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Jean-Marc CHOUVEL ANALYSE MUSICALE ET TEMPORALITE septembre 14, 2009, p.1 Jean-Marc CHOUVEL ANALYSE MUSICALE ET TEMPORALITE. INTRODUCTION. Devant le morcellement des approches analytiques sur la musique, le terrain d'un consensus apparaît moins dans la difficile négociation de la part de chaque point de vue dans la réalisation d'une analyse globale que dans la refonte des notions permettant de dégager une méthodologie générale. Une telle méthodologie, à la fois scientifiquement efficace dans son traitement descriptif, et débouchant sur des interprétations intéressantes pour l'ensemble des domaines ayant à connaître de la musique, doit fournir un travail considérable de définition de ses propres notions. Faute de quoi, même si elle traitait les phénomènes à un haut niveau de compétence, elle risquerait d’en rester au stade des hypothèses. Il ne s'agit évidemment pas de tout reconstruire à partir de rien. Au contraire, il faut faire l’effort de chercher dans la spécificité du musical les éléments de chaque discipline. Au delà d’une nécessaire pluralité liée à l’évidente diversité des phénomènes mis en jeu des domaines aussi différents que la Physique, la Psychologie où l'Esthétique auront alors quelque chance de se retrouver autour de préoccupations communes. Le rapprochement des concepts avec leur réalité première, loin d’en rétrécir la portée, leur donnera au contraire une plus ample généralité. L’induction spatiale est souvent prépondérante dans notre manière de penser la musique, en particulier à travers une notion comme la forme. Autrement dit, il faut, pour être cohérent avec l’objet de notre étude, passer d’une analyse «statique» à une analyse «dynamique», c’est à dire mettre en scène l’analyste dans la vérité du temps qui passe. Quelle que soit la richesse d’une mise en série, la pertinence d’une fonctionnalité locale..., elles ne nous procureront que des visions fragmentaires d’une totalité qui n’aura pas été pensée pour ce qu’elle est, c’est à dire principalement un processus temporel de communication. Il apparaît dès lors nécessaire d’expliciter les mécanismes perceptifs et cognitifs à l’œuvre dans l’écoute musicale. Non pas pour les connaître dans leur exacte réalité, c’est une autre affaire, où la liberté de chacun est concernée, mais pour en apprécier les schémas élémentaires incontournables.

Analyse Musicale et Temporalité

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Analyse musicale

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  • Jean-Marc CHOUVEL ANALYSE MUSICALE ET TEMPORALITE

    septembre 14, 2009, p.1

    Jean-Marc CHOUVEL

    ANALYSE MUSICALE ET TEMPORALITE.

    INTRODUCTION.

    Devant le morcellement des approches analytiques sur la musique, le terrain d'un consensus apparat moins dans la difficile ngociation de la part de chaque point de vue dans la ralisation d'une analyse globale que dans la refonte des notions permettant de dgager une mthodologie gnrale. Une telle mthodologie, la fois scientifiquement efficace dans son traitement descriptif, et dbouchant sur des interprtations intressantes pour l'ensemble des domaines ayant connatre de la musique, doit fournir un travail considrable de dfinition de ses propres notions. Faute de quoi, mme si elle traitait les phnomnes un haut niveau de comptence, elle risquerait den rester au stade des hypothses.

    Il ne s'agit videmment pas de tout reconstruire partir de rien. Au contraire, il faut faire leffort de chercher dans la spcificit du musical les lments de chaque discipline. Au del dune ncessaire pluralit lie lvidente diversit des phnomnes mis en jeu des domaines aussi diffrents que la Physique, la Psychologie o l'Esthtique auront alors quelque chance de se retrouver autour de proccupations communes. Le rapprochement des concepts avec leur ralit premire, loin den rtrcir la porte, leur donnera au contraire une plus ample gnralit.

    Linduction spatiale est souvent prpondrante dans notre manire de penser la musique, en particulier travers une notion comme la forme. Autrement dit, il faut, pour tre cohrent avec lobjet de notre tude, passer dune analyse statique une analyse dynamique, cest dire mettre en scne lanalyste dans la vrit du temps qui passe. Quelle que soit la richesse dune mise en srie, la pertinence dune fonctionnalit locale..., elles ne nous procureront que des visions fragmentaires dune totalit qui naura pas t pense pour ce quelle est, cest dire principalement un processus temporel de communication. Il apparat ds lors ncessaire dexpliciter les mcanismes perceptifs et cognitifs luvre dans lcoute musicale. Non pas pour les connatre dans leur exacte ralit, cest une autre affaire, o la libert de chacun est concerne, mais pour en apprcier les schmas lmentaires incontournables.

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    I. FORME DU TEMPS1.

    Parmi les termes du vocabulaire musical les plus impliqus dans une relation la spatialit, donc a priori les plus impropres dcrire le musical, celui de forme est sans doute le plus caractristique. Autant la gomtrie fournit un substrat mathmatique adquat cette qualit de la matire en permettant den dfinir les dimensions, le volume, la position relative des parties, autant un tel substrat semble inexistant dans lart sonore. Bien sr, on ne manque pas de moyens de ramener le droulement dun phnomne acoustique son enregistrement graphique, que ce soit sous lancienne figuration neumatique qui a donn naissance notre notation symbolique actuelle dans le plan temps/hauteur, ou avec les sonagrammes de plus en plus performants que permet lacoustique moderne, et qui nen sont quune prolongation technique et thorique. Il est en effet tout fait possible de ramener le problme de la forme du temps un problme de forme visuelle par ce biais l. Cest dailleurs une des solutions envisages par certains algorithmes de reconnaissance de la parole. Mais la subtilit du visuel et celle de loue ne sont pas sollicites de la mme manire et un tel artefact ne fait en quelque sorte quluder le problme, en le localisant, qui plus est, lchelle du sonore, qui est loin dtre celle du musical.

    Sans parler de ce sens de la forme qui serait lapanage de linstinct des compositeurs, il nest peut-tre pas inutile dinterroger la conception traditionnelle des musiciens sur ce sujet. Le premier schma qui vient lesprit est celui de cette sempiternelle forme ABA. Essayons de dpasser lvidence en cherchant comprendre en quoi cette formule peut tre emblmatique de la forme musicale. Et dabord, affranchissons-nous de la linarit fige de la tradition smiologique, issue de considrations sur les chanes linguistiques, pour mieux comprendre les mcanismes minimaux que dcle dj cette simple formule. Du premier A au B, il faut une capacit minimum de distinction entre deux lments, quant au retour du A, il suppose une capacit de reconnaissance.

    A

    B

    A

    distinction

    reconnaissance

    1Ce chaptre reprend en les compltant des notions dj dveloppes dans deux prcdents articles: Musical Form, revue Interface, Amsterdam, printemps 1993 et Matire et Manire: Le style: une forme pour un fond? Revue dAnalyse Musicale numro 32, Paris, 1993.

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    Fig. 1.

    Sans ces deux capacits minimales, la notion mme de forme du temps ne parat pas pouvoir tre fonde: on reste dans lunivers du bruit ou du silence. Il est fort possible dailleurs que les difficults de lauditeur confront une musique inconnue, du fait de sa nouveaut historique ou de lloignement de son appartenance culturelle, soit principalement lies une incapacit assurer ces fonctions lmentaires. On peut penser aussi que ces mmes fonctions, du fait de leur universalit, peuvent permettre un auditeur daccder toutes sortes de musiques au del des codes de chaque langage particulier.

    Quoi quil en soit, cette simple constatation permet de proposer un autre mode de reprsentation du musical que le traditionnel diagramme frquence/temps. En effet, toujours en reprenant lexemple simple de notre forme ABA, on peut envisager lespace dinscription de la forme du temps non pas comme lespace physique de hauteurs, mais comme un espace de mmorisation du matriau musical. Il est alors possible de concevoir sparment le matriau mmoris et son dploiement temporel. Lordre adopt sur laxe du matriau mmoris nest plus dsormais un ordre rfrenc la spatialit, mais un ordre dapparition et de dcouverte.

    A

    B

    axe d'coulement temporel

    axe du

    matriau

    mmoris

    diagramme formel

    Fig. 2.

    Les diagrammes formels, tels que nous venons de les introduire, sont un outil analytique tout fait prcieux comme nous allons en montrer par la suite quelques exemples. Mais ils ne sauraient suffire sils ne correspondent pas pour lanalyste une conscience accrue de la temporalit. Mme si lanalyse, du fait de la distance luvre quelle est sense introduire, est ncessairement hors-temps, la position de lanalyste ne devrait pas tre diffrente de celle dun auditeur, sil veut rendre compte, bien entendu, de ce temps spcifique lexpression musicale. Un algorithme trs simple permet de rendre compte de la construction des diagrammes formels. Le mme algorithme, qui traduit un mcanisme en temps rel, fournit une rfrence pour un ventuel modle de laudition. Il ne sagit pas de construire ici un modle de lauditeur idal de la cyberntique: il sagit de comprendre les lments essentiels des processus qui

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    peuvent permettre de rendre compte de cette notion si difficile de forme du temps.

    pour chaque fragment entendu:

    comparaison avec les fragments prcdents;

    sil est diffrent: inscription en mmoire matriau;

    dans tous les cas: inscription en mmoire forme;

    Un tel algorithme est videmment dune trs grande gnralit. Il ne comporte aucune restriction particulire au niveau de la notion de fragment si ce nest celle dune homognit suffisante pour autoriser la fonction de comparaison. En particulier, rien noblige le fragment tre pens comme segment, ce qui autorise aussi bien la polyphonie que nimporte quelle chane linaire. Notons au passage que ce que nous venons de dire sapplique, au del de la musique, toute expression artistique vcue dans le temps. La musique est probablement un peu moins tributaire de la smantique de son matriau. Lexpression dun sens se reporte alors naturellement au niveau de la forme et des structures.

    Insistons cependant sur le fait que cet algorytme met en place deux types de mmoires: une mmoire matriau, et une mmoire forme. Cette distinction nest pas sans rappeler celle qui est faite en informatique entre mmoire statique et mmoire procdurale. Il apparat clairement que la forme du temps, pour exister en tant que forme, doit sinscrire dans un espace, mais un espace tout fait particulier qui serait celui de la mmoire. Cest la spcificit de ce type despace qui justifie la reprsentation que nous avons propos pour la forme. En effet, cette reprsentation est soumise deux contraintes majeures: la limitation des capacits de la mmoire statique, ou mmoire matriau dune part, et dautre part la ncessit de conserver lintgralit, ou du moins le maximum dinformations. On conoit que ces deux contraintes soient contradictoires. Cest cause de cette contradiction quune solution optimale peut exister.

    On peut dores et dj relever linsuffisance de lalgorithme sur deux points: le premier cest quil nassure pas a priori de lui-mme le dcoupage des fragments; le second concerne la diffrenciation des lments dans le cas de variations. Sans vouloir entrer dans des dtails qui dborderaient le cadre de cet article, on peut proposer les rponses suivantes ces deux objections: pour ce qui est de lautonomie dans le dcoupage des fragments, le critre doptimisation mentionn plus haut, associ un balayage de la taille des fragments, peut sans doute donner des clefs pour une dfinition par rcurrence du matriau: nous en verrons des exemples; quant au problme de la variation, il

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    peut lui aussi trouver sa solution dans cette hirarchisation rcurrente et par lintroduction dun taux de prsence ventuellement modul par des seuils de pertinence.

    On peroit dj dans ces remarques la ncessit dune autre vision de la forme du temps qui prenne en charge ces notions de rcurrence, de hirarchie et de fragment. Cest le rle de ce que nous avons appel la tripartition de la forme en Espace, Modle, Objet. La meilleure manire de se reprsenter ces notions est de se situer au tout dbut de lcoute dune uvre inconnue. Au bout de quelques diximes de secondes, la sollicitation acoustique concerne des units qui savent dj, du fait dune rptition priodique, dune courbure dynamique,... si on a affaire du son ou du bruit, de la percussion ou des tenues... Au bout de quelques secondes, les notes prcdentes sont devenues un thme, rythmique, mlodique...etc. Autrement dit, il y a eu un passage de lobjet note ou percussion par exemple, un objet suprieur comme un thme, un rythme... Il ny a pas dans la thorie de limitation un tel mcanisme, mais les psychoacousticiens ont introduit la notion dempan mmoriel pour dsigner la dure maximale de la mmorisation intgrale dun fragment dans la mmoire court terme. Et il y a de fait des limitations organiques aux dures mises en jeu, la plus notoire tant celle qui spare la priodicit dun son uniforme celle dun rythme dimpulsions2.

    ESPACE 1

    MODELE 1

    lment

    nouveau,

    perturbation

    OBJET 2OBJETS 1

    OBJETS 2'

    ESPACE 2

    MODELE 2 OBJET 3

    hirarchie des niveaux d'intellection

    imbrication des espaces

    +

    Fig. 3: Reprsentation schmatique de la tripartition de la forme.

    On comprend ds lors que la notion de fragment puisse tre dfinie par des critres acoustiques. Il ne faut pourtant pas sous-estimer le fait que cette notion est directement lie celle de distinction, distinction dont les critres peuvent tre beaucoup plus personnels, principalement du fait dun contexte mmoriel global beaucoup plus riche que le seul contexte attach luvre analyse. Il faudrait sparer alors analyse intrinsque et analyse extrinsque. Il parait prfrable, dans un premier temps, de se limiter une analyse rsultant des

    2cf. par exemple ce sujet larticle de K. Stockhausen:...comment passe le temps... in Contrechamps n9, lAge dHomme,

    Paris, Lausanne, 1988, p. 26.

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    critres propres luvre analyse, autrement dit de laisser parler luvre plutt que de se laisser parler sur luvre.

    Le mcanisme rcurrent dauto-dfinition du matriau propos ici tient la dfinition de lEspace comme ensemble dObjets, cest dire la dfinition dun fragment, un niveau donn de la hirarchie, comme ensemble de fragments du niveau infrieur. Il y a donc deux sens de parcours de la hirarchie: celui qui part dun niveau infrieur pour former un niveau suprieur, cest dire un mcanisme dintgration, et celui qui partir de la dsignation dun objet permet de revenir sa constitution au niveau infrieur, ce que nous appellerons le mcanisme de ralisation. Il convient de distinguer ces deux mcanismes dans les termes de la tripartition de Molino. En effet, si la ralisation semble tre le mcanisme privilgi de la potique et lintgration celui de lesthsique, il est prfrable de garder aux termes de potique et desthsique leur valeur sociologique dans le processus communicatif, et de donner aux termes dintgration et de ralisation un sens dans le parcours de la hirarchie des structures. En effet, il y a bien souvent une part dintgration dans le processus compositionnel, quon pense la fugue qui se dduit presque de son thme, et il y a une part non ngligeable de ralisation dans laudition dun discours musical, ralisation qui explique pour une bonne part les phnomnes dattente et de surprise. On peut dire grosso modo quun vnement est dautant plus prvisible que lordre temporel respecte lordre spatial. Par spatial il faut entendre la fois lordre physique (du plus grave au plus aigu, du plus lent au plus rapide, de la plus faible dynamique la plus leve...etc.), et lordre mmoriel: lors dune seconde coute, le mcanisme dintgration initial peut se convertir en mcanisme de ralisation par anticipation, en projection.

    Il nest pas inutile de donner ici un exemple simple de la manire dont tous les concepts que nous venons de mettre en avant trouvent une application dans lanalyse dune uvre prcise. LAllgretto de la sonate facile de Mozart (en do majeur, K.545) est particulirement adapt la comprhension des rapports entre forme et structure. Si nous lisons le dbut de ce mouvement, les niveaux possibles de segmentation3 apparaissent trs clairement, de manire quasi dichotomique. On peut donc construire pour chacun de ces niveaux le diagramme formel correspondant. (Pour des raisons de commodit de reprsentation, on a nglig les variations infrieures 25%: elles apparaissent au niveau infrieur, et sont de toute faon prises en compte au niveau suprieur)

    3Il sagit bien de segmentation ici du fait de la prpondrance de lexpression mlodique linaire. notons toutefois que ce nest

    pas exact pour le niveau 1 o il y a recouvrement partiel des passages en tierces. Dune manire gnrale, lharmonie fait bloc avec la mlodie et ne donne pas lieu un contrpoint polyphonique.

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    Fig. 4: Le dbut de la partition de la sonate facile de W. A. Mozart en do Majeur K.545 avec

    lindication des niveaux de segmentation.

    Fig. 5: Diagrammes formels de lAllgretto de la sonate facile de W. A. Mozart pour les

    niveaux 1, 2, et 4.

    On comprend aisment que plus le niveau de fragmentation est lev, plus la mmoire matriau est sollicite, et inversement, moins la mmoire forme contient dinformation. Il convient de souligner que le diagramme o cette relation entre les deux types dinformation semble squilibrer correspond au niveau de plus grande diffrenciabilit entre les lments (niveau 2). Cest aussi celui qui propose la stratgie formelle la plus intressante. On y constate la fois une symtrie des sections temporelles et des sections de matriau mis en jeu. Il ne sagit peut-tre que dune concidence, mais le geste formel sous-jacent, une double courbure du front de dcouverte dabord dans le sens de lacclration puis dans celui de la restriction est tout fait particulier ce mouvement de sonate rapide et conclusif4. Le schma de la figure 6 condense lensemble des diagrammes formels (en se limitant pour des raisons de lisibilit aux niveaux strictement suprieurs 1). Il rend compte galement des relations hirarchiques entre les niveaux successifs. Il est facile de se rendre compte sur ce schma que le niveau 2 est un niveau intermdiaire entre la ralit acoustique et labstraction de la structure. Cela peut galement nous suggrer son rle particulier dans les processus dintgration/ralisation.

    Fig. 6: Condens des diagrammes formels de lAllgretto de la sonate facile de W. A. Mozart

    montrant les relations entre forme et structure. Seuls ont t reprsents pour des raisons de rsolution

    graphique les niveaux 2: , 3: o, 4: , 5: o et 6 (ensemble de luvre).

    II. CONVERGENCES ET DIVERGENCES.

    4Nous donnerons plus loin quelques possibilits dinterprtation de cette notion de front de dcouverte.

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    Avant dentrevoir avec dautres exemples lintrt des diagrammes formels dans lanalyse des stratgies compositionnelles, nous allons tenter de montrer le lien de tout ce qui vient dtre expos avec la plupart des thories que nous connaissons sur la reprsentation du musical.

    La thorie de linformation intervient nommment dans la ralisation du diagramme matriau/temps avec le critre de la conservation de lintgralit de linformation. Avec ce critre, la mthodologie analytique gagne un point de rigueur considrable. Il ne sagit pas de river lanalyse une description exhaustive du musical: il sagit seulement davoir conscience, dune part, de la participation de tous les lments acoustiques (hauteur, timbre, dynamique...) la ralisation de luvre musicale, et dautre part, de limplication des choix analytiques quant la perte ventuelle ou lajout de certaines informations. Lun comme lautre peuvent en effet venir fausser linterprtation. Bien des analyses procdent un filtrage sans vraiment en cerner toutes les implications: cest le cas par exemple de nombre danalyses statistiques qui liminent purement et simplement la temporalit: ainsi, un lment statistiquement ngligeable peut avoir un rle formel essentiel5. Avec les thories normatives, qui cherchent retrouver dans la partition des schmas pralables on risque de superposer la partition des lments qui ne sont pas spontanment les siens, modifiant, sans toujours en avoir pleinement conscience les donnes immdiates dont il et mieux valu ne pas tant scarter6.

    Il y a cependant une diffrence de taille de ce qui prcde avec le schma traditionnel metteur-rcepteur de la thorie de linformation: la notion de message. En effet, nous avons vu que la musique pouvait prtendre une sorte dauto-organisation de ses noncs, en labsence de tout code pralable. Ce qui ne veut pas dire que de tels codes nexistent pas: ils ne jouent probablement pas aux mmes niveaux de la structure. Il semble mme possible, dune certaine manire, de reconstruire un sens partir de donnes lmentaires sans disposer dautres clefs que celles nonces par lobjet. Nous aurions affaire l une thorie de lorganisation, dune nature toute diffrente de ce que propose la linguistique, puisque capable dune certaine indpendance entre le signal et le signe, sans sacrifier pour autant le signifi. Il reste encore dans ce domaine beaucoup de choses explorer!

    De nombreux auteurs se sont intresss au problme du groupement (et de son corollaire la segmentation)7. Il peut paratre difficile de se passer ce

    5Pour sen convaincre, il suffit de penser aux signes de ponctuation dun texte. 6Cest ce que lon peut reprocher par exemple lanalyse schenkerienne. 7On peut citer en particulier la thorie gnrative de Lerdhal et Jackendorf. On trouvera dans la thse de doctorat dIrne

    Delige un expos de cette problmatique: Delige (I), Lorganisation psychologique de lcoute de la musique, thse de doctorat en psychologie, Universit de Lige, 1990-91, chapitreII.

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    sujet de critres absolus, justifis de manire extrinsque, que ce soit par la psychologie ou de simples notions nergtiques. La justification intrinsque que propose une comprhension prcise du rle de la mmoire dans la dfinition dune forme temporelle nous parat pouvoir retrouver un bon nombre de ces critres. Il serait trop long dinsister ici sur ce point. Par contre lanalyse paradigmatique trouve un prolongement intressant dans les diagrammes matriau/temps. Ceux-ci ont lavantage dtre ouverts dautres catgories que lcriture monodique. La meilleure manire de comprendre les lments que ces diagrammes permettent de renouveler est de reprendre la clbre analyse paradigmatique dun Geisslerlied Allemand du XIV sicle ralise en 1972 par Nicolas Ruwet8.

    Fig. 7: partition du Geisslerlied.9

    Ruwet isole sur un mme axe dit axe paradigmatique les fragments suivants:

    Fig. 8: laxe paradigmatique choisi par Ruwet.

    Il est difficile de justifier linterposition du fragment c entre les fragments a et b. Un tel enchanement nexiste aucun moment dans la partition. Il est en outre impossible musicalement. Il parat donc plus appropri de conserver lordre de lexposition du matriau mlodique:

    Fig. 9: Reprsentation paradigmatique respectant lordre temporel des lments.

    La reprsentation prcdente prsente de grandes similitudes avec un diagramme matriau/temps dont les axes matriau et temps seraient inverss.

    8Ruwet (N.): Langage, Musique, Posie, Seuil, Paris, 1972, p.116 121. 9Cit daprs Ruwet qui cite Reese, Music in the Middle ages, p. 239, qui le reprend lui-mme Paul Runge, Die Lieder und

    Melodien der Geissler des Jahres 1349 (1900).

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    Toutefois, le fait de ne pas sparer conceptuellement la temporalit et la figuration mlodique est particulirement accentu par lincohrence de laxe temporel de la partition et celui du dveloppement formel10. Si nous appliquons les rgles que nous avons prsentes, nous obtenons une reprsentation beaucoup plus facile lire:

    a

    b

    c

    temps

    matriau

    fa

    do

    fa

    la

    0 2 4 6 8 10 12 14 16 18 20 22 24

    (mesures)

    Fig. 10: Diagramme formel du Geisslerlied (matriau mlodique).

    Cette reprsentation doit tre mise en rapport avec le matriau correspondant, qui correspond au premier quart de la pice. Il est bien sr possible de raliser un diagramme formel de ce matriau au niveau de base de la mlodie, cest dire les notes:

    a b c

    fa

    do

    sib

    la

    sol

    re

    8 16 24

    matriau

    temps ( )

    Fig. 11: diagramme formel du dbut du Geisslerlied (niveau des notes).

    Ces deux diagrammes autorisent une interprtation tout fait passionnante: on y constate dabord un mimtisme formel entre les diffrents niveaux. Observons la progression nonce par les segments a-b (qui se suivent toujours dans la partition): il sagit dun cycle qui se resserre autour du dernier lment dcouvert, le la, pour brusquement revenir sur le fa initial. La forme mlodique opre exactement de la mme manire avec le fragment c, lui aussi dernier fragment dcouvert (et qui justement se conclue par un la). Si lon va un

    10Cela peut amener des distortions considrables dans le cas o les paradigmes considrs sont de taille trs diffrentes. cf. par

    exemple lanalyse donne par Ruwet dune uvre de Rambaut de Vaqueiras in Langage, musique, posie, op. cit. p.126.

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    peu plus avant dans linterprtation fonctionnelle des fragments, on voit que le a est une mise en scne de laccord parfait de fa majeur, le b un resserrement sur le chromatisme sib-la (le seul qui soit nonc puisque le mi est absent), suivi dun coul la-sol revenant sur le fa, et le c un fragment scind en deux, dont la fonction est de ramener sur le la. Il y a donc deux zones tout fait distinctes sur le plan formel: une zone que lon pourrait dire de stabilit ou dnonciation autour de fa-la-do, et une zone dinstabilit de non-conclusion centre sur le demi-ton chromatique sib-la. Toute la stratgie de la partition semble axe sur le resserrement temporel entre ce questionnement ultime du sib-la et la rponse de la stabilit sur le fa. Si nous relisons les diagrammes avec les mots de notre interprtation, cela peut nous aider mieux comprendre un embryon de langage formel de la musique.

    l'initial

    l'ultime

    le passage

    le retour

    la fin

    l'nonc/leparcours

    le resserrement

    le stable

    l'instable

    Fig. 12.

    Les diagrammes formels ne sauraient se limiter au domaine de la monodie. La notion de fragment est suffisamment vaste pour sadapter dautres catgories, en particulier aux objets sonores de la musique contemporaine. Nous voudrions analyser ici un exemple dcriture polyphonique pour montrer comment lanalyse de type paradigmatique peut se raliser facilement avec les outils que nous venons de nous donner. Nous prendrons lexemple de la fugue XVI en sol mineur du clavier bien tempr de Jean-Sbastien Bach, exemple connu pour tre le prototype de la fugue dcole, et sur lequel nous navons a priori pas grand chose apprendre.

    Fig.13: Dbut de la fugue en sol mineur de J.-S. Bach et sa transcription dans un diagramme

    formel.

    Nous commencerons par une analyse des quatre premires mesures de cette fugue afin de nous familiariser avec les particularits de ce type danalyse. Le matriau de la polyphonie est principalement constitu de lignes mlodiques. La reprsentation dun fragment, au lieu dtre traite globalement comme dans le cas du bloc A de la forme ABA, pourra donc se faire par un

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    septembre 14, 2009, p.12

    segment de droite reprsentant une relation bijective entre le temps de luvre et celui du matriau mmoris. Nous pouvons comparer sur la figure 13 le dbut de la partition et sa transcription sur le diagramme formel. Il convient de justifier deux dtails pratiques: dabord le recadrage dcal dun demi soupir, qui tient compte du dcalage rythmique du thme, et le fait que des analogies de second ordre, comme celle entre le commencement de la seconde mesure et son inversion la troisime mesure, sont discrimines, alors que les variations du thme (transpositions et mutations) ne le sont pas. Il sagit videmment dun choix de lanalyste, dont il doit rendre compte en termes dinformation. Il est intressant de pouvoir visualiser, dans ce cas, lutilisation relative de linversion par rapport au fragment initial pour comprendre les implications formelles de chacun deux, par exemple leur superposition et linsistance sur la forme inverse aprs la triple strette mesure 30. Linformation perdue dans le diagramme concerne principalement la situation tonale des fragments mlodiques. Cette information de position, non prise en compte du fait de la nature intervallique (drive) du matriau considr, peut tre restitue soit par une criture en surimpression sur le matriau, une sorte de remise jour de la mmoire, soit directement sur le diagramme11.

    Quoi quil en soit, il faut bien comprendre que ces dtails nont que peu dinfluence sur lallure gnrale du diagramme, et quun des grands intrts de ces derniers pour lanalyse est justement cette facult de pouvoir sabstraire des dtails pour visualiser lensemble dune forme. La particularit des diagrammes formels est de rendre compte avec prcision des relations de chaque fragment avec la totalit de luvre, que ce soit dun point de vue synchronique ou diachronique12. Les deux schmas suivants tentent de synthtiser dune part lenrichissement du fragment du fait de sa prsence dans luvre, et dautre part lenrichissement de luvre du fait du rle particulier tenu par le fragment.

    FRAGMENT

    (vnement)

    contexte

    racines

    SYNCHRONIE

    ralisation du contexte de

    part la participation du

    fragment l'ensemble

    DIACHRONIE

    superposition aux

    impressions du pass

    et ractualisation de

    la mmoire

    Fig. 14.

    11Remarquons que le thme donne lui seul lindication du plan tonal. 12Les termes synchronique et diachronoque devant tre entendus ici dans leur sens original et non dans leur acception

    saussurienne.

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    septembre 14, 2009, p.13

    FRAGMENT

    (vnement)

    contexte

    racines

    SYNCHRONIE

    nouvelle situation

    enrichissante par la

    confrontation avec

    d'autres lments

    DIACHRONIE

    enrichissement par la

    rsonance mmorielle

    restituant les

    expriences du pass

    Fig. 15.

    Nous ninsisterons pas sur la facilit de lecture des lments de lanalyse classique sur les diagrammes: strettes, rexpositions, divertissements... Nous allons maintenant nous attacher comprendre, au del de lexhaustivit thmatique, ce que ces diagrammes nous donnent entendre de lorganisation temporelle des uvres et de la pense compositionnelle de leurs auteurs.

    III. STRATGIES COMPOSITIONNELLES - STRATGIES DCOUTE.

    Il est possible de distinguer dans le discours musical deux types dvnements, non pas sur des critres traditionnels de musicalit, mais simplement du fait de leur position temporelle dans le droulement: le premier concerne les lments nouveaux et le second les lments rpts. Du fait de la position de ces lments dans le diagramme formel, nous proposons la dnomination de front de dcouverte pour le premier type, et de fond de rptition pour le second. Ce qui peut sillustrer comme suit:

    temps

    matriau

    f o n d d e r p t i t i o n

    etrevuo

    cd

    ed t

    norf

    Fig. 16.

    Dans le cas de la fugue de Bach (figure 17), la redondance se situe principalement au niveau du sujet et du contre-sujet: cest le principe de la fugue. Le canon de la marche harmonique (mesures 25 27) est le seul lment qui vient donner une densit au front de dcouverte, quand celui-ci atteint son ultime dveloppement, comme si le propos tait daccentuer la distance formelle entre cet lment et le retour du thme en triple strette. La cohrence tant assure par

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    septembre 14, 2009, p.14

    la prsence du motif en doubles croches, le rle de divertissement obsessionnel de ce passage parat assez vident.

    Fig. 17: Diagramme formel mlodique de la fugue en sol mineur.

    Fig. 18: Diagramme formel mlodique du premier mouvement de la sonate facile.

    Observons maintenant le diagramme formel du premier mouvement de la sonate facile de Mozart (figure 18). Nous constatons la mme stratgie de faire attendre le retour du thme initial. Cette attente est dautant plus importante dans la structure de la pice que les barres de reprise organisent un allongement progressif de la dure du dveloppement entre deux thmes principaux. Par contre, la redondance nest pas du tout situe, dans ce mouvement, au niveau du thme initial: il sagit au contraire dune sorte de broderie de plus en plus importante du front de dcouverte. La fugue de Bach cherche en quelque sorte mettre en rsonance un lment fondateur originel, quand la sonate de Mozart - en tout cas dans son premier mouvement - cherche entrainer lauditeur dans la sduction dune perptuelle dcouverte.

    Dans les deux cas, nous pouvons constater galement une courbure caractristique du front de dcouverte mlodique. On peut difficilement , chez de tels auteurs, interprter ce phnomne comme un tarissement de linspiration! Il faut plutt chercher y voir une adaptation des donnes physiologiques de laudition lies la capacit dcoute des auditeurs. Si nous considrons quil y a une certaine quivalence entre matriau et quantit dinformation13, la performance de laudition peut grossirement tre dfinie comme la quantit dinformation accessible lauditeur dans une dure donne. En termes plus mathmatiques on pourrait crire cela P = I/t, P tant la performance, I la quantit dinformation et t le temps. Il est permis de penser que la performance ne reste pas constante et diminue au cours du temps. On peut donner cela deux raisons: dabord une fatigue de notre machine couter, mais aussi une limitation de nos capacits de mmorisation.

    13Nous ne chercherons pas ici quantifier le matriau. Cest relativement inutile si ce matriau est suffisamment homogne.

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    septembre 14, 2009, p.15

    II = Pm.t

    temps

    matriau/information

    Zone o l'auditeur peroit moins d'informations qu'il ne peut en traiter

    Zone o l'auditeur peroit plus d'information qu'il ne peut en traiter

    saturation de la perception

    Fig. 20: La performance moyenne Pm = I/t.

    On peut imaginer partir du diagramme prcdent deux grandes tactiques: une tactique de rserve, qui expose dabord son matriau puis restreint la nouveaut pour ne pas excder les capacits de lcoute, escomptant de la combinatoire ou de leffet de transe le renouvlement de lintrt, et une tactique de prolifration qui au contraire met en attente lavnement du matriau et fonde lintrt sur cette attente et le dbordement quelle promet. Les volutions correspondantes nont bien entendu pas les mmes fins.

    l'origine

    l'ultimematriau

    temps

    puisement

    rupture

    tactique de rserve

    tactique de

    prolifration

    Fig. 19.

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    septembre 14, 2009, p.16

    Pour raliser une fugue, Bach a bien dautres ressources stylistiques que la seule accumulation thmatique. Si nous tablissons une liste de ces moyens et si nous considrons lapoge de leur ralisation dans la partition, nous obtenons un diagramme formel dune toute autre nature que celui du matriau mlodique.

    1 5 10 15 20 25 30 35

    ABCDEFGHIJK

    tps

    (mes)

    Fig. 20: Diagramme reprsentant la manire dont Bach rpartit au cours de la fugue les

    moments les plus intenses de chacune des possibilits suivantes de composition des fragments mlodiques :

    A: accumulation des voix

    B: modulation harmonique

    C: polyphonie quatre voix

    D: plus haut registre du soprano

    E: accord le plus dissonant

    F: rythme en double-croches continues

    G: canon et marche harmonique

    H: rupture formelle

    I: triple strette

    J: rcapitulation des moyens

    K: cadence conclusive

    Considrons maintenant le second mouvement de la sonate facile de Mozart. La basse dAlberty est bien entendu rduite une simple ligne sur le diagramme mlodique (figure 21). Si nous analysons maintenant ce fond grondant, en traant un diagramme formel des accords quil supporte (figure 22), nous voyons que ce motif lmentaire, qui tendrait passer inaperu, conduit une volution harmonique dbordant par vagues successives le flux mlodique. Remarquons au passage quel point la structure de la premire partie (mesures 1 8) donne une image rduite de lensemble du mouvement.

    Fig. 21 et 22: Deux diagrammes formels de lAndante de la Sonate facile en do majeur de W.

    A. Mozart. La figure 21 (en haut) montre la distribution du matriau mlodique, la figure 22 celle des accords

    ports par le motif mlodique de la basse dAlberty prsente tout au long du mouvement.

    On voit avec ces deux exemples la versatilit des principes de reprsentation que nous nous sommes donns. Mais ce qui est plus important, cest de saisir les enjeux formels et smantiques mis jour par de telles reprsentations. Ces deux partitions crites dans le mme sicle (1722 pour la

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    fugue et 1788 pour la sonate), avec le mme systme tonal, prsentent des divergences dcriture considrables dont nous sommes mme de rendre compte avec une grande prcision. Nous pourrions croire dans un premier temps une identit de projet, quelque chose qui aurait voir avec la restriction et le dbordement, avec la ncessit dune cohsion ralise par la limitation des moyens, en particulier mlodiques, et celle de dpasser cette limitation par un jaillissement aux autres niveaux de la structure. Il faut voir dans une telle qualit de pense du temps vcu le fait de musiciens de tout premier ordre. Mais ces deux compositeurs exceptionnels nous rvlent des motivations esthtiques fondamentalement diffrentes. Car si Bach ralise un dbordement par les moyens formels de plus haut niveau, dirigeant le corps mlodique par lesprit contrapunctique, la dynamique temporelle de Mozart vient du niveau infrieur, cest le courant souterrain de la sensualit harmonique qui envahit le charme mlodique du thme et devient llment principal du drame. Lhistoire de lart na pas dautres mots. Ce qui est remarquable ici, cest de pouvoir lire au fil des uvres, grce au langage lmentaire de la forme du temps, lessentiel de cette pense qui les motiva.

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    Daniel Mancero