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Comment améliorer le travail parlementaire Comment améliorer le travail parlementaire N otre démocratie fonctionne mal : tel est le constat que dresse, sans complaisance, l’Institut Montaigne dans un premier rapport consacré au Parlement. Cumul des mandats stérili- sant, prépondérance des fonctionnaires et inefficacité de nombreuses procédures législatives et de contrôle : autant de fac- teurs explicatifs d’une certaine impuis- sance du Parlement français, que tra- duisent taux d’abstention et désaffection croissante vis-à-vis des fonctions élec- tives. Pour remédier à ces dérives, étayées et analysées dans ce rapport, l’Institut Montaigne pose sans ambiguïté le prin- cipe général “un élu, un mandat”, insiste sur l’ouverture du Parlement au secteur privé et suggère quelques réformes du travail parlementaire. Octobre 2002 “Il n’est désir plus naturel que le désir de connaissance” Institut Montaigne 18, avenue Matignon – 75008 Paris Tél. : +33 (0)1 40 75 73 73 Fax : +33 (0)1 40 75 73 70 E-mail : [email protected] Comment améliorer le travail parlementaire

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Comment améliorer le travail

parlementaire

Commentaméliorer le travailparlementaire

Notre démocratie fonctionne mal :tel est le constat que dresse, sanscomplaisance, l’Institut Montaigne

dans un premier rapport consacré auParlement. Cumul des mandats stérili-sant, prépondérance des fonctionnaireset inefficacité de nombreuses procédureslégislatives et de contrôle: autant de fac-teurs explicatifs d’une certaine impuis-sance du Parlement français, que tra-duisent taux d’abstention et désaffectioncroissante vis-à-vis des fonctions élec-tives. Pour remédier à ces dérives, étayéeset analysées dans ce rapport, l’InstitutMontaigne pose sans ambiguïté le prin-cipe général “un élu, un mandat”, insistesur l’ouverture du Parlement au secteurprivé et suggère quelques réformes dutravail parlementaire.

Octobre 2002

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Institut Montaigne18, avenue Matignon– 75008 ParisTél. : +33 (0)1 40 75 73 73Fax : +33 (0)1 40 75 73 70E-mail : [email protected]

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Créé fin 2000, l’Institut Montaigne regroupedes cadres d’entreprises, des hauts fonc-tionnaires, des universitaires et des repré-

sentants de la société civile issus des horizons lesplus divers. Espace indépendant d’analyse et de réflexion, librede toute contrainte politique ou économique,l’Institut Montaigne élabore et diffuse des propo-sitions concrètes de long terme sur les grands enjeuxauxquels nos sociétés sont confrontées. Ces propositions résultent d’une méthode d’ana-lyse rigoureuse et critique, qui cherche à s’affran-chir des schémas de pensée existants, en s’appuyantnotamment sur l’étude d’exemples étrangers per-tinents. Une fois arrêtées, ces recommandationssont relayées au sein de l’opinion publique, afinde susciter un débat le plus large possible.À travers ses groupes de travail, ses conférencesmensuelles et son site Internet, l’Institut Montaignesouhaite devenir un acteur autonome et non par-tisan du débat démocratique.

Comité directeur

Claude Bébéar : PrésidentAlain Mérieux : Vice-PrésidentHenri Lachmann : Vice-Président et TrésorierBruno Erhard-Steiner : Délégué généralNicolas Baverez : Économiste, AvocatJacques Bentz : Président de TecsiGuy Carcassonne : Professeur de droit public àl’université Paris X-NanterreMarie-Anne Frison Roche : Professeur de droità l’Institut d’études politiques de ParisBernard de La Rochefoucauld : Président des“Parcs et Jardins de France”Ezra Suleiman : Professeur de science politiqueà l’université de Princeton (États-Unis)

Les Publications de l’Institut Montaigne

Fruits des travaux et des réflexions des groupes detravail, les publications de l’Institut visent à susciterun débat large et ouvert, en totale indépendanced’esprit :■ Management public & tolérance zéro

(novembre 2001)

■ Vers des établissements scolaires autonomes(novembre 2001)

■ Enseignement supérieur : aborder la compétition mondiale à armes égales ?(novembre 2001)

■ L’homme et le climat(1) (mars 2002)

■ La sécurité extérieure de la France face auxnouveaux risques stratégiques (mai 2002)

■ Le modèle sportif français : mutation ou crise?(juillet 2002)

■ L’articulation recherche-innovation(septembre 2002)

■ Comment améliorer le travail parlementaire ?(octobre 2002)

■ Vers une assurance maladie universelle ?(octobre 2002)

Les publications peuvent être obtenues, sur simpledemande, auprès du secrétariat de l’Institut (Tél. : 01 40 75 73 73) et sont également consultablessur le site Internet : www.institutmontaigne.org

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Commentaméliorer le travail

parlementaire

Octobre 2002

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Préface ................................................5

Synthèse..............................................9

Propositions ......................................11

Introduction......................................13

I. Un Parlement qui ne représente pasla diversité de la société française....191.1. Un Parlement stérilisé par sonhomogénéité .................................................19

1.2. Un accès inégalitaire à la politique ........33

1.3. Une endogamie sclérosante ...................38

II. Un cumul des mandats qui pèse sur la vie politique ............................432.1. Le cumul est la règle, le non-cumull’exception ....................................................44

2.2. Un phénomène issu du centralismefrançais et favorisé par le fonctionnementinterne des partis ..........................................59

2.3. Les conséquences du cumul des mandatssur la vie politique ........................................62

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S O M M A I R ECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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M alheur à la femme française de moinsde 50 ans, issue de l’immigration ettravaillant dans le secteur privé : elle

n’a statistiquement aucune chance de siéger auParlement !

Notre pays, si prompt à vanter les vertus démocra-tiques de ses institutions, accumule les singularités:■ 88 % des parlementaires sont des hommes ;■ près d’un député sur deux est issu de la fonc-tion publique ;■ trois députés sur quatre ont plus de 50 ans,plus d’un sénateur sur deux a plus de 60 ans ;■ le cumul des mandats touche les quatre-cin-quièmes des députés et des sénateurs ;■ aucun parlementaire n’est issu de l’immigra-tion récente.

En même temps, élection après élection, les tauxd’abstention atteignent des records et 90 % desjeunes cadres et 91 % des étudiants se défient despartis politiques(1).

Faut-il y voir une corrélation ? Nous en sommesconvaincus. Contestées par personne, ces don-nées devraient faire réfléchir nos responsables poli-tiques qui ne mentionnent ces sujets que rare-ment, comme pour mémoire. Après leur avoir fait

III. Un Parlement empêché de remplir sa mission........................713.1. Une procédure législative inefficace ......72

3.2. Un Parlement incapable de contrôlerefficacement le gouvernement etl’administration ............................................79

3.3. Une Chambre haute dont la missionspécifique reste mal définie ..........................83

Les propositions de l’InstitutMontaigne ........................................891. Favoriser l’ouverture du Parlement ausecteur privé ..................................................89

2. Mettre un terme au cumul des mandats ..98

3. Rendre au Parlement les moyens de sesmissions ......................................................103

Annexes ..........................................117

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P R É F A C ECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(1) Sondage Sofres publié par Le Monde du 15 janvier 2002.

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doute d’envisager sérieusement la réforme denotre État, de le rendre plus performant, de rendreles dépenses publiques plus pertinentes et plusefficaces et, enfin, de procéder à l’indispensabledésinflation en matière législative et réglemen-taire. Le législateur mesurerait exactement lepoids écrasant de la bureaucratie aussi bien pourles citoyens dans leur vie de tous les jours, quepour les entreprises mises quotidiennement audéfi par leurs concurrents internationaux.

De quoi s’agit-il en fait ?

■ La société française est diverse, c’est sa richesse– entend-on dire avec raison – et c’est sa chance.Elle l’est par sa géographie, par ses familles cultu-relles, mais aussi parce que les individus exercentdes activités professionnelles diverses, qui les enri-chissent d’expériences très variées. Hélas! Face àcette riche diversité, le Parlement français noussemble bien monocolore, voire monotone, malgréquelques progrès récents sur la parité par exemple.

■ Le cumul des mandats favorise une colonisa-tion de la vie politique par un ensemble restreintde responsables. Ceux-ci exercent formellementde multiples responsabilités, mais d’une part cettepolyvalence freine le renouvellement des élus eten réduit le nombre ; d’autre part, chaque man-dat n’est pas pleinement et correctement rempli,les responsabilités étant de fait déléguées à des

prendre l’air un instant, la conscience apaisée parces évocations fugitives, ils les rangent à nouveaudans la naphtaline et jamais ces dysfonctionne-ments ne se voient traités à fond.

Ainsi en est-il de deux grandes bizarreries, propresà la France, qui tendent à affaiblir la légitimité denos institutions et des décisions politiques, enréduisant au-delà du tolérable le caractère repré-sentatif des assemblées qu’on devrait – justement– pouvoir qualifier de représentatives : je veuxparler d’une part du divorce qui existe entre la struc-ture socioprofessionnelle du Parlement et cellede la société française et, d’autre part, du cumuldes mandats. À cela, il convient d’ajouter pour com-pléter le tableau et sans doute est-ce certainementune conséquence logique des deux bizarreries pré-cédentes, un Parlement qui n’est pas en situationde remplir efficacement ses deux principales mis-sions : examiner attentivement les projets de loi,mesurer toutes leurs conséquences et contrôlerl’action du gouvernement.

En tant que citoyen attentif et chef d’entreprisedont le groupe opère en France comme à l’in-ternational (ce qui me permet de comparer), jeme rends compte en permanence de ces imper-fections, dont on ne saurait sous-estimer l’im-portance. Les prendre en compte, leur trouverune solution judicieuse, fournirait à notre paysd’inestimables leviers lui permettant sans aucun

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PRÉFACECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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Notre démocratie fonctionne mal : tel est leconstat que dresse, sans complaisance,l’Institut Montaigne.

Les Français, de plus en plus sceptiques à l’égarddu monde politique, sont moins enclins à recher-cher des fonctions électives et de plus en plusnombreux à s’abstenir aux élections. Une des rai-sons de ce désintérêt de l’opinion est le senti-ment de la confiscation du pouvoir par un milieuhomogène, perçu de plus en plus comme uneoligarchie. Une autre raison vient de ce que leParlement, qui devrait contrôler le gouverne-ment pour le compte du peuple, n’est pas capabled’exercer cette mission.

Trois facteurs expliquent cette dégradation :■ un Parlement peu représentatif de la sociétéfrançaise et de son évolution : une quasi-majo-rité de parlementaires issus de la fonction publique,une sous-représentation manifeste des femmes,des jeunes et des Français issus de l’immigrationrécente ;■ un cumul des mandats qui stérilise la vie poli-tique en figeant les situations acquises ;■ enfin, des procédures inefficaces et insuffisantespour assurer un travail législatif de qualité et un véri-table contrôle du Parlement sur le gouvernement.

L’Institut Montaigne étaye et illustre cette ana-lyse par des exemples, des faits précis et souligne

administrations régionales, départementales,municipales, voire, enfin, au gouvernement. LeParlement français, peuplé de représentants écar-telés, dispersés et surmenés, ne peut assumer laplénitude des pouvoirs que lui réserve la Constitution.

Ainsi, alors que le souhait de participation ducitoyen à la vie de la cité est très vif, comme onle voit par la vitalité du monde associatif mais aussidans nos entreprises, où l’on mesure les réservesde générosité lorsqu’on propose des actions huma-nitaires, l’espace politique freine ces énergies.

Réunissant des universitaires, des chefs d’entre-prise et des hauts fonctionnaires, le groupe detravail “Institutions” de l’Institut Montaigne a tra-vaillé pendant plusieurs mois. Il dresse un constatsans complaisance de la situation actuelle, d’au-tant plus accablant qu’il est mis en rapport avecla situation de nos voisins immédiats. Démontrantqu’il est possible d’expurger notre démocratie deces imperfections sans pour autant enclencher unerévolution, il propose des mesures modérées etopératoires pour revitaliser notre démocratie etrendre au Parlement les moyens de ses missions.Souhaitons que ces analyses et propositions puis-sent inspirer nos gouvernants.

Pierre BellonPrésident-directeur général de Sodexho-Alliance

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S Y N T H È S ECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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› Favoriser l’accès au Parlement d’élus issus dumonde de l’entreprise, par la mise en place “d’aidesau retour” à la vie professionnelle :

■ étendre le droit actuel, mal appliqué, à la réin-tégration professionnelle ;■ créer une indemnité de soutien à la reprise d’uneactivité professionnelle, répondant à la réintégra-tion de droit des élus issus de la fonction publique;■ ouvrir au profit des élus issus du secteur privéla possibilité de laisser courir leurs droits à pen-sion de retraite durant toute la durée de leurmandat, comme c’est le cas pour ceux qui vien-nent de la fonction publique ;■ ouvrir aux sortants une possibilité d’intégrationdans un corps d’inspection ou d’experts de lafonction publique (finances, enseignement,affaires sociales, etc.).

› Mettre un terme au cumul des mandats et desfonctions – avec une dérogation particulière pourles sénateurs – en faisant application de deuxprincipes :

■ “Un élu au suffrage universel direct, un man-dat” : n’autoriser qu’un seul mandat, qu’il soitmunicipal, départemental, régional, national oueuropéen ; les sénateurs, élus au suffrage uni-versel indirect, pouvant conserver éventuelle-ment un mandat local ;

les conséquences de cette situation : inflationlégislative, réalité du pouvoir dans les techno-structures nationales ou locales, frein à la décen-tralisation, désintérêt des parlementaires pourleurs fonctions…

Pour remédier à cette dérive, l’Institut Montaigneprésente des propositions pratiques permettantde favoriser l’ouverture du Parlement aux élusissus du secteur privé et notamment aux sala-riés. Pour mettre fin au cumul des mandats, ilpréconise le principe simple “un élu au suffrageuniversel direct, un mandat”. Enfin, il proposeune réforme en profondeur du travail parle-mentaire pour rendre le travail législatif plusefficace et renforcer les pouvoirs de contrôle desdeux Chambres.

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P R O P O S I T I O N SCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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S oucieux de l’avenir de la démocratie, l’InstitutMontaigne, dans un esprit critique maisconstructif, souhaite attirer l’attention sur

un ensemble de dysfonctionnements de notre sys-tème politique et institutionnel que l’on peutqualifier de “détournement de démocratie”. Enmême temps, nous présentons des idées deréformes institutionnelles susceptibles de mettreun terme à ces anomalies.

Les anomalies que nous dénonçons ne sont pasde celles qui pourraient être résolues rapidement,par une loi de plus. Les insuffisances institution-nelles sont en effet étroitement liées à des men-talités et comportements fortement ancrés. Nousreconnaissons bien volontiers qu’une réformetrop rapide risquerait d’être détournée de sonobjet. Mais, pour rendre sa vigueur à la démo-cratie française, la réforme est indispensable. Lepremier pas vers cette réforme sera la prise deconscience à laquelle nous souhaitons participer.

Parce que notre démarche s’inscrit dans le longterme, le présent rapport ne constitue qu’unepremière étape dans une réflexion plus large.Celle-ci se poursuivra avec l’analyse d’autresaspects de ce “détournement démocratique”.C’est ainsi que de futures publications traite-ront, entre autres, des carences de la démocra-tie locale et des règles peu démocratiques quirégissent encore le recours au référendum.

■ “un ministre à temps plein” : interdire à unministre d’exercer tout mandat électif, le tempsde son ministère.

› Rendre le pouvoir législatif plus efficace et ren-forcer les pouvoirs de contrôle du Parlement :

■ fournir systématiquement au Parlement autantd’informations sur les projets de lois en débat qu’ena eu l’administration et renforcer fortement sespropres moyens d’information ;■ réformer l’organisation des Chambres pourpermettre à chaque parlementaire d’exercer sonmétier à temps plein ;■ permettre un raccourcissement de la procédurepour les textes techniques ou sans grand enjeu ;■ permettre aux assemblées de se prononcer surles normes européennes avant leur négociation ;■ renforcer la légitimité du Sénat en en faisantune chambre pleinement représentative desterritoires.

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I N T R O D U C T I O NCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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n’être pas suffisant s’il n’est pas complété pard’autres garanties démocratiques, notamment :■ une connaissance suffisante, au sein de la popu-lation, du fonctionnement des institutions démo-cratiques ;■ une décentralisation suffisante des décisionspour permettre aux électeurs concernés d’avoirune influence réelle sur leur préparation et leurexécution ;■ un accès effectif de toutes les catégories de lapopulation à la possibilité d’être candidat auxélections ;■ des prérogatives suffisantes données aux élusface aux pouvoirs sans légitimité élective (admi-nistrations, syndicats, groupes de pression oupresse) ;■ des éléments de démocratie directe (référendum);■ le respect, par les institutions démocratiqueselles-mêmes, des garanties qui permettent à laliberté de s’exprimer directement et sans passerpar les élus : initiative individuelle et associa-tive, propriété privée, dialogue social.

Tous ces modes d’association du peuple aux déci-sions contribuent à ce que la société puisse êtrepleinement qualifiée de démocratique : respec-tueuse de la volonté de l’ensemble des citoyensdans la préparation des décisions qui les concer-nent, confiante dans la liberté des électeurs plusque dans la sagesse des dirigeants, soucieuse depréserver la solidarité entre le pouvoir et la société.

La démocratie française fonctionne mal

N’hésitons pas à rappeler le sens des mots : selonla formule célèbre d’Abraham Lincoln à Gettysburg,reprise par l’article 2 de la Constitution fran-çaise, la démocratie se veut “le gouvernement dupeuple, par le peuple et pour le peuple”.

Tout régime assure le gouvernement du peuple ;tout régime plus ou moins bienveillant ou équi-table tend, au moins en partie, à gouverner pourle peuple ; seul un régime démocratique se veutun gouvernement par le peuple.

Cet objectif n’a rien d’utopique. Il revient, concrè-tement, à chercher à faire en sorte que les déci-sions concernant le corps social tout entier soientprises en associant suffisamment, directement oupar la voie de leurs représentants, l’ensemble deceux à qui ces décisions vont s’appliquer.

Pour que cette association soit effective, il nesuffit pas que ces représentants, comme c’est lecas, soient désignés démocratiquement. Il fautaussi qu’existent des mécanismes garantissantque les intérêts et la volonté de la majorité res-teront raisonnablement représentés par les élusaprès leur élection.

Le risque de n’être pas réélu est, bien entendu,le premier de ces mécanismes. Il peut cependant

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INTRODUCTIONCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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par les médias “classe” politique et perçu parnos concitoyens comme une véritable “caste” :députés, sénateurs, chefs de partis politiques,etc. Certes, le divorce paraît moins engagé entrele peuple et ses élus locaux, qui, dans leur tra-vail quotidien “de proximité”, ont le sentimentde maintenir un lien solide entre volonté desélecteurs et décisions des élus. Cependant, le faitque l’augmentation de l’abstention concerneaussi les élections locales devrait, là aussi, inci-ter à la réflexion.

Les élus, du reste, sont loin de porter toute la res-ponsabilité de la séparation entre le peuple et lepouvoir. Lorsqu’ils cherchent à exprimer auniveau national, dans leurs fonctions de députéou de sénateur, les préoccupations de leurs élec-teurs, ils se heurtent au déséquilibre des pou-voirs et de l’information entre le gouvernementet le Parlement, qui ne leur permet ni d’influencersuffisamment le travail législatif, ni de contrô-ler efficacement l’action des administrations.

De multiples facteurs ont été depuis longtempsidentifiés comme les causes de cette confisca-tion oligarchique du pouvoir. Nous souhaitons,dans un premier temps, aborder le thème de lacrise de la représentativité, à travers ses trois dys-fonctionnements les plus importants :■ un Parlement peu représentatif de la diversitéde la société française et de son évolution ;

Notre démocratie fonctionne mal

Une démocratie fonctionne mal, quand le liense distend et se brise entre les élus et le peuple,quand les institutions et les règles dont l’objetest de garantir le pouvoir du peuple se trouventvidées de leur contenu ou détournées de leur sens.

Les institutions qui devraient garantir le gou-vernement par le peuple n’assurent plus suffi-samment cette fonction. Les Français, de plusen plus sceptiques à l’égard du monde politique,sont de moins en moins nombreux à recher-cher des fonctions électives et de plus en plusnombreux à s’abstenir aux élections. Le tauxd’abstention aux élections législatives ne cessed’augmenter : 17 % en 1978, 32 % en 1997, 36 %en 2002. Le référendum sur le quinquennat, en2000, a atteint un taux d’abstention record de70 %. Enfin, plus de 52 % des jeunes électeursde moins de 25 ans se sont abstenus lors du der-nier scrutin municipal. Comme l’a fait remar-quer justement Nicolas Baverez, “l’abstentionmassive n’est pas un accident mais un ultime aver-tissement” (2).

Dans le même temps, les institutions démocra-tiques semblent de plus en plus fonctionner auprofit d’un milieu politique fermé, dénommé

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INTRODUCTIONCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(2) Le Monde, 5 octobre 2000.

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1.1. Un Parlement stérilisé par sonhomogénéité

1.1.1. Une structure socioprofessionnelle de lareprésentation nationale en rupture avec cellede la population active française

Sur l’origine professionnelle des parlementaires

Qui s’intéresse à l’origine professionnelledes parlementaires reste sur sa faim s’il secontente de consulter les sites Internet del’Assemblée nationale et du Sénat(3).

Outre un certain nombre d’erreurs pouvantêtre attribuées à une mauvaise transcrip-tion des déclarations des élus, la ventila-tion socioprofessionnelle des parlementairesnous a semblé déroutante sur plusieurspoints. Par exemple elle considère les ensei-gnants et les fonctionnaires comme des

(3) www.assemblee-nationale.fr et www.senat.fr.

■ le cumul des mandats, qui concerne 83 % desdéputés et 81 % des sénateurs, stérilise la viepolitique française en figeant les situationsacquises ;■ les difficultés institutionnelles que rencontrentles parlementaires pour exercer pleinement leurmission de législateurs et de contrôleurs de l’ac-tion gouvernementale.

Pour restaurer la qualité de la vie démocratique,il nous paraît capital de diversifier les origineset les profils des femmes et des hommes quiconstitueront notre élite politique, de leur per-mettre de se consacrer pleinement à une seuletâche et de rendre au Parlement les moyensd’exercer la plénitude de ses missions.

Dans cet esprit, l’Institut Montaigne souhaite, dansun premier temps, susciter le débat autour detrois thèmes de réflexion et aboutir à des pro-positions concrètes :■ Pourquoi et comment favoriser l’accès auParlement de femmes et d’hommes issus du sec-teur privé ?■ Pourquoi et comment faire en sorte que lesélus du suffrage universel direct assument plei-nement la responsabilité d’un seul mandat ?■ Comment rendre au Parlement les moyensd’exercer pleinement ses missions de législationet de contrôle ?

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COMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE IUN PARLEMENT QUI NE REPRÉSENTEPAS LA DIVERSITÉ DE LA SOCIÉTÉFRANÇAISE

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Si on qualifie de représentatif un Parlement quiformerait comme un petit monde d’élus où serefléterait le grand monde des électeurs, le petitressemblant au grand, il faut bien avouer que leParlement français est peu représentatif, tout aumoins au point de vue de la structure sociale etprofessionnelle. Celle du Parlement ne ressembleen rien à celle du pays.

Certaines professions sont manifestement sur-représentées : les agents publics, et parmi ceux-ci les enseignants, ainsi que les professions libé-

rales et agricoles(uniquement au Sénatpour ces dernières).

D’autres sont très net-tement sous-repré-

sentées : les salariés du secteur privé, et parmices derniers, plus nettement encore les employéset les ouvriers.

Le monde de l’entreprise est fortement sous-représenté. Malgré une loi votée en 1978 quiaurait dû garantir une réintégration profession-nelle à l’expiration du premier mandat parle-mentaire, l’inégalité de fait – et de droit – per-dure entre candidats fonctionnaires et salariés dusecteur privé candidats à ces mêmes fonctions.

À partir des chiffres avancés par le dernier recen-

20 21

I. UN PARLEMENT QUI NE REPRÉSENTE PAS LA DIVERSITÉ DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

COMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

catégories distinctes, tout en ventilant cer-tains fonctionnaires ou assimilés dans d’autrescatégories socioprofessionnelles (les pro-fesseurs de médecine sont par exemple clas-sés dans la CSP des professions médicales).Enfin, elle crée des catégories distinctes dufonctionnariat pour des députés assurémentfonctionnaires ou assimilés (tels les mili-taires ou les magistrats).

L’une des explications possibles de cesapproximations “officielles” tient au faitque les statistiques produites par les assem-blées ont été réalisées sur la base du “régimedes professions” du Sénat et de l’Assembléenationale, modèle purement déclaratif etqui, surtout, ne suit malheureusement pasla classification INSEE.

Les données de l’Institut Montaigne repro-duites ci-dessous résultent quant à ellesd’une étude minutieuse et approfondie del’origine professionnelle des 898 parle-mentaires en fonction en octobre 2002 (577députés et 321 sénateurs), à partir des don-nées disponibles au sein des deux assem-blées (sites Internet, intranet, annuaires,etc.) et conformes à la classification INSEE.

‹‹ le monde del’entreprise estfortement sous-représenté ››

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› Une sur-représentation massive des agentspublics et des professions libérales et agricoles

On parvient à un écart de 17 points entre lepourcentage d’agents publics dans la populationfrançaise (24 %) et celui du Sénat (41 %). Cet écartest un peu plus réduit (15 points) avec celui del’Assemblée nationale (39 %). Il était en revanchebeaucoup plus élevé (22 points, soit 46 % defonctionnaires) sous la législature marquée parle gouvernement de la gauche plurielle. C’estpour les enseignants que l’écart est le plus mani-feste. Alors qu’ils ne représentent que 4 % de lapopulation française globale (6), ils sont 6 foisplus nombreux à siéger au Sénat (25 %) et 3 foisplus nombreux à l’Assemblée nationale (13 % –mais 26 % dans la précédente législature !).

Pour les professions libérales, les statistiques pro-posées par les assemblées dissocient les professionsmédicales des autres professions libérales. Maisune fois les praticiens hospitaliers (agents publics)soustraits de ces effectifs, on peut comptabiliserles professions libérales toutes catégories réunies.Nous constatons alors que leur proportion dansla population française a beau ne pas dépasser 2 %,

sement de l’INSEE (1999), deux tendances oppo-sées se dégagent nettement : la première tendantà une sur-représentation, l’autre à une sous-repré-sentation, toutes deux massives, de certainescatégories professionnelles.

Structure socioprofessionnelle comparée de la population et du Parlement(4) (en %)

22 23

I. UN PARLEMENT QUI NE REPRÉSENTE PAS LA DIVERSITÉ DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

COMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(4) Les chiffres sur la répartition de la population activeproviennent d’une exploitation des statistiques réunies dansTableaux, références et analyses. Exploitation complémentaire,Recensement de la population, mars 1999, INSEE, p. 21 et dansTableaux de l’économie française, 2001-2002, INSEE, p. 83.(5) Hors chômeurs.

(6) Tableaux, références et analyses, op. cit., p. 55, cette catégoriedes “enseignants” regroupe les enseignants du public (premier,second degré et enseignement supérieur) ainsi que lesenseignants des premier et second degrés privé de l’enseignementsous contrat.

Familles Population Députés Sénateurssocioprofessionnelles active(5)

Commerce et industrie* 7 13 9

Fonction publique** 24 39 41

Professions agricoles 3 3 10

Professions libérales 1,5 20 22,5

Salariés du secteur privé 64,5 21 13

Sans profession déclarée 0 4 4,5

Total 100 100 100

* Cette catégorie regroupe les commerçants, les artisans, et les chefsd’entreprise** Cette catégorie est composée des agents de la fonction publiqued’État (titulaires, non titulaires, ouvriers d’État et militaires) aux-quelles s’ajoutent ceux de la fonction publique territoriale et ceuxde la fonction publique hospitalière.

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Ils ne sont qu’à peine 2 % au Sénat et 2 en tout(soit 0,3 %) à l’Assemblée nationale. Or, l’INSEEen recensait encore 26 % parmi la population activefrançaise en 1999(7).

Ces deux tendances, hypertrophie du public ethypotrophie du privé (salarié), se sont accen-tuées en tout point lors du dernier renouvelle-ment triennal du Sénat de septembre 2001: ensei-gnants et fonctionnaires ont encore progresséd’un point, tout comme les professions libéraleset agricoles ; alors que, parallèlement, la placedes salariés a chuté de 3 points. Elles ont aucontraire été atténuées lors des législatives de2002, qui ont fait baisser la part des fonctionnairesà l’Assemblée nationale de 7 points, et même de13 points pour les enseignants.

› Une représentation globalement convenabledes professions liées au commerce et à l’industrie,des cadres et des professions agricoles

Les professions liées au commerce et à l’indus-trie, qui recouvrent les commerçants, artisans etindustriels, sont convenablement représentées auxassemblées. En effet, l’INSEE a recensé 7 % d’ac-tifs rattachés à ces professions, lorsque le Sénaten compte 9 % et l’Assemblée nationale 13 %.

elles n’en occupent pas moins 20 % des rangs del’Assemblée et même 22,5 % de celui du Sénat,soit un écart considérable par rapport à la popu-lation active : elles sont ainsi deux fois plus sur-représentées que les enseignants.

Enfin, alors que 3 % seulement des Français exer-cent la profession d’agriculteur, ils sont trois foisplus nombreux au Sénat.

› Une sous-représentation des salariés du privéet surtout des employés et des ouvriers

Alors que la population active française compte64,5 % de salariés du secteur privé, ils sont troisfois moins représentés à l’Assemblée nationale(21 %), et cinq fois moins au Sénat (13 %).

Plus frappante encore est la sous-représentationdes employés au sein même de la CSP des sala-riés du secteur privé. Les 11 % d’employés dansla population active française ne sont représen-tés qu’à hauteur de 2 % au Sénat comme àl’Assemblée nationale. En effet, la majeure par-tie des parlementaires salariés est constituée parles cadres ou ingénieurs: 9 % des sénateurs et 14 %des députés.

Enfin la catégorie des ouvriers est la famille socio-professionnelle la plus mal représentée en France.

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(7) Tableaux de l’économie française, op. cit, p. 21.

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peine 10 % de l’effectif total. Avec 36 femmesélues lors des dernières élections de 1999 (sur 87députés, soit 41 %), le Parlement européen repré-sentait une exception, due à la fois à la mise enœuvre anticipée de la loi constitutionnelle du8 juillet 1999 “relative à l’égalité entre les hommeset les femmes” (voir infra) et, il faut le reconnaître,à un intérêt moindre de la classe politique fran-çaise pour les fonctions de parlementaire euro-péen par rapport aux responsabilités nationales.

En application de la loi constitutionnelle dejuillet 1999 précitée, la loi du 8 juin 2000 a poséle principe, pour les élections se déroulant auscrutin de liste, que l’écart entre le nombre descandidats de chaque sexe ne peut être supérieurà un. Les modalités d’application varient en fonc-tion du mode de scrutin.

Pourtant, l’application de ces textes législatifsmontre que les principales fonctions de pouvoirrestent marquées par une forte prépondérancemasculine. Ainsi, aux élections municipales de2001, premières élections à appliquer la nou-velle loi sur la parité, 47,5 % de femmes sontentrées dans les conseils municipaux – maisseules 6,1 % ont été élues maire.

Malgré tous les textes, c’est une tendance pro-gressive et lente vers une plus grande égalité –et non une modification brutale – qui continue

Il faut cependant noter que l’essentiel de cettecatégorie est constitué par les chefs d’entreprises(7 % au Sénat et 12 % à l’Assemblée).

Les cadres représentent 6 % de la populationactive française, pour 7 % au Sénat et 10 % àl’Assemblée.

Enfin, contrairement au Sénat, les professions agri-coles sont fidèlement représentées à l’Assembléepar un pourcentage de députés égal au pour-centage de cette catégorie au sein de la popula-tion active.

1.1.2. Les femmes encore sous-représentées

Le privilège de masculinité n’est pas mort. Bienque représentant la majorité du corps électoral(53 %) et malgré l’article 3 de la Constitution –issu de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999– qui prévoit que “la loi favorise l’égal accès desfemmes et des hommes aux mandats électoraux etfonctions électives”, les femmes restent encorenettement sous-représentées.

Il est certain que cette situation s’est améliorée, récem-ment et lentement. Avant le renouvellement trien-nal de 2001, les femmes n’étaient que 20 au Sénat,soit 6 %. Avant les élections législatives de 2002,elles étaient 54 à l’Assemblée nationale, soit à

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national et 43 % des députés européens finlandais.Dans ce pays, un amendement à la loi sur l’égalitéentre femmes et hommes a également introduit en1995 un pourcentage de femmes dans les organesde préparation et de prise de décision des admi-nistrations publiques. À noter également le recordsuédois: lors des élections de septembre 2002, lesSuédois ont élu 45,3 % de femmes au Parlement.

Dans les autres pays, la proportion de femmesvarie généralement entre 10 % et 40 % selon lepays et l’organe considérés. La place attribuéeaux femmes demeure moindre dans les pays

méditerranéens. Enseptembre 2002, laFrance figurait en 61e

position (en régres-sion par rapport à

2000) des démocraties parlementaires, loin der-rière la Suède (38 % de femmes au Parlement),l’Allemagne (32 %) ou le Mozambique (30 %)(9).

1.1.3. Une sous-représentation de l’électorat jeune

Il existe une flagrante distorsion entre les pyra-mides des âges des assemblées et celles de lapopulation française en âge de voter.

à prévaloir. Ainsi, les élections sénatoriales deseptembre 2001 ont fait passer le nombre desfemmes sénateurs à 35, soit 11 % de l’effectiftotal. Les élections législatives de 2002 ont faitentrer 70 femmes à l’Assemblée nationale, soit12 % du nombre des députés.

La lenteur de cette évolution n’est pas le signed’une insuffisance de la loi: celle-ci ne saurait concrè-tement, sans mettre en danger le libre choix desélecteurs, contraindre les partis à placer des can-didates en position éligible ou dans de “bonnes”circonscriptions, de sorte que la seule contrainteréelle que l’on peut raisonnablement imposeraux partis est de trouver un nombre global decandidates pour un nombre global de circons-criptions, même si elles n’ont aucune chanced’être élues(8).

Cependant, dans tous les pays voisins de la France,le pourcentage de femmes siégeant dans des assem-blées élues (Parlement européen, Parlement natio-nal, conseils municipaux, etc.) ou membres d’un gou-vernement a augmenté plus rapidement au coursdes dernières années. De tous les pays étudiés, celuioù la place des femmes est la plus importante estla Finlande. Elles y représentent 44 % de l’effectifdu gouvernement, 37 % de celui du Parlement

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(8) cf. Bernard Chantebout, Droit constitutionnel, Armand Colin,2001, p. 397.

(9) D’après les statistiques publiées par l’Union interparlementaire(septembre 2002).

‹‹ la France figureloin derrière leMozambique ››

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Des observations analogues peuvent être faitespour le Sénat. Un sénateur français sur deux aplus de 60 ans, lorsque leurs homologues ita-liens sont sexagénaires pour moins d’un tiers. Lorsdu renouvellement de 2001, la moyenne d’âgedu Sénat s’est abaissée de 64 à 61 ans. On restepourtant loin de la situation de nos voisins.

Le Parlement français est donc celui dont lamoyenne d’âge est la plus élevée.

Certes, la représentativité parfaite n’est pas sou-haitable en la matière : au sein de la populationadulte, la grande jeunesse comme, demain, lagrande vieillesse n’ont pas vocation, pour desraisons évidentes d’adaptation aux fonctions, àêtre représentées pour leur poids réel. Cependant,

Cette distorsion peut s’expliquer en partie par ladifférence entre l’âge minimum de l’électeur etcelui de l’éligibilité. Il est de 23 ans pour lesdéputés et de 35 pour le Sénat. Mais cela n’ex-plique pas tout. Nos voisins européens impo-sent également un seuil minimal d’éligibilitéassez élevé.

On pourrait également valablement soutenirqu’il n’est pas mauvais qu’un député possède lasagesse que peuvent donner quelques annéesd’expérience. Encore faudrait-il que le Parlementne connaisse pas, outre son évolution oligar-chique, une évolution gérontocratique. Avantles législatives de 2002, le doyen de l’Assembléenationale avait 90 ans.

Mais ces éléments “de bon sens” ne permet-tent pas d’expliquer la particularité de la Francepar rapport aux autres pays comparables. Lefait est, en effet, que les parlementaires françaissont nettement plus âgés que leurs homologuesallemands, italiens ou luxembourgeois, parexemple.

Comme on peut le constater, 2 députés françaisont moins de 30 ans (29 ans) et seulement 6,5 %d’entre eux en ont moins de 40. Enfin, 71,5 %ont plus de 50 ans, soit près de 3 députés sur 4,quand ils ne sont que 67 % en Allemagne et seu-lement 50 % en Italie.

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Tableau comparatif de l’âge des députés italiens,allemands et français (en %)

Âge Députés Députés Députésitaliens allemands* français

De 25 à 29 ans 1 1 1

De 30 à 39 ans 11 8 6,5

De 40 à 49 ans 38 24 21

De 50 à 59 ans 35 48 49

60 ans et plus 15 19 22,5

* Avant les élections du 22 septembre 2002, qui ont enregistré unrajeunissement sensible des députés élus.

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convictions et des spécialisations qui existententre les membres de différents groupes. L’analysepolitique qui voudrait se voiler la face devant cesréalités se condamnerait à ne plus prendre pourobjet qu’une république imaginaire, peupléed’hommes sans qualités.

Pour cette raison, il nous semble que la distor-sion entre la structure socioprofessionnelle duParlement et celle de la société française, quandelle atteint l’ampleur que nous connaissons, estbel et bien de nature à porter atteinte à l’objec-tif d’une représentation équilibrée des aspira-tions des Français – et qu’elle menace donc, demanière préoccupante, le caractère démocra-tique de nos assemblées parlementaires.

1.2. Un accès inégalitaire à la politique

1.2.1. Des partis politiques accaparés par les fonctionnaires

L’article 4 de la Constitution de 1958 disposeque “les partis et groupements politiques concou-rent à l’expression du suffrage”. Ils se forment etexercent leur activité librement. “Ils doivent res-pecter les principes de la souveraineté nationale etde la démocratie”. Ils doivent également désormaiscontribuer à la mise en œuvre de la loi favori-

à une époque où l’âge de 55 ans sonne souventle glas de la carrière des salariés du privé lorsqueceux-ci ont la malchance de perdre leur emploi,il est paradoxal que les élus du peuple s’épar-gnent toute réflexion sérieuse sur ces dérivesgérontocratiques.

1.1.4. Une quasi-absence des Français issus del’immigration récente

Enfin, alors que les collectivités locales, et enparticulier les conseils municipaux, se sontouvertes ces dernières années aux citoyens fran-çais issus de l’immigration, leur accès auParlement reste encore du domaine des vœuxpieux. Les comparaisons ne peuvent cepen-dant pas être établies, en l’absence de statistiquesdisponibles en France comme dans d’autrespays européens.

Que l’on ne nous méprenne pas. La situationsocioprofessionnelle, le sexe, l’âge et le paysd’origine ne sont pas des éléments suffisantspour permettre à un élu de prétendre représen-ter une part de la population. Ces éléments del’identité ont souvent moins de poids que d’autres,plus philosophiques, éthiques, politiques oupragmatiques. Toutefois, il n’est pas possible, enpratique, de faire entièrement abstraction de larépartition des expériences, des réflexes, des

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S’il y a rarement de politique sans ambition, l’am-bition en France conduit au cumul et le systèmedu cumul favorise encore plus ceux dont l’acti-vité professionnelle est la moins prenante, ouqui peuvent bénéficier de mises en disponibilitéopportunes. Le cursus honorum de l’homme poli-tique dans la vie publique, et a fortiori à l’intérieurde son parti, passe aujourd’hui par le cumul desmandats. Seuls 17 % des députés et 19 % dessénateurs échappent à la règle. Le fait de dispo-ser d’un mandat local est, en effet, un atout évi-dent dans la course à l’investiture car il permetde contrôler les structures du parti au niveaulocal. Ceci est particulièrement vrai au sein despartis dont les décisions relèvent des instances cen-trales. Là encore, sont favorisés ceux qui peuventse consacrer à un mandat local à temps quasi-plein,c’est-à-dire les fonctionnaires et les employés desentreprises publiques. Le problème du cumulvient ainsi aggraver celui de la perte de repré-sentativité des assemblées et des gouvernements.

Il n’est pas étonnant que la situation qui prévautau sein des partis perdure dans les hémicycles.

Dès lors, l’insuffisante représentativité des éluss’explique en large part par la négation, dans lesfaits, du principe d’égal d’accès au mandat élec-tif et de la concurrence loyale entre les candidatsà la candidature. Ces phénomènes se trouventencore aggravés par l’état de la législation.

sant l’égal accès des femmes et des hommes auxmandats électoraux et aux fonctions électives(article 3).

Toutefois, leur mode de fonctionnement et lesprocédures de désignation des candidats ne res-pectent pas toujours ces principes, et participentdonc à la rupture de représentativité de la repré-sentation nationale avec la société française.L’endogamie de la fonction publique et le conser-vatisme y règnent en maître, le centralisme aussi.

Si la part des agents publics est déjà forte au seindes assemblées, elle devient écrasante au sein

des partis politiques– surtout à leur tête –et dans l’investituredes candidats aux élec-tions par ces mêmes

partis. On peut trouver deux raisons principalesà cette sur-représentation.

Dans la plupart des cas, l’État exige moins detemps de travail de ses fonctionnaires quel’entreprise de ses salariés. Ce temps permetaux agents publics, et notamment à certainescatégories d’enseignants, de militer. Une foisdans la place, ils tendent naturellement àsélectionner des personnes ayant le mêmeprofil qu’eux, ce qui favorise l’investiture desfonctionnaires.

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‹‹ l’endogamie dela fonction publiquerègne en maître ››

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Seul le Royaume-Uni a adopté une solution défa-vorable aux fonctionnaires. À l’inverse de ce quiexiste dans les autres pays, les civils servant etsenior civil servant ne retrouvent pas leur posteà la fin de leur mandat parlementaire. Ils ontl’obligation de donner leur démission de la fonc-tion publique, soit lors de leur entrée à la Chambres’ils sont fonctionnaires ouvriers ou travailleursmanuels, soit avant même de se porter candidataux élections législatives, s’ils appartiennent auxautres catégories de fonctionnaires(13).

Les hauts fonctionnaires, à eux seuls, repré-sentent 7 % des effectifs de l’Assemblée natio-nale et 10 % de ceux du Sénat. Ils ne subissentqu’une inéligibilité relative, limitée dans l’es-pace aux circonscriptions où ils exerçaient leursfonctions. Un préfet sera ainsi inéligible pen-dant trois années dans son département, maisrien ne l’empêche de se présenter dans un autredépartement. Une règle aussi généreuse pré-sente des risques importants pour le respectdu principe de séparation des pouvoirs. Pourles autres hauts fonctionnaires, cette inéligibilitérelative ne subsiste que pendant les six moisqui suivent le départ du fonctionnaire auquelelle s’applique(14).

1.2.2. Une législation favorable à l’engagementpolitique des agents publics

La législation est très favorable à l’engagementpolitique des agents de la fonction publiquecivile. Tout d’abord, aucune incompatibilitén’existe : ils quittent pour un temps la fonctionpublique, rejoignent le Parlement et réintègrentleur administration d’origine aussitôt qu’ils ces-sent d’exercer leur mandat. Leurs droits à pen-sion continuent également à courir comme sileur traitement leur était versé(10).

La situation est sensiblement équivalente enAllemagne pour les fonctionnaires devenusmembres du Bundestag. Eux aussi sont assurés deretrouver leur poste à l’issue de leur mandat. Ilsreprésentent d’ailleurs 40 % de l’effectif duBundestag. Situation comparable en Belgique oùils représentent 42 % de la Chambre des repré-sentants(11). Le Portugal et l’Espagne garantissentégalement aux fonctionnaires le droit de retrou-ver leur poste à l’issue de leur mandat. Pourtant,l’Espagne ne compte que 23 % de fonctionnairesà la Chambre des députés et 22 % au Sénat(12).

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(10) Article 4 de l’ordonnance n° 58-1210 du 13 décembre1958 relative à l’indemnité des membres du Parlement.(11) Chiffres communiqués par le service du personnel de laChambre des représentants de Belgique.(12) Chiffres communiqués par le responsable du personnel dela Chambre des députés d’Espagne.

(13) “Le retour des anciens parlementaires à la vie professionnelle”,Les documents de travail du Sénat, Sénat, octobre 1998.(14) Bernard Chantebout, op. cit., p. 396.

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culture, le Parlement partage spontanémentl’analyse du gouvernement… et l’opposition,celle de la majorité.

On conviendra qu’il y a un problème de démo-cratie, lorsque ce qui est un sujet de débat dansla société représentée semble aller de soi pour l’as-semblée représentante. On conviendra égale-ment que la société représentée n’est pas à cepoint mineure et ignorante, qu’on puisse sansarrogance ignorer ses débats internes.

À cette connivence entre hauts fonctionnaireset élus s’ajoute trop souvent la connivence quiunit la classe politique et un milieu médiatiquenational dont les opinions sont de plus en plusdécalées, parfois jusqu’à la caricature(15), par rap-port à celles de la société. Une classe politiquetrop inquiète de sa réputation à court terme,accordant une importance excessive aux jugementsde la presse nationale et qui en devient servileface aux préjugés de ce milieu: il y a, là aussi, unedéficience de la démocratie, qui peut conduirel’opinion à l’hostilité – ou pire, à l’indifférence– face à la classe politique.

1.3. Une endogamie sclérosante

Le milieu politique est soumis en France à la ten-tation permanente d’une fusion culturelle et pro-fessionnelle toujours plus étroite avec celui dela fonction publique, à tel point que les plushautes sphères de ces deux milieux – gouverne-ment et équipes de direction des partis d’unepart, haute fonction publique d’autre part –paraissent parfois ne constituer qu’un seul cercle.Cette endogamie prive non seulement la repré-sentation nationale de son indispensable repré-sentativité et d’une partie de la sagesse qui luiviendrait de la diversité des expériences de sesmembres, mais engendre encore trois autres effetsprincipaux, tous négatifs : la connivence entre lespouvoirs, l’inflation et l’ésotérisme législatifs, lasoumission du politique à l’administratif.

1.3.1. La connivence, menace pour l’équilibredes pouvoirs

Ayant reçu la même formation, les membres descabinets ministériels et les parlementaires issusde la haute administration partagent sur de nom-breux points les mêmes raisonnements et lesmêmes réflexes, qui transcendent bien souventles clivages politiques. Il existe un danger deremise en cause du nécessaire équilibre des pou-voirs, lorsque du fait de cette communauté de

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I. UN PARLEMENT QUI NE REPRÉSENTE PAS LA DIVERSITÉ DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

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(15) Ainsi, deux mesures prévues par la loi d’orientation pourla justice de 2002 – la suspension des allocations familialesattribuées pour des jeunes placés en centre fermé et la possibilitéd’anonymiser les témoignages – ont fait l’objet dans la pressenationale de dénonciations indignées alors qu’elles rencontraient,respectivement, l’approbation de 68 % et de 92 % de l’opinion(sondage Ifop du 9 août 2002).

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1.3.3. Des ministres sous influence

Le plus souvent choisis sur les bancs des assem-blées, de nombreux ministres ont du mal à impo-ser leur point de vue à leur administration, lesfonctionnaires qui la composent étant assuré-ment plus permanents que les ministres.

C’est particulièrement vrai pour les ministresissus de la fonction publique, qui restent sou-vent intellectuellement prisonniers de leur admi-

nistration. Plusieursd’entre eux ont ten-dance à conserver uneapproche très régle-mentaire des pro-blèmes et n’ont par-fois ni la hauteur devue, ni l’indépendanced’esprit nécessaires

pour imposer leurs idées. Et lorsqu’ils ont cettevision et cette indépendance, les corporatismeset les conservatismes de l’administration cher-chent à les pousser à la démission, comme ce futle cas pour les anciens ministres Claude Allègreet Christian Sautter, pour ne citer que des exemplesrécents. À l’inverse, l’exemple de René Monory,lorsqu’il était ministre de l’économie au côté deRaymond Barre, prouve que des réformes (ici, lalibéralisation des prix) engagées par des ministresvenus de la société civile peuvent réussir.

1.3.2. La sédimentation législative encouragée

L’endogamie entre législateurs et hauts fonc-tionnaires se double d’un phénomène desédimentation législative. Prisonniers d’un lan-gage qui leur est propre et que la population,même cultivée, ne comprend pas, les parle-mentaires et les fonctionnaires des minis-tères rédigent souvent des textes qu’ils sontles seuls à comprendre, dans un langage tel-lement éloigné de celui du citoyen que cedernier ne peut plus se les approprier.Prisonniers d’un particularisme intellectuelqui leur paraît naturel, voire identique à laraison universelle elle-même, parlementaireset fonctionnaires ont trop tendance à s’aban-donner aux poisons et aux délices du byzan-tinisme législatif.

Le Conseil d’État résume bien la situation : “Lamultiplication des normes, leurs raffinementsbyzantins, l’impossibilité où l’on se trouve de péné-trer leurs couches de sédiments successifs, engen-drent un sentiment d’angoisse diffuse” et d’ajou-ter que “rien n’est plus contraire au principed’égalité entre les citoyens que de laisser proliférerun droit si complexe qu’il n’est accessible qu’à unepoignée de spécialistes” (16).

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I. UN PARLEMENT QUI NE REPRÉSENTE PAS LA DIVERSITÉ DE LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE

COMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(16) Conseil d’État, Rapport Public 1991, La DocumentationFrançaise, p. 17.

‹‹ les ministresissus de lafonction publiquerestent souventprisonniers de leuradministration ››

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Véritable serpent de mer de la vie politique fran-çaise, le problème du cumul des mandats estencore loin d’avoir trouvé une solution défini-tive. On peut même déplorer une tendance à laschizophrénie de certains hommes politiques,appelant de leurs vœux une réglementation plusstricte tout en profitant du laxisme de la légis-lation actuelle. La résistance des sénateurs (au grandsoulagement des députés… et du gouvernement!),en avril 2000, lors du énième débat sur la légis-lation anti-cumul, illustre la tendance des hommespolitiques à appeler de leurs vœux une loi plusstricte, mais à reculer aussitôt qu’il faudrait pas-ser à l’acte. Plus récemment, l'intention annon-cée du gouvernement Raffarin de revenir sur lesrègles anti-cumul (strictes) imposées aux dépu-tés européens par rapport aux parlementairesnationaux ne manque pas de surprendre lors-qu'on connaît les records d'absentéisme des dépu-tés français au Parlement européen !

Certaines limitations du cumul ont tout demême abouti. Devant l’ampleur et la gravité duphénomène, un projet de réforme avait été pré-senté en avril 1998. Mais la modification quien a résulté souffre d’être le résultat d’un com-promis, le gouvernement ayant en définitivedécidé de ne pas donner le dernier mot à

Cependant, là aussi la fatalité n’existe pas(17).Nous pouvons fournir deux contre-exemples deministres qui ont réussi à imposer des réformesd’envergure à leur administration, certainementparce qu’ils n’étaient pas issus de ses rangs : RenéMonory, en 1978, sut s’imposer au ministère desFinances avec un objectif simple, “libérer lesprix” ; Gaston Defferre, en 1981, a imposé ladécentralisation au ministère de l’Intérieur. Maisces exemples, on en conviendra, datent quelquepeu. Il appartiendra au nouveau gouvernementRaffarin de démontrer qu’il est, ou non, à nou-veau possible de surmonter l’intransigeance desadministrations.

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IIUN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSESUR LA VIE POLITIQUE

COMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(17) “Il est proprement inconcevable que des gouvernants responsables,des dirigeants d’institutions puissent déclarer sans vergognequ’ils sont incapables d’effectuer la moindre réforme profondeà cause des rigidités, des cloisonnements et du conservatismede la société ou des organisations qu’ils dirigent. La tragédie dela société française de ces années 90, c’est que personne n’osele leur reprocher…”, Michel Crozier, La crise de l’intelligence,Le Seuil, 1998.

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les mandats électifs, mais quantité de fonctionsde représentation (établissements publics, orga-nismes divers, associations, etc.).

En conséquence de la première application de ladernière législation anti-cumul d’avril 2000, cer-tains sénateurs issus du renouvellement de sep-tembre 2001 et des députés élus en juin 2002 ontété tenus de renoncer à un ou plusieurs de leursmandats. Cet état des lieux ne signifie pas, commeon le verra plus loin, la fin du cumul. La législa-tion demeure en effet très imparfaite.

l’Assemblée nationale après la manifestation del’opposition du Sénat.

2.1. Le cumul est la règle, le non-cumull’exception

2.1.1. Le cumul des mandats aujourd’hui

Les caractéristiques du cumul des mandats sontactuellement nombreuses :■ le phénomène du cumul est un phénomène de

grande ampleur. Leschiffres parlent d’eux-mêmes : 81 % dessénateurs et 83 % desdéputés cumulent. Lecumul est donc la

règle, le non-cumul l’exception.■ Il concerne aussi bien le cumul d’un mandatparlementaire et d’un mandat local (voire plu-sieurs), que le cumul de plusieurs mandats locaux.■ Le cumul s’exerce souvent au profit d’une fonc-tion élective, qui se trouve ainsi privilégiée, lesautres étant laissées en déshérence par ceux qu’auXVIIIe siècle on eût appelé des prélats non rési-dents. Les fonctions privilégiées sont en généralles fonctions exécutives locales (maire, présidentde conseil général ou régional).■ Enfin, le cumul ne concerne pas uniquement

44 45

II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

Titulaires d'aumoins un autremandat dont :› titulaires d'unseul autre mandat› titulaires dedeux mandats

Titulaires duseul mandat deparlementaire

Députés% Nombre

83 479

79 378

21 101

17 98

Sénateurs% Nombre

81 259

89 231

11 28

19 62

‹‹81 % dessénateurs et 83 %des députéscumulent ››

(18) Pour le détail des mandats cumulés, se référer aux deuxtableaux en annexe. Ce tableau ne comprend pas le cumulavec des fonctions associatives.

Cumul des mandats à l’Assemblée nationale et au Sénat(18)

(octobre 2002)

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Cette loi organique a été complétée par une loiordinaire du même jour qui stipulait l’interdic-tion du cumul de plus de deux mandats locauxou fonctions électives figurant dans une liste entout point identique à celle de la loi organique.Ces interdictions s’ajoutaient à celle posée dansune loi de 1982 de cumuler les fonctions de pré-sident de conseil régional et général.

En définitive, cette législation permettait à un par-lementaire de pouvoir conserver trois mandatsou fonctions électives, puisqu’elle excluait deson champ d’application les conseillers municipauxet les maires de communes de moins de 20.000habitants. C’était encore le cas pour 99 députésen avril 2002 (soit 22 % de l’effectif total), commece fut le cas pour 73 sénateurs, soit 23 % de l’hé-micycle, avant la première application de la nou-velle loi d’avril 2000.

Cette loi de 1985 a provoqué un appel d’air et apermis l’entrée en politique d’une nouvelle géné-ration, plus jeune et plus féminine. Bien queréel, l’effet resta cependant limité.

› Un projet louable, des résultats peusatisfaisants : la loi du 5 avril 2000

En eux-mêmes, les deux projets de loi d’avril 1998n’étaient pas dépourvus d’ambition. Ils pro-

2.1.2. Une législation permissive

La permissivité de la loi française en matière decumul est traditionnelle. Déjà, la loi de 1972 surles régions prévoyait un cumul obligatoire entrele mandat parlementaire et l’appartenance auconseil des régions qui préfigurait le conseil régio-nal actuel. La loi de 1982 sur la décentralisationa modifié cette organisation en prévoyant la libreadministration des collectivités territoriales. Celle-ci n’a cependant pas entraîné l’interdiction du cumulentre les fonctions locales et nationales. Il fallutattendre la loi organique du 30 décembre 1985pour une première limitation, bien timide, aucumul des mandats.

› Une première limitation insuffisante : la loi du30 décembre 1985

La loi du 30 décembre 1985 a interdit le cumuldu mandat parlementaire avec plus d’un man-dat suivant :■ député au Parlement européen ;■ conseiller régional ;■ conseiller général ;■ conseiller de Paris ;■ maire d’une commune de 20.000 habitants ouplus, autre que Paris ;■ adjoint au maire d’une commune de 100.000habitants ou plus, autre que Paris.

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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et Larché au nom de la commission des lois desdeux assemblées s’opposent en de nombreuxpoints. Le président de la commission des loisdu Sénat, Jacques Larché, préconisait ainsi dansson rapport de préserver la compatibilité du man-dat parlementaire avec un mandat local (l’Assembléenationale souhaitant limiter cette possibilité auxfonctions de conseiller municipal d’une com-mune de moins de 3.500 habitants) et le main-tien de la capacité à exercer une fonction exé-cutive : président de conseil général ou régional

ou maire.

Dans ce contexteconflictuel, la loi du5 avril 2000 fut lerésultat d’un com-promis autour duplus petit dénomi-nateur commun. À

la lecture des différents rapports et des étatssuccessifs du projet de loi au fil des navettes, ilsemble que l’Assemblée nationale, après avoiraffirmé des positions anti-cumulardes très nettes,se soit rapprochée des propositions sénatorialesqui, il est vrai, correspondaient sans doutemieux aux aspirations réelles de ses propresmembres.

La loi organique du 5 avril 2000 relative auxincompatibilités entre mandats électoraux inter-

posaient entre autres :■ l’incompatibilité entre les mandats parlemen-taires nationaux et européens ;■ l’interdiction du cumul d’un mandat de par-lementaire avec une fonction élective locale ouplus d’un mandat local ;■ l’interdiction du cumul de deux des mandatsélectoraux suivants: conseiller régional, conseillerà l’assemblée de Corse, conseiller général, conseillerde Paris, conseiller municipal ;■ l’interdiction du cumul des mandats électo-raux ou fonctions électives suivants : député auParlement européen, président d’un conseil régio-nal, président du conseil exécutif de Corse, pré-sident d’un conseil général, maire.

Même si ces projets ne visaient pas le “maxi-mum démocratique” (un élu, un mandat), forceest de constater qu’ils étaient infiniment plusambitieux que ne fut, en définitive, la loi du5 avril 2000.

En effet, cette tentative de modifier la loi envigueur depuis 1985 a donné lieu, entre l’Assembléeet le Sénat, à des passes d’armes d’autant plus vio-lentes que l’Assemblée, connaissant parfaite-ment la position du Sénat et ayant reçu l’assu-rance qu’elle ne serait pas appelée à trancher endernier recours, pouvait s’offrir sans risque leluxe de la vertu. Symptomatiques des divergencesentre les deux positions, les rapports de MM. Roman

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

‹‹ la loi fut lerésultat d’uncompromis autourdu plus petitdénominateurcommun ››

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conseiller régional ou de conseiller à l’assembléede Corse, de conseiller général ou de conseillerde Paris ou de conseiller municipal d’une villede moins de 3.500 habitants. Le cumul de troismandats reste donc possible, comme celui dedeux mandats exécutifs. En outre, il n’y a tou-jours pas d’interdiction du cumul entre fonc-tions ministérielles et fonctions électives locales.Enfin, même cette loi timide se prête à diversesmanœuvres de contournement.

dit dorénavant, dans son article 3, à un députéou à un sénateur d’exercer plus d’un des man-dats énumérés ci-après : conseiller régional,conseiller à l’assemblée de Corse, conseiller géné-ral, conseiller de Paris, conseiller municipal dansune commune d’au moins 3.500 habitants.

L’article 2 de cette même loi prévoit égalementl’incompatibilité du mandat de député avec celuide député au Parlement européen.

Cependant, cette restriction ne s’applique qu’àl’expiration du mandat parlementaire national,soit pour la première fois lors du renouvelle-ment triennal du Sénat, en septembre 2001.Une vingtaine de sénateurs ont d’ailleurs étédans l’obligation de renoncer à un ou à plu-sieurs de leurs nombreux mandats en applica-tion de la nouvelle législation, et ce “dans un délaide 30 jours à compter de la date de l’élection les ayantmis en situation d’incompatibilité” (19). À leur tour,les députés élus en juin 2002 ont été les pre-miers représentants du peuple à être soumis àcette obligation.

En définitive, le cumul n’a été que peu restreint,cette loi n’excluant pas le cumul entre un man-dat parlementaire national et un mandat de

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(19) Article 5 de la loi organique du 5 avril 2001 relative auxincompatibilités entre mandats électoraux.

Les Établissements publics decoopération intercommunale (EPCI)

Il en existe deux catégories. Les groupe-ments qui disposent d’une fiscalité propre,et les autres, au nombre de deux, les SIVU(Syndicats intercommunaux à vocationunique) et les SIVOM (Syndicats intercom-munaux à vocation multiples). Parmi lesgroupements à fiscalité propre, les com-munes sont regroupées autour de 4 caté-gories de groupement, fonction de l’inten-sité de la coopération intercommunale : lesCommunautés de communes (C.C.) lesCommunautés d’agglomération (C.A.), lesCommunautés urbaines (C.U.), enfin lesSyndicats d’agglomération nouvelle (SAN).

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nautaires à partir de 2007(21). Cette réflexion étaitdéjà ouverte au moment de la discussion sur leprojet de loi relatif au cumul.■ Les niveaux de responsabilité et de rémuné-ration des fonctions exécutives dans certainesEPCI font que celles-ci ne sont pas moins pre-nantes, en pratique, que les fonctions prohi-bées par la loi, donc incompatibles avec unaccomplissement normal et sérieux des man-dats électifs. La situation des responsables inter-communaux est bien sûr loin d’être homogène.Par exemple, il n’y a pas grand-chose de com-parable, entre le montant des indemnités defonction et le niveau de responsabilité, entre leprésident de la communauté urbaine (C.U.) deMarseille – qui compte quelque 991.953 habi-tants répartis sur 18 communes – et celui de lacommunauté de communes de la Croix-Blanche,regroupant à peine 234 habitants sur quatrecommunes(22).

› Un détournement de la législation : la “nébuleuse” des EPCI

Le “fâcheux oubli” des EPCI dans la réformed’avril2000 pourrait donner à penser que cette réformesans ambition ne serait pas dénuée d’hypocrisie.

Dans son premier rapport, présenté au nom dela commission des lois du Sénat et relatif au pro-jet de loi sur la limitation du cumul, M. JacquesLarché se prononçait pour l’exclusion des struc-tures intercommunales du dispositif du projet deloi au motif de “leur imbrication avec les fonctionsmunicipales” (20).

Cet argument peut surprendre, pour deux raisons:■ une réflexion est en cours, visant à élire au suf-frage universel direct les responsables commu-

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

Au 1er janvier 2002, la Direction généraledes collectivités locales (DGCL) du minis-tère de l’Intérieur recensait 2.174 EPCI à fis-calité propre, soit 2.032 C.C., 120 C.A.,14 C.U. et 8 SAN Près des trois quarts de lapopulation française vit désormais dans unEPCI à fiscalité propre.

(20) Rapport de Jacques Larché au nom de la commission deslois du Sénat, 1998-1999, p. 12.

(21) En raison des critiques lancées contre leur déficit démocratique,un consensus existe aujourd’hui sur la désignation des équipesd’intercommunalité au suffrage universel direct. Pour uneétude plus détaillée, se référer aux articles “Suffrage universel,oui, mais comment” et “ces délégués communautaires qui nesont pas conseillers municipaux” parus sur le site Internetwww.intercommunalites.com.(22) Dans ces cas précis, le montant de l’indemnité de fonctionbrute mensuelle des Présidents de ces deux EPCI varie de 1 à10, soit de 319 euros pour le Président de la Communautéde communes, à 3.364 euros pour celui de la Communautéd’agglomération. Source : www.intercommunalites.com.

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n’inclut pas les diverses indemnités de secréta-riat, de résidence, de frais de mandat, etc.

C’est pourquoi, étant donné le plafonnement décidéen 1992, les EPCI peuvent aisément apparaîtrecomme de “discrètes niches pour cumulards”,puisque les fonctions électives occupées en leur seinne seront pas comptabilisées au titre de la loi limi-tant le cumul. Il est d’ailleurs à noter que certainsdéputés, anticipant l’application de la loi du 5 avril2000, ont renoncé à leur mandat de maire ou deconseiller municipal d’une ville de plus de 3.500 habi-tants avant même les élections législatives afin deprendre une fonction élective au sein d’un EPCI.

M. Jean-Michel Blanquer, professeur de droitpublic, lors de son intervention devant la com-mission des lois de l’Assemblé nationale, avaitfait remarquer que “si l’on excluait du champ dela réforme les structures intercommunales, ainsi queles fonctions d’adjoints, on s’apercevrait rapidementque la loi pourrait être contournée” (24).

La question d’argent est ici cruciale. Même en tenantcompte des diverses indemnités annexes et autresavantages, le montant des rémunérations étant cequ’il est, une majorité d’hommes politiques – sans

Certains hommes politiques cumulent des man-dats de parlementaire et de maire de communeimportante, avec une fonction élective de pré-sident d’un important EPCI et perçoivent à cetitre une indemnité supplémentaire pouvants’élever à 2.569 euros mensuels.

Toutefois, si le cumul des responsabilités reste pos-sible, le cumul des indemnités a été plafonné. Eneffet, s’agissant du cumul de l’indemnité parle-mentaire avec des indemnités allouées au titred’autres mandats, le principe du plafonnementgénéral des indemnités en cas de cumul des man-dats, introduit par la loi organique du 25 février1992(23), reste applicable en l’espèce. Le plafondretenu correspond à une fois et demie le mon-tant de l’indemnité parlementaire de base soit,au 1er novembre 2001, 7.754 euros.

Il faut savoir qu’un parlementaire ne peut per-cevoir au titre de ses mandats locaux plus de2.585 euros. Le montant de l’indemnité parle-mentaire de base, fixé par une loi organique, nepeut être réduit. En cas de dépassement du pla-fond, l’écrêtement s’effectue sur les autres indem-nités ou rémunérations. Toutefois, ce plafondn’interdit pas de percevoir d’autres revenuspublics, autres que des indemnités et, surtout

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(23) Cette loi organique modifiait l’ordonnance n° 58-1210du 13 décembre 1958.

(24) Rapport n° 909 de M. Bernard Roman au nom de lacommission des lois de l’Assemblée nationale, 25 mai 1998,p. 39 et s.

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Les quelques statistiques disponibles sur nos voi-sins sont sans équivoque :

Ce constat est d’autant plus frappant que dansla majorité des cas, aucune règle ne vient cheznos voisins prohiber le cumul. C’est la coutumequi gère ces situations, la “culture politique sup-pléant ainsi l’absence d’interdit juridique”, selonles termes du rapport Roman. Parmi les pays étu-diés ci-dessous, c’est d’ailleurs le cas de l’Allemagneet de la Grande-Bretagne.

Toutefois, cette absence d’interdit s’accom-pagne parfois d’une incitation financière néga-tive, visant à dissuader les parlementaires ten-tés par le cumul, en leur interdisant de cumulerles rémunérations, ou en plafonnant ces der-nières. C’est le cas de l’Allemagne, de l’Espagneet de l’Italie.

être particulièrement cupides – estiment que lecumul est la seule condition pour eux d’obtenir unstanding de vie en rapport avec leur rôle social etde nature à “rémunérer” la peine qu’ils prennent.

Par ailleurs, le cumul change profondément lanature des fonctions politiques. Celles-ci seraientdavantage perçues comme un métier et moinscomme les attributs d’un cacique local. Sansdoute ce changement est-il assez positif – maisqui dit “profession politique” dit aussi revenu adapté.

C’est pourquoi, en touchant au cumul, il convientde prendre en considération l’ensemble des consé-quences d’une réforme sur la motivation des éluset sur la modification qui pourrait en résulter dela composition sociologique des assemblées, lesdétenteurs de fortunes personnelles pouvant setrouver favorisés dans la compétition électorale.Comme toujours, la préparation d’une réformedevra anticiper et tenter d’éviter des effets secon-daires qui peuvent se révéler très pervers.

2.1.3. Une exception française

Comme le rapport Roman en a fait la démonstration,aucun des différents pays démocratiques – et cequel que soit son système institutionnel – ne setrouve dans une situation semblable à celle de laFrance en matière de cumul des mandats.

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

L’intensité comparée du cumul des mandats dansquatre États européens (en %)

Espagne* Grande- Italie France*Bretagne

Les parlementaires 13 13 16 82cumulards

Les parlementaires 87 87 84 18non-cumulards

*Ces chiffres ont été obtenus en faisant la moyenne des parlementairescumulards dans les deux chambres.

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2.2. Un phénomène issu du centralismefrançais et favorisé par le fonctionnementinterne des partis

Souvent considéré comme inhérent à la culture poli-tique française, le phénomène du cumul est ancien.Le nombre de députés détenant un mandat locals’élevait déjà à près de 36 % sous la IIIe République,il était de 42 % sous la IVe(25). Ce phénomène n’acessé de s’accentuer sous la Ve République, pouratteindre aujourd’hui le niveau record de 83 %(contre 80 % dans la législature 1997-2002). Sescauses sont multiples mais deux d’entre elles méri-tent plus particulièrement d’être analysées.

2.2.1. Un reliquat du centralisme à la française

Outre l’inertie d’une longue tradition cumularde,la loi de 1972 a été un facteur d’aggravation de latendance au cumul. En effet, cette loi sur les régionsprévoyait un cumul obligatoire entre le mandat par-lementaire et l’appartenance au conseil des régions.La loi de 1982 sur la décentralisation n’a pas réussià infléchir cette tendance de façon manifeste.

Comme les décisions administratives et parti-sanes continuent de se prendre largement à Paris,il est utile, pour l’avancement des dossiers comme

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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(25) Rapport Roman, op. cit., p. 16.

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Ce sont les mêmes hommes qui dirigent les par-tis et cumulent les mandats. Les femmes et lesjeunes doivent souvent se contenter d’impossiblesparachutages, alors que les ténors et les divas s’oc-troient les circonscriptions faciles et cumulent sansvergogne. Le cursus honorum de l’homme politiquedans la vie publique, mais aussi à l’intérieur deson parti, passe par le cumul des mandats.

Si l’on admet que la faiblesse des barrières à l’en-trée de la carrière politique pour les non-initiés estun indicateur pertinent de l’ouverture démocra-

tique d’une société,alors il est évident quela suppression ducumul, qui doubleraitou presque le nombredes personnalités élues,renforcerait considé-

rablement la démocratie. Elle ouvrirait l’accès aumétier politique à une nouvelle génération, aujour-d’hui contrainte à se placer sur liste d’attente età diverses contorsions décourageantes.

La multiplication des personnalités élues et la trans-formation des redoutables caciques en simplesprimi inter pares ferait par ailleurs des micro-cosmes locaux des lieux plus complexes, plusmultipolaires, moins aisément contrôlables parles bonnes vieilles méthodes du clientélisme, dela centralisation des pouvoirs et de l’écrêtement.

pour le fignolage de sa carrière, d’avoir un pieddans sa province et un pied dans la capitale. Bref,un ancrage à Paris reste toujours une conditionsine qua non de la possibilité d’influencer laprise de décision. Ce centralisme à la françaisea eu pour conséquence que le cumul, “s’il n’estpas juridiquement interdit, (devient) politiquementobligatoire” comme le souligne le professeur dedroit public Guy Carcassonne(26).

À l’inverse, même indépendamment de l’aspectfinancier (qui ne serait peut-être pas le plus dif-ficile à régler), les cumulards ont de leur côtéintérêt à la perpétuation d’une situation qui faitd’eux les intercesseurs et médiateurs indispen-sables au bien-être de leurs collectivités. De la sorte,le cumul, issu de la centralisation, entretientsournoisement le centralisme.

2.2.2. La captation du pouvoir au sein despartis politiques

En tolérant le cumul, les partis politiques faus-sent bien souvent le principe d’égalité des chancesentre les candidats et encouragent les pratiquesoligarchiques. Cela ne les prépare pas de lameilleure manière possible à combattre la dériveoligarchique dans le reste de la société…

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(26) Rapport Roman, op. cit., p. 39 et s.

‹‹le cursushonorum del’homme politiquepasse par le cumuldes mandats ››

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Ve République pour bien exercer ses fonctions,il ne faut pas se dissimuler que c’est aussi, sou-vent, le Parlement qui se manque à lui-même.Guy Carcassonne va jusqu’à dire que le “Parlementne manque pas de pouvoirs, mais de parlementairespour les exercer (…) il ne manque à nos parlemen-taires ni légitimité, ni compétence, mais plutôt dis-ponibilité et force du nombre” (27). Présent du mardimatin au mercredi soir, le député cumulard nepeut pas se consacrer pleinement à l’activité delégislateur. L’impossible maîtrise de calendriersirrémédiablement incompatibles empêche lafixation des réunions. Nos hommes politiquesn’ayant pas encore le don d’ubiquité, ils ne ces-sent d’arbitrer entre réunions locales et parle-mentaires qui se chevauchent. L’absentéisme etle manque de participation – c’est-à-dire le cumul– font sans doute davantage pour la dévalorisa-tion du Parlement que la lettre de la Constitutionde 1958, ou même que le fait majoritaire.

2.3.2. Un Parlement qui ne prend pas le tempsde contrôler

L’insuffisant contrôle du gouvernement par leParlement s’explique en partie par des raisons struc-turelles qui seront exposées dans la troisième par-tie de ce rapport. Cependant, le cumul des mandats

On ne soulignera jamais assez combien ces pra-tiques conduisent à décourager et à rejeter lesmeilleurs, combien elles contribuent à abaisserla qualité moyenne des candidats sur le marchépolitique, notamment pour ce qui concerne l’in-dépendance d’esprit et la force de caractère.

À l’opposé, on peut supposer que le mandatunique aurait pour effet d’instaurer peu à peu unehiérarchie entre les mandats et les missions élec-tives, dont on gravirait progressivement les éche-lons à mesure qu’on avancerait dans la carrière.Un tel classement favoriserait sans aucun doutela régionalisation, l’acquisition graduelle d’unecompétence reconnue, le sérieux des candidatures.

2.3. Les conséquences du cumul desmandats sur la vie politique

Outre qu’il prive la vie politique française de la néces-saire richesse de la pluralité, le cumul des mandatsa une lourde responsabilité dans la “fracture civique”et la désaffection du citoyen pour la politique.

2.3.1. Un exercice perverti du mandatparlementaire

Si, comme cela sera expliqué plus bas, de nom-breux pouvoirs manquent au Parlement sous la

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(27) Rapport Roman, op. cit. , p. 39 et s.

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À titre de comparaison, au 29 novembre 2001,l’Allemagne ne comptait que 2.190 lois envigueur (30). Nombre de nos voisins, prenantconscience du fait et de ses inconvénients, sesont énergiquement attaqués à cette surpro-duction législative. La Grande-Bretagne, parexemple, a su diminuer de 38 % le nombre deses textes qui étaient en vigueur de 1945 à 1980.Une politique de déflation législative a aussi étémenée aux États-Unis depuis 1976 et en Suèdedepuis 1979.

Cette logorrhée n’évite pas non plus l’écueil des“déchets législatifs”, c’est-à-dire de ces lois qui nefixent pas d’objectifs clairs, ou dont les décrets d’ap-plication ne voient jamais le jour(31).

La surproduction législative (et réglementaire : ily aurait en France, près de 100.000 textes régle-mentaires en vigueur !) aggrave nécessairementla fracture entre la classe politique et le citoyen.Une fois de plus, le Conseil d’État a tout dit enpeu de mots : “Lorsque le droit bavarde, le citoyenne lui prête plus qu’une oreille distraite” (32).

– et l’absentéisme qui en découle – détourne biensouvent les parlementaires des missions de contrôlequ’ils pourraient exercer. L’exercice de cette fonc-tion de contrôle est entravé par l’indisponibilité desélus, conséquence directe du cumul des mandats(28).

2.3.3. L’inflation législative

Dans son rapport annuel de 1991, le Conseild’État évaluait à 7.500 le nombre de lois envigueur dans notre pays. Si on y ajoute les quelque

500 lois promulguéesdepuis, on parvientà un total d’environ8.000 lois applicablesen 2002, sans comp-ter les lois de codifi-cation, ni les lois pure-

ment modificatives, ni les lois portant approbationde traités et conventions internationales, quifont entrer néanmoins des centaines d’articlesdans le droit interne(29). Une telle inflation légis-lative rend les règles instables et aboutit fatale-ment à la dégradation de la norme.

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(28) Guy Carcassonne, “Moderniser la démocratie française”,Notre État, le livre vérité de la fonction publique, Roger Fauroux,Bernard Spitz, Robert Laffont, 2001, p. 665.(29) Conseil d’État, op. cit., p. 17.(30) Chiffres communiqués à notre demande par le ministèreallemand de la Justice.

(31) Le retard à publier des décrets est chose relativementcourante, notamment en matière fiscale sous la pression degroupe d’intérêts. À plusieurs reprises, les parlementaires ontdénoncé l’administration et proposé des remèdes à cettesituation intolérable. Cf. Jean Gicquel, Droit constitutionnel etinstitutions politiques, Montchrétien, 2001, p. 700.(32) Rapport du Conseil d’État, op. cit., p. 20.

‹‹la surproductionlégislative aggravela fracture entre la classe politiqueet le citoyen ››

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est trop fort, l’initiative étouffe, le renouvellements’épuise, la liberté ne respire plus.

2.3.5. Le risque de conflits d’intérêts

Il est tout naturel qu’un parlementaire qui est enmême temps élu local ait tendance à favoriser lesintérêts de la collectivité dont il est responsableou conseiller. Dès lors, la défense de l’intérêt géné-ral, qui devrait être le moteur de toute action desparlementaires, a tendance à souffrir de la confu-sion des genres. Il arrive, remarque Guy Carcassonne,que “les parlementaires précisément parce qu’ils sontaussi élus locaux, se préoccupent plus des intérêts deleur collectivité que de l’intérêt général”.

Hubert Hubrecht, professeur à l’Institut d’étudespolitiques de Bordeaux, renchérit: “Le cumul desmandats a eu, à une époque donnée, une fonctionna-lité dans un système extrêmement centralisé. Or, aujour-d’hui, il ne joue plus le même rôle dans un système localen état de dysfonctionnement et qui est un lieu de contra-dictions d’intérêts. En effet, il n’est pas sain que souventla décision nationale des députés ne soit que le résultatd’un confluent d’intérêts locaux. Cette situation n’est pasnon plus acceptable au plan local. La parole de l’État,sur certains sujets, doit être celle de l’État et non celle desoixante-dix ou de quatre-vingts intérêts locaux”(33).

Mais s’il est vrai qu’on légifère toujours malquand on légifère trop, il faut, pour légiférerbien, prendre le temps du travail préparatoire,être plus concentrés sur l’unique tâche législa-tive. Là aussi, le cumul joue un rôle néfaste.

2.3.4. Une oligarchie dirigeante en rupture dereprésentativité

Comme nous l’avons vu, la “colonisation” des assem-blées par les agents publics, notamment par lesenseignants, et par les professions libérales se faitau détriment des salariés du secteur privé et desouvriers. Le cumul des mandats, dans le mêmetemps, fait obstacle à la représentation des femmes,des jeunes et des Français issus de l’immigration.Majoritairement masculine et âgée, l’élite politiquea tendance à se scléroser, refusant de s’ouvrir àla pluralité et à la richesse des expériences.

Le cumul des mandats favorise le détournementde la démocratie, c’est-à-dire, au fond, sous lesformes de la démocratie, la captation du pouvoirpar une oligarchie politicienne et partisane quin’est plus représentative de l’ensemble de lapopulation française, de sa structure, de sonesprit, de son langage et de ses intérêts. On estimequ’en France l’essentiel du pouvoir est concen-tré entre les mains d’un bon millier d’hommespolitiques. Dans un cercle aussi resserré, le contrôle

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II. UN CUMUL DES MANDATS QUI PÈSE SUR LA VIE POLITIQUECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(33) Rapport Roman, op. cit., p. 36 et s.

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cumul. De cette cause de centralisation, on préfèrene pas parler. Parbleu ! La partie la plus influente dela classe politique est composée de bénéficiaires ducumul des mandats” (35).

2.3.6. Le “service minimum” et l’accentuationde la technocratisation

L’emploi du temps surchargé des “cumulards”,l’éparpillement de leurs esprits, la désorgani-sation d’un travail mené entre tant de lieuxdivers, leur fréquente méconnaissance de dos-siers nombreux et trop complexes pour qu’unsimple survol puisse en assurer la maîtrise, nui-sent inévitablement au sérieux de leur travailet aboutissent souvent à ce que les élus aban-donnent à leur administration locale le soindes intérêts de leur collectivité. Hubert Hubrechtrésume cette situation de la façon suivante :“Dans une mairie ou dans une grosse structure, leschoix quotidiens sont trop souvent laissés à l’ap-préciation des équipes technocratiques” (34).

2.3.7. Un frein à la décentralisation

La concentration des mandats est une des causesessentielles des difficultés de la décentralisation.À quoi bon vouloir diffuser la responsabilité poli-tique, à quoi bon déclarer l’autonomie des col-lectivités territoriales, si c’est pour qu’elles soientdirigées par des élus nationaux? Alain Peyrefitteestimait d’ailleurs “qu’il n’y aura pas de vraie décen-tralisation en France tant que sévira le fléau du

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COMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(34) Rapport Roman, op. cit., p. 36 et s.(35) Alain Peyrefitte, La France en désarroi, Éditions de Fallois,1992.

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La Constitution de la Ve République sembleparfois être animée d’un principe unique : laméfiance de l’exécutif face au pouvoir parle-mentaire, facteur d’indécision, de délais et demauvais compromis, dont l’inefficacité face àla crise d’Algérie avait entraîné l’effondrementde la IVe République.

Cette méfiance à l’égard du Parlement a conduità une autre forme de détournement de la démo-cratie, non plus par un groupe fermé, mais parune des deux branches de l’État au détrimentde la seconde. Là où le pouvoir exécutif et lepouvoir législatif devraient s’équilibrer sansempiéter sur leurs prérogatives respectives – legouvernement devant être capable d’agir effi-cacement, le Parlement restant maître du votedes lois et du contrôle de l’exécutif – la Frances’est orientée vers un régime de quasi-irres-ponsabilité de l’exécutif, en privant le Parlementdes moyens d’influence et de contrôle quidevraient être les siens.

Nous ne contestons pas que certaines des réformesde la Constitution de 1958 ont rendu la procé-dure parlementaire plus efficace, en empêchantle Parlement d’utiliser ses prérogatives pour blo-quer l’action du gouvernement. Ainsi, la maîtrise

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IIIUN PARLEMENT EMPÊCHÉ DE REMPLIRSA MISSION

COMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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3.1.1. Des législateurs mal informés

De nombreux éléments indispensables à unebonne compréhension des textes qui leur sontproposés sont régulièrement refusés aux parle-mentaires. Ainsi, les études d’impact qui leursont soumises sont souvent extrêmement som-maires. De nombreux documents préparatoiresindispensables pour la bonne compréhensiondu texte – expertises préalables des adminis-trations, avis du Conseil d’État sur la rédactiondu texte – sont absents du dossier transmis auxcommissions.

Plus grave encore : les assemblées n’ont presqueaucune capacité d’expertise autonome – nivéritable budget d’études, ni service de recherche.Elles dépendent donc, pour obtenir de l’in-formation, du bon vouloir des administrationset des différents groupes de pression concer-nés par le projet de loi. Cette information par-tielle ou biaisée ne correspond pas à l’examenserein et approfondi que devraient conduireles législateurs.

3.1.2. Des commissions permanentes ennombre trop réduit

Le nombre des commissions permanentes qui exa-minent les textes, avant leur vote par le Parlement,

de l’essentiel de l’ordre du jour par le gouvernement,le régime d’irrecevabilité des amendements par-lementaires, la possibilité de vote bloqué (article 44de la Constitution) ou d’adoption des lois sansvote (article 49-3) ont certainement améliorél’efficacité de l’action publique en France parrapport aux Républiques précédentes.

Mais s’il est légitime que le Parlement ne puissepas réduire la puissance publique à l’inaction, iln’est plus acceptable qu’il ne puisse pas remplirefficacement ses deux principales missions : exa-miner attentivement les projets de loi et contrô-ler l’action du gouvernement. Enfin, les bénéficesdu bicaméralisme sont fortement réduits du faitque le rôle particulier du Sénat reste imparfaite-ment défini.

3.1. Une procédure législative inefficace

Le premier rôle du Parlement est de débattre etd’adopter les lois. Pour qu’il exerce ce rôle d’unemanière satisfaisante, il est essentiel que les par-lementaires soient bien informés, qu’ils puis-sent se répartir efficacement le travail d’examendes textes et que la procédure de vote leur donnel’occasion, sans perte excessive de temps, defaire valoir leurs arguments. Sur tous ces points,la procédure législative française reste d’unarchaïsme marqué.

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III. UN PARLEMENT EMPÊCHÉ DE REMPLIR SA MISSIONCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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Malgré le travail fait en amont en commission,la présentation des textes en séance plénière estpresque systématiquement ralentie par la répé-tition de points secondaires, le plus souvent déjàabordés en commission mais qui doivent êtrerepris dans des débats répétitifs où les parle-mentaires ont davantage l’impression de jouerune pièce lassante que de contribuer à l’amélio-ration des lois.

Cette impression de répétition se reproduit ets’aggrave lorsque les textes reviennent en

deuxième lecturedans une chambreaprès avoir été exa-minés par l’autre. Encas de désaccordentre les deux assem-blées, seul le gou-

vernement peut décider de réunir une com-mission mixte paritaire après laquelle le derniermot revient à l’Assemblée nationale. S’il ne lefait pas, la “navette” entre les deux chambrespeut durer éternellement. Ce procédé est par-fois employé pour enterrer un texte que le gou-vernement ou le Parlement ne souhaitent pasréellement voir aboutir. Mais pour les parle-mentaires chargés de répéter pour la troisièmefois le même discours sur le même texte, detelles habiletés de procédure ne présentent pasun grand intérêt professionnel.

est limité à 6 par chambre (article 43 de laConstitution). Par comparaison, les Parlementsdes autres grandes démocraties ont entre 15 et20 commissions permanents par chambre.

La limitation du nombre des commissions étaitdélibérément conçue par les constituants de 1958comme le moyen d’en finir avec un contre-pou-voir parlementaire trop bien organisé, risquantde contrecarrer l’action des ministères.

Cependant, la situation actuelle n’est pas com-patible avec un travail parlementaire approfondi.Parce qu’elles sont trop peu nombreuses, lescommissions permanentes ont des effectifspléthoriques : la plus grande partie des dépu-tés ou sénateurs, ne parvenant pas à s’y rendreutiles, sont d’autant plus incités à négliger letravail parlementaire pour se réfugier dansleur circonscription. De plus, un champ decompétences trop large empêche la formationde spécialistes sur certaines matières où leParlement devrait pourtant avoir d’impor-tantes responsabilités.

3.1.3. D’inacceptables gaspillages de temps

Une des principales faiblesses du travail parle-mentaire réside dans une procédure législativeexcessivement consommatrice en temps.

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III. UN PARLEMENT EMPÊCHÉ DE REMPLIR SA MISSIONCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

‹‹une procédurelégislativeexcessivementconsommatriceen temps ››

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blées de réserver une séance par mois pour lesdébats sur un ordre du jour choisi par elles.Cependant, la répartition des compétences montreencore un fort déséquilibre entre Parlement etgouvernement.

3.1.5. Un pouvoir presque inexistant dans lapréparation des normes européennes

Si l’influence des parlementaires est réduite, fauted’information et de contrôle de la procédure,

dans la préparationdes lois, elle est à peuprès nulle dans l’éla-boration du droitcommunautaire.

Les traités, règlementset directives euro-péennes sont prépa-

rés par les gouvernements et par la Commission,sans que la négociation donne lieu à une infor-mation régulière des parlementaires français. LeParlement n’intervient qu’après la négociation(mais avant l’adoption formelle des textes) en votantdes “résolutions” sur les projets de textes quicomportent des dispositions de nature législative(article 88-4 de la Constitution). Ces résolutionsn’ont aucun caractère contraignant. Elles peu-vent, dans certains cas, influencer la position

3.1.4. Un poids trop exclusif du gouvernementdans l’organisation des travaux

Réagissant aux excès des précédentes Républiques,les constituants de 1958 ont donné au gouver-nement la maîtrise de principe de l’ordre du jourdes deux chambres (article 48 de la Constitution).Le Parlement ne contrôle que l’ordre du jour“complémentaire”, après épuisement des prio-rités du gouvernement. Cet ordre du jour com-plémentaire n’est cependant que rarement uti-lisé pour voter des lois ; il est le plus souventemployé pour des travaux internes au Parlement(règlement intérieur, nominations aux com-missions, etc.).

S’il est parfaitement nécessaire que le gouvernementpuisse soumettre au Parlement les projets delois qui résultent de sa politique, la monopoli-sation de l’ordre du jour par le gouvernementn’était pas une solution plus équilibrée que celled’une monopolisation par les chambres. N’ayantpas de véritable espoir de voir examiner leurs pro-positions de loi, les législateurs ne sont pas inci-tés à exercer le pouvoir d’initiative qui leur estreconnu par la Constitution et qui représente l’undes aspects les plus passionnants de leur métier.

Un début de partage de la maîtrise de l’ordre dujour a été effectué avec la révision constitution-nelle du 4 août 1995, qui permet aux deux assem-

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III. UN PARLEMENT EMPÊCHÉ DE REMPLIR SA MISSIONCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

‹‹ l’influence desparlementaires està peu près nulledans l’élaborationdu droitcommunautaire ››

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la France. Celle-ci se prive en effet d’un argumentutilisé dans ces négociations par la plupart deses partenaires, qui n’hésitent pas à évoquerl’opposition de leurs parlements pour bloquerdes dispositions contraires à leurs intérêts. C’estdonc à la fois pour rendre le droit européen plusdémocratique et pour renforcer la position dela France que le Parlement devrait se voir don-ner un rôle en amont de la préparation des textescommunautaires.

3.2. Un Parlement incapable de contrôlerefficacement le gouvernement etl’administration

Le métier des parlementaires n’est pas seulementde voter les lois. Il est aussi de contrôler la bonneapplication, par le pouvoir exécutif, des lois qu’ilsont votées et de rendre compte à leurs électeursde l’action des ministres et de l’administration.

Or, l’information des parlementaires sur l’actionde l’exécutif est nettement insuffisante. L’informationtransmise par le Gouvernement au moment duvote des lois est rarement suivie d’informationsde qualité sur leur application ; les commissionsd’enquête que le Parlement peut mettre en placesont inutilement encadrées ; et l’absence demoyens propres d’études ou de contrôle affai-blit les pouvoirs de contrôle du Parlement.

prise par le gouvernement au conseil des ministreseuropéen. Mais, parce qu’elles interviennentaprès la phase active de rédaction des textes, lesrésolutions du Parlement n’ont à peu près aucunechance d’influencer la décision finale.

L’absence totale d’intervention du Parlementdans l’élaboration des normes européennes est unedes principales faiblesses de notre démocratie.Ces normes sont de plus en plus nombreuses –plus de la moitié du droit applicable en France

est désormais d’ori-gine communautaire.Elles sont de plus enplus puissantes : encas de contradiction,les règles commu-nautaires l’emportentsur les lois nationales.Le contraste entre l’im-

portance du droit communautaire et l’absencepresque totale de la représentation nationale danssa préparation est de nature à conforter le senti-ment de déficit démocratique dans l’Union euro-péenne. Il existe désormais un véritable risque quece sentiment ne finisse par menacer, chez nosconcitoyens, le projet européen lui-même.

De surcroît, l’absence d’association du Parlementaux négociations des normes communautairespeut être gravement défavorable aux intérêts de

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III. UN PARLEMENT EMPÊCHÉ DE REMPLIR SA MISSIONCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

‹‹ l’information des parlementairessur l’action del’exécutif estnettementinsuffisante ››

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3.2.2. Un recours trop encadré aux commissionsd’enquête

Pour renforcer leur information sur un point pré-cis, les deux chambres peuvent créer des commissionsd’enquête en application de l’article 6 de l’or-donnance du 17 novembre 1958 relative au fonc-tionnement des assemblées parlementaires.Cependant, l’efficacité de ces commissions estfortement réduite par deux dispositions.

En premier lieu, les commissions d’enquête nepeuvent être créées qu’avec l’assentiment de lamajorité de chaque assemblée – même si, à la suited’un accord intervenu entre les groupes poli-tiques, chaque groupe peut, une fois par an, pro-poser un sujet d’enquête. À l’Assemblée natio-nale, le gouvernement a donc un droit de vetode fait sur leur mise en place.

En second lieu, la durée des commissions d’en-quête ne peut dépasser six mois. Il est compréhensibleque la loi fixe une durée de principe limitée pouréviter l’enlisement et limiter les manœuvres poli-tiques qui peuvent accompagner ces missions.Cependant, le caractère rigide de cette limite etl’impossibilité absolue de prolonger la commis-sion ne peuvent en aucun cas être justifiés.

Enfin, au nom d’une conception mal comprisede la séparation des pouvoirs, le lancement de

3.2.1. Une information encore insuffisante surle bilan des politiques publiques

Une fois la loi votée, le Parlement cesse le plussouvent d’être informé sur le succès ou l’échecde son application. Certaines lois ne sontjamais appliquées, le gouvernement ne pre-nant pas les décrets ou arrêtés indispensables.D’autres sont appliquées, mais sans que leParlement puisse bénéficier d’une évaluationofficielle de leurs résultats. Cette situation peutinciter les gouvernements à faire de grandseffets d’annonce sur leurs politiques priori-taires – réduction du temps de travail, réformedu système de santé, etc. – puis à limiter au maxi-mum les débats devant les assemblées sur l’ap-plication de ces réformes. De telles pratiquesaffaiblissent à la fois l’autorité de la loi et celledu législateur.

Certes, le Parlement devrait à l’avenir être mieuxinformé des performances des administrations.La loi organique du 1er août 2001 relative aux loisde finances prévoit en effet que les documentsbudgétaires devront être désormais accompa-gnés d’un exposé des objectifs de performanceassignés à chaque administration, objectifs quipourront chaque année être comparés aux résul-tats. Cependant, ce suivi des résultats par admi-nistration ne garantit pas un suivi de la mise enœuvre des lois.

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III. UN PARLEMENT EMPÊCHÉ DE REMPLIR SA MISSIONCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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mêmes les investigations. Ces exemples confir-ment l’intérêt d’une limitation du cumul desmandats (tous les députés concernés étaient des“non cumulards”). Cependant, l’implication per-sonnelle des élus ne peut suffire à garantir uncontrôle régulier de l’action des administrationset du gouvernement.

Un tel contrôle, fondé sur une présentation desactions menées, de leur efficacité et de leurcoût, exigerait que le Parlement dispose de ser-vices ou de crédits à cet effet. Or, malgré la pos-sibilité offerte au Parlement de demander desenquêtes spécifiques à la Cour des comptes, leParlement ne dispose à ce jour ni d’un serviced’audit qui lui soit directement rattaché, ni descrédits d’étude qui lui permettraient d’avoirrecours à des entreprises d’audit privées. Il estdonc presque entièrement dépendant de l’ad-ministration pour contrôler l’administrationde manière régulière…

3.3. Une Chambre haute dont la missionspécifique reste mal définie

L’existence de deux chambres législatives peutreprésenter une garantie importante pour le bonfonctionnement de la démocratie. La Chambrehaute garantit un examen plus approfondi desprojets de lois ; elle peut contraindre la majorité

commissions d’enquêtes est interdit pour lesaffaires faisant l’objet d’instances judiciaires encours. Cette interdiction revient souvent à empê-cher le Parlement de s’informer sur les questionsqui suscitent le plus grand intérêt parmi sesmembres. Elle paraît difficilement justifiable,dès lors que la mission d’une commission d’en-quête – la collecte d’informations pour l’infor-mation du législateur – ne peut en rien être assi-milée à celle de la justice, qui détermine lesresponsabilités civiles et pénales.

3.2.3. L’absence de moyens propres d’étudeset de contrôle

Le recours aux commissions d’enquête est néces-sairement réservé à des dysfonctionnementsexceptionnels, le plus souvent marqués par deforts enjeux politiques. De plus, une commis-sion ne peut être mise en place que si l’attentiondu Parlement a été préalablement attirée sur unesituation irrégulière ou insatisfaisante.

Sur certains sujets – le contrôle des tribunauxde commerce, des chambres d’agriculture, l’en-quête sur les paradis fiscaux – le Parlement acertes effectué, lors de la dernière législature, desrapports de contrôle et d’information d’unegrande qualité. Dans tous ces cas, cependant,un petit nombre de députés ont effectué eux-

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dans ses modes de désignation et de fonc-tionnement. La Constitution (article 24) indiqueque “le Sénat assure la représentation des collec-tivités territoriales de la République”. Or, le fré-quent cumul des fonctions de député aveccelle d’élu local a pour conséquence quel’Assemblée nationale a autant tendance quele Sénat à assurer cette mission. D’autre part,le Sénat se détermine plus souvent selon unelogique de politique nationale que dans un

esprit de représen-tation des collecti-vités. La différenceentre les deuxchambres tend de cefait à s’estomper.

Cette confusion estdu reste encouragéepar le fait que le corpsélectoral qui désigneles sénateurs est loin

d’assurer une représentation équilibrée de l’en-semble des collectivités territoriales. Les com-munes, et surtout les petites communes, sontmassivement sur-représentées dans ce corpsélectoral par rapport à toutes les autres collec-tivités – départements, établissements inter-communaux ou régions – quel que soit le cri-tère que l’on souhaite employer : population,budget ou compétences juridiques.

d’un jour à se donner le temps de la réflexionavant d’imposer trop brutalement ses choix à laminorité ; enfin, elle peut diversifier les moda-lités de la représentation du peuple, en super-posant à la logique majoritaire (sans la suppri-mer) d’autres modes de représentation – territoriale,sociologique, etc.

Les avantages d’une Chambre haute sont d’ailleursreconnus par la plupart de nos partenaires.Douze des quinze États membres de l’Unioneuropéenne ont une seconde chambre et lespays revenus à la démocratie au début des années1990 en ont presque tous créé une. Les quelquesdémocraties monocamérales, comme la Suède,sont marquées – est-ce entièrement un hasard ?– par une certaine brutalité sourcilleuse des lois,qui (sans être toujours appliquées) vont plusloin que la plupart des autres démocraties dansl’encadrement des libertés individuelles.

Encore faut-il, pour que la Chambre haute rem-plisse pleinement sa mission, que celle-ci soitclairement définie. C’est le cas dans tous les Étatsfédéraux, où la deuxième chambre est la voixdes instances fédérées. C’était également le casau Royaume-Uni, où elle donnait un pouvoirlégislatif limité aux élites sociologiques.

La mission propre du Sénat en France est moinsclaire, et en tout état de cause mal reflétée

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III. UN PARLEMENT EMPÊCHÉ DE REMPLIR SA MISSIONCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

‹‹ le Sénat sedétermine plussouvent selon unelogique depolitique nationaleque dans un espritde représentationdes collectivités ››

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Parce qu’il ne remplit pas clairement et entière-ment la mission que la Constitution lui confie,le rôle du Sénat se distingue mal, en pratique,de celui de la Chambre basse. De ce fait, il setrouve exposé à des critiques – insuffisante repré-sentativité, modes de désignation empêchanttoute alternance – qui seraient parfaitement jus-tifiées pour une chambre représentant le peuple.Ces critiques ne peuvent pas être écartées d’unrevers de main par une institution qui, certes, n’apas pour mission principale de représenter lepeuple, mais ne peut pas prétendre non plusreprésenter adéquatement les territoires. Unemeilleure adéquation entre la mission théoriquedu Sénat et ses modalités réelles de désignationet de fonctionnement est le préalable indispen-sable pour pouvoir rejeter les accusations de“déficit démocratique”.

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III. UN PARLEMENT EMPÊCHÉ DE REMPLIR SA MISSIONCOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

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Le corps électoral sénatorial

La composition du collège électoral dessénateurs dans les départements métropo-litains et d'outre-mer, ainsi que les modali-tés de désignation des délégués des conseilsmunicipaux qui forment ce collège, sontfixées par les articles L.279 à L.293-3 etR.131-l à R.148-3 du code électoral, telsqu'ils résultent des dispositions de la loin° 2000-641 du 10 juillet 2000.

Ce collège est tout d'abord composé desdéputés, des conseillers régionaux (ouconseillers de l'Assemblée de Corse) et desconseillers généraux de chaque départe-ment. Il comprend également les représen-tants des conseils municipaux dont le nombrevarie en fonction de l'importance de la popu-lation des communes concernées. Au total,le collège électoral comprend plus de centquarante-cinq mille électeurs sénatoriaux,dont la plus grande part des 36.700 mairesde France.

Pour les petites communes, le nombre desélecteurs va de 1 (communes de moins de100 habitants) à 15 (communes de 2.500 à

8.999 habitants). Les communes de 9.000à 29.999 habitants sont représentées partous leurs conseillers municipaux, (entre29 et 39 électeurs). Dans les communes de30.000 habitants et plus, le conseil muni-cipal (de 39 à 163 conseillers) est complétépar des délégués supplémentaires, à raisonde 1 par tranche de 1000 habitants au-des-sus de 30.000.

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1. Favoriser l’ouverture du Parlement ausecteur privé

Une plus grande ouverture du Parlement au sec-teur privé nous paraît indispensable pour améliorersa représentativité. Le principal obstacle à cette réformeréside aujourd’hui dans les difficultés de reclassementdu parlementaire non-fonctionnaire, notammentsalarié, qui se retrouve sur le marché du travail aprèsune absence de plusieurs années. Les conséquencessont telles qu’elles le dissuadent souvent de s’in-vestir dans la vie politique. Le parlementaire qui,après être venu du privé, quitte le Parlement, parvolonté de ne pas renouveler son mandat ou pardésaveu du corps électoral, doit pouvoir bénéfi-cier des mêmes avantages que son homologueissu du secteur public.

Il convient donc de rétablir l’égalité entre par-lementaires fonctionnaires et non fonctionnairesà la cessation du mandat, sous réserve que cedernier ne soit pas en âge de pouvoir bénéficierde la retraite parlementaire.

Nos propositions n’ont rien de révolutionnaire,surtout lorsqu’on compare la France à ses voi-sins immédiats (36). Les politiques eux-mêmes

Les critiques du Sénat sont du reste renforcéespar la durée manifestement excessive – neuf ans– qui est encore aujourd’hui celle du mandat dessénateurs. Une aussi longue période sans ren-contrer d’électeurs ne peut pas être favorable àune bonne représentation.

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LES PROPOSIT IONS DEL’INSTITUT MONTAIGNE

COMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(36) Rappelons qu’au Royaume-Uni, les fonctionnaires doiventdémissionner dès leur candidature !

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Ce dernier “doit manifester son intention de reprendreson emploi en adressant à son employeur une lettrerecommandée avec avis de réception au plus tard dansles deux mois qui suivent l’expiration de son mandat.Il retrouve son précédent emploi, ou un emploi ana-logue assorti d’une rémunération équivalente, dans lesdeux mois suivant la date à laquelle il a avisé sonemployeur. Il bénéficie de tous les avantages acquispar les salariés de sa catégorie durant l’exercice de sonmandat. Il bénéficie en outre, en tant que de besoin,d’une réadaptation professionnelle en cas de change-ment de techniques ou de méthodes de travail”.

Toutefois, les “dispositions de l’alinéa précédent nesont pas applicables lorsque le mandat a été renou-velé, à moins que la durée de la suspension prévue aupremier alinéa de cet article n’ait été, pour quelque causeque ce soit, inférieure à cinq ans. À l’expiration du oudes mandats renouvelés, le salarié peut cependant sol-liciter son réembauchage dans les formes et délais pré-vus au troisième alinéa du présent article. L’employeurest alors tenu, pendant un an, de l’embaucher parpriorité dans les emplois auxquels sa qualification luipermet de prétendre et de lui accorder, en cas de réem-ploi, le bénéfice de tous les avantages qu’il avait acquisau moment de son départ” (38). En cas de renouvel-lement du mandat, l’ancien parlementaire béné-ficie donc seulement d’une priorité d’embauche.

semblent prendre conscience d’une situationdevenue intenable : un ancien ministre desFinances, Laurent Fabius, admettait ainsi la néces-sité que les salariés du secteur privé soient davan-tage représentés au Parlement(37).

Nous proposons donc de favoriser la promotionen politique des salariés du privé par les réformessuivantes.

1.1. L’extension, au-delà du premier mandat,de la garantie de réintégration professionnelle

Une modification légale, datant de 1978 (deve-nue l’article L.122-24-2 du Code du travail),avait uniformisé les situations des anciensparlementaires. Ces dispositions semblenttoutefois fort restrictives tout en restant peuappliquées.

L’article L.122-24-2 dispose en effet que “le contratde travail d’un salarié membre de l’Assemblée natio-nale ou du Sénat est, sur sa demande, suspendu jus-qu’à l’expiration de son mandat, s’il justifie d’uneancienneté minimale d’une année chez l’employeurà la date de son entrée en fonction”. Le salarié quidevient parlementaire bénéficie donc d’unegarantie de réintégration professionnelle.

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LES PROPOSITIONS DE L’INSTITUT MONTAIGNECOMMENT AMÉLIORER LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

(37) Débat avec Alain Juppé, LCI, 15 janvier 2002.(38) “Le retour des anciens parlementaires à la vie professionnelle”,Les documents de travail du Sénat, Sénat, octobre 1998, p. 2.

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l’égalité devant le risque de l’engagement poli-tique. Les uns risquent leur gagne-pain, les autres,leur ego.

C’est la principale raison expliquant la sur-repré-sentation des agents publics aux assemblées, etla sous-représentation des salariés du secteurprivé. Le risque est grand pour ces hommes etces femmes de faire le choix d’une carrière poli-tique, par nature aléatoire, lorsque leur réinté-gration dans l’entreprise peut se trouver compromisepar une absence de plusieurs années.

Particulièrement préoccupante est la situationdes parlementaires non-fonctionnaires n’ayantpas atteint l’âge de 55 ans auquel le droit à pen-sion est ouvert(39). Il est donc nécessaire de réduirecette inégalité.

Pour tout parlementaire■ désavoué par le suffrage universel,■ et qui ne peut reprendre son activité profes-

Reste cependant à établir la réalité de ce reclas-sement. Si nous estimons que ces dispositions vontdans le sens d’une meilleure représentation auParlement des salariés du secteur privé, nousconstatons toutefois qu’elles sont difficilementapplicables aux réalités actuelles du monde dutravail. L’esprit de cette législation doit donc êtregardé, mais sa lettre adaptée. Nous pensonsnotamment que la garantie de réintégration pro-fessionnelle devrait s’étendre aux parlementairesayant désiré renouveler leur mandat.

En outre, le problème persiste pour les anciensparlementaires non fonctionnaires, la retraite par-lementaire ne pouvant être perçue qu’à partir de55 ans. Pour ceux-là mêmes, qui ne peuvent béné-ficier de ce reclassement en entreprise, et qui nepeuvent non plus prétendre à la retraite parle-mentaire, d’autres voies devraient être envisagées.

1.2. L’attribution d’une indemnité de soutienà la reprise d’une activité professionnelle

Conformément aux règles gouvernant le statutdes fonctionnaires, les parlementaires issus dela fonction publique sont détachés durant toutela durée de leur mandat et quel que soit lenombre de mandats effectués. Ils sont doncassurés de retrouver leur poste à l’issue de leurmandat. Il existe donc là une réelle rupture de

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(39) Cet âge peut exceptionnellement être ramené à 50 anspour les titulaires de la carte de déporté ou interné de laRésistance ou de déporté ou interné politique. Il est susceptiblede l’être pour les anciens députés qui acceptent un abattementtemporaire. Il est abaissé, pour les femmes anciens députés,d’un an par enfant. Après le renouvellement de 2001, lapension brute moyenne (sans majoration enfant) pour unancien sénateur est de 2.625,28 euros par mois (cf. “Le statutdes sénateurs et l’exercice du mandat, situation matérielle dessénateurs”, www.senat.fr).

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Il y a là une rupture de l’égalité qui participeégalement aux difficultés de l’engagement poli-tique des candidats non titulaires de la fonctionpublique.

Notre proposition consiste donc à rétablir cetteégalité face aux droits de pension en alignant lasituation des parlementaires issus du secteurprivé sur celle des élus issus de la fonctionpublique.

1.4. L’intégration des battus à un corpsd’expertise ou d’inspection de la fonctionpublique

Pour les parlementaires non fonctionnaires nedésirant ou ne pouvant reprendre une activitéprofessionnelle salariée ou libérale, une autrevoie peut être envisagée, celle consistant à “fabri-quer des fonctionnaires avec les battus”.

Son incidence sur les finances de l’État neserait que mineure. D’après nos calculs, cetteproposition ne devrait pas concerner plus d’unevingtaine d’anciens parlementaires à la fin dechaque législature. En revanche, elle présen-terait l’avantage considérable de favoriser l’en-gagement politique des non-fonctionnairesen les plaçant sur un pied d’égalité avec lesfonctionnaires.

sionnelle interrompue lors de l’élection (salariédont le contrat de travail a été rompu, professionlibérale, commerçant ou artisan qui a cessé touteactivité durant l’exercice de son mandat),■ et ne pouvant percevoir la retraite de parle-mentaire,nous proposons l’octroi pendant deux annéesd’une indemnité “de soutien à la reprise d’uneactivité professionnelle” qui viendrait prendre lasuite de “l’indemnité de fin de mandat” (d’unedurée de 6 mois) et qui assurerait un revenu men-suel égal à l’indemnité parlementaire de base(40).

1.3. L’ouverture au profit des élus venus dusecteur privé, de la possibilité de laisser courirles droits de pension de retraite durant toutela durée de leur mandat

Autre exemple patent de l’inégalité entre lesélus agents publics et les autres élus : les droitsde pension de retraite. Alors que ceux du par-lementaire fonctionnaire continuent à courircomme si son traitement lui était versé(41), le sala-rié du privé ne peut prétendre au même statutprotecteur.

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(40) Soit au 1er mars 2002, une indemnité brute mensuelle de5.169 euros.(41) Article 4 de l’ordonnance du 13 décembre 1958 relative àl’indemnité des membres du Parlement.

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monde du travail salarié, de l’économie concur-rentielle et de l’entreprise privée. Cette hypotro-phie du secteur privé, combinée à une hypertro-phie du public, contribue à déconnecter le Parlementdes réalités économiques de notre pays.

On notera que nos propositions n’ont pas poureffet (contrairement à ce qu’on reproche parfoisau système américain ou plus récemment ita-lien) de placer les parlementaires et les élus dansla dépendance des entreprises, qui contrôleraienten partie le pouvoir politique, en acquérant unpouvoir d’influer de manière décisive sur l’ave-nir professionnel et les conditions de vie d’élusissus du privé et contraints de s’y recaser en casd’échec électoral.

Notre objectif n’est pas d’obtenir du Parlementqu’il devienne une exacte photographie de laFrance en âge de voter. La question de la fidélitéde la représentation a déjà été tranchée par le choixd’un régime représentatif et par l’adoption d’unscrutin qui dégage des majorités claires, maisnéglige les opinions minoritaires. Qu’elle soitpolitique ou économique, une parfaite repré-sentativité n’est ni possible ni souhaitable. Maislorsque le décalage entre le corps législatif et lepays est tel qu’il ignore un travailleur sur deux,un sexe sur les deux et tous les citoyens de moinsde 40 ans, nous estimons que le seuil de l’ac-ceptable est largement dépassé.

Cette intégration de droit dans un corps de la fonc-tion publique pourrait, par exemple, se faire ausein de l’inspection des affaires sociales de l’édu-cation nationale, des finances, etc. Ces anciensparlementaires pourraient aussi, par exemple,devenir professeurs associés des universités. Ilsapporteraient à ces corps une ouverture, uneexpérience et une vision de la société qui leur fontsouvent défaut.

Les trois premières propositions peuvent êtreappliquées alternativement, ou cumulativement.Nous sommes en effet conscients de la difficulté,notamment pour les PME-PMI, de pouvoir garan-tir la réintégration dans un marché de plus enplus évolutif à leurs anciens salariés après plu-sieurs années d’absence. L’entreprise d’originepeut même avoir disparu après une interruptionde 5 ou 10 ans. Notre proposition alternatived’intégration à un corps de la fonction publiquetrouverait alors tout son sens.

Nos propositions auraient ainsi le mérite demoderniser la représentativité du Parlement,tout en l’ouvrant au secteur privé.

De fait, nous estimons que la situation actuelle entravele développement économique de la France en cequ’elle prive la représentation nationale d’hommeset de femmes ayant l’expérience concrète du

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nal que local. Nous suivons en cela le principe“un homme, un mandat”.

Ce principe entraîne l’interdiction absolue decumuler tout mandat local, de quelque naturequ’il soit, avec un mandat de député, nationalou européen. Si une loi anti-cumul doit s’impo-ser pour des questions de transparence et de res-pect de la démocratie aux élus nationaux, il paraîtévident qu’une limitation s’impose pour lesmêmes raisons aux autres mandats non natio-naux: mandat municipal, départemental et régio-nal. Une fois les responsables communautairesélus au suffrage universel direct, l’interdiction abso-lue du cumul s’étendra logiquement aux fonc-tions de direction des EPCI.

La grande disponibilité réclamée par les citoyensà leurs élus requiert que ces derniers reçoiventles moyens financiers de se consacrer exclusi-vement l’exercice de leur mandat. L’interdictiondu cumul des mandats doit donc nécessairements’accompagner d’une revalorisation des indem-nités versées aux élus locaux, en premier lieuaux maires. La gratuité des mandats et fonctionsélectives telle que prévue par le Code des collectivitésterritoriales ne peut et ne doit pas être mainte-nue. Tant que les élus ne percevront pas d’in-demnités suffisantes et des avantages matérielsleur permettant de mener à bien leur mission,la tentation du cumul perdurera.

2. Mettre un terme au cumul des mandats

Une loi stricte contre le cumul aurait pour consé-quence directe une revalorisation de la fonctionparlementaire en donnant à l’Assemblée natio-nale des députés qui rempliraient pleinementleur rôle. Mettre un terme à la pratique du cumuldes mandats reviendrait également à favoriser lepluralisme dans la vie politique.

Nul doute que cette mesure aurait pour consé-quence de remédier à la sous-représentation decertaines catégories de citoyens : les femmes, lesjeunes, les Français issus de l’immigration récente,les salariés du secteur privé ; elle permettrait eneffet à des non-professionnels de la politiqued’accéder aux fonctions exécutives locales.Parallèlement cette ouverture participerait cer-tainement à la réduction de la fracture civique,améliorerait la disponibilité des élus locaux, limi-terait le recours à des technocrates et apporte-rait du sang neuf à notre démocratie.

2.1. Un élu au suffrage universel, un mandat

Nos propositions ont le mérite de la clarté. Ellestranchent avec les demi-mesures de la loi du5 avril 2000. De fait, nous nous prononçons réso-lument pour une limitation stricte du cumul desmandats et des fonctions, tant au niveau natio-

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l’intendance : en un mot, avancer hardiment etrésoudre les problèmes secondaires en marchant.

2.2. Une exception justifiée : le Sénat

L’interdiction de tout cumul doit, à notre sens,connaître une exception dans le cas des sénateurs.Cette exception est justifiée par les réformes pro-posées plus bas et qui visent à ancrer plus clai-rement le Sénat dans son rôle constitutionnel dereprésentant des territoires et des collectivitésterritoriales, l’Assemblée nationale restant char-gée de représenter le peuple.

Du reste, le maintien d’une possibilité de cumulpour les seuls sénateurs contribuerait à apporterun remède à la dévalorisation de la HauteAssemblée. De nombreux grands élus locaux,actuellement regroupés au sein de l’Assemblée,trouveraient en effet leur place au Sénat et com-penseraient, par leur autorité, la nécessaire infé-riorité institutionnelle de la Chambre haute.

2.3. Des ministres à temps plein

Il nous est paru qu’aucune interdiction du cumuldes mandats ne pouvait être imposée aux par-lementaires sans l’être aussi aux ministres de laRépublique. Nous nous prononçons donc réso-

Cette opinion est aujourd’hui largement parta-gée : “Une réforme du cumul des mandats doit êtreégalement l’occasion d’un débat avec les citoyenssur un thème précis : la démocratie a un prix. Si l’élulocal devient presque un professionnel, si on lui inter-dit de ce fait le cumul, alors, je crois que la questiondu statut et du salaire de l’élu se posera inévitable-ment. Ce problème se posera, ne serait-ce que pourfaciliter l’accès à la vie démocratique à des personnesissues de professions du secteur privé qui, dans l’étatactuel des choses, sont handicapées par rapport auxfonctionnaires. Il faut cependant être conscient quecette question débouchera sur celle du niveau desalaire de l’élu, ainsi que sur celle du maintien enFrance de 36.700 communes. À partir d’un problèmecirconscrit, on risque bien d’aboutir à une réflexionsur une seconde étape de la décentralisation.” (42)

La suppression du cumul ne doit cependant pasêtre impérativement conditionnée par la complèterésolution préalable du problème financier des élus,de leur statut, etc. Outre que de telles discussions,surtout si elles devaient traîner en longueur, ren-forceraient certainement dans l’opinion uneimage négative des hommes politiques (intéres-sés et vénaux), l’enlisement dans de tels débatsconduirait fatalement à reporter aux calendesgrecques l’interdiction du cumul. Il faut donccommencer par la décision politique et faire suivre

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(42) Hubert Hubrecht, in rapport Roman, op. cit., p. 39 et s.

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riel de ce travail doit, lui aussi, être réformé pourpermettre aux nouveaux “parlementaires à tempsplein” de remplir pleinement leurs missions. C’estl’objet de notre troisième série de propositions.

3. Rendre au Parlement les moyens deses missions

Par sa double fonction de législateur et de contrô-leur du gouvernement, le Parlement peut, dansles prochaines années, être la cause du succèsou de l’échec de la réforme de l’État. Si cetteréforme est confiée aux seules administrations,elle s’enlisera sous le poids des corporatismes. Iln’en sera pas de même si le Parlement demanderégulièrement des comptes : la volonté des repré-sentants du peuple, comptables devant leursélecteurs de l’usage que l’administration fait deleurs impôts, ne peut pas être facilement négli-gée. Encore faut-il, pour que le Parlement puissejouer ce rôle, que son information et ses capa-cités d’action et de contrôle soient renforcées.

3.1. Améliorer l’information du Parlementdans l’exercice de ses missions législatives

Plusieurs mesures simples peuvent et doiventêtre mises en œuvre pour améliorer l’expertisedes assemblées dans le travail législatif :

lument pour que toute responsabilité gouver-nementale soit rendue incompatible avec l’exer-cice d’un mandat électif, quel qu’il soit.

Déjà en 1974, Jean-Marcel Jeanneney appelait deses vœux cette incompatibilité : “La plus évidenteet la plus simple des réformes à accomplir est d’édic-ter une incompatibilité entre tous les mandats élec-tifs comme aussi entre un mandat électif et de desfonctions gouvernementales” (43).

L’interdiction du cumul des mandats, selon lesmodalités que nous proposons (absolue pourtout mandat, exception faite pour les sénateurs)devrait s’accompagner d’une revalorisation duParlement : les parlementaires, n’exerçant plusque leur mandat national, pourront consacrer plusde temps au travail parlementaire. La fonctionde contrôle rendue plus efficace, le travail légis-latif plus rapide et plus performant. Pour lesmêmes raisons, le mandat local gagnerait luiaussi en légitimité.

Une grande disponibilité des élus ne suffira doncpas, comme la première partie de ce rapport l’amontré, pour améliorer la qualité du travail par-lementaire. L’environnement juridique et maté-

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(43) Jean-Marcel Jeanneney, “L’appel”, 1974, repris dansCommentaire n° 83.

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de l’emploi des fonds publics(44), distincte de lacommission des finances, pourrait égalementêtre mise en place pour examiner systémati-quement les conséquences à tirer des rapports dela Cour des comptes ou des corps de contrôle surl’emploi des fonds publics.

La spécialisation des parlementaires dans descommissions plus nombreuses permettra à un plusgrand nombre d’entre eux de mettre en valeurleurs compétences et d’en acquérir de nouvelles.Elle permettra aussi d’augmenter la valeur ajou-tée du Parlement dans le processus législatif.

3.3. Rationaliser la procédure législative

Afin de limiter la perte de temps infligée auxparlementaires par la procédure législative, deuxréformes devraient être mises en œuvre.

En premier lieu, l’article 42-1 de la Constitution,prévoyant que “la discussion des projets de loi porte,devant la première assemblée saisie, sur le texte pré-senté par le Gouvernement”, devrait être modifié pourmettre fin au deuxième examen systématique,en séance plénière, d’amendements adoptés parla commission et qui ne posent pas de difficulté

■ L’ensemble des documents préparatoires surlesquels s’est appuyée l’administration dans lapréparation d’un texte doit être transmis auxcommissions chargées de l’examiner : avis duConseil d’État et des directions consultées, exper-tises éventuellement réalisées par les ministères.Ces documents remplaceront avantageusementles actuelles “études d’impact”, rédigées à la hâteet de qualité souvent insuffisante.■ Faute de disposer de services d’études propres(cf. infra), chaque commission devrait au moinsavoir un budget d’études lui permettant de faireeffectuer les recherches nécessaires par les cabi-nets spécialisés. Cette mesure réduirait la dépen-dance des parlementaires envers les adminis-trations relevant du gouvernement et les groupesde pression attachés à tel ou tel intérêt.

3.2. Augmenter le nombre des commissionspermanentes

La prochaine révision constitutionnelle devraêtre l’occasion d’augmenter le nombre des com-missions permanentes de chaque assemblée. Descommissions permanentes de l’éducation, del’environnement ou des transports devraient parexemple être créées.

À l’image de ce qu’a fait la Chambre des com-munes britanniques, une commission de contrôle

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(44) Cette commission est présidée au Royaume-Uni par un députéde l’opposition.

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3.4. Partager plus équitablement la maîtrisede l’ordre du jour et des procédures de vote

Sans remettre en cause la possibilité de fairevoter rapidement les textes prioritaires du gou-vernement, la “niche parlementaire” (temps detravail dont l’ordre du jour est maîtrisé parchaque chambre) devrait être étendue à uneséance par semaine et non par mois. Cetteséance pourrait être consacrée, selon le choixde chaque chambre, à des questions au gou-vernement ou à l’examen de propositions oude projets de lois.

Dans le même esprit, une utilisation plus équi-librée devrait être faite des outils de procédureque le gouvernement a à sa disposition pourgarantir la bonne issue d’un vote : le vote blo-qué, qui contraint le Parlement à accepter ouà refuser l’ensemble d’un texte sans user deson pouvoir d’amendement (art. 44 de laConstitution) ; et l’adoption d’un texte sansvote, sauf pour le Parlement à déposer unemotion de censure visant à renverser le gou-vernement (art. 49-3).

Sans remettre en cause l’existence de ces pro-cédures, leur utilisation doit être interditelorsque l’objectif n’est plus de garantir un votesur un projet gouvernemental, mais d’empê-cher ou de dénaturer un vote portant sur un

au gouvernement. La nouvelle modification pour-rait, par exemple, prévoir que le texte examinédevant la première assemblée saisie est celui quia été adopté par la commission saisie au fond, saufpour les projets de loi de finances et pour lestextes pour lesquels le gouvernement a souhaitérétablir son texte initial.

Il serait possible d’aller encore plus loin en per-mettant – avec l’accord de tous les groupes etdu gouvernement – de faire adopter les lois à carac-tère technique, sans grand enjeu politique, parles commissions seules. Ce système dit des“petites lois” existe d’ores et déjà en Italie. La“procédure accélérée” mise en place à l’Assembléenationale pour certains textes, qui limite forte-ment le temps des débats devant l’assembléeplénière, participe de cet esprit : il serait doncsouhaitable de porter à son terme la logique desimplification.

Enfin, la prolongation inutile des “navettes”entre les deux assemblées doit être évitée. À cettefin, il serait souhaitable de donner aux prési-dents des deux assemblées, et non au seul gou-vernement, la possibilité de convoquer la com-mission mixte paritaire. De plus, la commissionmixte devrait pouvoir être convoquée après uneseule lecture dans chaque assemblée, même horscas d’urgence, la seconde lecture ayant souventpeu de valeur ajoutée.

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3.6. Évaluer systématiquement les conséquencesdes lois votées et en informer le Parlement

Si c’est l’exécutif qui, par définition, assure l’ap-plication des lois votées par le Parlement, il n’estpas normal que celui-ci ne soit pas informé desrésultats de cette application. Chaque loi impor-tante votée par le Parlement doit donc prévoirun calendrier de suivi et d’évaluation des résul-tats et des coûts. Dans certains cas, la loi pour-rait même prévoir que sa propre pérennisationest conditionnée à un deuxième vote du Parlement,après évaluation des premiers résultats.

À chaque fois que possible, cette évaluation nedevrait pas être faite par les services chargés dela mise en œuvre – il n’est pas entièrement satis-faisant, par exemple, que les statistiques de la délin-quance soient entièrement collectées et traitéespar la police nationale – mais par des autoritésextérieures : cabinets privés, corps de contrôle.L’objet de cette évaluation sera d’informer leParlement, après une première application, deseffets des mesures qu’il a votées. Les parlemen-taires seront ainsi en mesure de déterminer sices mesures ont eu un effet positif et si elles doi-vent être pérennisées, modifiées ou annulées.

Ce souci de systématiser le retour d’expériencevers les parlementaires doit conduire à déve-lopper, à chaque fois que possible, la pratique de

souhait particulier du Parlement. À cette fin,la possibilité de recourir à un vote bloquédevrait être limitée aux projets de lois présen-tés par le gouvernement, et non aux proposi-tions présentées par des parlementaires. S’il estnormal que le gouvernement puisse exiger duParlement un accord ou un refus global d’uneloi qu’il a élaborée, l’extension de cette possi-bilité aux lois dont le gouvernement n’est pasl’auteur constitue un abus.

3.5. Associer réellement le Parlement à lapréparation des normes européennes

La procédure de résolution de l’article 88-4doit être renforcée pour permettre aux deuxchambres de se prononcer, avant le commen-cement des négociations, sur la rédaction d’unprojet de règlement ou de directive. Chaquechambre sera appelée à voter une résolutionénonçant sa position sur les points en discus-sion. Le gouvernement chargé de la négocia-tion, sans être juridiquement lié par ces réso-lutions, sera contraint de prendre en comptela volonté des représentants du peuple. Cettecontrainte sera renforcée par l’obligation d’in-former régulièrement les deux assemblées desnégociations en cours. À cette occasion, leParlement pourra bien sûr émettre de nou-velles résolutions.

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Par ailleurs, les commissions d’enquête pour-raient recevoir elles-mêmes, comme c’est le casaux États-Unis, le pouvoir d’infliger des amendesà ceux qui refusent de témoigner ou pronon-cent un faux témoignage. Ces infractions sontdéjà passibles de sanctions pénales, mais ellesdoivent être prononcées par le tribunal de grandeinstance, ce qui conduit en pratique à ne jamaisappliquer ces dispositions. Si ce pouvoir de sanc-tion était confié aux commissions elles-mêmes,un appel devrait être organisé soit devant le jugejudiciaire – ce qui risquerait cependant d’êtreperçu comme une atteinte à la séparation despouvoirs – soit, pour éviter cet obstacle, devantle Conseil constitutionnel.

Enfin, l’interdiction faite au Parlement de dili-genter des commissions d’enquête sur les affairesfaisant l’objet d’une instance judiciaire, inter-diction que rien ne justifie, devrait être levée.

3.8. Renforcer les liens entre le Parlement etles institutions d’études et de contrôle

Afin d’améliorer sa connaissance de l’actionadministrative, le Parlement devrait tout d’abordpouvoir avoir recours aux capacités d’expertisedu secteur privé. Puisqu’une commission d’en-quête annuelle sur l’efficacité des services ren-dus par la Poste ou la SNCF n’est pas envisa-

l’expérimentation. Si l’évaluation montre queles résultats sont mauvais ou trop coûteux, lesadaptations ou le retour en arrière seront plus facilesà mettre en œuvre si l’application de la loi ad’abord été limitée à une région, un départe-ment ou un secteur.

3.7. Ouvrir les commissions d’enquête àl’opposition et renforcer leurs prérogatives

Afin de permettre à l’opposition, dans chaque assem-blée, d’exercer les prérogatives de contrôle aux-quelles elle tient parfois davantage que la majo-rité, l’ordonnance du 17 novembre 1958 devraitêtre modifiée pour permettre la constitution decommissions d’enquête à l’initiative des groupesparlementaires. À titre d’exemple, la possibilitéactuellement ouverte à chaque groupe de pro-poser un sujet d’enquête par an devrait être trans-formée en un véritable droit d’initiative ouvertaux groupes de l’opposition. Afin d’éviter que l’op-position ne se livre à des tactiques d’obstructionpréjudiciables au bon fonctionnement duParlement, ce droit devrait être limité (par exemple,une commission par groupe et par an).

Les commissions devraient en outre, lorsque deséléments particuliers le justifient, pouvoir deman-der leur prolongation à la conférence des prési-dents des groupes parlementaires.

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liorer l’information du Parlement, l’ensembledes constatations définitives de la Cour, dans samission de contrôle de la gestion des organismespublics, devrait être transmis aux commissionsparlementaires compétentes.

3.9. Rendre toute sa légitimité au Sénat dansle cadre de missions mieux définies

Le Sénat ne pourra retrouver sa légitimité que sile rôle particulier qui est le sien est mieux iden-tifié et si les modalités de la désignation des séna-teurs et du fonctionnement de la Haute assem-blée sont mises en cohérence avec sa mission.

Le rôle du Sénat n’est assurément pas d’assurerune représentation purement démographique. C’estl’Assemblée nationale qui est chargée de ce rôle ;c’est pourquoi elle a le dernier mot dans la navettelégislative. Il serait inutile d’avoir deux Chambressi elles devaient incarner toutes les deux le mêmeprincipe.

Le rôle particulier du Sénat est double. En pre-mier lieu, il garantit une représentation de tousles territoires dans le processus législatif, y com-pris les zones rurales et les régions peu peuplées.Sans faire obstacle à la légitimité du nombreincarnée par l’Assemblée nationale, il la tem-père par celle de la terre. Ce faisant, il ne pro-

geable, les deux assemblées pourraient du moinsdemander à un cabinet d’audit de procéder àdes contrôles réguliers des principaux servicespublics et de lui signaler les dysfonctionnements.

Par ailleurs, les services d’étude et de recherchede l’État sont assez abondants – voire redon-dants – pour que l’on puisse envisager, sansréduire les capacités d’expertise de l’exécutif etsans créer de structures nouvelles, de mettre cer-tains de ces services à la disposition des parle-mentaires. À titre d’exemple, le Commissariatau Plan, qui sert désormais de bureau d’étudesgénéraliste, pourrait être rattaché à l’Assembléenationale. La DATAR, vu sa spécialisation dansles questions territoriales, pourrait être mise à ladisposition du Sénat. Ces deux institutions, dontles compétences empiètent largement sur cellesd’autres services gouvernementaux, trouveraientdans ce rattachement une nouvelle justification.

Dans le même temps, les liens entre le Parlementet la Cour des comptes devraient être renforcés.Il ne peut s’agir, en l’espèce, d’un rattachementinstitutionnel. La Cour des comptes est avanttout une juridiction : elle doit rester indépen-dante dans ses décisions et même dans son pro-gramme de travail (ce qui ne l’empêche d’ailleurspas, sur ce dernier point, de consulter le Parlementpour connaître ses propres priorités et décider,ou non, de les retenir). En revanche, afin d’amé-

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Cependant, le rôle de représentation des territoiresne pourra être réellement rempli que si cettereprésentation paraît équilibrée au regard de larépartition de la population, des compétences etdes budgets entre les différents types de collec-tivités. C’est loin d’être le cas aujourd’hui, du faitde la prépondérance aujourd’hui écrasante, dansle corps électoral sénatorial, des représentantsdes petites communes. Une double réforme doitdonc être engagée :■ tout d’abord, un rééquilibrage démographique.Il est indispensable, pour rétablir la représenta-tivité du Sénat, que le nombre des grands élec-teurs désignés par les communes grandes etmoyennes soit renforcé par rapport aux repré-sentants des petites communes.■ mais surtout, un rééquilibrage entre types decollectivités, afin d’augmenter la représentationdes régions et départements. Cela pourrait êtrefait en prévoyant la désignation directe d’unsénateur par chaque conseil général et chaqueconseil régional, les autres sénateurs restant éluspar des grands électeurs désignés par les seulescommunes. Il pourrait même être prévu que lesprésidents de conseils généraux et régionauxdeviennent automatiquement sénateurs.

Dans le même temps, afin de conforter sa fonc-tion de représentant des collectivités territoriales,le Sénat devrait développer d’autres missions liéesà cette fonction. Il pourrait ainsi évaluer, et par-

tège pas seulement les intérêts des populationsrurales, mais aussi la cohésion du territoire et lacontinuité entre les générations (la plus grandepartie de la population urbaine conservant unattachement à certains territoires ruraux).

En second lieu, la mission de la Chambre hauteest d’introduire dans le processus législatif, indé-pendamment des majorités du jour, la garantied’une plus grande indépendance du Parlementface au gouvernement. Contrairement à l’Assembléenationale, le Sénat ne peut pas être menacé dedissolution. Il n’est donc pas possible d’intimi-der les sénateurs et de les contraindre à votercontre leurs convictions. Cette garantie leurdonne plus de sérénité; elle leur permet de consa-crer moins d’énergie à négocier avec l’exécutif,davantage au travail législatif lui-même.

En contrepartie de cette plus grande indépendanceet d’une représentation démographique impar-faite, le Sénat doit accepter que la Chambre basse,si le gouvernement en décide ainsi, ait le derniermot en cas de conflit. C’est pourquoi, du reste,il y a une grande hypocrisie à dénoncer les “blo-cages” du Sénat, qui est un contre-pouvoir bienplus qu’un pouvoir : sauf pour les lois organiquesrelatives à ses compétences et à sa composition,le Gouvernement et l’Assemblée nationale peu-vent toujours, s’ils le souhaitent, passer outreces “blocages”.

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fois engager, des expérimentations institution-nelles ou de gestion dans les collectivités locales.Il peut également servir de cadre privilégié pourdes négociations globales entre État et collecti-vités décentralisées, sur le modèle des pactes alle-mands entre Bund et Länder sur le partage de laresponsabilité des déficits publics. Les prochainesannées, au cours desquelles la nécessité de redres-ser les comptes publics exigera que les collecti-vités locales participent plus largement aux effortseffectués jusqu’ici par le seul État, pourraientainsi voir le Sénat devenir un intermédiaire etune enceinte de négociation sur le partage des ajus-tements entre les différentes collectivités.

Enfin, après le raccourcissement de la durée dumandat présidentiel, celle du mandat des séna-teurs paraît indispensable pour raccourcir le filtrop distendu qui sépare les sénateurs de leursélecteurs. Un alignement sur la durée des man-dats locaux – soit six ans – devrait ainsi être envi-sagé. Afin de conserver au Sénat une plus grandestabilité qu’à l’Assemblée nationale, le renou-vellement pourrait rester partiel (par moitié tousles trois ans par exemple).

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ANNEXES

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Imprimé en FranceDépôt légal : en cours

ISBN : en coursAchevé d’imprimer en septembre 2002