Amélie Leconte. Dossier Traductologie

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  • 7/26/2019 Amlie Leconte. Dossier Traductologie.

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    Dans quelle mesure la traduction littrairerelve-t-elle de la traduction culturelle oulinguistique ?

    Thesis January 2008

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    1 author:

    Amelie Leconte

    University of Nice Sophia Antipolis

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    Available from: Amelie Leconte

    Retrieved on: 14 June 2016

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    Traductologie Mini Mmoire

    Responsable : Ins Oseki-Dpr Amlie Leconte

    Master 2 Professionnel Sciences du langage

    Parcours Didactique du FLES et Coopration li nguistique et ducative

    Groupe : distance

    Sujet :

    Dans quelle mesure la traduct ion littraire relve-t-elle

    de la traduction culturelle ou linguistique ?

    Universi t de Provence - Dpartement de Franais Langue Etrangre

    Instit ut de la Francophonie Anne universitaire 2007-2008

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    C'est le langage qui serait cryptique non seulement dans sa totalit

    excde et non thorisable, mais comme recelant des poches, des endroits

    o les mots se font choses, le dedans dehors, en ce sens indcryptable

    dans la mesure o le dchiffrement est ncessaire pour maintenir le

    secret dans le secret. Le code ne suffit plus. La traduction est infinie.

    BLANCHOT, Maurice (1980).

    L'Ecriture du dsastre. Paris, Gallimard. p. 206

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    Table des matires

    Introduction 1

    1 La traduction littraire ou lart de lapproximation conscient 21.1 Du langage 2

    1.1.1 Pense et langage 21.1.2 Langage et criture 21.1.3 Langage et sens 3

    1.2 Des langues et des cultures en littrature 41.2.1 De la diversit des langues et des critures 41.2.2 La culture dans la langue 51.2.3 Langue et culture des textes littraires 6

    1.3 La figure du traducteur 91.3.1 Lempathie 91.3.2 Le bilinguisme du traducteur 101.3.3 Un positionnement thorique pour guider la pratique traductive 11

    2 La traduction littraire comme contact interpersonnel et interculturel 122.1 Le discours littraire 12

    2.1.1 La notion de discours littraire et la traduction envisage comme une doublepratique discursive 122.1.2 Dialogisme, polyphonie et intertextualit 152.1.3 Le plurilinguisme, la diglossie, lhtroglossie, le multiculturalisme 17

    2.2 Pour une traduction culturelle 202.2.1 Les approches culturelles et ethnologiques de la traduction 202.2.2 Les ralias : classification 222.2.3 Pour une traduction culturelle 23

    2.3 Les genres littraires 262.3.1 Roman narratif 262.3.2 Thtre 282.3.3 Posie 29

    3 Le rle de la traduction littraire 323.1 Linfluence des traductions littraires 32

    3.1.1 Source denrichissement de la langue-culture daccueil 32

    3.1.2 Traduction et constitution despaces littraires et intellectuels 333.1.3 La thorie du polysystme 343.2 Traduction et mondialisation 35

    3.2.1 Les flux de la traduction 353.2.2 Le cas particulier de la traduction actuelle de la Bible en langues domines 373.2.3 Pour une thique du traduire 38

    3.3 Les enjeux de la traduction en ce dbut de sicle 39

    4 Conclusion 41

    Bibliographie 42

    Sitographie 46

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    Introduction

    Si la thorisation de la traduction sest constitue au cours des sicles depuis lAntiquit(Cicron, Horace, Saint Jrme, Chaucer, Luther, Nicolas Perrot d'Ablancourt, ) de maniredyadique. On opposait alors la forme au sens, la lettre lesprit, la fidlit la trahison.Mais cest seulement au XXme sicle quelle se complexifie, bouleversant compltement les

    oppositions bipolaires qui prvalaient jusqualors. Le langage devient lobjet incontournablede la philosophie et on lui accorde une place fondamentale dans la rflexion sur ltrehumain chez Benjamin, Wittgenstein, Derrida, ... Ce sicle est celui de lavnement de lalinguistique avec le Cours de Saussureen 1916, de lmergence de la sociolinguistique dansles annes 60, de la thorie et la critique littraires franaises de Barthes, Ricoeur, Genette,qui marqueront les thories de la traduction. Devant cette extraordinaire prolifration detextes et de thories sur la traduction manant de disciplines diverses sinstitue latraductologie dans les annes 70. La traduction nest plus seulement un art, mais unescience du langage.

    Paralllement, le sicle de la mondialisation est marqu dune ouverture sur le mondequi met lpreuve les langues et les cultures. Lamplification des contacts interculturelsoblige la comprhension de lAutre, de ltranger dans sa diffrence culturelle et donclinguistique. La naissance de la traductologie se situe un moment sans prcdent danslhistoire de lhumanit o la comprhension de lAutre devient fondamentale. Le dialogueinterculturel est le mot dordre, le bilinguisme ou le plurilinguisme sont plus que jamaisvaloriss. Dans ce contexte, le besoin de thoriser la traduction littraire se rvle essentiel.Il sagit dapprofondir les connaissances purement linguistiques sur le fonctionnement deslangues, den considrer la teneur sociologique, la dimension philosophique, les implicationsculturelles afin de comprendre et de faciliter le transfert interlingual des savoirs et desides. Mais il sagit galement de grer des ralits o ltranger a une place quil devientimpossible de nier. Dans un tel contexte, la traduction devient une des cls de vote delvolution des socits.

    La traduction littraire est un terme polysmique qui englobe une multitude de ralits.En considrant le terme tour tour comme un acte de langage, un processus, un produit finiet une ralit sociale, nous tenterons de montrer dans quelle mesure la traduction littrairerelve de la traduction linguistique ou culturelle.

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    1 La traduction littraire ou lart de lapproximation conscient

    1.1 Du langage

    1.1.1 Pense et langage

    La pense et le langage forment une dialectique complexe. La pense rflchie, lelangage intrieur de Vygotsky, ne peut tre dfinie indpendamment du langage puisquelleen est la seule manifestation et linstrument. Le langage a la particularit dtre la foisnaturel et culturel. Naturel, puisque ltre humain est, pour ainsi dire, gntiquementprogramm pour le langage. Culturel, en ce que lvolution de la comptence langagiredun sujet est indissociable dun apprentissage. Lvolution du langage chez lenfant dpenddu contexte socioculturel dans lequel se fait lacquisition. Ce contexte dtermine le systmelinguistique (la langue premire) qui sera adopt par le sujet en vue de communiquer sespenses mais surtout faonnant une certaine vision du monde (Humboldt), et donc unemanire de penser. Comme le rappelle Meschonnic : cest la pense qui est maternelle,

    pas la langue (Meschonnic : 1999, p.59).Il nen demeure pas moins que le langage est le filtre au travers duquel nous

    apparat le monde. En permettant de nommer, de raconter le pass et dimaginer lavenir,de construire un mode dexpression et un monde de reprsentations, le langage estfondamental dans le processus de dveloppement dun individu et dans la formation delidentit du sujet. On se souviendra avec force de laxiome potique de Jo Bousquet : Lelangage nest pas contenu dans la conscience, il la contient.

    Exprimer sa pense est rendu possible par le langage, par sa structure mme, puis etsurtout, par lusage quon en fait, en faisant fie de ce quil est, de ce quil induit en nous etmalgr nous. Cette pense coule dans le moule dune langue particulire apprise, formelle,

    impersonnelle, culturelle, socialement, historiquement et gographiquement dfinie, estcontrainte aux limites du langage. Antonin Artaud lextrme de Bousquet illustre la luciditpathologique de lalination verbale. De limpossible exclusivit des mots, de la prison dusigne, des limites du langage lui-mme (dont reparle Meschonnic). Artaud voulait sortir de laprison du signe, Verlaine rvait dun langage la hauteur du vcu et pour cela de disposerdautant de nuances quil peut y avoir de degrs subtils dans la pense intrieure. Vain. Nous chouons traduire entirement ce que notre me ressent : la pense demeureincommensurable avec le langage (Bergson : 1959,p. 124).

    Il y a de lapproximation dans le langage et traduire le rel en mots pose les mmesproblmes que traduire dune langue lautre (Ecole de traduction allemande, Heidegger).

    1.1.2 Langage et criture

    La littrature implique le langage dans sa dimension crite. Lcriture nest pas lattributde toute langue, cest mme le contraire, puisque la majorit des langues qui existent sontexclusivement orales. De fait, si certaines langues nont pas dcriture, elles en ont unepotentiellement si lon considre que lcriture est une invention spontane et toujourspossible de lhomme qui, selon Saussure, se veut la transcription de la parole orale. Pourlui :

    Limage graphique des mots nous frappe comme un objet permanent et solide, pluspropre que le son constituer lunit de la langue travers le temps. Le lien a beau tre

    superficiel et crer une unit purement factice : il est beaucoup plus facile saisir que lelien naturel, le seul vritable, celui du son () Limage graphique finit par simposer audpend du son (Saussure : 1968, p. 46).

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    Cette surdtermination du signe, devenue aujourdhui une vritable croisade contre lesigne (Dosse : 2008), chez Meschonnic, est lillusion dune stabilit du langage. Lhomme abesoin de croire du stable (Nietzsche), lcriture soffre en paridolie.

    A lorigine tait le mythe dont la fonction tait de naturaliser les codes culturels grce aulangage.

    Le mythe est maintenant enferm dans la forme dun objet et soppose sa naturemme de continu que loralit avait prserv. Loralit inhrente au mythe, vince parlapparition de lcriture, ne lui offre plus la possibilit dvoluer, de se transformer augr des conteurs et de leur imagination. Enserr dans luvre qui la illustre, il seprsente sous une interprtation unique et fatalement tronque, qui voile sesnombreuses significations (Tavernier : 2003).

    Le mythe, entendu comme un tout, se dfinit par larthrologie, cette maeutique desinstants narratifs dont lassociation confre au tout une dimension suprieure (Ibidem).Lvolution de la conception du signe (vers le tout smiotique daujourdhui) et lapparitionde la signature sacralise luvre et lauteur, enfermant lun et lautre dans une fixitmatrialiste de sens (sens vs signifiance). Se pose alors la question qui se profile derrirelouvrage de Huet-Brichard (Huet-Brichard : 2001) : ne serait-ce pas dans sa rencontre avecle mythe que la littrature construit sa lgitimit ? Penser la littrature aujourdhui, cestquelque part revenir au mythe, dans sa dimension textuelle, lessentiel dun discours, etcomme Tedlock, y reconnatre le lieu dune redoutable signifiance dynamique, afindaccepter que la re-cration esthtique, la reformulation, la r-criture potique par latraduction intralinguale, interlinguale ou intersmiotique (Jakobson) sont la littrature ceque le langage est la pense, sa condition de survie. Un message affranchi de toutecontrainte formelle, des cueils des langues, des gouffres de sens et dinterprtation (Tavernier : 2003). Telle est la nature du mythe, et telle est la revendication de latraduction littraire qui rclame une plus juste quation de lquivalence.

    1.1.3 Langage et sens

    Avant toute chose, le langage signifie [quelque chose], tel est son caractreprimordial, qui transcende et explique toutes les fonctions qu'il assure dans le milieuhumain. Quelles sont les fonctions qu'il assure ? [] Pour les rsumer d'un mot, je diraisque, bien avant de servir communiquer, le langage sert vivre. [Sans] langage, il n'yaurait ni possibilit de socit, ni possibilit d'humanit, c'est bien parce que le propredu langage est d'abord de signifier (Benveniste : 1974, p. 217).

    Il convient de rappeler ici la distinction entre sens, qui renvoie au signifi dans unsystme abstrait de la langue et, la signification, ce quoi renvoie le signe lorsquil sinsre

    dans un nonc, qui est insparable du contexte de sa production. Cest cette deuximeacception qui nous intresse dans la traduction littraire qui, selon lexpression dOseki-Dpr, relve dun acte de courage hermneutique (Oseki-Dpr : 2006).

    La question du sens est fondamentale dans toute entreprise de traduction et ce deux niveaux. Tout dabord dans le processus traductif puisque traduire cestcomprendre (Steiner : 1978) et dautre part au niveau de luvre originale, de sonhistoricit, comme le disait Benjamin, lessence dune uvre ne se rvle quune foistraduite . Rastier rejoint cette thorie selon laquelle la traduction rvle alors le texte lui-mme : en quelque sorte, le texte semble inachev tant quil nest pas traduit (Rastier : 2006). Selon Yuan Xiaoyi, la traduction constitue aussi une pr-

    comprhension , une pr-structure de la comprhension encore plus profonde (). Elle doittre aussi un texte scriptible [Barthes] ouvert ses lecteurs, elle doit attendre, avec une

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    attitude amicale, la prochaine comprhension (la retraduction) (Xiaoyi : 1999).Limpossible fixation du sens dun texte littraire, sa propre signifiance (proprit designifier), appelle la relecture, les relectures, la traduction et les retraductions afin dexplorerla multitude dinterprtations qui se cachent derrire loriginal. Lon songe au titre vocateurde ltude dOseki-Dpr : Lecture finie du texte infini : Galaxies de Haroldo de Campos pour marquer ces tapes de la comprhension quincarne chaque lecture.

    Dans un texte littraire, une forme fige pour un sens infini, ouvert, dynamique. Ilsagit pour le traducteur de les rconcilier pour traduire la forme-sens de Meschonnic,inspire des formalistes russes, traduire le continuum sujet, langage, socit, histoire, cequil appelle le rythme. En se rattachant aux thories de Benjamin, il prne la traductioncomme la pratique dune thorie du signifiant (Meschonnic : 1973, p. 300). Le signifiantpour lui, cest le continu de la pense, lenergiahumboldtienne, ou, selon Benjamin, ce qui existe au-del de la vie dont elle nest pas le cadre (Meschonnic : 2002). Les recherchesen smantique gntique permettent de mieux comprendre la gense du sens, selon Jean-Pierre Durafour :

    le sens dit/compris est de nature non homogne, mais htrogne [] la langue nest

    pas le systme en puissance du discours, le sens dit/compris nest pas inhrent laforme matrielle qui le porte. Ce qui est inhrent aux signes dune langue, ce sont sesdivers signifis (lexmatiques, morphologiques, syntaxiques) en tant que chaque langueest, dans sa matrialit comme dans le contenu qui lui est propre, une saisiecatgorielle singulire du monde, un systme historique de signification, de signifis,ainsi que lont tabli tardivement dans notre tradition W. von Humboldt, puis F. deSaussure . (Durafour : 2003)

    De lindividuation du sens dun texte considr comme un tout. Mais si, comme Stolze, letraducteur ne peut prtendre traduire le sens dun texte, cest que ce sens est instable etnat de la rencontre unique entre un lecteur (son vcu, ses rves, ses reprsentations) et untexte, et quelle se fait grce un phnomne que Gadamer a appel Horizontverschmelzung ( fusion des horizons ), qui se renouvelle chaque lecture.Pour Oseki-Dpr, le vrai traducteur ne doit pas viser la communication (Oseki-Dpr :2003, p. 96F). Dans De Walter Benjamin nos jours, lauteur interprte la thoriebenjaminienne : pour qui la seule chose que le traducteur pourrait tenter de restituer, ceserait, le sens, ce qui reviendrait vouloir procder la transmission inexacte dun contenuinessentiel (Oseki-Dpr : 2007, p. 21).

    Si chaque traduction traduit une interprtation singulire dun texte, parmi lamultiplicit des possibles, il nen demeure pas moins que le degr de libert limite (Oseki-Dpr : 2006, p. 116) du traducteur dans sa tche de restitution loblige sapprocher au plus prs du vouloir-dire de lauteur, par le prisme de ses mots o sa

    personne et sa culture parlent.

    1.2 Des langues et des cultures en littrature

    1.2.1 De la diversit des langues et des critures

    Selon Michel Malherbe, il en existerait environ 3000 (Malherbe : 1995). Selon Louis-JeanCalvet, environ 5000, selon dautres sources, 6000 7000. Cette imprcision, cetteimpossibilit deffectuer un recensement exhaustif et prcis des langues du monde, estdabord due au fait que seulement une centaine dentre elles sont crites. Mais la difficultvient aussi du fait quil est souvent bien difficile dtablir la diffrence entre des dialectes,des croles, des patois, voire mme des sociolectes, et des langues. La traduction littraire,par nature crite, ne concerne donc quune faible quantit de langues du monde si nous

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    entendons par langue crite, tout systme graphmique stable de signes arbitraires partagpar une communaut. Le propre du langage est dtre un systme de signes sans rapportmatriel avec ce quils ont pour mission de signifier (Charbonnier : 1969, p. 98). Cetterfrence larbitraire du signe saussurien souligne son caractre systmique, utilitaire,norm. La norme est aussi ncessaire lenseignement des langues qu la traduction destextes. Ils exigent des normes socialement reconnues. La smiosphre du traducteur

    littraire est justement cet empire des signes utilitaires et des textes vocateurs crs parles hommes grce ces signes, avec tout ce quils impliquent lun et lautre de social(culturel) et dhumain (universel). Comme le disait Meschonnic : Traduire nest traduireque quand traduire est un laboratoire dcriture . Il existe prs de 25 systmes dcritureen usage dans le monde (entre autres, les plus connus ou usits : idogrammes chinois,kanas japonais, alphabet latin, criture cursive arabe, criture cyrillique, devanagari indien,). La littrature est en quelque sorte le lieu du gnie de lcriture de chacune de ceslangues. Linvention de lcriture na dailleurs pas manqu de crer une fracture socialehistorique : dun ct les crivains et les crivants (Barthes) et de lautre les analphabtes.

    Le fait littraire a la particularit de pouvoir la fois lgitimer lusage dune langue et

    dtre une exprience sur le langage, cest--dire de scarter de la norme (on pensera Mallarm entre autres). Fortunato Isral (Isral : 2000) soutient quil nexiste pas delangue littraire. Dune certaine manire, on peut dire que le langage de lcrivain est lemoins spcifique des langages puisquil peut tous se les approprier . Peut-tre que cest

    justement en cela que le langage littraire trouve sa spcificit : en tant quil estpotentiellement tout le langage.

    Si lon considre le patrimoine littraire mondial, il semble ncessaire de prcisertoutefois deux faits : le premier est que la littrature mondiale a fortement t influencepar la littrature europenne, les canons des Belles Lettres qui ont rgns pendant dessicles valorisaient une criture littraire impeccable, au plus proche de la norme de lalangue voire aux sources de cette norme. Comme le disait Vaugelas, ce sont les bonsauteurs qui dterminent le bon usage . Le second est que la littrature actuelle na plusgrand-chose en commun avec celle des sicles derniers, et ce pour plusieurs raisons. Toutdabord, la littrature sest laisse pntrer du langage du quotidien, plus proche de lalangue orale, plus proche de la langue vivante. Ensuite, le texte littraire est de plus en plusmarqu dhtrolinguisme. La notion de lhtrolinguisme est dfinie par Rainier Grutmancomme la prsence dans un textedidiomes trangers, sous quelque forme que ce soit,aussi bien que de varits (sociales, rgionales ou chronologiques) de la langue principale (Grutman : 1997, p. 37).

    Le texte littraire envisag dans la perspective traductive est donc apprhend danssa teneur polyphonique, dialogique, htrolinguistique, socioculturelle.

    1.2.2 La culture dans la langue

    La langue est envisage comme un des nombreux systmes de signes (c'est--diresmiotique), et le registre comme formation discursive, c'est--dire comme slection etagencement de ressources linguistiques dans des contextes culturels et situationnels biendfinis. Quand le signe fait sens, mais dans la fusion et non la sparation du smiotique, dusmantique, du culturel, linstar du concrtisme brsilien ou des idogrammes chinois :

    Ltude du vocabulaire chinois met en vidence le caractre prodigieusement concretdes concepts chinois : la presque totalit des signes connotent des ides singulires, ()ce vocabulaire traduit, non pas les besoins dune pense qui classe, abstrait, gnralise,qui veut oprer sur une matire claire, distincte et prpare une organisation logique,mais tout loppos, un besoin dominant de spcification, de particularisation, de

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    pittoresque - il donne limpression que lesprit chinois procde par oprationsessentiellement synthtiques, par intuitions concrtes et non pas par analyse non pasen classant, mais en dcrivant (Granet :1990, p. 8).

    La culture est dj dans la structure mme de la langue, dans sa matrialit. Leslangues voluent selon les besoins des communauts qui les utilisent, elles sont donclgitimement un rvlateur de la culture de ces communauts. Au niveau lexical : on

    invente des signifis pour rpondre la ncessit de nommer un nouveau concept abstraitou objet rel. La langue se veut donc une reprsentation du rel. En prenant des langues-cultures trs loignes (mme si on trouve des diffrences aussi lorsquelles le sont moins),on peut montrer de manire nette la difficult que va poser la traduction de la culture djau niveau lexical, en tant que linstrument de pense dune vision particulire du monde.Ainsi, en langue yoruba, langue partage par 20 millions dafricains du Bnin et du Nigeria,les quipements linguistiques accompagnant lintroduction de nouveaux objets et conceptsillustrent bien la manire dont la langue rvle une certaine manire de voir le monde, touteculturelle :

    L'ordinateur = Computer, se traduit par 'rAyara bi asa' en yoruba.

    r= machine, Ayara = rapide, Bi = comme, Asa = pervier.

    L'ordinateur est en yoruba la machine qui est aussi rapide que l'pervier.

    Tlvision = 'ramu owun ma aworan' en yoruba.

    r= machine, Amu = qui combine, Owun = voix, Ma = avec, Aworan = photo.

    Donc la tlvision est en yoruba la machine qui combine la voix la photo.

    Train = koju irin

    k= voiture, Oju = sur, Irin = fer.

    Le train est la voiture qui roule sur le fer.

    De mme, Avion = plane et bateau = ship, sont traduits respectivement en yoruba parkoju ofurufu et koju omi. Ce sont des voitures roulant dans l'espace et dans l'eau.(Adewuni : 2006 )

    Au niveau syntaxique, les langues se mtamorphosent, sous linfluence dautressystmes linguistiques. La diffrence du fonctionnement des codes linguistiques est donc unautre niveau de la culture dans la langue :

    In Chinese, it is a principle of grammar that there should be no difference betweennouns and verbs. (...) Word position alone determines the function of a particularword. (Lord : 1974, p. 220).

    On pense galement la diffrence des marqueurs de genre ou de nombre dans lesdiffrentes langues.

    1.2.3 Langue et culture des textes littraires

    Selon Torop dans La traduction totale(Torop : 2000), langue et culture entretiennentune relation synecdoquique, la culture tant le tout et la langue (comme la littraturedailleurs) une partie, la traduction littraire (lacte de traduire) est une traduction culturellepar le truchement de la langue, elle-mme lment de culture. En dautres termes, toutetraduction littraire est une traduction culturelle. La notion de culture peut recouvrir troisacceptions : la culture matrielle, la culture institutionnelle (ensemble de systmes et de

    thories qui les ont fondes: systme ducatif, systme social, systme religieux, langue,) et la culture de reprsentations mentales. Anthropologiquement, nous retiendrons ladfinition de la culture comme un tout complexe qui englobe les connaissances, les

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    croyances, lart, la morale, la loi, la tradition et toutes autres dispositions et habitudesacquises par lhomme en tant que membre dune socit (Edward Burnet Tylor, 1871)dont les membres partagent un code linguistique spcifique. Les cultures dune

    communaut voluent en fonction de processus historiques variant selon lenvironnement etselon les contacts quelle entretient avec les langues-cultures dautres communauts. Cecode spcifique doit tre entendu comme langue au sens de la totalit de ses variables

    (discours individuels ou distinction saussurienne langue/parole). Hugo crit dans la prfacede Cromwell : Une langue ne se fixe pas. L'esprit humain est toujours en marche, ou, sil'on veut, en mouvement, et les langues avec lui

    La relativit de la langue vaut la fois aux niveaux diachronique (variation historique)les langues naissent, vivent, muent, et meurent avec les communauts qui les parlent etsynchronique (variation sociolinguistique de la langue standard due la manipulationcollective ou lusage individuel et communautaire : idiolectes, sociolectes, dialectes,technolectes, croles, patois). Ainsi, selon Humboldt : On doit voir le langage non tantcomme une chose produite, morte, mais bien davantage comme une production. [Le

    langage] lui-mme n'est pas une oeuvre (Ergon) mais une activit (Energia) (cit parMeschonnic, 1985 : p. 181-229).Du Malade imaginaire Llgance du hrisson en passant par Pedro Paramo 1, la

    littrature au sens large du terme est le reflet de ralits sociales du point de vuehautement subjectif de lauteur exprimant sa connaissance de ces ralits, dont lesvariations sociolinguistiques au sein mme dune uvre en sont les tmoins. Chaque sujetest le reflet dun patchwork socio-culturel plus ou moins color perceptible travers sesparoles. Lcrivain ne fait pas exception.

    Les ralias, tels quils sont nomms par certains traductologues, ou divergencesculturelles et mtalinguistiques (Vinay et Daberlnet : 1958), foreign cultural words(Newmark : 1988), marcadores culturales especificos (Herrero : 2000), culturemes(Vermeer : 1983), culture specific items (Aixla :1996), culture markers (Nord,2003), sont, selon la dfinition de Florin :

    Realia (from the Latin realis) are words and combinations of words denoting objectsand concepts characteristics of the way of life, the culture, the social and historicaldevelopment of one nation and a lien to another. Since they express local and/orhistorical color they have no exact equivalents in other languages. They cannot betranslated in a conventional way and they require a special approach (Florin : 1993, p.123).

    Ces marques socioculturelles transparaissent dans luvre littraire sous la forme duneinfinit de signes sociaux. Zhang Xinmu dans son article Les signes sociaux et leurtraduction, (Xinmu : 1999) se penche sur ce concept-cl en traduction et fait rfrence Guiraud qui explicitait que les signes sociaux englobent les signes d'identit, les signes depolitesse, les rites, les modes, les jeux, etc. (Guiraud :1983), signes qui diffrent demanire plus ou moins vidente dune culture lautre mais aussi dun groupe social lautre et mme dun individu lautre.

    Le traducteur doit concrtiser le sens implicite, l'ensemble des dnotations,connotations, dductions, intentions, associations contenues dans l'original, mais qui ne

    1 Malade imaginairede Molire, Llgance du hrisson de , Pedro Paramo de Juan Rulfo

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    https://www.researchgate.net/publication/49494829_Stylistique_comparee_du_francais_et_de_l'anglais?el=1_x_8&enrichId=rgreq-c84d7469f811fea0ea62dbb7695b16e7-XXX&enrichSource=Y292ZXJQYWdlOzIzNDEzNjYwNTtBUzoxMDQ1OTI3OTY4MTUzNjZAMTQwMTk0ODI3NDc0MQ==https://www.researchgate.net/publication/49554117_A_Textbook_of_Translation?el=1_x_8&enrichId=rgreq-c84d7469f811fea0ea62dbb7695b16e7-XXX&enrichSource=Y292ZXJQYWdlOzIzNDEzNjYwNTtBUzoxMDQ1OTI3OTY4MTUzNjZAMTQwMTk0ODI3NDc0MQ==https://www.researchgate.net/publication/49494829_Stylistique_comparee_du_francais_et_de_l'anglais?el=1_x_8&enrichId=rgreq-c84d7469f811fea0ea62dbb7695b16e7-XXX&enrichSource=Y292ZXJQYWdlOzIzNDEzNjYwNTtBUzoxMDQ1OTI3OTY4MTUzNjZAMTQwMTk0ODI3NDc0MQ==https://www.researchgate.net/publication/49554117_A_Textbook_of_Translation?el=1_x_8&enrichId=rgreq-c84d7469f811fea0ea62dbb7695b16e7-XXX&enrichSource=Y292ZXJQYWdlOzIzNDEzNjYwNTtBUzoxMDQ1OTI3OTY4MTUzNjZAMTQwMTk0ODI3NDc0MQ==
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    sont pas expliques, ou seulement en partie, parce que l'auditeur ou le lecteur indignepossde une comprhension immdiate (Steiner : 1978, p. 259).

    La culture est dans les mots, passivement dans leur existence mme, dans leurcombinaison et dans les reprsentations quils suscitent, et qui sont intimement lies lhistoire personnelle et au conditionnement culturel de chaque sujet. Le tout de la languetant peru comme une infinit de variations qui fusionnent plus ou moins dans la langue

    norme, la langue de la culture symbolique (qui nest pas ncessairement nationale : lenhuatl est une langue symbolique parle au Mexique mais nest pas langue nationale). Laparticularit dune uvre littraire est quelle peut accumuler nombres de langues,didiolectes, de sociolectes, de dialectes travers la parole de lauteur, son discours, sa voix,sa parole, sa smiosphre, SON idiolecte.

    De tout ce qui prcde on peut dduire la perte inhrente toute traduction, que lonpose comme un postulat. La perte est dans les mots mmes en ce quils incarnent unerponse des besoins ncessairement diffrents. Les diffrences culturelles expliquent trssouvent le contour smantique connotatif diffrent des langues. Les units lexicales decertaines langues peuvent possder un contour smantique dnotatif identique, mais un

    contour smantique connotatif diffrent parce quelles englobent des nuances motives etapprciatives qui diffrent dans chaque culture. Le fond lexical de la langue se trouve lintersection de la langue et la culture. Comme en tmoigne une traductrice indienne deKamataka : A name is a linguistic cultural element, and an author uses it for itsassociative value. It resists translation; therefore its evocative value is lost . La perte estdans la syntaxe qui en tant que systme, organise les signes diffremment. Elle est dans lesunits smantiques, qui voquent des ralits spcifiques et pas toujours imaginables parun tranger (le traducteur qui traduit dune langue seconde vers une langue premire avanttout puis le lecteur de la traduction quand cette dernire a pris le parti de maintenir lcartculturel). Elle est dans le style, le caractre, la forme-sens spcifique, emprunte personnelle,

    parfois rticente lpreuve du changement de vhicule . Enfin, et pour en revenir auxallusions de Saussure sur le rapport oralit / criture, la perte est dans les sonorits dechaque langue, sa musique et son rythme. Cette perte , ce dficit , cette partdintraduisible est dans la nature de la traduction. Paul Ricur considre cette alternativethorique traduisible/intraduisible de la traduction comme une impasse spculative (Ricoeur : 1999, p. 10-11). Tout dabord, au niveau linguistique, il ne faut pas confondretraduire des mots et traduire des textes, et ensuite, il faut srement accepter que tout leculturel ne puisse pas passer, que la traduction interlinguale implique irrvocablement unedose dapproximation. De toute faon, rgis par une succession temporelle, deux noncsne peuvent pas tre parfaitement identiques , dit Steiner. En dpit de cela, le dialogueinterculturel que permet la traduction littraire est possible, il est une ralit empirique,prouve depuis des millnaires. Xu Jun voque la pense chinoise de la traduction :

    Pour nous, la traduction nest pas celle de la langue seule, mais un chemin qui ouvrelaccs authentique une pense, un cas particulier de communication interlinguistique,interculturelle et interlittraire, et un mode de textualisation . (Xu Jun : 1999)

    Mettons un bmol, ce dialogue interculturel est impensable sans une forte volont decomprendre lautre, et il ne se ralise que dans un lan daltrit.

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    1.3 La figure du traducteur

    1.3.1 Lempathie

    La relation fusionnelle entre le texte littraire et son traducteur le distingue des autreslecteurs. La ncessit dune comprhension profonde du texte loblige prendre enconsidration lauteur. En France, lanalyse littraire a longtemps connu (encoreaujourdhui ?) des discordances internes sur limportance donner la biographie delauteur dune uvre pour en extraire le sens. Ces querelles nont jamais cours en traductionlittraire puisque la relation auteur-traducteur est intime, parfois directe et relle quandcest possible, parfois le fruit dune recherche approfondie, toujours fructueuse. Au cours desXVmes assises d'Arles, Jean Rouaud a clairement voqu la question en dcrivant sesrelations avec ses traducteurs :

    Certains s'arrangent sans l'auteur; d'autres le questionnent, surtout sur lesrfrences culturelles, frquentes dans ses textes; d'autres encore lui ouvrent deshorizons par des questions rudites sur des soit-disant rfrences, qu'il dcouvre (Rouaud : 1998, p. 49.).

    Ceci est le point de vue dun auteur, en gnral celui du traducteur est beaucoup plusemphatique. Les exemples sont infinis de traducteurs qui manifestent pour la personne delauteur une empathie profonde la base de leur entreprise traductive et croissante au fil delavance de leur travail. Baudelaire, propos de ses traductions de Poe, disait :

    Savez-vous pourquoi j'ai si patiemment traduit Poe ? Parce qu'il me ressemblait. Lapremire fois que j'ai ouvert un livre de lui, j'ai vu avec pouvante et ravissement, nonseulement des sujets rvs par moi mais des phrases penses par moi, et crites par luivingt ans auparavant (Baudelaire, 1948, p. 277).

    Envisager la traduction du point de vue du sentiment du traducteur permet, entre autre,

    de dgager la diffrence fondamentale qui spare la traduction littraire des traductionsdites techniques. Cette diffrence se situe au niveau de la vise du texte et de son mode devise : le texte technique a une vise descriptive, informative, le traducteur opre sur untexte crit dans une langue extrmement normative et explicite qui doit tre dnuedambiguts afin que le lecteur en saisisse immdiatement un sens. Le texte littraire a unevise potique, son sens nous lavons dj dit est signifiance. Il est :

    un texte dauteur, il baigne en plein dans la subjectivit et est le rsultat de lapprochedune part artistique, de lautre psycho-physiologique dun monde qui nous apparatprcisment travers les lunettes dun individu. Ce monde particulier a une couleur,une ambiance, un ton, un style : cest celui de Kafka, ou de Proust, ou de Dostoevski,et la griffe du matre se retrouve dans les moindres dtails (Wuilmart : 1990).

    Lmotivit et la personnalit du traducteur jouent un rle dterminant dans lacomprhension, linterprtation du texte original et donc dans sa translation en lautreidiome. La ncessit de connatre lauteur et le travail, llan vers lautre que cela impliqueconduisent une sorte de relation fusionnelle, une communion de pense traducteur /auteur qui permet de dpasser les difficults de traduction, quelles soient linguistiques,littraires ou culturelles, au risque de bousculer les ides reues et les normes des nouveauxlecteurs.

    Malgr les divergences, les carts parfois fondamentaux qui sparent deux cultures,deux individus, lauteur et le traducteur trouvent un terrain dentente grce au

    magntisme qui les rapprochent ; le traducteur se reconnat dans lauteur et cettedimension humaine commune est le premier pont qui permet de franchir les frontireset de surmonter les obstacles linguistiques (Wuilmart : 1990).

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    Le traducteur est au plus proche de lauteur, parce quil accde au sens travers le texteoriginal, dans la langue de lauteur. Les lecteurs duvres traduites sont alors confronts un texte quil aura ncessairement marqu de sa griffe.

    1.3.2 Le bilinguisme du traducteur

    Nous savons que le terme bilingue est polysmique et quon distingue grosso modole

    bilinguisme enfantin (encore diffrenciable) du bilinguisme tardif, due lexil, lexpriencedu voyage ou lapprentissage en milieu exogne. Il existe donc autant de bilinguismesde traducteur que dhistoires de devenir bilingue. Les cas de bilinguisme du traducteur ontla particularit de ne pas tre ncessairement, selon la dfinition de Bloomfield, a nativecontrol of two languages (Bloomfield : 1933) mais plus proches de celle de Haugen : lebilinguisme est compris comme commenant au point o le locuteur peut comprendre etproduire des noncs complets et chargs de sens dans lautre langue (Haugen : 1953).La position des traducteurs littraires face une nonciation plus qu un nonc (distinctionde Todorov), place leurs comptences bilingues au niveau dune nonciation unique, ils sontbilingues par rapport la parole de lauteur. D'ailleurs, selon Meschonnic, le bilinguisme

    n'est pas suffisant pour la traduction et il peut parfois tre une gne la traduction , un facteur de non-traduction . Baudelaire a traduit Poe sans avoir une parfaite comptencebilingue, ce qui ne la pas empch de produire des traductions excellentes. Ce cas illustreparfaitement ce que lempathie et le sentiment du traducteur pour lauteur peuvent faire.

    Parfois cette empathie ne suffit pas, parce quelle ne parvient pas effacer le propredu traducteur, sa culture propre et sa vision du monde. Mounin en vient dnoncer ce qu'ilappelle la surtraduction phonic-mtrique qu'il attribue surtout aux traducteurstrangers la langue qu'ils traduisent, ou d'origine trangre, ou bilingues ensorcels parleur seconde langue , victimes d'une nostalgie de l'original, pathologique maisingurissable (Mounin :1963, p. 15).

    La connaissance exclusivement encyclopdique dune langue la spare trop de sadimension culturelle et shabille de strotypes qui vhiculent une reprsentation imaginairede ltranger. En gnral, le traducteur littraire traduit de la langue trangre vers salangue premire. Il sagit donc daccueillir ltranger. Notons quil est bien plus ardu detraduire dans le sens inverse, c'est--dire de transposer dans une langue culture seconde salangue culture premire (pour exemple de cette plus ou moins grande difficult selon les cas: Franois Cheng ou Kundera, Nancy Huston). La capacit du traducteur de fusionner aveclauteur dpend de sa connaissance du monde de lauteur et des conditions de production dutexte : cest le contexte, comme le sait le traducteur, qui permet chaque fois dedterminer le sens exact dun mot. Toutefois, lapprciation du contexte, rappelle Ricoeur,

    est une activit de discernement et celle-ci, explique-t-il est proprementlinterprtation (Ricoeur : 1975, p. 180).Linterprtation est le principal dfi du traducteur. Elle implique une forte comptence

    culturelle aussi importante que la comptence linguistique, mais plus difficile acqurirtardivement. De fait, sur la totalit des traductions ralises, une grande partie, mmeinvolontairement, se fait le vhicule ethnocentr de reprsentations personnelles etstrotypes de lautre. Pour exemple, lchange instructif sur les traductions franaises deSur la route de Jack Kerouac entre Jean-Louis Millet (France) et Paul Laurendeau (Qubec)reproduit ici un peu longuement tant il rpond bien notre question. Ce dernier dclare propos des traductions de ce texte :

    Il faut absolument lire ce texte dans le texte, et en envoyer les traductions franaisesparisiennes tous les diables. Elles n'ont aucune prise sur ce qui se passe" () "Je croisque vous et moi faisons la mme chose. Nous aimons un artiste. Mais nous l'aimons

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    chacun selon le modus de notre civilisation. La vtre, riche d'un hritage culturel denseet toujours invitablement aristocratique dans son fond face l'artiste, le filtre,l'absorbe, se l'approprie, le surdtermine, le sacralise. La mienne, acculture,dculture, marchande, commerante, le consomme, en jouit, le dvore, le dchire, letraite en copain, l'aime comme un frre en lui tapant sur les cuisses et tant pis si al'enquiquine. Je ne porte pas de jugement ici. Les deux canaux sont valides maisdistincts. C'est comme pour le jazz : ici c'est un gig, chez vous, c'est un concert. Chez

    vous, c'est l'Art. Ici, c'est entertainment [] L'Amrique c'est aussi une ethnologieoriginale, une civilisation ordinaire. C'est le ketchup, le baseball, les contrastesclimatiques, la dinde d'action de grce, Elvis, Warhol et Kerouac. Il faut prendre celadans l'angle ordinaire en tapant du pied et en buvant l'eau claire. () Je ne dmystifiepas Kerouac. Je m'en dlecte ma faon qui fut aussi la sienne. La vtre n'est pas lasienne. Votre lecture en est invitablement moins intime. C'est cependant ce qui la rendbien plus riche. Je suis la ngation de l'universalit de Kerouac, je suis son terroir. Voustes l'affirmation de son universalit, vous tes son impact, son rayonnement. Noussommes myopes mais allis (Millet : 2007)

    Cela ne concerne pas les seules traductions parisiennes, mais soulve le problmeuniversel de laltrit, de lintercomprhension de diffrentes cultures et des conditions sinequa non de sa concrtisation. Lintercomprhension ntant jamais assure de manireabsolue, que ce soit entre deux locuteurs dune mme langue ou entre deux locuteurs delangues diffrentes. Dans les deux cas, les locuteurs peuvent voir le monde diffremment.Lcart culturel est dautant plus grand quil implique la diffrence de langue et rend parfoisimpossible, malgr la bonne volont du traducteur, la comprhension fine dun messagecharg dimplicites. Toutes ces difficults qui prsident lentreprise de traduction exigentdonc des stratgies afin dtre contournes.

    1.3.3 Un positionnement thorique pour guider la pratique traductive

    Le positionnement thorique du traducteur conditionne les orientations de sa pratiquetraductive. Il est ncessaire, puisque cest face un tissu smiotique/smantique quil seretrouve, quil soit en mesure de trouver des stratgies face des difficults repres.Linterdisciplinarit des thories succeptibles de guider le traducteur est vidente. Lesproligres tudes traductologiques relvent tout autant de la linguistique pure, de lasociolinguistique, de lanalyse du discours, que de lethnographie, de la science de laculture, de la littrature, de ltude des processus cognitifs, Peter Fawcett, en voquantlintrt de la linguistique pour le traducteur, considre que a translator who lacks at leasta basic knowledge of linguistics is somebody who is working with an incomplete toolkit (Fawcett : 1997). Pour la sociolinguistique, cest au-del des composantes du mot ou desconstituants de la phrase que se rvle son utilit comme outil de description applicable la

    thorie de la traduction. Les diffrentes relations lexicales que sont la polysmie,l'homonymie, l'antonymie et la synonymie revtent elles aussi un intrt particulier pour lestraducteurs. Il en va de mme de la connotation, autre concept cl en smantique(connotation vs dnotation). L'analyse du discours foisonne galement de pistes pertinentespour le traducteur. On peut penser, entre autres, aux notions de contexte, de registre, dethme, de rhme, de prsuppos, de cohsion et de cohrence. Par ailleurs, on reconnatl'utilit en traduction de la thorie des fonctions du langage labore par Roman Jakobson.Tout comme savrent utiles de nombreux phnomnes dcrits par les sociolinguistes : desregistres de la parole aux dialectes et aux sociolectes, de mme qu' la prsupposition etaux actes du langage, dont l'tude relve de la pragmatique. Enfin, la psycholinguistique est

    l'origine de courants rcents en traductologie, notamment l'tude des processus cognitifsde la traduction par le biais des protocoles de verbalisation. En somme, un certain nombre

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    de notions tudies et dcrites par les linguistes ont jet les bases thoriques ncessaires la description des procds et stratgies de traduction. Il faut ajouter que toutes cesconnaissances thoriques ne font pas les meilleurs traducteurs, mais quune connaissancefine de ces notions peut servir la traduction qui nest pas le fruit dun travail dcrivainsbilingues et devraient tre systmatiquement tudies dans la formation des traducteurs.

    Ce savoir et ce premier positionnement thorique linguistique doivent tre

    accompagns dune thorie de la culture et de la traduction de la culture, justementimpulse par les considrations sociolinguistiques et de lanalyse du discours qui se situentdans la continuit et lvolution de la linguistique structurale saussurienne. Mounin, dans Les

    problmes thoriques de la traduction, a russi dmontrer que la traduction nest pasquun transfert linguistique. Il ne sagit pas pour lui de nier la ralit linguistique mais demontrer que la traduction comporte certains aspects franchement non-linguistiques, extra-linguistiques (Mounin : 1963, p. 16). Pour cela, et en dpit des avis convergents sur lesujet, la sociolinguistique fournit des outils intressants en tant qutude de la co-variancedes phnomnes linguistiques et sociaux-culturels (incluant lethnolinguistique dontlethnographie, la sociologie du langage, la gographie linguistique, la dialectologie). Cette

    discipline porte son attention sur le locuteur en tant que membre dune communaut, entant que sujet dont le langage peut caractriser lorigine ethnique, la profession, le niveaude vie, lappartenance une classe, etc (Baylon & Fabre : 1999, p. 74). Il sagit pour letraducteur de respecter les niveaux de langue (formel/standard ; informel/familier ; argot et

    jargon), les registres de style (qui peuvent tre considrs comme des dialectessituationnels), ainsi que de dcoder les signes sociaux prsents dans le texte original et les

    jeux de langage. Ltude littraire sattachera identifier le genre du texte, les figures destyle, le style. Enfin, la Potique du traduirede Meschonnic, permettra den apprhender lerythme et la signifiance : il ne faut pas entendre, potiqueau sens dAristote, mais, selonMeschonnic :

    Limplication rciproque des problmes de la littrature, des problmes du langage etdes problmes de la socit fait ce que jappelle, et ce quest devenue, pour moi, lapotique, contre lautonomie de ces problmes, en termes de disciplines traditionnellesspares .

    Au terme de cette premire partie se dessine la complexit de la traduction littraire.Nombre dobstacles dont certains infranchissables guident et limitent le travail dutraducteur, qui doit uvrer dimagination et de stratgies diverses pour les contourner. Maisil se heurtera toujours au fait que deux langues ne sont jamais totalement superposables.Cest en ce sens que la traduction littraire est lart de lapproximation consciente.

    2 La traduction littraire comme contact interpersonnel et interculturel

    2.1 Le discours littraire

    2.1.1 La notion de discours littraire et la traduction envisage comme une double

    pratique discursive

    Tout dabord, prcisons en prome, que nous posons une diffrence entre discours ettexte. Un texte peut comprendre une multitude de discours. Larchi-discours correspondraitplus au texte, larchi-discours serait la multitude de discours perceptibles dans le texte. De

    plus, un nonc crit est autant un discours quun nonc oral. Nous considrons la notionde texte et de discours sous langle de Antonia Coutinho, qui dfinit le discours comme

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    lobjet du dire et le texte comme lobjet de figure. Elle envisage le texte comme uneconfiguration dont le genre semble tre, dans la ligne de Rastier, la catgorie danalyse laplus pertinente.

    La traduction littraire comme cration de langage part entire trouve sa valeurpistmologique dans un contexte sociolinguistique. Cest ce contexte qui en fait unesmiosis en la positionnant au carrefour de nouvelles donnes linguistiques, culturelles,

    littraires et historiques (note sans mention dauteur, rfrence gare).En gnral, le contexte donne bien plus dinformation sur un systme symbolique que

    nimporte quel mot. Lanalyse du discours, qui se fonde sur le lien privilgi entre lasociologie et la linguistique, entre les socits et le langage (sociolinguistique), considreque lnonc ne peut tre coup de lnonciation, et que les significations se construisentdans la dynamique dun change entre participants pris dans une situation decommunication donne. Son objectif est danalyser le texte en reprant les appareilsformels de lnonciation :

    interventions dordre en gnral pronominal, adverbial ou verbo-temporel contribuant reprer les noncs marqus par les formes du il, la distance spatiale du l et les

    temps et aspects de laoriste (pass ou indtermin) par rapport aux marquesnonciatives duje/tu, de liciet du maintenant (Calame : 2002).

    En analyse littraire, les approches inspires du structuralisme visaient promouvoirune analyse interne des textes dlivre de la tyrannie dune "intention dauteur" pralable lcriture. En traduction littraire, lapproche du traducteur est diffrente. Nous lavons vu, sile postulat est que le sens du texte littraire trouve une nouvelle signification chaquelecture (la signifiance dynamique qui lui est propre), le phnomne dempathie propre latraduction littraire, ainsi que laspiration interprtative du traducteur sapprocher au plusprs du sens du texte, et donc de lintention de lauteur (Selekovitch, Lederer), nepermettent pas de procder au dchiffrage du texte, sans une considration pour celui qui

    la produit et son contexte (personnel, socio-culturel). Cette considration ncessaire dutraducteur pour lauteur est cependant loin dtre suffisante dans la construction du sens. Sielle claire les choix du traducteur un certain niveau de linterprtation, elle ne reprsentequune tape de sa construction du sens du texte.

    Sur les traces de Jean Delisle (Delisle : l980), cest lanalyse du discours dans sadimension la fois sociolinguistique, linguistique et socioculturelle qui permetlinterprtation telle quelle sentend chez Lederer ou Culioli. Considre comme un relexercice dcriture et une praxis nonciative, la traduction sinscrit dans une perspectivehermneutique. Sur ce point, il semble que Meschonnic exclut de manire injustifie ladimension hermneutique de la traduction. Si nous appelons hermneutique l'ensemble

    des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et dedcouvrir leur sens (Foucault : 1966), alors la traduction du texte littraire envisagecomme discours se doit dtre une orientation de la traduction et de son pendant thorique,la traductologie. Le discours est cette manifestation de lnonciation chaque fois quequelquun parle, disait Benveniste. Cette dfinition renvoie celle de Jean-Michel Adam : un discours est un nonc caractrisable certes par des proprits textuelles mais surtoutcomme un acte de discours accompli dans une situation (participants, institutions, lieu,temps) : une nonciation. (Adam : 1989).

    La traduction littraire envisage comme pratique discursive place demble letraducteur dans une configuration discursive particulire dont il est le centre et dans laquelle

    il occupe successivement deux fonctions :traducteur = lecteur = rcepteur et traducteur = auteur =metteur

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    Le traducteur est dabord lecteur, rcepteur dun message dont la fonction potique estdominante. De cette lecture finie , intime du texte original, il dgagera soninterprtation, une Horizontverschmelzung qui lui est propre selon la terminologiegadamrienne. Le premier chapitre de lIntroduction lanalyse stylistique de Fromilhagueet Sancier-Chateau expose les particularits du discours littraire et donc ses consquencesdans la pratique de la lecture (en opposition avec la lecture passive) : le rfrent fictionnel,

    le ddoublement des instances mettrice (auteur-narrateur) et rceptrice (lecteur-narrataire), le problme fondamental du sujet (je pique, je autobiographique, jelyrique, etc.) et la polyphonie des voix (discours direct, indirect, indirect libre). Ces traitsdiscursifs renvoient tous des lments socioculturels et sociolinguistiques du discoursoriginal que le traducteur doit reprer. De plus ces traits distinctifs seront leur touranalysables dans le texte traduit qui se pose comme un nouveau discours. Sur le problmefondamental du sujet par exemple, il faudra ajouter la prise en compte du sujet traduisantqui ncessairement aura laiss sa trace dans la matire de ce nouveau discours.

    La traduction est caractrise par le contact phmre et seulement partiel de deuxinconnus, elle confronte certains aspects des langues et des modes de reprsentations

    uniques (individuels et culturels) qui ne sont jamais substituables les uns aux autres. Letraducteur est donc dabord rcepteur, puis il est metteur, il propose une nouvellenonciation qui se distingue de loriginale de manire chronologique, gographique etsmiotique. Cest ce nouveau discours, fruit de linterprtation du traducteur, qui estinterprt par un nouveau public dont les ralits culturelles et linguistiques sontncessairement distinctes de celles des lecteurs de la version originale. Alors que le textesource quil a interprter et traduire a souvent t crit sans considration spcifiquepour le contexte culturel et linguistique du lecteur - le contexte de ce lecteur idal allantde soi (gnralit contredite par des exemples prcis sur lesquels nous reviendrons) -, letraducteur doit, en plus de connatre le contexte de lauteur et les textes, connatre etanalyser le contexte du lecteur du texte cible afin de sassurer de lintelligibilit de satraduction dans ce nouveau contexte. Le tout tant tout de mme de se faire comprendre.Le traducteur doit, et cest galement l la smiosphre laquelle appartient son travail,inscrire sa traduction dans un nouveau contexte en donnant une vise prcise aux niveauxculturel, linguistique et fonctionnel. La prise en compte de ce nouveau contexte peut sous-entendre des transformations plus ou moins importantes mais souvent ncessaires dans lepassage interlingual tous les niveaux. La dyade fidlit / trahison est aportique puisque le changement de vhicule linguistique implique ncessairement la naissance dun nouveaudiscours, qui, mme avec la meilleure volont traducteur, sous-tend des modifications auniveau linguistique, les plus videntes, et au niveau socioculturel, invitables. Le problmenest pas dans la fidlit au texte source, auquel il faudrait toujours rester fidle, mais dans

    la traduisibilit de certains concepts. Dailleurs, dans la ralit de la traduction littraire, latraduction, comme pratique discursive mergeant des contacts interlinguistiques, netransforme pas le sens autant qu'elle l'invente en fonction des diffrents lmentsconstitutifs de la culture d'accueil. Le concept de fidlit nest valable que par rapport loriginal, qui une forme stable, le texte. Comment tre fidle un texte-cible qui nexistepas encore ?

    Ainsi par exemple, Adelino Braz (Braz : 2006) sintresse au concept de saudadeportugais et les problmes quil pose en traduction vers le franais. Sur lexemple de latraduction du pome de Fernando Pessoa, Le Message, traduit par Patrick Quillier, et grce une rflexion sur les possibles quivalences terminologiques de la saudade en franais, Braz

    conclut avec Maurice Pergnier que, mme si certains termes se rapprochenttymologiquement ou smantiquement du concept de saudade (comme le spleen), aucun ne

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    permet de recouvrir la signification de la saudade puisque lusage dautres signes qui transportent avec eux leur propre signification et reconstruisent lunivers du vouloir-direselon dautres critres danalyse ne saurait rendre la teneur dun conceptculturellement prouv.

    Il faut rappeler cette fois avec Benveniste que nous pensons un univers que notrelangue a dabord model (Mounin : 1963), par consquent, la transposabilit dun texte

    dans une langue diffrente pose toujours des problmes lis au fait que les reprsentationsconceptuelles diffrent selon les langues. Todorov ajoute que les discours sont desvnements, parce qu'on ne peut sparer les discours des reprsentations qu'ils crent .Et cest l lobjet de la traduction envisage comme discours, puisque les reprsentationscres par lvnement du discours -traduction seront invitablement diffrentes de cellescres par le discours original, il sagit pour le traducteur de produire un discours crant desreprsentations invitablement diffrentes certes, mais produisant le mme sentiment oueffet chez le nouveau lecteur. De l la difficult de la tche du traducteur. Il lui faut partirdun livre pour toucher de nouveaux lecteurs qui lui sont trangers.

    Par ailleurs, Adelino Braz, souligne une ide particulirement intressante et qui va

    dans le sens de nombreux traducteurs : le deuil de loriginal pos comme postulat dedpart. Cet effort douloureux qui consiste accepter que la traduction ne sera jamais unerplique de loriginal dans une autre langue, est contrebalance par le fait que laltritrepose sur la diffrence. Si lon pouvait traduire exactement des textes dune langue lautre, cela impliquerait une triste homognit des manires et des modes de penses. Ceque la traduction clbre dans son inexactitude et dans son approximation, cest la diversitdes cultures que montre la diversit des langues travers chaque vnement de discours.Regretter la part dintraduisible, cest quelque part renier la diversit des cultures et desmodes de pense et pencher pour la pense unique. Avec Ricoeur, il sagit de renoncer lidal de la traduction parfaite (Ricur : 2004, p. 16). Et cest ce deuil de la traductionabsolue qui fait le bonheur de traduire (Id., p. 19). Le bonheur est alors de trouver unecorrespondance sans adquation (Ibid. p. 19). Le bonheur de la traduction idale estsrement ce dialogue des cultures, qui se montrent les unes aux autres, et se meuvent encontact.

    Considrer la traduction comme une double pratique discursive permet de rvlerlimportance de la crativit du traducteur en tant quinventeur dun nouveau discours(parole) unique dont il est lmetteur, ce qui lgitime le fait dapprhender la traductioncomme un travail dcriture part entire et le texte traduit comme une re-crationlittraire. Cest ce que nous dit Haroldo de Campos (Campos : 1992, p. 33), en estimant que La traduo de textos criativos ser sempre recriao, ou criao paralela, autnomaporm recproca .

    2.1.2 Dialogisme, polyphonie et intertextualit

    Ce dialogue permanent entre les diffrents groupes socio-culturels est dj prsent lintrieur dune uvre littraire considre monolingue (variantes sociolinguistiques localesou nationales), que nous allons distinguer des uvres qui intgrent dj le plurilinguisme oule mtissage (variantes sociolinguistiques internationales). Dialogisme et polyphonie sontdeux facettes complmentaires de la thorie bakhtinienne pour aborder les phnomnesd'htrognit nonciative dans le texte littraire d'un point de vue translinguistique(dialogisme) ou esthtico-anthropologique (polyphonie) (Rabatel : 2006). La thorie dudialogisme a connu une grande volution avec la prise en compte du sujet. JaquelineAuthier-Revuz (Authier-Revuz :1984), par exemple, en sappuyant la fois sur les travauxde Bakhtine et sur la thorie du sujet de Freud reprise par Lacan, remet en cause lunit du

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    sujet parlant. Cette pluralit du sujet parlant questionne la sacro sainte figure de lauteurtelle quelle a toujours t perue dans la culture occidentale.

    Du dialogisme linguistique au dialogisme discursif, le discours se construitncessairement par rapport lautre. Par le concept de dialogisme , Bakhtine montrecomment luvre littraire possde structurellement une prdisposition intgrer, sur lemode polyphonique, une grande diversit de composants sociolinguistiques, stylistiques et

    culturels. Evoquant le roman, Bakhtine est on ne peut plus clair ce propos : le postulatde la vritable prose romanesque, c'est la stratification interne du langage, la diversit deslangages sociaux et la divergence des voix individuelles qui y rsonnent (Bakhtine : 1978,p. 90). Il sagit pour le traducteur de connatre la vie sociale du verbe hors de l'atelier del'artiste, dans les vastes espaces des places publiques, des rues, des villes et villages, desgroupes sociaux, des gnrations et des poques (Bakhtine : 1977, p. 85).

    Le principe dialogique oblige l'ouverture, la conscience sociale du multilinguisme etde la polyphonie des textes (Joyce, Proust, ). La notion de polyphonie, labore parBakhtine pour dcrire certains caractres des romans de Dostoevski, a t utilise dans lesannes 80 par Oswald Ducrot en linguistique de l'nonciation o elle dsigne un discours

    o s'exprime une pluralit de voix (Moeschler et Reboul : 1994, p. 326). Elles semanifestent par exemple de manire explicite dans le discours direct mais aussi de manireplus discrte dans le discours indirects libres la premire ou deuxime personne, quiparfois nest mme pas dcelable. Le dialogisme de Bakhtine repose sur une anthropologiede laltrit, sur le constat que ltre humain est tout entier communication avec autrui etque lautre joue un rle essentiel dans la constitution du moi. Le dialogisme linguistiquepostule que la langue est le reflet de cette alination constitutive (dj voqu au dbut dece travail) au sens lacanien du terme (voir le stade du miroir chez Lacan). Dans un texte de1929, Bakhtine crit :

    Aucun membre de la communaut verbale ne trouve jamais des mots de la langue qui

    soient neutres, exempts des aspirations et des valuations d'autrui, inhabits par la voixd'autrui. Non, il reoit le mot par la voix d'autrui, et ce mot en reste rempli. Il intervientdans son propre contexte partir d'un autre contexte, pntr des intentions d'autrui.Sa propre intention trouve un mot dj habit (Todorov 1981, p. 77)

    Enfin, lintertextualit, le second degr de la littrature (Genette), terme introduitpar Kristeva dans son essai sur le dialogisme bakhtinien (1966), auquel elle prfrera celuide transposition dans ses travaux ultrieurs. Le terme d'inter-textualit dsigne cettetransposition d'un (ou de plusieurs) systme(s) de signes en un autre ; mais que puisque ceterme a t souvent entendu dans le sens banal de "critique des sources" d'un texte, nouslui prfrons celui de "transposition", qui a l'avantage de prciser que le passage d'unsystme signifiant un autre exige une nouvelle articulation du thtique, la positionnalitnonciative et dnotative. (Kristeva :1969, p. 60)

    Lintertextualit tmoigne de la continuit spatio-temporelle d'une culture littraire. Ilsagit srement de lune des difficults qui pour tre surmonte, ncessite une connaissanceintime, une exprience cognitive de la langue du texte source. Les textes dans le texte sontla version crite de la multitude de paroles dautres dans la parole de chacun, elles peuventtre anonymes ou identifies. Naturellement, lhomme se constitue et volue dans unimmense lan de sociabilit, dans laltrit, grce au langage qui en est la conditionpremire. Seules certaines cultures y ont vu, comme le regrettait Kristeva, le mal lassociant au plagiat. Le dialogisme, la polyphonie et lintertextualit, sont inhrents ladisposition lmentaire de tout sujet communiquer. Lhistoricit, la mmoire de la pense

    humaine sont dans le discours, ils passent maintenant aussi par lcrit dans certainessocits. Il semble que lon revienne encore au mythe dans son choc avec la matrialit du

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    signe. Loralit premire qui est dans la nature de ltre humain lui rend difficile lacceptationde la complmentarit de ses propres voix de loral dans lcriture.

    2.1.3 Le plurilinguisme, la diglossie, lhtroglossie, le multiculturalisme

    Comment traduire quand loriginal est dj empreint / emprunt daltrit ? Comme l'ontdj soulign Cary et Levy, la traduction n'est pas seulement la confrontation de deux

    systmes linguistiques face une mme ralit (une mme culture, un mme savoircognitif), mais elle est aussi la confrontation de deux ralits (deux cultures, deux savoirscognitifs strotyps), chaque sujet tant dans une ralit complexe faite de plus ou moinsde langues (la bipolarit linguistique des auteurs qubcois par exemple). Il y a les uvresdauteurs bilingues exils qui, de Franois Cheng Kundera en passant par les crivainspostcoloniaux dEdward Sad, Homi Bhabha, Gayatri Chakravorty Spivak et bien dautres)comme Kourouma, sexpriment dans la langue de lexil ou de lancien colonisateur. Latraduction implique plus quun face--face entre deux langues et deux cultures. Le langageest plurilingue et la culture multiple. Et les gens parlent. Les livres sont leurs traces crites.

    Le plurilinguisme et lhtroglossie du texte source ainsi que son multiculturalisme

    interrogent la traductologie. La diversit des personnalits et celle des cultures prsentesdans un texte littraire, travers la parole (unique ?) du pote ou celles, multiples dunarrateur et des personnages fictifs, forment un tout htrogne dans lunit du texte et ontun effet que le traducteur doit saisir et reproduire. Phnomnes aussi vieux que lalittrature, ces caractristiques textuelles sont de plus en plus frquentes dans les discourslittraires. Si nous prenons le roman ou le thtre, aux antipodes de la posie, ces genres sedfinissent par leur aspect social plus quindividuel, dautant plus polyphoniques. Lesvariations socioculturelles dans les romans du 19mesicle par exemple se traduisent par laprsence de parls multiples, autant de sociolectes, dialectes, patois imaginables, lamajorit tant utiliss sur un territoire national aux frontires artificielles mais

    nationales .Avec lintensification des dplacements humains et des contacts interlinguistiques etinterculturels, nous assistons une mtamorphose du profil linguistique des texteslittraires qui traduit plus gnralement lvolution des langues et une transformation durapport aux langues dans les socits et chez les sujets. Les travaux de Homi Bhabah(Bhabah : 1994) et Gayatri Chakravorty Spivak (Spivak :1993). soulignent l'importanced'une vritable thique de la traduction dans le contexte de l'internationalisation deschanges culturels.

    Nous distinguons plusieurs types de plurilinguisme dans le texte littraire, chacun tantassoci une exprience unique, culturelle, individuelle et diffrente. Le plurilinguisme des

    textes crits en situations dexil nest pas celui qui jaillit du monde postcolonial, ni celui quicaractrise les grandes zones universitaires, urbaines ou conomiques, ni celui, enfin, quicaractrise toutes les langues du monde. En effet, les diffrentes langues du monde sontdj plurilingues , en ce quelles sont constitues de mots et de structureshistoriquement influences par des langues qui lui sont trangres et sont rgulirementquipes de nologismes lexicaux et plus difficilement de calques syntaxiques, pour designerde nouveaux objets et concepts venus dailleurs (exemple du yoruba cit supra).

    Ce type de plurilinguisme intra-langue ne pose pas vraiment de problmes latraduction linguistique puisquil est associ un lexique stable et des signifiants connus endautres langues plus centrales, il est socialement reconnu et devenu la norme de la langue.En revanche, il pose de relles questions et cest un des choix thiques du traducteur, parrapport lobjectif de la traduction, qui est de savoir si le texte source sera privilgi autexte cible. Le privilge concerne la culture et influencera la langue de la traduction. Ce

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    choix dtermine le discours culturel que le traducteur va produire. Il doit choisir entre tenterde faire passer la voix de ltranger et probablement heurter le lecteur dans ses habitudesou en effacer toutes les traces en le rendant invisible au nophytes.

    La traduction na de sens que si elle est crative mais elle doit sen tenir une ralit-texte qui est sa seule raison dtre, dont elle doit faire passer la teneur culturelle si ellesouhaite contribuer au dialogue des cultures. Sinon, le dialogue des cultures travers la

    traduction littraire ne signifie plus rien.Si dans un roman yoruba contemporain traduit en franais, un francophone de

    France lit : je regarde la machine qui combine la voix la photo , effectivement peut-trequil nassociera pas le signifiant au bon signif, ceci tant dit, cest exactement l que setrouve lautre, dans toute sa diffrence culturelle dont le langage est la cl et les languesseulement une partie. Il ne faudrait pas que la traduction contemporaine soit une forme decolonisation. Les langues sont en conflits permanents, lcrit aussi.

    Il est des textes o deux langues sont en conflit, en contexte diglossique, comme lestextes qui mlent le franais et le crole par exemple : des textes littraires en franaiscrolis ou en crole francis. Lhtroglossie de ces textes rend la tche du traducteur

    autrement plus complique. Lhtroglossie crole-franais se traduit par lusage de lun oude lautre pour remplir diffrentes fonctions du langage et accomplir des actes de parolesdistincts. Les deux langues simbriquent et le crolophone natif cre des discourscomportant la fois du franais, du crole o les deux langues sinfluencent lune lautre.Traduire, c'est noncer dans une autre langue (ou langue-cible) ce qui a t nonc dansune langue-source, en conservant les quivalences smantiques et stylistiques. La questionque la diglossie crole-franais pose, cest si il y a rellement deux langues en prsencedans ce cas-l ? Ou bien nest-ce pas plutt un mtissage de deux langues quil devientimpossible de sparer lune de lautre ? Les croles sont considrs par les crivains(Raphal Confiant, Patrick Chamoiseau, ) comme des langues non fixes. Le crole deGuadeloupe na pas dorthographe, ni de dictionnaire monolingue, ce qui amne RaphalConfiant dire :

    quelle est la lgitimit dune entreprise de traduction intra-crole, je veux dire lintrtde traduire Csaire et Jacques Roumain en crole ou Joby Bernab et Franktienne enfranais ? Apparemment aucun puisque les deux langues sont dj prsentes dans letexte, quelle que soit la langue utilise, lune en surface, lautre en profondeur. Ne setrouve-t-on pas l dans un cas unique au monde de traduction incestueuse ? Etdailleurs problme chez le traducteur lui-mme, sil est natif, puisquil aura du mal toujours dfinir une frontire trs nette entre franais et crole (Confiant : 2003).

    Le franais crolis serait quand un texte dit franais (orthographe, lexique, syntaxe)contient certaines tournures (orthographe, lexique) qui appartiennent une autre langue (le

    crole). Au niveau de la traduction, Marie-Christine Hazal-Massieux, croliste et spcialistede traduction du / en crole lUniversit de Provence, pense que les textes antillais nedevraient pas tre traduits par des natifs mais par des non-crolophones qui ont appris lecrole comme une langue trangre. En fait, lavantage des locuteurs du crole qui lontlappris comme langue trangre, cest quils ont appris un code, une structure, un systmenorm, bas sur les efforts de la linguistique pour tablir un systme linguistique crolemartiniquais, runionnais, part entire et autonome du franais (identit / altrit). Pourle traducteur tranger, la recherche dquivalence prend appui sur deux systmes distincts,faisant rfrence des mondes et des visions du monde diffrentes alors que le crolophonenatif a tendance confondre les deux. Cest partir de ce mtissage linguistique qui

    correspond une ralit culturelle spcifique quil se forge une identit.

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    En fait, cette situation dhtroglossie nest pas le propre des croles lis au franais : enMalaisie ou en Inde par exemple, la colonisation anglaise a laiss dans les langues et dansles polysystmes littraires nationaux, des traces de la diglossie anglais-Bahasa Melayu ouanglais-tamil selon les mmes procds, sillustrant par lhtroglossie dans certains textes.On pense au menglish (crole anglais-bahasa) de Malaisie : le ministre de lducationmalaisien Datuk Seri Hishammuddin Hussein expliquait un journal malaisien (New Strait

    Times, 2005) la vision davenir de langlais en Malaisie, il affirmait que langlais : "is nolonger a colonial language, no longer a foreign one, because we have made it our own.Malaysians need no longer feel shy of making full use of it in building our future". La Malaisiena pas de loi ou de politique linguistique tablis. La raison pour laquelle la Malaisiefonctionne avec autant de diversit linguistique et culturelle se trouve dans les liens que leslangues tissent entre elles. Certains malaisiens parlent quatre langues (par exemple :Bahasa Melayu, anglais (menglish), mandarin et un dialecte local). En Malaisie, les auteursmalaisiens malais crivent en Bahasa Melayu, les auteurs malaisiens indiens crivent enanglais et certains rclament le droit dcrire en Bahasa Melayu, les auteurs malaisienschinois crivent en mandarin et la grande majorit des auteurs malaisiens finalement pour

    des raisons de publication et de march du livre, finissent par crire en anglais. Lesmalaisiens natifs qui ont appris langlais en Malaisie parlent le menglish qui rpond auxcritres dfinitoires dun crole et qui pose les mmes problmes identitaires du soi et delautre, la qute identitaire dans lusage de la langue.

    En 1963, dj Raja Rao, crivain indien dune oeuvre en anglais, disait : We cannotwrite like the English. We should not . Un milieu diglossique sous-entend ncessairementun conflit de langue. Il peut y avoir conflit didentit linguistique mais dissociation deslangues concernes. Les exemples des textes littraires des auteurs venant des ex-coloniesfranaises sont rvlateurs et la gestion de la situation diglossique se distingue de celle osont impliqus les jeunes croles. Dans les ex-colonies, le conflit entre les langues vient deleur poids ingal sur le march des langues (Calvet) et du fait que lune et lautre nont pasfusionnes linguistiquement, et sont utilises dans des milieux sociolinguistiques diffrents.Le franais de France est alors la langue de ltranger, de lenvahisseur, la langue de lautre,elle est parle par llite et a pris le statut de langue officielle mais ne fusionne pas avec leslangues locales, larabe ou le berbre au Maroc par exemple qui sont des langues fortementtraditionnelles, normes, fixes. Elles restent cte cte. Cette langue trangre, au coursde lhistoire, a t dompte pour accueillir de nouvelles visions du monde. Les auteurscomme Tahar Ben Jelloun, Kateb Yacine, Kourouma, produisent des discours littraires quiexpriment en langue franaise les ralits culturelles dautres langues comme le berbre oularabe, qui nexpriment pas les mmes visions du monde. Ben Jelloun explique laspectcognitif du phnomne dcriture de deux langues-cultures dans une langue :

    Oui, il marrive de cder une errance dans lcriture comme si javais besoin deconsolider les bases de mon bilinguisme. Je fouille dans cette cave, et jaime que leslangues se mlangent, non pas pour crire un texte en deux langues, mais juste pourprovoquer une sorte de contamination de lune par lautre. Cest mieux quun simplemlange ; cest du mtissage, comme deux tissus, deux couleurs qui composent unetreinte dun amour infini (Ben Jelloun : 2007).

    Ben Jelloun cite une srie dexemples trs explicites de ce que reprsente leplurilinguisme dun texte n en milieu diglossique. Il voque le pote marocain MohammedKhar-Eddine :

    un pote rebelle, insolent, portant la rage et la mort la boutonnire, puisant dans ledictionnaire les mots rares pour dire toutes ses colres. Jusqu sa mort, il a persistdans la maltraitance de la langue franaise pour en sortir des posies dune

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    exceptionnelle fulgurance. Il saccageait le franais, tout en tant irrprochable sur lasyntaxe, le pliait son dsir de tout dballer, de tout dconstruire (Ben Jelloun :2007).

    Kourouma, quand lui, commente son roman Les Soleils des indpendances(1970) :

    Ce livre s'adresse l'Africain. Je l'ai pens en malink et crit en franais en prenantune libert que j'estime naturelle avec la langue classique (...) Qu'avais-je donc fait?

    Simplement donner libre cours mon temprament en distordant une langue classiquetrop rigide pour que ma pense s'y meuve. J'ai donc traduit le malink en franais pourtrouver et restituer le rythme africain.

    Le roman de Kourouma donnera bien du mal un traducteur francophone neconnaissant pas la culture malink, bien intentionn et dsireux de faire passer la culture dutexte source dans son pays.

    Enfin, le cas des auteurs exils gographiquement et qui adoptent la langue de lexilcomme langue dcriture, comme Franois Cheng, Nancy Huston, Milan Kundera, SamuelBeckett, Julien Green, Joseph Conrad, Panait Istrati, Tristan Tzara, Vladimir Nabokov, JorgeSemprun, Hector Bianciotti, Emile Cioran, Le parcours de ces auteurs et les textes quils

    livrent sont galement lempreinte dune langue-culture premire dans une langue seconde.Lexil est pluriel, plus ou moins heureux, mais ces diffrents types dexil ont en commun lamme exprience de dpossession (Alexis Nouss : 2003). La rcurrence des allusions lalangue maternelle (plus que langue premire cette fois), les rflexions sur la mmoire,loubli, le retour soi dans la langue maternelle et la possibilit de lcriture en franais,pourtant souvent peru comme une langue trique mais riche pour rendre le rel.

    Par ailleurs, les romans de lexil sont souvent empreints de tmoignages intimes delhistoire, comme en tmoigne Kundera (Kundera : 1985, p. 242) parmi tant dautres encommentant son Livre du rire et de loubli: Cest un roman sur le rire et sur loubli et surPrague, sur Prague et sur les anges. .

    La littrature est le reflet de nos socits et de nos cultures dont le mtissage sexprimeavec de plus en plus de force et surtout (et heureusement) sans rel contrle possible. Elleillustre les profonds changements des socits et grce aux mtissages culturels, ellebouscule les langues symboliques au rythme des langues vivantes et critique larbitraire denos reprsentations qui veulent assimiler UNE langue UNE culture UNE nation. On netraduit pas un simple texte, on traduit une diffrence culturelle, la traduit la relation deuxcultures. La langue nest quun moyen pour y parvenir.

    2.2 Pour une traduction culturelle

    2.2.1 Les approches culturelles et ethnologiques de la traductionClaude Calame, dans un essai intitul Interprtation et traduction des cultures (Les

    catgories de la pense et du discours anthropologiques), tudie les phnomnes culturelsscriptibles dun point de vue de lexprience anthropologique. En guise de prome sontexte, il pose la question qui voque de nouveau la possibilit du dialogue entre lescultures : Peut-on comparer les cultures ? Peut-on donc les traduire ? Et, dans cettemesure, peut-on les interprter sans les rduire de simples textes ?

    Le fait que la culture soit humaine et vivante soppose au discontinu du signelinguistique crit, elle est lhistoricit que Meschonnic attribue au langage, elle est lhistoiredun peuple et comme toute chose qui chappe la raison humaine et son contrle, elle

    est pour ce quelle est, sans quon est besoin de rien faire sinon dtre. En cela, elle faitpartie de ce que lon dcrit mais que lon nexplique pas. Julia Kristeva, dans le Gniefminin, la vie, la folie, les mots (Kristeva : 1999, p. 350), parle de lappartenance

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    immdiate de lhomme une communaut qui na besoin ni de lentendement ni desimpratifs moraux pour se faire, mais opre cependant demble dans une sensationtoujours dj-socialise . Le traducteur sait bien que la rsistance culturelle de latraduction littraire est dans les mots, et au-del, dans le systme linguistique qui sous-tendtout ce langage, mais en thorie ce systme est modulable linfini. Thoriquement, leslangues sont volutives, elles sont en permanente mtamorphose. Il y a ce que la langue

    peut faire, et ce quelle doit faire. Et il y a aussi ce que les locuteurs veulent en faire. Tousles thoriciens de la traduction qui ont retenu notre attention prescrivent une traduction quiretourne la forme de loriginal (Benjamin dans Mythe et violence : Une traduction estune forme. Pour la saisir comme telle, il y a lieu de revenir loriginal. Car cest lui quicontient la loi de cette forme, en tant quelle est enclose dans la possibilit mme quil soittraduit ), qui doit rendre la forme-sens de Meschonnic ou comme Ezra Pound qui traduisaitune premire fois lossature, la structure du texte pour ensuite lhabiller dun nouveaumanteau. Parce que cest dans la forme du discours que sexprime la vision du monde delAutre.

    La Halle envisageait lart de la traduction comme une simple transplantation

    (verpflanzen, bertragen) terme terme dune langue dans une autre, qui se trouveconfront, ds quil sagit de ces produits spirituels (geistige Erzeugnisse) que sont ceuxde lart et de la science, deux dfis : celui que formulent les diffrences gographiques ethistoriques entre deux langues assez distantes pour rendre difficile prcisment la traductionterme terme, et surtout celui que constitue le postulat de lunit entre langue et pense,dans une sorte de nominalisme conceptualiste. La Halle voque les limites des langues, ellessont franchissables, elles dpendent du sujet du discours. La question profonde de latraduction littraire est de savoir si lon est prt accueillir la pense de lautre. Sa penseen tant que manifestation dune culture trangre travers une parole individuelle. Laquerelle sculaire : naturalisation vs exotisation pour reprendre une terminologietraductologique (Venuti : domestication / foreignization, Nord : documentary vsinstrumental). Gideo Toury, lui parle de manire un peu diffrente de traduction adquate etacceptable. La traduction littraire dite acceptable est, selon Toury, une traduction qui resteprs du texte source et dans laquelle les aspects culturels et linguistiques ne sont pasaltrs de faon rapprocher la culture et la langue cibles de la culture source (dialogue descultures). La traduction acceptable vise les usages de la culture et de la langue cible. Elle necherche pas le dialogue avec la culture source mais privilgie la nouvelle communicationtablie par la traduction dans la culture cible entre le texte traduit et les nouveaux lecteurs.

    Il faut distinguer le niveau de la traduction linguistique et celui de la traduction culturelleen traduction littraire. Comme le souligne Aixla (Aixla: 1996), sappuyant sur uneaffirmation de James S. Holmes, il semblerait que la tendance de la traduction occidentale,

    consiste naturaliser la langue du texte, une traduction linguistique naturalisante, et exotiser au maximum la traduction aux niveaux socio-culturels et pragmatiques. Cettetendance semble sillustrer dune part, par le dsir de montrer lautre travers le textetraduit, et dautre part, le dsir de produire un texte valable . C'est--dire un texte qui a la fois le potentiel pour intresser les maisons ddition et pour intresser le plus delecteurs possibles. Et il faut bien se lavouer, trs peu de lecteurs vont se lancer dans desrecherches linguistiques pour comprendre un texte qui apparat hermtique ou trange de prime abord. Schleiermacher pensait que la traduction doit provoquer chez le lecteur un sentiment dtranget (das Gefhl des Fremden) ou limpression dtre confront quelque chose dtranger (das Gefhl, dass sie Auslndisches vor sich haben). Cest dans

    la traduction de la forme linguistique aussi, complmentaire des aspects culturels, extra-linguistiques, que se joue le dialogue des cultures.

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  • 7/26/2019 Amlie Leconte. Dossier Traductologie.

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    Encore une fois, si la traduction parfaite nexiste pas, elle doit tre en tant quereprsentation de lautre au plus proche de sa ralit, sinon de quel dialogue culturelparlons-nous ? Cest sa connaissance de lautre qui doit guider le traducteur, cetteconnaissance de ltranger, de lauteur tranger en tant que producteur de textes (avec sonstyle, son rythme, son sens, sa fonction et son effet). La traduction qui efface la source etles thories de leffacement sont un dni de lAutre. Ce nest pas la source que le traducteur

    efface en traduisant, cest lui-mme (la transparence selon Benjamin, leffacement dutraducteur). Ces thories sont un laboratoire dcriture mais au sens purement intellectuel,travail dintroverti. Meschonnic appelle ces traductions des effaantes , qui organisent ladisparition du texte et donc de la pense qui se tient en lui, dans loubli de la gesticulationloquente de toute parole, selon lexpression de Merleau-Ponty. La surtraduction dans letrop grand souci du sens du texte cible, qui peut conduire la ngation pure et simple de cequi demeure vague ou indtermin dans un discours. La surtraduction ou son contraire, lapropension la paraphrase intempestive. Non, idalement, la traduction devrait montrerltranger comme il est, comme il parle travers le texte. Gogol disait : Devenir un verresi transparent quon croit quil ny a pas de verre . Ne pas senfermer dans la littralit

    mais avant toute chose, respecter le texte source, sa culture, son auteur. La traduction doitfaire ce que les textes originaux fontrappelle Meschonnic, elle doit alors faire ce quun livreque lon lit sans traduction nous fait, il nous montre une culture, il nous donne des ides, ilnous livre des bribes de pense, qui sont celles dun auteur un moment donn et dans uncontexte donn. Le livr