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ANNUAIRE FRANÇAIS DE RELATIONS INTERNATIONALES

ANNUAIRE FRANÇAIS DE RELATIONS INTERNATIONALES

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  • ANNUAIRE FRANAISDE

    RELATIONS INTERNATIONALES

  • Annuaire Franais de Relations Internationales

    Comit de parrainage

    Joachim Bitterlich / Gabriel de Broglie / Jean-Pierre Cot / Michel Foucher / Jean-Marie Guhenno / Franois Heisbourg / Christian Huet / Franois de La Gorce /Bertrand de La Presle / Thierry de Montbrial / Jean-Pierre Quneudec / Jean-Bernard Raimond / Pierre de Senarclens / Stefano Silvestri / Georges-HenriSoutou / Bernard Teyssi / Hubert Thierry / Louis Vogel

    Conseil dAdministration

    Michel Mathien, Prsident - Guillaume Parmentier, Vice-Prsident - Yves Boyer,Trsorier - Daniel Colard - Emmanuel Decaux - Renaud Dehousse - AnneDulphy - Jacques Fontanel - Jean-Franois Guilhaudis - Alexandra Novosseloff -Xavier Pasco - Fabrice Picod - Bernard Sitt - Serge Sur, membres

    Comit de rdaction

    Gilles Andrani / Loc Azoulai / Thomas Bernauer / Yves Boyer / Frdric Bozo /Daniel Colard / Jean-Pierre Colin / Emmanuel Decaux / Renaud Dehousse /AnneDulphy / Jacques Fontanel / Robert Frank / Jacques Frmont / Chantal de JongeOudraat / Pascal Lorot / Michel Mathien / Nada Mourtada Sabbah / FranoiseNicolas / Miroslav Novak / Alexandra Novosseloff / Xavier Pasco / FabricePicod / Simon Serfaty / Bernard Sitt / Serge Sur / Franois Vergniolle de Chantal

    Direction

    Serge Sur, Directeur / Anne Dulphy, Directeur adjoint

    Secrtariat de rdaction

    Sophie Enos-Attali

    L'AFRI est publi par le Centre Thucydide Analyse et recherche en relationsinternationales (Universit Panthon-Assas (Paris II), en association avec :

    Le Center for Transatlantic Relations, SAIS, Johns Hopkins University,Washington), le Centre sur lAmrique et les relations transatlantiques (CART), leCentre d'tudes europennes de Sciences-Po (Institut d'tudes politiques de Paris), leCentre d'tudes et de recherches interdisciplinaires sur les mdias en Europe(CERIME, Universit Robert Schuman de Strasbourg), le Centre d'tudes de scuritinternationale et de matrise des armements (CESIM), le Centre d'histoire deSciences-Po (Institut d'tudes politiques de Paris), le Centre de recherche sur les droitsde l'homme et le droit humanitaire (Universit Panthon-Assas (Paris II), EspaceEurope Grenoble (Universit Pierre Mends France, Grenoble), lInstitut Choiseulpour la politique internationale et la goconomie, lUnit mixte de rechercheIdentits, Relations internationales et Civilisations de l'Europe (IRICE, CNRS/Universit Paris 1 Panthon-Sorbonne/Universit Paris IV Sorbonne).

    L'AFRI est publi avec le concours du Centre d'analyse et de prvision duministre des Affaires trangres, du ministre de l'Education nationale et del'Universit Panthon-Assas (Paris II)

    Centre Thucydide, Universit Panthon-Assas,bureau 219, 12, place du Panthon, 75005 Paris

    Site Internet : http://www.afri-ct.org

  • ANNUAIRE FRANAISDE

    RELATIONSINTERNATIONALES

    2008

    Volume IX

    La documentation Franaise

  • ISBN 978-2-8027-2553-4

    D / 2008 / 0023 / 36

    2008 Etablissements Emile Bruylant, S.A.Rue de la Rgence 67, 1000 Bruxelles

    Tous droits, mme de reproduction dextraits, de reproduction photomcanique ou de traduction,rservs.

    imprim en belgique

  • SOMMAIRE

    2007 : grisaille persistante, horizon bouch, temprature sans changement

    Etudes : Les relations internationales dans le dsordre

    Postures tatiques

    Les situations conflictuelles et leurs prolongements

    Laction des institutions internationales

    Relations internationales et acteurs privs

    Chronologie internationale de lanne 2007

    Rubriques

    La France et le monde

    La France dans la construction europenne

    LUnion europenne, acteur des relations internationales

    Politique trangre des Etats-Unis

    Thories et doctrines de scurit

    Dsarmement, matrise des armements, non-prolifration

    Crises et conflits internationaux

    Economie politique internationale

    Mondialisation, multilatralisme et gouvernance globale

    Mdias et socit internationale

    Nouvelles technologies et relations internationales

    Chronique bibliographique

    Annexes

    Liste des contributeurs

    Rsums des articles

    Abstracts

  • vi sommaire

    Index thmatique

    Index des noms de personnes

    Table des matires

  • 2007 : GRISAILLE PERSISTANTE,HORIZON BOUCH,

    TEMPRATURE SANS CHANGEMENT

    par

    Serge SUR (*)

    Si 2006 tait une anne perdue (1), 2007 na pas retrouv une dynamiquequi permettrait de dpasser ses incertitudes. Mais lincertitude est consubs-tantielle aux relations internationales. Au fait, que sait-on, que comprend-on des relations internationales? Il y a ce que lon voit, entend ou lit leursujet. Pour le pass, des documents qui sadressent la rflexion, mais nesont jamais complets et quon interprte en fonction de ses tropismes intel-lectuels ou de ses prjugs idologiques. Ou encore des synthses, des his-toires, des tudes, des thories, qui constituent autant de filtres rducteurset dformants. Pour le prsent, la tche est encore plus dlicate. Les mdiasimposent leurs priorits, spontanment ou par instrumentalisation, ils sub-mergent lattention, remplaant trop souvent la rflexion par lmotion. Sion cherche sortir de leur emprise, comment distinguer lincident et letournant, le conjoncturel et le structurel, lartificiel et lauthentique, com-ment identifier les volutions invisibles, plus puissantes que les vnementsspectaculaires?

    Sarajevo ne fut dabord, au dbut du XXe sicle, considr que commeun fait divers et, dans Le Rivage des Syrtes (2), cest une transgressionmineure qui amorce une catastrophe. Si on veut expliquer, on tombe dansle risque de la fausse intelligibilit, dans les thories du complot, dans lillu-sion de la rationalit. Quant laction, entre la contingence, les passions,les illusions, entre le poids du pass et linadaptation des projets, lespacede la dcision politique est restreint, dautant plus que les questions inter-nationales ne constituent que rarement la priorit des gouvernants et pasdavantage des opinions publiques. Bref, tout conduit lobservateur lamodestie et lexpose au dmenti. Raymond Aron lui-mme, dans son der-nier ouvrage posthume (3), ne voyait-il pas lEurope condamne la finlan-disation, face une URSS plus forte que jamais? Rien dtonnant donc

    (1) Gilles Andrani, 2006, une anne perdue? , Annuaire franais de relations internationales, vol. VIII,2007, pp. 1-12.

    (2) Julien Gracq, Le Rivage des Syrtes, Jos Corti, Paris, 1951.(3) Raymond Aron, Les Dernires Annes du sicle, Julliard, 1984.

    (*) Professeur lUniversit Panthon-Sorbonne (Paris II, France), o il dirige le Centre Thucydide.

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    ce que les plus profonds des analystes des relations internationales aient tdes historiens, que les prophtes se soient gnralement tromps ou queleurs messages aient t interprts de travers (4), mme lorsquils ontdbouch sur des self-fulfilling prophecies.

    Rendre compte de 2007

    Dans ces conditions, comment rendre compte de 2007, qui, dun ct,appartient lhistoire et reste encombre des problmes du pass et qui, delautre, nest quun moment dun flux toujours en mouvement? Flux quiemporte des lments politiques, conomiques, stratgiques, technologiques,culturels, sociaux, lesquels nvoluent pas au mme rythme, nont pas lemme type de visibilit et ne bnficient pas de la mme attention. Si lapolitique est la plus spectaculaire, lconomie la plus sensible, la stratgiela plus dissimule, la culture est affaire de passage des gnrations, la tech-nologie nest gure perue que par les changements quelle apporte la viequotidienne, avec un plus ou moins long retard, et les processus dmogra-phiques et sociaux sont les plus profonds. Une place part doit tre rser-ve aux conflits et la violence sous ses divers aspects : ils jouent un peule rle des faits divers et, du simple fait de leur nombre et de leur frquence,ne retiennent gure lintrt que par leurs manifestations paroxystiques,mobilisant la compassion pour les victimes et mettant en mouvement lesorganisations humanitaires. A ce titre, ils bnficient dune sorte de survi-sibilit qui dforme parfois leur importance relle pour lvolution de fonddes problmes internationaux.

    Si on cherche des termes de comparaison qui permettent de mettre uneanne en perspective, on est tent de se rfrer dabord au pass, ensuite dese projeter dans lavenir. Le monde de ce dbut du XXIe sicle rappelledavantage celui du dbut du XXe sicle que celui des dcennies rcentes,comme si le XXe sicle dans son ensemble navait t quun intermde. Parun enjambement historique, on retrouve une dualit comparable entre, dunct, une dynamique de la mondialisation lie lexpansion conomique et la libralisation des changes et, de lautre, des rivalits intertatiquesfondes sur la recherche de la domination ou sur la qute de lidentit. Enmme temps subsistent nombre de problmes internationaux lis aux effetsretard de la dcomposition des empires, cependant que la monte de lAsiesuscite lesprance des uns et linquitude des autres. On se soucie de laRussie, la Chine proccupe, lAfghanistan ne semble pas en mesure dtrepacifi, les Balkans interpellent, les arrire-petits-enfants de Theodor Herzl

    (4) Il en serait ainsi de la fameuse monte aux extrmes de Clausewitz, suivant Liddell Hart et, dansdes termes diffrents, Raymond Aron.

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    ne sont toujours pas en paix, les Etats-Unis prouvent toujours de la dif-ficult dfinir leur rle en dehors dune puissance qui cherche son objet.

    On est cependant bien loin du monde davant 1914. Plusieurs rvolutionstechnologiques nous en loignent, autant que les bouleversements politi-ques, les transformations stratgiques, la croissance conomique, lexplosiondmographique. Lordre du jour des relations internationales sest gale-ment transform. La confiance dans le progrs, hrite de la philosophie desLumires et du dveloppement des connaissances scientifiques, sest retour-ne. Elle a fait place de grandes peurs, avec notamment la thmatique durchauffement climatique, la crainte des grandes pidmies, la rarfactiondes ressources nergtiques, le terrorisme. En revanche, les rivalits entreEtats europens qui ont prcipit les grandes catastrophes du XXe sicleont t surmontes avec le processus de construction europenne. Le modleeuropen est devenu une alternative possible aux relations internationalesclassiques, mme sil na pas pour linstant fait cole hors du Continent. Ilnen est pas de mme pour les institutions universelles, mises en place aprsla Seconde Guerre mondiale, ONU et ensemble des organisations associes.Elles ont t plutt mises mal et nombreuses sont les interrogations surleur efficacit sans que pour autant on parvienne les rformer.

    Faut-il alors se projeter dans lavenir et discerner dans les donnes duprsent un nouveau monde en gestation? De nouveaux modes de gouver-nance sont-ils en voie dmergence, marginalisant les Etats, trop petits pourluniversel, trop grands pour le local, sortes de reliques barbares des tempsguerriers? Gouvernance associant entreprises, ONG, socits civiles, mouve-ments transnationaux, sachant poser seule les problmes densemble de lasocit internationale et prconiser les solutions quils appellent, au nom delhumanit devenue centre des relations internationales? Cette humanit ades biens communs, matriels ou incorporels les droits de lhomme, lascurit humaine, lenvironnement, les espaces internationaux Elle a ga-lement des demandes globales, la rgulation quilibre des changes, ledveloppement, la rpression des crimes internationaux, entre autres. AuxEtats den devenir les instruments, en renversant leurs priorits : loin dtreles reprsentants lgitimes et uniques dun groupe homogne, il leur faut seconvertir en agents de la mondialisation, simples instances locales dunegestion universelle de la socit internationale.

    Vision rvolutionnaire, puisquelle tend transformer et, au minimum, accompagner la mutation tant de la structure que des objectifs et de largulation de cette socit. Pour tre rvolutionnaire, elle nen est pasmoins tourne vers lharmonie, puisquelle repose sur linterdpendance etla solidarit des individus et des groupes. Cependant, deux autres concep-tions antagonistes contrarient ces analyses et le 11 septembre leur sert dervlateur. La premire met laccent sur les aspects ngatifs de la mondia-lisation en tant quelle est gnratrice de plus de contradictions, tensions,

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    conflits que dharmonie conflits de civilisation, terrorisme international,criminalit transnationale, anomie gnralise, Etats dfaillants, ingalitcroissante, au sein mme des socits tatiques, entre riches et pauvres,excs de population ici, dficit l, rchauffement climatique auquel nul nepeut apporter de remde efficace La seconde considre que, en ralit, lesinvariants du systme international sont toujours en place, derrire lesrideaux de fume ou les illusions de la mondialisation : permanence desEtats et de leurs rivalits, persistance des ingalits de puissance, contesta-tion de la domination dune puissance unique, qui ne semble pas en mesurede lgitimer sa supriorit en prenant en charge les questions universelles

    Il nest pas question de procder ici une description systmatique desdivers vnements qui ont marqu lanne 2007. La chronologie qui figuredans le prsent Annuaire permet de les recenser, de suivre leur droulementet de les replacer dans leur contexte, cependant quils donnent lieu desanalyses de fond dans le corps de louvrage. Le propos est davantage demettre laccent sur les quelques points qui semblent significatifs, en lessituant dans le cadre plus large qui a t chemin faisant dfini grandstraits : celui davant 1914, celui daprs 1945, celui daprs le 11 septembre,celui des perspectives que dessinent les visions diffrentes de lavenir desrelations internationales. Approche dautant plus ncessaire quaucun v-nement saillant, qui permettrait de distinguer un avant et un aprs, deconstater un tournant dans ces relations, ne parat stre produit. Cest audemeurant une observation gnrale qui peut tre ds maintenantformule : peut-tre en raison dune tendance au repli des socits tatiquessur leurs problmes intrieurs, ce sont davantage des situations ou des vo-lutions internes qui ont retenu lattention par exemple les perspectives dela prochaine lection prsidentielle amricaine ou russe ou, sur un plan pluslimit, llection prsidentielle franaise, sans oublier les tribulations dellection prsidentielle libanaise, pour ne retenir que des donnes institu-tionnelles. Il en rsulte que lattentisme semble dominer sur le plan inter-national. Bref, entre le poids des problmes du pass et les craintes pourlavenir, la gouvernance internationale semble entre dans une priode delatence que certains peuvent tre tents de qualifier dimpasse.

    Le poids des problmes du pass :tensions, crises, conflits

    Aucune conflagration importante na marqu 2007. Pour autant, aucunedes crises ou des conflits en cours na non plus trouv de solution. Des vo-lutions ont t enregistres, mais les progrs nots ici en Core du Nord,avec lapaisement de la tension lie au programme nuclaire; en Libye, avecle retour du rgime Kadhafi une certaine normalit internationale, sym-bolise par la libration des infirmires bulgares dtenues depuis de longues

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    annes sur la base daccusations improbables ont t compenss par desdceptions ailleurs impossible libration des plus importants otages rete-nus en Colombie, spcialement Ingrid Betancourt; stagnation en ce qui con-cerne les activits nuclaires de lIran Dans le mme esprit, les progrsrelatifs accomplis en matire de scurit en Iraq sont contrebalancs par ladtrioration de la situation militaire en Afghanistan. Lpicentre de lamenace islamiste radicale sest dplac vers le sud du pays et vers les zonestribales du Pakistan. Lassassinat de Benazir Bhutto la fin de lanne sou-ligne la fragilit politique de ce dernier pays, thoriquement alli des Occi-dentaux. Six ans aprs le 11 septembre, les deux actions militaires essen-tielles conduites par les Etats-Unis, avec lOTAN pour lAfghanistan,semblent loin de pouvoir dboucher sur un retour la paix, sur la recons-truction civile et politique des pays occups ou librs, suivant les pointsde vue. Aucun continent nest pargn par les situations dangereuses, voireouvertement conflictuelles.

    Le Proche et Moyen-Orient

    Si on commence par les problmes lancinants du Proche et Moyen-Orient,entendu au sens plus large de Greater Middle East, de lAfghanistan auMaghreb en passant par le Pakistan et lIran, linscurit reste dominante,avec une conflictualit rampante ici, ouverte l, mme si cest de faonintermittente et asymtrique. Le cur du problme, le conflit isralo-pales-tinien, est marqu par laffaiblissement de tous les protagonistes. Isral nesort pas dune logique scuritaire qui le conduit utiliser avant tout laforce arme, malgr les checs rpts des tentatives antrieures, au Libanpour la dernire en date. Les Palestiniens sont plus diviss que jamais, leHamas (5) ayant pris manu militari le contrle de la bande de Gaza audtriment de lAutorit palestinienne, qui se limite une Cisjordanie trouede colonies de peuplement israliennes toujours en expansion, relies pardes routes stratgiques, et isole par un mur qui la transforme en une sortede bantoustan. Quant aux intervenants extrieurs, la Confrence dAnna-polis, fin 2007, aux Etats-Unis, a bien prvu un rglement facilit par lacommunaut internationale dici un an, avec un trait de paix et un Etatpalestinien pour 2008, mais qui y croit? La seule perspective semble treque chacun veut viter leffondrement des structures palestiniennes tout enisolant le Hamas, tandis que ngociations, attaques sur Isral suivies dereprsailles se poursuivent as usual.

    Pour autant, de plus en plus nombreux sont ceux qui sont convaincus, ycompris aux Etats-Unis, que la rsolution du conflit isralo-palestinien estla clef du retour la stabilit au Proche et Moyen-Orient, au sens troit

    (5) Vainqueur du scrutin populaire en 2006, le Hamas sest rapidement oppos au Fatah. Cest dans lamesure o le Fatah a ensuite tent de le chasser de Gaza par les armes que le Hamas a pris le contrle dela zone.

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    cette fois-ci. La situation militaire en Iraq parat meilleure, en raison delaccroissement des effectifs amricains sur place the surge que ladmi-nistration Bush est parvenue imposer un Congrs domin par les Dmo-crates, et du ralliement de tribus sunnites, en dpit de la pendaison de Sad-dam Hussein, tribus hostiles Al Qada et aux militants trangers qui serclament de lui. Toutefois, rien nest rgl sur le fond, ni sur le plan poli-tique, ni mme sur le plan de la scurit, et la socit iraquienne restedmembre. Aucune voie de sortie amricaine ne se dessine, alors que diversmembres de la coalition de 2003 se retirent discrtement, le Royaume-Unintant pas le dernier. En revanche, les menaces dintervention turque pourrduire les autonomistes kurdes dans les confins frontaliers font craindreune autre forme dextension du conflit (6). Quant au Liban, vacu par laSyrie, thoriquement garanti par une FINUL renforce la suite de lchecde lintervention isralienne de 2006, il reste sous la pression du Hezbollahcomme de la Syrie et nest pas parvenu lire un Prsident en dpit delactivisme de la diplomatie franaise, signe de la fragilit des compromisqui maintiennent une paix civile prcaire. La constitution, par les NationsUnies, du tribunal international charg de juger les responsables de lassas-sinat de R. Hariri, ancien Premier ministre, na certes pas contribu cal-mer le jeu nouvelle illustration du dilemme classique entre justice et paix.

    Hezbollah, Hamas, Iran, Syrie Si aucune alliance formelle nexisteentre ces acteurs du jeu moyen-oriental, ils convergent au moins ngative-ment dans leur hostilit tant Isral quaux Etats-Unis. Chacun deux ases objectifs propres, tatiques, idologiques ou religieux, chacun deux ases moyens et ses terrains daction, mais chacun deux est marqu par laradicalit, radicalit consolide par ceux des pays occidentaux qui se refu-sent toute ngociation avec eux. Il est vrai quils ne sont pas unanimessur ce point et que toute une gamme dattitudes pourrait tre analyse mais dans limmdiat les rsultats sont les mmes : on ne parvient pas engager ces entits dans des ngociations utiles et, dans une sorte de pokermenteur, on passe de la menace lapaisement pour revenir la pression,en affirmant que toutes les options sont sur la table. Pour les Occidentaux,cest le programme nuclaire iranien qui parat le plus dangereux, mme sila confusion lemporte sur ce plan. Si, politiquement, certains insistent surla ralit de la menace, elle est techniquement conteste, y compris par lesagences de renseignement aux Etats-Unis. Que croire? Gagner du tempssemble lalibi de lincertitude, sans quon puisse dire qui ce temps profite.En outre, le programme nuclaire iranien na pas quune dimension rgio-nale. Le placer sous contrle, ventuellement larrter constitue plus large-

    (6) Le Parlement turc a autoris en octobre 2007 les forces turques entrer en Iraq pour y pourchasserle PKK, mouvement autonomiste kurde, auteur dactes terroristes en Turquie. Les troupes turques ontensuite utilis cette autorisation aprs des incursions du PKK.

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    ment un test pour lensemble de la politique internationale de lutte contrela prolifration on y reviendra un peu plus loin.

    LAfrique

    LAfrique demeure sur le terrain de la scurit un continent livr lala,comme un immeuble lzard dont on ne consolide un mur que pour dcou-vrir une fuite deau, et on spuise colmater des fissures avec les moyensdu bord, petits moyens la mesure de la perte de capacit ou dintrt quicaractrise les anciennes puissances coloniales et, plus largement, lEuropedans son ensemble. Face ce dsengagement, lAfrique est le terrain dlec-tion de laction humanitaire, de celle des ONG, qui tendent parfois syconduire comme en terrain conquis, ainsi que la montr la triste quipede lArche de Zo, la fin 2007. Afrique centrale, rgion des Grands Lacsont bien du mal revenir la normale en dpit de linvestissement des ins-titutions internationales et la solution heureuse dun conflit comme celui dela Cte dIvoire laisse presque immdiatement la place aux affrontementsinternes au Kenya, les deux pays ayant en commun davoir un temps tconsidrs comme des russites de la dcolonisation. Dans cette situationtrouble que lAfrique ne peut surmonter par ses propres forces, les Etats-Unis, la Chine, lInde, dautres puissances mergentes sont tents doccuperdes positions laisses vacantes mais la scurit, le retour la stabilit parla dmocratisation, la promotion des droits de lhomme et lassistance pourle dveloppement ne sont nullement leurs priorits.

    Ils y recherchent plutt matires premires, sources dnergie, voire, pourla Chine, dversoir pour une population surabondante. Dans ces conditions,aucune raison de chercher assurer le salut de lAfrique malgr elle.Laffaire du Darfour est exemplaire cet gard : si les pays occidentaux,particulirement les anciennes puissances coloniales europennes en Afrique,sont proccups par les exactions systmatiques qui affectent la population,avec la tolrance, voire la complicit, du gouvernement central soudanais,leur compassion ne va pas jusqu un engagement militaire actif pour lesfaire cesser. Lhumanitaire devrait y pourvoir et, sil est insuffisant, desoprations de paix pour le garantir. A la limite, pour fermer le champ delinscurit, on protge les frontires des voisins, spcialement du Tchad. Enrevanche, il est plus difficile de mobiliser une force internationale efficace,mme europenne, et chacun de traner les pieds (7). Certes, on a saisi laCour pnale internationale et on sest rjoui du soutien amricain qui con-trastait avec lhostilit de principe des Etats-Unis lgard de la CPI.Cependant, ntait-ce pas une dfausse, lalibi de linaction, que de se repo-ser sur une juridiction qui semble bien incapable de dissuader, voire de

    (7) Le Conseil de scurit a dcid, par la rsolution 1 769 (31 juil. 2007), lenvoi au Soudan dune forcehybride, internationale et africaine, mais sans gure de rsultat pratique. Quant la protection des fron-tires du Tchad par une force dominante europenne, sa constitution marque encore le pas.

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    rprimer efficacement? A linsuffisance, linadaptation, voire lhypocri-sie des bonnes intentions affiches soppose le pragmatisme affairiste desnouveaux venus. Trade, not aid pourrait tre leur devise, complte parlindiffrence lgard des formes et des pratiques des gouvernementslocaux, attitude qui convient trs bien ces derniers.

    LEurope

    Quant lEurope, entendue au sens paneuropen, elle nest certes passous la menace dun conflit ouvert. Lrosion brve chance, en terme descurit, se situe la priphrie de lUnion europenne, avec laffaire duKosovo dun ct et les interrogations au sujet de la Russie de lautre. Pourle Kosovo, on sait quune sortie du rgime actuel, sorte de tutelle interna-tionale sous la double responsabilit de lONU et de lUE, tait attenduepour 2007. En dpit toutefois des pressions et des promesses, rien na pujusqu prsent faire cder la Serbie, qui se refuse consentir lindpen-dance dune province dont elle sestime irrgulirement dpossde. Ellebnficie du soutien de la Russie, qui menace dutiliser le prcdent dunescession force du Kosovo pour soutenir lindpendance de territoires rus-sophones fragments dans divers anciens morceaux de lURSS. Le risque,pour les Etats-Unis et la grande majorit des pays de lUE qui soutiennentla revendication dindpendance du Kosovo, est la fois politique et scu-ritaire. Politique, puisque le nouvel Etat ne pourrait tre admis auxNations Unies du fait du veto russe et risquerait de provoquer une cascadede revendications du mme ordre de la part de communauts ethnico-cul-turelles quon rencontre partout en Europe. Scuritaire, dabord parce quece nouvel Etat semble bien peu apte se gouverner rgulirement lui-mme, ensuite parce que son indpendance risque de relancer linstabilitbalkanique et de ractiver les conflits lis au dmembrement de la Yougo-slavie. La question reste ouverte mais elle est exemplaire de comporte-ments diplomatiques qui se contentent de solutions court terme, enremettant dautres quipes le soin de rsoudre les questions de fond. Latutelle inavoue de 1999 renvoyait la difficult plus tard, puisquellentait que provisoire. Le Kosovo revient maintenant comme un boomerang.

    Les craintes pour lavenir : thmes et dbats

    De faon gnrale et pas seulement sur le registre de la scurit, le climatdes relations internationales est depuis plusieurs annes marqu par lamfiance mfiance entre Etats, mfiance lgard des institutions inter-nationales, mfiance des opinions publiques lgard de leurs gouverne-ments. Sans doute ces craintes sont-elles habituelles et la rumeur publiqueest-elle souvent tourne vers la lamentation, qui parfois fait place lindi-

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    gnation. Les mdias savent entretenir et tirer profit de cette attirance pourles mauvaises nouvelles. Les gouvernements aussi, dans une certainemesure, parce que la peur est toujours un instrument du pouvoir et quellepeut rendre docile. En loccurrence, cette mfiance ne repose pas ncessai-rement sur de mauvaises raisons. Quil sagisse des risques de prolifrationdes armes nuclaires et, plus largement, des armes de destruction massive,quil sagisse du terrorisme, on ne voit pas apparatre dclaircie dcisive, onna pas mis au point de stratgies de prvention ou de raction qui limi-nent le danger. La menace de violence, paroxystique ou non, rde toujours.La question de la paix ou de la guerre demeure centrale pour les relationsinternationales, contrairement aux esprances quavait pu faire natre la finde laffrontement Est-Ouest. Mme si on aborde les relations substantielle-ment pacifiques, celles pour lesquelles la coopration, voire la solidarit, sesubstituent la course aux armements, lobservation arme ou la traquedes mouvements terroristes, on est frapp par les incertitudes de la mon-dialisation, comme par les craintes suscites par la nature mme, ou plusexactement par linfluence de lhomme sur la nature, avec le thme durchauffement climatique.

    Prolifration des armes nuclaires et menace terroriste

    En termes de menace globale, les questions lies la prolifration desarmes nuclaires et la menace terroriste sont dsormais associes. Elles nele sont pas tant objectivement que subjectivement. Objectivement, en effet,il y a peu de risques que des armes nuclaires, ou mme des matiresnuclaires dangereuses pouvant tre utilises pour des attentats tombententre les mains dacteurs non gouvernementaux, en clair de mouvementsterroristes. Aucun Etat ny a intrt, parce quil risquerait den tre la pre-mire victime ou de subir les redoutables consquences de sa complicit. Enrevanche, subjectivement, on constate que les Etats dont on redoute la pro-lifration ou lassistance la prolifration dautrui sont suspects soitdencourager des activits terroristes, soit dtre laxistes leur gard. Dola polarisation des rponses sur ces menaces associes : ds 2004, le Conseilde scurit adopte la rsolution 1 540 sur la lutte contre lacquisitiondarmes de destruction massive par des acteurs non gouvernementaux et,depuis plusieurs annes, les Etats-Unis ont pris la tte dun groupe dEtatsluttant contre le mme pril, avec lInitiative de scurit contre la prolif-ration (PSI). Cependant, la question iranienne ne relve pas dun traite-ment aussi gnral et abstrait : lIran a mis profit une faiblesse du Traitsur la non-prolifration des armes nuclaires (TNP), auquel il est partie, enengageant un programme denrichissement de luranium qui nest pas for-mellement interdit par ce Trait; avec une grande habilet, il est parvenu diviser la socit internationale ce sujet et son attitude soulve des pro-blmes qui dbordent de loin sa situation propre.

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    Cest que le TNP, entr en vigueur en 1970 et prorog pour une dureindfinie en 1995, na pas t en mesure darrter compltement cette pro-lifration. Il la certes efficacement limite, mais lui-mme comporte seslimites. Dabord, les Etats qui ny sont pas partie demeurent libres lInde,Isral, le Pakistan en ont tir profit. Ensuite, les mcanismes tenant lieu devrification ont t longtemps insuffisants lIraq, puis la Core du Nord,Etats parties, lont dmontr. Enfin, mme en respectant formellement sesdispositions, on peut acqurir une capacit nuclaire, puisque lenrichisse-ment de luranium, condition dobtention des matires fissiles indispensa-bles, nest pas interdit. A une poque o lnergie nuclaire civile devientune alternative montante aux hydrocarbures, le risque de voir ce moyen decontournement lgal du TNP se multiplier est croissant. Cependant, pourlinterdire, il faut mettre en cause les intentions. Il faut en outre obtenirune dcision du Conseil de scurit, avec les alas que comporte lententeentre les membres permanents, la fois Etats dots darmes nuclaires etfort intresss par lnergie nuclaire civile, donc en comptition sur ceplan. Do la recherche dune stratgie pacifique, qui permettrait de prve-nir le dtournement des fins militaires de matires fissiles, confortant ainsile TNP, sorte de relique civilise. Elle suppose des mesures coercitives con-tre lIran, en mme temps avertissement pour tous les Etats tents de limi-ter, qui le conduiraient modifier son comportement. Elles existent, maisni la Chine ni la Russie ne sont presss de les durcir.

    A dfaut, les Etats-Unis brandissent la menace dune action militaire,seuls ou avec dautres, et beaucoup pensent que ce serait le seul moyen deprempter une opration isralienne. On est rest en 2007 dans cette qui-voque condamnation de toute prolifration ultrieure, gamme de moyensouverts, incertitude quant leur emploi. De la mme manire, on reste danslquivoque avec le projet amricain dinstallation de systmes antimissilessur le territoire de pays europens ex-communistes, Pologne et Rpubliquetchque. Ils sont officiellement destins rpondre la menace virtuelle demissiles iraniens, voire dautres pays, pouvant atteindre le territoire desallis europens. Cependant, la signification du projet est beaucoup plusouverte. Il met profit le sentiment dhostilit lencontre de la Russie dela part de certains pays dEurope centrale anciennement sous dominationsovitique. Il divise au passage lUnion europenne (UE), non consulte surun sujet qui la concerne au premier chef et tout autant lOTAN, qui estcense concourir la scurit de lEurope et nest pas davantage consulte.Il rappelle la vassalisation de lEurope en terme de scurit. Surtout, ilconstitue un dfi lgard de la Russie, qui est et, surtout, se peroitcomme une cible potentielle de ces systmes. Sagit-il de la contraindre pouser les vues amricaines sur la menace iranienne? Ou de recrer unesorte de guerre froide, contraire toute lentreprise plus que trentenairede la CSCE devenue OSCE? La rplique ne sest pas fait attendre et elle est

  • 2007 : un bilan 11

    concrte, alors que les systmes antimissiles nen sont toujours quau stadedes projets. La Russie a adopt une posture plus offensive, suspendu leTrait FCE qui limite les armements classiques en Europe, rintroduit lesvols stratgiques et multipli les manuvres navales. Venant aprs lentredans lOTAN de nombre danciens pays communistes, on comprend que laRussie puisse prouver un sentiment obsidional (8).

    La mondialisation

    La mondialisation, dont la signification est essentiellement conomique,puisquelle passe avant tout par la libration des changes, mme si elledploie ses effets sur de nombreux terrains culturels, technologiques,sociaux, voire politiques est vcue de faon contraste par les acteursinternationaux. On connat les bnficiaires, Etats-Unis, les dsormaisfameux BRIC (Brsil, Russie, Inde, Chine), divers autres pays mergents,souvent en dveloppement. On connat aussi ceux qui doivent sajuster unnouveau partage international du travail et qui souffrent de cette phase detransition, notamment sur le plan social, avec les dlocalisations, mais aussiavec laugmentation gnrale du prix de lnergie et des matires premires.En 2007, la mondialisation a plutt marqu le pas, sur divers plans. Surcelui de sa rgulation, en raison des retards de lOMC parvenir de nou-veaux accords, mais aussi du fait de la perte de contrle des autorits publi-ques sur les instruments de leur conomie. Sur le plan conomique, avec labataille montaire, la sous-valuation du dollar comme de la monnaie chi-noise face leuro, qui perturbe les conditions de la comptition internatio-nale. Depuis longtemps, il nexiste plus de systme montaire internationaldigne de ce nom et la nomination de D. Strauss-Kahn la tte du FMI nychangera probablement rien. Sur le plan boursier, puisque lconomie inter-nationale se fait largement la corbeille au sens mtaphorique, puisquilsagit de jeux dordinateurs et quelle est tributaire la fois dinvestis-seurs industriels et de banques qui rpartissent le danger au dtriment desautres, comme le dmontre la crise des subprimes, avec laquelle des ban-ques amricaines ont export leurs risques et diffus leurs pertes.

    2007 a donc soulign les dfauts plus que les avantages de la mondialisa-tion, tout au moins pour les pays europens. Le dveloppement des fondssouverains contrls par les Etats ne consolide pas, du moins pour lins-tant, la position de lEurope dans cette comptition drgle. Si la mondia-lisation a jusqu prsent favoris lconomie amricaine, en lui permettantde vivre crdit du fait de la prpondrance du dollar dans les changes

    (8) L, ne se limitent pas les sources de la mfiance russe, qui met en cause laction des pays occidentauxet de diverses ONG qui en proviennent en faveur de la dmocratie, en Ukraine ou en Gorgie notamment.La Russie exerce des pressions conomiques et politiques sur ces pays et a fortement limit sur son propreterritoire laction des ONG extrieures et mme de services culturels britanniques, comme le BritishCouncil. Cette dernire question est lie laffaire Litvinenko, lassassinat dun ancien agent russe Londres,qui fait lobjet dun contentieux diplomatique entre les deux pays.

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    internationaux, elle conduit aussi internationaliser ses crises et, la fin2007, lombre dun krach boursier pse sur lensemble des conomies. Per-sonne nen serait alors protg. De faon plus gnrale, au-del de la com-ptition entre firmes transnationales pour la conqute des marchs etpour labsorption de leurs concurrents , cest une nouvelle goconomie quisemble se dessiner, avec laccroissement de la comptition pour les ressour-ces nergtiques et naturelles. Elle ouvre de nouveaux espaces lexploita-tion conomique, notamment dans la zone arctique, qui suscite dores etdj des rivalits entre Etats-Unis, Russie, Canada. LAfrique, on la not,devient galement un continent attractif en raison de limportance et de lavarit de ses ressources et les puissances mergentes sy prcipitent, remet-tant en cause la prpondrance traditionnelle de lEurope comme ses prio-rits en matire de dmocratisation et de droits de lhomme. Moins visible,la question des fonds marins et celle de la scurit des routes maritimes pro-mettent de sactualiser, puisque la recherche de nouvelles ressources et lascurisation de leur exploitation comme de leur acheminement ne manque-ront pas de simposer.

    Changement/rchauffement climatique

    La thmatique et le dbat les plus spectaculaires en 2007 ont cependantconcern les questions lies lenvironnement, avec les interrogationsautour du changement climatique, ou du rchauffement climatique. A vraidire, dbat nest pas le terme le plus appropri en loccurrence, puisquilsest beaucoup plus agi dune campagne mdiatique. Elle sest fonde sur lesdclarations et les admonestations de groupes scientifiques, notamment lefameux GIEC, Groupe intergouvernemental des Nations Unies dexpertssur le climat, et dun ensemble dONG prvoyant son de trompe une sortedapocalypse climatique, dans un climat de fin du monde annonce qui nemanque pas dvoquer Philippulus le prophte dans LEtoile mystrieuse duregrett Herg. Malheur qui ne reprend pas lantienne et qui, suivantpourtant le principe cologique de prcaution ou encore fidle aux prescrip-tions de la prudence scientifique, ne suit pas le troupeau! Un prix Nobeldont lancien vice-Prsident amricain Albert Gore a t cette anne le rci-piendaire symbolique a officialis la doctrine du rchauffement climatiqueet la hisse au premier rang des proccupations de lhumanit. Cette doc-trine comporte un diagnostic en deux propositions une lvation rapidedes tempratures de la terre est en train de se produire et de sacclrer sousnos yeux; elle est due lactivit humaine, notamment une consomma-tion excessive dnergie fossile, qui accrot le taux de gaz carbonique danslatmosphre, provoquant ainsi un effet de serre.

    Aucune des consquences de ces deux propositions nest pourtant tabliesur le plan scientifique, sans parler des propositions elles-mmes. Prtendrepar exemple que le niveau des mers montera de six sept mtres en moins

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    dun sicle ne peut videmment pas se rclamer dune quelconque dmons-tration scientifique (9). Donner penser que le rchauffement, sil se pro-duit, sera gnral et indiffrenci relve de la simplification, voire delimposture. Ce qui parat certain, du moins en 2007, cest quune propa-gande systmatique et bruyante est parvenue en convaincre lopinion et conduire les gouvernements prendre la doctrine en considration. Jointau dveloppement durable, le rchauffement climatique est devenu unesorte de vulgate internationale, une idologie transnationale de substitutionaux grandes utopies prcdentes, socialisme, droit du dveloppement uneidologie qui remplace lesprance par la crainte. Au passage, il serait int-ressant de sinterroger sur ces campagnes mdiatiques qui ressuscitent lesgrandes peurs dOccident, desprit millnariste et bien loignes de la rigueurscientifique dont elles se rclament , comme si les mdias sentranaient tester leur capacit de persuasion et dendoctrinement des opinions publi-ques. Elles lont dj fait avec la peur des pandmies, autres enfants terri-bles de la mondialisation, grippe aviaire ou SRAS, phnomnes plus objec-tivement constatables, mais qui sont rests limits, alors quon annonaitdes millions de victimes virtuelles. Avantage collatral, la doctrine permetdoublier les pollutions les plus visibles, celles contre lesquelles on pourraitlutter efficacement.

    Pour revenir au rchauffement climatique, le dbat porte quant lui surles remdes apporter. La doctrine constate linsuffisance des mesures pri-ses jusqu maintenant, spcialement lchec du Protocole de Kyoto, untemps considr comme solution ncessaire. Dsormais, deux tendancessaffrontent plus clairement. Celle, dinspiration malthusienne, qui critiquela gourmandise des conomies industrielles et prconise la diminution de laconsommation, retrouvant les thses du Club de Rome voici prs de qua-rante ans. Lautre, dinspiration technologique, considre que le dveloppe-ment conomique et les ruptures technologiques permettront de surmonterles problmes mmes quils posent, avec des nergies moins ou non polluan-tes. Grossirement, les ONG et nombre de pays europens dun ct, lesEtats-Unis de lautre : les intrts conomiques viennent immdiatementinterfrer avec les proccupations cologiques. Il existe enfin une troisimetendance, celle des conomies mergentes, qui considre quil ne convientpas dentraver leur dveloppement par des mesures de contrainte. Dans cecontexte, la Confrence de Bali sur le climat, fin 2007, nest parvenue quun accord de procdure : on en reparlera plus tard, en 2009, Copenhague.Dores et dj, il parat clair que les plus grandes puissances conomiques,surtout les puissances mergentes, ne se laisseront pas imposer des contrain-tes qui entraveraient leur dveloppement. Il est trop tt pour parler

    (9) Ces assertions ne sont au demeurant avalises ni par le GIEC, ni par les gouvernements. A les ana-lyser, les travaux du GIEC sont plus prudents, mais ils ne peuvent que difficilement tre dgags de lexploi-tation qui en est faite.

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    dimpasse mais cette impossibilit de trouver un accord sur le fond sou-ligne les carences de la gouvernance internationale, dont 2007 a fourni, onla vu, de multiples exemples.

    La gouvernance introuvable

    Le terme de gouvernance est devenu usuel depuis quelques annes pourdsigner un ensemble dinstances, de procdures et de rgles qui assurentlorientation et la gestion dune collectivit et de ses activits. Il a t plusprcisment employ sur le plan international, la fois pour constater unecarence il ny a pas de gouvernement international au sens institutionneldu mot et pour y porter remde : la convergence de rseaux privs,dautorits publiques, de mouvements spontans, qui saccordent de faonplus ou moins informelle sur des problmatiques communes puis sur dessolutions consensuelles ralise une gouvernance de fait. La demande de gou-vernance est dautant plus forte que lidentification de problmes globaux,quaucun Etat, voire aucun groupe dEtats ne peut rgler lui seul, estcroissante. Leur solution suppose solidarit et universalit. Eviter le chocdes civilisations ou, plus simplement, les tendances au repli de chaquesocit sur elle-mme et pour cela substituer la confiance la mfiance,matriser les flux migratoires, grer les biens communs soustraits aux sou-verainets tatiques, dfinir les rgles de la coopration internationale etdes changes, faire en sorte que la comptition ne dbouche pas sur desrivalits conflictuelles Si on en reste au plan universel car la prfrencepour les solutions rgionales est une autre forme de repli , on peut distin-guer trois modes de gouvernance qui sont pragmatiquement luvre, plusou moins complmentaires, plus ou moins en concurrence. Le premier adomin le XXe sicle, cest le multilatralisme; le second a caractris labrve priode de la post-Guerre froide, cest lunipolarit, unipolarit aubnfice ou la charge des Etats-Unis formule que certains souhaitent etque dautres redoutent; le troisime, la multipolarit, est le plus proche dudsordre ds lors quil nest pas rgularis et institutionnalis. Force est deconstater quaucun de ces modes nest aujourdhui dominant, ni en mesurede raliser une gouvernance efficace.

    Multilatralisme

    Le multilatralisme, dans son double volet institutionnel et normatif, estpour le moins en lthargie. Sur le plan institutionnel, il sagit des NationsUnies et de leurs institutions spcialises. LONU na certes pas disparu etle Conseil de scurit a notamment retrouv des couleurs au cours desannes rcentes, en partie grce un rinvestissement amricain. Cepen-dant, ce rinvestissement, ce recours aux mcanismes onusiens, est fait dans

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    un esprit instrumental : les Nations Unies et ses organes ou agences sontconsidrs non comme des instances de dcision autonome, mais comme desoutils qui disposent de moyens juridiques et oprationnels utiles. Dans cetesprit, le nouveau Secrtaire gnral de lONU, Ban Ki-moon, a bien joule jeu et plutt favoris la prise de contrle de lappareil de lOrganisationpar les Etats-Unis et leurs allis les plus proches. En outre, limpossibilitpratique de rformer le Conseil de scurit en largissant sa compositioncontribue affaiblir sa lgitimit. LONU vit toujours sur les bases dfiniesen 1945 : on peut aussi bien saluer sa rsilience que dplorer son incapacit sadapter. Quant au multilatralisme normatif, la rserve amricaine son sujet a contribu dbiliter nombre de conventions en vigueur, tout enentravant la conclusion de nouvelles. Parmi les victimes, le Trait surlinterdiction complte des essais nuclaires, le Protocole de Kyoto, la Con-vention sur llimination des mines antipersonnel, la Convention sur la Courpnale internationale Les trois derniers avaient mobilis en leur faveurdes coalitions dONG trs actives et on pouvait penser quun multilatra-lisme dun nouveau type tait en voie dofficialisation. La formule en estplutt en voie dessoufflement, comme le montrent le rsultat mitig de cesconventions et limpossibilit den conclure de nouvelles, comme la illustrla Confrence de Bali sur le climat. Plus largement, lessoufflement est aussicelui des ONG, dont laction humanitaire montre ici ou l ses limites.

    Unipolarit

    Si les Etats-Unis disposent ainsi dune capacit efficace dempcher quene prosprent des rgulations internationales qui nauraient pas leur con-cours, peuvent-ils tout le moins, dans une logique dunipolarit, assumerle leadership de la socit internationale, prendre linitiative de projets deporte universelle qui polariseraient un consensus positif? Aprs la fin de laGuerre froide, beaucoup lont attendu et certains espr. Dans un premiertemps, les Etats-Unis ne lont pas vraiment souhait. Depuis le 11 septem-bre et jusqu maintenant, ils en ont rcus la perspective, recherchantavant tout une totale libert daction et prfrant opposer amis et ennemisplutt que de rassembler autour de projets communs. Cette attitude achang profondment la perception internationale des Etats-Unis, tandisque les tribulations diplomatiques et militaires de laffaire iraquienne sou-lignaient la fois leur isolement et leur affaiblissement relatifs. Nombreuxsont dsormais ceux qui escomptent la poursuite de cet affaiblissement etse positionnent en consquence. Le rapprochement post-lections prsiden-tielles de la France ne semble pas lui seul en mesure de renforcer leur posi-tion. Il faudra probablement attendre llection prsidentielle de 2008 auxEtats-Unis pour voir se dessiner un nouveau cours de la politique extrieureamricaine, mais il nest nullement assur quil dbouchera sur une rvisiondchirante. Le sentiment des milieux dirigeants, appuys par les nombreux

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    think tanks actifs en matire internationale, est celui dune suprioritessentielle des Etats-Unis et dune singularit qui les distingue du mondeentier. Ds aujourdhui, les Etats-Unis acceptent les coalitions, parfois lesactions institutionnelles, et ne sinterdisent rien par principe sauf ce quientrave leur libert daction. Mme lorsquils jouent le jeu du multilatra-lisme Conseil de scurit, OMC , les Etats-Unis gardent une porte de sor-tie et continuent daffirmer quils ne seront jamais en dernier ressort lispar des dcisions qui nmaneraient pas deux-mmes.

    Multipolarit

    Reste donc la multipolarit, le moins organis des modes, celui qui partde lacceptation dune pluralit de ples de puissance sans dnominateurcommun. Mme ingaux et asymtriques, les uns militairement dominants,les autres conomiquement, certains dynamiques, dautres stagnants, ilspeuvent saccorder sur la base dun quilibre consenti. Au XIXe sicle, iltait la rfrence explicite de lEurope continentale et le Royaume-Uni enconstituait la balance. Aujourdhui, les Etats-Unis le rcusent, comme syno-nyme dinstabilit et de dsordre, comme vieux modle europen qui a faitfaillite. Mais leur abandon de fait du leadership international, leur incapa-cit imposer leur volont lensemble des autres Etats et leur indiffrence lgard du multilatralisme orientent, volens nolens, vers un modle de cetype. Les partenaires en seraient, outre eux-mmes, la Chine, lInde, puis-sances mergentes, la Russie, puissance renaissante, lUnion europenne,dautres groupes encore, qui demeurent actuellement gomtrie variable.Dans cet ensemble htrogne, la Chine, lInde, voire la Russie, rejoignentles Etats-Unis dans la mfiance lgard des rgulations internationales,proccups que sont ces Etats dassurer dabord leur monte en puissance,conomique, technologique et militaire, suivant les canons les plus tradi-tionnels (10). Derrire la polysynodie des confrences, conseils, runionsmultiples, au-del de la bureaucratisation des relations internationales, onretrouve une logique fondamentale daffirmation de soi-mme.

    LUnion europenne incarnerait un modle alternatif de puissance, repo-sant sur la promotion de valeurs pacifiques, dmocratiques, droits delhomme et Etat de droit mais aussi sur la bureaucratisation, lhyper-rglementation et la judiciarisation des relations entre ses membres. Il luifaut en premier lieu consolider ses institutions et son identit, ce que rali-sera peut-tre le rcent trait dit simplifi, en cours de ratification (11). Illui faut encore retrouver sa vigueur conomique. Il lui faut enfin avoir les

    (10) La Chine dveloppe par exemple une forte activit spatiale, avec lambition denvoyer un hommesur la Lune vers 2020.

    (11) Le Conseil europen a adopt en juin 2007 le trait dit simplifi, succs la fois de la prsidenceallemande et de Nicolas Sarkozy, prsident franais nouvellement lu. Il a t ensuite sign LisbonneLe dpart de Tony Blair laisse toutefois la place de Premier ministre britannique une personnalit, GordonBrown, connue comme plus euro-sceptique.

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    moyens dexporter ses valeurs, de convaincre les autres Etats du caractreuniversel et bnfique de son modle, ce qui est loin dtre garanti. Lestroubles que suscitent dans divers pays les oprations lectorales ne sontgure encourageants de ce point de vue et la dmocratisation ne donne quetrop souvent lieu des manipulations multiples. Lune des carences de lamultipolarit est en effet quelle laisse en jachre nombre de petits Etats ceux qui nintressent pas les grands partenaires et qui demeurent desobjets plus que des acteurs des relations internationales. Lalternative estalors pour eux de saligner ou de risquer de devenir des Etats dfaillants,voire un champ clos de la rivalit des grands. La multipolarit ignore ga-lement les problmes universels ou ne les traite quen fonction des intrtsparticuliers des grands partenaires. Entre eux, des ajustements sont tou-jours possibles, mais ils restent prcaires.

    Axe transatlantique

    Une autre formule pourrait-elle consister en la consolidation ou la renais-sance dune communaut transatlantique, utilisant le cadre de lOTANmais en largissant les objets tant sur le plan de la scurit que de lcono-mie, avec par exemple une zone de libre-change transatlantique? Un rap-port rcent, Towards a Grand Strategy for an Uncertain World, manantdanciens chefs dtat-major des grands pays occidentaux, se prononce ence sens (12). Il se concentre sur une nouvelle architecture de scurit, quicomprendrait trois piliers, les Etats-Unis, lUE et lOTAN ce qui signifiedouble vote pour les Etats-Unis. Sans quon puisse ici lanalyser plus avant,il est clair quil prend acte de laffaiblissement amricain dun ct, tentedviter une distanciation entre Europe et Etats-Unis de lautre et cherche ranimer une relation institutionnelle entre eux. Il est symptomatiquedune certaine militarisation des relations internationales quune telle tudemane de militaires de haut rang, alors mme quelle traite dun sujet hau-tement politique la grande stratgie. Sa mise en uvre rtablirait unleadership amricain, quelles que soient les prcautions de langage cesujet, mais ne manquerait pas de crer de nouvelles lignes de clivage dansle monde amorces par un repli des pays occidentaux sur leur espace tra-ditionnel et par une posture de dfi implicite lgard de ceux qui, lext-rieur, nauraient plus le choix quentre saligner ou sopposer.

    (12) Towards a Grand Strategy for an Uncertain World Renewing Transatlantic Partnership, NoaberFoundation, 2007. Rapport prpar par danciens chefs dtat-major allemand (Klaus Naumann), amricain(John Shalikashvili, britannique (The Lord Inge), franais (Jacques Lanxade) et nerlandais (Henk Vanden Breemen).

  • ETUDES :LES RELATIONS INTERNATIONALES

    DANS LE DSORDRE

    Postures tatiquesLes situations conflictuelles et leurs prolongements

    Laction des institutions internationalesRelations internationales et acteurs privs

  • POSTURES ETATIQUES

    Robert S. LitwakLes Etats-Unis : un rogue State?

    Eric DubessetLhgmonie tats-unienne lpreuve du no-bolivarisme vnzulien

    Isabelle Saint-MzardInde, Chine : quels quilibres en Asie

    Guy FeuerLe retour des Non-Aligns sur la scne internationale.

    Changement dans la continuit

    Renaud DehousseLa France et lEurope : continuit ou rupture

  • LES ETATS-UNIS : UN ROGUE STATE?

    par

    Robert S. LITWAK (*) (1)

    Au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001 New Yorket Washington, la solidarit de la communaut internationale avec lesEtats-Unis sexprima de manire spectaculaire dans le titre du quotidien LeMonde, nous sommes tous amricains. Nanmoins, ce sentiment smoussabien vite lorsque ladministration Bush appela de manire pressante ten-dre la guerre mondiale contre le terrorisme au-del du fief dAl Qada enAfghanistan jusquen Iraq une action considre par la France, lAllema-gne, la Russie et dautres comme une guerre choisie bien mal avise. Cinqans aprs le 11 septembre, une majorit relative dOccidentaux europensjugea, selon un sondage dopinion publique, que les Etats-Unis taient laplus grande menace envers la stabilit mondiale (2). Cette perception modi-fie des Etats-Unis de victime superpuissance voyou tait la cons-quence de la distanciation brutale de Washington vis--vis de ses politiquesprcdentes, ainsi que de la monte dune nouvelle forme dunilatralismeaffirm. Le prsident George W. Bush a suggr la raison de ce changementau cours du sommet Etats-Unis-Union europenne (UE) en juin 2006,lorsquil a dclar : pour lEurope, le 11 septembre aura t un vnement;pour nous, a a t un changement de notre manire de penser (3).

    La rpublique impriale aprs le 11 septembre

    Lavnement dune nouvelle re de vulnrabilit aprs le 11 septembre afortement influenc ladministration Bush dans sa perception du rle desEtats-Unis sur lchiquier mondial.

    (1) Cet article se fonde sur louvrage Regime Change : US Strategy Through the Prism of 9/11, Johns Hop-kins University Press, Baltimore, 2007.

    (2) Les rsultats de ce sondage Financial Times/Harris, publis le 25 septembre 2006, sont disponiblessur le site Internet www.harrisinteractive.com/news/allnewsbydate.asp?NewsID=1097. Les Etats-Unistaient en tte des menaces perues, avec 34%, lIran arrivant en deuxime position avec 25%.

    (3) Maison-Blanche, Bureau du secrtariat de la presse, President Bush participates in press availabilityat 2006 US-EU Summit, 21 juin 2006, disponible sur le site Internet www.whitehouse.gov/news/releases/2006/06/20060621-6.html.

    (*) Directeur des tudes de scurit internationale au Woodrow Wilson International Center for Scholars(Washington, Etats-Unis).

  • 24 robert s. litwak

    Une gnration auparavant, Raymond Aron, dans son uvre devenueclassique La Rpublique impriale, avait dfini avec justesse les identits ala fois jumelles et rivales de lAmrique. Les Etats-Unis occupent une fonc-tion impriale en tant que puissance dominante garante de lordre dansun ordre international faonn aprs la Seconde Guerre mondiale. Dans lemme temps, ce pays est une rpublique, un Etat souverain, avec ses pro-pres intrts nationaux, limits. La tension inhrente entre ces deux iden-tits a t bien gre pendant la Guerre froide, grce lencadrement de lapuissance amricaine par des institutions internationales pour la scurit etlconomie. Cette canalisation de la puissance amricaine a rendu son exer-cice plus lgitime et moins menaant pour les autres Etats. Elle a galementfavoris la perception des Etats-Unis comme une superpuissance bien-veillante tout en faisant progresser leurs intrts nationaux. Cette identitunique a t la clef du succs international de lAmrique dans laprs-Seconde Guerre mondiale : la cration dune communaut dmocratique descurit et dabondance sans prcdent. Cela explique galement pourquoila chute de lUnion sovitique et la fin du systme bipolaire de la Guerrefroide nont pas entran lmergence dune coalition dEtats visant con-trebalancer le pouvoir amricain, contrairement ce que la thorie politi-que raliste aurait pu prdire (4).

    Portant gnralement sur une srie de questions telles que le choix entrelunilatralisme (going it alone, agir seul) et le multilatralisme (travaillerde concert avec dautres Etats), le dbat sur la politique trangre desEtats-Unis reflte la tension politique endmique une rpubliqueimpriale. Il se poursuit prsent avec le 11 septembre pour toile de fond.Le souci impratif dviter un autre attentat terroriste majeur conduitladministration Bush se concentrer dabord sur la dfense intrieure :prserver la rpublique, ft-ce au prix dactions passant outre les insti-tutions multilatrales. Les deux questions centrales qui ont accentu latension entre les deux tendances rivales de lidentit amricaine ontdabord t lusage premptif de la force militaire, puis ltendue gogra-phique de ce que la Maison-Blanche appelle la guerre mondiale contre leterrorisme.

    Labsence de dcouverte darmes de destruction massive (ADM) en Iraqaprs le renversement du rgime de Saddam Hussein en avril 2003 a remisen cause la principale justification de la guerre par ladministration Bush.Le secrtaire la Dfense Donald Rumsfeld, interrog l-dessus de manirepressante par le Comit des forces armes du Snat amricain quelques moisplus tard, dclara que la dcision militaire de ladministration ntait fondeni sur de nouvelles informations ni sur la perception dune menace imm-

    (4) G. John Ikenberry, After Victory : Institutions, Strategic Restraint, and the Rebuilding of Order afterMajor Wars, Princeton University Press, Princeton, 2001, pp. 246-256.

  • les etats-unis : un rogue state 25

    diate, mais plutt sur de vieilles preuves considres sous un angle neuf etspectaculaire, travers le prisme des vnements du 11 septembre (5).

    Cette rvlation stupfiante de Rumsfeld tmoigne de limpact profondque les attentats terroristes du 11 septembre ont eu sur les perspectives etles politiques de scurit nationales de lAmrique. Un ancien membre dugouvernement amricain a dclar que la date de cette attaque aux pertesmassives sur le territoire amricain serait, dans la politique trangre am-ricaine, un point de dmarcation aussi fort que avant et aprs Jsus-Christ. Au plus profond de lme amricaine, le 11 septembre figure, juste titre, au mme rang que Pearl Harbor et lassassinat du prsidentKennedy. Cependant, lattentat dOussama Ben Laden contre les icnes dupouvoir militaire et conomique de lAmrique, Wall Street et le Pentagone,na pas altr la structure des relations internationales. En effet, la ractioninternationale immdiate de dgot moral envers lacte de terrorisme massifdAl Qada et de solidarit envers les Etats-Unis a symbolis une raffirma-tion frappante de lordre international en place. Pour les Etats-Unis, aucontraire, le 11 septembre a marqu lavnement dune nouvelle re de vul-nrabilit, plus dangereusement imprvisible que celle de la Guerrefroide (6).

    Le signe distinctif de cette nouvelle re est, selon lexpression de ladmi-nistration Bush, le lien entre le terrorisme et les ADM, cest--dire le lienentre les intentions dun groupe terroriste et son accs potentiel auxmoyens dinfliger des attentats dvastateurs avec des armes de destructionmassive. Le 11 septembre a rvl le danger sans prcdent pos par la dis-ponibilit de moyens de violence massive un acteur non tatique quon nepeut pas dissuader, comme cest le cas dAl Qada. Tout aussi importantspour la politique de scurit nationale des Etats-Unis, les attentats terro-ristes du 11 septembre ont aussi brutalement remis au got du jour le dbatsur les acteurs tatiques, plus particulirement les pays qualifis par ladmi-nistration Bush de rogue States. Le prsident Bush a affirm que lamenace pose par les rgimes voyous provenait de leur vraie nature (7). Aucours de la campagne prsidentielle de 2000, Condoleezza Rice, alors con-seillre du candidat Bush, avait crit : la premire ligne de dfense desEtats-Unis [face aux Etats voyous] devrait tre une dclaration de dissuasionclaire et classique (8). Dans un contraste frappant, aprs le 11 septembre,ladministration a dclar explicitement que les Etats-Unis ne pouvaient

    (5) Steve Schifferes, Rumsfeld brushes aside WMD fears, BBC News Online, 9 juil. 2003, disponiblesur le site Internet news.bbc.co.uk/2/hi/americas/3054423.stm.

    (6) La menace pose par Al Qada existait dans les annes 1990 comme en tmoignent les attentats con-tre les ambassades amricaines en Afrique de lEst , mais elle a t sous-estime. Ainsi, lexpressionnouvelle re de vulnrabilit est employe afin de dnoter lavnement dune vulnrabilit nouvellementperue par les membres du gouvernement amricain.

    (7) Maison-Blanche, Bureau du secrtariat de la presse, President delivers State of the Union address,29 janv. 2002, disponible sur le site Internet www.whitehouse.gov/news/releases/2002/01/20020129-11.html.

    (8) Condoleezza Rice, Promoting the national interest, Foreign Affairs, janv.-fv. 2000, pp. 60-61.

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    plus compter sur les concepts stratgiques traditionnels de dissuasion etdendiguement pour affronter les nouveaux dfis mortels, en raison de lanature de leurs adversaires (groupes terroristes et rogue States). Dans laNational Security Strategy de septembre 2002, ladministration Bush a ainsisoutenu quune stratgie de dissuasion fonde sur le chtiment tait moinssusceptible de fonctionner pour les dirigeants des rogue States [lesquels sont]plus dtermins prendre des risques et plus disposs quune grande puis-sance rivale classique, comme lUnion sovitique pendant la Guerre froideou la Chine contemporaine, utiliser des armes de destruction massive (9).

    En dsignant lIraq, lIran et la Core du Nord le noyau dur des roguesStates comme laxe du mal, le prsident George W. Bush a signal expli-citement le risque quun Etat puisse transfrer une arme de destructionmassive un groupe terroriste, donnant ainsi ce dernier des moyens lamesure de sa haine. Un sentiment durgence et un engagement abrupte-ment exprim dcoulaient de cette analyse de la menace : [le] temps ne jouepas en notre faveur. Je nattendrai pas la suite des vnements, tandis queles dangers saccumulent [] Les Etats-Unis dAmrique ne permettront pasaux rgimes les plus dangereux du monde de nous menacer avec les armes lesplus destructrices du monde (10). Le dfi pos lordre international par cesEtats voyous en termes de prolifration et de terrorisme tait certes djprsent avant le 11 septembre, mais le prsident Bush a clairement dit queleurs actions et leurs intentions perues seraient prsent considres tra-vers le prisme du 11 septembre.

    Dans la National Security Strategy de 2002, ladministration Bush a sou-lev loption doctrinale de premption militaire contre les rogues States etles groupes terroristes, un lment de la doctrine Bush que les rapportsde presse ont considr comme le changement le plus rvolutionnaire depuisllaboration de la politique de dissuasion nuclaire dans les annes 1950.On a dit que la premption supplantait les concepts dmods de dissuasionet dendiguement de la Guerre Froide. Les avocats de lunilatralisme am-ricain ont soutenu ce revirement, estimant que les contraintes antrieuresau 11 septembre sur le recours la force, comme linterdiction juridiqueinternationale de lgitime dfense par anticipation, taient absurdes unepoque o Oussama Ben Laden avait dclar quobtenir des armes nuclai-res tait un devoir moral et o il naurait certainement aucun scrupule les utiliser contre les Etats-Unis. Cependant, la prsentation au public dela National Security Strategy gnra polmique et apprhension, surtoutparmi les allis europens de lAmrique, quant lrosion potentielle desnormes internationales gouvernant le recours la force, cause de limpor-tance nouvelle accorde la premption. Les membres du gouvernement

    (9) Maison-Blanche, The National Security Strategy of the United States of America, 17 sept. 2002, pp. 13-14, disponible sur le site Internet www.whitehouse.gov/nsc/nss.html.

    (10) Maison-Blanche, Bureau du secrtariat de la presse, President delivers State, op. cit.

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    amricain soutenaient que, bien que la premption ait acquis un statutsuprieur en tant que raction logique lavnement de nouvelles menacesqualitatives comme Al Qada, elle demeurait une des composantes dun con-tinuum de moyens, incluant des instruments non militaires, que les Etats-Unis continueraient demployer.

    Cette confusion autour de la nouvelle politique de premption naquit deplusieurs problmes, runis de faon trompeuse dans le dbat amricain, commencer par la distinction analytique et politique importante entrepremption et prvention. Dans ce contexte, la premption ne porte quesur laction militaire quand lusage rel dADM par un adversaire est immi-nent, tandis que la prvention dsigne le rpertoire plus vaste des instru-ments politiques militaires et non militaires visant empcher lacquisitiondADM. Comme la menace du rgime de Saddam Hussein ne remplissait pasle critre dimminence, lIraq est un exemple de guerre prventive et nonde premptive. Un autre amalgame trompeur de deux problmes provo-qu par la supposition quun rogue State puisse tre tent de transmettredes ADM un groupe terroriste lie le terrorisme et les programmes deprolifration : une action militaire contre un groupe terroriste non tatiquelaborant de vastes attaques meurtrires jouit dune vaste lgitimit inter-nationale, mais ce consensus fait long feu par rapport au recours la forcecontre un Etat violant les normes de non-prolifration. Finalement, la con-fusion est ne du mlange politique de loption de premption dans la stra-tgie amricaine avec le dbat sur lIraq en 2002. Ladministration Bushdvoilait ostensiblement une doctrine gnrale de premption, devant treentreprise de manire unilatrale quand cela serait ncessaire, tout commeelle dfendait un cas spcifique de recours une action militaire contre unEtat, lIraq, qui ne respectait pas les rsolutions du Conseil de scurit desNations Unies depuis plus de dix ans.

    La polmique sur la premption a nourri le dbat houleux lONU quidboucha en 2003 sur la guerre en Iraq. Tandis que la doctrine amricainede premption crait des frictions entre les Etats-Unis et ses allis quantaux moyens appropris de grer les menaces la scurit lre post-11 sep-tembre, lIraq a ouvert un foss politique sur les fins de la guerre mondialecontre le terrorisme de ladministration Bush. Laction militaire en Afgha-nistan lautomne 2001 avait bnfici dun soutien international, visant contrer la capacit sans entraves dAl Qada utiliser cet Etat comme base partir de laquelle chafauder ses activits terroristes. Selon le jeu de motspertinent du stratge britannique Lawrence Freedman, daprs la termino-logie du dpartement dEtat, lAfghanistan sous le rgime des Talibanstait moins un Etat sponsor du terrorisme quun Etat sponsoris par lesterroristes (11). Ce consensus international fit long feu sur lIraq, quand les

    (11) Lawrence Freedman, The third world war?, Survival, vol. XLIII, n 4, hiv. 2001, p. 74.

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    perceptions diffrentes des membres du Conseil de scurit de lONU quant la menace des ADM que reprsentait Saddam Hussein donnrent lieu des apprciations divergentes : la poursuite de lendiguement, ou un chan-gement de rgime impos depuis lextrieur. Ladministration Bush,influence par le spectre du 11 septembre, maintint fermement que laguerre en Iraq ntait pas une guerre de choix, mais de ncessit.

    Lpre dbat entre les Etats-Unis et lEurope, au cours des mois qui ontprcd la guerre en Iraq en 2003, a rvl un paralllisme frappant. Desdeux cts de lAtlantique, le problme fondamental portait sur la faondont lAmrique, la rpublique impriale, allait exercer son hyperpouvoirdans lre post-11 septembre : les ncessits perues de la scurit de larpublique allaient-elles conduire passer outre les institutionsmultilatrales? Du ct amricain, des discours stratgiques importantsprononcs par le vice-prsident Dick Cheney et le prsident Bush offraientdes justifications divergentes pour lIraq.

    Le discours de D. Cheney fut prononc lors dune confrence des vtransde guerres trangres, le 26 aot 2006, dans le contexte de la rvlation dela nouvelle doctrine de premption. Il prconisait sans quivoque un chan-gement de rgime en Iraq, fond sur la menace inacceptable que les pro-grammes dADM de Saddam Hussein posaient dans cette nouvelle re devulnrabilit. Le vice-prsident rejetait la stratgie de statu quo de lendi-guement et estimait que le renouvellement propos des inspections delONU visant rsoudre la crise des ADM tait une illusion dangereuse :Saddam matrise le jeu de la tratrise et de la dissimulation et il est trs doudans lart de la dngation et de la tromperie. Le discours du vice-Prsidentamricain, gnralement peru comme une franche dclaration dunilatra-lisme de la part des Etats-Unis, provoqua une tempte politique en Europe,en particulier en Allemagne, o le Chancelier Gerhard Schrder capitalisasur les sentiments anti-guerre de la population pour sa rlection (12).

    Le 12 septembre, moins de trois semaines aprs limportant discours deD. Cheney aux vtrans, le prsident Bush pronona lAssemble gnralede lONU un discours dune rhtorique fortement diffrente, dans des ter-mes internationalistes libraux rappelant ladministration Clinton. G. W.Bush mit les Nations Unies au dfi de renforcer les rsolutions du Conseilde scurit sur lIraq, afin dviter de devenir de plus en plus inutiles (13).Avec ce plaidoyer internationaliste en faveur dune intervention militaire,

    (12) Maison-Blanche, Bureau du secrtariat de la presse, Remarks by the Vice-President to the veteransof foreign wars 103rd National Convention, 26 aot 2002, disponible sur le site Internet www.white-house.gov/news/releases/2002/08/20020826.html. Ce discours est analys dans : Philip H. Gordon/JeremyShapiro, Allies at War : America, Europe, and the Crisis over Iraq, McGraw-Hill/Brookings Institution,New York, 2004, pp. 98-101.

    (13) Maison-Blanche, Bureau du secrtariat de la presse, President delivers State of the Union Address,12 septembre 2002, disponible sur le site Internet www.whitehouse.gov/news/releases/2002/09/print/20020912-1.html.

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    le Prsident amricain transfra le devoir dintervention lorganisation quiavait mandat le dsarmement des ADM iraquiennes aprs la guerre duGolfe en 1991.

    Le message contradictoire de ces deux discours considrs ensemble refl-tait un clivage politique au sein de ladministration et, plus largement, lesattitudes discordantes du pays envers lextension gographique de la guerrecontre le terrorisme en Iraq.

    De son ct, la polmique en Europe mit galement au jour des tensionspolitiques de mme nature que les frictions amricaines. En Grande-Breta-gne, le discours persuasif du Premier Ministre Blair au Parlement, le18 mars 2003, fit cho au discours du prsident Bush lAssemble gnralede lONU; lnergique plaidoyer de T. Blair en faveur dune intervention seplaait galement dans le contexte de la ncessit dappliquer les rsolutionsdu Conseil de scurit de lONU face lobstructionnisme iraquien. Si laposition britannique refltait fidlement celle du discours de G. W. Bush,celle du gouvernement franais, partage par lAllemagne et la Russie, sem-blait tre en partie une raction la stance unilatraliste du discours deD. Cheney : face lhyperpuissance amricaine, le prsident Jacques Chiracfit jouer la vision franaise dun systme international multipolaire,stendant bien au-del des exigences europennes habituelles dun multila-tralisme accru des Etats-Unis. Dominique de Villepin, alors ministre desAffaires trangres, alla jusqu orchestrer une campagne diplomatique,dbut mars 2003, afin de faire chouer la proposition amricano-britanniquedune dernire rsolution du Conseil de scurit de lONU comportant unultimatum de recours la force.

    Des perspectives opposes sur le problme fondamental de la souverainetiraquienne sous-tendaient la querelle transatlantique. Le prsident GeorgeBush eut beaucoup plus de facilit que son fils, douze ans plus tard, ras-sembler une coalition internationale en vue dun conflit avec lIraq. Lors dela guerre du Golfe en 1991, lautorisation du Conseil de scurit et llabo-ration dune vaste coalition multinationale pour la libration du Kowettaient possibles diplomatiquement parce que Saddam Hussein avait violune norme universellement accepte : la protection de la souverainet delEtat des agressions extrieures comme la dit lun des observateurs entermes colors, un Etat ne devrait pas avoir le droit den assassiner unautre. Par contraste, dans lpre dbat qui eut lieu lONU en 2003,lobtention de lapprobation du Conseil de scurit dune action militaire nepouvait que provoquer une forte opposition pour la mme raison : forcer ledsarmement iraquien par le biais dun changement de rgime impos delextrieur, mme en application dune rsolution du Conseil de scurit,aurait t une ngation de la souverainet de lEtat tablissant un prc-dent.

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    Au cours des mois agits qui ont prcd la guerre en Iraq, lalignementpolitique de la France, de lAllemagne et de la Russie constitua de facto uneffort pour contrebalancer la puissance amricaine. Contrairement la pr-diction de la thorie raliste, cet quilibre rsultant de la cration dunecontre-coalition neut pas lieu avant le 11 septembre, cause de la visiondes Etats-Unis comme superpuissance bienveillante maintenant lordreinternational libral. Lextension de la guerre contre le terrorisme delAfghanistan lIraq y porta prjudice et encouragea contrebalancer ou,du moins, limiter lhyperpuissance amricaine. T. Blair souligna cettecause sous-jacente de limpasse o se trouvait le Conseil de scurit delONU lors de son discours parlementaire en mars 2003 : la paralysie delONU est ne de la [] division [] Et au cur de cette division, il y a leconcept dun monde aux polarits de puissance rivales. Dun ct, les Etats-Unis et leurs allis. De lautre, la France, lAllemagne, la Russie et ses allis[] Je pense que cette perception est fausse et profondment dangereuse. Jeconnais sa cause. On en veut aux Etats-Unis pour leur position dominante.On a peur de lunilatralisme des Etats-Unis [] Et peut-tre ne comprend-on pas pleinement les proccupations des Etats-Unis aprs le11 septembre (14).

    Les dlibrations lONU sur lapplication des rsolutions du Conseil descurit en Iraq se dgradrent finalement en un dbat houleux quant lexercice du pouvoir amricain dans lre post-11 septembre.

    Le renversement du rgime de Saddam Hussein et la fin des grandesmanuvres militaires en Iraq ont cr de fortes motivations des deuxcts de lAtlantique pour remdier ce dsaccord, mme si les tensionspolitiques davant la guerre se traduisirent en ambivalence aprs la guerre.Pour les Etats-Unis, confronts alors aux insolubles problmes de loccupa-tion en Iraq, leur rpugnance concder de lautorit aux Nations Unies futtempre par une reconnaissance bon gr mal gr de la lgitimit politiqueapporte par un multilatralisme accru et de lutilit pratique de limplica-tion dautres Etats. En Europe, on privilgia peut-tre la structure de lamultipolarit dans les relations internationales de la France et des autrespays, mais, tant donn les ralits concrtes dun systme mondialis, ole rle des Etats-Unis de moteur conomique et de garant de la scuritreste primordial et dont lEurope dpend, cette vision est une impasse stra-tgique. Nanmoins, les tensions politiques qui ont donn naissance audsaccord subsistent et vont fortement influencer les relations de lAmri-que avec lEurope et au-del.

    La difficult de grer ces relations complexes devrait tre envisage dansle contexte de lobservation de T. Blair quant labsence dune complte

    (14) Bureau du Premier ministre, PM statement opening Iraq debate, 18 mars 2003, disponible sur lesite Internet www.number-10.gov.uk/output/Page3294.asp.

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    comprhension des proccupations des Etats-Unis aprs le 11 septembre.Une des sources dincomprhension est lamalgame des termes unipolaireet unilatral dans les discussions politiques. Il ny a, dans lhistoire,aucune relation axiomatique entre lmergence dune structure unipolaireaprs la Guerre froide et le comportement unilatral des Etats-Unis (15). Laplus grande motivation de lunilatralisme des Etats-Unis nest pas lasuperpuissance amricaine, mais le sentiment accru de vulnrabilit n desattentats du 11 septembre. La promotion de la premption militaire en unchoix envisageable dans la Stratgie nationale de scurit de 2002 reflte cechangement.

    Le dfi pos aux dcideurs actuels contraste fortement avec celui delpoque de la Guerre froide, quand une perception partage de la menacesovitique tait le ciment stratgique de lOTAN. La tentative de forgerune stratgie commune est difficile dans des circonstances o ladministra-tion amricaine se sent tenue de commettre des actes considrs par lesEuropens comme augmentant potentiellement leur vulnrabilit. Ces per-ceptions divergentes de la vulnrabilit des Etats-Unis et de lEurope pour-raient conduire des divergences de politiques importantes. Par exemple,aprs lattentat la bombe du 11 mars 2004 Madrid, certains Europensont ouvertement voqu la ncessit de se distancier des Etats-Unis afin demoins encourager Al Qada les prendre pour cibles. Cependant, ces diff-rences de perception sont, en fin de compte, illusoires. Comme la fait obser-ver Pierre Hassner, spcialiste franais de Sciences politiques, les deux sonten guerre contre Al Qada car [elle] est en guerre contre eux [] Les Euro-pens ont tendance sous-estimer la gravit de la guerre contre le terrorisme[tandis que] les Amricains ont tendance ngliger le danger quelle nedevienne un choc des civilisations (16).

    Le 11 septembre a rvl la vulnrabilit de lAmrique au terrorisme demasse et a mis en lumire limpratif de dfendre la rpublique. La guerreen Iraq a cr une crise de lgitimit politique lorsque les Etats-Unis se sontloigns de leur rle accept de superpuissance bienveillante. Comme laremarqu lhistorien John Lewis Gaddis, la guerre prcipite contre lIraq,en labsence de tout premier tir ou coup port a laiss [] une impressioncroissante dans le monde entier quil ne pouvait rien avoir de pire que lhg-monie amricaine, si elle devait tre utilise de cette manire (17). En rete-nant leur imprimatur de lgitimation de la guerre de 2003, les NationsUnies disaient essentiellement que la communaut internationale consid-

    (15) John Van Oudenaren, Unipolar versus unilateral, Policy Review, n 124, avr.-mai 2004, disponi-ble sur le site Internet www.hoover.org/publications/policyreview/3438956.html.

    (16) Pierre Hassner, Etats-Unis : lempire de la force ou la force de lEmpire, Papiers de Chaillot, n 54,sept. 2002, pp. 48-49.

    (17) John Lewis Gaddis, Surprise, Security, and the American Experience, Harvard University Press,Cambridge, 2004, p. 101.

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    rait que le prcdent dun changement de rgime Bagdad impos par lesEtats-Unis comme pire que le maintien du dictateur iraquien au pouvoir.

    De plus, labsence de dcouverte de stocks dADM et les justificationsmouvantes de ladministration qui ont fini par souligner la dmocratisa-tion ont fait obstacle aux efforts de cette dernire pour lgitimer la guerreaprs coup. Pour paraphraser Henry Kissinger, les Etats-Unis ont totale-ment chou convaincre le reste du monde que notre premire guerrepremptive avait t impose par la ncessit et que nous ne pensons pasexclusivement notre propre intrt, mais galement celui du monde (18).Lanalyste politique Robert Kagan soutient que la lgitimit internationaledes Etats-Unis est essentielle, mais quelle savrera fuyante en labsencedun consensus sur le caractre des menaces et sur la stratgie adquatepour y faire face, y compris sur les moyens militaires quand cela sera nces-saire (19).

    Ce foss nexiste pas seulement entre Washington et les autres capitalestrangres. Il existe aussi au sein de lAmrique elle-mme. Au cours de laGuerre froide, nonobstant le traumatisme majeur quaura t la guerre duVietnam, un consensus public remarquablement durable a exist non seu-lement sur la menace lexpansionnisme sovitique , mais galement surla stratgie lendiguement et la dissuasion. Ladministration Bush a tincapable de sattirer un soutien dune ampleur comparable pour lorgani-sation dune stratgie post-11 septembre, fonde sur le lien entre la prolif-ration et le terrorisme, entre acteurs tatiques et non tatiques. Cet objectifa t sabord par labsence de dcouverte de stocks dADM en Iraq, la rfu-tation, par la Commission du 11 septembre, des affirmations de ladminis-tration sur un lien oprationnel entre lIraq et Al Qada et linsurrectionpersistante et coteuse en Iraq. Il existe dans la socit amricaine un con-sensus fondamental sur limpratif dliminer le rseau dAl Qada par tousles moyens ncessaires, y compris le recours premptif la force, mais ceconsensus fait long feu quand il est question des rogue States.

    Aprs le renversement du rgime de Saddam Hussein, ladministrationBush a t confronte des crises successives de prolifration nuclaire avecles deux autres membres de laxe du mal que sont la Core du Nord etlIran. Des contraintes majeures pesant sur la capacit des Etats-Unis amener un changement de rgime Pyongyang et Thran, ainsi que ledsaccord politique sur la dbcle des renseignements sur les ADM en Iraqont provoqu le revirement pragmatique de ladministration vers la diplo-matie multilatrale. Elle a suivi cette voie directement avec la Core duNord et indirectement avec lIran. Les expriences jumelles du 11 septem-

    (18) Cit par Robert Kagan, A tougher war for the US is one of legitimacy, New York Times, 24 janv.2004, p. B7.

    (19) Ibid.

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    bre et de la guerre en Iraq influencent fortement la stratgie amricaineenvers ces Etats.

    Les dfis aprs lIraq

    Le prsident Bush a pos un point de repre ambitieux lorsquil a dclaravec audace que les Etats-Unis ne tolreraient pas lacquisition darmesnuclaires par lIran et la Core du Nord. Toutefois, la faon dont cettedclaration pouvait se traduire en actes au sein dune administration ouver-tement divise entre partisans de la ligne dure et partisans du pragmatismerestait floue (20). Certains signes prcoces semblaient indiquer la continua-tion possible dune approche muscle de la non-prolifration. Cependant, lamise en uvre de cette stratgie, qui reflte peut-tre les opinions viscralesdu Prsident envers les rgimes de Pyongyang et de Thran, sest heurte des contraintes majeures sur lusage de la force et la capacit des Etats-Unis provoquer un changement de rgime en Core du Nord ou en Iran.Parmi ces contraintes, la plus visible tait la profonde crise de crdibilitdes Etats-Unis, cre par labsence de dcouverte de stocks dADM en Iraqpar les troupes de la coalition. Dans un contexte politique o le changementde rgime forc est impossible et o lcroulement du rgime nest pas immi-nent, ladministration Bush a choisi de traiter ces menaces de prolifrationpar la diplomatie multilatrale : directement avec la Core du Nord, tra-vers les discussions six (avec la Core du Sud, la Chine, le Japon et laRussie), et indirectement avec lIran, par lintermdiaire des ministres desAffaires trangres de lUnion europenne et de lAgence internationale delnergie atomique (AIEA).

    Le revirement vers une approche diplomatique concernant ces deux rogueStates a donn limpulsion dun virage pragmatique dans la politique post-Iraq de ladministration : un dplacement, dans la stratgie de non-prolif-ration, de lobjectif initial de premption militaire et de changement dergime vers lalternative de dissuasion et dassurance renouvele. Limpor-tance de rassurer nouveau ces Etats adverses ainsi quallis quant auxintentions des Etats-Unis a t signale dans des dclarations de hauts mem-bres du gouvernement notamment le secrtaire dEtat Colin Powell , sti-pulant que les Etats-Unis souhaitent le respect des normes internationalesde non-prolifration et nont aucune intention denvahir ou dattaquer laCore du Nord ou lIran. Lobjectif apparent tait que ces deux nationssachent que le but des Etats-Unis tait de changer leur comportement pluttque leur rgime. Cependant, Washington reste ambigu. Cette confusion pro-vient de la tension politique entre laspiration de longue date des Etats-Unis

    (20) David Sanger, To-do list : 1) what not to tolerate; 2) what that means, New York Times, 31 aot2003, section 4, p. 4.

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    un changement de rgime ou bien une profonde volution du rgime et limpratif proche dengagement diplomatique avec ces deux pays sur leproblme nuclaire.

    Dans ce contexte, les gouvernements britannique et amricain ont faitune annonce tonnante en dcembre 2003 : grce des ngociations secr-tes, le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi stait engag renoncer demanire vrifiable aux capacits dADM secrtes de son pays. Le prsidentBush a dclar que, par cet engagement se conformer aux normes inter-nationales de non-prolifration, la Libye avait entam le processus dentredans la communaut des nations (21). Les membres du gouvernement am-ricain ont vite fait le lien entre lavance en Libye et la guerre en Iraq,affirmant que leffet dmonstratif du conflit, avec son message implicite surle sort qui pourrait tre dvolu aux autres rogue States sils ne se rfor-maient pas, avait motiv le changement de Kadhafi. Les critiques deladministration objectrent que lannonce surprenante du mois de dcem-bre tait laboutissement dun revirement politique vieux dune dcennie dudictateur libyen, en rponse des exigences conomiques et politiques inter-nes, de mettre fin au statut de paria international de son pays. Lexplica-tion la plus plausible du changement de comportement de Kadhafi ne setrouve dans aucune des explications dichotomiques ci-dessus, mais pluttdans leur interaction : la pression externe, y compris les sanctions delONU, et linterception, en octobre 2003, par les Etats-Unis, dun navirecontenant des composants nuclaires en route pour la Libye ont jou unrle essentiel dans la monte des cots internes du non-respect des normesinternationales par la Libye; la guerre en Iraq a t une autre dmonstra-tion des capacits militaires et de la rsolution politique des Etats-Unis, quia affect llaboration de la prise de dcision du dirigeant libyen. Toutefois,au cur de ce march, lAmrique assurait la survie du rgime : en changedun changement profond de comportement concernant la prolifration etle terrorisme, les Etats-Unis oublieraient lobjectif du changement dergime en Libye. Sans cette assurance des Etats-Unis, M. Kadhafi nauraiteu aucune raison dabandonner ses programmes dADM; il aurait mme putre encourag acclrer leur dveloppement afin de dissuader un ventueleffort amricain pour le destituer.

    Ainsi, des solutions alternatives un changement politiques ont temployes dans les cas historiques de 2003 impliquant deux rogue States :en Iraq, un changement de rgime impos par une arme doccupationtrangre; en Libye, un processus local de changement dans un rgime, enrponse des pressions internes et externes. Ces expriences divergentessont lourdes dimplications sur lintgration effective de la force et de la

    (21) Remarks on the decision by colonel Muammar Abu Minyar al-Qadhafi of Libya to disclose and dis-mantle weapons of mass destruction, Weekly Compilation of Presidential Documents, vol. XXXIX, n 52,dc. 2003, p. 1835.

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    diplomatie dans dautres cas problmatiques, notamment lIran et la Coredu Nord, o les Etats-Unis sont confronts des crises nuclaires simulta-nes.

    La qualification, par ladministration Bush, de la guerre visant desti-tuer Saddam Hu