ALPHONSE DAUDET La Belle Nivernaise [Atramenta.net]

7/23/2019 ALPHONSE DAUDET La Belle Nivernaise [Atramenta.net]

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La Belle-Nivernaise

Alphonse Daudet

Oeuvre du domaine public.

En lecture libre sur Atramenta.net

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LA BELLE-NIVERNAISE

Histoire d’un vieux bateau et de son équipage



CHAPITRE I – UN COUP DE TÊTE

!a rue des En"ants#$ouges% au quartier du &emple.

'ne rue étroite comme un égout% des ruisseaux stagnants% des"laques de boue noire% des odeurs de moisi et d’eau sale sortant desallées béantes.

De chaque c(té% des maisons tr)s hautes% avec des "en*tres decasernes% des vitres troubles% sans rideaux% des maisons de +ournaliers% d’ouvriers en chambre% des h(tels de ma,ons et desgarnis - la nuit.

Au re#de#chaussée% des boutiques. /eaucoup de charcutiers% demarchands de marrons 0 des boulangeries de gros pain% une boucheriede viandes violettes et +aunes.

as d’équipages dans la rue% de "albalas% ni de "lneurs sur lestrottoirs% #mais des marchands de quatre saisons criant le rebut desHalles% et une bousculade d’ouvriers sortant des "abriques% la blouseroulée sous le bras.

3’est le huit du mois% +our ou les pauvres pa4ent leur terme% o5 les

propriétaires% las d’attendre% mettent la mis)re - la porte.3’est le +our o5 l’on voit passer dans des carrioles desdéménagements de lits de "er et de tables boiteuses% entassés les piedsen l’air% avec les matelas éventrés et la batterie de cuisine.

Et pas m*me une botte de paille pour emballer tous ces pauvresmeubles estropiés% douloureux% las de dégringoler les escalierscrasseux et de rouler des greniers aux caves 6

!a nuit tombe. 'n - un les becs de ga s’allument% re"létés dans

les ruisseaux et dans les devantures de boutiques.!e brouillard est "roid.

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!es passants se htent.Adossé au comptoir d’un marchand de vin% dans une bonne salle

bien chau""ée% le p)re !ouveau trinque avec un menuisier de la8illette.

9on énorme "igure de marinier honn*te% toute rougeaude etcouturée% s’épanouit dans un large rire qui secoue ses bouclesd’oreilles.

: A""aire conclue% p)re Dubac% vous m’achete mon chargementde bois au prix que +’ai dit.

; &ope l-. ; < votre santé 6 ; < la v(tre 6 =On choque les verres% et le p)re !ouveau boit% la t*te renversée%

les 4eux mi#clos% claquant la langue% pour déguster son vin blanc.>ue voule#vous 6 personne n’est par"ait% et le "aible du p)re

!ouveau% c’est le vin blanc. 3e n’est pas que ce soit un ivrogne. ; Dieu non 6 ? !a ménag)re% qui est une "emme de t*te% ne

tolérerait pas la ribote 0 mais quand un vit comme le marinier% lespieds dans l’eau% le crne au soleil% il "aut bien avaler un verre de

temps en temps.Et le p)re !ouveau% de plus en plus gai% sourit au comptoir de incqu’il aper,oit au travers d’un brouillard et qui le "ait songer - la piled’écus qu’il empochera demain en livrant son bois.

'ne derni)re poignée de main% un dernier petit verre et l’on sesépare.

: < demain% sans "aute @ ; 3ompte sur moi. =

our sr il ne manquera pas le rende#vous% le p)re !ouveau. !emarché est trop beau% il a été trop rondement mené pour qu’ontraBnasse.

Et le +o4eux marinier descend vers la 9eine% roulant les épaules%bousculant les couples% avec la +oie débordante d’un écolier quirapporte un bon point dans sa poche.

>u’est#ce qu’elle dira la m)re !ouveau% ? la "emme de t*te ?

quand elle saura que son homme a vendu le bois du premier coup% etque l’a""aire est bonne @

C



Encore un ou deux marchés comme celui#l- et on pourra se pa4erun bateau neu"% planter l- la /elle#ivernaise qui commence - "airepar trop d’eau.

3e n’est pas un reproche% car c’était un "ier bateau dans sa

+eunesse 0 seulement voil-% tout pourrit% tout vieillit% et le p)re!ouveau lui#m*me sent bien qu’il n’est plus aussi ingambe que dansle temps o5 il était : petit derri)re = sur les "lotteurs de la arne.

ais qu’est#ce qui se passe l-#bas @!es comm)res s’assemblent devant une porte 0 on s’arr*te% on

cause et le gardien de la paix% debout au milieu du groupe% écrit surson calepin.

!e marinier traverse la chaussée par curiosité% pour "aire commetout le monde.

: >u’est#ce qu’il 4 a @ =>uelque chien écrasé% quelque voiture accrochée% un ivrogne

tombé dans le ruisseau% rien d’intéressantFon 6 c’est un petit en"ant assis sur une chaise de bois% les

cheveux ébouri""és% les +oues pleines de con"itures% qui se "rotte les4eux avec les poings.

Gl pleure. !es larmes% en coulant% ont tracé des dessins biarres sursa pauvre mine mal débarbouillée.Gmperturbable et digne comme s’il interrogeait un prévenu% l’agent

questionne le marmot et prend des notes.: 3omment t’appelles#tu @ ; &otor. ; 8ictor quoi @ =as de réponse.

!e mioche pleure plus "ort et crie : aman 6 maman 6 =Alors une "emme qui passait% une "emme du peuple% tr)s laide% tr)s

sale% traBnant deux en"ants apr)s elle% sortit du groupe et dit augardien

: !aisse#moi "aire. =Elle s’agenouilla% moucha le petit% lui essu4a les 4eux% embrassa

ses +oues poissées.: 3omment s’appelle ta maman% mon chéri @ =

I



Gl ne savait pas.!e sergent de ville s’adressa aux voisins : 8o4ons% vous% le concierge% vous deve connaBtre ces gens#l- @ =On n’avait +amais su leur nom.

Gl passait tant de locataires dans la maison 6&out ce qu’on pouvait dire% c’est qu’ils habitaient l- depuis un

mois% qu’ils n’avaient +amais pa4é un sou% que le propriétaire venaitde les chasser% et que c’était un "ameux débarras.

: >u’est#ce qu’ils "aisaient @ ; $ien du tout. =!e p)re et la m)re passaient leur +ournée - boire et leur soirée - se

battre.Gls ne s’entendaient que pour rosser leur en"ants% deux gar,ons qui

mendiaient dans la rue et volaient aux étalages.'ne +olie "amille% comme vous vo4e.: 3ro4e#vous qu’ils viendront chercher leur en"ant @ ; 9rement non. =Gls avaient pro"ité du déménagement pour le perdre.3e n’était pas la premi)re "ois que cette chose#l- arrivait% les +ours

du terme.Alors l’agent demanda : ersonne n’a donc vu les parents s’en aller @ =Gls étaient partis depuis le matin% le mari poussant la charrette% la

"emme un paquet dans son tablier% les deux gar,ons les mains dansleurs poches.

Et maintenant% rattrape#les.!es passants se récriaient indignés% puis continuaient leur chemin.

Gl était l- depuis midi% le malheureux mioche 69a m)re l’avait assis sur une chaise et lui avait dit : 9ois sage. =Depuis% il attendait.3omme il criait la "aim% la "ruiti)re d’en "ace lui avait donné une

tartine de con"iture.ais la tartine était "inie depuis longtemps% et le marmot avait

recommencé - pleurer.Gl mourait de peur% le pauvre innocent 6 eur des chiens qui

J



r(daient autour de lui 0 peur de la nuit qui venait 0 peur des inconnusqui lui parlaient% et son petit cKur battait - grands coups dans sapoitrine% comme celui d’un oiseau qui va mourir.

Autour de lui le rassemblement grandissait et l’agent ennu4é

l’avait pris par la main pour le conduire au poste.: 8o4ons% personne ne le réclame @ ; 'n instant 6 =&out le monde se retourna.Et l’on vit une grosse bonne "igure rougeaude qui souriait

b*tement +usqu’aux oreilles chargées d’anneaux en cuivre.: 'n instant 6 si personne n’en veut% +e le prends% moi. =Et comme la "oule poussait des exclamations : < la bonne heure 6 ; 3’est bien% ce que vous "aites l-. ; 8ous *tes un brave homme. =!e p)re !ouveau% tr)s allumé par le vin blanc% le succ)s de son

marché et l’approbation générale% se posa les bras croisés au milieudu cercle.

: Eh bien 6 quoi @ 3’est tout simple. =

uis les curieux l’accompagn)rent che le commissaire de police%sans laisser re"roidir son enthousiasme. !-% selon l’usage en pareilcas% on lui "it subir un interrogatoire.

: 8otre nom @ ; Lran,ois !ouveau% monsieur le commissaire% un homme marié%

et bien marié% +’ose le dire% avec une "emme de t*te. Et c’est unechance pour moi% monsieur le commissaire% parce que +e ne suis pastr)s "ort% pas tr)s "ort% hé 6 hé 6 vo4e#vous. Me ne suis pas un aigle.

: Lran,ois n’est pas un aigle =% comme dit ma "emme. =Gl n’avait +amais été si éloquent.Gl se sentait la langue déliée% l’assurance d’un homme qui vient de

"aire un bon marché et qui a bu une bouteille de vin blanc.: 8otre pro"ession @ ; arinier% monsieur le commissaire% patron de la /elle#

ivernaise% un rude bateau% monté par un équipage un peu chouette.

Ah 6 ah 6 "ameux% mon équipage 6F Demande plut(t aux éclusiers%depuis le pont arie +usqu’- 3lamec4F 3onnaisse#vous ,a%

N



3lamec4% monsieur le commissaire @ =!es gens souriaient autour de lui% le p)re !ouveau continua%

bredouillant% avalant les s4llabes.: 'n +oli endroit% 3lamec4% alle 6 /oisé du haut en bas 0 du beau

bois% du bois ouvrable 0 tous les menuisiers savent ,aF 3’est l- que +’ach)te mes coupes. Hé 6 hé 6 +e suis renommé pour mes coupes. M’aile coup d’Kil% quoi 6 3e n’est pas que +e sois "ort 0 ? bien sr +e nesuis pas un aigle% comme dit ma "emme 0 ? mais en"in% +’ai le coupd’Kil. Ainsi% tene +e prends un arbre% gros comme vous% ? sau" votrerespect% monsieur le commissaire ? +e l’entoure avec une cordecomme ,aF =

Gl avait empoigné l’agent et l’entortillait avec une "icelle qu’ilvenait de tirer de sa poche.

!’agent se débattait.: !aisse#moi donc tranquille. ; ais siF ais siF 3’est pour "aire voir - monsieur le

commissaireF Me l’entortille comme ,a% et puis% quand +’ai lamesure% +e multiplie% +e multiplieF Me ne me rappelle plus par quoi +emultiplieF 3’est ma "emme qui sait le calcul. 'ne "orte t*te% ma

"emme. =!a galerie s’amusait énormément% et . le commissaire lui#m*medaignait sourire derri)re sa table.

>uand la gaieté "ut un peu calmée% il demanda : >ue "ere#vous de cet en"ant#l- @ ; as un rentier% pour sr. Gl n’4 a +amais eu de rentier dans la

"amille. ais un marinier% un brave gar,on de marinier% comme lesautres.

; 8ous ave des en"ants @ ; 9i +’en ai 6 'ne qui marche% une qui tette et un qui vient. as

trop mal% n’est#ce pas% pour un homme qui n’est pas un aigle @ Aveccelui#l- ,a "era quatre% mais bah 6 quand il 4 en a pour trois% il 4 en apour quatre. On se tasse un peu. On serre sa ceinture% et on tche devendre son bois plus cher. =

Et ses boucles d’oreilles remuaient% secouées par son gros rire%

tandis qu’il promenait un regard satis"ait sur les assistants.On poussa devant lui un gros livre.



3omme il ne savait pas écrire% il "it une croix% au bas de la page.uis le commissaire lui remit l’en"ant trouvé.: Emmene le petit% Lran,ois !ouveau% et éleve#le bien. 9i

+’apprends quelque chose - son su+et% +e vous tiendrai au courant.

ais il n’est pas probable que ses parents le réclament +amais. >uant- vous% vous m’ave l’air d’un brave homme% et +’ai con"iance envous. Obéisse tou+ours - votre "emme.

Et au revoir 6 e buve pas trop de vin blanc. =!a nuit noire% le brouillard "roid% la presse indi""érente des gens

qui se htent de rentrer che eux% tout cela est "ait pour dégriservivement un pauvre homme.

< peine dans la rue% seul avec son papier timbré en poche et sonprotégé par la main% le marinier sentit tout d’un coup tomber sonenthousiasme 0 et l’énormité de son action lui apparut.

Gl serait donc tou+ours le m*me @'n niais @ 'n glorieux @Gl ne pouvait point passer son chemin comme les autres% sans se

m*ler de ce qui ne le regardait pas.Gl vo4ait d’ici la col)re de la m)re !ouveau 6

>uel accueil% bonnes gens% quel accueil 63’est terrible une "emme de t*te pour un pauvre homme qui a lecKur sur la main.

Mamais il n’oserait rentrer che lui.Gl n’osait pas non plus retourner che le commissaire.>ue "aire @ >ue "aire @Gls cheminaient dans le brouillard.!ouveau gesticulait% parlait seul% préparait un discours.

8ictor traBnait ses souliers dans la crotte.Gl se "aisait tirer comme un boulet.Gl n’en pouvait plus.Alors le p)re !ouveau s’arr*ta% le prit - son cou% l’enveloppa dans

sa vareuse.!’étreinte des petits bras serrés lui rendit un peu de courage.Gl reprit son chemin.

a "oi% tant pis 6 il risquerait le paquet.9i la m)re !ouveau les mettait - la porte% il serait temps de

1P



reporter le marmot - la police 0 mais peut#*tre bien qu’elle legarderait pour une nuit% et ce serait tou+ours un bon dBner de gagné.

Gls arrivaient au pont d’Austerlit% o5 la /elle#ivernaise étaitamarrée.

!’odeur "ade et douce des chargements de bois "rais emplissait lanuit.

&oute une "lottille de bateaux grouillait dans l’ombre de la rivi)re.!e mouvement du "lot "aisait vaciller les lanternes et grincer les

chaBnes entre#croisées.our re+oindre son bateau% le p)re !ouveau avait - traverser deux

chalands reliés par des passerelles.Gl avan,ait - pas crainti"s% les +ambes "lageolantes% g*né par

l’en"ant qui lui étranglait le cou.3omme la nuit était noire 69eule une petite lampe étoilait la vitre de la cabine% et une raie

lumineuse% qui "iltrait sous la porte% animait le sommeil de la /elle#ivernaise.

On entendait la voix de la m)re !ouveau qui grondait les en"antsen surveillant sa cuisine.

: 8eux#tu "inir 3lara @ =Gl n’était plus temps de reculer.!e marinier poussa la porte.!a m)re !ouveau lui tournait le dos% penchée sur le po*lon% mais

elle avait reconnu son pas et dit sans se déranger : 3’est toi% Lran,ois @ 3omme tu rentres tard 6 =!es pommes de terre sautaient dans la "riture crépitante et la

vapeur qui s’envolait de la marmite vers la porte ouverte troublait les

vitres de la cabine.Lran,ois avait posé le marmot par terre% et le pauvre mignon% saisi

par la tiédeur de la chambre% sentait se déraidir ses petits poingsrougis.

Gl sourit et dit d’une voix un peu "ltée : Lait chaudF =!a m)re !ouveau se retourna.

Et montrant - son homme l’en"ant déguenillé debout au milieu dela chambre% elle cria d’un ton courroucé.

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: >u’est#ce que c’est que ,a @ =on 6 Gl 4 a de ces minutes% dans les meilleurs ménages.: 'ne surprise% hé 6 hé 6 une surprise 6 =!e marinier riait +usqu’aux oreilles pour se donner une

contenance 0 mais il aurait bien voulu *tre encore dans la rue.Et comme sa "emme% attendant une explication% le regardait d’un

air terrible% il béga4a l’histoire tout de travers% avec des 4euxsuppliants de chien qu’on menace.

9es parents l’avaient abandonné% il l’avait trouvé pleurant sur letrottoir.

On avait demandé : >u’est#ce qui en veut @ =Gl avait répondu : oi. =Et le commissaire lui avait dit : Emporte#le. ; as vrai% petit @ =Alors la m)re !ouveau éclata : &u es "ou% ou tu as trop bu 6 A#t#on +amais entendu parler d’une

b*tise pareille @: &u veux donc nous "aire mourir dans la mis)re @: &u trouves que nous sommes trop riches @: >ue nous avons trop de pain - manger @ &rop de place pour

coucher @ =Lran,ois considérait ses souliers sans répondre.: ais% malheureux% regarde#toi% regarde#nous 6 &on bateau est

percé comme mon écumoire 6

: Et il "aut encore que tu t’amuses - ramasser les en"ants desautres dans les ruisseaux. =

Gl s’était dé+- dit tout cela% le pauvre homme.Gl ne songeait pas - protester.Gl baissait la t*te comme un condamné qui entend le réquisitoire.: &u vas me "aire le plaisir de reporter cet en"ant#l- au

commissaire de police.

: 9’il "ait des "a,ons pour le reprendre% tu lui diras que ta "emmene veut pas.

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: Est#ce compris @ =Elle marchait sur lui% son po*lon - la main% avec un geste

mena,ant.!e marinier promit tout ce qu’elle voulut.

: 8o4ons% ne te "che pas.: M’avais cru bien "aire.: Me me suis trompé.: Qa su""it.: Laut#il le ramener tout de suite @ =!a soumission du bonhomme adoucit la m)re !ouveau. eut#*tre

aussi eut#elle la vision d’un de ses en"ants - elle perdu tout seul dansla nuit% la main tendue vers les passants.

Elle se détourna pour mettre son po*lon sur le "eu et dit d’un tonbourru

: 3e n’est pas possible ce soir% le bureau est "ermé.: Et maintenant que tu l’as pris% tu ne peux pas le reporter sur le

trottoir.: On le gardera cette nuit% mais demain matinF =Et la m)re !ouveau était si en col)re qu’elle tisonnait le "eu - tour

de brasF: ais demain matin% +e te +ure bien que tu m’en débarrasseras 6 =Gl 4 eut un silence.!a ménag)re mettait le couvert brutalement% heurtant les verres%

+etant les "ourchettes.3lara% e""ra4ée% se tenait coite dans un coin.!e bébé grognait sur le lit% et l’en"ant trouvé regardait avec

admiration rougir la braise.

!ui qui n’avait peut#*tre +amais vu de "eu depuis qu’il était né 63e "ut bien une autre +oie quand il se trouva - table% une serviette

au cou% un monceau de pommes de terre dans son assiette.Gl avalait comme un rouge#gorge - qui l’on émiette du pain un +our

de neige.!a m)re !ouveau le servait rageusement% au "ond un brin touchée

par cet appétit d’en"ant maigre.

!a petite 3lara% ravie% le "lattait avec sa cuill)re.!ouveau% consterné% n’osait plus lever les 4eux.

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!a table desservie% ses en"ants couchés% la m)re !ouveau s’assitpr)s du "eu% le petit entre les genoux% pour lui "aire un peu de toilette.

: On ne peut pas le coucher% sale comme il est.: Me parie qu’il n’a +amais vu ni l’éponge ni le peigne. =

!’en"ant tournait comme une toupie entre ses mains.8raiment% une "ois lavé et dém*lé% il n’avait pas trop laide mine% le

pauvre petit gosse% avec son ne rose de caniche et ses mains rondescomme des pommes d’api.

!a m)re !ouveau considérait son Kuvre avec une nuance desatis"action.

: >uel ge peut#il avoir @ =Lran,ois posa sa pipe% enchanté de rentrer en sc)ne.3’était la premi)re "ois qu’on lui parlait de la soirée% et une

question valait presque un retour en grce.Gl se leva% tira ses "icelles de sa poche.: >uel ge% hé 6 hé 6 On va te dire ,a. =Gl prit le marmot - bras le corps.Gl l’entortilla de ses cordes comme les arbres de 3lamec4.!a m)re !ouveau le regardait avec stupé"action.

: >u’est#ce que tu "ais donc @ ; Me prends la mesure% bédame 6 =Elle lui arracha la corde des mains% et la +eta - l’autre bout de la

chambre.: on pauvre homme% que tu es b*te avec tes manies 6: 'n en"ant n’est pas un baliveau. =as de chance ce soir% le malheureux Lran,ois 6Gl bat en retraite% tout penaud% tandis que la m)re !ouveau couche

le petit dans le dodo de 3lara.!a "illette sommeille les poings "ermés% tenant toute la place.Elle sent vaguement que l’on glisse quelque chose - c(té d’elle%

étend les bras% re"oule son voisin dans un coin% lui "ourre les coudesdans les 4eux% se retourne et se rendort.

aintenant on a sou""lé la lampe.!a 9eine% qui clapote autour du bateau% balance tout doucement la

maison de planches.!e petit en"ant perdu sent une douce chaleur l’envahir% et il

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s’endort avec la sensation inconnue de quelque chose comme unemain caressante qui a passé sur sa t*te% lorsque ses 4eux se "ermaient.

1C



CHAPITRE II – LA BELLE-NIVERNAISE

lle 3lara se réveillait tou+ours de bonne heure.

Elle "ut tout étonnée% ce matin#l-% de ne pas voir sa m)re dans lacabine et de trouver cette autre t*te - c(té d’elle sur l’oreiller.

Elle se "rotta les 4eux avec ses petits poings% prit son camarade delit par les cheveux et le secoua.

!e pauvre &otor se réveilla au milieu des supplices les plusbiarres% tourmenté par des doigts malins qui lui chatouillaient le couet l’empoignaient par le ne.

Gl promena autour de lui des 4eux surpris% et "ut tout étonné devoir que son r*ve durait tou+ours.

Au#dessus d’eux% des pas craquaient.On débarquait des planches sur le quai% avec un bruit sourd.lle 3lara semblait "ort intriguée.Elle éleva le petit doigt en l’air et montra le pla"ond - son ami

avec un geste qui voulait dire : >u’est#ce que c’est que ,a @ =

3’était la livraison qui commen,ait. Dubac% le menuisier de la8illette% était arrivé - six heures% avec son cheval et sa charrette% et lep)re !ouveau s’était mis - la besogne% d’un entrain qu’on ne luiconnaissait pas.

Gl n’avait pas "ermé l’Kil de la nuit% le brave homme% - la penséequ’il "audrait reporter au commissaire cet en"ant qui avait si "roid etsi "aim.

Gl s’attendait - une nouvelle sc)ne au réveil 0 mais la m)re

!ouveau avait d’autres idées en t*te% car elle ne lui parla pas de8ictor.

1I



Lran,ois cro4ait gagner beaucoup en reculant l’heure del’explication.

Gl ne songeait qu’- se "aire oublier% qu’- échapper - l’Kil de sa"emme% travaillant de tout son cKur% de peur que la m)re !ouveau% le

vo4ant oisi"% ne lui crit : Dis donc% toi% puisque tu ne "ais rien% reconduis le petit o5 tu l’as

pris. =Et il travaillait.!es tas de planches diminuaient - vue d’Kil.Dubac avait dé+- "ait trois vo4ages% et la m)re !ouveau% debout

sur la passerelle% son nourrisson dans les bras% avait tout +uste letemps de compter les livraisons au passage.

Dans sa bonne volonté% Lran,ois choisissait des madriers longscomme des mts% épais comme des murs.

>uand la solive était trop lourde% il appelait l’équipage - sonsecours% pour charger.

!’équipage% c’était un matelot - +ambe de bois qui composait - luitout seul le personnel de la /elle#ivernaise.

On l’avait recueilli par charité et gardé par habitude.

!’invalide s’arc#boutait sur sa quille% on soulevait la poutre avecde grands e""orts% et !ouveau% plo4ant sous le "aix% la ceinture tenduesur les reins% descendait lentement le pont volant.

!e mo4en de déranger un homme si occupé @!a m)re !ouveau n’4 pensait pas.Elle allait et venait sur la passerelle% absorbée par imile% qui

tétait.&ou+ours altéré% ce imile 6

3omme son p)re.Altéré% lui% !ouveau 6F pas au+ourd’hui% bien sr.Depuis le matin qu’on travaille% il n’a pas encore été question de

vin blanc. On n’a pas seulement pris le temps de sou""ler% des’éponger le "ront% de trinquer sur le coin d’un comptoir.

*me% tout - l’heure% quand Dubac a proposé d’aller boire unverre% Lran,ois a répondu héroRquement

: lus tard% nous avons le temps. =$e"user un verre 6

1J



!a ménag)re n’4 comprend plus rien% on lui a changé son!ouveau.

On a changé 3lara aussi% car voil- one heures sonnées% et lapetite% qui ne veut +amais rester au lit% n’a pas bougé de la matinée.

Et la m)re !ouveau descend quatre - quatre dans la cabine pourvoir ce qui se passe.

Lran,ois reste sur le pont% les bras ballants% su""oqué comme s’ilvenait de recevoir une solive dans l’estomac.

3ette "ois% ,a 4 est.9a "emme s’est souvenue de 8ictor 0 elle va le remonter avec elle%

et il "audra se mettre en route pour le bureau du commissaire.ais non 0 la m)re !ouveau reparaBt toute seule% elle rit% elle

l’appelle d’un signe.: 8iens donc voir% c’est trop dr(le 6 =!e bonhomme ne comprend rien - cette gaieté subite% et il la suit

comme un automate% les +ambes roides de son émotion.!es deux marmots étaient assis au bord du lit% en chemise% les

pieds nus.Gls s’étaient emparés du bol de soupe que la m)re% en se levant%

avait laissé - la portée des petits bras.’a4ant qu’une cuill)re pour deux bouches% ils s’emptaient - tourde r(le% comme des oisillons dans un nid% et 3lara% qui "aisaittou+ours des "a,ons pour manger sa soupe% tendait son bec - lacuill)re% en riant.

On s’était bien mis un peu de pain dans les 4eux et dans lesoreilles% mais l’on n’avait rien cassé% rien renversé% et les deux bébéss’amusaient de si bon cKur% qu’il n’4 avait pas mo4en de rester

"ché.!a m)re !ouveau riait tou+ours.: uisqu’ils s’entendent si bien que cela% nous n’avons pas besoin

de nous occuper d’eux. =Lran,ois retourna vite - sa besogne% enchanté de la tournure que

prenaient les choses.D’ordinaire% les +ours de livraison% il se reposait% dans la +ournée%

c’est#-#dire qu’il roulait tous les cabarets de mariniers% du oint#du#Mour au quai de /erc4.

1N



Aussi le déchargement traBnait pendant une grande semaine% et lam)re !ouveau ne décolérait pas.

ais% cette "ois% pas de vin blanc% pas de paresse% une rage de bien"aire% un travail "iévreux et soutenu.

De son c(té% comme s’il et compris qu’il "allait gagner sa cause%le petit "aisait bien tout ce qu’il pouvait pour amuser 3lara.

our la premi)re "ois de sa vie% la "illette passa la +ournée sanspleurer% sans se cogner% sans trouer ses bas.

9on camarade l’amusait% la mouchait.Gl était tou+ours disposé - "aire le sacri"ice de sa chevelure pour

arr*ter les larmes de 3lara% au bord des cils.Et elle tirait - pleines mains dans la tignasse embrouillée%

taquinant son grand ami comme un roquet qui mordille un caniche.!a m)re !ouveau vo4ait tout cela de loin.Elle se disait que cette petite bonne d’en"ant était tout de m*me

commode.On pouvait bien garder 8ictor +usqu’- la "in de la livraison. Gl

serait temps de le rendre apr)s% au moment de partir.3’est pourquoi% le soir% elle ne "it pas d’allusion au renvoi du petit%

le gorgea de pommes de terre% et le coucha comme la veille.On aurait dit que le protégé de Lran,ois "aisait partie de la "amilleet% - voir 3lara le serrer par le cou en s’endormant% on devinait que la"illette l’avait pris sous sa protection.

!e déchargement de la /elle#ivernaise dura trois +ours.&rois +ours de travail "orcé% sans une distraction% sans un écart.9ur le midi% la derni)re charrette "ut chargée% le bateau vidé.On ne pouvait prendre le remorqueur que le lendemain% et

Lran,ois passa toute la +ournée caché dans l’entrepont% radoubant lebordage% poursuivi par cette phrase qui% depuis trois +ours% luibourdonnait aux oreilles

: $eporte#le che le commissaire. =Ah 6 ce commissaire 6Gl n’était pas moins redouté dans la cabine de la /elle#ivernaise

que dans la maison de Suignol.

Gl était devenu une esp)ce de croquemitaine dont la m)re !ouveauabusait pour "aire taire 3lara.

1



&outes les "ois qu’elle pronon,ait ce nom redouté% le petit attachaitsur elle ses 4eux inquiets d’en"ant qui a trop t(t sou""ert.

Gl comprenait vaguement tout ce que ce mot contenait de périls -venir.

!e commissaire 6 3ela voulait dire plus de 3lara% plus decaresses% plus de "eu% plus de pommes de terre. ais le retour - la vienoire% aux +ours sans pain% aux sommeils sans lit% aux réveils sansbaisers.

Aussi% comme il se cramponna aux +upes de la m)re !ouveau laveille du départ% quand Lran,ois demanda d’une voix tremblante

: 8o4ons% le reportons#nous% oui ou non @ =!a m)re !ouveau ne répondit pas.On aurait dit qu’elle cherchait une excuse pour garder 8ictor.>uant - 3lara% elle se roulait sur le parquet% su""oquée de larmes%

décidée - avoir des convulsions si on la séparait de son ami.!a "emme de t*te parla gravement.: on pauvre homme% tu as "ait une b*tise% comme tou+ours.: aintenant il "aut la pa4er.: 3et en"ant#l- s’est attaché - nous% 3lara s’est toquée de lui% et ,a

peinerait tout le monde de le voir partir.: Me vais essa4er de le garder% mais +e veux que chacun 4 mette dusien.

: !a premi)re "ois que 3lara aura ses ner"s ou que tu te griseras% +ele reporterai che le commissaire. =

!e p)re !ouveau ra4onnait.3’était dit.Gl ne boirait plus.

Gl riait +usqu’- ses boucles d’oreilles et chantait sur le pont% enroulant son cble% tandis que le remorqueur entraBnait la /elle#ivernaise avec toute une "lottille de bateaux.

2P



CHAPITRE III – EN ROUTE

8ictor était en route.

En route pour la campagne de banlieue% mirant dans l’eau sesmaisonnettes et ses potagers.

En route pour le pa4s blanc des collines cra4euses.En route le long des chemins de halage sonores et dallés.En route pour la montagnette% pour le canal de l’Tonne endormi

dans son lit d’écluses.En route pour les verdures d’hiver et les bois du orvan.Adossé - la barre de son bateau% et ent*té dans sa volonté de ne

pas boire% Lran,ois "aisait la sourde oreille aux invitations deséclusiers et des marchands de vins étonnés de le voir passer au large.

Gl "allait se cramponner - la barre pour emp*cher la /elle#ivernaise d’accoster les cabarets.

Depuis le temps que le vieux bateau "aisait le m*me vo4age% ilconnaissait les stations% et s’arr*tait tout seul comme un chevald’omnibus.

< l’avant% +uché sur une seule patte% l’équipage manKuvraitmélancoliquement une ga""e immense% repoussait les herbes%arrondissait les tournants% accrochait les écluses.

Gl ne "aisait pas grande besogne% bien qu’on entendit +our et nuitsur le pont le clabaudement de sa +ambe de bois.

$ésigné et muet% il était de ceux pour qui tout a mal tourné dans lavie.

'n camarade l’avait éborgné - l’école% une hache l’avait estropié -

la scierie% une cuve l’avait ébouillanté - la ra""inerie.Gl aurait "ait un mendiant% mourant de "aim au bord d’un "ossé% si

21



!ouveau ? qui avait tou+ours eu du coup d’Kil ? ne l’et embauché -la sortie de l’h(pital pour l’aider - la manKuvre.

Q’avait m*me été l’occasion d’une "i)re querelle% autre"ois%exactement comme pour 8ictor.

!a "emme de t*te s’était "chée.!ouveau avait baissé le ne.Et l’équipage avait "ini par rester.< présent il "aisait partie de la ménagerie de la /elle#ivernaise%

au m*me titre que le chat et le corbeau.!e p)re !ouveau gouverna si droit% et l’équipage manKuvra si

+uste% que doue +ours apr)s son départ de aris% la /elle#ivernaise%a4ant remonté le "leuve et les canaux% vint s’amarrer au pont de3orbign4 pour dormir en paix son sommeil d’hiver.

De décembre - la "in de "évrier% les mariniers ne naviguent pas.Gls radoubent leurs bateaux et parcourent les "or*ts pour acheter

sur pied les coupes de printemps.3omme le bois n’est pas cher% on brle beau "eu dans les cabines%

et% si la vente d’automne a bien réussi% ce temps de ch(mage est unrepos +o4eux.

On disposa la /elle#ivernaise pour l’hivernage% c’est#-#dire quel’on décrocha le gouvernail% que l’on cacha le mt de "ortune dansl’entrepont et que toute la place resta libre pour +ouer et pour courirsur la tillac.

>uel changement de vie pour l’en"ant trouvé 6 endant tout levo4age% il était demeuré abasourdi% e""arouché.

On aurait dit un oiseau élevé en cage que la liberté étonne% et quioublie du coup sa roulade et ses ailes.

&rop +eune pour *tre charmé du pa4sage% déroulé sous ses 4eux% ilavait subi pourtant la ma+esté de cette montée du "leuve entre deuxhorions "u4ants.

!a m)re !ouveau% qui le vo4ait sauvage et taciturne% répétait dumatin au soir

: Gl est sourd#muet 6 =on% il n’était pas muet% le petit arisien du "aubourg du &emple 6

>uand il eut bien compris qu’il ne r*vait pas% qu’il ne retourneraitplus dans sa mansarde% et que malgré les menaces de la m)re

22



!ouveau% on n’avait plus grand#chose - craindre du commissaire% salangue se délia.

3e "ut l’épanouissement d’une "leur de cave% que l’on porterait surune croisée.

Gl cessa de se blottir dans les coins avec une sauvagerie de "urettraqué.

9es 4eux en"oncés sous son "ront bombé perdirent leur mobilitéinqui)te% et% bien qu’il restt plot et de mine ré"léchie% il apprit - rireavec 3lara.

!a "illette aimait passionnément son camarade% comme on aime -cet ge#l-% pour le plaisir de se quereller et de se raccommoder.

/ien qu’elle "t t*tue comme une petite bourrique% elle avait uncKur tr)s tendre% et il su""isait de parler du commissaire pour la "aireobéir.

On était - peine arrivé - 3orbign4 qu’une nouvelle soeur vint aumonde.

imile avait tout +uste dix#huit mois% et cela "it bien des berceauxdans la cabine% bien de la besogne aussi 0 car% avec toutes les chargesque l’on avait% il n’était pas possible de pa4er une servante.

!a m)re !ouveau bougonnait - "aire trembler la +ambe de bois del’équipage.ersonne ne la plaignait dans le pa4s. *me% les pa4sans ne se

g*n)rent pas pour dire leur "a,on de penser - . le curé qui proposaitle marinier pour exemple.

: &out ce que vous voudre% monsieur le curé% ,a n’a pas de bonsens% quand on a trois en"ants - soi% d’aller ramasser ceux des autres.

: ais les !ouveau ont tou+ours été comme cela. =

: 3’est la gloriole qui les tient% et tous les conseils qu’on leurdonnera ne les changeront pas. =

On ne leur souhaitait pas de mal% mais on n’aurait pas été "chéqu’ils re,ussent une le,on.

. le curé était un brave homme sans malice% qui devenaitaisément de l’avis des autres% et "inissait par se rappeler un passagede l’Ucriture ou des )res pour se rassurer lui#m*me sur ses

revirements.: es paroissiens ont raison% se disait#il en passant la main sous

2



son menton mal rasé.: Gl ne "aut pas tenter la divine rovidence. =ais% comme - tout prendre% les !ouveau étaient de braves gens%

il leur "it% - l’ordinaire% sa visite pastorale.

Gl trouva la m)re taillant des culottes pour 8ictor dans une vieillevareuse% car le mioche était arrivé sans bagage et la ménag)re nepouvait sou""rir des loques autour d’elle.

Elle donna un banc - . le curé% et comme il lui parlait de 8ictor%insinuant que% peut#*tre% avec la protection de onseigneur% onpourrait le "aire entrer - l’orphelinat d’Autun% la m)re !ouveau% quiavait son "ranc#parler avec tout le monde% répondit brusquement

: >ue le petit soit une charge pour nous autres% ,a c’est sr%monsieur le curé 0 m’est avis que% en me l’apportant% Lran,ois aprouvé une "ois de plus qu’il n’était pas un aigle.

: Me n’ai pas le cKur plus dur que le p)re 0 si +’avais rencontré8ictor% ,a m’aurait "ait de la peine% pourtant +e l’aurais laissé o5 ilétait.

: ais maintenant qu’on l’a pris% ce n’est pas pour s’en dé"aire%et% si% un +our% nous nous trouvons dans l’embarras - cause de lui%

nous n’irons pas demander la charité - personne. =< ce moment 8ictor entra dans la cabine% portant imile - soncou.

!e marmot% "urieux d’avoir été sevré% se vengeait en re"usant deposer le pied - terre.

Gl "aisait ses dents et mordait le monde.Umu de ce spectacle% . le curé étendit la main sur la t*te de

l’en"ant trouvé% et dit solennellement

: Dieu bénit les grandes "amilles. =Et il s’en alla% enchanté d’avoir trouvé dans ses souvenirs une

sentence si appropriée - la situation.Elle n’avait pas menti% la m)re !ouveau% en disant que 8ictor était

maintenant de la "amille.&out en bougonnant% tout en parlant sans cesse de reporter le petit

che le commissaire% la "emme de t*te s’était attachée au pauvre plot

qui ne quittait pas ses +upes.>uand !ouveau trouvait qu’on en "aisait trop% elle répondait

27



invariablement : Gl ne "allait pas le prendre. =D)s qu’il eut sept ans% elle l’envo4a - l’école avec 3lara.3’était tou+ours 8ictor qui portait le panier et les livres.

Gl se battait vaillamment pour dé"endre le goter contre l’appétitsans scrupules des +eunes orvandiaux.

Gl n’avait pas moins de courage au travail qu’- la bataille% et% bienqu’il ne suivit l’école qu’en hiver% quand on ne naviguait pas% il ensavait plus% - son retour% que les petits pa4sans% lourds et bru4antscomme leurs sabots% qui billaient doue mois de suite surl’abécédaire.

8ictor et 3lara revenaient de l’école par la "or*t.!es deux en"ants s’amusaient - regarder les bcherons saper les

arbres.3omme 8ictor était léger et adroit% on le "aisait grimper - la cime

des sapins pour attacher la corde qui sert - les abattre. Gl paraissaitplus petit - mesure qu’il montait% et quand il arrivait en haut% 3laraavait tr)s peur.

!ui% brave% se balan,ait tout expr)s pour la taquiner.

D’autres "ois% ils allaient voir . augendre - son chantier.!e charpentier était un homme maigre et sec comme une douve.Gl vivait seul% en dehors du village% en pleine "or*t.On ne lui connaissait pas d’amis.!a curiosité villageoise avait été longtemps intriguée par la

solitude et le silence de cet inconnu qui était venu% du "ond de lai)vre% monter un chantier - l’écart des autres.

Depuis six ans% il travaillait par tous les temps% sans +amais

ch(mer% comme un homme - la peine% bien qu’il passt pour avoirbeaucoup de : denrée =% "it de gros marchés et allt souvent consulterle notaire de 3orbign4 sur le placement de ses économies.

'n +our il avait dit - . le curé qu’il était veu".On n’en savait pas plus.>uand augendre vo4ait arriver les en"ants% il posait sa scie% et

laissait l- sa besogne pour causer avec eux.

Gl s’était pris d’a""ection pour 8ictor. Gl lui enseignait - tailler descoques de bateau dans des éclats de bois.

2C



'ne "ois% il lui dit : &u me rappelles un en"ant que +’ai perdu. =Et% comme s’il et craint d’en avoir trop conté% il a+outa : Oh 6 il 4 a longtemps% bien longtemps. =

'n autre +our% il dit au p)re !ouveau : >uand tu ne voudras plus de 8ictor% donne#le#moi.: Me n’ai pas d’héritiers% +e "erai des sacri"ices% +e l’enverrai - la

ville% au coll)ge. Gl passera des examens% il entrera - l’école"oresti)re. =

ais Lran,ois était encore dans le "eu de sa belle action. Gl re"usa%et augendre attendit patiemment que l’accroissement progressi" dela "amille !ouveau% ou quelque embarras d’argent% dégott lemarinier des adoptions.

!e hasard parut vouloir exaucer ses vKux.En e""et% on et pu croire que le guignon s’était embarqué sur la

/elle#ivernaise en m*me temps que 8ictor.Depuis ce moment#l-% tout allait de travers.!e bois se vendait mal.!’équipage se cassait tou+ours quelque membre la veille des

livraisons.En"in% un beau +our% au moment de partir pour aris% la m)re!ouveau tomba malade.

Au milieu des hurlements des marmots% Lran,ois perdait la t*te.Gl con"ondait la soupe et les tisanes.Gl impatientait si "ort la malade par ses sottises qu’il renon,a - la

soigner et laissa "aire 8ictor.our la premi)re "ois de sa vie% le marinier acheta son bois.

Gl avait beau entortiller les arbres avec ses "icelles% prendre trente#six "ois de suite la m*me mesure% il se trompait tou+ours dans lecalcul% ? vous save le "ameux calcul

Me multiplie% +e multiplieF3’était la m)re !ouveau qui savait ,a 6Gl exécuta la commande tout de travers% se mit en route pour aris

avec une grosse inquiétude% tomba sur un acheteur malhonn*te% qui

pro"ita de la circonstance pour le rouler.Gl revint au bateau le cKur bien gros% s’assit au pied du lit% et dit

2I



d’une voix désolée : a pauvre "emme% tche de te guérir ou nous sommes perdus. =!a m)re !ouveau se remit lentement. Elle se débattit contre la

mauvaise chance% "it l’impossible pour +oindre les deux bouts.

9’ils avaient eu de quoi acheter un bateau neu"% ils auraient purelever leur commerce% mais on avait dépensé toutes les économiespendant les +ours de maladie% et les béné"ices passaient - boucher lestrous de la /elle#ivernaise qui n’en pouvait plus.

8ictor devint une lourde charge pour eux.3e n’était plus l’en"ant de quatre ans qu’on habillait dans une

vareuse et que l’on nourrissait par#dessus le marché.Gl avait doue ans% maintenant 0 il mangeait comme un homme%

bien qu’il "t resté maigrichon% tout en ner"s et qu’on ne pt encoresonger - lui "aire manKuvrer la ga""e% ? quand l’Uquipage se cassaitquelque chose.

Et tout allait de mal en pis. On avait eu grand#peine au derniervo4age% - remonter la 9eine +usqu’- 3lamec4.

!a /elle#ivernaise "aisait eau de toutes parts 0 les raccords nesu""isaient plus% il aurait "allu radouber toute la coque% ou plut(t

mettre la barque au rancart et la remplacer.'n soir de mars% c’était la veille de l’appareillage pour aris%comme !ouveau tout soucieux prenait congé de augendre% apr)savoir réglé son compte de bois% le charpentier lui o""rit de venir boireune bouteille dans sa maison.

: M’ai - te causer% Lran,ois. =Gls entr)rent dans la cabane.augendre remplit deux verres et ils s’attabl)rent en "ace l’un de

l’autre.: Me n’ai pas tou+ours été isolé comme tu vois% !ouveau.: Me me rappelle un temps o5 +’avais tout ce qu’il "aut pour *tre

heureux 0 un peu de bien et une "emme qui m’aimait.: M’ai tout perdu.: ar ma "aute. =Et le charpentier s’interrompit 0 l’aveu qu’il avait dans la gorge

l’étranglait.: Me n’ai +amais été un méchant homme% Lran,ois. ais +’avais un

2J



vice. ; &oi @ ; Me l’ai encore.: M’aime la : denrée = par#dessus tout.

: 3’est ce qui a causé mes malheurs. ; 3omment ,a% mon pauvre augendre @ ; Me vais te le dire.: 9it(t marié% quand nous avons eu notre en"ant% l’idée m’est

venue d’envo4er ma "emme - aris% chercher une place de nourrice.: Qa rapporte gros% quand le mari a de l’ordre et qu’il sait

conduire sa maison tout seul.: a "emme ne voulait pas se séparer de son moutard.: Elle me disait : ais mon homme% nous gagnons asse d’argent comme ,a 6: !e reste serait de l’argent maudit 6: Gl ne nous pro"iterait pas.: !aisse ces ressources#l- aux pauvres ménages dé+- chargés

d’en"ants% et épargne#moi le chagrin de vous quitter.: Me n’ai rien voulu écouter% !ouveau% et +e l’ai "orcée - partir.

; Eh bien @ ; Eh bien% quand ma "emme a eu trouvé une place% elle a donnéson en"ant - une vieille pour le ramener au pa4s.

: Elle les a accompagnés au chemin de "er.: Depuis on n’en a plus +amais entendu parler. ; Et ta "emme% mon pauvre augendre @ ; >uand on lui a appris la nouvelle% ,a a "ait tourner son lait.: Elle est morte. =

Gls se turent tous deux% !ouveau ému de ce qu’il venait d’entendre%augendre accablé par ses souvenirs.

3e "ut le charpentier qui parla le premier : our me punir% +e me suis condamné - l’existence que +e m)ne.: M’ai vécu doue ans - l’écart de tous.: Me n’en peux plus. M’ai peur de mourir seul.: 9i tu as pitié de moi% tu me donneras 8ictor% pour me remplacer

l’en"ant que +’ai perdu. =!ouveau était tr)s embarrassé.

2N



8ictor leur cotait cher.ais% si on se séparait de lui au moment on il allait pouvoir se

rendre utile% tous les sacri"ices qu’on s’était imposés pour l’éleverseraient perdus.

augendre devina sa pensée : Gl va sans dire% Lran,ois% que% si tu me le donnes% +e te

dédommagerai de tes "rais.: Qa serait aussi une bonne a""aire pour le petit. Me ne peux +amais

voir les él)ves "orestiers dans les bois sans me dire M’aurais pu "airede mon gar,on un monsieur comme ces messieurs#l-.

: 8ictor est laborieux et il me plaBt. &u sais bien que +e le traiteraicomme mon "ils.

: 8o4ons% est#ce dit @ =On en causa le soir% les en"ants couchés dans la cabine de la /elle#

ivernaise.!a "emme de t*te essa4a de raisonner.: 8ois#tu% Lran,ois% nous avons "ait pour cet en"ant#l- tout ce que

nous avons pu.: Dieu sait qu’on désirait le garder 6

: ais% puisqu’il s’o""re une occasion de nous séparer de lui sansle rendre malheureux% il "aut tcher d’avoir du courage. =Et% malgré eux% les 4eux se tourn)rent vers le lit% o5 8ictor et

imile dormaient d’un sommeil d’en"ants% calme et abandonné.: auvre petit 6 = dit Lran,ois d’une voix douce.Gls entendaient la rivi)re clapoter le long du bordage% et% de temps

en temps% le si""let du chemin de "er déchirant la nuit.!a m)re !ouveau éclata en sanglots

: Dieu aie pitié de nous% Lran,ois% +e le garde 6 =

2



CHAPITRE IV – LA VIE EST RUDE

8ictor touchait - ses quine ans.

Gl avait poussé tout d’un coup% le petit plot% devenant un "ort garsaux épaules larges% aux gestes tranquilles.

Depuis le temps qu’il naviguait sur la /elle#ivernaise% ilcommen,ait - connaBtre son chemin comme un vieux marinier%nommant les bas#"onds% "lairant les hauteurs d’eau% passant desmanKuvres de la perche - celles du gouvernail.

Gl portait la ceinture rouge et la vareuse bou""ante autour des reins.>uand le p)re !ouveau lui abandonnait la barre% 3lara% qui se

"aisait grande "ille% venait tricoter - c(té de lui% éprise de sa "igurecalme et de ses mouvements robustes.

3ette "ois#l-% la route de 3orbign4 - aris avait été rude.Srossie par les pluies d’automne% la 9eine avait "ait tomber les

barrages% et se ruait vers la mer comme une b*te échappée.!es mariniers inquiets htaient leurs livraisons% car le "leuve

roulait dé+- au ras des quais% et les dép*ches% envo4ées d’heure en

heure par les postes d’éclusiers annon,aient de mauvaises nouvelles.On disait que les a""luents rompaient leurs digues% inondaient lacampagne% et la crue montait% montait.

!es quais étaient envahis par une "oule a""airée% grouillementd’hommes% de charrettes et de chevaux 0 au#dessus les grues - vapeurmanKuvraient leur grand bras.

!a Halle aux vins était dé+- débla4ée.Des camions emportaient des caisses de sucre.

!es loueurs quittaient leurs cabines 0 les quais se vidaient 0 et la"ile des charrois% gravissant la pente des rampes% "u4ait la crue

P



comme une armée en marche.$etardés par la brutalité des eaux et les relches des nuits sans

lune% les !ouveau désespéraient de livrer leur bois - temps.&out le monde avait mis la main - la besogne% et l’on travaillait

"ort tard dans la soirée - la lueur des becs de ga du quai et deslanternes.

< one heures% toute la cargaison était empilée au pied de larampe.

3omme la charrette de Dubac% le menuisier% ne reparaissait pas% onse coucha.

3e "ut une terrible nuit% pleine de grincements de chaBnes% decraquements de bordages% de chocs de bateaux.

!a /elle#ivernaise% disloquée par les secousses% poussait desgémissements comme un patient - la torture.

as mo4en de "ermer l’Kil.!e p)re !ouveau% sa "emme% 8ictor et l’Uquipage se lev)rent -

l’aube% laissant les en"ants dans leur lit.!a 9eine avait encore monté dans la nuit.Houleuse et vaguée comme une mer% elle coulait verte sous le ciel

bas.9ur les quais% pas un mouvement de vie.9ur l’eau% pas une barque.ais des débris de toits et de cl(tures charriés au "il du courant.Au#del- des ponts% la silhouette de otre#Dame% estompée dans le

brouillard.Gl ne "allait pas perdre une seconde% car le "leuve avait dé+- "ranchi

les parapets du bas port% et les vaguettes% léchant le bout des

planches% avaient "ait écrouler les piles de bois.< mi#+ambes dans l’eau% Lran,ois% la m)re !ouveau et Dubac

chargeaient la charrette.&out d’un coup% un grand bruit% - c(té d’eux% les e""ra4a.'n chaland% chargé de pierres meuli)res brisant sa chaBne% vint

couler bas contre le quai% "endu de l’étrave - l’étambot.Gl 4 eut un horrible déchirement suivi d’un remous.

Et% comme ils restaient immobiles% terri"iés par ce nau"rage% ilsentendirent une clameur derri)re eux.

1



DéchaBnée par la secousse% la /elle#ivernaise se détachait dubord.

!a m)re !ouveau poussa un cri : es en"ants 6 =

8ictor s’était dé+- précipité dans la cabine.Gl reparut sur le pont% le petit dans les bras.3lara et imile le suivaient% et tous tendaient les mains vers le

quai.: rene#les 6 ; 'n canot 6 ; 'ne corde 6 =>ue "aire @as mo4en de les passer tous - la nage.Et l’Uquipage qui courait d’un bordage - l’autre% inutile% a""olé 6Gl "allait accoster - tout prix.En "ace de cet homme égaré et de ces petits sanglotants% 8ictor

improvisé capitaine se sentit l’énergie qu’il "allait pour les sauver.Gl commandait : Allons 6 Mette une amarre 6

: Dép*che#toi 6 ; Attrape 6 =Gls recommenc)rent par trois "ois.ais la /elle#ivernaise était dé+- trop loin du quai% le cble

tomba dans l’eau.Alors 8ictor courut au gouvernail% et on l’entendit qui criait : A4e pas peur 6 Me m’en charge 6 =En e""et% d’un vigoureux coup de barre il redressa l’embarcation

qui s’en allait% prise de "lanc% - la dérive.9ur le quai% !ouveau perdait la t*te.Gl voulait se +eter - l’eau pour re+oindre ses en"ants% mais Dubac

l’avait saisi - bras#le#corps% pendant que la m)re !ouveau se couvraitla "igure avec les mains pour ne pas voir.

aintenant la /elle#ivernaise tenait le courant et "ilait avec lavitesse d’un remorqueur sur le pont d’Austerlit.

&ranquillement adossé - la barre% 8ictor gouvernait% encourageaitles petits% donnait des ordres - l’Uquipage.

2



Gl était sr d’*tre dans la bonne passe% car il avait manKuvré droitsur le drapeau rouge pendu au milieu de la maBtresse#arche pourindiquer la route aux mariniers.

ais aurait#on la hauteur de passer% mon Dieu 6

Gl vo4ait le pont se rapprocher tr)s vite.: < ta ga""e% l’Uquipage 6 &oi% 3lara% ne lche pas les en"ants. =Gl se cramponnait au gouvernail.Gl sentait dé+- le vent de l’arche dans ses cheveux.On 4 était.Emportée par son élan% la /elle#ivernaise disparut sous la travée%

avec un bruit épouvantable% mais non pas si vite% que la "oule%amassée sur le pont d’Austerlit% n’aper,t le matelot - la +ambe debois manquer son coup de ga""e% et tomber - plat ventre% tandis quel’en"ant criait du gouvernail

: 'n grappin 6 un grappin 6 =!a /elle#ivernaise était sous le pont.Dans l’ombre de l’arche% 8ictor distinguait nettement les énormes

anneaux scellés dans l’assise des piles% les +oints de la vote au#dessus de sa t*te% et% dans la perspective% l’en"ilade des autres ponts

encadrant des pans de ciel.uis ce "ut comme un élargissement d’horion% un éblouissementde plein air au sortir d’une cave% un bruit de hourras au#dessus de sat*te% et la vision de la cathédrale% ancrée sur le "leuve comme une"régate.

!e bateau s’arr*ta net.Des pontiers avaient réussi - lancer un croc dans le bordage.8ictor courut - l’amarre et enroula solidement le cble autour de

la corde.On vit la /elle#ivernaise virer de bord% pivoter sur l’amarre et%

cédant - l’impulsion nouvelle qui la halait% accoster lentement le quaide la &ournelle% avec son équipage de marmots et son capitaine dequine ans.

Oh 6 quelle +oie% le soir% de se compter tous autour du "ricot"umant% dans la cabine du bateau ? cette "ois bien ancré% bien amarré.

!e petit héros - la place d’honneur% ? la place du capitaine.On n’avait pas beaucoup d’appétit% apr)s la rude émotion du



matin% mais les cKurs étaient dilatés% comme - la suite des angoisses.On respirait largement.On clignait de l’Kil au travers de la table pour se dire : Hein 6 tout de m*me% si nous l’avions reporté che le

commissaire @ =Et le p)re !ouveau riait +usqu’aux oreilles% promenant un regard

mouillé sur sa couvée.On aurait dit qu’il leur était arrivé une bonne "ortune% que la /elle#

ivernaise n’avait plus un trou dans les c(tes% qu’ils avaient gagné legros lot - la loterie.

!e marinier assommait 8ictor de coups de poings.'ne "a,on de lui témoigner sa tendresse.: tin de 8ictor 6: >uel coup de barre 6: As#tu vu ,a% l’Uquipage @: Me n’aurais pas mieux "ait% hé 6 hé 6 moi% le patron. =!e bonhomme en eut pour quine +ours - pousser des exclamation%

- courir les quais pour raconter le coup de barre.: 8ous comprene

: !e bateau drossait.: Alors lui : 8lan 6 =Et il "aisait un geste pour indiquer la manKuvre.endant ce temps la 9eine baissait et le moment approchait de

repartir.'n matin% comme 8ictor et !ouveau pompaient sur le tillac% le

"acteur apporta une lettre.

Gl 4 avait un cachet bleu derri)re.!e marinier ouvrit la lettre d’une main un peu tremblante% et%

comme il n’était pas beaucoup plus "ort sur la lecture que sur lecalcul% il dit - 8ictor

: Upelle#moi ,a% toi. =Et 8ictor lut /'$EA' D' 3OG99AG$E DE O!G3E

VGGe A$$ODG99EE&: onsieur !ouveau WLran,oisX% patron#marinier est invité -

7



passer dans le plus bre" délai au cabinet du commissaire de police. =: 3’est tout @ ; 3’est tout. =!ouveau s’absenta toute la +ournée.

>uand il rentra% le soir% toute sa gaieté avait disparuFGl était sombre% hargneux% taciturne.!a m)re !ouveau n’4 comprenait rien% et% comme les petits étaient

montés sur le pont pour +ouer% elle lui demanda : >u’est#ce qui se passe @ ; M’ai des ennuis. ; < cause de ta livraison @ ; on% - propos de 8ictor. =Et il conta sa visite au commissaire.: &u sais% cette "emme qui l’a abandonné @ 3e n’était pas sa m)re. ; Ah 6 bah 6 ; Elle l’avait volé. ; 3omment le sait#on @ ; 3’est elle#m*me qui l’a avoué au commissaire avant de mourir. ; ais alors on t’a dit le nom de ses parents @ =

!ouveau tressaillit.: ourquoi veux#tu qu’on me l’ait dit 6 ; Dame 6 puisqu’on t’a "ait demander. =Lran,ois se "cha.: 9i +e le savais% +e te le dirais peut#*tre @ =Gl était tout rouge de col)re% et il sortit en claquant la porte.!a m)re !ouveau resta interdite.: >u’est#ce qu’il a donc @ =

Oui% qu’est#ce qu’il avait donc% Lran,ois @< partir de ce +our% ses "a,ons% ses paroles% son caract)re% tout "ut

changé en lui.Gl ne mangeait plus% il dormait mal% il parlait la nuit.Gl répondait - sa "emme 6Gl querellait l’Uquipage% rudo4ait tout le monde% et 8ictor plus que

les autres.

>uand la m)re !ouveau% étonnée% lui demandait ce qu’il avait% ilrépondait brutalement

C



: Me n’ai rien.: Est#ce que +’ai l’air d’avoir quelque chose @: 8ous *tes tous con+urés contre moi. =!a pauvre "emme 4 perdait sa peine

: Gl devient "ou% ma parole 6 =Elle le crut tout - "ait toqué% lorsque% un beau soir% il leur "it une

sc)ne épouvantable - propos de augendre.On était au bout du vo4age et l’on allait arriver - 3lamec4.8ictor et 3lara causaient de l’école% et le gar,on a4ant dit qu’il

aurait du plaisir - revoir augendre% le p)re !ouveau s’emporta : !aisse#moi tranquille avec ton augendre.: Me ne veux plus avoir a""aire - lui. =!a m)re intervint : >u’est#ce qu’il t’a "ait @ ; Gl m’a "aitF Gl m’a "aitF Qa ne te regarde pas. Me suis le

maBtre% peut#*tre 6 =Hélas 6 il était si bien le maBtre maintenant% que% au lieu de

relcher - 3orbign4% comme - l’habitude% il remonta deux lieues plushaut% en pleine "or*t.

Gl déclara que augendre ne songeait qu’- le rouler dans tous sesmarchés% et qu’il "erait de meilleures a""aires avec un autre vendeur.On était trop loin du village pour songer - aller en classe.8ictor et 3lara couraient les bois toute la +ournée pour "aire du

"agot.>uand ils étaient las de porter leur charge% ils la déposaient au dos

d’un "ossé et s’asse4aient par terre au milieu des "leurs.8ictor tirait un livre de sa poche et "aisait lire 3lara.

Gls aimaient - voir le soleil% "iltrant au travers des branches% +eterdes lumi)res tremblantes sur leur page et sur leurs cheveux. Autourd’eux% le bourdonnement des milliers de petites b*tes 0 au loin% lecalme des bois.

>uand on s’était attardé% il "allait revenir bien vite tout du long dela grande avenue% barrée par l’ombre des troncs.

Au bout on apercevait dans une éclaircie le mt de la /elle#

ivernaise et la lueur d’un "eu dans le brouillard léger qui montait dela rivi)re.

I



3’était la m)re !ouveau qui cuisinait en plein vent au bord del’eau% sur un "eu de bourrée.

r)s d’elle% imile ébouri""é comme un plumeau% sa chemisecrevant les culottes% surveillait amoureusement la marmite.

!a petite sKur se roulait par terre.!’Uquipage et !ouveau "umaient leurs pipes.'n soir% - l’heure de la soupe% ils virent quelqu’un sortir du bois et

venir - eux.: &iens% augendre 6 =3’était le charpentier./ien vieilli% bien blanchi.Gl avait un bton - la main% et semblait oppressé en parlant.Gl vint - !ouveau et lui tendit la main.: Eh bien 6 &u m’as donc quitté% Lran,ois @ =!e marinier bredouilla une réponse embarrassée.: Oh 6 +e ne t’en veux pas. =Gl avait l’air si las que la m)re !ouveau en "ut touchée.9ans prendre garde - la mauvaise humeur de son mari% elle lui

o""rit un banc pour s’asseoir.

: 8ous n’*tes pas malade au moins% monsieur augendre @ ; M’ai pris un mauvais "roid. = Gl parlait lentement% presque bas.!a peine l’avait adouci.Gl conta qu’il allait quitter le pa4s pour aller vivre au "ond de la

i)vre.: 3’est "ini 0 +e ne "erai plus le commerce.: Me suis riche maintenant 0 +’ai de l’argent% beaucoup d’argent.: ais - quoi bon @

: Me ne peux pas racheter le bonheur que +’ai perdu. =Lran,ois écoutait% les sourcils "roncés.augendre continua : lus +e vieillis% plus +e sou""re d’*tre seul.: Autre"ois% +’oubliais encore en travaillant 0 mais - présent% +e

n’ai plus le cKur - la besogne.: Me n’ai plus de got - rien.

: Aussi% +e vais me dépatrier% ,a me distraira peut#*tre. =Et% comme malgré lui% ses 4eux se tournaient vers les en"ants.

J



< ce moment 8ictor et 3lara débouch)rent de l’avenue avec leurcharge de ramée.

En apercevant augendre% ils +et)rent leurs "agots et coururent -lui.

Gl les accueillit amicalement comme tou+ours% et dit - !ouveau%qui restait sombre

: &u es heureux% toi% tu as quatre en"ants. oi% +e n’en ai plus. =Et il soupira : Me n’ai rien - dire% c’est de ma "aute. = Gl s’était levé.&out le monde l’imita.: Adieu% 8ictor. &ravaille bien et aime tes parents% tu le dois. =Gl lui avait posé la main sur l’épaule% il le regardait longuement : Dire que si +’avais un en"ant% il serait comme lui. =En "ace% !ouveau% la bouche col)re% avait un air de dire : ais va#t#on donc 6 =ourtant au moment o5 le charpentier s’en allait% Lran,ois eut un

élan de pitié et l’appela : augendre% tu ne manges pas la soupe avec nous @ =3’était dit comme malgré soi% d’un ton brusque qui décourageait

d’accepter.!e vieux secoua la t*te.: erci% +e n’ai pas "aim.: !e bonheur des autres% vois#tu% ,a "ait mal quand on est bien

triste. =Et il s’éloigna% courbé sur sa canne.!ouveau ne pronon,a pas une parole de la soirée.Gl passa la nuit - marcher sur le pont et% le matin% sortit sans rien

dire - personne.Gl se rendit au presb4t)re.!a maison du curé était voisine de l’église.3’était une grande btisse carrée avec une cour par#devant et un

potager derri)re.Des poules picoraient sur le seuil.'ne vache - l’attache beuglait dans l’herbage.

!ouveau se sentait le cKur allégé par sa résolution.En ouvrant la barri)re% il se dit avec un soupir de satis"action qu’il

N



serait débarrassé de son souci quand il sortirait.Gl trouva . le curé assis au "rais dans sa salle - manger.!e pr*tre avait "ini son repas et sommeillait lég)rement% la t*te

inclinée sur son bréviaire.

$éveillé par l’entrée de !ouveau% il marqua la page% et a4ant"ermé le livre% "it asseoir le marinier qui tournait sa casquette entreses doigts.

: 8o4ons% Lran,ois% que me voule#vous @ =Gl voulait un conseil% et il demanda la permission de conter tout du

long son histoire.: arce que% vous save% monsieur le curé% +e ne suis pas bien "ort.

Me ne suis pas un aigle% hé 6 hé 6 comme dit ma "emme. =Et mis - l’aise par ce préambule% il narra son a""aire% tr)s

essou""lé% tr)s rouge% en considérant obstinément la visi)re de sacasquette.

: 8ous vous souvene% monsieur le curé% que augendre vous adit qu’il était veu" @

: Gl 4 a quine ans de ,a 0 sa "emme était venue - aris pour "aireune nourriture.

: Elle avait montré son en"ant au médecin comme c’était l’usage%elle lui avait donné - téter une derni)re goutte% et puis elle l’avaitcon"ié - une meneuse. =

!e pr*tre l’interrompit : >u’est#ce que c’est qu’une meneuse% Lran,ois @ ; 3’est une "emme% monsieur le curé% que l’on charge de

reconduire au pa4s les en"ants des nourrices.: Elle les emporte - la hotte% dans un panier% comme de pauvres

petits chats. ; Dr(le de métier 6 ; Gl 4 a des honn*tes gens pour le "aire% monsieur le curé.: ais la m)re augendre était tombée sur une "emme qu’on ne

connaissait pas% une sorci)re qui volait les en"ants et les louait -d’autres "ainéantes% pour les trimbaler dans la rue et "aire pitié aumonde.

; >u’est#ce que vous me conte l-% Lran,ois @ ; !a vérité toute pure% monsieur le curé.



: 3ette coquine de "emme#l- a enlevé un tas d’en"ants% et lemioche de augendre avec les autres.

: Elle l’a gardé +usqu’- quatre ans.: Elle voulait lui apprendre - mendier% mais c’était le "ils d’un

brave homme% il re"usait de tendre la main.: Alors% elle l’a abandonné dans la rue% et puis% deviens ce que tu

peux 6: ais voil- que% il 4 a six mois% - l’h(pital% au moment de

mourir% un remords l’a prise.: Me sais ce que c’est% monsieur le curé% ,a "ait diablement

sou""rir. =Et il leva les 4eux au pla"ond% comme pour +urer qu’il ne mentait

pas% le pauvre homme.: Alors% elle a demandé le commissaire.: Elle lui a dit le nom de l’en"ant.: !e commissaire me l’a répété.: 3’est 8ictor. =. le curé laissa tomber son bréviaire.: 8ictor est le "ils de augendre @

; 3’est sr. =!’ecclésiastique n’en revenait pas.Gl balbutia une phrase o5 l’on distinguait les mots deF pauvre

en"antF doigt de DieuFGl se leva% marcha dans la chambre% s’approcha de la "en*tre% se

versa un verre d’eau% et "init par s’arr*ter en "ace de !ouveau lesmains en"oncées dans sa ceinture.

Gl cherchait une sentence qui s’appliqut - l’événement% et% comme

il n’en trouvait pas% il dit simplement : Eh bien 6 mais il "aut le rendre - son p)re. =!ouveau tressaillit.: 8oil- +ustement mon ennui% monsieur le curé.: Depuis six mois que +e sais ,a% +e n’ai eu le courage de rien dire

- personne% pas m*me - ma "emme.: ous nous sommes donné tant de mal pour élever cet en"ant#l- 0

nous avons eu tant de mis)re ensemble% que% au+ourd’hui% +e ne saisplus comment +e "erais pour m’en séparer. =

7P



&out ,a% c’était vrai% et si augendre semblait - plaindre% onpouvait bien avoir aussi pitié du pauvre Lran,ois.

ris entre ces attendrissements contradictoires% . le curé suait -grosses gouttes% appelait mentalement les lumi)res d’en haut.

Et% oubliant que !ouveau était venu lui demander un avis% ilarticula d’une voix étou""ée

: 8o4ons% Lran,ois% mette#vous - ma place% que conseillerie#vous @ =

!e marinier baissa la t*te.: Me vois bien qu’il "audra rendre 8ictor% monsieur le curé.: M’ai senti ,a l’autre +our quand augendre est venu nous

surprendre% il m’a "endu le cKur - le voir si vieux% si triste et si cassé.: M’étais honteux comme si +’avais eu de l’argent - lui% de l’argent

volé% dans ma poche.: Me ne pouvais plus porter mon secret tout seul% +e suis venu vous

le dire. ; Et vous ave bien "ait% !ouveau% dit . le curé% enchanté de

voir le marinier lui "ournir une solution.: Gl n’est +amais trop tard pour réparer une "aute.

: Me vais vous accompagner che augendre.: 8ous lui avouere tout. ; Demain% monsieur le curé 6 ; on% Lran,ois% tout de suite. =Et% vo4ant la douleur du bonhomme% le tortillement convulsi" de

sa casquette% il implora d’une voix "aible : Me vous en prie% !ouveau% pendant que nous sommes décidés

tous les deux 6

71



CHAPITRE V – LES AMBITIONS DEMAUGENDRE

'n "ils 6augendre a un "ils 6Gl le couve des 4eux% assis en "ace de lui% sur la banquette du

Yagon% qui les emporte en bourdonnant sur evers.3’est un véritable enl)vement.!e vieux a emporté son "ils presque sans dire merci% comme un

manant qui a gagné le gros lot% et se sauve avec.

Gl n’a pas voulu laisser son en"ant ouvert - toutes les a""ectionsanciennes.Gl a l’avarice de la tendresse% comme il a eu celle de l’or.as d’emprunt 6 pas de partage 6ais son trésor - lui tout seul% sans 4eux autour pour le guigner.!es oreilles de augendre bourdonnent comme l’express.9a t*te est chau""ée comme la locomotive.Et son r*ve roule plus vite que toutes les locomotives et que tous

les express% "ranchissant d’un élan les +ours% les mois% les années.3e qu’il r*ve c’est un 8ictor de vingt ans% boutonné d’argent%

habillé de vert sombre.'n él)ve de l’école "oresti)re 6On dirait m*me que l’él)ve augendre a l’épée au c(té et le

bicorne sur l’oreille% ? comme un pol4technicien 0 ? ,a toutes lesécoles et tous les uni"ormes sont un peu m*lés dans le r*ve deaugendre.

Et qu’importe 6!es galons et les dorures ne cotent pas au charpentier.

72



On a de la : denrée = pour pa4er tout ,aF Et 8ictor sera un: monsieur = chamarré des pieds - la t*te.

!es hommes lui parleront chapeau bas.!es belles dames en seront "olles.

Et% dans un coin% il 4 aura un vieux aux mains calleuses qui dira ense rengorgeant

: 8oil- mon "ils 6: Allons% mon "ils 6 =Gl songe aussi% : mon "ils =% son petit béret sur les 4eux% ? en

attendant le tricorne doré.Gl ne voudrait pas que son p)re le vit pleurer.Qa été si brusque la séparation 63lara lui a donné un baiser qui lui brle encore la +oue.!e p)re !ouveau s’est détourné.!a m)re !ouveau était toute ple.Et imile lui a apporté son écuelle de soupe% pour le consoler.&ous 6 +usqu’- imile 6Oh 6 comment vivront#ils sans lui @3omment vivra#t#il sans eux @

Et le "utur él)ve de l’école "oresti)re est si troublé qu’il répond : Oui% monsieur augendre. =&outes les "ois que son p)re lui parle.Et il n’est pas au bout de ses tribulations% le petit marinier de la

/elle#ivernaise.3ela ne cote pas seulement de l’argent de devenir un

: monsieur =% mais bien des sacri"ices et des tristesses.8ictor en a le sentiment% tandis que le train rapide passe en

si""lant% sur les ponts% au#dessus du "aubourg de evers.Gl lui semble qu’il les a dé+- vues quelque part% dans un passé

éloigné et douloureux% ces rues étroites% ces "en*tres étrangléescomme des soupiraux de prisons% d’o5 pendent des loquese""ilochées.

aintenant ils ont le pavé sous les pieds. Autour d’eux circule etbourdonne la cohue des débarcad)res% presse de curieux% bousculade

de gens chargés de colis% roulement des "iacres et des lourds omnibusdu chemin de "er% que des vo4ageurs% chargés de couvertures serrées

7



dans des courroies% prennent bru4amment d’assaut.8ictor et son p)re sortent en voiture des grilles de la gare.!e charpentier ne lche pas son idée.Gl lui "aut une trans"ormation subite.

Et il conduit : son "ils = tout droit che le tailleur du coll)ge.!a boutique est neuve% les comptoirs luisants% des messieurs bien

mis% qui ressemblent - ceux que l’on voit dans les gravures coloriées%appendues aux murailles% ouvrent la porte aux clients avec un petitsourire protecteur.

Gls mettent sous les 4eux du p)re augendre une prime des odesillustrées% o5 un collégien "ume en compagnie d’une amaone% d’ungentleman en complet de chasse% et d’une mariée v*tue de satinblanc.

Mustement% le tailleur a sous la main la tunique t4pe rembourréedevant et derri)re% - basques carrées% - boutons d’or.

Gl l’étale sous les 4eux du charpentier% qui s’écrie ra4onnantd’orgueil.

: &u auras l’air d’un militaire l-#dedans 6 ='n monsieur en bras de chemise% qui porte un m)tre autour du

cou% s’approche de l’él)ve augendre.Gl lui mesure le tour des cuisses% la taille et la colonne vertébrale.3ette opération rappelle au petit marinier des souvenirs qui lui

noient les 4eux de larmes 6 !es tics du pauvre p)re !ouveau% lescol)res de la "emme de t*te% tout ce qu’il a laissé derri)re lui.

3’est bien "ini% maintenant.!e +eune homme correct que 8ictor aper,oit en pantalon

d’uni"orme% dans la grande glace d’essa4age% n’a plus rien de

commun avec le : petit derri)re = de la /elle#ivernaise.!e tailleur pousse dédaigneusement du bout du pied% sous l’établi%

la vareuse humiliée% comme un paquet de loques.8ictor sent que c’est tout son passé qu’on lui a "ait quitter l-.>u’est#ce - dire% quitter 68oici qu’on lui dé"end m*me de se souvenir 6: Gl "aut rompre avec les vices de votre éducation premi)re =% dit

sév)rement . le principal% qui ne dissimule pas sa mé"iance.Et% pour "aciliter cette régénération% on décide que l’él)ve

77



augendre ne sortira du coll)ge que tous les premiers dimanches desmois.

Oh 6 comme il pleure% le premier soir% au "ond du dortoir triste et"roid% tandis que les autres écoliers ron"lent dans leurs lits de "er% et

que le pion dévore un roman% en cachette% - la lueur d’une veilleuse 63omme il sou""re pendant l’heure maudite de récréations% tandis

que les camarades le bousculent et le houspillent 63omme il est triste en étude% le ne dans son pupitre% tremblant

aux col)res du pion qui tape - tour de bras sur la chaire en répétanttou+ours la m*me phrase

: 'n peu de silence% messieurs. =3ette voix criarde remue toute la lie des mauvais souvenirs%

empoisonne sa vie.Elle lui rappelle les +ours noirs de la premi)re en"ance% le taudis du

"aubourg du &emple% les coups% les querelles% tout ce qu’il avaitoublié.

Et il se raccroche désespérément aux images de 3lara% de la /elle#ivernaise% comme - une éclaircie de soleil% dans le sombre de savie.

Et c’est sans doute pour cela que le pion trouve avec stupé"actiondes dessins de bateaux - toutes les pages des livres de l’él)veaugendre.

&ou+ours la m*me chaloupe reproduite - tous les "euillets avec uneobstination d’obsédé.

&ant(t% elle gravit lentement% resserrée comme dans un canal%l’échelle étroite des marges.

&ant(t% elle vient s’échouer en plein théor)me% éclaboussant les

"igures intercalées et les corollaires en petit texte.&ant(t% elle navigue - pleines voiles sur les océans des

planisph)res.3’est l- qu’elle se carre - l’aise% qu’elle déploie ses voiles% qu’elle

"ait "lotter son drapeau.. le principal% lassé des rapports circonstanciés qu’on lui adresse

- ce su+et% "init par en parler - . augendre le p)re.

!e charpentier n’en revient pas.: 'n gar,on si doux 6

7C



; Gl est t*tu comme un ne. ; 9i intelligent 6 ; On ne peut rien lui apprendre. =Et personne ne peut comprendre que l’él)ve augendre a appris -

lire en plein bois% par#dessus l’épaule de 3lara% et que ce n’est pas lam*me chose que d’étudier la géométrie% sous la "érule d’un pionhirsute.

8oil- pourquoi l’él)ve augendre dégringole de l’étude des: mo4ens = dans l’étude des : petits =.

3’est qu’il 4 a une singuli)re di""érence entre les le,ons duagister de 3orbign4 et celles de . les pro"esseurs du coll)ge deevers.

&oute la distance qui sépare un enseignement en bonnet de peaude lapin d’un enseignement en toque d’hermine.

!e p)re augendre se désesp)re.Gl lui semble que le "orestier en bicorne s’éloigne - grandes

en+ambées.Gl gronde% il supplie% il promet.: 8eux#tu des le,ons @

: 8eux#tu des maBtres @: Me te donnerai les meilleurs.: !es plus chers 6 =En attendant% l’él)ve augendre devient un cancre% et les

: bulletins trimestriels = constatent impito4ablement sa : turpitude =.!ui#m*me% il a le sentiment de sa sottise.Gl s’en"once tous les +ours davantage dans l’ombre et dans la

tristesse.

9i 3lara et les autres pouvaient voir ce qu’on a "ait de leur 8ictor 63omme ils viendraient ouvrir toutes grandes les portes de sa

prison 63omme ils lui o""riraient de bon cKur de partager avec lui leur

dernier morceau de pain% leur dernier bout de planche 63ar ils sont malheureux eux aussi% les autres.!es a""aires vont de mal en pis.

!e bateau est de plus en plus vieux.8ictor sait cela par les lettres de 3lara% qui lui arrivent de temps en

7I



temps marquées d’un : vu = au cra4on rouge% énorme% "urieux%gri""onné par . le principal% qui déteste ces : correspondancesinterlopes =.

: Ah 6 >uand tu étais l- 6 disent les épBtres de 3lara% tou+ours aussi

tendres% mais de plus en plus a""ligéesF Ah 6 si tu étais avec nous 6 =e dirait#on pas% vraiment% que tout allait bien dans ce temps#l-% et

que tout serait sauvé si 8ictor revenait @Eh bien 6 8ictor sauvera tout.Gl ach)tera un bateau neu".Gl consolera 3lara.Gl rel)vera le commerce.Gl montrera qu’on n’a pas aimé un ingrat et recueilli un inutile.ais% pour cela% il "aut devenir un homme.Gl "aut gagner de l’argent.Gl "aut *tre savant.Et 8ictor rouvre les livres - la bonne page.< présent% les "l)ches peuvent voler% le pion peut "rapper - tour de

bras sur la chaire en lan,ant sa phrase de perroquet : essieurs% un peu de silence 6 =

8ictor ne l)ve plus le ne.Gl ne dessine plus de bateaux.Gl méprise les boulettes qui s’aplatissent sur sa "igure.Gl bcheF il bcheF: 'ne lettre pour l’él)ve augendre. =3’est une bénédiction que ce souvenir de 3lara qui vient le

surprendre en pleine étude% pour l’encourager et lui apporter unpar"um de liberté et de tendresse.

8ictor se cache la t*te dans son pupitre pour baiser l’adresseigagante% péniblement tracée% tremblée% comme si un perpétueltangage de bateau balan,ait la table sur laquelle 3lara écrit. Hélas 6ce n’est pas le tangage% c’est l’émotion qui a "ait trembler la main de3lara.

: 3’est "ini% mon cher 8ictor% la /elle#ivernaise ne navigueraplus.

: Elle est bien morte% et% en mourant% elle nous ruine.: On a suspendu un écriteau noir - l’arri)re

7J



/OG9 < 8ED$E rovenant de démolitions.: Des gens sont venus% qui ont tout estimé% tout numéroté% depuis

la ga""e de l’Uquipage +usqu’au berceau o5 dormait la petite sKur. GlparaBt que l’on va tout vendre% et nous n’avons plus rien.

: >u’allons#nous devenir @: aman est capable d’en mourir de chagrin% et papa est si

changéF =8ictor n’acheva pas la lettre.!es mots dansaient devant ses 4eux 0 il avait comme un coup de

"eu sur la "ace% un bourdonnement dans les oreilles.Ah 6 il était bien loin de l’étude% maintenant.Upuisé par le travail% le chagrin et la "i)vre% il délirait.Gl cro4ait s’en aller - la dérive% en pleine 9eine sur le beau "leuve

"rais.Gl voulait tremper son "ront dans la rivi)re.uis% il entendit vaguement un son de cloche.9ans doute% un remorqueur qui passait dans le brouillard 0 ? puis%

ce "ut comme un bruit de grandes eaux% et il cria : !a crue 6 !a crue 6 =

'n "risson le prit% rien qu’- penser - l’ombre accumulée sousl’arche du pont 0 et% au milieu de toutes ces visions% la "igure du pionlui apparut tout pr)s de lui% sous l’abat#+our% hirsute et e""arée

: 8ous *tes malade% augendre @ =!’él)ve augendre est bien malade.. le docteur a beau secouer la t*te% quand le pauvre p)re% qui le

reconduit +usqu’- la porte du coll)ge% lui demande d’une voixétranglée d’angoisse

: Gl ne va pas mourir% n’est#ce pas @ =On voit bien que . le docteur n’est pas rassuré.9es cheveux gris ne sont pas rassurés non plus.Gls disent : non = mollement% comme s’ils avaient peur de se

compromettre.On ne parle plus d’habit vert ni de bicorne.Gl s’agit seulement d’emp*cher l’él)ve augendre de mourir.

. le docteur a dit nettement qu’on "erait bien de lui rendre la cle"des champs% s’il en réchappaitF

7N



9’il en réchappait 6!a pensée de perdre l’en"ant qu’il vient de retrouver anéantit tous

les désirs ambitieux du p)re enrichi.3’est "ini% il renonce - son r*ve.

Gl est tout pr*t - enterrer de ses propres mains l’él)ve de l’école"oresti)re.

Gl le clouera dans la bi)re% si l’on veut.Gl ne portera pas son deuil.ais% au moins% que l’autre consente - vivre.>u’il lui parle% qu’il se l)ve% qu’il lui +ette les bras au cou% qu’il lui

dise : 3onsole#toi% mon p)re.: Me suis guéri. =Et le charpentier se pencha sur le lit de 8ictor.3’est "ini. !e vieil arbre est "endu +usqu’- l’aubier. !e cKur de

augendre est devenu tendre.: Me te laisserai partir% mon gars.: &u retourneras avec eux% tu navigueras encore.: Et ce sera trop bon pour moi de te voir quelque"ois en passant. =

< présent% la cloche ne sonne plus les heures de la récréation% duré"ectoire et de l’étude.On est en vacances et le grand coll)ge est désert.as d’autre bruit que celui du +et d’eau dans la cour d’honneur et

des moineaux piaillant sur les préaux.!e roulement des rares voitures arrive lointain et assourdi% car on

a mis de la paille dans la rue.3’est au milieu de ce silence et de cette solitude que l’él)ve

augendre revient - lui.Gl est tout surpris de se retrouver dans un lit bien blanc% entouré de

grands rideaux de percale qui mettent tout autour un isolement dedemi#+our et de paix.

Gl voudrait bien se soulever sur l’oreiller% les écarter un peu pourvoir o5 il est 0 mais% bien qu’il se sente délicieusement reposé% il n’ena pas la "orce% et il attend.

ais des voix chuchotent autour de lui.On dirait% sur le plancher% un bruit de pieds marchant sur la pointe%

7



et m*me un clabaudement connu quelque chose comme lapromenade d’un manche - balai sur des planches.

8ictor a dé+- entendu cela autre"ois.O5 donc @

Eh 6 sur le tillac de la /elle#ivernaise.3’est cela 6 3’est bien cela 6Et le malade% réunissant toute sa "orce% d’une voix "aible% qu’il

croit bien grosse : Ohé 6 !’Uquipage 6 ohé 6 =!es rideaux se tirent% et% dans un éblouissement de lumi)re% il

aper,oit tous les *tres chéris qu’il a tant appelés dans son délire.&ous. Oui% tous 6Gls sont tous l-% 3lara% augendre% le p)re !ouveau% la m)re

!ouveau% imile% la petite sKur% et le vieux héron ébouillanté%maigre comme sa ga""e% qui sourit démesurément de son riresilencieux.

Et tous les bras sont tendus% et toutes les t*tes sont penchées% et il4 a des baisers pour tout le monde% des sourires% des poignées demain% des questions.

: O5 suis#+e @ ; 3omment *tes#vous l- @ =ais les ordres de . le docteur sont "ormels. ? !es cheveux gris

ne plaisantaient pas en commandant cela. ? Gl "aut rentrer les brassous les couvertures% se taire% ne pas s’exciter.

Et% pour emp*cher l’en"ant de causer% augendre parle tout letemps.

: Ligure#toi qu’il 4 a dix +ours% ? le +our o5 tu es tombé malade ?

+e venais +ustement voir le principal pour lui parler de toi.: Gl me dit que tu "aisais des progr)s% que tu travaillais comme un

manKuvreF: &u +uges si +’étais content 6: Me demande - te voir.: On t’envoie chercher% et% +uste% ton pion tombe dans le cabinet

du principal tout e""aré.

: &u venais d’avoir un acc)s de "i)vre chaude.: Me cours - l’in"irmerie 0 tu ne me reconnais pas. Des 4eux

CP



comme des chandelles% et un délire 6: Ah 6 mon pauvre petit gars% comme tu as été malade 6: Me ne t’ai plus quitté d’une minute.: &u battais la campagneF &u parlais de la /elle#ivernaise% de

3lara% de bateau neu". Est#ce que +e sais @: Alors +e me suis rappelé la lettre% la lettre de 3lara 0 on te l’avait

trouvée dans les mains% on me l’avait donnée. Et% moi% +e l’avaisoubliée% tu comprends @

: Me la tire de ma poche% +e la lis% +e me cogne la t*te% +e me dis : augendre% il ne "aut pas que ton chagrin te "asse oublier la peinedes amis. =

: M’écris - tous ces gens#l- de venir nous retrouver.: as de réponse.: Me pro"ite d’un +our o5 tu vas mieux% +e vais les chercher% +e les

am)ne che moi o5 ils habitent% et o5 ils habiteront +usqu’- ce qu’onait trouvé mo4en d’arranger les a""aires.

: as vrai% !ouveau @ =&out le monde a la larme - l’Kil% et% ma "oi 6 tant pis pour les

cheveux gris du docteur% les deux bras de 8ictor sortent de la

couverture. Et augendre est embrassé comme il ne l’a +amais été%un vrai baiser d’en"ant tendre.uis% comme il n’est pas possible d’emmener 8ictor - la maison%

on arrange la vie.3lara restera pr)s du malade pour sucrer ses tisanes et "aire la

causette.!a m)re !ouveau ira tenir la maison% Lran,ois surveillera une

btisse que le charpentier a entreprise dans la Srande#$ue.

>uant - augendre% il part pour 3lamec4.Gl va voir des connaissances qui ont une grande entreprise de

trains de bois.3es gens#l- seront enchantés d’emplo4er un "in marinier comme

!ouveau.on 6 non 6 pas de récriminations% pas de résistance. 3’est une

a""aire entendue% une chose toute simple.

3ertes% ce n’est pas 8ictor qui récrimine.On le l)ve maintenant et l’on roule son grand "auteuil contre la

C1



"en*tre.Gl est tout seul avec 3lara% dans l’in"irmerie silencieuse.Et 8ictor est ravi.Gl bénit sa maladie. Gl bénit la vente de la /elle#ivernaise. Gl bénit

toutes les ventes et toutes les maladies du monde.: &e souviens#tu% 3lara% quand +e tenais la barre% et que tu venais

t’asseoir aupr)s de moi% avec ton tricot @ =3lara se souvient si bien qu’elle baisse les 4eux% qu’elle rougit% et

qu’ils restent tous les deux embarrassés.3ar maintenant il n’est plus le petit gars en béret rouge dont les

pieds ne touchaient pas le tillac quand il grimpait sur la barre -cali"ourchon.

Et% elle% quand elle arrive le matin% et qu’elle (te son petit chlepour le +eter sur le lit% elle a l’air d’une vraie +eune "ille% tant ses brassont ronds dans ses manches% sa taille élancée.

: 8iens de bonne heure% 3lara% et reste le plus tard possible. =Gl "ait si bon dé+euner et dBner en t*te#-#t*te tout pr)s de la "en*tre%

- l’abri des rideaux blancs.Gls se rappellent la petite en"ance% les panades mangées au bord du

lit% avec la m*me cuill)re.Ah 6 les souvenirs d’en"ance 6Gls voltigent dans l’in"irmerie du coll)ge comme des oiseaux en

voli)re. 9ans doute ils "ont leur nid dans tous les coins des rideaux%car il 4 en a de nouveaux chaque matin% "rais éclos% qui prennent leurvol.

Et vraiment l’on dirait% - entendre ces conversations du passé% uncouple d’octogénaires% ne regardant plus qu’au loin derri)re eux.

’4 a#t#il donc pas un avenir% qui pourrait bien *tre intéressant% luiaussi @

Oui% il 4 a un avenir% et l’on 4 pense souvent% si l’on n’en parle +amais.

D’ailleurs% il n’est pas indispensable de "aire des phrases pourcauser. 3ertaine "a,on de se prendre la main et de rougir - toutpropos en dit plus long que la parole.

8ictor et 3lara causent dans cette langue#l- toute la +ournée.3’est probablement pour cela qu’ils sont souvent silencieux.

C2



Et c’est pour cela aussi que les +ours passent si vite% que le moiss’écoule - petit bruit sans qu’on l’entende.

3’est pour cela que . le docteur est obligé de hérisser sescheveux gris et de mettre son malade - la porte de l’in"irmerie.

Mustement% le p)re augendre revient de vo4age - cette époque.Gl trouve tout le monde réuni - la maison. Et quand le pauvre

!ouveau% tout inquiet% lui demande : Eh bien 6 veut#on de moi% l-#bas @F =augendre ne peut se tenir de rire.: 9i on veut de toi% mon vieux 6F: Gls avaient besoin d’un patron pour un nouveau navire% et ils

m’ont remercié du cadeau que +e leur "aisais. =>ui ,a : ils = @!e p)re !ouveau est si enchanté qu’il n’en demande pas

davantage.Et tout le monde se met en route pour 3lamec4% sans en savoir

plus long.>uelle +oie% en arrivant au bord du canal 6!-% - quai% pavoisé du haut en bas% un magni"ique bateau%

"lambant neu"% dresse son mt verni au milieu des verdures.On lui donne le dernier coup d’astic% et l’étambot% o5 le nom del’embarcation est écrit% demeure couvert d’une toile grise.

'n cri sort de toutes les bouches : Ah 6 le beau navire 6 =!ouveau n’en croit pas ses 4eux.Gl a une émotion de tous les diables qui lui picote les paupi)res% lui

"end la bouche d’un pied% et secoue ses boucles d’oreilles comme despaniers - salade.

: 3’est trop beau 6: Me n’oserai +amais conduire un bateau comme ,a. 3’est pas "ait

pour naviguer.: On devrait mettre ,a sous globe. =Gl "aut que augendre le pousse de "orce sur la passerelle% d’o5

l’Uquipage leur "ait des signes.3omment 6

!’Uquipage lui#m*me est restauré @$estauré% radoubé% cal"até - neu".

C



Gl a une ga""e et une +ambe de bois toutes "raBches. 3’est unegracieuseté de l’entrepreneur% un homme entendu qui a bien "ait leschoses.

8o4e plut(t

!e tillac est en bois ciré entouré d’une balustrade. Gl 4 a un bancpour s’asseoir% une tente pour s’abriter.

!a cale est de taille - porter cargaison double.Et la cabine 6F oh 6 la cabine 6: &rois chambres 6 ; 'ne cuisine 6 = ; Des glaces 6!ouveau entraBne augendre sur le pont.Gl est ému% secoué d’attendrissement% ? comme ses boucles

d’oreilles.Gl béga4e : on vieux augendreF ; >u’est#ce qu’il 4 a @ ; &u n’as oublié qu’une choseF ; 8o4ons @

; &u ne m’as pas dit pour le compte de qui +e naviguerais. ; &u veux le savoir @ ; /édame 6 ; Eh bien 6 pour ton compte 6 ; 3ommentF mais alorsF le bateau. ; Est - toi 6 =.>uel coup% mes en"ants 6>uel abordage en pleine poitrine 6

Heureusement que l’entrepreneur% ? qui est un homme entendu% ? a eu l’idée de mettre un banc sur le pont.

!ouveau tombe dessus comme assommé.: 3e n’est pas possibleF on ne peut pas accepterF =ais augendre a réponse - tout : Allons donc @: &u oublies notre vieille dette% les dépenses que tu as "aites pour

8ictor 6

: 9ois tranquille% Lran,ois% c’est encore moi qui te dois le plus. =Et les deux compagnons s’embrassent comme des "r)res.

C7



3ette "ois% ,a 4 est% on a pleuré.Décidément augendre a tout disposé pour que la surprise soit

compl)te% car tandis qu’on s’embrasse sur le pont% voil- . le curéqui débouche du bois% banni)re au vent% musique en t*te.

>u’est#ce encore @!a bénédiction du bateau% parbleu 6&out 3lamec4 est venu en procession pour assister - la "*te.Et la banni)re "lotte au vent.Et la musique +oue.Zim#boum#boum 6Et les "igures sont +o4euses.Et il 4 a sur tout cela un +oli soleil qui "ait "lamber l’argent de la

croix et les cuivres des musiciens.!a +olie "*te 6On vient de découvrir la toile qui masquait l’étambot 0 le nom du

bateau se détache en belles lettres d’or sur un "ond d’aur !aouvelle#ivernaise

Hurrah 6 pour la ouvelle#ivernaise 6 >u’elle ait longue viecomme l’ancienne et plus heureuse vieillesse 6

. le curé s’est approché du bateau.Derri)re lui% les chantres et les musiciens sont rangés sur une seuleligne.

!a banni)re "ait "ond.: /enedicat DeusF =3’est 8ictor qui est le parrain et 3lara qui est la marraine.. le curé les a "ait avancer au bord du quai% tout pr)s de lui. Gls se

tiennent par la main% ils sont tout timides% tout tremblants.

Gls bredouillent de travers les phrases que l’en"ant de chKur leursou""le% tandis que . le curé secoue le goupillon sur eux

: /enedicat DeusF =e dirait#on pas un +eune couple - l’autel @3ette pensée#l- vient - tout le monde.eut#*tre bien qu’elle leur vient - eux aussi% car ils n’osent pas se

regarder et se troublent de plus en plus - mesure que la cérémonie

avance.3’est "ini. !a "oule se retire et la ouvelle#ivernaise est bénie.

CC



ais on ne peut laisser partir les musiciens% comme cela% sans lesra"raBchir.

Et% tandis que !ouveau verse une rasade aux musiciens%augendre cligne de l’Kil - la m)re !ouveau% prend par la main le

parrain et la marraine% et se tournant vers . le curé : 8oil- le bapt*me "ini% monsieur le curé 0 - quand le mariage @ =8ictor et 3lara deviennent rouges comme des coquelicots.imile et la petite sKur battent des mains.Et au milieu de l’enthousiasme général% le p)re !ouveau% tr)s

allumé% se penche sur l’épaule de sa "ille.Gl rit +usqu’aux oreilles% le brave marinier% et% ré+oui d’avance de sa

plaisanterie% il dit d’un ton goguenard : Dis donc% 3lara% v’l- le momentF si nous reportions 8ictor

che le commissaire @ =

CI



JARJAILLE CHE LE BON DIEU – L!GENDE PROVEN"ALE

Gmitée de !ouis $oumieux.Mar+aille% un porte"aix de 9aint#$ém4% s’est laissé mourir un beau

matin et le voil- tombant dans l’éternitéF $oule que rouleras 6!’éternité est vaste% noire comme la poix% pro"onde et démesurée -"aire peur. Mar+aille ne sait o5 aller il erre dans la nuit% claquant desdents% tirant des brassées - l’aveuglette. < la "in% - la longue% ilaper,oit une petite lumi)re l-#haut% tout en haut. Gl 4 va. 3’était la

porte du bon Dieu.Mar+aille "rappe an 6 pan 6: >ui est l- @ crie saint ierre. ; 3’est moi. ; >ui% toi @ ; Mar+aille. ; Mar+aille de 9aint#$ém4 @ ; &out +uste.

; ais% galopin% lui dit saint ierre% tu n’as pas honte de vouloirentrer au aradis% toi qui depuis vingt ans n’es pas une seule "ois allé- la messe 6 &oi qui mangeais gras le vendredi quand tu pouvais% et lesamedi quand tu en avais 6F &oi qui% par moquerie% appelais letonnerre le tambour des escargots% parce que les escargots viennentpendant l’orageF 6 &oi qui% aux saintes paroles de ton p)re : Mar+aille% le bon Dieu te punira =% répondais le plus souvent : !ebon Dieu @ >ui l’a vu @ quand on est mort% on est bien mort. = &oi%en"in% qui le reniais et blasphémais - "aire "rémir 0 se peut#il que tu teprésentes ici% abandonné de Dieu @ =

CJ



!e pauvre Mar+aille répondit : Me ne dis pas le contraire. Me suis un pécheur% un misérable

pécheur. ais qui se serait douté% qu’apr)s la mort% il 4 aurait encoretant de m4st)res @ En"in% +e me suis trompé% et voil- le vin tiré 0

maintenant il "aut le boire. ais au moins% grand saint ierre% laisse#moi voir un peu mon oncle% pour lui conter ce qui se passe - 9aint#$ém4.

; >uel oncle @ ; on oncle atéri% qui était pénitent blanc. ; &on oncle atéri @ Gl est au purgatoire pour cent ans. ; our cent ans 6F Et qu’est#ce qu’il avait "ait @ ; &u te rappelles qu’il portait la croix aux processionsF 'n +our%

quelques +o4eux copains se donn)rent le mot% et il 4 en eut un qui semit - dire : 8ois atéri% qui porte la croix 6 = 'n peu plus loin% unautre recommence : 8ois atéri% qui porte la croix 6 = Linalement%un troisi)me le montre en disant : 8ois% vois atéri ce qu’il porte 6F = atéri% dépatienté% répliqua : 3e que +e porte @F si +e teportais% toi% +e porterais bien sr un "ier viédaeF = !-#dessus% il eutun coup de sang et mourut sur sa col)re.

; auvre atériF Alors "aites#moi voir ma tante Dorothée% quiétait siF si dévoteF ; Elle doit *tre au diable% +e ne la connais pas. ; Oh 6 ben 6 si celle#l- est au diable ,a ne m’étonne pas. Ligure#

vous qu’avec ses grands airs dévotieuxF ; Mar+aille% +e n’ai pas le temps. Gl "aut que +’aille ouvrir la porte -

un pauvre bala4eur des rues que son ne% d’un coup de pied% vientd’envo4er en aradis.

; [ grand saint ierre% d’abord que vous ave tant "ait et que lavue n’en cote rien% laisse#moi le voir un peu votre paradis. On ditque c’est si beauF

; &é 6 pardi 6F lus souvent que +e vais laisser entrer un vilainhuguenot comme toiF

; Allons% grand saint 6 songe que mon p)re% qui est marinier du$h(ne% porte votre banni)re aux processionsF

; Eh bien 6 soit% dit le saint. our ton p)re% +e te l’accordeF maistu sais% coll)gue% c’est bien convenu. &u passeras seulement le bout

CN



du ne% +uste ce qu’il "aut pour voir. ; as davantage. =Donc le céleste porte#cle"s entre#bille la porte% et dit - Mar+aille

: &iens 6 regardeF = ais tout d’un temps virant l’échine% voil- mon

Mar+aille qui entre - reculons dans le aradis.: >u’est#ce que tu "ais @ lui dit saint ierre. ; !a grande lumi)re m’aveugle% répond l’homme de 9aint#$ém4%

il "aut que +’entre de dos. ais% so4e tranquille% selon votre parole%quand +’aurai mis le ne +e n’irai pas plus loin.

; Allons 6 pensa le bienheureux% +e me suis pris le pied dans mamusette. Et mon gredin est dans le aradis.

; Oh 6 dit Mar+aille% comme vous *tes bien ici 6 3omme c’estbeau 6 >uelle musique 6 =

Au bout d’un moment% le saint portier lui dit : >uand tu aurasasse regardéF puis apr)s tu sortiras% +e supposeF 3’est que +e n’aipas le temps% moi% de rester l-.

; e vous g*ne pas% répondit Mar+aille% si vous ave quelquechose - "aire% alle#4. oi% +e sortiraiF quand +e sortirai. $ien nepresse.

; Ouais 6 mais ce n’est pas cela qui avait été convenu. ; on Dieu 6 saint homme% vous voil- bien ému 6 3’estdi""érent% si vous n’avie pas de large iciF mais +e rends grces -Dieu 6 ce n’est pas la place qui manque.

; Et moi +e te dis de sortir% que si le bon Dieu passaitF ; Oh 6 puis arrange#vous comme vous voudre. M’ai tou+ours

entendu dire : >ui est bien% qu’il s’4 tienne 6 = Me suis ici% +’4reste. =

9aint ierre branlait la t*te% "rappait du piedF Gl va trouver saintTves.

: Tves% lui dit#il% toi qui es avocat% il "aut que tu me donnes unconseil.

; Deux% si tu es as besoin% répond saint Tves. ; &u sais qu’il m’en arrive une bonne @Me me trouve dans tel cas% comme ,aF comme ,aF maintenant

qu’est#ce qu’il "aut que +e "asse @ ; Gl te "aut% dit saint Tves% prendre un bon avoué% et "aire

C



comparaBtre par huissier ledit Mar+aille devant Dieu. =Gls cherchent un avoué 0 mais des avoués en aradis% +amais

personne n’en a vu. Gls cherchent un huissier 0 encore moins.9aint ierre ne savait plus de quel bois "aire "l)che.

8ient - passer saint !uc.: >u’est#ce que tu as% mon pauvre ierre @ 3omme tu "ais la lippe.

Est#ce que otre#9eigneur t’aurait encore saboulé @ ; Oh 6 dit#il% mon homme% tais#toi. Gl m’arrive un cas de la

malédiction. Gl 4 a un certain nommé Mar+aille qui est entré parsurprise en aradis% et +e ne sais plus comment le mettre dehors.

; Et d’o5 est#il celui#l- @ ; De 9aint#$ém4. ; De 9aint#$ém4 6 dit saint !uc. Eh 6 mon Dieu 6 que tu es bon 6

our le "aire sortir ce n’est rien du toutF Ucoute Me suis% comme tusais% l’ami des bKu"s et le patron des bouviers 0 - ce titre% +e cours la3amargue% Arles% Bmes% /eaucaire% &arascon% et +e connais tout cebrave peuple% et +e sais comme il "aut le prendre. 3es gens#l-% vois#tu%sauteraient dans le "eu pour voir une course de taureauxF Attends unpeu. Me me charge de l’expédier% ton Mar+aille. =

< ce moment passait par l- un vol de petits anges tout +ou""lus.: etits 6 leur "ait saint !uc% pst 6 pst 6F =!es angelots descendent.: Alle#vous#en doucement dehors du aradis% et quand vous

sere devant la porte% vous passere en courant et vous crierecomme - 9aint#$ém4 aux courses de taureaux !es bKu"s 6 lesbKu"s 6F Oh 6 té 6 Oh 6 té 6 !es "ers 6 les "ers 6F =

3’est ce que "ont les anges. Gls sortent du aradis% et quand ils sont

devant la porte% ils se précipitent en criant : !es boeu"s 6F Oh 6 té 6F Oh 6 té 6F =

En entendant cela% Mar+aille% mon bon Dieu 6 se retourne stupé"ait : &ron de l’)r 6

: Gci% aussi% on "ait courir les bKu"s 6 8iteF viteF = Et il se lancevers la porte comme un "ou% et il sort du aradis% le pauvre 6

9aint ierre vitement pousse la porte sur lui% met la barre% et

passant ensuite la t*te au "enestron : Eh bien 6 Mar+aille% lui dit#il en riant% comment te trouves#tu%

IP



maintenant @ ; Oh 6 réplique Mar+aille% c’est égal 6 si ,’avait été les bKu"s% +e

n’aurais pas regretté ma part de aradis. =Et% ce disant% il pique une t*te dans l’éternité.

I1



LA #IGUE ET LE PARESSEU$ – L!GENDEALG!RIENNE

Dans l’indolente et voluptueuse petite ville de /lidah% quelquesannées avant l’invasion des Lran,ais% vivait un brave aure qui% dunom de son p)re% s’appelait 9idi !a\dar et que les gens de sa villeavaient surnommé le aresseux.

8ous saure que les aures d’Algérie sont les hommes les plusindolents de la terre% ceux de /lidah surtout 0 sans doute - cause despar"ums d’oranges et des limons doux dont la ville est no4ée. ais%

en "ait de paresse et de nonchaloir% entre tous les /lidiens% pas un nevenait - la ceinture de 9idi !a\dar. !e digne seigneur avait élevé sonvice - la hauteur d’une pro"ession. D’autres sont brodeurs% ca"etiers%marchands d’épices. 9idi !a\dar% lui% était paresseux.

< la mort de son p)re% il avait hérité d’un +ardinet sous lesremparts de la ville% avec de petits murs blancs qui tombaient enruines% une porte embroussaillée qui ne "ermait pas% quelques"iguiers% quelques bananiers et deux ou trois sources vives luisant

dans l’herbe. 3’est l- qu’il passait sa vie% étendu de tout son long%silencieux% immobile% des "ourmis rouges plein sa barbe. >uand ilavait "aim% il allongeait le bras et ramassait une "igue ou une bananeécrasée dans le gaon pr)s de lui 0 mais s’il et "allu se lever etcueillir un "ruit sur sa branche% il serait plut(t mort de "aim. Aussi%dans son +ardin% les "igues pourrissaient sur place% et les arbres étaientcriblés de petits oiseaux.

3ette paresse e""rénée avait rendu !a\dar tr)s populaire dans sonpa4s.

On le respectait - l’égal d’un saint. En passant devant son petit

I2



clos% les dames de la ville qui venaient de manger des con"itures aucimeti)re% mettaient leurs mules au pas et se parlaient - voix bassesous leurs masques blancs. !es hommes s’inclinaient pieusement% et%tous les +ours% - la sortie de l’école% il 4 avait sur les murailles du

+ardin toute une volée de gamins en vestons de soi ra4ée et bonnetsrouges% qui venaient essa4er de déranger cette belle paresse%appelaient !a\dar par son nom% riaient% menaient du train% lui +etaientdes peaux d’orange.

eine perdue 6 !e paresseux ne bougeait pas. De temps en tempson l’entendait crier du "ond de l’herbe : Sare% gare tout - l’heure% si +e me l)ve 6 = mais il ne se levait +amais.

Or% il arriva qu’un de ces petits dr(les% en venant comme cela "airedes niches au paresseux% "ut en quelque sorte touché par la grce% et%pris d’un got subit pour l’existence horiontale% déclara un matin -son p)re qu’il entendait ne plus aller - l’école et qu’il voulait se "aireparesseux.

: aresseux% toi @F "it le p)re% un brave tourneur de tu4aux depipe% diligent comme une abeille et assis devant son tour d)s que lecoq chantaitF &oi% paresseux @F En voil- une invention 6 =

; Oui% mon p)re% +e veux me "aire paresseuxF comme 9idi!a\darF ; oint du tout% mon gar,on. &u seras tourneur comme ton p)re%

ou gre""ier au tribunal du 3adi comme ton oncle Ali% mais +amais +ene "erai de toi un paresseuxF Allons% vite% - l’école 0 ou +e te cassesur les c(tes ce beau morceau de merisier tout neu"F Arri%bourricot 6 =

En "ace du merisier% l’en"ant n’insista pas et "eignit d’*tre

convaincu 0 mais% au lieu d’aller - l’école% il entra dans un baarmaure% se blottit - la devanture d’un marchand% entre deux piles detapis de 9m4rne% et resta l- tout le +our% étendu sur le dos% regardantles lanternes mauresques% les bourses de drap bleu% les corsages -plastrons d’or qui luisaient au soleil% et respirant l’odeur pénétrantedes "lacons d’essence de rose et des bons burnous de laine chaude.3e "ut ainsi désormais qu’il passa tout le temps de l’écoleF

Au bout de quelques +ours% le p)re eut vent de la chose mais ileut beau crier% temp*ter% blasphémer le nom d’Allah et "rotter les

I



reins du petit homme avec tous les merisiers de sa boutique% rien n’4"it. !’en"ant s’ent*tait - dire : Me veux *tre paresseuxF +e veux *treparesseux =% et tou+ours on le trouvait étendu dans quelque coin.

De guerre lasse% et apr)s avoir consulté le gre""ier Ali% le p)re prit

un parti.: Ucoute% dit#il - son "ils% puisque tu veux *tre paresseux - toute

"orce% +e vais te conduire che !a\dar. Gl te passera un examen% et% situ as réellement des dispositions pour son métier% +e le prierai de tegarder che lui% en apprentissage.

; 3eci me va =% répondit l’en"ant.Et% pas plus tard que le lendemain% ils s’en all)rent tous les deux%

par"umés de verveine et la t*te rasée de "rais% trouver le paresseuxdans son petit +ardin.

!a porte était tou+ours ouverte. os gens entr)rent sans "rapper%mais% comme l’herbe montait tr)s tou""ue et tr)s haute% ils eurentquelque peine - découvrir le maBtre du clos. Gls "inirent pourtant parapercevoir% couché sous les "iguiers du "ond% dans un tourbillon depetits oiseaux et de plantes "olles% un paquet de guenilles +aunes quiles accueillit d’un grognement.

: !e 9eigneur soit avec toi% 9idi !a\dar% dit le p)re en s’inclinant%la main sur la poitrine. 8oici mon "ils qui veut absolument se "aireparesseux. Me te l’am)ne pour que tu l’examines% et que tu voies s’il ala vocation. Dans ce cas% +e te prie de le prendre che toi commeapprenti. Me paierai ce qu’il "audra.

9idi !a\dar% sans répondre% leur "it signe de s’asseoir pr)s de lui%dans l’herbe. !e p)re s’assit% l’en"ant se coucha% ce qui était dé+- un"ort bon signe. uis tous les trois se regardaient sans parler.

3’était le plein midi du +our 0 il "aisait une chaleur% une lumi)re 6F &out le petit clos avait l’air de dormir. On n’entendait que lecrépitement des gen*ts sauvages crevant leurs cosses au soleil% lessources chantant sous l’herbe et les oiseaux alourdis qui voletaiententre les "euilles avec un bruit d’éventail ouvert et re"ermé.

De temps en temps% une "igue trop mre se détachait etdégringolait de branche en branche. Alors% 9idi !a\dar tendait la

main% et% d’un air "atigué% portait le "ruit +usqu’- sa bouche. !’en"ant%lui% ne prenait pas m*me cette peine. !es plus belles "igues tombaient

I7



- ses c(tés sans qu’il tournt seulement la t*te. !e maBtre% du coin del’Kil% observait cette magni"ique indolence 0 mais il continuait - nesou""ler mot.

'ne heure% deux heures se pass)rent ainsiF ense que le pauvre

tourneur de tu4aux de pipe commen,ait - trouver la séance un peulongue. ourtant il n’osait rien dire% et demeurait l-% immobile% les4eux "ixes% les +ambes croisées% envahi lui#m*me par l’atmosph)re deparesse qui "lottait dans la chaleur du clos avec une vague odeur debanane et d’orange cuites.

&out - coup% voil- une grosse "igue qui tombe de l’arbre et vients’aplatir sur la +oue de l’en"ant. /elle "igue% par Allah 6 rose% sucrée%par"umée comme un ra4on de miel. our la "aire entrer dans sabouche% l’en"ant n’avait qu’- la pousser du doigt 0 mais il trouvaitcela encore trop "atigant% et il restait ainsi% sans bouger% avec ce "ruitqui lui embaumait la +oue. < la "in% la tentation devint trop "orte 0 ilcligna de l’Kil vers son p)re et l’appela d’une voix dolente

: apa% dit#il% papaF mets#la#moi dans la boucheF =< ces mots% 9idi !a\dar qui tenait une "igue - la main la re+eta

bien loin% et s’adressant au p)re avec col)re

: Et voil- l’en"ant que tu viens m’o""rir pour apprenti 6 ais c’estlui qui est mon maBtre 6 3’est lui qui doit me donner des le,ons 6 =uis% tombant - genoux% la t*te contre terre% devant l’en"ant

tou+ours couché : Me te salue% dit#il% ( p)re de la paresse 6F =

IC



PREMIER HABIT – SOUVENIR DEJEUNESSE

3omment l’avais#+e eu% cet habit @ >uel tailleur des tempsprimiti"s% quel inespéré onsieur Dimanche s’était% sur la "oi de"antastiques promesses% décidé - me l’apporter% un matin% tout"lambant neu"% et artistement épinglé dans un carré de lustrine verte @Gl me serait bien di""icile de le dire. De l’honn*te tailleur% +e ne merappelle rien ? tant de tailleurs depuis ont traversé ma vie 6 ? rien% sice n’est% dans un lumineux brouillard% un "ront pensi" avec de grosses

moustaches. !’habit% par exemple% est l-% devant mes 4eux. 9onimage% apr)s vingt ans% reste encore dans ma mémoire comme surl’impérissable airain. >uel collet% +eunes gens% et quels revers 6 >uelspans% surtout% taillés en bec de "lte 6 Gl participait - la "ois des grcestroubadouresques de la $estauration et de la sévérité spartiate dupremier Empire. Gl me sembla% quand +e l’endossai% que% reculantd’un demi#si)cle% +’endossais la peau doctrinaire de l’illustre/en+amin 3onstant. on "r)re% homme d’expérience% avait dit : Gl

"aut un habit quand on veut "aire son chemin dans le monde 6 = Et lecher gar,on comptait beaucoup sur cette dé"roque pour ma gloire etmon avenir.

>uoi qu’il en soit de mon habit% Augustine /rohan en eutl’étrenne 6 8oici dans quelles circonstances dignes de passer - lapostérité

on premier livre venait d’éclore% virginal et "rais dans sacouverture rose. >uelques +ournaux avaient parlé de mes rimes.!’O""iciel lui#m*me avait imprimé mon nom. M’étais po)te% non plusen chambre% mais édité% lancé% s’étalant aux vitres.

II



Me m’étonnais que la "oule ne se retournt pas lorsque mes dix#huitans vaguaient par les rues. Me sentais positivement sur mon "ront lapression douce d’une couronne en papier "aite d’articles découpés.

On me proposa% un +our% de me "aire inviter aux soirées

d’Augustine. ? >ui% O @ ? O% parbleu 6 8ous le vo4e d’ici l’éternel quidam qui ressemble - tout le monde% l’homme aimable%providentiel% qui% sans rien *tre par lui#m*me% sans *tre bien connunulle part% va partout% vous conduit partout% ami d’un +our% ami d’uneheure% dont personne ne sait le nom% un t4pe essentiellement parisien.

9i +’acceptai% vous pouve le croire 6 ]tre invité che Augustine%Augustine% l’illustre comédienne% Augustine% le rire aux dentsblanches de oli)re% avec quelque chose du sourire plusmodernement poétique de usset 0 car% ? si elle +ouait les soubrettesau &hétre Lran,ais% usset avait écrit sa comédie de !ouison cheelle 0 Augustine /rohan en"in% dont aris célébrait l’esprit% citait lesmots% et qui dé+- portait au chapeau non encore trempée dans l’encre%mais toute pr*te et taillée d’un "in cani"% la plume d’oiseau bleucouleur du temps dont elle devait signer les !ettres de 9uanne.

: 3han,ard% me dit mon "r)re en m’en"ournant dans le vaste habit%

maintenant% ta "ortune est "aite. =eu" heures sonnaient% +e partis.Augustine /rohan habitait alors rue !ord#/4ron% tout en haut des

3hamps#Ul4sées% un de ces coquets petits h(tels dont les pauvresdiables provinciaux - l’imagination poétique r*vent d’apr)s lesromanciers.

'ne grille% un petit +ardin% un perron de quatre marches sous unemarquise% des "leurs plein l’antichambre% et tout de suite le salon% un

salon vert tr)s éclairé% que +e revois si bienF3omment +e montai le perron% comment +’entrai% comment +e me

présentai% +e l’ignore. 'n domestique annon,a mon nom% mais cenom% bredouillé d’ailleurs% ne produisit aucun e""et sur l’assemblée.Me me rappelle seulement une voix de "emme qui disait : &antmieux% un danseur 6 = Gl paraBt qu’on en manquait. >uelle entrée pourun l4rique 6

&erri"ié% humilié% +e me dissimulai dans la "oule. Dire mone""arement 6F Au bout d’un instant% autre aventure mon étrange

IJ



habit% mes longs cheveux% mon Kil boudeur et sombre provoquaientla curiosité publique. M’entendais chuchoter autour de moi : >uiest#ce @F regarde doncF = et l’on riait. En"in quelqu’un dit : 3’est le prince valaque 6 ? !e prince valaque @F ah 6 oui% tr)s

bienF = Gl "aut croire que% ce soir#l-% on attendait un prince valaque.M’étais classé% on me laissa tranquille. ais c’est égal% vous nesaurie croire combien% pendant toute la soirée% ma couronne usurpéeme pesa. D’abord danseur% puis prince valaque. 3es gens#l- nevo4aient donc pas ma l4re @

En"in% les quadrilles commenc)rent.Me dansai% il le "allut 6 Me dansai m*me asse mal% pour un prince

valaque. !e quadrille "ini% +e m’immobilisai% sottement bridé par mam4opie% trop peu hardi pour arborer le lorgnon% trop po)te pourporter lunettes% et craignant tou+ours au moindre mouvement de meluxer le genou - l’angle d’un meuble ou de planter mon ne dansl’entre#deux d’un corsage.

/ient(t la "aim% la soi" s’en m*l)rent 0 mais pour un empire% +en’aurais osé m’approcher du bu""et avec tout le monde. Me guettais lemoment o5 il serait vide. En attendant% +e me m*lais aux groupes des

politiqueurs% gardant un air grave% et "eignant de dédaigner les"élicités du petit salon d’o5 m’arrivait% avec un bruit de rires et depetites cuillers remuées dans la porcelaine% une "ine odeur de thé"umant% de vins d’Espagne et de gteaux. En"in% quand on revientdanser% +e me décide. e voil- entré% +e suis seulF 'néblouissement% ce bu""et 6 c’était% sous la "lamme des bougies% avecses verres% ses "lacons% une p4ramide en cristal% blanche%éblouissante% "raBche - la vue% de la neige au soleil. Me prends un

verre% "r*le comme une "leur 0 +’ai bien soin de ne pas serrer parcrainte d’en briser la tige. >ue verser dedans @ Allons 6 du courage%puisque personne ne me voit. M’atteins un "lacon en ttonnant% sanschoisir. 3e doit *tre du \irsch% on dirait du diamant liquide. 8a doncpour un petit verre de \irsch 0 +’aime son par"um qui me "ait r*ver degrands bois% son par"um amer et un peu sauvage. Et me voil- versantgoutte - goutte% en gourmet% la claire liqueur. Me hausse le verre%

+’allonge les l)vres. Horreur 6 De l’eau pure% quelle grimace 69oudain retentit un double éclat de rire un habit noir% une robe rose

IN



que +e n’ai pas aper,us% en train de "lirter dans un coin% et que maméprise amuse. Me veux replacer le verre 0 mais +e suis troublé% mamain tremble% ma manche accroche +e ne sais quoi. 'n verre tombe%deux% trois verres 6

Me me retourne% mes basques s’en m*lent% et la blanche p4ramideroule par terre avec les scintillations% le bruit d’ouragan% les éclatssans nombre d’un iceberg qui s’écroulerait.

!a maBtresse de maison accourut au vacarme. Heureusement elleest aussi m4ope que le prince valaque% et celui#ci peut s’évader dubu""et sans *tre aper,u. 3’est égal 6 ma soirée est gtée. 3e massacrede petits verres et de cara"ons me p)se comme un crime. Me ne songeplus qu’- m’en aller. ais la maman Dubois% éblouie par maprincipauté% s’accroche - moi% ne veut pas que +e parte sans avoir "aitdanser sa "ille% comment donc 6 ses deux "illes. Me m’excuse tant bienque mal% +e m’échappe% +e vais sortir% lorsqu’un grand vieux ausourire "in% t*te d’év*que et de diplomate% m’arr*te au passage. 3’estle docteur $icord% avec qui +’ai échangé quelques mots tout - l’heureet qui me croit 8alaque% comme les autres. ? : ais% prince% puisquevous habite l’h(tel du 9énat et que nous sommes tout - "ait voisins%

attende#moi. M’ai une place pour vous dans ma voiture. = Me voudraisbien% mais% +e suis venu sans pardessus. >ue dirait $icord d’un princevalaque privé de "ourrures et grelottant dans son habit @

Uvadons#nous vite% rentrons - pied% par la neige% par le brouillard%plut(t que de laisser voir notre mis)re. &ou+ours m4ope et plustroublé que +amais% +e gagne la porte et me glisse au#dehors% non sansm’emp*trer dans les tentures. : onsieur ne prend pas sonpardessus @ = me crie un valet de pied.

e voil-% - deux heures du matin% loin de che moi% lché par lesrues% a""amé% gelé% et la queue du diable dans ma poche.

&out - coup% la "aim m’inspira% une illumination me vint : 9i +’allais aux halles. = On m’avait souvent parlé des halles et d’uncertain SF% ouvert toute la nuit% che lequel on mangeait pour troissous des soupes aux choux succulentes. arbleu% oui% +’irai auxhalles. Me m’attablerai l- comme un vagabond% un r(deur de nuit. es

"iertés sont passées. !e vent glace% +’ai l’estomac creux. : onro4aume pour un cheval =% disait l’autre 0 moi +e dis tout en

I



trottinant : a principauté% ma principauté valaque pour une bonnesoupe dans un endroit chaud 6 =

3’était un vrai bouge par l’aspect% cet établissement de SF quis’en"on,ait poisseux et misérablement éclairé sous les piliers des

vieilles halles. /ien souvent depuis% quand le noctambulisme était -la mode% nous avons passé l- des nuits enti)res% entre "uturs grandshommes% coudes sur la table% "umant et causant littérature. ais lapremi)re "ois% +e l’avoue% +e "aillis reculer malgré ma "aim% devant cesmurs noirs% ces gens attablés% ron"lant le dos au mur ou lapant leursoupe comme des chiens% ces casquettes de don Muan du ruisseau% cesénormes "eutres blancs des "orts de la halle% et la blouse saine etrugueuse du maraBcher pr)s des guenilles grasses du r(deur debarri)re. M’entrai pourtant% et +e dois dire que tout de suite mon habitnoir trouva de la compagnie. Gls ne sont pas rares - aris% passéminuit% les habits noirs sans pardessus l’hiver% et qui ont "aim de troissous de soupe aux choux 6

9oupe aux choux exquise d’ailleurs 0 odorante comme un +ardin et"umante comme un crat)re. M’en repris deux "ois% quoique cettehabitude% inspirée par une salutaire dé"iance% d’attacher "ourchettes et

cuillers - la table avec une chaBnette% me g*nt un peu. Me pa4ai% et lecKur ra""ermi par cette solide ptée% +e repris la route du quartierlatin.

Gmagine#vous ma rentrée% la rentrée du po)te remontant au trot larue de &ournon% le col de son habit relevé% vo4ant danser devant ses4eux% que la "atigue ensommeille% les ombres élégantes d’une soiréemondaine m*lées aux silhouettes a""amées de che 3hose% etcognant% pour en détacher la neige% ses bottines contre la borne de

l’h(tel du 9énat% tandis qu’en "ace les lanternes blanches d’un coupéilluminent la "ace d’un vieil h(tel% et que le cocher du docteur $icorddemande

: orte% s’il vous plaBt 6 = !a vie de aris est "aite de cescontrastes.

: 9oirée perdue 6 me dit mon "r)re le lendemain. &u as passé pourprince valaque% et tu n’as pas lancé ton volume. ais rien n’est

encore désespéré. &u te rattraperas - la visite de digestion. = !adigestion d’un verre d’eau% qu’elle ironie 6 Gl "allut bien deux mois

JP



pour me décider - cette visite. 'n +our pourtant% +e pris mon parti. Endehors de ses mercredis o""iciels% Augustine /rohan donnait ledimanche des matinées plus intimes. Me m’4 rendis résolument.

: < aris% une matinée qui se respecte ne saurait décemment

commencer avant trois et m*me quatre heures de l’apr)s#midi. oi%naR"% prenant au sérieux ce mot de matinée% +e me présentai - uneheure précise% cro4ant d’ailleurs *tre en retard.

: 3omme tu viens de bonne heure% monsieur% me dit un gar,onnetde cinq ou six ans% blondin% en veston et en pantalon brodé% qui sepromenait - travers le +ardin verdissant% sur un grand chevalmécanique. 3e +eune homme m’impressionna. Me saluai les cheveuxblonds% le cheval% le velours% les broderies% et% trop timide pourrebrousser chemin% +e montai. adame achevant de s’habiller% +e dusattendre tout seul une demi#heure. En"in% madame arrive% cligne des4eux% reconnaBt le prince valaque et pour dire quelque chose%commence : 8ous n’*tes donc pas - la arche% mon prince @ = < laarche% moi qui n’avais +amais vu ni courses ni +oc\e4s 6 < la "in%cela me "it honte% une bou""ée subite me monta du cKur au cerveau 0et puis ce clair soleil% ces odeurs de +ardin au printemps entrant par la

"en*tre ouverte% l’absence de solennité% cette petite "emme sourianteet bonne% mille choses me donnaient courage% et +’ouvris mon cKur% +e dis tout% +’avouai tout en une "ois comme quoi +e n’étais ni8alaque% ni prince% mais simple po)te% et l’aventure de mon verre de\irsch% et mon lamentable retour% et mes peurs de province% et mam4opie% et mes espérances% tout cela relevé par l’accent de che nous.Augustine /rohan riait comme une "olle. &out - coup% on sonne

: /on 6 mes cuirassiers =% dit#elle.

: >uels cuirassiers @ =: Deux cuirassiers qu’on m’envoie du camp de 3hlons et qui ont%

paraBt#il% d’étonnantes dispositions pour +ouer la comédie. =Me voulais partir.: on pas% reste 0 nous allons répéter le !ait d’nesse% et c’est

vous qui sere le critique in"luent. !-% pr)s de moi% sur ce divan 6 =Deux grands diables entrent% timides% sanglés% cramoisis 0 l’un

deux% +e crois bien% +oue la comédie quelque part au+ourd’hui. Ondispose un paravent% +e m’installe et la représentation commence.

J1



: Gls ne vont pas trop mal% me disait Augustine /rohan - mi#voix%mais quelles bottes 6F onsieur le critique% "laire#vous lesbottes 6 = 3ette intimité avec la plus spirituelle comédienne de arisme ravissait au septi)me ciel. Me me renversais sur le divan% hochant

la t*te% souriant d’un air entenduF on habit en craquait de +oie.!e moindre de ces détails me paraBt énorme au+ourd’hui. 8o4e

pourtant ce que c’est que l’optique +’avais raconté - 9arce4l’histoire comique de mes débuts dans le monde. 9arce4% un +our% larépéta - Augustine /rohan. Eh bien 6 cette ingrate Augustine ? quedepuis vingt ans +e n’ai d’ailleurs pas revue ? +ura sinc)rement neconnaBtre de moi que mes livres. Elle avait tout oublié 6 mais l-% tout%de ce qui a tenu tant de place dans ma vie% les verres cassés% le princevalaque% la répétition du !ait d’nesse% et les bottes des cuirassiers 6

J2



LES TROIS MESSES BASSES – CONTE DENO%L

J



I

: Deux dindes tru""ées% Sarrigou @F

; Oui% mon révérend% deux dindes magni"iques% bourrées detru""es. M’en sais quelque chose% puisque c’est moi qui ai aidé - lesremplir. On aurait dit que leur peau allait craquer en r(tissant%tellement elle était tendueF

; Mésus#aria 6 moi qui aime tant les tru""es 6F Donne#moi vitemon surplis% SarrigouF Et avec les dindes% qu’est#ce que tu asencore aper,u - la cuisine @F

; Oh 6 toutes sortes de bonnes choses. Depuis midi nous n’avons"ait que plumer des "aisans% des huppes% des gélinottes% des coqs debru4)re. !a plume en volait partout. uis de l’étang on a apporté desanguilles% des carpes dorées% des truites% desF

; Srosses comment les truites% Sarrigou @ ; Srosses comme ,a% mon révérendF Unormes 6F ; Oh 6 Dieu 6 il me semble que +e les voisF As#tu mis le vin

dans les burettes @

; Oui% mon révérend% +’ai mis le vin dans les burettesF aisdame 6 il ne vaut pas celui que vous boire tout - l’heure en sortantde la messe de minuit. 9i vous vo4ie cela dans la salle - manger duchteau. &outes les cara"es qui "lambent pleines de vins de toutes lescouleurs 6F Et la vaisselle d’argent% les surtouts ciselés% les "leurs%les candélabres 6F Mamais il ne se sera vu un réveillon pareil.onsieur le marquis a invité tous les seigneurs du voisinage.

: 8ous sere au moins quarante - table sans compter le bailli ni le

tabellionF Ah 6 vous *tes bien heureux d’en *tre% mon révérend 6F$ien que d’avoir "lairé ces belles dindes% l’odeur des tru""es me suit

J7



partout. euh 6F ; Allons% allons% mon en"ant. Sardons#nous du péché de

gourmandise% surtout la nuit de la ativitéF 8a bien vite allumer lescierges et sonner le premier coup de la messe 0 car voil- que minuit

est proche% et il ne "aut pas nous mettre en retardF =3ette conversation se tenait une nuit de o^l de l’an de grce mil

six cent et tant% entre le révérend dom /alagu)re% ancien prieur des/arnabites% présentement chapelain gagé des sires de &rinquelague%et son petit clerc Sarrigou% ou du moins ce qu’il cro4ait *tre le petitclerc Sarrigou% car vous saure que le diable% ce soir#l-% avait pris la"ace ronde et les traits indécis du +eune sacristain pour mieux induirele révérend p)re en tentation et lui "aire commettre un épouvantablepéché de gourmandise. Donc% pendant que le soi#disant SarrigouWhum 6 hum 6X "aisait - tour de bras carillonner les cloches de lachapelle seigneuriale% le révérend achevait de rev*tir sa chasubledans la petite sacristie du chteau 0 et% l’esprit dé+- troublé par toutesces descriptions gastronomiques% il se répétait - lui#m*me ens’habillant

: Des dindes r(tiesF des carpes doréesF des truites grosses

comme ,a 6F =Dehors% le vent de la nuit sou""lait éparpillant la musique descloches% et% - mesure% des lumi)res apparaissaient dans l’ombre aux"lancs du mont 8entoux% en haut duquel s’élevaient les vieilles toursde &rinquelague.

3’étaient des "amilles de méta4ers qui venaient entendre la messede minuit au chteau. Gls grimpaient la c(te en chantant par groupesde cinq ou six% le p)re en avant% la lanterne en main% les "emmes

enveloppées dans leurs grandes mantes brunes o5 les en"ants seserraient et s’abritaient. algré l’heure et le "roid% tout ce bravepeuple marchait all)grement% soutenu par l’idée qu’au sortir de lamesse il 4 aurait% comme tous les ans% table mise pour eux en basdans les cuisines. De temps en temps% sur la rude montée% le carrossedu seigneur% précédé de porteurs de torches% "aisait miroiter sesglaces au clair de lune% ou bien une mule trottait en agitant ses

sonnailles% et - la lueur de "alots enveloppés de brumes% les méta4ersreconnaissaient leur bailli et le saluaient au passage

JC



: /onsoir% bonsoir% maBtre Arnoton 6 ; /onsoir% bonsoir% mes en"ants 6 =!a nuit était claire% les étoiles avivées de "roid 0 la bise piquait% et

un "in grésil% glissant sur les v*tements sans les mouiller% gardait

"id)lement la tradition des o^ls blancs de neige. &out en haut de lac(te% le chteau apparaissait comme le but% avec sa masse énorme detours% de pignons% le clocher de sa chapelle montant dans le ciel bleunoir% et une "oule de petites lumi)res qui clignotaient% allaient%venaient% s’agitaient - toutes les "en*tres% et ressemblaient% sur le"ond sombre du btiment% aux étincelles courant dans des cendres depapier brléF

assé le pont#levis et la poterne% il "allait% pour se rendre - lachapelle% traverser la premi)re cour% pleine de carrosses% de valets% dechaises - porteurs% toute claire du "eu des torches et de la "lambée descuisines.

On entendait le tintement des tournebroches% le "racas descasseroles% le choc des cristaux et de l’argenterie remués dans lesappr*ts d’un repas 0 par l-#dessus% une vapeur ti)de% qui sentait bonles chairs r(ties et les herbes "ortes des sauces compliquées% "aisait

dire aux méta4ers% comme au bailli% comme - tout le monde : >uel bon réveillon nous allons "aire apr)s la messe 6 =

JI



II

Drelindin din 6F Drelindin din 6F

3’est la messe de minuit qui commence.Dans la chapelle du chteau% une cathédrale en miniature% aux

arceaux entre#croisés% aux boiseries de ch*ne% montant +usqu’-hauteur des murs% les tapisseries ont été tendues% tous les ciergesallumés. Et que de monde 6 Et que de toilettes 6 8oici d’abord% assisdans les stalles sculptées qui entourent le chKur% le sire de&rinquelague en habit de ta""etas saumon% et pr)s de lui tous lesnobles seigneurs invités. En "ace% sur des prie#Dieu garnis de velours%ont pris place la vieille marquise douairi)re dans sa robe de brocartcouleur de "eu% et la +eune dame de &rinquelague% coi""ée d’une hautetour de dentelle gau"ré - la derni)re mode de la cour de Lrance. lusbas on voit% v*tus de noir% avec de vastes perruques en pointe et desvisages rasés% le bailli &homas Arnoton et le tabellion maBtreAmbro4% deux notes graves parmi les soies vo4antes et les damasbrochés. uis viennent les gras ma+ordomes% les pages% les piqueurs%

les intendants% dame /arbe% toutes ses cle"s pendues sur le c(té - unclavier d’argent "in. Au "ond% sur les bancs% c’est le bas o""ice% lesservantes% les méta4ers avec leurs "amilles 0 et en"in% l-#bas% toutcontre la porte qu’ils entrouvrent et re"erment discr)tement%messieurs les marmitons qui viennent entre deux sauces prendre unpetit air de messe et apporter une odeur de réveillon dans l’église touten "*te et ti)de de tant de cierges allumés.

Est#ce la vue de ces petites barrettes blanches qui donne des

distractions - l’o""iciant @ e serait#ce pas plut(t la sonnette deSarrigou% cette enragée petite sonnette qui s’agite au pied de l’autel

JJ



avec une précipitation in"ernale et semble dire tout le temps : Dép*chons#nous% dép*chons#nousF lus t(t nous aurons "ini% plust(t nous serons - table. = !e "ait est que chaque "ois qu’elle tinte%cette sonnette du diable% le chapelain oublie sa messe et ne pense plus

qu’au réveillon. Gl se "igure les cuisiniers en rumeur% les "ourneaux o5brle un "eu de "orge% la buée qui monte des couvercles entr’ouverts%et dans cette buée deux dindes magni"iques bourrées% tendues%marbrées de tru""esF

Ou bien encore il voit passer des "iles de petits pages portant desplats enveloppés de vapeurs tentantes% et avec eux il entre dans lagrande salle dé+- pr*te pour le "estin. [ délices 6 voil- l’immensetable toute chargée et "lambo4ante% les paons habillés de leursplumes% les "aisans écartant leurs ailes mordorées% les "lacons couleurde rubis% les p4ramides de "ruits éclatants parmi les branches vertes%et ces merveilleux poissons dont parlait Sarrigou Wah 6 bien oui%Sarrigou 6X étalés sur un lit de "enouil% l’écaille nacrée comme s’ilssortaient de l’eau% avec un bouquet d’herbes odorantes dans leursnarines de monstres. 9i vive est la vision de ces merveilles% qu’ilsemble - dom /alagu)re que tous ces plats miri"iques sont servis

devant lui sur les broderies de la nappe d’appel% et deux ou trois "ois%au lieu de Dominus vobiscum 6 il se surprend - dire le /enedicite.< part ces lég)res méprises% le digne homme débite son o""ice tr)s

consciencieusement% sans passer une ligne% sans omettre unegénu"lexion 0 et tout marche asse bien +usqu’- la "in de la premi)remesse 0 car vous save que le +our de o^l le m*me o""iciant doitcélébrer trois messes consécutives.

: Et d’une 6 = se dit le chapelain avec un soupir de soulagement 0

puis% sans perdre une minute% il "ait signe - son clerc ou celui qu’ilcroit *tre son clerc% etF

Drelindin din 6F Drelindin din 63’est la seconde messe qui commence% et avec elle commence

aussi le péché de dom /alagu)re. : 8ite% vite% dép*chons#nous% = luicrie de sa petite voix aigrelette la sonnette de Sarrigou% et cette "ois%le malheureux o""iciant% tout abandonné au démon de gourmandise%

se rue sur le missel et dévore les pages avec l’avidité de son appétitsurexcité. Lrénétiquement il se baisse% se rel)ve% esquisse les signes

JN



de croix% les génu"lexions% raccourcit tous ses gestes pour avoir plust(t "ini. < peine s’il étend ses bras - l’Uvangile% s’il "rappe sa poitrineau 3on"iteor. Entre le clerc et lui c’est - qui bredouillera le plus vite.8ersets et répons se précipitent% se bousculent. !es mots - moitié

prononcés sans ouvrir la bouche% ce qui prendrait trop de temps%s’ach)vent en murmures incompréhensibles.

Oremus psF psF psFea culpaF paF paFareils - des vendangeurs pressés "oulant le raisin de la cave% tous

deux barbotent dans le latin de la messe% en envo4ant deséclaboussures de tous les c(tés.

DomF scum 6F dit /alagu)re.F 9tutuo 6F répond Sarrigou 0 et tout le temps la damnée petite

sonnette est l- qui tinte - leurs oreilles% comme ces grelots qu’on metaux chevaux de poste pour les "aire galoper - la grande vitesse.ense que de ce train#l- une messe basse est vite expédiée.

: Et de deux 6 = dit le chapelain tout essou""lé 0 puis sans prendrele temps de respirer% rouge% suant% il dégringole les marches de l’auteletF Drelindin din 6F Drelindin din 6F

3’est la troisi)me messe qui commence. Gl n’4 a plus que quelquespas - "aire pour arriver - la salle - manger 0 mais% hélas 6 - mesureque le réveillon approche% l’in"ortuné /alagu)re se sent pris d’une"olie d’impatience et de gourmandise. 9a vision s’accentue% lescarpes dorées% les dindes r(ties sont l-% l-F il les touche 0 il lesFOh 6 Dieu 6 les plats "ument% les vins embaument 0 et% secouant songrelot enragé la petite sonnette lui crie

: 8ite% vite% encore plus vite 6F =

ais comment pourrait#il aller plus vite @ 9es l)vres remuent -peine. Gl ne prononce plus les motsF < moins de tricher tout - "ait lebon Dieu et de lui escamoter sa messeF Et c’est ce qu’il "ait% lemalheureux 6F De tentation en tentation% il commence par sauter unverset% puis deux.

uis l’UpBtre est trop longue% il ne la "init pas% e""leure l’Uvangile%passe devant le 3redo sans entrer% saute le ater% salue de loin la

pré"ace% et par bonds et par élans se précipite ainsi dans la damnationéternelle% tou+ours suivi de l’in"me Sarrigou Wvade rétro% 9atanas 6X

J



qui le seconde avec une merveilleuse entente% lui rel)ve sa chasuble%tourne les "euillets deux par deux% bouscule les pupitres% renverse lesburettes% et sans cesse secoue la petite sonnette de plus en plus "ort%de plus en plus vite.

Gl "aut voir la "igure e""arée que "ont les assistants 6 Obligés desuivre - la mimique du pr*tre cette messe dont ils n’entendent pas unmot% les uns se l)vent quand les autres s’agenouillent% s’asse4entquand les autres sont debout 0 et toutes les phases de ce singuliero""ice se con"ondent sur les bancs dans une "oule d’attitudes diverses.!’étoile de o^l% en route dans les chemins du ciel% vers la petiteétable% plit d’épouvante en vo4ant cette con"usion.

: !’abbé va trop viteF on ne peut pas suivre =% murmure la vieilledouairi)re en agitant sa coi""e avec égarement. aBtre Arnoton% sesgrandes lunettes d’acier sur le ne% cherche dans son paroissien o5diantre on peut bien en *tre. ais au "ond tous ces braves gens qui%eux aussi% pensent - réveillonner% ne sont pas "chés que la messeaille ce train de poste 0 et quand dom /alagu)re% la "igure toutera4onnante% se tourne vers l’assistance en criant de toutes ses "orces Gte missa est% il n’4 a qu’une voix dans la chapelle pour lui répondre

un Deo gratias si +o4eux% si entraBnant% qu’on se croirait dé+- - tableau premier toast du réveillon.

NP



III

3inq minutes apr)s% la "oule des seigneurs s’asse4ait dans la

grande salle% le chapelain au milieu d’eux. !e chteau% illuminé duhaut en bas% retentissait de chants% de cris% de rumeurs 0 et levénérable dom /alagu)re plantait sa "ourchette dans une gelinotte%no4ant le remords de son péché sous des "lots de vin du pape et debons +us de viandes. &ant il but et mangea% le pauvre saint homme%qu’il mourut dans la nuit d’une terrible attaque% sans avoir euseulement le temps de se repentir 0 puis au matin% il arriva dans le cielencore tout en rumeur des "*tes de la nuit% et +e vous laisse - pensercomme il 4 "ut re,u.

: $etire#toi de mes 4eux% mauvais chrétien 6 lui dit le souverainMuge% notre maBtre - tous. &a "aute est asse grande pour e""acer touteune vie de vertuF Ah 6 tu m’as volé une messe de nuitF Eh bien 6tu m’en pa4eras trois cents en place% et tu n’entreras en paradis quequand tu auras célébré dans ta propre chapelle ces trois cents messesde o^l en présence de tous ceux qui ont péché par ta "aute et avec

toiF =FEt voil- la vraie légende de dom /alagu)re comme on laraconte aux pa4s des olives. Au+ourd’hui le chteau de &rinquelaguen’existe plus% mais la chapelle se tient encore droite% tout en haut dumont 8entoux% dans un bouquet de ch*nes verts. !e vent "ait battre saporte dis+ointe% l’herbe encombre le seuil 0 il 4 a des nids aux anglesde l’autel et dans l’embrasure des hautes croisées dont les vitrauxcoloriés ont disparu depuis longtemps.

3ependant il paraBt que tous les ans% - o^l% une lumi)resurnaturelle erre parmi ces ruines% et qu’en allant aux messes et aux

N1



réveillons% les pa4sans aper,oivent ce spectre de chapelle éclairé decierges invisibles qui brlent au grand air% m*me sous la neige et levent. 8ous en rire si vous voule% mais un vigneron de l’endroit%nommé Sarrigue% sans doute un descendant de Sarrigou% m’a a""irmé

qu’un soir de o^l% se trouvant un peu en ribote% il s’était perdu dansla montagne du c(té de &rinquelague 0 et voici ce qu’il avait vu.Musqu’- one heures% rien. &out était silencieux% éteint% inanimé.9oudain% vers minuit% un carillon sonna tout en haut du clocher% unvieux% vieux carillon qui avait l’air d’*tre - dix lieues. /ient(t% dansle chemin qui monte% Sarrigue vit trembler des "eux% s’agiter desombres indécises. 9ous le porche de la chapelle% on marchait% onchuchotait

: /onsoir% maBtre Arnoton 6 ; /onsoir% bonsoir% mes en"ants 6F =>uand tout le monde "ut entré% mon vigneron% qui était tr)s brave%

s’approcha doucement% et% regardant par la porte cassée% eut unsingulier spectacle. &ous ces gens qu’il avait vus passer étaientrangés autour du choeur% dans la ne" en ruine% comme si les anciensbancs existaient encore. De belles dames en brocart avec des coi""es

de dentelle% des seigneurs chamarrés du haut en bas% des pa4sans en +aquettes "leuries ainsi qu’en avaient nos grands#p)res% tous l’airvieux% "ané% poussiéreux% "atigué.

De temps en temps% des oiseaux de nuit% h(tes habituels de lachapelle% réveillés par toutes ces lumi)res% venaient r(der autour descierges dont la "lamme montait droite et vague comme si elle avaitbrlé derri)re une gae 0 et ce qui amusait beaucoup Sarrigue% c’étaitun certain personnage - grandes lunettes d’acier% qui secouait -

chaque instant sa haute perruque noire sur laquelle un de ces oiseauxse tenait droit tout emp*tré en battant silencieusement des ailesF

Dans le "ond% un petit vieillard de taille en"antine% - genoux aumilieu du chKur% agitait désespérément une sonnette sans grelots etsans voix% pendant qu’un pr*tre babillé de vieil or allait% venaitdevant l’autel en récitant des oraisons dont on n’entendait pas unmotF /ien sr c’était dont /alagu)re en train de dire sa troisi)me

messe basse.

N2



LE NOUVEAU MA&TRE

Elle est bien changée notre petite école% depuis le départ de .

Hamel. De son temps% nous avions tou+ours quelques minutes degrce le matin% en arrivant. On se mettait en rond autour du po*lepour se dégourdir un peu les doigts% secouer la neige% ou le grésilattaché aux habits. On causait doucement en se montrant les uns auxautres% ce qu’on avait dans son panier. 3ela donnait% - ceux quihabitent au bout du pa4s% le temps d’arriver pour la pri)re etl’appelF Au+ourd’hui ce n’est plus la m*me chose. Gl s’agit d’arriver +uste - l’heure. !e prussien _lot% notre nouveau maBtre% ne plaisantepas. D)s huit heures moins cinq% il est debout dans sa chaire% sagrosse canne - c(té de lui% et malheur aux retardataires. Aussi il "autentendre les sabots se dép*cher dans la petite cour% et les voixessou""lées crier d)s la porte : résent 6 =

3’est qu’il n’4 a pas d’excuses avec ce terrible russien. Gl n’4 apas - dire : M’ai aidé ma m)re - porter le linge au lavoirF !e p)rem’a emmené au marché avec lui. = . _lot ne veut rien entendre.

On dirait que pour ce misérable étranger nous n’avons ni maison% ni"amille% que nous sommes venus au monde écoliers% nos livres sousle bras% tout expr)s pour apprendre l’allemand et recevoir des coupsde trique. Ah 6 +’en ai re,u ma bonne part dans le commencement.otre scierie est si loin de l’école% et il "ait +our si tard en hiver 6 < la"in% comme +e revenais tou+ours le soir avec des marques rouges surles doigts% sur le dos% partout% le p)re s’est décidé - me mettrepensionnaire% mais +’ai eu bien du mal - m’4 habituer.

3’est qu’avec . _lot les pensionnaires ont aussi me _lot%qui est encore plus méchante que lui% et puis une "oule de petits

N



_lot% qui vous courent apr)s dans les escaliers% en vous criant queles Lran,ais sont tous des b*tes% tous des b*tes. Heureusement que ledimanche% quand ma m)re vient me voir% elle m’apporte tou+ours desprovisions% et comme tout ce monde#l- est tr)s gourmand% +e suis

asse bien vu dans la maison.'n que +e plains de tout mon cKur% par exemple% c’est Saspard

Hénin. 3elui#l- couche aussi dans la petite chambre sous les toits.8oil- deux ans qu’il est orphelin% et que son oncle le meunier% pour sedébarrasser de lui% l’a mis - l’école tout - "ait. >uand il est arrivé%c’était un gros gar,on de dix ans qui en paraissait bien quine%habitué - courir et - +ouer en plein air tout le +our% sans se douterseulement qu’on apprenait - lire. Aussi% les premiers temps% ne"aisait#il que pleurer et sangloter avec des plaintes de chien -l’attache 0 tr)s bon malgré cela% et des 4eux doux comme ceux d’une"ille. < "orce de patience% . Hamel% notre ancien maBtre% étaitparvenu - l’apprivoiser% et% quand il avait une petite course - "aireaux environs% il envo4ait Saspard% tout heureux de se sentir - l’airlibre% de s’éclabousser aux ruisseaux et d’attraper de grands coups desoleil sur sa "igure hlée. Avec . _lot% tout a changé.

!e pauvre Saspard% qui avait dé+- eu tant de mal - se mettre au"ran,ais% n’a +amais pu apprendre un mot d’allemand.Gl se butte des heures enti)res sur la m*me déclinaison% et l’on sent

bien% dans ses sourcils "roncés% encore plus d’ent*tement et de col)reque d’attention. < chaque le,on% la m*me sc)ne recommence : Saspard Hénin% leve#vous 6F = Hénin se l)ve en boudant% sebalance sur son pupitre% puis se rassied sans dire une parole. Alors lemaBtre le bat% me _lot le prive de manger. ais ,a ne le "ait pas

apprendre plus vite. /ien souvent% le soir% en montant dans la petitechambre% +e lui ai dit : e pleure donc pas% Saspard% "ais commemoi. Apprends - lire l’allemand% puisque ces gens#l- sont les plus"orts. = ais lui me répondait tou+ours : on% +e ne veux pasF +eveux m’en aller% +e veux m’en retourner che nous. = 3’était son idée"ixe.

9a languitude des commencements lui était revenue encore plus

"orte% et le matin% au petit +our% quand +e le vo4ais assis sur son lit% les4eux "ixes% +e comprenais qu’il pensait au moulin en train de

N7



s’éveiller - cette heure% et - la belle eau courante dans laquelle il abarboté toute sa vie d’en"ant. 3es choses l’attiraient de loin% et lesbrutalités du maBtre ne "aisaient que le pousser vers sa maison encoreplus vite et le rendre tout - "ait sauvage. >uelque"ois% apr)s les coups

de trique% en vo4ant ses 4eux bleus se "oncer de col)re% +e me disaisqu’- la place de . _lot +’aurais peur de ce regard#l-. ais cediable de _lot n’a peur de rien. Apr)s les coups% la "aim 0 il a encoreinventé la prison% et Saspard ne sort presque plus.

ourtant% dimanche dernier% comme il n’avait pas pris l’air depuisdeux mois% on l’emmena avec nous dans la prairie communale% horsdu village.

Gl "aisait un temps superbe% et nous% nous courions de toutes nos"orces dans de grandes parties de barres% heureux de sentir la bise"roide% qui nous "aisait penser - la neige et aux glissades. 3ommetou+ours% Saspard se tenait - l’écart de la lisi)re du bois% remuant les"euilles% coupant des branches% et se "aisant des +eux - lui tout seul 6Au moment de se mettre en rang pour partir% plus de Saspard. On lecherche% on l’appelle. Gl s’était échappé. Gl "allait voir la col)re de ._lot. 9a grosse "igure était pourpre% sa langue s’embarrassait dans

les +urons allemands. 3’est nous qui étions contents. Alors apr)savoir renvo4é les autres au village% il prit deux grands avec lui% moiet un autre% et nous voil- partis pour le moulin Hénin. !a nuittombait. artout des maisons "ermées% chaudes du bon "eu et du bonrepas du dimanche% un petit "ilet de lumi)re glissait sur la route et +epensais qu’- cette heure#l- on devait *tre bien - table et - l’abri.

3he les Hénin le moulin était arr*té% la palissade "ermée% tout lemonde rentré% b*tes et gens. >uand le gar,on vint nous ouvrir% les

chevaux% les moutons remu)rent dans leur paille 0 et sur les perchoirsdu poulailler% il 4 eut de grands coups d’ailes et des cris de peurcomme si tout ce petit peuple avait reconnu . _lot. !es gens dumoulin étaient attablés en bas dans la cuisine% une grande cuisinebien chau""ée% bien éclairée et toute reluisante% depuis les poids del’horloge +usqu’aux chaudrons.

Entre le meunier Hénin et sa "emme% Saspard% assis au haut bout

de la table% avait la mine épanouie d’un en"ant heureux% cho4é%caressé.

NC



our expliquer sa présence% il avait inventé +e ne sais quelle "*ted’archiduc% une vacance prussienne% et l’on était en train de célébrerson arrivée. >uand il aper,ut . _lot% le malheureux regarda toutautour de lui% cherchant une porte ouverte pour s’échapper 0 mais la

grosse main du maBtre s’appu4a sur son épaule% et% en une minute%l’oncle "ut in"ormé de l’escapade. Saspard avait la t*te levée et nonplus son air honteux d’écolier pris en "aute. Alors lui% qui d’habitudeparlait si rarement% retrouva sa langue tout - coup : Eh bien% oui% +eme suis échappé 6 Me ne veux plus aller - l’école. Me n’apprendrai +amais l’allemand% une langue de pillards et d’assassins. Me veuxparler "ran,ais comme mon p)re et ma m)re. = Gl tremblait% il étaitterrible.

: &ais#toi% SaspardF = lui disait l’oncle 0 mais rien ne pouvaitl’arr*ter. : 3’est bonF c’est bonF !aisse#leF ous viendrons lechercher avec les gendarmesF = Et . _lot ricanait. Gl 4 avait ungrand couteau sur la table 0 Saspard le prit avec un geste terrible qui"it reculer le maBtre

: Eh bien 6 amene#les vos gendarmes. =Alors l’oncle Hénin% qui commen,ait - prendre peur% se +eta sur

son neveu% lui arracha le couteau des mains% et +e vis une chosea""reuse. 3omme Saspard criait tou+ours : Me n’irai pasF +e n’iraipas 6 = on l’attacha solidement.

!e malheureux mordait% écumait% appelait sa tante qui étaitremontée toute tremblante et pleurant. uis% pendant qu’on attelait lechar - bancs% l’oncle voulut nous "aire manger. oi% +e n’avais pas"aim% vous pense 0 mais . _lot se mit - dévorer% et tout le tempsle meunier lui "aisait des excuses pour les in+ures que Saspard lui

avait dites - lui et - 9a a+esté l’empereur d’Allemagne. 3e quec’est que d’avoir peur des gendarmes 6

>uel triste retour 6 Saspard% étendu au "ond de la charrette sur dela paille% comme un mouton malade% ne disait plus un mot. Me lecro4ais endormi% a""aissé par tant de col)res et de larmes% et +epensais qu’il devait avoir bien "roid% nu#t*te et sans manteau commeil était 0 mais +e n’osais rien dire de peur du maBtre. !a pluie était

"roide.. _lot% son bonnet "ourré bien descendu +usqu’aux oreilles%

NI



tapait le cheval en chantonnant. !e vent "aisait danser la lumi)re desétoiles et nous allions% nous allions sur la route blanche et gelée.ous étions dé+- loin du moulin. On n’entendait presque plus le bruitde l’écluse% quand une voix "aible% pleurante% suppliante% monta tout -

coup du "ond de la charrette et cette voix disait% dans notre patoisd’Alsace : !osso mi "ort gen% herr _lotF !aisse#moi m’en aller%monsieur _lot. = 3’était si triste - entendre que les larmes m’envinrent aux 4eux.

. _lot% lui% souriait méchamment% et continuait de chanter en"ouettant sa b*te.

Au bout d’un moment% la voix recommen,a : !osso mi "ort gen% herr _lotF = et tou+ours le m*me ton bas%

adouci% presque machinal. auvre Saspard 6 on aurait dit qu’ilrécitait une pri)re.

En"in la voiture s’arr*ta. ous étions arrivés. me _lot attendaitdevant l’école avec une lanterne% et elle était si en col)re contreSaspard Hénin% qu’elle avait envie de le battre. ais le russien l’enemp*cha% disant avec un mauvais rire : ous réglerons son comptedemainF our ce soir% il en a asse. = Oh 6 oui% il en avait asse le

malheureux en"ant 6 9es dents claquaient% il tremblait de "i)vre. On"ut obligé de le monter dans son lit. Et moi aussi% cette nuit#l-% +ecrois bien que +’avais la "i)vre 0 tout le temps +e sentais le cahot de lavoiture et +’entendais mon pauvre ami dire de sa voix douce : !aisse#moi m’en aller% monsieur _lot 6 =

NJ



FIN

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