André Padoux - Mantra Et Corps

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  • 7/24/2019 Andr Padoux - Mantra Et Corps

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    Du corps humain, au carrefour de plusieurs savoirs en Inde.Mlanges offerts Arion Ro]u loccasion de son 80eanniversaire

    STVDI SI TIC IV (2003) - V (2004), p. 565-580Centre dhistoire des religions,Universit de Bucarest

    CORPS ET M NTR

    DE L PRSENCE DES M NTR S D NS LE CORPS

    ndr P DOUX

    CNRS, Paris

    Lanciennet de mes relations avec Arion Ro]u et la trs grande estimeen laquelle je tiens ses travaux font que cest avec plaisir que japporte lacontribution de ce modeste article au volume qui vient honorer son uvre de

    chercheur. Cet article najoutera certes pas grand chose ce que lon sait dj surle sujet quil aborde, mais du moins veut-il tre, avant toute autre chose, untmoignage de cordiale admiration.

    Dans les traditions hindoues tantriques et mme dans toutes lesformes dhindouisme incluant des lments tantriques : cest--dire dansquasiment tout lhindouisme , des mantras sont rituellement placs sur lecorps de lofficiant ou sont censs y tre prsents en certains points 1. Ilarrive aussi que les mantras soient dcrits comme se mouvant dans lecorps, tel un souffle ou une sorte de fluide cheminant dans les canaux(n) qui, avec les centres nommsgranthi,cakra oupadma,formentlecorps imaginal2. Ce sont l des choses bien connues sur lesquelles il nevaudrait gure la peine de revenir ici si certaines des pratiques mantriqueset des reprsentations mises en jeu leur occasion ntaient assezparticulires et si ne se posait leur propos aussi bien la question de la

    1 On sait que les mantras sont galement utiliss dans lyurveda et dans leRasyana, comme la soulign plusieurs fois Arion Ro]u. Voir notamment sonimportante tude : Mantra etyantradans la mdecine et lalchimie indiennes ,JA274 (1986), no. 3-4, p. 203-268.2Cette reprsentation imaginale vcue comme prsente dans le corps physique duyogin (le dpassant parfois) est souvent nomme corps subtil. Mais cest l, monsens, une mauvaise appellation, car le corps subtil (skmaarra ouskmadeha)est tout autre chose : cest llment transmigrant form dun certain nombre detattva : il est concevable et non pas reprsentable. Ce nest pas une structureimagine comme prsente en certains points du corps et mentalement visualisable

    ou perceptible.

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    nature des mantras sujet qui ne laisse pas de faire problme que cellede la faon dont le corps peut tre peru et vcu par les adeptes tantriques,et mme, plus gnralement, dans le monde hindou. Il semble, en effet,vident quil y a une reprsentation hindoue du corps, variant selon les

    traditions, mais qui toujours contourne ou dpasse le corps anatomique eny incluant des lments visionnaires qui le transforment et/ou lecosmisent (ou mme labolissent au profit dune ralit transcendante).Ce sont l des questions intressantes, auxquelles je ne pourrai toutefoisque faire brivement allusion dans ces quelques pages.

    Quant la prsence des mantras dans le corps, cest par un effortde concentration mentale, par la mditation, que les mantras peuvent ytre imagins, placs, perus, ou comme on dit parfois, visualiss .Nombre de textes anciens ou modernes prescrivent et parfois dcriventavec prcision cette sorte dexercice mental, qui peut dailleurs avoiraussi un aspect rituel. Cest, de fait, surtout par la pratique du nysa,cest--dire par le placement (ou imposition) rituellement accompli, que

    les mantras sont dposs et ds lors imagins comme prsents - sur (oudans) le corps de ladepte ou du dvot, de celui qui prie ou qui invoque ethonore une divinit en tentant de sidentifier en quelque manire elle.Jai dcrit ailleurs les diverses sortes de nysa3. Ce que je voudrais faireici, cest souligner la prsence, que de telles pratiques sont censesraliser dans le corps humain, dune forme de la parole, qui ds lorslhabite et le transforme, ou plus exactement qui transforme limage, laperception vcue du corps. Ce dernier appara[t ainsi permable laparole, qui peut ne servir qu le purifier, mais qui peut aussi lhabiter aupoint den faire le rceptacle de la divinit et mme de lidentifier celle-ci4. On dit parfois ce propos que ladepte ainsi transform a (au moinspour la dure du rite) un corps de mantra (mantraarra oumantradeha),terme qui ne laisse pas de faire problme, car que peut tre un tel corps ?

    Le problme est dailleurs, au moins pour nous, double. Dune part, eneffet, que sont ces mantras prsents au corps ? Sont-ce des aspects de laparole, des formes dnergie subtile, ou des divinits ? Dautre part,comment imaginer, et surtout comment exister un corps de mantra ?Quelle connaissance et quelle sorte de ma[trise a-t-on dun corpsrituellement transform ? En outre, le corps mantris , tout pntr demantras, du yogin tantrique est souvent dcrit comme un corps divin

    3 Voir A. PADOUX, Contributions ltude du mantrastra, II. nysa :limposition rituelle des mantras ,BEFEO 67 (1980), p. 59-102.4 Do les sries de nysa prliminaires tout culte dune divinit : purifiant

    lofficiant, ils le rendent digne de lapprocher.

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    (divyadeha)5, et cest l une autre notion complexe. Par leur prsence enlui, les mantras ne font pas que purifier ou diviniser le corps : entitssupra-humaines rle et dimension cosmiques, ils le cosmisent. Ilsactualisent lhomologie, traditionnelle en Inde, de sa structure avec celle

    de lunivers - en la rendant souvent plus baroque . Dans lareprsentation que le tantrika a de lui-mme, ils lui font transcender seslimites.

    On voit cela, par exemple, dans la description du culte du dieuViu que fait laJaykhya Sahit6. Dans ce texte, comme il est de rgledans le domaine tantrique, le culte dit extrieur (bhya), cest--dirematriellement et visiblement effectu, doit tre prcd dun culte intrieur (antaryajana), purement mental, ralis en imagination. Aucours de celui-ci, lofficiant fait mentalement se rsorber, dans ltherde son cur (hdke), sa conscience (caitanya) et sa force vitale (jva)en un corps de mantra (mantraarra), le mantra tant celui de ladivinit, donc le dieu lui-mme. Il est alors cens navoir plus dautrecorps que ce corps mantrique divin. Ce moment de fusion fantasmatique

    avec la divinit, aussitt suivi dautres reprsentations mentales, achverade le transformer et fera quavec son corps physique purifi - dont ilreprend en quelque sorte possession - il pourra passer au moment suivant,extrieurement actif, du culte7.

    Le nysa, pour en revenir lui, se fait normalement par un gesteparticulier des doigts (une mudr) que lon applique sur le point du corpso le mantra doit tre impos, ce geste tant accompagn de (ouaccompagnant) lnonciation vocale ou mentale du mantra ainsi que de lareprsentation mentale de celui-ci8. Ce que lon se reprsente ainsi estlaspect fix par liconographie de la divinit dont le mantra est la formesubtile, lessence phonique, donc laspect le plus haut : on peut, en

    5On dit aussi que le yogin acquiert ainsi la nature ou ltat de mantra, mantratva.6 Cet ouvrage est une des principales sahit (ou tantra, si lon prfre) duviouisme tantrique, le Pcartra. Il est trs riche en prescriptions rituelles. Letexte sanskrit en a t publi Baroda dans la Gaekwad Oriental Series (vol. 54,1967).7Ce moment du culte mental est tudi et comment avec soin dans la thse de M.RASTELLI,Philosophisch-theologische Grundanschauungen der Jaykhyasahit,Vienne, Verlag der sterreichische Akademie der Wissenschaften, 1999, en serfrant essentiellement au chapitre 12 de cette sahit.8Il y a peu dtudes densemble des mudrutilises dans les rites hindous. Sur lesmudrtantriques, voir par exemple A. PADOUX, The Body in Tantric ritual: thecase of the mudrs , in T. GOUDRIAAN, ed., The Sanskrit Tradition and Tantrism,Leiden, E.J. Brill, 1990, p. 66-75, o je naborde gure, et brivement, quun

    aspect du sujet.

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    consquence, dire que cest le mantra lui-mme que lon voit en esprit enmme temps quon linstalle9. Par nysa on peut toutefois imposer aussides entits plus abstraites, moins reprsentables, mais qui ont galementleurs mantras. Tel est le cas, par exemple, des divisions cosmiques que

    sont les tattva ou les kal. De telles divisions peuvent tre rparties, aumoyen des mantras correspondants, sur le corps qui est ds lors conucomme cosmis10. Selon certains textes, enfin, ce sont les lettres, la formecrite, du mantra quil faut se reprsenter lors du nysa. Dans tous les cas,image divine ou forme crite doivent tre imagines comme lumineuses,car les mantras sont divins et la divinit est toujours lumineuse. Lespuissances imposes vont ainsi non seulement habiter et transformer lecorps, mais aussi, dune certaine manire, lilluminer. La composantementale, imaginale, du nysaest, on le voit, essentielle : cest au plan dela reprsentation yogique du corps donc dans une exprience qui, pourtre mentale, nen est pas moins corporellement vcue quagit ici lemantra.

    Cet aspect de reprsentation est encore plus vident quand

    limposition des mantras doit se faire sur les centres subtils - cakra ouautres - du corps imaginal, comme cela est parfois prescrit. La pratique nepeut alors tre que purement mentale, mme si parfois un geste vers lecorps doit tre fait : en nonant la formule dimposition, on imagine quele mantra est plac dans le cakra, quil emplit de sa puissance. Les petitesfigures de divinits que lon voit reprsentes sur les cakra dans les

    9Affirmation quil faut nuancer car la divinit elle-mme peut tre conue commentant faite que de phonmes. Le dieu-mantra Navtman, par exemple, estconstitu des neuf phonmes HSKMLVRY. Une divinit tantrique ayant un

    ou des visages (vaktra) et des membres (aga), sa forme mantrique enaura galement, qui seront des mantras ceux que lon nonce dans les rites pourles voquer. (Navtman a, ainsi, des agafaits de phonmes : voir Tantrloka30,15-16a.) A-t-on alors affaire des images mentales ou des noncs phoniquesmentaux ? Pour Navtman, notons que tout fait quil soit de phonmes, il est aussiconu comme tant un beau jeune homme, partenaire de la desse bossueKubjik : quvoque-t-on alors dans son cas ? Laspect anthropomorphe oulnonc syllabique ?10Cela se fait notamment dans le cas de linitiation (dk) de ladepte ivate :voir sur ce point le volume 3 de ldition et traduction de la Somaambhu-paddhati, par Hlne BRUNNER(Pondichry, Institut Franais dIndologie, 1977),voir notamment les planches donnes en appendice. Ce texte est le plus completdes manuels de rituel ivates auxquels on puisse avoir accs. Les quatre volumes(1963-1998) du texte dit, traduit et abondamment annot et explicit, forment

    un travail tout fait remarquable.

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    images traditionnelles indiennes du hahayoga11 sont des mantras que leyogin y a placs en imagination. Ce sont en effet toujours des mantras quipeuplent les centres et les canaux dcrits dans les textes tantriques. Cesont eux qui sont prsents dans le corps du yogin et qui laniment ou le

    divinisent12.

    Une autre forme de prsence des mantras dans le corps se voitdans certaines pratiques rituelles, relatives notamment au culte ou linvocation de divinits. Cest ce qui se passe dans le cas, prcdemmentmentionn, du culte intrieur (antaryajana, mnasayga ouantapj) qui prcde le culte extrieur (bhya), adoration mentaleo la divinit est voque gnralement dans le lotus du cur. Commecelle-ci domine le monde, ontologiquement situ au-dessous delle, ellela en quelque sorte pour trne (sana). Elle doit donc tre imaginecomme place sur un trne form de tous les tattva constitutifs delunivers13, depuis celui de la terre jusqu celui qui la prcdeimmdiatement, tattvaque lofficiant place en imagination dans son corps

    au moyen de leurs mantras. Ainsi, dans le culte mental (mnasayga) dudieu Viu dcrit dans la Jaykhyasahit auquel nous avons dj faitallusion, lofficiant qui, grce au rite que nous avons vu, sest identifi Viu (viumaya), va construire dans son corps le trne (sana) du dieu,ce quil fera en se reprsentant par la mditation (dhyna) laspect aussibien visible (anthropomorphe) que phontique (nonc/crit) des mantrasformant le trne et qui constituent la totalit de lunivers qui va tre ainsiinstall en imagination dans son corps. Avec leurs mantras respectifs, cesont dabord les puissances et divinits prsentes dans le cosmos et enconstituant les plans que lofficiant doit installer en lui. Il les tage selonlaxe de la suumn et la monte de la kualin en commenant parldhraakti, la puissance de base, socle de lunivers, imagine dans lemldhra, et en continuant avec la terre, les directions de lespace, les

    Vdas, les luminaires Soleil, Lune et Feu (srya,somaet agni), et autresentits divines, jusquau dieu Grua, la monture de Viu (avec Varha).En mme temps, le trne doit tre form des mantras des trente-trois

    11 Celles, par exemple, qui illustrent ldition du acakranirpaa par A.AVALON, The SerpentPower, being the Shat-Chakra-Nirpana and Pduk-Panchak, Madras, Ganesh & Co., 1953.12 Voir par exemple D. HEILIJGERS-SEELEN, The System of Five Cakras inKubjikmatatantra 14-16, Groningen, Egbert Forsten, 1994.13 Les traditions tantriques ont toutes repris leur compte la conception delunivers du Skhya dont la reprsentation du cosmos le divise en 25 catgories,les tattva, hirarchiss de la terre, le plus bas, la divinit. Ces traditions yajoutent habituellement onze tattva supplmentaires, distinguant des plans

    successifs au sein de la divinit.

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    tattva allant de la terre vara. Ce trne intrioris, ainsi construit aumoyen des mantras de tout lunivers, reflte, on le remarquera, deuxvisions de la cration, lune mythique, thologique, lautre celle descatgories constitutives du cosmos, les tattva, venue du Skhya (voir le

    tableau, pl. 2). Il sagit donc, pour lofficiant, dune construction mentaleintriorise assez complexe14. Le mme processus mental base demantras se rencontre aussi dans le domaine ivate, o le culte matrieldoit aussi tre prcd dun culte mental. La construction y est galementcomplexe. On la trouve notamment dans le Svacchanda Tantra1.88 pourle culte du dieu Svacchandabhairava, dont on installe dans le corpsdabord le trne, puis les mantras formant la multiplicit cosmique, puisle dieu lui-mme qui est enfin mentalement ador15. Analogue et fortcomplexe est le rite mental dinstallation du trne des trois grandesdesses du Trika, dcrit dans le Tantrloka dAbhinavagupta cest--dire selon lenseignement du ivasme non dualiste cachemirien.Ladorateur, dans ce cas, doit dabord diviniser son corps en y plaant unmantra de somatisation (mrtividy16), ce qui prpare la cration mentale

    en lui de diverses formes divines. Puis il doit installer en lui-mme, parleurs mantras tags le long de la suumn, les niveaux successifs ducosmos, les tattva, avec leurs divinits rgentes, ce qui fera de lui, parcette imprgnation mantrique de son corps imaginal, le trne de cesdesses, quil doit se reprsenter comme sigeant au-dessus de sa tte,assises sur des Bhairavas tendus sur des lotus placs eux-mmes sur lespointes dun trident les lotus, le trident, comme la forme des divinits,tant videmment, tout comme le corps imaginal, des crationsmentales17.

    Mais les mantras ne sont pas seulement prsents dans le corpsimaginal de ladepte tantrique. Ils y circulent. Et cest prcisment en symouvant quils dploient leur puissance efficace, quils divinisent le

    pratiquant, le rendent immortel, ou quils lunissent la divinit suprmeet lui font atteindre la libration. Quelques exemples, ivates ou

    14Une description complte de ce culte mental est faite par M. RASTELLI, op. cit.,p. 246-270.15Ce rite mental est tudi par Alexis SANDERSON, Meaning in Tantric Ritual ,in A.-M. BLONDEAU et Kr. SCHIPPER (ds.), Essais sur le rituel III, Paris,Bibliothque des Hautes Etudes, Sciences Religieuses, volume CII, 1995, p. 15-95.16On nomme vidy un mantra fminin ou lemantradunedivinitfminine.17 Cette adoration des desses du Trika, a t dcrite et commente par AlexisSANDERSON : Maala and gamic Identity in the Trika of Kashmir dans A.PADOUX (d.), Mantras et diagrammes rituels dans lhindouisme,Paris, ditions

    duCNRS, 1986, p. 169-204.

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    viouites, peuvent tre donns de cette circulation intra-corporellesalvifique qui, plus encore que la pratique du nysa, met en jeu lapuissance imaginative, lie la perception existentielle du corps vcu18,de ladepte initi.

    Le terme mme duccra, qui dsigne en sanskrit lnonc dunmantra, nonc qui met celui-ci en efficacit, fait appara[tre le lienessentiel existant entre cette mise en jeu et le corps. Uccra, en effet,dsigne un mouvement ascendant (uc-car) de la vibration sonore dumantra, le nda (cest le ndoccra), monte intrieure qui se produitavec celle du souffle, le pra19, dans le corps imaginal : il sagit dufonctionnement intrioris du souffle li un mouvement de laconscience vers la divinit20. Le fait que ce souffle soit ascendant, doncli la monte de la kualin, montrebien quil nest pas un soufflerespiratoire. Sans doute se produit-il dans le corps de ladepte, mais auplan du corps imaginal, intraposed within the visible body, comme ledisait T. Goudriaan21.

    Avant de citer quelques exemples de circulation des mantrasdans le corps imaginal, il faut mentionner un cas o cest au mouvementdu souffle respiratoire quest lie une pratique mantrique : celle dite

    18 Jemploie lexpression corps vcu en reprenant la distinction de Max Scheler(adopte notamment dans lanalyse existentielle, laDaseinanalyse) entreLeib, quiest le corps prouv, vcu existentiellement, et Krper, qui est le corps peru,physique, anatomique. Etant entendu, videmment, que lun ne va pas sanslautre : il est vident que lon ne sexiste pas seulement avec son corps

    physique.19Le pra, on le sait, nest pas un souffle respiratoire, mais subtil . Commelcrivait Louis RENOU (LInde Classique, Paris, 1947, vol. I, p. 339), cest laspect vitaliste de ltman.20 Je me permets de citer ici larticle uccra (que jai rdig) du vol. 1 duTntrikbhidhnakoa.21Dans S. GUPTA, D.J. HOENS, T. GOUDRIAAN,Hindu Tantrism, Leiden, E.J. Brill,1979, p. 57. Bien qutant purement imaginaire, fantasmatique, le corps imaginal,parce quil est intrapos , plac dans le corps anatomique, est la fois engrande partie calqu sur lui et li lui dans la vision que lon a de son fonctionnement : tout cela se passe dans le corps . Cest ce qui permet certains Mircea Eliade par exemple, pionnier dans ce domaine dtude deparler ce propos de physiologie mystique . Cette expression est sans doutediscutable, mais elle a le mrite de souligner le lien, linteraction de ces deux

    corps .

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    ajapjapa, la rcitation de la non-rcite22. Celle-ci semble tre surtoutivate, mais elle est trs rpandue, mme de nos jours. Nombre de textesou de manuels de yoga la mentionnent. On la trouve dans certainesUpaniads, telles laDhynabindu, ou laBrahmavidy; laHasopaniad

    lui est consacre. Le Vijnabhairava, le Svacchandaet leNetra Tantra23la prescrivent. La non-rcite , ajap, est le nom donn au mantrahasa en tant quil est form des deux sons hametsaconsidrs commeproduits par le souffle respiratoire lors de linspiration et de lexpiration.Hasa, lui, cest lOiseau migrateur mythique, le Cygne, symbole depuisle Vda de ltman en tant quidentique la divinit. Le rciter, cestdonc invoquer celle-ci peut-tre sunir elle. Dans lajapjapa, il nestpas proprement parler rcit, puisque la respiration se fait delle-mme,celle-ci tant cense se rpter 21600 fois par vingt-quatre heures.Lajapjapaest ds lors, en mme temps que lon respire, la rptitioncontinuelle, automatique, mais mditativement suivie, parfois ritualise,de ce mantra, qui est dans ce cas compris comme (a)ha sa ou, en sensinverse,soham, je suis Cela ou Cela, je le suis , Cela tant iva

    (ou la Desse), qui ce japadoit identifier le mditant-rcitant. Certainstextes font une description trs dtaille de cet ajapjapa, qui doitsaccompagner de visualisations mditatives, ainsi que dun effortspirituel intense tendant la ralisation de lidentit du mditant et de ladivinit et sa participation spirituelle au jeu cosmique divin. Ladeptepeut aussi (et telle est dailleurs la raison dtre de lajapjapa selon leVijnabhairava, ou le Svacchanda Tantra, 7. 56-59 et son commentaire,ou la Dakiamrtisahit, etc.), notamment en se concentrant sur lebindu intrieur au mantra (le de ha), se fixer au point centralimmobile du souffle, en se plaant en quelque sorte entre deuxmouvements respiratoires. Point imperceptible, certes, mais central,mdian : cest le madhyadhman, situ hors du temps, donc letranscendant. Do, pour le pratiquant, le dpassement de toute dualit par

    identification avec lnergie du souffle central (madhyamapra) quiest celle mme de la divinit24. Ainsi peut tre atteinte la libration, mais

    22Sur le japa, voir A. PADOUX, Contributions ltude du mantrastra, II. lejapa,BEFEO 76(1987), p. 117-164. Sur lajapjapa, voir ce mme article, p.145-147 et les entres ajap etajapjapa du Tntrikbhidhnakoa, vol. 1.23Le Svacchanda Tantraet le Netra Tantrasont deux importants textes ivatesqui, tous deux, nous sont parvenus. Le premier, o le culte est celui deSvacchanda Bhairava, tant cit par Abhinavagupta, est antrieur au 10 esicle. LeNetra, nomm aussiMtyujit, est peut-tre un peu plus rcent. Ces tantras ont faittous les deux lobjet dun important commentaire, lUddyota, rdig dans lespritdu ivasme non dualiste cachemirien, par Kemarja, disciple dAbhinavagupta.24Aspect que souligne Kemarja dans son commentaire du Svacchandatantra7.

    56-59 o il cite le Vijnabhairava155-156 qui, toutefois, ne semble viser que le

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    une libration obtenue par une pratique mantrique corporelle et vcuecorporellement en ce monde. En fait, dans une telle pratiquedimmobilisation du souffle, on passe du souffle respiratoire au soufflevital, subtil, prsent dans le corps imaginal. Il y a l coalescence de deux

    visions ou de deux expriences du souffle .Le lien du mantra et dupra(au sens de souffle vital subtil, non

    de souffle respiratoire) est souvent indiqu comme ncessaire. Abhinava-gupta, dans son grand trait tantrique, le Tantrloka (7. 39 sq), parexemple, en se rfrant notamment au Siddhayogevarmata25, prcise quecest en harmonie avec le souffle vital (prasam) que lnergiekualinparvient au niveau transmental dunman(le plan suprmede lnonc mantrique), en ajoutant que les mantras, mme noncs millefois avec la plus grande nergie, sont sans effet (na siddhyanti) sils nesont pas unis la grande puissance ternellement surgissante de lnergiedivine en tant noncs en conjonction (yukta) avec le mouvement dusouffle vital.

    Ce que nous allons voir maintenant, ce sont prcisment desmantras placs dans le corps imaginal et sy mouvant sans mise en causedirecte du corps physique, qui ne laisse toutefois pas dtre malgr toutimpliqu dans la mesure o il est le lieu o visionnairement le corpsimaginal est situ : cest avec tout son corps vcu de faon la foismentale et physiologique que ladepte tantrique sexiste quil vit etopre cela mme si, dans ce que nous verrons, cest essentiellement auplan imaginal, fantasmatique, que les choses se produisent.

    Un des cas les plus connus de ce genre de prsence et de procscorporels mantriques est celui de lnonc du mantra OM, le praava syllabe clbre depuis lpoque vdique dont la nasale est cense, danslnonciation, se prolonger par une srie de huit lments phoniques

    (kal) de plus en plus subtils, allant de bindu unman. Les troisphonmes en quoi se dcompose OM(A, U,M), qui en forment les troispremires kal, relvent de la parole parle, ou au moins mentalementnonce, alors que les huit kal suivantes (bindu, ardhacandra, nda,ndnta, akti,vypin, saman puisunman) reprsentent des plans de

    souffle respiratoire. Le Tantrloka6. 24, quant lui, nenvisage que laspect ou lesymbolisme cosmique de cette pratique.25Ce tantra, qui dut tre important, est souvent cit par Abhinavagupta. Il traite duculte de desses-mantras fminines doues de pouvoirs magiques. Une version ena t conserve, qui a t dite et traduite par Judit TRZSK dans une thsedOxford (non publie). Cest l toutefois une version brve de ce tantra, o ne se

    retrouvent aucune des citations quen font le Tantrlokaet son commentaire.

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    plus en plus subtils de lnonciation qui, en unman, se dissout danslabsolu. Il sagit donc dune monte nonciatrice qui va de ce monde-ci celui de la parole distincte celui de la divinit. Sagissant dunmouvement ascensionnel, il se calque tout naturellement sur celui de la

    monte de la kualin, lnergie divine prsente dans le corps du yogin.Lnonc du mantra (mantroccra) et la monte de la kualinsont cetgard identiques. Les textes nomment parfois explicitement hasoccrale mouvement montant de OM(ainsi SvT4. 262).

    Il existe, dans les tantras ivates, diverses descriptions deluccra de OM avec ses kal, le nombre de ces dernires pouvantdailleurs varier selon les textes, tout comme varient les nergies ou lesdivisions cosmiques avec lesquelles elles sont mises en correspondance.Sans doute ce dernier point ne nous intresse-t-il gure ici, sauf peut-treen ce quil permet de rappeler la dimension cosmique et transcendanteque comportent souvent les noncs mantriques et qua toujours celui-ci.Si, en effet, lnonc de OMa pour lieu le corps imaginal, ce dernier, neserait-ce que parce que les mantras y placent des divinits, a une

    dimension supra-humaine. Sans doute, plac imaginativement dans lecorps physique, est-il soumis en quelque faon sa structure, mais il letranscende parce quil est anim par lnergie divine et quil est, si lonpeut dire, le moyen mme qua ltre humain de se transcender verslabsolu.

    Pour nous en tenir la prsence corporelle du mantra OM, samonte intrieure, associe aupra etauhasa, commence selon le SvT4. 26326avecA, au niveau du centre du cur (hd). Elle se poursuit, avecU,dans la gorge (kaha),M tant au plan du palais (tlu), bindudans lecentre inter-sourcilier (bhrmadhya), nda au niveau du front (lalta).Puis, dans la tte, naissent et se dissolvent les plans suivants, de plus enplus subtils, de la rsonance phonique du mantra (processus o ladepteintriorise des plans du cosmos) jusqu unman, le transmental que ce

    texte ne situe pas, mais qui se trouve sans doute au-del de la tte. LeNetra Tantra 22. 25 sq., dans la mme perspective de correspondancesdivines et cosmiques, dcrit de faon analogue les cinq kalen lesquelles,dans son cas, se divise OM ce sont A U M, bindu et nda - commepntrant (vypti) le corps (cest--dire comme y tant gnralementprsentes, infuses en lui depuis lespiedsjusquau cur (A), puis ducur la gorge (U), de la gorge au palais (M), du palais au milieu dufront (bindu), enfin, pour nda, du front au dvdanta, le centre subtil

    26 Qui en traite, en fait, dans la perspective cosmique et sotriologique des

    cheminements, les adhvan.

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    situ douze travers de doigt au-dessus de la tte27. Par cette procdure, lemantra investit de sa puissance le corps du sdhaka, qui va ds lorspouvoir le ma[triser.

    Un des exemples les plus labors dnonc ascensionnel uccra dun mantra est, je crois, le japade larvidy, le mantra de ladesse Tripurasundar, japa dont lexcution est prescrite la fin de lapj de cette desse et que lon trouve dcrit, par exemple, dans le 3 echapitre (169-174) du Yoginhdaya, texte ivate datant probablement du10e ou 11e sicle. Les quatre lokadcrivant cet nonc mantrique sontpeu clairs, mais le sens en est explicit dans le commentaire quen fitAmtnanda, vers le 13eou 14esicle28

    Sadressant la Desse, le Yoginhdaya 3.169 dit que ce japaconsiste en la conjonction ralise dans les trois parties du mantra etdans la triple kualin de la rsonance phonique des cakrasuccessivement tags 29. Cette formule elliptique souligne le lien dumantra et de la kualindans leur mouvement ascensionnel. En pratique,

    il sagit de ce qui suit :Le mantra que lofficiant du culte doit faire monter du cakra

    infrieur, le mldhra, jusquau cakrale plus lev, le dvdanta,est larvidy, forme des trois groupes suivants de phonmes : HA SA KA LAHR HA SA KA HA LA HR SA KA LA HR. Lnonc de ceHR, la hlekh, la flamme couronnant chacune des parties dumantra, est cens se prolonger, comme celui de OM, au-del des troisphonmesH R , par huit kal de plus en plus subtiles, allant de bindu() unman, ce mouvement se poursuivant du point de dpart jusquaupoint le plus haut - et cest en ce sens que la vibration phonique, le nda,fait se conjoindre dans le mme mouvement montant, la mme poussenergtique, les trois parties du mantra ainsi que les trois segments en

    27 Le Netra Tantra complte ensuite la srie des douze kal, de ndnta unman,quicorrespondentdiversplansdeladivinit.

    Ontrouveraunedescriptionplusprcise, et utilement commente,decepassagedans ltude dHlne BRUNNER, Un tantra du nord : le Netra Tantra,BEFEO61 (1974), p. 125-197.28Voir ma traduction de cet ouvrage :LecurdelaYogin- Yoginhdaya aveclecommentaireDpik dAmtnanda. Paris, Collge de France, 1994. Comme jelindique dans lintroduction de cette traduction, seule ldition du Yoginhdayapar V.V. DVIVEDI (Varanasi, Motilal Banarsidas, 1988) est digne de confiance.Celle de Gopinath Kaviraj toujours rdite est fautive.29katraye mahdevi kualintraye pi ca |

    cakra prvaprve ndarpea yojanam ||

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    quoi la kualin est cense se diviser30. Cela tant, lofficiant doitimaginer que, dans le mldhra, se trouvent les lettres du premiergroupe HA SA KA LA surmontes par HR(H R + bindu) au-dessusduquel slvent en suivant la voie de la suumn- donc avec la monte

    de la kualin, souffle vital et mantra (pra et nda) tantindissociables dans leur mouvement les six kal dardhacandra saman, qui atteignent et dpassent les cakrasvdhihna etmaipra,leur mouvement se poursuivant jusquau cakradu cur (hdou anhata).L, va alors tre mentalement plac le deuxime groupe de phonmes,HASA KA HA LA, suivi de HR dont le bindu va, avec les kal qui lesuivent, monter selon la mme voie travers les cakraviuddha et tlu(gorge et palais) jusquau cakraintersourcillier (bhrmadhya). L, ce sontles phonmes SA KA LAsuivis deHRqui seront mentalement placs,surmonts des kal suivantes,ardhacandra,etc., qui vont toutefois cettefois-ci jusqu la dernire, la transmentale, unman (ou unman), enentra[nant dailleurs avec elles, dans leur monte, selon le commentairedAmtnanda, les kal des deux ka prcdents. Cest donc avec la

    totalit de la partie subtile du triple mantra que lnonc atteint le plan delabsolu o se dissout toute vibration phonique. Il dpasse en mme tempsle corps physique de ladepte puisque unman/est atteinte au niveau dudernier cakra, le dvdanta, situ au-dessus de la tte. Larvidy a ainsiparcouru tout le corps imaginal de ladepte, du cakrale plus bas au plushaut, en limprgnant de la puissance divine du mantra qui est laspectphonique nergtique de la Desse - pour finalement lamener au plan delAbsolu. Le tableau ci-joint (pl. 1) montre graphiquement la structure dece japa. Une telle pratique mantrique suppose une intense concentrationmentale imaginative31, qui, si elle est effectivement ralise et vcue, ne

    30 Pour ce texte comme pour divers ouvrages ivates, la kualin est triple :

    igne, solaire et lunaire, la premire slevant partir du cakra de base, ladeuxime partir du cakradu cur, et la troisime partir du bhrmadhya - tripledivision que rejoint celle de la rvidyet qui fait que les neuf cakra sont aussiconsidrs comme rpartis en trois groupes, ces trois groupes tant, par le japa,conjoints par la monte de la vibration phonique, le nda, prolongeant luccrades troisHR.

    On notera cette occasion que pour le Yoginhdaya il y a neuf cakracorporels, nombre correspondant aux neuf divisions durcakraet on remarquera ce propos que le nombre des cakra nest pas du tout toujours de six : il varieselon les traditions et, dans une mme tradition, selon les besoins. Nous verronsplus loin, avec le Netra Tantra, le corps imaginal compter un nombre encore plusgrand de centres.31 Cette sorte de mditation cratrice dimage et identifiante est ce que lonnomme bhvan. Comme lindique son nom, cette mditation fait advenir ce

    quelle voque. Son rle est essentiel dans la pratique tantrique. Voir sur ce sujet

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    peut quinfluencer la conscience que lofficiant a de lui-mme, et celadautant plus que lopration doit se rpter au moins une fois par jourlors du culte obligatoire (nitya) de la desse Tripurasundar. Il va de soique, dans la ralit quotidienne du culte, une telle intensit identificatrice

    doit tre rare, mais elle reste cependant de principe, puisque tout cultehindou marqu de tantrisme vise en principe amener une identificationde lofficiant et de la divinit32.

    Un autre exemple intressant de la faon dont un mantra peuttre prsent dans le corps et circuler dans les centres et conduits du corpsimaginal est celui de la mditation subtile (skmadhyna) du Mantra de lil (le Netramantra) de iva, dieu et mantra galementnomms Mtyujit ( Vainqueur de la mort ), dcrite dans le chapitre 7 duNetra Tantra, qui en expose deux formes.

    Le tantra (loka 1-4) pose dabord lexistence dans le corpsimaginal dun nombre peu courant de centres subtils. Il compte en effetsix cakra (auquel sajoute le dvdanta), seize supports (dhra),

    trois objets (lakya), cinq vides (nya), douze nuds (granthi), puistrois astres (dhman), ces centres tant relis entre eux pardinnombrables canaux, les n. Cela tant, pour la premire mthode(l. 5-15), ladepte doit imaginer lnergie de iva comme prsente dansle souffle montant central et il place en pense sur cette force ascendantele mantra, qui se met vibrer. Cette vibration phonique subtile va percer,en suivant la voie de lasuumn, les cakra, les seize dhra etlesdouzegranthi, jusqu atteindre le dvdanta oelle sidentifie iva. De l,elle redescend par la mme voie jusquau centre du cur que ladepteimagine se remplissant alors dlixir de vie, de nectar (amta), lequel vase rpandre dans tout le corps par les innombrables n, ce qui assure auyogin limmortalit : le corps physique du yogin se trouve donctransform, divinis, par cette opration fantasmatique opre sur le corps

    imaginal. Le Netra Tantra dcrit alors (loka 16-52) une deuxime

    ltude de F. CHENET, Bhvan et crativit de la conscience , Numen 34(1987), fasc. 1, p. 45-96.32Voir, pour le culte ivate tel que le dcrivent les gamas (et tel quil ne laissepas de se drouler encore dans une certaine mesure en Inde du Sud), R. H. DAVIS,Ritual in an Oscillating Universe. Worshipping iva in Medieval India,Princeton,Princeton University Press, 1991. Quant lexprience vcue mystique delidentification avec la divinit, peut-tre allait-elle de soi, pour les adeptes yoginsinitis, aux 10e-14e sicles nous nen savons rien. On sait quen pratique lesofficiants se bornent le plus souvent noncer les mantras mantraprayoga sanspara[tre soucieux dautre chose que de conformit formelle aux prescriptionsdes manuels de culte : on est trs loin, l, du monde des anciens textes tantriques

    mais, encore une fois, que savons-nous vraiment de ce monde-l ?

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    pratique o la mditation part du mldhra, nomm ici janmasthna,lieu de la naissance, do la conscience, avec le mantra, va daborddescendre jusquaux doigts de pied33 pour remonter ensuite et atteindresuccessivement les divers centres que nous avons vus et qui, tant dun

    certain point de vue des obstacles34 sur la voie, devront tre franchis,transpercs. Pour cela doit tre utilis le Glaive de la Gnose (jnala) qui est, dit le commentaire, la fulguration de lesprittransforme en nergie mantrique , donc la puissance du mantra uni laconscience du pratiquant. Cela se ralise par une technique yogiqueparticulire qui a pour effet de faire monter la kualin. Sa consciencetant arrive avec celle-ci et le mantra au point le plus haut, ledvdanta, ladepte acquiert le pouvoir de se mouvoir dans lther dela conscience : il est khecara. Empli dnergie divine, il se fond en ladivinit suprme, iva. Bien tantrique en cela, le Netratantraajoute quece point une fois atteint, lnergie divine engendre de lamtaqui, commedans le premier cas, va se rpandre dans tout le corps et le rendreimmortel. Le yogin est alors vainqueur de la mort, Mtyujit. L encore le

    travail sur le corps imaginal agit sur le corps physique. Cela est normal,dira-t-on, puisque lhomme est insparablement corps et esprit et quil sexiste en simaginant. Mais cela rpond aussi la vision tantrique dela libration, qui, plus que celle dun abandon du monde est celle de ladomination magique de soi et de lunivers. Que ce but puisse satteindrenotamment par la prsence et la circulation de mantras dans le corps estgalement trs tantrique et sans doute est-ce aussi, bien des gards,trs indien.

    33Le gros orteil du pied droit est le point do surgit Kalgni, le Feu destructeurdu temps, qui rduit le corps en cendre. Ds le dpart de lopration, donc, estenvisage la dissolution du corps du yogin.34 Points o se rassemble lnergie, le pra, nuds sur le chemin de lasuumn, les cakraou granthisont en quelque manire des obstacles, car ce sontdes seuils franchir. Cest pourquoi on doit, pour progresser, les couper ou lespercer :granthiccheda. Voir ces deux termes dans le Tntrikbhidhnakoavol. 2

    (Vienne 2004).

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    Tableaux

    I.japade larvidyselon le Yoginhdaya3.169-174

    centre/ cakra klade larvidy kualin

    dvdanta unman

    saman

    vypin

    akti

    nadnta

    nda

    ardhacandra

    brahmarandhra bindu ()

    bhrmadhya SA KA LAHR somakualinsaman

    vypin

    akti

    tlu ndnta

    kaha nda

    viuddha ardhacandra

    bindu ()

    anhata HA SA KA HA LAHR sryakualin

    saman

    maipra vypinakti

    ndnta

    svdhihna nda

    ardhacandra

    bindu ()

    mldhra HA SA KA LAHR agnikualin

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    II. Construction du trne de Viu pour le culte mental (mnasayga)35

    cakra Divinits et plans cosmiques tattva

    cur Garua et Varha vara

    bhvsana purua

    srya soma/ indu agni kla

    lotus blanc prakti

    seize Supports buddhi

    lotus ahakra

    nabhi(nombril) Ocan de lait manas

    kanda la Terre 5 organes des sens

    Ananta 5 organes daction

    klgni/ krma 5 lments subtils

    mldhra(pnis) dhraakti 5 lments grossiers

    35

    Selon ltude cit, note 7, de Marion RASTELLI.