égards. Mes compagnons du

départ eux ne semblent pas conscients de cet ostracisme, à moins qu’ils ne

souhaitent tout simplement pas s’impliquer outre mesure.

Après avoir gagné dans les latitudes élevées, nous progressons à présent en

direction presque inverse, vers le détroit d’Hormission, en bordure du Golfe de

Perse. C’est un point de transbordement

très important sur la route des épices, de la soie, et des métaux précieux venus

d’Orient. La ville possède une double localisation, sur la rive du golfe appelée

Insula de Ormis se trouve la citée, construite avec grand art par le

philosophe Hermès. En face, sur l’île de Djarun, l’extension de la ville prend le

nom d’Ormuz. Les marchands y viennent de l’Inde avec leurs nefs, pour apporter

pierres précieuses, perles, draps de soie d’or et de différentes couleurs, dents

d’éléphants, épices et maintes autres marchandises. La rivalité des marchands

entre eux est si vive que les frères Polo,

Page 88: Alias Marco-Polo

malgré leur maîtrise des affaires, n’en

réussissent que de médiocres. Au moment de continuer la progression,

deux alternatives se présentent à notre

choix. Enfin, à celui de Matéo et Nicolo, qui sont les seuls décideurs de

l’entreprise. Poursuivre par mer serait moins éprouvant et plus sur, mais Marco

souffre de violentes nausées dès qu’il met pied à bord. Aussi, pour ne pas lui

imposer cette souffrance, son père et son oncle optent alors pour la voie terrestre.

L’itinéraire choisi passe au sud de la traditionnelle route des caravanes,

passant par les citées et villages de Kerman, Nichapour et Balch.

Pour atteindre le Badasckhan, il faut franchir les monts de Baldasia. Cette

entreprise s’avéra particulièrement

éprouvante pour le jeune Polo, au point d’affecter profondément sa santé. L’accès

en est de passes très étroites, malaisées et abruptes. Les particularités de ces

montagnes consistent en ce qu’elles sont si hautes, qu’un homme les gravissant

depuis le bas dès le matin, le soir n’en verrait pas encore le sommet. Lorsqu’à

force de persévérances et de fatigues nous parvînmes dans la ville de

Badakhshan, Marco était au plus mal. Dans cette contrée parvient nombreux

vêtements et marchandises et partent beaucoup de marchands qui s’en vont

commercer par tout le monde. Les

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habitants eux-mêmes sont en vérité gens

très mesquins et misérables. Ils boivent beaucoup et mangent fort mal.

De la ville part une route vers Bagdad,

passant par Merv, Boukhara et une lointaine mais noble citée qui sera notre

prochain but. Matéo qui est déjà familier des lieux nous explique que ceux qui

vivent en ses murs la nomment Samarchoti. Et aussi que c’est une noble

et grandissime cité dont les habitants sont chrétiens ou sarrasins23.

Nous sommes bien sur pressés d’y parvenir, mais les mois passent et l’état

du fils de Nicolo n’évolue pas vers une amélioration. Il gît allongé le plus clair de

la journée, ventilé par des esclaves et rafraîchi ou nourri à toutes heures du jour

ou de la nuit. Ce sont les servantes de la

famille qui nous concède l’aile ouest du palais qu’elle occupe, qui s’acquittent de

ces taches. La demeure est fort vaste et agréable, notre famille d’accueil est riche

bien que sans ostentation. Une des jeunes filles du maître de maison c’est

attribuée, de son propre chef, le rôle de veiller au bien être du malade. L’œil

exercé de Pâquette ne tarde pas à discerner plus qu’une simple compassion

dans l’empressement de la jouvencelle. Il s’en amuse fort et ne tarde pas à prendre

des paris sur le temps qu’il lui faudra pour parvenir à ses fins et éveiller une

réciprocité chez son protégé. Pour ma

Page 90: Alias Marco-Polo

part je me satisfais des faveurs que

m’accorde Jeanne, la préceptrice de ces jeunes dames. Elle est d’origine franque,

bien que née à Tripoli et enseigne céans

tant le latin que le François, qui est le dialecte de l’Isle de France, ainsi que des

rudiments de la langue employée par les saxons d’Angleterre.

Elle à de l’ouvrage, le propriétaire des lieux ne possède rien moins que quatre

filles. Celui-ci est un notable Syrien, répondant au nom de Youssef Camardaï.

Nous ne le vîmes jamais car il était attaché au service du grand Calife, et

n’en quittait que rarement le service. Onze mois s’étaient ainsi écoulés et la

belle saison, propice aux caravanes et toutes formes de voyages, n’allait plus

tarder, il importait de prendre une

décision. À la cour du conseil qui se tint pour l’occasion, Angeot fit valoir que

reprendre la route avec un jeune homme d’aussi faible constitution que le fils de

Nicolo, constituerait un frein pour la compagnie et un péril pour l’intéressé lui-

même. L’objection fut considérée à sa juste valeur, semblant particulièrement

bien accueillie par Marco, lorsqu’il en fut avisé. Concernant la proposition

subséquente, avancée par Angeot, qui consistait à me faire passer pour l’héritier

Polo le reste du périple, elle obtint, après certaines réticences, l’approbation du

père et de l’oncle du convalescent. Nul ne

Page 91: Alias Marco-Polo

se soucia de me demander mon avis, ce

qui faisait mon affaire car je n’en avais aucun sur le sujet. Je me posais

simplement la question de comprendre

pourquoi il fallait opérer cette substitution. J’aurais, selon mon idée,

aussi bien pu continuer d’être moi-même sans que quiconque ait eu à y redire.

Mais puisque cette résolution rassemblait tous les suffrages, je n’allais pas m’attirer

quelques courroux en élevant une protestation malvenue.

La décision étant considérée comme entendue, nous activâmes les préparatifs

en vue du prochain départ. En temps venu les taches furent réparties dans le

groupe, au mieux des dispositions de chacun. Faisant fi de mes vives réserves,

il me fut donné instruction expresse de

rédiger le journalier de notre progression. Mission comportant l’obligation de relater

tous événements nous concernant peu ou prou, mais avec recommandation de n’y

point omettre précisions détaillées et nom des villes ou provinces traversées. Lors

de nos rencontres je devais pareillement nommer gents et qualités, mais faire

l’impasse sur la teneur des propos confidentiels échangés. Inutile de préciser

que cette dernière restriction emportait d’emblée et seule, mon enthousiaste

adhésion. De nouveau en mouvement, nous

longeons une chaîne de très hautes

Page 92: Alias Marco-Polo

montagnes dont les sommets et les

versants sont couverts de neige. En quelques semaines, nous approchons de

la limite d’une vaste plaine, qui des

contreforts où nous l’observons, s’étend au-delà de l’horizon visible. Les étapes de

ce parcours nous conduisent au séjour en de grandes villes, nommées Kachgar,

puis Khotan. Dans ces régions on trouve abondance de toutes choses. La terre en

est riche, coton, lin, chanvre, aussi bien les grains, l’huile et le vin y poussent

facilement. Au demeurant tous les marchés regorgent des denrées,

semblablement qu’en nos pays. Les gens des villes y vivent de commerce et

exercent tous les métiers. Mais point ne sont hommes d’armes, plutôt vils et

couards. Prompts à escroquer comme à

chaparder sans scrupules. Abuser une confiance est ici considéré à l’égal d’un

divertissement voir même d’un art. Leur jovialité n’est que feinte, destinée à

endormir les méfiances et mieux tromper le chaland.

Nous atteignons les « monts célestes » ou Tian Shan. Les Mongols utilisent par

préférence l’appellation de ‘Soungarie’. L’ensemble montagneux se situe dans la

partie nord d’une immense province nommée Xinjiang24. De cette province

rien d’autre à en dire, nous fûmes heureux d’en atteindre les extrémités.

C’est que nous entrions alors dans cette

Page 93: Alias Marco-Polo

autre province nommée Sin-Kiang, dont

les principales citées en sont Lop et Saciu-Dunhuang.

Au-delà s’étend une très vaste et

inhospitalière étendue désertique. Les animaux qui en peuvent faire la traversée

en supportant une charge, semblent être création infernale par la vilainie de leur

aspect. Ils ont le corps grand, plus que meilleur cheval. Surmonté de deux

bosses et prolongé d’un long cou qui lui-même précède une tête disgracieuse. Je

pense que messire Angeot aura reconnu là l’animal décrit par frère Guillaume et

dont il doutait si fortement de l’existence. Leur réalité s’impose ici aux yeux et

autant aux narines car les mâles de l’espèce, un liquide nauséabond suinte

d’orifices, situés sur la face postérieure

du cou. Cette bête, appelées Camelus, dans les récits anciens, porte ici différents

noms, tous aussi imprononçables25. Pour repoussants que soient leur aspect

comme leurs cris, ces bétails sont d’une surprenante résistance a toutes formes

de tourments. Chaleur, froid intense, faim, soif, fatigue, semblent n’avoir

aucune prise sur eux. En revanche, s’ils peuvent aller fort longtemps c’est à leur

rythme et celui-ci est plutôt lent. Ceux qui les mènent, ne les montent que

rarement, préférant marcher à leurs cotés. Au caravansérail, nous avons pu

échanger nos mules et mulets contre

Page 94: Alias Marco-Polo

deux de ces répugnantes montures. Nos

chevaux sont restés avec le jeune Marco, nous les retrouverons à notre retour gras

et reposés, s’il plait à Dieu de nous voir

revenir. La région que nous entreprenons de

traverser est appelée Tsol par les mongols. Bien que la carte, dressée par

Guillaume de Rubrouck, indique « désert tartare de Gobi ». Interrogé la dessus,

notre interprète affirme que le nom en est Gov, le moine n’avait peut-être pas

bien ouï… Quoi qu’il en soit, c’est une immensité parsemée de pierres et de

sable, vide de toute végétation. Bien que nos compagnons de voyage affirment que

nous soyons dans la saison la plus favorable, le climat est terrible. Fouetté

par des vents puissants, la température

est fournaise le jour et glace la nuit. Des animaux sauvages peuplent cette nature

inhospitalière, léopards et ours y sont redoutables. Fort heureusement nous ne

faisons que longer ce dangereux territoire. Exercice déjà suffisamment

éprouvant, pour que nous aspirions à en sortir le plus promptement que cela ce

puisse. En débouchant de cette épreuve, nous

atteignons un campement de nomades Tatars installés sur les bords d’un fleuve

qu’ils nomment Itrich. Nos guides prétendent que ces gens sont des

ressortissants de la tribu des Oïrats.

Page 95: Alias Marco-Polo

Vassale des mongols ‘Dzoungars’, dont le

nom signifie « aile gauche ». Par le fait, ces gens ne sont pas sur leurs territoires

traditionnels et ils manifestent une vive

agitation en nous voyant parvenir. Les femmes sont toutes employées au

démontage de leurs habitations mobiles. Celles-ci, nommées « yourtes », sont

faites d’une armature de perches en bois sur laquelle ils tendent des peaux. Le poil

tourné vers l’intérieur, de sorte que l’apparence vue de loin en est blanche.

Les feux sont tous couverts et nous n’obtenons pas même le thé de

l’hospitalité. Notre itinéraire à présent, s’infléchi en

direction d’une autre aride contrée, située sur le domaine des mongols Ouighour.

Eux même appellent la région

Täklimakan, ce qui signifierait « Mer de la mort ». Nous craignons le pire, après ce

que nous venons d’endurer dans les jours qui précédaient. Pour nos guides, ce nom

signifie tout simplement « Si tu entre, point ne ressortiras vivant. ». D’après

leurs connaissances, il n’y existe aucune forme de vie, pas même lézards ou

scorpions. A notre vif et grand soulagement notre orientation paraît

s’infléchir. Par l’observation de nos guides, je suis aussi parvenu à me

repérer en suivant notre progression par des repères sur la constellation de la

‘Grande Ourse’.

Page 96: Alias Marco-Polo

J’apprends que le cap est mis sur la noble

citée de Camull, qui fut jadis royaume dans la grande province de Tangut,

pourtant placée de telle malfaçon, entre

deux épouvantables déserts. On y trouve, malgré cela, nombreuse villes et villages.

D’un côté est le très grand désert de Lop, dont je vous ai déjà parlé, et de l’autre

un petit désert de trois journées avant d’atteindre le Täklimakan.

Les gens d’ici vivent des fruits de la terre, suffisamment car ils ont quantité de

choses à manger et à boire. Tant pour eux-mêmes que pour donner et vendre

aux voyageurs qui passent par là et aussi pour les marchands qui en emportent en

d’autres lieux éloignés. Même la vigne y croît en profusion. Mais pour arriver à ces

aimables lieux de repos, nous avons dû

affronter plus de trente journées de privations, en ces déserts que je vous ai

dits. Dans ces régions soumises à chaleurs

extrêmes durant l’été, on y peut observer encore deux choses singulières. L’une

c’est que les pâturages sont brûlés, comme si le feu y avait passé. L’autre,

c’est qu’il s’y élève, surtout le soir et le matin, certaines vapeurs excitées par

l’inflammation du sol. Ces vapeurs en couvrent la face de telle sorte qu’on ne

découvre pas à cinquante pas de soi, et qu’on croit voir la mer ou quelque grande

étendue d’eau.

Page 97: Alias Marco-Polo

Laissant ces prodiges, dont nous finissons

par nous lasser, nous approchons de notre prochaine étape qui est à présent la

ville de Jachion, aussi appelée Saciu, et

qui appartient au Grand Khaân. Quand nous l’aurons atteinte une route nous

mènera jusqu’aux abords de l’Iuguristan.

Page 98: Alias Marco-Polo

Chapitre V. Sorghatani Beki

C’est une vaste province de l’empire,

ayant capitale du nom de Sugur. Dans cette province les habitants sont

idolâtres. Très versés dans leurs lois et coutumes, en toutes occasions ils

étudient les arts libéraux. Pâquette est déjà venu en cette contrée, il en garde

souvenance qu’ils se réclament au principal d’une religion fondée au

troisième siècle après la naissance de notre sauveur Jésus-Christ, par un

mésopotamien du nom de Mani.

Piqué au vif dans la curiosité qui est le moindre trait de mon caractère, je

manifestais l’intention d’avoir conversation avec des échevins. Car dans

la volonté qu’ils ont de vouloir entendre les doléances de leurs concitoyens, ils

tiennent porte et table ouverte. Faute de m’en être ouvert à mes compagnons, ma

démarche n’était connue que du seul Zarghal, le traducteur qui m’octroie ses

services en chaque occasion. Sur mon insistance il s’ouvrit aux notables de ma

volonté à être instruit des mystères de leur philosophie. Les vieillards intrigués

chuchotèrent entre eux, m’accordant de

fréquents regards. Déçu, je décidais de couper cours à leur

suspicion en quittant la salle de délibération. Pour me signifier d’avoir à

Page 99: Alias Marco-Polo

réfréner mon impatience, Zarghal ne

trouva d’autres moyens que d’agripper la manche de mon habit. De fait, un vieux

d’apparence crasseuse et négligée, se

levait dans l’intention de gagner la sortie. Ce faisant, il du passer devant nous, mais

tout trottinant le patriarche sorti de la pièce, sans même nous accorder un

regard. Derechef à l’instigation de mon guide, nous lui emboîtons le pas. Nous

traversons ainsi, les uns suivant l’autre, une place encombrée avant de pénétrer

dans une masure sombre et enfumée. Des salons aux sols couverts de tapis et

meublés uniquement de coussins s’alignent en enfilades, séparés par des

corridors étroits. Lorsque mes yeux se furent accoutumés à la pénombre, je pu

distinguer des formes allongées. Les gens

qui gisaient là ne prêtaient aucune attention à notre intrusion, semblant

dormir ou occupés à exhaler de minces volutes de fumée qu’ils aspiraient à

travers un fin tuyau, terminé par une coupelle. Cet étrange fourneau servait à

consumer une pate à l’odeur entêtante. D’une pression, Zarghal me fit

comprendre qu’il fallait mettre fin à ma discourtoise inspection, pour rejoindre

notre Guide parvenu déjà dans une vaste cours intérieure pavée de marbre blanc.

Ébloui par la vive clarté ambiante, je ne distinguais d’abord que le bassin central

entourant une claire fontaine d’où un

Page 100: Alias Marco-Polo

mince rideau d’eau murmurante coulait

sans interruption. Dans un angle protégé d’une tonnelle de

verdure, trois hommes se tenaient

accroupis à la mode orientale, assis sur les talons de leurs jambes croisées. Vêtus

d’amples habits faits d’une étoffe blanche très fine, tous arboraient des moustaches

longues et tombantes. L’insolite résidait en ce quelles se terminaient en pointes,

avec une perle de couleur pour en orner l’extrémité. Du geste ils nous invitèrent à

prendre place devant eux, le vétéran qui nous avait introduits s’inclina de la tête et

du buste, puis sans prononcer un mot reparti vers ses occupations. Nul siège ne

nous étant proposés, nous dûmes nous résoudre à les imiter et adopter leur

posture, inconfortable au possible pour

qui n’est point né sous ces climats. Le personnage central du trio nous faisant

face prononça un flot de paroles, tout en égrenant un chapelet. Comme il

accompagnait sa litanie de vigoureux hochements de tête, j’en conçu quelques

vagues inquiétudes. Mais Zarghal, beaucoup plus à son aise semblait-il,

m’informa qu’il s’agissait de simples formules de politesse. L’interprète prit à

son tour la parole, hélas pour se livrer aux mêmes salutations et bénédictions

interminables. Saisi de crampes je m’agitais pour rendre ma position plus

supportable. Ce faisant, tout à mon

Page 101: Alias Marco-Polo

occupation, je ne prêtais plus aucune

attention au déroulement de la rencontre. Le bruit de l’eau dans la vasque me fit

brusquement comprendre que personne

ne parlait plus. Surpris je levais les yeux, juste le temps de prendre conscience des

quatre regards fixés sur moi. Gêné, je toussotais derechef en murmurant

« amen », à tout hasard. Le rire qui s’empara de mes voisins n’était pas à

mon avantage mais il eut celui de détendre l’atmosphère, de façon

perceptible. C’était à présent le sage placé sur le côté droit qui reprenait la

conversation. Celui-là était gras, contrairement aux deux autres paraissant

de plus frêle constitution. L’homme parlait vite, ne s’interrompant que pour

solliciter l’avis de ces commensaux ou

pour siroter une petite tasse remplie d’un liquide ambré, qu’un serviteur renouvelait

dès que l’on avait trempé ses lèvres dans le liquide chaud et sucré. Lorsqu’il se tu,

Zarghal commença à traduire ses propos. Oubliant l’inconfort de ma position, je

m’efforçais de ne rien laisser transparaître de mes sentiments. La

maîtrise de soit, donc de ses émotions, étant en ces régions une vertu capitale.

Les boissons de la décoction évoquée plus haut sont étrangement prisées des

sarrasins. Le service en fut renouvelé à trois reprises, accompagné de pâtisseries

dégoulinantes de miel. Je vous rapporte

Page 102: Alias Marco-Polo

ici les paroles qui me furent adressées en

réponse à mon attente. Il s’agit d’une parabole, à la manière qu’affectionnent

les orientaux. Pour mon avis, les disciples

de cette doctrine sont gens bien prodigieux, si vous avez patience d’en

faire la lecture, vous pourrez en juger car je vous rapporte ci-dessous la synthèse

de ce long récit, aussi ardu qu’un prêche en carême ;

- Un jour, les esprits des ténèbres voulurent conquérir le royaume de la

lumière. Parvenus jusqu’à sa frontière ils commandèrent l’assaut. Mais ils ne

purent rien contre les esprits du royaume de la lumière. Ceux-ci, courroucés prirent

en représailles une partie de leur lumière intemporelle et la mêlèrent au royaume

matériel des ténèbres. Par ce mélange, il

y eut comme un levain une sorte de substance provoquant la fermentation,

qui plongea le royaume des ténèbres dans une danse chaotique et

tourbillonnante. Par quoi il reçut un nouvel élément, à savoir ; la mort ! Cela

se produisit tant et si bien, que depuis lors le royaume des ténèbres se consume

constamment lui-même portant ainsi en son sein le germe de son propre

anéantissement… La pensée profonde qui réside dans ce récit est que le royaume

des ténèbres doit être dominé par le royaume de la lumière. Non en

s’opposant au mal, mais en se mêlant à

Page 103: Alias Marco-Polo

lui. Non par le châtiment mais par la

douceur afin de rédimer le mal en tant que tel. Car le fondement du

Manichéisme, consiste à diviser l’univers

en deux parties bien différenciées et inconciliables. D’un coté le bien, qui est

royaume de la lumière. De l’autre le mal, qui est royaume des ténèbres. Selon la

doctrine enseignée par Mani, le bien et le mal, la lumière et les ténèbres,

coexistaient sans jamais se mêler. Du conflit de leur rencontre naquit l’homme,

assimilé au levain destructeur. Son esprit appartient au royaume de la lumière et

son corps qui est matière, appartient au royaume des ténèbres. C’est cette lutte

perpétuelle entre le bien et le mal qui fait le fondement du manichéisme… Pour

qu’un homme puisse une fois sa mort

arrivée atteindre le royaume de lumière, il faut qu’il abandonne tout ce qui est

matériel. La mort n’est plus un processus destructif mais au contraire un processus

d’élévation suprême. Elle est assimilée à une sorte d’eucharistie.

Dès que Zarghal termina sa traduction, il ferma la bouche mais conserva les yeux

fixés sur moi. Les trois autres personnages me gratifiaient de la même

attention. Tous semblaient attendre ma réaction.

Ma part de lumière était certes captivée, mais la matière, celle dont était pétri mon

corps physique, l’emporta par la crampe

Page 104: Alias Marco-Polo

que je ressentais dans mes membres

inférieurs. Avec une grimace de douleur mal réprimée je pris congé de mes

pédagogues en une précipitation peu

protocolaire. Ils durent vraisemblablement et très faussement en

tirer la conclusion que je n’étais pas ouvert, ou pire, que je désapprouvais leur

enseignement. En boitant bas lors de notre retraite, j’espérais leur faire

comprendre les causes réelles de mes expressions faciales impertinentes.

J’aurais préférablement dû leur en fournir l’explication de vive voix, mais pressé

d’aller me dégourdir les jambes autant que m’aérer l’esprit, je m’en dispensais.

Zarghal se chargerait sur mon invite de les gratifier d’une légère obole, pour titre

de remerciements. Je résolu, pour ma

part que l’on ne me reprendrait plus dorénavant à chercher le percement de

philosophies aussi ésotériques.

Lorsque plus tard je fis aux frères Polo la relation de cette entrevue, ils haussèrent

les épaules en levant les yeux au ciel. Nicolo s’exclama que la religion de Mani

n’était qu’un syncrétisme inspiré du zoroastrisme, du bouddhisme et du

christianisme, en ajoutant, avec conviction, que ces derniers la

combattaient avec véhémence. Mattéo ajouta que la philosophie du manichéisme

consiste en une grande saga cosmique,

Page 105: Alias Marco-Polo

une légende de nature suprasensible,

relevant pour l’homme d’une sorte de transsubstantiation en passant par la

formidable coruscation de la mort...

Peu soucier d’en entendre d’avantage sur le sujet, j’abondais dans leurs

sentiments, sans plus faire état de ma préférence pour telle ou telle option.

A présent tout un chacun est affairé aux préparatifs du départ. Nous allons

continuer notre progression en direction de la province voisine. Ce n’est pas une

mince affaire car le parcours en est semé d’embûches. Quand on veut, comme cela

est notre intention, se rendre en la province de Thinghin-Talas, il faut se

garder d’un petit désert. Nos guides se fient pour cela aux constellations de la

Tramontane et de la Grande Ourse. Nous

traversons des terres ou viennent du blé et de très bonnes vignes. Pour autant,

selon l’avis unanimes de nos compagnons de route aussi bien que des gens de la

région, durant les longs hivers, le froid est ici plus cruel qu’en aucune autre

partie du monde connu. Le chemin que nous suivons traverse le

Tangut, qui est pays de chrétiens. En est roi un descendant de la lignée du Prêtre

Jean. Son nom est Georges et vous devez savoir qu’il est prêtre, chrétien comme

sont tels pour la plus grande part, les gens de ce pays.

Page 106: Alias Marco-Polo

Lorsqu’enfin nous parvenons en l’enceinte

de Sinacinus, nous apprenons qu’en cette citée se tiennent de nombreux métiers.

Notamment ceux de fournitures et

harnois nécessaires pour les armées. Cette spécialisation se révèle bien au

goût de notre ami Angeot Colombus, qui ne perd jamais de vue son art et ceux qui

l’exercent. Sous sa conduite, messires Nicolo et Mattéo font l’acquisition de

certaines pièces. Leurs usages, aux regards de ceux qui ne sont point versés

dans les techniques propres aux engins de guerre actuels, n’en apparaît pas

évident. Tel n’est pas mon cas, ma curiosité demeure de ce fait bien vive et

ma cervelle en est toute encombrée. A quoi vont donc servir tous ces

équipements ? Les confidences

antérieures d’Angeot me reviennent en mémoire... Notre ambassade, il est

prouvé, n’est pas que de simple et pacifique négoce.

Cette évidence s’impose brusquement, alors que nous allons entamer une étape

qui doit nous mener à Ciagannor. Ce lieu qui veut dire « Bassin blanc » possède un

très grand et beau palais. C’est celui ou habite le grand Khan quand il vient dans

cette province. Nous n’y feront qu’un court séjour car

nous devons atteindre au plus vite la ville de Changtou, qui est la résidence d’été de

l’empereur. L’empereur ! L’empereur de

Page 107: Alias Marco-Polo

quoi au fait ? J’ai les oreilles rebattues de

mots étranges Khaân, khan, Mongols, Tatars, tartares… Sans parler des noms

de familles de lieux ou de clans. Comme

je m’ouvrais à mes compagnons de cet embarras, Angeot très satisfait d’étaler

ses connaissances, tint absolument à me les faire partager.

- Vois-tu, ‘Tatar’ n’est rien d’autre que le nom d’un peuple turc, ancien, qui fut

écrasé par Gengis Khan en 1202. Constatant qu’ils étaient particulièrement

féroces, ce fin stratège les avait placés à l’avant de ses armées lors de ses

conquêtes. C’est ce nom de ‘Tatars’ qui fut déformé en ‘Tartares’. Mot qui existait

dans la mythologie Grecque, et repris par commodité, pour signifier l’ensemble des

peuplades ‘barbares’. Ce dernier nom à

son tour, provenant tout directement de celui que les Sarrasins utilisent pour

désigner tous ceux qui ne sont pas de leur race, tels les Berbères. Le peuple

Tatar se mélange petit à petit aux populations des territoires envahis, mais

en conservant sa confession musulmane d’origine. Tu l’as déjà entendu à maints

reprises dans leur bouche, les frères Polo ne cessent de répéter que nous profitons

de la « Pax mongolica ». Que c’est grâce à elle si nous pouvons sillonner ces

contrées autrefois strictement interdites aux étrangers et dangereuses, même

pour ses propres habitants. Pour t’éclairer

Page 108: Alias Marco-Polo

parfaitement sur nos hôtes, je dois

t’entretenir de cette réalité historique que les Mongols commencèrent par écraser la

dynastie Jin qui régnait sur Cathay. Puis

continuèrent par celle des Song, qui leur avaient opposés une résistance longue et

acharnée26. Guillaume de Rubroek, particulièrement versé dans les études de

ces gens, affirme que Kubilaï Khan en établissant la dynastie Yuan, permit à un

petit peuple nomade de s’emparer de toutes les terres qu’il pouvait contempler.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, tout était parti d’un obscur chef de clan

nommé Temüdjin. Bien que de bonne famille, sa naissance ne le plaça pas

d’emblée dans la classe des hauts dirigeants de la société mongole.

Pourtant, par son charisme il réussit à

obtenir amitiés et alliances. Une série de victoires sur les Merhits, un peuple voisin,

lui valurent d’être proclamé Khan, c'est-à-dire « Souverain », par une assemblée

de chefs de clan. Continuant ses succès militaires, une seconde assemblée le

nomma Tchingis Qaghan, ce qui signifie « Souverain universel », ou plus

exactement « Souverain océanique ». Ce titre de Tchingis Qaghan, mal restitué

deviendra pour nous occidentaux, Gengis Khan. A cette époque Temüdjin ne

contrôlait que quelques hordes réparties autour de la Mongolie. A sa mort en

1227, une infinité de peuples, parmi les

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plus importants et parfois très éloignés,

se soumirent préférant s’allier que courir le risque d’une attaque aboutissant dans

la plupart des cas à un anéantissement

pur et simple. Durant trois décades, ses trois successeurs seront diplomates et

guerriers habiles, capables de faire d’un petit peuple, comptant à peine quelques

centaines de milliers de personnes, les maîtres du plus grand empire que le

monde ait jamais compté. Car voici peu d’années, les Mongols étendirent avec

beaucoup de succès leurs conquêtes, jusque aux portes de nos chrétientés.

Dieu seul sait ou ils se seraient arrêtés, si, par une divine et providentielle

intervention, leur Khan n’était venu à mourir. Les chefs de guerre mongols

avaient alors jugés préférable de

retourner dans leurs fiefs pour y conférer de la succession. Reprenant leurs

habitudes de se battre entre eux, ils abandonneront leurs idées d’invasions.

Nos royaumes pouvaient respirer et tirer les leçons de l’aventure. Les cours

d’Europe déployèrent alors une intense activité diplomatique. Notre ambassade

s’inscrit précisément dans ce contexte, nous allons aider les Mongols dans

l’établissement et la consolidation de leur fameuse « Pax mongolica ».

Page 110: Alias Marco-Polo

- Selon vous, messires, comment de si

extraordinaires succès se peuvent-ils produire ?

- Diantre, ils se peuvent expliquer en

suffisance par ce que nous en avons pu examiner. Sais-tu que, selon leur religion

et leur culture, un seul peuple, un seul souverain doit diriger le monde terrestre,

comme un seul Dieu domine les cieux. Eh bien, ils ont tout bonnement dans l’idée

d’être ce peuple là. D’abord il importe de considérer que ce sont des hommes

petits de taille mais dotés d’une grande force physique et mentale. Façonnés par

la rudesse de leur environnement, habitués à endurer le froid, la faim et les

souffrances de toutes natures. Observons aussi qu’ils ne se rendent

jamais, combattant jusqu’à la mort tant

ils sont disciplinés et dévoués à leurs chefs. Leurs généraux sont tacticiens,

habiles et rusés. Mais en première qualité, je dirais qu’ils sont de

remarquables cavaliers, apprenant la monte et l’usage de l’arc dès leur bas

âge. Ce sont eux qui surent le mieux utiliser comme une véritable arme de

guerre la terreur qu’ils inspirent. Aucun merci pour ceux qui leurs opposent

résistance, tuant hommes, femmes, enfants, chevaux, bétails, jusqu’aux

chiens et aux chats. En contrepartie, ils traitent avec beaucoup de civilité les

peuples qui se soumettent sans

Page 111: Alias Marco-Polo

combattre. Recrutant de bons

administrateurs parmi ceux-ci, leur accordant confiance. Favorisant le

commerce entre régions par la création

d’infrastructures et des réductions de taxes. Dans les territoires conquis règne

la paix, par la réprimande qu’ils opposent a toutes rivalités de tribus ainsi qu’en

pourchassant les malfaiteurs de tout ordre. C’est de ces bienfaits que nous

profitons actuellement, mon petit Gihlem. Sur ce point, les frères Polo ont

diantrement raison. Il existe encore d’autres facteurs qu’il faut porter au

crédit de ceux que, bien injustement, nous appelons barbares. Ils ne viennent

pas tous en tête mais voyons déjà… Essaie de me montrer un royaume ou une

contrée pratiquant ou appliquant les

principes intangibles qui sont les leurs. Une justice, qui est la même pour les

puissants et pour les humbles. La sollicitude envers les démunis par le

partage des richesses communes. La tolérance absolue envers toutes les

religions, le rejet de toutes formes de racisme, le respect des langues et

coutumes pratiqués par les peuples conquis ! En raison de leur nature de

nomades -frustes- les Mongols préfèrent les traditions populaires, ailleurs refoulée

par les lettrés et les nantis dont la culture est essentiellement élitaire. Ils prônent

en institution la promotion des bases

Page 112: Alias Marco-Polo

classes sociales, aurais-tu déjà vu, ou

même simplement entendu parler d’une telle politique, chez nous ou ailleurs ?

- Fichtre non ! On croirait tout cela tiré de

quelque Saint Évangile… Mais je vois venir messire Matéo, nous n’allons pas

tarder à prendre le départ pour Changdu. - Où Changtou, car ainsi que cela ne t’as

point échappé, il est fréquent que les citées possédassent nombreuses façons

d’en écrire le nom. Ici, indiquée ‘Ciandu’, sur les anciennes cartes portugaises.

Orthographiée ‘Chiancha’, selon la transcription faite par les moines

précurseurs. Il n’en demeure pas moins que c’est en tous points une très noble et

grandissime cité, où se trouvent de fabuleux jardins recelant tous les fruits

qu’homme puisse souhaiter.

Quand nous y parvenons, nous sommes émerveillés, le palais est d’une

magnificence qui dépasse grandement les plus agréables constructions Turques ou

Ottomanes. Hélas le grand Khan ne s’y trouve point présent. La reine mère,

Sorghatani Beki, nous reçoit avec grand faste et tous les honneurs d’une

délégation princière. Selon messires Nicolo et Matéo, la mère de Kubilaï, belle-

fille de Gengis Khan est la plus vénérée et renommée des Mongols. Toujours d’après

leurs dires, un érudit, physicien Persan

Page 113: Alias Marco-Polo

aurait écrit « Si je voyais parmi la race

des femmes une autre aussi remarquable que celle-là, je dirais que la race des

femmes est supérieure à la race des

hommes ». Matéo précisa que, pour ce qui le concernait, le plus grand crédit à

porter aux exploits de Beki, fut de prendre très tôt conscience des

problèmes que les Mongols rencontreraient en dirigeant un empire

couvrant plusieurs continents, peuplés par des populations vivant sous des

climats et des discernements très différents. Nous l’avions lancé sur un

sujet qui le passionnait, nous dûmes ouïr son plaidoyer ; « Bien qu’illettrée, elle

éleva elle même ses quatre fils, qu’elle prépara tous pareillement à devenir de

futurs empereurs. Veillant avec un soin

particulier à ce qu’ils apprennent les principales langues utilisées par leurs

peuples. Mais plus encore, ne se bornant pas à ce simple rôle, elle imposa que les

gens autour d’elle reçoivent une éducation portant sur toutes les religions

admises dans l’empire. Tous y furent astreints, depuis les plus humbles

serviteurs jusqu’aux nobles de sa famille. Ensuite elle envoya des personnages de

haut rang ou remarqués parmi les servants, afin qu’ils deviennent membres

du clergé dans toutes les régions gouvernées. La tolérance religieuse est

dûment prévue par la loi, qui précise que

Page 114: Alias Marco-Polo

toutes les confessions doivent êtres

équitablement soutenues, dans l’ensemble de l’empire. Ces sages

dispositions ne sont pas de simple équité,

elles permettent d’éliminer une source potentielle de conflits, à partir de laquelle

une résistance à l’autorité conquérante trouverait des appuis pour se développer.

D’un point de vue politique, la reine Beki apporta une inestimable contribution à

son peuple, en percevant rapidement qu’une exploitation des pays gouvernés,

si elle restait cantonnée au seul aspect économique, causerait des dommages

pouvant s’avérer d’un extrême préjudice. En conséquence, plutôt que de

transformer les territoires conquis en pâturages pour les troupeaux mongols,

elle fit en sorte de maintenir les

structures sociales et économiques déjà en place. L’intelligence des mesures qui

furent édictées sous son autorité, aboutirent dans toutes les régions

tombées sous le contrôle de son administration, à un accroissement

sensible des richesses et des productions de toutes natures. Cet enrichissement,

par contrecoup autorisa dans d’énormes proportions l’augmentation des taxes et

des tributs prélevés. Ce support économique, s’ajoutant à la

tolérance religieuse et au degré d’alphabétisation élevé, sont les progrès

qui permettent à ce petit peuple des

Page 115: Alias Marco-Polo

steppes, de diriger un immense empire.

Chacun de ses fils suit la même gouvernance éclairée, assurant la

continuité et la stabilité ».

Cet argumentaire, peut ordinaire chez le

taciturne marchand, m’apparaissait surtout révélateur de la haute estime en

laquelle les vénitiens tenaient cette Reine. Par ailleurs, la réception et les

fêtes données en notre honneur, portaient témoignage que cette très noble

dame ne payait point d’ingratitude cette admiration.

Cinq des huit femmes du khan sont au palais, formant la compagnie royale.

Tandis que la principale épouse Chabui Khatun, fille du frère de Börte la première

épouse de Gengis Khan, ainsi que la

favorite Nambui Hüshijin, fille de Wang Sim roi d’un pays lointain27 situé très au

levant, sont restées avec l’empereur. Neuf des onze fils légitimes de Kubilaï,

ainsi que ses sept filles, sont aussi avec leurs mères. Toutes les princesses, même

très jeunes, sont mariées ou promises. Elles attendent auprès de leurs mères

d’avoir atteint l’âge requis pour les épousailles. Il en est de même pour les

princesses née de mères inconnues. Elles sont cinq, toutes pourvues d’un futur

mari… Toutes, à l’exception d’une seule, dont le nom est Bekhchin.

Page 116: Alias Marco-Polo

Le destin de cette fille est remarquable en

ceci qu’elle manifesta très jeune une irrésistible inclination vers les armes et

les activités plus généralement réservées

aux hommes. La nature l’ayant dotée d’une constitution d’apparence frêle mais

d’un arrangement qui recelait une grande robustesse ainsi qu’une endurance,

supérieure à la moyenne de ses frères. Ces dispositions se révélant en se

renforçant au fil des ans, parvinrent à la connaissance de son père. Loin d’en

prendre ombrage, il donna instruction à ce que l’on ne mit point obstacle aux

volontés de sa fille. Cavalière émérite, elle usait de l’arc de la lance et de l’épée,

au point de décourager ceux qui avaient volonté de l’affronter.

Si l’on considère les façons de guerroyer

affectionnées par les gens de la steppe, sa sveltesse constituerait plutôt un

avantage. Leur armée est presque exclusivement composée d’archers à

cheval, équipés d’arcs courts et d’épées, courtes aussi, légères et recourbées. Je

vous ai à maintes reprises assuré que les Mongols sont des cavaliers hors-pair,

utilisant un petit cheval rustique, sobre et endurant. Il faut s’imaginer que c’est un

peuple qui lorsqu’il se bat, sait qu’il peut disparaître tout entier s’il perd la bataille.

De ce fait chez eux, tout homme libre devient guerrier dès son plus jeune âge.

Comme tel, il se doit d’avoir en

Page 117: Alias Marco-Polo

permanence quatre chevaux à sa

disposition, de maintenir ses armes en bon état et de conserver des vivres, dont

il puisse disposer immédiatement, en cas

de départ en campagne. Leurs généraux, n’ayant souvent que peu

de guerriers disponibles, se montrent fort soucieux d’en économiser les vies. Au

combat ils s’emploient principalement à éviter un contournement par l’ennemi.

Pour tenter d’échapper à cette menace, ils ont coutume d’appuyer leurs lignes de

cavaliers, d’un coté sur un obstacle naturel, un bois touffu, une colline, une

rivière, et de l’autre sur le campement de leur propre clan. Les femmes, qui

manient aussi bien l’arc que les hommes, défendent le camp et sont parfaitement à

même d’empêcher toutes tentatives de

prise à revers… Messire Nicolo se croyant investi d’une

charge de pédagogue, se faisait un devoir de m’instruire de tous ces faits, un

charivari vint nous distraire avant la fin de l’entretien. Nous étions au deuxième

jour de notre présence, et l’on venait nous informer que de grandes joutes

seraient organisées en notre honneur et pour notre divertissement, dès le

lendemain au petit lever. Nous étions requis d’y assister, tout autant que d’y

concourir. Les frères Polo se réjouissaient d’être marchands et par cet emplois

pacifique se considéraient exempts d’y

Page 118: Alias Marco-Polo

faire participation active. Mais maître

Angeot, tout ventru et chargé d’années qu’il fut, ne se voyait pas ainsi.

Lorsque les hérauts eurent sonnés

l’ouverture des jeux, et qu’il eut assisté aux premiers exercices de lutte, il n’eut

de cesse avant de pouvoir affronter un gaillard Tatar qui lançait force crâneries à

l’assistance, et remportait victoires sur victoires.

La brute courte sur pattes, aussi large que haute, paraissait douée d’une force

colossale. Dans les gradins et sur les prairies, la foule ne se tenait plus de joie,

persuadée que le Franc allait se faire réduire en galette. La rencontre se

disputait au bâton, non ferré. Point d’autres règles, que celle de se tenir a

l’intérieur d’un cercle tracé au sol. Le

vaincu étant celui qui parviendrait à faire sortir son adversaire de ces limites, ou

l’obligerait à demander quartier. J’éprouvais la plus extrême inquiétude

pour mon ami, qui me paraissait quelque peu manquer de pratique. Le Mongol,

hideux à souhait, se léchait les babines, augurant de la joie qu’il allait éprouver en

assommant ce sac de graisse venus d’occident et qui avait la prétentieuse

folie de le provoquer. Les spectateurs étaient tous rangés de son avis et pour

dire vrais, même chez nous, ses amis et soutiens, l’espoir était mince. Nous en

étions réduits à espérer qu’il ne pâtirait

Page 119: Alias Marco-Polo

pas trop de l’aventure. Bien nous en prit

de n’en rien laisser paraître, car c’était sans compter sur les ruses du vieux

roulier. Il nous en fit une démonstration

éclatante. D’emblée, Angeot planta un bout de son gourdin en terre. La tige plia,

sous l’effet cumulé des trois pas d’élans et du poids qui pesait dessus. Le bâton

avait l’épaisseur de mon poignet, pour une longueur dépassant, d’une bonne

tête, un homme grand. Lâchant dans l'instant l’extrémité tenue en main,

Angeot laissa la physique appliquer sa loi. Le gourdin se détendit comme un ressort

et vint frapper le guerrier en pleine face. Celui-ci, coi, se bornait à observer les

agissements de son adversaire. La violence du choc aurait suffit à assommer

n’importe quel autre combattant. Le Tatar

était un monolithe d’une rare stabilité, il tituba et fit simplement deux pas en

arrière pour rétablir son assise compromise. C’était là un résultat bien

suffisant pour messire Colombus qui, tête baissée, vint percuter la masse déjà

ébranlée. Le recul du colosse s’en augmenta de deux pas supplémentaires.

Le bénéfice en fut, de lui faire outrepasser la ligne du cercle.

Éberlué, le fils des steppes ne prit véritablement conscience de sa défaite,

qu’après qu’il eut été entraîné par ses compagnons d’arme. L’assistance était

grandement déçue par la rapidité du

Page 120: Alias Marco-Polo

combat, beaucoup n’avaient pas eu

même le temps de se rendre compte de l’action. Le fait que le visiteur étranger

l’ait emporté sur l’enfant du pays

contribuait pour une large part à la vindicte populaire. On criait revanche, on

hurlait « encore ! » Le divertissement prenait des allures d’affrontement.

C’est alors que Bekhchin, la femme-guerrière, s’avança sur le pré pour lancer

un défi. Nous pûmes comprendre qu’il nous était spécifiquement adressé,

lorsqu’elle répéta sa diatribe à notre intention ; « Existe-t-il parmi vous, un

homme assez brave pour se mesurer avec une dame Mongole… En un combat

loyal et singulier. » Pâquette fut le premier à réagir.

- Mort-Dieu, elle parle notre langue !

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Page 122: Alias Marco-Polo

Chapitre VI. Bekhchin.

Les vociférations de la foule s’apaisèrent,

progressivement laissant place à un silence, chargé d’attente. Assis sur les

gradins, je pris soudainement conscience que tous les regards étaient tournés dans

ma direction. Assurément il ne laissait pas de doutes que toutes les personnes

ici présentes attendaient, de ma part, une fière réplique à cette provocation. Nul

autour de moi ne manifestant des velléités combatives, j’en conclu

logiquement bien que sans joie, qu’il

m’appartenait de faire roide réponse. Le coude de messire Matéo qui me bourrait

les côtes de petits coups secs et répétés, confirma s’il en était besoin, cette

impression pour la transformer en certitude.

J’étais, dans ce temps, absorbé par l’examen de la péronnelle. Mince et petite

de taille, on l’aurait plus volontiers imaginée en rêveuse et douce

promeneuse, qu’en furie combattante. Las, ces considérations ne sont plus de

mises, l’action doit primer la réflexion. C’est à l’évidence un avis largement

partagé par mon entourage. Avant d’avoir

eu le loisir de faire connaître mon choix, à supposer qu’il m’en resta un, des bras

robustes me saisissent pour ne me décramponner que lorsque je me trouvais

Page 123: Alias Marco-Polo

à moins d’un jet de pierre de ma future

adversaire. Ses longs cheveux noirs serrés sur la nuque, elle n’était vêtue que

d’une courte tunique fermée entre les

jambes et serrée au dessous des genoux. Sur son torse, une sorte de courte veste

en toile renforcée de bandes en cuir bouilli constituait sa seule protection.

D’ailleurs elle ne tarda pas à m’expliquer que nous ne nous affronterons pas en un

combat corps à corps, mais en une joute traditionnelle dont elle se faisait une joie

de m’expliquer les règles et interdits. - Nous allons gagner, en tenant nos

chevaux par la bride, le centre de cette prairie. Comme tu peux le constater, une

lance et deux fanions y son plantés. Tu prendras le fanion rouge, sautera en selle

et galopera droit vers le coté du levant.

Je me saisirai du blanc et ferai de même mais à l’opposée, vers le couchant. Nos

cibles sont ces splendides lions des montagnes qui nous attendent, attaché à

un pieu. Nous devons tuer chacun le notre, mais n’avons qu’une seule flèche

et un poignard pour ce faire. Notre fanion sera planté en lieux et place de l’animal

que nous devons emporter… mort de préférence. Il ne nous restera plus dés

lors que de revenir le déposer, devant le fanion de l’adversaire. Le mien blanc, va

constituer de la sorte ton but. Et le rouge que tu auras laissé, sera devenu le mien.

Page 124: Alias Marco-Polo

Au passage lors du retour, le premier

arrivé s’emparera de la lance laissée au centre, sur le point de départ. Elle lui

permettra d’écarter son adversaire et,

pour le cas ou celui-ci n’y serait pas parvenu, d’occire le fauve survivant. Le

premier qui parviendra au terme du parcours à déposer son lion devant le

fanion de son adversaire, sera déclaré vainqueur. Mes explications te

conviennent-elles ou souhaite tu davantage de précisions ?

-J'ai saisi pour l'essentiel, cela ne souffrira pas d'y revenir. Pourtant je ne

considère pas ce concours comme d'égales chances. Tu connais ton cheval

et est coutumière de ce genre de chasse. Voila qui n'est pas mon cas, loin s'en

faut. Je me considère chargé d'une peine

qui rend le duel non équitable. -Il est de fait que cela est une vérité non

contestable. Je te propose de bénéficier de deux faveurs, pour rétablir l'équilibre.

D'abord tu recevras deux flèches, ensuite, tandis que je serai encore au sol,

toi tu partiras déjà en selle au moment du départ. De cette manière je pense que

mon avantage devrait être effacé. Qu'en penses-tu ?

-Rien de bon, pour être honnête. Mais à Dieu vat ! Que le sort et notre habileté en

décident. Ah ! Une simple question, quel est la récompense du vainqueur ?

Page 125: Alias Marco-Polo

- Le mérite de sa vaillance seul, par

contre le perdant sera décapité ! Non je badine, son déplaisir suffira bien à le

morfondre.

En rejoignant les chevaux tenus par un

écuyer, je ne nourri pas grandes espérances. Même pas de selle, une

simple peau tannée, ces petits chevaux, nerveux comme des puces ne m'inspirent

qu'une confiance mitigée. Celui que l'on m'a confié présente les apparences d'un

animal bien traité et en condition physique irréprochable. Pour ce qui est de

ses sentiments à mon égard, je dirais qu'il ne manifeste ni vers hue, ni vers dia.

Sans doute attends t-il d'en savoir un peu plus sur mon compte, mais il n'entre pas

dans mes intentions de lui en laisser le

temps. Le coup de trompe annonçant le début de

l'épreuve vient de retentir. Du coin de l'œil je vois Bekhchin s'élancer vers sa

monture, la diablesse est vive. Poussant des deux talons, je me concentre sur la

maîtrise de mon étalon. Ce coursier à bientôt avalé la distance, déjà il faut

affronter le lion. Brides serrées dans la mâchoire, je tente de bander l'arc pour

décocher la flèche sans mettre pied à terre… Erreur immédiatement

sanctionnée par la perte de ma première flèche. La gageure s'avère impossible à

exécuter et si je n’arrête pas ma course,

Page 126: Alias Marco-Polo

je vais me jeter littéralement dans les

griffes du fauve qui bénéficie d'une suffisante amplitude de mouvements. La

chaîne qui l'entrave ayant été prévue

amplement longue, trop à mon gré. Pour affronter cet animal avec quelque chance

de succès, je dois sauter à terre et choisir le bon angle pour atteindre le cœur. Le tir

doit tuer net, une blessure serait insuffisante.

Ajuster l’unique flèche et faire mouche, une seconde tentative n’étant ni

envisagée ni souhaitable. Le lion s’élance, le trait frappe… comment savoir si la

cabriole qu’il exécute est due à l'impact de la flèche ou au rappel de la chaîne,

parvenue en bout de course et le stoppant en plein bond ?

La bête gît sur le flanc, cependant sa

queue bat encore furieusement l'air. Spasmes d'agonie ou manifestation d'une

vivacité à peine entamée ? Impossible de le vérifier sans courir un risque énorme.

L'arc devenu inutile me donne une idée, j'en tranche la corde dont je me sers pour

fixer solidement ma dague sur le bois de l'arme. A l'aide de cet épieu improvisé je

suis en mesure de frapper dans les côtes, sans que ses griffes me puissent

atteindre. Je parviens à porter un coup, de grâce ou superflu, ma flèche ayant fait

son œuvre… Toutes ces opérations ralenties

d’incertitudes me font perdre un temps

Page 127: Alias Marco-Polo

précieux. L’animal est lourd, le cheval

rétif à son odeur bronche et tente de fuir. Parvenir à le chevaucher avec la dépouille

sur son encolure, m'impose d'incroyables

efforts. Piquant enfin des deux pour rejoindre le centre du terrain, je ne

parviens pas à m'empêcher de songer que la frêle guerrière doit éprouver de

semblables difficultés. Aggravées en cela qu'elle ne dispose pas de ma force, enfin

là réside mon espérance. Lancé au galop, je tente désespérément de localiser

l'emplacement de la lance. Elle devrait se trouver bientôt devant moi, pourtant je la

l’aperçois aucunement. La sueur qui me coule dans les yeux ne

m’empêche pas de distinguer la masse de mon adversaire, qui galope… Non point

dans la direction présumée, mais dans la

mienne directement. Menant vive allure vers mon fanion, elle pointe la lance dont

elle s'est emparée. Si je fais une tentative pour m'approcher d'elle je serai

transpercé, la chose n'est pas douteuse. Je préfère passer au large, dans l'ultime

mais faible espoir de gagner sur la vitesse et d'atteindre le fanion avant elle.

Il apparaît alors qu'elle nourrit d'autres intentions, celle manifeste de m'occire au

passage si j’en juge par la trajectoire qu'elle fait prendre à sa monture et à

l'angle de la lance. Dans ce moment elle commet une erreur,

continuant sur sa lancée la belle avance

Page 128: Alias Marco-Polo

quelle détenait l'aurait assurée de la

victoire. En me chargeant, elle nous permet de réintégrer le domaine des

joutes, dont je suis familier. Passant à

destre, je presse sur mon torse la carcasse du lion comme un bouclier.

Lorsque la pointe touche, une volte m'efface et je me défais de la dépouille

en la laissant choir. La lance, lestée d’une telle charge pique et vient se ficher en

terre. Subissant le choc soudain, la cavalière vide les arçons. Il ne me reste

qu'à recouvrer mon bouclier improvisé pour l'aller porter au côté du fanion blanc.

Toutefois Bekhchin qui se relève déjà, ne l'entend manifestement pas ainsi.

Poignard dressé, elle s'érige en vivant rempart pour s’opposer à la récupération

de mon butin resté fiché au bout de la

pique. Ni arc, ni poignard, ni lance, je suis désarmé. Mais je suis toujours

monté, aussi prenant du champ je fais décrire un large cercle à mon brave petit

cheval. Prenant soin de rester hors de portée de sa lame, j'oblige la furie à

pivoter sur elle-même pour continuer de me faire face. Combien de temps cela va-

t-il durer ? La foule des spectateurs commence à se rapprocher. Les

hurlements qui en proviennent témoignent de leur soif d'un dénouement

sanglant. Ce que voyant la rude combattante jette son arme et lève les

mains en clamant quelque chose qui

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stoppe la progression de la masse

houleuse. Sa monture s'étant trop éloignée, elle saute en croupe de mon

cheval et le frappe du plat de la main.

Tandis que nous partons dans un trot rapide, la jeune femme me souffle qu'elle

a déclarée le combat nul, ni vainqueur ni vaincu puisque les fanions n'ont été

atteints ni par l’un ni par l’autre. Je lui rétorque que j'en suis fort aise, n'ayant

pas goût à faire trépasser une aussi plaisante personne que la princesse

Bekhchin… Aussitôt, deux mains m'enserrent le cou à m’étouffer. Je n'en

mène pas large, heureusement un rire frais parvient à mes oreilles pour me

rassure sur ses réelles intentions. Nous parvenons ainsi sur le devant des

juges, chargés de veiller au respect des

règlements et de proclamer les résultats. Mettant pied à terre, têtes inclinées et

yeux baissés, nous patientons qu’ils veulent bien rendre leur décision. La

décision de nullité s’impose d’évidence, excluant toute autre possibilité de choix,

malgré cela l’attente se prolonge. Or la constance ne semble pas faire

partie des qualités de celle qui se tient à mes côtés, frémissante d’impatience.

Coupant cours aux chuchotis qui dénoncent l'incapacité de ces individus à

arbitrer quoi que ce soit, Bekhchin proclame que nous sommes ex-æquo et

que les mérites des deux parties sont

Page 130: Alias Marco-Polo

saufs. Laissant les choses en l'état, elle

enfourche mon cheval et part au galop vers ses appartements.

Encore une fois, je suis morfondu de constater le peu d’intérêt que ces

jouvencelles veulent bien concéder à ma personne. Une fugitive pensée me vient

pour la fille d’Hugues de Ferrette. La nostalgie est une étrange chose, qui vous

emporte dans les moments les plus inattendus. La mémoire en est une autre,

qui vous abandonne grossièrement quand vous la sollicitez. Il m’a été tout à fait

impossible de retrouver les traits du beau visage de la charmante Ursule.

Le festin, destiné à clôturer la journée de réjouissances, se tient au milieu du camp

nomade. Car si nous sommes logés en un

vaste et très beau palais de pierres, la plupart des princes et princesses

possèdent leur propre yourte, dressées entre ce palais et les campements de la

troupe. Les villageois eux ont simples yourtes en bordure de rivière, cachés à

nos yeux par un bosquet de bouleaux. D'énormes plats de nourritures sont

disposés au centre des cercles que forment les convives. Chacun est

composé obligatoirement de neuf personnes.

Ce chiffre revêt une très grande importance tant il est chargé de

mysticisme pour nos hôtes, qui se

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plaisent à l’utiliser en toutes occasions.

Assis sur des coussins posés a même les tapis, nous plongeon nos doigts dans les

bassines. Ces récipients sont remplis de

viandes, chèvres ou moutons, noyées dans une énorme quantité de petites

céréales qu'ils nomment Khao. Ce sont des grains blanchâtre allongés et courts,

qu'ils consomment en importantes quantités à chaque repas ou ils leur est

loisibles de le faire. Leur boisson favorite nommée aïrag est

un petit-lait, plus ou moins fermenté. Hélas c’est du lait de jument, mon

organisme semble éprouver grande aversion pour ce breuvage pris en trop

grandes quantités. C’est ce que j’en peu ressentir par les nombreux haut-le-cœur

que m’en provoque l’absorption,

heureusement du vin de Crimée nous est bellement proposé. Habitude établie ou

désir de plaire aux visiteurs ? Ce breuvage rallie tous nos suffrages, et les

servantes, de belles esclaves circulent s’empressant à remplir nos gobelets.

Succédant à ces libations, une douce euphorie ne tarde pas à gagner la

compagnie, plongeant les plus avancés en âge dans la somnolence et échauffant

les sangs des plus jeunes. Or je me flatte d’appartenir à ce groupe. Par ailleurs les

convives hommes et femmes ne soient point mêlé. Ainsi dans mon dos est un

cercle réservé aux dames. Celles-ci ne se

Page 132: Alias Marco-Polo

font pas faute de nous adresser force

quolibets et franches provocations, se gaussant ouvertement de nos timidités.

Or il m’est aisé de distinguer les rires et

exclamations de celle qui m’affronta si fièrement en matinée, car j’en perçois et

reconnais fort aisément le timbre. Cette exubérance me donne à penser que

mon ci-devant adversaire n’est nullement éprouvée par les fatigues endurées. J’en

conçois contrariété à proportion de ce que, pour ma part, je m’en ressens

fortement. Un peu à l’écart se tiennent des musiciens et chanteurs. Leurs

instruments peuvent vaguement s’apparenter aux nôtres, mais les sons

qu’ils produisent et semblablement les mélodies de leurs chants sont pour mes

oreilles cacophonies qui déchirent âmes

et tympans. L’harmonie en est d’une lancinance grinçante, pour tout dire

insupportable. Je m’éloigne dans l’intention de soulager

une vessie malmenée par les excès de vin. Comme, pour ce faire, je m’approche

tout naturellement d’un arbre, un sifflement à mes oreilles précède le choc

mat d’un poignard qui se fiche dans le bois, juste devant mon nez. Fortement,

et à juste raison interloqué, je me retourne afin de mettre un nom sur le

plaisantin ou le malfaisant qui se livre à pareil amusement. Courroux et vindicte

laissent place à la stupéfaction en

Page 133: Alias Marco-Polo

découvrant l’auteur qui n’est autre que la

ravissante Bekhchin. Amusée de ma surprise, elle me toise les mains campées

sur les anches et le sourire aux lèvres.

- Rentre-le, il va tout de bon devenir cible de mes prochains tirs.

Je n’entendais rien à ses propos et mon étonnement s’en accrut à l’exacte

proportion. - Ton vit… Remise-le avant qu’une ourse

affamée ne t’en prive définitivement. Obtempérant, je fis prestement

disparaître l’objet de ces railleries. Remettant la satisfaction de mon besoin à

un moment plus propice. Indécis sur les intentions de la belle, je me sentais

désagréablement semblable à quelque nigaud de village. Un repli s’imposait, il

me fallait d’urgence reprendre le contrôle,

sinon de la situation tout au moins celui de mes sens. Ses intentions, à elle,

étaient d’une toute autre inclination. J’en perçu le premier doute, lorsqu’elle ajouta.

- As-tu déjà visité une yourte ? Veux-tu voir l’arrangement de la mienne !

Invitation ou raillerie ? Cette diablesse me faisait perdre le sens commun. Je

l’avais déjà pu vérifier, l’hésitation n’était pas du goût de la princesse. Tournant les

talons elle disparût en direction du campement. Hautaine, sans plus

m’accorder mot ou regard, elle s’éloignait indifférente en apparence à ma réaction.

Page 134: Alias Marco-Polo

Stupeur et indécision n’étaient plus de

mise, me ressaisissant enfin, je m’élançais à ses trousses. Pourtant,

quelle que fusse ma précipitation, ce

n’est qu’après qu’elle ait laissé retomber le panneau de peaux cousues et tendues

sur un cadre de bois - qui tient lieu de porte pour ces étranges habitations - que

je parvins à la rejoindre. L’aurais-je voulu que mon élan m’aurait

interdit tout recul, trébuchant sur le seuil, je basculais en avant écartant d’un geste

du bras le souple panneau. Lorsque je parvins enfin à rétablir mon

équilibre, mes yeux avaient eu le temps d’entrevoir le lit de sangles couvert

d’épaisse fourrure d’ours, les coffres qui bordent les parois et le foyer rougeoyant

placé au centre de l’espace. Mais ce qui

captiva définitivement mes regards, fut l’apparition de Bekhchin me toisant,

debout derrière la mince colonne de fumée qui s’échappait des flammes. Elle

était nue déjà, et je regardais fasciné son corps que les volutes faisaient paraître

plus irréel qu’une apparition céleste. Les lueurs du feu coloraient d’ombres, et de

sang ses seins haut placés, droits formés en cônes parfaits. Jamais auparavant je

n’en avais pu observer de semblables chez les femmes de chez nous ou dans

les différents pays déjà traversés. On dirait que les pointes en sont dressées

par quelques artifices tant elles

Page 135: Alias Marco-Polo

paraissent capables de vous transpercer.

Point ici de ces lourdes rondeurs qui sont l’orgueil de nos compagnes. Fermeté,

arrogance et beauté parfaite sont les

maîtres mots de ceux-ci. Le ventre et plat, nulle rondeur ici non plus. Lorsque,

continuant ma contemplation indiscrète, j’arrivais au sanctuaire de sa féminité,

quelle ne fut pas ma stupéfaction de le contempler dépourvu de toute pilosité. Le

sexe est rose et nu, offert comme chez les pucelles impubères.

A cette vue mes sens se troublèrent, notre rencontre charnelle ressembla à un

furieux assaut plus qu’à un ballet amoureux.

Pourtant, au déduit, cette femme aux dispositions guerrières avérées, ne

manifesta aucune agressivité, aucunes

initiatives comme celles que l’on attend des orientales, réputée sensuelles. Ma

princesse Mongole subissait le mâle, cherchant à se satisfaire de l’étreinte,

sans d’avantage se soucier du partenaire. N’ayant pas une pratique fort longue des

jeux de l’amour, je n’en perçais pas les mystères, loin s’en faut. Vaguement

désorienté par son comportement égoïste, lorsqu’elle manifesta sa

jouissance en d’impertinentes exhortations, je la besognais pour me

libérer à mon tour. Quand ce fut fait, elle me repoussa pour s’activer vers une

bassine d’eau posée juste à côté du feu.

Page 136: Alias Marco-Polo

Terrassé par ma journée d’efforts et les

libations déraisonnables qui y firent suite, je sombrais immédiatement dans un

sommeil profond. Au cours de la nuit, elle

réclama mes services à plusieurs reprises. De sorte que j’obtins, sur la

quantité, ce que la qualité ne m’avait point octroyé.

A l’aube faite, elle me tendit sans un mot mes habits et effets, me signifiant d’un

geste d’avoir à la laisser reposer en paix et de regagner mes appartements.

Dissimulant mal le dépit que j’en ressentais, j’obéi à son injonction. Que

pouvais-je faire d’autre ? Je me sentais congédié, passablement marri de

l’aventure et surtout de son épilogue. Durant le restant des trois jours que nous

devions encore passer à la cour de dame

Sorghatani Beki, je ne fis qu’entrevoir ma belle combattante. Pour ne rien vous

cacher, j’en conçu vif dépit attribuant cette réserve à quelque muet reproche

sur mes aptitudes aux ébats de couples. Les Tatars sont sans doute de rudes

reproducteurs. Fort heureusement les préparatifs du

départ accaparèrent mon temps et toute mon énergie. Les chamans procédèrent à

la cérémonie du Tengri, le « blanchiment de la route » qui consiste en une

aspersion de lait à l’aide d’une louche appelée tsatsal.

Page 137: Alias Marco-Polo

Nous allions reprendre la route pour

Chambalech, ou pour Khanbalik ou encore pour Cambaluc. Ce qui est chose

unique, car ce nom vient du turc « qan

balïq », qui signifie ‘Grande ville’, et se peut orthographier de moult façons. La

dynastie Yuan vient d’y établir la nouvelle capitale du royaume.

Le séjour que nous venions d’effectuer chez dame Beki nous avait convaincu que

l’empereur Kubilaï est un souverain raffiné et éclairé, ayant complètement

rompu avec les massacres pratiqués systématiquement selon les traditions par

ses ancêtres, lors des funérailles royales notamment ou des milliers de

prisonniers, ses femmes, ses ministres, tous ses serviteurs ainsi que ses chevaux

étaient mis à mort pour l’accompagner et

le servir dans l’au-delà. Nous avons été rassurés de ce qu’il apprécierait l’apport

culturel constitué par notre enseignement des valeurs de la civilisation occidentale.

Pour ce que ces nouvelles comportent de rassurant, nous ne sommes point sereins

sur la nature de l’accueil qui nous sera réservé une fois rendu.

A trois bonnes journées de marche de notre destination, une forte escorte

dépêchée par le Khan, vient nous encadrer. Cette mesure n’est pas dictée

par des motifs de sécurité, l’empire joui d’une grande quiétude, la criminalité en

est sévèrement réprimée et paraît bannie

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des mœurs chez les nomades. Le chef du

détachement nous explique qu’il s’agit d’une marque honorifique réservée aux

dignitaires de très noble qualité. Ce geste

nous laisse bien augurer de la suite de notre ambassade.

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Chapitre VII. A-Chu.

Si nous fûmes tous reçus en grandes et

belles cérémonies, seuls messires Nicolo et Matéo eurent droit à un entretien

particulier qui se déroula dans le secret des appartements personnels de

l’empereur. Cela se passait avant que le soleil ne fut haut dans le ciel.

Précédant la méridienne, des réjouissances étaient annoncées en

prélude à la solennité de remise des présents apportés, de la part du pape,

par les frères Polo. D’après ceux-ci,

l’entrevue privée n’avait eu d’autres buts que de définir nature et ordre de leur

délivrance, entre les mains du grand chancelier. Le point culminant de la

cérémonie était constitué par l’apparition de l’ampoule d’huile sainte venue de

Jérusalem. La fête fut remarquable et suscita un grand enthousiasme parmi les

gens de la cour et les badauds admis à en observer le déroulement. Le banquet

offert ensuite aux invités, rassembla plus de mille convives. Les mets les plus rares

les vins les plus capiteux y furent servis. Musiciens et danseuses s’y succédèrent,

jusqu’à l’aube du lendemain.

Les jours suivants et ceux de trois semaines d’affilé, furent occupés par les

visites des palais et édifices remarquables de la noble et grandissime cité. Ces

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promenades se déroulaient entre chaque

audiences ou nous comparaissions, tantôt ensembles tantôt non, devant le grand

Khan, ses chambellans, ministres et

conseillers. L’huile sainte n’obtint pas le succès

espéré, après avoir, sur la demande de Kubilaï en personne, été apposée sur des

plaies purulentes, celles-ci continuèrent de s’infecter. Identiquement, présentée

aux bubonneux et scrofuleux, les malheureux continuèrent de souffrir leurs

maux. A suite de ces infructueuses tentatives, les vertus miraculeuses de la

sainte-chrême furent fortement mises en doute et elle cessa rapidement de

passionner princes et manants. En revanche les connaissances de

messire Angeot Colombus, dans le

domaine des sièges et des machines de guerre, passionna grandement généraux

et ministres. Pour dire le vrai, dans le gouvernement mongol, il n’était point

aisé de trouver une personne qui ne fut enthousiasmé par le sujet. L’empereur

souhaita l’entendre longuement sur ces matières. Honoré et flatté, mais aussi un

peu inquiet de ses aptitudes à saisir les desideratas du Khan, le vieux soldat

exigeât de s’attacher ma participation a toutes les démonstrations. A ce titre, j’eu

droit à une école exhaustive sur l’art des combats chez nos hôtes.

Page 141: Alias Marco-Polo

- D’abord le chiffre neuf ! L’armée en son

entier est appelée Ourdou, mot qui fut transformé en ‘hordes’, par la suite au

cours des conquêtes…Il me vient en

mémoire t’avoir déjà entretenu sur ce point, non ? Peu importe d’ailleurs.

L’unité de base est un peloton de neuf cavaliers, commandé par un chef. Tu

noteras Gihlem, que cela fait neuf plus un égale dix, l’équivalent de notre dizainier

occidental. Bon, neuf pelotons composent un escadron, soit quatre-vingt-dix

cavaliers plus neuf dizainiers et un chef d’escadron ce qui fait cent hommes au

total. Dix escadrons forment une gourane, comportant neuf cent quatre-

vingt dix neuf hommes plus un chef. Enfin, neuf gouranes font une tourane.

L’armée est constituée de l’ensemble des

touranes commandées par un état-major, nommé iourt-chi. Les meilleurs parmi les

officiers peuvent devenir des oerleuks, qui sont des sortes de maréchaux.

L’originalité en est qu’ils sont aussi bien issus des castes privilégiées que du

commun, la valeur seule servant d’étalon d’appréciation. Même les fils et membres

de la famille du grand Khan sont évalués lors de leurs premières campagnes. En

cas de rapports défavorables, ils sont rétrogradés comme simples guerriers.

Ensuite Gihlem, il faut chasser de ton esprit la vision de hordes déferlantes en

une charge sauvage et incontrôlée, quid

Page 142: Alias Marco-Polo

des sauvages féroces livrés totalement à

leurs instincts. C’est absolument tout le contraire, les Mongols combattent de

façon très méthodique, usant de logique

et de pragmatisme. Organisation et discipline leur valurent, et leur vaudront

encore, de nombreuses victoires. Car la discipline la plus stricte règne et

l’obéissance absolue est exigée. Les rares manquements aux règles sont punis par

la mort, à tous les niveaux de la hiérarchie. En revanche chacun à droit à

la parole et à l’initiative. La contradiction n’est pas une faute, dans la mesure où

elle ne remet pas en question un ordre reçu mais est formulée lors d’assemblées.

Avant chaque bataille se tiennent de grands conseils de guerre, à cette

occasion un simple archer peut donner

son avis, contester celui de ses camarades ou de ses chefs. Pour être

exécutées sans hésitations lors du combat, les manœuvres sont répétées

maintes fois lors des entraînements. Autre point fort majeur de cette armée,

l’encadrement bénéficie d’excellents moyens de communication et de liaison.

Sur le champ de bataille les officiers utilisent un système de trompes et de

drapeaux que l’on abaisse ou soulève afin de permettre au général en chef de

déplacer ses troupes ou de choisir les modes d’actions, comme la charge, la

retraite ou le contournement.

Page 143: Alias Marco-Polo

Complémentairement, des estafettes

appelées ‘cavaliers-flèches’, transmettent les ordres d’une gourane à l’autre en un

temps record par l’utilisation d’ingénieux

systèmes de relais. Une autre chose très importante que même un rêveur comme

toi n’a pu faillir à observer. Les mongols utilisent des armures en cuir laqué, mais

as-tu été en mesure de voir qu’elles étaient doublées de soie ? Cet

agencement n’est pas motivé par un quelconque souci d’élégance, mais par la

recherche d’une protection vraiment efficace. Oui tu m’a bien entendu, c’est

un prodige de ces gens là que d’en avoir imaginé pareille usage. Lorsqu’un cavalier

est frappé par une flèche, celle-ci pénètre le cuir et rentre dans la chair ! Mais la

soie, matériau d’une extraordinaire

souplesse, n’est pas percée, simplement enfoncée dans la blessure par la pointe.

Leurs chirurgiens peuvent alors facilement enlever la flèche en tirant sur

le tissu. L’autre avantage est que cela réduit les risques d’infection en facilitant

le nettoyage et le bandage de la plaie. Ce simple procédé, très efficace permet

parfois au guerrier de retourner immédiatement au combat. J’ai pu en

juger, lors de la bataille de Liegnitz, en 1241… Mon garçon, rappelle-moi de te

raconter ce terrible affrontement, dès que nous en aurons le temps, ce fut un

carnage ! Autre faculté, ces cuirasses

Page 144: Alias Marco-Polo

sont légères, fatiguant moins le soldat et

sa monture, laissant plus de liberté d’action ainsi qu’un meilleur champ de

vision. Ce sont là énormes avantages sur

leurs adversaires, chevaliers Francs ou cataphractaires byzantins, dont les

lourdes armures métalliques limitent vision et mouvements. Jusqu’à leur

armement qui est supérieur au notre. Ainsi leurs courtes épées, légères et

courbes permettent de parer ou feinter facilement s’avérant plus maniables que

les longues épées droites et lourdes qui équipent nos chevaliers. Cette arme est

véritablement conçue pour les combats rapprochés. Type d’affrontement que

leurs permettent d’éviter l’utilisation de leurs arcs, d’une fabrication complexe. Ils

utilisent la technique dite ‘à double

courbure’, assurant une portée supérieure à quatre-cent pas28, quand les nôtres

n’atteignent pas la moitié de cette performance. Même leurs chevaux trapus

constituent un point fort tant ils sont rustiques, endurants sans peine le froid

et les longues distances. De plus ils sont habitués à trouver eux-mêmes leur

nourriture, se contentant de lichens ou d’une maigre herbe gelée qu’ils cherchent

sous la neige. Point donc besoin de chariots de fourrage, comme en nos

armées. Mobile et nombreuse, la cavalerie déclenche le combat où et

quand elle le souhaite, se repliant

Page 145: Alias Marco-Polo

facilement lorsque la cavalerie lourde

ennemie se rapproche par trop. C’est une tactique particulièrement efficace ; assaut

faible, suivi d’un simulacre de fuite. La

cavalerie lourde se lance alors à la poursuite, les mongols plus légers et

rapides les harcellent alors, désemparées nos unités perdent leur compacité et sont

facilement taillées en pièce lorsqu’elles entrent au contact. Les mongols utilisent

des stratagèmes divers pouvant êtres proposés par n’importe quel officier ou

sous-officier, dans le but de dérouter leurs adversaires. Ils sont essayés et

répétés pendant la préparation de la campagne et servent à l’instruction des

gradés. Car, et c’est une chose remarquable, ils n’agissent point comme

chez nous, par emportement ou colère.

Chez eux, les guerres sont préparées bien avant d’être déclarées. Des espions

implantés longtemps à l’avance renseignent sur l’état du moral, la

stabilité des peuples attaqués. Plusieurs mois auparavant, des reconnaissances

signalent les passages difficiles, les points d’eau, les pâturages, les déserts et les

zones qui n’offrent pas de possibilités de pillage, pour prévoir le ravitaillement

nécessaire. Les déplacements sont protégés très en avant, les éclaireurs

renseignent sur la position de l’ennemi, sa force. Ne négligeant pas de signaler

telle ou telle calamité climatique, qui

Page 146: Alias Marco-Polo

pourrait rendre la traversée d’une région

plus hasardeuse. Les avant-gardes sont capables d’affronter d’importantes forces

en donnant au gros de l’armée le temps

d’intervenir. Flanc-garde et arrière-gardes complètent le dispositif. Par ce biais, ils

obtiennent souvent une victoire rapide sur tous leurs opposants. Seul point faible

dans cette armée, ils ignorent tout de l’art du siège. Jusqu’à présent ils se

contentent de détourner les rivières, pour priver d’eau les villes assiégées. Ou

encore, quand ils en ont la patience, de les réduire par la famine. Procédés

empiriques et insuffisants, tu dois en convenir avec moi. Eh bien, mon garçon,

c’est sur ce point que nous présentons un grand intérêt à leurs yeux.

- Mais ! N’es-ce point là, félonie de notre

part ? Puisque par ce fait nous leurs bayerons les moyens de nous réduire

dans les batailles qui nous peuvent opposer. Le cas n’est-il pas envisageable,

que l’envie de conquêtes les empare à nouveau ?

-Si fait ! Si fait, pour autant le commerce ne s’embarrasse point de ces subtilités.

En l’occurrence ils ont donné toutes affirmations d’avoir définitivement

renoncé à envahir l’Europe centrale et occidentale. Par raison, disent-ils ; « Du

respect de la valeur des peuples d’occident ». Mais à mon idée, surtout

par cause de la fatigue consécutive à de

Page 147: Alias Marco-Polo

très longues guerres. Il faut y ajouter,

d’un raisonnement purement militaire, l’exiguïté des pâturages de la plaine

Hongroise. Sans compter les difficultés

qu’ils éprouvent pour manœuvrer la cavalerie mongole dans les épaisses

forêts européennes. Leurs tactiques de guerre ne sont tout simplement pas

adaptées à la géographie de nos contrées.

- Hé bien ! Acceptons-en l’augure messire, car j’aurais je vous le confesse

grand scrupules à faciliter par mon œuvre la chutes de nobles forteresses, sur les

marches et au sein même de la chrétienté.

Le lendemain devait avoir lieu notre

première entrevue avec Kubilaï et ses

généraux. La rencontre nécessitait de se dérouler dans un pavillon que l’on nous

affirma être tout spécialement et exclusivement réservé aux débats d’ordre

guerrier ou se rapportant à l’art de la guerre. J’y assistais sous l’identité qui

était devenue la mienne, celle de messire Marco Polo.

A notre entrée un épais silence se créa tandis que l’on s’écartait pour nous

laisser libre l’accès jusqu’au grand Khaân. Le monarque ne siégeait point sur un

trône, mais debout à l’extrémité d’une longue table. Placé à sa droite, se tenait

un homme de haute stature. De l’autre

Page 148: Alias Marco-Polo

coté, légèrement en retrait, était un

guerrier en courte armure. Sa position en contre-jour empêchait de le clairement

distinguer, cependant la silhouette et

l’allure m’en parurent étrangement familières dès l’abord. C’est donc sans

réelle surprise, lorsqu’elle se tourna dans notre direction, que je reconnus

Bekhchin. Cette diablesse avait donc un rang de haut commandement.

Parvenus à vingt pas de l’empereur, nous plaçâmes notre main droite sur le cœur et

inclinâmes la tête et le buste, en signe de respect et de soumission, attendant sans

plus bouger. Tout cela conformément au rite protocolaire qui nous avait été

préalablement inculqué. Bekhchin s’avança alors, sans mot dire, pris ma

main qu’elle déposa sur sa propre tête

inclinée. Me libérant le bras, elle recula de deux pas pour annoncer à voix forte

être mandatée par son souverain ici présent au titre et à la fonction

d’interprète officiel. Puis elle ajouta rapidement que cette charge se pouvait

cumuler avec celle de notre propre traducteur, celui-ci nous pouvant rester

attachés selon notre bon vouloir. Pivotant pour faire face à Kubilaï, elle força

davantage sa voix afin de décliner nos noms, complétés de nos qualités

d’envoyés spéciaux, émissaires de sa sainteté le pape Grégoire X, ainsi que les

souverains Francs représentants de toute

Page 149: Alias Marco-Polo

la chrétienté d’occident. L’empereur fit un

geste de la main et tout aussitôt chacun de s’agiter et reprendre la conversation là

ou il l’avait quittée. Bekhchin en profita

pour me chuchoter que son geste n’était pas simplement destiné à la

reconnaissance de sa charge auprès de nous, mais qu’elle marquait ainsi s’offrir

comme responsable de ma vie, sur la sienne, auprès de son suzerain et de ceux

de sa race. Elle ne pu en ajouter d’avantage, l’homme grand qui flanquait

le khan lui demandait derechef de nous informer des récentes décisions prises

précédant notre arrivée en ce lieu. Retirés un peu à l’écart, nous prêtâmes

toute l’attention dont nous étions capables aux propos de notre nouveau

mécène.

- Voici bientôt cinq longues années que le général A-Chu tient siège autour de la

ville forte de Xiangfan. En pure perte, le verrou ne saute pas les murailles en sont

épaisses et résistent. Or notre Seigneur le grand Khaân, n’attend que la reddition

de cette place pour mettre de manière définitive l’empire Song à genoux. Nous

avions auparavant appris par le lettré Perse, Rashid ed-Din, l’existence de

machines qu’il appelle des « armes franques ». Depuis le passage de

messires Po-lo29, voici plusieurs années déjà, nous attendons les plans et surtout

les maîtres capables de concevoir et

Page 150: Alias Marco-Polo

édifier ces engins, que vous nous avez

précisé s’appeler « pierrières ». Il va sans dire que nous attendons d’eux surtout

qu’ils soient en mesure de les utiliser

avec efficacité ainsi que de former nos propres servants. L’empereur a été

assuré lors du retour de ces mêmes personnes, que les gens de leur mesgnie,

dont principalement vous Messires Marco et Angeot, étiez en mesure de vous

charger de cette très noble et importante fonction. Dans l’attente de votre arrivée,

des listes d’artisans et personnes qualifiées, pontonniers, sapeurs et

artificiers, ont été communiquées à nos espions. Ceux-ci en ont fait le relevé,

dans les places dont nous envisagions la conquête. Ces personnages et leurs

familles ont été soigneusement épargnés

lors de la prise de ces villes, puis intégrés au corps du génie que nous venons de

créer. Une solide rétribution et de multiples avantages nous permettent de

conserver leur fidélité. C’est au seigneur Ogodaï, celui qui se tient actuellement au

coté de l’empereur, qu’échoit le commandement de cette prestigieuse

unité auxiliaire. Si vous confirmez accepter votre mission, vous serez

dépêchés à l’ilkhan Abakan pour faire réserver des madriers et réquisitionner

des ingénieurs... Acceptez-vous ? Si tel est le cas, vous devez en faire le serment

devant l’empereur et ses conseillers,

Page 151: Alias Marco-Polo

ensuite vous serez placés à disposition du

seigneur Ogodaï. Je reste à vos côtés pour toute la durée de cette mission.

Bien entendu, il était hors de question de refuser céans, une telle proposition.

N’étais-ce pas d’ailleurs pour elle, que ce long et périlleux voyage avait en grande

partie été entrepris et mené à bien. Notre décision était cependant fortement

affectée par l’incertitude dans laquelle nous étions sur les implications pouvant

découlées d’une telle alliance. Mais il était grandement tard pour tergiverser. Et puis

les Polo étaient hommes de négoce, avant toutes autres considérations.

Sous l’escorte d’Ogodaï nous suivîmes les troupes qui allaient rejoindre les

assiégeants. Dans les bivouacs je

partageais ma tente avec maître Angeot, mais dormais le plus souvent sous la

petite yourte de campagne dévolue à Bekhchin. Depuis nos retrouvailles, le

comportement de cette indomptée combattante avait changé, du moins pour

ce qui concernait le déduit. Plus tendre, plus participative, nos ébats n’étaient

plus batailles mais tendres excitations. Au fil du temps nous discernions mieux, l’un

chez l’autre, les qualités fondamentales transparaissant sous le vernis de nos

éducations respectives. Plaisant périple donc, qui nous mena bien trop vite à mon

gré, dans les approches de Xiangfan.

Page 152: Alias Marco-Polo

A peine fûmes nous parvenus aux limites

de cette province que Le général A-Chu nous dépêcha une escorte. Poussant la

courtoisie, lorsque nous n’en fûmes plus

qu’à deux jours de chevauchée, jusqu’à quitter ses campements afin de se porter

lui-même à notre devant. Dans l’intervalle, Bekhchin fidèle à ses devoirs

d’intermédiaire privilégiée, entreprit de me rapporter l’histoire de ce général à la

carrière aussi prestigieuse que singulière. - A-Chu est ce que l’on appelle un Hui, le

fils d’un chef du royaume Champâ. Les Chams sont les occupants depuis des

temps immémoriaux d’une province musulmane du Yunnan. Grande province,

conquise de longue date et placée sous la protection de l’empire Mongol. Toute sa

famille fut massacrée au cours d’une

invasion, menée par l’empereur du Cathay. Le jeune A-Chu fut capturé, puis

castré à l’âge de neuf ans. - Quelle horreur, pourquoi mutiler ainsi

un enfant ? - Marco, la castration n’est qu’une

coutume ancestrale qui est appliquée uniquement aux fils des chefs de guerre

enlevés à leur famille. Ils peuvent de la sorte être intégrés à la caste des

eunuques de la Cour impériale. Dans le cas de A-Chu, sa vive intelligence lui

permit de graver les échelons, jusqu’à devenir ‘Grand Eunuque’. Les eunuques

possèdent beaucoup de pouvoir, grâce

Page 153: Alias Marco-Polo

essentiellement à leurs relations

privilégiées avec l’empereur. Il obtint par ce biais l’autorisation, très exceptionnelle,

d’effectuer le pèlerinage de la Mecque

tout comme son père et son grand-père avant lui. Ce voyage lui valut le privilège

de porter accolé à son nom le préfixe honorifique ‘Hadji’ attribué par ses

coreligionnaires... Ainsi que d’être à nouveau capturé, mais par nos troupes

cette fois. Libéré, il pu regagner son pays et reprendre son héritage. Hélas tout

avait été ravagé et détruit, le Gouverneur de la province demanda, en son nom, une

aide au Grand conseil. Au regard de la noblesse et de la fidélité

antérieure de sa famille, il lui fut confié la gouvernance de l’exploitation du sel de

terre, ainsi que du commerce de ces

gemmes qui est un monopole d’État. Sa réussite dans l’exercice de cette charge et

sa renommée, lui valurent d’être remarqué par notre souverain.

Comprenant tout l’intérêt que pouvait représenter la mise à profit de sa bonne

connaissance de nos adversaires Song, le Grand Khan par un décret impérial lui fit

attribuer un titre de général. Depuis, il se voit confier toutes les responsabilités

réclamant plus de réflexion que d’audace. Mais le voici à nos parages, tu vas

pouvoir juger par toi-même.

Page 154: Alias Marco-Polo

Deux semaines plus avant, les matériaux

et fournitures étaient en quasi-totalité parvenus aux emplacements choisis

derrière nos lignes. Angeot était tout à

son affaire, classant, mesurant. Vérifiant les pièces, qu’une troupe d’artisans

façonnaient à sa demande. Mener à bien l’ouvrage d’édification de ces lourdes

pièces de siège, n’était certes pas une aventure relevant de l’improvisation. Pour

autant, à ses remarques bougonnes et sa façon d’esquiver mes plus anodines

questions, il m’était vite apparu que messire Colombus concevait un certain

dépit de ma nouvelle importance. Particulièrement en raison que celle-ci

découlait non de mes mérites mais du simple fait de ma liaison avec un

dignitaire de l’empire. Je m’en ouvris

aussitôt à ce dignitaire, car celui-ci était de surcroît une proche de l’empereur.

Bekhchin fit aussitôt en sorte de lui obtenir en magistrale cérémonie, un titre

de ‘Grand maître armurier’ créé pour son usage spécifique. Cette nomination lui

ayant value hommages et considérations au sein de l’ost et des sujets, mon

compagnon s’en trouva fort rasséréné. A preuve, il entreprit de me faire mander

sur le chantier, entreprenant derechef de me tenir long et savant discours. De

celui-ci il m’appartenait de démêler ce qui tenait de pure technicité, de ce qui

relevait de simples considérations.

Page 155: Alias Marco-Polo

- Les frères Polo avaient promis au Khan

de lui fournir des Pierrières. Bast ! Ces engins comme tu ne l’ignore pas, sont

constitués d’une verge ou balancier, au

bout duquel est attachée une poche contenant les projectiles. Pour l’actionner

il faut tirer sur l’extrémité courte de la verge. Un contrepoids peut-être ajouté à

cette extrémité pour en faciliter le maniement. Dans cette disposition, la

pierrières est alors appelée ‘bricole’. Mais chez nous cette arme est utilisée

principalement pour la défense, non pour l’attaque. D’ailleurs son surnom en est

« l’arme des femmes » puisque les femmes et les enfants sont souvent

dévolus à servir ce type d’armement. - Oui, j’ai même pu ouïr que Simon de

Montfort avait été tué par un boulet lancé

d’une pierrière, lors du siège de Toulouse en 1218.

- Cela semble avéré ! C’est pareillement une pierrière qui répondait coup pour

coup au mangonneau des croisés, lors du siège de Montségur en 1244. C’est bien à

ce propos que j’appuie ma décision de bâtir des trébuchets. Ce ne sont autres

que des mangonneaux améliorés, en ce sens que leur contrepoids, appelé huche,

est articulé. Cette modification confère de nombreux avantages, notamment en ce

qui concerne l’équilibrage. Il nécessite également moins de servants pour être

réarmé. Vois-tu, une autre attribution

Page 156: Alias Marco-Polo

allant en faveur de mon choix, en usant

tes yeux sur ces parchemins. - Diantre, oui ! Messire, et non des

moindres. Pour tirer ses boulets, gros au

maximum comme une tête d’homme et pesant à proportion, la pierrière ou le

mangonneau doivent s’abriter derrière des palissades et des toits. Sauf cette

précaution, ils seraient rapidement décimés par les flèches des archers

ennemis. Ceci pour la stricte raison qu’ils doivent approcher a leur portée de tir,

s’ils veulent que leur engin soit d’une quelconque efficacité. En comparaison, le

trébuchet est en mesure de lancer des boulets ou charges d’un poids égal à celui

de deux hommes en armure, tout en restant hors de portée des tirs adverses

tant est grande leur puissance. Vous avez

fait là un fort bon choix, je vous en félicite, monsieur le Grand maître

armurier. - Te moquerais-tu, maudit garnement ? Il

t’en pourrait cuire ! Garde plutôt, par devers toi, les plans que tu as en main et

va donc porter la preuve de ta sagacité et de ta valeur, ailleurs qu’au lit, en t’en

allant faire ériger une de ces machines sur le terrain qui lui est réservé au midi

de la ville assiégée. Je reste à ta disposition si, comme je le présume, tu

éprouve difficultés à ce faire.

Page 157: Alias Marco-Polo

La gageure n’avait rien d’anodine.

Parchemin sous les yeux, il m’est fort difficile d’imaginer l’ouvrage achevé. Par

quel prodige le tas de planches, madriers,

poutres et chevrons qui gisent sur le sol, pouvaient-ils aboutir en une concrète

réalisation. Surtout en une exécution conforme, en quelque point que ce fusse,

aux représentations. Les croquis qui illustrent le texte sont tout bonnement

aussi hermétiques à mon entendement que les écrits qui se devraient de les

expliciter. Je ne saurais résister au plaisir de vous en infliger céans un complet

aperçu ; « Si vous voulez façonner le fort engin qu’on appelle trébuchet, faites ici

attention. En voici les sablières comme elles reposent à terre. Voici devant, les

treuils et la corde double avec laquelle on

ravale la verge. Vous le pouvez voir en cette autre page, il y a grand faix à

ravaler, car le contrepoids est très pesant, constitué par la huche pleine de

terre, qui fait cinq grandes toises de long. Et au décocher de la cheville, pensez ! Et

vous en donnez garde, car elle doit être maintenue à cette traverse du devant

comme indiqué. » L’auteur de ce texte sibyllin à cru bon d’ajouter une précision

en regard, destinée sans doute à éclairer les profanes de mon acabit ; « Les

mesures en toises sont à transposer des dimensions portées par pieds sur le

plan ».

Page 158: Alias Marco-Polo

Pour ma modeste intellection, cela n’est

qu’amphigouri d’ingénieur, galimatias d’initié et charabia de docteur. Les

planches comportant illustrations de

dessins avec cotes n’est pas d’un bien meilleur secours, que l’on en

juge plutôt... Portés au fusain fin, sont nombreux dessins. On y peut distinguer

deux sablières, espacées l’une de l’autre de huit pieds et ayant chacune trente-

quatre pieds de long. A quatorze pieds de l’extrémité antérieure des sablières est

une traverse qui, à l’échelle, paraît avoir vingt-cinq pieds de long. Puis quatre

grands goussets formant une croix de Saint André horizontale, entre les deux

sablières longitudinales. Placés près de l’extrémité postérieure, les deux treuils

accompagnés de deux grands ressorts

horizontaux en bois. C’est là énorme engin et l’auteur a raison de

recommander de prendre garde à soi au moment où la verge décoche son tir. Pour

ma part, je m’attelais à l’ouvrage avec ardente volonté. Je dois à la pure vérité

de confesser que sans l’intervention opportune de mon maître et compagnon,

le résultat n’eut point été à la hauteur de mes espérances. Quoi qu’il en fût,

succédant à cinq longues années d’un siège qui eut pu facilement en supporter

le double, moins d’un mois après notre arrivée les murailles épaisses de Xiangfan

furent ruinées. Le général A-Chu reçu la

Page 159: Alias Marco-Polo

reddition des assiégés, n’ayant n’éprouvé

nulles autres difficultés pour s’emparer de la ville forte. Restait à exploiter cette

victoire, pour enlever toutes autres

forteresses ayant velléités de résistance et ainsi, par ces actions asseoir

définitivement la suprématie du grand Khaân. Nos mangonneaux furent utilisés

par la suite dans chaque bataille, avec un invariable succès. Notamment sur le

fleuve Yangtze où j’eu l’idée d’équiper une grosse galère avec une version

réduite de cet appareil. Grâce à cette innovation la flotte ennemie fut anéantie.

Dans l’année qui suivit l’empire Song se rendit sans conditions.

Auréolés de cette prestigieuse victoire,

nous regagnons la capitale. Fêtes et

honneurs, à la hauteur de nos réussites, se succéderont trois jours d’affilé.

Dorénavant je suis ordonné, et mes compagnons avec moi, au service direct

de Kubilaï Khan. Attachés au palais du suzerain, nous ne dépendons plus du

gouvernement, encore moins de l’administration Song. Ma fonction

personnelle n’est pas celle d’un fonctionnaire, mais celle d’un « homme

de l’empereur ». Cette réussite exceptionnelle n’est pas entièrement due

aux exploits guerriers ou mérites personnels, les intrigues de Cour y

participent d’une large part. En bonnes

Page 160: Alias Marco-Polo

comme en mauvaises intentions. N’eut

été l’intervention de Bekhchin, un complot nous aurait coûté la tête à tous,

sans nuls doutes.

Nous sommes, depuis matines de cette

belle journée, à la tête d’une forte délégation en route pour la province de

Yangzhou. Matéo rentre d’une longue ambassade portée au pays des « fils des

matins calmes »30. Une contrée, tout au levant dans la mer qui borde l’empire de

ce côté. L’empereur est intervenu personnellement, pour que mon ‘oncle’ se

joigne à notre mission. Sans doute estimait-il, et à juste titre, qu’une tête

chenue serait utile pour modérer mes ardeurs de jeune notable. Car je me

rends à Ganzhou afin d’y prendre

possession de ma nouvelle charge de gouverneur. Honneur mais surtout sage

mesure, visant à nous éloigner des jalousies et suspicions de son entourage.

Nicolo et Angeot préparent de leur coté l’invasion d’un royaume lointain, située

au levant, par lequel ont peut accéder facilement à la mer des Célèbes et

rejoindre les routes maritimes qui desservent l’occident. Cette position

stratégique de tout premier ordre, ne pouvait échapper à l’annexion au sein de

l’empire, bon gré mal gré.31 Au vu des préparatifs qui occupent nos

Page 161: Alias Marco-Polo

compagnons, le mauvais gré semble

l’avoir emporté. Chevauchant aux cotés de Matéo plongé

dans ses pensées, j’ai bien l’intention de

lui faire part de nos récents avatars dont il est encore dans une complète

ignorance. Cette route sûre et tranquille, propice aux échanges de confidences,

semble s’y prêter. Je suis soucieux qu’il ne soit informé par une autre source et

ne vienne à me suspecter de dissimulation. Je m’approche donc

hardiment pour engager parole. -Voyez-vous mon oncle, puisqu’il faut

bien vous appeler ainsi, et soyez convaincu que cela constitue un insigne

honneur pour l’humble Gihlem du Rosemont, écuyer au modeste blason, qui

sait tout ce qu’il doit à votre bonté.

Voyez-vous notre protecteur est un souverain bon et éclairé. Je n’en veux

pour preuves que ses récentes décisions. N’a-t-il pas décidé de rénover et

d’étendre le réseau de routes du nouvel empire, ainsi que de faire rebâtir les

édifices publics et même d’entreprendre le creusement d’un grand canal. En outre

il protège les arts et se montre tolérant à l’égard des différentes religions,

accueillant prêtres nestoriens et Lamas tibétains. Je dois préciser pour garder

entière objectivité et sans que cela amoindrisse ses nombreux mérites, que

Page 162: Alias Marco-Polo

sur ce dernier point, sa tolérance trouve

une exception. - Oui !...Tiens donc, vous m’en direz tant.

- A l’endroit du taoïsme, pour lequel il

éprouve une vive méfiance. La cause en remonte fort loin, à l’époque ou son frère

Mögke était encore ‘Grand Khaân des Mongols’ et lui simple Khan. En l’an de

grâce 1253 du règne de notre seigneur Christ, Kubilaï avait eut l’intention de

faire venir le deuxième Karmapa, le Karma Pakshi, pour être par ses soins

initié à cette philosophie ou ce culte, je ne sais ! Or le moine déclina l’offre, au

prétexte de ne vouloir pas causer de conflits avec l’école des Sakyapas dont

l’influence était solide auprès de l’empereur régnant. A la mort de son

frère, le nouveau Khaân demanda, une

nouvelle fois, à Pakshi de venir le rejoindre.

Le moine n’eut cette fois d’autre recours que d’accepter, les Khaân Mongol étant

reconnus par le Karmapa comme disciples. Pakshi s’engagea donc sur les

longs chemins qui mènent en Mongolie. Trois ans de voyage pour à l’arrivée se

voir arrêté et exilé sur ordre de l’empereur, qui ne lui avait toujours pas

pardonné son précédant refus. Il se trouve, mon oncle, que j’ai rencontré cet

homme humble et instruit, morfondu de ne pouvoir rentrer chez lui. Vous me

connaissez messire, sa détresse ne

Page 163: Alias Marco-Polo

pouvait me laisser indifférent. Ému, j’ai

commis l’erreur d’intercéder, directement et sans précautions, auprès du souverain

pour qu’il pardonne ou adoucisse la peine

du moine. Oh ! J’ai obtenu gain de cause, mais dans le même temps froissé des

susceptibilités, qui nous valurent très grand péril. Car vous devez savoir

qu’après la cinglante rebuffade que nous venons d’évoquer, furieux Kubilaï

souhaita alors s’initier au bouddhisme. Il demanda à un prince de sa race nommé

Godan, de lui confier Drogon Chögyal Phagspa, moine tibétain âgé de vingt-

trois ans qui enseignait l’école du bouddhisme tibétain à laquelle il

appartenait. Il advint qu’en 1260, l’année où il devint Khaân, Kubilaï nomma

Chögyal Phagspa régent Impérial. Belle

promotion mais mauvaise nouvelle pour le Karma Pakshi, car Phagspa, qui fut

ainsi le premier sous ces cieux à introduire une relation entre l’État et la

religion, ne l’appréciait que fort peu et s’employa à persuader le Grand Khaân,

qu’un bannissement à vie s’imposait. Pour renforcer encore sa position et

asseoir son influence, Chögyal Phagspa prétextant la nécessité d’unifier le

multilinguisme de l’Empire mongol, su convaincre son protecteur que sa

dynastie avait besoin d’une nouvelle écriture. Il se vit aussitôt confier cette

tache. Le Lama modifia l’écriture tibétaine

Page 164: Alias Marco-Polo

traditionnelle, créant une nouvelle série

de caractères. Finalisée en 1268, elle est devenue l’écriture officielle de l’empire, y

compris à la place des sinogrammes

utilisés par la dynastie Song et celles avant elle. Inutile de vous dire que le

ressentiment de l’élite lettrée, les mandarins, fus forte et perdure encore de

nos jours. Mais là n’est pas notre actuel souci. Pour ce qui nous concerne, ce

réformateur grisé par sa grande notoriété et jaloux de ses prérogatives,

probablement mal conseillé aussi, se mit en tête de considérer mon intercession

comme une atteinte à ses privilèges et en prit ombrage. Apparut alors une sombre

cabale, montée de toutes pièces, prétendant que les chrétiens, nous par le

fait, fomentaient une révolte en alliance

avec les Mandarins. Pour preuve de cette accusation…un ouvrage. Mais pas anodin,

c’était le livre Mong-T’ï Pi-t’un, « Note du ruisseau de rêve ». Réalisé à moult

exemplaires identiques, en utilisant des planches comportant des caractères

mobiles, sur le modèle de ceux fabriqués par le forgeron-alchimiste, Pi Ching en

l’an 1041. Hélas, la cour des empereur Song avait fait confectionner ces livres

pour obtenir la protection de Bouddha…contre les envahisseurs

mongols. De là à insinuer que le fait se confondait avec la cause, le pas était vite

franchi. Un mauvais vent soufflait,

Page 165: Alias Marco-Polo

comment allait réagir le Grand Khan ? Je

ne dus mon salut que par l’intervention providentielle de la noble et brave

Bekhchin. Elle expliqua que je ne savais

pas encore déchiffrer les caractères de l’écriture utilisée, et que ce livre ne

m’appartenait en aucune façon, utilisé pour l’étude non pour la réflexion. Elle

parvint ainsi par sa seule conviction à rassurer le Khaân sur ma bonne foi. Par

ma conduite dans la défense de ses intérêts, ne venais-je pas en outre,

d’apporter les preuves en suffisance de ma fidélité envers l’empereur… Le procès

fut bientôt clos, sans avoir eu besoin d’être débattu. Mais cette alerte m’à

ouvert les yeux sur le fait que nous n’avons pas que des alliés dans

l’entourage du monarque. Je tenais

messire, à vous en faire part pour votre gouverne.

Mattéo ce jour là, n’ajouta aucun

commentaire. Mais il avait lui aussi, compris que nous devions nous montrer

vigilants. Il m’incita notamment à persévérer dans l’étude de la langue en

usage autour de nous, lui-même y renonçant en arguant de son âge trop

avancé pour ce faire. Mon actuelle affectation, prestigieuse tout

autant que fort éloignée, tenait sans doute au principal motif que le Khan ne

voulait pas prendre le risque de mettre à

Page 166: Alias Marco-Polo

cette place un mongol car la province

venait de subir une série de répressions terribles.

Outre le couvre-feu permanent, soldats,

milices, hommes d’armes du guet et hommes de police étaient omniprésents

dans les villes. Troupes de cavaliers d’élite, postées sur chacun des

innombrables ponts du fleuve Hangzhou. Mes instructions avaient été on peu plus

claires ! Je devais être l’œil du Khaân sur toute la région du Yangzhou et lui

rapporter, personnellement, mes observations. La formule « Œil discret,

bouche adjointe » avait été prononcée. Angeot avait traduit d’impertinente

façon ; « un mouchard de confiance ». Je dois admettre qu’il entrait pour une

bonne part de vérité dans cette

expression. Pour affirmer mes pouvoirs au même temps que de m’offrir une

protection, j’avais été doté d’un sauf-conduit, un Paiza, dans la langue d’ici.

Les mongols l’appelaient Gerege, c’étaient de minces tablettes en bois, en

argent ou en or, d’une longueur de deux ou trois main et d’une largeur n’en

excédant pas le travers. Ceux en or étaient surnommés « œil de

l’empereur ». L’efficacité en était prodigieuse, un homme sort de la foule,

dépourvu d’attributs et sans uniforme, il montre son « œil »… et passe au dessus

de tous.

Page 167: Alias Marco-Polo

Durant notre séjour, qui allait durer trois années, il me faudra aller rendre compte

conformément à mes instructions et ainsi

effectuer plusieurs allers et retours, entre Ganzhou et les trois palais du khan.

Je rentrerai de mon premier rapport, nanti du titre officiel de « Messire », enfin

son équivalent, traduit d’une longue phrase en écriture Phagspa, ayant

semblable signification. La seconde entrevue, me verra attribuée la fonction

prestigieuse ‘d’inspecteur des finances’. Cette distinction sera consécutive à mon

étude sur les tenures de la dynastie Yuan, ainsi qu’aux recommandations que mon

impertinence, passant outre l’oncle Matéo, s’autorisera d’y faire tenant. J’y

relevais que le système économique en

vigueur se fiait exclusivement aux marchands et négociants pour ses

rétributions. Du même temps que les revenus des grands domaines agricoles

obéissaient eux aux règles féodales. Sans en distinguer les produits d’extractions

comme le sel ou les mines de métaux et pierres précieuses. Pour la seule province

de Hangzhou, une taxation modérée sur le sel pouvait rapporter six millions de

saggio d’or, par an32. Cependant, bien qu’appréciant et

récompensant mes efforts, j’allais m’apercevoir que le Khan n’était en rien

préoccupé d’accroître les revenus d’un

Page 168: Alias Marco-Polo

empire, qui se trouvait déjà

immensément riche. Voici la manière dont il doit et a plus de trésor que tous

ceux du monde. Bien conseillé, le Grand

Khaân rendit obligatoire, sur la totalité de ses territoires, une première forme de

paiement en utilisant des pièces métalliques à l’effigie d’un cavalier. Le

même conseillé eut alors une idée et le trésor royal introduisit en 1227, une

monnaie faite de simple papier ! Un papier similaire en tout, à celui utilisé

pour l’écriture. Les caractères mobiles en terre cuite mêlée de colle et durcis au

feu, imaginés par Pi-Cheng permit de graver entre 1236 et 1251, plus de

quatre-vingt mille planches xylographiques. Grace à ce papier

d’écorce qui ne lui coûte rien, le khan

achète tant chaque année que c’est sans fin qu’il augmente son trésor. L’usage de

ce papier monnaie ayant été rendu obligatoire sous peine de mort.

Néanmoins, l’accroissement des revenus d’impôts m’autorisa à intervenir sur le

marché des grains, pour en réguler le fonctionnement. Cette mesure assura aux

gens vivant du seul revenu de leurs terres, le bénéfice d’une meilleure

stabilité dans la fixation du prix de leurs productions. Un autre progrès très

important consista en la création de fonds sociaux.

Page 169: Alias Marco-Polo

Toutes ces mesures, favorables à

l’expansion et la stabilité de l’empire disposèrent de plus en plus

favorablement le Khan à notre endroit.

Au point de parvenir à lui faire édicter une loi supprimant, de manière définitive,

le massacre de dizaine de milliers de personnes qui par tradition

accompagnait, jusque là, l’enterrement de chaque grand Khaân. En contrepartie,

l’effet pervers de cette confiance fut qu’il refusa absolument toutes tentatives que

nous fîmes pour vouloir regagner, nos familles pour certains, nos terres natales

pour tous.

Page 170: Alias Marco-Polo

Chapitre VIII. Achmat

Je ne souffrais point de cet éloignement,

mais tel n’était pas le cas de messires Polo. Les deux frères devenaient

coutumiers, selon une fréquence qui augmentait à proportion que les années

s’écoulaient, d’une langueur pour leur pays de Venise et pour leurs parentés.

Chez messire Angeot, la chose était moins tranchée. Ainsi certains jours se

félicitait-il de son actuelle position pour le confort dont elle était parée. Mais

d’autres fois, une langueur des paysages

de son enfance, la souvenance de tel fromage ou de tel plat spécifiques de sa

contrée lui faisaient rougir l’œil et rendaient l’âme maussade. Moi-même, il

m’arrivait à fréquentes reprises d’éprouver, non le regret de mes versants

Vosgiens, mais forte souvenance d’un tout jeune homme, abandonné par nous

dans une ville très éloignée du centre de l’Europe. Son nom n’était-il pas celui-là

qui me servait quasi quotidiennement pour m’annoncer.

Cette interrogation devenait plus pressante, par le fait que Bekhchin portait

depuis cinq mois le fruit de nos amours.

Le fils de Gihlem Wertl et de Bekhchin Khatun porterait-il le patronyme,

étranger, de Polo, ou reprendrait-il celui de ma filiation ? Les frères Nicolo et

Page 171: Alias Marco-Polo

Matéo, consultés à ce sujet, n’y

trouvaient point de réponse et, pour dire le vrais, semblaient bien n’y accorder que

peu d’importance. Dans une année

s’achèverait la deuxième décade du couronnement de Kubilaï Khan. De

grands réjouissements étaient prévus pour la célébration. Nous fûmes envoyés

en délégations porter la nouvelle, dans tous les grands royaumes ayant noué

relations d’ambassades. Long voyage, rendu plus supportable par

la remarquable organisation de la poste impériale. Nos gereges garantissaient

gîte, couvert, chevaux frais et priorité sur les routes. Cependant l’état de Bekhchin

lui imposait d’user de litières, ce qui mettait frein à notre allure. Progressant

vers le midi, nous atteignîmes les confins

de la province qui marque la limite de l’empire Song du Manji33.

Les énormes et fantastiques montagnes qui la bordent donnent accès aux

multiples royaumes des Indes. Le franchissement nous en apparu

impossible, mais les guides qui nous faisaient escorte affirmèrent que c’était là

chose tout à fait commune. Bientôt pourtant nous dûmes affronter des

chemins qui n’en étaient pas. Ce n’étaient au mieux que simples sentes, serpentant

entre parois et précipice effrayants. Le chariot transportant Bekhchin dût être

abandonné et c’est en litière, portée par

Page 172: Alias Marco-Polo

dos d’hommes, qu’elle continua le

voyage. La résoudre à accepter ce mode de

transport ne s’avéra pas chose des plus

aisée. La fière guerrière s’y opposait vivement. Pressentiment ou simple

manifestation de son caractère combatif, je ne saurais me prononcer, mais sa

réticence était d’importance. Les bivouacs nous apportaient le repos

des membres sans toutefois nous empêcher de souffrir du froid. Un vent

sournois parvenait à en introduire la morsure, jusque sous nos fourrures.

Heureusement, nous étions munis de cette curieuse tourbe, noire et luisante,

qui était extraite du sol dans les plaines du Zhöngguo. Les régions de hautes

altitudes sont pauvres en forêts, le bois

faisait souvent défaut. Aussi cette tourbe, dure comme une pierre, facile à

transportée bien que très salissante, s’avérait un merveilleux combustible34.

Nous avions fait le plus périlleux et franchi plusieurs cols, notre descente

s’amorçait sur les plaines qui succèdent aux formidables montagnes du ciel35.

C’est alors que nous avons eu à subir un terrible orage. Sous l’effet de la pluie des

roches, de la terre et des végétaux se détachaient des parois qui nous

surplombaient. Dévalant en cascades au fond ses abîmes, nous ne parvenions à

nous en garder qu’en formant protection

Page 173: Alias Marco-Polo

de nos écus posés sur piques et toutes

sortes de supports. Dispositif efficace pour de petites masses, une coulée de

matières importante aurait tout balayé.

Ce qui par la grâce de Dieu ne fut pas le cas et déjà nous reprenions espoir.

L’affaiblissement progressif de l’averse nous incita à reprendre la difficile

progression. Hélas, cette décision s’avéra fatale par le malheur qu’un pan entier du

sentier se détacha pour ne plus laisser qu’un vide horrible. Ceux qui étaient

passés et ceux qui étaient restés en arrière contemplaient le tronçon disparu.

Il avait emporté avec lui les porteurs, Bekhchin et son espoir de vie. La douleur

me terrassa au point que je ne pu participer aux travaux qui consistaient à

creuser une sorte de galerie pour

permettre un passage à titre temporaire. Je cherchais avec fièvre un moyen

d’atteindre les corps en contre bas. Las, ils n’étaient même pas visibles, un épais

brouillard montait du torrent furieux que l’on entendait gronder tout au fond. Mes

compagnons durent m’arracher de force à ma contemplation morbide.

C’est dans une sorte de brume semblable à celle qui couvrait les disparus que flotta

mon cerveau durant tous le reste du parcours. Partout dans les royaumes de

l’Inde on a pratique étrange de faire brûler le corps des morts. Chez eux le feu

purifie, chez nous il est désignation de

Page 174: Alias Marco-Polo

l’enfer réservé aux hérétiques, aux

idolâtres ou aux gens ayant commerce avec le diable. A chaque bûcher rencontré

par la suite, ma pensée me reportait vers

ma mie gisant sans nulle sépulture, de terre ou de feu.

Combien de nombreuse et nobles citées, regorgeant de soies et de pierreries, dont

les princes ont chasses et venaisons et toutes choses qui conviennent à nobles

personnages, avons-nous traversées. Festins, draps d’or et de soie n’apaisaient

ma douleur. Tant et si bien que ma suite se désolant de mon état, préféra écourter

le périple qui durait depuis déjà plus d’un an.

L’itinéraire initial prévoyait de revenir en suivant une route ne s’éloignant pas

grandement du rivage des mers bordant

les contrées jusqu’au royaume de Si-am. Ce faisant nous passerions par le midi des

hautes montagnes, sans subir l’épreuve d’avoir à les traverser à nouveau. Il fut

pourtant convenu de ne pas s’y tenir et d’embarquer sur une de ces nefs, aux

voiles faites d’étonnantes façons, parfois appelées Sam-pao36. Il s’agissait de

profiter de, ces ‘mouy suan’, nom signifiant ‘printemps’, que les arabes ont

transformé en maw sim, et qui sont des vents réguliers, particulièrement

favorables aux voyages par voie de mer du fait de leur opiniâtreté à souffler six

mois dans une direction et les six autres

Page 175: Alias Marco-Polo

mois dans la direction opposée.37 Les

traversées entre chaque États, s’en trouvères rudes et de durées parfois fort

longues, car si le vent est fort, la pluie

qui lui fait souvent escorte ne l’est pas moins. Certaines traites excédaient trois

semaines, sans que fusse aperçu terre ou autres navires. La navigation se faisait

merveilleusement, par le miracle de la verticité d’une pierre d’aimant. Cette

pierre, sur laquelle était posée une sorte de cuillère, à été dite comme « Magnetis

Amalphis » dans le rapport qui en fut fait par un moine savant, nommé Jacopo

d’Aquin, accompagnant de Plan Carpin dans ses premiers voyages38.

La Description en avait été obtenue du mage Shen Kuo de la dynastie Song, qui

vécu entre 1031 et 1095. Grâce à la

constance de cette pierre à toujours indiquer la direction opposée de l’étoile

polaire, le capitan se trouvait dans la capacité de trouver sa route, pourvu qu’il

eu à sa disposition des portulans, même incomplets. L’observation des astres, en

cumul avec les relevés constants de la profondeur des eaux en abordant les

côtes, venaient compléter ses observations.

C’est ainsi avec une grande sûreté que nous fûmes en mesure de contourner

d’immenses territoires. Passant de leur ponant à leur levant, sans perdre notre

Page 176: Alias Marco-Polo

route ni notre aptitude de toucher aux

havres qui nous étaient en destination. De cette remarquable maîtrise, nous

bénéficiâmes pour rejoindre la partie des

rivages de l’empire tournée face aux grandes îles du Yamato. Cet archipel dont

le grand Khaân, depuis 1268, s’apprêtait à envahir les royaumes39. Le lecteur

attentif se souviendra que c’est précisément à cette noble tache que

s’étaient employés, avec une efficacité qui n’avait point encore portée ses fruits,

messires Nicolo et Angeot. Par extraordinaire, des ‘courriers-flèches’

nous vinrent informer de la présence de nos compagnons, dans une ville très

voisine de notre lieu de débarquement.

Lorsque nous les retrouvâmes, ils étaient

en grandes entrevues avec un émissaire du pays que ses habitants désignent eux-

mêmes par un vocable signifiant « Pays du soleil levant ». Le Shogun Chinzei

Bugyo de Kamakura se trouvait en grande ambassade, prodiguant efforts et

démarches pour tenter d’éviter un conflit entre les deux puissances. L’affaire

n’aboutis pas et chaque partie s’en retourna à ses préparatifs de guerre.40

La nouvelle du triste sort de Bekhchin était déjà parvenue à Changtou ou se

tenait la Cour du Khan. Des funérailles à défaut d’obsèques lui furent réservées qui

durèrent trois jours d’affilé. Comme je

Page 177: Alias Marco-Polo

m’étonnais que ces informations aient pu

nous précéder alors même que nous en pensions détenir la primeur, Angeot me

brocarda d’une telle candeur.

- C’est que vois-tu mon prince, L’empereur envoie des messagers en

différentes parties du monde, mais les différentes parties du monde lui envoient

aussi des messagers. Ces gens, partie diplomates partie espions, propagent

nouvelles et rumeurs, souventes fois sans y mettre plus de discernement que

commères en lavoirs. Hélas leurs dires sont reçut comme évangile.

Les paroles de mon vieux maître,

empreintes d’une sagesse évidente bien qu’entachées d’une amertume qui

m’apparue exagérée, retinrent puis

bientôt accaparèrent toute mon attention. N’ayant plus ma mie pour lui consacrer

mon temps libre, je me vouais à pénétrer de plus près les arcanes du pouvoir.

Kubilaï, amusé ou intéressé par mes idées sur ce sujet, m’autorisa à me tenir

à ses côtés dans le moment ou il se consacrait à l’audition de ces rapports. Il

ne me fallu que peu de temps pour m’apercevoir qu’à leur retour de

missions, ces messagers ne savaient rien lui raconter d’autre que ce pourquoi ils

étaient partis. Et encore bien moins de temps, avant de les tenir tous pour légers

et incapables.

Page 178: Alias Marco-Polo

Le Khan partait chasser quelque part sur

ses terres. Par faveur spéciale, autorisation me fut donnée d’instruire les

messagers qui étaient présents par mes

remarques. En substance, je leurs tint un bref propos par lequel je m’appliquais à

leurs faire discerner que l’empereur aimerai mieux ouïr nouvelles et coutumes

des diverses régions, que le strict objet de leurs missions. « Votre Roi se complaît

beaucoup à écouter les choses étranges ». Je les engageais donc à

mettre toute leur attention pour apprendre les diverses choses qu’il leur

serait loisible d’observer à l’aller comme au retour, et dans toutes les directions,

afin qu’en arrivant pouvoir les dire au souverain, sans en omettre aucunes.

Comprirent-ils cette volonté…Il est loisible

d’en douter. Des événements, d’une portée incommensurablement plus

importante, se déroulaient dans le même temps… On me fit quérir.

Le khan venait de regagner Chang-tou, une des capitales de son peuple. À

Karakorum la veille ou l’avant-veille, le premier ministre Achmat avait, été occis.

Des mandarins factieux, membres du parlement de la dynastie Song seraient,

d’après les premiers rapports, les instigateurs de cette vilainie.

L’empereur, transporté de colère nous rejoignit en son palais où il donna

instructions desquelles ressortait que

Page 179: Alias Marco-Polo

Messire Po-lo était nommé Enquêteur-

privé, envoyé du Grand Khaân. Horh-khono-sse, surintendant des études,

envoyé adjoint avec le conseiller

d’administration A-li et d’autres. A charge et commandement pour eux de prendre

des chevaux de poste afin de se rendre immédiatement à Khanbalik41 au motif

d’y instruire l’affaire et châtier les coupables après jugement tenu en son

nom.

La décision n’appelait pas de commentaires, dans le même jour nous

prenions la route à la tête d’une forte troupe détachée de la garde personnelle

du khan. Cependant j’éprouvais dans pareils moments plus vivement encore la

cruauté d’être séparé à jamais de ma

fière compagne, Bekhchin.

Page 180: Alias Marco-Polo

Chapitre IX. Li-taï Ki sse.

En arrivant dans la grande citée, nous

trouvâmes vive agitation, mais point traces d’une rébellion ou de la moindre

action de guerre. Les gens vaquaient à leurs occupations d’usage, paraissant peu

ou prou affectés du drame. Il en allait tout autrement dans le palais

ou résidait le premier ministre et sa nombreuse domesticité. Celui qui nous

reçut était un lettré, donc mandarin, nommé Yüan sse. Il nous informa

d’emblée que notre enquête serait

facilitée de ce que les fautifs étaient d’ors et déjà à disposition de la justice. Comme

nous l’en félicitions et lui demandions de nous révéler l’identité des coupables, il

mit un comble à notre étonnement qui était déjà grand, en montrant le conseil

qui se tenait rassemblé derrière sa personne, puis en se désignant pour en

être le chef et l’instigateur. Il fallait aviser, l’affaire prenait une

tournure que nous étions loin d’imaginer lors de notre départ. Crime de

déséquilibrés, invraisemblable ! Mais alors, quelle était l’explication d’une telle

attitude ?

Par quelle diablerie de respectables et respectés notables pouvaient-ils se

déclarer incriminables d’un si horrible forfait ?

Page 181: Alias Marco-Polo

Il n’en demeurait pas moins que nous

étions en charge de le sévèrement sanctionner. Il nous fallait aviser et sans

plus tergiverser prendre une décision. Li-

taï Ki sse nous assura se tenir à notre discrétion, lui et ses confrères. Nous

eûmes tôt fait de convenir de n’avoir meilleur parti que de réunir assemblée

tenante. Les auditions se prolongèrent fort avant

dans la nuit faite, tant le récit qui nous fut relaté était riche d’explications et

d’exemples à valeurs de preuves. Pour ne pas surcharger le lecteur, je résumerai en

disant que ce premier ministre était vile canaille, usant et abusant de sa situation.

Rançonnant et humiliant les personnes qui lui étaient assujetties. Nobles, gens

de titres et gens de peu, nul n’échappait

à ses prévarications. La forfaiture s’aggravait à nos yeux en cela qu’il

détournait l’argent destiné au coffre impérial. Malversations et concussions ne

connaissaient pas de limites chez ce personnage dévoyé. Les choses

perduraient, qui auraient pu encore se perpétuer longtemps, si sa cupidité ne

l’avait entraîné à commettre un crime particulièrement odieux. Une jeune

veuve, dont le nom était Duan Jiezi, fort belle encore et de noble lignage, détenait

par héritage un objet magique d’une valeur inestimable supposée détenir des

Page 182: Alias Marco-Polo

pouvoirs prodigieux. Rien moins qu’une

corne de Qî-lîn, Or il advint que le gouverneur Achmat

voulut s’emparer des deux choses

admirables pareillement. Cependant la veuve lui opposa refus et grand mépris.

Le despote paru oublier l’affront et ses envies. Toutefois, à quelque temps de là,

Duan Jiezi fut enlevée, nul jamais ne la revit.

Sans nous être autrement concertés,

messires Horh-khono-sse, A-li, et moi-même, avons ressentis, la nécessité de

nous entretenir, en cabinet privé, sur ces affirmations accusatrices. J’avais pour ma

part un certain nombre d’incertitudes et une grande interrogation. Laissant les

suspects sous bonne garde, nous prîmes

du champ pour échanger quiètement nos impressions et aviser de cette déroutante

affaire. - Messire le surintendant des études, et

vous Sieur conseiller d’administration, quel sont vos sentiments ? La culpabilité

du premier ministre ne laisse aucunement place au moindre doute, les preuves et

témoignages en sont par trop accablants. Mais pour autant rien n’atteste, de façon

formelle, que la disparition de la veuve doive lui être imputée. Quelque soit la

force des présomptions que nous puissions nourrir à ce sujet, nous ne

pouvons nous contenter d’affirmations. Et

Page 183: Alias Marco-Polo

puis… Excusez-moi de vous poser la

question, mais je ne suis qu’un étranger encore bien ignorant des subtilités de

votre culture. Mais qu’es-ce donc que ce

« qilin » si bellement fabuleux et d’une telle supposée valeur ?

Le Surintendant Horh-khono-sse, se

trouva disposé à m’apporter les réponses que j’attendais. Homme couvert d’ans et

de sagesse, il le fit avec beaucoup de bon sens.

- Avec vos permissions je suggère de continuer nos investigations. Nous devons

réunir des éléments en suffisance afin de rendre un verdict équitable. Non pour ce

qui concerne Achmat, sa duplicité criminelle apparaît d’évidence. Mais

envers les auteurs de sa mort. N’oublions

pas que nous aurons à justifier de nos actes lors du retour et de notre

comparution devant le Grand Khaân. Pour ce qui concerne votre dernière question

messire Po-lo, le Qî- lîn est un animal… chimérique pour certains. Ceux qui

ajoutent foi en son existence le représentent sous l’apparence d’un

animal doux et aimable, pourvu d’un corps de cerf et d’une tête de cheval

ornée d’une corne unique en son front. Cette corne, faite de l’ivoire le plus pur,

est symbole de sagesse non arme. Elle lui permet de séparer les justes de ceux qui

ont commis vilainie ou forfaiture. Le Qî-

Page 184: Alias Marco-Polo

lîn est l’incarnation même de l’harmonie,

sa voix est mélodieuse, sa démarche régulière. Il ne fait pas un pas sans avoir

regardé où il va se poser son pied pour

ne détruire rien sous son sabot, pas même un brin d’herbe. Nous le nommons

« bête bienveillante, bête auspicieuse ! » et nous voyons en lui l’émanation de

‘Taisui’, dieu astral de tout l’univers. Qî est le nom du mâle et Lîn celui de la

femelle… Qî-lîn la combinaison des deux. Le cri du mâle présage l’apparition d’un

sage, celui de la femelle le retour à la paix. Ceux qui refusent de croire en sa

réalité lui donnent le nom de Sibuxiang, ce qui signifie « qui ne ressemble à

rien ». Évidement ce sont des incrédules, dans les rangs desquels je dois avouer

me compter. Que vous dire encore sur ce

Qî- lîn ? Malgré son tempérament pacifique, il peut combattre le mal en

crachant des flammes et rugissant d’une voix de tonnerre. Inutile de vous dire que

posséder une corne de cet animal constitue une rareté, équivalente à celle

de votre Saint Graal chrétien, on en parle beaucoup mais jamais ne le contemple.

La valeur qui lui est attribuée est d’autant plus forte qu’elle est symbolique, cette

particularité n’a pas échappée aux faussaires et affabulateurs de tous poils

qui tentent d’en faire la ‘découverte’ et surtout le commerce, par tous moyens

imaginables...

Page 185: Alias Marco-Polo

Le conseiller A-li, manifesta alors son désir d’apporter sa contribution à la

discussion. En prenant toutes les

circonvolutions verbales d’usage, il fit remarquer que même dépourvue de son

origine mythique, une pointe de pur ivoire enchâssée sur un bloc d’or,

rehaussée de diamants et rubis, restait un objet susceptible d’attirer les

convoitises les plus acharnées. Nous en avons convenu avec empressement,

nonobstant - me sembla t’il - un léger agacement manifesté par mon voisin le

conseiller. J’étais pour ma part amplement

renseigné sur le sujet, ce qilin n’était ni plus ni moins qu’une façon de Licorne,

arrangée à la façon des gens d’ici.

Après une rapide collation et un bref repos je proposais à mes compagnons de

retourner recueillir témoignages et éclaircissements. Nous fîmes à nouveau

comparaître le mandarin Li-taï Ki sse. Je dois dire que, ni mes commensaux ni

moi-même, ne nous attendions aux révélations dont ce noble lettré allait nous

apporter le témoignage. Nous voulions l’entendre sur les raisons qui les avaient

poussés, lui et les autres sages, à commanditer la soudaine mise à mort du

tyran Ŕ car supposions-nous, ils ne s’étaient pas eux-mêmes chargés de la

besogne Ŕ après avoir supporté son joug

Page 186: Alias Marco-Polo

sans broncher pendant des années. Ce

que nous entendîmes alors avait de quoi faire frémir et peut-être justifier une telle

décision. Jugez-en plutôt, je vous

rapporte le contenu intégral de la déposition recueillie ce jour là. Sur

interrogation du Surintendant Horh-khono-sse, le mandarin Yüan sse fit la

réponse suivante ; - Nous avons toujours voulu éviter de

recourir à des actions violentes ou illégales. Nous avions grande confiance

en la justice du Grand Khaân et toujours espérions qu’il apporterait remède à nos

maux… Si seulement il venait à en avoir connaissance. Or, vous n’ignorez pas que

parviennent aux secrétaires privés de l’empereur ou ne sont retenus par ceux-

ci, que les seuls documents revêtus du

sceau de son ministre ou de l’un de ses adjoints. Toutes nos précédentes

tentatives se sont soldées par des arrestations tôt suivies par l’exécution

des auteurs, ou présumés tels, de la dénonciation. C’est en désespoir de cause

que j’ai conçu un plan fol, m’emparer du sceau ministériel et l’apposer sur un

nouveau libelle. J’ai choisi, pour agir de mettre à profit un conseil présidé par

Achmat. Le matin, je m’étais fais excuser, comme souffrant de fourbures, les

notables participants, ceux que vous retenez pour coupables, avaient

instructions d’y introduire moult requêtes

Page 187: Alias Marco-Polo

afin d’allonger la durée des débats autant

que faire se pouvait. Prétextant être mandé par leur maître, il me fut aisé

d’abuser la suspicion des domestiques et

valets. Je pus ainsi gagner les appartements privés du gouverneur et

réussir à accomplir mon dessein. Je repartais quand soudain un bruit de voix

m’alerta, Achmat revenait. Pris de panique je cherchais à m’enfuir, la pièce

ou je me trouvais comportait une porte dérobée par laquelle je m’esquivais sans

savoir ou elle me conduirait. Un couloir puis une autre porte donnant dans une

salle ronde et voûtée dont les murs étaient percés de deux ouvertures, toutes

deux fermes de grilles massives. M’avançant, je pu constater que la

première donnait sur une salle de garde.

Des bruits d’armes me firent craindre d’être découvert, aussi sans plus pouvoir

prendre le temps de la réflexion, je pesais sur la seconde dont la grille par chance

n’était pas cadenassée et m’y engouffrais. Je fus aussitôt assailli par

une épouvantable odeur de putréfaction. L’étroit boyau ou je venais de

m’aventurer se terminait par une salle identique à la première, plus basse et

petite toutefois. En son centre je crus voir un cénotaphe, l’odeur abominable

semblait provenir de ce meuble. Surmontant ma répugnance je me suis

avancé… Me croirez-vous messires si je

Page 188: Alias Marco-Polo

vous affirme, qu’après m’être approché

suffisamment pour mieux distinguer, j’eu la plus atroce révélation de toute ma vie.

Une existence fertile cependant en

événements de toutes natures, bons et surtout mauvais, je puis vous en donner

la formelle assurance. - Vous nous faites languir, monseigneur

Li-taï Ki sse, venez-en au fait par bonté ! Comme tous ceux de mon pays, la

patience n’était certes pas ma vertu principale. Plus réprobateur qu’inquiet, le

mandarin repris le fil de son récit. - Représentez-vous deux auges de terre

cuite, faites exprès si égales, que l’une n’excède point l’autre en longueur ni en

largeur. Une personne que l’on veut punir ou de qui l’on veut obtenir

renseignements, sans la vouloir faire

mourir avant qu’elle n’eut pu le délivrer, y est couchée sur les reins dedans l’une

d’icelle. Couverte l’une par l’autre, les auges sont alors scellées ensemble.

Faisant en sorte que les pieds, les mains et la tête sortent dehors par des trous

que l’on y à fait expressément, le restant du corps demeurant couvert et caché au-

dedans. On lui donne alors à manger tant comme il veut, et s’il ne le veut, on le

contraint par force en lui poignant les yeux avec des alênes et en bloquant la

bouche. Puis quand il a mangé, on lui donne à boire du miel détrempé avec du

lait, et lui en verse non seulement en la

Page 189: Alias Marco-Polo

bouche, mais aussi sur tous le visage en

le tournant tellement qu’il a la face sans cesse toute couverte de mouches. Faisant

dedans ces auges toutes les nécessités

qu’il est force que l’homme, buvant et mangeant, fasse. Il vient à s’engendrer

ordure et pourriture de ces excréments. Cette sanie s’infecte de vers, qui finissent

par lui ronger tout le corps. Ceux qui sont occupés à aussi inhumaine besogne

continuent leur ouvrage, jusqu’à obtenir ce qu’ils attendaient ou que la victime

trépasse... Par les cheveux et les bagues des doigts je reconnus dame Duan Jiezi,

que je connaissais de longue date. Depuis dix-sept jours elle séjournait en cette

misère, je l’ai trouvée morte à toute peine. De l’épouvante qui s’empara de

mes sens, j’en restais pétrifié un temps

impossible à quantifier. Lorsque enfin je me pu ressaisir, par l’itinéraire de ma

venue je m’en retournais. Onques ne s’aventura à me faire obstacle, tant

devait effrayer autour de moi mon air hagard également la puanteur accrochée

à mes vêtements. Le conseil terminait ses délibérations, Achmat dans un angle de la

vaste salle, s’entretenait en aparté avec un scribe. Par divine providence, les

gardes de ce jour là appartenaient à notre maison. Une rotation dans le

service s’effectuait avec les gardes mongols, pour des raisons d’étiquette et

de facilitation du service. Je leur fis signe

Page 190: Alias Marco-Polo

d’approcher ainsi qu’aux notables qui se

trouvaient le plus rapprochés de moi. En quelques mots je les informais de ma

découverte. Point ne fut nécessaire de

donner d’ordres, les gardes se saisirent du premier ministre ils lui auraient même

fait un mauvais parti si nous n’étions intervenus. Le gradé de permanence

laissa un piquet et s’en fut quérir des renforts. Il fallait éviter d’ébruiter la

situation pour ne pas qu’un parti de soldats fidèles au tyran tente une action

pour le venir libérer. Avec mes amis du conseil et quelques gardes déterminés

nous sommes retournés sur les lieux du supplice. Nous avons levé l’auge du

dessus et trouvé la chair de la malheureuse toute mangée par la

vermine qui s’engendrait jusque dans ses

entrailles. Rendus fous de colère, gardes et nobles lettrés en entente, retournèrent

dans la salle du conseil. Refusant toutes exhortations à la retenue, ils firent si bien

usage tant de dagues que de poings, que pour finir cet homme abject, de bourreau

devint victime. Voyez, nobles seigneurs nous ne contestons pas notre

participation, active ou de facto, à ces faits. Nous en répondrons devant votre

justice, par notre mort peut-être. Mais sachez que nous ne regretterons jamais

notre geste. A présent nous ne pouvons que nous en remettre à votre sagesse et

en votre jugement. Mes premiers

Page 191: Alias Marco-Polo

complices ont noms Soûh-thoûng kian

kang mouh, Kang-kian-i-tchi et Foung-tcheou-kang-kiang hoeï tswan. Ils

acceptent avec moi-même, de répondre

au nom de tous les autres pour couper court à de fastidieuses et déshonorantes

recherches de culpabilité.

Il n’y en eut pas, tant à ma résolution que de l’avis de mes adjoints, l’affaire

était entendue avant que d’être jugée. Rapidement nous fîmes proclamer

l’acquittement, suivi de la réhabilitation des inculpés, aussi que de ceux qui leur

avaient prêté main forte. L’annonce en fut hautement appréciée aussi bien de la

noblesse que des bourgeois et de la populace, unanimité qui n’est pas d’une

grande banalité. Des réjouissances se

déroulèrent même ici ou là, mais la ville dans son ensemble garda calme et

dignité. Il n’était pas jusqu’à la garnison mongole qui sembla apprécier le

bouleversement survenu. Restait à prendre le chemin du retour et

porter connaissance formelle de notre décision à l’empereur. Je dis

connaissance formelle car ses espions l’avaient dûment tenu informé de nos

actions. Nous étions anxieux de connaître sa réaction.

Un mois entier s’était écoulé depuis notre

départ.

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Page 193: Alias Marco-Polo

Chapitre X. Kökeedjin

Nous n’encourûmes pas les foudres de

l’empereur, son accueil fut de grande liesse autant que cérémonies ou nous

fûmes couverts d’éloges et de cadeaux. Fin monarque Kubilaï avait bien compris

qu’une domination, si elle ne s’accompagne pas de progrès et de

justice porte en elle le germe de sa disparition. Le mécontentement engendre

la haine et la haine entraîne la rébellion donc la guerre. En éliminant l’abcès et

ses causes, nous avions œuvrés pour

asseoir la stabilité de la dynastie Yuan. Ce succès renforçait notre prestige, il

n’emportait cependant pas l’enthousiasme que j’en escomptais chez

mes compagnons. Non, pour eux ma prouesse prenait bien plutôt les allures

d’une catastrophe. Messires Polo voulurent bien m’en expliquer la raison,

qui était que de ce jour, espérer obtenir l’autorisation indispensable pour

retourner en Italie devenait encore plus chimérique. Satisfait par nos services, le

Grand Khaân en confortait naturellement sa détermination de vouloir maintenir à

ses cotés d’aussi plaisants et efficaces

ministres. Les souvenances et regrets de notre

ancien monde n’étaient pas les seuls motifs à la préoccupation de mes amis.

Page 194: Alias Marco-Polo

Angeot s’évertua à me convaincre que

pour moi aussi le danger existait. - Kubilaï est âgé, il entre dans sa

soixante-dixième décennie, dont vingt-

cinq années d’un règne passé à gouverner l’immense empire qu’il a su

créer. L’exercice du pouvoir peut avoir fortement entamé ses forces. S’il vient à

décéder, quel sort nous sera alors réservé ? A la Cour nous ne comptons

pas que des amis, loin s’en faut, les jalousies sont vives et les rancunes

tenaces. Prend conscience Gihlem que notre proche avenir peut nous réserver

plus de malheurs que d’espérances, n’avons-nous pas atteints les sommets

accessibles à des étrangers ! Ses propos surent me toucher, Berchem

eut été encore à mes cotés que je

n’aurais point fléchi. Seul…la perspective d’un retour pouvait me laisser entrevoir

de très mirifiques perspectives. Fol que j’étais ! Fétus emportés par un vent de

tempête, nous croyons décider, maîtriser, alors que seul Dieu contrôle les caprices

de la destinée des hommes. Partant du précepte qu’abondance de

bien ne saurait nuire, nous d’éployons une vive énergie afin de renforcer notre

pécule. Amassant joyaux, pierres précieuses et diamants, de manière à

faire face aux dépenses qu’un renversement de situation, ne

manquerait pas de nous imposer. Dans

Page 195: Alias Marco-Polo

semblable intention, les itinéraires

menant aux frontières de l’empire sont soigneusement reconnus et aménagés.

Notre souci de la sécurité du khan sert de

prétexte à ces entreprises. Les territoires sous l’emprise mongole sont si vastes,

que plusieurs années passées en incessants voyages, sont nécessaires à

l’exploration de toutes les possibilités existantes. Mais les mois se succèdent, le

temps passe et rien n’indique chez notre mécène une fin proche ou un changement

dans son attitude nous concernant. Pourtant un matin, l’arrivée d’une

délégation conduite par un moine ouïgour nommé Rabban Sauma, va modifier

profondément cette situation apparemment figée. Ce moine rentre

d’une ambassade conduite auprès du roi

Franc Philippe le Bel et du roi d’Angleterre Édouard premier. Il agissait avec l’accord

de Kubilaï, mais sous le mandat officiel d’Arghoun, roi des Perses, d’obtenir une

alliance. Une coalition permettant de mettre un terme aux visées

expansionnistes des Mamälïk et des Kiptchak42. Une missive demandait

l’accord des deux puissances occidentales, en vue de mener une

attaque conjointe. Les rois chrétiens ne répondirent, ni l’un ni l’autre au message

qui leur était présenté. Parti aux premiers beaux jours de l’année

1289, Rabban Sauma apprend lors de son

Page 196: Alias Marco-Polo

retour à Bagdad qu’Arghoun vient de

perdre son épouse favorite, la gente dame Bolgana. Inconsolable le vieux roi

pleure celle qu’il chérissait par dessus

toutes. Son chagrin est tel qu’il n’accorde pas une très grande attention à l’échec de

la mission dont son envoyé lui fait relation.

Ce manque de d’attention est d’un grand soulagement pour le religieux, qui

s’attendait au pire. Heureux de s’en tirer à si bon compte et d’éviter un revirement

du monarque, Rabban Sauma lui suggère de chercher un dérivatif à son chagrin en

prenant une nouvelle favorite. Le veuf commence par refuser avec indignation,

puis à la réflexion, accepte de se remarier. Mais il pose une condition sine

qua non, celle de ne le faire qu’avec une

prétendante originaire de la même tribu que la défunte. Peut-être par

attachement à sa mémoire, sans doute aussi par le fait que les femmes y sont

réputées pour leur grande beauté. La traduction du nom Mongol ‘Bolgana’

n’était-elle pas Zibeline ! Plus tard notre propre interprète, moine

de même obédience que l’arrivant, s’empressera de me rapporter la

confidence, faite sous le sceau du secret par Rabban Sauma, expliquant qu’il

c’était lui-même offert à accomplir la démarche. Avec l’intention bien arrêtée

d’ensuite regagner son monastère et de

Page 197: Alias Marco-Polo

n’en plus sortir. Échaudé par les risques

encourus au service des princes et heureux de saisir une occasion pour

terminer sa carrière de médiateur sur une

plus avantageuse réussite que dans sa précédente intercession.

C’est Kubilaï, en sa qualité de grand-oncle du roi de perse, qui détient pouvoir

de refus ou d’acceptation. Dans le deuxième cas, c’est encore à lui qu’il

revient de fixer le choix de la future épouse.

Ces deux points n’avaient pas soulevés matières à controverses. La demande,

s’inscrivant parfaitement dans les visées d’alliances du Grand Khaân, le choix de la

promise, une jouvencelle bien née, nommée « Dame bleue céleste »

autrement dit Kökötchin43, n’avait pas

non plus posé problème, la réalisation du projet présentait pourtant une dernière et

importante difficulté. Le moine comme nous l’avons pu lire juste avant, refusait

obstinément de retourner jusqu’aux terres, à quatre mois de marche vers le

couchant, où l’attendait Arghoun en son royaume de Perse. L’y contraindre

comportait un risque, il fallait trouver un autre accompagnateur de haut rang.

Impérativement accoutumé aux voyages par terre et connaissant semblablement

les mers du sud. L’escorte de la future mariée étant une entreprise de la plus

haute importance, la jouissance d’une

Page 198: Alias Marco-Polo

parfaite confiance accordée par

l’empereur, s’imposait d’évidence. Nicolo, le plus âgé et le plus déterminé à

regagner Venise quoi qu’il du lui en

coûter, observa la conjoncture qu’il jugea favorable et pour tout dire inespérée.

Aussi ne perdit-il pas de temps, déployant des trésors de patience et de

persuasion. Employant tous moyens à sa portée pour faire admettre à Kubilaï khan

que Marco était précisément l’homme de la situation. Certainement le seul

répondant parfaitement à tous les critères requis, aussi que les besoins des uns

rejoignant les résolutions des autres, tout le monde y trouvait son content.

Faute d’autres alternatives probablement, le Grand Khaân, après moult hésitations

s’y résolu, bien qu’il le fît avec un

mauvais cœur. Les préparatifs allèrent bon train, mais

durèrent plusieurs mois. Si bien que ce n’est qu’en toute fin de l’année 1291 que

la délégation fut en mesure de prendre la route qui mène au grand port de

Caiton44. L’embarquement était prévu dans ce lieu ou règne une intense

activité. Les princesses ne voyagent pas en piètre accompagnement. C’est une

véritable flotte composée de rien moins que quatorze de ces navires aux étranges

voiles semblables à des ailes de chauve-souris, qui appareille. Que le lecteur

n’imagine pas qu’un tel nombre soit le

Page 199: Alias Marco-Polo

fait de la taille réduite des bâtiments.

Chacun est gréé de quatre mats portant chacun douze voiles et six cent marins

suffisent à la tache de les mener. Les

cales sont emplies de cadeaux et des effets de Kökötchin autant bien que des

nôtres propres. La nef qui nous supporte est la plus

magnifique, et dont les qualités spécifiques à la navigation sont les plus

avérées, à preuve l’amiral commandant en chef se tient à son bord. L’expédition

cingle vers le midi, perdant rapidement tous rivages de vue. Mer calme, vents

soutenus nous assurent véloce navigation.

Un matin nous apercevons enfin une terre, les navigateurs affirment qu’elle est

une île. Longeant les rivages durant des

jours et des jours, cette qualité n’apparaît pas à l’observation.

Embossés dans un port caché au fond d’une large et profonde baie, nous

jouissons de notre première escale. La ville qui se tient là porte le nom de

Singosari45. C’est un comptoir important qui accueil maintes nefs avec moult

marchands qui achètent en cette île nombreuses marchandises.

Après notre départ nous continuons de longer les côtes, puis suivant un cap mis

résolument vers le couchant, donc l’occident, nous croisons en haute mer.

Cependant, en relevant la position des

Page 200: Alias Marco-Polo

astres, nous pouvons constater que notre

route s’infléchit, dans une direction qui nous élève constamment en latitude.

Bientôt, après avoir aperçu dans la brume

un cap que nous laissons à dextre, nous bordons à nouveau un rivage boisé, qui

nous est affirmé comme nouvelle île. Le port que nous touchons pour embarquer

eau, vivres frais, viandes et fruits en abondance, est nommé Trapobana46

Rien à en dire sinon que les populations semblent bénéficier d’une grande

générosité de la nature. Ce bienfait leur évite une trop grande misère, car ils sont

peu industrieux. Promptement, les corvées d’avitaillement

terminées, nous remettons à la voile pour entamer une longue croisière vers les

rivages de l’Inde.

La mer que nous traversons est sauvage, balayée de vents extrêmement furieux

que les équipages craignent comme le diable et qu’ils nomment Thy-phon. Nous

n’y échappons hélas pas, perdant sept navires dans une série d’insupportables

tempêtes. D’autres nefs endommagées donnent de la bande tant les avaries

qu’elles ont subies les ont éprouvées. Harassé par nos questions, le capitaine

du Sam-pao ou nous avons nos appartements, accepte de nous informer

de la suite qu’il faut attendre de cette longue et tumultueuse croisière. Notre

destination prochaine, en mer d’Inde est

Page 201: Alias Marco-Polo

l’Illa Jana47 Pour nous donner à patienter

il précise penser y toucher avant le jour du seigneur qui clôturera la semaine juste

entamée. Beaucoup tombent en prières

de Grâces, tant est grand leur soulagement de voir bientôt leurs

tourments prendre fin. Nous y touchons, avec un important

retard en raison de la lenteur des navires détériorés. L’escale durera le temps des

travaux entrepris, pour ceux au nombre de deux, qui n’ont pas trop souffert. La

diversité des races et confessions est ici supérieure à tout ce que nous avons pu

observer jusqu’à ce jour. Sachez aussi, que toutes les nefs et marchands qui

veulent aller en Aden, aux portes de l’Occident, viennent à cette île.

Pour continuer notre périple, nos forces

se trouvent réduites à une escadre de seulement quatre bâtiments en incluant

les deux qui sortent de chantier. Nos effectifs, restreints comme peau de

chagrin, n’atteignent pas cent quatre-vingt personnes parmi lesquelles de

nombreux malades et estropiés. Craignant de rencontrer encore de

nouvelles tempêtes, l’amiral commandant la flotte ordonna que l’on ne se risque

point en une tentative de traversée directe. Sur l’interpellation de messire

Nicolo, toujours anxieux de regagner sa ville de Venise le plus rapidement qu’il fut

possible, ce navigateur de grande

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sagesse, voulut bien nous en tenir

l’explication détaillée. Selon son jugement, avec des navires éprouvés

comme l’étaient les nôtres, au prix d’une

ou deux semaines de navigation supplémentaire il était plus avantageux

de longer les côtes d’Inde, doublant Tana et Cambay, avant de cingler sur

Curmos48. De bon ou mauvais gré il nous fallu bien

nous rendre à ses raisons. Hélas la mer réserve bien d’autres motifs de craintes

et doléances que les tempêtes. A serrer les rivages mal reconnus on risque les

récifs et autres pièges de toutes nature affleurant l’eau, qui sont mortels périls

pour les nefs qui s’y essayent. Le navire de l’escadre marchant en tête, éloigné à

suffisance d’une côte que l’on ne

distinguait qu’avec peine.sur l’horizon, talonna pourtant avec violence sur un

banc de sable ou de coraux. Profondément engagé par la quille nous

ne pûmes que récupérer sa cargaison et l’abandonner à sa triste destinée.

Le mauvais sort semblait s’acharner à contrarier nos intentions. Parvenant très

éprouvés et presque à manquer de vivres dans les parages de Ormis, une nouvelle

épreuve nous y attendait. Renforçant encore la pénible certitude d’être

abandonné de Dieu et de tous les Saints. Des pirates barbaresques, montés sur de

basses et rapides barques, profitèrent de

Page 203: Alias Marco-Polo

l’obscurité aussi que du manque de vent,

pour prendre d’abordage le plus petit de nos vaisseaux. Par manque de vitesse,

celui-ci ne parvenait pas à combler son

retard et se tenait éloigné sur notre arrière. Les pirates ne firent pas de

quartiers et tuèrent ou capturèrent la totalité de l’équipage. S’emparant du

chargement autant qu’ils le purent, ils allumèrent une mèche pour mettre le feu

au bâtiment en quittant son bord. C’est la lueur du brasier qui nous fit comprendre

l’ampleur et la nature du désastre, révélant les fuyards qui disparaissaient

promptement dans la nuit. Inutile de songer à les poursuivre, ils allaient en

faisant force d’avirons gagner leurs repères, dissimulés dans les nombreuses

anfractuosités de la côte.

Au matin nous pouvions enfin trouver consolation en découvrant que nous

étions en vue de l’île de Suqutra49. Par un extraordinaire hasard, un homme à

bord parlait le soqotri, qui est la langue des insulaires. En sa compagnie nous

pûmes nous détendre des souffrances endurées continûment les jours

précédents, en visitant les marchés de la ville. Les habitants font commerce de ghî,

d’aloès et d’encens50. Les campagnes environnantes sont riches de bovins et de

chèvres. Cette plaisante escale sera la dernière de notre long périple, nous ne

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ferons qu’une traite pour atteindre la côte

de la Perse. C’est par le port de Bassorah, qui est la

capitale de la province d’Al-Basra, que

nous touchons terre de Perse. La ville est située dans le Chatt-el-Arab, estuaire

commun de deux grands fleuves51. Nos compagnons vénitiens font avec

stupéfaction la découverte d’un réseau de canaux qui ceignent et traversent toute la

citée, lui donnant une apparence en tout points semblable à celle de leur bonne

ville d’Italie. Nous disposons d’un temps supérieur à nos attentes pour y faire

d’amples visites. Les activités de déchargement depuis la cale des navires

jusqu’aux chariots qui attendent à terre, prend deux jours pleins. Nos futurs

attelages sont constitués de lourds

charrois tirés par deux paires de bœufs, portant étrange bosse sur l’échine. Nul ne

se trouva en mesure de fournir explication raisonnable à ce phénomène,

plus modéré cependant que celui qui afflige les laids animaux utilisés pour

parcourir les déserts52. Allons-nous rencontrer un jour une race de gens

pourvus d’un semblable appendice dorsal ?

Nous hâtons autant que cela nous est possible les opérations de

transbordement, car si la citée est gracieuse à la vue, elle est aussi, je

devrais dire surtout, très mal famée. Des

Page 205: Alias Marco-Polo

rixes se créent sans discontinuer dans les

tavernes du port. Nos marins et soldats survivants venus y chercher réconfort et

meilleure chère que durant la traversée,

en payent un lourd tribut. De la sorte, une embuscade coûte la vie à quinze de

nos hommes en une seule échauffourée. Le compte s’alourdi aussi de quelques

désertions. Ce qui fait que sur les six cent du départ nos effectifs sont tombés à

soixante-quinze. Quarante marins restent pour le service de l’unique nef en état

d’affronter les difficultés du retour. Notre escorte sera moindre que trente quatre

défenseurs, cinq étant en proie à de fortes fièvres qui les rendent incapables

de supporter la marche, nous les abandonnons aux soins de l’amiral. Celui-

ci largue ses câbles et prend la mer en

grande urgence tant il redoute de voir fondre d’avantage son équipage.

La province de Bassorah est plantée de grands bois de palmiers. Nos guides

affirment que l’on y récolte les meilleures dattes du monde connu. Les routes

mènent à des villes sur un fleuve qui court à la mer devers le midi. Elles ont

noms Chisci et Baudac. Dans cette dernière citée entrent et sont pour la

plupart percées sur place toutes les perles qui parviennent en Chrétienté

depuis l’Inde. Cette renommée entraîne en corollaire un cheminement pénible sur

une route de caravanes mal entretenue

Page 206: Alias Marco-Polo

et fort fréquentée par cavaliers, chariots

et piétons. Après trois jours, nous bifurquons pour suivre un itinéraire

pèlerin qui doit nous faire gagner du

temps en évitant la citée de Tauris ou viennent nombre de marchands latins et

surtout des Génois ce qui ne plait que modérément aux frères Polo.

Insensiblement nous prenons conscience d’être à présent seuls dans notre

progression au fonds de profondes gorges, couvertes de broussailles.

Le chef de notre escorte est nerveux, il multiplie les consignes de prudence et

s’emploie à faire maintenir le convoi bien groupé. Il est vrais que l’endroit paraît

idéal pour un traquenard, nous pressons au plus possible l’allure pour sortir de ces

défilés avant la fin du jour.

Y parvenant bien avant le crépuscule, nous nous réjouissons en parcourant les

dernières lieues pour gagner un point d’eau. L’endroit connu de nos guides

déclaré comme étant dépourvu de tous dangers, nous y passerons la nuit. Au

matin bien avant le lever du jour, les sentinelles éteignent les derniers feux de

braises. Transis par le froid vif de cette aube qui tarde à venir, les bouviers

poussent leurs bêtes et les voyageurs s’ébrouent. Soudain des hurlements

montent des épineux qui parsèment la lande. Un cri fuse de nos rangs ; « Les

hashshâshîns ! Ce sont les Ismaélites

Page 207: Alias Marco-Polo

hashshâshîns ! Nous sommes

perdus ! »53 Heureusement celui qui commande le détachement de nos gardes

est un homme de forte et longue

expérience. Il garde sa raison et ressaisi ses soldats. Dans les premiers instants du

combat qui s’engage l’effet de surprise joue et de nombreux défenseurs

succombent, avant même d’avoir été en mesure de s’équiper correctement. Tant

de l’épée que du poignard, je pourfends quelques fanatiques ayant nourri desseins

d’approcher par trop la litière de dame Kökeedjin. Lorsque l’engagement se

desserra, il m’apparût que les assaillants faiblissaient dans leurs ardeurs, à

proportion de leurs effectifs décimés. Taisant leurs clameurs, ils perdent pieds

et passent rapidement de l’attaque à la

défense. J’imagine qu’ils pensaient avoir affaire à d’inoffensifs marchands

accompagnés de quelques mercenaires pour les garder. Voyant qu’ils ont à

affronter un parti d’hommes déterminés et expérimentés dans l’emplois des

armes, ils fléchissent puis se débandent sans demander leur reste. Victorieux

mais éprouvés nous donnons sépultures aux morts et soins aux blessés. En

comptant les trois trop gravement navrés pour rester en selle, nos gens d’armes

sont réduits à six pour aborder les dernières étapes de notre périple.

Page 208: Alias Marco-Polo

La future épouse du roi Arghoun, bien

que dissimulée sous d’épaisses voilettes et dentelles, n’à rien laissée échapper de

ma participation à la défense de sa

personne. Elle me fait remettre par l’une de ses dames d’atours une cassette

emplie d’or et de pierres précieuses. Ne pouvant l’approcher, je me contente de

caracoler autour de son chariot jusqu’au moment ou messire Nicolo juge opportun

de me rappeler à plus de réserve. Peu soucieux de m’exposer à ses

remontrances ou sarcasmes, je décide de profiter de l’occasion pour m’informer sur

les singularités que présentaient nos assaillants. Je m’en ouvre à lui ;

-Messire que signifie donc ce nom d’Ismaélites hashshâshîns dont furent

parés les hommes qui voulurent si

bellement nous occire ? -Ah ! Les Nizâriens ! Leur chef, appelé

« le Vieux de la Montagne, fut autrefois reçu à Acre par notre Roi Louis IX. Les

deux souverains purent se rencontrer et échanger des présents par l’entremise

d’un frère prêcheur breton qui parlait la langue des mahométans. Les Nizâriens

voulaient obtenir l’aide des croisés, particulièrement celle des chevaliers

Hospitaliers, pour lutter contre les Mongols qui envahissaient la Perse et

avaient détruit le fort Alamût. En contrepartie ils délivrèrent aux Templiers

certains enseignements ésotériques. Le

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fond du problème résidait en ceci que les

régions appartenant aux Ismaéliens faisaient face aux attaques de l’armée

Saljûqs. Les abbassides voulaient les faire

disparaître et commencèrent par les isoler, en les accusant de tous les maux

de la terre. Inférieurs en nombre et en moyens, les Ismaéliens luttèrent de

toutes leurs forces, allant jusqu’à créer des corps de martyrs, prêts à sacrifier

leur vie. - Semblablement a ceux dont nous avons

entendu la relation, chez les samouraïs du royaume de Cypango, adeptes de la

philosophie du « vent divin ». Les ‘Kamikazes’, je crois.

- En tout points ! Pour ne pas faiblir avant de passer à l’action, les fedayins

absorbaient certaines décoctions appelées

haschisch, par le moyen desquelles ils troublaient leur esprit et venaient ensuite

à dormir profondément. Delà vient ce surnom de Hashshâshîns, donné à ceux

qui perpétuent des crimes sous l’emprise de ces substances.

- Mais pourquoi nous avoir attaqué, sont-ils des bandits ?

- Nenni mon garçon, notre guide à pu interroger un de leurs blessés, en ce qui

nous nous concerne, ce sont des Karaonas, qui nous agressèrent et

absolument pas des Nizâriens comme il à été dit.

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- Belle distinction, s’ils étaient parvenus à

leurs fins ! - Selon l’Ecclésiaste, « Les voies du

Seigneur notre Dieu, sont

impénétrables ».

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Chapitre XI. Alburg Généry.

Arrivant en la vaste et magnifique citée

de Baydâd, qui est aussi appelée Baldac54, nous apprenons deux nouvelles

qui nous affligent pareillement, mais dont les conséquences ne sont pas

d’importance égale. Tout d’abord des émissaires, conduits par un noble cavalier

de haut rang certainement, s’avancèrent à notre encontre. Par les soins de ce

prince, nous apprenons que le roi Arghoun n’est plus en mesure de nous

recevoir personnellement… Au motif qu’il

est trépassé depuis plus d’un mois. C’est le frère du défunt, Ghaykhatou qui

occupe le trône. Roi contre roi, à nos yeux la différence

n’apparaît pas encore. Pour Kökötchin en revanche tout bascule, que va-t-elle

devenir à présent ? Cette interrogation empare nos pensées et nous pouvons

sans peine imaginer l’angoisse que doit éprouver l’infortunée princesse.

Une seconde information importante nous est délivrée par le nouveau souverain,

lors de notre première comparution solennelle en sa présence. Expédiant, car

telle semble être sa nature bouillonnante,

les formalités protocolaires il nous informe immédiatement de la mort du

Grand Khaân, survenue peu après notre départ.

Page 212: Alias Marco-Polo

La disparition de Kubilaï nous afflige

profondément, ne serais-ce que par les attaches réciproques que nous avions

tissées au fil des ans. Pour autant, elle

nous libère simultanément de, presque tous, les liens moraux qui nous liaient à

lui et à sa dynastie. Nous pouvons sans plus de regrets ni scrupules envisager un

retour. Il sera, compte tenu de l’âge ou sont parvenus mes compagnons, pour

eux définitif. Je ne pouvais me douter qu’il en serait malheureusement de

même pour ce qui me concernait. Mais nous n’en sommes pas à évoquer ces

sombres auspices. Dans l’attente de connaître les suites de

notre ambassade, nous multiplions les visites de la noble citée qui nous

accueille. Certains voyageurs chrétiens

firent la confusion avec l’antique et fort célèbre citée de Babylone. Erreur causée

par leur égale magnificence, mais c’est ici ville forte, entourée d’une double

enceinte dépassant une lieue de diamètre. Muraille percée de quatre

portes et protégée par un fossé de cent coudées ou plus. Le palais, la mosquée et

les casernements se trouvent au centre. On désigne cette enceinte du nom d’Al-

Mansur, tandis que le faux-bourg nommé Al-Mustazhir, est contenu entre les deux

remparts. C’est ici une place de grands commerces,

céans on y confectionne profusion de

Page 213: Alias Marco-Polo

soies qui sont réputées chez nous sous le

nom de ‘baldacquin’, nom qui évoque somptueuses tentures. Par le travers de

la ville est un fleuve très grand, le même

indubitablement qui court à la mer dans la citée de Bassora par où nous avions

abordé le royaume de Perse. A ce sujet, une légère controverse était apparue

parmi-nous concernant l’appellation qu’il convenait d’adopter pour désigner ce

pays. Les frères Polo en tenaient pour l’usage local. Les gens de la région en

effet, affirmaient que ‘perse’ n’était qu’une dénomination utilisée par les

Grecs anciens pour désigner leur territoire. Selon-eux, la région porte en

vérité le nom d’Ërän, entendu de la bouche des citadins, le nom sonne

comme ‘Iran’, il signifie « pays des

Aryens »55. La position rallié par messire Angeot,

Paquette et moi-même, tenait de l’usage en occident qui n’emploie que celui

attribué par les Grecs depuis l’antiquité et leur victoire sur le puissant empire

Achéménides. Nous tombons d’accord pour utiliser l’appellation d’Iran durant

toute la durée de notre séjour en ces lieux, pour, sitôt notre retour en occident,

reprendre la terminologie Franque. Nos préparatifs de départ sont

parachevés et nous attendons, sans impatience, que le nouveau roi nous fasse

appeler pour un entretien de séparation.

Page 214: Alias Marco-Polo

Je précise intentionnellement que c’est

sans hâte que nous profitons de l’oisiveté ainsi accordée. Heureux en fait de

pouvoir porter remède aux traces

accablantes, laissées par les fatigues et privations. Le périple que nous venons

d’accomplir tant sur les mers que dans les arides provinces qui les bordent, fut

effectué, certes au pas des bœufs, mais sous la constante inquiétude d’une

agression ou de catastrophes dues à la nature des montagnes et déserts que

nous avons du franchir. Souventes fois nous évoquons le destin

advenu à la petite princesse Kökötchin. Aucunes informations ne nous parvenait à

son sujet, encore que nous multipliâmes les tentatives, traînant nos regards et nos

oreilles du côté des appartements

réservés aux femmes de la Cour, plus qu’il n’était convenable de le faire. En

franchir le seuil est sanctionné de mort pour les étrangers. Ces quartiers font

l’objet d’une garde vigilante de la part des mercenaires Mameluks, nous en

eûmes maintes fois la confirmation. Le monarque en aurait-il été tenu

informé, nous ne saurions le dire. Le fait est que lorsque le jour fixé pour notre

audience fut enfin arrivé, Ghaykhatou, presque sans préambules comme à son

accoutumée, commença par nous donner des nouvelles de la Dame. Il nous

annonça benoîtement qu’elle allait

Page 215: Alias Marco-Polo

épouser Ghazan, fils du précédent roi. Ce

noble prince menait la délégation venue pour nous faire accueil et nous escorter à

l’entrée de la province. Sans doute la

belle princesse Mongole trouvât-elle le chemin de son cœur lors de cette

rencontre. Pâquette ne résista pas au plaisir de nous

bayer, en confidence, qu’une dame de la suite lui avait confessée, que Kökötchin

n’aurait pas été insensible à la prestance du beau cavalier qui luttant seul avait

triomphé de ses assaillants. A cette évocation un léger doute m’empara

l’âme… Dans quelles circonstances avait-il pu recueillir ces précisions demeurera

pourtant un mystère, car messire Nicolo le pressa d’aller pourvoir au picotin des

chevaux plutôt que ragoter comme une

rosière. Ormis Paquette qui remâche un brin de

rancœur, tout va pour le mieux. Nos craintes font place à la réjouissance de

s’avoir que la jouvencelle aura par le fait, troqué un vieux barbon de mari, pour un

fringant damoiseau. L’âme en paix et le cœur léger nous reprenons, à la tête

d’une légère escorte composée de trois janissaires, le chemin qui doit nous

mener vers l’un des plus importants lieux d’échanges entre l’Occident chrétien et

l’Orient. A l’extrême nord de l’Iran, vers le couchant jusqu’à la citée de Tâbris

dont nous avons déjà fait mention lors de

Page 216: Alias Marco-Polo

notre passage sur l’itinéraire de l’aller.56

En cette ville nous attends, s’il a reçu le message que lui ont fait délivrer son père

et son oncle, le jeune Marco.

Ici, je me permets de rappeler au lecteur inattentif ayant un tant soit peu perdu le

fil de cet embrouillé récit, que nous avons quitté le fils de Nicolo bien des années

plus tôt, en la lointaine citée de Badakhshan.

Le jeune homme avait été contraint, mais point forcé, de par sa santé

dangereusement éprouvée durant le voyage, d’accepter la généreuse

hospitalité que lui offrait un notable Syrien attaché au service du Calife.

Bénéficiant de surcroît des réconforts prodigués par l’une des filles du maître de

la maison qui c’était, spontanément

attachée au bien être du jeune vénitien. Marco en ce temps là atteignait tout

justement sa dix-septième année. Si j’en juge par mon propre âge, avant que

celle-ci soit achevée il entrera dans sa quarantième année…s’il est toujours en

vie au jour d’aujourd’hui. L’homme fait qu’il doit être devenu, devait

certainement désespérer de ne jamais revoir son père ou son oncle, ni même

aucun d’entre-nous. C’est avec cette pensée que, prenant pied au port de

Bassorah, les frères Polo n’eurent rien de plus urgent que de déléguer un coursier

avec mission de rejoindre Badakhshan.

Page 217: Alias Marco-Polo

Portant instruction, complémentaire,

unique mais impérieuse, de remettre un message au domicile de Youssef

Camardaï. La famille de cet honnête

homme aurait probablement connaissance du lieu de résidence actuel

de leur hôte, dans l’éventualité ou celui-ci ne serait plus à leur charge, bien

entendu. C’était un risque à courir, si nous voulions éviter que toute ou partie

d’entre-nous n’aient à effectuer, une nouvelle fois et dans les deux sens, une

route dont nous avions éprouvé, dans notre chair et notre esprit, les traîtrises et

grandissimes difficultés. En calculant le temps que nous avions

perdu au palais du roi d’Iran, la longueur de notre propre parcours, Marco devrait

être déjà parvenu sur place et compter

les jours d’attente. Si ce ne devait être le cas, nous patienterions une grande

semaine avant de nous séparer, les uns effectuant le douloureux détour, les

autres progressant vers Byzance puis en direction de l’Europe.

Tant était grande l’angoissante incertitude de ne pouvoir concrétiser ces

retrouvailles à notre arrivée, que ou nous en étions habités comme d’un

envoûtement. Pénétrant en les murs de la citée, nous dévisagions tous les bourgeois

aux allures vaguement occidentales rencontrés. De manière plutôt

inconvenante j’en ai l’honteuse certitude.

Page 218: Alias Marco-Polo

Parvenu au caravansérail qui jouxte la

place centrale, pas de Marco, ni même onques ayant ressemblance, selon notre

appréciation. Accablés, nous remettons

nos bêtes aux palefreniers, tandis que les laquais de l’hostellerie voisine viennent

s’enquérir de nos malles. Nous trouvons à propos de remettre à plus tard nos

recherches. L’étape avait été particulièrement rude et nous avions

faim, mais moins que soif. A l’ instant où nous entrons dans la salle enfumée et

sombre de l’auberge, Nicolo dont la vue commençait à pourtant faire

sérieusement défaut, se prit à fixer un bon-homme portant grande barbe et

habits de soieries brodées. Souriant, l’inconnu quitta la table ou il se tenait en

apparent appétit, pour venir en deux

enjambées lui porter une franche accolade.

Stupéfaits, en lui voyant couler des larmes, nous interprétons au rythme de

notre entendement, c’est à dire que Pâquette fut le dernier à réagir. Un seul

nom sorti enfin de nos lèvres ; « Marco » !

La curiosité des deux cotés était très forte, nous voulions entendre ce que fut

sa vie et lui voulait tout savoir de nos aventures. Un père reste un père, même

s’il n’a pas vu son rejeton depuis plus de vingt trois ans. Aussi Marco dut-il

Page 219: Alias Marco-Polo

réfréner sa curiosité, et s’employer à

satisfaire la notre. Je soupçonne fortement qu’il ait embelli

certains aspects de son histoire et occulté

les passages qui n’étaient pas à son avantage. Enfin je vous laisse le soin de

vous faire une religion en reportant céans l’essentiel de ses révélations.

- Quand je me fus remis complètement de mes maux, ce qui ne prit pas moins

d’une année complète, il m’apparu convenable d’épouser la délicieuse

Milhad. Par ses soins dévoués elle avait obtenu une éclatante guérison à

l’encontre des médicastres locaux qui prédisaient mon trépas comme imminent.

Je me dois de préciser que ce rétablissement fut si complet qu’un

enfant devait bientôt naître de nos

mutuels témoignages de gratitude et d’intérêt. Grâce à son père, l’honorable

Youssef, j’obtins un poste de traducteur. L’université cherchait à faire transcrire le

cylindre de Cyrus en caractères romains.57 Avec l’intention de le

proposer en modèle, destiné à une société humaine encore à venir hélas. Ce

travail fastidieux occupa huit années entières de mon temps. Par la suite je fus

chargé de transcrire les enseignements du prophète iranien Zoroastre. Avec le

temps, j’y ajoutais l’enseignement des préceptes mathématiques d’Al-

Khawarizmi. Bref, si je ne me suis pas

Page 220: Alias Marco-Polo

enrichi, j’ai eu de quoi occuper mon

attente car je n’ai jamais cessé d’espérer votre retour. Je ne vous cacherai pas que

la tentation de retourner à Venise

m’emparait quelques fois. Particulièrement dans les moments de

doutes ou lorsque j’éprouvais trop de difficultés à supporter ma condition

d’exilé. Heureusement Milhad ma merveilleuse femme me donna encore

trois fils et deux filles. Deux des garçons périrent en bas-âge. Le dernier est à

présent officier dans les troupes du roi d’Égypte, le Mamelouk Al-Mansûr Sayf

ad-Dîn Qala’ûn al-Alfi… Oui, c’est là son nom au complet. Ils doivent user d’un

diminutif ses familiers, mais je ne suis pas de ce nombre. Son armée est

actuellement en lutte contre la présence

franque en Syrie, l’histoire est parfois cruelle ! Mes deux filles sont en mariage

mais n’ayant pu les doter convenablement, l’une à épousée un

artisan, l’autre un fermier. Pour vous dire le vrai, mes charges n’ont jamais été d’un

rapport suffisant. A tel point qu’après le décès de ma bien aimée Milhad, survenu

voici trois ans, je ne suis pas même parvenu à retrouver une nouvelle

épouse… A présent vous savez l’essentiel de ce qui fut mon existence sans gloire et

sans relief. Il vous revient de me faire part de vos mirifiques actions au pays du

Grand Khaân et de ses provinces.

Page 221: Alias Marco-Polo

Nous lui fîmes, enfin son oncle Matéo principalement, la relation aussi complète

que possible de nos péripéties, de nos

déboires aussi bien que de nos réussites. Ce récit, nécessairement partiel et

édulcoré, s’avéra ne pas répondre complètement aux attentes du fils

retrouvé. Dès que l’occasion lui en était offerte, c’est vers moi qu’il tournait ses

insatisfactions. Sans y voir autres malices, je m’efforçais d’apporter réponse

en toute franchise aux précisions qu’il s’obstinait à vouloir recueillir.

Pressés de regagner la citée des Doges,

les Polo nous firent activer les préparatifs du retour. De la ville et arrivant de

Bagdad, part une route qui mène vers

Ancyre. Elle et semée des périls causés par la traversée de régions antagonistes

ou soumises aux exactions de troupes qui les traversent pour aller mener

campagnes hors de leurs territoires. D’abord les Mamelouks au midi

combattants l’empire de Trébizonde au septentrion. Ensuite les Turcs

Seldjoukides aux prises avec le royaume d’Arménie.

Notre itinéraire passant par Angara, nous permit d’atteindre Byzance, car telle était

la volonté divine. Depuis cette noble et puissante citée, notre qualité de

Marchands Vénitiens nous préserva des

Page 222: Alias Marco-Polo

tracasseries que notre statut d’étranger

nous avaient values tout au long de notre périple. L’organisation des relais facilita

pareillement notre progression. Nous

avions prévu d’être victimes des intempéries. La saison ou nous fîmes

notre arrivée étant tardive, il nous fût loisir de privilégier une traversée par

mer, en profitant d’une des nombreuses nefs qui font ce voyage. C’était bien sur

sans compter sur les hostilités ouvertes et armés qui sévissaient entre les

grandissimes citées, Génoise et Vénitienne.

Sur terre comme sur les eaux, les affrontements entre forces des deux

puissances faisaient rage. Qui se réclamait de l’une devait craindre l’autre.

Les routes n’étaient pas exemptes de

dangers donc, mais valaient cependant préférence au trajet maritime, qui

présentait l’inconvénient d’ajouter aux risques de périr sous les coups des

escadres Génoises, ceux non moins grands de captures par les pirates

barbaresques. Hélas, malgré que nous continuions

espérer sortir indemnes de tous ces périls. Avant même de parvenir au quart

de la distance nous séparant de notre premier point de destination, une troupe

d’affiliés au Calife An-Nâsir Muhammad, fondit sur notre petit groupe.58 Ce

détachement fort de quinze lanciers,

Page 223: Alias Marco-Polo

manifesta l’intention de nous dépouiller

de nos biens en nous exterminant pour y parvenir. Le combat était

disproportionné, seuls cinq d’entre-nous

savaient manier les quelques armes dont nous disposions. L’issue néfaste ne faisait

pas le moindre doute. Un contre trois, nous nous apprêtions donc à périr et

recommandions déjà nos âmes à Dieu, alors même que nous n’étions plus

vraiment persuadés d’être encore chrétiens. Cependant, trépasser alors que

nous avions su triompher de tant d’embûches et de vicissitudes…cette

infortune nous causait une rage telle que nos forces s’en trouvèrent décuplées. Las,

malgré cette énergie le compte n’y était pas, nous étions en passe de succomber

jusqu’au dernier. Du coin de l’œil je

pouvais entrapercevoir que des pertes c’étaient déjà produites dans nos rangs.

Bien qu’en contrepartie les corps de nos assaillants jonchassent le sol, l’issue

fatale ne pourrait être retardée longtemps.

Le Seigneur nous prit alors en sa Sainte garde, dans son infinie bonté, Il envoya

par ce chemin ordinairement peu fréquenté, notre salut qui prit la forme de

trois cavaliers vêtus de cotes-de-mailles. Messire Marco parlait à merveille la

langue des gens de cette contrée. Il cria à voix très haute quelques mots, tout en

brandissant une courte tige sculptée que

Page 224: Alias Marco-Polo

j’avais déjà remarquée pendue à la selle

de son cheval. L’effet en fut proprement miraculeux, d’une part nos adversaires

parurent saisis de stupeur, d’autre part

les arrivants chargèrent frappant d’estoc et de taille. Au point que rapidement les

survivants optèrent pour une retraite honteuse qu’ils préféraient sans doute à

un massacre certain. Le soulagement qui accueilli cette

observation fut de courte durée. Tournant mon regard sur les cotés je m’aperçu que

nous avions remporté d’un lourd tribut cette échauffourée. J’eu pour ma part, le

sentiment d’être redevenu quasi orphelin. Mes plus chers amis, celui qui avait eu

tant d’influence sur ma destinée, mon maître Angeot, mon commensal

Pâquette, avaient payés de leur vie notre

héroïque défense. Le chagrin qui m’envahi l’âme précipita certainement

mes dispositions pour une certaine forme de repli intérieur.

La situation, résultant du retour parmi nous de Marco, n’avait certes rien pour

améliorer cet état. Que l’on appela « Marco ! » et tout de bon, nous étions

deux à nous dresser du col. J’avais bien évidemment repris mon identité véritable,

mais on ne se défait pas comme on le fait pour une chemise usée, d’une habitude

vieille de plus de vingt deux ans. Durant tout ces années l’attitude de Nicolo,

jouant un rôle de père auprès de celui qui

Page 225: Alias Marco-Polo

ne remplaçait pas dans son cœur l’enfant

laissé au loin, avait été empreinte d’amertume voir, disons-le crûment, de

rancœur. Avec la réapparition du vrais

fils, je ne devenais rien de mieux qu’un vivant reproche de ses anciens

renoncements. Cédant volontiers à nos demandes, le

héro du jour nous informa que le sceptre brandi provenait de son fils, celui en

service chez les Mamelouks de la maison de Bay-bars.59 Les providentiels

cavaliers appartenaient à un corps d’élite adepte de la Furûsiyya, une pratique qui

fait de ses détenteurs plus que des maîtres en les arts militaires, les

meilleurs guerriers du monde islamique.60 Marco nous avait sauvés

d’une mort certaine, c’était indubitable et

qui plus est, en préservant tous nos acquis.

En cela il avait mérité toute notre reconnaissance et notre respect.

Conscient de se renversement de situation, il ne tarda pas à saisir tout le

parti qu’il en pouvait tirer, mon destin s’en trouva scellé.

Le reste du trajet de retour fut morose, sans le soulagement d’enfin revoir la

terre de notre enfance nous aurions facilement cédé à la plus sombre

désespérance. Cependant Marco continua de rechercher ma compagnie, il possédait

toujours aussi vive cette fièvre d’obtenir

Page 226: Alias Marco-Polo

précisions sur précisions, particulièrement

relatives aux notes que je lui avais confiées, cédant à d’appuyées et répétées

demandes. Une telle insistance aurait

d’ailleurs dû m’alerter si je n’avais été aussi profondément en proie aux

tourments que me causait la séparation d’avec elles. Couchées sur des feuillets

accumulés au fil des ans elles concernaient dates, noms de lieux et de

personnes, autant que tous faits marquants. En tout point conformément à

la recommandation qui m’en avait été faite expressément au moment du

départ. Même quand les frères Polo cessèrent de me réclamer ce service, je

continuai de m’y astreindre pour ma personnelle satisfaction.

Lorsque nous fûmes enfin rendus en les

murs de la prestigieuse citée lagunaire, les Polo me pressèrent de continuer ma

route. Ils me déclaraient « Dans l’urgente nécessité de retrouver ma province et

mes montagnes, dont le climat devait m’être davantage propice que les

humides saisons de la lagune »… Que ne les ai-je écoutés !

Il faut vous dire que notre arrivée se passa de façon for discrète, nul ne

semblait avisé du retour des nobles marchands partis vingt quatre années

auparavant. Les Polo reprirent la maison familiale, maintenue en fort bon état par

une parenté de la mère de Marco,

Page 227: Alias Marco-Polo

l’épouse décédée. Inévitablement,

surprises et étonnements se donnèrent libre court dés leur arrivée. Mais se

produisant à une heure avancée de la

nuit, la nouvelle n’eut pas le temps de se répandre hors les murs.

Matéo s’avisa d’en tirer farce. Il envoya ses cousins prévenir que d’illustres

visiteurs, retour d’Orient, allaient dans l’après-demain offrir un gigantesque

festin. Les salles du palais des Doges furent retenues pour la circonstance. Cinq

cent convives, choisis parmi la noblesse et les meilleures familles bourgeoises de

la ville y seraient espérés. Mais échevins ou citoyens, onques n’était au fait de

l’identité des généreux financiers. Au soir dit le banquet sur le point d’être

entamé, le Doge en personne siégeait à

la table d’honneur. Mais les places attribuées aux trois mécènes, restèrent

curieusement vides d’occupants… J’étais dans la salle, discrètement mêlé à

un groupe de voyageurs venus des Flandres. La famille Polo faisait de cette

comédie une affaire propre aux seuls ressortissants vénitiens. Je n’y trouvais

rien à redire, n’ayant pas velléité de m’en préoccuper ou de m’en ombrager. Nul ne

me connaissait et je ne connaissais personne de cette assemblée.

L’impatience était à peu près aussi aiguisée que les appétits, lorsqu’un

tapage provenant de l’entrée, attira

Page 228: Alias Marco-Polo

l’attention. Trois mendiants vêtus de

longues pelisses, étaient aux prises avec les sergents d’arme placés aux entrées

pour en interdire l’accès à la plèbe.

L’action de ces factionnaires se serait à coup sur passée sans que quiconque n’en

fut moindrement dérangé, si les manteaux des indésirables ne s’étaient

ouverts, révélant aux gardes comme à ceux qui s’amusaient de la scène, une

doublure pleine de rubis et joyaux sertis à l’intérieur.

La stupéfaction se mua vite en bruyante agitation. Au point que des tables

officielles on chercha à en apprendre plus. Les Polo se firent ainsi reconnaître,

excusant l’audace de leur bouffonnerie par ; « la prudence indispensable aux

voyageurs qui doivent savoir se faire

discrets, à proportion de la fortune qu’ils transportent ».

Ils obtinrent par cet artifice le succès qu’ils méritaient. Dés lors, Messire Marco

commença à se tailler une belle réputation d’érudit, fascinant louangeurs

et empressées complimenteuses, par un choix d’anecdotes aussi savantes que

totalement inédites. M’étant approché pour n’en perdre une seule miette, il me

fut fort plaisant d’entendre affirmer que ; « L’amiante n’est pas une matière

végétale ». Ou encore que ; « Le rhinocéros de Sumatera n’a rien d’un

animal gracieux, séduit par une vierge »

Page 229: Alias Marco-Polo

Mais je devais atteindre le comble de

l’étonnement, en pouvant ouïr les commentaires qui suivirent.

Le bougre qui n’y avait jamais porté le

soupçon d’un simple regard, affirmait tout benoîtement que ; « Les rue des villes de

Cathay sont pavées de briques ». Tout autant que ; « …des pierres noires

chauffent les palais gigantesques ! », Ou encore que ; « l’on peut tout acheter

avec du papier ! » Et même que ; « quelques hommes sur un travail

peuvent copier des livres en grande quantités ».

Bref, je conçu pour cette gesticulation mandibulaire un sentiment mitigé, il m’en

resta un arrière-goût peu agréable. De ce jour, Marco et ses parents grâce à la

fortune qu’ils ont rapportée, conduisent

grand train et développent leurs activités. Profitant d’une vie aisée, admis par la

plus haute noblesse de la ville. J’étais laissé dans une quiète indifférence,

trompeuse car elle ne devait pas durer au delà du jour ou je fis part de mes

intentions. Interrogeant Matéo sur un point de détail de notre équipée qui

m’avait quelque peu échappé, celui-ci s’étonna de mon intérêt rétroactif et

s’enquit aussitôt de connaître la raison de mes recherches. Naïvement je lui avouai

mûrir projet de faire paraître le récit de nos pérégrinations chez les Mongols. Un

livre traitant du sujet permettrait au plus

Page 230: Alias Marco-Polo

grand nombre d’être informé des très

extraordinaires aventures et découvertes qui furent les nôtres. Le vieil homme paru

quelque peu troublé de ces innocents

propos, mais ne laissa rien paraître de sa contrariété.

Le lendemain bien avant matines, une forte escouade d’archers venait me saisir

par corps à mon domicile. S’assurant prestement de ma personne, ils

m’emmenèrent sans vouloir répondre à mes questions et suppliques. N’acceptant

pas même de me laisser le temps d’avertir amis ou voisins. Bâillonné et

entravé, je fus emporté dans une sombre forteresse où, du débarcadère, l’on

accédait par un pont voûté. Je dois à la vérité de dire que l’on ne

m’abandonna point trop de temps dans le

cul de basse fosse où j’avais d’abord été jeté. Rapidement je fus transféré dans

une geôle plus vaste, située au sommet d’une tour. Si l’on y subissait fortes

chaleurs durant les cinq ou six mois d’été, les hivers avaient l’heur d’y êtres

nettement moins froids et humides que sous les douves. L’ameublement

sommaire ne manquait pas de confort et la nourriture souvent riche, était toujours

convenablement préparée. Au fil des jours je pu apprendre, par mon

gardien, qui s’était bien accoutumé à mes façons sans y compatir outre mesure, que

des gentilshommes se chargeaient de

Page 231: Alias Marco-Polo

mon entretient et des charges de ma

pension. Je m’en trouvais fort rasséréné mais on m’apprit aussi que tous mes

biens avaient été confisqués. En sorte

conclu-je, que c’était moi qui finalement pourvoyait à mes besoins.

Le temps passant j’appris aussi toujours

par des indiscrétions de mon geôlier, brave homme qui ne dédaignait pas de

finir mes pichets de vin, la mort du père de messire Marco, suivie presque aussitôt

de celle de son oncle. Peu de temps après, le richissime ‘Messer Milione’,

dernier du nom des Polo, se mit à investir dans les armements maritimes.

Il arriva qu’un jour de la fin d’août, mon

gardien devenu au fil du temps plus un

informateur qu’un porte-clefs, tout excité vint me faire part d’une nouvelle dont

Venise bourdonnait. « Messire Marco Polo, m’apprit-il, toujours soucieux de ses

intérêts, dirigeait lui-même un galion chargé de soieries. Pour prévenir les

attaques de pirates, il naviguait au sein d’un convoi escorté par des navires de

guerre. Ce qui n’empêcha nullement, ou leur valu peut-être, d’être pris à partie

par une flotte Génoise Venise étant toujours en conflit ouvert avec cette citée

concurrente. Les vénitiens subissent une cuisante défaite, le célèbre marchand

pour sa part fut fait prisonnier. »

Page 232: Alias Marco-Polo

Étrange revirement du destin, j’étais

prisonnier à Venise, et mon tourmenteur subissait le même sort à Gène. Pour moi

la principale et immédiate conséquence,

successive à la disparition du bayeur, fut la cessation du versement des frais de

ma charge. Un autre enchaînement, heureux celui-là, fut que la chute des

revenus de mon geôlier permit qu’il en vienne à accepter la tractation que je lui

proposais. Échanger une bourse contre permission à messire Alburg Généry,

envoyé par Charles de Valois frère du roi de France, de me venir rencontrer. Ce

noble chevalier parvint, en usant de son prestige autant que de largesses, à

obtenir autorisation officielle du conseil des Doges de me tenir compagnie tout à

loisir. Sa visite avait initialement pour

motif de rencontrer Marco Polo. Le trouvant absent, c’est un nommé Cepoy,

autre vassal dépourvu de fief et se trouvant en ambassade auprès de la

maison de Gène, qui reçu mission d’approcher le riche marchant en sa

prison. Ces deux gentilshommes avait instructions de relever maints détails

concernant les troupes Byzantines, ainsi que d’établir des cartes suffisamment

précises des garnisons par nous connues lors de nos passages répétés. Alburg

Généry, après l’avoir entendue coucha sur parchemin ma version de l’histoire. Il

me proposa de mettre à profit l’absence

Page 233: Alias Marco-Polo

de mon ‘bienfaiteur’ et d’acheter ma

liberté. Chose qui, en cette période de troubles ne posa pas d’insurmontables

difficultés.

Sous sa protection, nous regagnâmes diligemment le royaume de France. Son

intention était de parvenir à Fontainebleau pour y recueillir par ma

bouche, toutes nécessaires explications complétant selon lui, mes notes trop

brèves prises lors de nos entretiens de Venise. Un livre magnifique serait ensuite

édité, relatant ce périple et la part que j’y avais prise. Dans cette intention nous

fîmes réaliser trois copies de mon œuvre. Ma destinée autant que les caprices des

grands de ce monde ne permit point la réalisation de cette volonté. La parution

du livre appelé ‘Le devisement du Monde’

dicté par messire Paulo, relatant l’odyssée de sa famille… à laquelle il

prétendait avoir pris part active, parvint à la Cour. L’ouvrage, confié à un Pisan

nommé Rustichello, enflammait déjà l’Italie, gagnant les monarchies de

l’Europe entière. Pour je ne sais quelles mystérieuses raisons, l’apparition d’une

œuvre battant en brèche ce succès, rebuta mon bienfaiteur. Il se refusa

obstinément à aborder le sujet de ce revirement d’intention, allant jusqu’à

mettre un terme à nos relations pour se soustraire à mes interrogations, teintées

il est vrai d’une forte dose d’indignation.

Page 234: Alias Marco-Polo

Abandonné, démuni et au bord du

désespoir, je ne dus qu’à la bonté d’âme de messire Luc des Aignan d’avoir,

prenant en pitié ma triste condition, pu

échapper à l’indigence. Ce gentilhomme remontant vers ses terres en plaine du

Rhein, proposa de m’attacher à son service en qualité de précepteur de ses

enfants. C’est en sa propriété de Bischwiller que je pu finir mes jours

dignement, épousant en seconde noces la veuve d’un métayer. Le brave homme

avait eu l’amabilité de lui laisser en héritage un petit domaine à flanc de

collines, aux limites du bourg de Thann. La fabrication de fromages spécifiques à

cette contrée, fort odorants et goûteux autant, vendus sur les marchés jusqu’à

Colmar, m’assura une vieillesse exempte

de soucis matériels.

Signé, Giachem Wertl

Page 235: Alias Marco-Polo

CHRONOLOGIE.

De 1215 à 1324.

1215.- Naissance de Kubilaï Khân,

(ý1294). Nommé ‘Grand Khaân’ des Mongol en 1260 en succédant à son frère

Mögke. Il s’installe en 1271 à Khanbalik (Pékin) dont il fait la capitale de son

empire.

1252.- Fondation à Constantinople, du

premier comptoir des frères Polo, Nicolo et Matéo.

1260/61.- Départ des deux marchands pour Négreponte. (Streto) puis Cathay (la

Chine du nord.)

1266/1269.- Retour à Venise, du père et de l’oncle de Marco Polo.

1271.- Départ, en compagnie de Marco

âgé de 17 ans. Le voyage Ŕaller- durera trois longues années.

1275.- Les Polo (Po-lo) et leur mesgnie

(leur suite) arrivent à la Cour du Grand

Khaân.

1275/76.- Siège de Xiangfan. Mission à Ganzhou, (A l’Ouest)

Page 236: Alias Marco-Polo

1277/78.- Yangzhou (Chine du sud)

Marco, nommé ‘Messire’, puis ‘Inspecteur des finances’. Il maîtrise progressivement

la langue et l’écriture du mandarin.

1280/-82.- 2 ans. Mission au sud-est ; Yunnan, Tibet, les Indes, Myanmar.

Voyages par mer, ambassades vers le Viêt-Nam.

1282.- Coup d’état des chinois contre les

Mongols. Le premier ministre Achmat est assassiné. Marco Polo est nommé

‘enquêteur-privé’. Un mois plus tard, Marco apprend au khan l’ampleur des

turpitudes et des crimes du 1er ministre. Réhabilitation des assassins

1283/1291.- Envoyé dans les régions de l’ouest, Ambassades dans l’océan Indien.

D’espérances de pouvoir repartir en

Europe.

1292/1295.- 3 ans. Retour par la mer de chine, en escorte de la princesse

Kökeedjin, destinée à épouser le roi de perse. Arrivée en Iran puis enfin Venise.

1298. Le 8 septembre, Marco est fait prisonnier. Conduit à Gène, il est enfermé

dans une prison de la ville. Par chance ( ?) il partage sa geôle avec Rustichello

de Pise, un romancier détenu pour l’impudence de sa plume. Marco lui dicte

en français le récit de sa version du voyage. C’est ainsi qu’apparaît le

« Devisement du monde.

Page 237: Alias Marco-Polo

1299.- Après la libération de son auteur, le livre est diffusé dans toute l’Europe

grâce à de nombreuses traductions.

1324.- Le 8 janvier, âgé de 70 ans, celui

que ses concitoyens surnomment « Messer Millione », Marco Polo meurt

dans son palais à Venise.

Page 238: Alias Marco-Polo

Chanzun de la guarra.

Le livre des merveilles du monde à certainement contribué à l’établissement

de nouvelles voies vers l’Orient et réduit les passages imposés par les

caravansérails. C’est d’ailleurs sous l’influence de cet

ouvrage qu’un descendant de messire Angeot, répondant au nom de Christofus

Colombus, mettra les voiles vers l’ouest pour ouvrir une « nouvelle route des

Indes ». Son succès tient au fait qu’à l’exception des marchands, qui toutefois

ne se risquent que rarement à sortir de la

‘route de la soie’, les Européen de cette époque ignorent tout de l’Extrême-Orient.

Ce livre apporte donc des connaissances exceptionnelles, en dépit des

approximations et de l’enjolivement de nombreux détails. Car ne l’oublions pas,

le texte en a été rédigé par un romancier à une époque où les récits épiques

faisaient autorité. De plus, en l’absence d’imprimerie, ce sont les moines copistes

qui en font la réplication, apportant à petites touches des modifications, par ci

par là. N’hésitant pas à le rebaptiser ; « Le livre des Merveilles du monde », puis

« Le livre du Million de Merveilles du

Monde », avant de lui laisser son titre sous lequel il est le plus connus. L’auteur

l’avait d’abord appelé tout simplement « Le livre de Marco Polo ».

Page 239: Alias Marco-Polo

Qui plus est, le texte à subit de

nombreuses manipulations, surtout au XV ème siècle où l’on a, sans états d’âmes,

supprimé les révélations sur la taille du

pied des femmes chinoises, jugées trop fantaisistes. Gommé les passages relatifs

à la grande muraille, jugés trop exagérés, etc. Le manuscrit original en est hélas

perdu. Tout comme le livre de Gihlem du Rosemont dont une seule copie eu la

chance d’échapper aux autodafés qui jalonnèrent les âges. C’est cet unique

exemplaire que j’eu la chance de découvrir dans un recoin du vaste grenier

de mon arrière grand-mère Joséphine, née Kilwasser, dans sa maison de Thann

au pied des Vosges. Réécrit, pour le rendre plus lisible (le français employé

aurait été difficile à suivre pour des

contemporains). Je me suis cependant efforcé de lui conserver une part - la plus

grande possible - de son authenticité et de sa truculente orthographe. C’est dans

cette même intention que j’ai respecté les noms et appellations d’époque. En les

réactualisant ou les explicitant, dans le glossaire ci-dessous.

Voilà, bonne lecture… s’il est encore temps de faire pareil souhait.

G.H.W.

Page 240: Alias Marco-Polo

GLOSSAIRE.

S’il nous a paru bon de donner une

explication pour certains termes employés dans cet ouvrage, ces

précisions n’ont toutefois pas valeur de vérités absolues. Les avis ‘autorisés’

étant souvent partagés, voir opposés.

1-. Parpaillot est synonyme de ‘protestant’

2 -. Au moyen-âge, le nom de ‘pucelle’ n’est pas

synonyme de vierge. Plutôt celui de ‘jeune fille’.

Un sens roturier voisin de celui de ‘damoiselle’

employé pour les jeunes filles de bonne

naissance.

3 -. Haridelle désigne un cheval maigre, souvent

âgé ou cagneux.

4 - Fayard est un autre nom du Hêtre.

5 - Voir les explications sur l’emploi erroné de ce

mot, ainsi que de ceux de ‘Tatars’ ou ‘barbares’.

6 - Le ban est un terme féodal signifiant « le

territoire sous la juridiction d’un seigneur », plus

précisément le lieu où étaient proclamées ses

décisions. S’appliquant aux villes, le terme de

ban- lieue se mit à désigner l’étendue - d’une ou

plusieurs lieues - de pays soumise à la juridiction

d’une municipalité. (La ‘lieue’ variait d’une région

à l’autre.) Le nom en est resté sous la forme

moderne de ‘banlieues’.

Page 241: Alias Marco-Polo

7 - Zhöngguo ; (souvent dit ; Zhöng-guo.)est le

nom utilisé par les chinois pour parler de leur

pays. Néanmoins, jusqu’à nos jours, Zhöng-guo

n’entra jamais dans l’appellation officielle de

l’entité politique gouvernant le territoire chinois. Il

désigne le centre, ou l’axe médian. « Zhöng »

étant représenté sur les Sinogrammes par une

ligne traversant un carré en son milieu, accolé par

le signe « Guo » (représentation d’une pièce de

jade brisée...), servant à désigner le pays en tant

que nation. C’est le nom de la dynastie régnante

qui était surtout employé autrefois. Celle des Qin,

une des plus longues, avait donné le mot ‘Chine’

en atteignant l’Europe, après être passé à travers

de nombreuses langues le long de la route de la

soie. Les partitions nord/sud de Cathay et Manji,

furent en usage presque uniquement chez les

occidentaux. Actuellement, la chine est désignée

par le nom Zhonghua. Il est inclus dans les

appellations de la République de Chine et de la

République populaire de Chine. La traduction

courante de ‘Chinois’ est Zhongguoren,

« personne de Chine ». Huaren lui est néanmoins

souvent préféré. [Sources wikipedia. 2010.]

8 - Ces fleuves sont le Don et la Volga.

9 - Il s’agit d’une description de l’isthme de

Perekop et des monts de Tauride

10 - Encore la Volga !

11 - On reconnaît ici le désert de Gobi.

12 - Huit cent lieux représentent une distance

supérieure à 3000 kilomètres.

Page 242: Alias Marco-Polo

13 - Ce sont les cols du Tarbagataï.

14 - Karakorum, était le nom de la résidence des

Khaân de Mongolie.

15 - Toujours la Volga...

16 - La mer Caspienne, avec la Mer d’Aral plus au

sud.

17 -. Le nom de Cranequinier est souvent

erronément utilisé pour désigner le mécanisme

destiné à tendre l’arbalète. Les cranequiniers

étaient les utilisateurs (à pied ou à cheval) de

l’arbalète à cric. L’erreur a perdurée jusqu’à nos

jours. [Sources wikipedia. 2008.]

18 - « Avec la bénédiction du diable. » A moins

que ce ne soit « Que le diable te bénisse. » … Il

faudrait demander à un véritable Corse !

19 -. Au IX ème siècle, .Al-Khawarizmi formalisa

l’algèbre.

20 -. L’itinéraire passait par la Crimée, l’Arménie,

la Perse et l’Afghanistan.

21 -. La mer Caspienne, bien sur.

22 -. La ville de Tabriz (Voir notes ci-dessous.)

23 -. Avec Samarkand, ce sont des variantes

orthographiques de ‘Samarcande’.

24 -. Ce sont les montagnes du Pamir.

25 -. Les chameaux, indubitablement !

Page 243: Alias Marco-Polo

26 -. La dynastie des Song du Sud.

27 -. La Corée ?

28 -. Quatre cent pas peuvent êtres évalués à,

environ, 300 mètres.

29 -.La principale règle phonotactique à retenir en

chinois, est que cette langue n’accepte pas

d’articuler l’émission de deux sons consonantiques

consécutifs. Ainsi Polo, se dit Po-lo, Siam se dit

Si-am. Etc.

30 -. La péninsule Coréenne.

31 -. Le Japon impérial.

32 -. 6 000 000 de saggio, équivalait

approximativement à un poids de 25 tonnes.

33 -. Manji est le nom communément utilisé, à

l’époque, pour désigner l’empire Song de la Chine

du sud.

34 -. Le charbon.

35 -.Les montagnes de la chaîne himalayenne,

plus précisément le Tibet.

36-. Le Sam-pao, correspond en gros aux navires

que nous appelons aujourd’hui ‘Jonques de mer’.

Il à donné celui de ‘sampan’ pour désigner les

embarcations de rivière du Viêt-Nam.

37 -. Nom d’origine Chinoise, repris par les

navigateurs arabes qui le transformèrent en maw

sim (Prononcer ‘maou-sum’). Il s’agit des vents

de mousson.

Page 244: Alias Marco-Polo

38 -. Magnetis Amalphis. Il s’agit tout simplement

de la boussole. Au XI siècle, la boussole Chinoise

se présentait sous la forme d’une pierre plate et

carrée sur laquelle était posée une pièce

métallique évoquant vaguement une cuillère et

sensée représenter la constellation de la grande

Ourse. La partie effilée indiquait… la direction du

sud.

39 -. L’empire du Yamato désignait l’archipel du

Japon.

40 -. C’est encore du Japon dont il s’agit.

L’invasion tourna court, un Typhon envoya la

flotte du grand Khan par le fond. Les survivants

furent exterminés jusqu’au dernier.

41 -. Khanbalik (ville du Khan, en mongol) est

aussi appelé Dâdü à la même époque. C’est

l’actuel Pékin (Beijing). A l’origine la ville

s’appelait Ben-Ji. (Chardon)

42 -. Pluriel mamälïk, singulier mamlük. Ce sont

les membres d’une milice (formée d’esclaves

affranchis), au service des califes musulmans et

de l’empire ottoman. Nous la connaissons mieux

sous l’appellation générique de Mamelouks. Les

Kiptchak (nommés Comans ou Coumans, chez les

latins.) sont les ressortissants d’un peuple Turc,

semi-nomade. [Sources wikipedia. 2010.]

43 -. Aussi orthographié ‘Kökedjin.

44 -.Le port de Canton.

45 -. Singosari ; l’île de Java, (Indonésie)

Kertanegara en était le roi.

Page 245: Alias Marco-Polo

46 -.Sumatra.

47 -. C’est l’île de Ceylan.

48 -.Ports, sur les côtes de l’Inde. Le détroit (aussi

la ville) d’Ormuz, au moyen-âge portait tantôt les

noms d’Ormis, Curmos ou Hormission. [Sources

wikipedia. 2010.]

49 -. Socotra (ou Suqutra) est une île, ou plus

exactement un archipel, situé au sud-est du

Yémen, dans l’Océan Indien, à l’entrée du golfe

d’Aden.

50 -. Le Ghî ou ghee (du sanskrit ghita) est un

beurre clarifié provenant du lait de vache.

51 -. Le Tigre et l’Euphrate.

52 -. Les chameaux…Selon toutes probabilités.

53 -. Les Ismaéliens - Nizâriens (Nizârites ?) sont

une communauté mystique musulmane (shî’ite

ismaélienne), active depuis le XI ème siècle,

professant une lecture ésotérique du Coran, (le

bâtin). Hashishiyyin. Signifie littéralement « Ceux

qui font usage du haschisch ». Ce terme

emprunté à l’arabe serait passé en Italie sous la

forme d’assassino, qui donnera le mot français

‘assassin’... Étymologie séduisante, mais

aujourd’hui controversée par les scientifiques qui

s’appuient sur des textes récemment découverts

et authentifiés comme étant ceux d’Alamût. ( ?)

La version qui prévaut est plus prosaïque ;

L’Imâm Hasan aimait appeler ses adeptes

Assassiyoun, ceux qui sont fidèles au ‘Assas’, le

« Fondement de la foi ». C’est ce mot, mal

Page 246: Alias Marco-Polo

compris des voyageurs étrangers, qui leur a

semblé porter des relents de… haschich ! Pure

affabulation donc, légende propagée par les

Croisés et qui, en l’absence de textes

authentiques, a obscurci longtemps le nom de

l’Ismaélisme. [Sources wikipedia. 2010.]

54 -. Baydâd, en persan et Bagdäd, en arabe. Le

nom proviendrait étymologiquement d’un nom

composé persan ; Bhag ‘Dieu’ et däd (donner).

Pouvant être traduit par ; « don de Dieu ». La

ville fut également appelée ou surnommée « Dar

As Salam », « La ville ronde » ou encore « La ville

d’Al Mansour. »

55 -. Ërän ou Ëränsahr (Iran, signifiant « pays des

Ariens »). En occident le pays conservera son

nom de ‘Perse’, jusqu’en 1934. A cette date, Reza

Pahlavi demanda aux représentations

diplomatiques d’utiliser le nom d’Iran. Les iraniens

n’ont jamais cessé d’appeler ainsi leur pays. Les

grecs avaient fait la confusion avec la région

capitale de cette époque ; Pars, appelée ‘Pärsa’ en

vieux-persan. Plus tard les arabes conquirent le

pays, y introduisant l’Islam. Les Iranien se

différencient pourtant des musulmans sunnites

par leur appartenance au culte chiite

duodécimains. [Sources wikipedia. 2010.]

56 -. Tabriz. Aussi nommée ‘Tauris’.

57 -. Le ‘cylindre de Cyrus’ contient ce que l’on peut

nommer la première déclaration des ″Droits de

l’homme″.

58 -.Un fils de Bay-Bars (voir ci-dessous). En

dissidence avec son père depuis la chute du

dernier État franc en 1291.

Page 247: Alias Marco-Polo

59 -. Bay-Bars (1260Ŕ1277). Une des grandes

figures du moyen-âge musulman. Un cycle épique

populaire, le ‘Roman de Baïbars’ comparable en

popularité à notre « Ballade de Roland » c’est

constitué autour de sa personnalité.

60 -. La Furûsiyya était un ensemble de

connaissances, pratiques et théoriques, en

vigueur dans le sultanat mamelouk, qui ne

mettait pas en avant la bravoure mais la

discipline. Comprenant le maniement des armes,

l’archerie, la lutte, la natation, la fauconnerie,

l’équitation, la médecine vétérinaire et la pratique

des échecs. Le système mamelouk, en réservant

les plus hautes fonctions, à des hommes nés

esclaves, faisait preuve d’une originalité avancée.

Propre à l’Islam, ce précepte perdurera du IX

jusqu’au XIX ème siècle, prenant fin avec le

massacre des chefs mamelouks par Mohamed Ali,

en 1811. [Sources wikipedia. 2011.]

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