103

andrechatelot.n.a.f.unblog.frandrechatelot.n.a.f.unblog.fr/.../peugeot-un-empire-1.docx · Web viewJules est un dirigeant actif et inventif ; il perfectionne un bélier hydraulique,

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Peugeot c’est l’histoire d’un petit fabricant de crinolines et de buscs de corsets du Pays de Montbéliard, dans Doubs, devenu le sixième constructeur mondial d’automobiles en 1986 avec des bénéfices records de 3,6 milliards de francs et une production de 1,7 millions de véhicules.

L’Histoire de Peugeot ce n’est pas seulement la construction d’une série de modèles automobiles allant du type 2 en 1891 au tout récent RCZ. C’est aussi la fabrication d’outillage, d’ustensiles ménagers, de lames de scies, de ressorts et bien d’autres produits comme les baleines de parapluies, les bicyclettes, les motocyclettes, les scooters.

L’Histoire de la famille Peugeot, ce n’est pas seulement l’histoire d’Armand Peugeot, le fondateur de la Société des Automobiles Peugeot devenue PSA (Peugeot Société Anonyme) regroupant Peugeot-Citroën. C’est aussi l’Histoire de ces habitants du Pays de Montbéliard, ces ouvriers, collaborateurs, cadres, ingénieurs, concessionnaires et coureurs automobiles. Tous ces hommes et ces femmes qui en deux siècles ont construit l’Empire Peugeot Deux siècles d’histoire durant lesquels on travaille chez Peugeot de père en fils et où les liens entre la famille et le personnel étaient humains. C’était une grande fierté de travailler à « La peuge » comme on chantait dans les années 1920 à l’école pratique Peugeot : « C’est toujours la Peugeot qui domine. C’est toujours la Peugeot, la Peugeot….Et pour nous la meilleur des combines, c’est d’avoir une Peugeot ».

Cette histoire est née il y a trois siècles, en 1725, quand Jean-Jacques Peugeot, marie Catherine Mettetal, fille d’un riche meunier d’Hérimoncourt.

La patience, l’humilité et surtout la sagesse, sont les qualités qui ont permis à la famille Peugeot de sortir à maintes reprises de situations difficiles, comme en 1848, lorsque Jules et Emile, les deux fils de Jean-Pierre Peugeot I, empruntent 80 000 Francs suisses pour sauver l’entreprise avec l’aide de l’ensemble du personnel alors qu’à cette époque de crise, les ouvriers étaient hostiles au patronat.

Première partie

Chapitre 1 Un nom : Peugeot

Chapitre 2 La naissance de l’empire

Chapitre 3 Terre-Blanche

Chapitre 4 Pont-de-Roide

Chapitre 5 Valentigney

Chapitre 6 Les deux grandes familles

Chapitre 7 Le pince nez

Chapitre 8 L’âge du vélo

Chapitre 9 Le premier centenaire

Chapitre 10 Armand Peugeot, le pionnier de l’automobile

Chapitre 11 L’ère de l’automobile

Chapitre 12 L’histoire racontée par Léon Turcat

Chapitre 13 Les grèves de 1889

Chapitre 14 La scission

Chapitre 15 La réconciliation

Chapitre 16 Naissance de Sochaux

Chapitre 17 La guerre de 1914-1918

Chapitre 18 L’après-guerre 1914-1918

1 - Un nom : Peugeot

L’Histoire de la famille Peugeot débute à une époque où l’actuel « Pays de Montbéliard » s’appelle encore : « Comté de Montbéliard ». En 1407, le mariage de la comtesse Henriette d’Orbe-Montfaucon avec Eberhard IV, comte de Wurtemberg, fait passer le Comté de Montbéliard de la Maison de Montfaucon à la Maison de Wurtemberg. Ce qui renforce le lien du Comté de Montbéliard avec le Saint-Empire romain germanique

C’est seulement à partir de 1495, qu’il prit le nom de principauté de Montbéliard, les comtes de Montbéliard prenant le titre de ducs. Par succession, les comtes de Montbéliard furent des princes allemands, qui régnèrent sur une principauté souveraine jusqu'à son rattachement à la France révolutionnaire en 1793.

En 1435, c’est à Vandoncourt, dans ce petit village du Doubs, adossé à la Suisse, à une bonne douzaine de kilomètres de Montbéliard, dépendant de la seigneurie de Blamont, appartenant au Comté de Montbéliard, que l’on trouve dans les registres d’états civils, un acte de mariage concernant un certain Hans Pecquegnot (ou Pecquignot) Peugeot. Il faut préciser qu’à cette époque les états civils sont des états religieux. Certains ont été conservés à l’abbaye de Belchamp avant de rejoindre le musée au château de Montbéliard.

En 1532, apparaît un acte mentionnant le nom de Jean Pecquignot Peugeot (fils de Perrin Pecquegnot Peugeot et petit-fils de Hans Pecquegnot Peugeot) qui maire du village de Vandoncourt demande au Conseil de Soleure de reconnaître ses fonctions.

De 1523 à 1534, le duc de Wurtemberg (Georges Ier), qui a besoin d’argent, cautionne au canton helvétique de Soleure, les terres de la seigneurie de Blamont, qui dépendent alors du Conseil de Soleure.

La seigneurie de Blamont comprenait à cette époque les villages d’Abévillers, d'Autechaux, Blamont, Bondeval, Chamabon (disparu), Damvans, Dannemarie, Écurcey, Glay, Grandfontaine, Hérimoncourt, Meslières, Mossavillers (disparu), Pierrefontaine-lès-Blamont, Roches-lès-Blamont, Rocourt, Réclère, Seloncourt, Thulay, Vandoncourt, Vaufrey, Villars-lès-Blamont.

En 1620, on trouve Huguenin Peugeot (hallebardier), fils de Jean Pecquignot Peugeot, puis François Peugeot (lieutenant de mousquetaires dans la compagnie du capitaine Benoît Gressad) fils de Huguenin Peugeot.

De François Peugeot on connaît trois fils :

1. François II, décédé en 1649 sans descendance.

1. Regnault, décédé en 1679, dont certains descendants sont encore présents actuellement dans le Pays de Montbéliard et aux Etats-Unis.

1. Claude, né en 1628, aubergiste à Vandoncourt et maire du village. Il épouse en 1655 Jehanne Gellier (ou Gellon) qui lui donne sept enfants. Deux d’entre eux, Jehan et Benoît, sont admis à la bourgeoisie de Montbéliard le 23 juin 1694. Ce sont des notables qui demeurent à Vandoncourt.

A cette époque, les Peugeot sont des laboureurs qui fabriquent aussi la poix. Il fallait inciser les pins ou les mélèzes pour recueillir la résine qui mélangée à de l’huile de térébenthine donnait une gomme très prisée pour souder les chaudrons et colmater les bateaux.

En 1671, Jehan Peugeot, épouse Suzanne Caresmentrand. De cette union est né en 1699, Jean-Jacques, qui va quitter le village de ses ancêtres, Vandoncourt, pour marier en 1725, Catherine Mettétal, 18ans, fille orpheline d’un riche meunier Hérimoncourtois. A cette époque, le meunier était un notable. Depuis 1679, promu à la fonction de concessionnaire perpétuel en échange du versement d’une rente annuelle. Pour son moulin d’Hérimoncourt, François Mettétal payait au duc de Montbéliard une rente de 5 bichots, soit 23 quintaux de blé. A l’époque, sous peine d’amende, le paysan devait moudre son grain chez le meunier Mettétal et lui céder 1/16e de la farine. Les archives du département du Doubs de 1961 précisent que François Mettétal a fait condamner par la justice seigneuriale, Adam Banvard de Vandoncourt, Pierre Comtesse et Jacques Perly de Montbouton pour l’utilisation des moulins à bras. Il était pratiquement impossible d’échapper à ce règlement car les dénonciations étaient nombreuses et le délateur recevait une partie de l’amende en nature. Ainsi, le meunier est mal aimé dans la principauté de Montbéliard car il s’enrichit très vite et il est soupçonné de jeter un sort lorsqu’il laisse tourner son moulin la nuit. Il faut préciser qu’à cette époque les paysans, qui représentent plus de la moitié de la population de la principauté ne mangent que du pain de blé mêlé de seigle (1/2 livre par jour et par personne). Le chef de famille distribue à chacun sa part et ce chacun trempe son pain par tranches successives dans la soupe de légumes qui avait mijoté dans une grosse marmite pendue à la crémaillère dans l’âtre de la ferme familiale. Pour agrémenter l’ordinaire, quelques œufs ou une purée de châtaignes, avec un morceau de lard les jours de fête. Le pain représentait les ¾ du revenu, ce qui amoindrissait le solde restant pour l’achat du linge, de vêtements et de l’huile pour s’éclairer.

Jean-Jacques Peugeot quittera alors la ferme paternelle pour reprendre le moulin de son beau-père, François Mettétal décédé. En 1741, à la mort de Jean Jacques, Catherine se retrouve seule avec ses huit enfants. Avec beaucoup de détermination, elle parviendra non seulement à sauvegarder le domaine familial, mais à le faire prospérer. C’est dans ce moulin situé sur le Gland (un affluent du Doubs) que s’est fixé le destin de l’empire Peugeot. De cette union naissent sept garçons dont :

1. Jean-Guillaume

1. Jean Georges

1. Jean Pierre.

Jean-Guillaume Peugeot, qui devient maire d’Hérimoncourt meurt à soixante-quatorze ans en 1793 sans postérité.

En 1741, à la mort de son père, Jean-Georges Peugeot, hérite du moulin familial. Mais le nouveau meunier à des ennuis avec le commandant de la place de Blamont qui a obtenu de Charles II de Wurtemberg, duc de Montbéliard, l’autorisation de pêcher la truite en amont d’Hérimoncourt et qui proteste contre les travaux entrepris par Jean-Georges. Ces travaux contrariant les truites à remonter le Gland. Le duc de Montbéliard donne raison au commandant. Jean-Georges qui devra abandonner ses travaux, a d’autres ennuis. En période de grande sécheresse, par manque d’eau, son moulin ne tourne plus. C’est alors qu’en 1780, Jean-Georges décide de construire un nouveau moulin. Après plusieurs échecs, il trouve en 1790 le lieu idéal, nommé : « Sous-Cratet ».

En 1793, le moulin est terminé, Jean-Georges Peugeot marie sa fille Suzanne-Catherine avec son cousin germain Jean-Frédéric Peugeot, fils de Jean-Pierre, petit-fils de Jean-Jacques. Jean-Frédéric ouvre une tannerie à Hérimoncourt et à la mort de Jean-Georges, en 1800, reprend le métier de Meunier.

Jean-Pierre Peugeot, nommé Pierrot, né en 1734, deviendra le premier industriel de la famille.

Evincé du moulin paternel, il s’engage vers la fabrication du textile. En 1759 il ouvre un atelier à Hérimoncourt où il emploie cinq ouvriers. Il blanchit lui-même ses toiles, ne teint qu’en bleu et alimente son usine avec l’eau du Gland. Mais un arrêté du 18 juillet 1760 défend de fabriquer des toiles de coton, de peindre et d’imprimer des étoffes dans les quatre provinces limitrophes de l’étranger. Hérimoncourt, qui fait partie de la seigneurie de

Blamont, devenue française, se trouve dans la zone interdite, limitrophe de la Suisse. En effet, depuis 1748, Charles II, duc de Wurtemberg a renoncé à sa souveraineté sur quatre des six seigneuries de la Principauté de Montbéliard. Les quatre seigneuries de Blamont, Clémont, Le Châtelot et Héricourt, nommées « Les Quatre Terres », regroupent une cinquantaine de paroisses, dont Hérimoncourt et Vandoncourt. Tout en étant sujet du roi de France, les habitants de ces paroisses continueront à payer au duc de Montbéliard, des droits seigneuriaux et les luthériens (9/10e de la population) continueront à pratiquer librement le culte réformé.

Malgré cette tolérance, l’archevêque de Besançon interdit aux protestants de sonner les cloches de leurs temples et oblige à ne pas travailler les fêtes catholiques. Le meunier d’Hérimoncourt est condamné à deux reprises pour avoir moulu du grain le jour de l’assomption. Un habitant d’Hérimoncourt doit payer une amande pour avoir pêché à la ligne le dimanche du Carême. Un second pour avoir étendu du linge blanc devant son domicile. Un troisième pour avoir lavé du linge le jour de la St André. Un quatrième pour avoir cueilli des noix pendant le sermon. Un cinquième pour ne pas avoir décoré sa maison pour la fête patronale de la paroisse.

Jean-Pierre Peugeot, qui s’est marié en 1763 avec Marie Jusserand, proteste à Besançon auprès de l’intendant de Franche-Comté, qui transmet au ministre à Paris. Jean-Pierre reçoit l’autorisation d’imprimer des étoffes, mais elles devront sortir de la principauté de Montbéliard par la douane située à Voujaucourt. Entre temps, il exploite, toujours à Hérimoncourt une huilerie. Se regroupant avec Frédéric Japy, Pierre-Louis Sahler, Christophe-Frédéric Poigeol, ils achètent cinq mille hectares (forêt «  des Hollard » et forêt de « la Monnière ») au duc de Wurtemberg Charles II et au comte de Coligny. Avec un tel patrimoine foncier (1/3 de 5 000 hectares), Jean-Pierre Peugeot peut emprunter sur hypothèque auprès des banquiers de Bâle.

Jean-Pierre a quatre fils :

- Jean-Pierre II, qui dirige la teinturerie

- Jean Frédéric qui a épousé sa cousine Suzanne et repris la meunerie de son oncle

Jean-Georges Peugeot.

- Charles a épousé Catherine Japy, fille de Frédéric Japy.

- Jacques a épousé Suzanne Japy, fille de Frédéric Japy, sœur de Catherine.

En 1789, les habitants d’Hérimoncourt mandatent Jean Guillaume et Jean-Pierre Peugeot pour déposer au bailleur de Beaume-les-Dames un cahier de doléances. Dans ce dernier, ils réclament le droit de posséder une arme à feu et l’autorisation d’abattre le gibier qui dévaste les cultures. Ils dénoncent également la corruption des commissaires chargés du tirage au sort de la milice.

Après la nuit du 4 août 1789, les Peugeot déclarent faire grève de l’impôt et entraînent leurs concitoyens de ne plus payer la dîme au clergé catholique et les droits féodaux au régisseur du duc de Wurtemberg.

Le 4 mars 1790, les seigneuries de Blamont, Clermont et Châtelot sont incorporées au département du Doubs. Jean Pierre Peugeot succède à son frère aîné Jean-Guillaume à la mairie d’Hérimoncourt.

Le 14 juillet 1790, Jean Pierre II, se rend au temple de Roche-les-Blamont, à la fête de la fédération protestante. A la suite du discours religieux et patriotique du pasteur, la population assiste au pied d’un hôtel de gazon au serment civique, suivi de danses champêtres où l’on entend alors les cris de « Vive le roi ! ». 

En octobre 1793, la « Convention nationale» proclame le rattachement de la Principauté de Montbéliard à la France. Sont concernées les communes de Abbévillers, Aibre, Allenjoie, Allondans, Arbouans, Audincourt, Badevel, Bart, Bavans, Bethoncourt, Bretigney, Brognard, Courcelles-les-Montbéliard, Couthenans, Dambenois, Dampierre-les-Bois, Dasle, Désandans, Dung, Étouvans, Étupes, Exincourt, Fesches-le-Châtel, Grand-Charmont, Issans, Laire, Montbéliard, Nommay, Présentevillers, Raynans, Sainte-Marie, Sainte-Suzanne, Saint-Julien-lès-Montbéliard, Semondans, Sochaux, Taillecourt, Valentigney, Le Vernoy, Vieux-Charmont et Voujeaucourt).

Avec Mandeure, issue de la république de Mandeure, ces communes furent d'abord rattachées à la Haute-Saône, constituant le nouveau district de Montbéliard en 1793, comprenant trois cantons (Audincourt, Désandans et Montbéliard). En 1797 elles furent transférées au département du Mont-Terrible, puis en 1800, au département du Haut-Rhin. Avec le nouveau découpage mis en place cette année-là, elles ne formaient plus que deux cantons (Audincourt et Montbéliard) de l'arrondissement de Porrentruy. Enfin en 1816, suite aux pertes territoriales françaises de 1815, redonnant l'arrondissement de Porrentruy à la Suisse, elles furent rattachées au Doubs, intégrées à l'arrondissement de Saint-Hippolyte, et Montbéliard devint sous-préfecture à la place de Saint-Hippolyte. Seule la commune de Couthenans changea encore de département en 1829, pour être rattachée à nouveau à la Haute-Saône.

Le duc Charles II de Wurtemberg renoncant à la proclamation de la Convention nationale, les Peugeot prennent part à la bagarre politique. On leur reproche d’être trop riches pour être de bons républicains. Jean-Pierre II est nommé administrateur du district de Saint-Hippolyte et fait partie de la Société montagnarde de Blamont où en 1799 une affiche est placardée par les royalistes sur laquelle figure « les Peugeot fils » dans les listes des « patriotes à livrer au duc et à fusiller »

Hérimoncourt compte 400 habitants et ce sont les Peugeot qui animent l’industrie avec le moulin de Sous-Cratet de Jean-Georges, la teinturerie de Jean-Pierre II, la tannerie de Jean-Frédéric, l’huilerie de Charles et Jacques.

Recommandé par Cuvier au ministre de l’Intérieur et au directeur du Conservatoire des Arts et Métiers, Jacques est admis au laboratoire du Conservatoire où il va plancher sur la mécanique textile.

Charles Peugeot, s’affaire aux travaux de la Chapotte sur la route de Meslière où les deux frères implantent leur filature. En 1805, le préfet du Doubs, Jean de Bry, vient visiter l’usine. Cinquante mètres sur dix, trois étages. Le Gland fait tourner une roue qui actionne les ateliers. L’Empereur qui a besoin d’habiller ses troupes passe d’énormes commandes qui obligent Charles et Jacques de chercher un cours d’eau plus puissant pour établir une succursale.

En 1814, ils acquièrent un terrain à Audincourt sur le Doubs, édifie une usine moderne dans laquelle le rez-de-chaussée est réservé à la construction de machines mécaniques adaptées à la filature. Ils sont alors mécaniciens et filateurs.

En 1813, Jacques Peugeot est le maire d’Audincourt jusqu’à sa mort en 1819, emporté par le typhus apporté par les troupes russes. La Chapotte et Audincourt fabriquent avec 2 000 broches 15 000 à 20 000 kilos de fil par an.

En 1819, Charles Peugeot est emporté lui aussi par le typhus. Jacques et Charles, laissent à leurs fils un empire industriel qu’ils auront du mal à gérer. La concurrence anglaise devient sévère. En 1830, la crise économique provoque la chute des cours. En 1830, les fils de Charles et Jacques abandonnent la Chapotte et en 1832, ils vendent leur usine d’Audincourt aux Japy. Ils ne gardent qu’un petit atelier de teinturerie.

2 - La naissance de l’empire.

Jean-Pierre II Peugeot aura trois fils : Eugène, Jules et Emile et Jean-Frédéric Peugeot ayant épousé sa cousine Suzanne, avec laquelle il aura quatre fils : Fritz, Charles, Jean-Jacques et Georges, constituent les deux branches principales de la génération.

Jean-Pierre a laissé l’exploitation du moulin de Sous-Cratet à son fils, Jean-Frédéric. Son frère, Jean-Pierre II, vient le rejoindre au moulin. Il va devenir le chef de famille et établir la grande dynastie des Peugeot. Le 26 septembre 1810, ils s’associent avec Jacques Maillard-Salins pour donner naissance à la société « Peugeot Frères Aînés et Maillard-Salins ». Jacques Maillard-Salin est le gendre de Frédéric Japy dont les deux filles ont marié Charles et Jacques Peugeot. Il apporte un brevet concernant une machine à tailler les dents de scie. Jean-Pierre II et Jean-Frédéric fourniront la force motrice et le moulin de Sous-Cratet. Ils transforment en fonderie le moulin familial pour produire de l’acier laminé à froid et du fil d’acier pour les entreprises horlogères locales et plus particulièrement Japy, qui utilise des ressorts importés de Grande-Bretagne. Ils élargissent le canal amenant l’eau du Gland, solidarisent les deux roues du moulin à des arbres moteurs, qui par l’intermédiaire de transmissions entraînent soufflets de forge, martinets et laminoirs. Chacun des trois associés apporte un capital de 10 000 francs qui va servir à installer quatre martinets, deux laminoirs et un polissoir. La fonte et le fer viendront des départements du Doubs et du Haut-Rhin. Les charbons de bois (1 000 hectolitres par an) et la houille (250 quintaux) viendront des houillères de Ronchamp et Champagney situées en Haute-Saône.

En 1812, une médaille d’or de première classe récompense la production d’Hérimoncourt. Mais les riverains du Gland, parmi lesquels figurent les filateurs de la Chapotte Jacques et

Charles Peugeot, qui se sont brouillés avec leurs frères Jean-Pierre II et Jean-Frédéric, se plaignent que la nouvelle usine retient trop d’eau. La grande roue des martinets ne fait que 6 tours à la minute au lieu de 15.

Une plainte au sous-préfet de Montbéliard est transmise au préfet de Besançon. Ce dernier, nomme un délégué, qui après enquête, concilie les intérêts de la famille et réconcilie les frères Peugeot.

En 1814, la France est envahie, les cosaques occupent les rives du Doubs et Jean-Pierre Peugeot meurt. L’économie périclite, l’exploitation est suspendue. Les 30 000 francs du capital de la nouvelle société « Peugeot Frères aînés et Maillard-Salins » sont absorbés par les pertes d’exploitation ; mais le Pays de Montbéliard est rattaché au département du Doubs, donc à la France.

Jugeant que d’autres sont mieux placés qu’eux pour produire de l’acier, ils décident de l’acheter au Creusot, en Lorraine ou dans le Nord de la France et faire eux même les scies et les ressorts dont ont besoin les bûcherons et les horlogers de la région.

En 1816, la situation financière de « Peugeot Frères Aînés » est chancelante. Il a fallu négocier un emprunt de 50 000 francs à 5%, auprès d’un banquier de Bâle, garanti par une hypothèque sur l’usine.

En 1818, il a fallu venir en aide à la tannerie de Jean-Frédéric, dont les dettes seront réglées neuf ans plus tard. Mais l’exploitation de « Sous-Cratet » est juteuse. Les bénéfices de fin d’exercice s’élèvent à 15 670 francs.

En 1819, un brevet est déposé par Fritz Peugeot, le fils aîné de Jean-Frédéric, consistant à laminer à froid, à tremper, à aplatir sous pression, alors que les concurrents procèdent par martelage et durcissement par simple écrouissage.

Les scies Peugeot peuvent être vendues moins chère que les scies anglaises, et la maison fait encore des bénéfices : 12 scies à tenons de 24 pouces reviennent à 5,70 F. C’est alors que la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale décerne aux scies Peugeot une médaille d’or de première classe, pour leurs qualités et leur prix.

Les ressorts sont aussi, la grande spécialité de Sous Cratet ; ressorts de pendules et de tournebroches, acier laminé pour les ressorts de montres. Pour ces articles la société obtient une médaille de bronze à l’Exposition de Paris de 1819 et une médaille d’argent à l’exposition de Palais du Louvre en 1823.

Mais les buscs de corsets deviennent également une production favorite pour la Société. Une douzaine de buscs de 14 pouces revenant à 2,50 f est vendue 3,50 F.

Production de 10 500 douzaines de scies, 100 douzaines de ressorts, 5 400 kg d’acier laminé pour ressorts de montres, 4 800 douzaines de buscs. Peugeot vend dans toute la France, mais aussi en Suisse et en Italie.

En 1820, l’outillage, comprend : trois martinets, une cage de laminoir à chaud avec un four à réverbère, une cage à ébaucher les aciers à froid, quatre cages à laminer à froid avec deux fours à réverbère pour recuire les aciers, deux fours chauffant au charbon pour tremper les scies, un four à tremper les outils et les ressorts chauffant au bois, deux fours à réverbère pour recuire et aplatir les scies après la trempe, trois lapidaires pour polir les scies et les outils, un tour pour tourner les cylindres de laminage et un four chauffant au bois pour couler ces mêmes cylindres. La consommation de combustibles s’élève à 375 cordes de bois et 75 bannes de 12 cuveaux de charbon.

En 1822, à la mort de Jean-Frédéric, sa femme, Suzanne Peugeot, qui était sa cousine, et que le personnel appelait « tante Suzette », mène les affaires avec brio.

En 1824, l’outillage de Sous Cratet, toujours avec trois martinets, passe à sept laminoirs et cinq meules à polir. Trois roues hydrauliques utilisent le Gland pour fournir la force motrice à l’usine. L’effectif passe de 30 à 70 ouvriers, pour une journée de douze heures.

L’acier est acheté dans les Vosges, la Côte d’or et la Loire, chez les frère Jackson, fils d’un ancien métallurgiste de Birmingham, qui s’était installé en France en 1814.

La production atteint rapidement 100 à 150 kg d’acier par jour, soit 45 000 kg dans l’année. Pour les ressorts de montre il faut encore acheter les aciers en Angleterre et en Syrie.

3 -Terre-Blanche.

Sous-Cratet devient trop étroit pour l’extension de la Société. Il faut chercher ailleurs force motrice et main d’œuvre ainsi que d’autres capitaux. Les sept cousins : Eugène, Jules, Emile, fils de Jean Pierre II et Fritz, Charles, Jean-Jacques et Georges fils de Jean-Frédéric renouvellent entre eux la Société « Peugeot Frères aînés ». Ils sont à présent seuls, Jacques Maillard, le gendre de Frédéric Japy est mort en 1830, ses héritiers ont été remboursés, et Louis-Frédéric Calame, un autre gendre de Japy, qui s’était associé aux Peugeot en 1825, reprend sa liberté en 1832 et leurs laisse l’usine de Valentigney. Ils achètent un terrain en aval d’Hérimoncourt à Terre-Blanche et y construisent une nouvelle usine en 1833 qui entre en production en 1839 avec 106 ouvriers et 300 000 frs de chiffres d’affaires en scies et grosse quincaillerie. Suzanne Peugeot meurt en 1836.

Mais comme il est très difficile de s’entendre à sept, les cousins se chamaillent, au point de rompre en 1842. Le patrimoine des Peugeot se dilue.

4 - Pont-de-Roide.

Sous Cratet revient aux quatre fils de Jean-Frédéric Peugeot : Fritz, Charles, Jean-Jacques et Georges qui achètent à la famille Joly, le moulin de Pont-de-Roide, là où le Doubs sort du magnifique défilé des montagnes du Lomont. Avec l’appui des quatre frères Jackson, ils le transforment en usine et y exploitent à partir de 1846 sous la raison sociale : « Peugeot Aînés et Jackson Frères ».

Fritz, Jacques, Georges, la veuve de Charles et les quatre frères Jackson, apportent chacun 200 000 frs à la nouvelle société.

Dix ans après John et James Jackson quittent la Société laissant leurs frères William et Charles minoritaires.

Sous-Cratet et Pont-de-Roide forment un ensemble industriel important. On y trouve deux martinets, douze laminoirs, six feux de forge, six fours, vingt meules à aiguiser, vingt polissoirs. 152 ouvriers y fabriquent chaque année pour 400 000 F de scies à ruban, de ressorts, de buscs de corsets, d’outils de menuisiers et charpentiers, mais aussi des montures de parapluies.

5 - Valentigney.

Les fils de Jean-Pierre II Peugeot : Eugène, Jules et Emile, recueillent Terre Blanche et la Chapotte.

En 1846, encore une fois avec les Japy sous la raison sociale : « Peugeot, Japy et Cie », ils s’installent à Valentigney.

Arrive la crise de 1848, la mévente généralisée provoque des faillites. Alors que le chômage menace, les ouvriers offrent de travailler à crédit jusqu’à ce que la situation redevienne plus prospère. Jules et Emile Peugeot doivent vendre en 1851 la Chapotte aux Japy. Ils contractent un emprunt en Suisse de 800 000 frs, et rachètent à leurs associés leurs parts dans Terre-Blanche et Valentigney, dont ils deviennent les seuls propriétaires. Avec leur neveu, Louis Fallot, un notable de Montbéliard, ils fondent la Société « Peugeot Frères ».

Valentigney possède alors deux martinets, huit laminoirs et dix-sept meules. Avec 250 ouvriers, l’usine transforme 800 quintaux d’acier par an.

En 1852, à la mort de Jean-Pierre II, qui a vu le jour sous Louis XV, à l’aube du Second Empire, Valentigney ne suffit plus à la production. Jules et Emile Peugeot achètent en 1857, le moulin de Bélieu (Beaulieu actuellement), sur le Doubs à trois encablures de Valentigney.

En cinq mois le moulin transformé est équipé d’un laminoir à froid, destiné à la production rapide des crinolines.

Disposant d’une force de 25 CV, il lamine chaque mois sept tonnes d’acier. Une petite voiture traînée par un âne amène à Valentigney les ressorts laminés à Beaulieu.

La société « Peugeot Frères » emploie 567 ouvriers en 1866 qui produisent un chiffre d’affaires de trois millions de francs.

Ce siècle qui a vu naître la grande industrie est très dure envers la classe ouvrière. Le patronat paternaliste fait place au patronat capitaliste sauf chez « Peugeot Frères ».

Dès 1853, Jules et Emile organisent une société de secours mutuels, administrée par un comité où siègent : les patrons, les contremaîtres et les représentants des ouvriers. Contre une retenue de 1,50 franc par mois sur le salaire (1/2 pour les jeunes embauchés), ils assurent à tous les malades des soins gratuits et médicaments, durant un an. La Société « Peugeot Frères » contracte une assurance contre les accidents et verse 40 francs pour les obsèques des sociétaires et leurs femmes.

En 1867, « Peugeot Frères » crée une coopérative de consommation, « La Fraternelle de Valentigney ».

En 1870, Emile Peugeot, fonde avec ses deniers l’hôpital de la Roche où sont dispensés gratuitement les soins aux ouvriers malades ou blessés qui ne peuvent être soignés chez eux. A la fin des années 1800, la Société versera 300 francs par an aux vieillards infirmes ayant travaillé chez « Peugeot Frères ».

En mai 1870, Emile Peugeot appelle à voter « non » au plébiscite en s’opposant ainsi aux catholiques cléricaux partisans du Second Empire.

En juillet 1870, à l’annonce de Hohenzollern au trône d’Espagne, fidèle à la vieille tradition huguenote d’objecteur de conscience, il est un des rares Français à considérer dangereuse cette folie collective. Mais que faire pour éviter la guerre ? Il envoie alors son fils Armand en stage en Angleterre.

En octobre 1870, après la désastreuse bataille d’Alsace, au siège de Belfort, il va chercher des soldats blessés pour les soigner à « L’Asile du Rocher » où sa femme « Minna » est en train de créer un hôpital et où il fait venir le médecin d’Hérimoncourt trois fois par semaine.

Le 23 novembre 1870, à Audincourt, une violente bataille a lieu entre Zouaves et Prussiens. Emile accourt dès la fin de la fusillade pour aider « Minna » à faire les pansements. A la sortie, il remet à chaque partant un exemplaire du Nouveau testament. Le jour de Noël, il fait un sapin et tout le monde chante « Hosannah ».

En janvier 1871, Bourbaki, reçoit l’ordre de couper les arrières des Prussiens et de délivrer Belfort où Denfert-Rochereau est assiégé. Malgré son armée hétéroclite et par un froid de -24°, il oblige les Prussiens à se replier sur la Lizaine à Bethoncourt.

Le 13 janvier 1871, lors d’une fusillade à Seloncourt, Emile, se rend encore sur les lieux pour ramasser des blessés. Les 15 et 16 janvier, après des combats sanglants à Abbévillers et Vandoncourt, Bourbaki ordonne à ses troupes le repli vers la Suisse.

En 1871, le village d’Hérimoncourt est envahi par les Prussiens qui demandent une contribution de 33 000 francs, la Société « Peugeot Frères » règle pour tout son personnel, la part qui lui est imposée.

Deux fois, durant l’occupation allemande, Emile intervient pour que Valentigney ne soit pas brûlé. Dans l’hôpital que vient de faire construire son épouse, il est infirmier volontaire. De ses mains, il ensevelit un soldat mort de la petite vérole.

En 1871, le personnel apprend par des affiches collées à la porte des usines que « Dorénavant, on entrera à six heure du matin et on, sortira à six heures du soir » au lieu de cinq heures du matin et sept heures du soir. La diminution du temps de travail est très appréciée par les ouvriers qui viennent des villages voisins : Mandeure, Roche, Voujaucourt, Mathay ….qui doivent se lever à quatre heures, voir même trois heures s’il y a neigé dans la nuit, car il faut parcourir le trajet en sabots. Emile en avance sur son époque a instauré la journée de 10 heures. Chaque fin d’année, au banquet des retraités, toute la famille « Peugeot Frères » vient serrer les mains et distribuer à chacun trois pièces en or.

En 1875, Armand et Eugène qui succède à Emile créent la « Fanfare de Terre-Blanche »

En 1876, un prélèvement sur les bénéfices de la Société est affecté à un fond de réserve, pour versement de 180 francs, en faveur des ouvriers prenant leur retraite et ayant 50 ans d’âge et 30 ans de service. Cette somme sera portée à 300 francs en 1886, 330 francs en 1890 et 500 francs en 1895 pour les ouvriers ayant 60 ans d’âge et 35 ans de service. La caisse est uniquement alimentée par les cotisations patronales ; elle dépasse le trois millions en ¼ de siècle. La Société crée aussi une Caisse d’Epargne où tout ouvrier peut déposer de l’argent moyennent un intérêt de 4%.

La société construit aussi des habitations de deux à quatre pièces, une cave, un bûcher, un petit jardin, qu’elle met à disposition des ouvriers pour un loyer modique de 10 à 20 francs par mois. En 1890, près de 5 000 personnes sont logées dans les immeubles Peugeot.

Création de coopératives d’alimentation à Valentigney et Terre-Blanche avec répartition des bénéfices entre les actionnaires. Ouverture d’un restaurant populaire à Beaulieu avec des repas servis à 55 centimes. Ecoles primaires avec des instituteurs rétribués par la Société, salles d’asile, centre de lecture, chorale, fanfare, sociétés de gymnastiques.

En 1876, Armand et Eugène suppriment le travail aux enfants.

En 1879, Armand et Eugène créent « L’Harmonie des sapeurs-pompiers de Valentigney »

En 1904, sur l’emplacement de l’ancienne église de Valentigney, sera inauguré le buste d’Emile Peugeot. Sur sa tombe, seront inscrites les paroles d’Isaïe : « De leurs glaives, ils forgent les joyaux, de leurs lances ils feront des serpes ».

Les Peugeot mènent une vie simple. Ils ont horreur de l’étalage sur la place public et leurs distractions favorites sont les longs repas de famille et la chasse. Ils ne fréquentent pas la noblesse et ils épousent des filles protestantes du Pays de Montbéliard.

Les Peugeot sont des conservateurs qui voient dans le clergé un danger pour le régime. Siégeant au Conseil Général du Doubs, face au marquis de Moustier à la tête des monarchistes cléricaux, ils représentent les républicains laïcs.

Armand organise la société gymnique et la société de tir de Valentigney, avec l’apparition du vélo le club cycliste et enfin les courses avec l’automobile.

Le pays de Montbéliard fait peau neuve, on assiste à une véritable métamorphose. La ligne Besançon/Montbéliard est achevée en 1858, la ligne Montbéliard/Delle et la Suisse en 1866 (elle passe par Audincourt), la ligne de Montbéliard à St Hippolyte par Voujaucourt et Pont-de-Roide sera terminée en 1886. Le canal du Rhône au Rhin, s’ouvre aux péniches. La magnifique vallée du Doubs et du Gland se transforme radicalement. La machine à vapeur remplace l’eau. Dans le ciel on aperçoit des cheminées d’usines.

6 - Les deux grandes familles

A la naissance de la troisième République il reste deux grandes familles chez les Peugeot.

1. Il y a les quatre fils de Jean-Frédéric (1770-1822) : Fritz (1795-1860), Charles (1798-1845), Jean-Jacques II (1801-1854), Georges (1805-1866). Associés aux Jackson ils exploitent l’usine de Pont-de-Roide et de Sous-Cratet sous l’appellation « Peugeot Aînés et Jackson Frères ».

1. Les trois fils de Jean-Pierre II (1768-1852) : Eugène (1805-1842), Emile (1815-1874) et Jules (1811-1889). Ils exploitent les usines Valentigney, Beaulieu et Terre-Blanche sous l’appellation « Peugeot Frères ».

Peugeot Aînés et Jackson Frères

Les femmes veulent aplatir leur ventre et remonter leur poitrine. Elles choisissent alors le corset. Il emprisonne les seins dans des godets armés de fanons. Or ces fanons proviennent des mâchoires des baleines. La demande grandissante du corset fait que la pêche à la baleine ne peut plus fournir ces fameux fanons. Les Peugeot bien qu’austère protestant luthériens proposent aux marchands de corsets des arrêtes en acier traité, appelées « Buscs » et qui vont faire la fortune de « Peugeot Aînés ».

Sous-Cratet sort chaque année, 10 000 douzaines de lames de scie et cinq à six tonne de ressort pour l’horlogerie et 5 000 douzaines de buscs de corset.

A Pont-de-Roide sur la rive droite, avec trois turbines de 300 chevaux, ils fabriquent des scies, des rabots, des buscs de corsets, des ressorts et des montures de parapluies. Sur la rive gauche, où est installée une turbine de 150 chevaux, ils fabriquent également des montures de parapluies. 600 ouvriers, 1 800 000 francs de chiffre d’affaires.

En 1889, la société « Peugeot Aînés et Jackson Frères » passe aux mains de la génération suivante. A Charles, fils de Jean-Frédéric succède Frédéric-Emile, fils de Georges, aidé par ses deux garçons, Georges II et James. Nouvelle raison sociale : « Peugeot Aînés et Cie ».

Constant, le fils de Jacques prend la direction de la société : « Société Constant Peugeot et Cie » établie à l’usine de Sous-Roche, spécialisée dans la fabrication de pièces détachées pour la filature.

Edmond, fils de Charles Auguste, petit fils de Charles, exploite sur le Doubs, la ferme de Belchamp (qui succède à une vieille abbaye), avec battoir mécanique, capable d’égrener 2 000 kg de gerbes à l’heure avec moulin à l’anglaise mu par l‘eau ou par une machine à vapeur où tout se fait automatiquement, le grain est introduit par la partie supérieure et en bas se trouvent les sacs qui reçoivent les uns les farines, les autres le son.

A Pont-de-Roide, en amont du pont, sur les deux rives du Doubs « Peugeot aînés et Cie » depuis le départ de Charles, la fabrication des scies et des branches de parapluies connaît des heures difficiles. La société occupe 500 ouvriers, mais son outillage a peu évolué depuis 1866. Production mensuelle de 30 à 40 tonnes de quincaillerie, 80 tonnes d’acier pour scies et ressorts, 8000 douzaines de branches de parapluies.

En 1905, quand meurt Frédéric-Emile Peugeot, ses deux fils Georges et James poursuivent l’exploitation, mais c’est leur beau-frère, le général de division Frédéric Herr, qui prend la direction. Frédéric Herr a épousé Anna Peugeot (la fille de Frédéric-Emile), à Pont-de-Roide en 1883. Tous les trois fondent en 1907 la société « Peugeot et Cie ».

Sous la direction du général Herr, la société renaît. An 1907, elle achète à la Cie des Forges d’Audincourt, l’usine de Bourguignon (sur le Doubs, entre Pont de Roide et Beaulieu), où sont transportés les laminoirs à chaud. En 1907/1908, à Pont-de-Roide, elle y reconstruit, le bâtiment des laminoirs anéanti par un incendie et remet à jour l’équipement électrique : trois turbines rive droit en 1912, une turbine rive gauche en 1914.

Peugeot Frères

Eugène meurt en 1842, sans descendance. Reste Emile qui est né en 1815 et Jules, né en 1811, qui a fait des études à Baden-Baden après avoir été viré de Centrale en 1830, pour avoir combattu sur les barricades.

Jules est un dirigeant actif et inventif ; il perfectionne un bélier hydraulique, dépose des brevets : d’une essoreuse, d’une pompe à entraînement par chaîne et un nouveau procédé de taille d’engrenages. Il développe la fabrication d’outils de forge que Peugeot Frères exporte jusqu’en Turquie

Emile dépose auprès du tribunal de commerce de Besançon la marque « Au Lion Peugeot » pour les scies de premier choix en acier fondu, « Le Croissant », « La Main », « La Comète », « L’Etoile » pour les scies de qualité inférieure, en acier trempé ou semi trempé.

Mais une crise économique suite à une succession de mauvaises récoltes entraîne la mévente des outils agraires. Heureusement au Pays de Montbéliard, les travailleurs de chez Peugeot, mi ouvriers, mi paysans trouvent dans leur culture et leur élevage un complément de salaire et acceptent de faire crédit à leur employeur.

Quand Jules meurt en 1844, son fils Eugène II et son cousin Armand continuent d’assurer la gestion de la société « Peugeot Frères ». Mais à mesure des mariages, des retraites et des décès, des associés apparaissent comme par exemple les Fallot ou les Bovet, neveux ou gendres des Peugeot

A Paris, on danse et on festoie. L’épouse de Napoléon III, l’impératrice Joséphine donne des fêtes à Compiègne ou à Fontainebleau. Ces dames de la Cour portent des robes bouffantes : un dôme de soieries, étayé par des cerceaux de jonc ou de baleine. Au départ on superposait les jupons (jusqu'à 6 ou 7), on porte aussi un jupon de crin, d'où le nom de " crinoline"

Puis arrive le jupon à cerceaux, véritable cage réalisée avec des fanons de baleine ou des tiges d'osier. Mais les fanons de baleine coûtent cher et percent la robe.

C'est là qu'en 1857, la famille Peugeot, entrevoit un énorme marché, celui de la crinoline. Elle se met alors à produire d'importantes quantités de fins cerceaux d'acier qui constituaient les armatures de crinolines.

« Peugeot Frères » va bâtir alors de véritables cages, faites en ressorts d’acier de 3mm de largeur et de 2 à 3/10 d’épaisseur qui servent de support à la robe. Chacun de ces châssis pèse de 200 à 400 gr. L’industrie européenne en fabrique 4 200 tonnes par an pour une valeur de 10 millions de francs. Dès 1854, la crinoline à ressort d’acier triomphe et la France en produit 2 400 tonnes. Pour satisfaire des commandes toujours plus importantes, les Frères Peugeot vont se lancer dans la bataille. A Valentigney, la production mensuelle d’acier passe en 1858 de 4 à 8 tonnes. De quoi faire 1 000 crinolines par jour.

Malheureusement, les modes passent et en 1866, la crinoline a vécu. Seule la province commande encore des crinolines jusqu’en 1877.

Emile meurt en en 1874, laissant trois filles et un fils Armand. Ce dernier, avec son oncle Jules, à Valentigney, à Terre Blanche et à Beaulieu transforment l’acier, non plus en ressorts pour crinolines, mais en ressorts, en buscs, en outils de toutes sortes.

En mars 1882, la raison sociale change pour tenir compte des arrivants dans la famille : elle devient « Les Fils de Peugeot Frères ». Quand Eugène II mourut en 1907, la main passa à la génération suivante, c'est-à-dire aux fils d’Eugène II : Pierre, né en 1871 ; Robert, né en 1873 ; Jules II, né en 1882 et Armand leur oncle, fils de Emile, frère de Eugène.

Ils disposent de Beaulieu et Valentigney sur le Doubs et Terre-Blanche sur le Gland.

Beaulieu emploie 400 ouvriers, dispose d’une force motrice de 650 chevaux. Trois ateliers de laminage à froid, comprenant 37 trains de laminoirs et trois fours à recuire les aciers destinés à Valentigney.

Valentigney emploie 700 ouvriers, qui sont payés à la pièce. Dix heures de travail par jour, moyennent un salaire de 4,50 F pour les hommes, 2,50 pour les femmes et 1,25 F pour les enfants. Le gain annuel d’un ouvrier est de 1 300 francs, alors que le pain vaut 35 à 40 centimes le kg et le sucre 1,30 franc le kg. Trois turbines sur le Doubs et une machine à vapeur provenant du Creusot développent une puissance de 470 chevaux. Cinq trains de laminoirs débitent l’acier (600 à 800 tonnes par an), servent à la fabrication des scies (25 à 30 000 grandes et 400 000 petites, 100 000 montées), des rabots, des buscs de corsets et des ressorts.

A Terre Blanche Peugeot qui a lancé en 1850 la fabrication des moulins à café (150 000 par an), et des tondeuses en 1869, d’abord pour tondre les chevaux, puis à l’usage des coiffeurs, se mettra en 1878 à fabriquer par centaines de milliers, des fourches d’acier ; qui vont remplacer les vieilles fourches en bois des paysans. Ces fourches se vendent en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Turquie, en Egypte et en Amérique. Terres-Blanche emploie 900 ouvriers. Trois turbines sur le Gland développent 500 chevaux. L’usine produit l’acier et le bois pour les moulins à café ou à poivre, concasseurs pour la graine, tondeuses, fourches, râteaux et outils divers : bédanes, ciseaux, gouges, compas, clés à écrous, mèches et forets, grattoirs, tournevis, tenailles, pinces, marteaux, vilebrequins, truelles.

Les trois établissements sont reliés par téléphone et télégraphe et aussi par une ligne de tramways à vapeur : la TVH (Société des Tramvays de la vallée d’Hérimoncourt) depuis 1887. Cette ligne disparaîtra qu’en 1930 et elle sera remplacée par les autobus.

La production annuelle de ces trois usines porte sur 530 000 scies, 540 000 ressorts d’horlogerie, 600 tonnes de buscs de corsets et ressorts variés, 600 000 rabots, 620 000 fourches, 50 000 tondeuses, 450 000 moulins à café.

En 1889, alors que les Français fêtent le centenaire de la révolution, « Les Fils de Peugeot Frère » expose à Paris une scie sans fin de 30 mètres et une bande d’acier de 210 mètres.

La société, « Les Fils de Peugeot Frères », ne cesse plus de progresser. En 1900, Valentigney emploie 1 040 ouvriers, Beaulieu 785, Terre Blanche 1 060 ; la force motrice des trois usines passe respectivement à 2 100, 100 et 870 chevaux. La production s’élève à 1 000 000 de scies, 1 300 000 rabots 800 000 fourches, 1 000 000 de ciseaux forgés.

7 - Le pince nez.

« Les Fils de Peugeot Frères », ne voulant pas mettre tous leurs œufs dans le même panier et avoir plusieurs cordes à leur arc, persévèrent dans ses fabrications traditionnelles (outils et ressorts). La gamme s’élargit : d’abord les buscs sont plus demandés que jamais. En 1901, il en sort 100 tonnes par mois de Valentigney. Mais la mode « fin de siècle » se fait sentir et en 1910, la production tombe à 25 tonnes par mois.

D’autres ressorts font fureur : ceux qui permettent aux binocles de se maintenir sur le nez par simple pression. Alors « Les Fils de Peugeot Frères » se lancent dans la fabrication des pinces nez. 20/22 mm d’épaisseur, 3mm de largeur. Ils en fabriquent cinq tonnes par mois en 1898, six tonnes en 1900, 25 à 30 tonnes par mois en 1905, en 6/10 d’épaisseur et 18 à 25 mm de largeur. Ce débouché subsistera vingt ans.

8 - L’âge du vélo.

C’est le mythique comte Mede de Sivrac qui aurait inventé en 1790 le célérifère. Un engin, qu’il enfourchait dans les jardins du Luxembourg.

En 1817, le baron allemand Karl Drais von Sauerbronn invente la Laufmachine, dont un brevet est déposé le 4 février 1818 par Louis Dineur à Paris, au nom du baron Drais. Appelée « Draisienne », elle possède deux roues, reliées à un cadre en bois par des fourches. Elle est munie d’un guidon qui permet d’orienter la roue avant et d’une selle à ressorts qui rend la machine plus confortable. Il fallait prendre l’élan par des poussées alternées des pieds sur le sol.

En 1861, le carrossier Pierre Michaux, de Bar-le-Duc, remplace le repose pied de la roue avant par une manivelle que l’on va appeler « pédale ». Avec cette dernière naît le vélocipède. Michaux en fabrique deux exemplaires qui ont un succès fou. En 1865, il en vendra 400.

Le 21 avril 1868, il dépose un brevet N° 80637 qu’il appelle « pédivelle ».

Comme la vitesse est proportionnelle au diamètre de la roue motrice, les constructeurs augmentent le diamètre de celle-ci. Le vélocipède devient le « grand bi », avec une immense roue à l’avant et une petite à l’arrière. Mais sa pratique dangereuse, qui s’apparente à de l’acrobatie, défiant les lois de l’équilibre. Première compétition sur piste en 1868 à Saint Cloud et sur route en 1869 entre Paris et Rouen (300 inscrits, 80 partants).

C’est alors qu’on l’améliore : on dote la roue de roulement à billes, puis d’une chaîne qui relie le pédalier à la roue arrière. On tente d’égaliser le diamètre des deux roues. Vers 1885, le bicycle devient bicyclette. Le fisc qui l’impose en 1883 en recense 256 000 en 1895, 981 000 en 1900, 2 697 000 en 1910, 3 552 000 en 1914. On allège son poids : 20 kg en 1892, 12 kg en 1910. Son prix diminue aussi : de 360 à 500 francs en 1892, 125 à 350 francs en 1910. Les Peugeot ne vont pas laisser passer leur chance.

En 1871, Armand qui revient d’un stage en Angleterre où il a étudié les méthodes de production des métallurgistes de Leeds et où il a vu l’engouement pour le bicycle, s’était initié au vélocipède. Passionné par cette nouveauté, il passera 16 années à convaincre son cousin Emile que cet engin est l’avenir du siècle. En 1885, le deux roue est porté au programme de fabrication de la Société « Les Fils de Peugeot Frères ». En 1886, lorsqu’ils commencent à fabriquer à Beaulieu, qui deviendra le principal site de production jusqu’en 1972, quelques bicycles, la roue avant mesure encore 1,20 mètre de diamètre. Le grand bi devient bicyclette car les Peugeot qui savent faire : fourches, chaînes, rayons, confie à un ingénieur des arts et métiers nommé Rigoulot, le lancement de la fabrication de pièces et d’en assurer le montage. « Les Fils de Peugeot Frères » déposent la marque « Les Cycles Lion » en mémoire du Lion de Belfort.

Beaulieu, transformé en 1887, commence en 1888 à produire des bicycles, bicyclettes, tricycles et même quadricycles. Mais Armand comprend vite la supériorité de la bicyclette sur sa rivale trop haute qu’il faut chevaucher à 1,30 m du sol voir d’avantage. La bicyclette avec chaîne et pédalier, plus lente est autrement plus pratique. Au bandage plein de Clément Adler succède, en 1988, un bandage tubulaire gonflé d’air mis au point par John Boys Dunlop, remplacé en 1889 par le pneu Michelin démontable et réparable en cas de crevaison. Cette même année, les cycles Peugeot sont présentés à l’Exposition universelle. Face à l'engouement populaire, la marque au Lion ouvre alors un magasin avenue de la Grande-Armée à Paris. Pas de doute pour Armand, c’est la bicyclette qu’il faut construire.

Avec Rigoulot, les Peugeot Frères créent la « Société Vélocipédique de Valentigney », qui organise des sorties dominicales. Un ouvrier de Beaulieu raconte : « Le dimanche 10 juin 1888, les cycliste de Valentigney rencontrent à Roche-les-Blamont, ceux de Terre-Blanche. Armand et Eugène prennent la tête d’un peloton de quarante bons hommes qui se dirige vers

Blamont, Pierrefontaine, Villard où une pose de quelques minutes est respectée. Puis passage de la frontière franco-suisse, direction Damvant et Réclère. A Chenevez, rafraîchissement à l’auberge du village et nous filons vers Fays. De retours en France nous arrivons à la ferme de Monsieur Eugène où est servi un copieux repas ».

En 1890, Peugeot sort "La Lion", qui séduit rapidement une clientèle féminine grâce à son élégance et sa robustesse : cette bicyclette ne pèse en effet que 22 kg, se décline en modèle à cadre droit ou à col-de-cygne et possède un garde chaîne ainsi qu'un garde-robe. Quelques années plus tard, Peugeot s'adressera à une clientèle férue de compétitions cyclistes en proposant une bicyclette à deux vitesses, par retournement de la roue arrière.

En 1892, Beaulieu en sort 8 000 ; en 1900, 20 000 à 450 francs. Les 650 ouvriers attachés à cette fabrication, travaillent dix heures par jour pour un salaire moyen de 5 francs de l’heure (3 francs pour les femmes). A Valentigney, en 1894, Peugeot fabrique les chaînes, les tubes et les jantes. La bicyclette se transforme. Elles s’affine, les deux roues deviennent de même diamètre, on invente la roue libre et le freinage par câble flexible. Peugeot construit le cadre en utilisant des tubes étirés à froid.

En 1895, « Les Fils de Peugeot Frères », dépose un brevet concernant la fabrication des cadres. Les tubes d’acier étiré sont remplacés par des tubes en aciers laminé, enroulé et brasé. Pour l’usine de Beaulieu la bicyclette marque une nouvelle étape et les casquettes remplacent les chapeaux melon.

9 – Premier centenaire

Cent ans ont passé, depuis la transformation du moulin de Sous-Cratet en 1810 en fonderie d’acier. Pierre Peugeot, le fils d’Eugène, l’arrière- petit-fils de Jean-Pierre de Sous-Cratet rachète en 1912, le vieux moulin sur le Gland où il figurera très longtemps comme une relique dans le patrimoine familial.

En 100 ans, le pays de Montbéliard a changé de visage. L’industrie l’a transformé. Le long des routes et des rivières, les hameaux ont grandi, des citées sont nées. Là où vivotaient quelques habitants, tout un petit peuple travaille. Sur le Doubs, Pont-de-Roide est passé de 400 âmes à 3 000, Valentigney à 5 000, Audincourt à 9 000. Sur le Gland, Hérimoncourt atteint 3 700 habitants, Seloncourt 4 200.

René Sédillot, dans son ouvrage « De la crinoline à la 404 » a écrit : « Avec le vélo, Peugeot promène ses contemporains. Avec le busc, il habille les contemporaines. Avec le pince nez, il les aide à voir. Avec le ressort de phono, il les aide à entendre. A toute heure du jour il est présent dans la vie de tous. Madame se lève, met son corset (baleines Peugeot), remonte son gramophone (ressort Peugeot), ouvre son parapluie (monture Peugeot), moud son café (moulin Peugeot). Monsieur remonte sa montre (ressort Peugeot), ajuste ses lorgnons (ressort Peugeot), bricole dans la maison (scie et marteau Peugeot), jardine (fourche Peugeot), va chercher le pain (vélo Peugeot) ».

Les Peugeot ne participent pas seulement à la vie économique des vallées du Doubs et du Gland ; ils collaborent aussi à la vie administrative. Eugène est maire d’Hérimoncourt de 1890 à sa mort, et Conseiller général du Doubs dès 1889 ; Pierre sera lui aussi maire d’Hérimoncourt et présidera le Conseil général du Doubs ; Jules est maire de Valentigney et Conseiller général ; Armand sera aussi maire de Valentigney en 1886 et Conseiller général du canton d’Audincourt en 1892.

Se méfiant des tentations de la politique qui les distrairaient du devoir professionnel, un article des statuts de la société « Les Fils de Peugeot Frères » stipule que les gérants de la société ne pourront accepter aucun mandat politique, autre qu’un mandat local. Alors, dans la famille Peugeot il est défendu d’être député.

10 - Armand Peugeot, le pionnier de l’automobile.

Dans la famille Peugeot, Armand fait figure de non-conformiste. Tout comme son père Emile qui a plus d'une fois choqué les bourgeois de Montbéliard par ses idées pacifistes et philanthropiques, Armand, petit-fils de Jean-Pierre II, qui a vu le jour à Valentigney en 1849 a l’esprit d’éveil, la passion de la nouveauté, le goût de l’aventure. Il est ingénieur de la prestigieuse Ecole centrale des arts et manufacture de Paris. Il est intelligent, imaginatif, riche et il le sait.

A vingt-deux ans, ses études terminées, son père qui n'avait pas voulu qu'il fasse la guerre, a expatrié Armand à Leed en Angleterre, au pays des machines à vapeur et des grands ingénieurs. Il a vu les sujets de la reine Victoria se passionner des étranges vélocipèdes Starley et du grand bi. Après 1885, il a pu lui-même entreprendre la construction à grande échelle de plusieurs modèles de tricycles, de bicycles puis de bicyclettes dans l'usine de Beaulieu. Et même aussi de curieux pousse-pousse que Peugeot exporte dans la lointaine Cochinchine.

Trapu, les traits fins, le regard perçant derrière ses besicles, une grosse moustache pendante, toujours vêtu d'une redingote très stricte sur un long gilet à boutons métalliques barré par une chaîne de montre en argent, le franc-Comtois, maire de Valentigney depuis 1886, donne le l’impression d'être bien installé dans son époque.

Au pays de Montbéliard il passe pour un original avec un vent de folie. C’est un meneur d’homme, un pionnier, un réalisateur. En 1884, il a fondé la Société de la plage de Morgat, avec le concourt de son beau-frère Alfred Fallot et ses deux gendres Charles Breitling et Philippe Kreiss. Tout cela sur les conseils d’un voyageur de commerce franc-comtois, Louis Richard, lointain parent de Mme Armand Peugeot. Dans ce coin du Finistère, Richard venait, vendre des montres et des casquettes. A Montbéliard, y a pas photo, il a aisément convaincu ses proches du calme tonifiant de la région et de projeter, pour le découvrir, une expédition familiale. Armand a été conquis dès le premier contact par la nature sauvage et magnifique de Morgat. Des terrains ont été achetés sur la falaise de Rullianec. De nombreuses villas ont été construites. Promotion immobilière sur une plage de l'Ouest, construction de voitures sans chevaux.

11 – L’ère de l’automobile

Les propriétés de la vapeur sous pression, découvertes par Salomon de Caus, amène Denis Papin à construire la première machine à vapeur, et James Watt la met au point. A cette époque personne ne se doute que ces inventions sont le début d’une gigantesque industrie qui produira des millions d’automobiles et la construction de millions de kilomètres de bitume. Joseph Cugnot, réalise un lourd char à trois roues, mu par la vapeur et destiné à transporter des boulets pour l’artillerie française pendant la guerre de 1870. Il est bien loin de penser que son fardier sera un jour considéré comme l’ancêtre de nos voitures des années 2000.

Si l’on dit « Eau » on pense tout de suite au charbon pour la chauffer, sont les seuls éléments capables de fournir l’énergie nécessaire à la propulsion d’un véhicule. La vapeur remplace donc le cheval. D’où l’unité de mesure qui sert encore aujourd’hui à exprimer la puissance d’un moteur : le cheval vapeur (ch). Le rail devancera la diligence parce que les routes et leurs ornières sont impraticables pour la circulation de véhicules à moteur. Sous Napoléon III, Lotz met en construction une locomotive routière; mais trop lourdes elle sera abandonnée. En 1873, Amédée Bollé, construit « l’Obéissante » ; elle pèse cinq tonnes. C’est à ce moment qu’apparaît le terme « automobile », employé comme adjectif : on dit « une voiture automobile », c'est-à-dire une voiture qui se déplace par ses propres moyens.

Léon Serpollet, bricoleur autodidacte imagine une chaudière en forme de serpentin dans laquelle l’eau, injectée par une pompe se vaporise dans un moteur. En 1888, il équipe un tricycle de son invention. Intéressé, Armand Peugeot, va lui rendre visite, sur la butte Montmartre, rue des Cloys. Là un ouvrier vêtu d’un tablier de cuir, fait le plein de houille et d’eau, allume le brûleur. Quand Serpolet juge la chaudière à la température adéquate, il fait monter Armand sur le siège de l’engin à trois roues (une petite roue à l’avant pour assurer la direction, deux plus grosses à l’arrière pour assurer la traction). Serpolet monte à son tour à côté d’Armand. Il tire des leviers et la machine s’ébroue en prenant de la vitesse. Serpolet à l’aide d’un robinet, situé entre la chaudière et le moteur à vapeur, va moduler le débit d’arrivée de la vapeur dans le moteur, pour régler la vitesse. Après quelques kilomètres dans Paris, Armand, ému, conclu un accord avec Serpolet pour construire quatre tricycles.

Comme il vient de le faire avec la bicyclette, Armand Peugeot, entend être un pionnier en matière d’automobile. Ces tricycles et quadricycles, que construit l’usine de Beaulieu, sont prêts à recevoir une machine qui assurera leur motricité.

Le 6 mai 1889, le président Sady Carnot inaugure l’Exposition universelle, qui va recevoir le Prince de Galles, le roi de Perse et Léopold II, le roi des Belge. Armand présente un tricycle à deux places, avec machine à vapeur du type Serpollet : un guidon à l’avant, un tuyau de poêle à l’arrière. Il a fallu en hâte refaire des bricolages, fabriquer d’autres pièces, prévoir d’autres astuces pour que sa machine infernale pesant 400 kg soit exploitable. Elles avancent par bons et parfois tombent en morceaux au bout de quelques centaines de mètres. La chaudière peut à tout moment exploser, faute de régulation du débit de vapeur. Malgré les efforts considérables de Louis Rigoulot, il n’a pas été possible de faire mieux et la première Peugeot n’intéresse personne. Sur son stand de l'Expo, Armand est en colère car il n’ignore pas que d'autres constructeurs se préparent à sortir des choses beaucoup plus intéressantes. Depuis trois ans que cette passion pour les voitures sans chevaux lui bouffe les méninges, rien ne lui échappe concernant ses concurrents.

Il connaît sur le bout des doigts les travaux de Lenoir ou de Beau de Rochas sur les moteurs à combustion interne. Il a été informé qu’en Allemagne, Nicolas Otto, Gottlieb Daimler, Karl Benz travaillent pour rendre des moteurs à gaz exploitables aux voitures sans chevaux. Il s'est intéressé aux tentatives du comte de Dion et de ses deux mécaniciens Bouton et Trépardoux concernant la construction d’une petite voiture à vapeur. Il a suivi les efforts considérables des Bollée, fondeurs de cloches du Mans, avec leur Obéissante puis leur Mancelle. Il leur a même écrit en 1886, après avoir trouvé dans le périodique « La Nature » la description d'une voiture à deux places construite par Amédée fils et même en avoir vu une authentique chez un industriel de Colmar, Isaac Kœchlin, le père de sa cousine.

Sur un stand voisin, celui des machines à bois « Panhard et Levassor » Armand aperçoit tournant à grande vitesse, pour l’époque (800 tours/minute), un moteur à deux cylindres en V, alimenté par un carburateur qui mélange l’air et le pétrole. Armand Peugeot pense qu’un tel moteur, moins encombrant serait mieux adapté à ses tricycles que celui à vapeur et son énorme chaudière.

En effet, en 1885, est né le premier brevet N°28 022 déposé par un Wurtembergeois, Gottlieb Daimler, concernant un moteur à pétrole équipé d’un allumage par tube incandescent. Pour la France c’est l’ingénieur Sarazin, qui se rend acquéreur de ce brevet et qui veut en faire profiter ces camarades de promotion de Centrale, René Panhard et Emile Levassor. A la mort de Sarazin, sa veuve, deviendra Mme Levassor. Mais si Panhard et Levassor sont susceptibles d’assurer la construction des châssis et des moteurs ils ne sont pas outillés pour la construction de la carrosserie. Il faut donc trouver un carrossier. C’est alors qu’ils s’adressent à Armand Peugeot. En 1989 Gottlieb Daimler, accompagné d’Emile Levassor se rend à Valentigney, sur son propre engin le « Stahlradwagen », un châssis à deux places sur quatre roues, boudins en caoutchouc pleins, collés sur la jante. Le moteur est une 2 cylindres en V, une marche arrière, embrayage à friction, allumage par tubes incandescents, puissance réelle 8 chevaux, poids à vide 275 kg, vitesse maximum 25 Km/h.

Un accord est conclu. Panhard et Levassor feront les moteurs et Peugeot fera les voitures. Mais les deux constructeurs une conception opposée concernant la construction du véhicule. Le 20 janvier 1890, Peugeot envoie à Ivry le plan d'un châssis dessiné par Rigoulot et commande deux moteurs à pétrole. Deux jours plus tard, Levassor inverse le plan de positionnement du moteur sur ce châssis : Peugeot avait proposé qu'il soit à l'avant, Levassor veut le placer à l'arrière pour éviter que les passagers ne soient importunés par les gaz d’échappement. Le 17 mars, Panhard expédie le premier moteur deux cylindres à l'usine de Valentigney. Considérant Peugeot comme un autre acheteur, Panhard-Levassor, sortent leur première voiture le 2 mai 1890. Levassor s'est finalement rallié à la thèse d'Armand, qui estimait qu'il valait mieux disposer le moteur à l'avant pour obtenir un meilleur équilibre du véhicule...

De son côté, Peugeot réclame de l'aide parce que le moteur Panhard-Daimler qu'il vient de recevoir est loin de tourner à plein régime. Mayade, l'ingénieur de la société parisienne, se rend à Valentigney. En juillet, le quadricycle fonctionne. Il s’agit du Type1, il pèse 275 kilos, est équipé d'une boîte de vitesses et peut théoriquement atteindre les 25 kilomètres à l'heure. Mais les difficultés reprennent de plus belles et s'aggravent. Finalement, la Peugeot est expédiée à Ivry (où elle sera plus tard rachetée pour 400 francs par la firme Zacco Bruhn et Cie de Stockholm).

Le prototype de Type 2 équipé d’un moteur Daimler sortira de l’usine de Valentigney courant 1890. C’est une « pétroleuse » qui fait beaucoup de bruit, dégage des odeurs nauséabondes en soulevant des nuages de poussières. C’est une deux places peu confortables, des roues énormes à rayons d’acier avec de petits bandages pleins, des gardes boue à l’arrière et des lanternes à l’avant, il ressemble à un fiacre sans chevaux. Fin 1890, René Panhard propose à Armand de lui réserver l'exclusivité de ses fabrications du moteur Daimler. Soit une trentaine par an, que Louise Sarazin s'est audacieusement engagée à vendre. Armand refuse. Il n'aura besoin que de quelques moteurs. Ce qui, va obliger Panhard-Levassor à devenir constructeur automobile pour écouler sa production.

En août 1891, Armand, fabrique trois quadricycles, deux de Type2 et un quatre places de Type3, avec deux banquettes en vis-à-vis. Ces deux modèles ont quatre ressorts, conduite à droite, moteur sous la banquette arrière avec transmission par chaînes. En septembre 1891, Armand Peugeot a obtenu du « Petit Journal », l’autorisation que son véhicule de Type3 accompagne la course cycliste « Paris-Brest et retour », soit 1200 km. Mais elle doit partir de Valentigney où elle est née et y revenir après l’épreuve. Elle aura alors parcouru 2047 km en 139 heures (14,71 km/hg de moyenne) avec Rigoulot et Doriot qui se relaient au guidon. Armand fait préparer son vis-à-vis de Type3 avec un réservoir de 28 litres de gazoline sous la banquette avant et il poste tous les cent kilomètres des agents des Cycles Peugeot avec des bidons d’essence et des outils. Le 6 septembre 1891 à sept heures du matin, rue de Chateaudun, devant le siège du « Petit Journal », en présence de 10 000 spectateurs, le cortège des deux cent sept concurrents prend le départ. Tout au long de la route, les foules qui attendent les cyclistes voient avec frayeur arriver un monstre roulant, un char sans chevaux dans un tumulte d’explosions et de poussières. Dans ce moment d’apocalypse on oublie les hommes qui pédalent.

Après le Paris-Brest-Paris et le retour à Valentigney, le moteur est renvoyé chez Panhard pour réaléser les cylindres, remplacer les pistons, les segments, les soupapes, les axes de pistons et un axe de vilebrequin. Cette publicité va permettre à Peugeot de vendre trois automobiles de Type3 ; l’une à un Suédois, une seconde à un Alsacien (Monsieur Poupardin de Dornach), une troisième à un Lyonnais.

J’ai trouvé dans le journal d’entreprise de Sochaux, le « Trait d’Union » datant de 1929, deux anecdotes racontées par un certain Jacques Métin, que lui aurait confié son grand-père, ouvriers chez « Les Fils de Peugeot frères », concernant le service après-vente de 1891. (1)

La première anecdote : « Je travaillais à la fabrication des quadricycles, sous les ordres de M. Rigoulot. Je les montais entièrement. On m’avait donné comme aide un serrurier, Doucelance. Puis nous avons commencé les premières voitures. Nous faisions tout sauf les moteurs qui étaient des Daimler. Nous fabriquions les châssis et nous montions les voitures presque entièrement à la main, car, à l’époque, nous disposions de peu de machines et elles n’étaient guère perfectionnées. Nous recevions les pièces brutes de Terre-Blanche et on les burinait. C’est moi qui ai construit et livré la première voiture pour la Suisse. Quand la voiture a été finie, les Suisses sont venus là réceptionner. Je les ai promenés quelques jours. Puis, sans même un essai de conduite à côté de moi, ils ont voulu partir seuls comme des grands. »

« Comment ferez-vous ? »

« Nous voulons bien nous débrouiller ».

« Ils ne doutaient de rien. Le lendemain, M. Rigoulot m’a dit : Va donc au Cheval Blanc à Porrentruy, nos Suisses sont en panne. Je prends mon vélo et j’arrive à Porrentruy. Je regarde la voiture. Tout était en ordre. Les malins avaient oublié de remettre de l’essence. J’ai dû ensuite conduire nos gaillards jusqu’à Zurich. Les gens nous disaient : jamais vous ne monterez le Mont Terrible avec votre pétroleuse. Nous avons grimpé sans sourciller. A Delémont nous voilà en panne d’essence et nous avons trouvé de la benzine à la pharmacie.

La seconde anecdote : « Un client nous fait savoir qu’il est en panne à Maîche. M. Rigollot me dit : prends ton vélo et va voir. Mon beau-frère, Paul Vurpillot me prête son vélo qui a des pneus gonflables et me voilà parti. Avec la lourde machine, j’ai monté la fameuse côte de Maîche, sans mettre le pied à terre. Je dépanne le client qui avait oublié de mettre de l’eau dans le radiateur et je reviens. En descendant la côte, comme je n’avais pas évidemment de roue libre, je laisse pendre mes jambes dans le vide car le vélo n’avait pas de pose pieds. Tout à coup le frein casse et je suis pris de vitesse. J’évite de justesse un curé et une femme et me voilà les quatre fers en l’air. Pas de bobo ! Je coupe une branche et je l’attache au tube de selle. La branche traîne sur la route et freine et j’arrive à Saint Hippolyte sans dommage.

La production de Valentigney, passe de 5 voitures en 1891 à 29 en 1892, revient à 24 en 1893 pour passer à 40 en 1894. C’est déjà une petite série artisanale : une auto tous les neuf jours.

La Peugeot possède un moteur Daimler à deux cylindres en V placé à l’arrière du véhicule. Allumage par tubes incandescents, boîte de vitesses à trois baladeurs commandés par cames

(4 vitesses avant, 1 vitesse arrière), embrayage à friction, transmission par chaîne, freins à enroulement (au pied sur le mécanisme à main sur les roues arrière), boudins en caoutchouc plein collés à la jante. A Valentigney, où travaillent 300 ouvriers en 1889, on en compte 550 en 1894. Les chauffeurs sont loin d’imaginer ce que sera leur future tenue : casquette, lunettes, pelisse, qui leur donneront l’air de vrais automobilistes. En 1894, l’automobile, reste une affaire d’amateurs de mécanique ou plutôt de mécaniciens déguisés en bourgeois. Mais elle va devenir une affaire de champions. C’est encore le « Petit Journal » qui est à l’origine de cette nouvelle discipline en organisant le 22 juillet 1894 la première grande course ouverte à des voitures sans chevaux : « Paris-Rouen ».

Ce n’est pas véritablement une course. Il s’agit d’un concours, dans lequel le jury doit apprécier la souplesse et l’endurance des voitures et non la vitesse, à condition qu’elle dépasse 12,5 Km/h. Sur 102 inscrits, 15 terminent le parcours. C’est un véhicule à vapeur de Dion-Bouton qui arrive en tête après 5 heures 40 minutes de route à plus de 22 Km/h. Mais moins rapide, plus souple, d’une meilleure tenue de route, le jury proclame victorieuse la Peugeot de Type5, pilotée par Louis Rigoulot et lui décerne le prix de 5 000 F. Gros succès pour Peugeot. La marque est bien partie. Robert Peugeot, jeune garçon de vingt ans a suivi la course en vélo.

1895, Peugeot fabrique ses moteurs. Il a tellement perfectionné la licence Daimler qu’il en a fait un moteur très différent. Il étudie un moteur à deux cylindres horizontaux avec allumage par brûleur. Il construit ses propres roulements à billes et il s’oriente vers le montage de pneus démontables. Le 10 juin 1895 Peugeot engage trois voitures sur la course Paris-Bordeaux-Paris (1200 km), conduites par des contremaîtres de la Maison. La Panhard d’Emile Levassor arrive porte Maillot avec presque six heures d’avance sur la Peugeot de Rigoulot qui précède les Peugeot de Koechelin et Doriot de cinq heures. Mais le règlement de l’épreuve précise que le premier prix sera décerné à un véhicule à quatre places. Les trois Panhard et la Peugeot Type11 de Rigoulot sont déclassées et le premier prix d’une valeur de 30 000 Frs est attribué à la Peugeot de Type8 de Koechelin-Rubichon, après cinquante-quatre heures de route. Au lendemain de Paris-Bordeaux-Paris, naît l’Automobile Club qui consiste à unir les propriétaires de voitures à moteur et à défendre leurs intérêts.

Mais l’Automobile Club est un cercle mondain où les pilotes de ce nouveau sport sont plutôt de jeunes aristocrates suspectés d’écraser les poules et les chiens. L’automobile passe pour un sport « de droite » et les municipalités républicaines de l’époque interdisent de dépasser les 10 km/h dans les agglomérations. En Angleterre, jusqu’en 1896, il est interdit aux véhicules sans chevaux de circuler « s’ils ne sont pas précédés d’un homme agitant un drapeau rouge ».

Les courses automobiles se multiplient : Bordeaux-Agent gagné par Peugeot, Grand Prix de Spa où Peugeot prend les deux premières places, Paris-Marseille et retour, soit 1711 km.

Dans l’année qui suit la course Paris-Marseille, le parc automobile français atteint 1200 unités, soit dix fois plus que trois ans plus tôt.

Mais à l’époque on se pose la question : Peugeot va-t-il rester français. Des capitalistes anglais font à Armand Peugeot une offre séduisante. Il refuse et décide de porter de 8000 à 11000 m² la superficie de ses ateliers et de 600 à 1000 ch sa force motrice. L’automobile sort de l’époque héroïque et de l’artisanat tout en restant par série dans un nombre d’exemplaires assez faible.

De 1891 à 1897, « Peugeot Frères » a fabriqué :

1. 64 vis-à-vis de Type3, de 1891 à 1894, moteur Daimler, 2 cyl en V de 565 cm3

1. 25 phaétons de Type7, de 1894 à 1897, moteur Daimler, 2 cyl en V de 1 282 cm3

1. 18 phaétons Victoria de Type8, de 1894 à 1895, moteur Daimler, 2 cyl en V de 1282 cm3

1. 87 vis-à-vis de Type9, de 1894 à 1897, moteur Daimler, 2 cyl en V de 1282 cm3

1. 27 voiturette 2 places de Type11 de 1895 à 1897, moteur Daimler, 2 cyl en V de 1645 cm3

Sans oublier les véhicules non commercialisés comme le Type4, fabriqué en 1892 et offert au Bey de Tunis ; le Type6, fabriqué uniquement pour la course Paris-Rouen ; le Type10, break de chasse et Type12, break semi fermé.

Armand Peugeot est de plus en plus convaincu que l'automobile quitte l'ère du bricolage pour entrer dans celle de la production industrielle. Chaque jour, les découvertes se succèdent, les performances s'élèvent. Dans tous les domaines, les progrès sont extrêmement rapides. Le défi est permanent. Peugeot, pour sa part, dispose d'un atout formidable : le nouveau moteur que Louis Rigoulot a étudié avec l'aide d'un autre ingénieur de la maison, Gratien Michaux, est pratiquement prêt. Un moteur à deux cylindres horizontaux qui va enfin remplacer le Daimler de 1889. Mais pour cela il faut pouvoir disposer d'une nouvelle usine et par conséquent, de capitaux frais. L’usine de Beaulieu, qui fabrique les cycles et celle de Valentigney qui fabrique les automobiles tourne à pleine capacité. Et chaque jour, Armand et son équipe s’impatiente d'être « obligés de travailler dans des ateliers trop petits, avec un outillage insuffisant ». Ce qui, retarde la création de nouveaux modèles.

De mois en mois, Armand sent pointer à l’horizon, les réticences puis l'hostilité de sa famille. Fabriquer en série ces monstres, peu esthétiques, qui risquent de mettre à l’index le nom fabuleusement respecté de la famille Peugeot. Parce que, ces inventions monstrueuses qui projettent de l’huile brûlante et sèment la terreur sur leur passage, provoquent la mauvaise humeur des agents de la sécurité. Le plus hostile de la famille, c’est le cousin germain Eugène Peugeot, de cinq ans plus âgé qu'Armand, et principal actionnaire de la société « Les Fils de Peugeot Frères ». Des cheveux noirs plaqués sur une grosse tête carrée, des traits découpés à la serpe, de grosses moustaches qui tire-bouchonnent, Eugène Peugeot est un homme énergique et un industriel de renommée. Il est maire d'Hérimoncourt, et il s'est formé sur le tas au contact de ses ouvriers dans ses usines. Sa principale préoccupation et d’améliorer la productivité de ses usines et de gagner une nouvelle clientèle, des clients sérieux pour des produits sérieux.

Le conflit entre les deux hommes devient inévitable. Eugène lâche alors la phrase qu’il ne fallait pas prononcer : « Armand est fou. Qu’il continue seul ». Cela suffit. La rupture est totale.

Armand tempête : « Eh bien, tant pis pour vous ! Vous le regretterez un jour ! ». Et il claque la porte. Inutile de poursuivre la discussion. Eugène reste inflexible. Soutenu par son père Jules, le patron de la société des « Fils de Peugeot Frères », se préoccupe de voir Armand négliger la fabrication des buscs pour corsets, des ressorts de pince-nez ou des moulins à café, pour se consacrer éperdument à ces véhicules très coûteux à mettre au point à fabriquer. Un vis-à-vis d'Armand figure au catalogue de la maison au tarif de 6200 francs (un ouvrier qualifié gagne 5 francs par jour, les femmes 3 francs). Un prix complètement prohibitif qui ne peut intéresser que quelques individus pas comme les autres, comme on disait à cette époque.

Surtout que les vélocipèdes, dont Armand a lancé la fabrication, se vendent comme des petits pains et améliorent de jour en jour la fortune familiale. Comme à l’époque où Jules et Emile avaient su tirer le plus grand profit de la crinoline.

12-L’histoire racontée par Léon Turcat (1)

Les améliorations prolifiques apportées aux modèles construits à Valentigney et le succès toujours grandissant des Peugeot en compétition sont diffusées dans « Le Petit Journal » et la presse régionale. La nouvelle est diffusée jusqu’à Marseille où un mordu de la voiture sans chevaux, Alphonse Turcat, recherche un véhicule plus performant que sa Panhard. Sur les conseils du représentant des Cycles Peugeot dans la ville, il envoie son neveu à Beaulieu pour juger sur place. (Histoire trouvée dans le « Trait d’Union »).

Léon Turcat écrit : « M. Peugeot occupait un modeste bureau dans cette vaste usine de vélos et d’outillage. Je me présentai comme un acheteur éventuel, désireux d’examiner le véhicule.

Comptant passer la nuit sur place, je lui demandai de m’indiquer une auberge où retenir une chambre et faire porter ma valise. Ne répondant pas du confort de l’auberge, M. Armand Peugeot, me pria aimablement d’accepter de venir chez lui passer la soirée et la nuit. Après un échange de politesse, je fini par accepter. Il fit prévenir madame Peugeot de mon arrivé surprise, après quoi, il me conduit dans l’atelier où il construisait ses voitures et me montra celle en cours de montage, objet de ma visite. Elle répondait tout à fait à la description qu’on m’avait faite à Marseille. Aussi, je confirmai immédiatement ma commande et je restai admirer les détails, jusqu’à l’heure de fermeture des ateliers. Sur ce, j’accompagnai M. Armand chez lui. »

« Madame Peugeot, me fit le plus aimable accueil. Je m’excusai d’avoir accepté aussi volontiers l’invitation de son mari. Mais en grande dame qu’elle était, elle me mit aussitôt à l’aise, assurant qu’il y avait peu de visiteur, que ma visite était une distraction, un plaisir. A table, assis tous les trois autour de la lampe, la conversation roule d’abord naturellement sur la voiture que je venais de voir et sur l’automobile en général. Dans une ambiance intime, nous sommes venus aux confidences. Après m’avoir demandé ce que je faisais, Madame Peugeot me raconta les débuts de son grand-père (Japy), faisant des ressorts pour les pendules et les réveils qui étaient l’industrie locale. Puis elle évoqua le « boom » de la mode de la crinoline, dont chacune nécessitait des longueurs incroyables de ressorts et qui étaient à l’origine de la prospérité de la famille. Déjà, nous parlions comme de vieux amis. Alors dans cette atmosphère d’amitié et de confiance, Madame Peugeot se tourne vers moi et me demande si c’était sage d’abandonner cette affaire solide et sûre de fabrication de cycles, d’outillage et d’articles ménagers pour se lancer uniquement dans l’automobile. »

« Son mari étant le seul de la famille à croire à ce nouveau mode de locomotion et les disputes entre cousins devenaient si fréquente qu’il voulait prendre son indépendance. Il était prêt à céder sa part dans l’affaire familiale pour mettre, selon la formule américaine : tous ces œufs dans le même panier. Elle me demandait ce que je pensai de cette grave décision. N’était-ce pas un gros risque ? L’auto était-elle autre chose qu’un jouet pour grandes personnes qui s’amusaient à se laisser traîner par une machine et encore quand la machine voulait bien marcher ? Serait-ce jamais pratique ? Et avec les pannes inévitables chez toute mécanique, ne serait-ce pas toujours un jouet pour sportifs ? Abandonner la sécurité offerte par les usines de la famille, n’était-ce pas prendre ses désirs pour la réalité et pour tout dire commettre une imprudence ? Je lui répondis que nous avions certes encore à remédier à bien des petits défauts, mais que cette mise au point, n’était qu’une question de peu de temps. Et puisque nous parlions à cœur ouvert, j’ajoutai que j’avais tellement confiance dans l’avenir de l’automobile, que mon rêve était de construire, moi aussi, des autos, si j’en avais la possibilité. J’étais persuadé que lorsque nous aurions remédié aux inconvénients actuels, l’auto deviendrait un outil de première nécessité et créerait une révolution semblable à celle de que venait de créer la vapeur ».

« Elle me dit, que mon enthousiasme la rassurait un peu, mais qu’elle entrevoyait un autre danger, celle de la saturation. Quand les acheteurs possibles seraient pourvus d’autos, que ferait-on de la production future ? Elle ne trouverait plus d’acheteurs ».

Monsieur Peugeot qui avait écouté avec plaisir, proclamer ma confiance dans l’avenir, prit alors la parole et ajouter : « chaque ménage achète un moulin à café et n’en achète jamais un second. Depuis que nous sommes mariés, nous avons toujours le même moulin. Et pourtant mes beaux-frères Japy n’ont jamais ralenti leur fabrication de mille moulins à café par semaine et nos usines de leur côté en font autant. Je présume qu’il en sera de même pour l’auto. Il y aura l’usure, les emplacements, et, chaque année, la couche de nouveaux acheteurs. Cela ne me cause aucun souci ».

Et il me souhaita aimablement de réaliser un jour le rêve que je venais d’exprimer de devenir plus tard l’un de ses confrères.

13 - Les grèves de 1899

En septembre 1899, un conflit éclate à Beaulieu. Louys, un mécanicien, élu secrétaire de la fédération syndicale du pays de Montbéliard qui vient d’être crée, est congédié de l’usine pour brutalité envers un contremaître. Pour faire pression sur la Direction et exiger sa réintégration, la totalité de l’usine de Beaulieu se met en grève. Le juge de paix de Valentigney tente une médiation, mais la direction de Beaulieu la rejette. C’est alors que Pierre Biétry, un ouvrier de chez Japy, fait le tour de toutes les usines pour rencontrer ses camarades de combat.

C’est un pauvre garçon, parti à 13 ans en Algérie où il exerce des petits métiers précaires avant de s’engager à 17 ans dans l’armée française et gagner ses galons de brigadier. Mais déjà son comportement contestataire lui a valu d’intégrer une compagnie disciplinaire. A la fin de son contrat, qui n’a pas été renouvelé, il travaille en Suisse puis chez Japy à Beaucourt. Cet homme sait parler et il trouve facilement les mots qui font « mouche ».

Le 29 septembre, Audincourt, Beaulieu, Valentigney, sont en grève et le mouvement risque de faire tache d’huile. Les grévistes interdisent l’accès de l’atelier. Devant les portières des usines on poste des gendarmes. C’est Armand, qui va calmer le jeu. Accompagné du préfet et de Biétry, il se rend à Beaulieu pour annoncer qu’il s’engage à prendre Louys à Audincourt. Il étonne ses cousins en prenant la parole. « J’ai ressenti une émotion pénible en apprenant le déclenchement de cette guerre malheureuse, de cette révolte dans un pays aussi prospère ».

On entend alors un ouvrier crier : « Prospère, grâce à vous Monsieur ». Auquel Armand répond : « Prospère, grâce à tous, car vous êtes nos collaborateurs. Nous avons toujours travaillé ensembles et j’espère bien que pareille chose ne se renouvellera pas ».

Le travail reprend à Beaulieu et dans les autres usines. Mais trois mois plus tard, la grève refait surface à Hérimoncourt chez Japy où Philippe Japy, succède à son beau-père Constant Peugeot.

Cette fois, les revendications demandent de passer à la journée de dix heures comme chez « Les Fils de Peugeot Frères » et chez Armand à Audincourt. Alors les ouvriers d’Audincourt, cessent à nouveau le travail et Armand se fâche. Il déclare : « Je tiens à ce que les ouvriers des « Automobiles », sachent bien qu’après ce qu’il vient de se passer, les règlements seront appliqués rigoureusement. Les conciliabules dans les ateliers se seront plus tolérés. Les ouvriers qui ne produisent pas la somme de travail qu’ils me doivent pour leur salaire seront impitoyablement mis à pied puis renvoyés s’ils ne font pas mieux ».

En novembre 1899, le mouvement semble s’apaiser. Mais Biétry, et Gambetta de Fesches tentent d’organiser une marche sur Paris, avec Sorgue, envoyée spéciale de la « Petite République » et de Paul Quilien, orateur, socialiste, envoyé de Marseille. Ils parviennent à mobiliser 1 500 grévistes. Les marcheurs, prennent la route, précédés de quatre gendarmes à cheval. Deux chariots, remplis de victuailles, ferment la marche. Les manifestants ne dépasseront pas Belfort, où un escadron de hussards et un bataillon du 42e de ligne, les obligeront à se disperser.

Cependant, Armand, a du mal à se remettre complètem