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Anais GRETRY (1) Doctorante, HEC-Ulg, Liège Céline BRANDT (2) Chargée de cours adjoint, HEC-Ulg, Liège Cécile DELCOURT (3) Chargée de cours adjoint, HEC-Ulg, Liège 73 REVUE FRANÇAISE DU MARKETING - Avril 2013 - N° 241 - 1/5 Dans le contexte actuel de mondialisation, la turbulence des marchés engendre une concurrence crois- sante entre les entreprises. En vue d’assurer leur pérennité, il devient essentiel pour les organisations d’avoir recours à la veille stratégique et, particulièrement, la veille concurrentielle à savoir le processus par lequel les organisations collectent des informations sur l’environnement concurrentiel (Wright, Eid et Fleisher, 2009, p. 942). Le processus de veille stratégique comprend quatre étapes : (a) planification et ciblage, (b) collecte des données, (c) analyse des données, (d) communication (Dishman, Calof, 2008). Ces différentes étapes sont implémentées dans la plupart des grandes entreprises. Mais qu’en est-il des PME qui constituent la majeure partie de notre tissu économique et ne disposent pas des mêmes moyens? Les objectifs de la présente recherche sont l’accroissement des connaissances en matière de veille straté- gique et l’amélioration des pratiques de veille au sein des PME. Dans ce but, nous visons une meilleure com- préhension de l’effet des variables de contexte sur le processus de veille et, plus particulièrement, l’impact de la structure formelle, l’implication du personnel et la culture organisationnelle sur le processus de veille stratégique. À ce titre, 81 dirigeants de PME wallonnes ont été interrogés sur le processus de veille mis en place au sein de leur société. On constate dans cette première étude belge sur la veille que la plupart des PME wal- lonnes n’ont pas recours à un processus de veille stratégique. Ensuite, concernant l’impact du contexte orga- nisationnel sur le processus de veille, nous avons démontré qu’une structure formelle, l’implication du per- sonnel ainsi qu’une culture d’entreprise tournée vers la veille stratégique améliorent le processus. Enfin, les entreprises de taille moyenne et les PME orientées vers l’innovation ont davantage recours à la veille straté- gique que les petites entreprises ou celles ayant opté pour une stratégie d’imitation. Nous clôturons cette étude par plusieurs recommandations aux gestionnaires de PME. Résumé Mots clés : Veille stratégique - Intelligence stratégique - Contexte organisationnel - Wallonie - PME. BILAN DES PRATIQUES DE VEILLE STRATÉGIQUE AU SEIN DES PME WALLONNES (1) Courriel : [email protected] (2) Courriel : [email protected] (3) Courriel : [email protected]

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Page 1: Anais GRETRY(1) Doctorante, HEC-Ulg, Liège Céline BRANDT(2

Anais GRETRY(1)

Doctorante,HEC-Ulg, Liège

Céline BRANDT(2)

Chargée de cours adjoint, HEC-Ulg, Liège

Cécile DELCOURT(3)

Chargée de cours adjoint,HEC-Ulg, Liège

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REVUE FRANÇAISE DU MARKETING - Avril 2013 - N° 241 - 1/5

Dans le contexte actuel de mondialisation, la turbulence des marchés engendre une concurrence crois-sante entre les entreprises. En vue d’assurer leur pérennité, il devient essentiel pour les organisations d’avoirrecours à la veille stratégique et, particulièrement, la veille concurrentielle à savoir le processus par lequel lesorganisations collectent des informations sur l’environnement concurrentiel (Wright, Eid et Fleisher, 2009, p.942). Le processus de veille stratégique comprend quatre étapes : (a) planification et ciblage, (b) collecte desdonnées, (c) analyse des données, (d) communication (Dishman, Calof, 2008). Ces différentes étapes sontimplémentées dans la plupart des grandes entreprises. Mais qu’en est-il des PME qui constituent la majeurepartie de notre tissu économique et ne disposent pas des mêmes moyens?

Les objectifs de la présente recherche sont l’accroissement des connaissances en matière de veille straté-gique et l’amélioration des pratiques de veille au sein des PME. Dans ce but, nous visons une meilleure com-préhension de l’effet des variables de contexte sur le processus de veille et, plus particulièrement, l’impact de lastructure formelle, l’implication du personnel et la culture organisationnelle sur le processus de veille stratégique.

À ce titre, 81 dirigeants de PME wallonnes ont été interrogés sur le processus de veille mis en place ausein de leur société. On constate dans cette première étude belge sur la veille que la plupart des PME wal-lonnes n’ont pas recours à un processus de veille stratégique. Ensuite, concernant l’impact du contexte orga-nisationnel sur le processus de veille, nous avons démontré qu’une structure formelle, l’implication du per-sonnel ainsi qu’une culture d’entreprise tournée vers la veille stratégique améliorent le processus. Enfin, lesentreprises de taille moyenne et les PME orientées vers l’innovation ont davantage recours à la veille straté-gique que les petites entreprises ou celles ayant opté pour une stratégie d’imitation. Nous clôturons cetteétude par plusieurs recommandations aux gestionnaires de PME.

Résumé

Mots clés : Veille stratégique - Intelligence stratégique - Contexte organisationnel - Wallonie - PME.

BILAN DES PRATIQUES

DE VEILLE STRATÉGIQUE

AU SEIN DES PME

WALLONNES

(1)Courriel : [email protected]

(2)Courriel : [email protected]

(3)Courriel : [email protected]

Page 2: Anais GRETRY(1) Doctorante, HEC-Ulg, Liège Céline BRANDT(2

ADETEM

INTRODUCTION

Contexte

De nos jours, les PME constituent la majeurepartie du tissu économique et son principal moteurde croissance. Contrairement aux grandes entre-prises, les liens territoriaux et – par conséquentnationaux – que les PME tissent, les positionnent enacteurs clés dans le développement économique. Iln'est donc pas surprenant qu'elles soient au cœurdes préoccupations scientifiques et publiques, enparticulier en ce qui concerne la façon de mainteniret de stimuler leur croissance (Edwards, Delbridge etMunday, 2005 ; O'Regan, Ghobadian, Gallear, 2006 ;Salles, 2006).

L’environnement concurrentiel dans lequel lesentreprises évoluent est de plus en plus caractérisé

par des concurrents expérimentés opérant dans unmarché mondial complexe et incertain (Heinrichs,Lim, 2008). D'une part, la mondialisation deséchanges combinée aux gains en compétitivité despays émergents contribue à une concurrence inter-nationale féroce. D'autre part, le développement del'internet donne lieu à une nouvelle dynamique dela demande, ainsi qu’à une surabondance de l’infor-mation, voire une désinformation (Lepère, 2010).Dans ce climat économique, il devient essentiel pourles entreprises de créer et de maintenir un avantageconcurrentiel, en particulier pour les PME qui appa-raissent comme étant plus vulnérables. La veille stra-tégique peut contribuer en ce sens en permettantaux managers de mieux discerner et, ainsi, d’appré-hender les changements de l’environnement concur-rentiel.

Employant près de 80% des travailleurs en

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In this increasingly turbulent, global and competitive context, it becomes critical for companies to crea-te and sustain a competitive advantage. Competitive Intelligence (CI), defined as « the process by which orga-nizations gather information on competitors and the competitive environment […] » (Wright and al., 2009,p. 942), can contribute to do so by enabling managers to be aware of and respond to changes in their com-petitive environment. The CI process includes four steps : (a) planning and focus, (b) data collection, (c)data analysis, (d) communication (Dishman, Calof, 2008).

First, this paper assesses the level of deployment of CI among Walloon SMEs. For that purpose, wedecided to base our research on the CI process model proposed by Dishman and Calof (2008). Second, itexamines the influence of the context variables on the CI process. A questionnaire was distributed to 423Walloon SMEs’ executives, of whom 81 answered. SMEs’ executives were surveyed about their company’sCI practices as well as their perception of their company’s formal structure, employee involvement and orga-nizational awareness.

We found that Walloon SMEs are not very active to conduct CI effectively. Indeed, while Walloon SMEshave recognized that, theoretically, CI is a necessary activity for maintaining a competitive advantage; inpractice, most of them do not have yet a well-established CI process in their company. Then, we establi-shed the influence of the context in which CI takes place on the success of the CI process. Specifically, wesupported that better formal structure, employee involvement and organizational awareness improve the CIprocess. Finally, we examined the impact of two extra potential antecedents, namely the innovation orien-tation and the company’s size. We found that innovation-oriented companies tend to exploit CI more thanfollowers-oriented ones. The results lead to several recommendations for SMEs.

Key wor ds : Competitive Intelligence - Strategic Intelligence - Organizational context - Wallonia - SME.

HOW DOES THE ORGANIZATIONAL CONTEXT INFLUENCE THE COMPETITIVEINTELLIGENCE PROCESS AMONG WALLOON SMES?

Abstract

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Bilan des pratiques de veille stratégique au sein des PME wallonesAnais Gretry, Céline Brandt, Cécile Delcourt

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Wallonie (Service Public de Wallonie, 2010), les PMEwallonnes ont une place considérable dans l’écono-mie belge. C’est pourquoi divers plans d'action ontété entrepris afin de surveiller la croissance de cesPME wallonnes. En effet, le « Plan Marshall 1.0 »(2005) et « Plan Marshall 2.Vert » (2009) mettent l’ac-cent sur l’innovation au sein des entreprises afinqu’elles puissent développer un avantage concur-rentiel durable. Alors que certaines grandes entre-prises pratiquent la veille stratégique depuis long-temps, la situation est différente pour les PME quimanquent souvent de temps et/ou de ressourcespour mettre en œuvre ce processus de veille(Agence de Stimulation Économique, 2009). Enconclusion, le tissu économique wallon se composeprincipalement de PME qui ne maîtrisent pas suffi-samment les outils de la veille stratégique pour leurcompétitivité et leur survie. Ce concept de veille stra-tégique, relativement nouveau, semble abstrait etencore méconnu en Région wallonne (Agence deStimulation Économique, 2009).

D’un point de vue managérial, notre étude apour objet de faire le bilan des pratiques de veillestratégique au sein des PME wallonnes et d’endéduire des recommandations. Cette étude vise éga-lement à l’amélioration des pratiques de veille grâceà une meilleure compréhension de l’impact desvariables de contexte sur le processus de veille stra-tégique. D’un point de vue académique, cette études’efforce de tester le modèle de Dishman et Calof(2008) et, ce, dans le contexte wallon. De plus, cetterecherche établit une relation supplémentaire entreles variables contextuelles (à savoir la structure for-melle, l’implication du personnel ainsi que la cultu-re organisationnelle) et le processus de veille straté-gique.

Cet article est structuré de la manière suivante :dans un premier temps, la revue de littérature pré-sente le processus de veille stratégique, les variablescontextuelles ainsi que le cas de l’économie wallon-ne. Dans la deuxième partie, les hypothèses sont for-mulées et testées. La troisième partie présente laméthodologie de recherche et les résultats. La qua-trième partie discute des implications théoriques etmanagériales ; les limitations de l’étude sont énumé-rées et des suggestions de recherches futures sontavancées.

Revue de la littérature

Dans le cadre de notre recherche, nous adop-terons la récente définition de la veille stratégiqueproposée par Wright, Eid et Fleisher (2009, p.942), àsavoir le « processus par lequel les organisations col-lectent des informations sur les concurrents et l’envi-ronnement concurrentiel ». Par ailleurs, la veille stra-tégique de l'environnement de l'entreprise supposeune veille au niveau économique, concurrentiel,commercial, technologique, social, culturel et poli-tique (Antoine, 1992).

Le modèle du processus de veille stratégique

De nos jours, peu de PME ont recours à un pro-cessus de veille stratégique et, pour celles qui l’utili-sent, leurs pratiques sont souvent sporadiques, nonsystématiques et peu formalisées (Bégin, Deschampset Madinier, 2008). Alors que dans le passé, la miseen œuvre d'une approche rudimentaire et peu sys-tématique était suffisante, ce n'est plus le cas aujour-d'hui sur les marchés mondiaux de plus en pluscomplexes, concurrentiels et en mutation permanen-te (De Pelsmacker, Muller, Viviers, Saayman, Cuyverset Jegers, 2005). Suite aux modifications de l’envi-ronnement économique, divers modèles concernantle processus de veille stratégique ont été proposéspar de nombreux auteurs (Kahaner, 1996 ; Wright,Roy, 1999 ; Fitzpatrick, Burke, 2003 ; Dishman,Calof, 2008). Ils insistent sur le fait que la veille stra-tégique ne doit pas être reléguée à une unique zone,division ou unité de l’entreprise. Au contraire, celle-ci devrait apparaître dans toutes les facettes du busi-ness de l’entreprise comme un processus connectantdes activités disparates entre elles (Kahaner, 1996 ;Calof, Wright, 2008). Récemment, Dishman et Calof(2008) ont proposé un modèle détaillé du processusde veille (Schéma 1), modèle que nous allons adop-ter et compléter dans cet article.

Ce modèle décompose le processus de veillestratégique en cinq étapes distinctes à savoir la pla-nification et le ciblage, la collecte des données, l'ana-lyse des données, la communication et, enfin, ladécision. De plus, ce modèle met en lumière l'im-pact direct de l'infrastructure formelle, de l’implica-tion du personnel ainsi que de la culture organisa-tionnelle sur les différentes étapes.

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ADETEM

L’Intelligence Stratégique en Wallonie

Si l’intelligence économique est un conceptbien abouti en France (en témoignent les pro-grammes académiques de l’École de Guerre Écono-mique, Skema ou la chaire de Paris Dauphine), sonhomologue belge, l'intelligence stratégique, est unconcept récent introduit par le Professeur Quévit(4)

(2006) et développé essentiellement par l'Agence deStimulation Économique (ASE), une équipe pluridis-ciplinaire créée par le gouvernement wallon dans lecadre du Plan Marshall 2.vert (2009), chargée destructurer et de coordonner l'animation du dévelop-pement économique en Wallonie. Le concept d’in-telligence stratégique découle de la notion d'intelli-gence économique et porte sur trois axes : la veillestratégique (e.g., acquisition d’information straté-gique pertinente), l’influence (e.g., actions de lob-bying) et la protection de l’information (e.g., pro-priété intellectuelle). Si la région wallonne insiste surl’importance du concept, les bonnes pratiques quien découlent et, notamment, la veille stratégique,semblent encore méconnues par la plupart desacteurs de l’économie wallonne, à savoir les PME.

Le tissu économique wallon est majoritairementcomposé d'entreprises de 5 à 19 travailleurs (79%)(Agence Wallonne des Télécommunications, 2006).On constate que ces petites entreprises éprouventdes difficultés à mobiliser les moyens financiers et le

temps nécessaire pour mettre en place un systèmede veille. De plus, concernant le secteur d’activitédes PME, nous constatons que certains secteurs telsque la construction (19%) et le commerce de détail(17%) sont beaucoup mieux représentés que d'autres(annexes 1 et 2).

NOTRE ÉTUDE

Comme susmentionné, l’intelligence straté-gique repose sur trois piliers (i.e., la veille straté-gique, l’influence et la protection de l’information).Dans le cadre de notre étude, nous investiguonsessentiellement le premier pilier « veille stratégique »étant donné son rôle majeur dans le processus déci-sionnel stratégique (Dishman et Calof, 2008).

Cette étude vise à (a) évaluer le niveau d’im-plémentation de la veille stratégique au sein desPME wallonnes et (b) étudier l’impact du contexteorganisationnel sur le processus de veille. Sur la basedu modèle de Dishman et Calof (2008) présenté ci-dessus, nous allons mesurer la relation entre lesvariables contextuelles (à savoir la formalisation dela structure, l’implication du personnel et la cultureorganisationnelle) et le processus de veille straté-

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Competitive Intelligence Process and Structure

- Formal Infrastructure - Employee Involvement

Planning andFocus

Collection Analysis Communication Decision

- Existence of CI- Focus of CI

- Source Variety- CTI Collection- Secondary as Primary

- CTI Analysis- Competitive Analysis- Advanced Analytical Techniques

Organizational Awareness and Culture

Schéma 1

Modèle du processus de veille stratégique proposé par Dishman & Calof (2008)

(4)Michel Quévit est professeur à l’Université catholique de Louvain,Belgique.

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Bilan des pratiques de veille stratégique au sein des PME wallonesAnais Gretry, Céline Brandt, Cécile Delcourt

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gique. Enfin, trois variables contextuelles supplé-mentaires seront étudiées, à savoir la stratégie d’in-novation, les stratégies concurrentielles de Porter(5)

et la taille de l'entreprise.

Un modèle conceptuel de l'influence du contexte organisationnel sur le processus

de veille stratégique

Les questions de recherche guidant la présenteétude sont:

(1) Les PME wallonnes respectent-elles le pro-cessus de veille stratégique ?

(2) Quelle est l'influence du contexte organisa-tionnel sur le processus de veille straté-gique?

Premièrement, l’étape de planification et cibla-ge implique un tri de l’information. En effet, un pro-cessus de collecte de données efficace ne se conten-te pas de recueillir toutes les informations possiblessur un sujet précis. Il est, au contraire, nécessaire dese concentrer sur les éléments les plus pertinents

pour les managers (Dishman, Calof, 2008). Dès lors,une première hypothèse peut être formulée:

H1. Les PME wallonnes ont recours à une phasede planification et de ciblage dans leur pro-cessus de veille stratégique.

Deuxièmement, l’étape de collecte implique larécolte d'informations brutes provenant de diversessources et à partir desquelles « l'intelligence déci-sionnelle » sera produite (Kahaner, 1996). Cette étapeconsiste principalement à scruter l’environnementconcurrentiel (Lenz, Engledow, 1986 ; Daft,Sormunen et Parks, 1988 ; Preble, Rau et Reichel,1988 ; Choo, 2001). Calof et Miller (1997) soulignentque cette activité de collecte représente près de 25%de la durée totale du processus de veille. La deuxiè-me hypothèse est donc la suivante :

H2. Les PME wallonnes ont recours à une phasede collecte de données dans leur processusde veille stratégique.

Processus de veille stratégique Contexte organisationnel

H1 Infrastructure formelle

Implication du personnel H2

Planification & Ciblage

Communication

H5

H6

Culture organisationnelle

Innovateur/Suiveur

Stratégie de Porter

Collecte

H4

H7

H8

H9

Taille de l’entreprise H10

H3 Analyse

Schéma 2

Modèle Conceptuel

(5)Pour rappel, les stratégies de Porter sont la domination par lescoûts, la différenciation et la concentration.

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ADETEM

Troisièmement, l'étape de l'analyse consiste enla transformation des données recueillies en « intelli-gence décisionnelle », à savoir l’information synthéti-sée, analysée et contextualisée révélant des ten-dances ou autres relations (Saayman et al., 2008).Cette « intelligence décisionnelle » constituera le fon-dement des décisions stratégiques et tactiques del’entreprise (Gilad, Gilad, 1985 ; Kahaner, 1996 ;Calof, Miller, 1997 ; Herring, 1998). Selon Kahaner(1996), l'analyste doit détecter les tendances etconstruire différents scénarios en fonction de ce qu'ila appris. Puisqu’il est largement admis parmi leschercheurs qu’une analyse doit être effectuée dans lecadre du processus de veille stratégique, l’hypothè-se suivante est proposée :

H3. Les PME wallonnes ont recours à une phased’analyse des données récoltées dans leurprocessus de veille stratégique.

Quatrièmement, les résultats du processus deveille stratégique doivent être diffusés auprès desdécideurs afin qu'ils puissent prendre des décisionsappropriées (Dishman, Calof, 2008). Kahaner (1996)souligne également l'importance d'une bonne com-munication des résultats de cette veille pour appuyerles décisions managériales. De plus, une communi-cation régulière contribuera à recadrer le processusde veille afin que les résultats finaux correspondentexactement à ce dont les décideurs ont réellementbesoin (Bose, 2008). Dès lors, la quatrième hypo-thèse est la suivante:

H4. Les PME wallonnes ont recours à une phasede communication et diffusion des résultatsde la veille dans leur processus de veillestratégique.

Comme l'indique le modèle, l'infrastructure for-melle et l’implication du personnel semblent influen-cer positivement l'efficience du processus de veillestratégique. En effet, la veille stratégique exige despolitiques et des procédures formelles. De cettefaçon, les employés s'impliquent et contribuent effi-cacement au processus de veille (Dishman, Calof,2008). En fait, selon Bégin, Deschamps et Madinier(2008), l'absence d'une réflexion stratégique formel-le est l'un des principaux obstacles au développe-ment des pratiques de veille stratégique au sein desPME. Ainsi, une cinquième hypothèse peut être for-mulée :

H5. La présence d'une structure formelle ausein d'une entreprise influence positive-ment le processus de veille stratégique.

Des études antérieures ont souligné le rôle fon-damental des employés dans le processus de veillestratégique. En effet, Caudron (1994) démontrequ'entre 70% et 90% de l’information pertinente pourl’entreprise est détenue par les employés qui la ras-semblent lorsqu’ils interagissent avec les fournis-seurs, les clients et autres parties prenantes de l’en-treprise. Les employés ont souvent plus d’opportu-nités de collecter et d'utiliser efficacement ces infor-mations parce qu'ils sont « proches de la source »(Choo, 2001). Dès lors, nous pouvons faire l’hypo-thèse suivante :

H6. La participation des employés influencepositivement le processus de veille straté-gique.

Afin d'optimiser les efforts de veille d'uneentreprise, Dishman et Calof (2008) recommandentfortement la présence d’une culture organisationnel-le tournée vers l’environnement concurrentiel ainsiqu’une culture de compétitivité. En effet, cette cultu-re favorise l'apprentissage organisationnel, ce quisignifie que l'entreprise augmente ses chances d’ac-croître ses connaissances grâce aux retombées deson processus de veille stratégique (Pole, Madsen etDishman, 2000).

H7. La présence d'une culture organisationnel-le tournée vers l’environnement concurren-tiel et la compétitivité influence positive-ment le processus de veille stratégique.

Comme nous l’avons déjà mentionné, l’objectifde la veille stratégique est non seulement de sur-veiller l'environnement mais, également, de pro-mouvoir l'anticipation, l'action et, surtout, l'innova-tion. En effet, l'innovation nécessite un renouvelle-ment constant de l’information concurrentielle, com-merciale, marketing ainsi que technologique(Agence de Stimulation Économique, 2009). Parconséquent, le travail de ceux qui pratiquent la veillestratégique consiste à s'assurer que l'informationatteigne le bon niveau de maturité, au bon endroit etau bon moment (Lepère, Marcoux, 2011). De ce fait,la réussite d’une innovation dépend largement de lanature et de la qualité de l'information acquise au

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cours du processus de développement du nouveauproduit ou service.

H8. Les entreprises tournées vers l’innovationont davantage recours à la veille straté-gique.

Une entreprise qui poursuit une stratégieconcurrentielle particulière, telle que la différencia-tion, la domination par les coûts ou la concentrationaura, en fonction de sa stratégie, plus ou moins ten-dance à recueillir et rassembler des informations(Miles, Snow, 1978). En effet, sur base d’une enquê-te réalisée auprès des PME de la région Rhône-Alpesen France, Larivet et Brouard (2007) ont montré queles PME qui poursuivent une stratégie de différen-ciation ont tendance à favoriser la veille stratégique.En effet, la poursuite d'une stratégie de dominationpar les coûts implique des efforts en termes de pro-ductivité du capital et de ressources humaines. Unetelle stratégie suppose une bonne connaissance desprocessus opérationnels internes. Ainsi, nous suggé-rons que la stratégie de domination par les coûts nefavorise pas la veille stratégique car elle se concentresurtout sur les processus internes. À l'inverse, la stra-tégie de différenciation est orientée vers l'environne-ment extérieur. Une entreprise qui se différencierequiert un système de surveillance afin de traquerles préférences des consommateurs, détecter les dif-férentes opportunités de différenciation et évaluerleur pertinence (Larivet, Brouard, 2007).

H9. Les entreprises qui poursuivent une straté-gie de différenciation (combinée à unestratégie de niche ou non) ont tendance àpratiquer davantage la veille stratégiqueque celles qui poursuivent une stratégie dedomination par les coûts (combinée parune stratégie de niche ou non).

Enfin, des recherches antérieures ont montréque les petites entreprises rencontrent plus de diffi-cultés dans la mise en place d’un processus de veillestratégique efficace que les grandes entreprises.Comme l'ont souligné Saayman, Pienaar et al.(2008), ceci peut être dû à la disponibilité des res-sources, notamment pour le recrutement d’employéset l’acquisition d’outils dédiés à la veille stratégique.Parallèlement, une étude à grande échelle(Communautés européennes, 2002) a examiné l'uti-lisation de la veille stratégique dans les PME euro-

péennes. Cette étude a montré que les grandesentreprises accordent plus d'importance à la gestionde l'information externe. Cette étude suggère égale-ment que le manque de ressources humaines ettechniques joue un rôle prépondérant dans la non-application des méthodes de veille. De ce fait, unedernière hypothèse peut être formulée :

H10. Les entreprises de taille moyenne ont ten-dance à pratiquer davantage la veillestratégique que les petites entreprises.

MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ET RÉSULTATS

Un questionnaire a été adressé par courrierélectronique à 423 dirigeants de PME wallonnesdont 81 ont correctement complété le formulaire. Ilsont été interrogés sur leur processus de veille et surleur perception concernant la structure formelle del’entreprise, l’implication des employés ainsi queleur culture organisationnelle.

L’échantillon est principalement constitué dePME provenant de secteurs industriels divers ainsique du service aux entreprises. On y trouve des PMEde toutes tailles, avec une certaine prédominancepour celles comptant moins de 25 employés. Nouspouvons considérer que cet échantillon est en phaseavec la configuration réelle des PME wallonnes(annexes 1 et 2).

Après que nous ayons vérifié la fiabilité et lavalidité de nos concepts théoriques, notamment viaune analyse factorielle et des coefficients alpha decronbach, des tests de Student ont été effectués afind'évaluer si les PME wallonnes appliquent les diffé-rentes étapes du processus de veille stratégique.Ensuite, une régression multiple et des tests deStudent additionnels nous ont permis de déterminerl'influence des variables contextuelles sur le proces-sus de veille et de mettre en évidence de nouvellesvariables de contexte (tableau 1 et schéma 3).

Les résultats de ces tests démontrent que lesPME wallonnes n’ont pas encore adopté les diffé-rentes phases du processus de veille (planification etciblage, collecte, analyse et communication).

Les variables étaient mesurées sur une échelle

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ADETEM

de Likert à cinq points. Comme le montre le tableau1, la moyenne de l'échantillon pour chaque étape duprocessus est significativement inférieure à 3. Nouspouvons donc conclure que les PME wallonnesn’appliquent pas les différentes étapes du processusde veille stratégique.

Concernant l'influence des variables contex-tuelles sur le processus de veille, nous observonsque la culture organisationnelle, la structure formel-le et l’implication du personnel influencent positive-

ment la phase de planification et de ciblage. Pour laphase de collecte, seules les variables structure for-melle et implication du personnel ont une influen-ce positive. Les phases d’analyse et de communica-tion sont positivement influencées par les 3 variablesde contexte : culture organisationnelle, structure for-melle et implication du personnel (tableau 2).

Par ailleurs, nos résultats démontrent que lesinnovateurs obtiennent des scores supérieurs auxsuiveurs pour chacune des étapes du processus de

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Planification et ciblageCollecteAnalyse

Communication

Moyenne

2,752,702,622,73

t

-2,45-3,19-4,09-2,48

p

0,020,000,000,02

Tableau 1

Résultats des tests de Student concernant l’applicationdes différentes étapes du processus de veille stratégique ausein de PME wallonnes.

Analyse de régressionR2 ajusté

Structure formelle

Implication du personnel

Culture organisationnelle

Tests de Student

Innovateur/Suiveur

Stratégie de Porter

Taille de l’entreprise

Planification etciblage

0,72β =0,48p=0,00β =0,24p=0,01β =0,25p=0,00

t=-2,76p=0,01t=-0,66p=0,51t=2,12p=0,04

Collecte

0,72β =0,47p=0,00β =0,40p=0,00β =0,07p=0,39

t=-3,14 p=0,00t=-1,22p=0,23t=0,79p=0,43

Analyse

0,59β =0,27p=0,02β =0,30p=0,00β =0,32p=0,00

t=-3,05 p=0,00t=-0,55p=0,58t=2,59p=0,01

Communication

0,81β =0,36p=0,00β =0,48p=0,00β =0,18p=0,01

t=-3,60p=0,00t=-0,86p=0,39t=0,35p=0,73

Tableau 2

Résultats des analyses statistiques concernant l’impact du contexte organisationnel sur lesdifférentes étapes du processus de veille

Légendes :Noir : Relations significativesGris : Relations non-significatives

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Bilan des pratiques de veille stratégique au sein des PME wallonesAnais Gretry, Céline Brandt, Cécile Delcourt

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veille. Concernant les stratégies concurrentielles dePorter, la présente étude n’a pas permis de mettre enévidence une meilleure application des étapes duprocessus de veille pour les entreprises ayant optépour la différenciation au détriment de la domina-tion par les coûts. Finalement, cette étude permet dedémontrer l’influence de la taille de l’entreprise surdeux des quatre étapes du processus de veille. Lesentreprises de taille moyenne obtiennent donc unscore supérieur aux petites entreprises pour lesétapes de planification et d’analyse.

DISCUSSION ET CONCLUSION

L’objectif de la présente recherche était triple.Premièrement, d’un point de vue académique, cetteétude visait la validation externe du modèle deDishman et Calof (2008) et son application aucontexte wallon. Deuxièmement, nous avons mesu-ré le niveau de déploiement du processus de veilledans les PME wallonnes. On constate que la plupartdes PME wallonnes n’ont pas recours à un processusde veille stratégique tel que recommandé dans les

études antérieures. Malgré la reconnaissance de laplus-value de celui-ci dans le maintien d’un avanta-ge concurrentiel, la plupart des dirigeants n’ont pasencore mis en place de processus de veille formali-sé dans leur entreprise. Troisièmement, nous avonsétabli l'impact du contexte organisationnel sur lesuccès du processus de veille stratégique et examinél'impact de trois nouveaux antécédents potentiels, àsavoir la stratégie d’innovation, les stratégies concur-rentielles de Porter et la taille de l'entreprise.

Implications théoriques

Les études antérieures suggèrent que le contex-te dans lequel se déroule la veille stratégiqueinfluence grandement le succès de son processusdans l’entreprise (De Pelsmacker et al., 2005 ;Dishman, Calof, 2008 ; Saayman et al., 2008). La pré-sente recherche soutient la théorie, confirmantqu’une meilleure structure formelle, l’implication dupersonnel ainsi qu’une culture d’entreprise tournéevers la veille stratégique améliorent son processus.Par conséquent, il est recommandé d’évaluer lecontexte dans lequel se déroule la veille stratégique

Processus de veille stratégique

Infrastructure formelle

Contexte organisationnel

Taille de l’entreprise

Stratégie de Porter

Innovateur/Suiveur

Culture organisationnelle

Implication du personnel

Collecte

Communication

Planification & Ciblage

Analyse

Structure formelle

Schéma 3

Résultats

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ADETEM

lorsqu'il s'agit de juger de la performance en veillestratégique des entreprises.

Par ailleurs, cette étude établit une relation sup-plémentaire entre les variables contextuelles et leprocessus de veille stratégique : la stratégie d’inno-vation, les stratégies concurrentielles de Porter et lataille de l'entreprise. Il en ressort que les entreprisesorientées vers l’innovation ont davantage recours àla veille stratégique que les entreprises ayant choisiune stratégie d’imitation.

En ce qui concerne les stratégies concurren-tielles de Porter, nous n'avons pas pu appuyer larecherche de Larivet et Brouard (2007) démontrantque les entreprises poursuivant une stratégie de dif-férenciation jouissaient d’un meilleur niveau deveille stratégique que celles qui avaient opté pourune stratégie de domination par les coûts. Nousexpliquons cette divergence de résultats par le faitque la stratégie de Porter ne semble pas être la typo-logie adéquate pour classer les stratégies concurren-tielles des PME. En effet, de par leur petite taille, lesPME rencontrent généralement des difficultés dans laréalisation d’économies d’échelle, et ne peuvent enconséquence pas jouer sur les coûts. Nous suppo-sons donc que la plupart des gérants ont choisi lastratégie de différenciation par élimination, alors quesouvent ils n’avaient opté pour aucune des stratégiesde Porter, privilégiant une approche de gestion àcourt terme.

Enfin, en examinant l'impact de la taille de l'en-treprise, nous avons constaté que la taille de l'entre-prise influence partiellement le succès du processusde veille stratégique. En effet, nous montrons empi-riquement que, pour les étapes de planification etd'analyse, plus la taille de l'entreprise est grande,plus leur niveau de veille stratégique est élevé.

Implications managériales

Importance de la veille

Sur base de ces résultats, nous pouvons appor-ter plusieurs recommandations aux gestionnaires.Tout d'abord, la veille stratégique représente un axede développement des plus pertinents pour lesentreprises, en particulier les PME. Cette pertinences'explique par la complexité de l'environnement, lamultiplication des changements rapides, des incerti-

tudes et des risques. La veille stratégique apparaitcomme une approche de gestion permettant auxPME d'améliorer leur performance organisationnelleet ainsi d’assurer leur survie (Agence de StimulationÉconomique, 2009).

De plus, une récente étude menée par l'ASE(2010) concernant la perception de l’intelligencestratégique dans les entreprises wallonnes confirmela nécessité pour les PME d'investir dans les activitésde veille. Cette enquête, menée auprès de plus de250 PME, montre que 66% des entreprises wallonnesméconnaissent la notion de veille stratégique. En effet,beaucoup de dirigeants de PME estiment qu'ils n'ont nile temps ni les ressources pour de telles pratiques.

Pourtant, il existe de nombreux outils gratuitset faciles d’utilisation tels qu’un abonnement à lanewsletter des concurrents, la mise en place d’alertesGoogle sur des thèmes concernant les nouvellestechnologies ou le core business de l’entreprise,l'agrégation des flux RSS ou encore l’inscription à lapage Facebook d’un concurrent pour y avoir accès.D’autres managers privilégient la participation à dessalons, l’analyse de la presse spécialisée ou la parti-cipation à des réseaux d’entreprises.

De plus, selon cette même étude réalisée parl'ASE (2010), 84% des dirigeants de PME qui ont reçuune formation en intelligence stratégique ont appor-té des changements à leur entreprise et 92% estimentque la veille stratégique devrait être enseignée auxfuturs managers.

Variables contextuelles

La structure formelle : Une veille stratégiqueactive suppose l'existence d'une réflexion straté-gique formelle, de préférence sous la forme d'uneunité dédiée à la veille stratégique. La veille straté-gique ne peut pas être simplement considéréecomme une activité de surveillance improvisée et àcourt terme. Plus précisément, la veille stratégiquedevrait plutôt être une activité régulière qui fournitde l’« intelligence décisionnelle » basée sur des infor-mations recueillies grâce à une analyse environne-mentale. Dès lors, nous recommandons aux diri-geants de PME d’intégrer leurs pratiques de veilledans une structure formelle via des réunions hebdo-madaires, une cellule de veille ou, à défaut, uneinfrastructure permettant aux employés de commu-

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niquer facilement leurs informations et leurs obser-vations sur l’environnement concurrentiel.

L’implication du personnel : Comme les résul-tats le montrent, l’implication du personnel dans leprocessus de veille n'est pas négligeable (acquisitionde l’information, rétention ou transfert de l’informa-tion). Dès lors, les PME devraient valoriser la partici-pation des employés dans ce processus afin d'opti-miser son efficacité. En effet, une main-d'œuvre sen-sibilisée engendrera probablement de meilleurs utili-sateurs et de meilleurs contributeurs à la veille stra-tégique (Saayman et al., 2008). Dans un tel contex-te, la « gestion des connaissances », à savoir la créa-tion, la capitalisation et le partage du capital deconnaissances (connaissance du produit, mais ausside l’industrie, des consommateurs, des technologies,etc.) prend toute son importance et l’expertise desemployés constitue un facteur de différenciationconcurrentiel non négligeable (Brosset-Heckel etChampagne, 2012). Dès lors, afin de s'assurer queles employés contribuent efficacement à la veillestratégique, les entreprises doivent clairement lesinformer sur le concept ainsi que sur leur rôle dansce processus de veille. À cet effet, nous recomman-dons aux PME d’utiliser des méthodes telles que desprogrammes de sensibilisation et de formation à lagestion de l’information et des connaissances.

La stratégie d'innovation : Les entreprises, etparticulièrement les entreprises innovantes, doiventréaliser l'importance de la veille stratégique.L’information recueillie et analysée suite au proces-sus de veille est à la base de toute innovation. Ladémarche de veille permet d’anticiper les futurs pro-cédés de production. La veille, et notamment laveille technologique, contribue à éveiller la créativi-té, combiner différents processus et, ainsi, stimulerl’innovation (Cocaud, Perez, 2012). Nous recom-mandons donc aux managers de surveiller active-ment leur environnement concurrentiel en collectantdes informations couvrant divers domaines tels quela concurrence, les besoins des consommateurs, lestechnologies, etc.

La culture organisationnelle : Les dirigeantsd’entreprise doivent sensibiliser leurs collaborateursà la veille stratégique et aux avantages que procu-rent ces activités. Cette sensibilisation est une condi-tion nécessaire aux décisions d'investissement etd'implantation d'activités de veille stratégique.

Lorsqu’elles sont enracinées dans la culture organi-sationnelle, les pratiques de veille sont susceptiblesde recevoir beaucoup plus de soutien et, par consé-quent, d’être mises en œuvre plus régulièrement. Siune entreprise donne la priorité aux activités deveille, ceci engendrera une meilleure participationdes employés à travers le partage et la diffusion d'in-formations. Il ressort de notre étude qu’une grandepartie des PME considère les pratiques de veillecomme essentielles pour leur survie. Toutefois, lesrésultats suggèrent que les petites entreprises se sen-tent moins concernées par le concept que les entre-prises de taille moyenne. C’est pourquoi un desobjectifs de l’ASE et de ses opérateurs, est de fournirdes formations adaptées aux dirigeants de PME, afinqu’ils sensibilisent leurs collaborateurs et créent ainsiune culture propice à la veille.

La taille de l’entreprise : Enfin, malgré le faitque nos résultats ne démontrent que partiellementqu'il existe une relation entre la taille de l'entrepriseet le niveau de veille stratégique, nous tenonscependant à insister sur le risque pour les petitesentreprises de sous-estimer l’avantage qu'elles peu-vent retirer de ces activités de veille. Le problèmedans les petites entreprises réside dans le fait que,très souvent, le chef d'entreprise s’occupe égale-ment, et lui seul, de la veille stratégique. Ceci n'estpas une situation idéale car la veille stratégiquerisque de devenir un outil réactif plutôt qu'un ins-trument prévisionnel permettant de détecter lesopportunités et menaces (Saayman et al., 2008).C’est pourquoi l’accent doit être mis sur des initia-tives de sensibilisation à l'égard des petites entre-prises vu que celles-ci apparaissent comme étant lesplus vulnérables sur le marché. Par ailleurs, entémoignent le nombre croissant d’initiatives fran-çaises, les PME ne sont pas démunies face auxgrands groupes et, ce, notamment grâce à l’apparitiondes clusters dédiés à l’intelligence stratégique qui leurpermettent désormais de « chasser en meute » alorsqu’individuellement, leur budget restreint et leurforce de frappe ne l’auraient pas permis. Il s’agitd’une veille dite « collective » visant à échanger lesdonnées techniques ou commerciales, à fédérer lesactions commerciales à l'export et à partager lesavoir-faire (Enroult, 2012).

En conclusion, le schéma 4 illustre le profil-type de PME jouissant d’une veille stratégique bienétablie.

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LIMITES ET PISTES DE RECHERCHES FUTURES

Tout d'abord, lors de l'analyse de la relationentre la stratégie concurrentielle et le niveau deveille stratégique, nous nous sommes concentrés surles stratégies génériques de Porter, en faisant l'hypo-thèse que les PME wallonnes ont, soit une stratégiede différenciation (combinée à une stratégie deconcentration ou non), soit une stratégie de domi-nation par les coûts (combinée à une stratégie deconcentration ou non). Nous n'avons pas tenucompte de la théorie de « l'Océan bleu » (Kim,Mauborgne, 2005), selon laquelle il n'y a pas systé-matiquement un compromis entre la valeur et lecoût. En effet, la stratégie « l'Océan bleu » est un nou-veau modèle d'entreprise qui consiste à créer unenouvelle demande (et ainsi un nouveau marché)plutôt que de s’imposer dans des marchés matures ethyperconcurrentiels. Par conséquent, d'autres étudespourraient être réalisées afin de mieux comprendrel'impact de la stratégie de l'entreprise sur le niveaude veille stratégique, sans la restreindre aux straté-gies génériques de Porter.

Par ailleurs, notre étude empirique a été effec-tuée dans une région spécifique d’Europe (i.e., laRégion wallonne) et demande donc à être répliquéedans d’autres régions afin d’en généraliser les résul-tats. Notons toutefois que le contexte économiquewallon dans lequel opèrent les PME (e.g., principa-lement la reconversion d’une économie basée surl’industrie en une économie basée sur les servicesmais aussi une économie basée sur un tissu impor-tant de PME) et les problèmes rencontrés par lesPME (e.g., compétition féroce, mise en place d’unprocessus de veille stratégique) sont des réalitésvécues par les PME européennes.

Enfin, cette étude s’est concentrée sur la veillestratégique, un de trois piliers de l’intelligence stra-tégique. Il serait intéressant a ̀ l’avenir que des cher-cheurs se penchent également sur les deux autrespiliers, à savoir l’influence (e.g., actions de lobbying)et la protection de l'information (e.g., propriété intel-lectuelle).

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Innovateur

Implication dupersonnel

Culture d’entreprisetournéevers

l’environnementconcurrentiel

Structureformelle

Taillemoyenne

Schéma 4

Profil-type des PME ayant activement recours aux pratiques de veille

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ANNEXE 1Répartition des PME wallonnes par taille

53%

26%

16%

4% 2%

〔 5-9〕 〔 10-19〕 〔 20-49〕 〔 50-99〕 〔 100-250〕Nombre d’employés

ANNEXE 2Répartition des PME wallonnes par secteur d'activité économique

Agriculture

Industries 1

Industries 2

Construction

Garages

Distribution

Commerce

Horeca

Transports

Finances

Immobilier

TIC

Serv. entrep.

2%

7%

11%

2%

2%

1%

8%

5%

8%

11%

7%

19%

17%

Horeca : Terme qui englobe les hôtels, les cafés et les restaurants.TIC : Technologie de l'Information et de la Communication.