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Analyse de livre Analyse du livre de Dominique Amy. Comment aider l’enfant autiste. Éditions Dunod. Le livre de Dominique Amy s’appuie sur une solide connaissance théorique et une expérience clinique transmise avec enthousiasme. Il met en valeur la qualité du travail qu’une équipe pluridisciplinaire peut articuler en son sein. Travailler en équipe c’est travailler avec l’autre ; celui qui, différent de soi, n’a pas les mêmes références et les mêmes attitudes. En nous faisant partager l’évolution d’un jeune au cours du tra- vail psychanalytique qu’elle a conduit, elle montre qu’il est nécessaire d’articuler les actions thérapeutiques et éducati- ves pour répondre au manque de contenants cognitifs. Dominique Amy refuse d’entrer dans des combats polé- miques. Sans mettre de côté la question des causes, du pour- quoi et du comment, elle va à l’essentiel c’est-à-dire à la prise en compte de tous les aspects d’une pensée qui ne se déve- loppe pas. Elle indique que ces jeunes manquent de la capa- cité à s’agripper. Ils se trouvent confrontés à un vécu de chute dans l’infini. Dominique Amy se place dans l’espace intermédiaire comme un tiers qui s’interroge sur la façon de rétablir une communication entre l’enfant et son image maternelle et sa mère. La notion « d’accordance verbale » qu’elle introduit, se rapproche de l’échange transitionnel des lallations décrit par Winnicott. Sa présentation des références théoriques qui sont à notre disposition, permet de faire un parcours avec les auteurs qui ont réellement éclairé la problématique de l’autisme. Elle montre que la question de la causalité a été mal abordée par de nombreuses équipes dans le passé. En attribuant aux parents et en particulier à la mère, l’origine de l’autisme de leur enfant, ces équipes ont surchargé d’une culpabilité sans limite le sentiment d’échec que ces parents ont éprouvé en raison de leurs difficultés de communication avec leur bébé. Ces prises de position ont maintenu ces mères et ces pères dans un état traumatique insupportable. Cela justifie le point de vue de Dominique Amy qui se situe comme tiers partici- pant à la douleur des parents et à la détresse de l’enfant qui ne peut investir les moyens de communiquer. Dans ce livre Dominique Amy veut dénoncer l’exclusion des références théoriques ou des expériences pratiques qui se réalise lorsqu’on donne une priorité excessive à une réfé- rence théorique. Elle critique aussi la tendance de certaines équipes à s’approprier tout le travail projeté pour un enfant ou une famille sans accepter le partage avec d’autres person- nes ; alors que l’union d’interventions clairement différen- ciées apporte un bénéfice certain et potentialise les actions de chacun. Notre collègue a la sagesse de ne pas privilégier un aspect des questions posées par l’autisme. Elle en présente toute la complexité mais aussi toute la richesse. Pour ma part, je suis sensible à sa valorisation de la notion de seconde peau et aux questions que pose l’identification projective. Il me semble en effet que c’est dans une meilleure compréhension de la possibilité de la mise en place d’une topique et dans la figu- ration des échanges qui s’établissent entre des personnes dif- férenciées que l’on pourra progresser au sein des équipes. Nous pourrons ainsi découvrir des modes d’approche et des actions de soins nouvelles permettant à ces jeunes de déve- lopper plus facilement leur capacité de relations. Il ne s’agit pas de promouvoir un point de vue naïf et utopique mais de prendre en compte la totalité des progrès qu’ont déjà réalisés les équipes pluridisciplinaires et les psychanalystes s’occu- pant d’enfants autistes. Il faut à la fois transmettre ces expé- riences et approfondir l’aide aux jeunes patients pour leur permettre d’investir progressivement leur corps, ses limites et ses capacités d’expression. Dominique Amy insiste sur la nécessité d’un soutien pré- coce aux parents. Dès le début des perturbations des premiè- res relations, l’intervention d’un tiers lorsqu’elle est accep- tée, permet de réduire une part importante du poids traumatique des premières expériences parents–bébé. Il est difficile de savoir intervenir avec les parents. Cela nécessite une formation adéquate et la confrontation à l’expérience d’autres collègues qui introduit l’indispensable tiercéité. En décrivant de manière approfondie le cours d’une psy- chothérapie psychanalytique, Dominique Amy nous permet de suivre la lente progression de l’amélioration d’un jeune. Des difficultés apparaissent toujours. Ces difficultés ne doi- vent pas remettre en cause le mouvement positif que l’inves- tissement de l’enfant par le thérapeute a pu déclencher. Plus le thérapeute avance avec l’enfant, plus les difficultés aug- mentent et se complexifient. Il faut savoir repérer la richesse des représentations des mouvements pulsionnels qui se tra- duisent par de petits changements dans le comportement de l’enfant et dans ses facultés figuratives. D’une manière analogue, au niveau du langage, le travail avec l’orthophoniste montre la subtilité avec laquelle la com- munication verbale doit être abordée chez ces jeunes. La voix peut-être ressentie par eux comme une force agressante. Le contenu du livre traduit bien la cohérence de la posi- tion de Dominique Amy. Sa capacité de tendresse et de conte- nance la conduit à mettre en valeur la force représentative Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 53 (2005) 206–207 http://france.elsevier.com/direct/NEUADO/

Analyse du livre de Dominique Amy. Comment aider l'enfant autiste. Éditions Dunod

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Analyse de livre

Analyse du livre de Dominique Amy. Comment aiderl’enfant autiste. Éditions Dunod.

Le livre de Dominique Amy s’appuie sur une solideconnaissance théorique et une expérience clinique transmiseavec enthousiasme. Il met en valeur la qualité du travail qu’uneéquipe pluridisciplinaire peut articuler en son sein. Travailleren équipe c’est travailler avec l’autre ; celui qui, différent desoi, n’a pas les mêmes références et les mêmes attitudes. Ennous faisant partager l’évolution d’un jeune au cours du tra-vail psychanalytique qu’elle a conduit, elle montre qu’il estnécessaire d’articuler les actions thérapeutiques et éducati-ves pour répondre au manque de contenants cognitifs.

Dominique Amy refuse d’entrer dans des combats polé-miques. Sans mettre de côté la question des causes, du pour-quoi et du comment, elle va à l’essentiel c’est-à-dire à la priseen compte de tous les aspects d’une pensée qui ne se déve-loppe pas. Elle indique que ces jeunes manquent de la capa-cité à s’agripper. Ils se trouvent confrontés à un vécu de chutedans l’infini.

Dominique Amy se place dans l’espace intermédiairecomme un tiers qui s’interroge sur la façon de rétablir unecommunication entre l’enfant et son image maternelle et samère. La notion « d’accordance verbale » qu’elle introduit,se rapproche de l’échange transitionnel des lallations décritpar Winnicott.

Sa présentation des références théoriques qui sont à notredisposition, permet de faire un parcours avec les auteurs quiont réellement éclairé la problématique de l’autisme. Ellemontre que la question de la causalité a été mal abordée parde nombreuses équipes dans le passé. En attribuant auxparents et en particulier à la mère, l’origine de l’autisme deleur enfant, ces équipes ont surchargé d’une culpabilité sanslimite le sentiment d’échec que ces parents ont éprouvé enraison de leurs difficultés de communication avec leur bébé.

Ces prises de position ont maintenu ces mères et ces pèresdans un état traumatique insupportable. Cela justifie le pointde vue de Dominique Amy qui se situe comme tiers partici-pant à la douleur des parents et à la détresse de l’enfant qui nepeut investir les moyens de communiquer.

Dans ce livre Dominique Amy veut dénoncer l’exclusiondes références théoriques ou des expériences pratiques qui seréalise lorsqu’on donne une priorité excessive à une réfé-rence théorique. Elle critique aussi la tendance de certaineséquipes à s’approprier tout le travail projeté pour un enfantou une famille sans accepter le partage avec d’autres person-

nes ; alors que l’union d’interventions clairement différen-ciées apporte un bénéfice certain et potentialise les actions dechacun.

Notre collègue a la sagesse de ne pas privilégier un aspectdes questions posées par l’autisme. Elle en présente toute lacomplexité mais aussi toute la richesse. Pour ma part, je suissensible à sa valorisation de la notion de seconde peau et auxquestions que pose l’identification projective. Il me sembleen effet que c’est dans une meilleure compréhension de lapossibilité de la mise en place d’une topique et dans la figu-ration des échanges qui s’établissent entre des personnes dif-férenciées que l’on pourra progresser au sein des équipes.Nous pourrons ainsi découvrir des modes d’approche et desactions de soins nouvelles permettant à ces jeunes de déve-lopper plus facilement leur capacité de relations. Il ne s’agitpas de promouvoir un point de vue naïf et utopique mais deprendre en compte la totalité des progrès qu’ont déjà réalisésles équipes pluridisciplinaires et les psychanalystes s’occu-pant d’enfants autistes. Il faut à la fois transmettre ces expé-riences et approfondir l’aide aux jeunes patients pour leurpermettre d’investir progressivement leur corps, ses limiteset ses capacités d’expression.

Dominique Amy insiste sur la nécessité d’un soutien pré-coce aux parents. Dès le début des perturbations des premiè-res relations, l’intervention d’un tiers lorsqu’elle est accep-tée, permet de réduire une part importante du poidstraumatique des premières expériences parents–bébé. Il estdifficile de savoir intervenir avec les parents. Cela nécessiteune formation adéquate et la confrontation à l’expérienced’autres collègues qui introduit l’indispensable tiercéité.

En décrivant de manière approfondie le cours d’une psy-chothérapie psychanalytique, Dominique Amy nous permetde suivre la lente progression de l’amélioration d’un jeune.Des difficultés apparaissent toujours. Ces difficultés ne doi-vent pas remettre en cause le mouvement positif que l’inves-tissement de l’enfant par le thérapeute a pu déclencher. Plusle thérapeute avance avec l’enfant, plus les difficultés aug-mentent et se complexifient. Il faut savoir repérer la richessedes représentations des mouvements pulsionnels qui se tra-duisent par de petits changements dans le comportement del’enfant et dans ses facultés figuratives.

D’une manière analogue, au niveau du langage, le travailavec l’orthophoniste montre la subtilité avec laquelle la com-munication verbale doit être abordée chez ces jeunes. La voixpeut-être ressentie par eux comme une force agressante.

Le contenu du livre traduit bien la cohérence de la posi-tion de Dominique Amy. Sa capacité de tendresse et de conte-nance la conduit à mettre en valeur la force représentative

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 53 (2005) 206–207

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des figurations que nous créons dans le jeu avec ces jeunes.Mais il y faut mettre de la patience et surtout avoir la capacitéde surmonter les effets de la destructivité en soi et dans larelation à l’enfant. C’est dans la créativité du psychanalyste(qui intègre une dimension temporelle par sa diachronie) quepeuvent s’inscrire de nouvelles figurations psychiques chezces enfants si démunis. Il leur faut passer par l’acceptation dela passivité motrice et psychique. Cela n’est possible que grâceà l’effet contenant de la régression formelle de la pensée dupsychanalyste. Elle est indispensable pour que ses interven-tions figurantes puissent être intégrées par l’enfant. Il fautpour cela que le fonctionnement psychique du psychanalystesuive un mouvement régrédient pour se rapprocher du niveaude la capacité figurative de l’enfant. Cela permet à celui-ci dese voir en présence d’un adulte qui peut accepter d’éprouverl’infini et la perte transitoire des limites. Nous nous trouvonsalors dans cette zone du fonctionnement psychique qu’aexplorée Didier Anzieu dans son livre « le penser » dont lacomplexité et la richesse n’ont pas été suffisamment recon-nues.

Dominique Amy ne réserve pas au seul psychanalyste lacapacité de jouer avec ces enfants autistes. Elle insiste sur lanécessité des interventions pluridisciplinaires articulées entreelles. D’autres membres de l’équipe apportent beaucoup auxenfants dans des activités de jeu médiatisées dans la mesureoù ils se sentent en sécurité dans le cadre institutionnel où ilsexercent. L’attention portée au fonctionnement de l’équipeest aussi un des éléments sur lequel Dominique Amy insiste.

Le travail que le psychanalyste effectue avec l’entouragede l’enfant fait de lui un médiateur de la communication. Ils’attache à ce que les affects et les représentations circulentsous une forme, dans un registre et un style qui soient accep-tables par l’enfant et son entourage. Cette position de média-teur le situe comme un personnage intervenant dans une aireintermédiaire, celle de la transitionnalité. Il doit s’attacher àéviter de créer des situations de confusion et prendre cons-cience des moments où elle s’installe. Ceci est réalisable parun travail permanent sur les différenciations des espaces psy-chiques et des repères du temps qui inscrivent alors les diffé-rences générationnelles, les différences des sexes et les filia-tions.

Les créations récentes des centres de ressources, mêmes sielles ont été difficiles, ont permis de construire un espace com-

mun où les familles et les soignants, les enseignants et lestravailleurs sociaux peuvent se rencontrer, apporter leurs ques-tions, s’interroger les uns les autres sur leur pratique. Il peutalors constituer un contenant des violences destructrices etdes clivages qui sont à l’œuvre dans l’organisation d’un sys-tème de soins et d’éducation pour les enfants autistes. Onpeut espérer progresser vers les formulations d’un langagecommun concernant ces jeunes, leurs troubles et la manièrede les apprécier.

Signalons à ce propos l’intérêt de la démarche de l’équipedu C.R.E.A.I. de l’Ile-de-France qui promeut la notiond’observation partagée. Elle prend en compte les apportsrécents des modifications de la classification internationaledu handicap en lui donnant tout son aspect psychodynami-que.

Dominique Amy a le courage de montrer les progrès quiont été réalisés dans les échanges entre les équipes soignan-tes et les parents. Elle insiste sur ce qu’ont été la souffrance,l’isolement et la solitude des familles. Cette souffrance peutmaintenant s’exprimer plus facilement face aux soignants etaux autorités politiques.

Le travail d’accompagnement, que des équipes attentivesont mené avec les familles, a permis à celles-ci de conduireleurs enfants vers des situations d’autonomie de jeunes adul-tes qui paraissaient impensables pendant l’enfance. Beau-coup reste encore à faire. Il s’agit de mieux articuler les pers-pectives psychanalytiques et l’apport des théories et despratiques liées aux sciences cognitives. DominiqueAmy mon-tre dans un dernier exemple comment son interprétation ducomportement d’un jeune autiste lui permet d’accéder à unedifférenciation entre son dedans et son dehors. Elle nous livreainsi un message d’espoir et des perspectives de travail dyna-miques.

B. Voizot53, Boulevard St-Jacques , 75014 Paris, France

Adresse e-mail : [email protected] (B. Voizot).

0222-9617/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS.doi:10.1016/j.neurenf.2005.03.001

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