Click here to load reader
View
216
Download
0
Embed Size (px)
Analyse du discours (de Michel Pcheux) vs analyse
de linconscient
Michel Plon
Il ny a de cause que de ce qui cloche
Jacques Lacan
La Rvolution est toujours assassine. Rosa Luxembourg abattue sur la neige, au bord du canal o son corps va tre jet. Le Che excut dans lcole de Vallegrande, allong nu, hirsute, yeux vitreux, comme prpar pour la dissection, ses mains coupes, le masque mortuaire qui arrache la peau du visage. (...) Vous aviez la tte farcie de ces icnes tragiques. Faire la Rvolution, ce ntait pas tellement prparer la prise du pouvoir, ctait plutt apprendre mourir
Olivier Rolin
Je voudrais tout dabord prciser et amender le
titre annonc pour cette confrence, titre alors provisoire,
incomplet lorsque je lai communiqu : Analyse du
Discours versus analyse de linconscient est donc
devenu Analyse du discours de Michel Pcheux versus
analyse de linconscient .. Rectification, Michel aimait ce
terme, qui na rien de secondaire, puisque sil sagit dune
analyse, cest au sens dune lecture slective, oriente et
non celui dune analyse automatise ou formalise, telle
quil en avait construit le modle ; lecture critique, examen
dun discours, du discours de Michel Pcheux, le terme de
discours fonctionnant ici sur le mode mtaphorique. Il
tait en effet tout fait vident pour moi, mais
probablement tout autant pour les quelques uns ici qui me
connaissent ou mont connu lpoque, que je nallais
pas, moi qui ne suis en rien linguiste, vous parler, vous,
experts en la matire, de lAnalyse du discours comme
telle, celle fonde par Michel Pcheux, devenue depuis,
discipline part entire, non sans transformations,
rvisions, abandons et remises en question, toutes choses
dont je nai quune connaissance trs approximative.
Le discours que je retiens donc ici, conformment
dailleurs aux vux qui me furent exprims alors que je
faisais valoir celle qui minvitait, mon incomptence
absolue sur le champ de lanalyse du discours, cest le
discours entendu au sens du propos, du projet, au sens
de luvre de Michel Pcheux, au sens encore, de son
parcours intellectuel. Parler ainsi du discours de Michel
2
Pcheux, cest en quelque sorte prendre en compte
certains aspects du discursif foucaldien lorsque celui-ci est
oppos par son auteur au scientifique, notamment sur la
question du nom, Foucault parlant en ce point de la
"couture" du discursif au nom propre lors mme que le
registre du scientifique dpasse lancrage dans la
nomination. Cest l juste une incise qui fait lien avec
lopposition raison/cause laquelle se rfre Lacan et que
jvoquerai dans un instant.
Ce point tant clarifi autant que je puisse
lesprer, je vous dirai que ce que je veux tenter de saisir
avec vous, ce sont certains aspects de ce discours-
parcours qui pourraient constituer les causes ou la cause
- je dis bien les causes ou la cause et non pas la raison -
du recouvrement, voire de lignorance dont Michel et son
uvre font aujourdhui lobjet en France ; tenter didentifier
ce qui cloche dans loeuvre de Michel et qui occasionne
des lectures biaises, voire, le plus souvent, des non
lectures. Pensez donc que pas mme un hommage nest
prvu en France en cette anne particulire ; pensez
encore que lon peut lire, o que lon pouvait lire, dj en
1995, il y a presque dix ans - et je cite l la prsentation
par Dominique Maingueneau dun numro de la revue
3
Langages, le n 117 trs prcisment, consacr aux
analyses du discours en France - que ce courant de
lanalyse du discours, celui notamment de Michel Pcheux
qui en loccurrence nest mme pas nomm, que ce
courant donc de lanalyse de discours ... presque
exclusivement consacr au discours politique dit-on,
quel crime oserai-je ajouter, tait porteur dobjectifs et
usait de mthodes qui appartiennent dsormais
lhistoire des ides . En bon franais, autrement dit, en
appelant les choses par leur nom, ou encore, expression
franaise quen tant que linguistes vous connaissez ou
goterez, en appelant un chat un chat, cela signifie un
enterrement et je ne mattarderai pas ici citer dautres
exemples illustrant cette manire de congdier une fois
pour toute le travail de Michel Pcheux, vous tes
infiniment plus au courant que moi de cet tat de chose.
Pour autant, ce serait leur faire beaucoup dhonneur que
de prendre pour argent comptant de tels empressements
liquidateurs, que de ne pas entendre que ces
empressements mme, parlent dun drangement, dun
obstacle dont on veut, avec une prcipitation rien moins
que suspecte, se dbarrasser. Denise Maldidier, au terme
de sa propre vocation du parcours de Michel, le disait
4
dj en termes forts, en 1990, lanne de la mort de Louis
Althusser et alors que la priode du dsenchantement
politique tait dj largement entame : ce quil a
thoris sous le nom de discours est le rappel de
quelques ides aussi simples quinsupportables : le sujet
nest pas la source du sens ; le sens se forme dans
lhistoire travers le travail de la mmoire, lincessante
reprise du dj dit ; le sens peut tre traqu, il chappe
toujours. . Le sens, lhistoire c'est--dire la politique, la
rptition, cest dire linconscient, autant de choses
effectivement qui drangeaient et continuent den
dranger plus dun, en France, mais pas seulement. Et
Denise Maldidier concluait ainsi ce passage de sa
rflexion, A cause de Michel Pcheux, le discours dans
le champ franais (devrais-je ajouter, moi, Michel Plon, "et
dans le champ brsilien") ne se confond pas avec son
vidence empirique ; il reprsente une forme de
rsistance intellectuelle la tentation pragmatique
(Linquitude du discours p. 89). L, se manifeste, me
semble-t-il, dans ce dernier propos de Denise Maldidier,
une tonalit optimiste, voire euphorique qui, je le crois
autant que je le crains, nest plus gure de saison,
supposer mme quelle lait t en 1990, cinq ans avant
5
les lignes cites de Dominique Maingueneau qui
saffichent comme un ultime et htif loge funbre. La
rsistance intellectuelle voque par Denise Maldidier
avait en fait commencer de cder en 1990 sans que lon
sen aperoive et lon tait sans doute encore loin de
mesurer le bouleversement que venait de constituer
lanne 1989 ; le sommes-nous seulement aujourdhui, on
peut en douter puisque la rflexion dite de gauche sest
bien garde - je ferai sur ce point une exception en
mentionnant les deux derniers livres, Berlin chantiers et La
mmoire sature, de Rgine Robin, une autre grande
amie de Michel - de faire de cet vnement un objet de
rflexion, ne lui laissant du mme coup quune seule
signification, celle dune victoire absolue et dfinitive du
libralisme.
Laissons l, au moins pour linstant, ces facteurs
extrieurs qui ne sauraient, eux seuls, tre tenus pour
responsables du recouvrement voqu de luvre de
Michel Pcheux et considrons plutt que la liquidation
indique, la soit disante inscription dans lhistoire des
ides ne sont peut tre que les symptmes de ce qui,
dans la dmarche de Michel Pcheux, pouvait clocher et
donner prtexte vacuation. Quest-ce qui aurait ainsi
6
cloch ? Dabord, je crois utile, non que je veuille vous
crditer dune quelconque ignorance en la matire, mais
parce que cela fait dj deux fois quavec une certaine
insistance jutilise le terme, de rappeler que ce verbe
clocher signifie que quelque chose ne va pas ou va de
travers (par rapport une norme ou une rgle) ou encore
quun raisonnement est dfectueux. Quest-ce qui aurait
ainsi t dfectueux, quest-ce qui aurait fait entorse
quelque rgle dans lentreprise de Michel Pcheux,
justifiant ainsi du recouvrement attest ? Quelle cause
serait l en question qui ne saurait se rduire, qui ne se
rduirait pas au seul temps qui passe et aux alas de ce
redoutable processus qui sappelle la postrit ?
Encore un mot avant de tenter lesquisse dune
rponse cette question. Je nignore pas ce que cet
exercice peut comporter de partiel et tout autant de partial,
je nignore pas ce que certaines rserves ou critiques
concernant la dmarche de Michel Pcheux, sagissant
notamment de son rapport avec la psychanalyse, peut
comporter dodieux et aussi de facilit, deux dcennies
aprs la disparition de lami, mais il ma sembl, comme
me la dit Paris Francine Mazire, une autre de ses
grandes amies, que lon pouvait esprer que le colloque
7
de Porto Alegre ne soit pas consacr la construction de
lun de ces mausoles dont nous savons ce quils ont
cot ceux qui furent un temps, assez fous, et cest bien
pour cela que je leur conserve de la sympathie et de
lestime, pour croire en des lendemains qui devaient
chanter. En somme, cela pourrait sappeler, lments pour
une biographie intellectuelle, une telle biographie, qui
dvelopperait et tendrait lessai cit et incontournable de
Denise Maldidier, demeurant crire.
Ja