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Analyse de la légitimité d’une norme : le cas de la recommandation Afep-Medef relative aux administrateurs indépendants Céline Chatelin 1 , Guillaume Garnotel 2 , Stéphane Onnée 3 , Najib Saïl 4 « Peux-tu te donner à toi-même ton bien et ton mal et suspendre ta volonté au-dessus de toi comme une loi ? Peux-tu être ton propre juge et le vengeur de ta loi ? » (Friedrich Nietzsche, « Ainsi Parlait Zarathoustra ») La prolifération de scandales financiers et boursiers au cours des années 1990 a conduit à un phénomène d’inflation normative très important avec pour objectif principal celui de restaurer la confiance des investisseurs. Il est d’ailleurs symptomatique de relever les efforts réguliers du législateur pour draper de vertus ses nouvelles créations : loi de « régulation bancaire et financière », loi de « confiance et de modernisation de l’économie », loi de « sécurité financière », loi « nouvelles régulations économiques », loi « d’initiative économique »…En matière de gouvernance d’entreprise, à ces lois successives s’ajoutent des textes issus de codes dits « éthiques » ou de « bonnes pratiques », à l’instar du Code de Gouvernement d’Entreprise des Sociétés Cotées » établi par l’Afep et le Medef à l’attention des plus grandes sociétés cotées en octobre 2008, révisé en 2010 et plus récemment en juin 2013. Une pièce essentielle figurant dans les dispositifs de gouvernance d’entreprise concerne l’ « indépendance » des administrateurs. A cet égard, la Commission Européenne a établi une Recommandation 5 , affirmant notamment que « pour garantir que la fonction de direction sera soumise à une fonction de surveillance effective et suffisamment indépendante, il conviendrait que le conseil d’administration ou de surveillance compte un nombre suffisant d’administrateurs non exécutifs ou de membres qui n’exercent aucune fonction de direction dans la société ou son groupe et qui sont indépendants, en ce qu’ils sont à l’abri de tout conflit d’intérêts important ». Cette recommandation a trouvé un écho dans le Code Afep-Medef qui a repris l’essentiel de la proposition de définition des administrateurs « indépendants » 1 Maître de Conférences HDR–Université d’Orléans – Vallorem, [email protected] 2 Enseignant-chercheur à l’INSEEC BUSINESS SCHOOL, [email protected] 3 Professeur des Universités – Université Orléans – Vallorem et Professeur-affilié à l’INSEEC BUSINESS SCHOOL, [email protected] 4 Avocat à la Cour - Barreau de Paris 5 Recommandation de la Commission Européenne du 15 février 2005 concernant le rôle des administrateurs non exécutifs et des membres du conseil de surveillance des sociétés cotées et les comités du conseil d’administration ou de surveillance.

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Analyse de la légitimité d’une norme :

le cas de la recommandation Afep-Medef relative aux administrateurs indépendants

Céline Chatelin1, Guillaume Garnotel2, Stéphane Onnée3, Najib Saïl4

« Peux-tu te donner à toi-même ton bien et ton mal et suspendre ta volonté au-dessus de toi comme une loi ? Peux-tu être ton propre juge et le vengeur de ta loi ? » (Friedrich Nietzsche, « Ainsi Parlait Zarathoustra ») La prolifération de scandales financiers et boursiers au cours des années 1990 a conduit à un phénomène d’inflation normative très important avec pour objectif principal celui de restaurer la confiance des investisseurs. Il est d’ailleurs symptomatique de relever les efforts réguliers du législateur pour draper de vertus ses nouvelles créations : loi de « régulation bancaire et financière », loi de « confiance et de modernisation de l’économie », loi de « sécurité financière », loi « nouvelles régulations économiques », loi « d’initiative économique »…En matière de gouvernance d’entreprise, à ces lois successives s’ajoutent des textes issus de codes dits « éthiques » ou de « bonnes pratiques », à l’instar du Code de Gouvernement d’Entreprise des Sociétés Cotées » établi par l’Afep et le Medef à l’attention des plus grandes sociétés cotées en octobre 2008, révisé en 2010 et plus récemment en juin 2013. Une pièce essentielle figurant dans les dispositifs de gouvernance d’entreprise concerne l’ « indépendance » des administrateurs. A cet égard, la Commission Européenne a établi une Recommandation5, affirmant notamment que « pour garantir que la fonction de direction sera soumise à une fonction de surveillance effective et suffisamment indépendante, il conviendrait que le conseil d’administration ou de surveillance compte un nombre suffisant d’administrateurs non exécutifs ou de membres qui n’exercent aucune fonction de direction dans la société ou son groupe et qui sont indépendants, en ce qu’ils sont à l’abri de tout conflit d’intérêts important ». Cette recommandation a trouvé un écho dans le Code Afep-Medef qui a repris l’essentiel de la proposition de définition des administrateurs « indépendants » 1 Maître de Conférences HDR–Université d’Orléans – Vallorem, [email protected] 2 Enseignant-chercheur à l’INSEEC BUSINESS SCHOOL, [email protected] 3 Professeur des Universités – Université Orléans – Vallorem et Professeur-affilié à l’INSEEC BUSINESS SCHOOL, [email protected] 4 Avocat à la Cour - Barreau de Paris 5 Recommandation de la Commission Européenne du 15 février 2005 concernant le rôle des administrateurs non exécutifs et des membres du conseil de surveillance des sociétés cotées et les comités du conseil d’administration ou de surveillance.

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figurant en Annexe 2 de la Recommandation de la Commission. Le Code Afep-Medef précise, par ailleurs, que « la part des administrateurs indépendants doit être de la moitié des membres du conseil dans les sociétés au capital dispersé et dépourvues d’actionnaires de contrôle » et considère que « dans les sociétés contrôlées, la part des administrateurs indépendants doit être d’au moins un tiers. » 6 En l’état actuel du droit, le législateur n’exige pas des sociétés cotées qu’elles appliquent les dispositions du Code Afep-Medef, simplement qu’elles énoncent lorsqu’elles n’y ont pas recours7, conformément au principe « comply or explain » (se conformer ou s’expliquer). Dès 2005, l’Autorité des Marchés Financiers (« AMF ») indiquait dans son rapport annuel sur le gouvernement d’entreprise que 76% des sociétés étudiées et 95% des sociétés du CAC 40 comprenaient un ou plusieurs administrateurs indépendants, ceux-ci constituant près de 46% de l’ensemble de leurs administrateurs. En 2012, l’AMF constate que 100% des sociétés du CAC 40 disposent d’administrateurs indépendants, le ratio de membres indépendants s’élevant désormais à 60% dans les sociétés du CAC 40. Dans la continuité des questionnements actuels sur la légitimité des normes de gouvernance et de leurs auteurs8, nous proposons dans cet article d’engager plus spécifiquement une réflexion critique concernant la recommandation Afep-Medef relative aux administrateurs indépendants9 en posant d’emblée que « l’intérêt pour la gouvernance d’entreprise va au-delà de l’intérêt porté par les actionnaires aux performances individuelles des entreprises car les entreprises occupent une place centrale dans nos économies et que nous nous en remettons de plus en plus à elles pour gérer notre épargne personnelle et assurer les revenus de nos retraites »10. Notre réflexion vise à évoquer les nombreuses difficultés qui entourent la notion même d’ « indépendance » des administrateurs : Existe-t-il une définition efficace et cohérente de l’indépendance des administrateurs ? Les différents textes, codes et recommandations, constituent-ils un ensemble cohérent, une « norme » juridique unifiée et lisible ? En d’autres termes nous posons ici la question de la légitimité de la norme d’indépendance de l’administrateur prévue dans le code AFEP-MEDEF de bonnes pratiques en gouvernance. 6 Code Afep-Medef, article 9. 7 Article L.225-37 du Code de commerce : « Si une société [cotée] ne se réfère pas à un [..] code de gouvernement d'entreprise, [elle] indique les règles retenues en complément des exigences requises par la loi et explique les raisons pour lesquelles [elle] a décidé de n'appliquer aucune disposition de ce code de gouvernement d'entreprise. »

8 Voir notamment l’article du député Sergio Coronado : « Code de gouvernance : la victoire du Medef », 11/07/2013, les Echos.

9 Par conséquent, notre propos se limitera dans le cadre du présent article à analyser cette recommandation dans le cadre de sociétés anonymes cotées en France, à l’exclusion, donc, de sociétés non cotées ou de sociétés relevant d’un droit étranger. 10 OCDE (2004), Principes de gouvernement d’entreprise.

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Dans une première partie, nous réalisons un examen critique de la recommandation sous un angle juridique puis sous l’angle de la finance organisationnelle. Puis, dans une deuxième partie, nous étudions dans quelle mesure les sociétés cotées appliquent la recommandation, à partir d’une analyse des documents de référence déposés auprès de l’AMF par les sociétés cotées du CAC 40 pour l’année 2012. Enfin, la troisième partie sera l’occasion d’adopter une posture plus prescriptive en déclinant plusieurs voies possibles d’amélioration de la recommandation actuellement en vigueur. 1. ANALYSE JURIDIQUE ET ORGANISATIONNELLE DE LA RECOMMANDATION AFEP-MEDEF RELATIVE AUX ADMINISTRATEURS INDEPENDANTS

La recommandation Afep-Medef relative aux administrateurs indépendants sera tout d’abord analysée en adoptant une perspective juridique puis en empruntant au cadre d’analyse de la financière organisationnelle.

1.1. ANALYSE JURIDIQUE

1.1.1. Approche du droit européen et du droit français

Dans une communication adoptée le 21 mai 2003, la Commission européenne a présenté un plan d’action intitulé « Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d’entreprise dans l’Union européenne – Un plan pour avancer ». Ce plan d’action visait notamment à renforcer les droits des actionnaires et la protection des salariés et des autres parties avec lesquelles les sociétés sont en relation, tout en améliorant la compétitivité des entreprises. Dans sa résolution du 21 avril 2004, le Parlement européen a invité la Commission à proposer des règles visant à prévenir et, le cas échéant, à éliminer les conflits d’intérêts. Le Parlement européen a souligné, en particulier, la nécessité d’exiger des sociétés cotées qu’elles disposent d’un comité d’audit, chargé notamment de contrôler l’indépendance, l’objectivité et l’efficacité des auditeurs externes. En février 2005, la Commission européenne avait émis une Recommandation11 visant à encourager, bien plus explicitement, la présence au sein de conseils d’administration, de « personnes indépendantes capables de contester les décisions de la direction », afin notamment de « protéger les intérêts des actionnaires et des autres parties prenantes ». L’ordonnance française du 8 décembre 2008, transposant la directive 2006/43/CE du 17 mai 2006, a instauré l’obligation pour les sociétés cotées de mettre en place un comité d’audit. En outre, aux termes d’un nouvel article du Code de commerce12, un membre au moins du comité d’audit doit présenter des compétences particulières en matière financière ou comptable et 11 Recommandation de la Commission Européenne du 15 février 2005 concernant le rôle des administrateurs non exécutifs et des membres du conseil de surveillance des sociétés cotées et les comités du conseil d’administration ou de surveillance. 12 Article L.823-19 du Code de commerce.

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être « indépendant » au regard des critères précisés et rendus publics par l’organe chargé de l’administration ou de la surveillance. Certains auteurs ont cru voir, à travers cette nouvelle disposition législative, la « consécration légale de la notion d’administrateur indépendant » 13. Néanmoins, la loi ne définit pas les contours de la notion d’administrateur indépendant et renvoie expressément à chaque conseil d’administration le soin de préciser les critères de l’indépendance. Tout au plus s’agit-il d’une reconnaissance légale par ricochet. Comment, dès lors, l’indépendance des administrateurs a-t-elle été définie ?

Un premier élément de définition, que nous appellerons « structurel », est lié à l’absence de tout conflit d’intérêt. La Recommandation énonce expressément que « l’indépendance devrait être comprise comme l’absence de tout conflit d’intérêt important ». Par conséquent, « un administrateur ne devrait être considéré comme indépendant que s’il n’est lié par aucune relation d’affaires, familiale ou autre – avec la société, l’actionnaire qui la contrôle ou la direction de l’une ou de l’autre – qui crée un conflit d’intérêts de nature à altérer sa capacité de jugement ». En ce sens, la Recommandation illustre cette définition structurelle en encourageant les administrateurs indépendants à conserver, en toutes circonstances, leur « indépendance d’analyse, de décision et d’action » et à exprimer clairement leur opposition dans l’hypothèse où ils estimeraient qu’une décision du conseil d’administration pourrait porter préjudice à la société.

Ce premier élément structurel a été assorti d’éléments que nous appellerons « conjoncturels », liés à un certain nombre de critères établis par la Recommandation européenne et repris par les codes de gouvernance français. L’Annexe II de la Recommandation européenne considère que « certaines circonstances sont fréquemment jugées pertinentes en ce sens qu’elles peuvent aider le conseil d’administration ou de surveillance à établir si un administrateur non exécutif […] est indépendant ou non ». Ces critères sont les suivants : a) l’administrateur non exécutif ne devrait pas être administrateur exécutif de la société ou d’une société liée ni avoir occupé une telle fonction au cours des cinq dernières années ; b) il ne devrait pas être salarié de la société ou d’une société liée, ni l’avoir été au cours des trois dernières années ; c) il ne devrait pas recevoir, ni avoir reçu, de rémunération supplémentaire importante de la société ou d’une société liée, en dehors des honoraires perçus comme administrateur non exécutif ; d) il ne devrait pas être ni représenter en aucune manière l’actionnaire ou un des actionnaires détenant une participation de contrôle ; e) il ne devrait pas entretenir, ni avoir entretenu au cours du dernier exercice, une relation d’affaires importante avec la société ou une société liée, ni directement ni en qualité d’associé, d’actionnaire, d’administrateur ou de cadre supérieur d’un organe entretenant une telle relation. Par relation d’affaires, on entend la situation d’un fournisseur important de biens ou de services (financiers, juridiques, de conseil ou de consultant) ou d’un client important de la société, ainsi que des organisations qui reçoivent des contributions importantes de la société ou de son groupe ; f) il ne devrait pas être ni avoir été au cours des trois dernières années associé ou salarié de l’auditeur externe, actuel ou précédant, de la société ou d’une société 13 Jurisclasseur Commercial, « Conseil d’administration – Statut des administrateurs » - 2009.

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liée ; g) il ne devrait pas être administrateur exécutif ou membre du directoire d’une autre société dans laquelle un administrateur exécutif ou membre du directoire de la société siège en tant qu’administrateur non exécutif ou membre du conseil de surveillance ni entretenir d’autres liens importants avec les administrateurs exécutifs ou les membres du directoire de la société du fait des fonctions occupées dans d’autres sociétés ou organes ; h) il ne devrait pas avoir siégé au conseil d’administration ou de surveillance en qualité d’administrateur non exécutif ou membre du conseil de surveillance pendant plus de trois mandats (ou pendant plus de douze ans, lorsque la législation nationale prévoit des mandats ordinaires de très courte durée) ; i) il ne devrait pas faire partie de la proche famille d’un administrateur exécutif ou d’un membre du directoire ni de personnes se trouvant dans une des situations visés aux points a) à h).

Ces critères conjoncturels sont-ils cumulatifs ? Ces critères conjoncturels sont-ils obligatoires afin de permettre à un administrateur d’être qualifié d’ « indépendant » ? A ces questions, la Commission apporte une réponse pour le moins étonnante. En effet, le texte européen considère que « la détermination de ce qui constitue l’indépendance devrait relever principalement du conseil d’administration ou de surveillance lui-même. En effet, celui-ci peut estimer que, bien que remplissant tous les critères d’indépendance retenus au niveau national, un membre donné ne peut être considéré comme indépendant en raison de circonstances propres à sa personne ou à la société, et vice versa. ». En d’autres termes, si toutes les conditions sont réunies pour affirmer qu’un administrateur est indépendant, le conseil d’administration peut considérer que l’administrateur n’est pas indépendant. Par ailleurs, si aucun critère conjoncturel n’est réuni, le conseil peut décider qu’un administrateur est indépendant !

L’on peut dès lors se demander si une norme établissant elle-même qu’elle peut ne pas être respectée peut être considérée comme une véritable norme ou si elle doit plutôt être considérée comme un simple indicateur ? Cette imprécision normative est dangereuse : elle équivaut à demander à des automobilistes de ne pas franchir la ligne continue… qu’ils devraient eux même tracer au gré de leur route !

Cette mise en scène normative, très problématique d’un point de vue juridique, a néanmoins trouvé un écho dans les deux codes de gouvernance français.

1.1.2. Approche des codes de gouvernance français

Le Code Afep-Medef adopté une approche identique à celle du droit européen. Aux termes de son article 9.4, le Code Afep-Medef prévoit sept critères conjoncturels, (Annexe 1) reflétant ainsi l’esprit de la Recommandation, en apportant en particulier une précision, à savoir que l’administrateur indépendant ne doit pas être ni représenter en aucune manière l’actionnaire ou un des actionnaires détenant une participation de plus de 10% capital ou des droits de vote.

A nouveau, l’on peut se demander si ces critères conjoncturels sont cumulatifs et s’ils sont obligatoires afin de permettre à un administrateur d’être qualifié d’ « indépendant ». A ces questions, les rapports de gouvernance français adoptent la

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même approche que celle de la Commission. L’article 9.4 du Code Afep-Medef adopte ainsi une approche parfaitement anti-normative en considérant que « le conseil d’administration peut estimer qu’un administrateur, bien que remplissant les critères ci-dess[u]s, ne doit pas être qualifié d’indépendant compte tenu de sa situation particulière ou de celle de sa société, eu égard à son actionnariat ou pour tout autre motif. Inversement, le conseil peut estimer qu’un administrateur ne remplissant pas les critères ci-dess[u]s est cependant indépendant ».

La question se pose, dès lors, de savoir si cette notion d’administrateur dit « indépendant » est juridique, et à ce titre constitue une norme légitime.

1.1.3. L’absence de « juridicité », et donc de légitimité, de la notion d’administrateur indépendant

Les principes de gouvernance d’entreprise et plus particulièrement la norme relative à la présence d’administrateurs indépendants dans les conseils d’administration peuvent-ils être considérés comme des règles de droit et des normes juridiques dont l’essence, le contenu et les critères s’imposeraient, du fait de leur légitimité, à leurs destinataires ?

L’étymologie des concepts « regula » et « norma » renvoie à l’idée d’instrument de mesure indiquant un sens, une direction, et par extension un modèle. Il est traditionnellement considéré que la sanction donne à la norme sa « juridicité ». Ainsi, lorsque l’Etat trace une ligne continue sur une route, la norme est visible et la sanction en cas de franchissement de cette ligne est inscrite dans la loi. Toutefois, le développement du droit « mou » ou « soft law », c’est-à-dire des règles incitatives et non sanctionnées, a conduit à repenser les contours de la juridicité de la norme. Ainsi, à défaut de sanction juridique, les destinataires de la norme sont tenus de respecter le principe du « appliquer ou expliquer », en détaillant les raisons pour lesquelles ils n’appliquent pas la règle. Si aucune sanction juridique n’est prévue, cette obligation d’expliquer leur non-conformité expose potentiellement les sociétés cotées à des sanctions économiques (réaction à la baisse du marché) ou à des pressions psychologique ou politique encourageant le mimétisme. A cet égard, Gallois-Cochet (2010) a considéré que « le droit mou traduirait donc simplement un changement dans la forme d’expression de la norme, l’Etat choisissant d’inciter, d’orienter les comportements, au lieu de formuler des interdictions ».

Dans cette perspective normative souple, certains auteurs ont mis en avant l’impact de l’adhésion à la norme comme élément de la juridicité : le critère de l’adhésion remplacerait le critère de la sanction (Foriers, 1971), autrement dit le critère de l’effectivité conforterait la force normative (Chatelin-Ertur et Onnée, 2009). Ainsi, à partir du moment où les comportements attendus seraient observés dans les faits, que cela soit par adhésion ou par pression normative, les codes de gouvernance d’entreprise seraient alors une norme juridique. Ainsi en serait-il de la norme relative aux administrateurs indépendants si 100% des sociétés du CAC 40 disposaient

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d’administrateurs indépendants14. Cela signifierait, si l’on suit cette analyse, qu’à partir du moment où la norme ne serait plus respectée elle ne serait plus juridique : ainsi si les entreprises (ou des automobilistes) décident que l’administrateur indépendant (ou la ligne continue) n’est pas nécessaire ou utile, alors la notion d’administrateur indépendant (ou la ligne continue) n’aura plus de valeur juridique. Or, comme l’affirmait très justement Béchillon (2010) : « une norme juridique ne cesse pas d’être juridique lorsqu’elle n’est pas respectée ». Par ailleurs, selon ce même auteur, le critère de juridicité ne serait pas tant lié à la sanction qu’au statut de l’auteur de la norme : ainsi lorsque l’Etat, ou une autorité administrative indépendante ayant reçu délégation de l’Etat, établit une règle, cette règle est automatiquement dotée de juridicité. Ainsi, le Règlement général de l’AMF a le statut de norme, non seulement parce que les sociétés cotées peuvent être sanctionnées si elles ne respectent pas ce qu’il édicte, mais surtout parce que l’Etat a habilité l’AMF à exercer un pouvoir normatif. En outre, en ce qui concerne la norme de l’AMF, l’Etat n’a pas édicté une « contre-norme » permettant aux sociétés cotées de ne pas appliquer tout ou partie du Règlement général de l’AMF en « expliquant » les raisons de leur refus.

Par conséquent, en ce qui concerne la norme relative à la présence d’administrateurs indépendants dans les conseils d’administration, la question se pose de savoir si le fait qu’elle ait été rédigée par un syndicat, le Medef, et par une association, l’Afep, confère à ce code la valeur de norme juridique. La réponse est négative pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la loi envisage expressément la possibilité d’une absence d’application des principes édictés par les codes de gouvernance puisqu’elle impose aux sociétés concernées l’obligation d’expliquer les raisons de leur éventuel refus d’appliquer les règles édictées par le code Afep-Medef. En outre, ces codes de gouvernance n’émanent pas de l’Etat ou d’une autorité administrative indépendante comme l’AMF, mais des entreprises seules. Le Président de l’AMF a d’ailleurs récemment considéré que « le code Afep-Medef a quand même quelques lacunes, il a été élaboré par les entreprises seules. Il serait bien que cet ouvrage soit remis sur le métier en associant des représentants des investisseurs. Les acteurs économiques se doivent d'être exemplaires » 15. Cette remarque fait écho aux débats parlementaires sur le sujet : un récent rapport parlementaire a relevé que « le processus d’élaboration des règles de gouvernance verrait sa légitimité confortée dans la mesure où la négociation interprofessionnelle doit permettre à l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise de participer pleinement à l’établissement du cadre de gouvernance des grandes entreprises, sujet d’intérêt éminemment commun qui doit faire l’objet d’un dialogue social renouvelé et responsable » 16. Ainsi, en l’état actuel, selon Gallois-Cochet (2010) : « si l’on définit la règle de droit par la légitimité de l’auteur de la norme, les principes de gouvernement d’entreprise ne peuvent, en tant que corpus, accéder au statut de règle de droit ».

14 AMF, Rapport 2012 sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées. 15 G. Rameix, les Echos, 4 avril 2013. 16 Assemblée Nationale – Rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’information sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises – Février 2013.

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Par ailleurs, alors que l’AMF considérait, il y a quelques mois à peine, qu’un président de conseil d’administration ne pouvait pas être considéré comme un administrateur indépendant17, le Medef a fait évoluer son Code de gouvernance à rebours de cette analyse pour énoncer qu’ « un président du conseil peut être considéré comme indépendant, si la société le justifie ». Faut-il rappeler qu’aux termes même du Code Afep-Medef, un administrateur ne peut être considéré comme « indépendant » s’il exerce une fonction, en tant que salarié ou dirigeant, au sein de la société en question ? Cette confusion normative participe à dénier le statut de règle de droit du Code Afep-Medef et par là-même la juridicité de la notion d’administrateur indépendant.

Après avoir analysé la recommandation Afep-Medef relative aux administrateurs indépendants sous un angle juridique, nous allons dans la section qui suit l’analyser sous l’angle de la finance organisationnelle.

1.2. ANALYSE SOUS L’ANGLE DE LA FINANCE ORGANISATIONNELLE

Nous réaliserons tout d’abord une analyse critique des fondements théoriques de la recommandation puis, nous proposerons une synthèse des travaux empiriques cherchant à évaluer l’efficacité de la fonction de contrôle des administrateurs indépendants.

1.2.1. Analyse critique des fondements théoriques de la recommandation

• Un ancrage théorique issu de l’approche disciplinaire de la gouvernance

Pour évaluer l’efficacité d’une recommandation, il est utile de préciser, en amont, ses fondements théoriques. A cet égard, l’approche disciplinaire de la gouvernance d’entreprise, elle-même issue de la théorie de l’agence (Jensen et Meckling 1976), est la plus indiquée pour expliquer la recommandation. En effet, la théorie de l’agence prévoit que la séparation de la propriété et de la gestion de l’entreprise renforce le potentiel d’opportunisme de la part du dirigeant, au détriment des petits actionnaires, ce qui justifie la mise en place de mécanismes visant à limiter la réalisation d’une telle possibilité. Ainsi, des mécanismes de gouvernance adaptés devraient annuler ou réduire les coûts inhérents aux conflits d’intérêts et donc, conformément à un paradigme d’efficience, maximiser la richesse des actionnaires (Charreaux, 1997).

Par la suite, les recherches en gouvernance d’entreprise se sont concentrées sur l'étude des structures organisationnelles susceptibles de maximiser la valeur de l’entreprise (Barkema et Gomez-Mejia, 1998; André et Schiehll, 2004 ; Ginglinger, 2012). Plusieurs mécanismes de gouvernance ont ainsi été étudiés, parmi lesquels le conseil d'administration, la détention d’actions par les principaux dirigeants, les paniers de rémunération incitatifs ou encore la présence d’actionnaires de contrôle. Si 17 L’AMF considérait en novembre 2012 que « le président du conseil d’administration de CNP ASSURANCES est qualifié d’indépendant « au sens du code de référence AFEP-MEDEF », ce qui n’est pas conforme au critère d’exclusion des mandataires sociaux prévu par le code ».

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nous nous intéressons plus spécifiquement aux travaux consacrés à la composition du conseil d’administration, il ressort, dans la conception disciplinaire de la gouvernance, que la question de la composition optimale du conseil d’administration renvoie à celle de la répartition optimale des administrateurs selon leur affiliation directe aux actionnaires (administrateur indépendant) ou aux dirigeants (administrateur non-indépendant). Les administrateurs indépendants sont ici considérés comme des arbitres professionnels capables d’évaluer la performance des managers, de déterminer leurs rémunérations et de les révoquer le cas échéant (Weisbach, 1988 ; Core, Holthausen et Larker, 1999). Les administrateurs non indépendants, pour leur part, peuvent ne pas soutenir la même stratégie de création de valeur qu’un administrateur indépendant de par les liens de subordination qu’ils pourraient entretenir avec le dirigeant. La conception disciplinaire de la gouvernance justifie alors l’intégration d’une majorité d’administrateurs indépendants dans le conseil du fait du contrôle que réaliseront les administrateurs indépendants sur les décisions managériales.

• Une application incomplète de l’approche disciplinaire

Comme le souligne Charreaux (1997), le conseil d’administration n’est qu’un mécanisme particulier du système de gouvernance, il intervient soit de façon complémentaire, soit par substitution à d’autres mécanismes de gouvernance. Ainsi, plus le capital de l’entreprise est dilué entre de nombreux actionnaires, plus l’activité de contrôle de la part du conseil d’administration devrait, toutes choses égales par ailleurs, être forte. Inversement, en cas de contrôle d’un actionnaire majoritaire, l’activité de contrôle du conseil d’administration devrait être plus faible. C’est en ce sens que les pourcentages d’administrateurs indépendants dans la recommandation, fixés à 33% en présence d’un actionnaire majoritaire, et à 50% en l’absence d’un actionnaire majoritaire, trouvent qualitativement un fondement théorique dans le cadre de l’approche disciplinaire.

Toutefois, le fait de ne pas considérer l’intégralité des mécanismes de gouvernance en vigueur dans une entreprise particulière, au-delà du seul contrôle par un actionnaire majoritaire, pose problème quant à la légitimité des seuils fixés. En effet, une entreprise, pour répondre efficacement à son problème d’agence entre actionnaires et dirigeants, peut mettre en place, ou subir, différents mécanismes de gouvernance sans avoir à intégrer une majorité d’administrateurs indépendants dans son conseil. A titre d’illustration, la théorie financière a déjà bien établi que l’endettement était un mécanisme de discipline efficace sur le dirigeant de par les pressions exercées par le service de la dette (Jensen et Meckling, 1976 ; Myers, 1977). Pourquoi dès lors, deux entreprises semblables en tout point excepté sur celui de leur niveau d’endettement devraient-elles avoir une égale proportion d’administrateurs indépendants dans leur conseil (admettons 50%) alors même que l’entreprise endettée a déjà résolu tout ou partie de son conflit d’agence ?

De façon analogue, depuis l’article inaugural de Jensen et Meckling (1976), de nombreuses recherches sur le thème de la gouvernance d’entreprise ont fait apparaître différents facteurs susceptibles d’amplifier les asymétries informationnelles et les coûts d’agence entre actionnaires et dirigeants : les opportunités de croissance de

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l’entreprise, la taille de l’entreprise ou encore l’imprévisibilité de l’environnement de l’entreprise (Core, Guay et Larcker, 2003). Ces différents facteurs suggèrent, dans une approche strictement disciplinaire, un renforcement des mécanismes de gouvernance pouvant induire une augmentation du pourcentage optimal d’administrateurs indépendants dans le conseil. Pourtant, ces facteurs ne sont pas considérés dans l’établissement des seuils issus de la recommandation, cette dernière n’intégrant que la seule dispersion du capital. Ce raisonnement soulève la question suivante : Pourquoi deux entreprises évoluant dans des contextes informationnels différents et générant des asymétries informationnelles entre actionnaires et dirigeants différentes devraient-elles avoir une proportion semblable d’administrateurs indépendants dans le conseil d’administration ?

Le fait de ne pas considérer, de façon globale, les différents mécanismes de gouvernance en vigueur dans une entreprise et la diversité des contextes informationnels dans lesquels évoluent les entreprises affaiblit structurellement la légitimité de la recommandation.

• L’affaiblissement de la figure de l’administrateur indépendant

L’ancrage disciplinaire de la gouvernance n’est pas le seul capable d’expliquer les formes organisationnelles. Un ancrage cognitif et comportemental de la gouvernance d’entreprise (Charreaux, 2000 ; Charreaux et Wirtz, 2006), également basé sur un paradigme d’efficience, peut aussi servir de point d’appui théorique et ce faisant nuancer les bénéfices présumés liés à une majorité d’administrateurs indépendants dans le conseil.

En effet, l’ancrage cognitif et comportemental apporte une autre justification du conseil d’administration dont le rôle serait, au-delà de la fonction de contrôle, de concourir au développement de compétences et de participer à la construction de nouvelles visions stratégiques. Une telle perspective aboutit inévitablement à des prescriptions différentes que celles issues de la conception disciplinaire. Ainsi en est-il de l’interrogation relative à la proportion optimale d’administrateurs indépendants dans le conseil. En effet, dans la conception cognitive et comportemental, le conseil devrait être composé d’administrateurs participant au processus de création de compétences dynamiques, lesquelles aideront le dirigeant à concevoir une vision facilitant l’apprentissage organisationnel et qui permettront, in fine, à l’entreprise de créer un avantage concurrentiel. Dans cette approche, les qualités essentielles des administrateurs ne sont donc plus analysées en termes d’indépendance et de contrôle, mais en fonction des contributions cognitives et comportementales qu’ils sont susceptibles d’apporter dans le cadre d’un projet collectif. À ce titre, le critère de diversité des compétences au sein d’un conseil prime sur le critère d’indépendance des administrateurs.

Il résulte de cette analyse qu’à moins d’adhérer pleinement à la conception disciplinaire de la gouvernance, ce qui revient à considérer, a-priori, que les coûts cognitifs (mis en évidence par l’approche cognitive) sont nuls ou à tout le moins inférieurs aux coûts d’agence (mis en évidence par l’approche disciplinaire), rien n’indique sur le plan normatif qu’une majorité d’administrateurs indépendants dans le

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conseil soit recommandée. Cette ambiguïté normative diminue, une nouvelle fois, la légitimité de la recommandation. Ce constat de l’absence de fondement théorique convaincant soulève une nouvelle question : l’administrateur indépendant est-il réellement efficace dans son activité de contrôle ?

1.2.2. L’efficacité de la fonction de contrôle des administrateurs indépendants

Les travaux académiques n’apportent pas une réponse claire à la question de l’efficacité du contrôle exercé par le conseil d’administration (Godard et Schatt, 2000). Parmi les études empiriques corroborant l’efficacité de la fonction de contrôle des administrateurs indépendants (voir notamment Berk et DeMarzo, 2011), il ressort que lorsque le nombre d’administrateurs indépendants est important, la probabilité du licenciement du directeur général en cas de mauvais résultats augmente (Weisbach,1988), les acquisitions destructrices de valeur sont moins nombreuses, les dirigeants agissent davantage dans l’intérêt des actionnaires lorsque l’entreprise est la cible d’une opération d’acquisition (Byrd et Hickman, 1992 ; Cotter, Shivdasani et Zenner, 1997) et une part plus importante de la rémunération des dirigeants est octroyée sous forme variable (Ryan et Wiggins, 2004). D’autres études empiriques ne valident pas l’efficacité de la fonction de contrôle des administrateurs indépendants. Ainsi, le lien entre les administrateurs indépendants et la qualité du contrôle n’est pas observé dans l’étude de Johnson, Daily et Ellstrand (1996). Pour Ferris, Jagannathan et Prichard (2003), il n’est également pas établi que les administrateurs indépendants aient une influence prépondérante sur les activités de contrôle, mais surtout, ils mettent en évidence que l’influence des administrateurs non-indépendants n’est pas nécessairement nulle ou négative, de par les informations qu’ils possèdent du terrain et qu’ils sont susceptibles de mobiliser pour assurer le contrôle des actions du dirigeant. Fich et Shivdasani (2006) montrent quant à eux que la valeur liée à la présence d’administrateurs indépendants est plus faible lorsque ceux-ci ont de multiples occupations et qu’ils siègent dans de nombreux conseil, fait généralement observé notamment dans le contexte français. Enfin, dans le cadre de l’évaluation de l’incidence de la composition du conseil d’administration sur la performance de l’entreprise, les résultats des études concluent généralement à une relation négative ou à une absence de relation. Ainsi, dans un contexte d’entreprises américaines, Agrawal et Knoeber (1996), Yermack (1996) et Klein (1998) notent une relation négative entre la présence d’administrateurs indépendants au conseil et la performance de l’entreprise. Bhagat et Black (2002) ont montré qu’il n’existait pas de lien statistique entre le pourcentage d’administrateurs indépendants et la performance évaluée à partir de critères comptables et financiers. Sur un échantillon récent de grandes entreprises françaises, Cavaco, Challe, Crifo, et Rebérioux (2012), ont décelé un lien négatif statistiquement significatif entre la proportion d’administrateurs indépendants dans le conseil et la performance de l’entreprise mesurée sur des critères comptables.

L’examen de ces travaux empiriques montre qu’il n’est pas établi que la mise en place d’une majorité d’administrateurs indépendants dans le conseil soit le gage d’un contrôle plus efficace des actions managériales et par suite, d’une performance subséquente plus importante. Au final, l’analyse de la recommandation du point du vue de la finance organisationnelle démontre tout à la fois l’absence de preuves

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empiriques suffisantes quant à son efficacité et l’absence de fondement théorique convaincant.

Si notre analyse de la norme relative aux administrateurs indépendants milite pour une absence de juridicité de la notion d’indépendance des administrateurs, il convient d’analyser ce qu’il en est d’un point de vue empirique. Peut-on, à ce titre, considérer que la pratique légitime a-posteriori une notion que notre analyse juridique et financière ne parvient pas à légitimer a-priori ?

2. ETUDE EMPIRIQUE

Notre étude empirique consiste en définitive à mettre en œuvre la fonction de mesure que la norme porte en elle et par conséquent, à porter un jugement sur la conformité des comportements des sociétés cotées relativement à la norme d’indépendance des administrateurs. Dit autrement, l’étude empirique de sa force normative constitue une appréciation de sa légitimité.

Après une présentation de la méthodologie, essentiellement à visée descriptive, nous présenterons les principaux éléments de compréhension de la légitimité a posteriori de la norme d’indépendance de l’administrateur (AI) dans les conseils des sociétés cotées.

2.1. METHODOLOGIE

Nous avons choisi d’observer les pratiques des sociétés cotées, principales cibles de la recommandation des référentiels normatifs en gouvernance. A cet effet, nous avons retenu les sociétés composant le principal indice boursier de la place parisienne, l’indice CAC 40.

Sont exclues de l’échantillon, les sociétés se référant au code de gouvernance du pays de rattachement du siège social autre que la France (par exemple, EADS ou GEMALTO se réfèrent au Dutch Corporate Governance Code, et Arcelor Mittal, aux 10 Principles of Governance of the Luxembourg Stock Exchange). L’échantillon final comprend 35 sociétés se référant explicitement au code AFEP-MEDEF en vigueur à la clôture de l’exercice 2012.

Tableau 1 : Description de l’échantillon

    Sociétés  Structure  CS  

    Sociétés  Structure  CA       Total  échantillon  

Répartition   6   17%   29   83%   35   100%    Taille  moyenne  

du  Conseil  12       15       14  

Nombre  moyen  d'AI    

9   8   8  

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A partir des documents de référence publiés en 2013 et portant sur l’exercice 2012, nous avons examiné quantitativement et qualitativement la composition des 35 conseils d’administration retenus avec un double objectif : 1) mesurer la conformité ou non à la norme d’indépendance et 2) examiner les arguments avancés. Ces deux objectifs reprennent le principe fondateur de la norme, respectivement Comply (objectif 1) et Explain (Objectif 2). Le tableau suivant reprend pour chaque variable examinée, le type de données collectées.

Tableau 2 : Variables étudiées et mesures de la légitimité de la norme

COMPLY Mesurer la Conformité à la norme d’indépendance de

l’administrateur

EXPLAIN Identifier les arguments

avancés

Données quantitatives Pourcentage d’administrateurs indépendants déclarés Respect OUI/NON des critères d’indépendance

Justification OUI/NON en cas de conformité et de non conformité

Données qualitatives

Curriculum vitae individuel

Eléments de conformité et de non conformité avancés dans le document de référence

Nous avons donc collecté le nombre total d’administrateurs des conseils, le nombre d’administrateurs déclarés indépendants et les arguments avancés par les sociétés pour justifier leur application ou non de la norme. Nous avons également examiné les données relatives aux curriculums des administrateurs.

2.2. RESULTATS : QUELLE LEGITIMITE DE LA NORME EN PRATIQUE ?

2.2.1. Une légitimité réduite de la norme d’indépendance des l’administrateur

Dans le tableau ci dessous, nous présentons une première série de statistiques descriptives de l’échantillon des 35 sociétés en distinguant les sociétés selon la forme de leur conseil (conseil de surveillance/CS ou conseil d’administration/CA).

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Tableau 3 : La structure du Conseil des sociétés du CAC 40 à la lumière de la norme d’indépendance des administrateurs

COMPLY   Sociétés  Structure  CS   Sociétés  Structure  CA   Total  échantillon  Entreprises  en  conformité  

2   33%   8   28%   10   29%  

Entreprises  en  non  conformité  

4   67%   18   62%   22   63%  

Mesure  de  conformité  impossible  

 -­‐     3   10%   3   9%  

     Taille  moyenne  du  

Conseil  12   15   14  

Nombre  moyen  d'administrateurs  indépendants  

9   8   8  

Pour l’ensemble de l’échantillon, nous constatons qu’une majorité d’entreprises (63%) ne se conforme pas à la norme d’indépendance telle qu’elle est définie dans le code. En outre, nous remarquons une part légèrement plus élevée de sociétés conformes dans les sociétés à conseil de surveillance que dans les sociétés à conseil d’administration. Ainsi en 2012, au sein du CAC 40, une société à conseil de surveillance sur trois est conforme à la norme d’indépendance tandis qu’un peu plus d’une société à conseil d’administration sur quatre est en conformité, étant précisé que cette seconde forme de contrôle (CA) est la plus importante dans l’indice (83%) et constitue la forme de base ciblée par le code.

Cette non-conformité constatée a posteriori pose la question de la légitimité de la norme du point de vue de la fonction d’orientation des comportements. La fonction de mesure quant à elle, facilitée par la multitude de critères conjoncturels retenus est confirmée pour 91% de l’échantillon pour lesquels l’évaluation est effectivement possible. Toutefois, pour les 9% restant de l’échantillon (soit 3 entreprises à conseil d’administration) les informations présentées dans les documents de référence ne permettent aucune mesure de conformité, seule l’affirmation du nombre d’administrateurs jugés indépendants par le conseil est fournie.

Il semble donc à la lumière de ces données que l’indépendance des administrateurs telle que définie par la norme et supposée, d’un point de vue normatif, être garante de leur liberté de jugement, n’est pas effective au titre de l’exercice 2012 pour l’échantillon d’entreprise du CAC 40. Autrement dit, l’effectivité de la norme apparaît pour le moins très relative à la fois dans sa fonction d’orientation des comportements et dans sa fonction de mesure.

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Ces premiers résultats nous conduisent à examiner plus qualitativement les arguments apportés par les sociétés pour justifier (ou non) de leur conformité (ou non) à la norme d’indépendance de l’administrateur.

2.2.2. Un concept d’indépendance à géométrie variable

Dans un premier temps, afin d’examiner le respect du principe de la justification (comply), nous avons répertorié les sociétés ne respectant pas la norme et justifiant de ce non respect. Dans le tableau 4 ci-après, nous constatons quatre groupes d’entreprises, à savoir celles qui ne respectent pas la norme et qui justifient ou non ce non respect et celles qui respectent la norme et qui précise ou non les critères retenus pour évaluer l’indépendance.

Tableau 4 : Variabilité des comportements eu égard au principe de justification en cas de (non) respect de la norme

EXPLAIN   Sociétés  Structure  

CS  

Sociétés  Structure  

CA  

Total  échantillon  

NON  CONFORMITE   4   67%   18   62%   22   63%  Non  Respect  et    justification  

3   75%   15   83%   18   82%  

Non  Respect  et  Non  justification  

1   25%   3   17%   4   18%  

CONFORMITE   2   33%   11   38%   13   37%  Respect  et  justification    

2   100%   8   73%   10   77%  

Respect  sans  justification(mesure  impossible)  

0   0%   3   27%   3   23%  

total   6   100%   29   100%   35   100%  

Dans les cas de non conformité (soit 63% de l’échantillon), plus de quatre conseils sur cinq (soit 82%) appliquent le principe de justification conformément à l’esprit d’origine (appliquer ou se justifier). Ainsi, 18% des sociétés non conformes à la norme n’apportent aucune justification. Dans les cas de conformité, il convient de souligner l’absence de justification pour trois conseils d’administration pour lesquels la mesure de conformité est donc impossible comme nous l’avons présenté dans la section précédente.

Dans un second temps, nous avons qualitativement examiné les arguments de non conformité en identifiant les facteurs que les sociétés cotées considèrent comme garants de l’indépendance de l’administrateur en dépit du non respect de la norme au regard des critères du code. Le tableau 5 restitue cet examen.

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Tableau 5 : Des critères normatifs discutés par les sociétés cotées

Arguments  de  non  conformité  

Sociétés  Structure  CS  

Sociétés  Structure  CA  

Total  sous-­‐échantillon  

4   18%   18   82%   22   100%  Durée  de  mandat  supérieure  à  12  ans  

3   75%   4   22%   7   32%  

relations  (d'affaires,  familiales)  

0   0%   5   28%   5   23%  

Durée    de  mandat  supérieure  à  12  ans  et  Relations  d'affaires  

1   25%   5   28%   6   27%  

seuils  non  atteints   0   0%   4   22%   4   18%  total   4   100%   18   100%   22   100%  

A la lecture de ce tableau, il apparaît que les critères normatifs principalement contestés sont liés à la limite de 12 ans d’exercice du mandat d’administrateur (contestation pour 32% des sociétés non conformes), ainsi que les relations d’affaires ou liens familiaux (23%). Plus d’une entreprise sur cinq conteste simultanément les deux critères précédents. La critique des seuils apparaît pour 18% des non conformistes.

En contre-arguments de ces critères contestés et non respectés, les sociétés concernées mettent en avant les facteurs garants de l’indépendance de l’administrateur qui ne respecte pas les critères de la norme comme le résume le tableau 6 ci-après. L’administrateur exerçant depuis 12 ans ou plus est considéré par les sociétés comme possédant une expertise liée à son ancienneté qui peut être pertinente dans le cas d’activités marquées par un cycle long (cas de Vinci, Air Liquide). Cette ancienneté est aussi avancée comme une marque de personnalité ou reflétant une situation personnelle ou professionnelle confortable, permettant d’exercer en toute liberté son jugement. Il en est de même lorsqu’un administrateur détient un mandat dans une filiale du groupe, cette situation est considérée comme un atout. Enfin, les écarts par rapport au seuil préconisé d’administrateurs indépendants sont présentés comme le résultat de spécificités organisationnelles (actionnariat salarié ou statuts propres dans les sociétés détenues en partie par l’Etat par exemple Renault) qui peuvent contribuer au débat sans compromettre la liberté d’expression.

D’autres arguments peuvent apparaître faibles comme par exemple la relation d’affaires qui est supposée ne pas remettre en cause l’indépendance de l’administrateur lié dès lors que la charte de déontologie le concernant lui est rappelée.

Ces constats montrent la flexibilité de la notion d’indépendance et la limite de la normativité de la recommandation associée.

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Tableau 6 : L’indépendance de l’administrateur comme concept flexible

Arguments de non conformité

Sociétés Structure CS Sociétés Structure CA

Facteurs garants de l'indépendance du point de vue des sociétés non conformes

durée de mandat supérieure à 12 ans

- Ancienneté, - Expertise, contrôle, - Non pertinent pour la

structure du CS

- Projet stratégique de long terme - Qualités personnelles assurant l'indépendance - Expertise et ancienneté - Personnalité et situation personnelle et

professionnelle

relations (d'affaires, familiales) -

- Domaine non lié - Rappel de la charte de l'administrateur - Relations jugées non significatives

Durée de mandat supérieure à 12 ans et Relations d'affaires

- Personnalité - Implication - Montants non

significatifs des affaires liées

- Expertise/ancienneté /autorité, - Déclaration par les administrateurs concernés de

leur indépendance malgré relations d'affaires - Indépendance d'esprit/expertise/autorité - Montants jugés non significatifs - investissement de long terme - Objectivité/Expertise - Source de liberté de parole - Critère durée de mandat non retenu au NYSE - Relations dont les montants sont jugés non

significatifs - Prise de recul - Administrateur filiale du groupe considéré comme

un atout

Seuils non atteints -

- Rappel des obligations prévues dans le règlement intérieur du CA

- Contribution aux débats, - Statuts spécifiques de la société : place de l’Etat et des

salariés - Situation actionnariale intermédiaire : ni dispersé ni

contrôlé

Au terme de cette deuxième partie, nous avons mis en évidence la géométrie variable de la norme à travers les comportements des entreprises relativement aux attentes inscrites dans la recommandation Afep-Medef.

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Cette analyse juridique et organisationnelle des déterminants de la légitimité de la norme d’indépendance de l’administrateur nous conduit à envisager des pistes visant à la faire évoluer. Nous chercherons notamment à montrer que les sociétés cotées vont individuellement faire évoluer la norme en l’adaptant à leurs besoins : c’est ce que nous appellerons une « légitimité sur-mesure » de la norme.

3. PROPOSITIONS POUR FAIRE EVOLUER LA NORME En adoptant une posture prescriptive, nous émettons plusieurs propositions de nature juridique puis organisationnelle, susceptibles de renforcer la juridicité de la norme d’indépendance de l’administrateur et la légitimité de son objectif normatif.

3.1. PROPOSITIONS JURIDIQUES : L’ACTION EN COMBLEMENT DE « JURIDICITE » DE LA NOTION D’ADMINISTRATEUR INDEPENDANT

Le constat d’absence de juridicité de la norme relative aux administrateurs indépendants nous conduit à discuter trois éléments : l’auteur de la norme, l’arbitre de cette norme et les éléments contra-normatifs.

L’analyse juridique a en effet montré l’absence de légitimité de l’auteur de la norme (AFEP MEDEF) qui est aussi celui visée par elle (les dirigeants des entreprises membres). Or selon nous, il est essentiel que l’auteur de la norme soit légitime afin que la norme soit efficace : c’est pour cette raison qu’il nous apparaît que seul le législateur ou une autorité administrative indépendante peut être auteur de cette norme. Par ailleurs, il est fondamental que l’arbitre de cette norme soit en mesure de situer les pratiques normatives des firmes compte tenu de leur flexibilité à l’égard de cette norme. Enfin, d’une façon plus générale, les éléments contra-normatifs qui nuisent à la juridicité de la norme relative à l’indépendance des administrateurs doivent dans l’évolution souhaitée de la norme être supprimés.

3.1.1. L’AMF, pivot de la norme

Le rapport d’information en conclusion des travaux de la mission d’information sur la transparence de la gouvernance des grandes entreprises rendu en février 2013 mettait en exergue des propositions fortes en la matière.

Ainsi, la Rapporteure avait proposé de « faire ressortir la rédaction des codes de gouvernance d’un accord interprofessionnel, négocié par les partenaires sociaux sur la base d’un document de travail préparatoire établi par l’AMF qui, à cet effet, devra consulter l’ensemble des parties prenantes (organisations représentatives des employeurs, représentants des dirigeants mandataires sociaux et des investisseurs, professionnels du droit et de l’audit, syndicats de salariés, sous-traitants).»

Selon les députés, le document établi par l’AMF aurait deux finalités : d’une part, rappeler les normes du droit positif et les stipulations des codes de gouvernance actuellement applicables aux entreprises cotées ; d’autre part, sur la base des

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recommandations contenues dans ses propres rapports, identifier des problèmes récurrents ainsi que les pistes d’amélioration de la gouvernance des grandes entreprise ; enfin, proposer un dispositif minimal susceptible de servir à l’élaboration d’un cadre de base, applicable aux sociétés cotées.

Ainsi, l’AMF, en tant qu’autorité administrative indépendante, deviendrait une clé de voûte du système normatif, à la croisée des différents intérêts en présence. En recevant de la part des entreprises cotées, de leurs organisations représentatives, mais aussi de l’IFA ou de groupes de recherche, les arguments favorables ou non à l’application d’une norme existante, cette autorité pourrait en faire évoluer le contenu et les objectifs visés. Le principe actuel du comply or explain à l’origine, pour partie, de l’absence de juridicité de la norme, constituerait le levier de réflexion permanente pilotée par l’AMF pour garantir en dynamique la juridicité de la norme. L’ensemble des critiques relatives à une norme établie, liées vraisemblablement aux spécificités sectorielles, organisationnelles ou aux finalités de la norme elle-même constitueraient le socle de réflexion permanente conférant alors à l’AMF le rôle d’arbitre de la norme, de son évolution. A l’issue du processus normatif, renouvelé autant que nécessaire, le nouveau code pourrait alors être inséré dans le Règlement général de l’AMF, dans un nouveau Livre spécifiquement dédié à cet effet.

En outre, un constat important doit être effectué : il a fallu attendre cinq années pour que le code Afep-Medef soit sérieusement actualisé, alors même que la matière évolue d’année en année. Si le Code Afep-Medef a été légèrement modifié en 2010, il a surtout été modifié en juin 2013. L’AMF ne s’y est pas trompé en constatant très récemment et à juste titre, « la mise en place de dispositifs [en matière de rémunération des dirigeants] qui ne sont pas encadrés par les dispositions du code Afep Medef » 18. Faut-il rappeler que tout l’intérêt d’un code de gouvernance établi par les entreprises consiste justement en sa capacité à être adapté aux besoins et aux pratiques des entreprises ? Une solution pourrait consister à mettre en place une mise à jour annuelle du nouveau code inséré dans le Règlement général de l’AMF. Cette mise à jour serait l’aboutissement de travaux menés conjointement par le régulateur et les différents acteurs en présence. La norme gagnerait en légitimité et en efficacité dans la mesure où l’AMF, en tant qu’arbitre normatif, pourrait constamment faire évoluer la norme. Nous pourrions imaginer une réunion annuelle, sur le modèle des colloques relatifs au bilan annuel de la Commission des sanctions de l’AMF, au cours de laquelle l’AMF pourrait présenter les différentes propositions en matière de gouvernance et les évolutions retenues.

Quelle serait la sanction en cas d’inobservation des dispositions du Code de gouvernance supervisé par l’AMF ? S’il ne serait pas opportun de sanctionner administrativement les sociétés qui ne respecteraient pas les dispositions du code de gouvernance, en revanche, en tant qu’arbitre de la norme, l’AMF pourrait se voir doter d’un pouvoir de notation.

18 AMF, Rapport 2012 sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétés cotées.

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3.1.2. L’AMF, arbitre de la norme

Doter l’AMF d’un pouvoir de notation du respect de la norme de gouvernance permettrait au marché de « situer » chaque entreprise dans le cadre normatif. Ainsi, si l’on imagine une notation simplifiée en trois crans (A, B et C dont A serait la meilleure notation), il serait facile pour un investisseur, personne physique ou morale, de situer l’entreprise en question dans le cadre normatif. La notation pourrait prendre en compte le nombre de mesures auxquelles l’entreprise se conforme et le degré d’explication fourni en cas d’inobservation de la norme. Cela signifie que la prise en compte de la situation des firmes dans leur cadre normatif est nécessaire. L’AMF serait en charge de cette évaluation in situ sur la base d’un référentiel construit en dynamique avec l’ensemble des parties prenantes abordées dans la section précédente. Ainsi, l’AMF représenterait, en sa qualité de pivot et d’arbitre de la norme, un régulateur in situ de l’application de la norme. Ceci ferait écho aux préconisations de Baghat et al (2008) selon lesquels « the most effective governance system depends on context and on firms' specific circumstances ».

3.1.3. La suppression des critères contra-normatifs relatifs à l’indépendance des administrateurs

L’article 9.4 du Code Afep-Medef adopte une approche parfaitement anti-normative en considérant que « le conseil d’administration peut estimer qu’un administrateur, bien que remplissant les critères ci-dess[u]s, ne doit pas être qualifié d’indépendant compte tenu de sa situation particulière ou de celle de sa société, eu égard à son actionnariat ou pour tout autre motif. Inversement, le conseil peut estimer qu’un administrateur ne remplissant pas les critères ci-dess[u]s est cependant indépendant ».

Nous avons vu plus haut que cette disposition, parfaitement anti-normative, est nocive quant à la mise en œuvre d’une réelle indépendance des administrateurs. Il est, dès lors, fondamental que cette disposition soit supprimée dans le cadre de l’édiction d’une norme légitime et claire, dont l’AMF serait l’arbitre.

Par ailleurs, il convient de supprimer la possibilité pour un banquier « d’affaires » ou de « financement », comme indiqué dans la version actuelle du Code Afep-Medef, de pouvoir être qualifié d’ « indépendant », quand bien même le volume d’activité de la banque en question ne serait pas « significatif », dans la mesure où il est impossible d’évaluer le rapport qu’un Groupe peut être amené à entretenir avec une banque, d’une période à une autre, d’un exercice comptable à un autre.

La difficulté de mesure des critères, le contournement des seuils fixés (ou non) par la norme nous invite à réfléchir à l’opportunité de lister les facteurs susceptibles de contribuer à la liberté de jugement des acteurs plutôt que d’en fixer les niveaux. Une latitude peut être alors laissée aux entreprises afin de se positionner ensuite sur lesdits facteurs, notamment en expliquant leur contribution à l’objectif normatif d’indépendance de l’administrateur.

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3.2. PROPOSITIONS ORGANISATIONNELLES

Nous avons mis en évidence la géométrie variable des pratiques organisationnelles vis-à-vis de la norme d’indépendance de l’administrateur eu égard aux critères de durée de mandat et de seuils fixés. (Tableaux 5 et 6). Ces résultats nous conduisent à repenser le libre arbitre de l’administrateur notamment à la lumière des approches cognitives et comportementales de la gouvernance. La question de la contribution cognitive et de la disponibilité des administrateurs dans l’exercice de leur mandat nous semble pouvoir ici enrichir la norme.

3.2.1. Durée et nombre de mandats : facteurs de contribution cognitive

Le critère de 12 ans de présence au sein d’un conseil d’administration devrait être revu et complété. Comme les résultats théoriques et empiriques l’attestent, ce critère de durée peut constituer selon les cas, un frein ou un levier de contribution cognitive propice à l’expression libre du jugement (objectif normatif).

De même, limiter le nombre de mandats d’administrateurs indépendant que peut détenir un même individu peut également aller dans le sens d’une contribution cognitive propice à l’objectif normatif afin de permettre un renouvellement progressif de cette catégorie essentielle au développement du modèle français de l’entreprise.

Toutefois, plutôt que de retenir des seuils arbitraires, nous suggérons que les entreprises expliquent dans quelle mesure la durée et le nombre de mandats d’indépendant détenus par ailleurs contribuent à l’indépendance des membres du conseil.

3.2.2. Suppression du seuil d’administrateurs indépendants dans le conseil d’administration

Nous avons pu constater précédemment qu’il n’existait pas de consensus dans les travaux académiques quant à la proportion optimale d’administrateurs indépendants dans un conseil d’administration et à ce titre, il ne nous paraît pas pertinent d’exiger de la part de toutes les entreprises l’adoption en l’état de cette recommandation. De surcroît, l’approche cognitive de la gouvernance d’entreprise ne recommande pas nécessairement une majorité d’administrateurs indépendants dans les conseils.

Ceci nous conduit à proposer une suppression du seuil exigé du pourcentage d’administrateurs indépendants dans le conseil d’administration (lequel est actuellement fixé à 50% de la totalité des administrateurs), tout en laissant la liberté aux entreprises d’opter pour une majorité d’administrateurs indépendants dans le conseil sous la condition qu’elles fournissent un examen argumenté des facteurs source d’indépendance des membres de leur conseil (ancienneté, expertise, absence de lien, mandat croisé).

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3.2.3. L’ajout d’un nouveau critère conjoncturel : la disponibilité de l’administrateur

Le critère de « disponibilité » permet de poser la question de la qualification d’indépendance appliquée à des administrateurs par ailleurs dirigeants exécutifs de sociétés importantes et notamment cotées, en France ou à l’étranger. Dans la mesure où ces dirigeants ont, par définition, des responsabilités élargies dans leur société, et par suite, l’essentiel de leur temps consacré à leur activité de direction, leur implication dans des fonctions de surveillance, en tant qu’administrateur, dans d’autres sociétés cotées, peut être questionnée. C’est la raison pour laquelle la notion de « disponibilité » nous semble faire partie de la notion d’indépendance.

A ce titre, nous adhérons aux prescriptions du document de référence de 2012 de BNP Paribas qui intègrent la notion de disponibilité dans celle d’indépendance et posent le principe selon lequel : « la disponibilité permet d’avoir le recul nécessaire et favorise l’implication de l’administrateur dans l’exercice de son mandat ». Il est établi dans ce même rapport que le critère de disponibilité est une des « principales qualités personnelles propres à assurer, au-delà du respect des critères définis par le Code de gouvernement d’entreprise Afep-Medef, l’indépendance des administrateurs».

Pour autant cela ne signifie pas qu’un cumul de mandats soit contraire à sa liberté de jugement, notamment lorsqu’à travers les mandats exercés, l’administrateur apporte une contribution cognitive utile à la fonction de surveillance qu’il exerce. Il est évident cependant que le nombre de mandats contraint la disponibilité de l’administrateur ce qui encore une fois exige de la part de la firme de présenter un examen argumenté (taux de présence, participation aux comités spécialisés) de l’intérêt des mandats pour l’exercice de la liberté de jugement de chaque administrateur.

Conclusion

L’objectif de cette recherche vise à examiner la légitimité de la norme d’indépendance de l’administrateur contenue notamment dans le code de gouvernance de référence en France, le code dit AFEP-MEDEF. L’analyse juridique et organisationnelle de la norme et les résultats empiriques sur les sociétés du CAC 40 démontrent une faible légitimité de la norme. Trois facteurs sont mis en avant : l’absence de juridicité de la norme, la contradiction dans les fondements théoriques sous-jacents en finance organisationnelle, et la variabilité des pratiques quant à son application.

Considérant au regard des sciences juridiques qu’une norme (et sa normativité) se définit par sa capacité à orienter les comportements, à les mesurer et à les sanctionner (positivement ou négativement), nos résultats concluent à une normativité à géométrie variable sur ces trois dimensions. En effet, du point de vue des comportements des firmes, la norme d’indépendance renvoie à des pratiques

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différenciées permises par des éléments contra-normatifs. Les mesures lorsqu’elles sont possibles (seuils) aboutissent à des résultats différents de ceux attendus par la norme (seuils d’administrateurs indépendants par exemple). Mais leur justification, rendue possible par le principe du comply or explain, permet de neutraliser la sanction en cas de non respect, réduisant ainsi l’effectivité même de la norme.

En conséquence, l’effectivité relative de la norme d’indépendance de l’administrateur nous conduit à émettre plusieurs propositions visant à combler son absence de juridicité et à garantir son objectif normatif centré sur l’expression de la liberté de jugement de l’administrateur. Ces propositions visent d’une part, à revoir l’auteur et l’arbitre de la norme en considérant le levier de légitimité que représente l’AMF et d’autre part, à privilégier la reconnaissance d’une multitude de facteurs contribuant à la liberté de jugement et en rejetant la question des niveaux et des seuils qui n’ont aucun sens, nit théorique, ni empirique. Ces propositions confèrent à l’AMF un rôle pivot dans le processus de normalisation, en situant les pratiques argumentées des firmes dans un cadre normatif dynamique. Contrairement à l’alignement normatif des codes de gouvernance, cette approche privilégie une légitimité sur mesure de la norme d’indépendance de l’administrateur qui préserve la spécificité des firmes et les sources de leur avantage concurrentiel.

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Annexe I : Critères recommandés par le Code AFEP MEDEF pour qualifier un administrateur d’indépendant

a) ne pas être salarié ou dirigeant mandataire social de la société, salarié ou administrateur de sa société mère ou d’une société qu’elle consolide et ne pas l’avoir été au cours des cinq années précédentes ;

b) ne pas être dirigeant mandataire social d’une société dans laquelle la société détient directement ou indirectement un mandat d’administrateur ou dans laquelle un salarié désigné en tant que tel ou un dirigeant mandataire social de la société (actuel ou l’ayant été depuis moins de cinq ans) détient un mandat d’administrateur ;

c) ne pas être client, fournisseur, banquier d’affaire, banquier de financement :

- significatif de la société ou de son groupe,

- ou pour lequel la société ou son groupe représente une part significative de l’activité.

d) ne pas avoir de lien familial proche avec un mandataire social ;

e) ne pas avoir été commissaire aux comptes de l’entreprise au cours des cinq années précédentes ;

f) ne pas être administrateur de l’entreprise depuis plus de douze ans ;

g) ne pas être, contrôler ou représenter un actionnaire détenant seul ou de concert plus de 10% du capital ou des droits de vote au sein des assemblées de la société.