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MEUDAL Anne-Marie M. A. L. I. J. E. Le Merveilleux Littéraire au Cinéma : ALICE AU PAYS DES MERVEILLES Sous la direction de Madame Nathalie PRINCE Soutenance le 14 septembre 2005 Université du Maine

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MEUDAL Anne-Marie

M. A. L. I. J. E.

Le Merveilleux Littéraire au Cinéma :

ALICE AU PAYS DES MERVEILLES

Sous la direction de Madame Nathalie PRINCE Soutenance le 14 septembre 2005

Université du Maine

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TABLE DES MATIERES

Introduction. ---------------------------------------------------------------------3

Première partie : Le Merveilleux Littéraire par le biais d’Alice au Pays des Merveilles. -------------------------------------------------------------------------6

1. Le Concept du Merveilleux. -----------------------------------------------6

1.1. Qu’est-ce que le genre merveilleux ? -------------------------------6

1.2. Les notions essentielles du merveilleux. ----------------------------9

1.3. Délimitations du genre merveilleux. -------------------------------11

2. La présentation des textes. -----------------------------------------------13

2.1. Le contexte d’écriture d’Alice au Pays des Merveilles. ---------13

2.2. Spécificité de l’œuvre, le merveilleux chez Lewis Carroll . -----17

2.3. Le Nonsense ----------------------------------------------------------19

3. L’adaptation cinématographique. ---------------------------------------24

3.1. Le personnage et l’univers de Jan Svankmajer.-------------------25

3.2. La féerie Walt Disney à l’œuvre dans Alice au Pays des Merveilles. -----------------------------------------------------------------26

3.3. Le problème de l’adaptation. ---------------------------------------28

Deuxième partie : L’adaptation cinématographique d’Alice au Pays des Merveilles et ses enjeux. --------------------------------------------------------31

1. Caractéristiques des adaptations choisies. ------------------------------31

1.1. La Prépondérance des objets. ---------------------------------------31

1.2. L’importance des sens. ----------------------------------------------33

2. L’identité. ------------------------------------------------------------------34

2.1. Dislocation du corps.------------------------------------------------35

1

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2.2. Qui suis-je ? ----------------------------------------------------------40

2.3. Métamorphose(s). ----------------------------------------------------46

Troisième partie : Le merveilleux mis en scène -----------------------------50

1. La réalité à l’épreuve du merveilleux. -----------------------------------50

1.1. Une temporalité propre à l’œuvre. ---------------------------------50

1.2. L’espace et les personnages du merveilleux. ----------------------53

2. Des visions du merveilleux qui diffèrent. -------------------------------60

2.1. Le langage à l’épreuve du merveilleux. ---------------------------60

2.2. Les apports du cinéma à l’œuvre li t téraire. -----------------------65

CONCLUSION. ----------------------------------------------------------------68

Bibliographie. ------------------------------------------------------------------70

Annexes. -------------------------------------------------------------------------74

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INTRODUCTION

L’importance des images pour les enfants n’est plus à démontrer.

Avant même de savoir l ire un texte et de le comprendre, l’enfant est un

lecteur d’images. D’ailleurs un livre sans images sera facilement rejeté

jusqu’à un certain âge. A l’évidence, le l ivre dépourvu d’images fait peur au

jeune enfant et l’ennuie, tout comme le livre de sa sœur ne contenant « ni

images, ni conversation »1, ennuie notre petite Alice assise sur le talus dans

l’incipit d’Alice au Pays des Merveilles .

Les images seront donc primordiales pour l’enfant ne sachant pas lire,

mais également pour les autres, car elles vont le(s) convaincre de

s’intéresser à l’histoire dans sa globalité avec toute l’évocation imaginative

potentielle qu’elle renferme. L’image révèle ainsi une puissance d’attraction

phénoménale puisque l’enfant se laisse envoûter et fait ainsi travailler son

imaginaire et sa pensée. Il est ici question de l’image illustrant un ouvrage

et le glissement se fait tout naturellement pour arriver à notre terrain

d’étude que constitue l’image animée, et l’image cinématographique. Il nous

a par conséquent semblé opportun de comparer deux versions complètement

différentes d’une même œuvre Alice au Pays des Merveilles , l’une réalisée

en dessins animés par Walt Disney et l’autre alternant film d’animation et

prise de vues réelles, réalisée par Jan Svankmajer.

La problématique envisagée dans notre étude concerne la mise en

scène du merveilleux tant l i t téraire que cinématographique. Nous avons

adopté comme base d’étude l’œuvre majeure de Lewis Carroll : Alice au

Pays des Merveilles . Nous avons mis en exergue certains axes particuliers

que nous avons souhaité analyser dans leur passage à l’écran. Le choix de

cette problématique pose en effet des enjeux particuliers comme par

1 Edi t ion Gal l imard, p . 17 , chapi t re 1 .

3

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exemple le problème de l’adaptation, le rapport au texte, l’éclairage

particulier ou la relecture du texte originel qui en découle.

Notre démarche argumentative se décline comme suit : nous allons

aborder cette étude en nous intéressant dans un premier temps au

merveilleux lit téraire et à sa mise en scène chez Lewis Carroll . En procédant

en premier lieu à la définition générique du merveilleux, nous allons ensuite

examiner ce qui le caractérise chez Lewis Carroll avec en particulier la

notion de Nonsense . Dans le même temps et en ayant posé des jalons

définitionnels, i l s’agira de voir comment ce genre peut être adapté au

cinéma, quelles approches ont été adoptées par les réalisateurs Walt Disney

et Jan Svankmajer en les présentant eux-mêmes dans leurs parcours

respectifs, mais aussi les problèmes que ces démarches posent en terme

d’adaptation.

Une deuxième partie se consacrera plutôt aux enjeux propres à cette

mise en scène au travers de deux thématiques dominantes dans nos versions

cinématographiques : l’importance des sens et la prépondérance des objets.

Nous pourrions dire qu’il s’agit là d’une mise en situation d’Alice, ou d’une

approche « environnementale » du merveilleux. Dans cette perspective, nous

approfondirons aussi la problématique essentielle de l’identité inhérente à

Alice qui fait figure d’héroïne incontestée du merveilleux. Il s’agira donc de

délimiter des approches thématiques se recentrant sur les repères élaborés

méthodiquement dans la première partie.

Enfin dans un troisième axe, nous nous intéresserons à la notion de

réalisme confronté au merveilleux ou plutôt de sa remise en question à

travers l’exemple particulier de la scène du Thé chez les Fous2 qui

correspond au chapitre 7 chez Lewis Carroll , cette scène étant relativement

emblématique du merveilleux et du Nonsense. Nous partirons de cette scène

en étudiant les références spatio-temporelles et les caractéristiques des

personnages, puis nous élargirons ensuite en puisant des exemples se

2 Edi t ion Gal l imard, p . 93 à 106, chapi t re 7 .

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référant à d’autres scènes ou aux œuvres en général. Enfin il sera temps

d’explorer le champ langagier du Pays des Merveilles et les esthétiques

particulières de Walt Disney et Jan Svankmajer en considérant les visions

particulières du genre merveilleux ainsi que les apports des uns et des autres

et les enrichissements croisés.

L’intérêt majeur de cette étude se veut d’être vraiment la comparaison

et la mise en balance du rapport au texte originel de Lewis Carroll en

approfondissant la thématique du merveilleux comme fenêtre d’entrée. Tout

est ainsi question d’interprétation au travers d’une esthétique particulière et

propre à chacun qu’il va maintenant s’agir d’appréhender et d’analyser.

5

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Première partie : Le Merveilleux Littéraire par le

biais d’Alice au Pays des Merveilles.

1. Le Concept du Merveilleux

Avant tout, i l convient de définir précisément ce que l’on met derrière

le terme de merveilleux . En parallèle, on pourra dresser un bref historique

pour mieux appréhender ce concept, et nous pourrons alors délimiter cette

notion et insister sur tout ce qu’elle recouvre.

1.1. Qu’est-ce que le genre merveilleux ?

Commençons cette approche générique par une citation qui pose déjà

quelques balises essentielles :

« Le terme mervei l leux qual i f ie le regis t re où le surnaturel se mêle de façon harmonieuse à la réal i té pour enchanter le lecteur »3.

Le merveilleux relèverait donc a priori du surnaturel si l’on reprend

cette définition d’Henri Bénac et le surnaturel, quant à lui, désignerait :

« L’ensemble des manifes ta t ions qui contredisent les lo is de la nature »4.

A l’origine, le Merveilleux appartenait au genre épique. En effet, les

épopées contenaient des Mirabilia, autrement dit des faits dignes

d’étonnement, des manifestations de Dieu sur terre, des bizarreries

géographiques, des êtres anomiques…. Puis est apparu ce qu’on a appelé le

« Merveilleux Chrétien » ou la « Matière de France », la « Matière de

Bretagne ». Cette fois, les miracles avaient Dieu pour origine. La date de

maturation du merveilleux lit téraire remonte cependant vraiment au dix-

huitième siècle puisque c’est la période à laquelle les contes oraux transmis

3 Guide des idées l i t téraires , Par is , Hachet te , 1988. 4 Le Fantast ique , de Joël Malr ieu, Paris , Hachet te , (Contours Li t téra i res) , 1992.

6

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de génération en génération, ont été écrits. Du point de vue étymologique, si

l’adjectif merveilleux apparaît dès le douzième siècle, i l faut cependant

attendre là aussi le dix-huitième siècle pour enregistrer vraiment les

premiers emplois du substantif comme désignation d’une catégorie li t téraire

en tant que telle.

Toutefois, i l ne faut pas non plus négliger les apports de Charles

Perrault , de Madame d’Aulnoy, et de Madame Le Prince de Beaumont dans

toute la mouvance des contes de fées et du merveilleux du dix-septième au

dix-huitième siècle. Dans la li t térature populaire que ce soit pour les contes,

les légendes ou les fabliaux, la représentation du monde s 'exprime à travers

des mythes. Cette li t térature est peuplée d'images qui font appel au

merveilleux pour éveiller les sens à l ' intelligence du monde. Les images

véhiculent des messages. Elles fonctionnent comme des symboles. Après

cette époque, le merveilleux disparaît complètement de la production

française mais perdure en Angleterre à travers les comptines que l’on

nomme Outre-Manche les « Nursery Ryhmes ».

Au Moyen-Age, lorsqu’ils entendaient signaler l’entrée en scène du

prodige, du surnaturel ou du supra-naturel, les auteurs médiévaux parlaient

de merveille et non de merveilleux , prenant ainsi, en compte l’évènement

plutôt que l’écriture. Les miracles de Dieu et les tentations du diable

appartiennent à la merveille, merveilleux chrétien qu'évoquent aussi

volontiers les chansons de gestes ou les légendes de saints. S'y rattachent

également les enchantements de Bretagne, ce merveilleux celtique où

puisent les romans arthuriens et les lais féeriques.

Les mirabilia - du verbe mirari qui signifie voir - instaurent non

seulement un conflit entre la perception des choses et leur compréhension,

mais ils sont de plus souvent marqués du sceau d'une ambiguïté inquiétante :

comment savoir s 'i l s 'agit d 'une manifestation du bien ou du mal ? Pour le

comprendre, i l faut rappeler que l ' imaginaire a souvent recours au corps.

Jean-Jacques Le Goff rapproche toujours étroitement l ' imaginaire et la

7

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sensibilité. Dans son ouvrage sur le merveilleux médiéval5, i l précise que

c’est une catégorie qui nous vient de l 'Antiquité, et plus précisément du

savoir romain au Moyen Age chrétien. Il ne faut pas confondre le

merveilleux avec le miraculeux réservé à Dieu, qui se manifeste par un acte

divin défiant les lois de la nature, et le magique qui est une forme

condamnable de sorcellerie imputable au diable et à ses suppôts.

Le substantif merveille a ensuite engendré le verbe se merveiller , qui

a donné par la suite s’émerveiller au sens de s’étonner.

Par le merveilleux, i l est entendu a priori, que des évènements

inexplicables répondent à des conventions allégoriques. Les Mirabilia sont

des choses admirables, étonnantes, s’attribuant à la désignation de « ce qui

s’éloigne du cours ordinaire des choses »6. L’image du merveilleux

transporte son lecteur dans un autre lieu, i l autorise ce déplacement

fantastique dans un autre espace, un autre monde ; i l s’agit réellement d’un

autre univers inconnu, magique, étrange. C’est le propre de la thématique de

l’Evasion qui transporte les protagonistes vers un Ailleurs autre que celui

qu’ils connaissent, un espace inconnu où ils vont sans aucun doute être

amenés à faire de nombreuses découvertes.

Du point de vue de la réception à l’intérieur du récit , que l’on peut

donc qualifier « d’intra-diégétique », i l est intéressant de noter que le

merveilleux ne provoque en général aucune réaction particulière chez les

personnages. Le lecteur sait qu’il entre dans l’irrationnel et que rien ne sera

justifié, dans la mesure où tout est alors considéré comme allant de soi dans

cet univers. Les personnages ne sont pas étonnés outre mesure des faits

environnants, du nouvel ordre ambiant. Ils acceptent tacitement les

nouvelles règles établies. Une véritable cohérence s’installe entre le

personnage et l’univers nouveau dans lequel i l évolue.

5 Héros e t mervei l les du Moyen-Age , Jean-Jacques Le Goff , Par is , Seui l , 2005. 6 Dict ionnaire internat ional des termes l i t téraires access ible en l igne sur le s i te ht tp: / /www.di t l . info

8

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Le merveilleux reste avant tout une figure symbolique du réel de

l’ordre de l’évidence et du quotidien. C’est bien le lecteur qui s’étonne, qui

« s’émerveille » au sens premier du terme, et c’est ce qui fonde la magie du

récit merveilleux. En fait , le terme merveilleux, pris dans son sens

étymologique, s’applique donc à la réaction du lectorat, à sa posture

particulière plus qu’à l’écriture en elle-même. Nous avons pour l’instant

insisté sur l’explication du mot merveilleux , sa définition propre, et nous

allons désormais pouvoir aborder les différents thèmes constitutifs de ce

genre particulier.

1.2. Les notions essentielles du merveilleux

Pour commencer l’exploration de ces différents thèmes, intéressons-

nous d’abord au désir . Celui-ci t ient une place prépondérante dans une

approche du merveilleux. Il faut noter que ce genre prend naissance chez

l’individu dans ce qui constitue sa personnalité propre, à savoir son désir

personnel et unique :

« Le mervei l leux résume pour l ’homme les possibi l i tés de contact entre ce qui es t en lui e t ce qui es t en dehors de lui . »7

Pierre Mabille définit clairement cet espace d’intériorisation chez

l’individu. Il s’agit réellement d’une conjonction à la fois du désir et de la

réalité extérieure. Cette conjonction permet de mettre au jour la double face

cachée des choses, et ainsi de dévoiler les ambivalences secrètes.

L’illustration du désir qui nous vient directement à l’esprit , c’est le miroir,

et i l s’agit là effectivement d’une topique essentielle du genre merveilleux,

un motif récurrent. On se souvient dans le conte de Blanche-Neige, la

fameuse phrase récurrente :

« Miroir mon beau miroir , d is-moi quel le es t la p lus bel le ? »

avec le secret espoir en fil igrane, que le désir soit réalisé et que le miroir

réponde justement à la reine cette phrase célèbre : 7 Le miroir du mervei l leux, de Pierre Mabi l le . Par is , Minui t , 1962.

9

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« Madame la Reine, vous ê tes la p lus bel le de tout le pays . »

Le miroir reflète donc, c’est sa fonction première, mais il donne aussi

et surtout une image autre, car inversée, de la réalité : la réalité,

transformée, pervertie en quelque sorte. Le miroir, par sa fonction, renvoie

une image de soi ainsi que du monde extérieur et c’est par ces reflets de

l’extérieur que l’on est amené à l’intérieur de soi-même, vers le personnel,

le subjectif. On parle ici du motif du miroir mais aussi de tout ce qui peut

refléter une image, tout ce qui peut remplir cette fonction réflexive, ainsi le

lac, l’étendue d’eau joue aussi un rôle réflexif. Si l’on reprend la citation de

Pierre Mabille, le miroir donne l’occasion de ces « possibilités de contact »

au sein de la personne. Le désir participe donc pleinement à la définition du

merveilleux, i l en est une notion de base.

Marc Soriano attire notre attention sur la question suivante :

« Comment conserver e t développer cet te créat iv i té de l ’enfance que nous devons au désir ? » 8.

Nous réalisons ici combien Lewis Carroll a su réhabiliter le jeu , le

rêve et la folie dans son œuvre pour mieux approcher cette vérité de

l’enfance, dans son désir le plus personnel et authentique. Le merveilleux

répond, i l est vrai, à un besoin de l’intelligence enfantine, de laisser

vagabonder une imagination débordante qui ne différencie pas encore

vraiment le possible et l’impossible, tous les champs sont donc ouverts à ce

désir naissant. C’est là le point de départ à une formidable créativité, un

champ d’action extraordinaire, Lewis Carroll ne s’y est pas trompé. Il a

voulu dans Alice au Pays des Merveilles, nous restituer la part de l’enfance

qui sommeille en chacun de nous, c’est sans aucun doute une des raisons

majeures du succès de son oeuvre. Il transporte son lecteur dans un ailleurs

merveilleux par le biais du jeu et du rêve.

8 « Le logicien mervei l leux », de Marc Soriano in Visages d’Alice , Col lect i f , Par is , Gal l imard, 1983.

10

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José Pierre dans Visages d’Alice nous dit :

« Le parcours in i t ia t ique d’Alice à t ravers le Pays des Mervei l les es t avant tout un modèle accompli de la t ra jectoire des rêves qui es t descente en soi-même au cours de laquel le se découvre le sens caché de son propre dest in . »9.

La « descente en soi-même » nous révèle là aussi un élément fondamental du

genre merveilleux qui est le rêve . Dans le rêve, l’inconscient s’exprime en

toute liberté sans barrière. Souvent tout y est inversé à l’image du miroir ;

le temps, aussi bien que l’espace, n’y ont plus la même valeur - nous

approfondirons ce point dans notre troisième partie. Pour autant, dans les

rêves, nous retrouvons des éléments du quotidien déformés ou arrangés,

comme des rappels de la réalité environnant le sujet.

Lewis Carroll introduit aussi audacieusement l’absurde et le magique

dans ce reflet de la vie quotidienne, et par ce biais, l’atmosphère du récit

devient profondément onirique. Le non existant, les animaux qui parlent et

se comportent comme des humains, les êtres humains eux-mêmes dans des

situations impossibles, tout est finalement considéré comme admis par le

biais du merveilleux et le rêve n’est pas troublé, i l est une condition

essentielle de réalisation du merveilleux dans ce Pays des Merveilles.

1.3. Délimitations du genre merveilleux

Il est nécessaire de reprendre ici la distinction effectuée par Todorov :

qui affirme que le merveilleux est associé :

« au t rouble que ressent l ’espr i t ra t ionnel placé en face d’un évènement surnature l qu’ i l refuse d’admettre mais qu’ i l se sent incapable de nier , ce qui le place à l ’angle de l ’Etrange où le surnaturel n’es t qu’une apparence e t du fantas t ique où le surnaturel exis te vra iment . »10.

A la différence du fantastique ou de la science-fiction, le merveilleux

n’a effectivement pas besoin de justifier sa vraisemblance. Le genre

9« Lewis Carrol l , précurseur du surréal isme », de José Pierre in Visages d’Alice , Col lect i f , Par is , Gal l imard, 1983. 10 Introduct ion à la Li t térature Fantast ique, de Tzvetan Todorov, Par is , Seui l , (Poét ique e t Points) , 1970.

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fantastique, pour sa part, n’est pas placé sous un tel contrat de lecture. Il

introduit des éléments étranges dans un univers qualifié de « normal ». Et

dans ces conditions de création du genre fantastique, i l est impossible pour

le lecteur de savoir si ces évènements sont réels ou bien s’ils sont le produit

de l’imagination du personnage en question, le discernement ne se produit

pas dans le genre fantastique. Contrairement au merveilleux, où les

évènements sont acceptés en tant que tels, sans plus d’interrogations :

« Mais le lecteur sor t du fantas t ique quand i l opte pour une solut ion face à l ’hés i ta t ion qui l ’habi te . Si on doi t admettre de nouvel les lo is pour expl iquer le phénomène, i l s ’agi t de mervei l leux. »11

Pour différencier l’étrange du merveilleux, nous dirons que le

merveilleux se caractérise par la seule existence de faits surnaturels tandis

que l’étrange est l ié, lui, uniquement aux sentiments éprouvés par les

personnages. Le merveilleux est de ce fait , intimement lié aux contes de

fées, puisque dans ceux-ci, les évènements surnaturels ne provoquent pas

non plus de surprise chez les protagonistes, le pacte de lecture est donc

similaire à celui des féeries et de la Fantasy.

Par ailleurs, le merveilleux scientifique, proche quant à lui de la

science fiction, est confronté à d’autres univers en plaçant l’action dans un

vaste ensemble spatio-temporel. Le monde est réglé différemment de celui

que l’on connaît.

Dès l 'origine, nous constatons que le merveilleux a pour fonction de

faire contrepoids à la banalité. Il propose un univers à l 'envers. Il peut

s’agir alors d’un monde inversé ou juste déformé, comme un pâle écho de

notre quotidien, comme le reflet d’un miroir déformant en quelque sorte. . .

Nous avons tenté de délimiter un tant soit peu le genre qui nous

préoccupe en premier lieu, nous allons maintenant nous intéresser au texte

fondateur de Lewis Carroll .

11 Introduct ion à la Li t térature Fantast ique, de Tzvetan Todorov, Par is , Seui l , (Poét ique e t Points) , 1970.

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2. La présentation des textes

2.1. Le contexte d’écriture d’Alice au Pays des Merveilles

Une des nombreuses particularités d’Alice au Pays des merveilles

réside dans le fait que Lewis Carroll introduit dans le contexte de la société

victorienne le genre merveilleux, lequel était jusqu’alors cantonné aux

contes de fées comme nous l’avons remarqué plus haut avec les contes de

Charles Perrault .

Il convient sans doute de souligner l’extraordinaire succès de Lewis

Carroll , puisqu’ Alice au Pays des Merveilles, comme nous le rappelle Henri

Parisot12, est l’ouvrage le plus célèbre Outre-Manche après la Bible, un

livre-clé en somme! L’originalité de son écriture ainsi que la formidable

audace artistique dont Lewis Carroll a fait preuve, sont sans nul doute à la

naissance de cet immense succès.

Nous allons donc maintenant nous intéresser au contexte d’écriture de

l’œuvre pour mieux la resituer dans son époque et voir en quoi il s’agit

vraiment d’une œuvre ambivalente.

Le premier exemple concret d’une certaine ambivalence peut se

résumer à l’util isation d’un pseudonyme de la part de Lewis Carroll , qui

s’appelait en réalité Charles Dogdson. Si l’on poursuit le raisonnement

jusqu’à son terme, cela signifie que la plus grande œuvre du merveilleux qui

soit , a été écrite par un être purement fictif puisque Lewis Carroll n’existe

pas dans la réalité en tant que tel. Il est important de souligner ce trait

caractéristique de la personnalité de Lewis Carroll , car i l refusa

constamment l’identification Dodgson-Carroll . Effectivement, pour lui, sa

personnalité s’articulait en deux pans principaux avec d’un côté l’homme

privé alias Charles Dodgson et d’autre part, l’homme public Lewis Carroll .

12 Lewis Carrol l , de Henri Par isot , Paris , Seghers , (Poètes d’aujourd’hui , n°29) , 1952.

13

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Ainsi l’anecdote suivante : ravie par les aventures d’Alice au Pays des

Merveilles, la reine Victoria demanda un jour qu’on lui procure l’ouvrage

suivant du même auteur ; elle reçut aussitôt le savant Traité élémentaire des

Déterminants de Charles Lutwidge Dodgson, on ne l’avait pas trompée, i l

s’agissait bien du même homme mais assurément pas du même univers…

Procédons à une rapide présentation biographique de l’homme. Lewis

Carroll alias Charles Dogson est donc né en 1832, il passe sa jeunesse dans

le Yorkshire et aime monter des spectacles de marionnettes pour ses frères

et sœurs. En 1851, il entre à l’université d’Oxford et y obtient un diplôme

de mathématiques. Il continue sa carrière comme enseignant à l’université et

est ordonné diacre en 1861. En plus de ses travaux pédagogiques sur les

mathématiques, i l se met à écrire des nouvelles dans le magazine The Train

sous le pseudonyme de Lewis Carroll . Egalement photographe, ses sujets

favoris sont des petites fil les déguisées en fée. Mais, i l dut renoncer à la

photographie vers 1880 car ses portraits de petites fil les avaient provoqué

certaines critiques dans ce contexte victorien.

Alice au Pays des Merveilles a été écrit en 1862, c’est sans aucun

doute l’œuvre majeure de Lewis Carroll . Elle est profondément ancrée dans

la société de l’Angleterre victorienne de l’époque, laquelle s’offusque de

l’ intérêt immédiat porté à l’oeuvre, ne sachant voir dans Alice au Pays des

Merveilles un conte moderne élevant l’enfant au-delà de la mièvrerie,

capable de saisir le ridicule des adultes et la prison de leurs conventions.

Initialement destinées à la jeunesse, les oeuvres de Carroll ont, depuis, su

conquérir les grandes personnes qui ne cessent d’y découvrir des messages

cachés . La petite Alice trouve encore aujourd’hui de nombreux échos chez

ses lecteurs, preuve du formidable talent d’écriture de Lewis Carroll qui

traverse les siècles et les générations. Par la suite, i l écrivit encore un

poème ludique intitulé La Chasse au Snark en 1876, et un roman en deux

volumes dont les héros sont encore des enfants Sylvie et Bruno en 1889-

1893. Parmi ses dernières œuvres figurent des jeux de logique mathématique

: Une histoire embrouillée en 1885, et Ce que la tortue dit à Achille en

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1894. Lewis Carroll décèdera en 1898, et son œuvre lui survit encore à

l’heure actuelle.

Le quatre juillet 1862 eut l ieu un évènement capital dans la vie de

Lewis Carroll . Lors d’une promenade en barque avec les trois fil lettes

Liddell auxquelles il est très attaché - Alice âgée de dix ans à l’époque,

Edith huit ans et Lorina, treize ans - i l leur raconte alors à cette occasion ce

qui deviendra par la suite Alice au Pays des Merveilles .

I l écrira à ce propos dans son journal :

« Remonté la r iv ière jusqu’à Godston avec les t ro is pet i tes Lidel l . Nous avons pr is le thé au bord de l ’eau e t n’avons pas regagné Chris t Church avant hui t heures e t demie. »

I l écrit en face sur la page suivante de son journal :

« A cet te occasion, je leur a i raconté une his toi re fantas t ique int i tu lée Les aventures d’Al ice sous terre , que j ’a i entrepr is d’écr i re pour Alice . »

Par la suite, i l reprendra son récit à deux reprises, toujours au cours

de promenades avec les petites Liddell, courant août 1862.

Le premier manuscrit est intitulé Alice’s Adventures Under Ground

soit en français Les aventures d’Alice sous terre, parfois traduit Les

aventures souterraines d’Alice . Le ti tre va ensuite évoluer et deviendra

Alice au Pays des Elfes , puis finalement Alice au Pays des Merveilles en

juin 1864.

C’est donc à l’été 1862, pendant cette promenade en barque en

compagnie des sœurs Liddell que lui est venue l’idée de ce chef-d’œuvre,

qu’il n’a couché sur le papier par la suite, que sur insistance d’Alice

Liddell , elle- même, à qui le premier manuscrit calligraphié fut d’ailleurs

offert le 26 novembre 1864, agrémenté de trente-sept i l lustrations réalisées

par Lewis Carroll en personne.

15

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C’est là un véritable phénomène de « cristallisation » avec les deux

figures emblématiques de « l’amant » et de « l’aimée », selon la définition

de Stendhal :

« Ce que j 'appel le cr is ta l l isat ion, c 'es t l 'opérat ion de l 'espr i t , qui t i re de tout ce qui se présente la découver te que l 'obje t a imé a de nouvel les perfect ions . »13

La petite Alice Liddell écoute sa propre histoire, laquelle est directement

issue de l 'esprit de Lewis Carroll – « l’amant » - qui a façonné la réalité de

« l 'aimée » - Alice Liddell - à l ' image de ses désirs pour en faire un être

idéal.

La rédaction commencera en novembre 1862 pour s’achever en février

1863. En 1865, la maison Mac Millan accepte de le publier, enrichi des

désormais célèbres il lustrations du caricaturiste Sir John Tenniel que Carroll

prend à ses frais, i l sera donc très rigoureux avec lui quant à ses exigences

pour coller au plus près de son texte. Ce fut dès la sortie de l’œuvre un

immense succès. L’ouvrage est d’abord tiré à deux mille exemplaires en juin

1865, un second tirage de cinq mille exemplaires est effectué au moment de

Noël. Et en 1866, i l publiera en fac-similé le manuscrit original qu’il avait

offert à Alice Liddell. Au fur et à mesure de son succès, ses relations se

détériorent avec la petite Alice qu’il affectionnait particulièrement, et ce du

fait de Madame Liddell qui souhaite tenir ses enfants à l’écart de l’écrivain

dans le contexte puritain de la société victorienne.

Lewis Carroll , devant le succès retentissant de son ouvrage, envisage

une suite intitulée De l’autre côté du miroir - et ce qu’Alice y trouva , qui

paraîtra en 1872, toujours enrichie des il lustrations de Tenniel. Fort de ce

nouveau succès, Lewis Carroll décida de publier en 1876 La chasse au

Snark , qui connut lui aussi une certaine gloire. La même année, Alice au

Pays des Merveilles est mis à la scène et en 1890, Carroll publie une édition

simplifiée intitulée Alice racontée aux tout-petits.

13 De l’amour, de Stendhal , 1822.

16

Page 18: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

2.2. Spécificité de l’œuvre, le merveilleux chez Lewis Carroll

Alice in Wonderland , tel est le t i tre original en anglais. Rappelons

tout de même que to wonder signifie s’interroger, se poser des questions en

même temps que s’étonner, s’émerveiller. Telle est effectivement l’atti tude

de notre héroïne tout au long de l’œuvre majeure de Lewis Carroll .

Il nous faut maintenant définir le statut de cette œuvre plus

difficilement classable qu’on ne pourrait croire. A une époque où les

écrivains suivaient une trajectoire assez linéaire, le parcours de Lewis

Carroll est assez typique. En Angleterre au dix-huitième siècle, alors que la

tradition puritaine avait tendance à réduire les enfants lecteurs à de jeunes

cires encore malléables, on voit naître des pédagogues qui croient les

enfants dignes de lectures plus adaptées au stade de développement qui est

le leur. Lewis Carroll avec son Alice au Pays des Merveilles , s’inscrira dans

cette lignée d’écrivains. Son coup de génie a en fait consisté à réutiliser un

genre banal mais redevenu nouveau : le conte de fées.

Il en transforme à la fois la structure et le message. En effet, Alice au

Pays des Merveilles ne s’ouvre pas sur le traditionnel « Il était une fois… »,

ou plutôt « Once upon a time… » dans la version originale. Mais ce sera le

cas pour la version publiée à l’intention des tous petits en 1890. En

revanche, quand Lewis Carroll commente14 Alice à la scène en 1887, il

affirme son intention de rester dans le cadre du féerique traditionnel avec

tout son bagage animalier habituel, comme les contes de nourrice.

Avec Alice au Pays des Merveilles , Lewis Carroll participe au

renouvellement du genre li t téraire fantastique pour les enfants, par le

truchement du merveilleux. Il veut faire sauter la chape moraliste qui pesait

alors sur la l i t térature enfantine. Par delà tous les procédés du nonsense , et

le bagage féerique traditionnel, Lewis Carroll relate avant tout l’instabilité

14 Œuvres , de Lewis Carrol l , Par is , Gal l imard, 1990, (Bibl iothèque de la Plé iade) .

17

Page 19: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

des choses, et retrouve l’essence des mythes même quand il les parodie. Il

fait éclater les cadres traditionnels et met l’imagination au pouvoir.

Lewis Carroll nous dépeint ainsi une Alice en train de devenir, de

chercher à devenir adulte, alors qu’à l’époque victorienne, les enfants

étaient le plus souvent considérés soit comme des êtres totalement différents

des adultes, soit au contraire comme des adultes en réduction, des adultes

miniatures.

On ne saurait mieux caractériser cette oeuvre qu’en reprenant les

propos de Jean Gattégno15 qui dit en substance que Lewis Carroll util ise

comme thème, le merveilleux, comme structure, le rêve et comme ton, le

comique. Il fait comme l’enfant en train de jouer, i l crée un monde de

fantaisie qu’il prend très au sérieux. Et pourtant, i l entretient un rapport

assez ambigu avec ce genre du merveilleux. Ce n’est effectivement pas

vraiment une innovation de faire se rencontrer une fil lette et un lapin qui

parle anglais, cette situation relève plutôt du merveilleux universel. Son

innovation se situe dans le regard que prête Lewis Carroll à son héroïne et

qui fait d’elle moins une participante, qu’une observatrice du monde

féerique dans lequel elle a pénétré. Alice multiplie les remarques soulignant

sa surprise devant les évènements dont elle est témoin, les personnages

qu’elle rencontre et tous les discours qui lui sont tenus. Un postulat

essentiel du merveilleux est ici ébranlé : tout ce qui se déroule dans le conte

est naturel. L’insolite est donc étranger au merveilleux et au conte de fées

et i l est pourtant redondant dans Alice au Pays des Merveilles .

Nous retrouvons cependant les mêmes thèmes et les images déclinées

depuis des siècles dans le bagage merveilleux : la traversée du miroir, la

plongée dans le lac et surtout, l’inquiétude du carrefour, la croisée des

chemins… Au cours de cet été 1862, c’est en bordure d’une rivière, et plus

précisément de l’Isis que Lewis Carroll commence à conter les aventures

15 L’univers de Lewis Carrol l , de Jean Gat tégno, Par is , José Cort i , (Rien de commun), [1970], nouv. éd . en 1990.

18

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d’Alice. Pierre Brunel16 nous indique que c’est précisément l’eau qui suscite

ici, comme jadis la déesse du même nom, les multiples métamorphoses qui

formeront la matière principale du récit , on retrouve ici la matrice de l’eau

originelle et créatrice.

2.3. Le Nonsense

« Je cra ins for t de n’avoir recherché d’autre sens que le nonsense ! Quels que soient les sens acceptables que l ’on t rouve à ce l ivre , je les accepterai avec jo ie . »17

Le texte d’Alice au Pays des Merveilles est parcouru d’une logique de

l’absurde qui a permis toutes les fantaisies pour mettre en place ce fameux

nonsense . Le mot apparaît en 1614 et voici sa définition dans l’Oxford

English Dictionnary :

« Nonsense : ce qui n’es t pas du sens ; mots qui n’ont pas de sens ou qui cont iennent des idées absurdes . »

Lewis Carroll fut d’ailleurs qualifié de « surrealist in nonsense » par

André Breton18 en 1924. Il souligne que :

« Le nonsense t i re son importance du fa i t qu’ i l const i tue pour lu i la solut ion vi ta le d’une contradic t ion profonde entre la foi e t l ’exercice de la ra ison, entre la conscience poét ique e t les r igoureux devoirs profess ionnels . »19.

On note dès lors une attention portée à un procédé lit téraire auquel on

a gardé en français la dénomination anglaise : le nonsense faute de pouvoir

le traduire. Il s’agit bien là d’un style d’écriture pour lequel le français se

refuse à inventer un nom.

Le nonsense , ou l’absurde pourrait-on dire, reste un des grands

ressorts de la poésie dadaïste et surréaliste. Ce qui signifie clairement que

16 Le mythe de la métamorphose, P ierre Brunel , Par is , José Cort i , (Les Massicots) , 2004. 17 Lewis Carrol l , d’Henri Par isot , Par is , Seghers , (Poètes d’aujourd’hui , n°29) , 1952. 18 Œuvres , de Lewis Carrol l , Par is , Gal l imard, 1990, (Bibl iothèque de la Plé iade) , p . XVII . 19 Anthologie de l ’humour noir , d’André Breton,Par is , Le Livre de Poche, (Plur ie ls , 2739) , 1970.

19

Page 21: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

l’esprit mis en présence de toute espèce de difficulté peut trouver une issue

idéale dans l’absurde. Carroll introduit donc audacieusement l’absurde et le

magique dans la vie quotidienne. Il s’agit là de l’alliance très particulière et

non moins réussie de la logique et de l’onirisme, puisque les faits

psychologiques sont traités comme des faits objectifs. Le non-existant, les

animaux qui parlent, les êtres humains dans des situations impossibles, tout

est finalement considéré comme admis et le rêve n’est donc pas troublé.

Il est aujourd’hui indéniable que ce livre de Lewis Carroll consacra

l’un des temps forts de la l i t térature du dix-neuvième siècle, c’est-à-dire la

l i t térature de l’absurde et du nonsense , préétablie en 1858 par un autre poète

dessinateur anglais, Edward Lear et son Book of Nonsense.en 1846.

Cependant, Lewis Carroll a toujours nié une quelconque filiation ou

influence de Lear sur son œuvre.

On trouve dans le texte de Lewis Carroll une expérience du rêve qui

permet peu à peu au lecteur de quitter l’expérience du terrain et de la

réalité-nous approfondirons ce point dans la troisième partie de notre étude-,

et ce grâce à des invraisemblances touchant au temps et à l’espace, ainsi

qu’à la logique. Dans sa Logique du sens, Gilles Deleuze souligne le fait

que :

« La place pr ivi légiée de Lewis Carrol l v ient de ce qu’ i l fa i t le premier grand compte, la première grande mise en scène des paradoxes du sens , tantôt les recuei l lant , tantôt les renouvelant , tantôt les inventant , tantôt les préparant . »20

Les nombreux effets comiques issus de ces paradoxes de sens,

permettent aussi au lecteur d’accepter le passage vers ce monde carrollien si

particulier, de pénétrer dans le Pays des Merveilles, le tout en rendant

possible une complicité progressive avec l’auteur. Lewis Carroll introduit en

effet un échange tacite avec son lecteur, puisque peu à peu, au fil des idées

farfelues et des jeux de mots, le lecteur finit par bannir tous ses jugements

objectifs et finit par accepter ce monde qu’il aurait rejeté, le considérant

20 Logique du Sens , Gi l les Deleuze, Par is , Minui t , (Cri t ique) , 1969, p . 7 .

20

Page 22: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

trop absurde si l’auteur lui avait demandé d’y croire d’emblée. Car nous

allons voir que Lewis Carroll transgresse allègrement et avec extravagance

les lois de l’objectivité.

Le nonsense traduit sans aucun doute le refus du monde de la part de

Lewis Carroll , i l se trouvait en porte-à-faux par rapport à l’environnement

dans lequel i l vivait , et cette util isation du nonsense lui permet de

s’exprimer en toute liberté, sans licence. L’utilisation de ce procédé du

nonsense révolutionne quelque peu la logique traditionnelle, les règles

habituelles de constitution du récit . Par le biais du nonsense, le principe du

jeu fait recette dans son œuvre, i l a sans cesse recours à la dimension

ludique du langage, tout en utilisant toutefois un langage d’adulte. En ceci,

je veux dire à l’instar de Walter de la Mare qu’Alice au Pays des Merveilles

est :

« Le seul l ivre de nonsense écr i t pour les enfants qui ne soi t jamais enfant in . »

Dans Alice au Pays des Merveilles , Lewis Carroll nous enseigne tout autant

que son héroïne. Il veut faire retrouver à l’adulte l’enfant qui sommeille en

lui et sa toute-puissance imaginative.

Comme le rapporte aussi Christian Renaut :

« Rien n’avai t vra iment de sens pour Alice , tous les personnages qu’el le rencontra i t avaient des comportements é tranges contre lesquels e l le s’ insurgeai t . »21

En fait , tout ce qui paraît étrange et absurde à Alice constitue une vision

enfantine d’un monde d’adultes décrié par Lewis Carroll .

Et pourtant, le nonsense ne peut être caractérisé par les adjectifs

i l logique , ou encore irrationnel , ce qui présuppose l’existence d’une norme

poétique rationnelle ou logique. Ces adjectifs risqueraient de faire perdre de

vue que si le nonsense est assimilé à l’absurde, i l n’en est pas moins

21 De Blanche-Neige à Hercule , 28 longs métrages d’animation des Studios Disney, de Chris t ian Renaut , Par is , Dreamland, 1997.

21

Page 23: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

cohérent. N’oublions pas que Charles Lutwidge Dodgson était un grand

logicien en son temps, i l a écrit de nombreux ouvrages de logique et a mené

de multiples travaux dans ce domaine. Lewis Carroll offre systématiquement

à son lecteur la possibilité de faire basculer le récit du côté du sens, mais du

sens caché. Dans cette perspective, le nonsense est alors un adjuvent du

raisonnement logique.

« Le nonsense es t à la fois ce qui n’a pas de sens , mais qui , comme, te l , s ’oppose à l ’absence de sens en opérant la donat ion de sens . »22

Dans cette perspective adoptée par Gilles Deleuze, le « non-sens » n’est

donc pas meaningless , mais bien Nonsense. Plutôt que de le définir par la

négative et lui affecter une signification de l’absurde qui se résume à

l’absence de sens, i l vaut donc mieux entendre le nonsense comme, au

contraire, une surdétermination de sens qui affecte la vision des personnages

et contamine ensuite celle des lecteurs qui vont alors hésiter entre plusieurs

interprétations. Lewis Carroll introduit donc par le nonsense une dimension

ludique et créatrice de multiples sens parallèles d’une incroyable richesse en

somme.

Le nonsense se situe à mi-chemin entre la logique et le comique. C’est

la projection claire de l’inconscient particulièrement riche de Lewis Carroll

qui faisait naître dans son imagination toutes sortes de créatures loufoques.

Lewis Carroll a recours au nonsense comme un élément unificateur d’un

nouveau type de texte où il introduit cette kyrielle de créatures loufoques.

Le nonsense naît d’un décalage, d’une distance décelable entra l’attente crée

par la question posée et la solution qu’apporte effectivement la réponse

entre Alice et les personnages peuplant le Pays des Merveilles.

L’atmosphère génialement absurde mêle un humour tordu avec un

nonsense savoureux. Les jeux de mots (rendus en français) sont légion

comme par exemple :

22 Logique du sens , de Gi l le Deleuze, Par is , Minui t , (Cri t ique) , 1969.

22

Page 24: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

« Les dif férentes par t ies de l ’ar i thmétique : Ambit ion, Dis tract ion, Laidif icat ion, e t Déris ion. »23

Le nonsense passe aussi par l’usage de mots-valises si chers à Lewis

Carroll . Jan Svankmajer reprend d’ailleurs ce procédé en se l’appropriant à

travers des toves ou des « images-valises » à l’instar des mots-valises

util isés par Lewis Carroll . Ainsi on retrouve des squelettes de créatures

imaginaires et habillées qui s’animent.

Les occurrences liées au phénomène du Nonsense sont légion dans le

texte de Lewis Carroll , nous n’allons pas citer tous les passages, ce serait

trop long mais relever ici quelques faits marquants ou qui reviennent le plus

souvent au fil du texte :

Ce n’est déjà pas le fait que le lapin parle, qui l’étonne mais le fait

qu’il regarde sa montre, c’est le point de départ de ces aventures qui vont

être rythmées par sa curiosité :

« Cela n’avai t r ien de par t icul ièrement remarquable , […], cela lu i sembla tout naturel , […], tout à coup l ’ idée lu i é ta i t venue qu’el le n’avai t jamais vu de lapin pourvu d’une poche de gi le t . »24

« Quel le idée de fa i re la révérence quand on es t dans le v ide ! »25

Alice ne fait finalement jamais rien d’autre que s’étonner.

« Alice avai t te l lement pr is l ’habi tude de s’a t tendre à des choses extravagantes , qu’ i l lu i para issai t ennuyeux e t s tupide de voir la v ie cont inuer de façon normale »26

« Ca aura l ’a ir fameusement drôle d’envoyer des cadeaux à ses propres pieds ! Monsieur Pied Droi t d’Al ice , à Devant-de-Foyer , Près Garde-Feu, (avec les mei l leures amit iés d’Al ice) . »27

23 Edi t ion Gal l imard, p . 131, chapi t re 9 . 24 Ib id . , p . 18, chapi t re 1 . 25 Ib id . , p . 20, chapi t re 1 . 26 Ib id . , p . 27, chapi t re 1 . 27 Ib id . , p . 30, chapi t re 2 .

23

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Le Nonsense l’enveloppe et dans l’atmosphère du Pays des Merveilles

et l’embarque dans des aventures délirantes. Ainsi, elle va se retrouver

baignant dans une mare de larmes28, ses propres larmes ! Cette image est

particulièrement bien exploitée et retranscrite dans nos versions

cinématographiques, où une réelle tempête et un raz de marée prennent vie

chez Walt Disney, et chez Jan Svankmajer, elle manque de se noyer.

De manière générale, les personnages loufoques peuplant le Pays des

Merveilles concourent à la mise en place de ce Nonsense , en créant une

atmosphère relativement absurde et extrême. Ainsi au chapitre 6, la

rencontre avec le valet poisson en pied de livrée et le valet-grenouille est

des plus étonnantes et relève li t téralement du procédé du Nonsense par toute

le force de l’absurdité comique dégagée par la situation.

3. L’adaptation cinématographique

Nous allons pouvoir présenter et comparer ici les deux réalisateurs

que sont Walt Disney et Jan Svankmajer tant dans leur approche de

l’adaptation que dans leur rapport au merveilleux. Et dans le même temps, i l

sera indispensable d’analyser leurs deux œuvres concernant Alice qui nous

intéressent tout particulièrement.

Avant toute chose, i l faut bien préciser qu’au contraire de la démarche

de Walt Disney, Jan Svankmajer n’a pas adapté à proprement parler

l i t téralement l’œuvre de Lewis Carroll Alice au Pays des Merveilles . I l dit

lui-même s’en être inspiré très librement et donne d’ailleurs à son film

d’animation un titre différent du titre originel, pour mieux s’en démarquer,

puisqu’il s’agit du titre éponyme d’Alice tout simplement. Toutefois, on

peut y retrouver des éléments propres à Lewis Carroll qu’il semble

intéressant d’analyser et de mettre en perspective dans une étude sur le

merveilleux.

28 Edi t ion Gal l imard, p . 29 , chapi t re 2 .

24

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3.1. Le personnage et l’univers de Jan Svankmajer

Jan Svankmajer est de nationalité tchèque. Il est né à Prague en 1934.

Après des études à l’Ecole Supérieure des Arts Décoratifs de 1950 à 1954

puis la Faculté de Théâtre des Beaux-Arts de Prague sur la marionnette, i l

découvre le cinéma. Sa filmographie débute avec la réalisation de son

premier court métrage en 1964, Le Dernier Truc de Monsieur Schwarzewald

et de Monsieur Edgar . A partir de là, Jan Svankmajer devient aussitôt l’un

des maîtres absolus du genre influençant véritablement par la suite de futurs

réalisateurs comme Tim Burton ou les Frères Quay. Son travail de

dessinateur et de plasticien a en partie nourri celui du cinéaste, notamment

dans ses choix de volumes et d’objets.

Fortement empreinte de surréalisme, son œuvre rappelle aussi

beaucoup l’univers de Jérôme Bosch, par certains côtés étranges et

morbides, un monde de pâte à modeler et d’objets tout à la fois fantastique,

inquiétant et drôle… Il est assurément fortement fasciné par l’univers des

marionnettes, des décors et des dispositifs en trompe-l’œil. Et par

l’intermédiaire de ces techniques variées, i l vise à mettre à nu le

fonctionnement du désir. C’est pourquoi il s’associe aux pratiques des

surréalistes pragois et va dorénavant participer aux activités du groupe

surréaliste pragois dans les années soixante-dix. Dans son parcours

cinématographique, i l est influencé par toute la scénographie théâtrale puis

par l’univers des marionnettes.

Dans Alice , Jan Svankmajer opère de subtils décalages en insistant

particulièrement sur le côté onirique de l’histoire. Alice appartient à sa

mythologie personnelle, i l tournait autour de ce roman depuis un certain

temps, preuve en sont ses films précédents constituant un triptyque avec

Jabberwocky en 1971, Dans la cave en 1983 et Alice en 1988 . Ces trois

films ont en commun les thèmes du jeu, la magie de l’imagination et de

l’enfance, le mélange de la réalité et du rêve où Svankmajer évoque lui-

même ses propres souvenirs :

25

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« Je ne fa is que développer mes jeux d’enfant . Toute ma vie , je cherche e t je découvre une sor te de monde a l ternat i f . »29

Jan Svankmajer a choisi de rendre cette atmosphère cauchemardesque

à l’écran. Pour cela il a eu recours à des couleurs froides et à des teintes

sombres. C’est un créateur exceptionnel car i l englobe tous les arts

plastiques, les marionnettes, la céramique pour rendre une atmosphère

angoissante et peu accueillante. Tout baigne dans l’ombre à l’exception

peut-être du visage d’Alice souvent surexposé. En général, les animaux du

Pays des Merveilles paraissent effrayants.

Dans Alice, Jan Svankmajer nous propose plusieurs niveaux de

visionnement et de lectures différentes. Dès le début, le ton est donné par

cette bouche qui interpelle le spectateur pendant le générique. Ainsi débute

le film de Svankmajer par une ironie mystérieuse:

« Alice se di t en e l le-même/ Alice se di t en e l le-même/ Je vais vous montrer un f i lm/ Un f i lm pour les enfants / Peut-ê t re / Peut-ê t re s i on se f ie au t i t re / Pour ça i l faut fermer les yeux/ Car sans cela vous ne verrez r ien du tout . »

Dans son film, Jan Svankmajer se permet aussi une certaine liberté par

rapport au texte : on observe ainsi l’absence du chat de Cheschire, du

griffon, de la tortue, du dodo, de la duchesse. D’autre part, i l ne reprend pas

la totalité du récit , transposant neuf chapitres sur les douze de Carroll : soit

les chapitres 1, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 11, 12.

3.2. La féerie Walt Disney à l’œuvre dans Alice au Pays des

Merveilles

Commençons par une rapide présentation de Walt Disney et de son

parcours. Walter Elias Disney est né le 3 décembre 1901. En 1919, il trouve

un emploi dans l’agence de publicité Presmen-Rubin aux Etats-Unis. Il va y

rencontrer Ubbe Ert Iwerks et va fonder avec celui-ci la compagnie 29Le cinéma tchèque e t s lovaque , de Jean-Loup Passek, t rad. Marie-Paule Wellner-Posposi l , Par is , Edi t ions du Centre Georges Pompidou, (Cinéma-Plur ie l) , 1996.

26

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« Iwerks-Disney Commercial Artists ». Mais c’est un véritable échec,

Disney va rejoindre les rangs de la Kansas City Film en 1920. Il s’agit d’une

société réalisant des petits fi lms d’animation assez rudimentaires. Mais il

décide à nouveau de se mettre à son compte lorsqu’il décroche un contrat

pour une douzaine de courts-métrages d’animation.

En 1923, Walt Disney fonde avec son frère les Disney Brother Studios

et lance une nouvelle série qui mêle prises de vues réelles et animation, ce

sont les Alice’s Comedies . En 1927, il propose de nouvelles aventures :

Oswald le Lapin . En mars 1928, contraint de céder les droits d’Oswald au

producteur Charles Mintz, c’est plein d’amertume que Walt Disney demande

à Ub Iwerks de concevoir un nouveau personnage, Mickey Mouse est né ! Le

30 juillet 1932, Flowers and Trees est le premier dessin animé en couleurs

de l’histoire. Toujours précurseur, c’est en 1937 qu’il crée l’évènement

avec le premier long métrage d’animation Blanche-Neige et les sept nains .

Puis vient Fantasia en 1940, un film révolutionnaire dont l’objectif est de

donner une signification picturale à des morceaux de musique classique.

Pendant la guerre, les Studios Disney vont produire des courts-métrages de

propagande. Et dès 1950, les affaires reprennent avec l’adaptation d’un

grand conte de fées Cendrillon , bien que la guerre ait affaibli la firme

Disney.

L’année suivante en 1951, c’est Alice au Pays des Merveilles qui voit

le jour après dix longues années d’hésitation et de travail sur le projet. Walt

Disney hésitait en effet sur le moyen le plus approprié, i l souhaitait au

départ reprendre le procédé mélangeant actrice, et animaux et décors

dessinés comme dans ses séries d’Alice’s Comedies en 1923 où scènes

d’animation et prises de vues réelles étaient mêlées. Il avait d’abord

demandé à Aldous Huxley de lui écrire le scénario, et ce sont finalement

quelques treize auteurs qui contribueront à l’élaboration de ce scénario, tout

en reprenant certains passages originaux de Huxley. Walt Disney affirmait à

propos de ses films :

27

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« Je ne fa is pas des f i lms que pour les enfants . Je m’adresse à l ’ innocence enfant ine . Le pire d’entre nous n’en es t pas dépourvu, s i profondément enfouie soi t -e l le . Par mon t ravai l , je m’adresse à cet te innocence, j ’essaie de l ’a t te indre . »30

En matière de réception, Walt Disney ne souhaite donc pas se

cantonner uniquement au public enfantin, même si dans les faits, c’est plutôt

ce qu’il advint. De nombreux films dont le succès perdure encore

aujourd'hui, vont voir le jour après Alice au Pays des Merveilles : La Belle

au bois dormant , Les cent un Dalmatiens . . . Et son empire lui survit avec

Aladdin, Tarzan.. . Sa filmographie complète figure en annexes.

La version d’Alice au Pays des Merveilles a commencé par une étude

des il lustrations de Tenniel qui avait i l lustré la version originale de Lewis

Carroll . Très vite, Walt Disney et son équipe se sont rendus compte que

l’abondance du trait de Tenniel ne donnerait rien d’autre à l’écran que des

dessins irréguliers et fouillis. Walt Disney considérait en effet à propos de

son adaptation que :

« Les t ra i ts de notre Alice sont p lus juvéni les que ceux de l ’époque vic tor ienne. Nous l ’avons fa i te moins t rapue. Ses cheveux sont moins f lous e t p lus compacts dans notre por tra i t . Si ses vêtements sont quasiment ident iques , les chausset tes de notre Al ice sont unies e t non rayées , ceci af in d’économiser le temps passé à dess iner a ins i que pour des ra isons l iées au Technicolor . »31

3.3. Le problème de l’adaptation

Toute adaptation passe par une réécriture qui présuppose une lecture

dans laquelle s’inscrit le mode d’appropriation spécifique d’un individu.

C’est la raison pour laquelle chaque adaptation est unique. Mais cette

démarche pose plusieurs problèmes.

30 Walt Disney, la face cachée du pr ince d’Hollywood , de Marc El io t , Par is , Albin Michel , 1993, p . 9 . 31 De Blanche-Neige à Hercule , 28 longs métrages d’animation des Studios Disney , de Chris t ian Renaut , Par is , Dreamland, 1997.

28

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En premier lieu, nous allons aborder le problème soulevé par la

réécriture du texte. Celle-ci donne en effet naissance à une œuvre, que l’on

pourrait qualifier de secondaire car inspirée d’une œuvre originelle, et

pourtant, i l s’agit bien là d’une œuvre en tant que telle. Il faut alors

considérer les choses sous un angle différent en admettant que les

différentes adaptations correspondent à des lectio diverses d’une même

structure imaginaire, dont l’oeuvre de Lewis Carroll , Alice au Pays des

Merveilles , forme la base, le point de départ. Ces différentes lectio

instaurent des rapports d’échange entre les imaginaires individuels et

collectifs.

Il ne s’agit pas non plus d’une simple traduction d’un langage à un

autre langage mais bien d’un système spécifique à chaque fois. Jeanne-

Marie Clerc souligne sur ce point que :

« I l faut s ’ in téresser aux in teract ions complexes qui ont l ieu par le b ia is du nouveau médium iconique, environnemental , socia l e t cul ture l . »32

Ces multiples interactions constituent le système spécifique en question. Il

n’est alors plus question de trahison dans la transposition puisque cette

transposition est régie par des règles propres qui diffèrent du système

initial .

Le scénario d’Alice a été dessiné et travaillé avec une précision

technique soignée. Jan Svankmajer a ensuite écrit un nouveau scénario,

séquence après séquence, directement en fonction des accessoires, des

objets, de l’environnement, de l’ambiance générale. Et c’est ce deuxième

processus de création qui a permis de rendre véritablement l’idée profonde

du film. Ce problème de la réécriture est inhérent à toute démarche

d’adaptation, puisqu’il y a le risque de la transposition.

Cette transposition instaure un certain rapport au texte puisqu’elle

suppose un exercice délicat qui consiste à transposer les inventions

32 L’adaptat ion c inématographique e t l i t téraire , de Jeanne-Marie Clerc e t Monique Carcaud-Macaire , Par is , Kl incksieck, 2004, (Col lect ion 50) , p . 12.

29

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l i t téraires en inventons visuelles. Ces inventions visuelles vont donner un

autre cachet à l’œuvre. Il faut reprendre aussi le fameux proverbe italien :

« Traduttore, Traditore », mais cette traduction permet un passage, une

transmission, une naissance, une nouvelle œuvre qui soit la plus fidèle

possible à l’esprit général du texte.

Néanmoins, cette traduction suppose aussi une interprétation.

L’interprétation concerne aussi le cinéaste puisque nous cherchons à définir

comment chaque réalisateur reçoit l’œuvre et se l’approprie avec sa

subjectivité et sa personnalité. Il faut tout de même reconnaître que Walt

Disney dans son film, n’a pas vraiment saisi l’esprit même du livre… Il a

repris les personnages, l’héroïne et les aventures, on retrouve là les parfaits

ingrédients du film disneyen, mais il est totalement passé à côté de tout le

travail l inguistique présenté par Lewis Carroll , i l faut reconnaître que tous

les jeux de mots et de syntaxe sont assez fastidieux à faire passer à l’écran.

Le tout est enraciné dans une tradition britannique particulièrement difficile

à reproduire dans un dessin animé.

Les images peuvent cependant prendre le dessus par rapport au texte.

On ne parlera alors plus de lecture du texte mais de lecture d’images.

Jan Svankmajer a conçu son tournage en se laissant une réelle marge

de manœuvre. Afin d’obtenir cette latitude, i l a util isé deux caméras. De ce

fait , i l disposait ainsi de plusieurs solutions possibles lors du montage.

Etant donné que les tournages d’animations et ceux de prises de vues réelles

étaient dissociés, i l a dû filmer en entrecoupant le tournage réel par celui de

l’animation. Mais cette contrainte a posé quelques problèmes puisque à la

fin du tournage global, lequel dura quand même un an, Kristina avait

grandi… Sans compter que ce tournage ne fut sans doute pas une partie de

plaisir pour la fil lette.

30

Page 32: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Deuxième partie : L’adaptation cinématographique

d’Alice au Pays des Merveilles et ses enjeux.

1. Caractéristiques des adaptations choisies.

1.1. La Prépondérance des objets.

Jan Svankmajer a créé un univers où les objets s’animent jusqu’à

devenir eux-mêmes des personnages à part entière au même titre qu’Alice,

on peut alors parler d’ « actants ». Ils vont accompagner et orienter son

évolution au travers du Pays des Merveilles. Il s’agit bien là d’un « cinéma

d’animation » au premier sens du terme puisque Jan Svankmajer anime et

donne vie à des objets qui en sont dénués. C’est une lecture possible du

merveilleux qui inverse tous les repères habituels.

Il prend aussi plaisir à donner vie sous nos yeux à des objets salis,

usagés, abîmés, déglingués. Inspiré par l’esthétisme surréaliste, i l pénètre et

dévoile les mystères dissimulés à la surface des choses. Il fait perdre aux

objets leur fonction normale, comme dans un rêve, et dans un nouveau

rapport à une union assez incongrue, i l les transforme alors à l’infini en

quelque chose de nouveau , une sorte de détournement ludique comme dans

les rêves.

Il faut noter une omniprésence de ces objets, laquelle est sans doute la

plus marquée chez Jan Svankmajer. Nous pourrions quasiment affirmer que

les objets chez lui sont des personnages à part entière, tant i ls sont animés

d’une force dramatique intense. Jean Epstein nous dit dans Bouche à

Bouche 33:

« A l ’écran i l n’y a pas de nature morte , les objets ont des a t t i tudes . »

33 Bouche à Bouche, de Jan e t Eva Svankmajer , Montreui l , L’Oeil , 2002.

31

Page 33: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

C’est de ces atti tudes dont nous parlons car ici, les objets sont

quasiment des actants. Les objets sont en effet omniprésents : bocaux,

couvercles et ustensiles de dînette… Il ranima d’anciennes marionnettes de

théâtre, des meubles écaillés, des ustensiles de cuisine, des repas entamés…

Tout cet assemblage d’éléments disparates oscille en permanence à la

frontière du réel et de la fiction. Le rapport d’Alice à tous ces objets est

déterminant. Jan Svankmajer relie son choix surréaliste à ce rapport très

particulier aux objets, comme un écho du maniérisme pragois, ainsi i l

affirme :

« Les obje ts ont toujours é té pour moi plus vivants que les hommes. Les objets recèlent les act ions dont i l s ont é té témoins . »34

I l se dit effectivement surréaliste mais surréaliste « sarcastique » à la

différence d’André Breton, qu’il qualifie de surréaliste « lyrique », une

vision plutôt corrosive en somme. Et pourtant, Jan Svankmajer ne théorise

pas sur sa pratique cinématographique :

« Les spécial is tes en peinture , en écr i ture , en théor ie , en c inéma, e t ar ts décorat i fs ne sont que des profess ionnels du confor t in te l lec tuel . »35

I l insiste sur cet aspect de son travail , puisqu’il se conçoit d’abord

comme membre du groupe surréaliste pragois, aux activités duquel i l a

activement pris part dès les années soixante-dix suite à sa rencontre avec

Vratislav Effenberger, le chef de file de ce mouvement. L’itinéraire

cinématographique de Jan Svankmajer est alors tout entier rattaché à ce

choix qu’il explique et justifie sans cesse. Tous ses travaux de plasticien et

de dessinateur ont en partie nourri et alimenté ceux du cinéaste, notamment

dans le choix des volumes et des objets. C’est en fait un cinéaste logicien, i l

énonce ses règles en même temps qu’il les applique.

Jan Svankmajer applique avec ses objets un principe d’emboîtement,

sorte d’équivalent du principe li t téraire de Lewis Carroll qui lui, emboîte les

34 Cahier de notes sur Al ice Pascal Vimenet , Par is , Les Enfants de Cinéma- Yel low Now, [S. d . ] . 35 Op. c i t .

32

Page 34: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

récits dans le récit . Alice est un film qui représente une histoire à tiroirs, et

ce dans tous les sens du terme comme nous le montre son interprétation.

1.2. L’importance des sens

Dans les langues savantes, on rencontre le pluriel mirabilia dont la

racine mir implique quelque chose de visuel. Au départ est le regard. Les

choses existent à partir du moment où Alice pose ses yeux sur elles. Elle a

donc un regard lit téralement démiurge.

Jean Gattégno explique dans son Introduction au volume de la

Pléiade :

« Aussi paradoxal que cela puisse paraî t re , Alice , du seul fa i t de son appar i t ion dans un monde qui ne l ’a t tendai t pas , en devient le centre réel . Passant d’une scène à une autre , Alice donne une impress ion de créer , p lutôt que de découvrir , chacun des épisodes de ses aventures . »36

Nous réalisons donc l’importance significative des sensations de

l’héroïne dans cette déambulation de scène en scène. Il est bien ici question

de la représentation de la personnalité enfantine et de sa construction à dans

le temps, en se confrontant à l’environnement ambiant. Qu’il s’agisse, du

regard, de l’ouïe, de l’odorat où même du goût et du toucher, toutes les

évolutions du récit ont l ieu suite à une modification de ces sensations.

« Tout arr ive à Alice e t tout se comprend par e l le . »37

Nous mesurons ici combien Alice est créatrice de ses propres

aventures, par sa curiosité.

Ces deux versions cinématographiques relèvent d’un long processus

de création qui active des valeurs psychologiques, comme des images des

rapports des réalisateurs à l’œuvre choisie. Tous les sens sont aussi

mobilisés. 36 Œuvres , de Lewis Carrol l , Par is , Gal l imard, 1990, (Bibl iothèque de la Plé iade) , p . LXIV. 37 « Pour Lewis Carrol l » , de Jean Gat tégno, in Cahiers de L’Herne d’Henri par isot , 2 è m e éd . , 1972, p . 38.

33

Page 35: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Svankmajer ajoute à l’efficacité émotionnelle obtenue par les effets

visuels et sonores, des effets tactiles à travers la manipulation des objets

notamment.

« Je me rends tout le temps compte que le toucher pourra i t jouer le rô le important en tant que régénérateur de la sensibi l i té. »38

Le goût intervient dans les séquences relatives à la potion contenue

selon les cas dans une petite bouteille ou un flacon. L’ingestion de cette

boisson constitue une réelle curiosité gustative pour Alice va ainsi de

découvertes en découvertes :

« Le contenu lu i parut for t agréable , en fa i t , cela rappelai t à la fo is la tar te aux cer ises , la crème renversée , l ’ananas , la dinde rôt ie , le caramel . »39

Le regard intervient sans cesse, c’est en effet par lui qu’Alice

appréhende son nouvel environnement dont elle ignore tout. Elle va en

prendre connaissance par le retour de ses sens. Sa sensibilité lui sert donc

de lien essentiel pour évoluer dans l’espace du Pays des Merveilles.

2. L’identité

Un pan de la critique considère Alice au Pays des Merveilles comme

un ouvrage très sérieux traitant de la quête de la personnalité et de

l’instabilité de l’identité. Le récit traduirait les peurs refoulées de l’enfance

et notamment la peur de grandir, ce qui expliquerait les multiples

changements de taille d’Alice dans un environnement froid et hostile. Le

rêve d’Alice serait ni plus ni moins un cauchemar, dans lequel Alice est en

proie à une réelle interrogation concernant son identité.

38 Le cinéma tchèque e t s lovaque , de Jean-Loup Passek, t rad. Marie-Paule Wellner-Pospis i l , Par is , Edi t ions du Centre Georges Pompidou, (Cinéma-Plur ie l) , 1996, p . 177. 39 Edi t ion Gal l imard, p . 24 , chapi t re 1 .

34

Page 36: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

2.1. Dislocation du corps

Nous pouvons ici aborder la question des processus d’absorption,

ingestion, intégration par lesquels Alice est amenée à se transformer et son

corps peu à peu se disloque jusqu’à ce qu’elle ne se reconnaisse plus elle-

même… Cette dislocation est intimement liée au problème identitaire

puisque l’intégrité de la personne est alors ébranlée. Le corps dans sa

matérialité et sa trivialité est directement évoqué. Dans Alice au Pays des

Merveilles , on retrouve de nombreuses occurrences concernant ces

séquences d’agrandissement ou de diminution liées à un processus

d’absorption ou d’ingestion de substances. En voici des exemples relevés au

long du récit de Lewis Carroll :

Chapi t re 1 : p . 23 pet i t f lacon avec l ’ inscr ip t ion BOIS MOI , Al ice se met à rapet isser , p . 26 gâteau qui la fa i t grandir .

Chapi t re 2 : p . 34 e l le d iminue quand e l le touche l ’éventai l du lapin e t met son gant .

Chapi t re 4 : p .55, boutei l le dans la chambre du lapin , Al ice se met à grandir , p . 62, les cai l loux se t ransforment en gâteaux qui font rapet isser Alice pour sor t i r de la maison du lapin .

Chapi t re 5 : p . 74 Changements de ta i l le consécut i fs à l ’absorpt ion de morceaux de champignon sur les consei ls de la cheni l le .

Chapi t re 6 : p . 92 Rapet issement avant d’a t te indre la maison du lapin .

Chapi t re 11 : p . 152, e l le se met à grandir pendant la tenue du procès .

Elle est assez décontenancée par ces changements de taille incessants,

ainsi l’explique-t-elle à la chenille :

« Je suis incapable de me rappeler les choses comme avant… et je change de ta i l le touts les d ix minutes ! »

35

Page 37: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

« Oh ! Je ne suis pas te l lement di f f ic i le pour ce qui es t de la ta i l le , répondi t v ivement Al ice . Ce qu’ i l y a d’ennuyeux c’es t de changer de ta i l le s i souvent , voyez-vous . »40

Nous pouvons ici souligner une analogie qui nous semble intéressante

puisque, la croissance de la fil lette peut être mise en perspective avec la

croissance d’une plante qui a besoin d’éléments vitaux pour se développer.

Nous sommes ici dans le chapitre le plus végétal d’Alice au Pays des

Merveilles. Ce passage est nettement traduit chez Walt Disney, où nous nous

trouvons immergés à la suite d’Alice dans une forêt luxuriante, où le vert

prédomine.

Alice a plusieurs raisons de ne pas vouloir grandir, puisque la

croissance débouche sur une contestation de l’intégrité et de l’identité

corporelle. Et dans le même temps, elle exprime à plusieurs reprises un fort

désir d’intériorité :

« Oh ! Que je voudrais pouvoir rentrer en moi-même comme une longue-vue ! »41

« Voilà que je m’al longe comme la p lus grande longue-vue qui a i t jamais exis té ! Adieu, mes pieds » (car , lorsqu ‘e l le les regarda, i l s lu i semblèrent presque avoir d isparu , tant i l s é ta ient lo in) . « Oh, mes pauvres pet i ts p ieds ! Je me demande qui vous mettra vos bas e t vos soul iers à présent , mes chér is ! Pour moi , c’es t sûr , j ’en sera i incapable ! Je sera i beaucoup t rop lo in pour m’occuper de vous : i l faudra vous arranger du mieux que vous pourrez… »42

Nous retrouvons ici l’un des motifs essentiels du genre merveilleux, à

savoir la notion de désir ainsi que la nécessité de cet espace

d’intériorisation que l’on a évoquée dans la première partie.

Dans ses obsessions alimentaires, Alice est véritablement traversée de

cauchemars qui concernent le fait d’absorber ou d’être absorbé, la dualité

corps-langage, et manger-parler transparaît ici . Par ailleurs, nous

remarquons un changement d’orientation qui s’opère à partir du chapitre 4

jusqu’au chapitre 7. En effet dans ces chapitres, l’action de boire a

40 Edi t ion Gal l imard, p . 69 e t 73 , chapi t re 5 . 41 Ib id . , p . 23, chapi t re 1 . 42 Ib id . , p . 29, chapi t re 2 .

36

Page 38: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

désormais pour conséquence de grandir, tandis que manger conduit à

rapetisser, c’est l’inverse de ce qui se produisait au début du récit .

Avant d’être une personnalité, Alice est d’abord et avant tout un corps

et on va voir qu’elle a quelques difficultés à s’accommoder de cette

enveloppe corporelle. Dans cette séquence, elle s’adresse à ses pieds comme

si i ls ne faisaient plus partie intégrante de son corps. Elle entretient

vraiment un rapport pour le moins étrange avec l’image qu’elle a d’elle-

même, comme si elle percevait une vision externe de sa personne et de son

corps, comme si elle considérait à ce moment ses pieds plutôt comme un

objet du monde environnant, que comme une partie de son corps.

Ce corps est magnifié dans les traits réalisés par les équipes Disney :

bénéficiant d’une plastique idéale avec des formes et des courbes frisant la

perfection. L’Alice de Walt Disney représente l’idéal féminin bien entendu

mais elle se veut surtout physiquement réaliste et ordinaire. Se faisant un

devoir d’aller dans le sens de la morale, elle porte une longue robe cachant

son anatomie et ses attributs féminins ne sont pas prononcés dans l’idée

puritaine de ne pas inciter à la débauche. Le charme et la sensualité de la

fil lette se traduit surtout dans ses atti tudes, elle est très posée et maniérée,

chacun de ses mouvements est réfléchi, empreint d’une dimension artistique.

Tout le charme d’Alice réside dans son insouciance et dans ses gestes

gracieux.

Au niveau du dessin, Alice au Pays des Merveilles est le fi lm de Walt

Disney qui a sans doute été le plus dur à peindre. De nombreux animateurs

se penchèrent sur le personnage d’Alice, on peut citer Larson, Toombs,

Lusk, Jobuston, Clark, Davis, King et Ambro.

Par ailleurs, le rapport au corps est quelque peu étrange dans ce Pays

des Merveilles, en témoigne cette séquence où Alice trouve la solution pour

porter le bébé-cochon afin qu’il cesse de gesticuler :

« Dès qu’el le eut compris comment i l fa l la i t s ’y prendre pour le tenir (c’es t-à-dire en fa i re une espèce de nœud, puis le sa is i r ferme par l ’orei l le droi te e t

37

Page 39: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

par le p ied gauche pour l ’empêcher de se dénouer) , e l le l ’emporta en ple in a i r . »43

D’autre part Jan Svankmajer pose par l’intermédiaire de son film une

question assez dérangeante pour le cinéma d’animation, à savoir comment

incarner le corps en devenir, comment le conjuguer activement à ce qu’il y a

de cadavérique dans toute séquence d’animation ?

Le décor mis en place par Svankmajer dans la première séquence de la

chambre faite de bric et de broc et assez hétéroclite, campe de suite cette

disjonction du corps. Cette discontinuité trouve donc immédiatement sa

traduction esthétique dans le personnage d’Alice lui-même, puisque’Alice

n’est en réalité pas une, mais plusieurs. Directement la caméra nous

représente une Alice opposée à son double figuré en poupée. Le corps vivant

est donc dès le départ divisé, fragmenté. Tous les collages et combinaisons

réelles et animées vont alors se succéder autour de cette dislocation et créer

ainsi de multiples résonances. Une dialectique d’échange est alors instaurée

entre le corps vivant et le corps animé d’Alice.

Le générique annonce d’emblée son parti pris, au travers des huit

inserts de l’image d’une bouche charnue et violente malgré son caractère

enfantin. Cette bouche expose un récit sur le paradoxe de la pensée, par un

jeu de collages associatifs, dès le début du film. D’autre part, l’insert de

cette bouche met en place un principe d’alternance entre les prises de vues

réelles et le cinéma d’animation. Cette alternance introduit un effet

déstabilisant car nous ne savons plus au final à quel corps nous avons à

faire. Le spectateur est frappé à ce stade par l’obscénité de cette bouche.

Cet encart de la bouche qui véhicule toute l’énonciation du récit

figure un certain langage disjoint du corps. D’autant plus que cette bouche

n’appartient pas à Alice alias Kristina, mais Camilla. On a donc la mise en

scène d’un corps vivant divisé dès le départ, comme si Jan Svankmajer

visait à séparer la pensée et le langage de la matérialité du corps humain.

43 Edi t ion Gal l imard, p . 87 , chapi t re 6 .

38

Page 40: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Cet insert de la bouche, qui intervient quand même quatre-vingt fois au

cours du film, joue le rôle de narration intérieure. Mais dans le même temps,

comme le gros plan est en soi quelque peu agressif, i l provoque une sortie

du récit animé, comme une mise à distance des évènements. Ces gros plans

de la bouche jouent aussi un rôle d’interpellation esthétique.

Le spectateur peut en plus ressentir un certain malaise par rapport à

toutes ces images mouvantes et fragmentées du corps. Ce malaise peut tout

aussi traduire le mal d’être d’Alice, son tourment dans la puberté… On

remarquera qu’Alice ne sourit jamais, qu’il s’agisse de son visage humain

ou de celui en porcelaine, elle n’esquisse jamais un sourire…

Nous en avons pour preuve l’exemple de la tête coupée du reste du

corps quand la reine répète à tout va « Qu’on lui tranche la tête » :

« La re ine ne connaissai t qu’une seule façon de résoudre toutes les d if f icul tés . –Qu’on lu i t ranche la tê te ! Cria- t -e l le , sans même se re tourner . »44

Et cette remarque est valable aussi bien dans la version originelle que

dans les deux adaptations cinématographiques. L’opération du tranchage de

tête est clairement figurée chez Jan Svankmajer par l’intervention du lapin

et de ses ciseaux, scène qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler les ciseaux des

Parques du Styx dans la mythologie grecque qui ont droit de vie ou de mort

en coupant ce fil mystérieux symbolisant le cours de la vie des humains. Le

plus curieux est que les cartes à jouer, une fois la tête coupée ne cessent de

vivre et de s’agiter.

Nous pouvons aussi citer sur le même plan le tranchage de tête du

chapelier fou et du lièvre de mars, par ailleurs rajouté à la version originale

par Svankmajer et l’on observe donc que les têtes sont interverties et que la

partie de cartes continue de plus belle, ironie suprême de l’inutili té et de la

futil i té d’un tel châtiment de la reine au Pays des Merveilles. La tête

44 Edi t ion Gal l imard, p . 118, chapi t re 8 .

39

Page 41: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

fonctionne donc indépendamment du corps et inversement, le corps est donc

loin de former un tout dans cette approche morphologique particulière.

Le motif de la tête coupée et par extension de la fragmentation est ici

récurrent, voire même obsédant tant i l est répété à tout va. Cette troncation

est en effet assez inhabituelle mais nous n’avons pas trouvé de sens

particulier donné à cette décollation. Peut-être Lewis Carroll était-il tout

simplement fasciné par de nombreux tableaux représentants la fameuse

décollation de Saint Jean-Baptiste. Par exemple, dans la cathédrale Saint-

Jean de la Vallette en Italie, on peut admirer la célèbre toile de

Michelangelo Merisi dit Le Caravage (1571-1610) "la Décollation de Saint

Jean-Baptiste". Elle fut commandée comme tableau d'autel de l 'Oratoire,

adjacent à la cathédrale. Ce tableau est considéré parfois comme "la

peinture du dix-huitième siècle" par les critiques d'art . Etant donné

l’engagement pastoral et religieux de Lewis Carroll , on peut imaginer qu’il

aurait eu connaissance de ce tableau et qu’il aurait ainsi voulu reprendre

cette coupure corporelle si particulière. Ce fantasme de la tête coupée aurait

alors nourri son imaginaire.

2.2. Qui suis-je ?

Alice étant l’héroïne du récit , elle est aussi de fait le personnage

auquel le lecteur va s’identifier, c’est en effet un schéma relativement

fréquent en lit térature de jeunesse. Mais dans ce dédale du Pays des

Merveilles, Lewis Carroll pose d’emblée la question « Qui suis-je ? » dans

la mesure où l’héroïne s’interroge sans cesse sur son existence ; est-elle

réellement celle qu’elle était hier ?

A travers toutes ses recherches et ses errances, Alice poursuit

finalement la quête de son identité. La chute au fond du terrier est en fait

une descente au fond de soi-même à la recherche de son intégrité. A un âge,

celui de la puberté, où le corps se transforme et où l’individu est en proie à

des questionnements constants, notre héroïne doit faire face à un lourd

40

Page 42: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

questionnement identitaire, d’autant plus qu’on vient de le voir, son corps

est en perpétuel changement. Elle est confrontée directement à son

environnement, elle n’est plus protégée par le monde de l’enfance et cette

réalité l’angoisse.

Ainsi en témoigne cette réflexion qu’elle mène alors même qu’elle est

bloquée devant la porte trop petite pour sa grande taille :

« Je me demande s i on ne m’a pas changée pendant la nui t ? Voyons, réf léchissons : es t -ce que j ’é ta is bien la même quand je me suis levée ce matin ? Je crois me rappeler que je me suis sent ie un peu dif férente . Mais s i je ne suis pas la même, la quest ion qui se pose es t la suivante : Qui d iable puis- je b ien ê tre ? Ah ! Voilà le grand problème ! »45

Lewis Carroll nous dépeint une héroïne qui a perdu tous ses repères

identitaires, elle est bouleversée, rien ne ressemble à ce qu’elle connaît , elle

ne se reconnaît plus elle-même. La différence la trouble et l’angoisse. Et

l’on aboutit donc à la question existentielle « Qui suis-je » au fondement

même de toute réflexion concernant l’identité, et qui pose un réel problème

tant qu’elle n’a pas abouti. Ainsi, quand dans le texte, Alice en vient à

croiser la chenille et que celle-ci lui demande : « Qui es-tu ? », Alice est

bien embêtée et fait cette réponse hésitante :

La Cheni l le chez Disney

Je… Je… ne sais pas t rès bien, madame, du moins pour l ’ ins tant… Je sa is qui j ’é ta is quand je me suis levée ce matin , mais je crois qu’on a dû me changer

45 Edi t ion Gal l imard, p . 32 , chapi t re 2 .

41

Page 43: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

plusieurs fois depuis ce moment là [ . . . ] Je cra ins de ne pas pouvoir m’expl iquer , madame, parce que je ne suis pas moi , voyez-vous ! »46

Le bombyx ne suscite pas les questions chez notre héroïne, i l les lui

pose clairement mais il possède aussi les réponses et cela est assez

déstabilisant pour Alice qui se sent à la fois jugée et jaugée. Dans la version

de Jan Svankmajer, elle répond directement par une question en renvoyant

l’interrogation « Et toi, qui es-tu ? » mais cela ne résout rien car le ver à

soie-chaussette lui répond aussitôt : « Pourquoi ? » , ce qui ne fait guère

avancer le problème au final… Alors pour répondre au plus juste, elle essaie

de se définir ainsi devant le pigeon :

« Je … je suis une pet i te f i l le , d i t Al ice d’une voix hési tante , car e l le se rappelai t tous les changements qu’el le avai t subis ce jour- là . »47

Là au moins, elle ne prend pas de risque, elle est à peu près assurée d’être

toujours une petite fil le, elle reste d’ailleurs dans nos mémoires une petite

fil le douée d’une jeunesse éternelle. Jan Svankmajer a pris le temps pour

choisir son Alice. Il a d’abord commencé par les professionnels, mais ne

trouvant aucune fil lette qui correspondait au rôle, i l a fait le tour des écoles.

Il a alors même pensé que plusieurs petites fil les pourraient jouer ce rôle, i l

lui suffirait au final de choisir les séquences qui conviendraient. Pascal

Vimenet nous le rapporte dans son Cahier de notes sur Alice48, pour Jan

Svankmajer, les yeux sont un élément fondamental chez une actrice surtout

pour ce rôle, où le regard doit être porteur à la fois de rêve et d’inquiétude

mêlés. C’est pourquoi, i l a finalement choisi la petite Kristina Kohoutova,

âgée de 9 ans, son regard correspondait à ses souhaits. Mais les séquences

de la bouche sont jouées par une autre fil lette prénommée Camilla Power

tandis que la voix française est attribuée à Marion Balança.

Une autre chose dont Alice est sûre aussi, c’est son prénom, il faut

donc noter l’importance du nom, de l’appellation :

46 Edi t ion Gal l imard, p . 68 , chapi t re 5 . 47 Ib id . , p . 75, chapi t re 5 . 48 Cahier de notes sur Al ice Pascal Vimenet , Par is , Les Enfants de Cinéma- Yel low Now, [S. d . ]

42

Page 44: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

« -Comment t ’appel les tu mon enfant ? -Je m’appel le Alice , p la ise à votre Majesté , répondi t la f i l le t te t rès pol iment . »49

Et quelle stupéfaction alors quand le lapin blanc criera très fort en fin de

recueil : « ALICE ! »50, quand il ne lui a jamais demandé auparavant

comment elle s’appelait . Pour Gilles Deleuze :

« Tous ces renversements te ls qu’ i ls apparaissent dans l ’ ident i té inf in ie ont une même conséquence : la contes ta t ion de l ’ ident i té personnel le d’Alice , la per te du nom propre . […] Car le nom propre ou s ingul ier es t garant i par la permanence d’un savoir . »51

Nous nous souvenons par ailleurs qu’il la prénomme Marianne, quelque

temps plus tôt, en lui sommant de lui apporter qui des gants chez Lewis

Carroll et Walt Disney, qui des ciseaux chez Jan Svankmajer, et malgré ce

quiproquo elle s’exécute sentant la menace, laquelle est particulièrement

bien représentée chez Svankmajer par le biais des ciseaux et le « Qu’on lui

tranche la tête ! » entêtant…

Dans un contexte merveilleux tel que celui de notre étude, le prénom

prend toute son importance, c’est l’un des derniers jalons de la réalité

fictionnelle et c’est pourquoi le lecteur ou spectateur y est particulièrement

sensible, i l se repère autant qu’Alice grâce à cette balise. La reine est

intéressante en ce qu’elle est la seule à reconnaître Alice en tant que petite

fil le. Quand d’un côté, les fleurs se trompent sur son statut, le dodo la voit

en géante, l’oiseau la prend pour un serpent, les Tweedle Dee et Dum

l’assimilent à une huître, la Reine par contraste devient humaine, mais

seulement de corps ; car en ce qui concerne ses sentiments, on se heurte au

néant.

Notre héroïne va réaliser petit à petit le changement qui s’opère

insidieusement en elle, c’est-à-dire qu’elle prend conscience que peu à peu,

les choses changent sans qu’elle puisse vraiment influer sur grand-chose au

49 Edi t ion Gal l imard, p . 110, chapi t re 8 . 50 Ib id . , p . 157, chapi t re 12. 51 Logique du sens , de Gi l le Deleuze, Par is , Minui t , 1977, p . 11.

43

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final, non pas qu’elle se résigne, mais comme elle n’y peut rien, elle

l’accepte de fait… :

« Je peux vous raconter les aventures qui me sont arr ivées depuis ce matin , mais i l es t inut i le que je remonte jusqu’à h ier , car h ier , j ’é ta is tout à fa i t d if férente de ce que je suis aujourd’hui… »52

Le problème de l’identité au Pays des Merveilles ne recoupe pas

seulement la question Qui suis-je , i l y a aussi Qui croit-on que je suis ,

Quelle personne je fais croire que je suis , Qu’est-ce que je donne à voir de

moi…? La question de l’apparence et des faux-semblants, peut donc

également être associée à cette problématique identitaire. Comme en

témoigne ce constat du narrateur:

« Cet te é trange enfant a imait beaucoup faire semblant d’ê tre deux personnes d i f férente . »». Al ice renchér i t jus te après : « Mais c’est b ien inut i le de fa ire semblant d’ê tre deux […] c’es t tout jus te s’ i l res te assez de moi pour former une seule e t unique personne ! ».53

Et là nous ne pouvons que citer en exemple la morale de la Duchesse :

« Mieux vaut ê t re que paraî t re , ou pour par ler p lus c la irement Ne te crois jamais dif férente de ce qui aurai t pu paraî t re aux autres que ce que tu é ta is ou aurais pu ê tre n’é ta i t pas dif férent de ce que tu avais é té qui aurai t pu leur paraî t re di f férent . »54

Alice est en fait une enfant double : à la fois elle-même, à savoir

incarnée sous les traits d’Alice Liddell , dans le récit de Lewis Carroll , ou

bien encore ceux de Kristina Kohoutova chez Jan Svankmajer, et dans le

même temps, une petite fil le modèle portant des socquettes blanches, une

enfant sage, un pantin, une poupée. Impression d’ailleurs très bien rendue au

spectateur chez Svankmajer puisque les métamorphoses successives font

intervenir une poupée pour figurer le rétrécissement d’Alice.

Chez Walt Disney, Kathryn Beaumont fut choisie comme modèle pour

le tournage des vues réelles, c’est aussi elle qui a été retenue pour la voix.

La personnalité d’Alice est en revanche fort bien rendue dans le film de

52 Edi t ion Gal l imard, p . 140, chapi t re 10. 53 Ib id . , p . 26, chapi t re 1 . 54 Ib id . , p . 124, chapi t re 9 .

44

Page 46: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Walt Disney, contrairement au reste de ce qui fait l’esprit d’Alice au Pays

des Merveilles. En effet, sa dualité est particulièrement bien figurée

puisqu’elle a deux « voix » dans le film, l’une pour sa propre voix et l’autre

pour ses pensées.

Quand beaucoup de gens se parlent à eux-mêmes, Alice, elle, se

répond. Sa voix « propre », c’est ce qui est droit et sain, et ses « pensées »

reflètent ses réactions et ses visions en toute honnêteté. Dans le livre comme

dans le film, Alice se bat constamment entre deux « moi » : le « moi » de

son éducation victorienne et le « moi » de ses fantaisies d’enfant qui

prennent la forme d’êtres étranges et absurdes. C’est pour quoi, i l arrive

qu’Alice prenne le rôle autoritaire et la voix de sa mère comme en

témoignent ces répliques tirées de la version de Disney :

« Nous ne devr ions pas fa ire cela , ce n’es t pas correct . »

« La cur iosi té es t un défaut qui a t t i re des ennuis . »

« I l faut ê t re t rès prudent , i l es t presque cer ta in qu’on a de t rès gros ennuis dans ces cas- là . »

Alice cherche en fait à recréer en vain le cadre de ce qui fait sa vie en

société tout au long de ses errances au Pays des Merveilles. Elle est

persuadée que son éducation et sa bonne conduite, accompagnées de petites

remontrances affectées qu’elle s’adresse personnellement, l’aideront à

vaincre l’adversité. C’est en tout cas le seul moyen qu’elle a trouvé pour se

rassurer en plus de se rassurer les poésies qu’elle connaît par cœur, ou en

tous cas qu’elle croit connaître55… Tout au long de ses pérégrinations, elle

45

55 Edi t ion Gal l imard, p . 32 , chapi t re 2 .

Page 47: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

lutte pour rester raisonnable et en devient presque adulte, au point d’être

pour certains ennuyeuse.

Nous ne pouvons évoquer les questions relatives à l’identité du sujet

sans aborder aussi la peur de grandir. Cette appréhension vient de ce

bouleversement des repères que provoque la croissance, et constitue ainsi

une réelle menace pour l’identité intrinsèque du sujet. La période de

l’adolescence est en marche chez Alice avec tout ce que cela comprend de

remises en questions et d’évolutions. C’est un premier pas vers l’âge adulte

qu’elle opère là non sans difficultés qui transparaissent dans le récit et dans

les adaptations.

A l’origine de l’oeuvre, la question de l’identité est aussi posée

puisqu’en quelque sorte, cette œuvre a été écrite par un être fictif , Lewis

Carroll étant en effectivement un pseudonyme que prit Charles Dogdson. On

peut alors s’interroger sur le rapport de l’auteur avec l’apparence, et les

faux-semblants. Il semblerait que Lewis Carroll ait souhaité bien

différencier chacune de ces activités, Et Charles Dogdson correspondait

alors mieux à ses activités « civiles » dirons-nous, le pseudonyme servant

alors pour « l’extra ». Mais c’est le pseudonyme qui a été retenu par la

postérité…

2.3. Métamorphose(s).

La métamorphose est omniprésente que ce soit dans le récit originel

ou dans les adaptations cinématographiques. Qu’il s’agisse d’Alice elle-

même ou bien de divers personnages, on assiste à de nombreux changements

qu’ils soient d’ailleurs d’ordre externe ou interne, intime.

La métamorphose de la chenille en papillon a pou conséquence directe

en parallèle la mue d’Alice chez Jan Svankmajer. Ce n’est pas sans raison

que le champignon se révèle l’instrument de la métamorphose… Le bombyx

a un secret à communiquer à Alice, une fois qu’il le lui a délivré, i l n’a plus

qu’à disparaître lui-même, sa mission étant accomplie. Dans ce dédale de

46

Page 48: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

questionnement, Alice essaie de se raccrocher désespérément à une identité

que le jeu des diverses métamorphoses anéantit à chaque instant. Alice

souhaite en finir au plus vite et grandir, elle veut brûler les étapes de son

développement.

« cet te même pet i te sœur devenue femme »56

Les questionnements relatifs à la taille sont, on va le voir, la plupart

du temps liés à une condition environnementale. Ce corps déjà assez

hypothétique dans sa constitution, et sans cesse remis en cause, est surtout

soumis à la relativité des éléments qui l’entourent. Nous sommes ici dans

une logique où le truquage est réellement au service du propos du film et

non un simple jeu cinématographique.

La métamorphose peut aussi poser question en ce qui concerne la

thématique de la mort. Une mort initiatique au stade du miroir, du reflet

révélateur, de la mise à nu, un moment où le protagoniste constate et

découvre sa transformation, et accède de fait , à une nouvelle vision du

monde. La mort peut en effet, très bien être considérée comme la disparition

d’une certaine référentialité, une rupture en quelque sorte.

Nous assistons en direct à la perte graduelle de l’irresponsabilité

enfantine puisqu’au cours du récit , Alice grandit et devient plus autonome.

Le tribunal royal doit la juger pour avoir commis le crime d’avoir mûri et

abandonné son état d’enfance…

Il n’y a de grand et petit que par comparaison, on aborde là le

problème du référent.

Le changement de taille et de proportion met en danger la permanence

des signifiés comme on l’a vu plus haut avec le risque de dislocation du

corps. Grâce aux biscuits et aux potions, les changements de taille sont

particulièrement réussis tout en laissant une vague impression de

56 Edi t ion Gal l imard, p . 170, chapi t re 12.

47

Page 49: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

malaise chez Jan Svankmajer : en effet, lorsqu’elle rapetisse, Alice devient

une poupée à son effigie, et de ce fait , animée image par image, en terme de

technique. Lorsqu’elle devient géante, elle est humaine mais enfermée dans

une poupée qu’elle doit éventrer pour sortir comme d’un cocon ou une

césarienne, comme une mue, une nouvelle Alice, se (re)donnant ainsi

naissance, le tout, on s’en doute dans la difficulté et la douleur pour figurer

le mal-être de la période adolescente avec la perte de tous les repères

connus du monde de l’enfance.

Nous pouvonst faire ici un parallèle entre la très belle scène de la

« mue » d’Alice qui quitte son ancienne apparence de poupée géante, pour

prendre vie et devenir une petite fil le. Nous nous référons alors à la

séquence 14 (42.10min.). Cela fait aussi penser à une éclosion, quand le

poussin tâtonne du bec sa coquille et qu’elle se fendille petit à petit . Nous

retrouvons d’ailleurs là un clin d’œil de Svankmajer lui-même qui introduit

dans cette même scène, l’éclosion de petits œufs accoucheurs de squelettes,

comme un écho qu’il voudrait nous donner… Il en est de même en fait pour

Alice qui util ise ses doigts et ses bras pour se frayer un passage, un sas de

sortie, elle renaît à la vie et revient de loin. Nous pouvons donc souligner

ici l’image d’affirmation qui nous est donnée, et qui se doit de passer par la

destruction sans aucune autre alternative possible ou envisageable. Alice n’a

pas le choix, si elle veut s’en sortir , elle doit casser quelque chose de cette

chrysalide, de ce cocon qui appartient à son enfance… Nous reprenons ici

les propos de Marcel Jean57 :

« La pet i te arr ive à br iser ce corps de plâ t re , à casser cet te enveloppe qui la tenai t pr isonnière , e t à reprendre sa place au cœur du f i lm. Ainsi , par cet te image violente , Jan Svankmajer soul igne le cur ieux s ta tut du corps dans son c inéma, corps é tranger que l ’animation agresse e t profane, corps à l ’é t roi t , inadapté dans un monde aux lo is é tranges , un monde qui refuse de se soumettre à la d ic ta ture du corps e t dont la révol te passe par le mouvement . »

Alice est en fait un être en cours de constitution, elle est dans un état

psychologique transitoire, puisqu’elle n’est plus une fil lette mais en même

57 Le langage des l ignes e t autres essais sur le c inéma d’animation Marcel Jean, Cinéma Les 400 Coups, Canada, 1995.

48

Page 50: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

temps elle n’est pas encore une adulte. Dans ce que l’on pourrait considérer

comme une geôle, sombre, mal éclairée, fermée à clé, notre fil lette s’extirpe

li t téralement de son carcan de poupée. C’est toute la difficulté de la période

de l’adolescence qui est ici figurée, avec tout ce que cela comprend de

questionnements et de métamorphoses.

La nourriture fait et défait les corps tout au long du film de Jan

Svankmajer. C’est à chaque ingestion de gâteau ou de potion qu’Alice est

amenée à changer de taille, à se métamorphoser. Le principe de répétition

rend cette action présivible, le spectateur s’attend donc au changement de

taille, comme une conséquence logique de ces actes. Mais cette nourriture

autorise aussi le dépeçage des corps, puisque le lapin perd son rembourrage,

sa sciure à plusieurs reprises. En définitive, la représentation en est réduite

à sa plus simple expression quand apparaissent les squelettes des animaux.

Mais la métamorphose est aussi psychique : Alice nous apparaît en

effet avant tout comme une petite fil le moderne. Walt Disney reste assez

proche du stéréotype en l’incarnant sous les traits d’une fil lette blonde

vêtue d’une robe bleue, tandis que chez Svankmajer, elle semble engoncée

dans sa robe rose par ailleurs très chiffonnée, comme si elle ne réussissait

pas à correspondre au calque de la petite fil le modèle. Sans âge défini, la

cohabitation des deux Alice dans le même corps impose une double lecture

du texte, une double réception du film.

Les animaux qui l’entourent au Pays des Merveilles se

métamorphosent aussi, ce qui rend d’ailleurs une atmosphère

cauchemardesque chez Jan Svankmajer. Le film Alice est paradoxal tout

comme son alter ego lit téraire. Cependant, i l faut souligner que cette version

provoque plus de réactions de rejet de la part du public adulte que de celui

des enfants. On pourrait dire à l’instar de Virginia Woolf évoquant le récit

de Lewis Carroll que Alice :

« n’es t pas une oeuvre pour enfants mais p lutôt une oeuvre par laquel le nous devenons enfants . » .

49

Page 51: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Troisième partie : Le merveilleux mis en scène

1. La réalité à l’épreuve du merveilleux

Dans un tel parcours, les logiques spatiales et temporelles sont

détruites, voire anéanties, de la même manière que les vraisemblances

narratives. Tout ce qui constitue un quelconque repère de réalité est en fait

mis à mal, là où :

« La réal i té devient i l lus ion, e t l ’ i l lus ion réal i té . »58

Jan Svankmajer a voulu ainsi pénétrer dans la pensée enfantine et dans

son mode d’appréhension du réel. Nous allons voir maintenant dans quelle

mesure les frontières entre le rêve et la réalité deviennent poreuses.

1.1. Une temporalité propre à l’oeuvre

Une aspiration de Lewis Carroll n’est pas clairement exprimée dans

son œuvre, mais apparaît cependant en fil igrane : i l s’agit d’un retour

souhaité vers le monde de l’enfance. Lewis Carroll veut en effet bloquer le

processus de maturation qui fait que tout un chacun devient un jour adulte.

Dans cet esprit , i l souhaite ardemment arrêter l’évolution naturelle de la vie.

Ce refus du monde réel caractérise et conditionne la temporalité de son

récit , puisqu’il va, dans ce cadre, détruire les conventions relatives au

temps. Il en est pour preuve la séquence du thé chez les fous.

Le temps n’existe pas au Pays des Merveilles, le chapelier fou et le

l ièvre de Mars rejouent sans cesse la même scène, l’heure devient un

véritable gag et le thé est pris à n’importe quelle heure, ce qui est par

ailleurs considéré comme un blasphème en Angleterre, avec la sacro-sainte

« Tea Time »…

58 Le cinéma tchèque e t s lovaque , de Jean-Loup Passek, t rad. Marie-Paule Wellner-Pospis i l , Par is , Edi t ions du Centre Georges Pompidou, (Cinéma-Plur ie l) , 1996.

50

Page 52: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

« -Quel jour du mois sommes-nous ?demanda le Chapel ier Fou à Alice . ( I l avai t t i ré sa montre de sa poche e t la regardai t d’un a ir inquiet , en la secouant e t en la por tant à son orei l le de temps à autre . ) […]

-Quel le drôle de montre ! El le indique le jour du mois e t e l le n’ indique pas l ’heure !

-Pourquoi indiquerai t -e l le l ’heure ? Murmura le Chapel ier Fou. Est-ce que ta montre à to i indique l ’année où l ’on es t ?

-Bien sûr que non, répondit Alice sans hés i ter ; mais c’es t parce qu’el le res te dans la même année pendant t rès longtemps.

-Ce qui es t exactement le cas de ma montre à moi , aff i rma le Chapel ier . »59

Le paradoxe est ici mis en lumière. Gilles Deleuze effectue un

rapprochement entre le paradoxe du sens et celui du temps :

« La quest ion n’a pas de réponse, parce que c’es t le propre du sens de ne pas avoir de direct ion, de ne pas avoir de bon-sens mais toujours deux sens à la fo is , dans un passé-futur inf in iment subdivisé e t a l longé. »60

Lewis Carroll util ise fréquemment ce procédé du nonsense , comme un

vrai matériau malléable. Ainsi combinés en calembours ou en équivoques,

les mots produisent alors un effet de sens qui est en réalité un effet de

nonsense. Dans cette scène emblématique du thé, les remarques du chapelier

fou sont par exemple complètement dépourvues de sens, et pourtant

grammaticalement strictement correctes. Nous mesurons bien ici combien le

mot n’est pour Lewis Carroll qu’un assemblage de lettres, ce qui lui confère

du même coup toute sa dimension ludique. Les personnages de cette partie

de thé sont normaux dans leurs actes, mais leur raisonnement cloche parce

qu’il est empreint de nonsense .

Jean Gattégno nous explique61 à ce sujet que Lewis Carroll rompt avec

une des conventions tacites du conte de fées, qui postule certes que les lois

de l’imagination l’emportent sur celles de la réalité, mais elles ne touchent

59 Edi t ion Gal l imard, p . 96 , chapi t re 7 . 60 Logique du Sens , Gi l les Deleuze, Par is , Minui t , (Cri t ique) , 1969, p . 95. 61 Œuvres , de Lewis Carrol l , Par is , Gal l imard, 1990, (Bibl iothèque de la Plé iade) , p . 1657.

51

Page 53: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

pas à la logique discursive, en même temps qu’elles jettent sur le monde réel

un regard destructeur.

Le rapport au temps est ici délirant, le Chapelier Fou le considère

comme un être à part entière :

« -Si tu connaissais le Temps auss i b ien que moi , d i t le Chapel ier Fou, tu ne par lera is pas de le perdre . Le Temps es t un ê tre v ivant . […] Je suppose bien que tu n’as jamais par lé au Temps ! »62

La mise en abîme avec la fascination des mondes emboîtés entraîne

aussi une annulation du temps. Cette annulation est aussi la conséquence

d’une

« Simultanéi té en devenir dont le propre es t d’esquiver le présent »63.

La multiplication du motif de la montre à gousset nous rappelle aussi la

thématique de la fuite éternelle du temps. D’où le refrain du lapin chez Walt

Disney qui devient une rengaine tant i l le répète :

« Je suis en re tard , Je suis en re tard ,J’a i rendez-vous quelque par t , je n’a i pas le temps de dire au revoir , je suisen re tard en re tard . »

Le rapport d’Alice au monde qui l’entoure va déterminer la lecture.

Ainsi, l’enfant se laissera pleinement emporter par la folie du Pays des

Merveilles si Alice entretient un rapport étroit avec celui-ci. Au contraire,

l’insensibilité du personnage favorisera une certaine prise de distance du

lecteur. Enfin, un rapport ambivalent laissera au lecteur le choix de la

conduite à tenir. Dans tous les cas, un vrai problème d’envergure est posé à

l’enfant, i l se trouve confronté à l’angoisse de grandir, et pas seulement de

changer de taille et de volume.

52

62 Edi t ion Gal l imard, p . 97 , chapi t re 7 . 63 Logique du Sens , Gi l les Deleuze, Par is , Minui t , (Cri t ique) , 1969, p . 7 .

Page 54: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Alice évolue sur le chemin de cette découverte de soi, laquelle ouvre

à l’état d’adulte. La temporalité se décompose ici en projections

permanentes ainsi qu’en retours en arrière, les deux coexistent plus ou

moins, générant plus ou moins de frayeur et d’angoisse. Mais le retour en

arrière ramène aussi au thème de la mort : Alice dans sa mare de larmes, se

débat parmi des fossiles. La Mort est omniprésente dans la version de Jan

Svankmajer puisqu’il util ise les squelettes pour représenter une bonne partie

des créatures peuplant le Pays des Merveilles.

Alice au Pays des Merveilles pose donc cette problématique du

devenir dans sa temporalité. Elle joue même à être grande parce qu’elle

enrage de ne pas grandir assez vite. Ce temps de la métamorphose qui nous

est relaté, correspond en fait à une parenthèse du monde des vivants ; c’est

le sommeil d’Alice. Par son réveil , s’effectue donc un retour dans la

temporalité pour qui puisse recommencer le simple déroulement des heures

et des jours et que la vie reprenne son cours.

Dans tous les cas, i l y a un recours à la participation active du lecteur

ou du spectateur pour reconstruire ce qui manque. La création de

l’imaginaire est centrée ici sur le destinataire et non sur le locuteur. Nous

assistons à un réel renversement de la focalisation, et donc de la narration

au contact de l’image qui reprend la problématique du miroir et du double.

C’est une façon d’utiliser le langage comme outil dans cette expérience de

l’il lusion.

1.2. L’espace et les personnages du merveilleux

Cette scène du thé chez les fous, au chapitre 7, opère une véritable

distanciation humoristique. En effet, dans le texte de Lewis Carroll , les

personnages sont situés les uns par rapport aux autres et par rapport aussi à

l’espace de la table dans une logique distributionnelle. Cette logique est

cependant perturbée par le fait que tous les personnages sont en fait serrés à

53

Page 55: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

un des angles de la pièce et surtout affirment fermement à Alice qu’il n’y a

pas de place…

« -Pas de place ! Pas de place ! s ’écr ièrent- i ls en voyant Al ice . - I l y a de la place à revendre ! s ’écr ia- t-e l le avec indignat ion. »64

Tout est ici relatif selon le point de vue, le lecteur spectateur et de ce fait ,

extérieur à l’action, considérera évidemment qu’il reste de la place à l’instar

d’Alice, tandis que du point de vue des personnages du récit , par ailleurs

tassés, i l est impensable d’ajouter une chaise autour de cette table dressée

devant eux. Puis les conventions reprennent le dessus puisque le Lièvre de

Mars offre à Alice de boire du vin comme il est d’usage quand on reçoit une

personne chez soi. Mais cette proposition s’avère assez absurde car on

n’offre pas du vin à une petite fil le, d’autant plus qu’il n’y a pas de vin sur

cette table… ! L’incongruité de la situation est ici bien réelle. Alice va se

retrouver frustrée en matière de nourriture. Tout ce que le lièvre de Mars ou

le chapelier fou peuvent lui proposer n’est en réalité qu’un mirage. Fantaisie

charmante et comique des personnages.

Lewis Carroll a créé des personnages sans référence au folklore ni à la

réalité puisque le l ièvre de Mars est directement issu de l’expression « fou

comme un lièvre de Mars » que l’on trouve dans la langue anglaise. Ce

lièvre de Mars n’a donc aucune existence autre que dans cette expression, i l

n’existe que « linguistiquement » pourrait-on dire, et c’est sans doute ce qui

a séduit Lewis Carroll .

A travers ce récit , le lecteur passe véritablement de l’autre côté du

miroir, dans un endroit où les points de repère sont perdus, où toutes les

extravagances sont autorisées et même encouragées. Dans ce Pays des

Merveilles, les personnages loufoques se multiplient tandis que les formes

de la conversation et du récit sont resté fixées dans une logique formelle.

64 Edi t ion Gal l imard, p . 93 , chapi t re 7 .

54

Page 56: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Le Chapelier fou chez Walt Disney.

En matière d’espace, Lewis C

une poétique de l’espace bien partic

et qui peut se représenter comme u

peut en effet se décrire par l

différenciés, à travers lesquels la di

long de l’œuvre, Alice ne fait que

heureux, d’autres plus angoissants,

à ce monde parcellaire. Les passage

mis en perspective.

Le lecteur est amené à quitte

l’entourage familial d’Alice pour

marqué par des rites bien particu

l i t téralement transporté dans un au

repères traditionnels, à la suite d’Al

à sa réalité précaire.

A partir de là, les procédés de

mise à distance vont se répéter à loisir

tout au long de la scène pour

reprendre facilement le cours du récit .

La séquence du thé chez les fous est

un modèle du genre merveilleux.

Lewis Carroll a écrit ici un petit

bijou, sur le plan du texte, i l s’y opère

un aller-retour permanent entre le réel

et l’imaginaire, comme un jeu

méticuleux de transgression où chaque

écart emmène le récit vers l’onirique,

tandis que les réductions de ces écarts

lui permettent de se relancer.

arroll n’est pas en reste, puisqu’il dresse

ulière dans Alice au Pays des Merveilles

ne topologie. L’espace du merveilleux

a juxtaposition de plusieurs espaces

égèse introduit un déplacement. Tout au

se déplacer, elle parcourt des espaces

le tout dans une discontinuité essentielle

s n’existent pas, tout est l ié, voire même

r un espace familier, connu que forme

pénétrer dans un territoire initiatique

liers. Le lecteur ou le spectateur est

tre monde, désorienté par rapport à ses

ice. Il se trouve ni plus ni moins arraché

55

Page 57: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

La toute première moitié d’Alice au Pays des Merveilles cherche le

secret des évènements et du devenir i l l imité qu’ils impliquent, dans la

profondeur de la terre du Pays des Merveilles , dans ses puits et ses terriers

qui se creusent et s’enfoncent en dessous et mélangent les corps qui

coexistent. Gilles Deleuze met en lumière le fait que :

« A mesure que l ’on avance dans le réci t , les mouvements d’enfoncement e t d’enfouissement font p lace à des mouvements la téraux de gl issement , de gauche à droi te , e t de droi te à gauche. {…] C’est à force de gl isser qu’on passera de l ’autre côté , puisque l ’autre côté n’es t que le sens inverse . » »65

Dans le même ordre d’idées, nous pouvons souligner que les

personnages suivent cette même mouvance. En effet, les animaux des

profondeurs, ces personnages du merveilleux, deviennent peu à peu

secondaires en laissant la place à des figures de cartes, l i t téralement sans

épaisseur comme si l’ancienne profondeur s’étalait pour laisser une place à

la largeur, conséquence d’un changement de perspective dans l’espace. C’est

aussi la raison pour laquelle Lewis Carroll renonce à son premier ti tre Les

aventures souterraines d’Alice , puisqu’il n’y a pas des aventures d’Alice

mais une aventure qui consiste en une montée à la surface des choses, son

désaveu de la fausse profondeur et surtout sa découverte que tout se passe à

la frontière.

Alain Montandon analyse aussi finement le Merveilleux dans son

ouvrage en le caractérisant comme un genre :

« qui t ranspor te son lec teur dans un autre l ieu , qui autor ise ce déplacement fantas t ique dans un autre espace , un autre monde . »66

Comment caractériser cette image autrement que par le terme

d’évasion ? Il s’agit là d’un déplacement fondamental, d’un ravissement,

d’un transport essentiel à la fiction merveilleuse.

La représentation du Pays des Merveilles est différente selon la

lecture faite du texte de Lewis Carroll : monde hostile ou amusant, son 65 Logique du Sens , Gi l les Deleuze, Par is , Minui t , (Cri t ique) , 1969, p . 19. 66 Du réci t mervei l leux ou l ’a i l leurs de l ’enfance , d’Alain Montandon, Par is , Imago, 2001.

56

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image va conditionner son rapport au lecteur, et par là même, le rapport du

lecteur au texte. Les techniques mises au service de l’adaptation et de la

mise en image du Pays des Merveilles permettent de rendre une atmosphère

en accord avec la représentation propre à chaque cinéaste de l’univers

carrollien, tout en faisant passer à travers leur travail le message de ceux

qui les ont influencés.

Indétermination des lieux propre à la définition du genre : l’espace est

en effet impossible à cerner car les décors vont dans toutes les directions,

certaines salles défient la logique ou les règles de la perspective chez

Disney, les panneaux dans la forêt n’indiquent rien ou plutôt orientent vers

toutes les directions ce qui revient finalement au même résultat à savoir la

perte des repères spatiaux. Le labyrinthe final n’est autre qu’une évocation

supplémentaire de cette perte totale des moindres repères.

Chez Walt Disney , les éléments de décor au Pays des Merveilles sont

dessinés dans un trait assez imprécis, notamment les contours, ce qui

participe à la mise en place d’une ambiance onirique.

L’espace représenté est véritablement un lieu de délire à l’atmosphère

de folie qui transparaît dans l’util isation de couleurs exubérantes, ou de

couleurs chaudes pour transcrire la vitalité et la gaieté chez Walt Disney. Le

Pays des Merveilles représenté par Jan Svankmajer est quant à lui

surréaliste, dans la mesure où l’univers qu’il a créé ressemble à notre monde

mais son agencement en est différent et relève du fantastique. On y

reconnaît en effet tous les objets détaillés en ouverture par le grand champ

qui débute le film. Les panoramiques d’ouverture détaillent longuement tous

les objets que l’on reconnaîtra par la suite au cours du film.

Ce monde en accord avec celui de Lewis Carroll , semble pourtant

davantage « nonsensique » dans la mesure où il util ise les objets du monde

réel en les détournant, i l choisit d’en modifier leur usage ou leur

agencement. En fonction de l’atmosphère dégagée par les images, le rapport

du spectateur à l’univers carrollien variera sensiblement : on aura peur, on

57

Page 59: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

sera amusé ou encore rassuré. Cette atmosphère du Pays des Merveilles est

la résultante d’un ensemble de techniques et d’influences différentes pour

chaque cinéaste, i ls participent ainsi à la création d’un univers unique.

Le rapport d’Alice avec cet espace du Pays des merveilles peut se

détailler selon les trois cas de figure suivants :

-Il peut s’agir d’un rapport étroit : nous avons alors affaire à une

Alice parfaitement intégrée. Elle vit pleinement ses aventures au Pays des

Merveilles, avec une entière participation et une parfaite adhésion à ce

monde farfelu tout en passant par tout un panel d’émotions. Elle réagit alors

vivement à tout ce qui lui arrive, et porte un vif intérêt pour tout ce qui

l’entoure. Elle vit donc un moment riche en émotion dans ce rapport

particulier.

-Elle peut aussi entretenir un rapport plus distant : on aura donc une

Alice lointaine et insensible au monde environnant, qui permet à l’univers

merveilleux d’exister, mais ne peut être touchée par ce qui l’entoure car ce

monde ne peut l’intégrer. Elle est finalement le seul élément stable de ce

monde à l’ordre bouleversé et entretient peu voire pas de relation avec les

personnages. Elle n’est en fin de compte qu’une spectatrice, jamais étonnée,

toujours froide. Cette Alice est l’image d’une réalité, la sienne mais aussi la

nôtre, dans un univers qui représente une autre réalité qu’elle ne désire ni

transformer, ni laisser pénétrer dans son monde à elle. Le plus souvent

spectatrice, elle reste en dehors. Est ici décrite une réalité hors champ très

prisée d’Alice qui ne cesse de quitter les cadres, ce qui est particulièrement

intéressant, du point de vue cinématographique.

-Elle entretient enfin un rapport quasiment ambivalent avec le Pays

des Merveilles : une mise en scène tout à fait originale, accompagnant

pleinement dans l’aventure d’Alice. Duplicité du personnage. L’Alice de la

réalité a envie de s’amuser, visage enfantin, rieur et espiègle, non

appartenance au Pays des Merveilles

58

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Fenêtre écran entre le réel auquel elle appartient et paysage coloré et

merveilleux qui l’amuse mais dont elle ne sera jamais actrice, elle permet à

l’univers d’exister grâce à son regard conscient, signe d’une reconnaissance

non onirique, c’est elle qui regarde d’en haut, qui s’amuse mais qui ne peut

jouer.

La seconde Alice s’amuse de tout et tout l’amuse, comme une sorte de

poupée clown qui apparaît clairement aux yeux du lecteur comme un

personnage de fiction coexistence de deux mondes ne brouille pas la lecture

car à chaque instant, le caractère affirmé d’une Alice ou de l’autre permet

au lecteur de se situer.

Alice dans sa duplicité appartient pourtant au Pays des Merveilles

dans sa rêverie, et elle y joue un rôle essentiel, sans elle i l n’existerait pas.

Elle peut être actrice passive dans certaines scènes ou active dans celles où

elle est au centre de touts les regards, tant celui du lecteur que des

personnages. Nous pouvons dire que l’environnement est construit autour

d’elle. Il en est son reflet, une projection de son intériorité, double rapport

du personnage à son environnement et donc double rapport du lecteur au

texte.

Les animaux chez Walt Disney sont humanisés, ce qui leur confère

déjà un caractère étrange, ainsi le chat du Cheschire qui sourit ou le ver à

soie qui se met à fumer… Les paysages et les habitants sont réellement

extraordinaires au premier sens du terme, voire même monstrueux chez Jan

Svankmajer qui crée une ambiance digne des pires cauchemars qui pourra

faire peur au lecteur, mais il faut aussi nuancer car la laideur de ces

personnages prête aussi à rire. Il s’agit d’un univers de cauchemar dans

lequel nous sommes plongés à la suite d’Alice peut aussi prendre un aspect

beaucoup plus accueillant, comme un monde de délire fantaisiste. La

critique de l’époque faite à Walt Disney était assez acerbe: « Récit joli et

drôle : du sucre d’un bout à l’autre »…

59

Page 61: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Le Pays des Merveilles serait pour ces personnages un monde de

liberté, de folie, de dérogation à toutes les règles. Se devine alors l’aspect

l ibérateur du jeu il se traduit cinématographiquement dans l’util isation de

cadres ouverts, plus de lignes, plus de bords, juste pour les dépasser.

Le parti pris de Jan Svankmajer est radical car dès le début i l place

l’action dans la chambre d’Alice tandis que Lewis Carroll commençait lui

son récit dans la Nature donc en extérieur.

La chambre est ici un condensateur du récit , on y retrouve tous les

éléments essentiels à la suite des évènements. C’est là encore le principe

d’emboîtement qui est en mis en scène, comme un écho à tout ce qui va

suivre dans le fil de l’histoire. Cette chambre joue un rôle prépondérant car

c’est là que débute le film mais c’est aussi là qu’il se termine, comme une

boucle qui serait bouclée. Cet espace particulier de la chambre est le

réceptacle premier du corps qui abrite Alice et ses rêves.

2. Des visions du merveilleux qui diffèrent.

Réalisme et transgression sont conciliés dans un imbroglio langagier

auquel nous allons maintenant nous intéresser.

2.1. Le langage à l’épreuve du merveilleux.

Comme on l’a vu précédemment, Lewis Carroll se délecte de tous les

jeux de langage possibles qui participent à l’élaboration du nonsense. Dans

le même temps, on retrouve cet homme féru de logique, son œuvre en est

empreinte. Ce discours logique permet à Alice de pénétrer dans le monde de

la parole et d’y évoluer tout en s’interrogeant au gré de ses rencontres au

Pays des Merveilles.

60

Page 62: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

« C’est dans le d ia logue e t par lu i que s’é tabl issent les rapports entre Alice e t les personnages qu’el le rencontre au Pays des Mervei l les . »67

Le dialogue est ici un formidable vecteur de communication, i l met en

relation les êtres, i l permet tout à la fois la confrontation des idées, la

contestation mais aussi l’humour. Le ressort comique du dialogue est un

procédé largement util isé par Lewis Carroll .

Le langage du merveilleux, plus qu'un dépassement de la réalité

même, est une clé qui, en permettant de se dégager du visible, ouvre les

portes du monde caché.

Le traitement du langage au cinéma mérite que l’on s’arrête dessus

quelques instants. En effet, tout au long du film de Jan Svankmajer,

l’instance narrative est matérialisée par une bouche qui relate les

évènements.

Cette bouche crée un effet d’interpellation esthétique, elle apparaît

quatre-vingt fois à l’écran, adoptant pour statut celui de narration intérieure,

comme des sorties du récit animé, des parenthèses langagières en quelque

sorte.

Le génie de Jan Svankmajer tient sans doute du fait qu’il ait réussi à

nous immerger dans un univers totalement dénué de langage où tout est

figuration, où la place des êtres inanimés est prépondérante. Il différencie

totalement le langage de son contexte et cette décontextualisation nous

amène à mieux cerner l’action propre des scènes et dans le même temps à

nous interroger sur le pouvoir des mots et le rôle du langage.

Bien souvent, le choix a été fait de garder les sonorités, les rimes et

les rythmes au détriment du sens. La traduction des jeux de mots et

l’adaptation des poésies sont deux soucis majeurs des traducteurs dans le

cas d’Alice au Pays des Merveilles . La plupart du temps, les traducteurs ont

67 « Le dia logue d’Alice » , de Jean-Jacques Mayoux, in Cahiers de L’Herne, d’Henr i Par isot , 2 è m e éd . , 1972, p . 60.

61

Page 63: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

jugé préférable de chercher en français un calembour quelconque, sorte

d’équivalent l inguistique, qui remplace le jeu de mots anglais.

Chez Walt Disney, on voit très bien combien la langue (bien qu’il

s’agisse d’une traduction) recèle d’inflexions savoureuses, une langue

vraiment parlée mais aussi chantée et chantante, on mesure ici le poids des

traducteurs dans la conservation des sonorités. Comme à son habitude, Walt

Disney intègre des passages chantés dans ces adaptations à la manière d’une

comédie musicale. La musique occupe une place prépondérante dans la

plupart de ces œuvres, tout un chacun a en mémoire le fameux «Un jour mon

prince viendra» de Blanche-Neige ou encore la marche des éléphants dans le

Livre de la Jungle .

La musique chez Walt Disney participe à la création d’un univers

enchanteresse, c’est la magie qui prend place par le biais de la musique et

les enchantements peuvent alors commencer. La musique a aussi chez

Disney un rôle réconfortant indéniable auprès des plus jeunes, qui sont par

ailleurs très nombreux à regarder ses multiples oeuvres.

Cinq à huit séquences ont longtemps constitué l’idéal musical de

Disney pour une production. Elles s’organisent selon le schéma suivant :

-Ouverture du Film : Pays du Merveilleux

-Aspirations et rêves du héros ou de l’héroïne : Dans le monde de mes

rêves

-Un morceau déjanté et plein de punch interprété par les comiques de

service : Chansons des Tweedle, Chanson du Chat de Chester .

-Une chanson d’amour : Un matin de mai fleuri

-La perte de repère ou le désespoir du héros : Je fais tout le contraire ,

cette dernière chanson, chantée dans les bois, entourée d’une dizaine

d’animaux étranges qui l’observent avec compassion, ressemble d’ailleurs

beaucoup à un clin d’œil à Blanche-Neige dans les mêmes conditions

62

Page 64: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

entonnant Un Sourire en chantant. L’historien britannique Brian Sibley

pense à ce propos, que cette chanson n’est pas très conforme :

« L’épisode sent imental quand Alice es t seule dans les bois , es t une grande rupture par rappor t à Lewis Carrol l . Jamais i l n’aurai t donné à Alice l ’oppor tuni té de s’analyser ou de s’api toyer sur son sor t . »68

Frisant la perfection, chaque note de musique semble idéale tant elle

coule dans la mélodie, irremplaçable, les paroles parviennent à traduire les

émotions d’un personnage nous immergeant totalement dans le conte de

fées. Le plus grand tour de force de Walt Disney consiste à avoir

parfaitement intégré ces mélodies à l’histoire et aux séquences d’animation,

elles font réellement corps avec le film !

L’Homme a par le verbe un moyen d’action direct et magique comme

une sorte d’incantation, d’envoûtement, de prière ou d’exorcisme. Cette

représentation est exploitée entièrement dans les musiques et bandes

originales des films de Walt Disney et particulièrement ici dans Alice au

Pays des Merveilles .

A la suite de Jean Gattégno, nous pouvons affirmer que :

« La parole n’est pas le sujet mais e l le es t la condi t ion de son déchiff rement . »69

On se doit de souligner le pouvoir magique du discours enfantin qui

crée ce qu’il nomme et s’en réjouit avec un enthousiasme légitime. Ce même

Jean Gattégno marque la différence entre les contes de Lewis Carroll et les

contes de fées classiques en affirmant :

« Chez Lewis Carrol l tout ce qui se passe se passe dans le langage e t passe par le langage. […] Ce n’es t pas une his toire qu’ i l nous raconte , c’es t un discours qu’ i l nous adresse , un discours en plus ieurs morceaux. »70

68 Les héroïnes Disney dans les longs métrages d’animation, de Chris t ian Renaut , Par is , Draemland, 2000, p . 68. 69 « Pour Lewis Carrol l » , de Jean Gattégno, in Cahiers de L’Herne d’Henri Par isot , 2 è m e éd . , 1972. p . 38. 70 Logique sans peine de Lewis Carrol l , t raduct ion e t présentat ion de Jean Gat tégno, Par is , Hermann 1966, p . 19.

63

Page 65: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Chez Jan Svankmajer, c’est Alice en personne qui nous relate son

histoire et prononce les différentes répliques par ailleurs très peu

nombreuses.

« Par le p lus s implement ! s ’exclama l ’Aiglon. Je ne comprends pas la moit ié de ce que tu racontes , e t , par-dessus le marché, je crois que tu ne te comprends pas , to i non plus ! » Chapi tre 3 , p . 44.

Convent ions langagières : Oui nous t ’en pr ions ! p . 49.

« El le cont inua de la sor te pendant un bon moment , tenant une vér i table conversat ion à e l le seule , en fa isant a l ternat ivement les quest ions e t les réponses . » chapi t re 4 , p . 57.

« e t commença a par ler toute seule se lon son habi tude » chapi t re 5 , p . 78.

À une époque où tous les récits pour enfants étaient chargés d'une

intention didactique, Alice l ' indocile, la subversive, opposée aux adultes,

était le premier personnage de la l i t térature enfantine à démasquer l 'orgueil

des grandes personnes à travers le langage et à dévoiler l 'hypocrisie de leur

monde. Par sa virtuosité à conjuguer fantaisie et réalisme, satire, ineptie,

absurde et logique, Lewis Carroll sut également s 'attirer le public des

adultes. Aujourd'hui, les noms, les atti tudes et les propos de personnages

tels que le Lièvre de Mars, le Chapelier toqué, le Chat de Chester et le

Lapin blanc, font partie du langage courant et de l ' imaginaire collectif .

L’imaginaire collectif est aussi investi en ce qui concerne les Nursery

Rhymes , ces comptines que chacun connaît en Grande-Bretagne et qui font

partie de tout un folklore. Lewis Carroll y a recours mais n’en conserve que

la forme de façon à ce qu’elles soient reconnaissables. Ainsi par exemple :

« Par lez rudement à votre bébé ; Bat tez- le quand i l é ternue ; Ce qu’ i l en fa i t , c ’es t pour vous embêter , C’es t pour cela qu’ i l s ’éver tue . » 71

Cette simili-berceuse est ici la parodie d’une petite poésie introuvable de G.

W. Langford, dont le premier vers est :

« Par le doucement dans ton cœur… »

71 Edi t ion Gal l imard, p . 85 , chapi t re 6 .

64

Page 66: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Par ailleurs dans l’édition Gallimard utilisée pour l’étude, nous

trouvons en fin d’ouvrage72 un comparatif entre « Ce que dit Alice… »

« …Et ce qu’elle voulait dire. », les comptines sont restituées dans leur

véritable forme d’origine

2.2. Les apports du cinéma à l’œuvre littéraire

Il s’agirait à présent de réfléchir aux esthétiques spécifiques de

chaque artiste et de voir en quoi elles ont pu enrichir l’œuvre de Lewis

Carroll , ce qu’elles lui ont apporté. En reliant avec la définition du

merveilleux élaborée au début de l’étude, je voudrais ici établir une sorte

d’analyse de leur démarche en terme de mise en image et de prise en compte

du thème tout en insistant sur les moyens utilisés.

Vision de cauchemar ou de réalité, le Pays des Merveilles est avant

tout empreint des influences des cinéastes. Il faut aussi préciser que le

langage véhicule une analyse de la réalité qui lui est spécifique et surtout

différente de celle véhiculée par l’image. Le cinéma apporte donc une

nouvelle vision du monde par le biais de l’image, comme cet exemple du

prisme à la fois réfléchissant et divergent approfondi par Jeanne-Marie

Clerc73.

Le Pays des Merveilles est le monde du rêve mais aussi celui de

l’absurde et du non-sens cher à Lewis Carroll . Se sont-ils attachés à rendre

son atmosphère étrange, ou ont-ils opté pour une représentation plus proche

du réel et du connu ? Dans les versions étudiées, le monde merveilleux

apparaît soit effrayant, soit au contraire amusant ou enfin réaliste sa

représentation variant en fonction des différentes lectures qui sont faites de

l’œuvre de Lewis Carroll . La zoologie fantastique donnée à voir est un bon

exemple de la représentation de l’oeuvre de chacun de nos deux cinéastes.

72 Edi t ion Gal l imard, p . 174 à 179, Appendice . 73 L’adaptat ion c inématograohique e t l i t téraire , Jeanne-Marie Clerc , Monique Carcaud-Macaire , Par is , Kl incksieck, (50 Quest ions) , 2004, p . 14.

65

Page 67: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Chez Walt Disney, les couleurs sombres accentuent l’impression de

cauchemar et de délire quand Alice va errer dans la forêt et entonner.

Les notions essentielles du genre merveilleux sont revisitées : on

retrouve ainsi le miroir, le rêve, l’évasion, le désir, l’absurde, le magique, la

descente en soi-même…

Le décor avant tout campe une atmosphère particulière et propre au

merveilleux. Chez Walt Disney, i l est vraiment planté comme un décor de

théâtre et tout en même temps ludique, on passe d’une maison de poupée aux

appartements de la reine, en passant par le jardin du lapin blanc. Une

véritable déambulation ludique qui donne vie aux personnages qui évoluent

dans ces différents tableaux. Disney souhaitait que son film réponde à trois

impératifs : une atmosphère britannique, un certain côté enfantin et enfin le

côté absurde.

Dans Alice au Pays des Merveilles , Lewis Carroll instaure en fait une

confusion entre le rêve et la réalité qui va prendre des formes diverses. Il

met alors en place différents procédés de déréalisation qui ont en commun

de faire basculer le lecteur vers une interprétation ou l’autre. Au cinéma,

dans les deux adaptations auxquelles nous nous sommes intéressés, l’option

est prise de mettre en scène un récit de rêve. Rêve, qui en l’occurrence,

opère des digressions assez déstabilisantes chez Jan Svankmajer, avec une

mise en abîme du sens général des actions des personnages. Il s’agit là d’un

point essentiel de la construction du scénario. Comme dans un rêve, par ce

type de mise en situation, le personnage se retrouve dans un état mal défini

qui l’éloigne de sa réalité. Jan Svankmajer amène son Alice à s’éprouver

elle-même.

Comme sa cousine li t téraire, Alice de Jan Svankmajer nous conte une

véritable dégringolade au pays des rêves, mais qui se teinte parfois d’une

vision relativement cauchemardesque. Pour réaliser ce film, il a dû se

confronter aux diverses interprétations d’Alice au Pays des Merveilles déjà

66

Page 68: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

existantes. Dans le Cahier de Notes sur Alice74, Pascal Vimenet nous

explique sa démarche :

« Alice appar t ient à ma mythologie . La plupar t du temps, on le présente comme une conte pour enfants . Pour moi , ce n’es t pas un conte de fées , mais un rêve. »

L’interprétation que nous donne à voir Jan Svankmajer, est une

interprétation radicale qui balaie tous les archétypes entourant l’imagerie

habituelle et traditionnelle véhiculée autour d’Alice au Pays des Merveilles .

I l redonne véritablement toute sa liberté à notre imaginaire en util isant

largement les procédés de discontinuité et de rupture. Sa mise en scène

échappe radicalement à la mièvrerie, à la joliesse des images animées et

souvent dévitalisées qui ont à plusieurs reprises porté préjudice à la portée

du texte originel de Lewis Carroll . Il affirmera d’ailleurs n’avoir en

commun avec Walt Disney que la caméra…

Dans son épilogue, Jan Svankmajer s’affranchit véritablement de ce

récit originel et le traduit à sa façon. Il y a assurément de l’horreur, de

l’humour noir et de la cruauté dans le monde imaginaire d’Alice. On trouve

chez Svankmajer ces sentiments de peur et d’anxiété qui font palpiter le film

et sa rêverie, i l s’agit là d’une interprétation subjective du thème carrollien

originel. Tout en respectant le mythe carrollien, i l le transforme à l’intérieur

de son univers propre. Par l’intermédiaire des moyens d’expression

cinématographique, i l crée un véritable pendant au récit de Lewis Carroll .

74 Cahier de notes sur Al ice Pascal Vimenet , Par is , Les Enfants de Cinéma- Yel low Now, [S. d . ] .

67

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CONCLUSION

« Alice , en tant qu’héroïne , découvre l ’univers des adul tes , cependant que le lec teur , à t ravers le voyage d’Alice , découvre l ’univers de l ’enfance. »75

Finalement c’est un peu la clé de notre étude que nous livre là Jean

Gattégno dans ces quelques mots en entrecroisant les lectures possibles du

merveilleux. Nous découvrons le Pays des Merveilles cher à Lewis Carroll

« en temps réel » aux côtés d’Alice que ce soit tant dans la version

romanesque que cinématographique. Elle entraîne son lecteur à sa suite dans

l’univers du Merveilleux. Et c’est le même processus qui entre en jeu pour

les adaptations cinématographiques, nous la suivons image après image, et

déambulons à ses côtés.

Il faut souligner en définitive le dynamisme de ce processus de

l’adaptation cinématographique car les restructurations peuvent engendrer,

comme nous l’avons souligné, des variabilités importantes d’un point de vue

à un autre. Une oeuvre peut en effet finalement être adaptée un nombre

incalculable de fois et faire preuve à chaque tentative d’un résultat

différent. La relecture personnelle de chaque artiste est en constante

évolution et c’est là tout l’intérêt d’une telle démarche. L’outil

cinématographique n’est donc pas neutre dans ce qu’il donne à voir, puisque

l’adaptation dé-construit et re-construit en démultipliant les réglages et les

ajustements de sens.

Au final, l’adaptation est une chance pour une œuvre, dans le sens où

elle en représente une vision particulière, un angle de perception spécifique

qui se perçoit au travers de la mise en scène, des techniques

cinématographiques, des décors, des dessins…. Le merveilleux lit téraire

d’Alice au Pays des Merveilles est ici articulé et prolonge l’œuvre originelle

par le biais des adaptations par ailleurs très nombreuses, même si nous n’en

avons retenu ici seulement deux. 75 Œuvres , de Lewis Carrol l , Par is , Gal l imard, 1990, (Bibl iothèque de la Plé iade) , Appendice Jean Gattégno, p . 1656.

68

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Nous avons souligné l’importance des images et donc des adaptations

dans la représentation de l’imaginaire et du merveilleux, mais le sujet étant

très étendu, i l pourrait être intéressant de s’arrêter sur les nombreuses

occurrences relevant de l’univers carrollien dans la l i t térature de jeunesse,

tant dans les multiples travaux des il lustrateurs qui se sont dévoués à la

cause d’Alice au Pays des Merveilles , que dans les albums en général qui en

ont été influencés et i ls sont aussi très nombreux.Mais ce serait déjà

élaborer le pan d’une autre vaste étude…

69

Page 71: annemarie_meudal_Le Merveilleux Littéraire au Cinéma.pdf

Bibliographie

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DISNEY Walt, Alice au Pays des Merveilles, Etats-Unis, 1951, 72 min,

dessin animé.

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couleur.

Corpus critique, œuvres secondaires :

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http://www.ditl . info : Dictionnaire international des termes li t téraires

accessible en ligne

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Massicots), 2004.

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2003.

MABILLE Pierre, Le Merveilleux, Paris, Fata Morgana, (Essai), 1992.

MILLET Gilbert, Les mots du fantastique et du merveilleux, Paris, Belin,

2003.

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Fantasy, Paris, Gallimard, (Folio SF, n°57), 2001.

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http://www.ricochet-jeunes.org

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accompagne l’exposition présentée au Centre Pompidou du 12 octobre au 28

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1998.

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PANGON Gérard, Walt Disney, 1947, les années Festival, Paris, 1001 Nuits,

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RENAUT Christian, De Blanche-Neige à Hercule, 28 longs métrages

d’animation des Stusios Disney, Paris, Dreamland, 1997.

RENAUT Christian, Les héroïnes Disney dans les longs métrages

d’animation, Paris, Dreamland, 2000.

72

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-Concernant Svankmajer :

http://formation.paris.iufm.fr

Svankmajer E & J, Bouche à Bouche, Montreuil, L’Oeil, 2002.

PASSEK Jean-Loup, trad. Marie-Paule WELLNER-POSPISIL, Le cinéma

tchèque et slovaque , Paris, Editions du Centre Georges Pompidou, (Cinéma-

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VIMENET Pascal, Cahier de notes sur Alice , Paris, Les Enfants de Cinéma-

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Sur l’adaptation et l’analyse cinématographiques :

http://pserve.club.fr/Alice.html

CLERC Jeanne-Marie, CARCAUD-MACAIRE Monique, L’adaptation

cinématographique et l i t téraire, Paris, Klincksieck, (50 Questions), 2004.

LALOUX René, Ces dessins qui bougent, 1892-1992, Cent ans de cinéma

d’animation , Paris, Dreamland, (Image par Image), 1996.

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VANOYE Francis, GOLIOT-LETE Anne, Précis d’analyse fi lmique, Paris,

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73

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ANNEXES

1. Fiches techniques des deux adaptations :

Alice , Jan Svankmajer, 1988, Tchécoslovaquie, 84 minutes, animation, couleur 35mm

Titre original : Neco Z Alenky

Scénario et réalisation : Jan Svankmajer, d’après Alice au Pays des Merveilles de Lewis Carroll

Animation : Bedrich Glaser, Svatopluk Maly

Décors : Eva Svankmajerova, Jan Svankmajer; Son : Ivo Spalj, Robert Jansa

Montage : Marie Zemanova ; Production : Condor Features

Coproduction : Film Four International, Hessicher Rundfunk

Distribution : K Films

Interprète : Kristina Kohoutova ; Bouche et voix originale : Camilla Power

Voix française : Marion Balança

Tournage : 1987, Sortie : novembre 1989

Prix du long métrage des journées internationales du cinéma d’animation d’Annecy 1989

Alice au Pays des Merveilles , Walt Disney, 1951, Etats-Unis, dessin animé, couleur 35 mm

Titre original : Alice in Wonderland

Scénario : Winston Hibler, Ted Sears, Bill Peet, Erdman Penner, Joe Rinaldi, Milt Banta, Bill Cottrell , Dick Kesley, Joe Grant, Dick Huemer, Del Connell, Tom Oreb, John Walbridge.

Production : Disney Studios

Distribution : RKO Radio Pictures Inc .

Voix originale : Kathryn Beaumont

Sortie : 1951

74

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2. Filmographie de Walt Disney

- 1940 : Pinnocchio - Fantasia-

- 1941 : Dumbo

- 1942 : Bambi

- 1943 : Saludos Amigos

- 1945 : Les 3 caballeros

- 1946 : make mine music

- 1950 : Cendrillon

- 1951 : Alice aux pays des merveilles

- 1953 : Peter pan

- 1955 : la belle et le clochard

- 1959 : la belle au bois Dormant

- 1961 : Les 101 dalmatiens

- 1963 : Merlin l 'enchanteur

- 1964: Mary Poppins

- 1967: le l ivre de la jungle

- 1970 : Les Aristochats

- 1973 : Robin des Bois

- 1977 : Bernard et Bianca - Winnie l 'ourson

- 1981 : Rox et Rouky

- 1985 : Taram et le chaudron magique

- 1988 : Oliver et Cie

- 1989 : la petite sirène

- 1990 : Bernard et Bianca

- 1992 : Aladdin

- 1994 : le roi l ion

- 1995 : Poccahontas - Toy Story

- 1996 : le bossu de notre Dame

- 1997 : Hercule

- 1998 : Mulan - 1001 pattes

- 1999 : Tarzan

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- 2000 : Dinosaure - La planète au trésor

- 2000 : Les aventures de Tigrou - Monster et Cie

- 2001: Atlantis

- 2002 : Lilo et Stich

- 2003: Nemo

- 2004 : le roi l ion

3. Filmographie de Jan Svankmajer

- 1988 : Alice

- 1994 : Faust

- 1996 : Les Conspirateurs de plaisir

- 1999 : Otesanek

Hélas, les films de Jan Svankmajer sont introuvables en France. Arte en a

diffusé quelques uns et c 'est tout. Il faut aller dans le pays d'origine de Jan

Svankmajer, la République Tchèque ou alors en Angleterre pour se procurer

des cassettes pal de ses films.

5. Autres adaptations d’Alice au Pays des Merveilles

Alice au pays des merveilles 1903 Réalisateur : Cecil Hepworth Interprètes : Mabel Clark dans le rôle d’Alice. Alice au pays des merveilles 1915 Réalisateur : J. Faust Alice in Wonderland USA 1933 77mn Réalisateur : Norman Z. McLeod. Interprètes : Charlotte Henry, Gary Cooper, W.C. Fields,Jack Oakie, Edward Everett Horton, Baby LeRoy, Edna May Oliver, Cary Grant,Richard Arlen.

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Alice 1948 Réalisateur : Carol Marsh Alice in Wonderland France-Grande Bretagne 1950 83mn Réalisateurs : Dallas Bower, Marc Maurette et Louis Bunin. Interprètes : Carol Marsh, Stephen Murray, Pamela Brown,Felix Aylmer. Alice's Adventures in Wonderland USA 1972 96mn Réalisateur : William Sterling Interprètes : Fiona Fullerton, Michael Crawford, RalphRichardson, Flora Robson, Peter Sellers, Dudley Moore. Alice in Wonderland USA 1976 Réalisateur : Budd Townsend. Version libertine. Alice au pays des merveilles USA 1985 Réalisateur : Harry Harris. Téléfilm. Alice, à travers le miroir Grande-Bretagne 1999 Réalisateur : Jonh Henderson. Téléfilm. Alice au pays des merveilles USA 1999 Réalisateur : Nick Willing. Interprètes : Tina Majorino, Miranda Richardson, MartinShort, Gene Wilder, Ben Kingsley, Christopher Lloyd, Robbie Coltrane, GeorgeWendt et Whoopi Goldberg. Téléfilm.