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www.histoire.presse.fr Bienvenue en Algérie coloniale cinémA : hannah arendt et la banalité du mal AllemAgne, 1500 L’autre renaissance &:HIKLSE=WU[WUX:?a@n@s@h@a" M 01842 - 387 - F: 6,20 E naissance de l’agriculture, de nouveaux scénarios Garcia Lorca, une tragédie espagnole MENSUEL DOM/S 7,20 € TOM/S 950 XPF TOM/A 1 600 XPF BEL 7,20 € LUX 7,20 € ALL 7,90 € ESP 7,20 € GR 7,20 € ITA 7,20€ MAY 8,70 € PORT. CONT 7,20 € CAN 10,50 $CAN CH 12 ,40 FS MAR 60 DH TUN 6,80 TND ISSN 01822411

Allemagne, 1500. L'autre Renaissance

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La Renaissance ne se limite pas au Quattrocento italien. L’imprimerie, la Réforme et des artistes aussi singuliers que Dürer ou Cranach ont fait de l’Allemagne des XVe et XVIe siècle le foyer d’une révolution culturelle qui a su séduire et parfois même inquiéter ses voisins européens.

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www.histoire.presse.fr

Bienvenue en Algérie coloniale

cinémA : hannah arendt et la banalité du mal

AllemAgne, 1500 L’autre renaissance

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’sommaire

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’actualitéon en parle16 La vie de l’édition - L’homme en vue - en tournage

portrait 18 Pierre Birnbaum se met à table Par Pierre Assouline

europe 20 avis de tempête sur la monarchie espagnole ! Par Benoît Pellistrandi

expositions 22 Le noir, « invention des Lumières » Par Juliette Rigondet

23 Philippines autrement

cinéma 24 24 heures avant rambo Par Antoine de Baecque

livre 26 réentendre la Chanson de roland Par Daniel Bermond

débat 28 La France est-elle responsable des crimes de Vichy ? Par Olivier Loubes

29 internet : les sites du mois

religion 30 Le pape qu’on n’attendait pas Par Yann Rivière

31 agenda : les rencontres du mois

médias 32 alias alain Par Héloïse Kolebka

33 L’art des hiéroglyphes

33 La Fabrique se mondialise

bande dessinée 34 Congo, le pouvoir qui rend fou Par Pascal Ory

’feuilleton29 mai 1913 86 Le « massacre du printemps » Par Michel Winock

’GuiDela revue des revues88 « Hérodote » : le dessous des cartes turques

88 La sélection du mois

les livres90 « Une contre-histoire de la iiie république » dirigé par Christophe Prochasson Par Michel Winock

91 La sélection du mois

le classique96 « L’afrique noire est mal partie » de rené Dumont Par Pap Ndiaye

’Carte BlancHe98 Céline historien ? Non Par Pierre Assouline

couverture : Salomé et la tête de saint Jean-Baptiste, atelier de Lucas Cranach l’Ancien, Budapest, musée des Beaux-Arts (Artothek/La Collection).

retrouvez page 36 les rencontres de l’histoire

abonnez-vous page 97Ce numéro comporte quatre encarts jetés : Pèlerin (abonnés), L’Histoire (2 encarts kiosques France et export, hors Belgique et Suisse) et Edigroup (kiosques Belgique et Suisse).

’événement

8 Hannah arendt : la controverse à l’écran Par Annette Wieviorka après avoir suivi, en 1961, le procès eichmann à Jérusalem, Hannah arendt publie cinq articles dans le New Yorker qui provoquent de violentes réactions. Le film événement de margarethe von trotta retrace cet épisode.

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www.histoire.presse.fr10 000 articles en archives.Des web dossiers pour préparer les concours.Chaque jour, une archive de L’Histoire pour comprendre l’actualité.

N°387-mai 2013

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’recherche68 Naissance de l’agriculture : de nouveaux scénarios Par Geoffroy de Saulieu et Alain Testart Les récentes découvertes archéologiques et anthropologiques livrent de nouvelles pistes sur cette question.

74 garcia Lorca Une tragédie espagnole Par Gabriel martinez-Gros La mort du poète, exécuté en 1936, près de grenade, reste nimbée de mystère.

80 bienvenue en algérie coloniale ! Par Colette Zytnicki La conquête achevée, le pays est devenu une destination touristique prisée.

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40 L’autre voie de la modernité Par Axelle Chassagnette et Olivier Christin

44 gutenberg a-t-il inventé l’imprimerie ? 46 Luther et les images 48 Le royaume de l’ouïe Par Patrice Veit

50 Cranach mis à nu Par naïma Ghermani

52 des portraits par milliers

56 a la cour de Lorraine Par Arnaud Rusch

57 Carte : une région convoitée

60 Face au péril turc Par Claire Gantet

63 Carte : l’avancée ottomane

42 Chronologie

65 pour en savoir plus

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’événement hannah arendt

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Le dernier film de la cinéaste allemande Margarethe von Trotta, qui sort en France le 24 avril, retrace un moment fort de la vie de la philosophe Hannah Arendt. Après avoir suivi le procès d’Adolf Eichmann en 1961, celle-ci publie en 1963 cinq articles dans le new Yorker, qui constituent son Eichmann à Jérusalem. rapport sur la banalité du mal. Les réactions que provoquent ces publications sont d’une grande violence. L’historienne Annette Wieviorka a vu le film pour nous : à travers son regard se dégage une critique actuelle de la pertinence de cette notion de « banalité du mal ». C’est que, comme en témoigne le film, le débat entamé avec fracas par l’ouvrage d’Hannah Arendt reste ouvert.

Sur ce photogramme, tiré des archives de Leo Hurwitz et utilisé par Michaël Prazan dans son documentaire sur le procès Eichmann, on aperçoit Hannah Arendt pendant les audiences qui débutèrent à Jérusalem le 11 avril 1961. Ci-dessous : Eichmann dans sa « cage de verre ».

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Hannah Arendt : la controverse

à l’écranPar Annette Wieviorka

l’AuteurDirectrice de recherche au CNRS (Irice), Annette Wieviorka est spécialiste de l’histoire de la mémoire du génocide des juifs d’Europe. Elle a notamment publié Déportation et génocide (Plon, 1992), l’Ère du témoin (Plon, 1998), eichmann. De la traque au procès (André Versaille, 2011) et coécrit avec le réalisateur Michaël Prazan le documentaire le Procès d’Adolf eichmann (Kuiv Productions, 2011).

«Vous comprendrez, je pense, écrit Hannah arendt afin de se dégager de ses obliga-tions, pourquoi je dois couvrir ce procès : je

n’ai pu assister au procès de Nuremberg, je n’ai ja-mais vu ces gens-là en chair et en os, et c’est proba-blement ma dernière chance de le faire. » assister au procès est une « obligation » qu’elle doit à son « propre passé »1. avant de devenir une affaire pu-blique du fait de l’intensité de la polémique qui suit la publication de son Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, le procès d’adolf eichmann est d’abord pour Hannah arendt une affaire personnelle.

Le scénario du film de Margarethe von trotta s’appuie notamment sur les nombreu-ses correspondances d’Hannah arendt, toutes publiées aujourd’hui, celles avec le philosophe Karl Jaspers, avec son amie intime l’écrivain et grande figure du féminisme américain Mary McCarthy, personnage important du film, comme avec son mentor en sionisme Kurt Blumenfeld, qui se fait aussi dans le film le porte-voix du phi-losophe Gershom scholem. Hannah arendt ap-prend par la presse l’enlèvement d’eichmann en argentine par le Mossad (il y vivait avec sa famille sous le nom de ricardo Klement), sa présence en israël et la déclaration du Premier ministre israé-lien David Ben Gourion à la Knesset annonçant qu’il allait être jugé. elle obtient du magazine le New Yorker d’être son envoyée.

on est toujours un peu gêné de confronter fic-tion et histoire. Un film n’est pas un livre d’histoire. Celui de Margarethe von trotta réussit la gageure de faire revivre le petit milieu d’intellectuels alle-mands installé à New York et son goût infini du débat, de donner à voir une pensée en marche, de mettre en scène un débat philosophique. il ne s’agit donc pas ici de critiquer un film, mais de mettre en lumière les écarts, inévitables, entre la fiction et l’écriture historique de l’événement.

trois semAines à JérusAlemLa « couverture » du procès, mise en scène grâce

à la fiction d’une Hannah arendt suivant l’ensemble du procès devant l’écran de télévision installé dans

la salle de presse du tribunal, prend quelques liber-tés avec l’histoire. Certes, cette représentation pré-sente un immense mérite : elle permet de restituer des extraits des vidéos du réalisateur américain Leo Hurwitz qui filma l’ensemble du procès, en respec-tant scrupuleusement l’intégrité de l’archive2. Mais on y voit Hannah arendt taper à la machine fébri-lement. or rien n’atteste qu’elle prit des notes lors du procès. a la différence d’un Joseph Kessel pour France-Soir ou d’un Jean-Marc théolleyre pour Le Monde, elle n’avait pas à rendre compte au jour le jour des audiences. son « rapport » (report) n’était en rien un reportage et la philosophe Michelle-irène Brudny qui a effectué des recherches ex-

tensives dans ses archives n’a retrouvé aucune note décisive concernant le dé-roulement du procès.

Hannah arendt n’a pas forcément assisté aux épisodes du procès qui sont montrés dans le film. Le 2 décembre

1960, elle écrit à Karl Jaspers qu’elle ne compte pas consacrer plus d’un mois à cette « plaisanterie ». Le 20 avril 1961, elle confie à son mari, Heinrich Blücher : « Je veux partir le plus vite possible, mais pas au point de manquer quelque chose d’essentiel. »

Hannah arendt n’est restée à Jérusalem que trois semaines, alors que le procès a duré plusieurs mois. L’historien raul Hilberg a été le premier à no-ter la brièveté de sa présence. arrivée le 10 avril, la veille de son ouverture, elle quitte israël le 7 mai pour rejoindre Karl Jaspers à Bâle. elle est donc présente lors du long et ennuyeux débat juridi-que qui ouvre le procès, lors du non moins long exposé introductif du procureur Gideon Hausner

« Je n’ai jamais vu ces

gens-là en chair et en os »

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Hannah Arendt est au programme

du ciné-club de L’Histoire au Champo le 30 avril (cf. p. 37).

le film sera suivi d’un débat animé par Antoine de Baecque,

avec Annette Wieviorka et margarethe von trotta.

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’actualité médias

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Une vie de roman devenue un livre autobiographi-que et maintenant une fic-

tion. Que demander de mieux ! Le téléspectateur est en effet saisi par le parcours du jeune Daniel Cordier : militant de l’ac-tion française à Pau, en 1940, il décide, dès le 17 juin, alors que Pétain, nouveau président du Conseil, annonce avoir demandé les conditions de l’armistice à l’allemagne, de conti-nuer le combat pour « tuer du Boche ». alors il em-barque à Bayonne avec quelques camarades et par-vient en angleterre le 24 juin. on connaît la suite : Daniel Cordier sera un de ces quelques « Français libres » de la première heure et deviendra le secré-taire de rex, Jean moulin, avant d’en devenir le biographe dans les années 1980.

Dans Alias Caracalla (Gallimard, 2009, cf. L’Histoire n° 343), l’ancien Français libre, après avoir livré tant de pages sur son patron, restitue ce qui lui est advenu, presque jour après jour, du 17 juin 1940 au 23 juin 1943, surlendemain de la chute de Jean moulin, à Caluire. après un documentaire en 2010 de Bernard George et régis Debray, le récit est aujourd’hui adapté pour la télévision par Georges-marc Benamou, raphaëlle Valbrune et Daniel Cordier lui-même. Derrière la caméra, le réalisateur alain tasma.

on suit donc le jeune Daniel, antisémite et an-tirépublicain, en angleterre, où il subit les dures séances d’entraînement de l’embryon des Forces françaises libres. il accepte une mission au Bureau central de renseignements et d’action (BCra), le

service de renseignements et d’action clandestine de De Gaulle. il est parachuté en France le 25 juillet 1942 et entre, à Lyon, au service de « rex » – dont il ignorera, jusqu’à la Libération, l’identité.

a Lyon, la vie d’alain, pseudonyme choisi par Daniel Cordier en hommage au philosophe, est res-tituée dans sa quotidienneté : les messages à dé-poser et relever dans les boîtes aux lettres, mode de communication habituel entre les membres des mouvements ; le codage et décodage des do-cuments (à partir de grands tableaux de chiffres et de lettres incompréhensibles pour le profane, mais dont Daniel Cordier a vérifié l’exactitude) ; les rencontres de moulin avec les représentants des mouvements de résistance ; les repas dans les res-taurants « choisis » où se tiennent bien des concilia-bules. et l’argent, bien sûr, venu de Londres et que rex a la charge de distribuer aux mouvements.

on n’est pas dans la résistance de terrain, celle des sabotages et du maquis, mais dans les enjeux politiques entre France Libre et mouvements, aux-quels moulin reprochait leurs divisions, voire leur manque d’efficacité, comme le rappelle l’historien Jean-Pierre azéma. Pour Daniel Cordier et pour le spectateur, la mission de rex se dessine peu à peu : unifier les principaux mouvements de la zone sud et nord et faire admettre l’autorité de De Gaulle comme seul chef ; puis rallier les représentants des anciennes forces politiques. Jusqu’à la première réunion du Conseil de la résistance fédérateur. il se tient à Paris le 27 mai 1943, « un grand jour », dira moulin. Le téléfilm, habilement, montre bien les difficultés de l’union.

sous les traits de Daniel, Jules sadoughi. il rend bien, selon Daniel Cordier lui-même, l’aspect juvé-nile et impétueux du jeune homme qu’il était. en face de lui, moulin, Éric Caravaca, a certainement un peu du charme du résistant. Leurs relations, tout en pudeur et en retenue, mais avec sûrement beaucoup d’affection de la part de moulin, se reflè-tent bien dans cette scène où rex apporte à Daniel Cordier, alité à cause d’une jaunisse, sa ration de sucre. C’est là tout l’intérêt de la fiction : nous resti-tuer ces moments, même minuscules, de vérité.

Héloïse Kolebka Journaliste

A. Tasma, Alias Caracalla, deux soirées fin mai, sur France 3, à 20 h 45.

Loin d’une quelconque geste héroïque, le parcours au quotidien du jeune

Daniel Cordier au côté de Jean moulin.

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Jean Moulin (Éric Caravaca), sans chapeau ni écharpe, tel que Daniel Cordier (incarné ici par Jules Sadoughi) l’a connu.

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Un film qui restitue les moments, même minuscules, de vérité

Retrouvez sur histoire.presse.fr les commentaires de Jean-Pierre Azéma sur le film et, le mois prochain,

notre dossier consacré à la Résistance.

Réservée aux abonnés de L’Histoire, une projection en avant-première d’alias Caracalla est organisée le 7 mai à France Télévisions, en présence de Daniel Cordier et Jean-Pierre Azéma (cf. p. 37).

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’DOssier renaissance allemande

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Portfolio. austère, la peinture allemande ? Les nus peints par Cranach et les portraits de Dürer n’ont rien à envier aux maîtres italiens. mais, plus qu’au plaisir des yeux, c’est à l’édification du spectateur qu’ils sont destinés.

Par Naïma Ghermani

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L’amour crée Ladiscorde cranach illustre surtout des histoires antiques ou mythologiques, comme ici avec Le Jugement de Pâris (1528) qui met en scène les déesses aphrodite, Héra et athéna, seulement revêtues de chapeaux imposants ou de bijoux alors fort à la mode à la cour de Frédéric de saxe, le protecteur du peintre. de même ses Lucrèce sont le

plus souvent dénudées et ses Vénus sont habillées d’un voile si transparent qu’il révèle plus qu’il ne cache. contrairement à ses prédécesseurs qui n’hésitaient pas à montrer un corps marqué par le péché, cranach donne à voir des silhouettes longilignes à la peau de porcelaine. en choisissant aphrodite qui lui promet l’amour de la belle Hélène, Pâris provoque la terrible guerre de Troie.

1. cranachLe nu féminin, bien que moins développé qu’en Italie, est l’un des thèmes privilégiés de la Renaissance allemande. Dès son voyage en Italie en 1494, Albrecht Dürer s’attache à traiter ce genre en vertu des proportions mathématiques du corps humain dans ses dessins et ses gravures comme Quatre femmes nues (1497). Un des premiers peintres à y recourir fréquemment est l’Alsacien Hans Baldung Grien. Loin de répondre à des thèmes mythologiques, comme dans l’art italien, ses nus sont des vanités. Ève tentatrice, jeunes filles se mirant dans un miroir sans prendre garde à la Mort qui vient les saisir, sorcières sémillantes ou hideuses : ses toiles sont des méditations sur l’inanité des apparences et le péché.

Cette dimension morale est également présente chez Cranach l’Ancien, acquis aux idées de Luther. Sa production du point de vue de la quantité comme de la qualité est sans égale dans la Renaissance européenne. Mais il ne s’agit pas chez lui de plaisantes variations autour des thèmes antiques. Les nus de Cranach cristallisent un enjeu théologique et confessionnel de premier ordre : celui de la responsabilité personnelle du chrétien face à son salut.

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l’auteurMaître de conférences à l’université Grenoble-II et membre junior de l’Institut universitaire de France, Naïma Ghermani a notamment publié le Prince et son portrait (Presses universitaires de Rennes, 2009).

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eles sens nous tromPent •La Nymphe à la source (1537) est déshabillée : sa robe repose dans l’herbe. la peinture fait allusion à la légende d’amymone, la fille de Danaos surprise par un satyre. la jeune fille endormie a en fait les yeux mi-clos et semble nous regarder. une inscription en latin recommande au spectateur de ne pas troubler son sommeil. Deux perdrix à droite symbolisent l’amour charnel. Quant au satyre, Cranach le fait disparaître pour le remplacer par le regard concupiscent du spectateur. C’est donc un message moralisant sur la séduction du désir ou des images érotiques et sur leurs dangers qui nous est livré.

• la voluPté fait souffriren 1531 Cranach peint à foison des vénus et Cupidon. Ce thème, inspiré des Idylles de théocrite, raconte que le jeune dieu, piqué par des abeilles à qui il avait dérobé du miel, se plaignit de ses souffrances à sa mère. une inscription en latin, en haut, à droite, rappelle cet épisode : « Comme l’enfant Cupidon dérobe le miel du rayon, l’abeille perce de son dard le doigt du voleur, de même la brève et périssable volupté que nous poursuivons, mêlée à l’amère douleur nous fait souffrir. »si au doux miel de l’amour physique succède une douleur brûlante, on doit préférer à l’amour terrestre le vrai amour, spirituel et platonique. les vénus, dont les yeux fixés sur le spectateur semblent l’interroger ou le mettre au défi, tout comme les déesses du Jugement de Pâris, mettent en scène une thématique morale, celle du bon ou du mauvais choix, une question cruciale en ces années 1520-1530 durant lesquelles nombre de chrétiens sont sommés de choisir entre la « vraie » ou la « fausse » religion, la bonne ou la mauvaise église, le salut ou la chute.

mis à nu

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’recherche agriculture

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Phénomène mon-dial, la naissance de l’agriculture

n’en est pas moins énig-matique. on a beau-coup glosé sur les rai-sons de son invention. Certains ont avancé des explications mé-caniques telles que le changement climatique de la fin du Pléistocène et du début de l’Holo-cène (vers 10000 av. J.-C.), ou une hypothé-tique pression démo-graphique ; d’autres ont évoqué un phé-nomène symbolico-religieux, ou encore essentiellement osten-tatoire. selon la défini-tion traditionnelle, le Néolithique est l’épo-que à partir de laquelle la chasse et la cueillette

sont abandonnées au profit de l’agricul-ture et de l’élevage. Le processus aurait commencé vers 9000 av. J.-C. au Proche-orient, et se serait ensuite répandu, pour atteindre la Grèce vers 6500, l’italie vers 6000, le midi de la France vers 5900 et la Bretagne vers 4500 av. J.-C. Cette mu-tation a généralisé, pour l’europe et la Méditerranée, un mode de vie fondé sur la sédentarité, l’utilisation systématique de la poterie et de la pierre polie, et une économie basée sur la production et le sto ckage alimentaire.

on a longtemps pensé que ce schéma, si familier pour nous, allait se retrouver partout dans le monde. Cela n’a pas été le cas. au contraire, les données mondiales ont surpris les archéologues et ont plu-tôt montré que nos hypothèses, visant à comprendre l’origine du processus chez nous, étaient partiales. aujourd’hui, une nouvelle explication générale, à la fois construite sur les données archéologi-ques aujourd’hui disponibles et fondée sociologiquement, peut être avancée.

La « révoLution néoLithique »Depuis la naissance de l’anthropolo-gie et de l’archéologie au xixe siècle, les chasseurs-cueilleurs sont sans cesse pla-cés au bas de l’échelle. avec l’invention du terme « Néolithique » (passage de la pierre taillée du Paléolithique à la pierre polie) par Lubbock vers 1865 et jusqu’à la formulation de la « révolution néoli-thique » de Childe vers 1925 (révolution consistant en l’apparition du « package » néolithique : agriculture, sédentarité, poterie et pierre polie), les chasseurs-cueilleurs sont bien perçus comme ceux qui n’ont pas de pierre polie, pas de cé-ramique, pas de plantes cultivées, pas de maison définitive, etc. tout les op-pose aux agriculteurs. Les chasseurs-cueilleurs constituent l’état le plus pri-mitif et le plus simple de la société.

L’ouvrage célèbre Man the Hunter, publié en 1968 à la suite du sympo-sium de Chicago de 1966 sur les chas-seurs-cueilleurs, met encore l’accent sur ces petites sociétés, « bandes » ou petits groupes nomades, soumis aux limites

naissance de l’agriculture

De nouveaux scénarios Pourquoi les hommes se sont-ils mis à cultiver des plantes ?

Grâce aux récentes découvertes archéologiques, alain testart lance des pistes inédites pour expliquer l’apparition de l’agriculture.

Par Geoffroy de Saulieu et Alain Testart

Décryptageavec Avant l’histoire. L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac (Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines »), alain testart livre une synthèse ambitieuse de ses travaux depuis Les Chasseurs-Cueilleurs, ou L’Origine des inégalités (1982). Utilisant l’archéologie et l’ethnologie, il retrace l’évolution préhistorique à l’échelle du monde. Parmi les grands thèmes abordés, l’origine de l’agriculture fait l’objet d’une interprétation nouvelle exposée dans cet article avec la complicité de l’archéologue Geoffroy de saulieu.

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Les auteursArchéologue à l’IRD, Geoffroy de Saulieu est spécialiste des sociétés agrocéramiques tropicales. Il travaille sur l’Amazonie (Équateur) et sur l’Afrique centrale (Cameroun). Membre du laboratoire d’anthropologie sociale au Collège de France et directeur de recherche émérite au CNRS, Alain Testart a publié avant l’histoire. L’évolution des sociétés, de Lascaux à Carnac (Gallimard, 2012).

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écologiques imposées par la na-ture, dont les densités démogra-phiques sont faibles et dont le mode d’habitat empêche l’accu-mulation de biens personnels, ce qui permettait, selon certains, de maintenir les inégalités matériel-les à un très bas niveau. encore aujourd’hui il n’est pas rare de trouver des traces de ces visions simplificatrices (et souvent er-ronées) : les écrits d’influence américaine ne cessent d’associer l’apparition des sociétés dites « complexes », ou « inégalitai-res » ou encore « hiérarchisées » à la naissance de l’agriculture.

Des chasseurs-cueilleurs séDentairesil était pourtant bien connu

que les peuples de la côte nord-ouest de l’amérique du Nord étaient des chasseurs-cueilleurs sédentaires, dont les densités démographiques étaient impor-tantes, sto ckant massivement les saumons, possédant des sociétés fortement hiérarchisées et très inégalitaires1. L’anthropologie américaine, dominante dans ce domaine, a traité jusqu’à présent ce problème en le présentant comme une exception entière-ment explicable par la richesse exceptionnelle du milieu natu-rel de la région.

or la côte nord-ouest n’est pas la seule région abritant des chasseurs-cueilleurs stockeurs sédentaires. avec les sociétés de Californie dont la subsistance était fondée sur la collecte des glands de chêne, avec le sud-est sibérien où l’on pratiquait une pêche intensive avec stockage, c’est en réalité près de la moi-tié des chasseurs-cueilleurs qui ne répondent pas aux vues clas-siques des « pauvres chasseurs-cueilleurs ». il ne s’agit donc pas d’une exception.

De plus, l’explication écolo-gique est insuffisante : l’abon-dance saisonnière d’une res-source n’explique rien. ainsi, les saumons, dans l’exemple des peuples d’amérique du Nord-ouest, ne sont abondants qu’au moment où les poissons remon-tent massivement les rivières

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Grotte de Peña RojaCOLOMBIE

Côte Nord-OuestÉTATS-UNIS, CANADA

Site deTaperinhaBRÉSIL

Grotte dePedra PintadaBRÉSIL

Amériquedu Nord

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OcéanPacifique

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Photographie ancienne d’un village (actuellement en ruines) chez les Haïdas, peuple amérindien de la Colombie-Britannique (Canada). Les Haïdas, comme les autres peuples de la côte nord-ouest de l’Amérique du Nord, sont un des meilleurs exemples de chasseurs-cueilleurs sédentaires stockeurs. Ils habitaient de grandes maisons regroupées en village, souvent en bord de mer (comme sur la photo). Les « mâts-totems » sculptés, notamment, ont fait leur célébrité.

Une polyculture typique des jardins tropicaux qui se présentent encore aujourd’hui comme une forêt en miniature (Amazonie du Nord-Ouest, Rio Negro, Brésil). S’y mêlent diverses variétés de manioc à d’autres plantes natives ou introduites (ananas, patates douces, canne à sucre, bananiers). En Amérique du Sud, il existe une grande porosité entre chasseurs-cueilleurs et agriculteurs.

la variété américaine