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BIBEBOOK ALPHONSE ALLAIS FAITS DIVERS

Allais Alphonse - Faits Divers

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Allais Alphonse

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  • BIBEBOOK

    ALPHONSE ALLAIS

    FAITS DIVERS

  • ALPHONSE ALLAIS

    FAITS DIVERS

    Un texte du domaine public.Une dition libre.

    ISBN978-2-8247-1219-2

    BIBEBOOKwww.bibebook.com

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    Ont contribu cee dition : Gabriel Cabos

    Fontes : Philipp H. Poll Christian Spremberg Manfred Klein

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  • I que lon passe ct dAllais, cest--direquon le trouve ennuyant parce quon na pas eu la chance de lireses meilleurs textes. Alphonse Allais est comme tous ceux quicrivent sans relche, ingal lui-mme. Particulirement lui qui crivaitses textes le mercredi soir an quils paraissent dans plusieurs revues lejeudi matin et qui suivait dlement la voie trace par son ami Jean Gou-dezki : Si lide est drle, Allais fait un article. Si lide nest pas drle,il fait un article. Et sil na pas dide du tout, il fait un article.

    Nous vous proposons ici son meilleur cru, quand lauteur exploite lanarration complice avec le lecteur au maximum de ses possibilits, quandil raconte jusquau bout la logique absurde inscrite dans le quotidien dufait divers et de lanecdote.

    Peut-tre aurez-vous le sentiment de redcouvrir Alphonse Allais ;cest dans ces textes quil matrise le mieux son art de conteur.

    Jean-Claude Boudreault

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  • CHAPITRE I

    Mes dbuts dans la presse

    L des turpitudes de ce sminaireet bien dcid plaquer ltat ecclsiastique auquel me desti-naient mes parents, je russis enn mvader de ltablisse-ment, se dressa devant moi, pre et dsol, le problme de la vie gagner.

    Je dtenais sur moi un lger pcule, o le cuivre jouait un rle plusconsidrable que largent et do lor et le papier semblaient banniscomme plaisir.

    Un ami denfance que je rencontrai mindiqua : Il y a un imprimeur que je connais et qui dsire fonder un petit

    journal local ; son absence peu prs complte dorthographe le pousse prendre un rdacteur aubl, comme dit Laurent Tailhade , de vagueshumanits. Consentirais-tu devenir cet homme ?

    Je suis lhomme de cee place, nen doute pas, je serai the right man1. Laurent Tailhade (1854-1919), anarchiste, pote et chroniqueur.

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  • Faits divers Chapitre I

    in the right place. Alors, viens, je vais te prsenter.Lhomme en question tait une excellente pte dimprimeur jovial et

    muni de grosses moustaches grisonnantes. Son accueil fut charmant : Un fait divers, un simple fait divers, sauriez-vous le rdiger ?En mon for intrieur, je haussai les paules.Le clairvoyant typo insista : Oui, un fait divers, mais pas un fait divers comme on les crit dans

    les petits canards provinciaux. Moi, dans mon journal, je veux des faitsdivers qui ne ressemblent pas ceux des autres.

    Dsirez-vous messayer ? Volontiers, tenez, asseyez-vous mon bureau et crivez-nous une

    vingtaine de lignes sous ce titre : Imprudence dun fumeur .Cinq minutes ntaient pas coules que je lui remeais mon papier.

    n

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  • CHAPITRE II

    Imprudence dun fumeur

    L Montsalaud vient dtre le thtre dun tristedrame qui sest droul par suite de limprudence dun fumeur.Un sieur D. . ., sabotier, rentrait chez lui, hier soir, vers dixheures, tenant sa bouche une pipe allume de laquelle schappaient chaque instant de lgres ammches.

    En traversant le petit bois de sapins appartenant Mme laMarquise deChaudpertuis, notre homme ne prit point garde quune simple tincellepouvait enammer les pommes de pin et les branches sches qui recou-vraient le sol.

    Il continuait donc fumer sa pipe quand, soudain, il poussa un cri.Sur le bord du chemin, deux pauvres enfants dune douzaine dannes

    dormaient, troitement enlacs et greloant de froid.Le sieur D. . ., excellent cur, rveilla les bambins et les aida faire un

    bon feu de bois mort qui les rchaua un peu, puis il sloigna.Malheureusement, le feu ne se trouvait pas susamment allum, car

    4

  • Faits divers Chapitre II

    il steignit bientt.On a trouv ce matin les cadavres des deux pauvres petits, morts de

    froid.. . . . . . . . . . . . . . . . . . .

    la bonne heure ! scria mon nouveau patron, voil ce que jappelleun fait divers pas banal ! Topons l, jeune homme !

    n

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  • CHAPITRE III

    Le drame dhier

    U et des plus insolites sest droul hier au seinde la coquee localit ordinairement si paisible de Paris (Seine).Il pouvait tre dans les 3 ou 4 heures de laprs-midi, et par unede ces tempratures !. . .

    Devant le bureau des omnibus du boulevard des Italiens, deux voituresde la Compagnie, lune destination de la Bastille, lautre cinglant verslOdon, se trouvaient pour le moment arrtes, et, comme on dit en ma-rine, bord bord.

    Rien de plus ridicule, en telle circonstance, que la situation respectivedes voyageurs de limpriale de chaque voiture, lesquels, sans jamais avoirt prsents, se trouvent brusquement en direct face face et nontdautre ressource que de se dvisager avec une certaine gne qui, pro-longe, se transforme bientt en pure chiendefaencerie.

    Cest prcisment ce qui arriva hier.Sur limpriale Madeleine-Bastille, une jeune femme (crature das-

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  • Faits divers Chapitre III

    pect physique fort sduisant, nous ne cherchons pas le nier, mais derudimentaire culture mondaine et de colloque trivial) clata de rire lavue du monsieur dcor qui lui faisait vis--vis sur Batignolles-Clichy-Odon et, narquoise, lui posa cee question fort la mode depuis quelquetemps Paris et que les gens se rptent tout propos et sans lapparencede la plus faible ncessit :

    est-ce que tu prends, pour ton rhume ?Le quinquagnaire sanguin auquel sadressait cee demande saugrenue

    ntait point, par malheur, homme desprit ni de tolrance.Au lieu de tout simplement hausser les paules, il se rpandit contre

    la jeune femme frivole en mille invectives, la traitant tout la fois degrue, de veau, et de morue, triple injure nindiquant pas chez celui qui laprofrait un profond respect de la zoologie non plus quun vif souci de lalogique.

    Va donc, h, vieux dos, rpliqua la jeune femme.(Le dos est un poisson montmartrois qui passe tort ou raison pour

    vivre du dbordement de ses compagnes.)Jusqu ce moment, les choses navaient revtu aucun caractre de

    gravit exceptionnelle, quand le bonhomme eut la malencontreuse idede tirer bout portant un coup de revolver sur la jeune femme, laquelleriposta par un vigoureux coup dombrelle.

    ( suivre)

    n

    1. En argot de lpoque, le dos, ou dos vert, est un maquereau.

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  • CHAPITRE IV

    Le drame dhier

    (Suite)

    S lecteur veut bien, en dpit de lexcessive tem-prature dont nous jouissons, faire un lger eort de mmoire, ilse rappellera que nous en tions rests cemoment du drame oun monsieur, assis limpriale de lomnibus Batignolles-Clichy-Odontirait un coup de revolver sur une jeune femme occupant un sige lim-priale de Madeleine-Bastille, coup de revolver auquel la personne rpon-dait par un nergique coup dombrelle sur le crne du bonhomme.

    Ce fut, chez tous les voyageurs de la voiture Madeleine-Bastille unespontane et violente clameur.

    Lhomme au revolver fut hu, invectiv, trait de tous les nomspossibles, et mme impossibles.

    Juste ce moment, les oprations du contrle se trouvant termines,les deux lourdes voitures sbranlrent et partirent ensemble dans lamme direction, lune cinglant vers la Bastille, lautre vers la rue de Ri-

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  • Faits divers Chapitre IV

    chelieu.Malheureusement, durant le court trajet qui spare le bureau des Ita-

    liens de la rue de Richelieu, les choses senvenimrent gravement et lemonsieur dcor crut devoir tirer un second coup de revolver sur un hautjeune homme qui se signalait par la rare virulence de ses brocards.

    . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..

    Les voyageurs domnibus ont bien des dfauts, mais on ne saurait leurrefuser un vif sentiment de solidarit et un dvouement aveugle pourleurs compagnons de voiture.

    Aussi nest-il point tonnant que les voyageurs Madeleine-Bastilleaient pris fait et cause pour la jeune femme lombrelle cependant queceux du Batignolles-Clichy-Odon embrassaient le parti du quinquagnaire larme feu.

    Les cochers eux-mmes des deux vhicules se passionnaient cha-cun pour leur cargaison humaine, changeaient des propos haineux, etquand Batignolles-Clichy-Odon senfourna dans la rue de Richelieu,Madeleine-Bastille nhsita pas. Au lieu de poursuivre sa route vers laBastille, il suivit son ennemi dans la direction du tre-Franais.

    Ce fut une lue homrique. On t descendre lintrieur les femmeset les enfants, les inrmes, les vieillards.

    Pour tre improvises, les armes nen furent que plus terribles.Un garon de chez Lon Laurent qui allait livrer un panier de cham-

    pagne en ville orit ses bouteilles quaprs avoir vides on transforma enmassues redoutables.

    M.-B. allait succomber, quand un petit apprenti eut lide de descendrevivement et de dvaliser la boutique dunmarchand de haches dabordagequi se trouve ct de la librairie Ollendorf.

    Cee opration fut excute en moins de temps quil nen faut pourlcrire.

    B.-C.-O., ds lors ne pouvait songer continuer la lue, et tout cequi restait de voyageurs valides bord descendit au bureau du tre-Franais, la rage au cur et ivre de reprsailles.

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  • Faits divers Chapitre IV

    ant aux ecclsiastiques, ils avaient t, comme toujours, admirablesde dvouement et dabngation, relevant les blesss, les pansant, exhor-tant au courage ceux qui allaient mourir.

    n

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  • CHAPITRE V

    La petite coquette

    Histoire Jeannine

    I une fois. . .Je minterromps, petite Jeannine, pour vous avertir que la lec-ture de cee histoire ne vous divertira peut-tre pas follement :dabord parce que, si vous tes dj une fort agrable causeuse, vous neconnaissez pas encore vos leres et vous avez bien raison, ignorez-les leplus longtemps que vous pourrez, vos leres.

    Pourtant, il faudra bien que vous sachiez lire un jour, povrine, et jevous cris ce petit machin pour que, dans quelque temps, meons dix ans,quand vous serez grande llee devenue et que moi je serai presque unhomme mr, mais pas srieux (Dieu me garde dtre srieux), vous medisiez un jour avec vos yeux en velours et votre joli sourire :

    Jai lu la petite histoire que vous mavez faite quand jtais toute

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  • Faits divers Chapitre V

    petite : elle est trs gentille.Et moi je serai trs content, car les hommes mrs aiment bien que les

    petites lles de quinze ans leur fassent de beaux sourires avec des yeuxen velours. Ceci dit, je commence :

    Il y avait une fois place des Ternes. . .Ah ! oui, joubliais encore. . . Je vous ai spcialement ddi cee

    histoire, parce quelle sest passe place des Ternes, et que la place desTernes, cest votre place vous. Cest dailleurs une trs belle place, avecun beau bassin au milieu, et des oes domnibus et tramways qui fontle plus joli eet du monde.

    Vous savez, ou plutt vous ne savez pas, car a vous est bien gal, quelorsquon veut aller de la place des Ternes la Villee, ou dans la direc-tion, deux tramways sorent votre choix : lun, couleur chocolat, quivient de la place de ltoile ; lautre, dun beau jaune paille, qui arrive duTrocadro. Comme ils ont tous les deux le mme rail suivre jusqu lamme destination, le voyageur, avec cee indirence que donne lha-bitude des voyages, pntre sans prfrence dans lun ou dans lautre.

    Ce prambule tabli, et il tait ncessaire quil le ft, comme dit M. deLesseps maintenant quil est de lAcadmie, je commence mon histoire,et je ne linterromprai plus.

    Il y avait une fois, place des Ternes, une petite lle denviron treizeans, pas encore jolie, mais dj trs gentille. Cee petite lle venait deprendre dans le bureau des omnibus un numro pour La Villee. soncostume, son allure, ses petites mines, quelquun au courant des ate-liers et des rues de Paris pouvait dterminer, sans erreur, la situation so-ciale de la llee. Ctait une petite apprentie, un troinde modiste.

    Trs brune avec de grands yeux noirs, que nos grands-pres appelaientdes yeux fripons,habille dune petite toilee printanire, gentille etsimple, car cela se passait par une de ces belles journes qui signalrent lan davril 1885, la petite modiste manifestait son impatience. De tempsen temps, elle regardait son numro de carton, comme si cee vue dtpresser la venue du tramway aendu.

    Au bout de deux minutes, il en arriva un. Ctait le chocolat, Place deltoile-La Villee,presque vide. Je maendais voir ma petite voyageusese prcipiter avidement. Elle nen t rien.

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  • Faits divers Chapitre V

    Dune moue ddaigneuse, elle le laissa passer sans lhonorer de saprsence. La minute daprs, arriva le tramway jaune paille, Trocadro-LaVillee ;mais celui-l tout plein.

    La jeune lle eut un geste dsespr.Puis ce fut de nouveau le tour du tramway chocolat, avec des tas de

    places libres. Mme ddain pour le tramway chocolat.Moi, que ce mange amusait et intriguait, je laissai volontiers passer

    mon tour pour assister au dnouement.Enn le tramway paille.Il y**avait deux places libres limpriale.

    Nous les prenons dassaut, la petite et moi ; elle, radieuse.On ntait pas arriv la hauteur du parc Monceau que nous tions

    dj vieux amis et comme je lui expliquais que les deux tramways en ques-tion taient dun usage indirent puisquils avaient le mme itinraireet la mme destination, elle me rpondit gentiment :

    Je sais bien, monsieur, mais celui du Trocadro va mieux monteint.

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  • CHAPITRE VI

    Nature morte

    V remarqu, au Salon de cee anne, un petittableau, peu prs grand comme cee feuille, lequel reprsentetout simplement une bote sardines sur un coin de table.Non pas une bote pleine de sardines, mais une bote vide, dans laquellestagne un restant dhuile, une pauvre bote prochainement voue lapoubelle.

    Malgr le peu dintrt du sujet, on ne peut pas, ds quon a aperuce tableautin, sen dtacher indirent.

    Lexcution en est tellement parfaite quon se sent clou ceecontemplation avec le rire dun enfant devant quelque merveilleuxjoujou. Le zinc avec sa luisance grasse, le fond huileux de la bote re-tant onctueusement le couvercle dchiquet, cest tellement a !

    Les curieux qui consultent le livret apprennent que lauteur de ceetrange merveille est M. Van der Houlen, n Haarlem, et qui eut unemention honorable en 1831.

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  • Faits divers Chapitre VI

    Une mention honorable en 1831 ! M. Van der Houlen nest pas tout fait un jeune homme.

    Trs intrigu, jai voulu connatre ce curieux peintre, et, pas plus tardquhier, je me suis rendu chez lui.

    Cest l-bas, au diable, derrire la bue Montmartre, dans un grandhangar o remisent de trs vieilles voitures et dont lartiste occupe legrenier.

    Un vaste grenier inond de lumire, tout rempli de toiles termines ;dans un coin, une manire de petite chambre coucher. Le tout duneirrprochable propret.

    Tous les tableaux sans exception reprsentent des natures mortes,mais dun rendu si parfait, quen comparaison les Vollon, les Bail et lesDesgoe ne sont que de tout petits garons.

    Le pre Houlen, comme lappellent ses voisins, tait en train de faireson mnage, minutieusement.

    Cest un petit vieux, en grande redingote autrefois noire, mais actuel-lement plutt verte. Une grande casquee hollandaise est enfonce surses cheveux dargent.

    Ds les premiers mots, je suis plong dans une profonde stupeur. Im-possible dimaginer plus de navet, de candeur et mme dignorance. Ilne sait rien de ce qui touche lart et les artistes.

    Comme je lui demande quelques renseignements sur sa manire deprocder, il ouvre de grands yeux et, dans limpossibilit de formulerquoi que ce soit, il me dit :

    Regardez-moi faire.Ayant bien essuy ses grosses lunees, il sassied devant une toile

    commence, et se met peindre.Peindre ! je me demande si on peut appeler a peindre.Il sagit de reprsenter un collier de perles enroul autour dun hareng

    saur. Sans mtonner du sujet, je contemple aentivement le bonhomme.Arm de petits pinceaux trs ns, avec une incroyable sret dil

    et de pae et une rapidit de travail vertigineuse, il procde par petitestaches microscopiques quil juxtapose sans jamais revenir sur une toucheprcdente.

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  • Faits divers Chapitre VI

    Jamais, jamais il ninterrompt son ouvrage de patience pour se reculeret juger de leet. Sans sarrter, il travaille comme un forat mticuleux.

    Le seul mot quil nisse par trouver propos de son art, cest celui-ci : La grande aaire, voyez-vous, cest davoir des pinceaux bien

    propres.Le soir montait. Mthodiquement, il rangea ses ustensiles, neoya sa

    palee et jeta un regard circulaire chez lui pour sassurer que tout taitbien en ordre. Nous sortmes.

    elques petits verres de curaao (il adore le curaao) lui dlirent lalangue.

    Comme je mtonnais quavec sa grande facilit de travail il net en-voy au Salon que le petit tableau dont jai parl, il me rpondit avec unegrande tristesse :

    Jai perdu toute mon anne, cee anne.Et alors me raconta la plus trange histoire que jentendis jamais.De temps en temps, je le regardais aentivement, voulant massurer

    quil ne se moquait pas de moi, mais sa vieille honnte gure de vieillardnavr rpondait de sa bonne foi.

    Il y a un an, un vieil amateur hollandais, x Paris, lui commanda,en qualit de compatriote, un tableau reprsentant un dessus de chemineavec une admirable pendule en ivoire sculpt, une merveille unique aumonde.

    Au bout dun mois, ctait ni. Lamateur tait enchant, quand tout coup sa gure se rembrunit :

    Cest trs bien, mais il y a quelque chose qui nest pas place.oi donc ? Les aiguilles de la pendule.Van der Houlen rougit. Lui, si exact, stait tromp.En eet, dans loriginal, la petite aiguille tait sur quatre heures et la

    grande sur midi, tandis que dans le tableau, la petite tait entre trois etquatre heures, et la grande sur six heures.

    Ce nest rien, balbutia le vieil artiste, je vais corriger a.Et, pour la premire fois, il revint sur une chose faite. partir de ce moment, commena une existence de torture et dexas-

    pration. Lui, jusqu prsent si sr de lui-mme, ne pouvait pas arriver

    16

  • Faits divers Chapitre VI

    mere en place ces sacres aiguilles.Il les regardait bien avant de commencer, voyait bien leur situation

    exacte et se meait peindre. Il ny avait pas cinq minutes quil tait entrain que, crac ! il sapercevait quil stait encore tromp.

    Et il ajoutait : quoi dois-je aribuer cee erreur ? Si je croyais aux sorts, je dirais

    quon men a jet un. Ah ! ces aiguilles, surtout la grande !Et, depuis un an, ce pauvre vieux travaille sa pendule, car lamateur

    ne veut prendre livraison de luvre et la payer, que lorsque les aiguillesseront exactement comme dans loriginal.

    Le dsespoir du bonhomme tait si profond, que je compris linutilitabsolue de toute explication.

    Comme un homme qui compatit son malheur, je lui serrai la main,et le quiai dans le petit cabaret o nous tions.

    Au bout dune vingtaine de pas, je maperus que javais oubli monparapluie. Je revins.

    Mon vieux, aabl devant un nouveau curao, tait en proie un accsdhilarit si vive quil ne me vit pas entrer. Liralement, il se tordait derire.

    Tout penaud, je mloignai en murmurant :Vieux fumiste, va !

    n

    17

  • CHAPITRE VII

    Croquis de mai

    C , de mai est dchan dans toute sa fureur.Une pluie paisse balaie sans interruption les rares passants dontle collet relev brave insusamment la bise glace.Les omnibus, tous bonds, savancent avec peine dans les claboussementsboueux, et limpriale dgarnie leur donne un aspect morne et dsol.

    Chaque fois quun omnibus arrive devant le bureau, le groupe desvoyageurs sapproche, compact et inquiet, car on descend peu et lheuresavance.

    Il va tre minuit. Deux places la plate-forme. . . 15, 16, 17. . .Le 15, 16 et le 17 ne rpondent pas. Fondus peut-tre. 18, 19. . .Le 18 et le 19 montent.Cest un jeune homme, le 18, un fort joli garon mme, grand, bien

    taill, dont la physionomie distingue indique la franchise et la bont.

    18

  • Faits divers Chapitre VII

    Le 19 est reprsent par une femme maigre, chtive, qui tient dans sesbras un bb dj grand, envelopp dans un pauvre vieux chle couleurpasse.

    Le tramway reprend sa route.La pauvre femme jee dans lintrieur des regards dsesprs. La-

    verse a redoubl de rage.Dans lintrieur, il y a des hommes, des jeunes mme, tous enfoncs

    dans leur place, les deux mains appuyes sur la pomme de leur parapluie,mais aucun ne semble voir la prire muee de la femme. On est bien l,on y reste.

    Le bb est lourd, la pluie froide et le vent sie, coupant les visages.La mre de lenfant est devenue verte. Le bb rveill pleure.Le jeune homme mont en mme temps quelle, contemple avec com-

    misration ce groupe misrable. Voulez-vous me permere de tenir votre enfant un instant ? Je la-

    briterai mieux que vous, et a vous dlassera.La femme parat en eet si suprmement lasse, que, sans dire un mot,

    elle accepte avec un dsol sourire. Pauvre femme !Enn, quelquun sort de lintrieur, une petite dame gentille, lgante

    et trs dcide.Une coquee ? peut-tre pas.Plutt une petite bourgeoise dlure.Ce nest pas pour descendre quelle a qui sa place, car elle reste sur

    la plate-forme.La femme reprend son bb et va saaisser dans la place libre.Le jeune homme, trs touch de ce dvouement, salue la petite dame

    dun geste vague.Cee dernire se place tout prs de lui.La conversation sengage, banale : Sale temps. . . Drle de mois de mai. . . Dcidment, les saisons sont

    changes. . . etc. etc.Le jeune homme est sans doute arriv chez lui, car il descend. La petite

    dame en fait autant.Elle na pas de parapluie, la petite dame, mais lui en a un. Il labrite.

    19

  • Faits divers Chapitre VII

    Leurs bras saccrochent. La conversation quie son ton de banalitbte, pour devenir plus aimable, plus intime. . . plus prcise.

    Sous le parapluie, les yeux de la dame luisent, xs sans relche surle beau visage du jeune homme.

    Lui sourit, trs charm, mais un peu incrdule. Alors, dit-il, a vous a pris comme a, en me regardant ?Oui, rpond-elle avec passion, ds que je vous ai aperu sur la plate-

    forme. La preuve, cest que jai immdiatement qui ma place pour venirauprs de vous.

    Ce ntait donc pas pour la donner cee pauvre femme ? Jamais de la vie, par exemple ! Je men che un peu de cee bonne

    femme et de son gosse.Mais lui, subitement, a dgag son bras. La parole mchante de cee

    femme la glac.Et il sloigne cruellement, laissant la petite dame seule sur le trottoir,

    toute bte sous laverse.

    n

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  • CHAPITRE VIII

    Mon ami Lz

    U pleuvait beaucoup, beaucoup, beaucoup, mon amiLz tait trs fatigu, trs fatigu, trs fatigu, alors il traversaun petit dsert.Et au bout du petit dsert mon ami Lz rencontra un petit palmier vert,vert, vert comme tout.

    Et au pied du petit palmier vert un petit porte-monnaie vide, vide,vide.

    Alors comme il pleuvait encore beaucoup, beaucoup, beaucoup etcomme mon ami Lz tait encore trs fatigu, trs fatigu, trs fatigu, iltraversa un autre petit dsert, et au bout de lautre petit dsert, mon amiLz rencontra un autre petit palmier vert et au pied de lautre palmier, unpetit sou tout rouill, tout rouill, tout rouill.

    Alors comme il pleuvait encore plus mon ami Lz prit le petit sou toutrouill et le mit dans le petit porte-monnaie qui ne fut plus vide du tout. . .

    . . . Cest tout. . .

    21

  • Faits divers Chapitre VIII

    n

    22

  • CHAPITRE IX

    Feu de paille

    I ; elle tait petite. Il tait maigre ; elle tait potele. Il tait laid ; elle tait gentille.Ils spousrent et passrent ensemble une priode de joursheureux. . . Mais tout passe en ce monde, sauf le caf dans les mauvaisltres. Un jour vint o, grce au caractre dsagrable de sa moiti, ilrsolut de sen sparer tout prix, et de lui montrer la porte.

    Jamais on ne vit, nest-ce pas ? une femme qui lon indique lhuis desortie, en proter.

    Tu me chasses, dit-elle, je reste !Et ds lors toutes les facults de notre jeune poux se concentrrent

    sur ce seul but : labandonner.Il songea dabord la famine. Trois jours durant il la laissa sans avoir

    le moindre morceau de pain se mere sous les canines. Elle maigrit,mais rsista.

    Fichtre ! exclama-t-il, le Dr Tanner a rsist quarante jours ; si elle

    23

  • Faits divers Chapitre IX

    est de ce calibre-l, ce sera long. Trouvons quelque chose de plus expditif.Il essaya des scnes. toute heure de la journe et de la nuit, il y eut

    des pleurs et des grincements de dents.Mais aussitt aprs, elle demandaitgrce, en pleurant, davoir pleur. Ces choses-l dsarmeraient un tigre.Aussi, chaque supplication, tait-il dsarm.

    Je ne taime plus, dit-il un jour. a mest gal, rpond-elle, jaime pour deux. Va-ten voir tes parents que tu adores.Moins que toi, mon loup ; je te le jure, je taimemieux quema grand-

    mre.Un loup ne peut rien contre une femme qui laimemieux que sa grand-

    mre.Il tenta de la fuite. Mais partout, avec la sagacit du serpent, la pa-

    tience duHuron et la vlocit du chasseur disards, elle savait retrouver satrace. Prenait-il le tramway, elle le suivait en voiture. Slanait-il sur unomnibus, deux minutes aprs, elle allait le rejoindre sur la plate-forme.

    Il simula un voyage. Elle nen fut pas dupe ; aprs un jour de re-cherches, elle tombait la table dun caf o il ne lavait jamais conduite,et :

    Garon ! un autre bock pour moi !Il t un voyage Lausanne. Elle lapprit et partit par le train suivant.Il sirotait tranquillement labsinthe de la libert la Brasserie Cloor, et

    satisfait de la lere par laquelle il venait de lui faire ses adieux, il appelait : Garon, portez cee lere la poste pour Paris. Cest inutile, dit-elle en entrant ; la lere arrivera plus vite

    destination en restant ici. Bah ! t-il, aprs tout, elle a bon ceeur, cee pauvre femme ; et son

    dsagrable caractre me rend le service signal dloigner de moi un tasdamis. Gardons-la.

    Va, lui dit-il, ma poupoule, tu as gagn ta cause. Puisque tu le veuxabsolument, reste.

    Avec un vilain type comme toi ! scria-t-elle, jamais de la vie !Et elle sen alla.

    24

  • Faits divers Chapitre IX

    n

    25

  • CHAPITRE X

    Une manire dembter sonconcierge en samusant

    soi-mme

    N dorir nos lecteurs le rcit dune farcediversement raconte et qui surait assurer son auteur,Alphonse Allais retenez bien ce nom une jolie place danslimmortalit.

    Un beau jour, ou plutt une vilaine nuit il tait deux heures dumatinet il pleuvait verse Allais tenait absolument rentrer.

    Coups de sonnee multiples et dvergonds. . . refus obstin douvrir. On nouvre pas pass minuit. Voyons, M. Bertin. . . Je ne puis ouvrir cee heure ; le propritaire mengueulerait.Tout cela pendant un quart dheure !

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  • Faits divers Chapitre X

    la n, Allais a une ide lumineuse ; il laisse tomber dans la bote auxleres, une pice de cent sous en argent.

    , puissance magique de lor ! Le Concierge entend le bruit du mtal,se lve et va ouvrir lui-mme, sans oublier dempocher la petite somme. peine entr, Allais scrie :

    Ah ! nom dun chien, jai oubli un livre sur la borne, dehors.Provisoirement complaisant, le portier sore laller qurir, et pour

    le rcompenser de ce bon mouvement, notre ami lui referme la porte aunez.

    Ouvrez donc, cest une mauvaise farce. On nouvre pas pass minuit, rpondait imperturbablement Allais. Mais, ouvrez, je crve de froid avec mon pantalon et mes savates. Je ne puis ouvrir cee heure-l. . . le propritaire mengueulerait.Et linfortun pipelet geignait en greloant pitoyablement. la n, Allais, qui a lme douce au fond, cria travers lhuis : Eh bien, si vous voulez entrer, faites comme moi.Et lingnieux auteur de lAmi Lz rcupra ainsi son dbours.Inutile dajouter quAlphonse Allais na pas moisi dans cet immeuble

    de la rue de Lille.

    n

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  • CHAPITRE XI

    Dieu

    Au docteur Antoine Cros .. Le docteur Antoine Cros (1835-1903) tait le frre an de

    Charles Cros.

    I se faire tard.La fte bat son plein.Les gais compagnons sont hauts en couleur, bruyants et amou-reux.Les belles lles, dgrafes, sabandonnent. Leurs yeux, doucement se mi-closent, et leurs lvres qui sentrouvrent laissent apercevoir des trsorshumides de pourpre et de nacre.

    Jamais pleines et jamais vides, les coupes !Les chansons senvolent, scandes par le cliquetis des verres et les

    cascades du rire perl des belles lles.

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  • Faits divers Chapitre XI

    Et puis, voil que la trs vieille horloge de la salle manger in-terrompt son tic-tac monotone et ronchonneur pour grincer rageuse-ment, comme elle fait toujours quand elle se dispose sonner lheure.

    Cest minuit.Les douze coups tombent, lents, graves, solennels, avec cet air de

    reproche particulier aux vieilles horloges patrimoniales. Elles semblentvous dire quelles en ont sonn bien dautres pour vos aeux disparus etquelles en sonneront bien dautres encore pour vos petits-ls, quand vousne serez plus l.

    Sans sen douter, les gais compagnons ont mis une sourdine leurtumulte, et les belles lles nont plus ri.

    Mais Albric, le plus fou de la bande, a lev sa coupe et, avec unegravit comique :

    Messieurs, il est minuit. Cest lheure de nier lexistence de Dieu.Toc, toc, toc !On frappe la porte. i est l ?. . . On naend personne et les domestiques ont t

    congdis.Toc, toc, toc !La porte souvre et on aperoit la grande barbe dargent dun vieillard

    de haute taille, vtu dune longue robe blanche.i tes-vous, bonhomme ?Et le vieillard rpondit avec une grande simplicit : Je suis Dieu. cee dclaration, tous les jeunes gens prouvrent une certaine

    gne ; mais Albric, qui dcidment avait beaucoup de sang-froid, reprit : a ne vous empchera pas, jespre, de trinquer avec nous ?Dans son innie bont, Dieu accepta lore du jeune homme, et bien-

    tt tout le monde fut son aise.On se remit boire, rire, chanter.Le matin bleu faisait plir les toiles quand on songea se quier.Avant de prendre cong de ses htes, Dieu convint, de la meilleure

    grce du monde, quil nexistait pas.

    29

  • Faits divers Chapitre XI

    n

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  • CHAPITRE XII

    Le bon amant

    Rachilde auteur deeue de poisson.

    . Rachilde (Marguerite Eymery, 1860-1953), dont le roman Mon-sieurVnus avait fait scandale lanne prcdente, publie euedepoisson Bruxelles en 1885. En cinquante pages, cest lhistoire dunbent de trente-cinq ans, n avant terme, pour qui tout nit. . . en queuede poisson.

    E cigarees, il laendait sur le balcon. Il faisait untemps froid et sec comme un coup de trique, mais il tait telle-ment combur par la vre de laente, que la temprature luiimportait peu.

    Enn une voiture sarrta. Une masse noire sur le fond gris-perle dutrooir passa comme un clair et sengoura dans la porte.

    Ctait elle.

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  • Faits divers Chapitre XII

    Un peu suoque par les deux escaliers quelle venait de grimpercomme une folle, elle entra, et fut aussitt gloutonnement baise sur sespetites mains et ses grandes paupires.

    Puis alors il pensa la regarder.Elle tait vraiment charmante, dun charme troublant et inoubliable.Sa petite tte ne et brune, mergeant des fourrures, tait coie dun

    chapeau tyrolien en feutre gris, de jeune garon. Les bords en taient ra-baus trs bas sur le front. Ses grands yeux paraissaient avoir de pluslongs regards qu lordinaire, et elle stait fait, ce soir-l, de mignonsaccroche-cur, non pas la manire des Espagnoles, mais de vraies pe-tites guichesde jeune dos.

    Aprs les premires eusions, quand elle se fut dsemmitoue : Mais il fait un froid de loup chez vous, mon cher !Alors, trs dsespr, il chercha fbrilement chez lui de vagues

    combustibles, mais en vain.Vivant constamment au dehors, il avait toujours nglig ce dtail de

    la vie domestique.Alors elle devint furieuse et cruelle. Mais cest idiot, mon cher ! Brlez vos chaises, mais de grce faites

    du feu. Jai les pieds gels.Il refusa net. Son mobilier lui venait de lhritage de sa mre, et le

    brler lui paraissait un odieux sacrilge.Il prit un moyen terme.Il la t se dshabiller et coucher.Lui-mme se dvtit compltement.Avec un canif quil avait pralablement bien al, il souvrit le ventre

    verticalement, du nombril au pubis, en prenant soin que la peau seule ftcoupe.

    Elle, un peu tonne, le regardait faire, ne sachant o il voulait envenir.

    Puis, tout coup, comprenant son ide, elle eut un clat de rire et unebonne parole.

    Ah ! a cest gentil, mon cher.Lopration tait nie.

    32

  • Faits divers Chapitre XII

    Comprimant de ses deux mains les intestins qui schappaient, il secoucha.

    Elle, trs amuse de ce jeu, enfouit ses petits petons roses dans lamasse irise des entrailles fumantes, et poussa un petit cri.

    Elle naurait jamais cru que ce ft si chaud l-dedans.Lui, de son ct, sourit cruellement de ce contact trs froid, mais

    lide quelle tait bien le rconforta, et ils passrent ainsi la nuit.Bien quelle ft rchaue depuis longtemps, elle laissa ses pieds dans

    le ventre de son ami.Et ctait un spectacle adorable de voir ces petits pieds bien cambrs,

    dont la glaucit verdtre des intestins faisait valoir la roseur exquise.Au matin, il tait un peu fatigu, et mme de lgres coliques le tour-

    mentaient.Mais comme il fut dlicieusement rcompens !Elle voulut absolument recoudre elle-mme cee chaueree physio-

    logique.Comme une bonne petite femme demnage, elle descendit, en cheveux,

    acheter une belle aiguille dacier et de la jolie soie verte.Puis, avec mille prcautions, comprimant de sa petite main gauche

    les intestins qui ne demandaient qu dborder, elle recousit de sa petitemain droite les deux bords de la plaie de son bon ami.

    tous les deux, cee nuit est reste comme leur meilleur souvenir.

    n

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  • CHAPITRE XIII

    Le pilote

    A un an de mariage, elle lavait lch. Cee fuite las-somma comme un coup de massue, et ce fut miracle, pour ceuxqui le connaissaient, quil ne devnt pas fou.Leur histoire tait bien simple.

    Lui, un de ces rudes marins des ctes normandes, nature douce etpas complique. Sur le tard, quarante ans, il stait pris dune lleedlicieusement jolie, lle dun pcheur de Dieppe. Comme il tait un bonparti, patron de barque avec quelques conomies, il neut pas de peine obtenir la jeune lle en mariage.

    Ce fut le malheur de sa vie. partir de ce moment, il neut plus jamaisun instant de repos.

    Sa femme tait coquee. Lui devint trs vite horriblement jaloux. Sibien quau bout de quelque temps, fatigu et nerv de ses longues ab-sences en mer, des mares de nuit surtout, pendant lesquelles il se man-geait les sangs,il**nit par vendre sa barque et stablir dbitantsur un

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  • Faits divers Chapitre XIII

    quai du Havre.L au moins, pensait-il, il serait toujours prs de sa femme et son ter-

    nelle inquitude pourrait prendre n. Ce fut au contraire une torture pluscuisante et plus incessante. Sa femme trnait au comptoir, trs gracieuseet toujours souriante.

    Une clientle de godelureaux empresss ne dsemplissaient pas le d-bit, et du matin au soir, le pauvre homme renfonait en lui lenvie follede jeter tous ces gens la porte.

    Les conditionnelssurtout lhorripilaient. Aussitt leur service termin,ils arrivaient en bande faire les joli-curs auprs de la belle Mastroquee,comme ils lappelaient.

    Un matin, elle prit son panier, comme dhabitude, pour aller au mar-ch.

    Elle ne revint pas.Les conditionnels non plus. Ce jour-l ils avaient t librs.Aprs trois jours de stupeur morne et de folie furieuse, le mari vendit

    son fonds, ralisa tout et vint Paris.Il alla droit la prfecture de police, raconta son histoire et se mit en

    campagne, aid par les agents.Des mois se passrent. Il cherchait toujours, mais sans rsultat.Comme il ne mnageait pas les dpenses et les pourboires pour

    stimuler le zle des policiers, ses conomies susrent vite, et un beaujour il se trouva sans le sou.

    Il baait le pav de Paris, la rage et le dsespoir au cur, quand ilrencontra un de ses anciens amiraux qui le t entrer comme pilote auxbateaux-mouches.

    Il dbuta dans son service par unemerveilleuse journe de printemps.Ctait un dimanche, le premier beau jour de lanne. Les bateaux taientencombrs dune foule joyeuse qui allait faire la fte Meudon ou Saint-Cloud.

    Lui, calme et grave, se tenait la barre, un peu distrait par sa nouvellefonction. Le sentiment de sa responsabilit de marin touait pour la pre-mire fois ses accs de fureur.

    Cest le soir.

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  • Faits divers Chapitre XIII

    La foule bruyante des Parisiens sentasse sur le quai de Saint-Cloud.On est un peu las, et on voudrait bien rentrer.

    Le pilote laisse traner son regard vague sur tous ces gens qui em-barquent un un.

    Tout coup, il a tressailli au plus profond de son tre, et il lui a falluse tenir la barre pour ne pas tomber.

    Elle, cest bien elle qui savance toute heureuse et toute rose, au brasdun jeune homme.

    Elle, plus jolie que jamais, la misrable, dans sa toilee claire de Pari-sienne coquee.

    Complet. . . En avant !De sa manche, le pilote a essuy la sueur froide qui inonde son front.

    Son devoir demarin parle chez lui plus fort que tout. La barre est en bonnemain.

    Les amoureux sont tout fait lavant. Pour samuser, elle sest pen-che sur le bastingage et laisse traner dans leau le bout de son ombrelle.Le vent fait voltiger les petits cheveux fous de son cou, et lamoureuxplante un gros baiser sur sa nuque blanche.

    partir de ce moment, on ne comprend pas bien la manceuvre dubateau. Il tait dans laxe dune arche, et voil quil se met juste dans ladirection de la pile.

    On est une trentaine de mtres du pont.Les quais sont couverts de monde.On stonne, puis on sinquite de cee marche bizarre.Une clameur sourde dabord, puis dchirante schappe de toutes les

    poitrines.On nest plus qu dix mtres de la pile.Sur les quais, sur les ponts, les femmes se jeent en arrire avec eroi

    pour ne pas voir. . .Sur le bateau, tout le monde est fou dangoisse. . .On nest plus qu cinq mtres.Maintenant cest la pile, lnorme pile grise du pont qui semble sa-

    vancer sur le bateau, comme quelque monstrueux assommoir.Alors dans lair slve un cri qui na de nom dans aucune langue,

    suivi dun coup de canon formidable.

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  • Faits divers Chapitre XIII

    toute vitesse, le bateau-mouche vient seondrer sur la pile du pont.La chaudire clate, tuant de ses dbris tous ceux qui ne sont pas cra-

    ss ou noys.Le pilote est veng.

    n

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  • CHAPITRE XIV

    Par o ?

    A , pouss par la dche et aussi par une eroyablelassitude de la vie de Paris, jtais all me rfugier dans unepetite situation, modeste mais apaisante, en province.Ctait en Seine-et-Oise, C. . . (Je ne nomme pas la ville. Ces lignes pour-raient tomber sous les yeux de quelques gens qui ne manqueraient pasden proter pour me nuire.)

    La ranerie o jexerais mon mtier de chimiste tait situe environ deux kilomtres de C. . . Tous les soirs, vers quatre ou cinqheures, jtais libre.

    Alors, tantt par la grande route, tantt par les bords ombreux de larivire, je rentrais dans la petite ville.

    Deux grandes heures tuer avant le dner ! Javais pris pension latable dhte o je couchais,

    Oh ! les aristants dners et combien longs de lhtel Rivoli !Pauvre moi, qui prcisment sortais du plus trange milieu parisien,

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  • Faits divers Chapitre XIV

    tout de vibrance et de joie, o la moindre banalit nous faisait nous re-garder, ahuris !. . .

    Il me fallut assister, impassible, aux conversations lamentables de cesmalheureux employs, et parfois mme y prendre part.

    Une petite bonne accorte, plutt jolie, nous servait avec des lenteursinterminables. Son sourire srieux et vite rprim, quand on lui faisaitdes compliments un peu vifs, mavait dabord trs amus. Mais, ds que jeme fus aperu quelle navait dyeux et de soins que pour un agent-voyercompltement idiot qui dnait avec nous, elle cessa de mintresser.

    Ctait le printemps. Les jours commenaient crotre sensiblement.Il faisait presque jour quand on sortait de table. e faire avant de secoucher ?

    Jessayai du caf-concert. La troupe se composait de quatre artistes,deux vieux et deux jeunes.

    Les deux jeunes un petit mnage navaient pour racheter leurlaideur peu commune que la qualit de chanter faux comme des jetons.Les deux vieux, des crass de la vie, avec un pauvre restant de talent etde voix, gagnaient misrablement leur triste vie.

    La vieille chanteuse, surtout, qui avait d tre une fort belle femme,gardait sur ses traits ravags une sorte de stupeur calamiteuse qui vousserrait le cur.

    Heureusement que je dcouvris un caf terrasse.Jai toujours eu lamour des terrasses de caf, et la conception la plus

    aeuse du paradis serait, pour moi, une terrasse de caf, do lon nepartirait plus jamais.

    Bien modeste, dailleurs, cee terrasse.atre guridons de tle, dontla peinture senlevait sous longle par larges plaques. Des tabourets depaille que les galopins de C. . . nemanquaient pas de renverser en passant.

    Je devins lhte le plus assidu de cet den. cinq heures, je my ins-tallais, et jusquau dner je dgustais dtranges apritifs, comme je nenai jamais retrouv Paris. (Javais, ce moment, une salutaire et justiemance de labsinthe.)

    Devant moi dlaient quelques passants, toujours les mmes.Le trs vieux btiment qui faisait face ma terrasse tait un de ces

    immeubles compliqus de province, o les maisons senchevtrent bizar-

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  • Faits divers Chapitre XIV

    rement, o pas une fentre ne se ressemble, et que leurs propritaireseux-mmes ne sauraient dmler premire vue.

    Dans la faade grise, culoe par les sicles, les fentres proprettes etles rideaux blancs meaient leur lumire dune gaiet calme et uniforme.

    Un jour, je maperus quune des fentres, au deuxime tage, avaitchang daspect.

    Des eurs et de grands rideaux lilas clair tranchaient doucement surla monotonie de lensemble.

    Fort intrigu, je ne pouvais dtacher mes yeux de cee jolie clart.Jallais demander des renseignements au cafetier, lorsque, trs rose, trsblonde et trs radieuse, une jeune lle vint saccouder la fentre.

    tait-elle vraiment si jolie que a ? ou bienma solitudeme prdisposait-elle lindulgence ? Je ne sais, mais je me rappelle que je restai confonduet comme ananti de tant de charme. De temps en temps elle riait, gayesans doute par les propos dune personne qui parlait dans lappartement,et alors elle devenait dune sduction irrsistible. Sa bouche, un peugrande, souvrait, toute de rose et de nacre, et largent de son rire nousarrivait, comme perl.

    Je neus quune ide : la voir et la connatre. Avec des ruses dApache,des mines indirentes, je minformai. Personne ne put me renseigner.

    Une Parisienne qui vient passer lt ici, me rpondait-on.Jen tais arriv ne plus penser qu elle, tout sacrier pour elle.Les quelques heures que me laissait mon industrie me parurent insuf-

    santes, et sous un futile prtexte, jabandonnai mon usine.Ma terrasse elle-mme devint un observatoire trop lointain, et comme

    le caf possdait un billard au premier,je montai au premier.Les joueurs de billard regardrent dun mauvais il ce jeune homme

    qui ne jouait pas, et pour quon me tolrt, je dus me mere jouer aubillard.

    videmment, elle nhabitait pas seule son appartement, puisquon lavoyait rire et causer, et pourtant jamais je ne pus apercevoir dautre per-sonne quelle.

    Jen tais devenu liralement fou. Pas une seconde de ma vie ne s-coulait plus sans que mon esprit ne ft tendu vers elle.

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  • Faits divers Chapitre XIV

    Mes ressources dargent staient puises.and je vis que je navaisplus quun jour passer C. . ., je brusquai les choses.

    Auprs de tous les boutiquiers qui pouvaient me renseigner (il ny apas de concierge C. . .), je menquis sans aucune retenue de la personnedu deuxime.

    Chacun me renvoya son voisin. Cest bien dicile, allez, monsieur, de sy reconnatre l-dedans. Il

    y a trois maisons dont les tages se mlent ensemble.Je voulus en avoir le cur net.Le lendemain encore, je restai C. . ., sans un sou, vivant crdit sur

    ma bonne rputation.Vaines, vaines mes recherches.Personne, ni les locataires, ni les propritaires, car dans lexaspration

    de mon inquitude je madressai tout le monde, ne put me renseignersur laccs de la chambre mystrieuse.

    Je ne le saurai jamais, car peu de temps aprs la jeune lle dmnagea.La fentre reprit son aspect ordinaire.

    Mais rien, rien ne chassera de mon esprit le souvenir de celle qui, avectant de charme, saccoudait entre le lilas trs clair de ses rideaux, et dontle rire dargent marrivait comme perl.

    n

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  • CHAPITRE XV

    Petite lle

    Q llee !Nous lavions rencontre un dimanche aprs-midi au Moulinde la Galee. Aabls devant un saladier la franaise, nousla voyions tourner autour de la danse. Aprs quelques tours et des plai-santeries rciproques, elle daigna sarrter notre table et trinquer avecnous.

    Bientt, nous fmes les meilleurs amis du monde. Elle tait si petite,si menue, si mignonne que, devant son refus gamin de nous dire son nom,nous la baptismeslAtome,et depuis ce moment, nous ne lappelmes ja-mais autrement.

    Comme nous linvitions dner, elle nous demanda :est-ce quon va bouloer ? Ce que vous voudrez.Alors elle composa dun air trs srieux un menu bizarre et des plus

    inaendus. Le vinaigre y jouait un rle prpondrant.

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  • Faits divers Chapitre XV

    Au dner, elle fut dune gaiet folle. De sa voix un peu enroue dellee parisienne, elle nous raconta des histoires datelier, les agrmentantde rexions loufoques et de mots spcialement montmartrois quellevoulait bien nous expliquer.

    Son esprit endiabl, sa rplique rapide et jamais prise au dpourvu,ses petites mines gavrochardes nous amusrent normment, nous qui, cee poque, ne connaissions que les joies et les fantaisies contestablesduartier latin.

    Personne de nous ne la prenait au srieux comme femme, tant elleparaissait si jeune et si peu faite.

    En la quiant au bas de la rue des Martyrs, je lui donnai mon adresse,sans beaucoup compter sur sa visite.

    Aussi fus-je bien tonn, quelques jours aprs cee rencontre, quandun matin jentendis toc-toc ma porte.

    i est l ? grognai-je dessous mes couvertures.Une voix rieuse rpondit : Ouvrez donc, cestlAtome.**LAtome,toute rouge et trs essoue de mes cinq tages, sengoura

    chez moi : Comment ! vous tes encore au pieu de ce beau temps-l ! En vl

    une fainante !Ctait une de sesmanies de parler tout le monde au fminin, comme

    si elle sadressait des compagnes. a ne vous gne pas pour vous habiller que je sois l ? Allez, je

    regarde par la fentre.Mais la contemplation du grand mur gris qui faisait face mon appar-

    tement lennuya bientt et, se retournant, elle me demanda la blague : Dites donc, vous ne payez pas de supplment pour votre pano-

    rama ?Il faisait un temps superbe.Avec les amis de dimanche dernier, nous passmes une journe

    dlicieuse. LAtomenous amena dans une guinguee quelle connaissait, Saint-Mand.

    Moi, je commenais la trouver plus quamusante, cee petite, et pas

    43

  • Faits divers Chapitre XV

    trop jeune. Je le lui dis dans loreille, mais elle, immdiatement, me rem-barra, en haussant les paules :

    Tes pas folle, dis donc, ma pauvre lle ?Tout penaud de cet accueil, je ninsistai pas. Ceux des camarades qui

    rent auprs delle la mme tentative sairrent la mme rplique.Elle ne paraissait pas dailleurs autrement fche de ces assauts, car

    partir de ce jour elle ne fut jamais longtemps sans venir nous voir, enbonne camarade.

    Tout doucement, nous fmes plus ample connaissance.Ctait la lle dun des plus jolis modles de Montmartre, encore fort

    belle femme. Son pre probable, peintre connu et de talent, mais prodi-gieusement goste, lavait vaguement leve, subvenant par caprices ses besoins et son ducation.

    force de traner avec sa mre dans les ateliers, la gamine, trsveille et trs intelligente, stait fait un petit talent daquarelliste, et lpoque o nous avions fait sa connaissance, elle commenait gagnerpas mal sa vie.

    Un jour, je ne sais pourquoi, elle me parut plus dsirable, plusirritante que jamais, et je me jurai de la possder le soir mme.

    Elle ne rsista que faiblement, avec une vague tristesse. Chez moi,devant le feu clair, sans dire un mot, elle se dshabilla lentement, avecune impudeur dconcertante de petite lle, mais nayant aucun de cesmouvements banalement btes des lles qui, toutes, ont la mmemanirede tirer leurs bas et de laisser tomber leurs jupons.

    Puis, assise sur un coin de tabouret, elle chaua ses petits pieds rosesde joli bb.

    un moment, japerus deux grosses larmes qui tremblotaient dansses cils blonds.

    Je ne trouvais que des phrases idiotes : Pourquoi pleures-tu ?. . . a tembte ?. . .Elle ne rpondait pas, mais la n, devant mon insistance, elle me dit

    en xant le feu, dune voix quenrouait encore le sanglot montant : Il y a, aujourdhui, juste un an que jai perdu ma gosse. . .

    44

  • Faits divers Chapitre XV

    n

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  • CHAPITRE XVI

    lil

    Caran dAche.

    P, assommant, ce capitaine de Boisgui-gnard, avec ses ternelles histoires de bonnes fortunes. Et lil, vous savez, tout le temps lil.Car ctait sa grande vanit et sa gloire suprme, au capitaine de Boisgui-gnard, de possder toutes les femmes de L. . ., sans bourse dlier, toutes,depuis la femme du trsorier gnral jusquaux petites modistes de la rueNationale en passant par les dames du thtre et les demoiselles faciles.

    Comme ctait une manie chez lui, aucun de ses collgues ny faisaitplus aention. Parfois, au rcit de ses aventures amoureuses, quelquunrisquait :

    lil, naturellement ?Et Boisguignard rpondait sans sourciller :

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  • Faits divers Chapitre XVI

    Bien entendu.Le soir du derniermardi gras, cesmessieurs les ociers avaient joyeu-

    sement ft le carnaval. La gat baait son plein, et la Folie agitait sesgrelots si vertigineusement quon aurait jur une sonnerie lectrique.

    Le jeune vicomte de la Folee, sous-lieutenant frais moulu de Saint-Cyr, lisait tout haut dans LAvenir militaire des circulaires apocryphesdu gnral Boulanger quil inventait avec beaucoup dimagination et desang-froid : Mon gnral, partir du 1 juin, vous voudrez bien veiller ce que linfanterie soit monte. ant la cavalerie, dornavant, elleira pied. Cest bien son tour. Agrez, etc. Sign : Boulanger.

    Ou bien encore : Mon cher gnral, jai dcid que le port duvlocipde serait autoris dans larme pour les caporaux et brigadiers,etc., etc. Sign : Boulanger.

    Et ctait, toutes les tables, des clats de rire. . . Un vrai succs pourle sous-lieutenant de la Folee.

    Un capitaine linterpella :Mais, propos de Boulanger, expliquez-nous pourquoi vous ne pro-

    tez pas de sa dcision relative la barbe ?De la Folee rougit un peu, car ctait son grand dsespoir. oique

    ses vingt ans fussent bien rvolus, jusqu prsent sa peau rose ne staitencore estompe daucun duvet. Pourtant, il rpondit sans se troubler :

    Jen prote plus que vous ne croyez, car je ne me suis jamais ras.Pendant ce temps, Boisguignard causait de ses conqutes. Il sa-

    gissait, cee fois-ci, dune chanteuse de caf-concert, nouvellement d-barque L. . . elquun demanda timidement :

    lil, bien entendu ?Et Boisguignard rpondit comme dusage : Naturellement.Cela avec un aplomb si comique que tout le monde ne put sempcher

    de sourire. Boisguignard, furieux, sen prit au jeune de la Folee. Eh bien, oui, lil. est-ce que vous avez rire ? Je ne ris pas, mon capitaine. . . Je souris avec un respect nuanc de

    doute.Boisguignard clata :

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  • Faits divers Chapitre XVI

    Mais parfaitement, lil ! Et je donne vingt-cinq louis celui quime verra che un sou une femme !

    Le sous-lieutenant tint le pari et, comme ctait un garon fertile enressources, messieurs les ociers se promirent de samuser beaucoup ce petit jeu.

    Vingt jours aprs cee soire mmorable, arriva la mi-carme. Il yavait le soir, lAlcazar de lendroit, grand bal par et costum. Tout l-lment joyeux de L. . ., civil ou militaire, sy rendit, le capitaine de Bois-guignard comme les autres.

    Au dessert, le jeune de la Folee stait retir, en proie, disait-il, uneviolente migraine.

    Un bal par et costum L. . ., vous le voyez dici.La plus franche cordialit ne cessa dy rgner, mais, malgr tout, c-

    tait un peu rural.Vers minuit, comme Boisguignard et quelques-uns de ses collgues se

    disposaient sortir, un domino entra qui t sensation. Ce devait tre, au-tant quon pouvait en juger travers le costume et le masque, une femmedune rare distinction.

    Elle rencontra Boisguignard dans le bal et lui planta dans les yeux sonregard doux et bleu.

    Lardent capitaine frmit sous la secousse, et sapprocha de la dame,lui murmurant dhabiles galanteries.

    Tout dabord, elle ne rpondit pas.Mais bientt, senhardissant, elle pronona quelques paroles dune

    voix basse, sourde et entrecoupe par lmotion.Finalement, aprs mille manires, elle consentit accompagner Bois-

    guignard dans un cabinet particulier.Dire la ert du capitaine serait chose impossible. Il aurait voulu d-

    ler, avec sa compagne au bras, devant tout le rgiment, colonel en tte.Le fait est quelle avait un chic !. . .and ils furent enferms dans le cabinet, et quil leut conjure de

    se dmasquer enn, elle sembla prendre un grand parti : coutez, monsieur, dit-elle, en me livrant vous, je fais une folie ; je

    voudrais que cee folie ne ft pas sans prot pour moi. Ce sera vingt-cinqlouis.

    48

  • Faits divers Chapitre XVI

    Mais comment donc !Et de la faon la plus naturelle du monde, en homme qui a souvent

    pratiqu cee opration, Boisguignard sortit de son portefeuille cinq jolisbillets de cent francs.

    Le domino compta la somme, linsra soigneusement dans un lgantpetit carnet de nacre, et, enlevant brusquement son masque, il scria :

    Vingt-cinq louis, a fait le compte, mon capitaine !La bellemystrieuse ntait autre que cet areux petit sous-lieutenant

    de la Folee.Inutile dajouter que la somme fut immdiatement bue et mange en

    joyeuse compagnie.Mais, depuis ce temps-l, chaque fois quau mess ou au caf la conver-

    sation tombe sur les femmes, le capitaine de Boisguignard cause dautrechose.

    n

    49

  • CHAPITRE XVII

    Conte de Nol

    I maintenant trois ans, cest--dire lpoque de Nol, je metrouvais dtenu dans une petite prison du Yorkshire, en prven-tion de vol, escroquerie, chantage, le tout doubl dune assez vi-laine histoire de murs sur laquelle il me serait pnible dinsister ici.

    Ce qui me vexait le plus en cee occurrence, ctait moins la d-tention elle-mme que lpoque laquelle elle se produisait.

    Jai toujours ador Christmas, cee fte des babies et du foyer, Christ-mas, le bon Christmas.

    Du gui, du gui, encore du gui !EnAngleterre plus que partout, et particulirement dans le Yorkshire,

    la fte de Nol a un caractre dintimit dont le boudin parisien ne donnequune lointaine ide. . . si lointaine.

    Pour lintimit, je navais rien dire. Ma cellule tait intime, un peutrop peut-tre.

    Mon gelier mavait. . . Oh ! ltrange gelier ! Ctait un ancien horse-

    50

  • Faits divers Chapitre XVII

    guardqui avait perdu une jambe dans la guerre contre les Ashantees.Comme il stait engag jadis aux horse-guards pour luniforme, il

    avait tenu, malgr son amputation et sa nouvelle fonction, conserverson ancien costume.

    Et cest vraiment une trs comique chose, de voir dun ct une jambede bois et de lautre une culoe de peau, une boe et un peron.

    Trs comique et trs touchante chose !Cependant, malgr tous ces dtails, la nuit de Nol arrivait.Et moi qui tais invit un rveillon aux les Fro, dans la sainte

    famille dun pasteur vangliste !Vous tous qui me lisez, ou presque tous, vous avez t en prison ; mais,

    tant en prison, avez-vous vu tomber la neige ?Ah ! quelle horreur, la neige qui tombe quand on est en prison !La seule sensation qui vous raache au monde extrieur, le bruit, le

    dlicieux bruit (sweet noise) disparat.On ne voit plus rien, on nentend plus rien !Et elle tombait sans relche, oblique, drue, serre, si bien que ma

    pauvre petite cellule en tait obscurcie et comme toue.Un bruit surtout me manquait, parmi ceux que javais remarqus et

    que jaimais depuis ma captivit : ctait celui de la promenade de mongelier dans la grande cour de la prison.

    Dabord, pan !. . . le coup mat de la jambe de bois sur le pav, et puisle toc ! . . . triomphant et vainqueur du talon de la boe, mtallis par lavibration de lperon, et puis ainsi de suite.

    Mon vieuxhorse-guard ne se promenait-il plus, ou bien le bruit de samarche tait-il tou par la neige ?

    Je me posais ces questions avec linquitude vaine que cre loisivetde la vie cellulaire.

    La nuit de Nol tait venue, et je navais pas pu me dcider me cou-cher.

    Les cloches sonnrent dans la ville dabord, et dans les petites pa-roisses voisines.

    Ces dernires, toues par la neige, voiles par le lointain et si at-tendrissantes que je sentis se mouiller mes yeux.

    Jai toujours pleur en coutant, dans le loin, les cloches de campagne.

    51

  • Faits divers Chapitre XVII

    Go in ! s-je en mveillant de mon rve bleu.On venait de frapper la porte de ma cellule.Ctait une toute blanche et rose llee dune quinzaine dannes,

    portant son bras gauche un petit panier et tenant la main droite unegrosse toue de gui.

    Good night, sir, dit-elle. Good night, miss, rpondis-je.Et elle continua, toujours en anglais : Vous ne me reconnaissez pas ? Mais si, rpondis-je dans la mme langue, je crois vous avoir dj

    rencontre dans un album de Kate Greenaway. Non, pas l. Alors, dans ma belle image de Robert Caldeco. Non plus.Un silence.Comment ! dit-elle dun airmutin, vous ne vous rappelez pas ? Lan-

    ne dernire, vous mavez sauve dune mort certaine. Je traversais Tra-falgar Square, lorsque soudain et en proie une rage subite, lun des lionsen bronze de cee place se prcipita sur moi. Je neus que le temps de fuir.Un omnibus passait, vous ayant sur limpriale. Vous vous penchtes, etdun bras vigoureux menlevtes la voracit du fauve. Toute penaude,cee bte reprit sa place immuable et le rle dcoratif que lui avait assignlartiste.

    Javais beau rassembler mes souvenirs, je ne me rappelais rien dana-logue. Mais elle insista tellement :

    Mme que ctait lomnibus de Bull and Gate. Vous alliez la villaChiavenna, chez votre ami Lombardi.

    Devant un fait aussi prcis, je minclinai.Elle sortit de son panier le plum-pudding de la reconnaissance,

    quelques bouteilles dale, et nous soupmes joyeusement. laube, elle senfuit emportant mon cur et les bouteilles vides.Depuis, jai cherch me rappeler ce curieux incident de Trafalgar

    Square.Je nai jamais pu.

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  • Faits divers Chapitre XVII

    Il est vrai que je ne me rappelle pas davantage la prison du Yorkshire,le gelier jambe de bois, sa lle blanche et rose, le plum-pudding et lesbouteilles dale.

    Cest drle, dans lexistence, comme on oublie tout.

    n

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  • CHAPITRE XVIII

    Le gnou

    Coquelin Cadet.

    C ?Nallez pas dire oui, ce serait de la pose ou tout au moins dela prtention, car ce nest pas seulement la gographie que lesFranais ignorent, mais encore lhistoire naturelle, et je compte beaucoupsur le grand succs de Zola avecGerminal pour rendre mes compatriotesun peu plus naturalistes.

    Eh bien ! si vous ne savez pas ce que cest que le gnou, je vais vouslapprendre.

    Le gnou est une espce de grande antilope de lAmriquemridionale,qui tient du buf, du cerf et du cheval.

    Le gnou nest pas mchant, je suis le premier le reconnatre, mais ilnest pas aimable.

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  • Faits divers Chapitre XVIII

    Des professeurs de province dclarentmme sans rire que cemammireest entirement dpourvu de sociabilit.

    Legnou joue un rle considrable dans certaines lgendes brsi-liennes. Gardez-vous, malheureux, de rencontrer le regard du gnou, vousdeviendriez fou sur lheure.

    Voil, du moins, ce quon murmure dans les pampas quatoriales.Cee lgende vint, un jour, tomber sous les yeux demon ami Prosper

    Guignard.Et comme elle tombait bien !Ce pauvre Prosper Guignard tait le plus malheureux des hommes.

    Tout lui avait rat dans les mains, presque tout !and, par hasard, quelque chose lui russissait, cest curieux, il nen

    rsultait pour lui aucune joie, aucune satisfaction.Le bonheur tait, pour cet infortun, un mythe dont il navait mme

    pas la notion.Aprs avoir beaucoup rchi, aprs avoir pioch les systmes de phi-

    losophie les plus divers, il en arriva ce rsultat quici-bas, la seule formedu bonheur, cest la folie.

    Ah ! tre fou !Oui, mais voil : pour certaines gens, il nest pas plus facile de devenir

    fou que pour dautres de rester raisonnable.Prosper Guignard t dinutiles eorts vers une douce dmence.Cest peu prs vers cee poque que notremalheureux eut connaissance

    de la mauvaise rputation du gnou au Brsil.Ds lors, son parti fut pris, et dun pas alerte et plein despoir, il se

    dirigea vers le Jardin des Plantes.Justement il y avait un gnou, un gnou tout frais, dans un beau petit

    parc entour dun beau petit grillage.Desmilitaires, des bonnes denfants contemplaient batement cet ani-

    mal, sans se douter de la dmence de Damocls suspendue sur leur tte.Mais legnou ne les regardait pas, tout occup quil tait patre lherbe

    rase de son enclos.Prosper sapprocha du grillage, toussa, cria, excuta tout un petit ma-

    nge pour airer laention du gnou.

    55

  • Faits divers Chapitre XVIII

    Probablement agac de cee indiscrtion, le gnou gagna le ct op-pos sans lever les yeux.

    Prosper tourna le grillage, rejoignit le gnou, et recommena son ma-nge.

    Jusquau soir, cet exercice se prolongea, plus fatigant pour Prosperque pour le gnou, le diamtre tant peu prs trois fois plus court que lacirconfrence.

    Cependant, le gnou nissait par donner des signes non quivoquesdimpatience.

    Heureusement quon ferma.Le lendemain, Prosper revint dans laprs-midi.Hlas ! plus de gnou !Il sinforma prs des gardiens. Monsieur, lui rpondit-on, on la abau ce matin. . . Nous ne savons

    pas ce quil avait, il tait devenu comme fou !Alors Prosper est devenu fou, lui aussi.Il est heureux ! tous ceux qui viennent le voir, il scrie : Prenez garde de rencontrermon regard !. . . Je suis gnou !Je suisgnou !

    n

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  • CHAPITRE XIX

    La belle charcutire

    D histoire, je ne puis passer devantune charcuterie sans prouver un serrement de cur et une an-goisse de regret.Ctait en. . . Je ne me souviens plus de lanne, mais, vous rappelez-vousla grve des cochers ? Ctait cee poque-l.

    Je lavais remarque, un jour de nerie dans le quartier du Temple.Elle trnait son comptoir, au milieu des jambons, des cervelas en guir-landes, des geles que le passage des omnibus faisait trembloter.

    On peut dire quelle trnait, car vraiment on laurait prise pour unereine avec sa belle tte impassible et raisonnable, son front divoire surlequel sabaaient deux bandeaux lisses de cheveux noirs. Les cils, gale-ment noirs, meaient ses yeux normes de Junon un voile troublant.

    Sur sa face admirable, blanche et noire, tranchait violemment labouche trs forte et trs rouge. Cee pourpre jetait l comme une fanfarede belle sant et de volupt robuste.

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  • Faits divers Chapitre XIX

    La premire fois que je la vis, je marrtai clou devant la vitre de laboutique.

    Un client entra. Elle se leva pour le servir. Je vis quelle tait grandeet adorablement faite, un peu grle peut-tre. Debout, elle paraissait plusjeune qutant assise. Moins de vingt ans.

    Le lendemain, tant revenu ner par l, je me dcidai entrer. Lemotif fut un saucisson quelle me servit avec une grce charmante et s-rieuse.

    Et jy revins tous les jours.Jentrais, jachetais des charcuteries varies que je distribuais ensuite

    des petits apprentis du quartier.Devant elle, sur le marbre du comptoir, stalaient les assiees et les

    terrines. Jadmirais sa merveilleuse habilet trancher, dun coup net deson couteau, le poids juste, un quart, un demi-quart.

    Javais remarqu que le comestible le plus loign tait la hure auxpistaches.and on lui en demandait, elle se penchait, et alors on pouvaitadmirer sa taille souple comme un osier. Son cou, dune blancheur decrme, sallongeait, mergeant de son petit col plat qui paraissait blafardauprs de cee belle chair.

    Ctait toujours de la hure aux pistaches que je dsirais. Et souvent,pour voir un peu plus de son cou, jloignais delle lassiee la hure,pendant quelle servait un client pralable.

    Une fois mme, je posai la hure tout au bord du comptoir. Elle fut obli-ge de se pencher et de tendre le cou trs en avant, si bien que japerusun aolant petit signe noir, une mouche dans du lait.

    Un jour, je nosai plus rentrer dans sa boutique (les amoureux sincresont parfois de ces timidits brusques).

    Je me contentai de passer et de repasser.Et puis je nosai mme plus passer.Il me semblait que les gens du quartier, les sergents de ville mavaient

    remarqu et me montraient du doigt.Unmatin je me souviendrai toujours que ctait un dimanchematin,

    jeus une ide gniale.Les cochers venant de se mere en grve, les compagnies avaient fait

    appel aux jeunes gens sans ouvrage et sachant conduire pour remplacer

    58

  • Faits divers Chapitre XIX

    les grvistes.Je me prsentai.Aprs un examen des plus sommaires, on me cona un acre qui sem-

    blait une ancienne berline dmigr, trane par un cheval vad de lA-pocalypse.

    Au petit trot tait-ce bien un petit trot que cee bizarre allure ? nous nous amenmes, le sapin, le carcan et moi, devant la boutique orgnait mon idole.

    Au moins, maintenant, javais un prtexte pour stationner sur le trot-toir.

    Je me donnais des airs de cocher indirent, de cocher lheure quiaend son client.

    Ctait un moment de presse. Les clients entraient, sortaient sansinterruption, emportant leur marchandise soigneusement pour ne pasperdre la gele.

    Elle, debout, active, toujours srieuse, dbitait les comestibles sansjamais se tromper sur le poids ou sur la monnaie.

    Jtais tout au charme de ce spectacle, quand soudain je songeai masituation de jeune cocher.

    Jeme retournai. . . Plus de berline ! Plus de canasson.Envols, disparus !Deux sergents de ville passaient.Je leur racontai ma msaventure.Un aroupement se forma immdiatement. La foule prit une joie ex-

    trme cet incident. Des gavroches, peut-tre ceux que javais rcemmentgorgs de hure aux pistaches, me hurent frocement.

    Comme je devais avoir lair bte !Mais ma confusion ne connut plus de bornes quand japerus sur la

    porte de sa boutique, ma belle charcutire elle-mme riant de toute lanacre de ses dents superbes.

    Dieu, quelle samusait !Je ne suis jamais revenu dans ce quartier-l.

    n

    59

  • CHAPITRE XX

    La mre

    C premire arrive sur la plage, le matin.De ma chambre, je la voyais venir avec ses cinq enfants dontlan navait pas sept ans. Les trois grands marchaient devant.Elle portait sur un bras le tout petit dernier, et tenait de sa main libre unautre bb denviron dix-huit mois. Jamais de bonne avec elle.

    Grande, svelte, distingue, elle ne paraissait certainement pas lestrente-deux ans, que je lui sus plus tard.

    Point trs jolie, sa physionomie tait dun charme inexprimable.and elle souriait, surtout, on restait sous la sduction dune candeurexquise comme si la jeune lle quelle avait t revenait sourire dans lesyeux et dans la bouche de la femme devenue.

    Son mari, un grand bel homme dun peu moins de quarante ans, arri-vait rgulirement le samedi soir, et repartait, avec la mme rgularit,le lundi matin. Employ dans une grande administration.

    Le reste de la semaine, elle restait seule avec ses enfants. Socit char-

    60

  • Faits divers Chapitre XX

    mante, car jamais je nai vu de plus beaux enfants, ni mieux portants, niplus joyeux. Et ctait vraiment touchant de voir comme elle les aimait,ses chris, et comme ils adoraient leur petite mre.

    Au plus fort de leurs jeux, sans motif apparent, tout dun coup, ils sa-baaient vers maman, comme une vole doiseaux, et ctait une temptede baisers rciproques.

    Mman, ferme tes yeux. Pourquoi faire, Jacques ?e jtembrasse dessus.Et mille autres charmantes folies qui font hausser les paules aux im-

    bciles.Le premier soir quils taient arrivs, le coucher de soleil avait caus

    aux enfants une angoisse terrible. Oh ! maman, maman, le soleil qui tombe dans leau ! Mais il va s-

    teindre !Alors, Jacques, qui frise lge de raison, les avait philosophiquement

    rassurs. Laissez donc, il doit tre habitu, depuis le temps.Je ne sais pourquoi, je mtait pris dune ardente sympathie pour cee

    femme, sympathie mle de curiosit, car, jen tais sr, elle avait un passpeu banal.

    Je neus pas, une minute, lide dentrer en relation avec elle ; dabordcela et t odieusement indiscret, et puis, tout dans son aitude an-nonait quelle tait bien dcide se contenter de la seule socit de sesenfants. elques tentatives de ses voisines de plage taient restes sansrsultat.

    Je fus plus heureux. Les enfants ont un air particulier et infailliblepour deviner ceux qui les aiment. Tout de suite, je fus lami de ces bbs.

    Jacques, surtout, ne pouvait pas se passer de moi. Il me demanda monnom, et sans plus de faon, se mit me tutoyer.

    Je lui appris tous les jeux que je connaissais. Nous fmes ensemblede redoutables fortications en sable et galets, et plus dune fois nousopposmes lOcan des barrires de trente centimtres, qui entravrentsa course pendant une bonne demi-minute.

    61

  • Faits divers Chapitre XX

    Si bien quun beau dimanche, Jacques me prsenta son pre, sanscrmonie, comme on prsente un vieux copain.

    Le papa me prsenta la maman, qui me remercia de ma com-plaisance distraire ses enfants.

    Mais, madame, lui rpondis-je, je nai aucun mrite cela. Je ma-muse autant queux.

    Javais frapp juste.Cest la premire fois que je vis ladorable et candide sourire. partir de ce moment, je pus la saluer, changer quelques paroles. Et

    puis, quand je vis que cela ne lui dplaisait pas, je massis parfois auprsdelle.

    Bientt, nos relations devinrent plus intimes.Elle me conta son histoire, car, je ne mtais pas tromp, elle avait une

    histoire.En 70, seize ans, elle se trouvait ance un de ses cousins, quelle

    aimait perdument.La guerre arriva, et les dsastres et le sige.Le cousin stait engag dans un rgiment de ligne.Le lendemain de Champigny, on le rapporta Paris, les deux jambes

    broyes par les obus prussiens.Aprs quinze jours datroces sourances, il mourut.Sa ance, qui ne lavait pas qui un instant, le soignant, le pansant

    elle-mme, prouva une douleur qui faillit la tuer.Elle en revint pourtant, mais dsespre, dit adieu au monde et se t

    sur de Saint-Vincent-de-Paul, pour en mmoire de son cher mort soigner des soldats malades ou blesss, pendant toute sa vie.

    Partout o lon se baait, partout o lon mourait, tu par les balles etles pidmies, sur Marie allait, jamais lasse, jamais rebute. Un besoinde se dvouer lavait prise tout entire, insatiable.

    Voil bientt dix ans, elle se trouvait dans un hpital lointain du Sud-Oranais.

    Des tribus staient rvoltes, et on fusillait ferme par l, un peu auhasard.

    Un jour, dans le tas, une femme fut tue, qui allaitait un tout petitenfant. Le capitaine, un bon diable, fut touch des cris du pauvre tre, et

    62

  • Faits divers Chapitre XX

    au lieu de lexpdier rejoindre sa mre, le ramassa et le ramena lhpital.On cona le petit sur Marie.Le jeunemoricaud piaillait, dchirer les tympans les plus solides. Ses

    menoes noires se dchiraient aux rudes plis de la robe de bure, cherchant les ouvrir, car il avait senti quil y avait l un sein.

    SurMarie pleurait de rage, lide que sesmamelles taient striles,et elle ft morte joyeusement pour pouvoir donner un peu de ce bon laitchaud qui fait vivre les tout-petits.

    Le sentiment de la maternit, qui sommeille chez toutes les femmes,stait veill en elle, ardent, amboyant, douloureusement pre.

    Et le petit meurtrissait ses poings sur les seins qui frmissaient de leurinanit.

    Elle lembrassait, le berait et mouillait de ses larmes la pauvre petitette grimaante.

    la n, on trouva du lait de chvre sur lequel lenfant se jetagoulment, si goulment quil mourut le soir mme.

    Une mre qui perd son enfant le plus cher nprouve pas plus de cha-grin que nen eut sur Marie de la mort de ce petit Arabe quelle neconnaissait pas.

    La maternit qui soudain avait surgi en elle, continua la tenir exclu-sivement, hystriquement presque.

    Elle nessaya pas de luer.Un mois aprs, elle tait rentre dans sa famille.Alors, posment, en ex-ambulancire qui sait ce que cest quun

    homme, elle choisit celui qui serait le pre de ses enfants.Sa fortune lui permeait le choix.Elle pousa un bon garon, ni trop malin ni trop bte, mais gaillard

    superbe qui jusqu prsent la faite mre cinq fois.Et elle espre bien que a nest pas ni.

    n

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  • CHAPITRE XXI

    Obstination

    V souvent rencontrs, dans leur voiture, au Bois,mais vous ne les verrez plus.Cest dommage, parce quils constituaient eux deux un bienjoli chantillon de la race Taquoure la plus pure, lui pas beau, trs brun,elle trs brune, pas laide.

    Maintenant quils sont retourns dans leur Guatemala, je peux bienvous le dire, ils ntaient pas maris.

    Ctait tout un roman damour que je vous conterai, des que jauraiune minute.

    Leurs noms : le gnral Timo Danaos et doa Ferentes.Laventure qui dtermina le dpart du gnral ma paru assez pi-

    quante et point indigne de ma plume. La voici dans sa touchante sim-plicit.

    Timo est dou dune nergie qui, mieux applique, aurait pu en faireun des hommes les plus remarquables de cee n de sicle. Cee nergie

    64

  • Faits divers Chapitre XXI

    se manifeste dans les plus petits actes de sa vie, dans ses dfauts commedans ses qualits.

    Parmi ces dernires, je me plairai citer le respect du contrleadministratif, lamour de son prochain et une sage conomie de ses de-niers.

    and je dis quil a le respect du contrle, je pourrais dire quil en alidoltrie. Pour Timo, les contrleurs sont les rois de la cration.

    Les contrleurs de quoi ? me dites-vous.Les contrleurs de toute espce, les contrleurs, quoi !Timo aime les contrleurs comme il respecte son prochain, avec

    toute sa furia rastasquouera.Le malheur des autres lui arrache des torrents de larmes, et, pour sa

    part, il ne ferait pas de mal une mouche cantharide.Timo nest pas avare, mais il lui rpugnerait singulirement de payer

    1700 francs un objet quil pourrait se procurer ailleurs pour quinze sous.Maintenant que vous connaissez Timo, son aventure va vous sembler

    moins trange.Bien que lhistoire se passe dans un chalet, vous pouvez carter de

    votre esprit toute ide dHelvtie. Cest un de ces chalets o lon est ac-cueilli par cee phrase hospitalire : Avec toilee, Monsieur ?

    Timo, dont ctait le dbut dans ce genre dtablissement, avait r-pondu non, tout hasard.

    Sa mission accomplie, il se prparait se retirer, quand ses yeux tom-brent (cest une faon de parler) sur une plaque maille o, sur un fondbleu, senlevaient des leres blanches formant ce texte :

    An dassurer le contrle et dviter la rvocation de la gardienne,le public est prvenu quune fois le verrou ferm, on ne doit plus louvrir,sans quoi lon sexpose payer le double.

    Ainsi donc, il ressortait de cet avis, que si le verrou tait ouvert ;l le contrle ne serait plus assur ;2 la gardienne serait rvoque ;3 Timo-Danaos paierait le double. Et pourtant, se disait le gnral, je voudrais bien men aller.Il essaya douvrir la porte sans toucher au verrou.Ce fut un four.

    65

  • Faits divers Chapitre XXI

    Toute tentative dvasion dut tre carte, ds le principe.Il et fallu briser des vitres et excuter une impossible gymnastique.Timo se rassit trs dcourag.Au bout dune heure, la prpose une bien brave femme, ma foi

    conut des inquitudes. Jai vu des gens longs quelquefois, se disait-elle, mais jamais de si

    longs.Elle frappa la porte.i est l ? demanda Timo. Cest moi, la veuve Henry Maugis, gardienne du chalet. Pauvre femme ! Ouvrez donc, vous devez avoir ni ! Si jouvre, vous serez rvoque, malheureuse ! Mais non !. . . ouvrez donc ! Si jouvre, le contrle ne sera plus assur. . . Mais si !. . . ouvrez donc ! Si jouvre, je paierai double. . . Mais non !. . . ouvrez donc !Timo nouvrit pas, prfrant sourir mille morts que pitiner un seul

    de ses principes.La veuve Henry Maugis, dsole, lui expliquait travers la porte que

    ses principes navaient rien craindre. En vl un ostin ! clamait-elle.De guerre lasse, on dut aller chercher trois employs suprieurs de

    ladministration.Le chef du contrle dclara solennellement que le contrle ne risquait

    rien.Le chef du personnel sengagea non seulement ne pas rvoquer la

    gardienne, mais encore la faire passer de premire classe et lappeler un poste plus important.

    Le caissier jura quon ne rclamerait que le sou rglementaire.Alors, seulement, Timo se dcida tirer le verrou.Il sortit, content de lui, mais cras par lmotion.Rentr chez lui, il dit doa Ferentes, dun ton qui nadmeait pas de

    rplique :

    66

  • Faits divers Chapitre XXI

    Fais ta malle, nous lons !Et ils sont partis retrouver dans leurs pampas les grands gyneriurn

    argenteum qui sont lornement de ces vastes tendues de terrain.

    n

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  • CHAPITRE XXII

    Toutoute

    Histoire triste pour la petite Marie-Anne Salis

    . Marie-Anne Salis est la lle de Rodolphe Salis, fondateur ducabaret le Chat Noir.

    Moi, dit Zee, cest la toutoute que je veux.Toutoute, ctait tout simplement le fminin de toutou qui manquait

    la langue franaise et que la petite Zee venait de crer sans coup frir.Il sagissait de deux petits chiens nouveau-ns, un toutou et une

    toutoute que lon donnait choisir Mademoiselle Zee.Le toutou chut au jeune ls du cordonnier den face. Il fut immdiatement

    baptis Black, bien quil ft tout au plus gris fer.Toutoute(le nom lui resta) sinstalla dans une petite niche toute

    garnie de rubans roses et de grelots dargent.Zee en raolait et rien ntait trop beau ou trop bon pour saToutoute.

    68

  • Faits divers Chapitre XXII

    Toutoute tait donc la plus heureuse des jeunes chiennes. Dautantplus quelle jouissait en mme temps des plaisirs de la famille.

    Chaque matin, son petit frre Black arrivait en troinant partager lebon lait sucr. Aprs avoir bien jou, bien cabriol, Black qui tait untoutou raisonnable, regagnait latelier de son jeune matre, et terminaitsa journe en soccupant avec des rognures de cuir.

    Un dimanche matin quil faisait trs froid, Zee en grande toilee,toute prte aller djeuner chez grand-mre, saperut que Toutoute avaitle poil tout mouill et greloait misrablement.

    Zee prit Toutoute et lenferma dans la petite armoire du pole de lasalle manger, une armoire qui sert faire chauer les assiees.

    Et puis, on sen alla chez grand-mre.and on rentra le soir, la maman de Zee chercha Toutoute.On appelait : Toutoute ! Toutoute !MaisToutoute ne rpondait pas. Alors Zee se rappela : Elle tait mouille, je lai mise scher dans larmoire aux assiees.La pauvreToutoute tait l, raidie par la mort, asphyxie.La petite Zee regarda avec un peu de dgot ce cadavre, mais elle ne

    pleura pas, malgr les paroles svres de son papa, et elle alla se coucher.Mais le lendemain, quand elle vit arriverBlack cherchant sa sur avec

    des petits jappements douloureux, Zee comprit toute lhorreur de cequelle avait fait.

    Son petit cur creva et, prenant dans ses bras le pauvre Black dsol,elle clata en gros, gros sanglots.

    n

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  • CHAPITRE XXIII

    En premire

    Une premire, Paris. Je regree beaucoup, madame, rpondait lhomme dquipe, mais

    il ny a plus de train pour Paris. Comment, plus de train ? Mais celui de 9 h 12 ? Celui de 9 h 12, madame, passe maintenant 8 h 47. Depuis quand ? Depuis avant-hier, madame, cest le service dt. Mais cest horrible ! Cest horrible !Lhomme dquipe esquissa un geste vague, comme pour protester de

    sa parfaite innocence dans le changement dheure des convois. Et quand le prochain train ? Demain, madame, 6 h 14. . . Il y a bien un express qui va passer

    tout lheure, mais il ne sarrte pas ici. Pourtant, en demandant gentiment au mcanicien. . .Non,madame, vous nauriez seulement pas le temps de lapercevoir.

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  • Faits divers Chapitre XXIII

    La situation tait rellement ennuyeuse.La pauvre jeune femme se laissa choir sur un banc et ne fut pas bien

    loin de pleurer.Neuf heures passer dans cee petite gare idiote !Le village tait loin dune bonne lieue. Il pleuvait verse. elle si-

    tuation !Alors elle entra dans une violente colre contre elle-mme et contre

    tout le monde.Ctait trop bte aussi dtre venue dans ce pays ridicule, sur linvitation

    de cee grue dlonore. Dabord, si lonore lavait invite, ctait bienparce quelle sennuyait, dans ce trou perdu, et aussi pour poser, pourlpater.

    Son chteau ! Son parc ! Ses curies !Elle ferait bien mieux davoir un indicateur de chemin de fer un peu

    frais.Et puis, cet imbcile de cocher qui la ramne la gare et qui le sans

    seulement aendre que le train soit arriv.Si on lassassinait, dans cee petite gare isole ?Le village est loin, la pluie tombe si fort quon nentendrait pas ses

    cris.Elle est toute seule avec lhomme dquipe.Ce dernier semble assez embarrass de sa position.videmment, il allait se coucher, quand Berthe est arrive.Berthe commence avoir le trac.Elle examine lhomme la drobe.Cest un grand jeune garon, admirablement dcoupl.Il a des yeux trs doux, la bouche est ne. Tiens, tiens. . ., t Berthe, qui sy connat, mais il nest pas mal du

    tout, ce garon-l.Non, il nest pas mal, mais il semble de plus en plus gn. Mon ami, reprend Berthe de sa voix la plus aimable, que me

    conseillez-vous de faire jusqu demain 6 heures. Madame, il y a justement sur la voie de garage un wagon de

    premire quon a retir dun train ce matin cause dun accident les-

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  • Faits divers Chapitre XXIII

    sieu. . . Si vous voulez y passer la nuit, vous serez toujours mieux que dansla salle daente.

    La proposition est accepte.Le jeune homme prend sa lanterne et conduit Berthe.Les coussins sentassent dans un compartiment et forment unmoelleux

    sofa. Cest trs bien, fait Berthe, mais je vais avoir une peur mortelle,

    toute seule, sur cee voie. Si madame veut, je vais coucher dans le compartiment ct.Berthe accepta la proposition de grand cur, mais dans le courant de

    la nuit, sans doute domine par leroi, elle exigea que le jeune hommevnt habiter son propre compartiment.

    Lhumble proltaire parut enchant de la proposition.(Il est inutile, a dit Scribe, de porter une redingote pour quun cur

    gnreux et galant bae dessous.)e se passa-t-il dans le compartiment ?Il est probable quon eut beaucoup de peine sendormir (la nouveaut

    de la situation, vous savez).Au petit jour, rien ne bougeait dans le wagon.Le chef de gare, un peu inquiet, cherchait son homme.Un grondement sourd vint du lointain.Alcide (lhomme dquipe avait eu loccasion de dire Berthe quil

    sappelait Alcide), Alcide, dis-je, sauta sur ses pieds : Nom dun chien ! scria-t-il, le train de 6 h 14 !Berthe stira voluptueusement comme une grande chae lasse : Dj ! t-elle.

    XXIII.1 Histoire de Nol and jy pense, mon Dieu ! comme cest loin ces temps-l ! Et dire

    que a ne reviendra jamais !1. Un peu en retard, cause de labondance de la neige, au blanc cortge, qui a coup

    les communications dans nos contres.

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  • Faits divers Chapitre XXIII

    Je venais darriver Paris, tout jeune, trs bon, eroyablement timideet vigoureux, comme je ne le fus jamais depuis.

    Ctait le jour de Nol.Je navais pas, cee poque, les brillantes relations que je me suis

    acquises depuis, dans le monde des Leres et des Arts.Ah ! si onmavait dit, ce jour-l, quune nuit viendrait o je fterais la

    naissance du Christ enmangeant du boudin, de concert avec Loulou-Lvyet Mlle Gilberte !

    Donc, je ne connaissais alors que de vagues familles bourgeoises, hon-ntes, mais dnues de fantaisie, et la seule ide de rveillonner en cesmilieux me donnait une folle envie daller me coucher.

    Il faisait un froid sec comme un coup de trique.Les talons des passants sonnaient sur le sol dur, et les voitures tumul-

    tueuses roulaient sous les toiles claires.Je marchais par les rues, sans but, un peu triste.Une jeune femme jolie que je suivis mentrana, sans le savoir, jusque

    dans le fond des Batignolles.Puis, la jeune femme jolie rentra chez elle et je me trouvai seul, dans

    la nuit.Les passants se faisaient de plus en plus rares.Une femme en deuil marchait devant moi, portant dans ses bras une

    llee de quatre cinq ans. La femme suppliait : Je ten prie, ma chrie,marche un peu, je nen puis plus.

    La voix de la petite rpondait, geignarde : Oh ! non, maman, porte-moi encore, sis lasse, sis lasse.

    Et ce mot lasse sallongeait dans la bouche de la petite comme pourexprimer une incommensurable fatigue.

    Elles semblaient dailleurs aussi lasses lune que lautre, les pauvres !Le pas de la mre salourdissait, et je sentais que, malgr son nergie, elleallait bientt sarrter.

    Je pris mon courage deux mains et, rouge comme un coq, je mavan-ai :

    Voulez-vous me permere, madame, dis-je, de porter votre petitelle un bout de chemin ?

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  • Faits divers Chapitre XXIII

    Se mprenant sans doute sur mes intentions, la femme me rponditpar un merci sec.

    Jinsistai et, avec moi, la petite lle. Oh ! si, maman, laisse le monsieur me porter. . . Il est fort, lui.Et je la pris dans mes bras.Elle enfona dansmon cou sesmenoes froides comme deux glaons.

    Jeus un grand frisson dans le dos, ce qui la t beaucoup rire.Rassure enn par mon air convenable et ma voix douce, la maman

    me raconta comment elle se trouvait par les rues cee heure.Elle avait dn chez son beau-frre. On stait aard causer. Les

    derniers omnibus complets. Force de rentrer pied, et il y a loin desBatignolles la Villee.

    La llee stait endormie dans mes bras. la lueur des rverbres, je voyais sa petite tte ploe et ne qui

    reposait sur mon paule en toute conance, et je ne pouvais mempcherde lembrasser la drobe.

    Tous les cent pas, la mre se rcriait : Mais non, monsieur, cest trop, je puis bien la porter maintenant.

    Vous te