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103 ANTHROPOZOOLOGICA • 2006 41 (2) © Publications Scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris. Animal et expression schématique néolithique dans le sud de la France : entre réel et idéel Philippe HAMEAU L.A.M.I.C. (Laboratoire d’Anthropologie « Mémoire, Identité et Cognition sociale ») Université de Nice-Sophia Antipolis 98 bd Édouard Herriot, BP 3209, F-06204 Nice cedex (France) [email protected] Hameau Ph. 2006. – Animal et expression schématique néolithique dans le sud de la France : entre réel et idéel. Anthropozoologica 41 (2) : 103-124. RÉSUMÉ Les animaux sont peu représentés dans l’expression graphique néolithique du sud de la France. Ce sont essentiellement des cervidés, des caprinés et des serpents. Le cerf est le plus fréquent. Nous analysons ici ses différentes mor- phologies, ses associations avec d’autres signes, ses exemples de translation et de doublement. Ce sont les mêmes règles que celles qui organisent les repré- sentations du personnage masculin et de l’idole. Le cerf devient ainsi la troisième des grandes catégories de figures principales de l’expression schéma- tique. Nous évoquons aussi les particularités comportementales du cerf et notamment ses transformations annuelles. Nous supposons qu’elles sont à l’origine du choix des hommes pour ce symbole animal et qu’elles sont conçues comme similaires aux transformations sociales des hommes. Des bouquetins, on peut surtout signaler qu’ils ne sont pas représentatifs de l’environnement ambiant et à ce titre qu’ils s’insèrent peut-être dans des récits mythiques. Le statut du serpent, est difficile à apprécier sauf à en faire, un peu classiquement, un animal chtonien. Nous écartons l’hypothèse d’une utilisation pastorale des sites ornés en défen- dant l’idée de leur insertion dans un espace sauvage et cynégétique. Nous observons plutôt une variabilité de leurs utilisation et fréquentation : usage sépulcral et périfunéraire, bivouac ponctuel unique ou récursif, atelier de transformation des matières premières, etc. Les analyses archéozoologiques sur le site de la Bergerie des Maigres expriment la possibilité d’activités rituelles concernant les animaux, ce que nous n’avions encore jamais mis en évidence pour l’expression schématique. MOTS CLÉS cerf, bouquetin, serpent, peintures schématiques, transformation, éthologie, activité rituelle, Néolithique, sud de la France.

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103ANTHROPOZOOLOGICA • 2006 • 41 (2) © Publications Scientifiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris.

Animal et expression schématique néolithiquedans le sud de la France : entre réel et idéel

Philippe HAMEAUL.A.M.I.C. (Laboratoire d’Anthropologie « Mémoire, Identité et Cognition sociale »)

Université de Nice-Sophia Antipolis98 bd Édouard Herriot, BP 3209, F-06204 Nice cedex (France)

[email protected]

Hameau Ph. 2006. – Animal et expression schématique néolithique dans le sud de laFrance : entre réel et idéel. Anthropozoologica 41 (2) : 103-124.

RÉSUMÉLes animaux sont peu représentés dans l’expression graphique néolithique dusud de la France. Ce sont essentiellement des cervidés, des caprinés et desserpents. Le cerf est le plus fréquent. Nous analysons ici ses différentes mor-phologies, ses associations avec d’autres signes, ses exemples de translation etde doublement. Ce sont les mêmes règles que celles qui organisent les repré-sentations du personnage masculin et de l’idole. Le cerf devient ainsi latroisième des grandes catégories de figures principales de l’expression schéma-tique. Nous évoquons aussi les particularités comportementales du cerf etnotamment ses transformations annuelles. Nous supposons qu’elles sont àl’origine du choix des hommes pour ce symbole animal et qu’elles sontconçues comme similaires aux transformations sociales des hommes.Des bouquetins, on peut surtout signaler qu’ils ne sont pas représentatifs del’environnement ambiant et à ce titre qu’ils s’insèrent peut-être dans des récitsmythiques. Le statut du serpent, est difficile à apprécier sauf à en faire, un peuclassiquement, un animal chtonien.Nous écartons l’hypothèse d’une utilisation pastorale des sites ornés en défen-dant l’idée de leur insertion dans un espace sauvage et cynégétique. Nousobservons plutôt une variabilité de leurs utilisation et fréquentation : usagesépulcral et périfunéraire, bivouac ponctuel unique ou récursif, atelier detransformation des matières premières, etc. Les analyses archéozoologiquessur le site de la Bergerie des Maigres expriment la possibilité d’activitésrituelles concernant les animaux, ce que nous n’avions encore jamais mis enévidence pour l’expression schématique.

MOTS CLÉScerf,

bouquetin,serpent,

peintures schématiques,transformation,

éthologie,activité rituelle,

Néolithique,sud de la France.

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ABSTRACTAnimals and Neolithic schematic art in southern France: between the real and theidealAnimals are very little represented in the Neolithic schematic art of southernFrance. The representations that exist are mostly red deer, wild goats andsnakes, deer being the most frequent. In this paper, we analyse the deer’s dif-ferent morphological aspects, its associations with other signs, the examples ofits transfer and doubling. The rules are the same as those which preside overthe representations of the male figure and of the idol. The deer thus becomesthe third main category of the principal figures of schematic art. The particu-lar features of the deer’s behaviour and, and especially its transformationsthrough the year, are also discussed. We speculate that these features influ-enced the choice of the deer as an animal symbol and that they were perceivedas being similar to human social transformations.Concerning the wild goats, we can only state that they are not representative ofthe environmental context and thus are possibly related to mythical stories. Thestatus of snakes is difficult to establish, other than as that of a chthonic animal.We do not retain the hypothesis of a pastoral use of the decorated shelters,but support the idea of their belonging to a wild space for hunting. Thereappears to be variation in their use and occupation: burials and burial cus-toms, occasional bivouac, workshop for the transformation of raw materials,etc. Archaeozoological analyses on the site of “La Bergerie des Maigres” indi-cate the possibility of ritual activities concerning animals, a perspective neverbefore demonstrated in relation to schematic art.

RESUMENAnimal y expresión esquemática neolítica en el sur de Francia: entre real y concep-tualEn la expresión gráfica neolítica del sur de Francia los animales están poco repre-sentados. Se trata principalmente de cérvidos, de caprinos y de serpientes. Elciervo es el que se encuentra más frecuentemente. Analizaremos aquí sus difer-entes morfologías, sus asociaciones con otros signos, sus ejemplos de traslación yde duplicación. Se siguen las mismas reglas que las que rigen las representacionesdel personaje masculino y del ídolo. El ciervo se coloca de esa manera como latercera gran clase entre las principales figuras de la expresión esquemática.Evocaremos también las particularidades del comportamiento del ciervo y espe-cialmente sus transformaciones anuales. Podemos suponer que están en el origende la elección por los hombres de este símbolo animal y que están concebidas demanera similar a las transformaciones sociales de los hombresDe las cabras montesas, solamente se puede señalar que como no son repre-sentativas del entorno natural quizá se encuentran insertados en relatos míti-cos. Aparte de calificarlo, de manera clásica, como un animal catoniano, esmuy difícil encontrar una condición concreta para la serpiente.Descartamos la hipótesis de una utilización pastoril de los lugares pintados ydefendemos su inserción en un espacio silvestre y cinegético. Donde observa-mos sobre todo variaciones es en la utilización y en la frecuentación de loslugares: uso sepulcral y perifunerario, vivaque único o por recurso, taller detransformación de materias primas, etc. En el redil “des Maigres” los análisisarqueo-zoológicos han puesto en evidencia la posibilidad de una actividad rit-ual que hasta ahora no se había podido evidenciar en la expresiónesquemática.

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KEY WORDSdeer,

wild goat,snake,

schematic paintings,transformation,

ethology,ritual activity,

Neolithic,southern France.

PALABRAS CLAVESciervo,

cabra montés,serpiente,

pinturas esquemáticas,transformación,

etología,actividad ritual,

Neolítico,sur de Francia.

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PRÉSENTATION

Le schématisme, processus consistant à transfor-mer des figures réalistes, ou du moins identifiables,en des signes simples, est une expression graphiqueinhérente au Néolithique, même si elle n’est pastotalement inconnue auparavant. Pendant que semettent en place, au Proche-Orient, à partir des Xe

et IXe millénaires BC, de nouvelles règles techno-économiques et sociales, l’homme multiplie lessymboles sous la forme de petites statuettes ou desupports minéraux gravés ou modelés. Ce courantde pensée pénétrera l’Occident méditerranéen avecl’apparition des premières communautés agro-pastorales à céramique imprimée, non sans s’êtretransformé et enrichi à mesure des contacts entreles groupes humains.Dans le sud de la France, pendant les IVe etIIIe millénaires, des éléments du relief sont osten-siblement investis d’une charge culturelle et sym-bolique à travers des signes peints et gravés. Ilssont souvent localisés en des points stratégiqueset éminents du territoire, à l’interface de zonescontrastées (entre un versant de vallée et un pla-teau, entre un ubac et un adret), souvent enregard sur des zones de passage, contrôlant de faitla circulation des hommes, des biens, et des idées.Ces grands auvents rocheux, peints, et ces rochersou groupes de rochers, gravés, s’insèrent dans desenvironnements variés : maquis autant que gar-rigue, sites maritimes ou montagnards, paysagesouverts autant que fermés. Ils sont ornés de signessimples conjugués sous diverses formes. Le corpusiconographique porte essentiellement sur cinqgrandes catégories de signes. Des personnagesmasculins deviennent des signes anthropo-morphes par réduction ou multiplication dunombre de leurs membres. Des animaux parfoisreconnaissables par leurs appendices frontaux(cervidés, caprinés) sont transformés en desimples signes dits pectinés. L’« idole », mieuxconnue par la statuaire contemporaine (statues-menhirs et dalles anthropomorphes) est le plussouvent représentée par un signe en arceau. Lafigure solaire, rayonnante, devient un signe soléi-forme, ponctué, et le chevron permet de réaliserdes lignes brisées et des résilles.

Les thèmes de l’art schématique sont liés à laplace de chaque signe sur son support, à son sensde lecture et à son association à d’autres figures.Cette association est assurée par la juxtapositionou par la contraction de deux signes mais ellepeut également être établie à travers la complé-mentarité de plusieurs supports (groupements derochers, abris contigus ou peu éloignés les uns desautres). La charge sémantique de ces ensemblesde signes est sans doute amplifiée par l’insertionde quelques symboles rares, souvent spécifiques àun site orné : carrés et réticulés, signes scuti-formes ou scalariformes, figures tréflées, etc.Ce corpus iconographique, son contenu et lesmodalités de sa mise en espace ne sont pas spéci-fiques au sud de la France car, à la même époque,au Néolithique moyen et final, l’art schématiquepeint et gravé de la Péninsule ibérique, et, dansune moindre mesure, celui du nord de l’Italie,sont construits sur les mêmes principes nonobs-tant des variations de sites liées à des topographiesparticulières, et des variations de signes sansdoute tributaires des individualités ou du vécudes groupes humains. À l’image du sud de laFrance, l’expression graphique y est égalementsculptée (stèles) et mobilière (divers supportsosseux ou lithiques) et le statut des sites ornés yapparaît diversifié. La graphie schématique enEspagne et en Italie, comme en France, s’accom-mode de contextes archéologiques très divers.Il n’est question ici que des représentations ani-males : un bestiaire extrêmement réduit au seinduquel émerge la figure emblématique du cer-vidé. Caprinés et serpents sont très modestementprésents et pour nombre de formes supposéesanimales, on ne peut identifier que des quadru-pèdes. L’inventaire de ces figures animalièrespermet d’appréhender tant leur diversité mor-phologique que leur insertion dans l’espace :paroi, abri ou zone géographique. Nous les consi-dérons ensuite en tant que symboles et, à défautd’en déterminer toute l’herméneutique, nousnous proposons de les aborder selon l’un desconcepts qui nous semble régir le discours sché-matique : la transformation des êtres et de lamatière. Le cerf, et accessoirement les autres ani-maux, expriment-ils eux aussi une évolution de

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leur statut, comme nous le conjecturons pourl’homme ou l’idole ? Le corpus iconographiquede la Péninsule ibérique, comparable à celui dusud de la France, offre quelques arguments sup-plémentaires à nos propositions.Enfin, si leurs parois portent des représentationsanimales qu’on suppose investies d’une valeursémantique, idéelles, les mêmes sites restituentparfois, trop rarement, un mobilier archéologiquequi exprime les modalités de leur utilisation. Desrestes fauniques ont été exhumés sur certainsd’entre eux et nous examinons donc ces restesanimaux, bien réels, très différents de ceux dontles hommes ont tracé la silhouette sur la roche.

LE CORPUS ANIMALIER

LES FIGURATIONS IDENTIFIABLES

Pour le Néolithique, les représentations animalessont relativement rares dans le sud de la France :16 % des abris peints portent au moins une réfé-

rence zoologique et aucun rocher gravé n’estconcerné par une telle figuration (Fig. 1). Lafigure animale est donc pariétale mais nonrupestre. Si l’on considère la présence de l’animalau sein du corpus, il représente à peine 1 % del’ensemble des signes peints. La plupart des abrisqui expriment cette catégorie de figure portentplusieurs animaux, souvent du même type, à l’ex-ception de l’abri n° 13 de Baume Brune où bou-quetins et cerfs cohabitent. La figure animalen’est jamais exclusive d’un abri : d’autres signesl’accompagnent.La répartition du bestiaire correspond doncessentiellement aux provinces à l’est du Rhône,Savoie, Dauphiné, Provence, qui sont aussi, àl’exception de la première, la grande zone de l’ex-pression schématique picturale. L’ouest du sillonrhodanien est plutôt dévolu à la gravure. La dis-persion des figures animales équivaut à celle desabris peints exception faite du département de laDrôme où l’iconographie est principalementtournée vers le signe en chevron.

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FIG. 1. – Distribution des abris peints avec figures animales dans le sud de la France. Infographie Ph. Hameau.

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Les cervidés sont les animaux identifiables lesplus représentés. L’exemple le plus spectaculaireest celui du Rocher du Château à Bessans, unpromontoire de serpentinite en bordure de l’Arc(Fig. 2). Le dernier relevé que nous possédionsremonte à 1975 (depuis les figures se sont beau-coup dégradées) et montre huit cervidés dontdeux incomplets, tournés vers la droite, portantune ramure aux nombreux andouillers. C’est unetroupe de sujets mâles, comme des chasseurs

pourraient en rencontrer de la fin du printempsaux premiers jours de l’automne. À Pierre Escritede Chasteuil, une écaille relevée au-dessus duVerdon, dans la région du Point Sublime, portetrois cervidés, superposés les uns aux autres(Fig. 3a, b). Les cerfs du sommet de la composi-tion sont assez éloquents, porteurs de bois diffé-rents, le plus haut avec des empaumures, celui dudessous avec des enfourchures. Tous deux sontassociés à un trait vertical au niveau du dos. Plus

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FIG. 2. – Les cervidés du Rocher du Château à Bessans (Savoie) (relevé G. Nelh).

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bas, le troisième cerf est plus petit et massif, asso-cié à une figure circulaire. Son dos est agrémentéd’une bosse qui correspond peut-être au traitvertical susmentionné.Les deux abris du Pin de Simon sur l’adret de laSainte-Baume portent un cerf, chaque fois peint

au départ de la zone ornée (Fig. 3c, d). À l’abri I,l’animal semble de face, avec des bois divergentsà partir de l’axe du cou et de la tête.Malheureusement, une coulée de calcite traversela figure. Le cervidé de l’abri II est très allongé, surdes pattes courtes et obliques vers l’avant. La

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FIG. 3. – a, b. Les cervidés de Pierre Escrite à Chasteuil (Alpes-de-Haute-Provence) ; c, d. Les cervidés du Pin de Simon Iet II (Gémenos, Bouches-du-Rhône) (relevés Ph. Hameau).

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double ramure débute à hauteur du mufle et s’al-longe jusqu’au niveau de la queue. Au sud-est duplateau du Vaucluse, la rotonde sud de BaumePeinte abrite deux cervidés, l’un en position aber-rante, vertical, l’autre en position droite (Fig. 4).Dans les deux cas, les bois sont deux longs appen-dices dressés, sans ramifications nettes : peut-êtredes empaumures pour le premier à moins quel’élargissement terminal ne résulte simplementque de l’écrasement du pinceau. Dans un renfon-cement de l’abri n° 12 de la falaise de Baume

Brune, entre deux bourrelets de concrétion, plu-sieurs figures pectinées et filiformes ne sont plusidentifiables mais une autre à droite de la compo-sition pourrait être un cerf : les appendices fron-taux semblent ramifiés. Enfin, l’abri A desEissartènes, grand auvent chargé d’un long pan-neau de figures juxtaposées, montre un cerf, tête àgauche retournée vers la droite, artifice qui allongeles bois ainsi dégagés du corps (Fig. 5). Trois ali-gnements de très petites ponctuations sont placésà hauteur des pattes. Un autre signe pectiné, à

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FIG. 4. – Le cerf en position aberrante de la rotonde sud de Baume Peinte (Saint-Saturnin-lès-Apt, Vaucluse) :photographie et relevé (auteur : Ph Hameau).

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droite, parcouru des mêmes alignements de petitspoints, est sans doute un autre cerf : la partie supé-rieure n’est plus visible. Près du premier, deuxlignes horizontales, parallèles, sont hérissées de

courts traits légèrement incurvés. Il pourrait s’agird’un signe élaphomorphe, l’animal représenté parses seuls appendices frontaux. Les trois lignes depoints sont de nouveau présentes.

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FIG. 5. – Les cervidés de l’abri A des Eissartènes (Le Val, Var) : animal entier et signe élapho-morphe (relevé Ph. Hameau).

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Deux sites sont concernés par la figuration decaprinés. À la Béate du Destel, le relevé de 1943signale un animal cornu, filiforme, au museauallongé, près d’un signe anthropomorphe mascu-lin accompagné d’un point. L’allure générale,gracile, en fait une chèvre mais cette interpréta-tion est incertaine. Cette figure a disparu depuissa découverte. À l’entrée de l’abri n° 12 de BaumeBrune, déjà cité, deux quadrupèdes au corps mas-sif, tête à gauche, portent des cornes longues etincurvées (Fig. 6). Il pourrait s’agir de deux bou-quetins. Quelques silhouettes animales du mêmeabri, près du cervidé mentionné plus haut, pour-raient être également des bouquetins.Une seule figuration de serpent est réaliste, cellede l’abri Dalger n° 3 (Fig. 7). L’une des extrémitésdu trait sinueux semble une bouche entrouverte.Toutefois, son inventeur y voyait « un serpent seprécipitant, gueule ouverte, sur un oiseau en pleinvol » (!). Plutôt qu’un oiseau à droite, il faut sans

doute voir un personnage masculin, en trait épais,nanti d’une ponctuation, associé au serpent. Làencore, la partie gauche du panneau a disparudepuis 1943. André Glory identifiait aussi des ser-pents peints à la grotte Lhermite mais tout signeméandriforme est-il un serpent ou son symbole ?Il est difficile de répondre, et les lignes onduléesde cette cavité ariégeoise présentent quelques ver-sions complexes et entrecroisées peu compatiblesavec des figurations d’ophidiens.

DIFFICILES ET FAUSSES IDENTIFICATIONS

Certains quadrupèdes dépourvus d’appendicesfrontaux, mal conservés ou très schématiques,sont difficilement interprétables (Fig. 8). C’est lecas pour deux animaux affrontés à la Bergerie desMaigres et pour un long signe pectiné de larotonde nord de Baume Peinte. La fameuse« chasse au renard » de la grotte Chuchy, dans lesgorges du Carami, n’est en fait qu’une scène,

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FIG. 6. – Les deux bouquetins de l’abri n° 12 de Baume Brune (Gordes et Joucas, Vaucluse) : photographie et relevé (auteur :Ph Hameau).

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peut-être cynégétique, où deux personnages enca-drent quatre quadrupèdes. Au Gias auxPeintures, il semble difficile de soutenir que l’ani-mal est un capriné ou un boviné. L’hypothèsemême d’un animal vient de la présence, à sagauche, d’une figure oblongue et bifurquée quisemble brandir un arc. Aux Eissartènes, c’est lerecoupement de deux signes qui fait croire àl’existence d’un bouquetin.Une forme vague, une tache de couleur ou unrelevé photographique non vérifié que l’on veutabsolument interpréter sont souvent au départ demauvaises identifications, reprises et longtempsrépétées. Parfois aussi, les figures ne sont pas attri-

buées à leurs corpus iconographiques respectifs.Quelques spécimens animaliers gravés ont ali-menté de mauvais débats (Fig. 9). Ainsi, l’oiseaude Creysseilles n’est en fait qu’un drain reliant unréseau de cupules. Les serpents du col de laChaudière ne sont que des fissures de dissolution.L’oiseau de Baume Écrite, une tourterelle des bois(Streptopelia turtur), appartient au corpus schéma-tique linéaire et est datable de l’époque historiquesans autre précision. Des alignements de cupulesétaient censés représenter la silhouette d’un san-glier sur le dolmen de la Font de l’Arca jusqu’à ceque Jean Abelanet en présente un nouveau relevéqui dénie cette attribution.

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FIG. 7. – Le serpent de l’abri Dalger n° 3 (Ollioules, Var) (relevé Ph. Hameau).En encadré, relevé de Gérard (1946-47) ; sous le cadre, proposition de restitution de Ph. Hameau.

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FIG. 8. – Quelques animaux peints non identifiés.a. Capriné ?, boviné ? Val d’Enfer, Tende, Alpes-Maritimes (relevé H. de Lumley) ; b. Animaux affrontés, Bergerie des Maigres,Signes, Var (relevé Ph. Hameau) ; c. Animal indéterminé, Bergerie des Maigres, Signes, Var (relevé Ph. Hameau) ; d. La dite« chasse au renard » de la grotte Chuchy, Tourves, Var (relevé Ph. Hameau).

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Les trois espèces animales recensées sont doncprésentées hors de toute scène vraiment explicitequoique le mouvement et certaines attitudeséthologiques soient perceptibles. Les cerfs mâlesvont en troupe au Rocher du Château, le port detête de l’animal du Pin de Simon I est caractéris-tique, la tête tournée vers la queue projetant ainsila ramure pour le cervidé des Eissartènes l’estaussi. L’attitude des deux quadrupèdes de laBergerie des Maigres, tête contre tête, pourraitêtre conçue comme une scène d’affrontemententre sujets mâles, attribuable au cerf autantqu’au bouquetin. Cependant, il n’est pas certainqu’on doive systématiquement magnifier ce réa-lisme. D’autres figurations animales restent figéeset simplistes et il semble que les appendices fron-

taux, bois ou cornes, puissent être métonymiquesde l’animal. Point n’est besoin chez le cerf dereprésenter son sexe : les bois suffisent à le mascu-liniser. Aucun cervidé n’est sexué, encore moinsithyphallique, remarque qui vaut aussi pour lagrande majorité des cerfs du répertoire schéma-tique espagnol. Les bouquetins de Baume Brunene sont pas plus nettement sexués mais la lon-gueur des cornes suffit là encore à désigner deuxmâles. Il faut sans doute se garder de désigner lesexe des animaux à la seule observation de leur sil-houette, celle-ci évoluant selon le matériel utilisépour la tracer et la plus ou moins grande dextéritéde leur auteur. Si certains détails réalistes persis-tent (l’extrémité des andouillers à Pierre Escrite,la massivité des corps des bouquetins à Baume

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FIG. 9. – Quelques animaux mal interprétés.a. Figures serpentiformes de la grotte Lhermite, Ussat-les-bains, Ariège (relevé A. Glory) ; b. L’oiseau de Pierre Écrite,Pommerol, Drôme ; c. Le « sanglier » du dolmen de la Font de l’Arca, Campursi, Pyrénées-Orientales (relevé J. Abelanet etrestitution selon P. Vidal).

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Brune, etc.), si certains comportements noussemblent bien transcrits, ces animaux peints res-tent des idées de ceux-ci sans quoi il serait diffi-cile d’admettre que le cervidé de Baume Peintesoit en position aberrante ou que le serpent del’abri Dalger n° 3 soit plus beaucoup plus grandque le personnage masculin qui le jouxte. La fina-lité du processus de schématisation serait elle-même difficilement compréhensible. De plus, siles cerfs peints sont caractéristiques de l’environ-nement dans lequel s’inscrivent les différents sitesornés, il n’en est pas de même des bouquetins,espèce plus montagnarde qu’on ne rencontrait,même au Néolithique, ni dans la plaine duCalavon, ni sur le plateau sus-jacent. Ils ne sontdonc pas représentatifs des lieux.

LE POLYMORPHISME DU CERVIDÉ

CONSIDÉRATIONS SOCIALES ET ÉTHOLOGIQUES

Principale référence zoologique, le cervidé s’offreici à quelques propos analytiques et comparatifs.Il apparaît en effet comme la troisième desgrandes catégories de figures vivantes de l’icono-graphie schématique après le personnage mascu-lin et l’idole.Le choix de cet animal est compréhensible. Le cerfest représentatif de la faune sauvage au point de sevoir refuser le statut d’animal domestique, non-obstant quelques essais vite abandonnés à Chypreou en Sardaigne. « La domestication aurait étéincompatible avec l’exploitation sociale de lavaleur symbolique des cerfs » (Vigne 1993 : 124)d’où le néologisme de « cynégétisation » quiexprime le statut dans lequel l’ont enfermé lescommunautés agro-pastorales du Néolithique :l’animal doit rester au nombre des espèces chas-sées. Ce terme traduit aussi des lieux où leshommes peuvent développer des qualités tellesque la ruse, l’endurance et l’adresse qu’ils ne peu-vent mettre à profit dans le domestique (Descola2004). Même si l’opposition sauvage/domestiqueest toujours aléatoire car très dépendante du res-senti de chaque société et même de chaque obser-vateur, ces lieux de pratiques exceptionnelles, oùles hommes chassent le cerf, sont aussi ceux où se

trouvent les abris peints. L’espace de la graphieschématique est en limite des territoires, loin desactivités quotidiennes, dans le sauvage. Certainssites ornés sont même placés au niveau de pas,c’est-à-dire de cols, d’un accès souvent difficile,empruntés par les animaux. Le cerf est effective-ment l’animal sauvage le plus représenté dans lesdécomptes fauniques de la fin du Néolithique,dans le sud de la France et en Espagne. Si l’on cal-cule en poids de viande, il est même surreprésenté,mais sa dépouille fournit aussi un cuir souple, desos longs et des bois pour fabriquer divers outils,des canines à transformer en pendeloques, etc.Les scènes de chasse sont rarissimes. L’exemplairede Cogul en Catalogne, où un homme branditune arme d’une taille ridicule devant un cerf tan-dis qu’un second animal est renversé sur le dos,les quatre pattes dressées, est sans doute unique.On connaît trois figurations de capture d’un cer-vidé à Mallata, en Aragon (dans ce volume), l’ani-mal tenu au bout d’une longe, que l’on rapprochede l’éloquente scène levantine d’Arpan L(Baldellou et al. 1995) où plusieurs hommesretiennent un grand cerf. Bien sûr, une capturen’est pas automatiquement annonciatrice de ladomestication de l’animal, on ne sait pas ici qui,des Levantins et des Schématiques, a copié la thé-matique des autres, et la scène n’est peut-être quemétaphorique, du moins sans rapport avec un faitréel (Hameau & Painaud 2004). Ailleurs, les cerfssont représentés sans qu’on puisse, a priori, lesopposer à l’homme (Fig. 10). Ils figurent tout auplus aux côtés de l’homme, ou de l’idole. Ils sontle plus souvent d’âge avancé, remarque déduitedu nombre d’andouillers que portent les mer-rains, jusqu’à présenter des « têtes bizardes »comme au Canchal de las Cabras Pintadas dansles Batuecas (Salamanca), déformations impu-tables au vieillissement de l’organisme autantqu’au stress. Toutefois, l’animal n’est vraimentreprésentatif que par l’ampleur de ses bois, parfoisexagérée lorsqu’il est peint sur la paroi. Bien desreprésentations ibériques de cerfs sont même del’ordre des images mentales : d’invraisemblablesramures sortant d’un corps vaguement zoo-morphe telles le cervidé du Cantos de la Visera.Cela pourrait suggérer que leurs auteurs n’ont pas

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FIG. 10. – Divers cervidés du sud de la France et de la Péninsule ibérique.a. Abri de los Organos (Despeñarros, Jaen) (relevé H. Breuil) ; b-c. Canchal de las Cabras Pintadas (les Batuecas,Salamanca) (relevé H. Breuil) ; d. Abri n° 12 Baume Brune (Gordes et Joucas, Vaucluse) (relevé Ph. Hameau) ; e. Cantos dela Visera (El Arabi, Cadiz) (relevé H. Breuil).

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toujours une connaissance intime de l’animal etqu’ils le dessinent peut-être d’après la descriptionqui leur en est simplement faite, un peu commeces animaux exotiques et fabuleux du Moyen Âgereprésentés d’après des récits de voyageurs. Cescerfs ne sont sans doute que des idées de cerfs.

LE CERF COMME SIGNE

Considérons maintenant, non pas le cerf sous desversions graphiques plus ou moins réalistes ouidéales, mais le signe qui le représente. Ce signe,en tant que « caractère » dans un système gra-phique, obéit-il aux mêmes lois d’application surun support que les autres principales catégories designes que sont le personnage masculin et l’idole ?Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre catégorie, desmanières d’apposer et d’agencer les figures sontrécurrentes. Il existe en effet un sens de lecture desreprésentations, droites, couchées ou inversées, etcette position vaut pour les différentes morpholo-gies de la même figure, complète ou très simplifiée.Deuxième observation, ces figures sont régulière-ment associées au signe soléiforme, notammentsous sa version ponctuée, que cette association soitexprimée par la juxtaposition des deux signes oupar leur contraction, c’est-à-dire leur fusion en unenouvelle figure : arceau dont le tracé est fait depoints juxtaposés, personnage à tête rayonnante,etc. Enfin, une même figure peut être doubléemais le doublement est imparfait dans le sens oùles deux représentations ne sont pas vraiment iden-tiques : l’une est pourvue d’un détail que l’autren’arbore pas, leurs dimensions sont ostensiblementinégales, ou encore leur sens de lecture est inverse.Dans de nombreux cas de doublement, une desfigures est ponctuée et l’autre ne l’est pas. Il fautdonc compter avec la translation d’une figure, avecsa duplication et avec son association au point. Laponctuation s’avère une valeur essentielle du sys-tème graphique schématique. Hélas, les peinturessont labiles et des points ont certainement disparu,ce qui change tout à fait le sens donné initialementà la figure. Les cupules, qui sont des ponctuationsgravées, résistent mieux à l’érosion.La confirmation de ces règles graphiques et del’importance du point est avérée à Baume Peinte.Dans la rotonde sud, un axe horizontal constitué

de cinquante-sept ponctuations traverse le pan-neau. Or, à gauche et en dessous de l’axe ponctué,les figures sont en position couchée ou aberrantetandis qu’à droite et au-dessus de cet axe, ellessont en position droite, elles sont parfois doubléeset quand elles le sont, une figure est ponctuée,l’autre non. On y observe deux signes losangiquesau-dessus de la ligne de points, l’un plus petit quel’autre qui renferme en outre des points. On yremarque aussi, toujours dans le registre supé-rieur, deux arceaux côte à côte, l’un en trait plein,l’autre en trait ponctué. Le cerf est présent danscette composition. Il est en position aberrantesous l’axe ponctué et en position droite, prèsd’une série de points, au-dessus du même axe.Le cervidé répond bien aux mêmes normes gra-phiques que les autres signes. Son sens de lectureest triple : droit ou bien dressé d’où le qualificatifd’aberrant, comme à Baume Peinte, ou encorerenversé, c’est-à-dire étendu sur le dos, comme àCogul. Il est parfois associé à des points, ce qu’onobserve à Baume Peinte ou aux Eissartènes. Surce site, l’association du cerf avec le point estd’ailleurs indépendante de sa morphologie : ani-mal entier ou simple signe élaphomorphe. Unexemple de contraction du signe soléiforme avecle cerf existe au tajos de las Figuras (Cadix) : ungrand soleil est nanti de rayons en ramures de cer-vidé. Le cerf est doublé à Pierre Escrite, la distinc-tion étant exprimée par l’extrémité des bois desdeux animaux. Quelques spécimens ibériquesmontrent des cervidés associés dont l’un est pluspetit en taille comme à la covatilla del Rabanero(Ciudad Real). Ces observations suggèrent doncque le cerf est conçu, au Néolithique, comme latroisième figure principale du corpus schéma-tique et sans doute, compte tenu de sa fréquence,comme le représentant du monde animal.

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droit

couché

inversé

associé au point

idole homme

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DEUX ÉTATS DU CERF MÂLE

Si l’on considère la cohérence du système gra-phique, le doublement du cervidé nous amène àformu ler une hypothèse supplémentaire.L’existence des sites ornés et de l’expression sché-matique nous semble répondre à la mise enœuvre d’un concept que résument les termes depassage et de transformation (Hameau 2002).Peinture, gravure et sculpture constitueraient letémoignage et l’indispensable accompagnementgraphique d’une évolution, d’un changement,physique, social ou culturel, des choses et desêtres. Nous soupçonnons, au voisinage des paroispeintes et des rochers gravés, des rites de passageen relation avec le débitage des matièressiliceuses : hommes et matériaux s’y transfor-ment. Certaines stations sont également ornées etsépulcrales, et le passage serait alors celui d’unmonde à l’autre, d’une vie terrestre à l’au-delà. Àchaque fois, il s’agit d’un changement d’état oude statut. Or, si cette mutation s’opère sur lessites ornés, il est possible que l’expression gra-phique s’en fasse le témoin, que les signes expri-ment eux aussi la transformation des êtres : idole,homme et animal. Le doublement imparfaitd’une figure pourrait symboliser la conversion decelle-ci, une sorte d’avant et après transformation,ou même des stades très divers de cette métamor-phose conformément aux étapes pré et post-limi-naires qui procèdent d’un rite de passage tel quedécrit par Van Gennep (1909). La récurrence dudoublement d’un signe dans l’expression schéma-tique a été signalée de longue date mais souventassimilée à l’évocation de deux êtres de sexeopposé (un homme et une femme, une idolemasculine avec une idole féminine) ou bien dedeux jumeaux, supposés mythiques et/ou primor-diaux. Dans bien des cas, surtout pour le person-nage, il est impossible d’arguer une différence desexe : il s’agit en fait de deux figures masculines. Ilest plus difficile d’écarter l’hypothèse de la gémel-lité sauf à faire remarquer les nombreuses imper-fections du doublement. Parfois aussi, on asupposé une différence générationnelle expriméepar la différence de taille entre les deux figures,une mère et une fille par exemple, même si aucundétail anatomique n’indique leur sexe. Il est évi-

dent qu’au cas par cas, toutes ces suppositionsrestent plausibles. En revanche, si nous pensonsqu’il n’y a pas deux sexes mais deux états de lamême personne, en relation avec les transforma-tions réelles accomplies sur le site orné, nous pou-vons également nous interroger sur le cas ducervidé imparfaitement doublé.Lorsque les bois sont indiqués, il ne peut êtrequestion que de sujets mâles. On peut alors se de-mander si les terminaisons différentes des ra-mures des cerv idés de P ierre Escr ite sontrévélatrices d’une différence d’âge et si des détailsn’ont pas disparu au Rocher du Château, détailsqui, à l’origine, auraient servi d’éléments distinc-tifs entre les huit cerfs. À Baume Peinte, c’est bienl’axe ponctué qui symbolise l’opposition des deuxregistres, avec un cerf singulièrement positionnéen bas et un autre normalement représenté enhaut. Dans le sud de la France, aucune scène nejuxtapose un quadrupède sans appendices fron-taux près d’un cervidé mâle. Dans la Péninsuleibérique, de tels exemples sont connus et les ani-maux sans bois systématiquement identifiéscomme des biches : Parrajaco (Cadiz), Covatilladel Rabanero (Ciudad Real), vase de Santa Fe deMondujar (Almeria). Or, ils portent des bois,mais de petite taille. Les deux traits courts, parfoisincurvés, qui partent du crâne, ne représententpas les oreilles de la biche. Certes, celle-ci arboredans la nature de grands pavillons mais l’expres-sion schématique ne signale jamais les organes ex-ternes de l’audition, ni chez l’homme, ni chezl’idole ou l’animal. Ne faut-il pas plutôt y voir lespivots ou surtout les dagues des très jeunes cervi-dés mâles ? D’un point de vue éthologique, le sta-tut du daguet est à l’inverse de celui du cerfadulte. Au sein de la harde, il préfère encore lacompagnie des jeunes cerfs et des femelles. Il est àpeine pubère, non fécond et d’ailleurs ne bramepas . I l ne const itue pas encore un vér itab leconcurrent sexuel des cerfs adultes qui viventseuls une partie de l’année et combattent entreeux, à l’automne, pour la possession des biches.La gravure ga l ic ienne du Laxe dos Lebres(Fig. 11) nous semble révélatrice de cette opposi-tion entre cervidés, jeune et adulte. Deux cerfssont représentés l’un sous l’autre en fonction d’un

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axe de symétrie mais l’effet de miroir est impar-fait. L’animal inférieur, renversé, porte deux boiscourts dont les extrémités se rejoignent. Il n’estpas sexué. L’animal supérieur, en position droite,est un dix-cors, représenté tête levée et sexe dressé.Au niveau de son cou, sont gravées deux cupuleset à hauteur de l’axe de symétrie, neuf cupules

sont incluses dans un cercle. Cette compositionest pour partie analogue à celle de la rotonde sudde Baume Peinte. L’opposition haut/bas semblebien concerner un être de même sexe (les deuxcerfs portent des bois) mais les organes reproduc-teurs ne sont une réalité tant physique que socialeque chez l’adulte figuré dans le registre supérieur.

FIG. 11. – Le doublement du cervidé mâle au Laxe dos Lebres, Galice, Espagne (relevéPh. Hameau).

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BOUQUETINS ET SERPENTS

LES ANIMAUX

L’inventaire des espèces animales figurées dans lesud de la France ne fait donc état que d’un casavéré de bouquetins, à Baume Brune. Les deuxanimaux nous apparaissent comme la reproduc-tion à l’identique d’un sujet mâle. Aucun élé-ment, même pas une ponctuation, ne vientappuyer l’argumentation qui précède sur l’imper-fection du doublement mais le bouquetin infé-rieur est mal conservé : la tête et le poitrail ontpratiquement disparu.En Espagne, le bouquetin est parfois égalementdoublé mais là encore aucun élément distinctif,de sexe, d’âge ou de statut n’est observable. Lebouquetin y apparaît souvent mêlé aux cervidésdans des panneaux, sans qu’il soit possible d’éta-blir le sens de cette association.Interpréter la valeur symbolique du serpent dansle corpus schématique reste délicat. Par habitude,il est considéré comme un animal chtonien, sou-terrain, mais sa place dans les compositions parié-tales ne confirme ni n’infirme cette attribution. Iln’est pas positionné dans le registre inférieur despanneaux par exemple mais donné à voir commetout autre signe, en des endroits du support qui nepeuvent être conçus comme singuliers. Toutefois,ce statut d’hôte des mondes cachés est compré-hensible. Sa présence physique dans les contextesfunéraires néolithiques est régulièrement signaléesans qu’on puisse souvent décider si elle est volon-taire ou fortuite : si l’animal a été ou non déposépar l’homme. Au naturel, le serpent recherche detels milieux, trouve sa place dans les amas depierres. Les constructions tumulaires l’attirent sibien qu’on peut se demander s’il n’a pas été consi-déré comme inhérent à ces structures, comme leproduit d’une sorte de « génération spontanée ».Pour autant, le serpent en tant que signe n’est paslié qu’aux seuls contextes funéraires puisque l’abriDalger n° 3 n’est qu’un vague surplomb rocheuxsans possibilité du moindre contexte mobilier.

ASSOCIATIONS À D’AUTRES SIGNES

Pour le bouquetin et le serpent, nous ne dispo-sons d’aucun exemple français de translation de

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ces figures ou de leur association au point,comme nous l’avons démontré pour le cerf. Ilnous faut solliciter l’iconographie schématique dela Péninsule ibérique. La relation « animal +point(s) » y est notamment récurrente. Ainsi, autajos de las Figuras (Cadix), le grand serpent aucentre de la composition et les nombreux capri-nés filiformes sont nettement figurés en associa-tion avec des alignements de points, ressemblanten cela aux cervidés des Eissartènes. Le point, quisemble traduire un statut particulier des êtres,sans doute évocateur de leur transformation, s’ap-plique donc à d’autres animaux que le cerf.Dans le cadre plus large des figures proches desanimaux que nous évoquons ici, et quand il estpossible de les croire strictement contemporainesdes premiers, c’est-à-dire quand l’observation deleur style et de leur technique nous permet desoupçonner l’existence de véritables associationsde signes, certains faits se répètent. Ainsi, cervi-dés, caprinés et serpents entretiennent une mêmerelation de proximité avec le personnage associéau point et parfois avec l’idole ponctuée ou non.Cette association est donc analogique quandl’animal est ponctué comme le sont l’homme etl’idole : à Baume Peinte, tous trois ont le mêmestatut d’êtres qui ont passé (qui ont franchi laligne ponctuée). En revanche, l’homme seraitdoté d’une valeur supérieure à l’animal, à l’abriDalger n° 3 et à la grotte de la Béate du Desteloù, respectivement, serpent et capriné ne sont pasponctués.

Baume peinte

Eissartènes A

Dalger n°3

Béate du Destel

LE CONTEXTE DES SIGNES ANIMALIERS

Dépendants d’une géomorphologie qui offre unchoix plus ou moins large de supports à peindreou à graver, les sites ornés nous apparaissent enretrait des terres potentiellement cultivables. Il estpossible qu’ils aient été, pour un certain nombred’entre eux, intégrés dans des zones où pouvait se

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pratiquer une transhumance de proximité, auquotidien. Cela n’en fait pas pour autant des sitesà vocation pastorale à toutes les époques et àtoutes les saisons, et aucun d’entre eux n’a resti-tué les preuves d’une stabulation des troupeauxpendant la Préhistoire, encore moins de leur ges-tion. Ce serait télescoper dans les mêmes lieuxdeux activités, peindre et serrer le troupeau, quin’ont en commun que la configuration des lieux :des abris de grande dimension bien exposés ausud. En revanche, personne ne dirait d’eux que cesont des sites à usage apicole alors que la configu-ration des lieux requise pour cette activité est lamême. Si on a pu, pour certains contextes, soup-çonner ou démontrer que le berger était l’auteurd’un marquage de la roche et de son territoire, ilest impossible d’affirmer qu’il est responsable desfigures que nous analysons ici. Comme nousl’avons évoqué plus haut, nous supposons pources abris peints d’autres usages sur la foi ducontexte archéologique étudié et d’après laconjonction de nombreux paramètres géogra-phiques et topographiques. L’usage sépulcral decertains sites est patent et l’art schématique engénéral est effectivement lié à divers types destructures funéraires : grottes, hypogées ou dol-mens. L’expression graphique accompagne par-fois l’extraction et/ou la transformation etcirculation des matières siliceuses, voire d’autresmatériaux. Il est possible d’évoquer la ségrégationet même la réclusion de leurs visiteurs pour desabris et grottes ornés, perchés ou aisément obtu-rés. Le mobilier retrouvé sur les sites nantis d’uneesplanade, où le stationnement est possible, per-met d’évoquer des bivouacs temporaires et répé-tés. Ce ne sont pas des habitats dans le sens d’unequotidienneté de la présence des groupeshumains, démonstration faite par la comparaisonqualitative du mobilier des deux types de site :absence de vases de resserre, de certains témoinsde l’industrie lithique et osseuse sur les abrispeints par exemple.La faune est présente sur ces sites, éparse et frag-mentée, nous permettant d’évoquer une alimen-tation carnée. Sa représentation est proche decelle des grands habitats de plaine. La BaumeSaint-Michel dans les gorges du Carami, dont le

statut de site orné ne fait plus de doute au vu desrécentes analyses pigmentaires (Hameau et al.2001), a restitué plus de 1 400 fragments osseuxanimaux dans le niveau attribué au Néolithiquefinal. La proportion des restes déterminés est de17,8 %. La faune domestique domine (88,3 %)avec 49 % de petits ruminants, 16,5 % de bœufet 17,5 % de porc. Le chien est très peu présent.Les espèces chassées (11,7 %) sont le cerf (7 %)suivi du lapin de garenne (2,8 %), du sanglier etdu renard. Ces résultats sont très proches de ceuxobtenus sur un (petit) échantillon de restes fau-niques de l’habitat de plein air du Néolithiquefinal dit le Plan Saint-Jean, à dix kilomètres delà : chasse réduite à 10 % des espèces avec du cerfet du chevreuil principalement. Dans son calculde la biomasse associée à la chasse, A.C. Pahin-Peytavy rapproche la Baume Saint-Michel d’unautre site de gorges, la grotte Murée à Baudinard(Hameau et al. 1994). Elle détermine aussi lacourbe d’abattage des ovicaprins qui trahit unegrande diversité des âges des bêtes.La Bergerie des Maigres (Fig. 12), à quelques kilo-mètres plus au sud, a également restitué un abon-dant mobilier attribuable au Néolithiquemoyen/final avec quelques éléments campani-formes. L’assemblage est mal conservé si bien queseuls 12 % des 7 000 fragments osseux ont pu êtredéterminés à la fois anatomiquement et spécifi-quement. Les taxons domestiques représentent82,3 % de l’ensemble où dominent les petitsruminants (58,7 %) suivi du porc (18,4 %) et loinderrière du bœuf (4,7 %). La chasse porte cettefois, d’abord sur le lapin (7,2 %), puis sur le cerfet le sanglier (4,9 % et 4,7 %, respectivement).On a encore quelques carnivores (martre/fouine etblaireau, voire loup) et quelques oiseaux. Pour lecerf, les chiffres seraient un peu différents si l’onavait comptabilisé les petites esquilles et surtoutles extrémités d’andouillers. Elles peuvent trèsbien provenir de bois de chute et, à ce titre, nesont pas incluses dans les calculs. Les fragments lesplus conséquents ont pu, à notre sens, participerau façonnage des armatures de flèches retrouvéesen grand nombre sur le site, quarante-sept entout. L’analyse des éclats de silex (1 206 éclatsd’une longueur moyenne de 13,8 mm) a montré

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qu’ils provenaient dans leur grande majorité del’élaboration sur le site de pièces bifaciales (dégros-sissage et régularisation). La dizaine d’extrémitésd’andouillers de cervidé découvertes à la Bergeriedes Maigres, portant pour certaines des tracesd’écrasement, pourrait donc représenter despointes de retouchoirs destinés à la confection, surplace, des armatures. Certaines de ces dernièresont sans doute été utilisées après fabrication : septd’entre elles (14,8 %) montrent les stigmates d’ac-cidents de jet.Nous avions d’abord supposé que la faune de cesite pouvait résulter de petits viatiques alimen-taires en relation avec des séjours de moindredurée sur les lieux. L. Gourichon (inédit) proposed’autres hypothèses qu’il aborde avec beaucoupde prudence, bien sûr, puisque l’étude archéozoo-

logique dans un contexte de site orné est choseunique pour le sud de la France. Le statut parti-culier du site est principalement argumenté par leprofil d’abattage des caprinés. Il pourrait s’agird’un profil de consommation car il y manque letémoignage d’une régulation des troupeaux tellequ’elle est normalement attendue pour des habi-tats sédentaires ou de producteurs. À quelquesexceptions près (indices mineurs de productionde lait), il ne subsiste à la Bergerie des Maigresque des animaux en pleine force de l’âge (de 1 à3 ans) destinés à être consommés. De plus, ilsemble que l’on soit en présence d’individusentiers, qui étaient abattus sur place, puisquetoutes les parties du squelette ont été retrouvées.Il n’y aurait pas de morceaux choisis, particuliers.En conséquence, on peut s’interroger sur la possi-

FIG. 12. – Restitution axionométrique de la Bergerie des Maigres, Signes, Var. P. : emplacement des peintures(dessin de J. Morin).

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bilité d’activités rituelles sur cet abri peint, activi-tés qui pourraient être aussi bien le sacrifice d’ani-maux domestiques que des festins à caractèrereligieux ou non. On touche là aux limites del’interprétation mais ces observations ouvrentmanifestement une piste pour des recherchesultérieures sur d’autres contextes où cohabitentfaune et expression graphique.

CONCLUSION

Les activités des hommes traduisent, pour partiedu moins, la manière dont ceux-ci se représententle monde. Nous pouvons supposer que l’expres-sion graphique, plus même que tout autre témoi-gnage matériel, peut nous renseigner sur lescomposantes et les conditions du réel social(Godelier 1999) et qu’elle contribue à exprimerles moments primordiaux de l’existence desgroupes humains, en l’occurrence ici, les commu-nautés agro-pastorales du Néolithique dans le sudde la France. Nous insistons dans un premiertemps sur la notion de passage et de transforma-tion car elle nous semble rythmer l’existence deshommes et leur discours symbolique. Sur lessites, nous soupçonnons des pratiques, réelles,liées à la conversion des hommes et de la matière,et sur les parois et les rochers, il nous semble queces faits s’appliquent bien aux hommes mais aussiaux animaux et surtout à l’un d’entre eux, le cerf.Pour ce dernier, des observations d’ordre étholo-gico-social nous amènent à le considérer commeréellement emblématique du concept de transfor-mation et à nous demander si sa conduite et sasociabilité ne seraient pas conçues comme le refletde la société des hommes. Le cerf est une espècegrégaire, sans hiérarchie de dominance bien défi-nie sauf au temps fort de la reproduction où laprésence des vieux mâles inhibe les sujets plusjeunes et les contraint à rester socialement impu-bères jusqu’à ce qu’ils fassent les preuves de leurmaturité et de leur force. Le comportement étho-logique du cerf serait donc, à ce titre, représenta-tif de sociétés humaines où les pratiques depassage des individus sont obligatoires et néces-saires à la cohésion du groupe.

Le bouquetin adopte un comportement social rela-tivement semblable à celui du cerf ce qui pourraitexpliquer son insertion dans le corpus iconogra-phique. Toutefois, aucun changement physiolo-gique ne l’affecte aussi régulièrement que le cerf. Sareprésentation dans des contextes où il n’est pasphysiquement présent souligne son statut d’animalsymbolique, intégré dans la mythologie des popu-lations du Néolithique. Il est un animal lointain aumême titre que l’est le cerf, éloigné des hommespar une sorte de contrat de non-domestication etpartant candidat à la mythification. Lointain aussiest le serpent si l’on admet qu’il hante les profon-deurs et fréquente l’au-delà, cet espace où s’éterni-sent les « trépassés ». Ces animaux, cerf, bouquetinet serpent, ne sont pas toujours représentés seuls.Le système graphique schématique insiste sur leurrelation avec des figures que la ponctuation trans-cende, qu’il s’agisse de l’homme ou de l’idole. Ilfaut peut-être considérer ces associations commeun rapport des animaux avec des personnalités spé-cifiques : initiés, guerriers, chefs, adultes, défunts,héros, ancêtres, etc.L’animal domestique est rare dans l’expressionschématique du Néolithique, inconnu dans lesud de la France. L’acte graphique exprime sur-tout des animaux rendus exceptionnels par leursparticularités comportementales et leur rapportanalogique avec les hommes, à la fois égaux etrivaux de ces derniers. On conçoit que le chepteldes communautés paysannes soit perçu toutautrement. Il n’est pas symbolique d’un antago-nisme à l’homme. Par contre, l’hypothèse d’acti-vités sacrificielles au pied de la paroi ornée de laBergerie des Maigres nous permet d’envisagerune relation à l’animal domestique qui ne soitsimplement celle d’une consommation carnée auquotidien. Dans ce cas, le rapport de subordina-tion de l’homme sur la bête est patent car le sacri-fice animal n’est possible que si l’animal estinférieur à l’homme. Il supposerait même unestratification ternaire de la société (Testart 1993)puisque les hommes offrent l’animal aux dieux oudu moins aux êtres qu’ils ont placés dans lasphère du supranaturel.La variabilité et la complexité des rapports qu’en-tretiennent hommes et animaux nous sont donc

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suggérées à la fois par les signes et par le mobiliermis au jour au pied des parois ornées. Discours etpratiques classent et définissent le statut des diffé-rents animaux dans leur relation aux hommes.Trois animaux, principalement, présentent desparticularités telles qu’elles sont intégrées dans lerépertoire symbolique des Néolithiques où ellessont confrontées à des êtres eux-mêmes singu-liers. Le bétail quant à lui s’inscrit dans le registrede la consommation mais aussi du don et del’échange où l’homme joue un rôle médian,dominant ses bêtes pour se concilier des forcessupérieures.

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Hameau Ph.

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Soumis le 12 décembre 2005 ;accepté le 26 avril 2006.