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juiN 2013 • NuMÉRO 112 PRiX : 23 ANNALES DES MINES GÉRER & COMPRENDRE N° 112 Juin 2013 UNE SÉRIE DES ANNALES DES MINES FONDÉES EN 1794 ISSN 0295.4397 ISBN 978-2-7472-2069-9 9 782747 220699 QU’EST-CE QUE LA RECHERCHE QUALITATIVE ? PROBLÈMES ÉPISTÉMOLOGIQUES, MÉTHODOLOGIQUES ET DE THÉORISATION LA GPEC : DE LA LOI AUX PRATIQUES RH – IDENTIFICATION DE QUATRE IDÉAUX-TYPES BAKED BEANS OU CASSOULET ? UNE NOUVELLE PERSPECTIVE SUR L’ACCULTURATION DU CONSOMMATEUR Publiées avec le soutien du ministère de l’Économie et des Finances Couv. GC N° 112_couv 04/06/13 11:29 Page1

ANNALES DES MINES · aux auteurs. Il arrive que les désaccords gagnent à être publiquement explicités, soit parce que cela peut faire avancer la connais-sance, soit parce que

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juiN 2013 • NuMÉRO 112

PRiX : 23 €

ANNALES DES MINES

RE

R &

CO

MP

RE

ND

RE

N° 11

2Juin 2013

UNE SÉRIE DES

ANNALESDES

MINESFONDÉES EN 1794

ISSN 0295.4397

ISBN 978-2-7472-2069-9

9 782747 220699

QU’EST-CE QUELA RECHERCHEQUALITATIVE ? PROBLÈMESÉPISTÉMOLOGIQUES,MÉTHODOLOGIQUESET DE THÉORISATION

LA GPEC : DE LA LOIAUX PRATIQUESRH – IDENTIFICATIONDE QUATRE IDÉAUX-TYPES

BAKED BEANSOU CASSOULET ?UNE NOUVELLEPERSPECTIVESUR L’ACCULTURATIONDU CONSOMMATEUR

Publiées avec le soutien du ministère de l’Économie

et des Finances

Couv. GC N° 112_couv 04/06/13 11:29 Page1

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À quoi ressemble la vie d’un génie de trente-cinq ans, lauréat de la prestigieuse médailleFields ? Comment intérimaires, prestataires, stagiaires et précaires de tous types vivent-ils aux côtés des salariés bénéficiant de CDI ? Que mangent les expatriés anglais àToulouse : cassoulet ou baked beans ? Comment un sous-traitant marocain apprend-il àtravailler avec Renault désormais installé à Tanger ? La loi Borloo impose, depuis 2005,la GPEC aux entreprises de plus de trois cents salariés, mais avec quels effets ?Pour la cent douzième fois de son existence, Gérer et Comprendre offre à ses lecteurs unemosaïque de textes que d’aucuns trouvent parfois bien éloignés de la rigueur apparentedes séries statistiques si chères à nos amis anglo-saxons. Mais que peuvent nous dire les chiffressur les processus de création et leur relation avec la vie de famille d’un chercheur, fût-il un génie ?Ou sur l’expression, au travers des comportements alimentaires familiaux ou des relations quoti-diennes avec les partenaires de travail, de la difficulté d’être étranger à un pays, à une culture, àun statut social ? N’est-ce pourtant pas dans ces petites choses du quotidien, dans ces singulari-tés locales, que se montre le mieux la richesse et la profondeur du vivant qu’une approche statis-tique et formelle réduit à ne plus être qu’une surface plane et stérile ? Depuis des siècles, les artistes, peintres, poètes, écrivains s’efforcent de croiser leurs techniquesjusqu’à ce qu’apparaissent le mystère et l’épaisseur du vivant. Certains le font dans la fulgurance,d’autres avec douleur. Croiser des techniques, le faire avec patience et méthode, partir du réel quise révèle à nous et non de modélisations contraignantes, c’est là toute l’approche que nous défen-dons dans ces pages depuis des lustres. Dans le droit fil de cette démarche, Hervé Dumez nouslivre ici une synthèse de ses réflexions et travaux sur la méthodologie de la recherche qualitativeet son articulation avec la démarche quantitative. Nul dogmatisme ici, mais la démonstrationqu’être un vrai scientifique n’oblige pas à être soumis à tel ou tel modèle ou à telle ou telle théo-rie. Cédric Villani, le médaillé Fields dont Frédérique Pallez commente l’autobiographie, n’est pasun être abstrait. Sa recherche se fonde et se nourrit de sa vie d’homme, passionné et inquiet,entouré de sa famille et de ses collègues, mais toujours libéré de tout a priori dans sa démarcheet sa méthode de travail. C’est cette exigence forte mais féconde que Gérer & Comprendre s’ef-force, et s’efforcera encore longtemps, de défendre.« Parler, et à plus forte raison discourir, ce n’est pas communiquer, c’est assujettir », disait RolandBarthes (1). Voilà matière à méditer pour ceux qui maîtrisent si bien (un peu trop, parfois) l’artdu discours…

Pascal LEFEBVRE

juin 2013, Numéro 112

ÉDITORIA

L

GÉRER ET COMPRENDRE • JUIN 2013 • N° 112 1

GÉRER & COMPRENDREest une série des

Annales des MinesCréée à l’initiative de l’Amicale des

ingénieurs du Corps des MinesRéalisée avec le

concours du Centrede recherche en

gestion de l’ÉcolePolytechnique

(1) Roland Barthes, Discours au Collège de France, 1977.

001 Editorial_Mise en page 1 06/06/13 09:36 Page1

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GÉRER ET COMPRENDRE • JUIN 2013 • N° 1122

LE CHOIX DES RAPPORTEURSChaque article est donné, selon la règle du« double aveugle », à au moins deux rappor-teurs, membres du comité de rédaction. Lecomité fait appel à des évaluateurs extérieursquand l’analyse d’un article suppose de mobi-liser des compétences dont il ne dispose pas.

LES DÉBATS DU COMITÉ DE RÉDACTIONLe comité se réunit huit fois par an, chaquerapporteur ayant préalablement envoyé soncommentaire au président du comité derédaction. C’est le comité de rédaction deGérer et Comprendre qui décide collective-ment des positions à prendre sur chaque arti-cle. Chaque rapporteur développe son avis, cequi nourrit un débat quand ces avis divergent.Après débat, une position est prise et signifiéeaux auteurs. Il arrive que les désaccordsgagnent à être publiquement explicités, soitparce que cela peut faire avancer la connais-sance, soit parce que les divergences ducomité sont irréductibles. L’article est alorspublié avec la critique du rapporteur en dés-accord, un droit de réponse étant donné àl’auteur. Ces débats permettent d’affiner pro-gressivement la ligne éditoriale de la revue etd’affermir son identité.

LES INTERACTIONS ENTRE LES AUTEURSET LE COMITÉLes avis transmis aux auteurs peuvent êtreclassés en quatre catégories :• oui car : l’article est publié tel quel et lecomité explique à l’auteur en quoi il a appré-cié son travail ; il est rare que cette réponsesurvienne dès la première soumission ;• oui mais : l’article sera publié sous réservede modifications plus ou moins substan-tielles, soit sur le fond, soit sur la forme ;• non, mais : l’article est refusé, mais unenouvelle version a des chances d’être acceptéemoyennant des modifications substantielles ;les auteurs peuvent avoir un dialogue avec leprésident du comité ; cela n’implique toute-fois pas une acceptation automatique ;• non car : l’article est refusé et l’auteur doitcomprendre qu’il n’a pratiquement aucunechance de convaincre le comité, même aprèsréécriture.Gérer et Comprendre peut aussi évaluer lesarticles écrits en allemand, anglais, espagnolet italien.

LES CRITÈRES DE REJETPour préciser quels articles la revue souhaitepublier, le plus simple est d’indiquer ses cri-tères de rejet :• DES CONSIDÉRATIONS THÉORIQUES FONDÉES SUR AUCUNE OBSERVA-TION OU EXPÉRIMENTATION : mêmesi Gérer et Comprendre déborde la seule tra-dition clinique et expérimentale dont elleest née, elle se méfie des considérationsthéoriques déployées sans confrontationavec les faits. Le plus souvent, les méthodesde validation statistiques laissent sceptiquele comité, bien que plusieurs de ses mem-bres (qui ne sont pas les moins critiques…)aient par ailleurs une large expérience de

l’enseignement des méthodes mathéma-tiques et statistiques ;

• DES DESCRIPTIONS SANS CONCEPTS :à l’opposé du cas précédent, c’est ici ledéfaut de la narration sans structurationthéorique qui est visé ;

• DES TRAVAUX SANS PRÉCISION DESSOURCES : le fait de restituer des observa-tions ou des expériences pose naturellementun problème : le chercheur n’étant ni unobservateur invisible, ni un investigateurimpassible, il importe de préciser commentont été effectuées les observations rappor-tées, cela afin que le lecteur puisse juger parlui-même des perturbations qu’ont pu occa-sionner les interactions entre l’auteur et lemilieu dans lequel il était plongé ;

• UN USAGE NORMATIF DES THÉORIESET DES IDÉES : on a longtemps rêvé de loiset de solutions générales en gestion, mais cetespoir ne résiste pas à l’observation ; les arti-cles qui proposent, soit des théories implicite-ment ou explicitement normatives, soit desrecettes présentées comme générales, sontpratiquement toujours rejetés ;

• DES ARTICLES ÉCRITS DANS UNSTYLE ABSCONS : considérer que les textessavants ne doivent s’adresser qu’aux cher-cheurs est un travers étrange de la rechercheen gestion : c’est pourtant dans le dialogueentre théorie et pratique que naissent le plussouvent les connaissances les plus nouvelles,comme le montrent les dialogues desLumières, dont les Annales des mines portentl’héritage ; mais il faut pour cela que le stylesoit suffisamment clair et vivant pour encou-rager la lecture de ceux qui n’ont pas d’enjeuxdirects de carrière pour lire ; il arrive alors quele comité aide les auteurs pour amender laforme de leurs textes.

Mais nul papier n’est parfait : ainsi, certainsarticles publiés pèchent au regard des critèresci-dessus. Mais c’est aussi le travail du comitéque de savoir de quels péchés on peut absou-dre. Gérer & Comprendre est toujours atten-tive à favoriser les pensées vraiment originales,quand bien même elles seraient en délicatesseavec les règles énoncées ci-dessus.

INFORMATIONS PRATIQUESLes articles ne devront pas dépasser les 40 000signes, espaces compris.Ils devront être adressés par l’internet (de pré-férence) à l’adresse suivante :

[email protected] par voie postale en triple exemplaire à :

Caroline ELISSEEFFÉcole de Paris du Management,187, boulevard Saint-Germain

75007 PARIS.Merci de ne laisser dans le corps du texte(soumis au comité de façon anonyme) aucuneindication concernant l’auteur.Toutes les informations nécessaires aux rela-tions entre le secrétariat du comité et l’au-teur (titre de l’article, nom et qualités del’auteur, coordonnées postales, télépho-niques et Inter net, données biographiques,etc.) seront rassemblées sur une page séparéejointe à l’envoi.Les titres, les résumés et l’iconographie sontde la seule responsabilité de la rédaction.

RÉDACTION DES ANNALES DES MINESConseil Général de l’Économie,

de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologieswww.annales.org

Pierre COUVEINHES, Rédacteur en chefGérard COMBY, Secrétaire général

Martine HUET, Assistante de la rédactionMarcel CHARBONNIER,

Lecteur

GÉRER & COMPRENDRERÉALISATION

Manne HÉRON (†), Maquette intérieure

Hervé LAURIOT DIT PRÉVOST,ESE, Génie Atomique

Mise en pageStudio PLESS,

Maquette de couvertureChristine de CONINCK,

IconographeMarise URBANO,

Réalisation

ABONNEMENTS ET VENTESÉditions ESKA

12, rue du Quatre-Septembre 75002 Paris

Directeur de publicationSerge KEBABTCHIEFFTél. : 01 42 86 56 65 Fax : 01 42 60 45 35

TARIFSVoir encart p. 83-84

FABRICATIONAGPA Éditions

4, rue Camélinat42000 Saint-ÉtienneTél. : 04 77 43 26 70 Fax : 04 77 41 85 04

COUVERTUREDitz, Patchwork-birds, acrylique sur

panneau, 1995. Collection particulière.© Ditz.

Photo © THE BRIDGEMAN ART LIBRARY

PUBLICITÉEspace Conseil et Communication,

2, rue Pierre de Ronsard 78200 Mantes-la-JolieTél. : 01 30 33 93 57Fax : 01 30 33 93 58

TABLE DES ANNONCEURSAnnales des Mines : 2e et 3e de couverture

CONEXPO CON/AGG 2014 : 4e de couverture

GÉRER & COMPRENDRECOMITÉ DE RÉDACTION

Tél. : 01 42 79 40 84Gilles ARNAUDESCP Europe

Rachel BEAUJOLIN BELLETReims Management School

Michel BERRYPrésident

École de Paris du ManagementHamid BOUCHIKHI

Groupe ESSECThierry BOUDÈS

ESCP EuropeFrançoise CHEVALIER

Groupe HECBernard COLASSE

Université de Paris-DauphineCaroline ELISSEEFF

Secrétaire de rédactionPierre COUVEINHES,

Rédacteur en chef des Annales des Mines

Hervé DUMEZCentre de recherche en gestion

de l’École polytechniqueDaniel FIXARI

Centre de gestion scientifiquede l’École des mines de Paris

Dominique JACQUET Université Paris X Nanterre

Pascal LEFEBVREUniversité d’Évry-Val d’Essonne,

Éditorialiste de Gérer & ComprendreChristian MOREL

SociologueFrédérique PALLEZ

Centre de gestion scientifique de l’École des mines de Paris

Francis PAVÉCentre de sociologie des organisations

Jérôme TUBIANAGroupe DanoneMichel VILLETTEAgro Paris Tech

Jean-Marc WELLERLATTS – École Nationale des Ponts et Chaussées

GÉRER & COMPRENDRERELECTEURS HORS COMITÉ

Aurélien ACQUIERESCP Europe

Franck AGGERICentre de gestion scientifique de

Mines ParisTechNicole AUBERTESCP Europe

Julie BASTIANUTTI Centre de recherche en gestion

de l’École polytechniqueNathalie BELHOSTE

Reims Management SchoolMichel CAPRON

Institut de Recherche en Gestion -Université Paris-Est

Florence CHARUE DUBOCCentre de recherche en gestion de

l’École polytechniqueSylvie CHEVRIER

Institut de recherche en gestionUniversité Paris-Est Marne-la-Vallée

Franck COCHOYCERTOP - Université de Toulouse

Pascal CROSETPraxéo Conseil

Carole DONADA Groupe ESSEC

Christophe DESHAYES Tech2innovateAlain FAYOLLE

EMLYON Business SchoolJacqueline FENDT

ESCP EuropePatrice FOURNAS (DE)

Jouve et AssociésGilles GAREL

CNAMIsaac GETZ ESCP Europe

Patrick GILBERT IAE Paris

Alain HENRY Agence Française de Développement

Isabelle HUAULT Université Paris Dauphine

Sihem JOUINI BEN MAHMOUDProfesseur à HEC. Chercheur associéau Centre de recherche en gestion del’École polytechnique et au PESOR

Benoît JOURNE Université de Nantes

Jean-Yves KERBOURC’H Université de Nantes

Frédéric KLETZCentre de gestion scientifique

de Mines ParisTechHervé LAROCHE

ESCP EuropePhilippe LEFEBVRE

Centre de gestion scientifique de Mines ParisTechPhilippe LORINOGroupe ESSECRémy MANIAK

Télécom Paristech, Chercheur associéau CRG de l’Ecole polytechnique

Eléonore MARBOTESC Clermont

Etienne MINVIELLEINSERM

Nicolas MOTTISGroupe ESSECThomas PARIS

Chargé de recherche au CNRS, profes-seur affilié à HEC, chercheur associéau Centre de recherche en gestion de

l’École polytechniqueJean-Louis PEAUCELLE

IAE - Université de la RéunionGrégoire POSTEL VINAY

DGCISEmmanuelle RIGAUD LACRESSE

Reims Management SchoolNathalie RAULET-CROZET

IAE de Paris, Centre de recherche engestion de l’École polytechnique

Jean-Claude SARDASCentre de gestion scientifique de

Mines ParisTechJean-Baptiste SUQUET

Reims Management SchoolThierry WEIL

Mines ParisTech, La fabrique de l’Industrie

ANNALES

DES MINESFONDÉES EN 1794

ISSN 0295.4397

SÉRIE TRIMESTRIELLEN° 112 • juin 2013

LE FONCTIONNEMENT DU COMITÉ DE RÉDACTION DE

002 Comité Rédaction_Mise en page 1 06/06/13 17:27 Page2

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4LA GPEC : DE LA LOIAUX PRATIQUES RH –IDENTIFICATION DE QUATRE IDÉAUX-TYPESPar Ewan OIRY, Stéphane BELLINI,Thierry COLOMER, Jacky FAYOLLE,Nicolas FLEURY, Agnès FREDY-PLANCHOT,Marcus KAHMANN, Amaury GRIMAND,Florence LAVAL, Thierry LE GUELLEC,Jean-François LEJEUNE,Mathieu MALAQUIN, Florine MARTIN,Antoine REMOND et Sabine VINCENT

17L’ÉQUIPE COMPOSITEOU COMMENTUNE MAIN-D’ŒUVRE MIXTECOLLABORE AU SEIND’UNE ENTREPRISE ?�Par Marie-Rachel JACOB

29QU’EST-CE QUELA RECHERCHEQUALITATIVE ?PROBLÈMESÉPISTÉMOLOGIQUES,MÉTHODOLOGIQUESET DE THÉORISATIONPar Hervé DUMEZ

43BAKED BEANSOU CASSOULET ?UNE NOUVELLEPERSPECTIVESUR L’ACCULTURATIONDU CONSOMMATEURPar Laurence BUNDYet Geneviève CAZES-VALETTE

55APPRENDRE DANSUN RÉSEAU : LE CAS INÉDITD’UN FOURNISSEURAUTOMOBILE MAROCAINPar Nadia BENABDELJLIL

66Rachel BEAUJOLIN-BELLET(RE)PENSERL’ENTREPRISE ENTROIS DIMENSIONSÀ propos de l’ouvrage deBlanche Segrestin etd’Armand Hatchuel,Refonder l’entreprise, Seuil,coll. La République desIdées, 123 pages, 2012.

Christophe DEFEUILLEYMÉTROPOLES XXLEN PAYS ÉMERGENTSÀ propos du livre de DominiqueLorrain (dir.), Métropoles XXL enpays émergents, Les Presses deSciences Po, 408 pages, Paris,2011.

Frédérique PALLEZUNE AVENTUREMATHÉMATIQUEÀ propos du livre de Cédric Villani,Théorème vivant, Grasset, 2012.

Arnaud TONNELÉLA DESCENDANCEDE FREDERICK T.À propos du livre de BéatriceHibou, La bureaucratisation dumonde à l’ère néolibérale, LaDécouverte, 2012.

76BIOGRAPHIESDES AUTEURS

79ANGLAIS, ALLEMAND, ET ESPAGNOL

GÉRER ET COMPRENDRE • JUIN 2013 • N° 112 3

AUTRES TEMPS,

AUTRES LIEUX

MOSAÏQUE

EN QUÊTE DE THÉORIE

RÉALITÉS MÉCONNUES

juin 2013 • Numéro 112

SOMMAIRE

AUTEURS

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LA GPEC : DE LA LOIAUX PRATIQUESRH – IDENTIFICATIONDE QUATRE IDÉAUX-TYPESDepuis son adoption, le 18 janvier 2005, la loi de programmationpour la cohésion sociale (dite loi Borloo) impose aux entreprises deplus de 300 salariés de négocier un plan triennal de gestion prévi-sionnelle de leurs emplois.

L’étude que nous avons réalisée avait pour but d’évaluer l’impact desaccords signés en application de cette loi sur les pratiques de gestion desressources humaines des entreprises étudiées.Nous avons ainsi mis en évidence quatre types de Gestion prévisionnelle desemplois et des compétences (GPEC) très différents : la GPEC « instrumentali-sée », la GPEC « externalisée », la GPEC « agent de changement » et laGPEC « territorialisée et mutualisée ». Pour chacun de ces idéaux-types, nous détaillerons, outre leur finalité, com-ment la GPEC interagit avec les politiques RH, le dialogue social et le débatautour de la stratégie, dans les entreprises étudiées. Nous décrirons égale-ment les pratiques actuelles et proposerons des pistes de recherche pour lefutur.

Par Ewan OIRY*, Stéphane BELLINI*, Thierry COLOMER**, Jacky FAYOLLE**, Nicolas FLEURY**, Agnès FREDY-PLANCHOT*, Marcus KAHMANN**, Amaury GRIMAND*, Florence LAVAL*, Thierry LE GUELLEC**, Jean-François LEJEUNE**, Mathieu MALAQUIN**, Florine MARTIN**, Antoine REMOND** et Sabine VINCENT**

RÉALITÉS MÉCONNUES

*IAE de Poitiers – Université de Poitiers – CEREGE.

** Centre Études et Prospective du groupe ALPHA.

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INTRODUCTION

Le 18 janvier 2005, la loi de programmation pour lacohésion sociale (dite loi Borloo) a imposé aux entre-prises de plus de 300 salariés de négocier un plantriennal de gestion prévisionnelle des emplois et descompétences (GPEC). Plusieurs études et rapportsont proposé des bilans de cette loi et de sa mise enœuvre (DIETRICH, PARLIER, 2007 ; CHAPPERT,MARTINET, 2008 ; DGEFP, 2008 ; FERRY, DE

BROISSIA, BAUDRILLART, 2010 ; ROUILLEAULT, 2007).Certains d’entre eux ont analysé en détail la manièredont les entreprises et l’ensemble des acteurs se sontsaisis du dispositif, mais les pratiques concrètes deGPEC actuellement développées par les entreprisessont mal connues. C’est l’analyse de ces pratiques quenous nous proposons de faire dans cet article.Pour les explorer, nous utiliserons le cadre théoriquecontextualiste développé par Pettigrew (1990). Cecadre est fréquemment convoqué pour mener desanalyses de processus de changement, car il permetd’en donner une vision particulièrement riche en étu-diant trois variables inter-reliées : le contexte (ici, celuiprésidant à la négociation des accords GPEC et à leurdéploiement effectif ), le contenu (l’instrumentationde la GPEC et la nature des dispositifs instaurés parl’accord) et les processus (actions, réactions et interac-tions entre les différentes parties prenantes concernéespar l’accord) (PICHAULT, 2006).À partir de cette grille de lecture, notre approcheconsiste à analyser la dynamique d’appropriation desaccords GPEC tant dans leurs effets tangibles (notam-ment sur l’intégration GRH-stratégie) que dans leursconséquences inattendues. Nous nous intéresseronsen particulier aux usages que les directions d’entre-prises, les managers et les délégués syndicaux font deces accords.Pour mener cette recherche, nous avons fait le choixde réaliser des monographies, car celles-ci permettentd’explorer en détail les mécanismes qui relient entreeux les dimensions du contexte (circonstances de lanégociation des accords de GPEC, etc.), les élémentsdu contenu (instrumentation de la GPEC, etc.) et lescaractéristiques du processus (pratiques effectives,généalogie des accords, etc.). Des monographiesétaient donc nécessaires pour dépasser l’interprétationlittérale des accords conclus et pour expliciter lesinteractions au fil du temps entre la GPEC, les déve-loppements de la stratégie d’une entreprise donnée, sapolitique des RH et la dynamique de son dialoguesocial.L’analyse de ces pratiques prend donc un sens spéci-fique à chaque entreprise, en fonction, entre autres, deson secteur d’activité, de ses pratiques RH antérieureset de sa culture. Pour rendre compte de cette diversité,nous avons réalisé douze monographies approfondies(avec une moyenne de dix entretiens pour chaque cas)

dans des groupes industriels ou des groupes relevantdu secteur tertiaire. Nous avons également analysé auminimum deux entreprises dans chacun de ces sec-teurs, afin de pouvoir comparer les pratiques dans unsecteur donné. La notion de la compétence a toujours été marquéepar la très grande diversité de ses définitions(GILBERT, PARLIER, 1992). Bien qu’elle soitaujourd’hui relativement stabilisée (DEFÉLIX,KLARSFELD, OIRY, 2006), les pratiques de la GPECrestent très variées. Pour rendre cette diversité intelli-gible, les auteurs ont recours à des typologies (JOYEAU,RETOUR, 1999 ; PICHAULT, 2006 ; PARLIER, 2011 ;DELOBBE, GILBERT, LE BOULAIRE, 2011 ; KROHMER,RETOUR, à paraître). Dans le but de prolonger celles-ci, nous proposons dans cet article une typologie quirend compte des pratiques de GPEC identifiablesaujourd’hui dans les entreprises, la loi Borloo produi-sant désormais ses principaux effets.Après avoir présenté les 12 entreprises que nous avonsanalysées, nous montrerons que les deux axes quiopposent les accords offensifs et les accords défensifs,d’une part, et les GPEC tournées vers l’intérieur etvers l’extérieur de l’entreprise, d’autre part, permet-tent de donner un sens à ces pratiques différenciées etde les inscrire dans une perspective. Ces deux axes nous permettront de distinguer4 types de GPEC. Afin de montrer concrètementcomment ceux-ci se traduisent sur les plans de laGRH, du dialogue social et de la dynamique desorganisations, nous présenterons pour chacun d’euxl’exemple d’une entreprise particulièrement emblé-matique.

RAPPEL SUR LES PRATIQUES DE GPECET DE GESTION DES COMPÉTENCESAVANT LA LOI BORLOO

Pour rendre compte des pratiques de GPEC qui sesont développées après l’adoption de la loi Borloo, ilest tout d’abord nécessaire de détailler les pratiques deGPEC antérieures à cette loi. En effet, cette loi n’a faitémerger aucune pratique ex nihilo. Elle a principale-ment relancé des dynamiques sociales préexistantes.Dans les années 1990, les premières pratiques de ges-tion des compétences sont très fortement marquéespar leur dimension prévisionnelle (DEFÉLIX, DUBOIS,RETOUR, 1997). Le modèle de la GPEC est alors pré-senté par Thierry et Sauret (1994) comme un outilpermettant d’éviter les licenciements dans des organi-sations menacées par la crise économique. Une littéra-ture très abondante se développe alors autour de lanotion de compétence (LE BOTERF, 1997 ; ZARIFIAN,2001).Les premières analyses des pratiques de la GPEC sontplus tardives (JOYEAU, 1999 ; KLARSFELD, OIRY,

EWAN OIRY & COLL.

GÉRER ET COMPRENDRE • JUIN 2013 • N° 112 5

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2003 ; BROCHIER, 2002). Mais, rapidement, deuxconstats émergent. Premier constat : les pratiques de GPEC apparaissenttrès hétérogènes. En particulier, Joyeau et Retourmettent en évidence deux axes structurants. D’unepart, les GPEC apparaissent comme étant orientéessoit vers une gestion individuelle (au sens d’une ges-tion individuelle des parcours professionnels) soitvers une gestion plus collective (des emplois en l’oc-currence). D’autre part, les GPEC reposent sur uncontrôle des salariés ou, au contraire, misent sur leurautonomie. Second constat, plus négatif : les pratiques de GPECsont globalement peu développées dans les organisa-tions et elles ont plutôt tendance à ne pas atteindreleur objectif premier, c’est-à-dire éviter les licencie-ments (GILBERT, 2003 ; COLIN, GRASSER, 2006). Ce constat négatif ne signifie pas pour autant la dispa-rition des réflexions sur le concept de compétence.C’est plutôt la notion de prévision qui est remise encause (GILBERT, 2003 ; MASSON, PARLIER, 2004). Lesannées 2000 correspondent en effet à un accroissementdu nombre des articles décrivant des pratiquesconcrètes de gestion des compétences (DEFÉLIX, OIRY,KLARSFELD, 2006 ; CAVESTRO, DURIEUX,MONCHÂTRE, 2007). On y constate que les entreprisespeuvent parvenir à gérer les compétences, c’est-à-dire àles identifier, à les reconnaître, voire à les rémunérerLÉNÉ, 2003). Le champ d’application de ce mode degestion est même plutôt en extension puisqu’il com-mence à émerger dans des PME (PARLIER, 2011), ouencore dans des établissements hospitaliers (BARET,OIRY, CODELLO-GUIJARRO, KOFFI, 2011). Toutefois, ladimension prévisionnelle apparaît encore hors d’at-teinte : même à une échéance de trois ans, les entre-prises ne parviennent pas à anticiper leur stratégie et,par voie de conséquence, leurs besoins en matière d’em-plois et de compétences. Pour peu que l’on fasse abs-traction de cette dimension prévisionnelle, il est doncpossible de considérer que la gestion des compétencesest de mieux en mieux connue, même si la diversitéentre les pratiques perdure, comme en atteste le fait quetous les auteurs (PICHAULT, 2006 ; DELOBBE et al.,2011 ; PARLIER, 2011) ont toujours recours à des typo-logies pour les décrire.La loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 a contri-bué à remettre cette dimension prévisionnelle au pre-mier rang des préoccupations. En effet, elle a imposéaux entreprises de plus de 300 salariés d’engager, tousles trois ans, une négociation portant, entre autres, surla mise en place d’un dispositif de GPEC. Le fait quela loi Borloo impose aux entreprises de négocier uneGPEC (et non pas une simple gestion des compé-tences) s’explique par le fait que cette loi fait suite àl’échec (auquel elle tente de remédier) de négociationsparitaires sur l’emploi qui avaient en particulier pourobjectif de fournir des outils permettant de mieuxgérer les transitions professionnelles (DIETRICH,

PARLIER, 2007). Cette question des parcours profes-sionnels et de la dynamique temporelle était au cœurdes préoccupations des partenaires sociaux. Il est doncrelativement logique de la retrouver dans la loi. Elle s’inscrit néanmoins en rupture avec les pratiquesde gestion antérieures, qui avaient plutôt conduit àl’idée selon laquelle la GPEC était vouée à l’échec etque seule une gestion des compétences limitée àl’identification et à la reconnaissance des compétencesexistantes était possible. La loi Borloo a donc directe-ment contribué à relancer une dynamique de négocia-tion sociale sur le « prévisionnel » dans la gestion descompétences. Ces éléments sur les pratiques de gestion des compé-tences antérieures à la loi Borloo ayant été rappelés,nous pouvons dès lors passer à une présentationdétaillée des pratiques que nous avons observées dansles entreprises durant deux périodes de ces négocia-tions triennales.

MÉTHODOLOGIE

Les données qui sont présentées dans cet article ontété recueillies dans le cadre d’une étude commandéepar la DARES (Direction de l’Animation de laRecherche, des Études et des Statistiques du ministèredu Travail) sur les pratiques de GPEC après l’adop-tion de la loi Borloo. Pour rendre compte de la variétédes pratiques de GPEC, nous avons choisi de dévelop-per des investigations dans cinq secteurs d’activité dif-férents (la banque, la grande distribution, les hautestechnologies, l’énergie et l’automobile). Notre volonté d’analyser des pratiques concrètes de laGPEC nous a amenés à réaliser des monographies.Malgré l’effectif mobilisé pour réaliser cette étude(près d’une vingtaine de chercheurs), il n’était pasenvisageable de viser une réelle représentativité pources monographies. Toutefois, pour avoir une visionaussi complète que possible, nous avons choisi dessecteurs d’activité relevant de l’industrie (où la GPECétait classiquement utilisée dans les années 1990) etd’autres, du tertiaire. Ensuite, le développementrécent mais rapide et important de la gestion territo-riale des compétences (GTEC) (BEAUJOLIN-BELLET,2008 ; DEFÉLIX et al., 2011) nous a conduits à pren-dre en compte cette dimension « localisée » de la ges-tion des compétences et à analyser en conséquence undispositif territorial de gestion des compétences. Afinde pouvoir introduire des éléments de comparaisonentre ces différents secteurs, nous avons choisi d’in-vestiguer les accords et les pratiques dans deux entre-prises relevant des cinq secteurs précités.Pour chacune de ces entreprises, nous avons réaliséune étude documentaire, qui a permis de rassemblerles principales informations formelles les concernant(historiques, principaux chiffres clés, etc.). Des entre-

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Page 8: ANNALES DES MINES · aux auteurs. Il arrive que les désaccords gagnent à être publiquement explicités, soit parce que cela peut faire avancer la connais-sance, soit parce que

tiens ont ensuite été réalisés avec les DRH des siègesde ces entreprises. Il s’est agi dans cette première phased’obtenir une présentation des intentions initiales lorsde la négociation de l’accord de GPEC, d’identifier lesoutils développés dans le cadre de cette négociation etd’accéder à des documents officiels, tels que, notam-ment, le bilan social, les principaux textes et desaccords d’entreprise concernant la gestion interne del’emploi ainsi que les supports de communicationinterne.La suite de notre méthodologie a consisté à mener unesérie d’entretiens semi-directifs avec les agents les plusconcernés par la négociation de l’accord de GPEC etsa mise en œuvre. Nous avons réalisé des entretiens àla fois au siège de ces entreprises et, au minimum, surun de leurs sites de production. À ces deux niveaux,nous avons rencontré des membres des services desRH, des délégués syndicaux et des managers (ces trois

populations étant représentées de manière sensible-ment égale).Nous avons réalisé au total 120 entretiens, d’unedurée comprise entre une heure et quart à deux heureset demie, qui ont été menés directement sur les lieuxde travail par deux enquêteurs et qui ont donné lieu àun enregistrement. Le codage de ces entretiens a étéréalisé sur la base des thèmes figurant dans la grilled’entretien. Ces codes étaient du type « GEPC-RH »(code attribué à tous les extraits d’entretiens évoquantles liens entre la GPEC et les politiques RH – avec dessous-rubriques pour les politiques de formation, derecrutement, de gestion des rémunérations ou de ges-tion des carrières), « GPEC-stratégie » (pour lesextraits donnant des informations sur les effets de laGPEC sur la discussion de la stratégie dans l’entre-prise) ou « GPEC-dialogue social » (pour les liensentre la GPEC et le dialogue social), etc.

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Tableau 1 : Caractéristiques présentées par les entreprises étudiées.

Pseudo entreprise Secteur d’activité CA (en Mds €en 2010) Effectif en France Outils de la GPEC identifiés

Bankpro Banque 0,3246 1 143 Référentiel de compétences,Observatoire des métiers.

Septentrion Banque 1,6 10 000 Référentiel de compétences encours de construction.

Luckydistrib Grande Distribution 29,1 75 000 Référentiel de compétences,Observatoire des métiers, Comitéparitaire stratégique.

Aouf Grande Distribution 112,2 120 000 Référentiel de compétences.

Aérosec Hautes Technologies 13,12 34 124 Référentiel de compétences,Observatoire des métiers.

Micro Hautes Technologies 8,2 10 000 Référentiel de compétences,Observatoire des métiers,Dispositif territorial.

Panaflam Énergie 85,4 103 865 Référentiel de compétences,Observatoire des métiers.

Rayona Énergie 8,9 47 541 Référentiel de compétences,Observatoire des métiers.

Androauto Automobile 56,1 80 000 Référentiel de compétences,Observatoire des métiers, Comitéparitaire stratégique.

Diesel Automobile 0,794 2 000 Référentiel de compétences,Observatoire des métiers.

Egal Territoire 0,396 1 934 Référentiel de compétences,Observatoire des métiers,Dispositif territorial.

Detache Territoire Dispositif territorial de gestion des compétences dont Egal est un mem-bre très actif.

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Au cours de ce travail de codage, un certain nombrede thèmes ont émergé des entretiens eux-mêmes. Parexemple, le code « GPEC-commission » regroupe lesextraits d’interviews traitant du rôle joué par des com-missions ad hoc. Alors que celles-ci ne constituaientpas un item important de la grille d’entretien initiale,il est apparu lors du traitement des données que cescommissions étaient parfois le lieu d’un réel dialoguesocial. Un code spécifique a donc été créé pour rendrecompte ce phénomène. Enfin, mentionnons que cecodage a été pour partie réalisé en double aveugle, afind’en vérifier la qualité.

LES RÉSULTATS

Les données recueillies dans le cadre de cette étudemontrent que les référentiels de compétences restentles outils les plus emblématiques de la GPEC.Comme l’évoquaient Pascail (2004) ou Colin etGrasser (2006), ces référentiels sont présents demanière quasi systématique dans toutes lesdémarches de GPEC. De la même manière, les pra-tiques de GPEC étudiées dans un groupe sont appa-rues comme étroitement articulées avec les poli-tiques RH de celui-ci. Ainsi, la GPEC ne peut géné-ralement pas être considérée de manière isolée. Elledoit être systématiquement analysée en relation avecles politiques RH de l’entreprise, et même en rela-tion avec sa stratégie et le dynamisme de son dia-logue social. En revanche, ces données ont permis de faire émergerdeux nouveautés majeures. Tout d’abord, les « observatoires des métiers » s’affir-ment comme un nouvel outil fréquemment présentdans les groupes étudiés (rappelons que la loi Borloone s’applique qu’aux groupes de plus de 300 salariés).Ceux-ci sont le plus souvent paritaires (mais seules lesorganisations syndicales signataires des accords peu-vent y participer). Ces observatoires ont pour objectifde présenter aux représentants des salariés des donnéesprospectives sur les métiers du groupe qui sont endéclin, en émergence ou en tension. Ce nouvel outilconstitue une des principales nouveautés apparuesdans les pratiques de GPEC postérieurement à l’adop-tion de la loi Borloo. En effet, même si la démarche« Prospective métiers » avait été pionnière dans cedomaine (BOYER, SCOUARNEC, 2009), les observa-toires des métiers étaient restés jusqu’alors relative-ment peu nombreux.En dehors de ces points communs, les pratiques deGPEC restent relativement hétérogènes. Commenous l’avons évoqué dans notre revue de la littérature,elles apparaissent comme très fortement contextuali-sées, et donc liées à l’histoire, au contexte et à la dyna-mique spécifiques à chaque entreprise. Néanmoins,pour parvenir à organiser et rendre compte de cette

diversité, nous avons identifié des axes qui permettentde comparer les pratiques entre elles.Le premier axe (offensif/défensif ) est issu de la littéra-ture. Il peut être considéré comme classiquepuisqu’on le trouve déjà, par exemple, dans le travailde Joyeau et Retour (1999). Il oppose les accordsoffensifs (qui visent à faire de la GPEC un outil dedéveloppement de l’organisation et des individus) auxaccords défensifs (qui eux ont plutôt pour objectif demieux contrôler les coûts et les salariés). Il rendcompte du fait qu’une entreprise ne développe pas lesmêmes pratiques de GPEC (et qu’elle ne les relie pasde la même manière à sa stratégie, à sa GRH, à sondialogue social, etc.) selon qu’elle négocie des accordsGPEC offensifs, ou des accords GPEC défensifs.Le second axe (interne/externe) que nous utilisonspour donner sens à cette diversité est lui aussi issu dela littérature. De plus en plus de travaux soulignent lesliens qui existent entre les territoires et la GPEC(BEAUJOLIN-BELLET, 2008 ; DEFÉLIX et al., 2011).Nos données ont confirmé cette observation : ellesmettent en évidence le fait que les entreprises dont laGPEC est tournée vers la gestion interne de l’entre-prise ne développent pas les mêmes types de GPECque celles qui pensent la GPEC à l’échelle du terri-toire, c’est-à-dire au-delà des frontières juridiques del’entreprise.Dans chaque cas étudié, nous avons articulé nosobservations autour des cinq dimensions présentéesplus haut, qui sont considérées comme structurantespour les démarches de GPEC, à savoir : – les outils de GPEC utilisés, – les liens entre la GPEC et les politiques RH, – les liens entre la GPEC et la stratégie de l’entreprise, – les liens entre la GPEC et le dialogue social ;– et, enfin, les liens entre la GPEC et le territoire.L’identification de ces deux axes d’analyse permet dedistinguer quatre idéaux-types qui rendent comptedes principales pratiques de GPEC actuelles. Grâce à un processus d’itérations entre ces axes pré-sents dans la littérature et les données recueillies, noussommes parvenus à qualifier les quatre idéaux typesdistingués par ces deux axes et à leur donner uncontenu. Par définition, les idéaux-types sont diffé-rents des entreprises étudiées (WEBER, 1904-1917,Réed. 1965). Néanmoins, pour rendre compte de leurcontenu concret, nous avons identifié, parmi lesdouze cas étudiés, les quatre entreprises qui en don-nent le meilleur aperçu. Nous allons maintenant pré-senter chacune d’elles.

La GPEC « instrumentalisée »

La GPEC « instrumentalisée » se caractérise par uneapproche défensive de la GPEC, où cette dernière estconsidérée avant tout comme un moyen de réduire leseffectifs du groupe. La frontière entre la GPEC et lapolitique sociale de l’entreprise (PSE) est brouillée, et

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l’expression « GPSE » (contraction de GPEC et PSE)est alors souvent utilisée par les représentants syndi-caux que nous avons interviewés.En revanche, cette GPEC « instrumentalisée » esttournée vers l’intérieur de l’entreprise : la réductiondes effectifs s’opère en essayant de développer lesmobilités internes, des métiers en déclin vers lesmétiers en tension (s’il y en a), en rationalisant les par-cours des salariés. Cette GPEC « instrumentalisée » seconcrétise alors par des débats accrus sur la stratégie(souvent internationale) du groupe, au travers, parexemple, d’un comité paritaire stratégique, où les par-tenaires sociaux échangent sur la stratégie mondialedu groupe.

La GPEC « externalisée »

La GPEC « externalisée » présente la même dimen-sion défensive que la GPEC « instrumentalisée ». Ellevise elle aussi à réduire les effectifs du groupe. La fron-tière entre GPEC et PSE est, là encore, souventbrouillée. En revanche, cette GPEC est entièrementtournée vers l’extérieur de l’entreprise. Elle ne conduitni à un développement de la mobilité interne ni à une

réorganisation de la gestion des carrières. Ces entre-prises ne se dotent pas d’un « comité paritaire straté-gique », mais (au contraire) d’un dispositif externe àl’entreprise chargé d’aider les salariés de celle-ci àdévelopper (en général sur le bassin d’emploi de l’en-treprise) un nouveau projet professionnel qui leur per-mette, à terme, de ne plus être les salariés de l’entre-prise de départ.

La GPEC « agent de changement »

La GPEC « agent de changement » se situe, quant àelle, du côté « offensif » de la GPEC. Celle-ci n’a iciplus vocation à diminuer les effectifs du groupe, maisplutôt à accroître les compétences des salariés et àdévelopper les politiques de GRH. La GPEC « agentdu changement » peut être considérée comme étantrelativement « classique » puisqu’elle correspond aumodèle traditionnel de la GPEC, celui développé dèsle milieu des années 1990. Ce type de GPEC est misen œuvre dans des groupes qui disposent de moyensimportants leur permettant de développer une GRHcohérente et plutôt favorable aux salariés, une GRHqui soit en phase avec leurs objectifs stratégiques.

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GPEC INSTRUMENTALISÉE

Le groupe ANDRAUTO correspond au cas le plusproche de cet idéal-type. ANDRAUTO est ungroupe qui fabrique des automobiles. Il compte198 210 salariés dans le monde et a réalisé un chiffred’affaires de 56,1 millions d’euros en 2010. ChezANDRAUTO, les accords de GPEC signés en 2007et en 2010 sont défensifs. Ils visent à accompagner lesréductions d’effectifs que ce groupe connaît depuisplusieurs années (- 20 000 salariés depuis 2007). Ce groupe a mis en place les outils « classiques » de laGPEC. Il est doté de référentiels de compétences.Ceux-ci sont utilisés dans le cadre des entretiensannuels d’évaluation ; ils ont vocation à mieux pré-voir les formations nécessaires pour les salariés et àmieux organiser les rémunérations et les promotions.La GPEC et les politiques RH s’alimentent récipro-quement. Un observatoire des métiers a été créé. Ilpermet de donner une vision globale pour l’ensembledu groupe sur les métiers en tension, les métiers endéclin et ceux en équilibre. Il s’appuie sur les référen-tiels de compétences pour réaliser cette analyse et ilpermet un dialogue avec les représentants des salariéssur ces questions, qui étaient auparavant malconnues, voire, parfois, presque taboues.

La GPEC et la stratégie de l’entreprise sont elles aussipensées de manière conjointe. La diminution deseffectifs est considérée comme prioritaire par la direc-tion du groupe. L’analyse de l’évolution des métierspar filière est donc spécifiquement prise en chargepar les membres du Comex. La GPEC apparaîtcomme un outil stratégique pour l’entreprise. Elle estperçue par la direction comme un levier permettantd’atteindre les objectifs de réduction des effectifs.Du fait de cette articulation entre la GPEC et la stra-tégie de l’entreprise, le dialogue social peut êtreconsidéré comme relativement riche dans cette entre-prise. On peut même considérer que la loi Borloo acontribué à enrichir ce dialogue social sur le plan dela stratégie de l’entreprise. La GPEC y est si étroite-ment associée que la discussion avec les partenairessociaux évolue significativement. Ainsi, ce groupe amis en place un « comité paritaire stratégique » inter-national, dont la mission est de développer un dia-logue social international sur la stratégie du groupe. Même si la GPEC peut être considérée comme trèslargement « instrumentalisée » (puisqu’elle n’estqu’un moyen au service d’une fin bien identifiée, ladiminution des effectifs), cet objectif est à ce pointstratégique qu’il s’est traduit par un renforcement dudialogue social sur cette question de la stratégie dugroupe et de son devenir après la crise de 2009.

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La GPEC « mutualisée et territorialisée »

La GPEC « mutualisée et territorialisée » correspondelle aussi à cette dimension « offensive » de la GPEC.En revanche, elle est un peu plus « originale » que laGPEC « agent de changement », car la gestion descompétences cohérente et favorable aux salariésqu’elle propose est développée à l’échelle d’un terri-

toire et non plus, comme elle l’était classiquement, àl’intérieur des frontières juridiques d’une entreprise.Cette innovation soulève d’ailleurs généralement desproblèmes juridiques, que chaque groupe ou chaqueentreprise résout de manière à chaque fois originale.Le tableau ci-dessous synthétise les caractéristiques desquatre idéaux-types que nous venons de présenter :

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« La GPEC « externalisée » présente la même dimension défensive que la GPEC « instrumentalisée ». Elle vise elle aussi àréduire les effectifs du groupe. », « Emondage des arbres », enluminure de Maître Ermengaut (1322), bibliothèque dumonastère de l’Escurial, Madrid (Espagne).

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Tableau 2.

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Accord Défensif GPEC « INSTRUMENTALISÉE » GPEC « EXTERNALISÉE »

Accord Offensif GPEC « AGENT DE CHANGEMENT » GPEC « MUTUALISÉEET TERRITORIALISÉE »

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Des idéaux-types devant être pensés de manièreouverte

Ces idéaux-types permettent de donner sens à ladiversité des pratiques de la GPEC. Il est toutefoisnécessaire de ne pas en avoir une vision trop fermée.En effet, l’appartenance d’entreprises à un mêmeidéal-type ne signifie pas qu’elles connaissent exac-tement le même type de dynamique. Les pratiquesde GPEC sont proches, puisque le codage des entre-tiens conduit à les associer au même idéal-type.Néanmoins, l’analyse approfondie des entretiensmontre que ces pratiques proches peuvent présenterdes motivations sensiblement différentes.Ainsi, par exemple, ANDRAUTO et SEPTEN-TRION sont tous les deux associés à l’idéal-type de la« GPEC instrumentalisée ». Ces deux groupes ont despratiques proches, mais les raisons qui les conduisent

à adopter ce type de pratiques sont très différentes.Comme nous l’avons vu, ANDRAUTO est confrontéà une grave crise à la fois conjoncturelle (la crise éco-nomique 2008/2009) et structurelle (la concurrenceinternationale fait qu’il est désormais presque impos-sible de produire en France des petites voitures cita-dines (du segment B) qui soient rentables. Il souhaitedonc diminuer ses effectifs et instrumentalise à cettefin la GPEC. SEPTENTRION a le même type de pratiquequ’ANDRAUTO. Les données recueillies montrentque la GPEC s’y limite à un discours qui ne dit fina-lement pas grand-chose de la GRH qui y est dévelop-pée. La loi contraignant cette entreprise à négocier unaccord sur la GPEC, sa direction l’a donc fait : lanégociation a abouti à un accord, mais celui-ci n’a étésuivi pratiquement d’aucune mise en œuvre concrète.Dans cette entreprise, la GPEC reste un discours de la

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GPEC EXTERNALISÉE

Le groupe MICRO correspond au cas le plus prochede cet idéal-type. MICRO est un groupe qui fabriquedes puces microélectroniques. Il compte 45 000 sala-riés en France et a réalisé un chiffre d’affaires de8,2 millions d’euros en 2010. Chez MICRO, lesaccords de GPEC signés en 2006 et en 2011 sontdéfensifs. Dans ce groupe, les effectifs n’ont pas for-tement diminué, mais leur stagnation est néanmoinsperçue comme un « coup d’arrêt » dans le développe-ment de ce groupe, qui, jusqu’aux années 2000,connaissait des rythmes d’augmentation de ses effec-tifs de 15 % par an. Ce groupe dispose lui aussi des outils « classiques » dela GPEC. Les référentiels de compétences sont utili-sés dans le cadre des entretiens annuels d’évaluation ;ils permettent d’articuler les différentes politiquesRH (formation, carrière, etc.). Dans ce groupe aussi,un observatoire des métiers a été créé. Il produit desdonnées qualitatives sur les évolutions prévues desmétiers, mais celles-ci ne sont pas articulées avec lespolitiques RH de l’entreprise. Elles sont utiliséespour identifier les métiers dans lesquels il apparaîtnécessaire d’encourager les salariés à développer desprojets professionnels extérieurs à l’entreprise et ceuxoù, au contraire, les effectifs sont limités et ne doi-vent donc pas être diminués.Toutefois, l’essentiel de l’activité liée à la GPEC sedéroule en dehors de ces politiques RH. En effet,celle-ci vise avant tout à proposer aux salariés unaccompagnement par une « association de reconver-

sion locale » (que le groupe a créée spécifiquement àcette fin) pour élaborer un nouveau projet profes-sionnel qui leur permette à terme de trouver unemploi en dehors de l’entreprise (mais, en général,sur le même bassin d’emploi). La gestion des carrièreset des rémunérations est donc très largement réorien-tée vers cette association extérieure. Dans cette entre-prise, le lien entre la GPEC et les politiques RH peutdonc être considéré comme relativement distendu.La GPEC est avant tout tournée vers l’extérieur del’entreprise et vers cette association de reconversionlocale. De ce fait, le lien entre la GPEC et la stratégie del’entreprise est lui aussi plutôt distendu. En effet, à lalimite, l’avenir des salariés est plus déterminé par lastratégie et les moyens de l’association locale dereconversion que par la stratégie du groupe. Du fait de ce décentrage de la politique RH, le dia-logue social ne s’est pas réellement enrichi depuis lapromulgation de la loi Borloo. Des discussions ontlieu sur la stratégie de l’entreprise, mais elles ne sontpas en prise directe avec la GPEC. Elles n’ont pasnon plus débouché sur la création de comités pari-taires stratégiques ou de tout autre dispositif dumême type. À l’inverse, des organisations syndicalesqui n’étaient pas signataires du premier accordGPEC ont signé le second accord parce qu’elles ontconsidéré comme stratégique pour elles de participerà la gestion de l’association locale de reconversion,puisque c’était désormais au sein de celle-ci que seprenaient de nombreuses décisions en matière decarrières et de parcours professionnels futurs dessalariés.

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direction, elle n’est pas devenue un véritable objet RHet/ou stratégique. Ces deux entreprises développent des GPEC instru-mentalisées, mais elles le font avec des motivationstrès différentes. Les idéaux-types fournissent desrepères pour ordonner la diversité des pratiques deGPEC, mais ils doivent être pensés de manière relati-vement ouverte pour pouvoir rendre compte de l’en-semble des pratiques des entreprises investiguées.

Des idéaux-types devant être pensés de manièredynamique

De la même manière, ces idéaux-types ne doivent pasêtre pensés d’une manière trop statique. Ils permet-

tent de donner des points de repère, mais ils ne doi-vent pas interdire de penser la dynamique. Plusieursentreprises ont signé au moins deux accords.Certaines entreprises, comme ANDRAUTO, ontsigné deux accords successifs identiques qui ne fontqu’approfondir la dynamique antérieure (en l’occur-rence celle d’une « GPEC instrumentalisée », utiliséepour réduire les effectifs du groupe).À l’inverse, d’autres entreprises ont fait évoluer trèsfortement les logiques poursuivies, entre leur premieraccord et leur second. Ainsi, par exemple, l’entrepriseDIESEL (qui appartient elle aussi au secteur automo-bile) a négocié en 2006 un premier accord plutôtdéfensif, alors qu’en 2010, elle a négocié un accordqui apparaît beaucoup plus offensif. La différence

RÉALITÉS MÉCONNUES

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GPEC « AGENT DE CHANGEMENT »

L’entreprise BANKPRO correspond au cas le plusproche de cet idéal-type. BANKPRO est une banquemoyenne spécialisée dans la gestion des patrimoinesprofessionnels et privés. Elle compte 1 143 salariés enFrance et appartient à un groupe bancaire dont lesiège est situé dans un pays du Nord de l’Europe. Ellea réalisé un chiffre d’affaires de 324,6 millions d’eu-ros en 2011. Chez BANKPRO, les accords de GPECsignés en 2008 et en 2011 sont offensifs. Cette entreprise a été fortement marquée par une suc-cession de plans sociaux. Le dernier s’est achevé en2007 et a entraîné une réduction des effectifs de moi-tié. Néanmoins, le déploiement de l’accord GPEC s’estdéroulé dans un contexte apaisé. En revanche, la crise amis en relief l’importance stratégique des recomposi-tions traversant certaines lignes de métiers, qu’il s’agissedes relations avec la clientèle (proximité et confiance),de l’évaluation et du contrôle des risques (middle office)ou encore des tendances affectant la rationalisation duback-office et l’automatisation du front-office. L’accordGPEC peut ainsi être vu comme un réflexe rationnel deprotection et de survie d’un collectif de travail (direc-tion et salariés) s’efforçant de garantir un futur com-mun, dans une période troublée.Pour faire évoluer les compétences des salariés, ladirection a construit des référentiels de compétences.Ceux-ci sont utilisés chaque année lors de l’entretienannuel pour identifier les compétences détenues parles salariés, pour rémunérer celles-ci et déterminer lescompétences qui devront être développées l’annéesuivante. Cette entreprise a aussi créée un observa-toire des métiers qui permet aux partenaires sociauxde développer un dialogue social riche sur ces ques-tions d’évolution des compétences.

Dans cette entreprise, la GPEC et les politiques RHsont très fortement articulées entre elles. Les don-nées issues des entretiens annuels structurent direc-tement la politique de formation de l’entreprise et laréflexion sur les futurs métiers. De plus, l’appro-priation des outils de la GPEC par les managers estparticulièrement forte, ces outils de la GPEC ayantété construits par les managers eux-mêmes. Cesoutils, ces politiques et cette appropriation se réfè-rent tous aux évolutions du marché, que nousvenons d’évoquer. Dans cette entreprise, les débatssur la stratégie de l’entreprise sont donc très riches.Le dialogue social participe directement de cetterichesse et de cette dynamique. Ces articulationsfortes génèrent in fine une discussion nourrie sur lastratégie.Comme on le voit, cette entreprise correspondpresque parfaitement au cas « classique » de la GPECthéorisée dès les années 1990. Les outils de la GPEC(auxquels s’ajoute – et c’est nouveau – un observa-toire des métiers) permettent d’articuler les politiquesRH avec la stratégie de l’entreprise et parce qu’ils sontbien appropriés par les managers, ceux-ci permettentà l’entreprise de manager efficacement le changementqui lui est nécessaire pour faire face aux évolutions deson marché. Il faut toutefois souligner que cettedynamique a un coût et que si cette entreprise peutmener cette politique, c’est parce qu’elle est sur unsecteur à forte valeur ajoutée qui lui en fournit lesmoyens. Ce cas est aussi « classique » par le fait que cette entre-prise crée cette dynamique à l’intérieur de ses fron-tières juridiques. Elle ne s’ouvre pas sur son territoireet elle n’y cherche pas les ressources qui pourraientl’aider à mener à bien ce changement. En cela, elle sedifférencie fortement de la GPEC « mutualisée et ter-ritorialisée ».

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entre les deux types d’accord est si forte que le codagede nos données nous a conduit à conclure que cetteentreprise a opéré un déplacement, passant de l’idéal-type « GPEC instrumentalisée » à celui d’une « GPECagent du changement ». Les évolutions favorables dela conjoncture et la transformation de la stratégie del’entreprise permettent d’expliquer ce changementmajeur. On retrouve une situation analogue dans lecas d’Aérosec. Les pratiques de GPEC ressortant deson premier accord l’associent à l’idéal-type « GPECagent du changement », mais les outils que cetteentreprise a déployés dans le cadre de son secondaccord conduisent à la faire glisser progressivementvers l’idéal-type de la « GPEC mutualisée et territoria-lisée ». Ces cas soulignent que les idéaux-types doivent êtrepensés de manière dynamique : une entreprise n’estpas nécessairement attachée à un idéal-type unique,elle peut en changer au fil du temps. Cette caractéri-sation est donc elle-même inscrite dans la dynamiquedes organisations.

CONCLUSION

Au terme de cette analyse des pratiques de la GPECpostérieures à l’adoption de la loi Borloo, il faut noterque le flou sémantique et la profusion des conceptsentourant la GPEC n’aident pas à son appropriation.Cette ambiguïté est entretenue par le fait que le légis-lateur n’a pas jugé utile de proposer de définition juri-dique de la GPEC (LEGRAND, 2006). De plus,comme le souligne Duclos (2008), la façon dont lesacteurs jouent avec la règle de droit s’écarte souvent dela stricte application des intentions du législateur. Ilétait donc particulièrement important d’analyser endétail les effets concrets des accords de GPEC négo-ciés et mis en œuvre dans les entreprises. Les douze monographies approfondies que nousavons réalisées nous ont permis de produire plusieursrésultats. Tout d’abord, sur le plan des outils, les réfé-rentiels de compétences et les liens avec les autres

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« Pour faire évoluer les compétences des salariés, la direction a construit des référentiels de compétences. Ceux-ci sont utiliséschaque année lors de l’entretien annuel pour identifier les compétences détenues par les salariés, pour rémunérer celles-ci etdéterminer les compétences qui devront être développées l’année suivante. », « Les jardiniers », huile sur toile de GustaveCaillebotte (1848-1894), collection privée.

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outils de la GRH ont été confirmés, mais parmi lesnouveautés, nous avons constaté l’émergence desobservatoires métiers et celle du rôle joué par les terri-toires. Ensuite, nous avons constaté la diversité récur-rente des pratiques de GPEC. Néanmoins, en identi-fiant les quatre idéaux-types que sont la « GPEC ins-trumentalisée », la « GPEC externalisée », la « GPECagent de changement » et la « GPEC mutualisée etterritorialisée », nous sommes parvenus à proposer unordre qui rende cette diversité intelligible. Il convienttoutefois de souligner qu’aucun de ces quatre idéaux-types n’affiche de véritable volonté « prévisionnelle ».Les entreprises analysées se lancent parfois dans des

démarches d’anticipation. Mais il semble que le prévi-sionnel tel qu’il avait été envisagé dans les années1990, avec les premiers outils de la GPEC, ait été clai-rement abandonné.Ces monographies approfondies fournissent donc unpremier aperçu des pratiques de la GPEC après l’en-trée en vigueur de la loi Borloo. Toutefois, elles mon-trent aussi que de nombreuses pistes de recherchecomplémentaires restent à explorer. Deux pistes peu-vent être plus particulièrement évoquées. D’une part,si le territoire émerge en tant que nouveau lieu de lagestion des compétences, il le fait en rencontrant denombreuses difficultés et de nombreuses incertitudes

RÉALITÉS MÉCONNUES

GÉRER ET COMPRENDRE • JUIN 2013 • N° 11214

GPEC « MUTUALISÉE ET TERRITORIALISÉE »

L’entreprise EGAL correspond au cas le plus prochede cet idéal-type. EGAL est une entreprise indus-trielle spécialisée dans la production d’articles culi-naires, de cuisson électrique et de pesage. En 2010,son chiffre d’affaires a été de 396 millions d’euros etelle employait 1 934 collaborateurs, répartis entredeux sites français. Chez EGAL, l’accord de GPECsigné en 2007 était plutôt défensif. Mais le nouvelaccord signé en 2011 est, lui, plus offensif. Cetteentreprise doit accompagner les évolutions technolo-giques et organisationnelles de son appareil industrielen développant une polyvalence et en augmentant lesniveaux de qualification professionnelle de son per-sonnel ouvrier. Au total, 50 % des emplois sont iden-tifiés comme fragilisés, à court et moyen terme, dufait de la faible qualification de leurs titulaires.Pour gérer de manière optimale cette augmentationprogrammée des compétences, elle a construit desréférentiels de compétences. Ceux-ci sont utiliséspour alimenter les politiques RH (évaluation, forma-tion, rémunération, etc.). Mais, surtout, l’entrepriseparticipe au dispositif local de gestion des compé-tences. DETACHE est un dispositif territorial de prêtde main-d’œuvre (à but non lucratif ), qui permet àcinq entreprises “socles” du secteur de la métallurgieprésentes sur le territoire (mais non concurrentes) defaire face à des baisses d’activité temporaires tout enconservant leurs salariés et les compétences de ceux-ci,dans l’optique d’une reprise prochaine de l’activitééconomique. Concrètement, l’objectif est de gérer lasous-activité en évitant autant que faire se peut leslicenciements économiques et le recours au chômagepartiel et ce, dans une perspective de sécurisation desparcours professionnels des individus. Dans cette logique, le territoire n’est pas un espacedans lequel cette entreprise déverserait les salariés

dont les compétences ne lui seraient plus nécessaires(comme nous l’avons constaté dans le cas deMICRO), mais, au contraire, une ressource qui luipermet de puiser les compétences qui lui sont néces-saires, de développer celles qui n’existent pas encore,etc. À ce titre, le dispositif local, qu’est DETACHE, peutêtre considéré comme un élément faisant partie inté-grante de la GPEC de cette entreprise (qui devientdès lors une GTEC) – comme c’était le cas pourMICRO – mais aussi de la stratégie même de l’entre-prise. En effet, ce dispositif local contribue directe-ment à permettre à cette entreprise d’atteindre sesobjectifs stratégiques. Nous retrouvons donc ici une GPEC qui permet à laRH d’être cohérente, de contribuer à l’atteinte desobjectifs stratégiques de l’entreprise (la RH est alorsun réel Business Partner) et d’être favorable aux sala-riés (comme dans le cas de la GPEC « agent de chan-gement »), mais c’est une GPEC qui est de plus déve-loppée à l’échelle du territoire (ce qui est plus origi-nal par rapport au modèle classique de la GPEC desannées 1990). On trouve dans ce cas un dialoguesocial dynamique sur ces questions de GPEC, de RHet de stratégie et une appropriation forte par lesmanagers (là encore, du fait de leur participationdirecte à l’élaboration de tous ces éléments).Enfin, il convient de souligner que l’ouverture sur leterritoire de cette GPEC constitue une forme deréponse à la question des moyens, que nous avionsposée dans le cas de BANKPRO. Cette GPEC estcoûteuse, mais le territoire constitue une ressourcequi permet à cette entreprise de mutualiser ce coût,et donc de le réduire pour ce qui la concerne directe-ment. Parmi les pratiques de GPEC que nous venons dedécrire, il s’agit de la pratique la plus innovante (parrapport au modèle classique de la GPEC des années1990).

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(notamment juridiques). Les formes concrètes d’unegestion territorialisée des compétences doivent doncêtre explorées de façon plus détaillée. D’autre part, lesobservatoires des métiers sont de plus en plus nom-breux et ils semblent jouer un rôle croissant dans lesdémarches d’anticipation (à défaut de démarches deprévision) des entreprises. Ils sont si actifs que nosinterlocuteurs les ont souvent décrits comme de nou-veaux lieux où se développerait un dialogue socialéchappant aux difficultés récurrentes du dialoguesocial à la française. Au-delà du fait que les organisa-tions syndicales non signataires d’accords de GPECne sont pas présentes dans ces observatoires, lesformes que prennent ces nouvelles instances de dia-logue social et les effets qu’elles produisent doiventencore être analysés. Ces éléments montrent donc que tout en s’inscrivantdans des traditions longues (comme, par exemple,l’opposition entre accords de GPEC offensifs etaccords de GPEC défensifs), les pratiques actuelles dela GPEC font émerger des outils et des questions sanscesse renouvelés. �

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EWAN OIRY & COLL.

GÉRER ET COMPRENDRE • JUIN 2013 • N° 112 15

Idéal-type GPECINSTRUMENTALISÉE GPEC EXTERNALISÉE GPEC AGENT

DE CHANGEMENTGPEC MUTUALISÉEET TERRITORIALISÉE

Entreprisede référence

ANDRAUTO MICRO BANKPRO EGAL

Type/contenu accord Défensif Défensif Offensif Offensif

Outils pivotsde l’accord GPEC

Observatoiredes métiers et ComitéParitaire Stratégique

Observatoiredes métiers etDispositif territorialde gestiondes compétences

Référentieldes métierset des compétences

Référentieldes métierset des compétenceset Dispositif territorialde gestiondes compétences

ArticulationGPEC-stratégie

Fort Faible Fort Fort

ArticulationGPEC-RH

Rationalisation etmise en cohérencedes pratiques de GRH

Rationalisation etmise en cohérencedes pratiques de GRH

Développement despratiques de GRH

Développement despratiques de GRH

GPEC et dialoguesocial

Enrichissementdu dialogue social(en particulier sur lastratégie du groupe)

Pas d’enrichissementdu dialogue social

Développement d’undialogue social dequalité

Enrichissement dudialogue social

Appropriationde l’accord

Faible Faible Forte Forte

Tableau 3.

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RÉALITÉS MÉCONNUES

GÉRER ET COMPRENDRE • JUIN 2013 • N° 11216

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Y ’a trop d’externes ! », me dit Josette… Mais,précisément, je suis moi-même « externe ».Comment Josette a-t-elle pu l’oublier ? Peut-

être parce que je travaille dans cette direction depuisplus longtemps qu’elle. Depuis vingt-cinq ans qu’elleest dans l’entreprise, Josette a vu le nombre desexternes exploser. « Cela pose de gros problèmes », meconfie-t-elle. La coopération serait rendue plus diffi-cile dans l’entreprise depuis que les pratiques de flexi-bilité de la main-d’œuvre ont généralisé la présence

d’intérimaires, de prestataires et de stagiaires aux côtésdes salariés bénéficiant d’un contrat à durée indéter-minée. Désormais, les équipes de travail regroupent des sala-riés et des externes. Ces derniers ont des statuts d’em-ploi de prestataire, d’intérimaire, de stagiaire ou d’ap-prenti et sont amenés à travailler dans une entreprisependant des années sans en être des salariés à duréeindéterminée. L’équipe composite en tant qu’équipede travail regroupant des salariés et des externesconstitue une réalité du travail collectif dans l’entre-prise. Cette notion est un prisme pertinent pour com-prendre la construction de la coopération. Elle définit,

L’ÉQUIPE COMPOSITEOU COMMENTUNE MAIN-D’ŒUVREMIXTE COLLABOREAU SEIND’UNE ENTREPRISE ?Face à la généralisation du recours dans les entreprises à des tra-vailleurs dits extérieurs, comme les prestataires, les intérimaires, les

consultants et les stagiaires, les salariés « internes » travaillent au sein desmêmes équipes que ces « externes ». De plus en plus, les équipes qui tra-vaillent pour l’entreprise sont donc composites. Le présent article vise àmieux comprendre la spécificité du problème de coopération que pose cettesituation. L’étude, que nous avons réalisée dans une grande entreprise fran-çaise, de 2009 à 2011 et qui s’est intéressée à deux équipes composites,nous permettra d’illustrer le rôle crucial des médiateurs dans ces collectifs detravail mixtes et le rapport qu’entretient l’entreprise avec ces médiateurs.

Par Marie-Rachel JACOB*

RÉALITÉS MÉCONNUES

* Post-doctorante au Stockholm Centre for Organizational Research.

«

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en effet, une unité d’analyse permettant d’enquêtersur la manière dont une main-d’œuvre aux statutsd’emploi différents peut coopérer dans l’entreprise. Nous examinerons quelles sont les spécificités de lacoopération dans les équipes composites.Notre article s’appuie sur une enquête que nous avonsréalisée dans le cadre d’une thèse de terrain (BERRY,2000), qui visait à montrer que la coopération dansles équipes composites suppose des conditions spéci-fiques, comme le maintien d’un équilibre entre les dif-férents statuts d’emploi, ce que réalise en général unmédiateur, un rôle que doit soutenir l’entreprise via lahiérarchie. Dans un premier temps, le problème de la coopéra-tion dans les équipes composites sera posé d’un pointde vue théorique en nous intéressant à la place des sta-tuts d’emploi dans les logiques de travail et aux spéci-ficités d’une main-d’œuvre mixte dans le contexted’une généralisation du travail en équipe. Le cadred’analyse de la coopération que nous retiendrons défi-nit trois dimensions à analyser : le travail collectif, lespositions de médiation et l’esprit d’équipe. L’étude dedeux équipes composites dans une grande entreprisefrançaise nous a permis de les analyser pour mettre enavant le rôle déterminant joué par le médiateur et l’in-terrelation entre ce rôle et le lien existant entre lemédiateur et l’entreprise.

FLEXIBILITÉ DE LA MAIN-D’ŒUVREET COOPÉRATION : QUELLES DIFFICULTÉSTHÉORIQUES ?

Définir le travailleur dans l’organisation : quel pointde vue mobiliser ?

Everaere et Lapoire (2011) considèrent que le travail-leur prestataire réalisant une mission dans les locauxde l’entreprise est un insider au sens donné à ce termepar une logique de classification des emplois reposantsur la norme du contrat à durée indéterminée. Or, dupoint de vue de l’organisation, le travailleur presta-taire est un « externe » au même titre que l’intéri-maire, le stagiaire ou l’apprenti. Notre propos ici estde prendre le point de vue de l’organisation, lequeltient compte moins de la nature de l’emploi du tra-vailleur que de son appartenance formelle ou non àl’organisation. Cette appartenance formelle repose surun critère défini par l’organisation elle-même. Dansl’entreprise étudiée, comme dans la plupart desgrandes entreprises françaises, le travailleur interne,par opposition au travailleur externe, bénéficie d’uncontrat à durée indéterminée (CDI) avec l’entreprise.Ainsi, les salariés à temps partiel et les salariés d’autresentreprises du groupe mis à la disposition de l’entre-prise sont considérés comme des internes, alors que la

classification des emplois les considère plutôt commedes périphériques ou des atypiques. Ainsi, du point devue de l’organisation, deux grandes catégories de tra-vailleurs se côtoient dans l’entreprise, les internes etles externes. Les internes rassemblent les salariés del’entreprise exerçant à temps plein et à temps partiel,ainsi que les salariés mis à disposition par d’autresentreprises du groupe. Les externes désignent l’ensem-ble des travailleurs justifiant d’un statut autre quecelui d’interne. Les prestataires, les sous-traitants, lesintérimaires, les travailleurs indépendants, les sta-giaires et les apprentis relèvent de la catégorie desexternes. Au final, l’hétérogénéité des statuts d’emploidans l’entreprise conduit à ce que les Anglo-saxonsappellent main-d’œuvre mixte (blended workforce),c’est-à-dire des externes travaillant au sein des mêmeséquipes que les salariés de l’entreprise (DAVIS-BLAKE,BROSCHAK & GEORGE, 2003 ; GARSTEN, 1999).

Les enjeux de la coopérationdans une main-d’œuvre mixte :quelle place pour les statuts d’emploi ?

La généralisation de cette « mosaïque de personnels »(EVERAERE, 2012) serait génératrice de conflits entreles salariés et leur manager (DAVIS-BLAKE et al., 2003)et elle rendrait plus difficile la coopération dans l’en-treprise (EVERAERE, 2012) du fait que « les salariés àstatuts hétérogènes cohabite[raie]nt mal dans unmême lieu » (EVERARE, 1997, p. 136). Mais les statuts ou les types d’emploi ne sont qu’unedes dimensions de l’identité des travailleurs (TILLY,1995). L’identité intégrée (embedded identity) etl’identité disjointe (disjoined identity) sont les deuxextrêmes d’un même continuum (TILLY, 1995, reprispar GARSTEN, 2003). Ainsi, l’identité intégrée,comme la race ou le genre, informe sur l’ordinaire dela vie sociale des personnes, alors que l’identité dis-jointe (par exemple, l’appartenance à une association)ne gouverne que peu ou prou les activités quoti-diennes. Garsten (2003) interprète ainsi les identités d’intéri-maire et de salarié interne comme étant à la fois inté-grées et disjointes. L’identité d’intérimaire est intégréesi l’organisation définit des routines distinguant lesintérimaires des salariés, comme le port d’un badge decouleur différente. Cependant, l’identité d’intérimairedevient disjointe, dans les activités de travail quoti-diennes, dès lors qu’elle n’a pas d’impact sur le proces-sus de travail. Garsten (2003) donne l’exemple de sapropre expérience, lorsqu’elle réalisa une observationparticipante dans l’entreprise Apple en tant qu’intéri-maire. Elle explique comment, au fil des mois, elleapprit à mieux connaître ses collègues de travail, àl’occasion d’heures supplémentaires et en partageantavec eux des sorties, les week-ends. Son identité inté-grée d’intérimaire s’est transformée en identité dis-jointe, son statut d’intérimaire ne refaisant surface

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qu’aux différents moments où l’entreprise Apple dis-tinguait ses salariés des autres travailleurs. De manièregénérale, Garsten (2003) affirme que dans les situa-tions où les travailleurs partagent les mêmes problé-matiques, les catégories d’interne et d’intérimairedeviennent moins pertinentes pour l’organisation dutravail. Ainsi, pendant la réalisation du travail, lescatégories d’interne et d’externe tendent à disparaître. Sur le lieu de travail, il peut être difficile de distinguerau premier abord les salariés de l’entreprise desexternes (GARSTEN, 2008). La cohabitation de cesdeux types de travailleurs dans les mêmes bureauxcontribue même à l’intégration des externes au sein decollectifs de travail (MALLERET, 2004 ; LÉON, 2010),cela confirme l’importance de la dimension spatialedans le fonctionnement de l’organisation (GIRIN,1987). Par ailleurs, Bercot et de Coninck (2003) sesont interrogés sur les conséquences de la multiplica-tion des appartenances des salariés sur le travail collec-tif dans l’entreprise. En ce sens, les salariés eux-mêmesne constituent plus une catégorie monolithique. Cesauteurs en concluent que les modes de coopérationévoluent selon un compromis (qu’il reste à trouver)entre le désir de singularité de l’individu et lescontraintes inhérentes au travail en équipe.La notion d’équipe composite formalise ainsi la colla-boration entre des salariés et des externes sur le lieu detravail de l’entreprise (JACOB, 2012). L’équipe compo-site est un collectif de travail dont les membres présen-tent des statuts d’emploi différents. Par référence auxmatériaux composites (dont les différents éléments nepeuvent se mélanger totalement, mais dont l’agence-ment donne au matériau une solidité particulière), lesdifférents statuts d’emploi formant l’équipe compositen’empêchent pas la coopération en son sein.La notion d’équipe composite est différente de cellesd’équipe virtuelle, d’équipe diverse et d’équipe projet,car ces trois types d’équipe ne tiennent pas comptedes statuts d’emploi de leurs membres. L’équipe vir-tuelle s’intéresse aux différences dans les localisationsspatiales de ses membres (KURUPPUARACHCHI, 2009).L’équipe diverse (au sens de la diversité structurelle)ne prend en compte que les différences d’entités d’ap-partenance entre les membres d’une entreprise(CUMMINGS, 2004). Enfin, l’équipe projet ne tientpas compte des caractéristiques de ses membres, maisseulement de la nature de projet de l’activité (GAREL,2011).

La généralisation du travail en équipe marquantl’avènement d’une superficialitédans la coopération, quelles en sont les spécificitésdans les équipes composites ?

Même au sein des équipes de salariés, les modes decollaboration se transforment, allant dans le sensd’une évolution générale du monde du travail, et plusparticulièrement du travail en équipe. En effet,

Sennett (2000) démontre que l’injonction au travailen équipe apparaît concomitamment à la flexibilisa-tion de l’économie. La superficialité partagée des rela-tions permet d’adoucir la concurrence entre lesemployés et leur permet d’adapter leurs rôles en fonc-tion du travail à réaliser.Finalement, si le travail en équipe et la coopérationdans l’entreprise sont soumis à une évolution généralede l’organisation du travail, en quoi la coopérationentre les salariés et les externes pose-t-elle problème ? Nous avançons à ce sujet trois arguments majeursissus de la littérature. D’une part, la coopérationimplique des conditions de stabilité qui sont de faitrendues plus difficiles à réunir en raison de l’intégra-tion de personnels aux statuts flexibles (EVEARERE,1997, 2012). D’autre part, les différences de statutsd’emploi dans l’entreprise amènent à des enjeuxsociaux et économiques importants en termes d’iné-galités (GARSTEN, 2008). Enfin, la question de laResponsabilité Sociale de l’Entreprise est peu discutéedans les pratiques de flexibilité (BEN YEDDER etSLIMANE, 2010) et cela pourrait alimenter des problé-matiques liées à la sécurisation des parcours profes-sionnels par le travail (ZIMMERMANN, 2011). Dès lors que la représentation formelle de l’entrepriseau travers de son organigramme diffère de la réalité del’organisation du travail, le dirigeant conserve unevision de l’entreprise reposant sur ses salariés (JACOB,2012). En effet, les discours de l’entreprise et sur l’en-treprise ne prennent généralement en compte que lesseuls effectifs salariés. Le bilan social de l’entreprisepropose un rapport détaillé sur les effectifs salariés,mais ne mentionne, dans le meilleur des cas, que lesseuls effectifs étudiants et intérimaires. Les prestatairesou les salariés mis à disposition (EVERAERE etLAPOIRE, 2011) ne font l’objet d’aucun suivi de la partde la direction des ressources humaines. En effet, lesprestataires agissent sur le lieu de travail de l’entreprisevia un contrat commercial, qui est, en général, gérépar la direction des achats (et non par celle des res-sources humaines).C’est ainsi que deux logiques s’opposent entre elles surle lieu de travail : une logique organisationnelle (por-tée par l’entreprise) séparant les salariés des externes,et une logique de travail (portée par l’activité de l’en-treprise) rassemblant les travailleurs (salariés etexternes) au sein des mêmes équipes. La notiond’équipe composite (JACOB, 2012) permet de regrou-per ces deux logiques et constitue ainsi l’unité d’ana-lyse adéquate pour étudier les conditions de la coopé-ration en situation de main-d’œuvre mixte.

Un cadre d’étude des conditions de la coopération :travail collectif, positions de médiation et espritd’équipe

Pour étudier les conditions de la coopération,Gheorghiu et Moatty (2005a) proposent les trois

MARIE-RACHEL JACOB

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hypothèses que sont : une généralisation du travailcollectif, les positions de médiation et un espritd’équipe. Selon ces auteurs, la progression du travailcollectif aboutit à une autonomie encadrée des sala-riés. Les positions de médiation sont occupées par des« remplaçants temporaires ou [par] des coordinateursde groupes dans la longue durée » (GHEORGHIU etMOATTY, 2005a, p. 24) qui ont en commun de pâtird’une faible reconnaissance de cette fonction et d’uneautorité insuffisante pour régler les problèmesinternes. Enfin, l’esprit d’équipe constitue une forme

de sociabilité propre qui distingue l’équipe du groupede travail au travers de son respect d’autrui et de sacapacité à résoudre des conflits en interne. Les rela-tions de coopération « s’appuient sur des dispositionsdurables des membres de l’équipe et doivent être resi-tuées selon leurs trajectoires et leurs carrières »(GHEORGHIU et MOATTY, 2005b, p. 117).Ces trois hypothèses nous fournissent trois dimen-sions qui nous permettent d’étudier la coopérationdans les équipes composites et d’identifier leurs spéci-ficités en matière de travail collectif, de positions de

RÉALITÉS MÉCONNUES

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« Les positions de médiation sont occupées par des « remplaçants temporaires ou [par] des coordinateurs de groupes dans lalongue durée » qui ont en commun de pâtir d’une faible reconnaissance de cette fonction et d’une autorité insuffisante pourrégler les problèmes internes. », jeune femme munie d’un porte-voix encourageant une équipe de régate, photo des années1930.

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médiation et d’esprit d’équipe. Dans une démarche despécification de la théorie (DUMEZ, 2006) à partir destravaux de Gheorghiu et Moatty (2005a et b) et selonceux présentés précédemment, le travail collectif neserait pas a priori différent dans le cas d’une équipehomogène en termes de statuts (GARSTEN, 2003 et2008). Les positions de médiation devraient égale-ment être les mêmes quels que soient les statuts d’em-ploi des travailleurs puisqu’elles ne se réduisent pas àun rôle de management des salariés. En ce quiconcerne l’esprit d’équipe, la question est de savoir siles « dispositions durables » des membres d’uneéquipe composite peuvent être ou non similaires àcelles des seuls membres salariés.

UNE ENQUÊTE DE TERRAINSUR LA COOPÉRATION AU SEIN D’ÉQUIPESCOMPOSITES

Afin d’investiguer la question de la coopération dansles équipes composites, l’approche de nature mono-graphique (GhEORGHIU et MOATTY, 2005a) est indi-quée, car elle permet de mettre en lumière les spécifi-cités et les enjeux relatifs à ce type d’équipe. Nousnous appuyons donc sur une enquête de terrain réali-sée par observation participante sur une durée de 30mois (d’avril 2009 à septembre 2011). Le processusde recherche s’apparente ainsi à de l’ethnographie(GARSTEN, 2011) et permet de restituer « ce qui sepasse en situation » (CHANLAT, 2005, p. 170). Le ter-rain de la direction des services généraux de GAMMASIGMA a été choisi pour l’hétérogénéité des statutsd’emploi de ses travailleurs ainsi qu’en raison de lapréparation d’un changement organisationnel majeur.Les logiques de travail et d’organisation s’affrontentde manière visible sur ce terrain particulier. L’auteureréalise une thèse de terrain au sens de Berry (2000),dans l’entreprise GAMMA SIGMA. Bénéficiant dudispositif de Convention Industrielle de Formationpar la Recherche (CIFRE), l’auteure est recrutée parcette entreprise sur la base d’un contrat à durée déter-minée, pour une durée de trois ans. Elle est intégréedans l’équipe de travail de sa tutrice dans l’entreprise(qui sera désignée par le prénom de Régine (1) dans lasuite de cet article), elle y est considérée commeexterne. Les collègues salariés ou externes de l’entre-prise n’appréhendant généralement pas les différencesexistant entre les statuts de stagiaire, d’apprenti et dedoctorant en CIFRE, l’auteure était ainsi perçu géné-ralement comme une étudiante par ses collègues de ladirection, mais comme une doctorante par sa tutriceet par les membres de son équipe. L’auteure a été ame-

née à réaliser les mêmes tâches que les autres membresde l’équipe, ce qui a rendu complète sa participation,à certains moments. Les personnes citées dans la res-titution de l’enquête seront désignées par un prénomdans le cas d’une relation de proximité avec l’auteure,et par un prénom et un nom, pour les relations restéesplus formelles.

L’entreprise GAMMA SIGMA : une restrictiondes embauches en CDI dans un contextede post-fusion

L’entreprise GAMMA SIGMA est née de la fusionopérée en 2008 entre l’entreprise GAMMA et l’entre-prise SIGMA. Au niveau du siège de l’entreprisefusionnée, les salariés de SIGMA se sont vu étendre lestatut d’emploi de GAMMA. À leurs côtés, des tra-vailleurs qualifiés d’externes réalisent des activitéspour le compte de GAMMA SIGMA dans le cadre decontrats de prestation, d’intérim, d’apprentissage oude conventions de stage. Cette catégorie d’« externe »marque une différence d’appartenance organisation-nelle qui se traduit par le port d’un badge de couleurdifférente et une adresse de messagerie précisant lamention « externe » dans son libellé. Cependant, dansles bureaux de GAMMA SIGMA, les salariés et lesexternes partagent les mêmes espaces et leurs nomssont mentionnés sur les portes des bureaux sans quesoit précisée leur qualité (de salarié ou d’externe).Pour la direction des services généraux, la répartitionest équilibrée (moitié salariés/moitié externes). Celas’explique par la forte externalisation des activités deservices généraux, comme la maintenance des équipe-ments, le nettoyage, l’accueil ou encore la restaura-tion. Par ailleurs, cette fonction largement considéréecomme périphérique par rapport au cœur de métierde l’entreprise ne fait pas l’objet d’une politique derecrutement prioritaire. Dans le contexte post-fusionde l’entreprise, les embauches sont limitées par uneprocédure de recrutement drastique imposée par ladirection générale. Les directions de l’entreprise sontpriées de recourir à la mobilité interne pour pourvoirles postes vacants. Dans la pratique, elles recourent àl’intérim et à des prestations de service, ce qui se tra-duit par l’augmentation du nombre des externes dansl’entreprise.

La transformation de la direction des servicesgénéraux de l’entreprise GAMMA SIGMA

Dans le contexte post-fusion de l’entreprise GAMMASIGMA, la direction des services généraux est issue durapprochement entre les directions des services géné-raux des anciennes sociétés GAMMA et SIGMA.L’activité de services généraux est par nature liée auxbâtiments de bureaux, puisqu’elle recouvre la mainte-nance et les services nécessaires au bon fonctionne-ment de l’entreprise. Ainsi, la reconfiguration des

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(1) La personne concernée a choisi d’être prénommée Régine lors de larestitution de notre enquête.

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bâtiments de bureaux faisant suite à la fusion façonnele périmètre d’action de la direction des services géné-raux. La direction générale de GAMMA SIGMAlance, juste après la fusion, un projet d’aménagementd’un nouveau site visant à y regrouper les salariés de larégion parisienne. Ce projet contribue à transformerle périmètre d’action de la direction des services géné-raux, qui passe ainsi d’une vingtaine de bâtimentsrépartis sur la région parisienne à cinq sites. Cette évo-lution conduit la directrice à vouloir mettre en placeune nouvelle structure organisationnelle plus adaptéeque celle issue de la fusion. Deux projets majeurssous-tendent cette transformation : un projet denature opérationnelle visant à assurer les activités deservices généraux dans les nouveaux bâtiments et unprojet de réorganisation ayant pour objectif de mettreen place une structure organisationnelle qui soit plusadaptée à la nouvelle configuration des bâtiments.Afin de mener à bien ces deux projets, la directrices’appuie sur deux équipes : une équipe projet opéra-tionnelle (l’équipe Delta Mach 1) et une équipe fonc-tionnelle (l’équipe contrôle interne pour le projet deréorganisation). Les membres de ces deux équipessont, d’une part, des salariés rattachés à la directiondes services généraux et, d’autre part, des externes. Lacomposition des deux équipes correspond donc bienà la notion d’équipe composite que nous avons préa-lablement définie.

LES ENJEUX DE LA COOPÉRATIONDANS LA TRANSFORMATION DE DEUX ÉQUIPESCOMPOSITES LORS D’UN CHANGEMENTORGANISATIONNEL

De décembre 2009 à juillet 2010 :la genèse des équipes composites

L’équipe Delta Mach 1 est issue de l’entité spécialiséedans les activités opérationnelles de la direction desservices généraux. Ses membres, salariés, sont détachés

de leurs activités récurrentes pour travailler à tempsplein sur le projet. L’équipe est complétée par deuxprestataires et une intérimaire déjà en mission dansl’entreprise. Pour les besoins du projet, l’équipe s’ins-talle dans les bureaux du bâtiment Mach 1 pour ymettre en place les activités de services généraux. L’équipe fonctionnelle est, quant à elle, une équipecomposée de deux salariés, de deux apprentis, d’uneintérimaire, d’un stagiaire, d’une consultante et d’unedoctorante (l’auteure de cet article). Cette composi-tion extrêmement diversifiée n’est pas étrangère aurôle joué par Régine, qui est officiellement responsa-ble du contrôle interne de la direction des servicesgénéraux, mais dont l’activité réelle s’apparente à cellede bras droit de la directrice. Afin de mener à bien lesactivités qu’elle réalise pour le compte de la directrice,Régine constitue une équipe de travail qu’elle renou-velle régulièrement en recrutant des étudiants (encontrat d’apprentissage ou en stage) pour une duréed’une année scolaire. Le tableau ci-dessous la composition et le type d’acti-vités de chacune des deux équipes sur la période2009-2010.

À partir de juillet 2010 : mise en place d’une équipeopérationnelle et renouvellement de l’équipefonctionnelle – Les enjeux de la coopérationet sa négociation dans les équipes

En juillet 2010, la directrice des services générauxquitte l’entreprise, elle est remplacée par le directeurimmobilier. La direction des services généraux devientà cette occasion la direction immobilière et logistique.À la fin du projet Delta Mach 1, les membres del’équipe projet sont affectés sur des postes relevant dela nouvelle structure qu’est la direction immobilière etlogistique. Jean-Luc prend la responsabilité de lamaintenance du nouveau bâtiment, avec une équipecomposée de deux salariés issus du projet, d’un salariéd’une filiale de GAMMA SIGMA mis à la dispositionde la direction des services généraux et de trois presta-taires provenant de trois entreprises différentes.

RÉALITÉS MÉCONNUES

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Tableau 1 : Présentation des deux équipes composites entre 2009 et 2010.NB : Les prénoms ont été soit choisis par les personnes concernées, soit modifiés par l’auteure.

Noms Équipe projet Delta Mach 1 Équipe fonctionnelle

Composition 10 salariés (dont Jean-Luc),2 prestataires,1 intérimaire.

2 salariés (dont Régine),2 apprentis (dont Anne),1 intérimaire (carole)1 stagiaire, 1 consultante,1 doctorante.

Types d’activités Gestion d’un projet de mise en placede prestations de services généraux.

Activités récurrentes de contrôleinterne et d’appui au projet de réorga-nisation mené par la directrice.

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Dans le même temps, Régine est nommée responsableRessources humaines et organisation de la directionimmobilière et logistique. Il était question qu’elle soitresponsable d’une équipe composée de trois salariés etd’externes. Cependant, sa nouvelle responsable adécidé que ce serait elle qui resterait la supérieure offi-cielle des trois salariés, Régine continuant toutefois àorganiser le travail en équipe et à être responsable desexternes. Ceux-ci se composent de quatre, puis dedeux apprentis, de deux intérimaires (respectivementun ex-stagiaire et un ex-apprenti de l’équipe), de lamême consultante et de la même doctorante que dansl’ancienne équipe.Le tableau ci-dessous présente la composition et les acti-vités de chacune des équipes sur la période 2010-2011.Pour étudier la coopération dans ces deux équipescomposites, nous recourons aux trois dimensionsissues des travaux de Gheorghiu et Moatty (2005a etb) portant sur l’étude du travail collectif, sur celle despositions de médiation et sur celle de l’esprit d’équipe.

La négociation de la coopération dans le travailcollectif

Le travail collectif s’entend dans des termes différentsentre les deux équipes. Alors que Régine demande engénéral à chaque membre de collaborer sur tous lesdossiers de l’équipe, Jean-Luc anime une équipe decollaborateurs qui, s’ils ont chacun un périmètre deresponsabilité délimité, ont besoin d’une informationglobale pour pouvoir travailler. Dans les deux cas, lesréunions d’équipe permettent de parler du travail etdes difficultés éventuelles, mais aussi (et surtout)d’avoir une information globale sur ce qu’il se passedans l’équipe et à l’extérieur de celle-ci. La négocia-tion opérée sur les modalités de coopération au seindes deux équipes peut être illustrée par la tenue d’uneréunion consacrée au fonctionnement de l’équipefonctionnelle et par la diffusion en interne d’un orga-nigramme de l’équipe opérationnelle.Selon les propos mêmes de Régine, la réunion sur l’or-ganisation du travail au sein de l’équipe RH et orga-nisation se tient pour les raisons suivantes :

« En ce moment, nous sommes dans la période où celafait deux mois que l’on travaille ensemble. Qu’est-ceque ça donne ? Qu’est-ce qu’il faut ajuster ? » (extraitd’un compte rendu de réunion).« Nous sommes nouvellement nommés, il y a180 personnes dans la direction, plus les filiales, plusles externes à la DIGL [direction immobilière et ser-vices généraux]. BL [le directeur] a décidé, aumoment de la fusion, de créer une équipe RH etOrganisation. Il faut que l’on fasse notre place »(extrait d’un compte rendu de réunion).Ces verbatims de Régine constituent des extraits dudiscours qu’elle a tenu lors de la réunion sur l’organi-sation du travail dans l’équipe RH et Organisation,qui rassemblait à ce moment-là quatre salariés et septexternes. Les éléments présentés auraient pu être lesmêmes si l’équipe avait été constituée uniquement desalariés (internes), sauf que dans les décisions prises encommun est apparue la nécessité que chaque dossiertraité par un externe soit suivi, en seconde main, parun salarié : « A priori, il faut un back up par externe »(extrait de notes prises en séance lors de la réunion).Chaque membre de l’équipe a en charge un certainnombre de dossiers, mais les salariés ne sont pas tenusd’être suivis par un autre membre de l’équipe. Suite àcette réunion, chaque membre de l’équipe a affiché lecompte rendu dans son bureau, comme pour marquerson accord avec le mode de coopération négocié lorsde la réunion.L’organigramme de l’équipe de Jean-Luc est un docu-ment non officiel, au sens où il représente l’organisa-tion du travail et non la structure formelle d’uneentité de la direction. Ce document était stocké surun répertoire informatique partagé par tous les mem-bres de la direction (voir la figure de la page suivante).De prime abord, cet organigramme ne précise pas lesstatuts d’emploi des travailleurs : seules leurs respon-sabilités sont précisées (au-dessous de chacune descases de la dernière ligne de l’organigramme).L’absence de lien entre les différents rectanglesbrouille l’idée de hiérarchie, contrairement à ce quel’on pourrait trouver dans un organigramme officiel.Cependant, le fait que les rectangles soient organisés

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Tableau 2 : Présentation des deux équipes composites entre 2010 et 2011.

Noms Équipe opérationnelle Équipe fonctionnelle

Composition 3 salariés issus de l’équipe projet DeltaMach1,3 prestataires de 3 entreprises diffé-rentes,1 salarié du groupe GAMMA SIGMAmis à la disposition de l’équipe.

4 salariés,4, puis 2 apprentis,2 intérimaires (dont Anne),1 consultante,1 doctorante.

Types d’activités Gestion de la maintenance des étagesde bureaux et organisation des démé-nagements entre les étages.

Mise en œuvre des politiques de res-sources humaines de l’entreprise, ausein de la direction.

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sur trois étages laisse entrevoir une logique de pouvoir.Les responsabilités de chacun des membres sont affi-chées et partagées au sein de l’équipe, et auprès desautres collaborateurs de la direction. Néanmoins, lesattributions de Bertrand et celles de Jean-Luc ne sontpas précisées, ce qui pose la question de l’ambiguïtédes positions de médiation.

Des positions de médiation reliées à la dynamiquedu rôle de manager

Comme nous pouvons le voir sur l’organigramme ci-dessus, le rôle de Jean-Luc n’est pas clairement préciséet le positionnement de son rectangle juste en-dessousde celui de Bernard laisse entendre qu’il est le subor-donné de celui-ci. Jean-Luc était le manager officielde sa précédente équipe, mais la situation, en 2010,n’est plus aussi claire. Il assume le rôle de managerauprès de l’équipe, organisant les réunions de travailavec l’ensemble des travailleurs et pas seulement avecles salariés internes.Néanmoins, comme il me l’a lui-même expliqué :« Je donne les informations sur l’entreprise et sur ladirection, notamment [sur] les changements d’organi-sation, lors des réunions que j’anime avec l’ensembledes collaborateurs, salariés et externes. » (extrait d’unentretien avec Jean-Luc).Ainsi, Jean-Luc relaie l’information entre les réunionsqui concernent plutôt l’organisation interne de l’en-treprise et les réunions de travail qu’il anime. Ilajoute : « J’ai besoin de donner accès au répertoirepartagé à mes collaborateurs externes. En attendant,tout est sur clés USB, ce qui n’est pas très sûr... »(extrait d’un entretien avec Jean-Luc).

En effet, les prestataires externes ne sont pas censésavoir accès aux dossiers informatiques de l’entreprise.Mais, pour les besoins de l’activité, il n’est pas rarequ’ils obtiennent les mêmes accès que les salariés.Jean-Luc réalise donc une médiation non seulementau sein de l’équipe, mais également auprès des respon-sables hiérarchiques de l’entreprise, pour garantir desconditions de travail optimales. Il fait le lien entre lesréunions internes, d’organisation, et les réunions detravail, dans lesquelles sont présents les externes. Sonrôle de médiateur a été brièvement remis en cause ausein de la direction, mais il est apparu incontournablepar la suite, puisque Jean-Luc est désormais le mana-ger officiel des services généraux des immeubles dusiège de l’entreprise GAMMA SIGMA.La position de médiation de Régine ressemblait à cellede Jean-Luc : elle était officiellement manager del’équipe contrôle interne, une position qu’elle n’oc-cupe plus au sein de l’équipe RH et Organisation.Cette situation est rapportée de la manière suivantedans le compte rendu de la réunion sur le fonctionne-ment de l’équipe RH et organisation : « Officiellement, Régine n’est pas chef d’équipe. C’estMadeleine Bretonou qui délègue officieusement àRégine la responsabilité de l’équipe » (extrait d’uncompte rendu de réunion, le prénom et le nom de laresponsable ont été modifiés par l’auteure).Même si Régine n’est pas le manager officiel del’équipe, son rôle de médiateur est accepté par tous lesmembres, salariés comme externes. Cependant, ellecherche à récupérer le rôle officiel de manager quiétait le sien dans la précédente structure. Les événe-ments qui ont suivi ne lui ont pas permis d’obtenir lareconnaissance formelle à laquelle elle aspirait. Elle

RÉALITÉS MÉCONNUES

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Figure 1: Organigramme de l’équipe opérationnelle (seuls les noms ont été modifiés).

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choisit alors de mettre fin à son rôle de médiateur, etquitte définitivement l’entreprise, en février 2012.Pendant toute la durée de sa position de médiation,Régine a fait en sorte que l’ensemble des membres del’équipe soient toujours invités aux manifestationsorganisées par la direction et par l’entreprise. Pour lesréunions « plénières » de la direction ( qui portent engénéral sur l’organisation), elle demande que sonéquipe soit présente au complet. A contrario, Jean-Lucne demande pas à la direction d’inviter les collabora-teurs prestataires lors des manifestations internes àl’entreprise, mais il ne manque pas d’informerl’équipe des changements d’organisation. Une col-lègue de Régine lui expliquait qu’elle avait invité sescollaborateurs à déjeuner au restaurant pour fêter lafin de l’année, mais pas les externes, qui travaillaient(pourtant) à leurs côtés :« Bah…, tu comprends, ils ne font pas partie de l’en-treprise… : je ne pouvais pas les inviter », avait-elle dità Régine pour justifier son attitude. Ces trois types de comportement de médiation illus-tre un continuum possible entre une intégration totaledes externes dans la vie sociale de l’entreprise et leurmise à l’écart de tout ce qui ne relève pas du travail.

La construction d’un esprit d’équipe au traversdes passations de consignes et d’un sentimentd’appartenance à une communauté

Dans les deux équipes composites, la perspective de lafin de la mission dans l’entreprise est présente dès ledébut de l’intégration d’un externe au sein du collec-tif de travail. Néanmoins, des mécanismes d’intégra-tion liés au travail et à la communauté permettent àl’équipe de perdurer même si les membres sont pourpartie renouvelés chaque année. Dans l’équipe opérationnelle, j’ai pu observer unepériode de passation de consignes (le tuilage) entreZygo, un prestataire de l’entreprise X, et Michel, unprestataire de l’entreprise Y. Non seulement Zygomontrait à Michel la manière dont il réalisait ses acti-vités, mais il le présentait aussi à ses relations de tra-vail, et également à ses relations plus informelles. Eneffet, Zygo emmenait Michel avec lui lors des pausescigarettes qui se déroulaient en bas de l’immeuble etle présentait aux personnes avec lesquelles il aimaitpartager ses instants de détente comme étant « sonremplaçant ». Ainsi, la passation réalisée par Zygo vaau-delà de la simple explication des activités : il intè-gre son successeur dans le réseau de relations qu’il s’estcréé. Cela a marché puisque Michel est resté un andans l’équipe après le départ de Zygo, et je l’ai vu par-tageant des pauses cigarettes avec les anciens collèguesde Zygo.Dans le cas de l’équipe RH et Organisation, Anne etCarole, qui étaient apprenties, sont devenues intéri-maires au sein de l’équipe, puis elles ont été recrutéespour réaliser d’autres missions dans la direction.

Comme elles ont toujours travaillé au même étageque les membres de l’équipe RH et Organisation, ellesont continué à prendre leurs pauses café et leurs repasavec eux. Lorsque Carole est partie définitivement del’entreprise, l’intérimaire qui a été recrutée sur desmissions similaires et qui a été installée dans le bureauqu’occupait Carole s’est présentée comme « Sophie,l’intérimaire qui remplace Carole ». Elle aurait vouluelle aussi prendre part aux pauses café et aux repas prisentre Anne et l’équipe RH et Organisation, mais celan’a pas marché. Les relations que Carole avaientconstruites avec les membres de l’équipe, du temps oùelle travaillait avec eux, s’étaient transformées en rela-tions personnelles. Sophie n’étant pas amenée à tra-vailler avec Anne ni avec les membres de l’équipe, larelation ne pouvait qu’être différente. Ainsi, le senti-ment de communauté que partageaient Anne, Caroleet les autres membres de l’équipe, ne pouvait pas êtreétendu à Sophie, en l’état. Le fait qu’Anne et Caroleaient travaillé au sein de l’équipe contrôle interne (quiest devenue l’équipe RH et Organisation) a forgé unesprit d’équipe qui a perduré au-delà de la réalisationdu travail collectif. Le tableau de la page suivante réalise la synthèse desrésultats obtenus sur les trois dimensions étudiées.

LA COOPÉRATION AU SEIN D’UNE ÉQUIPECOMPOSITE DANS LE CONTEXTED’UNE COLLABORATION CONFLICTUELLEGÉNÉRALISÉE

La coopération dans les deux équipes composites étu-diées se négocie entre les membres salariés et lesexternes au travers de l’organisation du travail. Unedistribution claire des rôles et des responsabilités ainsiqu’une construction commune de la façon de travail-ler ensemble constituent des conditions de la coopé-ration dans l’équipe. La différence majeure entre uneéquipe composite et une équipe constituée de travail-leurs bénéficiant d’un même statut d’emploi devientvisible lorsque la direction rappelle les membres del’entreprise, pour certains événements ou des réorga-nisations. Les positions de médiation occupées par les personnesqui animent le collectif sont cruciales. Comme nousl’avons vu précédemment, ces personnes peuvent êtreofficiellement managers ou non des salariés del’équipe et elles jouent un rôle important dans l’inté-gration des externes, qui va au-delà du travail réaliséen commun. Smith (2001) illustre très clairement cerôle dans son étude de l’intégration des intérimairesdans une grande entreprise américaine. Cette auteuremontre également comment les managers créent unsystème de mobilité pour les intérimaires à l’intérieurde la direction ou de l’entreprise afin de garder les per-sonnes qu’ils ont formées et qui se montrent particu-

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lièrement performantes. Ainsi, les externes réalisentdes trajectoires à l’intérieur de l’entreprise proches descarrières menées par les salariés, du moins sur le courtterme. En termes de coopération, ces observations permet-tent d’étayer les propos de Gheorghiu et Moatty(2005b) sur l’importance des dispositions durablesdes membres de l’équipe. Avec les trajectoires indivi-duelles d’Anne et de Carole, l’équipe composite s’en-visage également comme résultant d’une intégrationpar le travail dans l’organisation de l’entreprise. Le faitque ces deux apprenties aient été recrutées sur desmissions d’intérim, d’abord dans l’équipe, puis dansd’autres entités de la direction, met en lumière l’im-portance du rôle des médiateurs et l’intérêt pour lesexternes de coopérer.Cependant, malgré une appartenance à la catégorieglobale des externes, les prestataires, les intérimaires,les stagiaires et les apprentis ne semblent pas avoir lesmêmes accès ni les mêmes opportunités dans l’organi-sation. En effet, les données du terrain laissent entre-voir le fait que les prestataires techniques, étant sala-riés d’une autre entreprise, sont moins facilementconviés aux événements sociaux et aux réunions trai-tant de l’organisation de l’entreprise. Le travail sembleconstituer l’attachement principal des prestataires àl’entreprise et cela peut expliquer la réussite de la pas-sation du témoin entre Zygo et Michel, dans le cas del’équipe opérationnelle. Le cas de Carole et de sa« remplaçante » intérimaire montre un autre aspect,qui relève d’une intégration dans une communautésur le lieu de travail qui dépasse le seul cadre de la réa-lisation d’activités professionnelles. Les conditions de

la coopération mêlent donc des logiques de travail etdes logiques d’organisation dans des proportions quisemblent dépendre du statut du travailleur.Les intérimaires, dont le statut est plus précaire quecelui des prestataires, vont s’investir dans le travailafin d’y trouver une stabilité que ne leur donne pasleur statut. Leur intégration dans l’organisation autravers de leur participation aux événements de l’en-treprise sera d’autant plus appréciée qu’elle les sécuri-sera, en assouvissant chez eux un besoin d’apparte-nance et de reconnaissance. De l’autre côté, lesmédiateurs seront plus enclins à faire du lobbyingauprès de la direction pour que celle-ci invite un inté-rimaire à un événement organisé par l’entreprise plu-tôt qu’en faveur d’un prestataire (externe), qui luipeut être invité par l’intermédiaire de son propreemployeur. Les apprentis et les stagiaires travaillent dans l’entre-prise dans le but d’obtenir un diplôme et sont généra-lement encadrés par des salariés expérimentés, qui lesintègrent dans l’organisation de l’entreprise. Étant ensituation de découverte de l’entreprise, ils accèdentrelativement facilement aux événements organisés parcelle-ci. S’il est vrai qu’ils peuvent être écartés des réu-nions traitant de l’organisation de l’entreprise, l’argu-ment selon lequel ils sont en formation peut leurouvrir les portes de certaines réunions, auxquelles ilsassistent en qualité d’observateurs. Ces types d’argu-ments étaient notamment utilisés par Régine pourconvier les apprentis, « chacun à leur tour », à cer-taines réunions. Ainsi, les salariés s’habituent, enretour, à ouvrir les réunions auxquelles ils participentà des travailleurs extérieurs.

RÉALITÉS MÉCONNUES

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Tableau 3 : Synthèse des résultats de notre étude sur la coopération dans deux équipes composites.

Dimension d’étude Équipe opérationnelle Équipe RH et Organisation

Travail collectif Représentation de l’équipe formaliséeen interne avec une distribution desrôles dépassant les statuts d’emploi.

Organisation du travail négociée etpartagée par tous les membres.

Position de médiation Jean-Luc convie les membres salariéset externes dans les réunions de tra-vail, mais il ne demande pas leur inté-gration dans les réunions traitant del’organisation de la direction.Evolution des responsabilités de Jean-Luc, avec la formalisation de son rôlede manager.

Régine met un point d’honneur àconserver l’unité de l’équipe dans lesréunions et dans les événements orga-nisés par l’entreprise.Des difficultés surviennent quand elleperd le statut formel de manager, celaconduit à son départ, et à la dissolu-tion de l’équipe.

Esprit d’équipe Les membres prestataires procèdent àdes passations de consignes lorsqueles contrats sont attribués à d’autresentreprises. Les travailleurs se trans-mettent non seulement les dossiers,mais également des relations de travailet de « bon voisinage ».

Les anciens membres de l’équipecontinuent à partager leurs repas etleurs pauses (et certains d’entre eux seretrouvent, après le travail).

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Les conditions de la coopération relevant spécifique-ment du cas des équipes composites reposent sur unéquilibre dans le traitement des membres de l’équipeen fonction de leur statut. Le rôle du médiateur est encela d’autant plus important, qu’à la différence d’uneéquipe homogène, l’équipe composite implique desstatuts d’emploi dont il s’agit non seulement deconnaître les spécificités légales, mais aussi d’intégrerdans l’organisation. L’entreprise met en place un cer-tain nombre de procédures relatives à la gestion et àl’intégration des externes (GARSTEN, 2008), allantparfois jusqu’à distinguer les intérimaires des presta-taires et des étudiants (JACOB, 2012). Les travaux sur les conséquences de la flexibilité de lamain-d’œuvre pointaient des contradictions fortespesant sur la coopération et la génération d’une unitéet d’une cohésion collective durables entre des indivi-dus aux statuts différents (EVERAERE, 2012).Cependant, la question de la divergence des intérêts sepose en des termes plus généraux que celle des simplesdifférences de statuts. Dans une perspective marxiste,Delbridge (2007) parle de collaboration conflictuelle(conflicted collaboration) pour décrire la situationactuelle de travailleurs, dont les identités liées à l’âge,au sexe, à l’ethnie et au statut d’emploi sont sources àla fois de coopération et de conflit.Dans ce contexte de collaboration conflictuelle géné-ralisée, la superficialité du travail en équipe décrite parSennett (2000) peut malgré tout constituer une pro-tection temporaire des travailleurs dans le système depouvoir qui se met en place. En effet, les réorganisa-tions permanentes et les compressions de personnelsont constitutives d’une réinvention discontinue desinstitutions (SENNETT, 2000). Elles n’empêchent paspour autant les entreprises de continuer à avoir besoinde travailleurs pour réaliser des activités. La spécialisa-tion flexible (SENNETT, 2000) concentre sur lesmêmes lieux de travail des travailleurs aux statutshétérogènes. Enfin, la concentration du pouvoir sanscentralisation perpétue « un système de commande-ment, dans une structure, qui n’a plus la clarté d’unepyramide » (SENNETT, 2000, p. 76). Le fonctionne-ment en équipe composite dans l’entreprise contribueà en brouiller la structure, l’organisation formelle del’entreprise ne correspondant plus en rien à l’organisa-tion du travail en son sein. Néanmoins, les individusau travail peuvent y trouver un lieu de coopération.

CONCLUSION

La généralisation du recours à des travailleurs exté-rieurs dans les entreprises a conduit à une mixité per-manente de la main-d’œuvre en termes de statutsd’emploi. Si les conditions d’emploi et les régimesjuridiques afférents aux statuts de salarié, de presta-taire, d’intérimaire, de stagiaire et d’apprenti sont très

différents entre eux, les personnes travaillant dansl’entreprise avec ces statuts sont toutes considérées,dans l’entreprise, comme des « externes ». Salariés etexternes travaillent désormais au sein des mêmeséquipes de travail. L’enquête que nous avons réaliséesur les spécificités de la coopération dans deux équipescomposites a montré le rôle prédominant du média-teur et l’influence de l’organisation formelle de l’en-treprise sur ce rôle. L’un des deux responsablesd’équipe a quitté l’entreprise à cause de la non prise encompte de son rôle effectif de manager d’équipe, etl’autre a, dans un premier temps, été mis en dangerdans l’organisation, avant d’être reconnu et officialisédans son rôle de manager d’équipe composite.Dans ses discours, le dirigeant parle des salariés del’entreprise. Il dit qu’il faut les motiver, qu’il fautmieux les former et les faire évoluer dans l’entreprise.Cela n’est plus aussi simple dans une entrepriseregroupant des équipes composites. Si la coopérationreste possible (dans les conditions que nous avonsexposées dans cet article), la confusion généraleactuelle entourant la question des statuts d’emploidans l’entreprise met en danger les équilibres relatifsqui se constituent notamment grâce aux positions demédiation occupées par certains managers et par cer-tains animateurs d’équipes composites. L’analyse des problématiques actuelles de l’emploi etdu travail soumise au prisme des équipes compositesy gagnerait ainsi en finesse et en pertinence. Dans la lignée des travaux de Zimmermann (2011),nous appelons de nos vœux des enquêtes réintégrantle rôle de l’entreprise et du collectif de travail dans lasécurisation des parcours professionnels des travail-leurs. �

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RÉALITÉS MÉCONNUES

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INTRODUCTION

Ces dernières années, le débat épistémologiqueconcernant la recherche qualitative, notamment engestion, a été dominé par la question des paradigmes :il y aurait, d’une part, un paradigme positiviste, ounéo-positiviste, et, d’autre part, des paradigmesconstructivistes et un paradigme interprétativiste

(GIROD-SÉVILLE & PERRET, 1999 ; WEBER, 2004 ;AVENIER & THOMAS, 2012). Avant même de com-mencer sa recherche, tout chercheur devrait choisir dese situer dans un de ces paradigmes, et s’y tenir toutau long de sa recherche. Ses résultats ne seraient dèslors susceptibles d’évaluation que dans le seul cadre dece paradigme. Les méthodes quantitatives seraientl’apanage du paradigme positiviste, tandis que larecherche qualitative se situerait du côté des para-digmes constructivistes ou interprétativiste. Les onto-logies, les épistémologies, les méthodologies, les théo-ries de la vérité, de la validité, de la fiabilité, seraientdifférentes selon le paradigme choisi. Cette approche

QU’EST-CE QUELA RECHERCHEQUALITATIVE ?PROBLÈMESÉPISTÉMOLOGIQUES,MÉTHODOLOGIQUESET DE THÉORISATION

Au moment où la recherche en sciences sociales s’oriente de plus en plusvers la modélisation, les méthodes quantitatives ou l’expérimentation, ilapparaît important de refonder la démarche qualitative (qu’il est d’ailleursplus juste d’appeler démarche compréhensive). À partir d’un livre consacré àla méthodologie de la recherche qualitative (DUMEZ, 2013), cet article identi-fiera les risques épistémologiques associés à ce type de recherche et préci-sera les résultats scientifiques que l’on peut en attendre.

Par Hervé DUMEZ*

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* Directeur de recherche au CNRS, directeur du Centre de recherche engestion de l’École Polytechnique.

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des questions épistémologiques a été critiquée(WEBER, 2004 ; DUMEZ, 2010b, 2012b, 2013). Nousne reviendrons pas sur ces débats. L’approche dévelop-pée ici est d’une toute autre nature. L’objet de cet arti-cle est de montrer, tout d’abord, que l’oppositionentre recherche qualitative et recherche quantitativeest stérile et qu’il vaut donc mieux parler de démarchecompréhensive, dans la tradition de Dilthey, Weber etPopper ; ensuite, de mettre en évidence les troisrisques épistémologiques concrets liés à ce type d’ap-proche (les acteurs abstraits, la circularité et l’équifina-lité) ; puis d’essayer d’établir comment il est possiblede gérer ces risques épistémologiques concrets et,enfin, de préciser quels peuvent être les apports scien-tifiques d’une démarche compréhensive (ses méca-nismes, ses typologies, la redéfinition des concepts).

QU’EST-CE QUE COMPRENDRE ?LA FAUSSE OPPOSITION ENTRE QUALITATIFET QUANTITATIF

L’opposition entre qualitatif et quantitatif nous appa-raît artificielle pour plusieurs raisons.La première de ces raisons est le fait que les acteurs quisont étudiés par les sciences sociales sont des agentscalculateurs (CALLON, 1998). Ils calculent en perma-nence, ils le font bien ou mal. Le phénomène n’estguère nouveau : Braudel (1979) expliquait qu’auxXVIe et XVIIe siècles, on pouvait survivre même en nesachant pas lire, mais on survivait beaucoup plus dif-ficilement si l’on ne savait pas compter. Comment dèslors prétendre comprendre les acteurs ou les agentssans étudier la manière dont ils produisent et traitentles chiffres ?La question se pose encore plus directement quand lesagents en question sont des États, des entreprises, desorganisations, ou même des associations à but nonlucratif. Les organisations produisent des chiffres enpermanence, elles y sont d’ailleurs obligées légale-ment. Elles le font pour répondre à des besoinsinternes (pour prendre leurs décisions, élaborer unestratégie, se développer), mais aussi pour un usageexterne dans leur dialogue et leurs interactions avecleur environnement. Il paraît difficilement pensablede mener une recherche sur une organisation en fai-sant abstraction des chiffres qu’elle manie et des ins-truments de gestion mobilisés pour les produire(BERRY, 1983 ; MOISDON, 1997).Enfin, c’est l’une des tâches du chercheur que de pro-duire lui-même des chiffres et de les traiter, afin demieux comprendre ce que font les acteurs qu’il étudie,notamment pour prendre de la distance avec ce qu’ilsdisent de leurs actions. Il est par exemple intéressantde confronter ce que dit un dirigeant d’entreprise, lorsd’un entretien, du temps qu’il consacre à sa réflexionstratégique, avec la mesure fine et quantifiée que fait

le chercheur de l’emploi du temps dudit dirigeant(DELPEUCH & LAUVERGEON, 1988). La mesure quan-tifiée permet de mettre en évidence les décalages entreles discours et les perceptions, d’une part, et les pra-tiques, de l’autre (BERRY, 1983).On voit donc bien que la recherche qualitative nepeut pas se permettre d’exclure le quantitatif. Deuxquestions se posent dès lors : comment faire pour arti-culer le qualitatif et le quantitatif ? Et quelle est la dif-férence entre la recherche qualitative et la recherchequantitative, si celles-ci se mêlent dans la pratique ?La première question renvoie à deux problèmes : lagestion du temps dans la recherche, d’une part, et lescompétences, de l’autre. La recherche est elle-mêmesoumise, comme l’avait bien mis en évidence Peirce, àun calcul coûts/bénéfices. La démarche qualitativeprend beaucoup de temps. Il apparaît difficile de pou-voir la mener de front avec une recherche quantitativesophistiquée. Par ailleurs, les méthodes quantitativessont en constante évolution et exigent des compé-tences de plus en plus pointues. Si la recherche quali-tative n’exclut pas un traitement quantitatif, il fautqu’elle parvienne à trouver des méthodes qui offrentun bon compromis entre leur simplicité de manie-ment et leur robustesse.Reste la seconde question : si le qualitatif ne peut sepasser en pratique de quantitatif, sous une formecertes adaptée, quelle est dès lors sa spécificité ?La recherche quantitative, dit Ragin, est une stratégiede recherche orientée par les variables (variable-orien-ted research strategy – RAGIN, 1999, p. 1137).Lorsqu’elle mène une narration, par exemple, c’estsoit qu’elle cherche à expliquer une anomalie dans lepouvoir explicatif de ces variables, soit que ce sont lesvariables elles-mêmes qui agissent dans la narration(ABBOTT, 1992). Au contraire, la recherche qualita-tive s’efforce d’analyser les acteurs comme ils agissent.Elle s’appuie sur le discours de ces acteurs, leurs inten-tions (le « pourquoi » de l’action), les modalités deleurs actions et de leurs interactions (le « comment »de l’action). Popper (1988, p. 198) parle d’étudier des« actions, interactions, buts, espoirs et pensées ». Plusque de recherche qualitative, il faut donc parler derecherche compréhensive laquelle permet de manierdu quantitatif tout en gardant son objectif de compré-hension des acteurs. Celle-ci ne relève pas de l’empa-thie, au sens où il faudrait entrer dans l’identité desacteurs étudiés, leurs émotions, leurs pensées, pourpouvoir les partager. Il s’agit plus justement d’une« logique de situation » au sens de Popper (1979), parexemple d’une situation de gestion (GIRIN, 1990),c’est-à-dire l’objectivation des éléments d’un contextefait d’actions et d’interactions. La démarche compré-hensive se place donc bien dans le cadre d’unedémarche scientifique, objectivante et susceptibled’être critiquée. Dans ce cadre, une distinction fonda-mentale doit être faite entre la situation telle que lavivent les acteurs et la situation telle qu’elle est analy-

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sée par le chercheur. Ces deux visions doivent êtremises en tension, et c’est de cette tension que naîtl’analyse. Cette distinction fondamentale a été faitepar Pareto, mais on la retrouve également dans touteanalyse de l’action (WEINBERGER, 1998 ; DUMEZ,2006), qui distingue le point de vue des acteurs decelui du chercheur, cela, ex ante et ex post.Quels sont les risques associés à ce type de recherche ?Ils sont de trois ordres comme nous l’avons vu dansl’introduction, et le premier d’entre eux est directe-ment lié à cette dimension de la compréhension.

LE RISQUE DES ACTEURS ABSTRAITS

Une démarche de recherche qualitative n’a de sens quesi elle montre et analyse les intentions, les discours etles actions et interactions des acteurs concrets, dupoint de vue des acteurs eux-mêmes mais aussi dupoint de vue du chercheur. C’est-à-dire si elle décrit etsi elle narre. L’accent mis sur la compréhension desstratégies des acteurs dans un système d’action faitprécisément la force de la sociologie des organisationsdepuis les travaux de Crozier (1964), et de Crozier etFriedberg (1977). L’ouvrage de Michel Crozier, paruen 1965, Le phénomène bureaucratique – une descrip-tion du monde des employés de bureau –, resteaujourd’hui un modèle de ce que peut être le « don-ner à voir » des acteurs agissant (CROZIER, 1965). Ilfaut donc rompre avec l’idée que la description et lanarration devraient être exclues de l’analyse du faitque ce serait des formes littéraires et subjectives, desformes extra-scientifiques : elles doivent au contraireêtre envisagées comme des méthodes scientifiquesobjectivantes et susceptibles de critique. Quel seraitl’intérêt d’une recherche qualitative si elle ne donnaitpas lieu à voir les acteurs et l’action ? Cela semble rele-ver du truisme, mais ce n’en est pas un. Combien d’ar-ticles, de livres, de mémoires ou de thèses de recherchequalitative donnent le sentiment au lecteur, une foisachevée la lecture de dizaines, parfois de centaines depages, qu’il n’a vu nulle part les acteurs agir, penser,s’affronter, débattre, tenter des choses, développer desprojets, réussir, échouer ? Des montagnes de donnéesont pu être présentées et brassées sans qu’à aucunmoment les acteurs et les actions n’aient été montrés,et donc analysés. Il faut rompre aussi avec l’idée selonlaquelle description et analyse seraient indépen-dantes, voire opposées : il n’y a pas de bonne descrip-tion sans de bonnes interrogations théoriques, commeil n’y a pas de bonnes analyses théoriques si les des-criptions sont pauvres (ACKERMANN et alii, 1985 ;DUMEZ, 2010a, 2011).Comment expliquer ce paradoxe d’une recherchequalitative menée sans montrer des acteurs concretsagissant concrètement ? C’est tout simplement parceque l’on a mis l’accent sur des acteurs abstraits (les

structures, les valeurs, les intérêts, etc.) au point deperdre de vue les acteurs concrets, en recourant à ceque Durkheim appelait des « êtres de raison ». Dequoi est-il question ? « [Un être de raison], c’est uneentité causale qui n’existe que dans la tête de celui quiy a recours. » (BOUDON, 2006, p. 266). Elle sert d’ex-plication aux phénomènes étudiés, alors qu’en fait ellen’explique rien, elle n’est qu’une boîte noire. Les cher-cheurs les plus avertis peuvent même s’y laisser pren-dre, comme le reconnaissait lui-même Tocqueville :« J’ai souvent fait usage du mot égalité dans un sensabsolu ; j’ai, de plus, personnifié l’égalité en plusieursendroits, et c’est ainsi qu’il m’est arrivé de dire quel’égalité faisait de certaines choses, ou s’abstenait decertaines autres […] Ces mots abstraits […] agrandis-sent et voilent la pensée. » (cité in BOUDON, 2006,p. 265). Pour essayer d’éviter le risque des acteurs abs-traits, qui guette même les plus grands chercheurs,comme on vient de le voir avec Tocqueville, le pointcrucial est la détermination de l’unité d’analyse. C’estune notion particulièrement difficile à définir. On laconfond souvent avec le niveau d’analyse ou avec ladétermination du périmètre de l’étude empirique.Par niveau d’analyse, on entend une sorte de hiérar-chie allant du micro au macro, de l’individu auxéquipes, à l’organisation, au secteur et à l’interorgani-sationnel (LECOCQ, 2012). Si l’on veut éviter lerisque des acteurs abstraits, on pourrait penser qu’ilsuffit d’éviter les niveaux qui semblent leur corres-pondre (secteur, organisation, équipe) et donc dechoisir de se situer au niveau des individus. Dans laréalité, les choses sont plus complexes. Ce n’est pasparce que l’on a décidé d’étudier des acteurs indivi-duels (par exemple, sous la forme d’entretiens) quel’on va automatiquement les voir agir ; à l’inverse, cen’est pas parce que l’on a décidé d’étudier un secteurindustriel que l’on ne verra pas des acteurs penser,décider et agir. Ce n’est donc pas le niveau d’analysequi importe, mais plutôt la manière dont sont articu-lés entre eux les différents niveaux (LECOCQ, 2012),justement à partir du choix pertinent de l’unitéd’analyse qui va, elle, permettre de donner à voir ounon les acteurs et l’action. Des chercheurs qui ontchoisi d’étudier des individus peuvent passer à côtéde la dimension compréhensive alors que des cher-cheurs qui ont fait le choix d’étudier des technologiespeuvent parfaitement donner à voir les acteurs àl’œuvre.La détermination du périmètre de l’investigationempirique se précise en partie en fonction des sou-haits du chercheur, mais aussi en fonction des oppor-tunités qui s’ouvrent ou se ferment à lui. Imaginonsqu’un chercheur dise : mon cas d’étude correspond àun laboratoire de recherche d’IBM, voire même à unprojet de recherche particulier mené au sein de celaboratoire. En disant cela, le chercheur n’a pas pré-cisé quelle était son unité d’analyse, il a juste défini lepérimètre de son domaine d’investigation empirique.

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La difficulté à définir l’unité d’analyse vient en réalitédu fait qu’elle se situe à un échelon intermédiaire, àl’articulation entre la théorie et le terrain. Commesouvent, cet échelon est difficile à définir et encoreplus à montrer. La définition de l’unité d’analyse a àvoir avec deux questions fondamentales. La premièreest : “What is it a case of ?” (RAGIN & BECKER, 1992),que l’on peut traduire par : « De quoi mon cas est-ilun cas ? » Cette question renvoie donc à une sorte decatégorisation dans laquelle le domaine empirique del’investigation peut entrer (sachant qu’il peut être rat-taché à plusieurs catégories, celles-ci n’étant pas exclu-sives l’une de l’autre). Cette première question amènele chercheur, d’une certaine manière, à sortir de soncas empirique pour le regarder d’une autre manière, etarriver ainsi à le caractériser. La seconde question, àl’inverse, consiste à entrer dans le cas empirique pourse demander : « À quoi vais-je m’intéresser ? De quoimon cas est-il fait ? ». Une manière de faire qui se rap-proche de ce que Popper (1988, p. 189) appelait un« point de vue préconçu de sélection » : une manièreà la fois de voir et de sélectionner ce sur quoi va por-ter l’analyse proprement dite. Il s’agit de cadrerl’énigme (framing the puzzle – ALLISON, 1969,p. 715).Le deuxième risque épistémologique auquel estconfrontée toute recherche, mais plus particulière-ment la recherche qualitative, est celui de la circula-rité.

LA CIRCULARITÉ : LE RISQUE DE SE FOCALISERSUR LES SEULS FAITS VENANT CONFIRMERLA THÉORIE

Comme le note Popper (1988, p. 140, note 2) : « Onpeut dire d’à peu près n’importe quelle théorie qu’elles’accorde avec quelques faits ». C’est le risque de cir-cularité (BAMFORD, 1993). Thomas Jefferson l’avaitidentifié bien avant Popper : « Dès le moment qu’unepersonne se forme une théorie, son imagination nevoit plus, dans tout objet, que les traits en faveur decette théorie » (BERGH, 1905, p. 312). Ce risque existedans toute démarche scientifique, mais il est d’autantplus élevé dans le cas de la recherche qualitative oucompréhensive que le matériau recueilli dans ce typede démarche est riche et hétérogène (YIN, 2008) etqu’il est donc toujours facile de trouver tel ou tel faitqui vienne conforter telle ou telle théorie. Commentdès lors gérer un tel risque ?Du côté de la théorie, deux points centraux se déga-gent. D’une part, la théorie ne doit pas être tropcontraignante du moins au début de la recherche. Sonbut à ce stade est d’orienter la recherche, notammentle recueil du matériau, et non pas de la structurer(sinon, le risque de circularité s’accroît). C’est doncavec raison que Whyte (1984) parle d’ « orienting

theory ». Diane Vaughan (1992, p. 191) présente,quant à elle, les choses ainsi : « J’ai utilisé ces catégo-ries très larges, plutôt qu’un schéma organisant plusdétaillé, pour maximiser le processus de découverte.L’important pour un agencement heuristique est qu’ilsensibilise, qu’il ouvre le chercheur à la possibilité.Démarrer avec quelques grands concepts [qui soient]provocateurs et qui créent des typologies discrimi-nantes nous rend possible un premier traitement dumatériau, un passage au crible des données, qui meten lumière les variations et les ambiguïtés dans lescatégories. »D’autre part, la théorie produite et maniée dans larecherche qualitative est d’un genre particulier. Elledoit être spécifiée sous forme d’histoires hypothé-tiques : « En aucune manière, les propositions théo-riques ne devraient être considérées en sciencessociales avec le formalisme de la grande théorie. Ellesdevraient juste suggérer un jeu de relations, une his-toire hypothétique portant sur le pourquoi desactions, des événements, des structures et des penséesqui se sont produits » (SUTTON & STAW, 1995,p. 378). Certains auteurs parlent, quant à eux, de« mécanismes sociaux ». Nous reviendrons par la suitesur cette notion.De son côté, le matériau, si l’on veut éviter le risquede circularité, doit être traité de manière (relative-ment) indépendante de la théorie. Le codage théo-rique, lequel consiste à poser un cadre théorique, puisà coder tout le matériau à partir des catégories théo-riques définies dans ce cadre, maximise le risque decircularité, il doit donc être évité. En effet, il « force »les données (KELLE, 2005). Il faut au contraire coder,non pas sans doute de manière totalement indépen-dante de toute théorie, comme le prévoit la théorisa-tion ancrée (grounded theory), mais en combinant lescodes tirés du matériau et les codes tirés de la théorie(ALLARD-POESI, 2003, 2011 ; AYACHE & DUMEZ,2011a, 2011b).La démarche qualitative ou compréhensive reposealors sur des confrontations successives entre les théo-ries spécifiées en termes d’effets prédits (ce que jedevrais observer si la théorie est juste) et le matériauspécifié à l’aide d’un codage relativement indépendant(ce que j’observe dans la réalité), la première bouclereposant sur une simple théorie d’orientation etconstituant le point de départ de la démarche. Celle-ci procède ensuite par des allers et retours successifsentre théorie et matériau dans une approche qui rap-pelle la notion d’abduction chez Peirce du fait qu’ellecherche surtout à mettre en évidence des faits surpre-nants et non des faits confirmant la théorie.L’abduction est en effet le raisonnement qui consiste àimaginer l’explication d’une observation surprenante(ALISEDA, 2006, p. 28). Beaucoup d’auteurs l’ont rap-prochée de la démarche mise en œuvre dans larecherche qualitative (KOENIG, 1993 ; DAVID, 2000 ;DUBOIS & GADDE, 2002 ; DUMEZ, 2012a).

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L’ÉQUIFINALITÉ OU LE RISQUEDE SURVALORISER UNE SEULE THÉORIEEXPLICATIVE

Le phénomène de l’équifinalité a été défini parBertalanffy (1973, p. 38) de la manière suivante : « Lemême état final peut être atteint à partir d’états ini-

tiaux différents, [en empruntant] des itinéraires diffé-rents ». Cette définition paraît abstraite, mais le phé-nomène est familier. Notre expérience quotidienne, àl’instar d’une enquête policière, montre qu’il faut tou-jours, pour un même phénomène, explorer plusieursexplications possibles, plusieurs types d’enchaîne-ments ou de mécanismes ayant pu le déclencher, pardes cheminements différents. Dans la démarche qua-

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« Démarrer avec quelques grands concepts [qui soient] provocateurs et qui créent des typologies discriminantes nous rend possi-ble un premier traitement du matériau, un passage au crible des données, qui met en lumière les variations et les ambiguïtésdans les catégories. », « Le professeur Einstein ou le Kolossal Relatif », caricature de Barrère (1877-1931) parue dansFantasio (1931).

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litative ou compréhensive, le risque lié à l’équifinalitéest de ne donner qu’une seule explication de ce qui estobservé alors que plusieurs autres sont possibles.Pour faire face à ce risque, il est possible d’opérer dedeux manières, liées entre elles : recourir aux hypo-thèses rivales plausibles et faire un usage systématiquedu raisonnement contrefactuel. Pour chaque phénomène spécifié sous la forme d’unehistoire ou d’un enchaînement observé, il faut mobi-liser plusieurs hypothèses explicatives rivales et testerchacune d’elles sur le matériau. Dans l’idéal, il est sou-haitable que ces hypothèses rivales soient totalementexclusives l’une de l’autre. Il est rare que ce soit le casen pratique, mais c’est un des intérêts de l’étude de caset de l’analyse qualitative en général, que de permet-tre cette confrontation entre plusieurs hypothèses :« Une des fonctions irremplaçables des études de casest leur capacité à examiner directement des explica-tions rivales ou alternatives. Pour cela, les études decas doivent collecter des données confortant uneexplication de ce qui s’est passé en même temps que[doivent l’être] des données expliquant ce qui auraitpu se passer. Comparer ces deux jeux de donnéesconduira à une conclusion bien plus solide que si unseul jeu [avait été] mobilisé. » (YIN, 2012, p. 117).Dans cette même ligne d’idées, des chercheurs enscience politique ont proposé une approche consistantà lever le risque lié à l’équifinalité en confrontant sys-tématiquement les pouvoirs explicatifs de plusieursthéories sur un même phénomène (GEORGE &BENNETT, 2005 ; HALL, 2006).Mais comme l’indique également le texte de Yin, uneautre méthode, liée à la première, consiste à utilisersystématiquement le raisonnement contrefactuel, quipose la question suivante : what if ? (« Que se serait-ilpassé si ? » – TETLOCK & BELKIN, 1996 ; DURAND &VAARA, 2009).Dans tous les cas, un chercheur pratiquant larecherche qualitative ne doit jamais se contenterd’une seule explication pour analyser les phénomènesqu’il observe, il doit toujours au contraire discuter ettester plusieurs types d’explication. Cela rejoint laremarque d’Arthur Stinchcombe (1968, p. 13) : « Unétudiant qui éprouve de la difficulté à penser au mini-mum à trois explications sensées pour n’importequelle corrélation qui le préoccupe, devrait probable-ment choisir une autre profession ».

QUELS TYPES DE RÉSULTATS SCIENTIFIQUESPEUT-ON ATTENDRE D’UNE DÉMARCHECOMPRÉHENSIVE ?

Une étude de cas, une démarche compréhensive ouqualitative ne peuvent servir à vérifier une théorie oudes hypothèses. Appliquer un cadre théorique à dessituations empiriques n’a pas non plus d’intérêt,

comme par exemple : « cette thèse adopte uneapproche néo-institutionnaliste du financement deshôpitaux psychiatriques » ou « cet article analyse lesinsultes sexuelles en combinant une approche goffma-nienne de l’interaction à une approche sémiotique »(exemples donnés in Abbott, 2004, p. 2016). Dansces deux exemples, on est confronté à la circularité :ainsi si l’on veut trouver dans les processus de finan-cement des hôpitaux psychiatriques des données« confirmant » l’approche néo-institutionnaliste, onest sûr d’en trouver. Mais quel est l’intérêt scientifiqued’une telle démarche ? Si l’étude d’un cas n’apporterien au regard de la confirmation d’une théorie, ilpeut en revanche, à lui seul, infirmer ou réfuter unethéorie (POPPER, 1998 ; KOENIG, 2009). Néanmoins,est-il utile de consacrer trois années de recherche àune étude qualitative approfondie simplement pourréfuter une théorie ?Quels peuvent être dès lors les apports théoriquesd’une démarche compréhensive ?Ces apports peuvent être de trois ordres : la mise enévidence de mécanismes, la construction de typolo-gies et la redéfinition de concepts ou de théories exis-tants.

La mise en évidence de mécanismes

Comme l’écrit Jon Elster (1989, p. viii) : « Le conceptde base dans les sciences sociales ne devrait pas êtrecelui de théorie, mais celui de mécanisme ». Chercher à mettre en évidence des mécanismesconsiste à reconstituer un lien entre des phénomènesobservés et leurs causes possibles. Cela doit être mis enrelation avec l’objectif de compréhension : « La com-préhension est améliorée lorsque sont explicités lesmécanismes générateurs sous-jacents qui lient un étatde fait ou un événement à un autre […] »(HEDSTRÖM & SWEDBERG, 1998, p. 12).Boudon (1998) donne cet exemple. Lorsque l’onénonce une liaison générale du type : un contrôle desloyers provoque généralement une dégradation dumarché du logement, on se pose immédiatement laquestion « Pourquoi ? », et on cherche l’enchaînementde causes qui relie les deux pôles de l’affirmation. Onfait donc ce que George et Bennett (2005) appellentdu « traçage de processus ». Deux choses sont alorsimportantes à savoir : le mécanisme est de formegénérale et sa force explicative provient de cette géné-ralité ; en même temps, le mécanisme n’est pas une loi– en effet, il ne fonctionne que dans certainscontextes, et sous certaines conditions. La notion demécanisme permet donc de relier généralité etcontexte. Elle ne renvoie pas à la généralité abstraite(celle de la loi), mais ne renvoie pas non plus à l’expli-cation ad hoc, à la narration purement événementielle.À cet égard, Elster note que : « Grosso modo, les méca-nismes sont des formes causales se produisant fré-quemment et aisément reconnaissables qui se déclen-

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chent dans des conditions généralement mal connuesou avec des conséquences indéterminées » (ELSTER,1998, p. 45). L’exemple même du mécanisme est l’effet émergent :une pluralité d’acteurs agissent pour des raisons indi-

viduelles et produisent, intentionnellement ou non,un effet macro, comme dans le cas de la prédictionauto-réalisatrice théorisée par Merton (BIGGS, 2009).Si une rumeur court selon laquelle une banque estinsolvable, des déposants vont aller y retirer leurs

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« Le mécanisme n’est pas une loi – en effet, il ne fonctionne que dans certains contextes, et sous certaines conditions. », « Levélo de Tati » (Jacques Tati, cinéaste, posant avec le vélo démonté du facteur du film « Jour de fête »), photo de RobertDoisneau (1949).

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dépôts, donnant ainsi corps à la rumeur et provo-quant la faillite de la banque. Elster prend un autreexemple : des enfants d’alcooliques deviennent à leurtour alcooliques en arrivant à l’âge adulte ; a contrario,d’autres enfants ayant eux aussi des parents alcoo-liques, une fois arrivés à l’âge adulte, ne boivent pasune goutte d’alcool. Il est possible d’expliciter unmécanisme pour chacun des deux cas. Selon lecontexte, l’explication repose sur l’un ou l’autre de cesmécanismes.Diego Gambetta (2006) s’intéresse à un phénomènequi paraît anodin, mais pose des problèmes théoriquesredoutables : pourquoi, dans certains cas, alors mêmeque nous n’y sommes pas obligés, laissons-nous unpourboire, sachant que nous ne rencontrerons certai-nement plus le chauffeur de taxi ou le serveur à quinous le donnons, et que ce pourboire est laissé aprèsque le service soit réalisé ? Il n’y a évidemment pas deloi générale pour expliquer un tel phénomène. Parcontre, raisonner par mécanismes est particulièrementfécond dans un tel cas. Cela suppose en effet de met-tre en évidence les différents types d’interactions pos-sibles : le serveur s’attend à un pourboire mais n’enreçoit pas ; a contrario, il ne s’attend pas à un pour-boire et en reçoit un (il peut alors l’accepter, ou lerefuser – ce dernier cas extrêmement rare mérite uneexplication par des mécanismes) ; celui qui doit don-ner un pourboire le sait et pourtant il n’en donne pas ;il ne sait pas ce qu’il doit faire, et il hésite entre laisserun pourboire ou ne pas en laisser. Il faut ensuite exa-miner toutes les raisons (à la base de mécanismes pos-sibles) de donner un pourboire, qui peuvent être for-mulées en termes d’intérêt personnel (montrer sagénérosité à l’égard d’autrui ; se donner un signal àsoi-même) ou en termes de conventions sociales (réci-procité, sympathie, empathie, justice, culpabilité).L’analyse menée par Gambetta d’une pratique cou-rante et anodine est un modèle du genre, elle reposesur la richesse de l’exploration des mécanismes possi-bles sous-jacents à cette pratique.Elle ouvre sur ce que nous allons examiner mainte-nant : ce type de raisonnement s’enrichit de laconstruction d’une typologie des mécanismes mis aujour.

La construction de typologies

Pour tenir compte de la diversité des situations qu’elleétudie, tout en cherchant à établir des résultats pré-sentant un certain degré de généralité, la démarchecompréhensive utilise et produit des typologies. Eneffet, elle met l’accent sur les contextes concrets desactions et des interactions. Le contexte peut êtredéfini très simplement comme ce qui change la valeurde vérité d’une proposition (une même propositionest vraie dans un certain contexte et fausse dans unautre) ou le sens d’une pratique ou d’un discours (DEROSE, 1992). Ce type de démarche tend donc natu-

rellement à produire des typologies en contrastant lescontextes. Une théorie décontextualisée qui se présen-tait comme valable universellement se trouve recon-textualisée en fonction de situations différentes. Parailleurs, le chercheur qui pratique la recherche com-préhensive choisit souvent de comparer plusieurs casou, dans le cadre de sa recherche, met en évidence dif-férents cas de processus. Ces processus peuvent ren-voyer à différentes sortes de mécanismes.Dès lors, les typologies sont à la fois un outil et un desrésultats possibles de la recherche compréhensive.Elman (2005) distingue trois types de typologie : lestypologies descriptives, les typologies classificatoires etles typologies explicatives.Grâce aux typologies descriptives, le chercheur s’inter-roge sur ce qui peut constituer des types dans le maté-riau qu’il a analysé. Il part d’orientations théoriquespour déterminer des situations concrètes, puis ilremonte de ces situations concrètes différenciées versles dimensions de différenciation pour les interrogeret constituer des types. Les typologies classificatoiresservent, quant à elles, à rattacher les cas concrets étu-diés à des types déjà identifiés. Au contraire des typo-logies descriptives, elles partent des dimensions de latypologie pour trouver des situations concrètesentrant dans des cases prédéfinies. Enfin, la typologieexplicative permet de confronter les effets prédits parles théories avec les processus observés. Le premiertype de typologies (les typologies descriptives) invite àse poser la question : « Qu’est-ce qui constitue lestypes ? ». Le deuxième (les typologies classificatoires)repose sur la question : « De quoi mes cas sont-ils descas ? ». Enfin, le troisième type (les typologies explica-toires) pose une double question : « Si la théorie ditvrai, que devrais-je observer dans mes cas ? Est-ce bience que j’observe réellement ? » Dans ce dernier cas, lescellules (ou cases) peuvent alors représenter un méca-nisme causal, en relation avec des cas empiriques :« Chaque cas peut être utile s’il permet au chercheurd’identifier un mécanisme (pattern) différent. Desexplications différenciées des résultats des cas, dontchacun est l’instanciation de la classe d’événementsqui est étudiée, deviennent partie prenante de l’élabo-ration d’une théorie typologique cumulative, ce queDavid Dessler (1991) a appelé un « répertoire demécanismes causaux » (ELMAN, 2005, p. 241).Dans la recherche compréhensive, ces typologiesjouent des rôles différents aux différents stades de larecherche : au tout début, une typologie descriptivepeut aider à formuler des orientations de recherche ;ensuite, une typologie classificatoire peut aider à choi-sir des cas multiples à étudier ; enfin, la typologieexplicative intervient plutôt à la fin de la recherche, aumoment de la discussion théorique. Sans doute faut-il ajouter un quatrième type de typologie, la typologieexploratoire. La construction d’une typologie est unjeu méthodologique. Il s’agit de définir un espace despropriétés fait de cellules généralement matérialisées

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par des lignes et des colonnes. Si cet espace est tropgrand, il est inutilisable en pratique ; s’il est trop res-treint, il a toutes les chances d’être trop réducteur etainsi de ne pas permettre de rendre compte de ladiversité des situations possibles. Le jeu typologiquerepose donc sur deux mouvements possibles : l’exten-sion ou, au contraire, la compression de l’espace despropriétés. L’extension suppose de refaire à l’envers leraisonnement qui a conduit à la construction de latypologie, pour repérer les compressions opérées etvoir si elles ne posent pas des problèmes théoriques.Concrètement, l’extension procède généralement parl’ajout de lignes et de colonnes, par exemple en lesdédoublant. La question qui se pose dans cettedémarche est de savoir si l’ajout de cellules permet ounon de prédire de nouveaux faits.

Par exemple, la célèbre grille de Nonaka (1994) secompose de quatre cases construites sur la base desdeux dimensions que sont la connaissance tacite et laconnaissance explicite (voir la figure de la page sui-vante). Quand on lit attentivement le texte deNonaka, on remarque tout d’abord que cette typolo-gie n’est ni descriptive ni classificatoire (Nonaka nedonne aucun exemple concret), ni réellement explica-tive (Nonaka ne confronte pas des effets prédits avecdes effets observés). Elle semble avant tout explora-toire au sens où l’auteur explique que son apport estd’attirer l’attention sur une case jusque-là non explo-rée, la case de l’externalisation (la transformationd’une connaissance tacite en connaissance explicite).En poursuivant la lecture de son article, on remarqueégalement toutes les réductions qui ont conduit à ces

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« Le chercheur qui pratique la recherche compréhensive choisit souvent de comparer plusieurs cas ou, dans le cadre de sarecherche, met en évidence différents cas de processus. », le Dr Watson en train d’observer Sherlock Holmes passant enrevue les comptes rendus de cas antérieurs, illustration de Sydney E. Paget pour « Les aventures de Sherlock Holmes » deConan Doyle publiées dans The Strand Magazine.

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deux dimensions. Nonaka distingue en effet au débutde son article l’innovation technique, l’innovationproduit, l’innovation stratégique et l’innovation orga-nisationnelle. Mais il ne tient pas compte de cette dis-tinction, considérant finalement que l’innovation estune, et aboutit donc à ne retenir que quatre case :La question que l’on peut alors se poser est celle-ci :« Est-il légitime, et sous quelles conditions, de réduirel’ensemble de la connaissance uniquement à ces deuxdimensions, en considérant que l’innovation tech-nique et l’innovation organisationnelle, par exemple,posent exactement les mêmes problèmes en termes deconnaissance tacite et connaissance explicite ? ». Si telest le cas, on peut en rester aux quatre cases deNonaka. Dans le cas contraire, il faut alors élargir latypologie.Les typologies peuvent être utilisées dans les premièresphases d’une recherche compréhensive, notammentpour réfléchir au choix d’un petit nombre de cas per-tinents. Puis, elles peuvent s’élever jusqu’au stade del’élaboration de la théorie : « À ce stade, la recherchepeut être de nature exploratoire, reposant sur le feed-back des premières études de cas, pour évaluer, raffi-ner et, éventuellement, altérer le cadre théorique danslequel l’explication des cas individuels sera rédigée etpour identifier les composants d’une typologie utile »(GEORGE & BENNETT, 2005, p. 240). Elles peuventfournir la structure d’une discussion théorique si lescases de la typologie sont conçues pour répondre àcette double question : « Que devrais-je observer si la

théorie est juste ? Et est-ce bien ce que j’observe dansla pratique ? ».Dans ces différentes perspectives, l’intérêt d’une typo-logie est toujours d’attirer l’attention sur des faits nou-veaux, et donc d’éviter le risque de circularité (envertu duquel on ne cherche que des faits qui confir-ment des théories).On peut donc résumer ainsi les avantages théoriquesdes typologies : « [Leurs] avantages comprennent[leur] capacité à traiter des phénomènes complexessans les simplifier outre mesure, à clarifier les ressem-blances et les dissemblances entre les cas pour favori-ser les comparaisons, à fournir un inventaire compré-hensif de toutes les sortes de cas possibles, et à attirerl’attention sur les “cases vides”, c’est-à-dire les sortesde cas qui ne se sont pas encore produits ou [qui] nepeuvent pas se produire » (BAILEY, 1994, p. 233).

La redéfinition des concepts et des théories

L’un des résultats théoriques attendus de la démarchequalitative ou compréhensive est la discussion desconcepts existants et, éventuellement, l’invention denouveaux concepts (sur ce dernier point, il faut êtreprudent, nous allons y revenir).Le travail le plus simple à mener sur les conceptsconsiste à partir du triangle (OGDEN & RICHARDS,1923) : dénomination (donner un nom au concept),compréhension (donner une définition du concept) etextension (définir le champ empirique auquel le

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Page 40: ANNALES DES MINES · aux auteurs. Il arrive que les désaccords gagnent à être publiquement explicités, soit parce que cela peut faire avancer la connais-sance, soit parce que

concept s’applique). Il n’y a véritablement conceptque quand il existe des interactions dynamiques entreces trois dimensions : la dénomination doit s’accom-pagner d’une tentative de définition (la compréhen-sion) et d’un renvoi à une classe de faits empiriques(l’extension). Trop souvent, un auteur avance un motnouveau sans en donner une véritable définition, ouplus exactement sans avoir procédé à une explorationcompréhensive (quelles sont les dimensions impor-tantes du concept, et pourquoi ? Comment ce nou-veau concept se situe-t-il par rapport au champsémantique existant ? Comment modifie-t-il cechamp sémantique ?). Il donne quelques exemplesempiriques, mais sans explorer la classe des phéno-mènes empiriques que ce concept éclaire, et sansmontrer les phénomènes qu’il n’éclaire pas (c’est-à-dire sans en montrer les limites de validité empirique).Si le travail d’exploration compréhensive n’est pas fait,la dénomination n’est alors qu’une simple étiquetteapposée sur quelques faits. Si le travail d’explorationextensive n’est pas fait, alors le concept se réduit à unedénomination recouvrant une idée générale et vide.On est assez proche de la célèbre phrase de Kant :« Les concepts sans intuition [sans contenu empi-rique] sont vides, les intuitions sans concept sontaveugles. »On peut aller plus loin en utilisant les huit critèresproposés par Gerring (1999) qui sont : la familiarité,la résonance, la parcimonie, la cohérence, la différen-ciation, la profondeur, l’utilité théorique et l’utilitépour le champ sémantique. La définition d’unconcept correspond dès lors à un compromis (trade-off) entre ces différents critères. Un point importantest notamment la mise en perspective du concept parle processus de construction théorique et, en particu-lier, sa mise en relation avec d’autres concepts dans lecadre d’une classification ordonnée et hiérarchisée.La qualité d’un concept réside alors dans la dimensioninteractive qui unifie et met sous tension les troispôles du triangle précité, et dans celle des compromisfaits entre les huit critères de Gerring. Mais l’intérêtdu concept réside également dans son potentiel à gui-der l’intérêt du chercheur vers des faits jusque-là inex-plorés et à faire surgir de nouveaux problèmes.Prenons un exemple : Ahrne et Brunsson (2008) ontmis en avant le terme de méta-organisation. Il suggèrel’idée que quelque chose existe à un niveau dépassantcelui des organisations telles que nous les connaissons.Les deux auteurs ont donné la définition suivante decette notion (la compréhension) : « les méta-organisa-tions sont des organisations dont les membres sontdes organisations (alors que les membres des organisa-tions « simples » sont des individus physiques) ». Et lesdeux auteurs ont montré (l’extension) la diversitéempirique d’un phénomène, qui recouvre, entreautres, le MEDEF, l’Union postale universelle,Birdlife International, l’ONU, la FIFA, l’OTAN, laFédération des Entreprises de la Beauté. Les auteurs y

ajoutent l’Union européenne. La question de savoirjusqu’où le concept doit être étendu se pose notam-ment dans le cas de l’Union européenne : les auteursconsidèrent les États membres comme des organisa-tions, l’Union européenne est donc une organisationdont les membres sont bien des organisations (De fait,pour les auteurs, l’Union européenne est bien uneméta-organisation). Les trois éléments (dénomina-tion, compréhension et extension) étant en interac-tion dynamique, on peut donc considérer que Ahrneet Brunsson ont bien construit un concept. Encorefaut-il noter quelque chose de plus. En effet, à quoiservirait d’ajouter le concept de méta-organisation auconcept d’organisation, si les méta-organisations ne sedifférenciaient pas, au niveau des problèmes qu’ellesposent et de leurs comportements, des organisationselles-mêmes ? Ce qui justifie l’invention de ce nou-veau concept, c’est, par exemple, le fait que les méta-organisations dépendent de leurs membres d’unemanière très différente de celle dont les organisations« simples » dépendent des leurs. General Motorsdépend moins d’un de ses collaborateurs, fût-ce sonCEO, que le MEDEF ne dépend de l’UIMM. Unautre exemple est le fait que les membres des méta-organisations étant des organisations, les méta-organi-sations risquent de se trouver en concurrence avecleurs membres pour l’exercice de certaines activités, cequi n’est pas le cas des organisations « simples ».Quand on mène une recherche compréhensive, plu-sieurs questions fondamentales se posent donc.La première est celle-ci : « Faut-il que j’invente denouveaux concepts ? » La naïveté du chercheurconsiste à penser qu’un vrai travail de recherche doitobligatoirement aboutir à l’invention d’un ou plu-sieurs concepts nouveaux. Une telle naïveté est éton-nante : les phénomènes étudiés dans les sciencessociales sont triviaux, au sens où chaque acteur leséprouve, les construit, et en a plus ou moinsconscience. L’invention de grands concepts (l’anomie,le charisme, etc.) est chose rare. La prolifération depetits concepts éphémères conduit, quant à elle, à uneimpasse. Entre la sociologie, la psychologie, l’écono-mie, le droit, la gestion, la linguistique, l’anthropolo-gie, l’ethnologie…, il existe un réservoir considérablede concepts déjà existants qu’il est nécessaire d’explo-rer sérieusement avant de se lancer dans l’inventiond’un concept nouveau. Il faut avoir le courage de pas-ser un rasoir aussi impitoyable qu’intelligent sur nostentatives d’invention (DUMEZ, 2001).La deuxième question est : « Le concept que je croisavoir inventé est-il un véritable concept ? Est-ce unvéritable outil d’explication (explanans), ou une sim-ple étiquette apposée sur des phénomènes à expliquer(explanandum) ? » Cette question est essentielle : unmot, une expression n’expliquent rien en eux-mêmes,or bien trop souvent les recherches qualitatives s’arrê-tent là. En créant un mot, elles ont mis en évidenceun phénomène à expliquer (explanandum), mais elles

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n’ont pas créé d’outil d’explication ni de concept(explanans).La troisième question est celle-ci : « Combien deconcepts (dont l’un inventé, éventuellement) vais-jemobiliser dans mon cadre analytique ? » Les conceptsne fonctionnent ni de manière isolée ni en longs défi-lés. Comme l’a fait remarquer Chamfort, « On n’estpoint un homme d’esprit pour avoir beaucoupd’idées, comme on n’est pas un bon général pour avoirbeaucoup de soldats. » L’opposition de deux termes –hiérarchie et marché – est souvent faible et conduit àplacer tous les phénomènes existants au milieu de cesdeux extrêmes, ce qui ne permet pas de pousser laréflexion très loin. Six, sept ou huit notions condui-sent à l’élaboration de grands tableaux qui souventsont illisibles. Une juste mesure se trouve sans doutedu côté de trois, quatre ou cinq notions. La grille àquatre cases est, quand elle est bien faite (ce qui estmalheureusement rarement le cas), un outil extrême-ment puissant.Dernière remarque. Une autre grande naïveté serait depenser qu’il faut commencer par définir les concepts(1). En réalité, le travail intellectuel fondamental,dans une recherche, est un travail de re-définition desconcepts, que ceux-ci soient inventés ou existants. Lesdéfinitions que l’on pose au début d’une recherche nesont que des définitions d’orientation du travail, c’estle processus de recherche qui permet ensuite de re-définir les concepts, de les préciser ou, au contraire, deles élargir, de mieux circonscrire leur domaine de vali-dité, de redéfinir leurs relations avec des concepts voi-sins. Quand est posée la relation E=MC2, aucunconcept nouveau n’apparaît. Simplement, mais il estvrai de manière fondamentale, le concept de masse setrouve redéfini. C’est ce travail d’interaction dyna-mique entre des concepts qui se redéfinissent collecti-vement, qui constitue l’essentiel d’un travail derecherche. Les concepts ne sont définis au départ quesur un mode provisoire, cette définition ne visant qu’àl’orientation du travail, ils sont ensuite redéfinis aucours du processus de recherche, dont la finalité estjustement ce travail de redéfinition. Le messageconclusif de cette partie consacrée à la redéfinition desconcepts est donc un appel à une certaine sobriétédans la veine créative : peut-être une certaine modes-tie s’impose-t-elle et sans doute convient-il de s’effor-cer d’abord, avant de chercher à inventer de nouveauxconcepts, de redéfinir avec rigueur et soin ceux exis-

tants et les relations qu’ils entretiennent entre eux.Bref, de se contenter d’imiter Einstein...

CONCLUSION

La démarche qualitative, ou mieux comme on l’a vu,compréhensive, ne relève pas d’un paradigme épisté-mologique particulier, mais d’une démarche scienti-fique classique qui consiste à confronter des effetsattendus (predicted effects – qui constituent la spécifi-cation de la théorie sous la forme « Si la théorie que jemobilise est vraie, que dois-je observer dans monmatériau ? ») à des phénomènes observés dans lematériau rassemblé. Cette confrontation entre effetsprédits et effets observés suppose de gérer les troisgrands risques qui menacent la démarche compréhen-sive : les acteurs abstraits, la circularité et l’équifina-lité. Par ailleurs, cette confrontation se mène par ité-rations successives. Chacune d’elles doit faire surgirdes faits nouveaux, surprenants, inattendus, qui doi-vent permettre de repenser le cadre théorique mobi-lisé, dans un processus d’abduction au sens de Peirce.Chaque moment d’une recherche qualitative doit êtreactivement employé à faire surgir des faits et des don-nées étonnants. Ce qui fait la difficulté, mais aussi lecaractère excitant de ce type de démarche. �

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(1) Comme l’a noté Popper (1991, p. 117) : « Je crois [...] que la clartéest une valeur intellectuelle, puisque, sans elle, la discussion critique estimpossible. Mais je ne crois pas que l’exactitude ou la précision soientdes valeurs intellectuelles en elles-mêmes ; au contraire, nous ne devrionsjamais essayer d’être plus exacts ou plus précis que le problème en pré-sence duquel nous nous trouvons (qui est toujours un problème ayanttrait à la discrimination entre des théories en compétition) ne l’exige.Pour cette raison, j’ai insisté sur le fait que les définitions ne m’intéres-saient pas ; puisque toutes les définitions doivent utiliser des termes nondéfinis, il est de peu d’importance, en règle générale, d’utiliser un termecomme terme primitif ou comme terme défini ».

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INTRODUCTION

La recherche sur l’acculturation du consommateurporte surtout sur des migrants originaires de pays pau-vres (STAYMAN & DESHPANDE, 1989 ; PEÑALOZA,

1994 ; OSWALD, 1999 ; JAFARI & GOULDING, 2008 ;CHYTKOVA, 2011). Ces travaux analysent la consom-mation de ces migrants, qui selon les situations semettent à consommer comme les locaux ou, aucontraire, restent attachés aux produits propres à leurculture d’origine.L’originalité du travail que nous avons fait est de nouscentrer sur des expatriés d’un pays riche envoyés enmission (pour quelques années) dans un autre paysriche. Ce type de population a été étudié dans lecontexte d’une expatriation vers un pays moins indus-trialisé (FECHTER, 2007) pour analyser ses réseaux desociabilité (BEAVERSTOCK, 2003), le mode de vie du

BAKED BEANSOU CASSOULET ?UNE NOUVELLEPERSPECTIVE SURL’ACCULTURATIONDU CONSOMMATEURNous étudierons ici l’acculturation alimentaire de migrants britan-niques envoyés temporairement en poste à Toulouse. Cet article

analysera les observations faites auprès de cette population, des travauxdéterminants en matière d’acculturation du consommateur et des recherchessur la nostalgie, et il puisera même hors du champ du marketing pour identi-fier les comportements d’acculturation et en déterminer les motivations. Àpartir de l’étude de cette situation particulière, il nous permettra surtoutd’étoffer les modèles existants par l’ajout non seulement de traits individuelsdes migrants, mais aussi, et surtout, de modes d’acculturation permettant deproposer un modèle applicable à tous les types d’acculturation du consom-mateur et de généraliser ainsi le champ d’application des modèles existants.

Par Laurence BUNDY* et Geneviève CAZES-VALETTE**

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* Professeur de Marketing, Université de Toulouse, Toulouse BusinessSchool.

** Professeur de Marketing, Université de Toulouse, Toulouse BusinessSchool.

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conjoint accompagnant (MCNULTY, 2005) ou le lienentre consommation alimentaire et satisfaction de lafamille en expatriation (USUNIER, 1999). Mais notrerecherche s’intéresse, quant à elle, à l’acculturation ali-mentaire que vivent ces expatriés, des Britanniques, àToulouse. La première partie de notre article rappellera les prin-cipales théories de l’acculturation et évoquera le sta-tut particulier de la nourriture en matière de consom-mation et d’acculturation. La seconde partie précisera la méthodologie suivie surle terrain et, enfin, la troisième partie étudiera les pra-tiques alimentaires de ces expatriés pour en compren-dre les motivations et les facteurs déterminants. Ces analyses permettront d’évaluer en quoi lesmodèles développés dans les travaux précédents s’ap-pliquent à ce contexte particulier pour proposer unnouveau modèle d’acculturation du consommateurqui élargira le champ d’application des modèles déve-loppés précédemment.

CULTURE ET ACCULTURATION

Si, par culture, on se réfère à la définition de Tylor,laquelle fait consensus dans le domaine, à savoir : « cetout, complexe, qui comprend les connaissances, lescroyances, l’art, la morale, les lois, les coutumes et lesaptitudes ou les habitudes acquises par l’hommecomme membre de la société » (TYLOR, 1871), alors ilparaît évident que la colonisation, les migrations liéesà des impératifs politiques et économiques ou leséchanges internationaux ont eu pour conséquence lamise en contact d’individus de cultures différentes.Cela a donné lieu à une acculturation définie parRedfield, Linton et Herskovits (1936) comme étant« [l’ensemble des] phénomènes obtenus quand desgroupes d’individus qui appartiennent à des culturesdifférentes entrent en contact direct et continu, ce quia comme conséquence des changements dans la cul-ture originale de l’un des (deux) groupes ou desdeux ».

L’acculturation chez le consommateur

L’acculturation peut être étudiée dans la perspectiveplus spécifique de la modification du comportementde consommation et d’achat qu’adopte un migrantdans son nouvel environnement culturel : c’est l’ac-culturation du consommateur. Dans cette branche dela recherche, les travaux de Peñaloza (1994), d’Oswald(1999) et d’Askegaard, Arnould et Kjeldgaard (2005)– qui nous paraissent particulièrement pertinents –considèrent l’ethnicité comme le résultat d’uneconstruction identitaire du consommateur.De son travail sur les immigrants mexicains installésaux États-Unis, Peñaloza (1994) a tiré un modèle qui

fait référence. Elle y considère l’acculturation duconsommateur comme le résultat de l’interactionentre les traits individuels du migrant (facteurs démo-graphiques, capacités linguistiques, durée du séjourdans le pays hôte, etc.) et divers agents d’acculturation(famille, amis, médias, école, etc.), qui peuvent tirerses modes de consommation plutôt vers la culturehôte ou plutôt vers sa culture d’origine. Ce modèle définit surtout quatre modes d’accultura-tion : l’assimilation (l’adoption des comportementsdes consommateurs locaux), le maintien (la conserva-tion des comportements d’achat et de consommationdu pays d’origine), la résistance (le rejet de certainsaspects de la culture d’origine ou de la culture d’ac-cueil) et la ségrégation (la volonté des migrants devivre entre eux dans leur pays d’accueil).Pour Oswald (1999), l’acculturation du consomma-teur est plus fluctuante : les migrants « sautent » d’uneculture à l’autre selon les situations, leur consomma-tion montrant à la fois des signes d’attachement à leurculture d’origine et d’appropriation de la culture d’ac-cueil. L’analyse menée par Askegaard, Arnould etKjeldgaard (2005) a permis d’étoffer le modèle dePeñaloza par l’adjonction notable d’un nouveau moded’acculturation : « l’hyper-culture, une consomma-tion radicalement authentique marquée par des pro-duits emblématiques de la culture d’origine. Celle-cise rapproche de « l’hyper-identification » observée parMehta et Belk (1991), pour qui les produits de la cul-ture d’origine sont des objets transitionnels permet-tant aux migrants à la fois de se séparer plus facile-ment de leur pays d’origine et de témoigner quoti-diennement de la persistance de leur attachement à cepays.Enfin, bien qu’appartenant au champ des sciences del’éducation (et donc ne présentant aucun lien appa-rent avec l’acculturation du consommateur), le travailde Murphy-Lejeune (2001) nous paraît pertinent, caril définit la notion de capital de mobilité, cette vérita-ble richesse que les individus accumulent au cours deleurs expériences à l’étranger (voyages, famille multi-culturelle, expatriation, contacts plus ou moins directset plus ou moins prolongés avec des étrangers). Cecapital, que Murphy-Lejeune quantifie, sert de pointde départ aux voyageurs, et fructifie avec chaque expé-rience, motivant de nouveaux départs et augmentantà chaque fois l’adaptabilité du migrant.

La consommation alimentaire

La consommation alimentaire est singulière : sourcede calories, de vitamines et de nutriments, elle a pourl’homme une fonction vitale évidente, mais les cher-cheurs en sciences sociales ont également mis en évi-dence sa fonction symbolique et culturelle. Ainsi,Douglas (1977) considère que le choix des alimentsest parmi les activités humaines celle qui mêle le plus

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la nature à la culture, car ce choix est influencé nonseulement par les besoins du corps, mais aussi par lasociété. Lévi-Strauss (1962) montre que le fait demanger permet d’incorporer les vertus magiques de lanourriture. Pour de Garine (1979), c’est un marqueurculturel fort, qui exprime l’identité d’un groupe, carles appétences pour une saveur le différencient desautres groupes et, inversement, elles concourent à sacohésion interne. Thiesse (2001) la considère mêmecomme un des éléments constitutifs de la cultured’une nation, au même titre que la langue ou l’hymnenational. Plus que d’autres formes de consommation, laconsommation alimentaire est marquée par la culturedu mangeur. La nourriture joue un rôle singulier pourun migrant qui, vivant en dehors de son pays, estentouré de mets et de saveurs étrangers. La nostalgie,initialement définie comme le mal du pays (HOFER,1688, cité par HAYLENA & HOLAK, 1991), affecte saconsommation (KESSOUS et ROUX, 2008) et, en par-ticulier, sa consommation alimentaire, puisque lespréférences alimentaires sont les dernières à se modi-fier chez un migrant (MENELL, MURCOTT et VANOTERLOO, 1993). La nourriture du pays d’origineréconforte le migrant nostalgique (USUNIER 1999),car ses saveurs familières lui rappellent ses racines et

un passé souvent idéalisé. Stacey (1998) et Kurotani(2005) montrent que dans le contexte d’une expatria-tion (même temporaire), la cuisine « maison » joue unrôle émotionnel spécifique, car elle apporte un senti-ment de sécurité dans une période de transition etrenforce l’identité culturelle de la famille. Ce dernierrôle est encore plus notable lorsque cette nourritureest préparée, puis consommée dans le contexte defêtes ou d’événements émotionnellement forts(LAKHA et STEVENSON, 2001).

PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE

Notre recherche sur l’acculturation alimentaire sedémarque des travaux antérieurs par le fait qu’elle exa-mine des migrants peu étudiés jusque-là : des salariésde multinationales mutés à l’étranger, en l’occurrencedes expatriés britanniques résidant en région toulou-saine. Ceux-ci ne s’y sont pas établis de manière défi-nitive, mais seulement pour quelques années, onpeut donc penser que leur acculturation restera limi-tée. De plus, cette migration ne s’inscrit pas dans uncontexte traumatique, mais intervient entre des paysriches. Les expatriés n’affichent donc pas ostensible-

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Figure 1 : Modèle de Peñaloza (1994).

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ment des modes de consommation français pourmieux se faire accepter des locaux, comme cela peutêtre le cas pour des migrants originaires de pays duSud (LINDRIDGE, 2010). Cette recherche échappeainsi à plusieurs limites relevées par Luedicke (2011)dans des travaux précédents : les expatriés étudiés icidisposent des ressources nécessaires pour acquérir, s’ilsle souhaitent, des produits de leur culture d’origine ;ils ne subissent pas non plus de tensions liées à desinterdits différents entre leur culture d’origine et laculture du pays d’accueil (JAFARI et GOULDING,2008) ; enfin, ils ne sont pas stigmatisés à cause deleur apparence physique. Pour ces trois raisons, ilspeuvent choisir leur(s) mode(s) d’acculturation pluslibrement.

Définition de la population d’étude et conduitedes entretiens

Ce travail exclut les couples franco-britanniques dontla consommation serait influencée fortement par lespratiques françaises, pour se consacrer auxBritanniques (1), dont l’un au moins des membres ducouple a été muté à Toulouse par son entreprise.Menés dans le cadre d’une thèse en sociologie (CLABÉ& BUNDY, 2010), des entretiens semi-directifs d’envi-ron 90 minutes chacun ont porté sur le parcours devie de la famille avant le départ, sur ses modes de vieet de consommation à Toulouse et sur les motivationsde son expatriation. Ces entretiens ont été conduitsavec des représentants de 70 familles recrutées avec lesouci de la diversité de l’échantillon et, pour permet-tre une expression libre et riche, ils ont été réalisés enanglais et ont fait l’objet d’un enregistrement. Unefois retranscrits, les verbatim ont été groupés transver-salement en fonction des thèmes abordés, de manièreà faciliter le traitement de l’information. Les répondants montrent entre eux des similitudes : – 90 % des expatriés mutés sont des hommes, seulesquatre familles sont arrivées dans le cadre d’une dou-ble mutation, seuls 36 % des femmes ont une activitéprofessionnelle à Toulouse, pour les deux tiers celles-ci exercent à temps partiel ;– les raisons motivant l’arrivée à Toulouse sont l’op-portunité professionnelle (94 % des familles), l’amé-lioration des conditions de vie (91 %), un meilleursalaire (81 %).Mais des différences, importantes, apparaissent égale-ment :– les durées de séjour vont de un an à trente-quatreans (la durée moyenne est de neuf ans) ;– le niveau de formation est hétérogène : 23 % ontdes A-levels (2) ou moins, 27 % ont un master ou

plus. De même, au niveau du positionnement hiérar-chique : 6 % des hommes sont ouvriers, alors que 6 %sont responsables de département, ce qui contredit lestéréotype selon lequel l’expatriation professionnellene concernerait qu’une certaine élite de salariés ;– en suivant les travaux de Murphy-Lejeune (2001),le capital de mobilité des répondants a été calculé enpondérant empiriquement toutes leurs expériencesvécues à l’étranger préalablement à leur arrivée àToulouse : vacances à l’étranger, déplacements profes-sionnels, précédente(s) expérience(s) d’expatriationou union avec un ressortissant étranger. Là encore, lesscores sont hétérogènes : ils vont de 1 à 13 (3,4, enmoyenne).

S’approvisionner en produits britanniques à Toulouse

Le maintien de pratiques alimentaires britanniques àToulouse nécessite l’achat de produits spécifiques, etde nombreux points de vente de la région proposentces produits, mais quatre d’entre eux sont particuliè-rement remarquables. Thomas Green est une franchise spécialisée dans ladistribution de produits alimentaires britanniquesdans toute l’Europe, et son magasin toulousain estopportunément situé en face du Lycée Internationalde Colomiers (3) et à un pâté de maisons del’International School of Toulouse (4), deux écoles quiengendrent un flux de consommateurs britanniquesdans le quartier. Ce magasin d’environ 300 m² pro-pose des milliers de références visant à satisfaire lesbesoins quotidiens, avec des marques leaders d’épice-rie sèche, de produits frais et de produits surgelés.Carrefour Market Pibrac (5) consacre une importantepartie de son rayon exotique aux produits britan-niques, et avec 800 références, il privilégie l’épiceriesèche, pour des raisons de traçabilité.Leclerc Blagnac (6) joue de ses 100 références britan-niques pour se différencier de ses concurrents. Sonassortiment se concentre sur les produits incontour-nables (7), mais il propose également quelques pro-duits surgelés typiques (8).

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(1) Vivant éventuellement en couple avec des étrangers non français.

(2) Equivalent britannique du baccalauréat.

(3) Qui offre un enseignement bilingue en anglais et en français à l’in-tention d’anglophones natifs ayant entre douze et dix-huit ans.

(4) La seule école exclusivement anglophone de Toulouse. Celle-ci suit leprogramme britannique, et elle accueille des enfants âgés de quatre à dix-huit ans.

(5) Un supermarché de 2 500 m² situé en proche banlieue ouest deToulouse, tout près de la zone industrielle aéronautique.

(6) Hypermarché de 14 500 m² situé également à proximité de la zoneindustrielle aéronautique.

(7) Heinz Baked Beans, thé PG Tips, porridge Ready Brek, par exemple.

(8) Pork pies : tourtes fourrées à la viande de porc ; Cornish pasties :chaussons au fromage et aux oignons typiques des Cornouailles.

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Enfin, un boucher britannique (établi dans le Lot)livre à Pibrac, toutes les quatre semaines (9), les com-mandes de produits carnés passées sur son site Web. Il est donc possible de s’approvisionner en produitsbritanniques pour maintenir certaines pratiques ali-mentaires et ce, malgré l’expatriation.

RÉSULTATS : L’ACCULTURATION ALIMENTAIREDES EXPATRIÉS BRITANNIQUES À TOULOUSE

Le but est ici, d’une part, d’identifier en quoi les pra-tiques évoquées dans les entretiens témoignent d’uneacculturation au cours du séjour à Toulouse et, d’au-tre part, de lier l’acculturation des pratiques aux moti-vations et aux caractéristiques individuelles des expa-triés.

Le maintien de certaines pratiques

Des plats de « résistance » : 88 % des répondants ontreconnu acheter de la nourriture britannique àToulouse, ce qui rappelle les observations d’Usunier(1999).L’attachement aux produits britanniques est lié à plu-sieurs facteurs individuels. Tout d’abord, selon lesproduits, les acheteurs ont un capital de mobilité de 2à 3 points plus faible que les non-acheteurs, ce quiconfirme les résultats de Murphy-Lejeune (2001) et le

lien entre capital de mobilité et adaptabilité supé-rieure à l’étranger. Ensuite, les acheteurs de produitsbritanniques sont plus nombreux parmi les répon-dants dont les enfants fréquentent une école françaiseou qui regardent la télévision française, alors que lafréquentation de l’IST ou l’exposition à la télévisionbritannique ont l’effet inverse. Une immersion plusprofonde dans la culture française exacerberait doncles préférences alimentaires britanniques.Trois motivations expliquent le maintien de pratiquesalimentaires britanniques à Toulouse. Tout d’abord, la force de la marque et des traditions :les répondants achètent des produits britanniquesayant des équivalents français principalement parceque les marques correspondantes, qu’ils connaissent,les rassure sur la qualité, c’est le cas de la farine àgâteau Homepride ou des sirops de fruits à diluerRobinsons, la marque référence que les mères defamille britanniques donnent à leurs enfants. Ce sontles pratiques du « mangeur réflexif » (BEARDSWORTH,2008), vigilant face à l’alimentation, qui suscitentgénéralement sa méfiance. Ici, la marque britanniqueest une garantie de qualité qui, à elle seule, en justifiel’achat. Le pain et le fromage britanniques sont aussiachetés pour les mêmes raisons, alors que la France

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(9) www.johnpricethebutcher.com propose 26 sortes de saucisses britan-niques (du Cumberland, de Lincoln, de Gloucestershire…), 10 sortes detourtes à la viande (steak and kidney pie, steak and ale…) et toutes sortesde viandes à cuire au barbecue, des jambons, des rôtis,…

Figure 2 : Localisation des magasins étudiés en région toulousaine.

Tableau 1 : Pratiques alimentaires observées à Toulouse.

Produits achetés % de foyers

Baked beans 87,3 %

Lait frais 79 %

Thé 60,6 %

Saucisses 59,2 %

Fromages 58,8 %

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Page 49: ANNALES DES MINES · aux auteurs. Il arrive que les désaccords gagnent à être publiquement explicités, soit parce que cela peut faire avancer la connais-sance, soit parce que

s’est taillé une renommée mondiale sur ces produits.« Des produits britanniques qui nous manquent ? Lepain français est merveilleux, la baguette… Mais le painde mie blanc en tranches, pour faire des toasts, on n’entrouve pas, et ça, ça nous manque. Et le fromage français,c’est fantastique ! Mais… le Cheddar ? On a tous les fro-mages que l’on veut, ici, mais c’est le Cheddar qui nousmanque, parce que c’est ce dont on avait l’habitude cheznous. On n’avait pas tous ces fromages sophistiqués ; onn’avait que le Cheddar et le Cheshire… » (Ann H.,épouse d’un employé d’Airbus, à Toulouse depuiscinq ans, mère de trois enfants scolarisés à l’IST).De même, 80 % des répondants préfèrent le lait fraispasteurisé au lait UHT, plus largement vendu enFrance. « J’achète du lait frais, je ne supporte pas le laitUHT. Nous, les Anglais on boit beaucoup de lait. Le laitUHT, c’est horrible : je ne peux pas boire ça !... ». (NeilB., employé de Microturbo, à Toulouse depuis treizeans). Certains réinventent même le lait longue conser-vation en congelant du lait frais : ils en gardent tou-jours en réserve pour pallier l’irrégularité de la dispo-nibilité en magasin.Autre motivation d’achat : la commodité de prépara-tion des produits. Sous la pression du manque detemps, les expatriés ont recours aux solutions dont ilsavaient l’habitude au Royaume-Uni quand ilsdevaient faire un repas sur le pouce, c’est-à-dire cellesqui ont souvent nourri leur enfance : des baked beanssur toast ou de la soupe en boîte. Cela fait écho auxrésultats de Khare et Inman (2006), qui montrent quele manque de temps limite l’imagination en cuisine etramène à des pratiques usuelles. Des madeleines de Proust : la dernière motivation àl’achat de produits britanniques, malgré leur prix par-fois élevé, est la nostalgie ou le réconfort recherchédans leur saveur, une motivation citée dans 28 des70 entretiens, ce qui rejoint les observations deStamboli (2009). Ces achats qualifiés d’irrationnelspar les expatriés eux-mêmes se limitent souvent à desproduits assez accessoires dans leur alimentation (voirle tableau 1). Ces produits ne sont pas un moyen d’af-ficher ostensiblement leur identité britannique, maissimplement des gourmandises, qu’ils consommentpour « recharger leurs batteries britanniques (10) »,quand celles-ci sont à plat. « C’était difficile, quand onest arrivés, parce que certains plats nous manquaient, deschoses idiotes que j’aimais bien, et c’est le côté irrationnelde la chose. Une pasty, je voulais manger une pasty, jen’aime même pas ça, normalement, mais je ne pouvaispas en trouver ici, alors ça me manquait !... » (Andy G.,employé d’Airbus, à Toulouse depuis cinq ans).Il s’agit là de nourriture de réconfort, que NigellaLawson, le chef britannique, définit comme suit :

« Parfois, on a besoin d’un grand bol de quelque chosede chaud ou d’une tranche de quelque chose de sucréqui va nous donner le sentiment que le monde estplus sûr. Tout le monde se sent las, stressé, triste ouseul, de temps à autre : c’est cette nourriture-là quiapaise. » (LAWSON, 2001, p. 32).57 % des répondants ont utilisé le mot “treat” (frian-dise) pour désigner ces produits britanniques consom-més à Toulouse, ce qui montre que l’inconfort devivre à l’étranger peut être soulagé, ne serait-ce quemomentanément, par la nourriture ; ce mot suggèreégalement la culpabilité que certains ressentent face àun comportement qu’eux-mêmes considèrent commeimmature. Au-delà des mets consommés, d’autres pratiques ali-mentaires britanniques se maintiennent, comme leshoraires des repas. Ainsi, 28 % des répondants conti-nuent à prendre leur dîner vers 18h, en particulier lesfamilles dont les enfants ont 11 ans ou moins, pourpouvoir les coucher vers 20h00. « Lorsque les enfantsétaient en maternelle ou en primaire, on dînait vers17h30, parce qu’ensuite, on les couchait vers 18h30ou 19h00. Ils ne faisaient pas la sieste. On était trèsbritanniques, à l’époque… » (Denise T., épouse d’unemployé d’Airbus, à Toulouse depuis vingt ans, mèrede deux enfants fréquentant l’école française). Lesexpatriés maintenant de tels horaires sont moins for-tement acculturés que les autres : ils sont à Toulousedepuis moins longtemps, parlent moins bien le fran-çais, regardent moins la télévision française ; lesfemmes sont dans la plupart des cas sans emploi etleurs enfants sont le plus souvent scolarisés à l’IST. Les pratiques alimentaires observées ici révèlent unautre comportement, l’hyper-culture.

L’hyper-culture : le goût comme expressionde sa « britannicité »

La nourriture britannique consommée à Toulouse acette fois une fonction de revendication, d’affirmationde l’identité culturelle britannique. Ce comportementpeut être observé en particulier dans les foyers avecenfant(s), car il s’agit d’éduquer le goût de ces dernierspour en faire de « vrais » Britanniques, alors qu’ils nepassent que quelques semaines par an au Royaume-Uni et qu’ils sont parfois totalement immergés dans laculture française. Cette fonction est assumée par desproduits du quotidien (11) :« Les produits que j’achète ? Des chocolats Cadbury’s, queles filles adorent parce qu’ils sont anglais et parce qu’ellesen mangent depuis qu’elles sont toutes petites, les produitsHeinz, les baked beans et les spaghettis, elles aiment ça[…]. Elles aiment les bonbons anglais, les réglisses, lesPolo, et tout ça. Thomas Green a un bon assortiment,

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(10) Voir ASKEGAARD, ARNOULD et KJELDGAARD (2005,p. 166).

(11) Confiseries : chocolats Cadbury, Polo, réglisses ou baked beans.

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alors je les y emmène une fois par semaine, après l’école.Elles choisissent ce qu’elles veulent, elles vont peut-êtrevouloir des chips anglaises ou quelque chose comme ça,des saucisses… » (Kate W., épouse d’un employéd’Airbus installée à Toulouse depuis douze ans, mèrede deux enfants, âgés de onze et treize ans, et scolari-sés dans une école française).Mais ce sont aussi des produits consommés lors d’oc-casions particulièrement chargées symboliquement,comme les anniversaires, les fêtes de Noël ou dePâques (12). Ces produits contribuent à consolider, etmême à construire l’identité britannique de cesenfants. « Pour les goûters d’anniversaire, on fait ungâteau traditionnel, avec du glaçage (13). Quand on estarrivés, au début, c’était vraiment bizarre, parce que l’onavait plein d’enfants français à ces anniversaires et onleur servait des jellies (14), mais aucun d’entre eux n’enavait jamais vus, et ils ne voulaient pas y toucher ! Etpuis, ils goûtaient, ils les avalaient et en redeman-

daient... » (Sarah S., employée d’Airbus, à Toulousedepuis huit ans, mère de deux enfants fréquentantune école française).On retrouve ici un autre rôle de la nostalgie observépar Kessous et Roux (2008) : la transmission d’uneexpérience passée par l’intermédiaire de la consomma-tion.Le repas de Noël peut même mêler allègrement lestraditions : dinde [farcie] au stuffing et foie gras,crackers et champagne sont le signe d’un fort niveaud’acculturation, ce qui rappelle les observationsd’Oswald (1999). Ce qui amène au dernier moded’acculturation, celui du métissage entre pratiques ali-mentaires.

Les métissages entre pratiques alimentaires

Manger à la française : les expatriés déclarent adopterune conception « plus française » de la nourriture.Tout d’abord, ils prennent plus de plaisir dans la com-mensalité, cette pratique du « mangeur convivial »(FISCHLER et MASSON, 2008), une attitude plus fran-çaise que britannique (15). « J’aime la façon que lesFrançais ont de s’asseoir à table et de parler autour des

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(12) Dinde avec sa farce traditionnelle, Cream Eggs (œufs de Pâquesfourrés de Cadbury), gâteaux d’anniversaire au glaçage coloré et théma-tique…

(13) Les gâteaux d’anniversaire traditionnels sont souvent des génoisesfourrées à la confiture, mais leur principal intérêt est leur forme et leurglaçage coloré et souvent thématique : fusée, château, princesse…

(14) Gelée parfumée aux fruits.

« Pour les goûters d’anniversaire, on fait un gâteau traditionnel, avec du glaçage », photo d’un gateau réalisée par MartinParr, 1998.

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(15) 67 % des Français font partie de cette catégorie, contre seulement49 % des Britanniques (FISCHLER et MASSON, op.cit., p. 101).

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plats, c’est sympa, c’est relax : c’est un des aspects de la vieen France qui me plaît le plus. J’aime ce qui se passeautour de la table, j’apprécie de prendre le temps. EnAngleterre (à Noël, par exemple), il y a une frénésie denourriture, je ne trouve pas ça appétissant du tout etensuite quelqu’un va tout ramasser, alors il faut mangertrès vite, c’est vraiment frénétique » (Tim V., employéchez Airbus, vivant à Toulouse depuis vingt-deuxans).Ensuite, 56 % d’entre eux disent cuisiner plus souventà partir d’ingrédients de base (16), c’est-à-dire qu’ilsfont moins appel à la restauration à emporter, auxplats semi-préparés, aux sauces ou aux plats tout prêts(17), préférant confectionner par eux-mêmes des platsqui demandent souvent beaucoup plus de travail, àpartir d’ingrédients bruts. « Ici, je passe plus de temps àcuisiner et à faire des petits plats à partir d’ingrédients debase qu’en Angleterre, parce que la cuisine était moinsgrande et que j’avais moins de temps, alors il fallait queça aille vite. Ici, je ne fais pas des bâtonnets de poisson ou

des beans & bacon. Ici, je fais des lasagnes, ou des pâtesbolognaises » (Sandra B., épouse d’un employé chezAirbus, à Toulouse depuis deux ans, troisième séjour).Ce changement s’explique par plusieurs facteurssociodémographiques. Tout d’abord, les femmes, quisont presque toutes en charge de la cuisine dans lesménages que nous avons interrogés, sont inactivesdans une proportion bien plus importante à Toulouse(64 %) que ce n’était le cas au Royaume-Uni (42 %).Ainsi, elles disposent de davantage de temps pourvaquer à d’autres occupations, en particulier pour cui-siner. Elles ravivent ainsi des compétences associées àla tradition culinaire britannique, dont celle du« repas cuisiné » pourtant en voie d’extinction auRoyaume-Uni, selon Beardsworth (2008). Ce change-ment est aussi lié à la présence dans le foyer d’enfantset à un plus faible capital de mobilité, chez ces mèresde famille. Nouveaux ingrédients et nouvelles recettes : enmatière culinaire, le métissage se manifeste aussi parl’adoption de nouveaux ingrédients et de nouvellesrecettes pour 54,4 % des répondants. 75 % d’entreeux consomment davantage de salades et de légumesqu’auparavant et ce, pour deux raisons : d’une part,parce que certains jugent les ingrédients locaux demeilleure qualité, ils deviennent ainsi plus « gour-

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« Ici, je passe plus de temps à cuisiner et à faire des petits plats à partir d’ingrédients de base qu’en Angleterre, parce que lacuisine était moins grande et que j’avais moins de temps, alors il fallait que ça aille vite. Ici, je ne fais pas des bâtonnets depoisson ou des beans & bacon. Ici, je fais des lasagnes, ou des pâtes bolognaises », photo de Martin Parr, 1995.

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(16) Cooking from scratch.

(17) 43,3 % disent consommer moins fréquemment ces plats, qu’ils qua-lifient de convenience food.

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mets » (18) (FISCHLER et MASSON, 2008) et estimenteux-mêmes que leur alimentation toulousaine est plussaine... « Oui, ma façon de cuisiner a changé, depuis quel’on est à Toulouse. J’ai plus tendance à cuire les légumeslégèrement et à les faire sauter avec de l’ail (si mon maria son pot de sauce à côté de lui, je peux faire ce que jeveux !). Ma fille et moi, nous mangeons beaucoup desalade, et on a toujours pas mal de légumes verts. On metplus l’accent sur les légumes : on mange plus équilibré. »(Jessica P., épouse d’un employé d’Airbus, à Toulousedepuis douze ans, mère d’un enfant scolarisé dans uneécole française). Cette évolution est liée à la fois à des facteurs indivi-duels (une plus longue durée du séjour à Toulouse) età l’exposition à la télévision française, ce qui confirmedes observations faites dans le passé (DESHPANDE,HOYER & DONTHU, 1986 ; PEÑALOZA, 1994 ;UELTSCHY & KRAMPF, 1997) sur l’impact des médiaslocaux. D’autre part, l’augmentation de la consom-mation de salades constatée dans d’autres foyers s’ex-plique par l’inversion des repas dans la journée pours’adapter aux conditions de vie toulousaines, carcontrairement à leurs habitudes au Royaume-Uni, oùle mari et les enfants mangeaient un sandwich à midi,ils déjeunent à la cantine et bénéficient donc d’unrepas chaud, leur dîner se limite dès lors à une simplecollation. « Les enfants et mon mari ont un bon repaschaud, à midi, à la cantine. Alors, je ne fais pas un grosrepas le soir, juste une soupe ou une salade et un œuf. EnÉcosse, les repas servis à l’école étaient vraiment infects,alors il fallait que je fasse un repas chaud le soir. Maisc’est mieux comme ça, parce que ce n’est pas bon, de faireun gros repas le soir. » (Kristen B., épouse d’unemployé de Freescale, mère de trois enfants, vit àToulouse depuis sept ans.)Enfin, dernier signe notable de métissage : certain(e)sapprennent à cuisiner des plats typiquement toulou-sains, comme le foie gras, le magret ou le confit etdéveloppent une expertise qui dépasse parfois celle deslocaux dans la préparation et le choix des ingrédientsachetés sur le marché. « Je crois bien que je connais qua-tre-vingt-dix façons de cuisiner le canard ! En général,avec une amie, on commande des canards dans le Gers,et on les apprête jusqu’à ce qu’il ne reste que le bec et latête ! On fait des confits, des magrets séchés, des fritons,on utilise les carcasses dans la soupe, on farcit les cous…on fait… tout ! Je suis, comme vous l’avez deviné, trèsgourmande (19) : j’adore le canard ! » (Jessica P., époused’un employé d’Airbus, vit à Toulouse depuis douzeans).Les difficultés initiales que certains rencontraient dansles magasins pour identifier des produits inconnusmontrent que l’acculturation alimentaire fait appel à

la traduction, mais les pratiques s’adaptent finalementpuisque 60 % des répondants diminuent leurs achatsde produits britanniques, qui ne leur manquent plusau fil du temps. « Au début, c’est difficile de faire lescourses, parce que l’on n’y comprend rien. On avait l’ha-bitude de faire les courses les yeux fermés, chez Asda.Mais en arrivant ici, on se dit : « Mais qu’est-ce que c’estque ça ? Qu’est-ce que ça veut dire ? » Et ensuite, onapprend... » (Laura D., épouse d’un employé d’Airbus,vit à Toulouse depuis quatre ans, mère de deuxenfants élèves de l’International School de Toulouse).

DISCUSSION ET CONCLUSION

Cette recherche sur l’acculturation alimentaire d’ungroupe particulier de migrants nous a permis dedéterminer trois modes d’acculturation et d’identifierles motivations (20) menant à ces résultats. Les tra-vaux de Peñaloza (1994) et d’Askegaard et al. (2005),qui font référence dans ce domaine, ont servi de baseà cette étude, mais nos résultats permettent de lescombiner et de les étoffer pour proposer un modèleplus largement applicable. Ce travail a mis en lumièreles impacts des facteurs démographiques, du niveaude connaissance de la langue et de la durée du séjourdes migrants, qui avaient déjà été étudiés dans lesmodélisations existantes. Mais l’identité ethnique du modèle de Peñaloza(1994) n’est pas pertinente dans notre cas d’étude, car,contrairement aux migrants mexicains que celle-ci aétudiés aux États-Unis, les Britanniques que nousavons rencontrés à Toulouse ne se différencient pasphysiquement des locaux qui ne leur renvoient doncpas, en permanence, une image d’altérité. Enrevanche, le capital de mobilité de Murphy-Lejeune(2001) doit être introduit, car il influe sur plusieursdes comportements que nous avons observés. Demême, tous les migrants étudiés ici avaient étéenvoyés temporairement à Toulouse par leuremployeur, mais Askegaard et al notent les raisons duséjour des migrants qu’ils étudient et le caractère tem-poraire ou permanent de la migration, autant d’élé-ments qui influent nécessairement sur leur accultura-tion. Il convient donc d’ajouter le type de migration(permanente/temporaire, professionnelle/pour rai-sons économiques/politiques/ religieuses) au modèle.Par ailleurs, les migrants étudiés ici proviennent d’unesociété occidentale dont le niveau de vie est similaireà celui de la France, alors que Peñaloza (1994) etOswald (1999) se sont intéressés à des migrants origi-naires de pays du Sud, et Jafari et Goulding (2008) à

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(18) 77 % des Français sont des mangeurs gourmets, contre seulement53 % des Britanniques (FISCHLER et MASSON, op.cit., p. 101).

(19) En français dans le texte.(20) La nostalgie, l’attachement à une marque, l’attrait de la commodité,la transmission d’une identité ou l’ouverture à une autre culture.

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des migrants iraniens, aux valeurs différentes de cellesde leur pays d’immigration. Là encore, Luedicke(2011) montre comment ces « différences socio-cultu-relles » (21) influencent directement l’acculturationdu consommateur. Il faut donc également intégrer cefacteur dans le modèle.Les modes d’acculturation des modèles originaux doi-vent également être complétés ou recombinés. Ici,l’assimilation n’est pas observée, car le caractère tem-poraire de la migration limite l’acculturation, commecela avait été envisagé initialement. La « ségrégation »n’est pas non plus une notion pertinente, car lesBritanniques n’ont pas de quartier, à Toulouse, où ilsne trouveraient que des produits britanniques,comme c’est le cas pour les Mexicains de Californiequi vivent dans les quartiers latinos. De même, la« résistance » est considérée ici plus comme une causedu choix d’un mode d’acculturation que comme unrésultat en soi. En revanche, deux compléments doi-vent être apportés : le « métissage », qui juxtapose pra-tiques locales et pratiques du pays d’origine, et « l’hy-per-culture » qui est motivée par la construction et latransmission (aux enfants, en particulier) d’une iden-tité culturelle. Enfin, comme Oswald (1999), nous

observons une grande flexibilité des modes d’accultu-ration alimentaires dans la population étudiée ici,puisque 80 % des individus montrent les signes d’aumoins deux d’entre eux. Ils n’adoptent donc pas unmode unique, mais en panachent plusieurs en fonc-tion des situations (ce qu’exprime l’encadré ondulédes modes d’acculturation, dans le modèle que nousproposons – voir la figure ci-dessous).En revanche, nos observations, décrites ici, confir-ment l’influence des agents d’acculturation et lamobilisation des processus d’acculturation identifiéspar Peñaloza (1994), qui restent donc valables.Le nouveau modèle proposé revisite donc l’original.Ce modèle intègre la structure et la plupart des élé-ments du modèle originel de Peñaloza (1994), qui res-tent valides ici. Cependant, nos observations et les ana-lyses que nous avons effectuées lors de l’étude de l’ac-culturation alimentaire des expatriés professionnels bri-tanniques en région toulousaine nous permettent demettre en évidence des éléments supplémentaires : – des traits individuels des migrants qui influent surleurs modes d’acculturation : capital de mobilité, typede migration, différences socioculturelles ;– des modes d’acculturation inédits, qui n’avaient pasété envisagés jusque-là par Peñaloza : le métissage etl’hyper-culture. Ainsi, à partir de l’étude d’une situation particulière,ce travail nous a permis d’élargir le champ d’applica-

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Figure 3 : Le modèle que nous proposons.

(21) Différences économiques, différences de valeurs, différences decroyances.

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tion du modèle originel, que nous avons dûmentcomplété, en le rendant plus général et plus apte àdéfinir tous les types d’acculturation du consomma-teur immigré.Cette recherche montre certaines limites dues au faitqu’elle se focalise sur un cas très spécifique, l’accultu-ration alimentaire des expatriés professionnels britan-niques en région toulousaine. Le modèle proposé icise veut plus général que ceux présentés dans le passé,car il intègre une plus grande variété de traits indivi-duels des migrants considérés et envisage une paletteplus large de comportements d’acculturation, ce quileur permet potentiellement de s’appliquer à tous lestypes de migration. Il convient maintenant de confir-mer ces premiers résultats en les mettant à l’épreuvede situations différentes. De nouvelles perspectives derecherche s’ouvrent sur d’autres types demigration (migration permanente ou temporaire,migration pour raisons professionnelles, migrationpour trouver un style de vie plus confortable ou pourfuir la misère ou la guerre), d’autres différences socio-culturelles (migrants venant d’autres cultures occiden-tales, d’autres régions du monde, ou même simple-ment d’autres régions de France) et, enfin, d’autresconsommations (produits durables ou services). �

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APPRENDREDANS UN RÉSEAU :LE CAS INÉDITD’UN FOURNISSEURAUTOMOBILEMAROCAINCet article analyse les processus d’apprentissage à l’œuvre chez unsous-traitant automobile marocain qui a été amené, après avoir étéretenu comme fournisseur par Renault Tanger, à mettre en placecertains changements techniques et organisationnels dans sonentreprise. À travers des entretiens approfondis avec les membresde l’entreprise et des observations faites au cours de réunions de

travail, nous analysons le passage d’apprentissages individuels à un appren-tissage organisationnel en réseau. Le cas étudié montre comment, grâce àson aspect informel, le réseau favorise la circulation des connaissances touten révélant le rôle central que joue le management dans la création deconditions organisationnelles favorables à l’investissement des acteurs dansles interactions. Il montre enfin comment ces mêmes interactions participentà une production collective de sens et contribuent à faire évoluer lesconnaissances.

Par Nadia BENABDELJLIL*

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* Professeur de l’enseignement supérieur à l’Université Mohammed V - Agdal, Rabat.

** Je remercie Thomas Reverdy, maître de conférences à l’INP de Grenoble, pour ses remarques constructives sur une première version de cet article.

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INTRODUCTION

Lors de son installation à Tanger, Renault a sélec-tionné des fournisseurs marocains pour approvision-ner sa première ligne de montage, dont la productiona démarré en février 2012. Au final, cependant, seulsdeux fournisseurs sont à capitaux marocains sur lesdix-huit qui approvisionnent le site en premier rang,les seize autres étant des filiales de multinationales.Les deux entreprises locales retenues ont suivi des tra-jectoires différentes : l’une exportait sa productionvers de grands équipementiers européens, tandis quel’autre était orientée vers le constructeur automobilenational, la SOMACA (1), et vers le marché despièces de rechange. Pour se préparer à l’approvision-nement de la première ligne de montage de son nou-veau client, elle a dû passer de savoirs intériorisés delongue date et acquis sur un marché protégé (2) à uneculture industrielle répondant aux normes d’un mar-ché mondialisé. Elle s’est alors engagée dans de nom-breux changements : des investissements dans deséquipements de production, des restructurations, l’in-troduction de nouvelles pratiques organisationnelles,l’acquisition et le développement de nouvelles compé-tences. Au cours de l’année de préparation qui a précédé sespremières livraisons au site de Renault Tanger, nousavons pu observer, en temps réel, le processus de mon-tée en compétence de ce fournisseur traditionnel, quis’est accompagné d’une véritable dynamique d’ap-prentissage en interne.La problématique du passage d’un type de savoirs à unautre sur le plan organisationnel peut être traitée enmobilisant deux types d’approche : d’un coté, uneapproche relative au transfert de connaissances depuisl’extérieur, cette question se posant notamment dansles PME, où l’apprentissage est plus qu’ailleurs géné-rateur de tensions du fait du périmètre limité des res-sources internes (HUET et LAZARIC, 2008), de l’autre,une approche par les processus internes d’assimilationdes connaissances et par la dimension collective del’apprentissage. Pour un auteur comme Koenig (2006,p. 298), celle-ci est générée par « la création de rela-tions entre des compétences préexistantes », et dépendde la richesse du réseau des collaborations au sein del’organisation.Dans le cas traité ici, les apprentissages se sont inscritsdans un réseau dense, à la fois spontané et organisé,

dans lequel les interactions ont donné lieu à une miseen commun et à une évolution des connaissances. Cecontexte nous a conduite à analyser la question dupilotage des apprentissages au sein d’un réseau.Comment les connaissances s’articulent-elles et queproduisent les interactions ? Comment passe-t-on,dans un réseau, d’apprentissages individuels à unapprentissage organisationnel ? Des « mécanismessociaux » (HUET et LAZARIC, 2008, p. 3) doivent-ilsêtre mobilisés pour ce faire ? D’un point de vue conceptuel, la notion de réseauprésente un double intérêt : d’une part, elle intègre lanotion d’articulation entre les ressources internes etles ressources externes ; d’autre part, elle permet desaisir la dynamique d’un apprentissage collectif quidépasse les frontières organisationnelles.Nous commencerons par exposer la trame théorique,construite autour de la question de l’apprentissagedans un réseau, puis nous développerons la méthodo-logie de recherche que nous avons adoptée. Nousmontrerons ensuite comment le management inter-vient pour donner du sens aux changements et se fairel’intermédiaire entre le réseau et l’organisation. Dansune troisième partie, nous montrerons que la rencon-tre avec des compétences externes peut s’accompagnerd’aspects sociopolitiques qu’il convient aussi de gérer.Enfin, nous rendrons compte de la dynamique duréseau : son aspect informel est favorable aux appren-tissages et les ambigüités dans les interactions contri-buent, au final, à faire évoluer les connaissances.

CADRE CONCEPTUEL ET MÉTHODOLOGIQUE

De l’apprentissage individuel à l’apprentissageen réseau

C’est à partir des travaux de Simon, dans les années1950, que l’on a présumé que l’organisation disposaitd’un savoir collectif distinct de la somme des savoirsindividuels de ses membres (FAVEREAU, 1989). Lesauteurs mettent en évidence les éléments qui favori-sent ou, au contraire, entravent cet apprentissageorganisationnel, celui-ci pouvant être défini comme« un phénomène collectif d’acquisition et d’élabora-tion de compétences qui, plus ou moins profondé-ment, plus ou moins durablement, modifie la gestiondes situations et les situations elles-mêmes » (KOENIG,2006, p. 297). Nous retiendrons les contributions decertains théoriciens de l’apprentissage organisation-nel, qui seront mobilisées pour la lecture du cas. C’est dans les travaux de Nonaka (1994) que l’on peuttrouver une première réponse à la question de l’ap-prentissage en réseau. Il distingue dans sa « spirale decréation de la connaissance » quatre types d’interac-tion entre les connaissances explicites (qui peuvent

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(1) SOciété MArocaine de Construction Automobile, créée en 1959,autour de laquelle gravitent une vingtaine de fournisseurs dont les capi-taux sont marocains.

(2) En effet, dans le but de développer le secteur automobile local, uneloi marocaine avait limité en 1982 les importations de composants d’au-tomobiles, réservant ainsi aux fournisseurs locaux un monopole de faitdans l’approvisionnement en 1re monte de la SOMACA (LAYAN etLUNG, 2009).

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être codifiées et explicitées de façon formelle) et lesconnaissances tacites (difficiles à formaliser et à com-muniquer, celles-ci étant acquises par l’expérience). Laconnaissance tacite peut devenir explicite (par un pro-cessus d’« externalisation ») ou, inversement, devenirimplicite (par un processus d’« internalisation »).L’externalisation du savoir passe notamment par laconstitution d’une équipe disposant d’expériencesvariées, d’une base de connaissances communes etd’une confiance entre les membres du groupe. Toutefois, la connaissance tacite peut contraindre lapossibilité d’apprentissage au sens où elle conduit àinterpréter les situations au travers de schémas cogni-tifs (3) préexistants (HARDAGON et FANELLI, 2002).Les recherches visent alors à montrer qu’il existe d’au-tres vecteurs aux apprentissages que l’expérimentationou la transmission de connaissances. Elles introdui-sent les notions de learning by interacting et de partagede sens (WEICK, 1991 ; NONAKA et TAKEUCHI, 1995).C’est notamment le cas de travaux portant sur les« communautés de pratiques » (LAVE et WENGER,1991 ; BROWN et DUIGUID, 1991), qui montrent quel’apprentissage se construit dans des activités situées :la communauté permet la circulation de connais-sances tacites (le processus de « socialisation » deNonaka) et le développement d’interprétations com-munes à partir du partage d’activités similaires.Bechky (2003) se penche plus spécifiquement sur laquestion des divergences d’intérêts entre communau-tés. Elle montre notamment comment des interac-tions régulières entre ingénieurs, techniciens etouvriers autour « d’objets frontières » (plans, proto-types, machines…) permettent de faire naître de nou-velles interprétations. Carlile (2004) insiste, quant àlui, sur la capacité spécifique que doivent avoir lesacteurs situés aux « frontières organisationnelles »,celle de négocier et de transformer la connaissance,condition nécessaire au travail collectif.D’autres approches permettent de dépasser les fron-tières organisationnelles dans lesquelles sont circons-crits ces travaux. Guilhon et Gianfaldoni (1990,p. 98) considèrent ainsi l’organisation comme une« chaîne de compétences articulées » dans le cadred’un réseau, celui-ci constituant un moyen efficaced’acquérir des ressources externes. Pour Massard(1997) ou encore pour Llerena (1997, p. 369), l’ap-prentissage est déterminé par les « réseaux de collabo-rations » entre des individus qui possèdent des savoirscomplémentaires et différenciés. Llerena (1997p. 370) évoque une « coopération cognitive » fondée

sur les interactions, qui est essentielle à la mise encohérence des savoirs et à leur diffusion, et dépend de« l’intention profonde de l’individu à évoluer dansune situation d’apprentissage ».Une synthèse de ces diverses approches nous conduità appréhender le réseau comme un lieu social d’ap-prentissages spécifiques, au sens où la présence d’unindividu y sera liée non pas au partage d’un objectifou d’une pratique, mais à un investissement personnelguidé par une complémentarité entre les savoirs. Pourqu’un réseau existe, les individus doivent être dotésd’une capacité à coopérer sur le plan cognitif, c’est-à-dire d’une capacité à la fois à échanger, à négocier et àtransformer leurs connaissances, aussi bien explicitesque tacites, afin de produire du sens partagé. Uneautre hypothèse (à tester dans nos investigations)porte sur le fait que les échanges et les processus de« socialisation » des connaissances sont plus variésdans un réseau, que dans le cadre d’un lien commu-nautaire. Les cadres théoriques des modalités de l’ap-prentissage au sein de réseaux étant toutefois peuabordés dans la littérature, nous avons privilégié, àtravers cette étude de cas, une approche empirique desquestions soulevées dans notre introduction.

Le cas retenu et la méthodologie adoptée

L’entreprise objet de notre étude est une PME fami-liale comptant une centaine de personnes, dont envi-ron 80 opérateurs. À sa création en 1960, elle se spé-cialise d’abord dans la production de systèmesd’échappement pour le marché des pièces derechange, puis s’oriente vers un marché de 1re monte,celui de l’approvisionnement en composants duconstructeur automobile national qui produit notam-ment la Fiat Uno, puis la Dacia Logan.L’installation de l’usine de Renault à Tanger en 2011ouvre de nouvelles perspectives : l’entreprise est rete-nue comme fournisseur de rang 1 de ce site auquelelle livrera les silencieux des systèmes d’échappement,ainsi que des pièces embouties de petites tailles. C’estprincipalement autour de l’activité d’emboutissage,qui représente un nouveau métier pour l’entreprise,que se met en place la dynamique collective d’appren-tissage.Notre étude de cas (4) a consisté en une analyse empi-rique et qualitative des processus d’apprentissage liés àla préparation des livraisons au nouveau client,Renault Tanger. Au cours de l’année 2011, nous avonsmené vingt-cinq entretiens semi-directifs au sein de

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(3) Ou « schémas mentaux », ceux-ci étant définis par ces auteurscomme des structures relativement permanentes de représentation objec-tive d’éléments (et des relations existant entre eux) liés à un contexte spé-cifique.

(4) Elle a été réalisée dans le cadre d’une recherche universitaire dontl’objectif plus élargi était d’analyser l’impact de l’installation de Renaultà Tanger sur le secteur marocain de l’automobile.

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l’entreprise, avec les neuf membres (5) composantl’encadrement, les deux techniciens, deux chefsd’équipe et trois ouvriers (6). Ces entretiens ont portésur les trajectoires individuelles, les changementsconstatés, le contenu du travail de chacun et l’originedes connaissances individuelles. Nous avons demandéà nos interlocuteurs de nous spécifier le contenu et lesformes des interactions dans certaines situations spé-cifiques de travail, ainsi que les réseaux individuelsutilisés. Pour mettre les propos en perspective, nousavons aussi mené des entretiens chez des partenairesexternes (un outilleur français, le responsable d’uneunité de la SOMACA en charge du suivi des fournis-seurs locaux, et deux directeurs du client RenaultTanger). La nature complexe des processus observés etle caractère multiforme des apprentissages mis enœuvre ont impliqué souvent de nous affranchir duguide d’entretien préétabli pour approfondir unaspect particulier avec notre interlocuteur. En effet, ladifficulté de cette recherche était due au caractère évo-lutif des aspects que nous cherchions à appréhender.Ainsi, d’un entretien à l’autre, nous cernions desmutations dans les apprentissages et les perceptions.Après retranscription des entretiens, une analyse decontenu transversale des thèmes précités a été réaliséeafin de resituer les récits individuels dans une dyna-mique d’ensemble.Nos passages répétés dans l’entreprise ont favorisé l’éta-blissement d’une relation de confiance avec nos interlo-cuteurs, nécessaire au recueil de perceptions person-nelles. Ces dernières ne pouvaient cependant suffire àelles seules à cerner les processus immatériels d’appren-tissage, une observation de situations de travail s’est viteimposée. Nous avons alors choisi d’observer les interac-tions au cours de six réunions qui impliquaient dessituations d’apprentissage collectif, à des degrés divers :réunions de production, de suivi de projets, d’auditqualité-système, et réunion de qualité-produit. Nosobservations ont notamment porté sur la forme desinteractions, le contenu des échanges et les processuscognitifs chez les diverses parties prenantes.

LE RÔLE DU MANAGEMENTDANS LA PRODUCTION DE SENS AUTOURD’APPRENTISSAGES

Selon Hedberg (1981), l’apprentissage naît d’unetension entre stabilité et changement : en deçà d’une

certaine stabilité, le changement n’est pas possible,mais il en est de même au-delà d’un certain niveaude perturbation. De même, Huet et Lazaric (2008,p. 5) montrent que dans les situations d’apprentis-sage organisationnel, « un équilibre doit être trouvéentre nouveauté ou simple variété de la base cogni-tive », la familiarité avec des connaissances technolo-giques étant « une condition nécessaire à leurabsorption ». On constate en effet que les degrés denouveauté impliqués par les cinq projets formaliséspar l’équipe encadrante pour répondre aux appelsd’offres des constructeurs automobiles sont variés.Ainsi, un projet concernant la production de silen-cieux d’échappement qui implique une montée encadence (7) plus qu’en compétences, assure à l’entre-prise ce minimum de stabilité et de continuité avecle passé. À l’opposé, trois projets relevant de la tech-nique de l’emboutissage impliquent le plus grandchangement puisqu’il s’agit de se lancer dans unnouveau métier.

Les changements internes : la mise à l’épreuvedes connaissances tacites

Le fait de se lancer dans une activité d’emboutissageest qualifié de « véritable challenge » par l’encadre-ment. Il s’agit de passer de connaissances intégrées delongue date et formant l’identité de l’entreprise (desconnaissances relatives aux systèmes d’échappement,auxquels même la raison sociale de l’entreprise faitréférence), à des connaissances encore très peu maîtri-sées en interne. Le projet implique des changements qui concernentnon seulement les volumes de production, mais aussiles exigences qualité, l’adaptation aux nouvelles tech-nologies des machines automatisées, le rythme de tra-vail et le mode de fonctionnement du client.L’entreprise réalise un apprentissage « en marchant »(KOENIG, 2006) de ces nouvelles contraintes : « Avant,avec la SOMACA, c’était de la routine (…). Même entermes de délais, il y avait toujours une solution. Dans lenouveau projet, tout est nouveau : on ne doit rienrater… » (responsable ingénierie). Les changements sont soutenus par un dispositif deformation et les compétences internes sont renforcéesau moyen de nouveaux recrutements (8). L’équipeencadrante est jeune, elle est issue, en général, degrandes écoles marocaines et justifie d’une expérienceacquise dans des multinationales, localement ou àl’étranger. Elle est donc porteuse à la fois de méthodes

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(5) Le dirigeant, le responsable ingénierie, le responsable production, laresponsable qualité-systèmes, la responsable qualité-produits, la responsa-ble qualité-projets, le responsable RH, le responsable méthodes et lemétrologue.

(6) Certains de ces acteurs ont été interviewés trois fois dans l’année, demanière à suivre le processus de changement et d’apprentissage. Noustenons à tous les remercier pour leur implication dans les entretiens etpour la qualité des explications qu’ils nous ont apportées.

(7) La cadence passera de 30 pièces à l’heure à 4 pièces par minute.

(8) En l’espace d’un an, il y a eu ainsi, successivement, la création d’unposte de responsable ingénierie, l’embauche d’une responsable qualité-systèmes, de responsables qualité-produits et qualité-projets, la créationd’un poste de métrologue, l’embauche d’un responsable logistique...

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modernes de gestion et d’une proximité culturelleavec les opérateurs et les techniciens. À partir de ceparcours professionnel, certains de ses membres ontdéveloppé leur propre réseau. La moyenne d’âge de l’encadrement contraste aveccelle des opérateurs, dont la majorité approche l’âgede la retraite. La première génération, autodidacte, estlà depuis la création de l’entreprise. Certains, qui ontconnu le dirigeant actuel alors qu’il était encore enfantet venait visiter l’usine avec son père, considèrentl’entreprise un peu comme leur famille. Cette« ancienne mémoire » (dirigeant), qui représente unsavoir-faire tacite notamment en ce qui concerne lamanipulation des machines, va donc bientôt quitterl’entreprise. Si cela sera, peut-être, « un problème, pourles astuces qui ne s’apprennent pas » (métrologue) dupoint de vue de l’encadrement, il s’agit en mêmetemps d’une « opportunité pour reconstruire quelquechose » (dirigeant), un peu comme si le changement nepouvait s’opérer qu’en effaçant une partie des pra-tiques routinières installées. La situation est à mettreen parallèle avec la refonte du système d’informationinitiée par la responsable qualité (« J’ai tout remis àplat »), l’ancien système se caractérisant par un éclate-ment des données et une absence d’uniformisation del’archivage.

Donner du sens à l’incertitude pour apprendre

Dans ce contexte de changement et d’incertitudepour son fournisseur, dont il est largement à l’ori-gine, le client se fait à la fois contrôleur et accompa-gnateur : « Renault ne nous lâche pas. Il nous suit,nous accompagne… C’est comme un parent, qui a sonfils et le suit de près » (responsable méthodes). Dansl’automobile, plus qu’ailleurs, le choix du fournis-seur est stratégique pour le client, la coopérationentre les deux parties se poursuivant, en moyenne,durant quinze ans (NOGATCHEVSKY, 2003). Pournotre cas, un suivi étroit est d’abord réalisé parRenault en ce qui concerne les décisions d’investis-sement ; le choix des propres fournisseurs de l’entre-prise donne également matière à validation, cettedernière faisant particulièrement attention à avoirdes partenaires « de renommée » : « Parmi les risques,prendre un outilleur que Renault ne connaît pas » (res-ponsable qualité). Le contrôle exercé par Renault consiste à s’assurer quele fournisseur se comporte conformément à sesattentes, notamment par la mise en place de processusd’évaluation d’un grand formalisme. Ainsi, les capaci-tés de chaque fournisseur sont notées selon une pro-cédure « AMPQP » en cinq phases comportant cha-cune 52 items d’évaluation. Suite à trois audits succes-sifs (réalisés en janvier, mars et juin 2011), l’entrepriseest passée de la note D à la note B, une note nécessairepour pouvoir devenir fournisseur de Renault. Cetexercice du contrôle consiste aussi à inscrire la coopé-

ration dans l’histoire du fournisseur (NOGATCHEVSKY,2003) en l’imprimant dans la durée. Les audits réali-sés par le client deviennent ainsi une sorte de « ther-momètre » de la montée en compétences destiné à cir-conscrire le risque et à construire une confiance dansla relation. Mais ils sont aussi l’occasion, pour lemanagement, de renforcer le sentiment d’apparte-nance collectif : « On a fêté l’obtention, mais on a faitpasser le message que l’on était dans l’amélioration conti-nue, que c’est une démarche embryonnaire. On a réuniles opérateurs et les chefs d’équipes dans l’usine. Le res-ponsable production a fait un discours. J’ai fait le mien,ensuite, pour [les] féliciter… » (responsable qualité).Les exigences émanant de l’extérieur, il s’agit de leurdonner du sens en interne, afin de faciliter l’appro-priation des savoirs. C’est également le cas, par exemple, pour les exigencesqui concernent le suivi des fournisseurs de l’entre-prise : si la demande de Renault paraît légitime vis-à-vis des « petits » fournisseurs, par contre ce qui estattendu de l’entreprise vis-à-vis des « gros fournis-seurs » déjà homologués est moins clair… On doitproduire les informations demandées (« Il faut quandmême faire la documentation »), tout en s’interrogeantsur leur utilité. L’apprentissage consiste aussi à perce-voir la logique et le mode de fonctionnement de cenouveau système.

La dynamique entrepreneuriale facilite l’adhésionaux apprentissages

Véritable entrepreneur schumpétérien, au sens où « ilpermet aux opportunités détectées de prendre corps(…) à travers la mobilisation d’un réseau » (HUET etLAZARIC, 2008, p. 3), le dirigeant est l’initiateur dumouvement de montée en compétences. Il suscitel’adhésion de l’équipe qui en assure le relai, eninterne. Le cas révèle une dimension politique particulière del’apprentissage, celle du management, qui assure unrôle central entre le réseau et l’organisation.L’entreprise étudiée offre un cadre propice à l’appro-priation de nouveaux savoirs ; sa structure familialeest porteuse d’un double avantage. D’une part, l’his-toire partagée offre une sorte de stabilité des repères,un référentiel commun (« On est fiers de l’évolution »,« C’est un livre ouvert », « Avant, le travail était pluspénible ; ça évolue dans le bon sens ») (métrologue etopérateur). De l’autre, elle est une source de légitimitépour la démarche de changement dans laquelle s’estengagée l’entreprise : le changement, c’est aussi pourassurer l’avenir, voire pour sauver l’entreprise. Ainsi,les points de vue sur « l’entrée avec Renault » sont touspositifs. On sent que les ouvriers adhèrent aux pro-jets : « Ils manifestent leur inquiétude, nous éclairent surcertains détails, car ils ont l’expérience » (responsableproduction). Ce cadre partagé d’interprétation straté-gique au sens de Weick (1991) facilite la compréhen-

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sion commune (9) des enjeux et permet aux acteursde donner du sens à l’action organisationnelle.

LES ASPECTS SOCIO-POLITIQUESDE LA RENCONTRE AVEC DES COMPÉTENCESEXTERNES

La recomposition internationale des grands groupesdu secteur de l’automobile est un élément contextuelfondamental de la trajectoire de l’entreprise étudiée.Pour son dirigeant, cette recomposition a concrétisédes opportunités stratégiques qui ont représentéautant de « contraintes de sentier » au sens des théori-ciens évolutionnistes de la firme, contribuant àconstruire une trajectoire qu’il découvre finalementau fur et à mesure de la progression (« Maintenant, lastratégie est claire », nous a-t-il ainsi déclaré lors d’undernier entretien).Une première opportunité se présente lorsque deuxéquipementiers (10) de Renault prennent contactavec l’entreprise pour un marché d’approvisionne-ment en systèmes d’échappement. Mais un des futurspartenaires fait faillite, ce que le dirigeant convertit enfacteur de succès : d’une part, il rachète en France leséquipements de celui-ci, « qui répondaient exactementaux besoins de Renault ». Grâce à la récupération de cesactifs spécifiques et à sa propre expérience du métier,l’entreprise se sent alors capable de répondre auxappels d’offres de Renault. D’autre part, d’ancienscadres de l’équipementier qui sont eux-mêmes por-teurs d’un projet de création d’une société de concep-tion d’outillages, proposent d’aider l’entreprise entant qu’experts-métier « échappements ».S’agissant des projets dans l’emboutissage, un proces-sus similaire a été mis en place. Le lancement se fait àpartir d’une opportunité stratégique : un gros équipe-mentier de Renault, conseillé par celui-ci, propose àl’entreprise la création d’une joint-venture en vue de laproduction de pièces embouties : « On apporte lesavoir-faire et les machines, vous apportez la force de tra-vail » (dirigeant). Mais il fait lui aussi faillite. Après untemps de réflexion, le dirigeant s’adjoint les compé-tences d’un cadre de l’ex-équipementier avec qui ilavait déjà collaboré. Son apport technique en matièred’emboutissage est qualifié de « décisif », notamment

pour le choix des équipements, l’évaluation et le chif-frage des projets, et l’apport d’un réseau d’outilleurs.Des transferts de savoirs techniques s’organisent ainside manière contractuelle à travers ces relations qui« rassurent » l’encadrement et lui apportent une légiti-mité aux yeux de Renault.

Le soutien apporté par des mécanismesorganisationnels internes aux transfertsde compétences externes

Cette transmission de compétences externes a été sou-tenue par des processus organisationnels internes quiont contribué à leur appropriation. Ainsi, les nou-velles machines ont représenté des supports concretsautour desquels des interactions ont pu se nouer etfaciliter le passage à un mode collectif d’apprentissage.Le processus de la diffusion des savoirs s’inscrit dansle temps, et trois étapes peuvent être distinguées a pos-teriori :– en amont, l’implication du personnel est favoriséepar une préparation collective à la réception desoutils : cadres, chefs d’équipes et opérateurs ont tra-vaillé sur certains aspects, comme l’aménagement del’usine ou la sécurité au travail ;– lors de la mise en route des machines par les four-nisseurs, il s’opère un apprentissage par la pratique quipermet de faire le lien entre les « processus cognitifsd’acquisition du savoir » et les « processus comporte-mentaux d’utilisation de ce savoir » (MOTHE, 2001,p. 129) par lesquels les membres de l’organisation« apprennent comment » : « À chaque nouveau lance-ment (…), on travaille ensemble, on assiste à la premièreproduction avec les outilleurs, les ouvriers, les gens desméthodes » (responsable production) ; – en aval de ce processus, enfin, on a le souci d’expli-citer les savoirs empiriques acquis afin de les diffuseren interne. Un processus collectif de va-et-vient entresupports théoriques et artefacts concrets se met enplace, qui correspond au processus d’« externalisa-tion » des savoirs décrit par Nonaka (1995) : « On acréé une formation avec les moyens du bord, sans êtreaccompagnés par des formations formelles ; on a pris lecatalogue de la machine, avec un partage d’informationsentre les techniciens méthodes, qui ont contacté le four-nisseur lors de l’installation. On a regardé chaque bou-ton, chaque puce : « ça fait quoi ? »… Puis, on a retra-vaillé sur le catalogue. On a ensuite conçu un support deformation en interne » (responsable ingénierie).

La compétence externe entre expertise techniqueet proximité culturelle

Il s’est avéré que la connaissance préalable du terrainpar les experts a facilité la communication avec lespartenaires internes. Pour le second expert auquell’entreprise a eu recours, le contexte industriel maro-cain n’était pas inconnu. En effet, il était déjà inter-

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(9) Cette compréhension doit être nuancée, du côté des ouvriers : enjuillet 2011, l’entreprise a connu un mouvement social lié à des revendi-cations salariales en relation avec les augmentations de salaire des fonc-tionnaires de l’État. Questionnés sur ce mouvement, deux opérateursestiment que ces revendications étaient justifiées, car, « maintenant qu’onlivre Renault, on est comme dans une multinationale… », alors que l’enca-drement était, quant à lui, pleinement conscient du chemin qu’il restaità parcourir.

(10) Un fournisseur allemand et un équipementier belgo-néerlandais,spécialisés dans l’échappement et les catalyseurs.

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venu dans une filiale de la SOMACA, ce qui a facilitéson adaptation au terrain : « On était sur la même lon-gueur d’onde, il n’y avait pas de grands écarts » (respon-sable ingénierie). En effet, la « distance cognitive »entre les partenaires ne doit être ni trop faible (ce quine génèrerait que peu d’opportunités d’apprentissage)ni trop importante (ce qui risquerait d’entraîner desdifficultés de communication) (HUET et LAZARIC,2008). La proximité culturelle entre les experts et l’en-cadrement facilite aussi une mutualisation desconnaissances qui permet de « développer des compé-tences inédites, que les partenaires n’auraient pu envi-sager de manière autonome » (HUET et LAZARIC,2008, p. 4). Ainsi, l’expert définit, par exemple avec leresponsable ingénierie, les qualifications nécessairespour les nouveaux postes (comme ceux de conducteurde machine), tout en intégrant certaines spécificitéslocales (comme celle de la polyvalence des techniciensmarocains).

L’apprentissage des aspects politiques des processusde transfert de compétences

Le transfert du savoir technique dans ce cadre qui sevoulait au départ coopératif, a cependant fait apparaî-tre des aspects sociopolitiques non prévus initiale-ment, s’accompagnant de « verrouillages » de la partd’un expert en particulier, destinés à freiner l’accès auxconnaissances et génératrice de conflits avec certainsde ses interlocuteurs en interne. Pour l’entreprise, l’apprentissage « dans l’action » decette relation ponctuelle de coopération a été porteurd’enseignements de plus long terme, relatifs à la ges-tion de la relation. Tout d’abord, le caractère inat-tendu de l’échange a conduit à rechercher un autrepartenaire. Le recours au réseautage a été à nouveauutilisé : la prise de contact avec un second expert enemboutissage, retraité d’un fournisseur automobileinternational, s’est faite par l’intermédiaire d’uneancienne connaissance de son dirigeant. Ensuite, onse rend compte du fait que la compétence n’est niinfaillible ni irremplaçable : « Il n’avait peut-être rien àdonner ? », s’interroge ainsi le responsable ingénierie.On en déduit que le transfert est aussi une sorte de jeude rapports de force à gérer : « Ce sont un peu des cor-saires. Il faut vite faire le transfert de compétences avantqu’ils ne prennent trop d’importance… Parce que, fina-lement, leur compétence, ils la donnent vite… » (diri-geant).

LA DYNAMIQUE DU RÉSEAU,OU LA PRODUCTION DES INTÉRACTIONS

Dans cette situation de changement, les connaissancesmobilisées par les acteurs sont de diverses natures.

La constitution d’une « base de connaissances »en préalable aux apprentissages

Les apprentissages de chacun s’opèrent relativement àdes artefacts spécifiques. Pour les opérateurs (surtoutpour les anciens), il s’agit essentiellement de connais-sances de natures empirique et implicite acquisesgrâce à l’expérience. Ainsi, pour un contrôleur qualité(qui était auparavant opérateur), l’apprentissage de latechnique de soudure, qui est nouvelle pour lui, seréalise directement à travers l’expérimentation dansl’usine (« J’apprends des machines »).L’encadrement se réfère davantage à des connaissancesthéoriques et conceptuelles, mais plus explicites ausens où elles sont, en général, formalisées sur diverssupports. La responsable du système qualité, parexemple, qui est peu en contact direct avec les opéra-tions et dont la fonction consiste à accompagnerl’amélioration du fonctionnement d’ensemble enintervenant sur les méthodes et les procédures, dis-pose de référentiels de connaissances auxquels elle seréfère, comme les ouvrages sur la qualité, les outilsqualité et les résultats des audits. D’autres, comme les techniciens, se trouvent à l’inter-face de ces deux sources de connaissances. L’un d’euxdit avoir beaucoup utilisé ses anciens cours et fait sespropres recherches sur le métier de l’emboutissage.Mais il dit aussi avoir profité des connaissances empi-riques qu’il a acquises sur le terrain : « Les ouvriersm’ont fait des remarques… Ils m’ont permis d’améliorerla conception, c’était des remarques d’ordre pratique ».La situation est assez similaire pour la responsablequalité produits : si celle-ci revient à ses précédentsapprentissages théoriques, elle apprend aussi du savoirtacite des opérateurs avec lesquels elle est en relationau quotidien. La traduction des connaissances nepasse pas seulement par le langage, elle se fait aussiparfois par la démonstration : « Des fois, il faut mani-puler, devant l’opérateur. Sur le terrain, je vois s’il réper-cute ». Cette « base d’expériences » (GUILHON etGIANFALDONI, 1990) organisationnelle, qui pro-vient des cursus de chacun (formations, expériencesindividuelles et environnement de travail immé-diat), n’est cependant pas la seule mobilisée par lesacteurs. Les connaissances proviennent aussi desréseaux dans lesquels ils sont insérés, en partie liés àleurs parcours antérieurs et qui leur permettent dedétecter des savoirs utiles localisés à l’extérieur del’entreprise.

L’aspect informel du réseau convient à la dynamiquedes apprentissages

De leur parcours professionnel, la plupart des cadresont conservé un « carnet de contacts » : anciens col-lègues, sous-traitants, outilleurs, fournisseurs…« J’appelle deux ou trois personnes, je leur demande ce

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« La traduction des connaissances ne passe pas seulement par le langage, elle passe aussi parfois par la démonstration : “Desfois, il faut manipuler, devant l’opérateur. Sur le terrain, je vois s’il répercute” », « C’est en forgeant qu’on devient forgeron »,carte publicitaire pour la « Lessive aux images » illustrée par Gérard.

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que je dois faire et je fais une synthèse de leurs proposi-tions » (responsable production). Les réseaux électro-niques sont fortement utilisés comme supports auxéchanges : groupes Viadeo, hubs spécialisés et sites departage d’expériences sont régulièrement consultéspar certains d’entre eux.L’un des techniciens tire aussi profit des contrats deconception d’outils conclus avec les sous-traitantspour apprendre, soit par interaction directe (« J’aicontacté les outilleurs qui ont conçu la machine ; ils medonnent les trucs, les expériences à faire pour tester »),soit par l’observation et la pratique (« Quand on leur asous-traité la conception, je voyais comment ils conce-vaient les postes, les outils. J’ai pu améliorer la concep-tion, faciliter la manipulation par les opérateurs, pourdiminuer le temps de cycle »).Des connaissances techniques dispersées sont ainsimises en relation et se diffusent au travers d’unechaîne informelle qui se prolonge au-delà des parte-naires directs : « Pour les solutions techniques sur l’em-boutissage, l’assemblage des pièces embouties, le soudagepar résistance…, on cherche des solutions avec le fournis-seur à l’étranger. Quelquefois, lui aussi est bloqué, etcherche des solutions ailleurs ». Des relations « choisieset spécifiques » se nouent donc entre acteurs « quis’évaluent compétents à un moment donné, pour unetâche donnée » (BERTHON et al., 2007). Anecdotique,mais assez illustratif de cette complémentarité, estl’échange du technicien précédemment cité avec sesanciens professeurs (dont l’un réside au Canada), quilui transmettent des supports de cours, tandis que lui-même, quelquefois, les « dépanne, au niveau expé-rience ».L’investissement de la personne dans le réseau et sesinteractions conditionnent également, comme l’in-dique Llerena (1997), l’étendue de la cognition col-lective. La petite taille de l’entreprise étudiée participeprobablement de cette motivation : elle impliquepour les cadres et techniciens une palette d’activitésplus large que celle existant dans une entreprise degrande taille, et exerce une pression permanente inci-tant aux apprentissages individuels. Les interfaçagesde compétences qui s’organisent autour du travailsont dès lors fortement investis.Parmi les exemples que nous avons relevés, celui desinteractions entre l’un des contrôleurs qualité etla responsable qualité-produits illustre les modalitésde cette diffusion des apprentissages. Pour cette res-ponsable, les connaissances tacites provenant de l’ex-périence du contrôleur-qualité (qui avait été aupara-vant opérateur) ont été utiles : « Avec le contrôleur, quiétait [avant] soudeur, j’ai beaucoup appris sur lesdéfauts des soudures. J’ai confiance en lui ; rien qu’envoyant la pièce, il sait s’il y a un défaut ou pas… ». Pourpasser à un apprentissage davantage collectif, les deuxparties ont conçu un support permettant de « maté-rialiser » la connaissance empirique du contrôleur-qualité afin de faciliter la diffusion de celle-ci en

interne : « On a créé des pièces (…) avec cinq défauts(…). On les a montrées aux opérateurs, pour qu’ils évi-tent ces défauts ». Cet interfaçage autour « d’objetsfrontières » (BECHKY, 2003) facilite l’explicitation deconnaissances tacites et augmente la « réceptivité auxapprentissages » (FERRARY et PESQUEUX, 2006,p. 72).Les diagrammes d’Ishikawa établis par cette mêmeresponsable, avec la collaboration du service de la pro-duction et du bureau des méthodes, remplissent lemême rôle : ce support structure l’analyse, permetd’expliciter des connaissances tacites et, au final, de lespartager, en proposant une base de réflexion com-mune.

Les ambigüités dans les interactions individuellesfont évoluer les connaissances

Des « ambigüités » se révèlent toutefois lors deséchanges, notamment entre nouveaux et anciensemployés, qui font apparaître des écarts dans les inter-prétations. Ainsi, par exemple, lorsque la nouvelle res-ponsable qualité-projets demande à une contrôleuse-qualité une liste de contrôles à effectuer, elle se dit« étonnée » quand deux des tests demandés ne donnentpas les résultats attendus : « Il est arrivé que l’on ne secomprenne pas, sur les contrôles à effectuer pour les silen-cieux : on avait sorti une liste de contrôles à faire. Après,on a vu qu’elle avait fait des contrôles, mais insuffisants(…). Mais (en fait) c’était une erreur de ma part ». Laresponsable qualité-systèmes rencontre le même déca-lage dans ses échanges avec le métrologue. Celui-ci,issu de « l’intérieur » de l’entreprise (il y était opéra-teur, avant d’évoluer en interne), puise dans les rou-tines intégrées pour interpréter les nouvelles mesuresqu’on lui demande d’effectuer. Dans une situation, enparticulier, il teste une pièce comme il l’a toujoursfait, alors que son interlocutrice attendait qu’il pro-cède à un test de gabarit. Les attentes de cette dernièren’étaient pas suffisamment explicites…Les interactions révèlent les schémas mentaux indivi-duels et le caractère localisé et situé de la connaissanceorganisationnelle (WEICK, 1995 ; BECHKY, 2003).Mais les ambigüités sont finalement porteuses d’évolu-tion. Pour l’encadrement, il y a un apprentissage com-portemental en termes d’adaptation à l’autre, au tra-vers de la clarification de ses propres attentes : « Par lasuite, pour chaque projet, je listais précisément ce qu’il fal-lait contrôler pour éviter ce genre de problème » déclare laresponsable qualité-projets ; « Je sais maintenant surquoi il faut insister ». Pour certains employés, les chan-gements entraînent l’apprentissage en « double bou-cle » décrit par Argyris et Schön (1978), puisqu’il s’agitde modifier un mode de pensée et des représentations.Un « apprentissage des interactions » s’opère ainsi dansl’action, au travers de l’expérimentation d’erreurs etd’ambigüités, véritable point de départ pour unapprentissage organisationnel.

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Les rencontres collectives : de véritables plateformespour la création de sens

Les réunions de travail représentent des lieux d’inter-actions qui peuvent soutenir un apprentissage collectif.Le degré d’apprentissage impliqué dépend toutefois del’objet sur lequel portent les échanges. De ce point devue, trois types de réunions peuvent être envisagés. a) Tout d’abord, les réunions hebdomadaires de pro-duction qui permettent de discuter des problèmesconcrets qui apparaissent. Afin de « ne pas s’éterniser »(responsable production), les participants restentdebout dans un coin de l’usine. Les discussions se fontautour d’une pièce défectueuse retournée par unclient et de manipulations de l’objet. Les questionssoulevées trouvent en général rapidement une solu-tion technique. On échange des idées d’améliorationet des connaissances issues de l’expérience des opéra-teurs. Des produits finis, exposés à proximité (sansdéfaut, ou avec des défauts), peuvent servir de réfé-rence en cas de besoin. Lors de ces réunions, les inter-actions n’amènent pas un apprentissage, ou simple-ment l’apprentissage en « simple boucle » d’Argyris etSchön (1978), puisque les participants peuvent puiserdans un stock de références et de solutions impliquanttout au plus une amélioration d’un procédé ou d’unaccord sur les actions à entreprendre.b) Les projets et leurs réunions de suivi, transversalespar nature, offrent par contre un cadre à un appren-tissage dans l’action. Elles permettent de transmettreles compétences acquises par chacun lors du suivi duprojet et de les consolider par la confrontation avec lescompétences des autres. Le déroulement de l’une despremières réunions de suivi d’un projet fait ainsiapparaître la dynamique de l’apprentissage par l’expé-rimentation dans lequel les membres de l’entreprisesont engagés : à côté d’une coordination classique surles délais et les objectifs, des questions sont soulevéessur la manière même de réaliser les activités (modes deréalisation des essais, de validation de la conformitédes pièces, types de réglages à faire sur les outils, inves-tissements nécessaires,…). Dès lors, les discussionsvisent à uniformiser les perceptions, à clarifier l’incer-titude liée à l’environnement (« Les fournisseurs n’arri-vent pas à paramétrer leurs processus avec leur propresfournisseurs. Est-ce qu’il y a un risque d’appro ? ») ou àdes problèmes inédits (« Comment faire pour que lesproblèmes de géométrie ne se reproduisent pas ? »). Unquestionnement mutuel sur le sens des mots ou desindicateurs utilisés contribue à uniformiser les inter-prétations : « Que veut dire “outillage validé” ? Est-ceque l’on intègre la maintenance préventive, les pièces derechange ? » ; « Que veut dire “un programme validé” ?Est-ce qu’on peut le verrouiller ? Comment ? ». Lors de l’une de ces réunions, les modalités d’archi-vage des informations ont également donné matière àdiscussion, voire à négociation : « Où doit-on placer lesprogrammes ? Dans le module métrologie ? Pourquoi ne

pas le mettre dans “dossiers saisis” ? ». La recherche duconsensus autour de la structuration de la « mémoireorganisationnelle » que représente le système d’infor-mation contribue au partage d’un même référentiel.Ici, le but n’est pas tant celui de la prise de décision,qui est quelquefois conditionnée par un retour sur le« terrain » et par une confrontation à des supportsempiriques (« Il faut démonter le variateur », « trancher,sur le terrain, entre l’ingénierie, la qualité et la produc-tion »), que celui d’aboutir à un « consensus cognitif »(BERTHON et al., 2007) et à une production collectivede sens qui contribue à construire l’organisation.c) Lors des réunions qui se tiennent dans le cadre desaudits qualité système, on note le même va-et-viententre des connaissances théoriques et explicitées (ici,les fiches de revues de processus) et des connaissancesempiriques (les causes de la défection d’un produit).On cherche à qualifier les dysfonctionnements, à s’en-tendre sur les indicateurs à retenir et sur les types decauses des défauts. De même que pour les réunionsprojet, on se situe ici sur le « territoire de la philoso-phie pratique » où les connaissances sont produitespar « la réflexion dans l’action » (KOENIG, 1994,p. 296). « Il faut que l’on apprenne de nos erreurs »,déclare ainsi la responsable-qualité. L’expérimentationse traduit aussi par des questionnements portant sur lesens de ce que l’on analyse : « qu’est-ce qu’une vraiecause ? », s’interroge ainsi cette même responsable.

CONCLUSION

Cet article vise à cerner une dynamique de montée encompétence industrielle qui s’est réalisée au traversd’apprentissages collectifs au sein d’un réseau sponta-nément développé. Le cas étudié montre que le réseaupermet de multiples formes d’interaction. Leséchanges autour des artefacts organisationnels concré-tisent un réseau à la fois souple et fugace qui se formeen fonction des besoins en apprentissage de chacun etse prolonge au-delà des frontières de l’entreprise. Au plan organisationnel, le management familial(mais aussi participatif ), l’histoire partagée par lesmembres de l’organisation et une lecture communedes enjeux liés aux changements ont créé une sorte decadre légitimateur qui a conduit les acteurs à la fois às’impliquer dans le changement et à reconnaîtreimplicitement les besoins en apprentissage. Ce cadrespécifique a aussi permis à un dispositif formel detransmission de connaissances d’être relayé demanière informelle en interne, le cas étudié montrantle rôle politique central joué par l’encadrement, quidevient l’interface entre le réseau et une « organisationapprenante » (LIVIAN, 1998).Des formations ou des relations de transfert de savoirsorganisées formellement n’auraient probablement passuffi à accompagner la dynamique de l’apprentissage

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organisationnel : la part d’informel et de spontanédans les échanges permet à chacun de cibler les com-pétences dont il a besoin, au moment opportun. Ilconvient dès lors de laisser le réseau évoluer de lui-même : les ambigüités dans les interactions amènentles acteurs à retraduire par eux-mêmes leur savoir pourle rendre « diffusable », ce qui renvoie à la capacitédécrite par Carlile (2004) à négocier la connaissancesituée.Gérer ces réseaux reviendrait plutôt à créer les condi-tions organisationnelles favorables à un investissementdes acteurs dans les interactions, essentiel, selonLlerena (1997), à l’existence même d’un réseaud’échange de connaissances. Sur ce point, le cas étudiémontre que la responsabilité du management interneest aussi de contribuer à l’effort de production de sensqui accompagne, en filigrane, la montée en compé-tence. Les processus intellectuels permettant d’appri-voiser l’incertitude, qui sont nécessaires dans un envi-ronnement industriel en perpétuelle évolution, fontque l’apprentissage ne se réalise pas seulement « enmarchant » mais aussi « par tâtonnements ». Une pers-pective de prolongement de cette recherche serait alorsde mettre en comparaison le modèle d’apprentissage àla fois dynamique et fragile décrit ici avec celui d’en-treprises industrielles locales qui se lanceraient dansune démarche de montée en compétence similaire. �

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À propos de l’ouvrage de BlancheSegrestin et d’Armand Hatchuel,Refonder l’entreprise, Seuil, coll. La République des Idées, 123 pages,2012.

De nombreusesrevues ont ren -du compte del’ouvrage deB l a n c h e

Segrestin et d’ArmandHatchuel, Refonder l’en-treprise. L’ex plication estsimple. Avec une mer-veilleuse capacité à trai-ter d’enjeux complexesavec une simplicité nonréductrice, cet ouvragepermet au lecteur de(re)penser l’entreprisecontemporaine « en3D » dans sa perspectivehistorique, dans ses dif-férents niveaux de lec-ture et sous la forme depropositions program-matiques. Si le proposest ouvertement critique– au sens où il opère pardéconstruction, dénatu-ralisation et réflexivité, àl’instar d’un nombrecroissant de travaux derecherche en sciences de gestion –,l’ouvrage a aussi pour ambition deréassembler les pièces du puzzle etde proposer une nouvelle image,voire un nouveau film, ce qui estbeaucoup plus rare. La perspective historique que nousoffre cet ouvrage sur la construc-tion sociale de l’entreprise mérite-rait de figurer en cours introductifde toute formation de futurs

managers. Pas uniquement parcequ’il est toujours sain de savoird’où nous venons pour compren-dre où nous allons, mais aussiparce que ce flash-back éclaire surla nature de la crise contemporainede l’entreprise. Une bonne nou-velle, qui n’est pas réellement unscoop, mais qu’il est si nécessairede rappeler : certes, les crises com-portent des causes exogènes etmécaniques, mais elles renvoientavant tout à des responsabilités, etdonc à des pratiques managériales,qu’il est possible de faire évoluer. Dans cette perspective historique,le processus d’institutionnalisa-

tion de l’entreprise moderne, telqu’il s’opère au tournant duXXe siècle, s’ancre en premier lieudans la nécessité de construire etde développer des compétencescollectives pour autoriser unedynamique d’innovation, le gagede création de nouveaux poten-tiels de valeur.L’invention du contrat de travail(en lieu et place de contrats de

louage) instaure simultanément unnouvel échange : dans une relationde coopération et d’apprentissagecollectif, la stabilisation de lamain-d’œuvre autorise justementun développement de compé-tences collectives auxquelles lesindividus ne sauraient accéder endehors de ce nouveau contexteorganisationnel. En découle l’émergence d’un« chef » d’entreprise qui n’est niactionnaire ni propriétaire de l’en-treprise et qui a pour mission deprévoir, d’organiser, de fédérer etde mobiliser. La construction de l’entreprise

moderne repose ainsi surtrois piliers : une dyna-mique de création collec-tive, un espace de travailcollectif organisé et unenouvelle forme d’autorité degestion. Elle bâtit sa légiti-mité sur le fait qu’elle offreet soutient une promesse,celle de concevoir conjoin-tement l’efficacité écono-mique et la cohésion sociale. Cette histoire fait directe-ment écho aux préoccupa-tions contemporaines, quis’accompagnent d’une pro-pension à la nostalgie dutype « et si ce bon (vieux)temps pouvait revenir ! »,dans laquelle les auteurs netombent pas pour autant,bien qu’elle soit très ten-tante. Il faut dire que, dansla suite de l’histoire, le films’accélère, et que le scénariodevient celui de rapports deforce (dont les auteurs del’ouvrage ne sous-estimentpas la puissance) qui mar-quent l’avènement de la

société anonyme confiant les prin-cipaux pouvoirs aux actionnaires,transformant la figure du dirigeanten VRP des actionnaires et réin-staurant des relations marchandes,avec leur lot de concurrence indi-vidualisée au sein même des enve-loppes organisationnelles. Dans ceprocessus, ce sont les cohérencesantérieures entre modes d’exercicedu pouvoir, entre projet écono-

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mique et projet social, et entreformes d’organisation et modes demanagement qui sont mises à mal,sans donner l’impression de pou-voir retrouver un jour un équilibrepérenne.C’est là que s’ouvre une deuxièmedimension : et s’il fallait regardercette entreprise au prisme du droitpour apporter un nouvel éclairagesur le fait qu’elle soit à ce pointballotée au gré des rapports deforces ? La réponse serait alors sim-ple, mais sa simplicité la rendraitquelque peu vertigineuse : cetobjet, au cœur des systèmes socio-productifs, devenu si structurantdes tissus économiques, des poli-tiques publiques, des relationssociales, des constructions (notam-ment identitaires…) n’existe pasen droit… !L’écart entre le réel et le cadre juri-dique semble tellement béant quel’on aurait aimé que les auteurseussent déployé des hypothèsespermettant de comprendre ce quise présente à nos yeux comme uneaberration. Et ce sont, selon les auteurs, les softlaws, incarnées par les démarchesde responsabilité sociale de l’entre-prise – RSE – et par d’autres ins-truments extra-juridiques, qui ontfait figure de nouveau compromissocial entre le pouvoir des direc-tions et diverses formes d’implica-tion des salariés qui sont autant deconditions de l’existence de dyna-miques socio-productives inno-vantes. Et, dans cette trajectoire,c’est le principe d’une interventionlégislative autorisant un réelcontrôle partagé entre dirigeants etsalariés qui a été collectivementabandonné, entérinant le fait quele progrès collectif serait de l’ordrede la condition secondaire , et nonde la raison d’être de l’entreprise.Mais les auteurs ne tombent pasdans le piège de la caricature uni-versalisante qui ne serait qu’uneréponse idéologique apporter àune autre idéologie : certes, destentatives d’introduction deformes de démocratie sociale sontrepérables ici ou là. Mais à défautd’être « consacrées par le droit » et

demeurant dans le seul cadre de lasociété anonyme ballotée entredroit des sociétés et droit du tra-vail, ces innovations demeurentfortement contingentes, éparses,voire isolées, laissant libre cours,dans d’autres contextes, à desformes d’organisation porteusestout à la fois d’absence de légiti-mité, d’injustice et d’inefficacité.Comment, dès lors, proposer etporter une alternative forte ? Quatre principes sont à repenser età recombiner. En premier lieu, il faut replacerl’ambition d’innover au cœur de lamission de l’entreprise en lieu etplace d’une focalisation sur le seulobjectif du profit, ce qui d’embléevient donner une place centraleaux processus de coopération col-lectifs. En deuxième lieu, il convient decréer les conditions de l’instaura-tion de véritables chefs d’entre-prise en lieu et place de manda-taires de personnes moralesdépourvus d’autonomie de ges-tion, et donc sans autorité de déci-sion, en substituant l’habilitationpar les salariés au mandat : c’estalors qu’il y aurait véritablement« entreprise », c’est-à-dire unensemble de personnes acceptantde « confier à un dirigeant unemission de progrès collectif ». En troisième lieu, il ne faut pasfaire abstraction de l’enjeu querecouvre le contrôle de l’exercicedu pouvoir, mais il ne doit êtreconfier ni à une seule famille d’ac-teurs (comme, par exemple, lesactionnaires) ni à un groupe d’ac-teurs diffus et dilué (comme, parexemple, toutes les parties pre-nantes) : cela implique, par contre,d’identifier, pour exercer cettecapacité d’habilitation, le périmè-tre des acteurs engagés dans l’en-treprise et qui reconnaissent l’au-torité en charge de la gestion. En quatrième lieu, enfin, il fautinstaurer des principes de solida-rité à même de soutenir l’engage-ment des uns et des autres sous laforme d’une mutualisation desrisques. Puisqu’il s’agit in fine derefondre les cadres juridiques de

l’entreprise, les auteurs se risquentà deux propositions, celle d’une« société à objet social étendu » etcelle d’une « entreprise à progrèscollectif ».Vous l’aurez compris, on ressort dela lecture de ce livre comme d’unevivifiante randonnée en montagneou d’une sortie au bord de la mer,selon les préférences : désintoxi-qués et re-énergisés. Il y a à tout lemoins une forte cohérence de lapart des auteurs, à vouloir pro-mouvoir l’innovation collective età donner envie aux lecteurs des’engager dans une démarche d’en-trepreneuriat institutionnel quicontribuerait à porter leurs propo-sitions. Mais Blanche Segrestin et ArmandHutchuel le savent pertinemment,il faut que de nombreuses condi-tions soient réunies pour que lesinnovations « prennent ». La lec-ture des remerciements nousinforme d’ailleurs du fait que celivre est loin d’être un objet isolé, ils’inscrit dans une démarche collec-tive, en réseau, qui a préexisté à sapublication, et qui perdure.

Par Rachel BEAUJOLIN-BELLET, Reims Management

School.

À propos du livre deDominique Lorrain (dir.),Métropoles XXL en paysémergents, Les Presses deSciences Po, 408 pages, Paris,2011.

La croissance urbaine, cetteimpressionnante progression de lapopulation mondiale vivant dansdes villes est un phénomène qui nepeut s’appréhender que sur la trèslongue durée : plus de la moitié de

MÉTROPOLES XXLEN PAYS ÉMERGENTS

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la population mondiale vit désor-mais dans des villes, alors que laproportion n’était que de 10 % en1900, et de 29 % en 1950. Celas’accompagne d’une explosion dela taille des agglomérations et de lamultiplication des grands centresurbains. Les plus grandes villes del’Antiquité ne dépassaient guère500 000 habitants, et les plusgrands centres urbains médiévauxn’excédaient pas 200 000. Avec larévolution industrielle, la crois-sance économique et l’exode ruralqui l’accompagnent, le nombre destrès grandes villes dé -passant le million d’ha -bitants augmente consi-dérablement. Ainsi, en1900, le mondecompte douze villes deplus d’un million d’habitants : Berlin,Birmingham, Chicago,Sa int -Péte r sbourg ,Londres, Manchester,Moscou, New York,Osaka, Paris, Philadelphieet Tôkyô. Les trois plusgrandes villes aumonde sont : Londres(6,6 millions d’habi-tants), New York(4,2 millions) et Paris(3 millions) (VÉRON

(J.), 2006). Ce mouvement va s’ac-célérer au cours du XXe

siècle, touchant priori-tairement les paysémergents, qui voientle nombre de leurs trèsgrandes villes se multi-plier, en particulierdans les dernièresdécennies du siècle. Àl’heure actuelle, on compte plus de400 villes de plus d’un milliond’habitants dans le monde, et 20mégapoles de 10 millions d’habi-tants ou plus. Les projections desNations Unies à l’horizon 2025indiquent que ce nombre vaencore augmenter pour atteindre26 mégapoles à cette date, dont22 seront situées dans des paysémergents (UN-HABITAT, 2012).À bien des égards, le mouvement

qui est en train de se produire sousnos yeux est sans précédent. Nousvoyons émerger des ensembles depopulation inédits (de par leurtaille, leur nombre et, parfois, depar leur étendue), des ensemblesplus imposants que tout ce quel’humanité avait encore jamaisexpérimenté en matière de concen-tration urbaine, des ensemblessitués le plus souvent dans des paysémergents, et donc traversés plusqu’ailleurs par des courantscontraires, des difficultés écono-

miques ou sociales et de fortes iné-galités. C’est l’objet du livre dirigé parDominique Lorrain que d’analyseret de comprendre comment cesgrandes mégalopoles parviennent(ou non) à s’organiser pour faireface aux multiples défis qu’ellesont à relever. Quelles formes insti-tutionnelles adoptent-elles ? Dequels mécanismes de gouverne-ment se dotent-elles pour parvenir

à faire fonctionner au quotidiences grands ensembles complexes ?Pour quels résultats ? L’ouvrage,basé sur une réflexion analytiquede fond, s’appuie également surquatre études de cas particulière-ment fouillées. Il vise à montrer,en analysant en détail ces exem-ples, pourquoi ces mégalopolessont tantôt des réussites, tantôt deséchecs. La gouvernabilité de ces grandsensembles urbains dépend, d’unepart, de l’existence (ou non) demodes de gouvernance originaux

et efficaces, formés à partird’instances de décisionconsidérées comme légitimeset, d’autre part, de la capacité(ou non) de ces métropoles àfinancer et à gérer (directe-ment ou indirectement) desréseaux et des infrastructuresurbains susceptibles de for-mer un canevas cohérent quifacilite la structuration desvilles et leur permetted’échapper à l’anarchie et auchaos. C’est ce queDominique Lorrain appelle,si justement, la « base maté-rielle » de la grande ville, quiforme l’ossature des circula-tions, imprimant ainsi samarque sur la vie quoti-dienne de millions d’habi-tants, et qui sert de base à laconstruction de nombreusesinstitutions qui vont contri-buer au bon fonctionnementde la gouvernance urbaine.Les institutions urbainessont lentement constituées –et légitimées lorsque le suc-cès est au rendez-vous – parleur capacité à trouver des

solutions à des problèmes pra-tiques qui, prises ensemble, per-mettent de faire fonctionner desensembles extrêmement vastes,dont la très forte densité humaineexacerbe toutes les difficultésmatérielles : difficultés de circuler(mobilité des hommes, des mar-chandises, des données), difficultéde s’alimenter en eau de bonnequalité et en quantité suffisante,difficultés dans la collecte et le trai-

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tement des déchets, difficultés dese chauffer et de s’éclairer, etc.Voici donc à l’œuvre « l’action parles infrastructures » à laquelle s’at-tache cet ouvrage, qui puise large-ment dans différents corpus théo-riques (économie, géographie,sociologie) pour étayer son propos. L’ouvrage comporte quatre étudesde cas portant sur quatre grandesmétropoles : Shanghai, Mumbai(Bombay), Le Cap et Santiago duChili. Mobilisant les compétenceset les connaissances du terrain despécialistes reconnus (Marie-Hélène Zerah pour Mumbai,Alain Dubresson et Sylvie Jaglinpour Le Cap, Géraldine Pfiegerpour Santiago du Chili),Dominique Lorrain (qui analyse,quant à lui, Shanghai) et ses co-auteurs présentent quatre histoiresurbaines singulières, qui, toutes, àleur manière et dans des contextesdifférents, illustrent et confirmentl’importance de cette « action parles infrastructures » dans les méga-lopoles des pays émergents. Shanghai, la capitale ultramodernedu Sud de la Chine, avec ses20 millions d’habitants, connaît deprofonds bouleversements depuisla fin des années 1970. La villechange, et la modernisation desinfrastructures – métro, assainisse-ment, électricité – joue dans cechangement un rôle prépondérant,notamment en matière de gestionde l’espace. Ces changements sontaccompagnés et pilotés par des res-ponsables locaux qui vont petit àpetit s’éloigner du dogme domi-nant en Chine (un régime admi-nistré directement d’en haut) pourse forger leur propre méthode degestion. Ils s’ouvrent sur le monde,nouent des partenariats avec desfirmes étrangères, prennent appuisur les organismes internationaux(comme la Banque Mondiale)pour organiser et faire fonctionnerl’administration locale. Avecnotamment la création de sociétéspar actions détenues par l’adminis-tration et servant à celle-ci de brasarmés pour mener à bien les pro-jets d’infrastructures qu’elledécide.

Mumbai, la grande métropoleindienne « combine les extrê -mes » : capitale économique dusous-continent, riche, ouverte surle monde, mais fortement inégali-taire et largement sous-équipée,cette ville combine un secteur éco-nomique mondialisé à un secteurinformel très étendu. Beaucoup deses habitants souffrent de condi-tions de vie difficiles : transportsmalaisés, fréquentes coupuresd’eau et d’électricité. Peu d’inves-tissements, des institutions fragilesaux pouvoirs fragmentés, pas debase politique suffisante pourconduire de grands projets. Lagouvernance urbaine de la ville estmise à mal et les conditions de viematérielle des populations s’en res-sentent, ce qui pourrait conduire àterme à entraver la dynamiqueéconomique de la ville et à la ren-dre moins attractive pour les inves-tisseurs que ses concurrentes quesont Madras, Bangalore ouHyderabad. Tel n’est pas le cas du Cap, qui abénéficié au sortir du régime del’apartheid d’une réforme réussiede ses institutions (création d’unvéritable gouvernement local por-teur d’un projet visant à susciter lechangement social et économique)et qui s’appuie sur des entreprisespubliques pour faire fonctionneret moderniser les services publicsurbains. Une politique ambitieused’accès aux services publics pourles populations les plus pauvres yest engagée (tarifs subventionnés)visant à réduire les inégalitéssociales, en partie liées à l’héritagede l’apartheid. Mais cette politiquene parvient pas complètement àporter ses fruits : les inégalités secreusent, la pauvreté continue deprogresser, un risque de ségréga-tion du marché du logement se faitjour. Les autorités locales doiventfaire face à une forte criminalité età une croissance économiqueinsuffisante pour pouvoir créersuffisamment d’emplois au regarddu nombre des migrants pauvresqui viennent s’installer dans laville. Les auteurs plaident pourune refondation, sinon des institu-

tions locales et de leur mode degouvernance, tout du moins du« contrat social » urbain, qui per-mettrait de donner un nouveausouffle à la ville. Le livre s’achève par une étude deSantiago du Chili, capitale écono-mique, politique et intellectuelledu pays. La ville concentre 40 %du PNB national et a été l’objetd’une série d’expérimentations, enparticulier celle d’une déréglemen-tation des services publics urbains,dans les années 1980. Portées pardes institutions fragmentées ou, aucontraire, contrariées par un Étattrès centralisateur, sans qu’il y aitun véritable pilote pour les insérerdans un projet d’ensemble, cespolitiques n’ont pas vraimentatteint leurs objectifs en termes decohésion sociale et d’évitement defractures urbaines, même si ses ser-vices publics restent globalementde bonne qualité. Ils bénéficienten particulier des importantescapacités d’investissement des opé-rateurs privés qui en ont la respon-sabilité. Un des traits saillants decet exemple est le poids et l’in-fluence des promoteurs et desgrands propriétaires fonciers, dontl’action pèse sur les politiquespubliques et a un fort impact surl’évolution de la ville et sur sestransformations successives.Au final, les réflexions, les exem-ples et les analyses présentés dansce livre dirigé par DominiqueLorrain permettent d’envisagerdans leur globalité les questionsliées à ce phénomène nouveau dela constitution de mégapoles :comment gérer des mégalopolesdans les pays émergents ?Comment parvenir à organiser, àdévelopper, à moderniser les ser-vices publics urbains qui formentl’ossature de ces villes et contri-buent, s’ils fonctionnent demanière efficace et équitable, àrésoudre au moins une partie desproblèmes auxquels font face leshabitants au quotidien. En propo-sant une grille de lecture institu-tionnaliste mettant l’accent surl’importance des grands réseauxtechniques urbains, l’ouvrage

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apporte une contribution majeureà la littérature consacrée à ces pro-blématiques que pose la gouver-nance urbaine. Il donne au lecteurde précieuses clés de compréhen-sion du fonctionnement de cesensembles gigantesques que sontces mégalopoles. Il apportera desinformations utiles et pourra susci-ter de nombreuses pistes de ques-tionnement chez tous ceux (et ilssont nombreux) qui s’intéressent àl’urbanisme, à l’économie et à lasociologie urbaines, ainsi qu’à lagestion des services publics et àl’évolution des villes.

Par Christophe DEFEUILLEY*

BIBLIOGRAPHIE

VÉRON (J.), L’urbanisation duMonde, Éditions La Découverte,Paris, 128 pages, 2006.UN-Habitat, State of the world’scities 2012-2013, United NationsHuman Settlements Programme,Nairobi, 149 pages, 2012.

À propos du livre de CédricVillani, Théorème vivant,Grasset, 2012.

Ce livre est le récit épique, tech-nique et poétique de la démonstra-tion du théorème qui a permis àCédric Villani, mathématicienfrançais, d’obtenir à 35 ans, en2010, la prestigieuse médaille

Fields (l’équivalent du Prix Nobelpour les mathématiques).Ce n’est pas la première fois qu’unouvrage se propose de retracerl’histoire d’une grande avancéemathématique et de plonger dansl’univers mystérieux de la vie desmathématiciens et de leurs pra-tiques (1). On se rappellera parexemple le passionnant ouvrage deSimon Singh sur la démonstrationdu théorème de Fermat parAndrew Wiles (2). De grandsmathématiciens ou de grands phy-siciens ont, par le passé, écrit eux-mêmes des récits de leur vie, « vul-garisant » par la même occasionleurs découvertes.Mais ce livre tente d’aller plus loindans la description du processusmental qui se déroule, et raconte,quasiment au jour le jour, les étatsd’âme, mais aussi les événements,bien réels, de la vie du mathémati-cien, seul face à son problème, ouen compagnie de ses collègues oude sa famille. Il montre que larecherche en mathématiques estnon seulement affaire de passion,de hasard et d’imagination, maisaussi de méthode, de connais-sances et d’expérience ; qu’il s’agitd’une aventure intime, mais aussid’un processus collectif ; que c’estun monde où règne certes la plusextrême rigueur, mais aussi l’ap-proximation, le pari et la ruse.Reprenons. Tout démarre undimanche après-midi de mars 2008au cours duquel Cédric Villani pro-pose à son complice et ancien doc-torant Clément Mouhot de s’atta-quer à la « régularité pourBoltzmann inhomogène ». S’ensuitune conversation qui ressemble à lamise au point par une équipe d’al-pinistes d’une stratégie pour partir àla conquête d’un nouveau sommet.On discute des voies à emprunter,des difficultés à surmonter, maisaussi des passages déjà balisés ouencore d’astuces d’itinéraires.

L’aventure commence. Elle s’achè-vera en novembre 2010, avec l’an-nonce de la parution du théorèmedans la revue scientifique ActaMathematica, quelque temps aprèsque la Présidente de l’Inde eutremis la médaille Fields à CédricVillani. Elle aura été ponctuée denuits blanches, de rencontres déci-sives, de coups de théâtre, demoments de découragement, defulgurances et de centaines decourriels échangés entre les deuxmathématiciens (dont certainssont reproduits in extenso dansl’ouvrage). Cette aventure se déroule sur plu-sieurs continents. Commençant àLyon, elle se poursuit à Kyoto, puisPrinceton, Prague et New York aufil des colloques et des séjours sab-batiques… Elle met en scène lejeune mathématicien et ses col-lègues de tous âges et de toutesnationalités, mais aussi, ses proches(sa femme et ses deux enfants, quile suivent dans ses séjours à l’étran-ger) et sa « famille » intellectuelle,celle des grands noms du domaine,qu’il s’agisse de Newton,Boltzmann, Kolmogoroff, Landau,Poincaré, Nash...Au fur et à mesure de ses avancées,l’auteur nous livre en effet de petitsportraits très bien croqués de tousces savants morts ou vivants, etréussit à nous faire comprendre enquelques lignes quels ont été leursapports fondamentaux au grandprocessus de la construction théo-rique collective. Jamais on n’avaitvu aussi concrètement commentchacun se hisse sur les épaules des« géants », en poursuivant oucontestant les apports de ses prédé-cesseurs.Qu’apprend-on donc dans cetouvrage qui se lit par ailleurscomme un roman policier (mêmesi quelques pages sont rempliesd’intégrales et de symboles mathé-matiques divers, certes inaccessi-bles au commun des mortels, maisqui nous montrent la matièrebrute du théorème en cours d’éla-boration…) ?D’abord, la manière dont fonc-tionne un chercheur, en l’occur-

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* EDF R&D - Département EFESE.

UNE AVENTUREMATHÉMATIQUE

(1) Voir PALLEZ (F.), « Voyage au pays desmathématiciens », Gérer et Comprendre n°33,décembre 1993.

(2) SINGH (S.), Le dernier théorème deFermat, Hachette Pluriel, 2011.

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rence un mathématicien, et unmathématicien d’exception, maisqui reste néanmoins représenta-tif… Le chercheur vit « en compa-gnie de son Problème », jusqu’àl’obsession. Jour et nuit, ilconstruit patiemment un édificedont, parfois, une partie s’écroule.Son rythme de progression est erra-tique : des obstacles techniques seprésentent, qui vont demander desjours, voire des semaines de travail,et qui peuvent obliger au contour-nement. À l’inverse, des fulgu-rances permettent brusque-ment des progrès ra pides.Nous ne pouvons évidem-ment pas percer le fonction-nement du cerveau de CédricVillani et les processus créatifsà l’œuvre, notamment « cettevoix dans la tête » qui parfoisse manifeste. Mais nous per-cevons ce qui les stimule : sonouverture thématique, qui lefait naviguer entre domainesmathématiques différents etpermet d’opérer des rapprochements féconds(comme le notait déjà Singh àpropos d’Andrew Wiles), son« style » marqué par le goûtpour les interprétations « mi-ma thématique mi-physique »dissolvant la frontière entremathématiques et physiquethéorique, son éclectisme et sacuriosité pour toutes lesformes d’art (pour lamusique, en particulier, maisaussi pour la littérature), savision et son intuition glo-bales d’un problème qui luidonnent de celui-ci une com-préhension qualitative, l’aident àconstruire une véritable stratégieet, malgré les obstacles, soutien-nent sa confiance dans la réussitede son projet. À côté de ces caractéristiques per-sonnelles, dans lesquelles on peutretrouver des traits propres à tousles créatifs, on perçoit dans sadémarche des éléments beaucoupplus classiques résultant à la fois desa formation de chercheur et dufonctionnement de sa commu-nauté scientifique.

Il y a tout d’abord les connais-sances acquises par l’auteur aucours d’un itinéraire de mathéma-ticien de dix-huit ans, déjà res-pectable : il « reconnaît » des sché-mas et des formes, réutilise desthéorèmes appris à l’EcoleNormale Supérieure, laissés enjachère dans un coin de samémoire, identifie les outils à for-ger (la nouvelle « norme »), saitaller chercher la référence biblio-graphique utile…

On voit là mobilisée la boîte àoutils classique du chercheurexpérimenté qui use de toute sonexpérience pour construire sonprojet comme un Lego, à partir de« briques » déjà constituées. Parses intuitions, il court-circuite desquestionnements qui auraient puêtre laborieux et fait parfois desparis sur ce qu’il n’a pas encoredémontré (certains lecteurs serontpeut-être interloqués face auconcept de « démonstration cor-recte à 90 % »…).

Ensuite, c’est l’interaction avectoute une « communauté » qui estdéterminante : ce sont les incom-préhensions, les interrogations,bienveillantes ou critiques, et par-fois incongrues, en apparence, despairs (au premier chef de ClémentMouhot, son partenaire) quidéclenchent bien souvent les rap-prochements, les associationsd’idées, les approfondissements.Les repas pris en commun, lesincursions impromptues dans lesbureaux voisins, les tableaux cou-

verts d’équations àl’heure du thé, lesséminaires, leséchanges de courriels àtravers la Terre entièregrâce à cet esperantodes mathématiquesqu’est le langageLaTex, sont tous à cetégard déterminantspour permettre cet« entrechoquement »des idées.Ce qui nous amène audernier point : le rôleque jouent certainsmodes d’organisationde la recherche, ce quine manque pas d’in-terpeller en ces tempsde débats, en France,sur les réformes del’enseignement supé-rieur et de larecherche.En effet, la passion etle talent qui affleurentdans tout le récit nesuffiraient sans doutepas à eux seuls si cer-

taines conditions d’organisationn’étaient pas mises en œuvre. Onvoit d’abord l’intérêt de préserverdans la carrière des chercheurs,notamment des plus talentueux,des périodes où ils sont libérés deleurs charges d’enseignement et detoute responsabilité administra-tive. Les six mois passés par notremathématicien à Princeton, àl’Institute for Advanced Study, ensont une belle illustration. Dansce « temple du savoir », perdu aufond des bois, tout est fait pour

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que les meilleurs mathématicienset physiciens du monde n’aient« rien d’autre à faire que de pen-ser », et qu’ils le fassent ensemble.Non seulement ils n’ont pas d’au-tre tâche que leur recherche, maisde plus tous leurs problèmesmatériels (logement, inscriptiondes enfants à l’école…) sont prisen charge par une administrationcompétente et attentive. Bien sûr,des instituts s’inspirant des mêmesprincipes existent aussi en France,comme l’Institut universitaire deFrance (IUF), qui permet aussiaux chercheurs de bénéficier dedécharges partielles d’enseigne-ment (ce qui a été le cas de CédricVillani), et des organismes derecherche, comme le CNRS, n’im-posent pas de charges d’enseigne-ment à leurs chercheurs. Mais cesprincipes sont-ils poussés aussiloin qu’ils le sont à l’Institute forAdvanced Studies de Princeton ?Ensuite, est évoqué le rôle desséminaires et des colloques, aucours desquels on soumet réguliè-rement ses idées au jugement deses pairs, mais qui jouent aussi unrôle de stimulant et d’organisationdu travail – un rôle bien connudes chercheurs en gestion – enfixant des échéances incontourna-bles. À cet égard, l’urgence fabri-quée par ces rencontres collectivessemble être productive… même sielle réduit le temps de sommeildes chercheurs, et les oblige par-fois, comme on l’a déjà dit, à desimpasses audacieuses. Mais l’onpourra aussi déceler dans la parti-cipation à ces colloques un autreingrédient d’une stratégie derecherche, moins souvent mis enavant : les nombreuses communi-cations faites par Cédric Villani etson complice, Clément Mouhot,servent aussi à organiser le teasingautour de leur travail, commediraient des hommes de marke-ting.Car il y a bien stratégie derecherche. Et, au sein de cettestratégie, une stratégie de com-munication rendue nécessaire parun contexte de compétitionféroce. Il faut se faire connaître,

attirer l’attention de la commu-nauté sur le projet en cours, il fautpublier avant les autres (ah, cerécit du coup au cœur ressenti parCédric Villani quand, en com-mençant la lecture d’un articlescientifique, il craint que le pro-blème auquel il s’est attelé n’aitdéjà été « craqué »…) et, de plus,pour avoir une chance d’obtenirla médaille Fields (dont on neprononce jamais le nom, parsuperstition), il faut avoir résoluun problème complexe avant l’âgede 40 ans. On comprend que la notoriété,comme le respect des membres dela communauté, sont évidemmentdes stimulants personnels puis-sants pour un chercheur (nul n’estbesoin, dans ces conditions, de lamenace d’un décompte des publi-cations effectuées), mais que cesont aussi des éléments de soncapital social, c’est-à-dire des res-sources qu’il pourra ensuite utiliserpour négocier sa nomination à latête de l’Institut Henri Poincaré,puis pour monter des projets fédé-rateurs et sources de ressourcesfinancières dans le cadre du pro-gramme des Investissements d’ave-nir. La lecture de ce livre, Théorèmevivant, est donc une occasion deplonger dans l’univers bien vivantd’un grand mathématicien, per-sonnalité de surcroît très atta-chante et complexe. Mais c’estaussi un moyen de comprendre,de l’intérieur, même si des diffé-rences notables existent entre lesdisciplines, les mécanismes et lesmoteurs des avancées scienti-fiques, et la manière de les encou-rager.

Par Frédérique PALLEZ *

À propos du livre de BéatriceHibou, La bureaucratisationdu monde à l’ère néolibérale,La Découverte, 2012.

L’introduction du dernier livre deBéatrice Hibou, politologue ratta-chée au CERI, fait penser aux pre-mières minutes des James Bond :elles donnent le ton du reste dufilm. Autant dire qu’il ne faut pasles rater.Son introduction nous conte lesmésaventures de deux victimes dela bureaucratie contemporaine. La première s’appelle Alice, infir-mière de son état. La caméra sub-jective de l’auteur nous invite à lasuivre au cours d’une journée-type, traversant les méandresadministratifs, bureaucratiques etinformatiques de son activité.Alice passe beaucoup de temps àrenseigner moult papiers, docu-ments, registres, fiches, systèmesd’information… au point de don-ner le sentiment que le soin – laraison d’être de son métier, rappe-lons-le – tend à devenir une acti-vité secondaire, un peu comme cesprogrammes télévisés dont la fonc-tion semble être de plus en plusd’occuper le « temps de cerveaudisponible » entre deux spotspublicitaires. Sur une journée, c’estainsi un bon tiers de son tempsqu’Alice consacre à la machinerieadministrative. Ce premier exemple nous fait tou-cher du doigt l’un des paradoxesmis en lumière par BéatriceHibou. les exigences bureaucra-tiques sont souvent justifiées pardes impératifs d’« optimisationbudgétaire », de « gestion scienti-fique », mais elles produisent l’effetinverse : Alice consacre 30% deson temps à faire autre chose queson métier, ce qui équivaut à uneffectif de 1,3 en équivalent tempsplein pour remplir un service qui

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* Professeur à Mines ParisTech.

LA DESCENDANCEDE FREDERICK T.

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auparavant n’exigeait qu’un effectifde 1.

COUPABLES, OUI,MAIS DE QUOI ?

Sa journée de travail terminée,Alice n’en a pas pour autant finiavec la bureaucratie. Rentrée chez elle, elle tente derésoudre le problème de la perte deson mobile. Elle contacte son opé-rateur pour stopper son abonne-ment, qui lui demande(enfin, un robot luidemande) son codesecret mentionné sur soncontrat d’abonnement.Comme elle ne retrouvepas ledit contrat, il luidevient impossible declôturer son abonne-ment. Pas de chance, carelle a opté – sur lesconseils de son opéra-teur – pour le prélève-ment automatique, et nereçoit donc plus les fac-tures sur lesquelles soncode pourrait aussi êtreinscrit. Elle finit, aprèsde longues minutes(payantes), par avoirquelqu’un au bout dufil, qui lui répète ce quele robot lui a déjà fortcivilement exposé. Ladifférence entre les deuxinterlocuteurs sembleplus que ténue… La dis-cussion tourne en rond,avec une chute, prévisi-ble : « Orange vousremercie de votreconfiance et vous sou-haite une bonne soirée ».Et le forfait de continuer de tour-ner.Le second cas est celui de Richard,qui cherche un stage. Juste unstage… Pour cela, il a besoind’une « Convention en milieu detravail », un document délivré parPôle Emploi. Richard se renddonc à Pôle Emploi, où on luiindique que c’est son futuremployeur qui doit les contacterpour obtenir le précieux sésame.

Richard appelle alors son (impro-bable) futur employeur qui, àcette nouvelle, rétorque à son(improbable) futur stagiaire queses prédécesseurs s’étaient tousdébrouillés pour rapporter eux-mêmes leur « CMT ». Commencealors un long chemin de croix, aucours duquel Richard, véritableJoseph K. moderne, va être pro-mené d’un endroit à l’autre, d’uninterlocuteur à l’autre, chacunayant sa propre interprétation des

règles, sans que Richard com-prenne bien ce qui lui arrive.Cette « mise en bouche » servie,Béatrice Hibou nous propose uneenquête passionnante – quoiqueun peu désespérante – au pays dela bureaucratie contemporaine, eten profite pour mettre à malquelques idées reçues. Parmi celles-ci, le fait que la bureaucratie n’estpas, loin s’en faut, l’apanage dusecteur public.

LA BUREAUCRATIEN’EST PAS LE PROPREDU SECTEUR PUBLIC

Max Weber (1864-1920) a établidepuis longtemps qu’elle est unélément central du capitalisme, ence qu’elle permet d’éliminer lesobstacles qui mènent au libre mar-ché. De fait, la dernière modemanagériale en vogue dans lasphère publique – le New PublicManagement – repose sur des

normes et des pratiques enprovenance directe dumonde de l’entreprise et dela finance : quantification àoutrance, comparaisonssystématiques, classements,mises en concurrence, sous-traitance, contrôles à répé-tition…Ce « savoir managérial »minimal tend à devenir unesorte de plus petit dénomi-nateur commun entre lesélites (politiques, adminis-tratives, économiques, jour-nalistiques…), qui leur per-met d’échanger sur une baseidéologique commune.« Peu influencé par les re -cherches scientifiques (…),le management s’est érigécomme nouveau savoir de lasociété en débordant lemonde de l’entreprise pourenglober l’ensemble dumonde économique, puisinvestir le monde étatique,et l’ensemble de la société ».

LA BUREAUCRATIEN’EST PAS NEUTRE

Deuxième idée force dulivre : la bureaucratie n’est pas neu-tre. S’appuyant sur les travaux deMichel Foucault (1926-1984),l’auteure montre à quel point leprocessus de bureaucratisation,sous les apparences de la neutralité,est une des modalités centrales del’idéologie néolibérale. Pourquoi ?Parce que les outils de la bureaucra-tie – normes, ratios, référentiels,indicateurs, règlements… – sontdes objets construits résultant de

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Page 75: ANNALES DES MINES · aux auteurs. Il arrive que les désaccords gagnent à être publiquement explicités, soit parce que cela peut faire avancer la connais-sance, soit parce que

sélections, de choix et d’options.Tout indicateur est un agrégat, uneconstruction, une certaine « abs-traction du monde ». Il est uneforme de subjectivité qui refuse dese laisser voir comme telle. Le problème ne réside pas dans lefait de travailler, de décider, d’agirsur la base de ces outils : il est decroire qu’ils sont LA réalité ou, cequi revient au même, que la com-plexité et l’épaisseur du réel peu-vent tout entières y rentrer.« L’abstraction devient la réalité ».Les chiffres font « comme si » ilsétaient la réalité, à l’image d’uncertain management « qui ignoreles problèmes, [qui] ne veut pas lesaborder et [qui] fait comme si toutallait bien (1) ». Ainsi, l’indice del’inflation n’est qu’un pâle reflet dela hausse réelle des prix ; le nombrede publications ne renseigne guèresur l’inventivité d’un chercheur ; lenombre de dossiers traités par unagent de Pôle Emploi ne dit pasgrand-chose de la qualité du suivides chômeurs ; la note à laquelle serésume l’évaluation annuelle d’uncollaborateur renseigne peu surson investissement et sa contribu-tion (2).

LA BUREAUCRATIEEST UN APPAREILDE POUVOIR

Si les outils bureaucratiques sontdes constructions, alors ce sont desinstruments proprement poli-tiques qui constituent, ensemble,un appareil de pouvoir. La bureaucratie, dissimulée der-rière des histogrammes, des procé-dures, des critères, véhicule desrapports de force, des effets dedomination. Elle « technocratise »les problèmes, invisibilise les don-neurs d’ordres, lesquels, soit dit enpassant, se montreraient sûrementfort surpris si on leur montrait la

mécanique dont ils sont l’un desrouages : « La participation bu -reaucratique peut être non inten-tionnelle et non pensée ». Plus besoin de donner d’ordredirect, il suffit désormais d’élabo-rer une nouvelle norme, une nou-velle procédure, un nouvel indica-teur pour changer les comporte-ments (3). « L’autorité par la bureaucratie est engrande partie remplacée par desincitations. Celles-ci sont présentéescomme volontairement acceptées ».En définissant ce qui est dans l’indi-cateur, la norme, le référentiel (ou cequi n’y est pas), ce qui est conforme(ou ce qui ne l’est pas), « les proces-sus de normalisation constituent desrouages de la domination ».

LA BUREAUCRATIE,C’EST À LA FOIS TOUTLE MONDE ET PERSONNE

Si les abstractions bureaucratiquesvéhiculent des façons de penser,des stratégies, des pratiques, deseffets, ce n’est pas pour autant qu’ily ait « complot bureaucratique » :le bureaucrate, c’est tout le mondeet c’est personne.Tout le monde parce que, l’air derien, chacun de nous réclame dela bureaucratie, c’est-à-dire de laprotection. La bureaucratie a àvoir avec la peur : la peur de l’in-sécurité, de l’imprévu, de l’incer-titude (4). Chaque consomma-teur veut être rassuré sur la prove-nance des aliments qu’ilconsomme ou de son tee-shirtmarqué d’un crocodile, sur le faitque son prochain séjour dans unvillage de vacances sera conformeà ce qui est mentionné dans la

brochure ; chaque agent, dès lorsqu’il respecte son petit bout demode opératoire, veut pouvoir nepas être accusé en cas de défail-lance de la chaîne de production.« Le respect des normes et desprocédures constitue une assu-rance tous risques. Face à laméfiance, les formalités sont fina-lement très rassurantes. Labureaucratie s’alimente des prin-cipes de prévention et de précau-tion ». En cela, elle est une patho-logie des sociétés vieillissantes.Mais la bureaucratie, c’est aussipersonne. Personne, car il n’y apas d’intentionnalité identifiable.Le bureaucrate – potentiellementchacun de nous, à un momentdonné ou à un autre – ne voitplus l’être en chair et en os qui estdevant lui : le chômeur disparaîtderrière son code emploi ; lemalade, derrière sa carte Vitale ; lechercheur, derrière le nombre deses publications dans des revues« à comité de lecture » ; le client,derrière son « code PIN ». Il n’y aplus de personnes concrètes, seu-lement des « procédures », des« programmes », des « disposi-tifs ».La bureaucratie est une vastemachine à produire de l’abstrac-tion, de l’invisibilité, de l’indiffé-rence.

LA BUREAUCRATIE,UN OUTIL EFFICACE ?

On ne peut pas dire que l’on res-sorte franchement optimiste decette lecture. Si la bureaucraties’alimente du besoin de protec-tion, alors il est clair que le vieil-lissement programmé de nossociétés va lui assurer de beauxjours.Mais le point essentiel n’est paslà, il me paraît être dans le faitqu’une fois de plus, les résultatsobtenus sont à l’opposé de ceuxescomptés. Prenons juste deux exemples : – « Rationnaliser pour baisser lescoûts » ? Alourdir les modalités ducontrôle des coûts revient mécani-quement à diminuer le temps que

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(1) Voir FEYNIE (Michel), Le “as if ” manage-ment – Regard sur le mal-être au travail, éd. Lebord de l’eau, 2012.

(2) Voir VIDAILLET (Bénédicte), Evaluez-moi ! Evaluation au travail : les ressorts d’unefascination, Seuil, 2013.

(3) Constat déjà fait par Michel Berry il y atrois décennies de cela. Voir BERRY (M.), Unetechnologie invisible – L’impact des instrumentsde gestion sur l’évolution des systèmes humains,Publications du CRG de l’ÉcolePolytechnique, 1983.

(4) Voir ce que dit Dominique Moïsi de lapeur en tant qu’émotion dominante del’Occident, in La géopolitique de l’émotion –Comment les cultures de peur, d’humiliation etd’espoir façonnent le monde, ChampsFlammarion, 2011 (1re éd. 2008).

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les acteurs consacrent à leurs acti-vités cœur de métier, ce quiconduit soit à un renchérissementde celles-ci, soit à une baisse deleur qualité… voire aux deux ;– « Responsabiliser les acteurs » ?Mais comment se sentir responsa-

ble, et de quoi, lorsque les chaînesde valeur sont découpées en ron-delles toujours plus fines et épar-pillées en un nombre croissantd’intervenants ?En tout cas, au moins une per-sonne aurait apprécié de voir ainsi

décrit le fruit de ses efforts :Frederick Taylor.

Par Arnaud TONNELÉ*

* Consultant, coach, Groupe Bernard Julhiet.

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BEAUJOLIN-BELLET Rachel

Rachel Beaujolin-Bellet est professeur demanagement à Reims Management School etchercheur associé à la Chaire « Mutations –Anticipation – Innovation » de l’IAE de Paris.Elle mène des travaux de recherche depuisquinze ans sur les restructurations et les rela-tions sociales.

BELLINI Stéphane

Stéphane Bellini est enseignant-chercheur àl’Université de Poitiers. Ses travaux portentsur l’expérience professionnelle des salariésseniors et la GPEC.

BENABDELJLIL Nadia

Nadia Benabdeljlil a obtenu un Doctorat enSciences de gestion à l’Université PierreMendès France de Grenoble en 1993. Elle estactuellement enseignant-chercheur à l’ÉcoleMohammadia d’Ingénieurs de Rabat(Université Mohammed V – Agdal), où elleenseigne notamment la sociologie des organi-sations, la stratégie d’entreprise et la création

d’entreprises. Ses recherches portent notamment sur l’analyse desstratégies des acteurs (individus et organisations) dansles situations de changements organisationnels impor-tants. Elle a ainsi étudié les rationalités à l’œuvre lorsdes débuts des démarches de certification à la qualité.Elle a aussi analysé de quelle manière, dans les entre-prises marocaines, la perception d’une culture localeinfluençait les relations hiérarchiques et la mise enœuvre d’outils spécifiques de management. Elle travaille actuellement sur les dynamiques et lesformes d’apprentissages organisationnels rendusnécessaires par les adaptations stratégiques et poli-tiques des entreprises à l’incertitude de leur environ-nement. Il s’agit, en particulier, d’analyser comments’opère la transposition de modèles standardisés derelations client-fournisseur au contexte économiquemarocain.

BUNDY Laurence

Laurence Bundy est professeur de marketing àToulouse Business School depuis sept ans. Ayant vécuen expatriation au Royaume-Uni et aux États-Unispendant huit ans, elle a soutenu une thèse en sociolo-gie sur le mode de vie, de consommation et de socia-bilité des expatriés britanniques en région toulou-saine. Elle s’intéresse aux phénomènes d’acculturation

du consommateur et plus particulièrement aux moti-vations et expressions de cette acculturation dans ledomaine alimentaire.

CAZES-VALETTE Geneviève

Geneviève Cazes-Valette est professeur de marketing àToulouse Business School depuis plus de trente ans.Depuis presque vingt ans, elle mène également desrecherches en anthropologie alimentaire et s’intéresseaux comportements alimentaires « banals » et à leurévolution, mais également aux particularismes cultu-rels, ethniques et religieux. Ses recherches, centréessur le rapport à la viande chez le mangeur françaiscontemporain, l’ont amenée à s’intéresser, entreautres, au marché des produits halal et, dès lors, auxphénomènes d’acculturation de populationsmigrantes ou issues de familles migrantes.

COLOMER Thierry

Thierry Colomer est Directeur de mission au sein dugroupe Alpha. C’est un spécialiste de la GPEC, dudialogue social territorial et de la GPEC Territoriale.

DEFEUILLEY Christophe

Docteur en économie, Christophe Defeuilley a publiéde nombreux articles dans les domaines de la régula-tion des services publics (eau, déchets, énergie). Ilassure une charge d’enseignement à Science Po Paris.

DUMEZ Hervé

Hervé Dumez est directeur de recherches au CNRS,directeur du Centre de Recherche en Gestion (PREGÉcole Polytechnique-CNRS). Il est ancien élève del’Ecole Normale Supérieure (Ulm) et a étudié la phi-losophie, l’épistémologie des sciences économiques etla sociologie, avant de poursuivre ses recherches dansle champ de la stratégie. Il a été professeur invité auM.I.T (2001) et au SCORE (Université deStockholm et Stockholm School of Economics, en2012). Il a publié plus de dix ouvrages et plusieursdizaines d’articles en stratégie, régulation, méthodolo-gie et épistémologie de la recherche. Il est l’éditeurd’une publication électronique trimestrielle, LeLibellio d’Aegis.

FAYOLLE Jacky

Jacky Fayolle dirige le Centre Études & Prospective dugroupe Alpha. Il a travaillé comme macroéconomiste à

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l’INSEE et à l’OFCE, et il a dirigé l’IRES (Institut deRecherches Économiques et Sociales), de 2002 à 2006.

FLEURY Nicolas

Docteur en sciences économiques, Nicolas Fleury estchargé d’études au Centre Études et Prospectives dugroupe Alpha et travaille sur les politiques d’emploi etde formation.

FREDY-PLANCHOT Agnès

Agnès Fredy-Planchot est enseignant-chercheur àl’IAE de Poitiers et elle est membre du CEREGE. Sestravaux portent sur la gestion des risques et les res-sources humaines.

GRIMAND Amaury

Amaury Grimand est professeur des universités àl’IAE de Poitiers. Ses travaux de recherche portent surla gestion des compétences et l’appropriation desoutils de gestion.

JACOB Marie-Rachel

Marie-Rachel Jacob est post-doctorante au SCOREMarie-Rachel Jacob a soutenu sa thèse à l’UniversitéParis Ouest Nanterre La Défense sur la collaborationentre salariés et travailleurs extérieurs sur le lieu de tra-vail, dans l’entreprise. Docteur en sciences de gestionet chercheur invité au Stockholm Centre forOrganizational Research (SCORE), elle poursuit sestravaux en France et à l’international sur la traductiondes enjeux actuels de l’emploi et du travail dans l’orga-nisation. À travers la notion d’équipe composite quidécrit le regroupement de salariés et de travailleursextérieurs au sein des mêmes équipes de travail dansl’entreprise, ses travaux proposent une unité d’analysepertinente pour mettre en lumière les deux logiquesconflictuelles à l’œuvre dans les organisations contem-poraines. La première logique fondée sur l’apparte-nance à un collectif de travail révèle l’organisationeffective du travail dans l’entreprise, alors que laseconde issue de la structure formelle de l’entreprisequi repose sur ses salariés, divise les collectifs constituésen distinguant les salariés des travailleurs extérieurs.Marie-Rachel Jacob est membre de l’AssociationInternationale de Management Stratégique (AIMS),de l’European Group for Organization Studies(EGOS) et de l’American Sociological Association(ASA). Elle enseigne la stratégie dans le cadre de pro-grammes de master 1 en alternance et de master 2 àl’Université Paris Ouest.

KAHMANN Marcus

Marcus Kahmann est chercheur à l’Institut deRecherches Économiques et Sociales et travaille sur lesrelations professionnelles en perspective comparative.

LAVAL Florence

Florence Laval est maître de conférences à l’IAE dePoitiers et elle est spécialisée en GRH. Ses recherchesportent sur le lien GRH & TIC, les salariés seniors etla GPEC dans le secteur automobile.

LE GUELLEC Thierry

Thierry Le Guellec est membre du Centre Études &Prospective du groupe Alpha.

LEJEUNE Jean-François

Jean-François Lejeune est membre du Centre Études& Prospective du groupe Alpha.

MALAQUIN Mathieu

Titulaire d’un doctorat en sciences économiques del’Université Paris-Dauphine, Mathieu Malaquin arejoint le Centre Études & Prospective du groupe Alphaen 2008, où il intervient sur le champ de la formation.

MARTIN Florine

Florine Martin est chargée d’études chez Sodie et doc-torante au laboratoire ERUDITE, Paris-Est Marne-La-Vallée. Ses travaux portent sur les thématiquesd’évaluation et d’emploi.

OIRY Ewan

Ewan Oiry est enseignant-chercheur à l’IAE dePoitiers. Ses travaux portent sur la gestion des compé-tences et les usages des Intranets RH.

PALLEZ Frédérique

Ingénieur civil des Mines, Frédérique Pallez est pro-fesseur à Mines ParisTech et est chercheuse au Centrede Gestion Scientifique (CGS). À l’École des Mines,elle est responsable de l’option Gestion Scientifique.Elle est membre du comité de rédaction de Gérer etComprendre.

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Spécialiste des questions de management public etd’action publique, son travail porte aujourd’hui prin-cipalement sur deux axes de recherche : – les questions de développement économique terri-torial : elle s’intéresse plus particulièrement auxformes de l’action collective locale et aux probléma-tiques de gouvernance multi-niveaux,– les politiques, l’évaluation et la gestion du systèmed’enseignement supérieur et de recherche. Sur le premier axe, elle a travaillé sur les questions derestructurations, de lutte contre les délocalisations,puis de développement économique territorial. Elle co-anime, avec Philippe Lefebvre, l’Observatoiredes Pôles de compétitivité (http://observatoirepc.org/),qui, créé en 2007, est une structure d’animation etd’échange sur les politiques de clusters, en France et àl’étranger.Sur le deuxième axe, elle conduit des travaux depuisplus de quinze ans pour le CNRS, l’Agence deModernisation des Universités (AMUE), l’ANRT(dans le cadre de l’opération de prospectiveFutuRIS), et des collectivités territoriales (notam-ment l’élaboration d’un schéma stratégique de déve-loppement d’une université moyenne). Elle a fait par-tie, à l’automne dernier, du Comité de pilotage desAssises de l’Enseignement Supérieur et de laRecherche.

REMOND Antoine

Antoine Remond est membre du Centre Études &Prospective du groupe Alpha.

TONNELÉ Arnaud

Arnaud Tonnelé est consultant et coach. Il accompagne les personnes, les équipes et les organi-sations depuis plus de vingt ans. Il a commencé à laSOFRES en réalisant des audits de climat social. Il apoursuivi chez BOSSARD Consultants pendant cinqans, puis chez BLEDINA (groupe DANONE),comme consultant en conduite du changement.Depuis 2007, il est consultant et coach au sein dugroupe Bernard JULHIET.Il intervient à Grenoble École de Management, enMaster, et au DU Executive Coaching de l’Universitéde Cergy-Pontoise. Publications :• Conduire les changements collectifs – Intégrer le fac-teur humain, éd. Julhiet, 2013 ;• Coacher son équipe – Développer le collectif, éd.Julhiet, 2013 (co-écrit avec Corinne Derive) ;• 65 outils pour accompagner le changement individuelet collectif, éd. Eyrolles, 5e tirage 2011 ;• Stratégie et pilotage des systèmes d’information,Dunod, 2009 (chapitre sur la conduite du change-ment) ;• Equipes autonomes, guide de mise en œuvre –Organisation, gestion des compétences, conduite duchangement, éd. Eyrolles, 2007.

VINCENT Sabine

Sabine Vincent est membre du Centre Études &Prospective du groupe Alpha.

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THE PROSPECTIVE MANAGEMENTOF EMPLOYMENT AND QUALIFICATIONS(GPEC), A FOLLOW-UP TO THE ADOPTIONOF THE BORLOO ACT: AN ANALYSISOF FOUR TYPICAL PRACTICESARTICULATING GPEC, HUMAN RESOURCEPOLICIES, COLLECTIVE NEGOTIATIONSAND THE STRATEGIES OF FIRMS AND LOCALAUTHORITIESEwan OIRY, Stéphane BELLINI, Thierry COLOMER,Jacky FAYOLLE, Nicolas FLEURY, Agnès FREDY-PLANCHOT, Marcus KAHMANN, AmauryGRIMAND, Florence LAVAL, Thierry LE GUELLEC,Jean-François LEJEUNE, Mathieu MALAQUIN,Florine MARTIN, Antoine REMOND and SabineVINCENT

Since its adoption on 18 January 2005, the PlanningAct for Social Cohesion obligates firms with more thanthree hundred wage-earners to negotiate a three-yearplan for the “prospective management of employmentand qualifications” (GPEC). A study carried out by theauthors sought to assess the impact of the agreementssigned in compliance with this so-called Borloo Act onpractices in managing human resources in the compa-nies surveyed. Four quite different types of prospectivemanagement were brought to light: the “recuperated”GPEC, the “externalized” GPEC, the “agent-of-change” GPEC and the “territorialized and mutual-ized” GPEC. A description is made of the finality ofeach of these ideal types and of its interactions withhuman resource policies, collective bargaining and cor-porate strategies. Current practices are discussed; andlines of inquiry, suggested for future research.

THE MIXED WORK TEAM: HOW DOESA COMPOSITE LABOR FORCE COOPERATEINSIDE A FIRM?Marie-Rachel JACOB

Given the widespread use of contingent labor— whether subcontracted, temporary workers, con-sultants or interns — a firm’s “internal” employeesoften work on teams with these contingent “external”wage-earners. Work teams are increasingly composite.How to understand the specific problems of coopera-tion in this sort of situation? Conducted in a largeFrench firm from 2009 to 2011, a study of two mixedwork teams serves to illustrate the key role played by“mediators” and the firm’s relations with them.

WHAT IS QUALITATIVE RESEARCH?PROBLEMS OF EPISTEMOLOGY,METHODOLOGY AND THEORIZATIONHervé DUMEZ

Given that research in the social sciences is increas-ingly turned toward modelization, quantitative meth-ods or experimentation, it is important to lay newfoundations for the “qualitative approach”. Drawingfrom his recently published book devoted to themethodology of qualitative research, the author hasidentified the epistemological risks associated withthis type of research and the scientific results to beexpected of it.

BAKED BEANS OR CASSOULET?A NEW PERSPECTIVEON THE ACCULTURATION OF CONSUMERSLaurence BUNDY and Geneviève CAZES-VALETTE

This article studies the food acculturation of Britishcorporate expatriates temporarily sent to Toulouse. Itrelies on field observations, seminal consumer accul-turation papers, research on nostalgia and even studiesoutside of the marketing realm, to determine the moti-vations of this acculturation. More importantly, basedon the study of a specific situation it fleshes out theprevious models by the addition of individual migranttraits and new acculturation outcomes enabling tomodel all types of food acculturations thus enlargingthe previous models realm of application.

LEARNING IN A NETWORK:THE UNPRECEDENTED CASEOF A MOROCCAN AUTOMOBILE PARTSSUPPLIERNadia BENABDELJLIL

This case-study of the learning processes undergone ina Moroccan firm selected as a parts subcontractor byRenault Tangier is based on in-depth interviews withemployees and observations during meetings. The sub-contractor had to adopt certain technical and organi-zational changes. This analysis of the shift from indi-vidual learning to an organizational form of learning ina network shows how a network, owing to its informalaspects, favors the circulation of knowledge whilerevealing management’s key role in creating the orga-nizational conditions for boosting the investment ofthose involved. These interactions enter into a processthat collectively produces meaning and makes knowl-edge advance.

Rachel BEAUJOLIN-BELLET: (RE)THINKING THEFIRM IN THREE DIMENSIONSOn Blanche Segrestin and Armand Hatchuel’s Refonderl’entreprise (Paris: Seuil, 2012).

Christophe DEFEUILLEY: “EXTRA LARGE METRO-POLITAN AREAS IN EMERGING COUNTRIES”On Dominique Lorrain’s (ed.), Métropoles XXL en paysémergents (Paris: Les Presses de Sciences Po, 2011).

Frédérique PALLEZ: “A MATHEMATICAL ADVEN-TURE”On Cédric Villani’s Théorème vivant (Paris: Grasset,2012).

Arnaud TONNELÉ: “THE DESCENDANTS OFFREDERICK T.”On Béatrice Hibou’s La bureaucratisation du monde àl’ère néolibérale (Paris: La Découverte, 2012).

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RÉSUMÉS ÉTRANGERS

OVERLOOKED

OTHER TIMES, O

THER PLACES

IN QUEST

OF THEORIES

FOR OUR ENGLISH-SPEAKERS READERSIN QUEST

OF THEORIES

MOSAICS

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RÉSUMÉS ÉTRANGERS

DIE PLANENDE VERWALTUNG DERARBEITSPLÄTZE UND QUALIFIKATIONENSEIT DER VERABSCHIEDUNGDES BORLOO-GESETZESANALYSE DER VIER TYPISCHEN PRAKTIKENEINER VERBINDUNG DER PLANENDENVERWALTUNG MIT DEMPERSONALMANAGEMENT, DEM SOZIALENDIALOG, DEN UNTERNEHMENSSTRATEGIENUND DEN REGIONALEN POLITIKENEwan OIRY, Stéphane BELLINI, Thierry COLOMER,Jacky FAYOLLE, Nicolas FLEURY,Agnès FREDY-PLANCHOT, Marcus KAHMANN,Amaury GRIMAND, Florence LAVAL,Thierry LE GUELLEC, Jean-François LEJEUNE,MAthieu MALAQUIN, Florine MARTIN,Antoine REMOND und Sabine VINCENT

Das Gesetz zur Planung des sozialen Zusammenhalts(das so genannte „loi Borloo“), das am 18. Januar2005 verabschiedet wurde, verlangt von Unternehmenmit mehr als 300 Beschäftigten, Dreijahrespläne zurVerwaltung der Arbeitsplätze zu verhandeln. Die vorliegende Studie zielte darauf ab, zu prüfen, wiesich die Vereinbarungen, die aufgrund der Anwendungdieses Gesetzes unterzeichnet wurden, auf dieVerwaltungspraktiken des Personalmanagements deruntersuchten Unternehmen ausgewirkt haben. Wir haben vier sehr unterschiedliche Typen der pla-nenden Verwaltung von Arbeitsplätzen undQualifikationen herausstellen können : die „instru-mentalisierte“ Verwaltung, die „nach außen verlagerte“Verwaltung, die „Veränderung bewirkende“Verwaltung sowie die „gebietsgebundene und aufGegenseitigkeit beruhende“ Verwaltung.Für jeden dieser Idealtypen erörtern wir im Einzelnen,über ihre Finalität hinaus, wie diese Verwaltung mitden Politiken des Personalmanagements, dem sozialenDialog und der Strategiedebatte in den untersuchtenUnternehmen interagiert. Wir beschreiben auch dieaktuellen Praktiken und schlagenForschungsrichtungen für die Zukunft vor.

DAS HETEROGENE TEAM ODER WIEFUNKTIONIERT DIE ZUSAMMENARBEITIN GEMISCHTEN BELEGSCHAFTEN ?Marie-Rachel JACOB

Aufgrund der Tatsache, dass die Unternehmen immerhäufiger Personen beschäftigen, die unter Leihvertragarbeiten, z.B. von außen kommende Erbringer vonLeistungen, Aushilfskräfte, Beiräte und Praktikanten,arbeiten die „innerbetrieblichen“ Arbeitnehmer indenselben Teams wie die „externen“. DieBelegschaften der Unternehmen sind also in zuneh-mendem Maße bunt zusammengesetzt. Der vorlie-gende Artikel möchte zu einem besseren Verständnisdes Problems der Kooperation in solchen Situationenbeitragen. Die Studie über zwei heterogene Teams, diewir von 2009 bis 2011 in einem großen französischenUnternehmen durchführten, beweist die entscheiden-de Rolle der Vermittler und erläutert die Beziehung,die das Unternehmen mit diesen Vermittlern unter-hält.

WAS IST QUALITATIVE FORSCHUNG ?PROBLEME DER EPISTEMOLOGIE, DER METHO-DOLOGIE UND DER THEORETISIERUNG Hervé DUMEZ

Zu einem Zeitpunkt, wo die sozialwissenschaftlicheForschung sich immer mehr dem Verfahren derModellierung, den quantitativen Methoden oder demExperimentieren zuwendet, erscheint es wichtig, dasqualitative Verfahren neu zu definieren (das angemesse-ner als verstehendes Verfahren zu bezeichnen wäre). MitBezug auf ein Buch über die Methodologie der qualitati-ven Forschung (Dumez, 2013), befasst sich dieser Artikelmit den epistemologischen Risiken, die mit dieser Formder Forschung verbunden sind, und legt die wissen-schaftlichen Ergebnisse dar, die von ihr zu erwarten sind.

BAKED BEANS ODER CASSOULET ? EINNEUER BLICK AUF DIE AKKULTURATION DERVERBRAUCHER Laurence BUNDY und Geneviève CAZES-VALETTES

Wir befassen uns in diesem Artikel mit der auf dieErnährung bezogenen Akkulturation britischerMigranten, denen vorübergehend eine Stelle inToulouse zugewiesen worden war. Die Analysen derBeobachtungen, die in diesem Personenkreis gemachtwurden, sind wichtige Beiträge auf dem Gebiet derNahrungsaufnahme in anderen Kulturen und siebereichern die Erforschung der Nostalgie. Sie gehenüber eine Marketingstudie weit hinaus, um dasAkkulturationsverhalten zu definieren und um dieMotivationen zu verstehen. Ausgehend vomVerständnis dieser besonderen Situation, erlaubt unsdieser Artikel vor allem, die existierenden Modelle zuergänzen, denn er fügt nicht nur individuelleCharakterzüge von Migranten hinzu, sondern vorallem auch Akkulturationsweisen, die als Modell füralle auf den Verbrauch bezogenenAkkulturationstypen anwendbar sind und somit dasAnwendungsfeld der existierenden Modelle erweiternkönnen.

VERNETZTES LERNEN : DERUNGEWÖHNLICHE FALL EINES MAROKKANI-SCHEN ZULIEFERERS IM AUTOMOBILSEKTOR Nadia BENABDELJLIL

Dieser Artikel analysiert den Lernprozess bei einemmarokkanischen Zulieferer im Automobilsektor, derdazu veranlasst wurde, (nachdem er als Zulieferer fürRenault Tanger in Betracht gekommen war) techni-sche und organisatorische Veränderungen in seinemUnternehmen vorzunehmen. Eingehende Gesprächemit den Betriebsangehörigen des Unternehmens undBeobachtungen bei Betriebsbesprechungen sind dieGrundlage für meine Analyse der Entwicklung indivi-dueller Lernprozesse zu einem organisatorischen, ver-netzten Lernprozess. Die Fallstudie zeigt, wie dieVernetzung dank ihrem formlosen Charakter dieZirkulation der Kenntnisse begünstigte und trotzdemdie zentrale Rolle des Managements sichtbar machte,das sich für die Schaffung organisatorischerBedingungen einsetzte, die sich auf das Engagementder Akteure in diesen Interaktionen günstig auswirk-ten. Sie zeigt außerdem, wie diese Wechselwirkungenan der kollektiven Sinnstiftung beteiligt sind und wiesie zur Entwicklung der Wissensbestände beitragen.

VERKANNTE REALITÄTEN

AUF DER SUCHE NACH THEORIEN

ANDERE ZEITEN, ANDERE ORTE

AN UNSERE DEUTSCHSPRACHIGEN LESER

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GÉRER ET COMPRENDRE • JUIN 2013 • N° 112 81

RÉSUMÉS ÉTRANGERSRachel BEAUJOLIN-BELLET: (NEUE) ENTWÜRFE

FÜR EIN UNTERNEHMEN IN DREI DIMEN-SIONEN Zum Buch von Blanche Segrestin und ArmandHatchuel, Refonder l’entreprise, Seuil, coll. LaRépublique des Idées, 123 Seiten, 2012.

Christophe DEFEUILLY: XXL-METROPOLEN INSCHWELLENLÄNDERNZum Buch von Dominique Lorrain, Métropoles XXLen pays émergents, Les Presses de Sciences Po, 408Seiten, Paris, 2011.

Frédérique PALLEZ: EIN MATHEMATISCHESABENTEUERZum Buch von Cédric Villani, Théorème vivant,Grasset, 2012.

Arnaud TONNELÉ: DIE NACHKOMMEN-SCHAFT VON FREDERICK T.Zum Buch von Béatrice Hibou, La bureaucratisationdu monde à l’ère néolibérale, La Découverte, 2012. M

OSAIKE

MOSAIKE

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RÉSUMÉS ÉTRANGERS A NUESTROS LECTORES DE LENGUA ESPAÑOLA

LA PLANIFICACIÓN ESTRATÉGICA DE LOSRECURSOS HUMANOS (PERH) TRAS LAAPROBACIÓN DE LA LEY BORLOOANÁLISIS DE CUATRO PRÁCTICAS TÍPICASQUE COMBINAN LA PLANIFICACIÓNESTRATÉGICA, POLÍTICAS DE RECURSOSHUMANOS, DIALOGO SOCIAL Y ESTRATE-GIAS EMPRESARIALES Y DE TERRITORIOSEwan OIRY, Stéphane BELLINI, Thierry COLOMER,Jacky FAYOLLE, Nicolas FLEURY,Agnès FREDY-PLANCHOT, Marcus KAHMANN,Amaury GRIMAND, Florence LAVAL,Thierry LE GUELLEC, Jean-François LEJEUNE,Mathieu MALAQUIN, Florine MARTIN, Antoine REMOND y Sabine VINCENT

Desde su aprobación, el 18 de enero de 2005, la Leyde planificación para la cohesión social (Ley Borloo)obliga a las empresas con más de 300 empleados aimplementar un plan trienal de planificación estratégi-ca de recursos humanos (PERH).El estudio realizado tenía como objetivo evaluar elimpacto de los acuerdos firmados en el marco de estaley sobre las prácticas de gestión de recursos humanosde las empresas estudiadas.Hemos identificado cuatro tipos de PERH muy diferen-tes: la PERH “manipulada” la PERH “externa”, la PERH“agente de cambio” y la PERH “territorial y compartida”.Para cada uno de estos ideales, se explica, además de supropósito, cómo la PERH interactúa con las políticasde recursos humanos, el diálogo social y el debate sobrelas estrategias en las empresas estudiadas. También sedescriben las prácticas actuales y se proponen líneas deinvestigación para el futuro.

LOS EQUIPOS COMPUESTOS O CÓMO UNAMANO DE OBRA MIXTA TRABAJA JUNTA ENUNA EMPRESAMarie-Rachel JACOB

Dado el uso generalizado en las empresas de trabajado-res externos, como contratistas, temporales, consulto-res y becarios, los empleados “internos” trabajan en losmismos equipos que los trabajadores “externos”. Cadavez más, los equipos que trabajan para la empresa soncompuestos. Este artículo trata de explicar la especifi-cidad del problema de cooperación que plantea estasituación. El estudio sobre los dos equipos compuestosque hemos realizado en una gran empresa francesa, de2009 a 2011, ilustra el papel crucial de los mediadoresen estos grupos de trabajo mixtos y la relación que laempresa mantiene con dichos mediadores.

¿QUÉ SE ENTIENDE POR INVESTIGACIÓNCUALITATIVA? PROBLEMAS EPISTEMOLÓGICOS,METODOLÓGICOS Y DE TEORIZACIÓNHervé DUMEZ

Cuando la investigación en ciencias sociales se orientacada vez más hacia la modelización, los métodos cuan-titativos o la experimentación, es importante recons-truir el enfoque cualitativo (cuya apelación más exactadebería ser enfoque integral). A partir de un libro sobrela metodología de la investigación cualitativa (Dumez,

2013), este artículo identifica los riesgos epistemológi-cos asociados a este tipo de investigación y precisa losresultados científicos que se pueden esperar.

¿BAKED BEANS O CASSOULET? UNA NUEVAPERSPECTIVA SOBRE LA ACULTURACIÓN DELCONSUMIDORLaurence BUNDY y Geneviève CAZES-VALETTE

En este artículo se estudia la aculturación alimentaria delos inmigrantes británicos enviados temporalmente aToulouse. Se analizan las observaciones realizadas conesta población, trabajos determinantes en materias deaculturación del consumidor e investigaciones sobre lanostalgia, e incluso se incursiona fuera del ámbito delmarketing para identificar los comportamientos de acul-turación y determinar sus motivos. El estudio de estasituación particular nos permitirá ampliar los modelosexistentes añadiendo no sólo las características indivi-duales de los migrantes, sino también los modos de acul-turación que permiten proponer un modelo aplicable atodos los tipos de aculturación del consumidor y gene-ralizar el campo de aplicación de los modelos existentes.

APRENDER EN UNA RED. EL CASO INÉDITO DEUN PROVEEDOR AUTOMOTRIZ MARROQUÍNadia BENABDELJLIL

En este artículo se analiza el proceso de aprendizajesobre el terreno de un proveedor automotriz marroquíque tuvo que hacer ciertos cambios técnicos y de orga-nización en su empresa, tras haber sido seleccionadocomo proveedor de Renault en Tánger. A través deentrevistas exhaustivas con los miembros de la empresay observaciones hechas durante las reuniones, se anali-za el paso de un aprendizaje individual a un aprendiza-je organizacional. El caso estudiado muestra cómo, gra-cias a su aspecto informal, la red promueve la transmi-sión del conocimiento al mismo tiempo que revela elpapel central que desempeña la gestión en la creaciónde condiciones organizativas favorables a la participa-ción de los actores en estas interacciones. Por último,muestra cómo dichas interacciones contribuyen a darun sentido colectivo y desarrollar el conocimiento.

Rachel BEAUJOLIN-BELLET : CONCEBIR LAEMPRESA EN TRES DIMENSIONESComentarios sobre el libro de Blanche Segrestin yArmand Hatchuel Refonder l’entreprise, Seuil, coll. LaRépublique des Idées, 123 páginas, 2012.

Christophe DEFEUILLEY : METRÓPOLIS EXTRALARGE EN PAÍSES EMERGENTESComentarios sobre el libro de Dominique Lorrain(dir.), Métropoles XXL en pays émergents, Les Presses deSciences Po, 408 páginas, París, 2011.

Frédérique PALLEZ : UNA AVENTURAMATEMÁTICA Comentarios sobre el libro de Cédric Villani, Théorèmevivant, Grasset, 2012.

Arnaud TONNELÉ : LA HERENCIA DEFREDERICK T. Comentarios sobre el libro de Béatrice Hibou, La bure-aucratisation du monde à l’ère néolibérale, LaDécouverte, 2012.

REALIDADES DESCONOCIDAS

EN BUSCA DE

TEORÍAS

EN BUSCA DE TEORÍAS

OTROS TIEM

POS, OTROS

LUGARES

MOSAICOS

© 2013, ANNALES DES MINES Directeur de la publication : Serge KEBABTCHIEFFEditions ESKA, 12, rue du Quatre-Septembre 75002 Paris Imprimé en EspagneRevue inscrite à la CPPAP sous le n° 0614 T 85015 Dépôt légal : Juin 2013

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ANNALESDES

MINESFondées en 1794

F ondées en 1794, les Annales des Mines comp-tent parmi les plus anciennes publications éco-

nomiques. Consacrées hier à l’industrie lourde,elles s’intéressent aujourd’hui à l’ensemble de l’ac-tivité industrielle en France et dans le monde, sousses aspects économiques, scientifiques, techniqueset socio-culturels.

D es articles rédigés par les meilleurs spécialistesfrançais et étrangers, d’une lecture aisée,

nourris d’expériences concrètes : les numéros desAnnales des Mines sont des documents qui fontréférence en matière d’industrie.

L es Annales des Mines éditent trois séries com-plémentaires :

Réalités Industrielles,Gérer & Comprendre,

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Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines fait le point sur un sujet technique, un

secteur économique ou un problème d’actualité.Chaque numéro, en une vingtaine d’articles, pro-pose une sélection d’informations concrètes, desanalyses approfondies, des connaissances à jourpour mieux apprécier les réalités du monde indus-triel.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines pose un regard lucide, parfois critique,

sur la gestion « au concret » des entreprises et desaffaires publiques. Gérer & Comprendre va au-delàdes idées reçues et présente au lecteur, non pas desrecettes, mais des faits, des expériences et des idéespour comprendre et mieux gérer.

Q uatre fois par an, cette série des Annales desMines propose de contribuer aux débats sur

les choix techniques qui engagent nos sociétés enmatière d’environnement et de risques industriels.Son ambition : ouvrir ses colonnes à toutes les opi-nions qui s’inscrivent dans une démarche deconfrontation rigoureuse des idées. Son public :industries, associations, universitaires ou élus, ettous ceux qui s’intéressent aux grands enjeux denotre société.

GÉRER & COMPRENDRE

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La plupart des premiers numéros de « GÉRER &COMPRENDRE » sont encore disponibles. N’hésitez pas à commanderceux qui vous manquent. Vous trouverez au sommaire des : N° 70 •Comprendre le montage d’un financement sur projet • Les PME sont-elles créatrices d’emploi ? • René Bedenne : un fonctionnaire entrepre-neur du social – N° 71 • Bertrand Collomb : de la recherche en gestionau management • Monastères d’antan et entreprises d’aujourd’hui • Lejuge, l’économiste et l’abonné – N° 72 • Groupes mafieux ou réseauxvertueux ? • La médiation, une compétence ingérable ? • Comment ins-tiller l’esprit d’entreprendre ? • Travail collectif et groupes transitoires –N° 73 • Entretien avec Jean-Daniel Reynaud • La participation financiè-re au XIXe siècle • Du dépeçage à l’assemblage : l’invention du travail àla chaîne • La professionnalisation dans les organisations associatives– N° 74 • Dossier « Les petits Modes des grandes entreprises » • De lascience des affaires aux sciences de gestion • Pour une histoire de lagestion de projet – N° 75 • Sciences de gestion et expéditions polaires• Entretien avec Alain de Vulpian • Maintien de l’ordre et organisation •Sociologie d’intervention, sociologie plastique – N° 76 • FrançoisCeyrac, patron du social • Un homme à tout savoit ? • Responsabilitésociale des entreprises • Le MINEFI en modernisation – N° 77 •Dossier : un débat électrique • L’invention de la mécanographie •L’influence internationale de la recherche en gestion française – N° 78• Agir intentionnellement contre ses valeurs • Des bureaux réels pourune entreprise virtuelle • Mobilité et gestion des carrières dans larecherche – N° 79 • Expérimentons, expérimentez ! • Université etentrepreneuriat • La médiation dans les relations professionnelles •Comment développer la performance collective ? – N° 80 • MichelCrozier, à contre courant • Nouvelles menaces et gouvernance • Lafemme objet d’innovation • L’enfer des boutons – N° 81 • La LOLF :outil de management ou dogme écrasant ? • Gérer des chercheurs enentreprise • Financer la qualité des soins hospitaliers – N° 82 • Débatpublic et expertise • Globalisation et emploi • Edison contreWestinghouse • Quand la France découvre l’audit – N° 83 • Entretienavec André Bergeron • L’entreprise qui aurait pu ne pas être délocalisée• La construction de la concurrence – N° 84 • Les start-up ou l’art dutâtonnement • La théorie financière classique : une parenthèse de 50ans ? • Des raisins et des hommes – N° 85 • Violence au travail et pla-cardisation • Mafia universitaire et Mafia tout court • La Logan sur lespas de la 2 CV ? • Entretien avec Xavier Fontanet – N° 86 • L’Égypte etles experts • La guerre des temps • Aventures chinoises de PME fran-çaises – N° 87 • Le CNES et la sous-traitance • Genèse d’un entrepre-neur social • Vauban et Taylor – N° 88 • La mort de Mobilien • Cultureet pouvoirs chez EADS • La méthode Triz et l’innovation • Surveiller lescomptables – N° 89 • Commerce équitable et marketing • Ambiguïtésdes systèmes d’alerte éthique • Fraude et changements de gouvernan-ce • Entretien avec Jean-Claude Rouchy – N° 90 • La boîte noire dulicenciement pour motif personnel • Le côté sombre des projets • L’USArmy et l’US Navy face aux TIC • Max Pagès, L’électron libre de la psy-chosociologie – N° 91 • L’obligation de rendre des comptes – N° 92 •Retour sur la faillite de la Barings • Le modèle entrepreneurial de l’Oréal• Valoriser la recherche publique – N° 93 • Comment gérer un navire dehaute mer ? • Philatélie : une passion et son marché • Gratitude et ingra-titude – N° 94 • Trente années d’histoire de la presse économique •Comment promouvoir la chirurgie ambulatoire ? • L’Europe des mas-ters en formation – N° 95 • Quand la psychosociologie fait son entréedans l’entreprise • Viagra® : Création d’une opportunité et performa-tion d’un marché • PME : peut-on choisir de ne pas délocaliser ? – N° 96• En Chine, entre Guanxi et bureaucratie céleste • Comment tenir comp-te de la subjectivité du manager en formation ? • Les accidents à l'at-terrissage par mauvais temps – N° 97 • Rencontre avec un militant dela création d’entreprise • La quête éperdue du consensus : le complexede Babel ? • Point de référence et aversion aux pertes : Quel intérêt pourles gestionnaires ? – N° 98 • Le stress des vendeuses dans un contex-te de pays émergent : entre mépris et marginalisation • Un organismede santé… malade de « gestionnite » • Est-il dans l’intérêt d’un CV de« faire des histoires » ? – N° 99 • L’ultralibéralisme ennemi du mana-gement moderne ? – Territorialité et bureaux virtuels : un oxymore ? –La haute couture aujourd’hui : comment concilier le luxe et la mode ?– ISSUE 100 : A reader’s eclectic collection of articles on managementwith a French touch – N° 101 • Les relations entre la production et ladistribution : le cas du partage de la valeur ajoutée dans la filière laitiè-re française • Dans la fabrique de la réglementation • Le vignoble bor-delais et l’influent critique américain Robert Parker – N° 102 •Management à distance et santé au travail • La FIAT 500 : gestation etbilan d'une renaissance • Le monde de la Défense : une nouvelle stra-tégie de développement s’inspirant des méthodes agiles – N° 103 •L’iPad et la guerre de la « maison numérique » • Génèse et gestiond’une crise : le marathon de Chicago (Edition 2007) • Gestion d’unealliance avec un concurrent (Options réelles et théorie des jeux) – N°104 • L’investissement socialement responsable en France : opportu-nité de « niche » ou placement « mainstream» ? • Vers l’instaurationd’une culture du « droit à l’erreur » dans les entreprises innovantes •Crise de la motivation : pour un renouvellement de l’approche gestion-naire – N° 105 • Gérer la déviance des clients – N° 106 • Le manage-ment du changement à l’épreuve de l’homéostasie des systèmes • Lesjeux de la gastronomie et de la négociation • La coopérative, un modè-le d’avenir pour le capitalisme ? – N° 107 • Les corps ne mentent pas.Une traversée éthique dans les technologies de la surveillance •« Jouer, ce n’est pas travailler » et autres stéréotypes en management• Un « éléphant blanc » : les grandes tables de logarithmes de Prony –N° 108 • La représentation managériale : Pour en finir avec la généra-tion Y • La coproduction de service : la prestation dyadique des guidesde haute montagne • Le désenchantement du management de proxi-mité – N° 109 • Dauphins et requins : Flipper, les dents de la mer etOrca • L’industrialisation des soins et la gestion de l’aléa : le « travaild’articulation » au bloc opératoire, déterminants et obstacles •Pourquoi les entreprises sont-elles désormais reconnues comme socia-lement responsables ? – N° 110 • Le neuromarketing, entre science etbusiness • Une mythologie des lumières : à propos du livre de Philipped’Iribarne, L’envers du modern • Les stratégies juridiques et marketingpour lutter contre le pseudo-parrainage – N° 111 • La posture comba-tive et la posture compréhensive dans les libérations sociales • Le rôledes dynamiques familiales dans la stratégie et la gouvernance desentreprises : soixante ans d’histoire d’une entreprise familiale • De l’« arrangement » à l’« organisation » : essai sur les dispositifs de ges-tion

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