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Analyse de l’impact social et de la pauvreté Réforme du secteur Coton au Tchad Analyse qualitative ex-ante – Première phase Ce rapport est le fruit d’un travail de recherche et d’analyse réalisé par Barbara Verardo (SASRD), Kene Ezemenari (PREMPO), Lucienne M’Baipor (AFTES), Sharon White (PREMPO), Salvatore Pedulla’ (AFTPE), et par : Ali Haggar, Toglo Marita-Allah, Miangotar Yode, Moutede-Madji Vincent, Loundoul Deoulemgoto, Abdoul Djimokobaye, Djimtébaye Nangorna’, Dadam Alifa Tchakblo, consultants locaux.

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Analyse de l’impact social et de la pauvreté Réforme du secteur Coton au Tchad

Analyse qualitative ex-ante – Première phase

Ce rapport est le fruit d’un travail de recherche et d’analyse réalisé par Barbara Verardo (SASRD), Kene Ezemenari (PREMPO), Lucienne M’Baipor (AFTES), Sharon White (PREMPO), Salvatore Pedulla’ (AFTPE), et par : Ali Haggar, Toglo Marita-Allah, Miangotar Yode, Moutede-Madji Vincent, Loundoul Deoulemgoto, Abdoul Djimokobaye, Djimtébaye Nangorna’, Dadam Alifa Tchakblo, consultants locaux.

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Remerciements Ce rapport a été rédigé par Barbara Verardo (SASRD) et Kene Ezemenari (PREMPO), avec la collaboration précieuse de Lucienne M’Baipor (AFRCD). Il a bénéficié des réactions et commentaires suivis d’Elisabeth Huybens (EACDF) et d’Alassane Sow (AFTR2). Boubakari Hamidou et Fauba Padacke, de la Cellule technique des réformes du secteur Coton (CTRC) et Ndouba Guéléo Romain du Secrétariat permanent de la stratégie nationale de réduction de la pauvreté, ont apporté un concours appréciable durant la phase préparatoire de l’analyse. Au Tchad, le soutien continu de la Mission résidente à l’équipe s’est révélé inestimable, tout au long des diverses phases de l’analyse. Les Secrétariats généraux et le personnel de terrain des Comités de coordination locaux ont fourni des appréciations analytiques, des recommandations et un support logistique pour les études sur le terrain, tous d’une valeur primordiale. Cotontchad a aimablement mis à disposition toutes les informations nécessaires à la sélection des villages, et a assuré le logement des membres de l’équipe durant leurs déplacements sur le terrain. Avertissement : Les constatations, interprétations et conclusions présentées dans ce rapport n’engagent que leurs auteurs et ne sauraient être attribuées à la Banque mondiale, aux institutions qui lui sont affiliées, aux membres de leur Conseil d’administration ou aux pays qu’ils représentent.

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Table des matières

Sigles et abréviations......................................................................................................... 4

Introduction....................................................................................................................... 5

Méthodologie ..................................................................................................................... 6

Principaux résultats .......................................................................................................... 8

Ière PARTIE – Le secteur du coton et le rôle de Cotontchad...................... 10

IIème PARTIE – Domaines d’impact probable de la réforme..................... 13

1. Sécurité alimentaire ................................................................................................ 13

2. Développement communautaire ............................................................................ 19

3. Lien entre cohésion sociale et production de coton.............................................. 20

4. Accès aux moyens de production du coton (avoirs et capacités) ........................ 24

5. Domaines d’impact probable—résumé et enjeux de la politique sectorielle..... 33

IIIème PARTIE: Mesures d’accompagnement et d’atténuation................. 37

1. Conditions nécessaires à l’existence de marchés efficients et concurrentiels.... 38

2. Capacités des paysans et des organisations paysannes........................................ 42

3. Mesures relatives à l’insécurité alimentaire, aux crises et à la fluctuation des prix ...................................................................................................................................Error! Bookmark not defined.

ANNEXES ....................................................................................................................... 48

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Sigles et abréviations AV Associations villageoises

CCL Comités de coordination locaux

CT Cotontchad

AI Analyse institutionnelle

MPZS Mouvement paysan de la zone soudanienne

ONDR Office national de développement rural

EIS Évaluation de l’impact social

CICC Comité international consultatif sur le coton PROADEL Programme d’appui au développement local PSAOP Programme de services et d'appui aux organisations paysannes PSIA Poverty and social impact analysis (Analyse de la pauvreté et de l’impact

social) DAGRIS Développement des agro-industries du Sud

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Introduction Le Coton a été introduit au Tchad au cours de la période coloniale et en a dominé l’économie depuis lors. Mais les mouvements de prix sur le marché mondial, l’instabilité politique et le climat économique, ainsi que certaines carences institutionnelles, ont généré de fortes fluctuations des recettes de l’État et des producteurs de coton. Suite à l’augmentation des coûts de la fluctuation des recettes, le Gouvernement tchadien a adopté en 1999 un Programme de réforme sectorielle, destiné à parachever les réformes lancées en 1986. Conscient, d’une part, des difficultés survenues lors de la mise en place de réformes analogues dans d’autres pays africains et, d’autre part, de l’importance du coton pour les ménages pauvres des régions cotonnières, le Gouvernement tchadien a commandité des études qui serviraient de base à la définition des grandes lignes de la réforme : une étude par scénarios économiques, et une analyse de la pauvreté et de l’impact social (PSIA). L’objectif de l’étude par scénarios économiques est d’identifier les scénarios optimistes de privatisation, en relevant les facteurs techniques et économiques d’efficacité. L’étude doit être achevée en février 2003. En complément de cette étude, le Gouvernement a demandé à la Banque de l’aider à mener une analyse des impacts possibles de la réforme sur le plan social, et sur la pauvreté. Les résultats du scénario économique et de la PSIA actuellement en cours doivent inspirer la définition des mesures déterminant les grandes lignes de la réforme, y compris quant au choix du moment propice, et en termes d’ordonnancement et de modalités. L’objectif de l’analyse de la pauvreté et de l’impact social est de discerner et d’évaluer les principaux effets de la privatisation sur le bien-être des ménages ; de recommander des mesures permettant de remédier aux retombées négatives, tout en maximisant les avantages de la réforme ; et de proposer des solutions de rechange à cette dernière. Toutefois, de telles mesures ne ciblent pas de groupes spécifiques, les scénarios possibles de privatisation n’ayant pas été connus pendant que l’analyse était en cours. Le présent rapport identifie donc globalement des mesures d’accompagnement pour la réforme, en mettant en évidence les principales contraintes qui entravent actuellement l’efficacité des systèmes de production et de commercialisation du coton. Sur le plan analytique, la démarche consiste en une PSIA ex-ante et une PSIA ex-post. L’analyse qualitative ex-ante est divisée en deux parties. Le rapport résume les résultats de la première phase de l’analyse qualitative ex-ante, dont l’objectif était de permettre une meilleure compréhension du contexte social, économique et institutionnel de la production de coton, et d’identifier les secteurs de vulnérabilité, les effets potentiels sur les ménages vivant dans les zones cotonnières, et les pistes possibles d’amélioration – indépendamment de tout scénario de privatisation. Ce faisant, le rapport pose les jalons tant de la seconde phase de l’analyse qualitative, que de l’analyse quantitative qui lui succédera.

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La seconde phase de l’analyse qualitative ex-ante démarrera après que les scénarios de la réforme auront été établis. Pour chaque scénario proposé, l’analyse déterminera les impacts à court et long termes et les mesures d’atténuation correspondantes, du point de vue des diverses parties prenantes. L’articulation de la démarche de la PSIA, ainsi que la description de la méthodologie sont résumées dans les Annexes. Méthodologie Ce rapport est basé sur des données et analyses issues d’une Évaluation de l’impact social (EIS) et d’une Analyse institutionnelle, complétées par un travail de recherche en bureau. Évaluation de l’impact social La zone de production de coton recouvre une étendue de 127 000 km2 environ, dans l’extrême sud du Tchad. Neuf usines d’égrenage, avec leurs neuf zones de chalandise respectives, sont également réparties sur cette étendue. Tableau 1: Usines d’égrenage et zones de chalandise par sous-régions (Ouest, Centre, Est) RÉGION OUEST RÉGION CENTRALE RÉGION EST Pala Moundou Kyabé

Léré

Doba Sahr

Gounou-Gaya Kélo Koumra

L’Évaluation de l’impact social a été réalisée sur 27 villages, dispersés de façon proportionnée à travers la zone cotonnière - 3 villages par zone de chalandise. La sélection des villages s’est faite par le biais de techniques d’échantillonnage raisonné, et conformément aux critères suivants :

- niveau de productivité du coton (élevé, moyen/bas, pas de production de coton)

- distance par rapport à l’usine d’égrenage d’origine (grande, moyenne, petite)1. Le travail de terrain a duré du 14 mai au 30 juin 2002, soit au total 48 jours. L’équipe de terrain, constituée entièrement de consultants locaux, comptait un spécialiste chevronné des sciences sociales, et quatre sous-équipes. Chacune de ces sous-équipes était composée de deux chercheurs, lesquels ont séjourné cinq jours dans chaque village. Les

1 L’un des résultats de cette analyse indique que la distance entre les villages et les usines d’égrenage ne joue pas de rôle sur le niveau de production ou de productivité, à l’échelle de l’AV.

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sous-équipes et le chef d’équipe se réunissaient à raison d’un jour par semaine, pour discuter des questions saillantes, comparer leurs notes de terrain et leurs principales constatations, et distinguer enfin les similarités et les divergences à caractère constant.

La possession de bétail constitue l’un des premiers indicateurs du niveau de productivité parmi les paysans participant aux groupes-témoins. On a donc formé des groupes de discussion séparés en fonction de ce critère. Par ailleurs, des groupes-témoins rassemblant des non-producteurs de coton, des femmes, des jeunes, des délégués d’associations villageoises (AV), des associations de femmes et des autorités politiques et religieuses locales. Des entrevues individuelles avec des informateurs-clés locaux ont complété les groupes de discussion. La rubrique concernant la structure opérationnelle, le rapport final de l’EIS et le questionnaire dans les Annexes offrent une description plus détaillée de la méthodologie.

Tableau 2: Choix des villages par zone de chalandise et critères de sélection 2

Région Usines Villages Critères de sélection

Distance par rapport à l’usine d’égrenage

Rindjekono Grande production 54 km EST KYABE Beyamine Moyenne 30 km Ndindjébo Aucune 58 km Bedobouyou Grande 75 km SARH Paris-Sara Moyenne 100 km Moitadjim Aucune 75 km Koko I Grande 16 km KOUMRA Gongo II Moyenne 18 km Kangoro Aucune 15 km Ndaba (béboto) Grande 63 km DOBA Begolo Moyenne 47 km Doramti Aucune 53 km Gongti Grande 123 km CENTRALE MOUNDOU Kayaral Moyenne 139 km Béssama Aucune 128 km Ngueté III Grande 61 km KELO Geulkab (Bao) Moyenne 48 km Weré Aucune 52 km Sorga Grande 22 km OUEST PALA Pala-Houa Moyenne 06 km Soudjembaye Aucune 04 km Djodogassa Grande 45 km GAYA Moustapha Moyenne 49 km Zéblé Aucune 33 km Guelo Grande 22 km LERE Lampto-tétkouri Moyenne 15 km

2 En outre, les villages de Maguila-kussa (usine de Kyabé) et Moyo (usine de Sarh) ont également été visités.

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Sabéré Aucune 35 km TOTAL

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Analyse institutionnelle La recherche a pris la forme d’une Évaluation rurale rapide, et d’entretiens individuels avec certains informateurs-clés auprès de Cotontchad, des organisations paysannes, d’autres institutions sectorielles, et avec les producteurs de coton. De plus, un marché autogéré a été visité pour en comprendre le fonctionnement au niveau des opérations de commercialisation. Un consultant international et un consultant local ont réalisé une recherche sur le terrain du 24 avril au 20 mai 2002. L’analyse a examiné les problèmes d’ordre institutionnel et organisationnel qui se répercutent sensiblement sur la chaîne de production et sur la commercialisation du coton. Elle a identifié les pratiques institutionnelles et organisationnelles, tant structurées et officielles qu’informelles, dans lesquelles s’inscrira la réforme, ainsi que les éventuelles contraintes et opportunités institutionnelles susceptibles d’influencer le déroulement du processus de réforme, et ses effets escomptés. Cette analyse est basée sur deux instruments distincts mais complémentaires de l’analyse institutionnelle: la cartographie statique et la cartographie dynamique des processus. La première définit les liens structurels qui existent entre les diverses parties prenantes et les présente sous forme de schéma et de diagramme. La seconde se concentre sur les relations informelles qui interviennent entre les parties prenantes et observe la dynamique des mouvements d’argent, d’information, des semences de coton et des intrants à la production par tous les canaux de production et de commercialisation. Le rapport final et les termes de référence de cette analyse apparaissent en Annexe. Structure du rapport Ce rapport est divisé en trois parties. La Ière Partie résume brièvement la structure monopolistique et verticalement intégrée de Cotontchad. La IIème Partie se concentre sur les quatre zones les plus susceptibles d’être touchées par la réforme, et y envisage les retombées sur le bien-être des ménages. Elle traite également des problèmes qui sont spécifiques à certains groupes, en donnant un aperçu de la multiformité de l’accès aux avoirs et aux capacités, en termes tant sociaux que géographiques. La IIIème Partie définit les mesures d’atténuation et d’accompagnement dont toute économie de marché a besoin pour prendre un certain essor, et celles qui contribuent à assurer la pérennité des réformes. Cette partie du rapport s’attache aux aspects d’ordonnancement de la réforme.

Principaux résultats

Le rapport délimite quatre facteurs essentiels ayant des effets sur les moyens de subsistance dans la région cotonnière : (1) la sécurité alimentaire ; (2) le développement

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communautaire ; (3) la cohésion sociale ; et (4) l’accès à la production de coton (avoirs et capacités). S’agissant de sécurité alimentaire, étant donné que les conflits et les crises compromettent le niveau de production, l’analyse a identifié quatre problèmes qui concourent à créer une situation de revenus et de moyens de subsistance incertains : (a) la non-diversification ou la dépendance excessive vis-à-vis des revenus du coton; (b) des relations de production et de commercialisation entre Cotontchad et les producteurs, qui contribuent très nettement à l’élévation du niveau d’endettement de ces derniers, tout en sapant les incitations à la productivité; (c) les chocs externes qui altèrent la production, occasionnés par des conditions climatiques et environnementales délétères, et par des déprédateurs ; enfin (d) les conflits avec les populations nomades.

S’agissant de développement communautaire, les revenus du coton constituent la seule source substantielle de liquidités – et donc d’investissements individuels et collectifs. Les ristournes en particulier sont investies dans des biens collectifs villageois, tels que des écoles, des centres de santé, des institutions de crédit, des entrepôts, des pompes à eau, etc. Ces biens sont également accessibles aux non-producteurs de coton et constituent à la fois une source de fierté pour les villageois, et de “compétition” entre les associations villageoises. Dans l’ensemble, l’investissement de ces ristournes s’effectue de façon transparente ; ces dernières sont donc un vecteur important de développement et d’autonomisation communautaires. S’agissant de corrélation entre production cotonnière et cohésion sociale, les principales observations indiquent, d’une part, que la cohésion sociale et l’organisation ont un effet considérable, tant sur la productivité que sur la qualité du coton, et d’autre part, que la structure de la production et de la commercialisation du coton se répercute à son tour sur la cohésion sociale. Le degré de cohésion agit sur l’aptitude des organisations paysannes à non seulement travailler avec plus ou moins d’efficacité, de transparence et d’imputabilité, mais également à partager collectivement les responsabilités et à faire face aux problèmes de fraude. Cette aptitude est critique, dans le contexte de la privatisation. Dans l’Ouest de la région cotonnière, des systèmes socio-politiques très hiérarchisés favorisent l’organisation et la mobilisation des groupes, qui traitent avec Cotontchad de manière plus dynamique. En contraste, avec les structures plus individualistes que l’on trouve dans l’Est, les associations villageoises y sont moins organisées et donc moins fortes dans leurs interactions avec Cotontchad et moins aptes à résoudre les problèmes de resquillage. Enfin, l’accès aux intrants agricoles, aux équipements, à la main-d’œuvre et à la traction animale, sont les principaux facteurs déterminant l’efficacité et la productivité des cultivateurs de coton au Tchad. Ceux d’entre eux qui possèdent du bétail sont plus productifs et disposent donc d’un accès plus large aux divers intrants nécessaires. Mais certaines faiblesses structurelles dans les systèmes de production et de commercialisation restreignent malgré tout cet accès aux intrants, et réduisent les marges de profit. L’analyse identifie les principaux avoirs et capacités nécessaires à la

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production du coton, ainsi que les contraintes auxquelles les cultivateurs doivent faire face pour y accéder. Ière PARTIE – Le secteur du coton et le rôle de Cotontchad

Durant la période coloniale, le coton était produit et commercialisé par la Compagnie française pour le développement des fibres textiles (CFDT). Après l’indépendance, la CFDT a été remplacée par Cotontchad, une entreprise para-publique. Aujourd’hui, la CFDT est sur le point de passer par une procédure de privatisation et conserve un titre participatif dans la société. Cotontchad présente une structure intégrée verticalement, dans laquelle l’État est propriétaire à hauteur de 75%, et 19 % des actions sont détenues par DAGRIS (Développement des agro-industries du Sud). Les actions restantes appartiennent à trois banques locales. Cotontchad facilite la commercialisation et le traitement du coton- graine en: (i) fournissant aux paysans des intrants agricoles à crédit et gérant la distribution de

ces intrants ; (ii) achetant, cueillant et transportant le coton-graine des villages à ses neuf usines

d’égrenage du coton ; (iii) égrenant le coton-graine, et en commercialisant le coton égrené. Cotontchad s’endette en recourant au crédit auprès de banques locales pour l’acquisition des intrants agricoles et fournit des crédits aux paysans contre garantie de la récolte de coton. La dette est recouvrée en déduisant le coût des intrants des paiements aux associations villageoises. Le prix au producteur du coton-graine est le même dans tout le pays et est établi chaque année par un comité constitué de représentants des cultivateurs et de Cotontchad. Intrants et crédits. Cotontchad recueille les commandes d’intrants par l’intermédiaire de ses agents de terrain, qui forment l’« interface ». Ces commandes sont basées sur les terres à cultiver, selon les estimations des cultivateurs. Le coût des intrants est alors déduit des revenus. Ce système a été substitué, il y a 2 à 3 ans, au travail de l’agence d’encadrement, l’ONDR. Toutefois, son fonctionnement laisse à désirer dans la mesure où les marchés d’intrants sont pratiquement inexistants et Cotontchad ne peut satisfaire tous les besoins des cultivateurs. Ce rationnement des intrants entraîne certaines pratiques par lesquelles, par exemple, les cultivateurs « diluent » les intrants en les employant pour d’autres cultures, ou en les appliquant sur des surfaces plus importantes que celles qui sont recommandées pour leur usage efficace. Commercialisation et transport. Les cultivateurs sont organisés en associations villageoises (AV). Il en existe environ 5000 au total à travers tous les villages. Ce système d’AV a été crée par Cotontchad et l’ONDR pour rationaliser l’achat,

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l’organisation et le recouvrement du crédit lié au coton. Chaque AV représente environ 100 ménages (producteurs et non-producteurs), et est reliée à divers groupements ou groupes sous-villageois de plusieurs sortes (autres cultures, groupes de femmes, etc.). En moyenne, on compte 5 groupements par AV, et ce chiffre oscille de 2 à 14 à peu près, dans chaque AV. Les revenus de l’AV proviennent des ristournes issues des ventes du coton par Cotontchad, des revenus communautaires issus de la vente au public, et des cotisations des adhérents. Cotontchad a mis en place près de 2 500 marchés centraux pour les 5 000 AV, marchés où le coton est classé par qualité, pesé et chargé dans des camions. Une fois que le coton arrive à l’usine d’égrenage, il est à nouveau apprécié et classé selon sa qualité. Il existe trois catégories de qualité: supérieure, moyenne, et inférieure. Cotontchad estime que 98% de ses achats sont de qualité élevée (le coton de deuxième qualité est remboursé à 40% de celui de première qualité ; celui de dernière qualité, à 60%). En théorie, la qualité est attribuée par inspection visuelle au marché central, par l’interface, les dirigeants de l’AV et des Comités de coordination locaux (cette fonction incombait auparavant aux MPZS), puis, à nouveau, à l’usine d’égrenage. Ce sont les agents du ministère de l’Agriculture qui certifient le classement avant que le paiement ne soit effectué. Dans la pratique cependant, cette procédure manque de transparence et fait l’objet de fortes contestations par les paysans, ainsi que le rapporte la suite de notre analyse. Figure 1: Le système (verticalement intégré) de production de la Cotontchad

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Égrenage exclusivement par Cotontchad

Traitement du coton graine (huile, savon, tourteaux, etc) et commercialisation auparavant par

DHS (sur le point d’être privatisée)

Vente et commercialisation de la fibre

Exportation de la fibre de coton (direction commerciale siselà Paris dans les locaux de laCFDT/COPACO)

Production Paysans uniquement Achat CT achète auprès des paysans via

l’interface Transport CT avec transporteurs (sous-traitance)

Intrants

Premiers résultats

Attributions CT responsable avec : Multiplication des graines, Recherche sur les graines CIRAD CA français Allocation des intrants AV, ONDR, MPZS Obtention des intrants Gouvernment Distribution des intrants sous-traitance des transporteurs Octroi de crédit crédit à CT par les banques locales et

garanties du Gouvernement

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L’analyse institutionnelle (voir les Annexes) présente un examen détaillé du cheminement des quatre ressources critiques – coton, information, intrants et argent – à travers les canaux de production et de commercialisation reliant les producteurs à Cotontchad et au marché international. Mesures des réformes passées et actuelles. L’entreprise para-publique a été profondément réorganisée au cours des dernières années : la moitié de ses usines d’égrenage a été fermée, ses avions ont été vendus, et 1 700 de ses 3 000 employés ont été licenciés. De plus, les réformes de 1986-1987 ont aboli les subventions aux intrants et transféré l’intégralité du coût des engrais et des insecticides aux cultivateurs. En outre, la mise en place de points de ramassage moins nombreux a fait augmenter les coûts de transport, que l’on a intégralement fait passer aux cultivateurs. La réforme vise à intensifier les mesures de privatisation qui sont en cours. Les activités auxiliaires de Cotontchad ont déjà été vendues au secteur privé. Le but du programme actuel est donc de renforcer la capacité technique et commerciale des associations paysannes, d’introduire la compétition dans le marché en ouvrant le secteur aux usines d’égrenage privées, et de promouvoir la transparence et la concurrence dans les processus de commercialisation de la fibre. L’étude par scénarios économiques commanditée par le Gouvernement déterminera quelles sont les options les plus susceptibles de permettre de parvenir à ce but. La PSIA désignera les effets positifs et négatifs de chacun des scénarios de privatisation et proposera des mesures politiques pertinentes pour accompagner le programme de réforme.

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IIème PARTIE - Domaines d’impact probable de la réforme Le résultat de la présente étude indique qu’en toute vraisemblance, l’impact de la privatisation sur la pauvreté et sur le statut social des ménages sera manifeste sur quatre plans : (1) la sécurité alimentaire; (2) le développement communautaire; (3) la cohésion sociale; et (4) l’accès aux avoirs et aux capacités. Cette partie du rapport passe en revue les problèmes liés à ces quatre domaines, qui risquent d’être marqués par la réforme. La IIIème Partie conclura en énonçant les mesures générales d’accompagnement qui pourraient permettre de faire face à ces enjeux.

a. Sécurité alimentaire Dans ce domaine, quatre facteurs principaux contribuent à créer une situation d’incertitude des revenus ou d’incapacité à maintenir un niveau de subsistance suffisant : (a) le manque de diversification des revenus ou l’assujettissement à la production cotonnière en ce qui concerne l’achat de nourriture ; (b) les pratiques de Cotontchad qui sont désincitatives à la production et à la productivité; (c) l’absence d’assurance contre les revers d’ordre environnemental et contre les insectes nuisibles ; et (d) les conflits avec les populations nomades. (a) Non-diversification des revenus ou assujettissement à la production cotonnière pour l’achat de nourriture En général, tant les grands que les petits producteurs dépendent des revenus du coton pour acheter de la nourriture. Le coton représente la source d’argent la plus importante pour les producteurs. L’absence de crédit signifie donc que les ménages comptent essentiellement sur ces paiements pour réaliser des investissements ou des projets de vie. Ces fonds, qui leur viennent sous la forme d’une somme forfaitaire annuelle, leur permettent de couvrir les charges telles que les impôts, les obligations sociales (naissance, mariage, funérailles, et autres occasions rituelles d’échange), mariage (« prix de la fiancée »), acquittement de dette, bétail, équipement agricole, main d’œuvre, etc. Mais les revenu du coton sont surtout consacrés à l’achat d’aliments (riz, maïs, millet, arachides, etc) à stocker pour la période de famine. Les grands producteurs investissent délibérément toutes leurs ressources dans la production cotonnière plutôt que dans d’autres cultures. En fait, les profits tirés du coton sont d’autant plus substantiels que l’on peut se permettre d’acheter des intrants. Par contre, les moyens et petits producteurs doivent investir dans des cultures vivrières. Il arrive cependant que ces derniers soient forcés de vendre les récoltes emmagasinées lorsqu’ils ont besoin d’argent pour louer de la main-d’œuvre supplémentaire et de la traction animale. La production de coton exige beaucoup de temps (ainsi, l’obtention d’une corde de coton nécessite la même quantité de temps que celle de trois cordes de millet), et entrave le développement potentiel d’autres activités économiques comme la chasse, la pêche, et le commerce. C’est donc un désincitatif à la diversification des cultures.

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(b) Relations de production et de commercialisation entre Cotontchad et les Producteurs

Les revenus nets du coton sont bénéficiaires dans le cas d’une production élevée. Mais pour les productions moyennes ou faibles, les pratiques de Cotontchad ont un effet négatif indirect sur les revenus nets, et font obstacle à la rentabilité. Les coûts de production sont plus au moins homogènes à travers la zone cotonnière, exception faite de la région Ouest où ils sont légèrement supérieurs.

Tableau 3 – Investissements nécessaires à la production d’une corde de coton, région de Pala dans l’Ouest (en FCFA)- Production élevée

1 – Défrichement 2500 2- Labour avec les bœufs 8500 3- Restauration 1000 4- Semis 2500 5- Premier sarclage (1ligne x 50 F x 89lignes) 4450 6- Épandage d’engrais 1500 7- Premier buttage pour enfouir l’engrais 2500 8- Deuxième sarclage 4500 9- Deuxième buttage 5000 10- Traitements des cotonniers (5 fois x 500) 2500 11- Récolte

- production faible (200 F x ligne x 89 lignes) 17000 - production moyenne (300 F x l x 89) 27700 - production élevée (500 F x l x 89) 44500

12- Transport pour la - production faible ( 1 charrette et demi) 4500

- pour la production moyenne ( 2 charrettes) 6000 - production élevée ( 3 charrettes et demi) 10500

13- Bâchage - production faible (200 x 1 bâche x 5 ) 1000 - production moyenne (200 x 1 bâche x 7) 1400

- production élevée (200 x 1 bâche x 11 ) 2200 14- Restauration 500

-Un sac d’engrais, 5 sachets de produits et 5 piles (à crédit) 20310 -Un demi-sac d’urée (à crédit) 6500

Total des investissements Production faible 85260 Production moyenne 97360 Production élevée 119460

Revenu brut Production faible (165 F x 1 kg x 675) 111375 Production moyenne (165 F x 1 kg x 900) 148500 Production élevée (165 x 1 kg x 1575) 259875

Revenu net Production faible 26115

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Production moyenne 51140 Production élevée 140415

Du point de vue des paysans, les pratiques de Cotontchad nuisent à la production du coton et ont pour effet de réduire très sensiblement le revenu des moyens et petits producteurs. Cotontchad est généralement perçue comme une instance antagonique et exploitatrice. Ainsi que le disent les paysans: « Le jour où les paysans ne produiront plus le coton, qui Cotontchad va-t-elle voler? ». Les pratiques en question sont liées à : un manque de transparence dans les règles qui gouvernent l’ouverture des marchés de coton ; des retards dans les paiements versés aux paysans ; un sous-classement déloyal de la qualité du coton ; et l’utilisation du coton comme garantie au recouvrement de la dette.

i. Manque de transparence dans les règles qui gouvernent l’ouverture du marché du coton. Les cultivateurs n’amènent leur coton au marché qu’une fois que les délégués de leurs associations et Cotontchad ont fixé ensemble un jour particulier pour l’ « Accord d’ouverture ». Les cultivateurs se plaignent que l’Accord d’ouverture est souvent ajourné pendant des mois après la récolte. Ces délais occasionnent une baisse de la qualité du coton. En outre, « les maladies n’attendent jamais » : les délais contraignent les paysans à s’endetter et à vendre leur coton sur des marchés voisins qui sont eux déjà ouverts. Enfin, les paysans accusent Cotontchad de se baser sur des critères injustifiables pour la sélection des marchés à ouvrir promptement et ceux dont ils ajournent l’ouverture. D’après les paysans, la distance des usines d’égrenage n’y est pour rien, car il arrive couramment que certains villages situés à proximité de ces usines n’ouvrent que des mois après que le coton a été récolté, alors que des villages plus lointains sont servis plus tôt. Toujours selon les paysans, les villages dans lesquels les autorités locales possèdent leurs propres champs de coton ont droit à un traitement préférentiel. D’autre part, les villages qui refusent de payer un « bonus » pour que leur coton soit évalué correctement sont pénalisés l’année suivante, par un ajournement de l’accord d’ouverture pour leur marché.

ii. Retard dans les paiements versés aux paysans. Ces retards sont survenus

après l’introduction du marché autogéré. Antérieurement au marché autogéré, le coton était payé au moment de l’achat, dans ce qui s’appelait alors le marché ordinaire, et les retards de paiement n’existaient pas. Mais aujourd’hui, les producteurs ne reçoivent leur paiement qu’après que Cotontchad a clôturé les activités de ramassage, d’évaluation et de classement. Les délais sont de l’ordre de deux semaines à cinq ou six mois. Ils accentuent considérablement l’insécurité alimentaire puisque la majorité des producteurs comptent sur les paiements du coton pour acheter leur nourriture3. En outre, « les problèmes sociaux n’attendent jamais ». Les retards de paiements,

3 Les producteurs comptent sur les paiements du coton pour acheter leur nourriture soit parce qu’ils n’ont pas produit de comestibles, soit en raison de l’infertilité de leurs terres, soit parce qu’ils ont préféré consacrer toutes leurs ressources à la production du coton, soit encore parce qu’ils ont été obligés de vendre leurs comestibles pour payer la main-d’oeuvre ou une traction animale.

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conjugués au risque de famine, entraînent les producteurs dans un engrenage de dettes auprès de prêteurs sur gages, ou les incite à se livrer au resquillage.

Aujourd’hui, la situation est particulièrement grave, plusieurs associations villageoises n’ayant pas encore été payées par Cotontchad pour la deuxième année consécutive, et menaçant d’abandonner définitivement la culture du coton.

iii. « Déclassement » déloyal du coton. Selon les producteurs, « même si le

coton est blanc comme la neige, il sera toujours déclassé ». Une fois que le coton est rassemblé au village, il est transporté à l’usine où il est évalué et coté en fonction de sa qualité4. Les producteurs admettent les motifs justes et pertinents de placer le coton dans une catégorie inférieure : mauvaise qualité des intrants, conditions de stockage inadéquates, feu de friches, non-respect du calendrier de la cueillette du coton, etc. Ils savent également que le mélange de coton de qualité supérieure avec du coton de qualité inférieure dans une même caisse lors du transport vers les usines d’égrenage, peut causer une dépréciation du contenu de toute la caisse, les producteurs de coton de qualité supérieure subventionnant ainsi de facto les resquilleurs. Ce que les paysans n’acceptent pas, néanmoins, ce sont les manœuvres officieuses qui interviennent autour de la procédure de classement, et aboutissent à un classement défavorable et indu de leur coton. L’évaluation honnête de la qualité du coton résulte généralement du versement en privé de « gratifications ». Pour les producteurs, « il suffit de frapper à la bonne porte et le coton du village n’est pas déclassé ». On a vu des cas où des villages à production très élevée ont été éventuellement déclarés « non solvables » à cause des pratiques de déclassement déloyal.5 Ces pratiques, que l’on peut assimiler à une « corruption institutionnalisée », sapent toute incitation à produire du coton de qualité supérieure, les paysans estimant n’avoir aucun contrôle sur cette qualité.6 La réduction des revenus augmente la vulnérabilité des cultivateurs face à la famine et aux taux d’intérêt exorbitants proposés par les prêteurs sur gages. En dernier recours, certains paysans et AV sont contraints d’abandonner la culture du coton.

4 D’après les dernières estimations, lorsque le coton est complètement blanc, il est de première qualité et son prix est fixé à 165 FCFA. Lorsqu’il est blanc et jaune, il est de deuxième qualité et son prix est établi à 120 FCFA. S’il est complètement jaune, il est de troisième qualité et son prix est fixé à 70 FCFA. Pour certains villages, les manque-à-gagner dus au déclassement sont évalués à 500 000 à 600 000 FCFA environ, pour certains villages 5 Ces villages se tournent vers les AV de villages voisins pour obtenir des intrants et vendre leur coton. Mais les difficultés surviennent au moment de la ristourne : dans quel village celle-ci doit-elle être investie ? 6 L’Analyse institutionnelle incluse en Annexe traite du phénomène de corruption de façon détaillée. Elle examine en particulier les raisons pour lesquelles 98 % du coton est officiellement déclaré de qualité supérieure par la direction de Cotontchad, alors que les paysans se plaignent de ce que leur coton est régulièrement classé en deuxième ou troisième catégorie.

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iv. Recouvrement de dettes. Tel que Cotontchad l’a introduit, le recouvrement des dettes représente une source supplémentaire d’insécurité alimentaire. En effet, la survenue d’évènements imprévus ou exceptionnels (mauvaises conditions climatiques, conflits avec les éleveurs, maladies, etc.) qui endommagent les récoltes, n’est pas prise en compte. Ces circonstances spéciales provoquent une baisse de la qualité du coton, et, donc, des revenus, ou annulent carrément la production.. Dans les deux cas, la politique de Cotontchad en matière de recouvrement des dettes (pour les intrants concédés à crédit dès le début de la campagne) est de ne pas permettre aux paysans d’entreposer les intrants pour la saison suivante, ou de les retourner à Cotontchad. Les conditions de ce crédit n’avantagent pas les cultivateurs et constituent pour eux une charge supplémentaire. Si un producteur individuel vient à souffrir des conséquences de circonstances imprévisibles (maladies ou décès, par exemple), il sera contraint de vendre son bétail ou son équipement agricole, préjudiciant ainsi sa capacité à produire du coton dans les années suivantes. Mais lorsqu’il s’agit d’AV, celles-ci n’ont pas, dans l’ensemble, suffisamment de ressources pour pouvoir rembourser les intrants au titre de tous leurs membres, et deviendront non solvables7. Le statut de non-solvabilité accroît encore l’insécurité alimentaire, car les AV qui sont en défaut de paiement ne seront pas approvisionnées en intrants pendant les deux années qui suivent (quelle qu’ait été la performance passée du village en termes de production). Cotontchad continuera à fournir des semences pour avoir une certaine quantité de coton de production « traditionnelle » (c’est-à-dire sans intrants). Cependant, les revenus provenant de cette culture traditionnelle seront entièrement confisqués par Cotontchad au titre du recouvrement de dettes, ce qui réduira les paiements aux paysans. De plus, il est rapporté que les paysans demandent, le plus souvent sans trouver satisfaction, des insecticides à appliquer au coton produit traditionnellement, afin de réduire les dommages causés par les insectes.

L’ouverture tardive du marché, les retards de paiements, le déclassement du coton et les méthodes de recouvrement de dettes mènent les paysans pauvres à recourir à certaines stratégies adaptatives telles que : la revente, sur le marché noir ou auprès des AV des villages voisins, des intrants, des semences ou de tout coton qu’ils parviennent à produire, souvent à des prix bien inférieurs à leur coût ; l’endettement, y compris auprès des prêteurs sur gages ou auprès d’AV (lorsqu’elles agissent en qualité de créancières); et la vente de leur bétail ou équipement agricole. Ces stratégies entraînent les paysans dans des cercles vicieux où le coton est produit sans intrants, sans bétail ou avec une quantité insuffisante de semences, et ce pour l’unique remboursement de la dette. Les producteurs qui se livrent à ces pratiques finissent souvent par abandonner complètement la

7Pour sélectionner les villages de la présente enquête, nous nous sommes servis de ces données, fournies par Cotontchad (CT). Nous avons appris par la suite que CT considérait la plupart des AV non solvables comme étant non productrices de coton. Ces villages cultivent pourtant le coton en réalité, mais ne sont pas fournis en intrants. Pour éviter de voir confisquer leur production au titre du remboursement de la dette, à la fin de la campagne de l’année précédente, ils préfèrent vendre leur récolte par l’intermédiaire des AV avoisinantes.

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production de coton. Pour pouvoir continuer à produire du coton, certains villages ont décidé de répondre à ces problèmes (y compris celui du fardeau de la dette communale) en assignant une surface fixe de terrain à la collectivité pour la culture du coton. D’autres villages, pour obtenir une qualité de coton plus uniforme, ont également recours à la culture collective du coton. (c) Crises de la production causées par les inondations, la sécheresse, et les déprédateurs Les crises de la production constituent une autre source d’insécurité alimentaire pour les paysans. Les paysans, dans certaines régions, se plaignent des inondations et des périodes de sécheresse qui lèsent leur production. Cependant, ainsi qu’on l’a vu plus haut, Cotontchad ne prévoit pas de marge ou de mécanisme pour amortir l’effet de ces chocs imprévisibles. Au contraire, les coûts sont complètement transférés aux paysans. Dans le cas des insectes nuisibles, des produits chimiques sont fournis, mais rares sont les producteurs qui sont en mesure de les acquérir. Qui plus est, de l’avis de ces derniers, les insecticides fournis sont souvent de mauvaise qualité, ou encore inappropriés. Les cultivateurs font également part de leur souci quant aux aspects de sécurité, car les gants et les lunettes de protection qui sont requis pour l’utilisation de ces produits chimiques ne sont généralement pas inclus dans les paquets reçus de Cotontchad. (d) Relations conflictuelles entre éleveurs et paysans Les conflits entre éleveurs et producteurs de coton s’ajoutent aux causes d’insécurité alimentaire et individuelle. À des fins d’analyse, la population du Tchad peut être répartie globalement en deux groupes : musulmans arabophones du Nord, chrétiens et animistes du Sud. De 1960 à 1979, ce sont les seconds qui détenaient le pouvoir. Avec la guerre civile de 1979, toutefois, les « Nordistes » les ont remplacés. La plupart des éleveurs sont du Nord et font partie des clans qui sont au pouvoir depuis la fin de la guerre civile. Selon les paysans, ces éleveurs laissent actuellement paître leur bétail sur les champs de coton peu après les semailles, ou avant la fin de la récolte. Deux conséquences s’ensuivent :

• Les paysans perdent leur récolte. Dans le cas des champs de coton, non

seulement ils perdent leur revenu, mais ils s’endettent aussi auprès de CT au titre des intrants qui leur ont été fournis.

• Les paysans sont obligés de récolter avant terme. Ceci dévalorise la qualité de

leur coton et entraîne des frais additionnels pour les paysans qui doivent engager une main d’œuvre supplémentaire pour pouvoir achever la récolte avant l’arrivée des troupeaux transhumants. Par ailleurs, pour faire face à ces activités « d’urgence », les cultivateurs doivent vendre les produits alimentaires qu’ils avaient emmagasinés pour avoir de quoi engager de la main d’œuvre.

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Cette opposition engendre des affrontements violents et des morts, et pousse les paysans à abandonner la culture du coton. Les paysans dénoncent l’impunité qui accueille les actions des éleveurs, en raison des alliances qui unissent ces derniers avec les autorités (lesquelles sont bien souvent les propriétaires du bétail en question).8 Ainsi qu’il est dit plus haut, il semble que ces problèmes découlent d’évènements politiques survenus dans le passé. La dimension politique de ce conflit est manifeste, notamment lorsqu’on sait que certains cultivateurs de l’Est pensent que ces troubles sont délibérément entretenus par les autorités locales qui cherchent à s’approprier les revenus des paysans. Quoiqu’il en soit, il est notoire que les anciens dispositifs d’échange, de complémentarités et de solidarité qui existaient entre les deux groupes ont disparu. L’augmentation du prix des bovins en offre une illustration : de 1980 à 1998, il est passé de 50 000 FCFA à 250 000 ou 300 000 FCFA. Le drame, pour ceux d’entre les paysans qui ont choisi d’investir tous leurs revenus du coton dans l’achat de bétail, est que l’incidence des vols de bétail s’est également accrue.9 Or, dans le passé, ces infractions – tant le vol de bétail que la dévastation des champs par les troupeaux, étaient sévèrement punies. Dans l’Ouest, ces conflits sont un phénomène nouveau. Mais dans les régions du Centre et de l’Est, ils atteignent un niveau critique. Les causes de cette disparité régionale dans la montée de tension sont diverses : en premier lieu, dans l’Ouest, les producteurs sont des agro-éleveurs ; les transhumants partagent donc avec eux une certaine affinité culturelle. Les éleveurs partent généralement aux premières pluies pour revenir après la fin des récoltes. Par ailleurs, ces régions sont exclues des principales routes Nord-Sud des transhumants. Par contre, les nomades migrant vers l’Est et le Centre sont plus distants de la population locale sur le plan culturel ; ils ont aussi à l’esprit que les paysans ont soutenu les rebelles durant la guerre, et que par conséquent, cette terre est une terre « conquise ». Qui plus est, nombre d’entre eux possèdent des armes et ont pour réputation d’épauler les autorités. Finalement, les sédentaires du Centre et de l’Est sont plus dispersés sur les terres, et ont donc plus de mal à se défendre en cas de conflit. Les paysans font toutefois une distinction entre les groupes nomades (comme les Michérié10 et les Mbororo) et semi-sédentaires (comme les Arab dakarà). Tandis que les Michérié et les Mbororo sont considérés comme des peuples agressifs, fauteurs de trouble et alliés aux autorités locales, avec les Arab dakarà, les paysans sont arrivés à établir un système d’échanges de marchandises (bétail fourni à crédit en échange de travail ou de nourriture), et à résoudre les conflits à l’amiable.

b. Développement communautaire 8 Il semble urgent de mener en parallèle une étude sur les raisons qui ont conduit les éleveurs à abandonner les routes traditionnelles de transhumance. Une telle étude permettrait en particulier d’éclairer les éventuelles retombées négatives de la réforme sur l’accès des groupes transhumants aux terres de pâturage. 9 Pour compliquer encore davantage la situation, lorsqu’un animal volé est retrouvé, ses propriétaires doivent payer une taxe de 35 000 FCFA pour réclamer leur bête. Ceci accentue l’antagonisme qui les oppose aux autorités locales, déjà perçues comme alliées aux éleveurs. 10 Les Michérié, musulmans arabophones, sont originaires de la région de Batha, au nord-est du Tchad. Ils sont arrivés dans la partie sud du pays après 1979, au début de la guerre civile.

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Pour les villages de la zone cotonnière, les revenus du coton constituent l’unique source de développement communautaire consacré à la satisfaction de leurs besoins essentiels et l’amélioration de leur qualité de vie. Nous l’avons souligné plus haut, les paiements du coton sont perçus de deux façons : sous forme de somme forfaitaire individuelle, et sous forme de ristourne, en fonction du niveau des prix mondiaux obtenus. Les ristournes représentent l’unique ressource des paysans pour effectuer des investissements collectifs au niveau du village (écoles, dispensaires, organismes de crédit, entrepôts, pompes hydrauliques et radiers pour l’eau potable, qui permettent d’atténuer l’isolement des villages durant la saison des pluies, etc. Ces équipements collectifs sont également accessibles aux non-producteurs de coton ; ils font la fierté des villageois et sont un motif de « compétition » entre les AV. D’après notre analyse, les ristournes sont généralement investies de façon transparente, et les plaintes quant à d’éventuels emplois abusifs sont rares. En dépit des multiples problèmes occasionnés par l’instauration du marché autogéré, la plupart des paysans trouvent un avantage au système actuel dans la mesure où il permet une ristourne annuelle. Mais ils craignent que ce système ne puisse survivre à la privatisation, et que leur seul moyen d’installer et d’entretenir des équipements collectifs ne disparaisse alors. Une telle éventualité représente pour eux une catastrophe. Cette question semble jouer un rôle critique pour l’évaluation des impacts possibles de la privatisation. L’Enquête quantitative, ainsi que l’Évaluation des risques sociaux s’y intéresseront donc de près.

c. Relation entre cohésion sociale et niveau de production

La structure sociale agit sur la productivité : les villages dont les habitants sont unis par des liens de parenté, des affinités ou une communauté d’origine géographique ont un niveau de production plus élevé. Selon leurs propres dires, les cultivateurs sont « solidaires dans la compétition » : la production du coton est une question d’honneur et de statut social, au sein du village et entre les villages. En revanche, les villages « mixtes » où les descendants des premiers occupants de la terre (appelés « enfants du village ») cohabitent avec les récents émigrés, connaissent généralement (mais certainement pas dans tous les cas) une productivité moindre. Le lien entre productivité et structure sociale est visible à travers le fonctionnement des associations villageoises d’exploitation du coton. Les producteurs ne négocient pas individuellement avec les acheteurs de coton, mais s’organisent en associations villageoises pour traiter avec Cotontchad de manière collective. Dans les cas où ces associations épousent à peu près la configuration de groupes déjà existants (basés essentiellement sur les liens de parenté ou certaines affinités), leur fonctionnement est efficace et très productif. Mais là où il n’existe pas de liens sociaux pré-établis, ces associations sont affaiblies par une absence de légitimité et de redevabilité. Au bout du compte, le degré de cohésion sociale qui

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existe entre les membres des AV influence, et est influencé par les pratiques d’accaparement et de fraude. En général, on trouve un plus grand degré de cohésion sociale dans les régions situées à l'ouest de la zone de culture du coton que dans celles de l’Est et du Centre. Dans les régions occidentales, où la majorité ethnique est Moundang, et dans la région centrale, chez certains sous-groupes de l’ethnie Sara, les villages sont caractérisés par une organisation socio-politique extrêmement structurée et hiérarchisée. Les autorités locales y sont considérés comme légitimes, et les anciens respectés pour leur savoir ancestral.11 Dans ces sociétés, le coton est béni par les ancêtres et noyé dans la culture.12 Le coton permet d’investir dans des équipements collectifs et de développement communautaire (écoles, dispensaires, institutions de crédit villageoises, pompes hydrauliques, etc...) qui sont également accessibles aux non-producteurs. En effet, il est lui-même perçu comme étant un avoir public, dont toute la collectivité est responsable. Dans l’Est cependant, tout comme dans la majeure partie du centre, les structures sociales et politiques du pouvoir ont une légitimité et un degré de cohésion moindres13. Bien que les différents groupes ethniques coexistent pacifiquement et que les différences ethniques, linguistiques ou culturelles soient minimisées, la production de coton occasionne des clivages et des coûts sociaux élevés : affrontements violents entre membres d’une même famille, et avec des agents de l’AV, assassinats, exils et expulsions du village. Dans le cadre de la production/commercialisation du coton, le niveau de cohésion sociale influence et est influencé par la « la caution solidaire ». La caution solidaire est une méthode de partage des responsabilités sur les risques associés à la production du coton. Dans le passé, le coton était commercialisé sur le marché ordinaire, modèle où des producteurs indépendants vendent directement leur coton aux acheteurs. Depuis l’introduction en 1987 du marché autogéré, ce ne sont plus des individus qui commercialisent leur coton, mais des associations villageoises entières. Cotontchad achète le coton par l’intermédiaire de ses propres représentants sur le terrain : en début de campagne, il fournit les intrants à crédit aux associations villageoises, et déduit leurs coûts des recettes perçues en fin de campagne. Les associations achètent collectivement les intrants, vendent le coton, reçoivent les paiements de Cotontchad, et les répartissent entre les producteurs. Leurs membres sont tout aussi responsables de la bonne utilisation des intrants que du remboursement de ceux acquis à crédit, indépendamment du niveau d’efficience des paysans autonomes. Lorsque des intrants n’ont pas été utilisés, ou que la production n’a pas été vendue par l’association, tous les membres de l’AV sont censés en assumer conjointement les coûts.

11C’est le cas des Moundang et de leurs chefs Gong, et des Sara et de leur chef, le Mbang de Bedaya. Ces groupes pratiquent encore les rituels d’initiation, qui jouent un rôle vital dans le maintien de la cohésion sociale, les initiés restant unis par un lien de solidarité qui est plus fort encore que ceux de la parenté. 12 Les rituels religieux, animistes, chrétiens ou musulmans, sont considérés comme étant essentiels à une production abondante. 13 La guerre civile et les conflits avec les éleveurs ont eu des retombées particulièrement délétères sur ces régions, ce qui a également pu contribuer à ce qu’on y relève aujourd’hui uu niveau plus prononcé de fragmentation sociale que dans les régions occidentales.

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Le principe de responsabilité partagée devrait en théorie constituer une protection en cas de circonstances imprévues ou de comportements déloyaux. Des circonstances imprévues (maladie, décès ou famine, ou besoins urgents d’argent pour faire face à d’autres obligations) contraignent les producteurs à vendre leurs intrants au marché noir plutôt que de les utiliser14. Ceci implique d’une part, une contraction des ventes pour Cotontchad, et d’autre part, des revenus moindres pour les paysans. Lorsque, dans l’incapacité de rembourser leurs intrants, les producteurs indépendants se retrouvent débiteurs vis-à-vis de Cotontchad, tous les membres de l’association s’en trouvent automatiquement taxés. Le résultat est le même dans des situations de pratiques déloyales délibérées, telle l’accaparement d’intrants dans un but spéculatif. Les effets sur les ménages du principe de responsabilité partagée sont différemment ressentis selon les régions : (a) Dans les sociétés relativement plus structurées de l’Ouest et certaines parties du

Centre, le partage de responsabilités renforce la cohésion sociale. Les AV parviennent à couvrir leurs dettes avec les frais d’adhésion et les revenus dégagés des champs cultivés en collectivité. La pression sociale des AV est tellement efficace que les débiteurs ne sont pas tentés de profiter du système et qu’ils finissent par rembourser leur dette à l’AV – renforçant ainsi la cohésion sociale et le respect des règles de la société. En outre, il est reconnu que le marché autogéré et le partage des responsabilités ont introduit plus de transparence et d’équité dans les transactions de vente.

(b) Dans les sociétés relativement moins structurées du Centre et de l’Est, le partage des

responsabilités accentue en revanche la fragmentation sociale. Là, les associations villageoises ont généralement (mais certainement pas dans tous les cas) moins de légitimité. Les chefs de village n’ont fréquemment pas l’autorité nécessaire pour administrer des mécanismes de règlement des conflits ou d’adhérence aux règles de l’association. De fait, il appartient à la famille du débiteur d’indemniser les autres membres, ceux-ci faisant pression sur le débiteur et ses proches. Les tensions sociales s’accroissent lorsque les familles des débiteurs ne peuvent dédommager l’AV ou lorsqu’elles sont contraintes d’exercer à cette fin de fortes coercitions. Ceci conduit souvent à des meurtres ou des exils, et par la suite à l’abandon de l’activité de production de coton par l’ensemble de l’association.

Les producteurs considèrent que le partage de responsabilité est un moyen à la disposition de Cotontchad pour protéger ses propres intérêts à leur détriment. L’introduction du marché autogéré et la formation consécutive d’associations villageoises dans chaque circonscription productrice de coton sont perçues comme un « montage » de Cotontchad, lui permettant de se protéger des défauts de paiements sur les intrants en se défaussant sur les producteurs des charges de recouvrement de l’encours de dette. Quoi qu’il en soit, il est un fait que les associations établies avant 1994 par des organismes tel le Centre de formation professionnelle agricole 14 En effet, en l’absence de marché du crédit, la revente des intrants est l’un des principaux canaux d’accès à l’argent au comptant.

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(CEPA) de Guelkab sont beaucoup plus efficientes, tant en termes de productivité que de responsabilité collective. En revanche, beaucoup de celles qui ont été créées plus tardivement par l’ONDR et Cotontchad présentent des problèmes d’organisation. Un grand nombre d’entre elles n’ont toujours pas reçu les statuts (“textes de base”) de l’association de la part de l’ONDR et de Cotontchad, ce qui démontre clairement l’absence de sens d’initiative de la population, et témoigne du caractère probablement inadéquat des règles en vigueur dans des contextes socio-économiques locaux particuliers. Au niveau des ménages, les mesures de production et de commercialisation du coton affectent également le statut des femmes et les relations entre générations. Dans toutes les régions, l’accès des femmes aux revenus du coton s’est contracté depuis l’apparition du marché autogéré. La production du coton est un domaine réservé aux hommes : bien que les femmes soient un avoir indispensable, il leur revient une moindre part du revenu final15. La structure du marché autogéré a contribué à déprécier le statut des femmes. Avant sa mise en place, les producteurs étaient payés au moment de la vente ; les femmes avaient alors un meilleur accès au revenu du coton et se trouvaient ainsi davantage en mesure de le contrôler. La vente directe de producteur à acheteur leur donnait l’occasion d’initier de petites transactions avec des agents durant la période de commercialisation. La perte de cette source de revenus a eu un impact plus important sur les femmes de l’Ouest, qui en général ne travaillent pas dans leurs propres champs et ont moins d’autres sources de revenus. Cependant, même dans les sociétés où les femmes sont autorisées à travailler dans leurs propres champs (principalement dans l’Est), le fait de ne pas pouvoir vendre directement a affaibli leur pouvoir sur ces revenus. Elles attribuent également leur exclusion du processus de prise de décision au niveau de l’AV à leur incapacité à lire et écrire, qui les écarte aussi de responsabilités de conservation des documents et de négociations avec les agents de Cotontchad. L’impact de la production du coton sur les relations entre femmes varie selon les régions. Dans les régions de l’ouest, les producteurs de coton concentrent l’ensemble de leurs ressources sur sa production, ce, au détriment des autres cultures. Le temps des femmes est entièrement consacré aux champs de coton. En outre, les femmes ne sont pas encouragées à se joindre à des associations féminines (dites groupements féminins), qui justement constituent d’importantes sources de crédit et sont répandues dans les régions de l’Est et du Centre.16 Dans ces zones, où d’autres sources de revenus -lesquels contribuent à assurer un certain niveau de sécurité alimentaire- sont plus facilement accessibles aux ménages, les femmes ont un meilleur accès à des ressources alternatives. Elles s’organisent entre elles en associations féminines pour travailler dans des champs collectifs à la production de coton, de sésame et d’arachides.17 Elles s’arrangent pour

15 La rétribution des femmes est fonction du nombre de cordes produites (71m2, ou ½ hectare) et du nombre d’épouses dans les ménages. 16 Les associations de femmes s’auto-financent grâce aux cotisations des adhérentes et aux revenus dégagés par les champs en culture collective. Durant la saison maigre, elles octroient des crédits. 17 Néanmoins, des champs de moindre rendement pour la production de coton leur sont généralement assignés.

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stocker des aliments en prévision de la saison maigre, pour élever des chèvres et accorder des crédits (à 25% d’intérêts) qui sont également offerts aux non-membres. De cette manière, elles ont un statut plus indépendant que les femmes de l’Ouest. Parfois, dans l’Est, elles cultivent leurs propres champs de coton et arrivent à acheter du bétail pour leur foyer. Du fait de la moindre productivité de ces régions, le “prix de la fiancée” est de moins en moins abordable, et davantage de femmes sont mariées ‘à crédit’. Et l’on peut entendre dire : “ils achètent les femmes à crédit comme ils le font pour les intrants ; cela, ils l’ont appris au marché autogéré. Parmi les petits producteurs et les petits cultivateurs en particulier, tant l’homme que la femme travaillent pour obtenir la somme nécessaire au paiement du “prix de la fiancée” – un effort qui peut durer une vie entière. Dans toutes les régions, il y a dans les foyers des signes de tensions qui peuvent être attribuées au coton, tant entre maris et femmes qu’entre les jeunes et les plus âgés. Selon certaines indications, certains maris interdisent à leurs épouses d’avoir leurs propres champs de coton par crainte qu’elles ne deviennent trop indépendantes et finissent par quitter le foyer. En outre, dans les régions du Centre et de l’Est, bien des femmes ont accusé leur mari de dilapider les revenus du coton dans l’alcool et les prostituées.

d. L’accès aux moyens de production du coton (avoirs et capacités) L’accès au bétail, à l’équipement agricole, aux engrais et insecticides, et à la main-d’œuvre, est le principal déterminant de l’efficicacité et de la productivité des producteurs de coton au Tchad. Les producteurs de coton qui disposent de bétail sont plus productifs et par conséquent ont davantage d’accès à la plupart des intrants requis. Toutefois, des déficiences structurelles dans la production du coton et dans son dispositif de commercialisation limitent cet accès et réduisent les profits. En outre, il y a des catégories de cultivateurs qui ont des conditions d’accès différentes à des avoirs, intrants et compétences d’importance capitale. Ces groupes, et les facteurs limitant leur production, sont étudiés dans la section 5. Les paragraphes suivants sont consacrés aux contraintes et aux faiblesses structurelles concernant l’ensemble des producteurs. Les avoirs d’importance capitale pour la production du coton recouvrent les équipements agricoles, les animaux de trait et le bétail, et la terre. • L’équipement agricole du type des houes, des charrues et des charrettes était

autrefois fourni par l’ONDR à des tarifs subventionnés. Toutefois, ces subventions ont été abolies au cours des réformes soutenues par la Banque mondiale de 1986/87. L’agence est entrée dans une crise profonde après 1995, quand la France, qui était son principal sponsor, a suspendu l’octroi de fonds. Actuellement, tout l’équipement est importé, essentiellement de France, et la majorité des producteurs n’y a pas accès.

Tableau 4 – Zone de Sahr, région occidentale18

18 Les prix sont légèrement inférieurs dans les autres régions.

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Paiement comptant Paiement différé (à crédit)

Charrue FCFA 64 300 FCFA 78 765

Charrette FCFA 312 425 FCFA 424 280

• Le recours aux animaux de trait est particulièrement limité dans le Centre et l’Est, par comparaison avec l’Ouest, où la majorité de la population d’agro-éleveurs, a un meilleur accès au bétail. Les paysans qui n’ont pas de bétail en empruntent (de 7 000 à 10 000 FCFA par corde) ou, lorsqu’ils n’en ont pas les moyens, offrent leur propre travail en échange. Cependant, tous les villageois ont besoin d’avoir recours à des animaux de trait dans un intervalle de deux semaines durant la saison des semailles ; ceci signifie que ceux qui ont une charrue à bœufs retournent leurs propres champs en premier, et que ceux qui en sont démunis sont forcés d’ajourner leurs semailles. Et reporter les semailles conduit à une moindre qualité du coton, qui se traduit par de moindres revenus.

• La terre – Les descendants des premiers habitants (ou enfants du village) jouissent

d’un accès illimité à la terre. La terre est traditionnellement acquise par héritage ou transmise de père en fils ; elle appartient alors au lignage et non à l’individu. C’est, en d’autres termes, un bien inaliénable qui ne peut être ni donné ni vendu. Une nouvelle parcelle peut être obtenue défrichée avec l’approbation du chef de terre, descendant des fondateurs du village.19 Lorsqu’elle est abondamment disponible, la terre est gratuitement attribuée au nouvel arrivant. Cependant, la présence croissante d’éleveurs et la dégradation du sol poussent les individus à rechercher de nouvelles terres, et les pressions démographiques (qu’elles résultent de la croissance de la population ou de migrations) limitent l’accès. Les nouveaux arrivants sont les premiers à en souffrir, faute de terre, et dans la mesure où ils ont besoin de l’accord du chef de terre pour se voir attribuer leurs nouveaux lopins à cultiver. A Gaya, par exemple, toutes les terres du village sont occupées et les nouveaux arrivants ne peuvent prétendre y avoir accès que dans l’éventualité du décès d’un propriétaire sans héritiers.

Dans certaines régions, comme aux alentours de Kelo, l’accès à la terre s’est déjà contracté ; les parcelles fertiles ayant été prises, les individus qui en sont privés ou ceux ayant des lopins de médiocre qualité sont contraints de louer des terres fertiles. Une distinction entre les premiers et les seconds est en train d’apparaître. On assiste par ailleurs à une transformation dans le régime foncier traditionnel, où les droits

19 La fonction de chef de terre est héréditaire. Celui-ci a un pouvoir sur la terre et sur les esprits locaux : il célèbre les cérémonies collectives et s’assure que les ancêtres bénissent la nouvelle saison agricole.

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traditionnels d’usufruit se muent en droits de propriété privée, ce qui mine progressivement l’autorité du chef de terre.

Au-delà de ces enjeux d’accès, la qualité même de la terre limite de plus en plus la production. Les cultivateurs ont conscience de ce processus de dégradation du sol. Ceux qui s’en sortent le mieux -les propriétaires de bétail et en général, les agro-éleveurs de l’Ouest- ont accès à des ressources nutritives organiques et non-organiques. Par ailleurs, certains villages de l’Ouest procèdent à une rotation annuelle des champs, tirant ainsi parti d’engrais apportés plusieurs années durant. Pourtant, en général, les résultats d’analyse qualitative montrent une alternance saisonnière des cultures dans un même champ, conduisant à un déclin en période de jachère. Dans le Centre et dans l’Est, la productivité des sols est compromise par les facteurs suivants :

- approvisionnement limité de fumier - carence d’accès au crédit - disparition des jachères.

• Le crédit est le principal actif financier employé par les paysans. L’inexistence

d’un marché du crédit est une contrainte majeure pour la production. Le crédit est indirectement consenti par Cotontchad par le biais de la fourniture d’intrants. D’autres sources de crédit font supporter aux paysans des coûts tout aussi élevés, et par conséquent non soutenables. Voici ce que ces derniers ont mentionné comme sources de crédit :

- prêteurs sur gages (100 % d’intérêts) - AV – mais seulement dans l’Ouest (25 % d’intérêts) - associations de femmes – très limité (25 % cent d’intérêts) - fourniture d’intrants par CT –forme de crédit indirecte - ONG20

Le crédit est particulièrement nécessaire pour la sécurité alimentaire, pour acheter de la nourriture en périodes de retards de paiements et durant la saison de la famine. Les producteurs s’endettent afin d’acheter des équipements et pour effectuer des investissements majeurs dans d’autres facteurs de production liés au coton (animaux de trait, main-d’œuvre, “prix de la fiancée”). Les intrants à la production du coton sont essentiellement acquis par le biais de Cotontchad ; ce crédit est lié aux paiements de la production de coton. Les sections précédentes ont déjà examiné les effets pervers infligés aux cultivateurs par la politique de recouvrement de la dette de CT. D’autres problèmes sont liés aux délais de livraison des intrants aux paysans : ils proviennent du fait que Cotontchad, qui lance des offres pour différents intrants à différents moments, a ensuite du mal à coordonner et ordonnancer les livraisons. De ce défi, aggravé par le mauvais état des routes, et des 20 Parmi les ONG travaillant avec des producteurs de coton, on peut citer : Bureau d’étude et de liaison des activités aommunautaires pour le dévelopment (BELACD), Tchad Solution, Coopérative d’épargne et de crédit (COOPEC), Coopération technique allemande (GTZ).

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conditions de transport insatisfaisantes, il résulte que les cultivateurs reçoivent fréquemment leurs livraisons d’intrants de façon désorganisée, à divers stades du processus de production, et avec des fournitures en quantités insuffisantes.

a. Les insecticides et les engrais non-organiques constituent un important facteur de constriction de la production paysanne : les faiblesses du système de distribution de ces intrants sont un problème communément partagé. Les producteurs identifient un ensemble de freins entravant la production, liés à la fourniture par Cotontchad des intrants :

- délais d’approvisionnements en intrants, retardant d’autant les semailles,

ce dont résulte une qualité de coton inférieure - les prix des insecticides et engrais non-organiques sont communiqués aux

paysans après qu’ils les aient appliqués dans leur champs ; ceci les empêche d’être en mesure de faire des choix rationnels quant à l’importance de leur production.

- des coûts de production en tendance croissante, couplés à des revenus de production en évolution baissière sont contre-incitatifs pour la production.

- la disponibilité limitée d’intrants contribue à abaisser la qualité du coton. Dans certains cas, ce sont les paysans eux-mêmes qui demandent moins d’entrants par superficie à cultiver, pour essayer d’épargner de quoi leur permettre de rembourser les dettes encourues par d’autres membres de l’AV. Dans d’autres situations, les paysans partagent les intrants qu’ils reçoivent avec les membres de leur famille, afin d’améliorer le rendement.

- les insecticides sont souvent de mauvaise qualité, et les plantes restent vulnérables aux chenilles.

- ainsi qu’on l’a mentionné plus haut, beaucoup de cultivateurs se plaignent de recevoir de CT, des paquets d’insecticides et d’engrais qui ne contiennent pas de gants ni de lunettes de protection, destinés à leur éviter un contact direct avec les produits chimiques qui sont très toxiques.

b. Les engrais organiques qu’employaient les paysans de par le passé consistaient

en :

- bourre de coton (tourteau), coton de 4ème catégorie - fumier.

Les engrais organiques sont moins chers et sont censés provoquer une moindre érosion des sols. Mais ils vont devenir moins accessibles, en raison de :

- l’augmentation des prix, suite à la privatisation de la société d’huile et de

savon DHS – qui a un monopole sur l’emploi et la vente des bourres de coton (dont le prix est passé de 500 FCFA à 6 000 FCFA par sac). Aujourd’hui, seuls les commerçants et les éleveurs de bétail ont les moyens de s’offrir de la bourre de coton.

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Si les paysans de l’Ouest sont des agro-éleveurs et disposent du fumier produit par leur propre bétail et celui des éleveurs nomades, ce n’est pas le cas des paysans de l’Est et du Centre qui n’ont pas de bétail et ne jouissent plus de ces arrangements de complémentarité qui existaient entre les cultivateurs et les transhumants.

c. Les semences sont fournies aux cultivateurs par Cotontchad. L’approvisionnement en semences est déterminé par l’application d’une formule fixée par Cotontchad, basée non pas sur la demande mais sur la superficie à cultiver – un sac de semences par corde – ce afin de pouvoir contrôler tant la quantité que la qualité du produit. Cependant les cultivateurs estiment que deux sacs, plutôt qu’un, sont nécessaires pour chaque corde. En outre, les conditions climatiques sont telles qu’il est fréquent d’être obligé de recommencer les semailles. Dans les deux cas, les paysans se voient contraints d’acheter les semences sur le marché noir, lequel, bien souvent, est officieusement dirigé par des gestionnaire d’intrants de CT.

Outre les intrants à la production que l’on vient de mentionner, et qui sont fournis par Cotontchad, les paysans ont également besoin de se procurer de la main-d’œuvre et de l’eau pour cultiver le coton. • La main-d’œuvre. Le coton est une culture à haute intensité de main d’œuvre.

représente un intensif travail de récolte. Comme ce sont surtout les membres de la famille qui travaillent dans les champs de coton que possède le ménage, la polygamie est intéressante en ce qu’elle fournit une source sûre de main-d’œuvre. Mais la forte demande de main d’œuvre draine aussi les enfants hors de l’école, selon la saison. Le besoin de main d’œuvre se fait le plus sentir au cours de la récolte et lors de la préparation des champs. Les plus grands propriétaires ont tendance à acquérir de la main d’œuvre, tandis que les petits propriétaires voudront offir leur main-d’œuvre. Ceux qui ne disposent pas de traction animale ni de crédit n’ont d’autre recours que de délaisser provisoirement leur champ, pour aller se louer ailleurs pendant la durée de la saison.

La demande de main-d’œuvre culmine durant la récolte. Les ménages louent alors de la main-d’œuvre pour achever vivement celle-ci, avant l’arrivée des troupeaux de transhumants. La migration vers les villes est généralement faible, et les paysans ont beaucoup de travail dans leurs fermes.

• Le besoin d’eau est le plus important aux semailles, entre le 25 mai et le 15 juin. Si

les pluies sont en retard, soit les cultivateurs sèmeront également avec du retard, chargeant leurs femmes de porter l’eau aux champs, soit ils ne sèmeront pas du tout. Ils sont alors endettés vis-à-vis de Cotontchad pour les intrants qu’ils ont déjà perçus.

En dernier lieu, la question des équipements de transport et d’entreposage pose un lourd problème que la réforme devra aborder.

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• Le transport. Les paysans n’ont actuellement pas accès à des moyens de transport,

mises à part les bicyclettes et les motocyclettes personnelles ou louées. L’état des routes, notamment pendant la saison pluvieuse, entrave l’acheminement efficace du coton et isole de facto une grande majorité de villages de l’Est. Le secteur du transport, en ce qui concerne le coton, est caractérisé par des monopoles bilatéraux. Dans les cas d’urgence, Cotontchad utilise son propre parc de véhicules pour acheter les semences de coton dans des zones lointaines.

• L’entreposage est un facteur essentiel dans la préservation de la qualité du coton, et

donc dans les risques de déclassement. Seuls les villages dont les AV fonctionnent bien ont investi leurs ristournes sur les recettes du coton dans la construction d’installations appropriées. Dans tous les autres cas, le coton est stocké à l’intérieur des maisons et exposé aux éléments après l’ouverture officielle du marché. Bien que Cotontchad soit officiellement responsable de la qualité du coton après la date officielle d’ouverture, il arrive néanmoins que les producteurs soient mal informés de la date d’ouverture, et aient quand même à subir la perte encourue en raison du déclassement de leur coton.

Les capacités, c’est-à-dire la formation, l’organisation de groupes de paysans, l’accès et l’utilisation de l’information, constituent également des facteurs critiques à prendre en compte pour assurer le succès des réformes.

• La formation – à l’emploi correct des intrants, aux procédures à suivre concernant le cycle de la culture du coton, etc., – est un domaine où les besoins de la plupart des cultivateurs de coton en matière de renforcement des capacités sont les plus importants. Dans de rares cas, les AV ont pu tirer parti de l’expérience de certains de leurs membres plus âgés, (rares) cas semblables, et se former à ces pratiques. Ainsi, dans l’Ouest, les chefs traditionnels Moundang, qui avaient été des agents de Cotontchad, ont reçu une bonne formation et ont en conséquence une très bonne connaissance de la culture du coton. Les avantages d’une telle situation sont doubles :

- on accorde une grande valeur aux techniques agricoles enseignées au niveau de l’usine d’égrénage, et

- l’AV est bien organisée et fonctionne bien.

• L’information. Le manque d’accès à l’information sur les prix mondiaux, les tendances du marché, les procédés de production, etc., est une entrave importante à la production de coton. Par ailleurs, la circulation de l’information entre les paysans et Cotontchad est gênée par certaines contraintes institutionnelles. La réforme a tenu compte du rôle de l’information, puisque, outre le désengagement progressif du Gouvernement vis-à-vis de Cotontchad, celle-ci vise également à consolider les organisations de paysans dans le but d’améliorer leur accès

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à l’information. Le soutien et le renforcement institutionnel créeront des conditions qui permettront aux paysans de devenir des partenaires égaux dans le processus de privatisation, en améliorant leur capacité à défendre et promouvoir leurs intérêts vis-à-vis des nouvelles entreprises privatisées. C’est sous ces auspices que les Comités de coordination locaux (CCL) et une Section d’appui technique (CTRC) ont été établis avec un financement de la Banque mondiale. Le rôle de cette nouvelle organisation sera d’offrir:

- un mécanisme de représentation démocratique dans le but de promouvoir les

intérêts des paysans ; - une structure intégrée, légitime et reconnue de communication et de

transmission de l’information à tous les niveaux de la chaîne de production du coton, en particulier entre Cotontchad et les producteurs villageois.

Les CCL sont aujourd’hui le seul canal d’information reliant Cotontchad et les producteurs. La recherche menée sur le terrain a permis d’éclairer certains des goulots d’étranglement et des contraintes auxquels les CCL doivent faire face.21 Nombre de ces problèmes ont trait aux faiblesses structurelles de l’ensemble du réseau de communication tchadien .

Encadré 1: Les problèmes structurels qui compromettent l’efficacité des CCL Les principaux problèmes structurels concernent l’insuffisance de l’infrastructure de transport et de communication, qui pose un très grand obstacle à la transmission de l’information à Cotontchad. La plupart des représentants de CCL se voint contraints de parcourir à bicyclette les villages situés loin des sentiers battus, et qui restent isolés pendant de longues périodes pendant les pluies parce qu’il n’y a pas de routes pavées. Même à l’intérieur des zones entourant les usines d’égrenage, les distances sont très importantes, et les villages situés à la périphérie sont mal desservis et demeurent souvent hors des circuits de communication. Dans certains cas, les représentants de CCL se sont plaints au sujet des restrictions illégales imposées par certains soldats ou policiers qui exigent d’eux, une fois qu’ils sont en ville, des taxes de transit pour leurs bicyclettes. De plus, l’absence de réseaux de téléphone et de télégraphe et l’exiguïté des zones de transmaission radiophonique réduisent la possibilité de diffuser l’information, laquelle ne devrait pas, théoriquement, nécessiter la présence physique des représentants des organisations paysannes. Par exemple, le prix du coton et ses fluctuations sur le marché international, relativement au prix du producteur, ou le prix des intrants sont quelques unes des informations vitales influençant les choix liés à la production, qui devraient être transmises de manière uniforme, répétée et standarisée.

21 L'analyse institutionnelle figurant en Annexe fournit une description detaillée des CCL et des obstacles à la propagation de l'information.

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Mais les données recueillies révèlent aussi l’existence d'une certaine désinformation de la part de délégués des CCL qui profitent de leur accès privilégié à l’information.22 Dans certains cas, les CCL sont même considérés comme des obstacles à la transmission de l’information. Cependant, l’analyse a identifié les contraintes structurelles et les dysfonctionnements qui nuisent à l’efficacité des CCL. Des situations où Cotontchad n’avait pas, par inadvertance, fait passer l’information aux CCL ont été évoquées. Dans d’autres cas, les CCL ont été laissés dans l’ignorance à propos de sujets critiques à la production, ce qui a évidemment empêché la transmission d’informations cruciales vers les paysans. De même, les CCL se plaignent des restrictions illégales imposées par les soldats ou les policiers aux barrages routiers, qui font encore augmenter les coûts et la durée des déplacements vers les villages. • La possibilité de se faire entendre. Les producteurs dénoncent l’absence de

syndicats qui leur donneraient une voix pour exprimer leurs revendications et défendre leurs intérêts.

En 1992, une union des associations villageoises, le Mouvement paysan pour la zone soudanienne (MPZS), a été fondée. Le Gouvernement a plus tard démantelé cette association, pour une raison que notre analyse n’a pas pu déterminer clairement. Selon la majorité des interlocuteurs, les CCL ont été implantés pour combler cette absence ; mais ces comités semblent toujours manquer de légitimité aux yeux des cultivateurs de certaines régions. Les CCL émanent d’une forme nouvelle de représentation politique qui prend progressivement racine dans un environnement social et culturel qui a jusque là été fortement influencé par une tradition d’autorité et dans l’expression du pouvoir politique. Les données issues de l’analyse démontrent que le MPZS entretient toujours des liens de solidarité solides, et qu’il est toujours bien reconnu dans certaines régions, quoiqu’informellement. Nombre d’interlocuteurs ont exprimé le souhait qu’il soit ré-instauré, car ils y voient le moyen de défendre leurs intérêts et de disposer d’un mécanisme de retour de l’information, qui soit capable de rendre des comptes.

22 Ceci arrive, par exemple, lorsque le cotton est endommagé de façon répétée suite à des incidents de transport, quand bien même la compagnie de transport devraient assumer la responsabilité de tels accidents. Le role des CCL est d'informer et de defender les intérêts des producteurs dans ses questions.

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e.

Encadré 2 : Rapports entre le MPZS et les CCL Fondé sous les auspices de l’ONDR par des paysans tchadiens et camerounais en 1992, le MPSZ était à l’origine une union d’AV. Il avait la réputation de défendre vigoureusement les intérêts des paysans auprès de Cotontchad. Ses délégués avaient coutume de s’installer dans les usines d’égrenage durant toute la saison commerciale. Parallèlement, les chefs d’usine rendaient visite aux paysans dans les villages pour les encourager dans leur travail. Suite à l'établissement des CCL, certains délégués du MPZS se sont ralliés aux nouvelles structures, tandis que d'autres continuaient de revendiquer le rétablissement du syndicat. Certains paysans considèrent également que les CCL ont dépossédé le MPZS de ses structures et de ses initiatives et en voient la raison dans la menace que devait représenter un syndicat aussi puissant face à Cotontchad et au Gouvernement. Indépendamment de la véracité de ces déclarations, un fait indéniable demeure : nombreux sont les paysans qui considèrent que les CCL ont signé « l’acte de mort du MPZS » et en conçoivent une certaine amertume. Les paysans font également le lien entre la dissolution du syndicat et la resistance à la privatisation du secteur coton. Cette question devra être clarifiée.

Encadré 3 : Influence des paysans dans la détermination du prix du coton – Les cas de la Côte d'Ivoire et du Mali Les cas de la Côte d'Ivoire et du Mali démontrent l'importance que revêt pour les paysans l'existence de syndicats forts capable de défendre leurs intérêts. Suite à la chute des cours du coton sur le marché international en 1999, les paysans de Côte d'Ivoire ont refusé de vendre leur coton, car ils jugeaient que le prix de 150 FCFA/kg, offert par les sociétés nouvellement privatisées était trop bas. Le différend a été partiellement résolu par l'attribution de subventions de l’État aux paysans. Au Mali, des agriculteurs ont refusé de faire pousser du coton en 2000 ; dans les champs de coton, ils ont procédé à d’autres cultures vivrières et de rapport, bénéficiant de ce fait des engrais de l'année précédante. Grâce à cela, dès la saison suivante, un accord a été passé qui rehaussait le prix au producteur. Source: Haramata, Bulletin of the Drylands: People, Policies, Programmes, N.38, December 2000, Drylands Programmes /Zones Arides, International Institute for Environment and Development.

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5. Zones d’impact probable—résumé et enjeux de la politique sectorielle Jusqu’ici, le présent rapport a examiné les principaux domaines à travers lesquels la réforme pourrait avoir un effet sur le bien-être des ménages: la sécurité alimentaire, le développement communautaire, la cohésion sociale et l’accès aux avoirs et capacités de production. Les grands problèmes qui se posent pour chaque domaine sont les suivants : En ce qui concerne la sécurité alimentaire, les questions relatives à productivité et à la préservation de la qualité du coton de manière à maximiser les bénéfices, sont capitales. L’analyse a mis en lumière un certain nombre d’écueils, notamment, le paiement tardif du coton, le remboursement de la dette et l’approvisionnement en intrants. L’absence de marchés de crédit implique que la seule façon pour les producteurs d’obtenir des crédits à grande échelle est de lier directement ventes et crédit aux intrants. Pourtant de nombreux retards (et autres contraintes) existent quant à la livraison des intrants aux producteurs. Ces contraintes sont aggravées par le problème du paiement tardif du coton produit, problème qui est amplifié dans le cas de chocs à la production dus à des circonstances imprévisibles (conditions climatiques, ravageurs, prix mondiaux du coton, conflits). En ce qui concerne le développement communautaire, les ristournes perçues par la collectivité sont d’une importance fondamentale, et la privatisation devrait s’attacher à assurer, dans la mesure du possible, qu’un certain niveau de revenus soit disponible à la collectivité de manière à permettre à celle-ci de poursuivre ses activités de développement. En ce qui concerne cohésion sociale, le problème qui se pose avant tout est celui de l’aptitude des AV et des organisations paysannes à s’organiser et se mobiliser pour promouvoir leurs intérêts. La présente analyse a démontré qu’il existe sur ce plan des disparités régionales, et que les villages qui jouissent de structures sociales fortes sont mieux à même de s’organiser. En outre, il semble que les cultivateurs de coton manquent d’information sur les tendances du marché, les prix et les problèmes liés à la réforme. L’accès à l’information et l’alphabétisation, surtout pour les femmes, sont donc des facteurs décisifs dont il conviendra de tenir compte pour assurer l’engagement actif et soutenu des paysans, tant dans le secteur en général, qu’avec leurs AV. S’agissant des moyens de production du coton, la section précédente a décrit les principaux obstacles à l’accès aux avoirs et capacités fondamentaux. Les paragraphes suivants traitent des questions d’équité et d’égalité des chances, en soulignant la multiplicité des effets prévisibles que pourrait avoir réforme. Cependant, l’absence actuelle de scénarios particuliers de réforme empêche de mener à ce stade une analyse plus approfondie. (a) Un impact social hétérogène Les éventuels « gagnants » et « perdants ». L’analyse a identifié des groupes et des régions spécifiques, chacun avec des vulnérabilités et des opportunités de gain particulières dans le cadre de la réforme.

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• Les employés de Cotontchad – Les effets sur l’emploi de la réforme incluent le

licenciement d’environ 1.500 employés de Cotontchad. Bien que la portée de ce licenciement ne soit pas encore très claire, il est probable qu’une partie de ces employés sera réintégrée dans les nouvelles sociétés suite aux privatisations.

• Les producteurs de coton – L'analyse identifie deux catégories de producteur de

coton: ceux qui ont les moyens de payer de la main d'œuvre et ceux qui n'ont pas ces moyens. La première catégorie est constituée par ceux dont la production est élevée, qui sont en général propriétaires de bétail et de matériel agricole et sont suffisamment riches pour avoir plus d'une épouse. Ils ont également généralement accès aux matières premières inorganiques et organiques et possèdent des terres fertiles. La plupart des ces producteurs performants est située dans la région de l'ouest qui produit plus de la moitié du coton au Tchad. A l’opposé, les producteurs situés dans le centre-est sont essentiellement des producteurs ayant un rendement faible à moyen. Ils derniers ont un accès limité au bétail et à la traction animale et utilisent assez peu les engrais dans la culture du coton. En général, ils ont des difficultés à payer le prix de la dot pour leur épouse et n'ont pas les moyens d'avoir de la main d'œuvre additionnelle. Ils constituent la catégorie la plus endettée. Sans mesures d'accompagnement et de soutien aux paysans, le secteur risque de disparaître ou, au mieux, sur le long terme, seul restera un petit nombre de producteurs dans l'ouest, disposant des connaissances et de l'expérience ainsi que l’ accès aux intrants et aux marchés des pays voisins. La plupart des paysans seront perdants, en particulier les producteurs à rendement faible ou moyen ne possédant pas de bétail. Ces derniers ont réellement besoin d’être soutenus pour acquérir du bétail et pour avoir accès au crédit.

Les femmes sont groupe particulièrement vulnérables du fait des contraintes sociales et économiques qu'elles rencontrent. L'analyse montre que la privatisation pourrait leur bénéficier si le secteur du coton restait actif et s’accompagnait d’une augmentation du nombre de commerçants dans les villages, et par conséquent, une source de commerce pour les femmes. Toutefois, l’analyse montre aussi qu’il sera nécessaire de s’attaquer au problème de l’alphabétisme de sorte à améliorer leur implication dans les organisation de paysans. Le fait que ce sont les femmes qui soient chargées de l’alimentation durant la saison de famine indique bien que toute aggravation de leur condition risque d’avoir un impact négatif sur la sécurité alimentaire des ménages.

• Les éleveurs – en cas de production extensive, leurs accès aux terres et aux sources pourrait être encore réduit.

• Les fonctionnaires du Gouvernement – lorsqu’ils possèdent des champs de

culture de coton, ils tombent dans la catégorie de grand producteurs grâce à leur accès privilégié aux intrants et aux liquidités. En fait, ils ont été identifiés comme étant les principaux prêteurs de deniers. Ils tireraient probablement parti de la privatisation du fait de leur accès plus facile à l’information, de leur affinité

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culturelle avec les gens au pouvoir, de leur mobilité et de leur proximité géographique des principaux axes commerciaux.

• Les commerçants – Avec la privatisation, les commerçants pourraient agir

comme intermédiaires et bénéficier de leur accès privilégié aux avoirs-clefs tels que l’information, les réseaux pertinents, le crédit et ainsi de suite.

Les transporteurs – Si Cotontchad venait à abandonner ses fonctions, cela pourrait donner de plus grandes opportunités aux transporteurs, particulièrement au niveau local

(b) Un impact géographique hétérogène La meilleure productivité est localisée dans la région Ouest de la zone de culture du coton. Cette région est dans une meilleure position pour tirer avantage des opportunités que les réformes vont dégager, alors que les régions Centre/Est sont probablement plus vulnérables aux risques associés à la réforme. Trois facteurs importants influent sur la productivité : la géographie ; l’organisation socio-politique et les évènements politiques. Premièrement, la région Ouest est mieux connectée aux principales routes commerciales menant à la capitale et au centre et nord du Tchad. De plus, ces régions bordent le Cameroun et le Nigeria et d’un point de vue ethnique, sont similaires aux régions limitrophes de ces pays. Les échanges informels transnationaux d’intrants et de coton existent déjà, et de fait, les marchés étrangers représentent pour la région Ouest une solution de rechange importante aux faiblesses du secteur. Au contraire, les régions Centre et Est sont géographiquement isolées, avec seulement deux routes menant aux principaux axes commerciaux. Durant la saison des pluies, les grands centres de l’Est et du Centre, tels que Sarh et Kyabé, deviennent presque coupés du reste du pays. Les coûts de transaction sont alors plus élevés dans ces zones qu’à l’Ouest. Les Régions Centrale et de l’Est sont desservies par les routes de transhumance qui permettent aux populations nomades du Nord d’accéder à la zone de production du coton. Par contre, ces routes sont en petit nombre dans la région Ouest. Ainsi, les conflits entre éleveurs et producteurs de coton sont moins nombreux dans l’Ouest. Qui plus est, les Peuhls, le groupe ethnique des nomades qui s’étendent jusqu’à l’Ouest, sont également cultivateurs, et ressemblent d’avantage à la population sédentaire de cette région. Ici, les complémentarités et les échanges entre les paysans et les nomades sont encore nombreux. La situation est très contrastée à l’Est où ces complémentarités sont été se sont sérieusement dégradées. Deuxièmement, les régions de l’Ouest sont généralement habitées par des sociétés fortement structurées et hiérarchisées, avec des systèmes où l’autorité politique et religieuse est légitimée. Le coton est inscrit dans une culture locale et sanctionné par les ancêtres. Les chefs traditionnels exercent une forte influence sur la production du coton, et la cohésion sociale permet une meilleure capacité d’organisation que dans d’autres

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régions, où la production de coton est plus atomisée et où les associations villageoises manquent de véritable dimension collective. De même, les régions de l’Ouest, où les CCL semblent avoir des échanges plus dynamiques avec l’ « interface », profitent de meilleures relations avec Cotontchad.. Au contraire, dans les régions du Centre et de l’Est, la structure sociale est en général plus relâchée, avec de nombreux villages pluri-ethniques et un système d’autorité socio-politique moins fortement légitimisé. Les associations villageoises dans ces régions apparaissent manquer de légitimité et d’imputabilité, le chef de village y jouant un rôle dominant, et les élections souvent manipulées. Troisièmement, les régions de l’Est et du Centre ont connu d’importantes perturbations politiques depuis 1984 alors que l’Ouest vivait une paix relative. D’une part, les habitants des régions de l’Est et du Centre ont été accusés de favoriser le mouvement de rébellion qui, entre autres choses, s’opposait également à la production de coton. D’autre part, les rebelles faisaient usage de la violence contre les producteurs de coton et décimaient leur bétail. De nos jours, ces régions accusent le gouvernement central aussi bien que les autorités officielles locales de manquer d’égard envers leurs besoins à cause de leur soit disant sympathie pour le mouvement dissident. Les paysans perçoivent aussi les relations (ou la connivence) entre les autorités locales et les éleveurs dans le même esprit. Finalement, les facteurs comme la grande fertilité du sol dans la région Ouest et la plus forte prévalence de la polygamie (qui facilite l’accès à la main-d’œuvre) dans cette région comparativement aux régions de l’Est et du Centre, contribue aussi grandement à la productivité de l’Ouest.23

Ainsi, toute réforme qui ne prend pas en compte ces différences et ces questions régionales mèneront à l’accentuation des disparités dans la productivité et les niveaux de production entre l’Ouest et le Centre/Est, avec la probabilité que tous les producteurs dans l’Est et le Centre (en particulier ceux qui ont la possibilité d’avoir des coûts effectifs, mais sont, d’un autre côté, contraints par a manque complet d’infrastructure) abandonneront le coton et souffriront de l’endettement et du manque de sources de revenus diversifiées.

Divers types de problèmes politiques liées à la réforme, ou de mesures d’accompagnement à la réforme ont été répertoriés dans cette section. Ces problèmes ont trait aux fluctuations possibles des prix suite à la privatisation, à l’assurance contre des chocs imprévus, au crédit pour les intrants, à l’accès aux intrants par les paysans, aux paiements d paysans sans délais, et au renforcement des capacités pour les AV, les groupes spécifiques de paysans, et les et les femmes. Ces problèmes et les mesures d’accompagnement liées à la réforme qu’ils impliquent sont débattues dans la prochaine section.

23 L’enquête des ménages explorera le potentiel de degré de polygamie, comme un indice pour les grands par opposition aux petits paysans.

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IIIème: Mesures d’accompagnement et d’atténuation Les résultats de l’analyse conduite jusqu’à maintenant suggèrent que la privatisation et la libéralisation ne pourront pas automatiquement aboutir à une concurrence des prix, ni systématiquement résoudre certains problèmes structurels qui plombent la filière actuelle du coton au Tchad. Les expériences tirées des autres pays confirment ces résultats. En Tanzanie, l’existence de la concurrence des prix entre les usines d’égrenage n’a pas éliminé les retards de payement. En fait, de tels retards de paiement s’étendent depuis plusieurs mois jusqu’à plus d’un an, et l’ajustement des prix se fait principalement entre les paysans plus aisés. De même, le cas du Ghana montre comment la libéralisation ou la privatisation n’ont pas débouché sur la concurrence des prix. Dans le cas d’espèce, les entreprises privées de coton ont collectivement décidé de déduire directement les coûts des intrants du prix unique de la graine de coton qu’ils proposent pour venir à bout du problème des pratiques de fraude et de resquillage. Cependant, les entreprises s’entendent pour établir un prix commun afin d’empêcher les paysans de vendre la production à des entreprises différentes de celles auprès desquelles elles se sont fourni les intrants. Ce dernier arrangement règle le problème de resquillage, mais il transfère directement l’augmentation du coût des intrants aux paysans. En revanche, dans des pays comme la Tanzanie et la Zambie, les entreprises privées ne fournissent pas d’intrants aux paysans compte tenu de la possibilité qu’ont ces derniers de se fournir en intrants auprès d’une entreprise et de vendre leur coton à une autre (Fok, 2000). Cependant, même lorsque la concurrence des prix est assurée, l’élimination de la fixation nationale des prix exposera les paysans à volatilité accrue des prix. Ceci peut mener à un coût additionnel ou à décourager les paysans qui souhaitent éviter tout risque. Les preuves d’un certain degré d’aversion pour le risque chez les paysans ont été révélées au cours du travail de terrain, les paysans ayant alors exprimé leur peur d’être exposés à une plus grande volatilité des prix, suite aux réformes. Les paysans le disent eux-mêmes, ils cultivent du coton de préférence à d d’autres cultures précisément à cause de sa faible volatilité des prix. Ainsi un scénario d’après lequel la production de coton serait abandonnée en vertu du risque de l’augmentation du prix à la suite des réformes serait plausible. Actuellement, les paysans préfèrent cultiver le coton plutôt que d’ autres cultures parce que le prix du coton est fixé. Au contraire, avec un marché concurrentiels, il est probable que le prix du coton devienne aussi variable que celui des autres cultures. Cette analyse semble être des plus urgentes aujourd’hui, compte tenu la situation actuelle sur le marché international et le bas prix du coton résultant des subventions lancées récemment aux États-Unis. Celles-ci peuvent avoir l’effet de torpiller la réforme et d’avoir un impact social et sur la pauvreté considérable A moins que la situation internationale ne change et que les subventions américaines ne soient suspendues, il est peu probable que une libéralisation et une privatisation du secteur du coton soit couronnée de succès. Néanmoins, vu le degré d’inefficacité et de pertes dans le secteur, ne rien faire ne peut être envisagé comme une option, et une solution éventuelle serait de restructurer le secteur du coton sans nécessairement le libéraliser. Des réformes

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en profondeur pourraient être envisagées comme alternatives à une privatisation et une libéralisation complètes, en prenant en compte les résultats de la présente analyse. Quelque soit le cas, conjugués avec l’expérience d’autres pays, ces résultats soulignent la nécessité d’identifier des mesures d’accompagnement et d’atténuation propres à assurer que les réformes au Tchad atteignent leurs objectifs de façon durable. La partie finale du rapport analyse quelques mesures qui devraient faire partie de la réforme. Elle constitue un essai limité de les organiser par ordre de priorité, puisque le scénario de la réforme n’est pas encore connu. Une liste plus précise de mesures d’accompagnement prioritaires sera donc dressée dans l’Analyse des Risques Sociaux qui sera conduite lorsque les informations sur le cours des réformes seront plus nombreuses. 1. Pré-conditions pour des marchés plus efficients et plus concurrentiels L’hypothèse selon laquelle les marchés se développeront ‘automatiquement’ avec la libéralisation comporte le risque de laisser un vide et d’accroître la vulnérabilité des personnes de façon dramatique. De nos jours, il n’y a pas de marché de crédit ni d’intrants. L’accès à l’équipement agricole est très limité ; les services de transport et les routes pavées sont presque inexistants. Cotontchad doit fournir le crédit et est supposé remplir d’autres fonctions pour lesquelles les marchés actuellement n’existent pas. Ainsi, à moins que certaines pré-conditions à l’existence de marchés concurrentiels ,telles que les infrastructures de base (comme les routes, les sources alternatives de crédit et l’information) ne soient mises en place, la privatisation du secteur du coton entraînera des coûts sociaux et économiques forçant au bout du compte les paysans à abandonner la production du coton – une option qui à son tour aura impact considérable sur leur niveau de vie. Crédit Le manque de crédit limite sévèrement l’investissement et les opportunités de gestion du risque, et provoque une spirale de dettes qui augmente encore davantage la vulnérabilité des personnes et l’inégalité socio-économique. Il limite également les possibilités de chercher des cultures alternatives à celle du coton dans le cas d’un marché déprimé ou de conditions environnementales adverses, puisque les producteurs utilisent précisément la production de coton pour obtenir l’accès au crédit. Au niveau macro, le manque de crédit limite le volume des importations d’équipement agricole pourtant indispensable. Les efforts devraient être faits dans la mesure du possible pour assurer l’intégration de la réforme du secteur du coton avec les projets de la Banque en cours qui peuvent mener à l’amélioration du fonctionnement du marché du crédit. Au niveau du village, les institutions et la disponibilité de du crédit devraient particulièrement être encouragées, spécialement dans le contexte des organisations des producteurs existantes et si possible par des approches de développement communautaire à petite échelle . Intrants

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L’expérience d’autres pays suggère qu’à elles seules, la privatisation et la libéralisation ne règleront pas les problèmes liés au système de distribution d’intrants au Tchad. En fait, au Bénin, la privatisation a conduit à l’effondrement de l’offre en intrants, précédemment assuré par les responsables de l’égrenage du coton24. Nous pouvons toutefois, sur la base de la situation du Tchad, suggérer quelques pistes qu’il vaudrait la peine d’explorer pour accroître l’accès à l’équipement et aux inputs. Ces pistes pourraient inclure :

a. Le rétablissement des subventions aux matières premières. Bien que cela soit un

danger potentiel pour l’efficacité du secteur, la situation internationale actuelle n’autorise que des solutions de second choix.. D’abord parce qu' il n’y a pas de marché interne des matières premières ; ensuite parce que, les marchés agricoles (et celui du coton) internationaux sont fortement perturbés par les subventions aux États-Unis et dans la Communauté Européenne.. En effet, selon les estimations du Comité Consultatif du Coton (CCC), le prix du coton resterait chroniquement déprimé, au moins dans le futur proche. Dans ce contexte, l’absence des subventions compensatrices dans le secteur du coton au Tchad aura des effets sociaux désastreux pour les paysans pauvres25. Il est clair que sur le long terme, ce type de subvention ne sera pérenne. Cependant, il est possible d’expérimenter de nouvelles façons afin d’instaurer un transfert forfaitaire qui ne déforme pas la structure des prix et aussi d’une façon telle qu’il vise les producteurs les plus pauvres ou les plus petits. Le transfert pourrait par la suite être progressivement éliminé au fur et à mesure que les marchés se développent.. Il faudrait une analyse économique des bénéfices et des coûts pour évaluer ce scénario26.

b. L’encouragement de la production domestique des matières premières et

d’équipement. Les petites entreprises des zones urbaines ainsi que les forgerons de village devraient recevoir une formation pour produire et pour entretenir l’équipement agricole. Déjà dans la région de l’Ouest, des forgerons fournissent et entretiennent des charrues pour la population locale. Leur fonction pourrait évoluer, comme c’est le cas au Mali, où les services de recherche et de vulgarisation sont utilisés pour former les forgerons de village pour fabriquer et pour entretenir l’équipement des charrues.

c. L’encouragement de l’utilisation des engrais organiques en garantissant l’accès aux déchets du coton, en encourageant les initiatives de développement de l’élevage pour la production d’engrais organiques, en faisant des expériences avec du compost et avec d’autres méthodes pour améliorer le potentiel des engrais organiques et, finalement, en trouvant les moyens de rétablir les complémentarités entre les éleveurs de bétail et les paysans dans les régions du Centre et de l’Est.

24 VoirLe “Cultivating Poverty - The Impact of US Cotton Subsidies on Africa”, Oxfam Briefing paper, 30, p.10. 25 Le Bénin et le Tchad ont perdu tous les deux beacoup plus à cause des subvention des Etats-Unis par rapport a ce qui ont gagne de l’Initiative HIPC. Source: World bank, Heavily Indebted Poor countries Initiative, ‘Status Implementation’, August 2002, p. 26. .

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Étant donnée l’absence de marchés financiers , il serait nécessaire, à court-terme, de maintenir le lien entre l’approvisionnement en inputs, le crédit et la production de coton. Cependant, les parties précédentes du rapport ont démontré les importants risques sociaux et économiques découlant de telles pratiques. En plus de la possibilité de transferts/subventions forfaitaires, le maintien sélectif du système actuel pourrait être examiné, dans le but de lier l’approvisionnement des matières premières à la production de coton pour les paysans du Centre-Ouest et les petits paysans. Toutefois, , afin de réduire le coût qui pèse sur ces paysans, il serait nécessaire de prendre des mesures pour soulager le poids du remboursement de leurs dettes, soit en utilisant un système d’assurance, dans les cas de circonstances imprévisibles empêchant la production de coton, soit en renforçant la dimension collective des associations de villages (voire plus bas). Ceci est surtout nécessaire dans les cas de retards de paiement et dans les cas d’un déclassement de qualité injuste, qui conduit à une perte nette. Il est probable que les fournisseurs privés de matière première vont insister sur le lien direct entre le paiement des semences de coton et le recouvrement du crédit consenti lors de l’achat des matières premières. Il est probable que le coton soit utilisé comme garantie, comme c’est actuellement pratiqué avec Cotontchad27. Cependant, les résultats de la présente analyse suggèrent qu’un arrangement de cette sorte aggraverait probablement l’endettement déjà alarmant des paysans vis-à-vis des créditeurs28. Afin d’éviter ce scénario, des efforts devraient être entrepris pour minimiser le risque auquel font face les particuliers, en promouvant des mesures qui répartissant le risque entre groupes de paysans. Cependant, renforcer les organisations de paysans tout en maintenant le lien actuel entre la production et le crédit, ne suffirait pas pour les sociétés moins organisées du Centre et de l’Est ; l’analyse suggère que dans ces sociétés, il y aurait un risque social et économique important qui ne pourrait qu’ aggraver l’abandon de la culture du coton par certains ménages, afin d’éviter une fracture sociale plus importante. Encore une fois, une solution serait d’armer les paysans avec une sorte d’assurance pour se protéger face à des circonstances imprévisibles. En outre, des mesures pour développer plus les emprunts de groupe (en capitalisant sur les efforts actuels de groupements au niveau du village) pourraient être explorées. Elles apporteraient plus flexibilité aux paysans en matière de crédit, d’utilisation et d’achat de matières premières et faciliteraient la prise d décisions basées sur les prix des matières premières. Le potentiel des cultures sous contrat et le recouvrement de la dette qui lui est lié est un est un problème fondamental au Tchad, et il devrait être examine plus à fond dans la seconde phase de l’analyse qualitative. Au Bénin, par exemple, l’approvisionnement en matières premières est effectué par l’intermédiaire d’une association commerciale sectorielle qui n’inclut pas les usines d’égrenage, mais qui implique une série de contrats entre les opérateurs privés du secteur et les paysans. Ceci limite les comportements de recherche de rentes de situation qui se manifeste quand des usines d’égrenage sont impliquées dans l’intermédiation. Cependant, afin de compléter ces efforts, il est

27 Voire l’article de Badiane qui suggere explicitement ce chemin. 28 L’enquete des ménages capturera les differents niveaux d’endettement pour les different types de ménages de paysants et pour les differents regionsThe household survey will capture the different levels of indebtedness for various types of farm households and for differentes regions.

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nécessaire de mettre en place et de faire appliquer des dispositifs appareils réglementaires adéquats protection des droits contractuels, de maintien des standards de qualité et de sauvegarde de la santé humaine et de la sécurité environnementale, ce qui, vu l’état actuel de gouvernance au Tchad n’est pas réaliste. En outre, comme mentionné ci-dessus, il semble que le système entier de fourniture de matières premières s’est effondre au Bénin à la suite du processus de privatisation. Le programme de réforme actuel bénéficierait grandement d’une analyse comparative plus détaillée. Information Dans toutes les régions, la question du manque de réseaux d'information et de communication est cruciale. Le mauvais état des infrastructures de communication empêche les flux d'information adéquats dus "centre" à la "périphérie" et vice-versa. Il s'agit d'un problème de long terme qui peut mettre en péril le processus de privatisation. A l'époque de notre étude de terrain, peu de paysans étaient conscients des implications de la réforme en cours et de ses effets éventuels sur leur vie quotidienne. L'absence de connaissance de la dynamique possible des privatisations est en train de générerun sentiment d'incertitude et de méfiance vis-à-vis de Cotontchad et du gouvernement. Bien que, durant notre étude de terrain, de nombreux paysans aient exprimé la possibilité de passer à d’autres cultures de rapport ou à des cultures vivrières, il est important de rappeler que, dans de nombreuses régions, le coton est la seule culture possible. C'est en effet la seule activité qui permette aux paysans de gagner un revenu significatif pour la production et l’ investissement social. Afin que le processus de réforme réussisse, les paysans doivent être informés des implications possibles des réformes et ils doivent se sentir partie prenante dans les processus décisionnels si l'on souhaite qu'ils deviennent des partenaires véritables dans la nouvelle structure productive. Afin d'atteindre ce but, les paysans doivent avoir accès à l'information (sur les cours internationaux des produits, leurs prix locaux , les procédures et les réglementations, les prévisions météorologiques, etc.) pour qu'un marché concurrentiel et efficace puisse exister. Des projets de réseaux de radio communautaire ainsi que le renforcement des radios publiques devraient être lancés pour permettre des flux d'information mis à jour, systématiques et aussi étendus que possible. Les programmes de radio pourraient également être conçus comme des instruments éducatifs. Aujourd'hui, les CCL font de la formation par le biais d'un fonds fiduciaire géré par le CTRC. Cependant, de l'avis des paysans, les possibilités de formation devraient être une activité continue, ainsi que l'a clairement indiqué un chef de canton durant notre étude de terrain: “ le paysan est comme un sentier, il faut y passer et y repasser pour qu’il saisisse les informations”. Voix participative

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De la même façon, les paysans ont besoin de mécanismes destinés à faire entendre leurs positions et leurs préoccupations aux décideurs et aux institutions privées et à leur permettre d'influencer le processus de prise de décision. En d'autres termes, il faudrait une organisation ou un syndicat dépositaire de la confiance des paysans et qui puisse représenter leurs intérêts. Les CCL ont été établis dans l'intention de négocier avec le CT au nom des producteurs. Cependant, cette étude semble démontrer que dans certaines zones, les CCL n'ont pas l'entière confiance des paysans.29 Il est nécessaire d'améliorer la redevabilité des CCL ou bien rétablir les MPZS qui ont plus de légitimité parmi les paysans – du moins dans certaines zones.

La Banque a actuellement deux projets qui pourraient compléter efficacement les efforts poursuivis par la réforme en termes d'accès aux intrants et au crédit. Il s'agit du projet PROADEL (projet de développement communautaire) et du projet PSAOP (projet de développement rural). Une collaboration efficace avec ces projets dans la perspective de réduire les impacts négatifs de la réforme et de construire à partir du potentiel existant dans les zones de culture du coton rendrait le processus de réforme plus équitable et plus pérenne. Cela améliorerait également la capacité des communautés, l'approvisionnement en services (éducation et santé) ainsi que l'accès aux infrastructures (routes, radios communautaires), et bénéficierait à la production de coton. Dans le cas particulier de l'information, la collaboration entre les équipes du PSIA et du PSAOAP a abouti à l'établissement d'une plate-forme commune pour le lancement d'environ cinq ou six radios communautaires pour le plus grand bénéfice des paysans – tans les producteurs de coton que les autres producteurs. Des initiatives semblables devraient être lancées dans l'avenir. Une collaboration avec ces projets devrait également être poursuivie en vue d'encourager le développement communautaire et d'accroître la capacité organisationnelle des paysans, comme le soulignent les paragraphes suivants. 2. Capacité des paysans et des organisations paysannes Développement communautaire La section précédente a souligné le rôle essentiel joué par les ristournes sur le coton dans le cadre du développement communautaire et de la qualité de vie. Les ristournes représentent la seule source de développement communautaire et leur suppression – que l'entrée dans le jeu du secteur privé et différents modes de paiement pourraient entraîner – constituerait une perte énorme en termes sociaux, humains et économiques. Encore une fois, , en intégrant des approches de développement communautaire au niveau des

29 Un exemple est fourni par la requête des paysans présentée aux CCL de négocier avec le CT pour reviser la “Charte des marchés autogérés (MAG) de coton graine” et en particulier son article 16 – requête qui, d'après les paysans, est restée lettre morte jusqu'à présent (voir l'analyse institutionnelle pour plus de détails).

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projets, les mesures de réforme pourraient identifier des moyens de maintenir les ristournes afin de tirer parti et de renforcer les structures communautaires existantes et de s'assurer que la propension aux investissements collectifs ne soit pas perdue. Associations villageoises Certaines associations villageoises des régions de l'ouest montrent comment il est possible de maintenir la production à un niveau élevé tout en évitant la fragmentation sociale. Comme l'a montré la première partie du rapport, le coton est une force de division dans certaines régions du centre et de l'est où les AV partagent une part de responsabilité dans cette fracture sociale. Dans de nombreux cas, les paysans préfèrent abandonner la culture du coton plutôt que d'endommager encore leurs relations sociales. Pourtant,, il serait possible d’augmenter la production sans fractures sociales en adoptant les mesures suivantes:

- Premièrement, les AV doivent être légitimées au plan local. La communauté devrait

utiliser la méthode de son choix pour sélectionner le président de l'AV ainsi que des membres du bureau. L’idéal serait que les membres de l'AV aient la possibilité de réélire ou de changer la direction de l'AV en cas de mauvaise gestion. Il devrait également être possible d'inclure des membres du clergé traditionnel ainsi que d'autres dignitaires respectés et reconnus pour leur sagesse (les anciens, appelés sages ayant une expertise en matière de production de coton, mais souvent trop vieux pour continuer de cultiver). Finalement, les associations ne devraient pas être "imposées d'en-haut" ou établies par l'ONDR ou le CT, mais devraient être le résultat de l'initiative des personnes à la base, et devraient être développées de façon appropriée d'un point de vue culturel. D'où la suggestion d'intervenir dans le cadre de l'approche du développement mené par les communautés (Community-driven development)

- - Deuxièmement, les AV doivent générer des revenus. Les méthodes de création de

revenus et de développement communautaire (champs collectifs de coton ou d'autres cultures, accès au crédit, cotisations des membres, etc.) devraient être encouragées. Le transfert de responsabilité pour le recouvrement et le remboursement des crédits des familles aux AV devrait constituer un l’objectif ultime (et un indice de la force d'une association).

- Troisièmement, les membres d'une AV doivent être alphabétisés et avoir des

connaissances en gestion. L'analyse montre que plus le niveau d'alphabétisation est élevé, plus la capacité organisationnelle de l'association s'accroît, ainsi que son assurance et son efficacité dans ses rapports avec Cotontchad. Cette corrélation pourrait être particulièrement forte pour les femmes et les petits producteurs.

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Les institutions et les structures sociales existantes peuvent être utilisées pour améliorer l'organisation des paysans. L'analyse suggère que le fonctionnement des AV est plus efficace lorsqu'elles s'alignent et se construisent sur la base d'institutions locales déjà existantes:

- Les associations de producteurs pour hommes et pour femmes déjà engagées dans des

activités génératrices de revenus telles que la production collective de cultures vivrières ou de rapport dont les rentes sont utilisées pour l’achat de biens publics ou pour la fourniture de crédit. Celles-ci seront plus facilement pérennes en termes de partage des responsabilités et pourront éviter le problème des fraudeurs (« les resquilleurs »)

- Les systèmes traditionnels d'autorité politique, sociale et religieuse exerçant une

pression contre les comportements individualistes et assurant le respect des règles des AV peuvent également aider à maintenir responsabilité et transparence. Cependant, il faut être prudent et s'assurer que les leaders traditionnels soient bien légitimés et ne saisissent l'occasion de détourner le processus. Par conséquent, il est important que les paysans soient bien informés de leurs droits et des règles et procédures applicables, afin de garantir la redevabilité et la transparence. Le cadre ci-dessous indique que le problème ne se situe pas au niveau de l'institution des AV, mais dans la manière dont elles sont établies dans différentes régions.

Cadre 4: Transparence et imputabilité des AV Dans de nombreuses zones de la région de culture du coton où les AV agissent de façon transparente en rendant des comptes, les chefs de villages et les conseils villageois ne sont pas directement impliqués dans leur fonctionnement. Au contraire, ils interviennent dans les différends et sanctionnent les contrevenants – les chefs de village reçoivent une portion des revenus du coton pour ces fonctions. Les AV exercent un contrôle social et font obstacle aux comportements individualistes. Elles ont des procédures transparentes dans la gestion de leurs ressources ainsi que dans les méthodes pour désigner ou élire les présidents ou les autres membres de la direction. Dans les cas de mauvaise gestion, un nouveau président ainsi qu'une direction entièrement nouvelle sont immédiatement et automatiquement élus. Ceci diffère de façon importante des zones où les leaders traditionnels manquent de légitimité et où les conflits d'intérêt s'opposent à l'efficacité des AV. Services de recherche et de vulgarisation La portée de la plupart des fonctions de "service public", y compris les services de vulgarisation actuellement rendus par Cotontchad est destinée à être réduite, suite à la privatisation. En conséquence, il serait souhaitable de revoir la position et le rôle de l'ONDR. Cela serait particulièrement important étant donné l'expérience institutionnelle accumulée par l'ONDR et la présence de ses agents sur toute la région de culture du coton. Aujourd'hui, la production de coton souffre d'un manque total de services de recherche et de vulgarisation. La détérioration continue des sources de revenus de l'ONDR et de ses capacités a également affecté la portée de son action dans le secteur. En conséquence, les paysans doivent désormais s'appuyer sur les agents d’ interface de Cotontchad, qui comme nous l'avons déjà expliqué, ne semblent avoir ni les compétences

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ni les incitations nécessaires pour remplacer le rôle et les fonctions des agents de l'ONDR sur le terrain. Le ministère de l'agriculture devrait être doté des moyens financiers et techniques pour actualiser ses méthodes et former son personnel. Ses services devraient couvrir tant la production de coton que d’autres cultures vivrières ou de rapport. Des approches participatives de recherche et de vulgarisation devraient être promues afin de profiter des connaissances réelles des paysans, tout en les faisant participer dans les activités expérimentales et de dissémination. Cadre 4: Déficit institutionnel dans les ressources et la stratégie de recherche et de développement. Le Tchad possède un centre public spécifiquement destiné à la recherche. Le centre (Institut tchadien de recherche agronomique pour le développement—ITRAD) est situé à Bebeja et procède à des recherches et à des tests de variétés de semences. L'ITRAD est sous la responsabilité directe et la tutelle administrative du Ministère de l'Agriculture. Dans ce cadre, il peut être classé comme un service de vulgarisation agricole. Cependant, durant les dernières années, les allocations budgétaires du ministère de tutuelle pour ce centre de recherche ont chuté à des niveaux très bas et insoutenables pour l'institut. Au cours de certains entretiens avec des responsables gouvernementaux, nous avons eu l'impression que du fait que Cotontchad était une entreprise publique, le financement de la recherche et les investissements dans le secteur du coton devaient constituer une part importante de ses intérêts, de ses responsabilités et de son mandat institutionnel. Pourtant, la direction de Cotontchad n'a aucun mandat institutionnel clair concernant la recherche et toutes les initiatives dans ce domaine restent des efforts ad-hoc et sporadiques, sans les ressources et la planification adéquates. La formation est particulièrement nécessaire pour améliorer les techniques de production ainsi que l’alphabétisme fonctionnel ](particulièrement pour les femmes) et la tenue des comptes. Les paysans et les délégués villageois se plaignent de leur manque de compréhension réelle de leurs droits individuels et institutionnels, et le mettent sur le compte, soit de la mauvaise foi de certains de leurs représentants, soit sur le manque de formation, ou simplement sur le manque d’information actualisée. La question de la formation et des capacités techniques revêt une importance particulière dès lors que l’on considère la proposition faite dans le contexte de la réforme en cours, selon laquelle les paysans deviendraient actionnaires d’un nouveau Cotontchad privatisé. Cependant, un partenariat juste et efficace exige non seulement l’égalité du statut juridique, mais –et c’est encore plus important—les qualifications et les capacités de base des représentants des paysans si l’on veut qu’ils prennent des décisions sincères, informées et techniquement fondées au nom des personnes qui les ont mandatés. 3. Mesures visant l’insécurité alimentaire, les chocs exogènes, et les fluctuations de prix Les producteurs comptent généralement sur les revenus du coton pour acheter la nourriture. Il faudrait donc encourager les sources alternatives de revenus afin de réduire l’insécurité alimentaire et de diversifier les risques associés à la monoculture du coton. Les sources alternatives de revenus pourraient inclure : d’autres cultures

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vivrières ou de rapport, comme le riz (qui peut être cultivé dans des zones inondables), le millet, le sorgho, les pommes de terre douces, les légumes, les cacahouètes, et ainsi de suite. L’artisanat et les industries villageoises de textile pourraient aussi être encouragées grâce à des interventions à petite échelle et à travers les coopératives. L’artisanat pourrait contribuer à promouvoir la production locale d’équipement non onéreux pour la production du coton, afin de réduire la forte dépendance des importations. Les industries villageoises de textile pourraient aider à promouvoir la demande et la sous-traitance des usines d’égrenage locales et de la production de graines de coton graine. Finalement, la production de produits organiques ou de niches particulières tels que le café dérivé de soya ou le beurre de karité pourrait aussi être encouragée. S’ajoutant aux activités génératrices de revenus, des filets de sécurité peuvent être organisés pour atténuer l’impact de la réforme pour ceux qui risquent d’avoir à affronter des chutes sérieuses de leurs revenus. Des opérations comme les travaux d’utilité publique peuvent être utilisées à la fois comme filets de sécurité et pour construire des infrastructures économiques et sociales. L’idéal serait que ces interventions soient conçues sur la base des structures et canaux par lesquels passent les opérations de ristourne. Il faudrait identifier les mesures visant à contrecarrer les pratiques frauduleuses en matière de marketing du coton et à éviter qu’elles perdurent –ou même pire, qu’elles s’aggravent—avec la réforme. Dans le cas des délais de paiement, l’expérience des autres pays suggère que le problème peut persister même après la privatisation. Les paiements aux fermiers sont faits sur la base des reçus d’exportation. Les délais dans cette procédure signifient des paiements en retard. De même, des retards dans la pesée ou dans toute autre opération effectuée dans l’usine d’égrenage conduit à des délais dans la réception des paiements par les paysans. Pour s’attaquer à ce problème, il est important de promouvoir l’idée de paiement aux paysans soit au point de vente soit aussi près de ce point que possible. Dans le cas d’un déclassement injuste du coton, il n’est pas sûr que l’entrée de compagnies privées conduirait à des procédures plus transparentes pour l’évaluation du coton. L’analyse institutionnelle le montre, ce n’est pas la CT elle-même, mais ses intermédiaires qui profitent de ces pratiques corrompues – et souvent certains membres des AV eux-mêmes. Cependant, avec l’arrivée d’acheteurs multiples, il est probable que les plus corrompus seront pénalisés, et ceci peut jouer comme une incitation pour des contrôles du personnel de terrain plus stricts par les dirigeants. Quoiqu’il en soit, la catégorisation du coton devrait intervenir le plus près possible du point de vente, au niveau du village. Par ailleurs, les paysans doivent être informés des règles et des moyens pour faire appliquer les contrats. Non seulement cela réduirait le déclassement injuste, mais cela assurerait aussi que le coût des pertes de qualité dues au transport et les délais de regroupement ne soit pas transmis aux paysans. Un accès équitable à l’information est essentiel dans l’effort pour mettre fin à ces pratiques frauduleuses.

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Les prochaines étapes La discussion qui précède a récapitulé les principales constatations issues de la première phase de l’analyse qualitative, laquelle avait pour but de permettre une compréhension approfondie des principales problématiques qui sont en jeu dans le secteur du coton au Tchad. Une deuxième phase de l’analyse qualitative devait démarrer en avril 2003, qui serait axée, une fois que les divers scénarios de réforme auront été élaborés par le Gouvernement, sur l’Analyse des risques sociaux envisageables pour chaque scénario, et qui permettra de pousser plus avant certaines des observations relevées dans le présent rapport. L’Analyse des risques sociaux permettra de déterminer d’une part les scénarios de réforme les plus viables, sur le plans social et sur le plan économique, et d’autre part, d’envisager les mesures d’accompagnent nécessaires.

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ANNEXES Annexe I - La feuille de route de la PSIA : où en sommes-nous aujourd’hui ? a. La feuille de route de la PSIA La présente analyse constitue l’une des premières mises en application de la méthodologie de la PSIA telle qu’elle a été développée par les unités de Développement social et de Réduction de la pauvreté et gestion économique (respectivement SDV et PREM) de la Banque mondiale. Les paragraphes qui suivent font référence à cette méthodologie, ainsi qu’elle est décrite dans « la PSIA : manuel de l’utilisateur »30. La feuille de route consiste en des analyses ex-ante et ex-post de la pauvreté et de l’impact social, tant qualitatives que quantitatives. L’analyse qualitative ex-ante se déroule en deux phases : La première phase comporte les instruments analytiques suivants : Évaluation auprès des parties prenantes, Évaluation du degré d’appropriation, Évaluation de l’impact social, et Analyse institutionnelle. Cette phase a pour but de renseigner les intervenants sur les divers contextes (social, économique, institutionnel), de délimiter les zones de vulnérabilité et les voies d’amélioration, et d’alimenter l’analyse quantitative ex ante. Commencé en mai 2002, le présent rapport achève la première phase en prolongeant l’examen des constatations issues des analyses énumérées plus haut. Sont joints en Appendice les rapports définitifs, les Termes de référence pour l’Analyse institutionnelle et pour l’Évaluation de l’impact social (ainsi que le Document de conception). La seconde phase de l’analyse qualitative ex-ante débutera en novembre 2002, après l’élaboration des scénarios optimistes. Elle impliquera une Évaluation des risques sociaux, qui sera menée en fonction des scénarios. L’Évaluation précisera les effets prévisibles à court et long terme, ainsi que les mesures d’atténuation correspondant à chacun des scénarios envisagés. L’Analyse quantitative ex-ante sera exécutée suite à l’achèvement de la première phase et prévoit une Enquête auprès des ménages de producteurs de coton. Les constatations issues de la première phase devraient servir de base à l’élaboration de l’Enquête en termes de contenu, de formulation des questions, et d’hypothèses à mettre à tester. Les hypothèses relatives aux différences régionales, et aux variations liées à la taille de la propriété agricole, au sexe, à la qualité des relations entretenues avec les éleveurs, et au degré de cohésion sociale, seront développées et raffinées au cours de l’Enquête auprès des ménages et de Évaluation des risques sociaux. Après l’adoption et la mise en place de la réforme, des enquêtes par panel auprès des ménages, des évaluations qualitatives, ainsi que des analyses institutionnelles seront effectuées sur une base annuelle (et coïncidant avec le cycle de culture du coton), durant une période de trois ans. Ceci facilitera le suivi/évaluation du déroulement de la réforme, 30 Référence.

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ainsi que la définition des ajustements à opérer, et celle des mesures d’atténuation les plus indiquées. b) Le choix des méthodes a été influencé par le genre de réforme et par les contraintes liées aux données et aux capacités. La privatisation du secteur du coton induit des effets de retour puissants: son impact transitera par plusieurs canaux (emploi –formel et informel-- ; prix – au consommateur et au producteur ; avoirs), conduira à des changements comportementaux au niveau des ménages, et aura des répercussions sur l’économie dans son ensemble. Malgré cela, l’absence de toute donnée quantitative sur le Tchad et la faiblesse des capacités locales en matière de collecte de données ont conduit à adopter des approches plus simples. L’Évaluation de l’impact social a permis d’identifier les facteurs-clef qui sous-tendent l’hétérogénéité des effets entre les différentes catégories de personnes et a permis de proposer des « aires de vulnérabilité » à un examen plus approfondi dans le cadre de l’analyse des risques sociaux, une fois connus les scénarios de privatisation connus. L’analyse institutionnelle a exploré les flux des principales ressources au sein des institutions concernées et entre elles, en vue d’identifier les blocages dans l’organisation de la production et de la commercialisation du coton et les voies possibles pour son amélioration. Les méthodes de collecte de données ouvertes ont donné lieu à un processus d’ analyse interactif : l’évaluation d’impact social et l’analyse institutionnelle ont été préparées et conduites en même temps, les questions de recherche et les hypothèses identifiées, analysées et testées réciproquement. Ces données aident à construire le questionnaire fermé de l’enquête ménage, et vont engendrer les hypothèses qui seront testées avec des outils économiques. Les outils sociaux puis économiques sont utilisés dans l’analyse ex ante ; pourtant, le PSIA avait été conçu pour promouvoir un intégration complète des méthodes de façon à ce que chaque méthode éclaire l’autre à chaque phase du travail. c. Construction d'un sentiment local d’appartenance Un soin particulier a été mis pour intégrer l’analyse dans le processus politique national. La conception du PSIA ex ante et ex post a été discutée et ajustée aux conditions locales par les institutions gouvernementales idoines ( Cellule économique, Ministère de la promotion économique et du développement, Ministère du commerce, de l’industrie et de l’artisanat ; comité en charge de la réforme du secteur cotonnier, membres du Comité du PR, Institut statistique). Les résultats de l’analyse ex-ante seront présentés à un forum prévu en juillet 2003 ; les impacts sociaux --positifs et négatifs—sur la pauvreté seront mis en lumière, et discutés avec le gouvernement, les délégués des organisations de paysans du secteur privé. Le but recherché est l’information sur la réforme choisie et l’intégration des résultats dans le processus politique.

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Des efforts particuliers ont été entrepris en vue de forger des partenariats avec des groupes de recherche locaux. Des chercheurs locaux, en provenance des milieux universitaires et des agences de l’État sont en train de mener les analyses qualitatives et quantitatives. Mais il convient de signaler que les démarches d’identification et de sélection de chercheurs a requis un certain temps, en particulier pour ce qui est des méthodes de recherche qualitatives. Le nombre de centres de recherche locaux est restreint, et ce domaine mériterait d’être renforcé. L’Université de N’Djaména n’a pas de Faculté d’anthropologie et les meilleurs chercheurs qui se sont consacrés à l’É valuation de l’impact social ont été formés dans les pays africains voisins. En revanche, les instituts de statistiques sont l’objet de multiples interventions de la part de partenaires internationaux, sur le plan du renforcement de leurs capacités. Annexe II - Analyse institutionnelle (dossier séparé) Annexe III – Évaluation de l’impact social (dossier séparé)

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