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Anthropologie géographique de l'esclavage Un fléau aux multiples visages (I) Le problème de l'esclavage étant considéré comme le fléau des temps modernes, il n'est pas inutile de rappeler comment il se développe dans nos sociétés pour essayer d'endiguer son extension. Depuis janvier 2006, le 10 mai est déclaré "Journée des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions". Cet événement renforce la "Journée internationale pour l'abolition de l'esclavage" célébrée le 2 décembre. Pour commémorer cet anniversaire lourd de sens, le Secrétaire général de l’ONU Kofi Annan attire notre attention sur le fait que ce fléau existe toujours. « De nombreuses formes d'esclavage persistent comme le travail forcé et la main d'œuvre servile, le travail des enfants et l'esclavage à des fins rituelles ou religieuses » a-t-il déclaré. « Le monde doit aussi faire face à une nouvelle forme d'esclavage, à savoir la traite d'êtres humains, qui entraîne de nombreuses personnes vulnérables, quasiment abandonnées par les systèmes juridiques et sociaux, dans un engrenage sordide d'exploitation et d'abus », a-t-il ajouté. Par la résolution 57/195 du 18 décembre 2002, l'Assemblée de l’ONU a décidé de proclamer 2004 Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage et de son abolition. « Commentaire : Il faut tout de même ajouter que malgré lONU et sa puissance monétaire, politique et militaire, le problème de lesclavage, la suppression des peuples et la naissance des nouvelles guerres na pas pris fin. Au contraire, depuis sa naissance - il y a 68 huit ans (1945-2013) 9 ans ont passé depuis cet assemblé de lONU avec lélan plein didéalisme de la part du secrétaire général -On doit constater que dans certains domaines, comme la création des nouvelles formes desclavage, divers branches de lONU en ont été les catalyseurs. L’ONU reste en grande partie une plateforme pour les superpuissances de loccident avec les Etats- Unis en commande et cest dans ce contexte quil faut lire la suite des explications de son excellence le secrétaire général de lONU, Kofi Annan » « (Victor Rosez) »

Anthropologie géographique de l'esclavage

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analyse anthropologique de l'esclavage et le colonialisme

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Page 1: Anthropologie géographique de l'esclavage

Anthropologie géographique de l'esclavage

Un fléau aux multiples visages (I)

Le problème de l'esclavage étant considéré comme le

fléau des temps modernes, il n'est pas inutile de rappeler

comment il se développe dans nos sociétés pour essayer

d'endiguer son extension.

Depuis janvier 2006, le 10 mai est déclaré "Journée

des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de

leurs abolitions". Cet événement renforce la "Journée

internationale pour l'abolition de l'esclavage" célébrée le 2 décembre.

Pour commémorer cet anniversaire lourd de sens, le Secrétaire général de l’ONU

Kofi Annan attire notre attention sur le fait que ce fléau existe toujours.

« De nombreuses formes d'esclavage persistent comme le travail forcé et la main

d'œuvre servile, le travail des enfants et l'esclavage à des fins rituelles ou religieuses »

a-t-il déclaré. « Le monde doit aussi faire face à une nouvelle forme d'esclavage, à

savoir la traite d'êtres humains, qui entraîne de nombreuses personnes vulnérables,

quasiment abandonnées par les systèmes juridiques et sociaux, dans un engrenage

sordide d'exploitation et d'abus », a-t-il ajouté.

Par la résolution 57/195 du 18 décembre 2002, l'Assemblée de l’ONU a décidé de

proclamer 2004 Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage

et de son abolition.

« Commentaire : Il faut tout de même ajouter que malgré l’ONU et sa puissance

monétaire, politique et militaire, le problème de l’esclavage, la suppression des

peuples et la naissance des nouvelles guerres n’a pas pris fin. Au contraire, depuis sa

naissance

…- il y a 68 huit ans (1945-2013) – 9 ans ont passé depuis cet assemblé de l’ONU

avec l’élan plein d’idéalisme de la part du secrétaire général -…

On doit constater que dans certains domaines, comme la création des nouvelles formes

d’esclavage, divers branches de l’ONU en ont été les catalyseurs. L’ONU reste en

grande partie une plateforme pour les superpuissances de l’occident avec les Etats-

Unis en commande et c’est dans ce contexte qu’il faut lire la suite des explications de son excellence

le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan » « (Victor Rosez) »

Page 2: Anthropologie géographique de l'esclavage

Définition

Selon la définition de l’ONU (1926, 1956), l'esclavage est « l'état ou condition d'un

individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété ou certains d'entre eux

». La traite des esclaves représente « tout acte de capture, d'acquisition ou de cession

d'un individu en vue de la réduire en esclavage; tout acte d'acquisition d'un esclave en

vue de le vendre ou de l'échanger; tout acte de cession par vente ou échange d'un

esclave acquis en vue d'être vendu ou échangé, tout acte de commerce ou de transport

d'esclaves ainsi que les actes conduits par des institutions et des pratiques analogues

à l'esclavage : servitude pour dettes, servage, mariage forcé, etc. ».

L'esclavage est donc un système socio-économique reposant sur l'exploitation des

personnes. Généralement les esclaves ne sont ni libres ni rémunérés et nous verrons

qu'ils faisaient jadis l’objet d’une réglementation particulière.

Responsabilités

Aux yeux des instances internationales et de la convention des Droits de l'Homme,

chaque nation a l'obligation d'abolir l'esclavage sur son territoire et ses possessions.

Mais au-delà de ses frontières, aucun É tat ne peut en principe s'ingérer dans les affaires

étrangères sans l'approbation de l'É tat concerné ou de l'ONU.

Trois institutions internationales prennent donc le relais : l'ONU, l'Organisation des

Nations Unies est concernée par toutes les formes d'esclavage, l'UNICEF, le Fond des

Nations Unies pour l'Enfance est comme son nom l'indique concerné par l'esclavage

des enfants tandis que l'OMS, l'Organisation Mondiale de la Santé est concernée par

l'esclavage sexuel.

Lors de son allocution du 2 décembre 2005, Kofi Annan rappelait que « ceux qui

pratiquent, soutiennent ou facilitent l'esclavage ou des formes apparentées doivent en

être tenus responsables au niveau national et, si nécessaire, international. D'autre

part, la communauté internationale doit faire plus pour combattre la pauvreté,

l'exclusion sociale, l'analphabétisme, l'ignorance et la discrimination qui accroissent

la vulnérabilité et font parties des causes profondes de ce fléau ».

Le Secrétaire général a engagé tous les É tats à « ratifier et à appliquer les

instruments existants à cet égard, notamment le Protocole additionnel à la Convention

des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir,

réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ».

Page 3: Anthropologie géographique de l'esclavage

Kofi Annan a aussi lancé un appel à tous les É tats pour qu'ils coopèrent pleinement

avec le Rapporteur spécial sur la traite de personnes et à recourir davantage aux

Directives établies par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de

l'Homme. Il a enfin appelé les Etats à fournir « une contribution généreuse au Fonds

de contributions volontaires des Nations Unies pour la lutte contre les formes

contemporaines d'esclavage qui fournit une aide aux victimes ».

Avant d'en venir à l'esclavage moderne, voyons les origines de cette pratique et

quelles furent les nations qui participèrent à la traite des esclaves. Nous verrons quels

sont les personnages politiques qui approuvèrent ou abolir cette pratique et combien

cette oppression a laissé des cicatrices dans la mémoire collective, comme dans celle

des descendants d'esclaves.

Nous verrons dans les dernières pages comment cette pratique se transforma au fil

des siècles en travail forcé et continue à oppresser des millions d'individus dans le

monde. Préparez-vous à lire la description de ce que l'homme a de plus violent et de

plus pervers en lui depuis l'aube de la civilisation, voici près de 4000 ans..

Histoire abrégée de l'esclavage

A Babylone, pays de Sumer Les premières traces d'esclavage ont

été découvertes en Mésopotamie, cette

région du Moyen-Orient située dans le

"croissant fertile", entre le Tigre et

l'Euphrate et qui correspond grosso-

modo à l'Irak actuel.

A cette époque, le troc était

"monnaie courante". Les Sumériens

qui vivaient dans le sud de la

Mésopotamie utilisaient des céréales

en guise de monnaie. On pouvait

obtenir du métal ou du bois contre une

quantité déterminée de sacs de céréales. A l'époque de la civilisation Sumérienne

(entre ~3100 et 2000 av. JC) et de Babylone (entre ~2000 et 500 av. JC), un shekel ou

sicle pesait autant que 180 grains d'orge. 1 mine valait 60 shekels et un talent, 60

mines ou 10800 céréales.

Un contrat de vente d'esclave remontant au règne de Rim-Sîn, roi de Larsa vers

1800 av. JC précise le prix d'un esclave : « Sini-Ishtar a acheté un esclave, Ea-tappi

de son nom, de Ilu-elatti, et Akhia, son fils, a payé dix shekels d'argent, le prix

convenu ».

La Mésopotamie. Document T.Lombry.

Page 4: Anthropologie géographique de l'esclavage

Des traces codifiées d'esclave sont mentionnées dans le Code

d'Hammourabi remontant entre 1792 et 1750 av. JC. Ce texte de

jurisprudence gravé dans une stèle de basalte décrit notamment

la hiérarchisation de la société.

A l'époque d'Hammourabi, roi de Babylone (celui-là même qui

fit prisonnier Rim-Sîn après le siège d'Isin), on apprend qu'il

existait trois groupes d'individus : les hommes libres (awīlum et

muškēnum), les subalternes et les esclaves (wardum). Ces

derniers bénéficiaient d'un semblant de protection sociale, un

esclave ne devant en aucun cas être séparé de sa femme et de ses

jeunes enfants. Pour le reste, au moindre délit il était condamné à

mort.

On apprend également dans l'article 7 que le commerce des

esclaves obéissait à des règles strictes : « si un homme a acheté

ou reçu en dépôt, sans témoin ni contrat, de l'or, de l'argent,

esclave mâle ou femelle, bœuf ou mouton, âne ou quoi que ce

soit, des mains d'un fils d'autrui ou d'un esclave d'autrui, cet

homme est assimilable à un voleur et passible de mort ».

L'article 15 précise que « si un homme a fait sortir des portes

un esclave ou une esclave du palais, un esclave ou une esclave

d'un mouchînou [affranchi], il est passible de mort ».

L'article 16 condamne également à mort celui qui abrite un esclave en fuite. En

revanche, l'article 17 précise que « si un homme s'est emparé dans les champs d'un

esclave ou d'une esclave en fuite, et l'a ramené à son maître, celui-ci lui donnera deux

shekels d'argent ».

En Egypte

Contrairement à une rumeur persistante en Occident et à ce qu’a pu nous faire croire

le cinéma ("Les Dix Commandements” de Cécil B. Demil), l'Egypte n'a jamais utilisé

d'esclaves pour bâtir ses pyramides (durant l’IIIème et IVème dynastie, ~2650 av JC)

comme l'écrivit l'historien grec Hérodote (fl. 450 av JC) ! C'est bien simple, le mot

"esclave" n’existe pas en égyptien ancien ! Le serviteur (bak ou bakhou) était un

homme libre, marié ou non et payé pour son travail (un peu comme les serfs au

Moyen-Age). Il était d’ailleurs interdit d’exercer la moindre pression sur les ouvriers et

des textes de loi les protégeaient contre d’éventuels abus de pouvoir.

Les tombes retrouvées aux abords des pyramides confirment que les milliers

d'ouvriers vivaient sur les chantiers avec leur famille, ils étaient volontaires, rémunérés

avec des sacs de céréales, ils étaient bien nourris, bénéficiaient d'un confort relatif et de

soins médicaux d'aussi bonne qualité que la noblesse.

D'autres serviteurs assuraient les fonctions de domestique, danseur, comptable et

même de scribe, l'une des positions les plus honorables de la société.

La stèle de basalte découverte à Suse

en 1902 sur laquelle est gravée

le Code d'Hammourabi en

écriture cunéiforme dont voici un

agrandissement. Elle est exposée au Musée du Louvre.

Page 5: Anthropologie géographique de l'esclavage

Les Egyptiens utilisaient également le mot

"sekher-ankh" (blessés vivants) pour

qualifier les prisonniers de guerre. Certains,

intégrés à la société égyptienne, firent une

carrière politique.

Toutefois, il est exact que certains

individus faits prisonniers dans le sud du

pays (à Meroe et Kush notamment, des villes

datant de l'Age du Bronze) ou en Libye ainsi

que des enfants vendus par des familles

pauvres furent traités en esclave comme

l'atteste le document présenté à droite.

En revanche, selon la Bible, les Egyptiens auraient bien réduit les Hébreux en

esclavage. Selon la Bible, cette période remonte vers 1670 à 1650 av. JC et de

l’opposition entre Joseph et ses frères. Joseph est vendu par ses frères à des marchands

bédouins. Ces derniers le conduisent ainsi que 70 autres Hébreux jusqu’en Egypte où

ils seront esclaves, ainsi que "leurs enfants et les enfants de leurs enfants". Selon

Abraham (Exode, XII, 40), son peuple fut réduit en esclavage durant 430 ans. Selon les

historiens, entre l’exode de Jacob et de ses enfants et la sortie d’Egypte (XIIIème siècle

av. JC), il s'écoula 210 ans. Selon l'Exode XII, 37, Moïse sortit d'Egypte avec quelque

600000 hommes. En ajoutant les femmes et les enfants, on arriverait à environ un

million de personnes mais il n'est mentionné nulle part que tous avaient été réduits en

esclavage.

Ceci dit, historiquement parlant, les seules traces archéologiques que nous avons du

passage des Israélites en Egypte sont gravées sur une stèle remontant au XIIIème siècle

av. JC commémorant la victoire du Pharaon Memeptah sur le peuple d'Israël, mais cela

se déroula en terre de Canaan. Les enquêtes historiques ne confirment donc pas les

écrits bibliques.

Dans la Grèce antique

La troisième trace la plus ancienne d'esclavage remonte à la Grèce antique.

L'esclavage faisait partie intégrante de la société grecque et ne fut jamais remis en

cause par les philosophes. Selon les Sophistes (Vème siècle av. JC), tous les hommes

appartiennent à une même race, qu’ils soient Grecs ou Barbares, et donc certains

hommes sont esclaves alors qu’ils ont l’âme d'un homme libre, et réciproquement.

Aristote (384-322 av. JC) reconnaît cette possibilité dans "La Politique" (ch.7 "Les

esclaves") et considère que l’esclavage ne peut être imposé que si le maître est meilleur

que l’esclave, rejoignant ainsi l'idée qu'on peut être esclave par nature (Aristote).

Egyptien battant un esclave alors qu'un autre implore sa clémence.

Page 6: Anthropologie géographique de l'esclavage

A l'époque classique, l'esclave est appelé "andrapodon"

pour le différencier du bétail (tétrapodon). Par la suite, il

sera généralement appelé "doulos" pour le différencier du

citoyen, de l'homme libre.

Dès que VIIIème av. JC, l'esclavage est banalisé et

l'esclave considéré comme une simple marchandise. Il

semblerait que ce soit à Chios que débuta le commerce des

esclaves au VIème siècle av. JC. Au IVème siècle, l'esclave est

légalement considéré comme une source de revenus, un

bien meuble.

Selon Homère, l'esclavage est une conséquence

inévitable de la guerre. Dans "l'Iliade" et "l'Odyssée",

Homère considère que les esclaves sont avant tout des

femmes, prises comme butin de guerre et objet de plaisir,

parfois concubines, alors que les hommes sont rançonnés

ou tués sur le champ de bataille.

Les Grecs avaient trois manières de s'approvisionner en esclaves : la guerre avec son

butin de prisonniers, la piraterie consistant plus en un sport local, et le commerce.

Thucydide (VI, 62; VII, 13) par exemple évoque la capture de 7000 habitants

d’Hyccara, en Sicile qui seront ensuite vendus pour 120 talents à la ville voisine de

Catane. Thucydide considère toutefois la piraterie (en mer) et le brigandage (sur terre)

comme une "manière ancienne" d'acquérir des esclaves.

Quant au commerce, selon Strabon (XIV, 5, 2) le port de Délos permet "d'écouler

quotidiennement des myriades d'esclaves". La plupart des marchands d'esclaves

vendaient leur "marchandise" aux peuples barbares voisins : Thraces, Scythes,

Cappadociens, Paphlagoniens, etc. Ils feront également commerce avec les marchands

d'Ephèse, de Byzance ou encore du Tanaïs (le Don, qui se jette dans la mer d'Azov).

L'esclave grec a un statut inférieur et différent de celui du serf (Hilote spartiate, etc.).

Selon Homère, un esclave vaut la moitié de la valeur d'un homme libre. Mais malgré sa

déchéance, l'esclave grec reste attaché à la famille.

Selon Xénophon, un mineur du Laurion pouvait se négocier jusque 180 drachmes.

Les couteliers du père de Démosthène valaient 500 ou 600 drachmes. Par comparaison,

un ouvrier de grands travaux recevait 1 drachme par jour.

Selon Garlan, assez étonnement, l'acheteur bénéficiait d'une garantie contre les

"vices cachés" de l'esclave : si celui-ci était malade et que l'acheteur n'en avait pas été

informé, il pouvait faire annuler la vente. Enfin, comme en Afrique, à Athènes un

citoyen incapable de payer sa dette à son débiteur lui était asservi, c'était la servitude

pour dette. Cette pratique sera interdite par Solon (640-558 av JC), homme politique

inventeur de la démocratie et l'un des Sept Sages de la Grèce.

Vente d’une esclave. Tableau peint par Jean-Léon Gérome vers 1884 et exposé au Musée de

l'Ermitage de Saint-Pétersbourg.

Page 7: Anthropologie géographique de l'esclavage

A l'exception de la politique réservée aux

citoyens, selon les Grecs, toutes les tâches

pouvaient être assurées par des esclaves. On

pense et cela est confirmé par les textes de

l'économiste Xénophon, que les esclaves

furent tout d'abord utilisés dans l'agriculture,

base de l'économie. Ils seront également

utilisés dans les mines et les carrières, aux

côtés des serfs. Selon de Lauffer, les Grecs

affecteront jusqu'à 30000 esclaves au

traitement du minerai d'argent dans les

mines de Laurion en Attique.

Les esclaves seront également utilisés

dans l'artisanat (armurier, coutelier, literie,

etc.). La famille Lysias par exemple

exploita 120 esclaves pour fabriquer des boucliers.

Enfin, les esclaves comme les serfs seront mobilisés comme soldats durant les

guerres opposants les cités-états entre elles. Ainsi durant la guerre de Décélie, dernière

phase de la guerre du Péloponnèse (413-404 av JC), Thucydide évoque la désertion de

20000 esclaves.

La population esclave devait donc être très nombreuse pour que l'Etat se permette

s'en sacrifier autant durant les guerres. Entre le VIème et le Vème siècle av. JC, on estime

que la ville d'Athènes abritait quelque 80000 esclaves, ce qui faisait une moyenne de 3

à 4 esclaves par famille.

Les esclaves pouvaient être affranchis. Le changement de statut se fit d'abord par

voie orale puis devant témoins ou au tribunal. On relate également des cas

d'affranchissements collectifs. Bien souvent l’esclave affranchi était tenu de se racheter

pour un montant au moins équivalent à sa valeur marchande en faisant un prêt

personnel ou un emprunt auprès d'un ami ou même de son ancien maître. Selon la

nature du contrat (religieux ou civil), une partie de l'argent était versée à une divinité

(Apollon) ou au magistrat sous forme de taxe.

Le travail des esclaves était parfois pénible, notamment dans les mines et les

punitions étaient réglées au rythme des flagellations. En revanche, à Athènes, les

citoyens grecs déploraient le fait qu'ils n'avaient pas le droit de frapper les esclaves et

que ceux-ci ne devaient pas se ranger devant leur passage.

Dans l'Empire romain

A Rome, l'esclave est une personne de non-droit, dont le statut est héréditaire mais

pas obligatoirement détenu à vie. C'est surtout durant les guerres que les Romains

constituèrent leur stock d'esclaves. Ainsi en 146 av. JC, les Romains détruisirent

Carthage et déportèrent toute la population vaincue en esclavage.

Disque de miroir en bronze de l'époque hellénistique (env. 320 à 300 av. JC) intitulé "Marsyas et l'esclave scythe".

Document Metropolitan Museum of Art.

Page 8: Anthropologie géographique de l'esclavage

Au cours de ses célèbres campagnes militaires,

Jules César (100-44 av. JC) aurait fait prisonnier

plus d'un million de Gaulois qu'il vendit comme

esclave. Le prix d'un esclave variait en fonction des

époques et de sa qualification mais atteignit environ

2000 sesterces soit 500 deniers.

En 166 av. JC, Rome installa à Délos un port

franc et développa le marché aux esclaves inauguré

par les Grecs.

C’est également aux Romains que nous devons le

terme de "servus", qui a conduit au substantif

"servile", de "serf" au Moyen-Age et aux termes

modernes de "service" et "serviteur" notamment.

Jusqu'au IIIème siècle, durant la République, les Romains pouvaient devenir esclave

pour dette (nexum), ce qui déplut au peuple (la plèbe).

Comme en Grèce, les esclaves étaient divisés en plusieurs catégories :

- les esclaves ruraux travaillant dans les domaines agricoles (latifundia)

- les esclaves miniers qui étaient également les plus maltraités

- les esclaves citadins, parfois instruits, au service de maîtres plus ou moins riches ou

de la noblesse. Certains occupèrent des places de secrétaire, de comptable ou de

précepteur parmi d'autres fonctions.

- les esclaves publics appartenant aux services municipaux de la cité. Ils occupaient

une grande variété de tâches allant de

la voirie à l'administration.

Il faut y ajouter plusieurs autres

catégories dont le gladiateur (Spartacus,

etc.) qui pouvait être soit un homme libre

(sédentaire ou nomade, combattant

professionnel ou amateur) soit plus

généralement un prisonnier de guerre

réduit en esclavage ou aux travaux forcés.

A partir du 1er siècle av. JC (époque du

Principat), il devint plus difficile aux

Romains de ramener des prisonniers de

guerre en esclavage. De ce fait, une loi

supprima au maître son droit de vie et de mort sur son esclave. Le statut de ce dernier

s'améliora et les mauvais traitements seront interdits. A une époque où les esclaves se

comptèrent par million dans l'Empire, il était prudent pour l'avenir de la cité de

ménager cette classe sociale à risque.

A l'époque de Trajan (53-117), Rome aurait compté 400000 esclaves pour un million

d'habitants. Il y avait 2 à 3 millions d'esclaves dans toute l'Italie, soit 30% de la

population.

Comme en Grèce, l'esclave pouvait être affranchi mais uniquement pour des états de

service exceptionnels envers le maître ou par testament. Il prenait alors un nom

Combat de gladiateurs peint sur une mosaïque romaine.

Ingres, "Odalisque à l'esclave" (1840).

Page 9: Anthropologie géographique de l'esclavage

romanisé. Il n'avait toutefois pas accès aux fonctions de magistrature municipales (les

honneurs de la cité). L'affranchissement devint tellement courant, que sous Auguste

(63-14 av. JC) un impôt fut prélevé sur les affranchissements avec un plafonnement du

nombre d'esclaves affranchis par testament.

C'est à cette époque qu'apparut l'esclave impérial servant d'abord dans les palais

impériaux puis dans l'administration d'Etat.

Etonnement, l'esclave affranchi prenait le statut social de son ancien maître, et devint

soit citoyen latin soit citoyen romain. Sous Auguste, les plus riches furent seviri

augustales pour une année et pouvaient notamment participer à la célébration du culte

impérial. Par la suite, ils conservèrent des places d'honneur très enviables dans la

société. Mais tout le monde n'eut pas cette chance.

Sous le règne de l'empereur Septime Sévère (146-211), l'Empire romain ne toléra

toujours pas le christianisme. Nobles ou esclaves, les chrétiens condamnés à mort

étaient jetés aux fauves. L'Histoire chrétienne se rappelle que deux femmes

catéchumènes (personne instruite dans la religion chrétienne mais pas encore baptisée)

dénommées Perpétue, patricienne romaine d'ascendance noble qui allaitait son enfant,

ainsi que Félicité, son esclave alors enceinte et son frère Révocat, seront pris dans une

rafle avec Saturnin et son frère Satyre.

Refusant de sacrifier aux idoles ainsi que l'exigeait le

proconsul, ils seront mis en prison dans des conditions très

pénibles. Félicitée y donna naissance à son bébé. Jugés, ne

reniant pas leur foi, ils seront tous condamnés à mort. Le 7

mars 203, on les conduisit à travers les rues de Carthage

jusqu'aux arènes où ils seront tout d'abord flagellés. Les

deux femmes seront ensuite enveloppées dans un filet serré

puis on lâcha une génisse furieuse. Perpétue fut jetée au sol

par la génisse mais se releva pour venir au secours de son

amie esclave Félicité qui était tombée à son tour. Les

spectateurs ayant pitié des deux jeunes femmes, elles seront

amenées à la Porte Sauve, mais ce n'était qu'un répit. Les

Romains achevèrent Perpétue en l'égorgeant au glaive tandis

que Félicité et Révocat seront dévorés par des léopards.

Satyre fut dévoré par des lions. On raconte que le visage des femmes n'affichait aucune

peur mais au contraire rayonnait de joie. Quant à Saturnin, il aura la tête tranchée en

256. Le bébé de Félicitée sera élevé par une femme chrétienne. En commémoration de

leur martyr, l'Eglise chrétienne les canonisera tous.

Au IVème siècle, sous le règne de l'empereur Constantin (306-337), l'Empire romain

devient chrétien. Constantin interdit aux juges de condamner aux bêtes, au bénéfice de

travaux forcés dans les mines. Son édit publié en 326 après JC sonnera le glas des jeux

du cirque. Il réunira également les évêques pour fixer les termes du "credo de Nicée"

(la foi chrétienne) et fit bâtir églises et basiliques.

Lorsque l'Empire Romain devint chrétien, le principe de l'esclavage ne fut pas remis

en question mais Saint Augustin (Augustin d'Hippone, 354-430) considéra qu'on

pouvait devenir esclave pour ses péchés.

Sainte Perpétue et sainte Félicitée.

Page 10: Anthropologie géographique de l'esclavage

Finalement, à la fin de l'Empire romain, début du Haut Moyen-Age, l'esclavage

évolua et prit la forme du servage au statut tout différent. Le serf était une personne

juridique, pratiquement libre, possédant des biens, au service d'un seigneur. Tous deux

avaient des droits et des devoirs réciproques : fidélité pour le premier, protection pour

le second. Mais ceci est une autre histoire.

A Venise

Le mot moderne "esclave" moderne serait apparu dans la République de Venise au

cours du Haut Moyen-Age, peu avant le Xème

siècle, où la plupart des esclaves étaient

des Eslavons (Slaves) venus des Balkans (la Slavonie, une province de la Croatie

actuelle).

Les marchands vénitiens se procuraient des esclaves grâce aux Saxons de langue

germanique qui possédaient de nombreux prisonniers Slaves, donc des personnes de

race blanche. Ces esclaves étaient revendus très cher aux marchands de l'empire arabe

du sud de la Méditerranée et notamment aux Arabes d’Egypte. Les peintres Jean-Léon

Jérome et Ingrès en réalisèrent quelques toiles célèbres

présentées dans cet article.

L'Eglise n'y voyait rien d'immoral, rapprochant cette

pratique du servage, cette servitude remontant à l'époque de

Charlemagne (~800 ap. JC) par laquelle les paysans

sacrifiaient leur liberté en échange d'une parcelle à cultiver

et de la protection du seigneur. Mais à la différence des

esclaves, les serfs de l'époque carolingienne ne pouvaient

pas être vendus comme des biens meubles. Ainsi que nous

l'avons expliqué, ils avaient une existence juridique, même si

cela passait entre autre par le droit de cuissage du seigneur,

une forme légalisée de viol.

Les esclaves seront recrutés à Venise jusqu'au XVème

siècle et seront exploités dans les plantations en Provence, au

Portugal, en Espagne, en Italie ou encore à Chypre.

C'est également à Venise que fut créé en 1516 le premier

quartier réservé aux Juifs, le Ghetto. L'origine de ce mot est incertaine. En hébreu,

"ghetto" à la même racine que "guète" qui signifie divorce. Le ghetto serait donc

synonyme d'un acte de divorce des gentils vis à vis des Juifs, ces derniers rappelons-le,

ayant été expulsés de toutes les villes d'Italie à cette époque. A moins que le mot

"ghetto" ait une origine locale, une fonderie de fer qui se dit "geto" en dialecte vénitien

se trouvant à proximité de ce quartier. Cette origine est plus probable. Les Juifs y

seront emprisonnés et porteront une tenue vestimentaire distincte (signes jaunes et

vêtements et chapeaux spéciaux). Ils bénéficiaient toutefois d'habitations relativement

confortables, d'une relative liberté et vivaient en bonne entente avec leurs voisins

chrétiens.

L'oppression et l'esclavage furent donc deux activités que les Vénitiens pratiquaient

avec zèle.

Le quartier du Ghetto (aujourd'hui Guetto

Nuovo) à Venise dont voici une autre image.

Page 11: Anthropologie géographique de l'esclavage

Premières traces d'abolition de l'esclavage

Outre l'affranchissement des esclaves grecs et romains, on retrouve déjà la trace

d'une abolition de l'esclavage sous le règne de Clovis II et Bathilde d'Ascagnie (625-

680), reine des Francs, qui interdit les marchés aux esclaves sur ses terres. Le principe

sera progressivement repris par l'Eglise qui fera de Bathilde une sainte.

En Asie, en 958, Gwangjong, quatrième roi du Royaume de Corée, interdit

l'esclavage mais sa réforme sera balayée par les invasions mongoles ultérieures.

En France, le roi Louis X le Hutin publia le 3 juillet 1315 un édit affirmant que «

selon le droit de nature, chacun doit naître franc [...] le sol de France affranchit

l'esclave qui le touche ». Depuis cette date, la France abolit officiellement l'esclavage

mais dans les faits l'interdiction connut de nombreuses entorses dans toutes les régions

méditerranéennes qui entretenaient des relations commerciales avec les pays

musulmans, et bien entendu, par la suite, dans les colonies.

Enfin, en Afrique, Soundiata Keïta, Empereur du Mali, interdit l'esclavage au XIIIème

siècle. Il sera rétabli en 1591 par le pacha marocain Djouder puis définitivement aboli

avec la colonisation française en 1891.

Mais d'autres événements allaient bientôt banaliser l'esclavage sur toute la planète.

Ce sera l'objet du projet chapitre.

L'esclavage en Afrique et dans le

monde arabe (II)

L'Afrique a longtemps été ignorée par

l'homme Blanc et les spéculateurs fonciers.

Les premiers Européens qui visitèrent

l'Afrique furent les Portugais. Le 13 juin 1415,

Henry le Navigateur, prince du Portugal,

embarqua pour une expédition le long des

côtes de l'Afrique. En 1420, il atteignit le Sierra Leone. Son aventure marqua le début

de l'hégémonie portugaise en Afrique de l'Ouest, connue à l'époque sous le nom de

Côte d'Or car les marchands y échangeaient de l'or contre du poivre.

En 1441, les Portugais kidnappèrent plusieurs nobles africains qui, pour regagner

leur liberté, leur offrirent des esclaves Noirs en guise de rançon. Trois ans plus tard, les

premiers esclaves Noirs furent vendus au Portugal.

On estime que 150000 Noirs transiteront ainsi par le port de Lisbonne entre 1450 et

le premier voyage de Christophe Colomb en Amérique (1492).

En 1482, le capitaine portugais Dom Diego Cao atteignit l'embouchure du fleuve

Congo. Il remonta le fleuve sur quelques kilomètres à la recherche de débouchés et

d'ivoire. Il revint au pays avec quatre Congolais qu'il présenta au roi. Il repartit ensuite

au royaume du Kongo avec un émissaire appelé Roderigo de Souza accompagné de

Page 12: Anthropologie géographique de l'esclavage

plusieurs missionnaires catholiques pour y prêcher la Bonne parole. Ils seront rejoints

en 1549 par des pères Jésuites.

Les explorateurs européens ne s'enfonceront pas au cœur du Continent Noir avant la

seconde moitié du XIXème siècle et les expéditions de Brazza, Livingstone et Stanley.

Arabes et Portugais développèrent donc parallèlement la traite des Noirs en Afrique.

Mais les Noirs eux-mêmes sont également responsables de cette traite. En effet,

plusieurs traditions expliquent le développement de l'esclavage en Afrique.

L'esprit de caste

Jusqu'au XIXème siècle la seule richesse de l'Afrique Noire était ses hommes et ses

femmes. A l'instar des guerres tribales ou ethniques d'aujourd'hui (Cf. au Soudan, en

Ethiopie, au Congo, etc.), les conflits entre royaumes alimentaient un trafic de

prisonniers qui furent vendus comme esclaves à tout acheteur qui se présentait, qu'il

s'agisse d'une autre tribu, des Arabes ou des Portugais.

On ne comprend réellement la société africaine, animiste, chrétienne ou musulmane,

que si on réalise que cette société n'est pas fondée sur les mêmes principes qu'en

Occident (démocratie, industrialisation, capitalisme, etc.). La société africaine

(primitive, car cela évolue) était très hiérarchisée, agricole, fondée sur des traditions

séculaires où l'esprit de caste organisait toute la société. Ainsi, en Afrique du Nord les

serviteurs devaient servir les nobles à l'image de la relation de servitude du Moyen-Age

entre serf et seigneur.

On comprend mieux ainsi pourquoi il n'y a pas si longtemps encore des gens comme

Bokassa (Rép.Centrafricaine), Mobutu (Zaïre), Idi Amin Dada (Ouganda) et consorts

sont montés sur le trône de leur pays. Membres de castes nobles, ils furent un temps

appréciés jusqu'au jour où leur peuple comprit que ces personnages ne se sentaient

nullement redevable envers eux.

Dans le respect de l'esprit de caste,

au Niger par exemple les nobles

étaient dispensés de tout travail

manuel, une activité réservée aux

esclaves noirs. Cet esclave était

rattaché à la famille de son maître

qui le considérait comme un fils.

L'esclave ne pouvait pas avoir de

famille ni hériter d'aucun bien. Mais

il pouvait se marier si son maître

payait sa dot. Ses enfants

appartenaient au maître de son

épouse. A la mort de l'esclave, tous

ses biens revenaient à son maître.

L'esclave pouvait être vendu ou échangé et même faire partie de la dot d’une fille de la

noblesse.

Tant les habitants de Zinder (Damagaram, la capitale du Niger jusqu'en 1926), que

les Touareg (Targuy au singulier) habitant au Nord ou les Mangas Maikoréma Zakari

Targuy et son méhari dans le Massif de l'Aïr à Timia au Niger. Document A.Aubert.

Page 13: Anthropologie géographique de l'esclavage

habitant l'Est du pays ont toujours pratiqué l'esclavage. Ils ne reconnaissent toujours

pas cette pratique, mais le terme "iklan" par exemple qualifie bien un esclave en

tamasheq, la langue Touareg.

Des documents administratifs attestent cette pratique. Les "iklans" d'origine

soudanaise étaient préposés à la garde des troupeaux. Chez les Mangas Maikoréma

Zakari, le Muniyoma, roi du Munyo et maître absolu avait instauré une taxe. Outre le

prélèvement d'une fraction de la récolte, chaque homme devait lui payer 2000 cowries

(cauris) par esclave et 1000 cowries par adulte ou par tête de bœuf. Lors des ventes aux

enchères, un esclave adulte pouvait se négocier jusqu'à 40000 cowries, une jeune fille

nobile jusque 100000 cowries !

Cette société était également raciste. Les nomades Touareg et Mangas s'alimentaient

en esclaves tout d'abord grâce à la traite organisée à partir du Soudan puis, à partir du

XIXème siècle par le rapt de personnes isolées issues des peuples sédentaires du Sud

(Mali, etc.). Au début les esclaves pouvaient s'acquérir soit par le commerce soit par le

troc (échange d'étoffes, d'animaux, de céréales, d'outils agricoles, etc.).

Dans le Nord de l'Afrique, où nomades et sédentaires ont toujours cohabité, la

société a souvent été matriarcale, la femme Touareg par exemple pouvant accéder au

niveau de pouvoir suprême. Mais ce statut fut exceptionnel.

La polygamie et le statut de la femme

Cette pratique est aussi vieille que les

civilisations. Rappelons que les rois de

Babylone, de Perse et les pharaons d'Egypte

étaient polygames. Le roi David eut plusieurs

épouses, le roi Hérode eut 10 femmes et le

roi Salomon eut un harem de 700 femmes et

300 concubines. La Loi de Moïse autorisait

la polygamie, les prophètes ne

l'encourageaient pas tandis que le Christ

considéra que le fait de quitter sa femme

pour une autre était un adultère. Enfin, les

Grecs et les Romains n'ont jamais autorisé la polygamie.

En Afrique, quel que soit leurs convictions religieuses, beaucoup de peuples ont

pratiqué la polygamie.

Par ailleurs, comme les Arabes, les Africains considéraient d'un très mauvais œil

l'émancipation de la femme qui pouvait potentiellement faire ombrage au pouvoir des

hommes. De ce fait, la femme a souvent été rabaissée et son statut n'était guère

différent de celui des esclaves.

Dans beaucoup de pays africains d'obédience islamique, l'homme considérait que

rien ne servait d'éduquer la femme puisqu'elle avait juste le droit de travailler, de

s'occuper des tâches domestiques, d'élever les enfants et de satisfaire l'appétit sexuel de

son mari. Malheureusement, même dans nos pays certains machos le pensent encore.

Certaines femmes dociles s'y plient, y trouvant probablement des compensations, mais

très peu de jeunes couples acceptent encore ce genre d'attitude.

Femme africaine. Document Karloucha.

Page 14: Anthropologie géographique de l'esclavage

Le mariage forcé

Etre marié à une personne connue ou inconnue contre son gré (et souvent une jeune

fille mineure à un homme adulte) est une pratique qui a également toujours existé.

Aujourd'hui cette pratique est illégale mais se rencontre encore, même en Europe.

En Afrique, dès que les adolescents atteignaient l'âge nubile, leurs parents

organisaient leur mariage, comme cela se pratique encore localement. Après

négociation entre les chefs de famille, les jeunes filles étaient vendues par leur propre

père à leur futur époux en échange d'une dot. Elles devaient obéissance à leur mari

comme à un maître et devaient le servir pour le restant de leur vie par leur travail et

leur soumission à ses désirs sexuels. Toute épouse ne pouvant satisfaire son mari ou lui

donner un garçon était répudiée et toute femme adultère pouvait être condamnée à mort

et même lapidée dans le monde islamique.

Organisation de la traite des esclaves

Durant le Moyen-Age et les débuts de l'Islam, la traite des Noirs en Afrique ne

déboucha pas sur des déportations massives, violentes et traumatisantes des

populations. Déjà soumis à des us et coutumes ségrégationnistes, les prisonniers ou les

victimes de rapts acceptaient leur condition d'esclave avec résignation. D'autre part, il

était vains de se révolter car les marchands d'esclaves étaient armés et ne faisaient pas

de quartier.

Au début de l'Islam, donc longtemps avant que les îles atlantiques (Madère, Canaries,

São Tomé) et l'Amérique ne soient reliées au commerce négrier, des chefs noirs se

mirent au service des marchands négriers arabes pour vaincre leurs ennemis et leur

fournir des prisonniers. Ceux-ci étaient ensuite revendus comme esclave en Afrique du

Nord ou sur les marchés du Moyen-Orient, d'Inde et l'Insulinde (Malaisie, Indonésie,

Philippines). Ceci explique pourquoi aujourd'hui nous retrouvons des populations

noires dans toutes ces régions.

Les marchés d'esclaves se développèrent surtout au

Maroc, en Lybie (Tripoli), en Egypte et dans le sud

de l'Arabie (Yemen). La traite transsaharienne passait

notamment par l'aristocratie Touareg et Mangas qui

exportaient principalement les Noirs vers le nord de

l'Afrique et l'Arabie.

La valeur des esclaves variait selon qu'il s'agissait

d'une fille pubère (80 à 100000 cowries, un enfant

(60 à 80000 cowries), un jeune pubère (50 à 60000

cowries) ou un adulte (30 à 40000 cowries).

Cette traite débuta avant le commerce triangulaire

au XVIème siècle et finit au XIXème siècle. Au total, on

estime que près de 8 millions d'esclaves furent ainsi

déplacés vers l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient

entre le VIIIème et le XIXème siècle.

Marché aux esclaves. Tableau peint par Jean-Léon Gérome

vers 1884.

Page 15: Anthropologie géographique de l'esclavage

Ces marchés d'esclaves possédaient leurs propres caractéristiques. Ainsi, en Afrique

subsaharienne le prix des femmes esclaves dépassait celui des hommes car elles étaient

plus nombreuses et pour ainsi dire polyvalentes (elles pouvaient s'acquitter des tâches

ménagères, être épouse, prostituée, ouvrière, etc.). En revanche, en Afrique du Nord et

au Moyen-Orient, le prix des femmes était encore plus élevé que dans la région

subsaharienne alors que les hommes esclaves travaillaient également dans l'agriculture

et dans l'armée.

Quant à l'Amérique, les fermiers avaient surtout besoin d'une main-d’œuvre robuste

et donc d'esclaves masculins. Mais malgré la maltraitance ou le choix du sexe, rien

n'explique qu'il y eut deux fois plus d'hommes que de femmes esclaves dans le

Nouveau Monde. Une chose est sûre, les femmes esclaves étaient surtout demandées

sur les marchés esclavagistes africains.

Avant 1650, on estime qu'il y eut jusqu'à 10000 esclaves par an exportés en direction

des pays musulmans du Moyen-Orient sinon au-delà. Il y en eut autant exportés vers le

Nouveau Monde. Le langage courant à conserver une trace de cette époque; le mot

arabe abid qui désigne un serviteur ou un esclave est devenu synonyme de Noir.

Zanzibar

Au XIXème siècle, des musulmans Chiite originaires d'Oman et du Yemen s'établirent

à Zanzibar (le "littoral des Noirs" en arabe), une île africaine de l'Océan indien. Grâce à

l'importation d'une importante main-d’œuvre d'esclaves noirs, les Arabes y

développèrent la culture du giroflier. Rapidement le sultanat de Zanzibar devint l'une

des principales routes du commerce négrier en Afrique

orientale.

L'Ecossais Mungo Park qui explora cette région peu avant

1805 rapporta que dans les lieux qu'il visita une personne sur

quatre avait le statut d'esclave ou de travailleur forcé.

C'étaient des prisonniers de guerre ou des prisonniers pour

dettes.

Bien qu'en 1845, le sultan Seyid-Saïd ait interdit

l'exportation des esclaves, ses comptes précis permettent

d'évaluer à plus de 700000 le nombre d'esclaves qui

transitèrent par Zanzibar entre 1830 et 1872 !

A partir de 1890, les Britanniques tentèrent de réduire

l'esclavage sur cette île mais le commerce continua

clandestinement jusqu'au début du XXème siècle. En fait il

perdure encore aujourd'hui sous une forme à peine plus

moderne.

Entre-temps, en 1853, le pasteur et explorateur d'origine écossaise David

Livingstone explora la région du Congo et passa près des sources du fleuve Congo en

1867. Il raconta avoir vu au cours d'une exploration des esclaves capturés par les

Arabes et apprit que 40000 esclaves avaient été déportés à Zanzibar. Sur son chemin, il

Hommes, femmes et enfants capturés par les marchands d’esclaves. Document AKG publié

sur Brazza.culture.

Page 16: Anthropologie géographique de l'esclavage

vit des squelettes et des ossements d'esclaves morts lors de la marche, et cela dans

chaque village qu'il parcourut.

En 1876, le journaliste et explorateur américain Henry Morton Stanley partit à la

recherche de Livingstone porté disparu depuis quelques années et arriva à Nyangwe, au

Congo. Il découvrit un peuple anthropophage. Il se rendit compte à son tour de la

présence des Arabes et remarqua qu'ils prenaient des Congolais en esclavage.

Stanley, que les Congolais appelaient "Bula-Matadi" ("celui qui casse les cailloux"),

arriva à Zanzibar en 1874 et fut stupéfié par l'ampleur du trafic négrier. Comme

Livingstone il constata qu'ici également la traite était organisée par des Arabes. Son

récit va révolter les Européens et contribuer à soulever l'opinion mondiale contre

l'esclavage.

Le récit qu'en fit le Dr Livingstone est

devenu célèbre : « Une longue chaîne

composée d'hommes, de femmes et

d'enfants, liés à la file et les mains

attachées, serpenta sur la colline et prit

le sentier du village. Chacun de ces

malheureux avait le cou pris dans

l'enfourchure d'une forte branche de 6 à

7 pieds de long, que maintenait à la

gorge une tige de fer solidement rivée. »

Selon l'historienne Catherine Coquery-

Vidrovitch, les conditions de travail des

esclaves étaient épouvantables : « La mortalité était très élevée, ce qui signifie que 15

à 20% des esclaves de Zanzibar (soit entre 9000 et 12000 individus) devaient être

remplacés chaque année ».

Les chasseurs d'esclaves n'avaient aucune difficulté pour trouver des esclaves.

Armés par des Européens, ils possédaient des armes à feu. En face d'eux, les indigènes

ne pouvaient leur opposer que des lances et des flèches. La lutte était inégale, la

résistance des Noirs inutile.

Après que Stanley eut raconté ses aventures aux Européens, le 26 février 1885, après

plus de trois mois de discussions, les partenaires européens signent l’Acte de Berlin.

Véritable Charte de la colonisation de l’Afrique, cet acte promulgua la liberté de

navigation et de commerce sur le bassin conventionnel du fleuve Congo, la neutralité

des territoires concernés en cas de guerre et la répression de la traite des esclaves.

En 1888, la Conférence de la Société Antiesclavagiste se tint à Bruxelles. Elle traita

de l'esclavage dans l’Etat Indépendant du Congo (E.I.C.) et demanda à ce que les

coloniaux y mettent un terme.

Un Arabe nommé Tippo Tip fut institué Gouverneur de la région des Chutes de

Stanley et plusieurs postes de contrôle furent installés dans la région. Mais rapidement

les Arabes voulurent soumettre les Blancs et finirent par s'opposer à la politique

européenne par la force. Une guerre s'en suivi à partir de mai 1892. Parmi les héros de

cette guerre, le Baron Dhanis poursuivit les Arabes jusqu'à leur dernier retranchement

Page 17: Anthropologie géographique de l'esclavage

au Congo. Début 1894 les Blancs remportèrent finalement la victoire qui marqua la fin

de l'esclavage et de l'emprise des Arabes sur l'Afrique Noire.

D'un point de vue économique, on s'interrogea au XIXème siècle sur l'intérêt de la

traite des Noirs. Malthus considérait que la démographie africaine pouvait combler les

pertes humaines causées par la traite. A l'inverse, les abolitionnistes européens

affirmaient que ces prélèvements dépeuplaient l'Afrique.

Même Jules Verne dans son roman "Un capitaine de quinze ans" publié en 1878 fit

référence aux comptes rendus de Livingstone et s'inquiéta de « ces chasses à l’homme

qui menacent de dépeupler tout un continent pour l’entretien de quelques colonies à

esclaves ».

Une simulation démographique

réalisée en 1988 par Patrick Manning et

William S. Griffiths de la Northeastern

University montre que la traite

atlantique dut fortement éprouver les

populations des régions côtières de

l'Afrique de l'Ouest.

Peuplées de 25 millions d'habitants

en 1730, ces régions auraient perdu de 3

à 7 millions d'habitants en 1850. Même

les femmes âgées de 15 à 29 ans - les

années les plus favorables de la

fécondité féminine - ont deux fois

moins été déportées que les hommes, cela a lourdement pesé sur la reproduction des

populations de la région. Dans ces régions, on peut estimer à environ 12 millions le

nombre d'individus capturés à partir de 1700. De ce total, 6 millions furent déportés

vers les colonies d'outre-mer, 4 millions furent livrés à la captivité domestique et les 2

millions restants périrent en Afrique des suites de l'esclavage.

La situation fut tout aussi préoccupante dans les colonies françaises d'Afrique et aux

Antilles. Si l'esclavage fut aboli en 1848, le travail forcé n'a été aboli en Afrique que le

11 avril 1946, à l'initiative du député Félix Houphouët-Boigny, qui sera plus tard

Président de la Côte-d'Ivoire. Rappelons que cette pratique est toujours en vigueur aux

Etats-Unis et dans quelques états non démocratiques (Chine, Corée du Nord, etc.).

Voyage dans l’Afrique équatoriale. Tableau peint par Paul du Chaillu en 1863.

Page 18: Anthropologie géographique de l'esclavage

Le Congo au temps des

colonies (III)

Avant d'accéder à

l'indépendance en 1960 et

longtemps avant d'être une colonie

belge, le Congo fut une colonie

portugaise. En effet, en 1483 le roi

Alphonse V chargea le navigateur

portugais Diogo Cam de partir à la

découverte des côtes d'Afrique à la

recherche d'une route maritime

vers les Indes. En 1484, il

découvrit l'embouchure du fleuve

Congo et poussa son exploration

jusqu'à 22° de latitude Sud.

En 1488, Bartolomeu Dias ramena des Noirs d'Afrique du Sud à la Cour où ils seront

"civilisés". Ils accompagnèrent ensuite les Portugais afin de faciliter leur implantation

au Zaïre, le nom originel du Congo.

Vient ensuite la période du "commerce triangulaire" et de la traite des Noirs sur

laquelle nous reviendrons.

En 1815, la Navy britannique envoya le Capitaine James Kingston Tuckey à la

découverte de la source du fleuve Congo. Tuckey ne trouva que des villages coloniaux

abandonnés par les Portugais et des missions catholiques moribondes. Il mourut en

1816 à Moanda, futur Kinshasa. Sa mission fut un échec mais raviva l'intérêt des

Européens pour l'Afrique Noire.

Ensuite les Français commencèrent à explorer l'Afrique. Après deux ans de voyage

en Afrique équatoriale, l'explorateur français Pierre Savorgan de Brazza publia en 1831

son "Voyage au Congo et dans l'intérieur de l'Afrique équinoxiale". Il recevra la

médaille d'or de la Société de Géographie. En1884, de Brazza fonda la ville qui porte

aujourd'hui son nom. En 1891, le Congo-Brazza forma l'un des quatre Etats de

l'Afrique Equatoriale Française et Brazzaville sera sa capitale. A ne pas confondre avec

la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) dont la capitale est Kinshasa.

En 1853, Livingstone commença son exploration de l'Afrique et constata que la foi

chrétienne survivait encore au Congo (Zaïre) mais que les missionnaires Portugais

avaient quitté les lieux. Il suggéra d'envoyer des missionnaires (pasteurs protestants) à

évangéliser les Noirs.

A partir de 1868, les "Pères Blancs" d'obédience catholique évangélisèrent à leur

tour le Congo. Leur œuvre sera également sociale, assurant l'éducation et les soins de

santé des populations locales. Ils installeront des missions jusqu'en brousse, notamment

à Tandala, situé dans le nord de l'Uélé.

Extrait de l'atlas de Jean-Baptiste Douville (1831), "Voyage au Congo et dans l’intérieur de l’Afrique

équinoxiale". Document Musée de l’Homme de Paris.

Page 19: Anthropologie géographique de l'esclavage

Développement du Congo

A l'inverse des Portugais ou des Anglais, les Belges n'ont jamais eu d'expérience

coloniale. Ils ont bien tenté de coloniser Manhattan au XVIIème siècle (Peter Stuyvesant

et ses lieutenants Wallons et Flamands), puis Santo Tomas au Guatemala en (1841) et

les Etats américains du Wisconsin, d'Illinois, de Pennsylvanie et la Louisiane mais rien

à l'échelle d'un pays. Ils se sont donc organisés autour des projets d'implantation et

industriels de Stanley et calqué leur tenue tropicale sur celles que portaient les Anglais

de la Compagnie des Indes.

L'Acte de Berlin de 1885 fixa les règles d’occupation des nouveaux territoires sur les

côtes de l’Afrique. Le Portugal conserva l'enclave de Kabinda (le Kasai oriental) et

ainsi que nous l'avons vu reconnut l'Etat Indépendant du Congo (E.I.C.). Après

discussions, la Belgique finit également par reconnaître cet Etat. La Conférence de

Berlin autorisa également le roi Léopold II de Belgique à y percevoir des droits à

l'exportation.

Les atrocités du système léopoldien (1891-1906)

Dès 1884 le roi Léopold II envoya des ingénieurs prospecter les ressources du

Congo. Leur mission s'avéra assez difficile car ils devaient être encadrés par des

militaires qui durent se battre avec des trafiquants et des braconniers. Assez rapidement

la Belgique découvrit deux ressources : d'abord l'ivoire qui allait alimenter jusqu'à 85%

du commerce mondial, ensuite le caoutchouc (le latex) mais dont l'exploitation

inhumaine fera grand bruit jusque dans les années 1920. On y reviendra.

En 1891, la souveraineté du roi Léopold II et de son monopole sur le Congo (E.I.C.)

entra en vigueur jusqu’en 1906, permettant à la Belgique d’exploiter directement les

ressources de ce pays à son profit ainsi que de percevoir l’impôt en nature.

Une "Charte Coloniale" entra ensuite en vigueur à partir du 18 octobre 1908, fondant

la base de l’organisation politique du Congo belge et la nature des relations entre ce

pays et la Belgique.

Malgré l'œuvre pacifique et parfois même scientifique (ethnologique) des "Pères

Blancs" et l'opinion négatif des Européens à l'égard de toute forme d'oppression des

indigènes, l'asservissement des Noirs sera encouragé par le gouvernement belge,

officiellement pour "développer le Continent Noir", mais nul n'était dupe, il s'agissait

en fait pour la Belgique d'en tirer comme d'autres pays sans scrupule, toutes les

richesses à son profit.

Ainsi protégée par un cadre légal, loin des regards désapprobateurs, entre 1885 et

1908 la Belgique réduisit au travail forcé des millions de Congolais dans la brutalité.

Les Français seront tout autant visés par le travail forcé des Noirs au Congo-Brazza.

Le cinéaste Marc Allégret et l'écrivain André Gide s'y rendront en 1926-1927 et

rapporteront un film et un livre intitulé "Voyage au Congo", des documentaires

pamphlétaires critiquant violemment le colonialisme. Ces publications déclencheront

une commission d'enquête.

Page 20: Anthropologie géographique de l'esclavage

A lire :

Histoire de la colonisation belge du Congo, 1876-1910

Histoire du Congo

(PDF de l'exposition de Tervuren)

http://home.scarlet.be/be074683/partie1.htm

Ou voir le dernier chapitre

Histoire de la colonisation belge du Congo, 1876 - 1910

A gauche, caricature du roi Léopold II de Belgique à qui on prête d'avoir appelé l'Afrique "le magnifique gâteau Africain". Au centre, enfant congolais à la main coupée,

sentence sévère d'un menu larcin. A droite, des missionnaires britanniques en compagnie d'hommes tenant les mains coupées de Bolenge et Lingomo, victimes des milices de la "Belgian Indiarubber and Exploration Company" (ABIR) en 1904. Devant

ces faits, entre 1895 et 1906 des Anglais jaloux de la colonie belge diffusèrent ces images et les récits de missionnaires protestants dans le Times (dont les journaux européens se feront l'écho tel que le journal allemand Kolnische Zeitung) afin de

dénoncer le sadisme du régime du roi Léopold II au Congo.

Documents HistoryWiz, Anti-Slavery International et ASI.

Le système colonial français comme le système léopoldien conduisirent à des abus et

des atrocités de toutes sortes connues sous le nom de "red rubber", le caoutchouc rouge.

Ce terme en dit long sur les abus du régime colonial qui réglait tous les délits dans le

sang et à coup de chicotte (fouet fait d'une queue d'hippopotame). En 2005, la BBC en

fit un film documentaire en coproduction notamment avec la RTBF.

Les ouvriers par exemple qui ne récoltaient pas suffisamment de caoutchouc étaient

tout simplement tués. On relate également les atrocités commises par le lieutenant de

l’armée belge Léon Fievez en mission dans la région de l'Equateur en 1894. En

réaction au refus des Congolais de collecter le caoutchouc : « Devant leur mauvaise

volonté manifeste, je leur fais la guerre. Un exemple a suffi, cent têtes tranchées et

depuis lors les vivres abondent dans la station. Mon but est en somme humanitaire.

Page 21: Anthropologie géographique de l'esclavage

J’ai supprimé cent existences, mais cela permet à cinq cents autres de vivre ». Plus

tard le journal allemand Kolnische Zeitung dénonça d'autres exactions de Fievez qui

furent relayées à la Chambre par le député belge Lorand : « un jour, cet agent d’Etat

compta plus de 1300 mains coupées ». Dans le Times du 18 novembre 1895, un

missionnaire protestant relata les méthodes barbares de l’administration congolaise.

Fievez comparut en 1899 pour cas de violences et d’exécutions mais il fut acquitté.

Il y eut également ces images montrant un Noir allongé nu sur la terre battue entre

deux morceaux de bois et fouetté ainsi que ces enfants aux mains coupées (application

de la charia islamique) photographiés en 1904 que les tirailleurs de la Force publique

(une police locale encadrée par des coloniaux) ramenaient aux officiers blancs pour

prouver qu'ils n'avaient pas gaspillé leurs cartouches !

L'attitude du roi fut dénoncée par une campagne internationale dite "antisystème

léopoldien" principalement orchestrée par les Anglo-saxons et les missionnaires

protestants. Au début, le roi Léopold II éluda la question disant qu'il s'agissait de

simple jalousie de la part des Anglais. Mais devant l'ampleur que prit le scandale et

l'intensité de l'acharnement contre sa personne, Léopold II fut contraint de céder sa

"propriété privée" à la Belgique en 1908.

L'attitude du roi comme de ses employés et de la justice nous paraît aujourd'hui

scandaleuses et le mot est faible mais il faut se rappeler qu'à cette époque et depuis les

débuts de la colonisation, les punitions corporelles faisaient partie de l'éducation. On

exhibait également un peu partout en Europe des indigènes sur les foires et dans les

zoos, la plupart étant à peine nourri et payé pour leur prestation. Ainsi on exposa la

"Vénus hottentote" (Sarah Baartman) à Paris en 1815, des Lapons à Hambourg en 1875,

des Pygmées à Tervuren en 1897 et d'autres ethnies noires au zoo de Londres en 1904 !

Ces "zoos humains" faisaient presque partie du quotidien au même titre que la foire et

personne ne s'en offusqua jusqu'en 1958 quand les responsables de l'Exposition

Universelle du Heysel (B) obligèrent encore des Noirs à s'exhiber dans un parc

d'attraction !

Mais ne croyez pas que les mentalités ont beaucoup changé. Moyennant finance,

certains touristes peuvent encore visiter les campements des Amérindiens d'Amazonie

qu'ils traitent de "primitifs" ou assister à la vie quotidienne des Indiens parqués dans les

réserve d'Amérique du Nord ! Dans ces deux cas, il ne s'agit pas de représentations

commerciales payantes et destinées aux touristes mais bien d'une violation pure et

simple de la vie privée de ces gens.

De Tintin au Congo à "Bwana Kitoko" (1930-1960)

La colonisation du Congo fut maintenue par le gouvernement belge en raison de son

intérêt historique pour l'ivoire et le caoutchouc puis en raison de l'exploitation du

minerai de cuivre (au Katanga) et d'uranium et accessoirement de l'argent, du cobalt,

du zinc, de l'étain, des diamants, de l'or et du copal (résine fossile). Après 1945 la

Belgique y développa la culture du coton, du thé, du café et du tabac.

Page 22: Anthropologie géographique de l'esclavage

Parmi les grandes entreprises coloniales de l'époque citons

la Forminière (extraction des diamants et de l'or du Kasai,

soutenue par la Banque de Bruxelles), l'UMHK (extraction

du cuivre, argent, cobalt et métaux rares du Haut Katanga,

soutenue par la Société Générale) et la Cotonco. Peu avant

1960 la Cotonco était le 3eme producteur mondial de coton et

occupait environ 750000 travailleurs ! L'entreprise sera

nationalisée après l'indépendance.

Aussi étonnant que cela soi, durant toute la période

coloniale (jusqu'à l'indépendance du Congo belge), les

coloniaux ont réussi à contrôler un pays sans nation et sans

politique nationale, un pays grand comme quatre fois la France (presque aussi grand

que l'Europe continentale) dans lequel vivaient sans trop s'aimer quelque 500 ethnies !

On reconnaissait un colonial à son casque typique (casque colonial dans les années

1930 puis portant le chapeau de scout à partir des années 1950), sa saharienne et sa

carabine Winchester, Hergé l'ayant représenté dans sa fameuse bande dessinée "Tintin

au Congo" dès 1930.

L'idée que le colonial belge était une brute esclavagiste est tenace. Elle remonte en

fait à l'époque léopoldienne car l'attitude des coloniaux changea radicalement au milieu

du XXème siècle, même si leur côté paternaliste et il est vrai parfois méprisant ou

hautain a longtemps subsisté. Interrogez tous les coloniaux aujourd'hui pensionnés,

qu'ils soient missionnaires, chasseurs, techniciens ou chefs de district, aucun ne vous

dira qu'il a vu ou possédé des esclaves, violenté des Noirs ou fait couler le sang. Aucun

fils de colonial ayant vécu aux alentours des années 1945-1960 au Congo ne fut témoin

d'exactions ou de brutalité des coloniaux envers les Noirs.

Certes, les coloniaux disposaient de "boys" noirs, un terme emprunté à l'anglais

signifiant domestique au sens large et qui n'a aucune connotation péjorative ou raciste

bien qu'il y ait toujours un lien de subordination entre le domestique et son patron et un

sentiment d'infériorité du premier vis-à-vis du second. Mais ce sentiment n'a rien à voir

avec l'esclavage. Les boys étaient et sont encore des employés rémunérés pour leur

travail domestique (cuisine, entretien, nourrisse, nurse, etc.) qui tirent toujours un large

profit et beaucoup de satisfactions de leur statut privilégié comparé à la misère dans

laquelle doivent survivre leurs compatriotes désœuvrés. Toute chose étant relative,

n'oublions pas non plus qu'un employé est aussi au service de son patron.

Toutefois, il faut dire la vérité. L'Histoire a retenu de cette époque coloniale

française et belge des actes peu glorieux et parfois franchement révoltants et criminels.

Il y a notamment ces films super8 en noir et blanc montrant ces jeunes techniciens

célibataires de la Cotonco passant leurs loisirs à tirer sans état d'âme sur les grands

mammifères (léopard, éléphant, gorille, etc.) ou posant fièrement sur des trophées de

crocodile, ces coloniaux hilares abusant de jeunes filles torses nues, ces contrebandiers

fouettés à mort ainsi que ces enfants aux mains coupées que les tirailleurs de la Force

publique (une police locale encadrée par des coloniaux) ramenaient aux officiers

blancs pour prouver qu'ils n'avaient pas gaspillé leurs cartouches. Mais ce n'est pas tout

car il ne faut pas oublier le pillage organisé des objets d'art, de l'ivoire, des fourrures et

Page 23: Anthropologie géographique de l'esclavage

des trophées... Ajouté au comportement méprisant des Blancs vis-à-vis des Noirs, pour

les Congolais cela ne pouvait plus durer.

A lire : Aloube ou Une enfance au Congo belge

Histoires authentiques de la vraie vie des coloniaux entre 1946 et 1959

Commentaire :

« Sur le site d’Aloube on évite de mêler trop le nom du roi Léopold II, on évite de parler

du feu mais on montre de sources nombreuses avec beaucoup de fumée qui laisse à

deviner … (V.R) »

A gauche, coloniaux réunis pour l'apéritif au Congo français (Brazza). Au centre, un colonial se mesurant à des Pygmées à l'époque du Congo belge. A droite, à ce jeu le roi Musinga (Rwanda)

tient la tête haute à cet officier colonial photographié en 1930. Documents Oxygénées, La médiathèque et B.Sehene.

Suite à l'abdication du roi Léopold III, en 1951 le prince Baudouin âgé d'à peine 21

ans monta timidement sur le trône de Belgique. Au fil des législatures, le

gouvernement envisagea l'indépendance du Congo belge au cours d'un processus lent

qui devait durer 30 ans. Mais l'arrivée au pouvoir du parti congolais Abako en 1957

bouleversa les projets du gouvernement.

Entre 1956 et 1960 plusieurs pays d'Afrique accédèrent à l'indépendance (Maroc,

Tunisie, Soudan, Guana, Guinée, etc.) ce qui n'était pas pour déplaire aux intellectuels

Congolais qui commençaient à ne plus supporter la condescendance et le paternalisme

des Blancs à leur égard et une économie exclusivement tournée vers l'Occident.

En 1959, à l'étonnement général, le gouvernement belge annonça son désir

d'accorder son indépendance au Congo. Le 30 juin 1960 le roi Baudouin 1er se rendit à

la cérémonie d’indépendance qui devait avoir lieu à Léopoldville. Signe prémonitoire,

en cours de route un spectateur congolais lui vola son sabre qu'on lui rendit peu de

temps après.

Page 24: Anthropologie géographique de l'esclavage

Arrivé à Léopoldville, le Roi est tout d'abord applaudi par

l'Assemblée. Mais au cours de la cérémonie, le roi Baudoin

commet l'erreur de faire l'apologie de la colonisation devant

les députés congolais. Le Président Kasa-vubu proclama de

suite la République, mais le Premier ministre Patrice

Lumumba qui sortait de 6 mois de prison pour actions

indépendantistes répondit vertement à la provocation. Faisant

ses salutations non pas au roi mais « aux Congolais et

Congolaises, aux combattants de l'indépendance... »,

Lumumba proclama officieusement l'indépendance du pays et

la fin de l'exploitation du Congo par la Belgique et les

hommes Blancs.

Humilié, "Bwana Kitoko", le "beau jeune homme" qu'était

le roi Baudouin, rentra dare-dare en Belgique.

Le discours de Lumumba sera à l'origine de violentes

émeutes dans tout le pays. Le 8 juillet 1960, le sergent-major

Joseph Désiré Mobutu est promu Colonel et devient du jour au lendemain chef d'É tat-

major. Devant l'ampleur de la guerre civile, les militaires belges quittèrent le pays,

abandonnant lâchement les ressortissants étrangers à leur sort. La Force publique

congolaise n'étant plus payée par les Belges, elle rejoignit rapidement les pillards et mit

le pays à feu et à sang. Les vieilles guerres ethniques ressurgirent.

En quelques jours la "chasse au Blanc" fut ouverte, forçant les coloniaux à l'exil sous

peine d'être abattus à coup de machette et les femmes violées.

La radio locale et les missionnaires annonçant aux coloniaux qu'il se commettait les

crimes les plus odieux dans tout le pays, les coloniaux renvoyèrent de suite leur femme

et leur(s) enfant(s) en Europe rejoindre leur famille. On se souvient encore de ces

hommes en bras de chemise et de ces femmes hébétées et fatiguées par le stress et un

long vol épuisant descendant seules des avions en provenance du Congo avec pour tout

bagage leur bébé âgé de quelques jours dans les bras. Leur mari, chef d'entreprise ou

responsable d'exploitation (notamment pour la Cotonco) restera encore au Congo

quelques années avant de revenir définitivement en Belgique et y chercher un nouvel

emploi.

Arrivée du roi Baudouin au Congo le

30 juin 1960 accompagné du

Président Kasa Vubu.

"L'Histoire sanglante du Congo". Tableau réalisé par le peintre autrichien Werner Horvath. On reconnaît Laurent

Page 25: Anthropologie géographique de l'esclavage

Après l'assassinat du

Président Lumumba

commandité par la Belgique, en 1965 Mobutu Sese Seko fut élu Président de la

République Démocratique du Congo qu'il rebaptisa le Zaïre quelques années plus tard.

Rapidement la population se rendit compte qu’elle avait tout perdu y compris ses

illusions; l'administration sera corrompue durant le règne de Mobutu, tandis que les

institutions publiques, les industries comme la population survécurent tant bien que

mal, plutôt mal, alors que les proches du pouvoir s'enrichissaient à ne plus savoir quoi

faire de leur argent. En quelques années, tout le tissu socio-économique de la jeune

République s'effondra. Les gouvernements belges successifs se voilèrent la face sous le

prétexte de non-ingérence en attendant des jours meilleurs.

Paradoxalement, le Président Mobutu garda toujours une haute estime du roi

Baudouin au point que dans les années soixante il essaya de l'imiter dans l'habillement

ou la façon de saluer la foule. Les deux personnages se sont écrits de nombreuses

lettres.

En 1970, le roi Baudouin sera officiellement invité par le Président Mobutu pour

célébrer les 10 ans d'indépendance du Zaïre. Le roi s'y rendit volontiers. Il sera reçu

avec beaucoup de sympathie comme on le voit sur cette image prise par un

photographe de l'agence News.

Devant le travail accompli au Congo par les belges entre 1930 et 1960 et

principalement après la guerre, il va sans dire que les ouvriers noirs et les anciens boys

qui perdirent leur travail ont paradoxalement regretté le départ des Blancs qui leur avait

permis de vivre dans un pays organisé et économiquement en croissance. Entre 1935 et

1957, la production industrielle augmenta en moyenne de 14% par an. Le surplus

économique (valeur de production avant/après colonisation) atteignit environ 400%

alors qu'il n'atteignit pas 10% au début de la colonisation.

Mais d'un autre côté le peuple congolais a choisi librement l'indépendance,

l'émancipation, bref la liberté. Les Congolais étaient loin d'imaginer que la démocratie

et la justice sociale ne faisaient plus partie du vocabulaire du mégalomane, milliardaire

et dictateur Mobutu qui laissa crever son peuple jusqu'en 1997, époque à laquelle

Laurent-Désiré Kabila repris les rênes du pouvoir, non sans mal.

Aujourd'hui la situation socio-économique du pays est toujours déplorable et la

Belgique est divisée sur la question de l'aide à apporter au Congo. C'est dommage car

d'autres nations et notamment les Etats-Unis, le Canada et même la Chine n'ont pas

hésité à reconquérir les marchés abandonnés par la Belgique (la même situation se

produit dans les anciennes colonies françaises). Quant à la politique congolaise (voir

aussi ce site) les élus de la jeune république ont encore du travail à abattre pour

supprimer la corruption, la haine raciale et rejoindre les vraies démocraties

respectueuses des Droits de l'Homme.

Voyons à présent qu'elle fut la situation dans le Nouveau Monde et comment

s'organisa la traite au départ de l'Afrique.

Kabila (gauche), Patrice Lumumba (centre) et Mobutu Sese Seko (droite). Document Virtual Museum of Political Art.

Page 26: Anthropologie géographique de l'esclavage

L'esclavage dans le Nouveau

Monde (IV)

Ecartelés entre l'Eldorado promis en

Amérique du Sud, les plages

paradisiaques des Caraïbes, les terres

vierge d'Amérique du Nord et la ruée vers

l'Ouest, en quelques siècles des dizaines

de millions d'immigrants conquirent ces

nouveaux territoires en quête de richesses

et d'un avenir meilleur.

Dans ce contexte socio-économique de

pleine croissance, les fermiers

manquèrent rapidement de main-d’œuvre

pour développer leurs affaires. C'est donc

assez naturellement qu'à partir du XVIème

siècle le commerce négrier explosa dans le Nouveau Monde.

La traite s'est progressivement organisée depuis l'Europe, l'Afrique et les différents

comptoirs d'outre-mer, orchestré par le pouvoir en place et les lobbies coloniaux. La

traite des Noirs fut méthodique et participa à l'essor économie des colonies.

Au début de la traite des Noirs les bateaux négriers partaient de l'île de Gorée

située à quelques brasses de Dakar, au Sénégal. L'île de Gorée fut découverte en

XVème siècle par les Portugais. Durant plus de quatre siècles Gorée sera fréquentée

par des bateaux venant du Portugal, d'Espagne, de France, d'Angleterre et même du

Danemark.

Aujourd'hui l'île est évidemment mondialement connue pour sa "Maison des

esclaves" et sa fameuse "porte sans retour" donnant sur l'Atlantique... Pour mémoire,

cette maison appartenait à Signare (déformation de senhora) Anne Colas, une négrière

métisse. Par la suite beaucoup de maisons du front de mer furent bâties sur ce modèle.

Entre le XVIème et le XIXème siècle, toutes les puissances maritimes participèrent au

commerce négrier vers le Nouveau Monde. Après avoir installé des comptoirs en

Afrique puis en Amérique du Sud, les Portugais étendirent leurs routes commerciales

jusqu'aux Indes. Puis ce fut le tour des Conquistadors Espagnols. Après avoir réussi la

Reconquista (la reconquête du territoire d'Espagne sur les Maures et réunifier leur

territoire sous l'autorité des "Rois très Catholiques") ils partirent à leur tour à la

conquête du Nouveau Monde grâce à Christophe Colomb. Plus tard l'Angleterre puis la

France les rejoignirent. On y reviendra.

Certaines routes comme celles des Caraïbes, d'Amérique du Sud ou des Etats-Unis

eurent une fréquentation inimaginable aujourd'hui. Dans son livre sur l'histoire des

Pygmées, Victor Bissengué estime qu'entre le XVIème et le XIXème siècle 50 millions

d'esclaves noirs furent envoyés dans les colonies. Si certains auteurs ont recensé 11

millions d'esclaves dans le Nouveau monde, pour l'UNESCO le nombre d'esclaves et

de déportés atteignit 100 millions de personnes !

L'escalier de la "Maison des esclaves" sur l'île de Gorée au Sénégal. Au bout du couloir,

la "porte sans retour" où des chaloupes attendaient les esclaves. Ceux qui tentaient de s'enfuir étaient tués soit au mousquet soit

par les requins Document UNESCO.

Page 27: Anthropologie géographique de l'esclavage

Les principales routes de l'esclavage entre le VIIIe et le XIXe siècle. Des navires chargés de pacotilles quittaient les ports européens vers

l'Afrique. Les denrées étaient échangées contre des esclaves. Ceux-ci étaient ensuite acheminés vers les colonies d'Amérique : c'est le

commerce triangulaire. Document UNESCO/Marc Verney/RFI adapté par l'auteur.

Au XVIIIème siècle on arriva au paroxysme de la traite des Noirs. Le commerce

européen des esclaves donna naissance au "commerce triangulaire" entre l’Europe,

l’Afrique et l’Amérique. Des navires chargés de pacotilles quittaient les ports

européens vers l'Afrique (Sénégal, Guinée, Bénin, Congo, Zanzibar). Les denrées

étaient échangées contre des esclaves. Ceux-ci étaient ensuite acheminés dans des

conditions inhumaines vers les colonies d'Amérique (portugaises, anglaises,

hollandaises, espagnoles et françaises). Du Nouveau Monde, les navires repartaient

vers l'Europe avec des produits tropicaux et des métaux précieux. Parfois les navires

revenaient avec des indigènes qu'ils exhibaient à la Cour des Roi, dans les foires et

parfois même dans les zoos (Angleterre, 1908).

Outre les documents administratifs, les photographies et la mémoire des peuples qui

attestent de ce commerce, la seule preuve "vivante" que nous avons de ce trafic qui

dura parfois plusieurs siècles se lit aujourd'hui sur le visage des ressortissants de ces

pays d'outre-mer qui dans certaines îles des Antilles représentent une population à 95%

noire (Haïti). Autre signe indéniable de la colonisation, au Brésil près de la moitié de la

population est métissée.

Voyons comment tout cela a commencé en distinguant trois routes commerciales et

trois manières de réglementer le commerce des esclaves avant d'aboutir finalement à

l'abolition de cette pratique :

- L'esclavage dans les colonies portugaises et espagnoles (Amérique centrale et du

Sud)

- L'esclavage dans les colonies françaises (Antilles, Guyane, Réunion)

- L'esclavage dans les colonies anglaises d'Amérique du Nord (Etats-Unis).

Page 28: Anthropologie géographique de l'esclavage

L'esclavage dans les colonies portugaises et espagnoles

Avec la bénédiction du pape

L'expansion de l'esclavage aux colonies d'outre-mer remonte à l'époque des grandes

découvertes. La première reconnaissance officielle de l'esclavage dans les colonies

remonte à 1445, époque à laquelle une bulle du pape Eugène IV autorisa le Portugal à

réduire en esclavage les peuples infidèles du Nouveau Monde.

A son tour, en 1454 le pape Nicolas V autorisa le roi du Portugal à pratiquer la traite

en Afrique.

Aux Antilles

Le 3 août 1492 Christophe Colomb affréta deux caravelles et une nef à destination

des Indes. En fait il partit réellement des îles Canaries car il dut réparer un gouvernail.

Après une longue traversée et évité de justesse une mutinerie, le 12 octobre Colomb

découvrit l'île de San Salvador, ainsi baptisée car il estima que c'était le Christ, le Saint

Sauveur, qui sauva son expédition. Puis il découvrit Cuba, la Dominique, la

Guadeloupe et Montserrat, bref les Antilles. Colomb était persuadé d'avoir atteint

l'Asie.

A gauche, réplique de la caravelle Niña affrétée par Christophe Colomb en 1492. A droite, arrivée de Christophe Colomb en Amérique, le 12 octobre 1492. Documents

Anonyme et Library of Congress.

Dès le deuxième voyage en 1493, des Noirs furent embarqués dans les caravelles.

Christophe Colomb découvrit Saint-Barthémely, Porto-Rico puis la Jamaïque.

A Hispaniola (l'île rassemblant aujourd'hui les Etats de la République Dominicaine

et Haïti), les explorateurs espagnols firent prisonnier 1500 amérindiens Arawaks qui

seront parqués comme des animaux. Les Espagnols tenteront de les ramener en Europe

pour en faire des esclaves mais la plupart succombèrent sous la maltraitance ou lors du

voyage de retour.

Environ 300 Amérindiens survécurent et seront mis aux enchères en Castille après

1496. On raconte que Christophe Colomb vendit chaque Améridien pour 5000

Page 29: Anthropologie géographique de l'esclavage

maravedis, presque rien. L'expression nous est restée : "Cela ne vaut pas un

maravédis" pour signifier que cela n'a aucune valeur.

Rapidement toutes les îles des Antilles seront colonisées par les Espagnols (Cuba,

Santiago, Porto Rico, Santa Cruz, Guadalupe, Dominica, Martinina, etc.) puis certaines

seront acquises par les Britanniques, les Français ou même les Danois.

En Jamaïque (Santiago) par

exemple les Anglais boutèrent les

Espagnols hors de la colonie mais

conservèrent leurs esclaves (les

Marrons signifiant "fier et sauvage").

Après le déclin de la population

amérindienne, les Britanniques

importèrent des esclaves d'Afrique.

Les Français coloniseront la

Guadeloupe et la Martinique en 1635

puis massacreront les Amérindiens.

Santa Cruz fut colonisée par les

Danois en 1672 (Indes occidentales

danoises) puis passera sous protectorat américain en 1917 (U.S. Virgin islands) contre

la somme de 25 millions de dollars.

Après quatre voyages et passé huit années à explorer des dizaines d'îles, Colomb

perdit toutes ses illusions de mettre pieds en Inde. Pourtant, en atteignant le Venezuela

puis Panama il avait découvert un nouveau continent qui sera signalé à la même

époque par le navigateur italien Amerigo Vespucci.

Pour ne pas alourdir cet article, nous décrirons séparément cet événement historique

à l'origine du nom de baptême de l'Amérique. Nous verrons également qu'elles furent

les conséquences économiques comme linguistiques du Traité de Tordesillas signé à la

même époque.

A lire : L'Amérique a-t-elle usurpé son nom ?

Le Traité de Tordesillas

http://www.astrosurf.com/luxorion/amerigo-tordesillas.htm

En Amérique centrale

Au XVème et au XVIème siècle, il faut bien avouer que l'esclavage était devenu banal.

En 1514, le juriste espagnol Jean Lopez de Palacios Rubios (1450-1525) dû publier un

"Requerimiento" (une sommation) pour éviter les abus commis par les Conquistadores

dans l'esclavage des Amérindiens et pour convertir ces derniers à la religion catholique

si besoin par la force et la menace.

Le Belem en Martinique. Document M.Pabois.

Page 30: Anthropologie géographique de l'esclavage

Le XVIème siècle fut marqué par de

multiples tragédies humaines. Les

expéditions de Cortès et de Pizarro

seront les plus sanglantes.

En 1519, Hernan Cortès débarqua à

Tabasco, au Mexique. Une prophétie

Aztèque remontant à dix ans avait prédit

qu'un feu enflammerait le ciel durant la

nuit, annonçant qu'un malheur allait

s'abattre sur l'Empire. Signe prémonitoire

que le temps était venu, l'année

précédant l'arrivée de Cortès, de grandes

lueurs et même une comète auraient été

observées par les Aztèques.

L'empereur Moctézuma II n'y prêta pas attention et alla à la rencontre des Espagnols

en toute confiance, les invitant à Tenochtitlan (Mexico) en ses termes : "Bienvenus

dans notre pays, mes seigneurs !", estimant probablement que leur chef de file était un

dieu.

Les espions de Cortès lui avait déjà dit que l'Empereur avait la fierté d'un pharaon

d'Egypte et disposait de centaines de serviteurs qui balayaient le chemin devant son

passage. Cortès décida de se faire passer pour le dieu Quetzalcoatl.

Pour son expédition Cortès était accompagné d'une jeune femme métisse native

d'Amérique appelée Doña Marina par les Espagnols et La Malinche par les Aztèques

qui lui servit d'interprète. Elevée à la vie de la Cour, diplomate et autoritaire, elle

devint le bras droit de Cortès dans toutes ses affaires militaires et influença fortement

ses décisions. Elle deviendra sa maîtresse et lui donnera un enfant avant de le quitter.

Cortès sera traité à l'égal d'un empereur par Moctézuma II.

Devant la beauté de sa cité entourée de lacs et de sommets

enneigés, ayant apprécié la qualité des parures d'or et d'argent

et ne voyant aucun signe d'hostilité et très peu d'hommes armés,

Cortès comprit vite qu'il était dans une sorte de Paradis et en

territoire conquis.

La relation se passa bien mais en 1520, suite à des

malentendus avec un autre explorateur qui tua le clergé aztèque,

les Aztèques massacrèrent une partie de l'armée de Cortès lors

de la "Noche Triste". Cortès ne tarda pas à répliquer et en 1525

ses troupes massacrèrent tous les Amérindiens. Mais le

génocide n'alla pas s'arrêter là. Cortès se lança à la conquête du

pays qu'il baptisa la "Nouvelle Espagne".

Arrivés au Mexique armés jusqu'aux dents, portant des sabres en acier et des bouclés,

équipés d'armes à feu, de canons et d'arc à flèches - autant d'armes inconnues des

Amérindiens -, les Conquistadores étaient pratiquement invincibles. Par ailleurs,

porteurs de maladies inconnues dans le Nouveau Monde, les Espagnols s'attaquèrent

également à un peuple qui n'avait aucune défense immunitaire. En l'espace de 20 ans

L'empereur Moctézuma II observant une comète l'année précédant l'arrivée des Conquistadors espagnols au Mexique.

Mauvais presage car il sera assassiné en 1520.

Hernan Cortès.

Page 31: Anthropologie géographique de l'esclavage

les Conquistadors exterminèrent 95% de la population Mexicaine déjà estimée à 19

millions d'habitants !

En Amérique du Sud

En 1532, Francisco Pizarro arriva au Pérou avec 180 hommes et 37 chevaux. Digne

héritier des méthodes sanglantes de Cortès, Pizarro fit prisonnier l'Inca Atahualpa,

prétendant au pouvoir impérial et provoqua un massacre parmi la population effrayée

par les chevaux et l'armement des Castillans. Pizarro contraignit les Incas à lui donner

tous leurs trésors puis assassinat leur chef en 1533. Pizarro conquit ensuite Cuzco puis

Quito (grâce à Belalcazar) avant de fonder Lima

(Ciudad de los Reyes).

Mais pour coloniser un pays, trouver de l'or et

des pierres précieuses (les Conquistadores

trouvèrent surtout de l'argent), abattre les arbres,

bâtir des villes et cultiver la terre, les militaires

souvent issus de la noblesse, ne voulaient pas

s'abaisser à effectuer de vils travaux. Ils avaient

donc besoin de mains-d’œuvre. Pizarro comme

Cortès et Cabral non seulement pillèrent et

saccagèrent les colonies mais firent souffrir des

milliers d'Amérindiens d'esclavage et

exterminèrent certaines tribus.

Du moins à quelques exceptions près, car en 1530 pour la première fois l'Empereur

Charles Quint interdit l'esclavage des Amérindiens, position suivie sept ans plus tard

par le pape Paul III. Toutefois, la condamnation par l'Eglise romaine eut peu d'effet

dans les colonies.

A son tour l'évêque espagnol Bartolomé de Las Casas prit la défense des

Amérindiens. En 1542, des lois furent même promulguées pour protéger les indigènes

mais elles furent également peu respectées car elles entraient en conflit avec les intérêts

des miniers.

Finalement en 1550 Charles Quint affranchit tous les esclaves des Indes occidentales.

Trois ans plus tard l'Angleterre commença à pratiquer la traite.

En 1546, il y avait 600 Noirs dans les troupes de Pizarro. Les Espagnols (comme les

Amérindiens) les considéraient comme des serviteurs. Mais une fois la colonisation

terminée, les Noirs perdront leur prestige et redeviendront esclaves.

Suite à la colonisation des "deux Indes", les Noirs resteront en esclavage car ils

résistaient soi-disant beaucoup mieux que les Blancs à la chaleur des Tropiques. Les

Noirs furent très nombreux à Saint Domingue (la République Dominicaine) où ils

dépassèrent très tôt le nombre d'indigènes (les Taïnos du groupe des Arawaks). On y

reviendra. Ce fut également le cas en Amérique centrale où les Noirs seront utilisés

dans toutes les plantations. Localement ils seront même exploités par les indiens

Caraïbes suite au naufrage deux bateaux négriers en 1635 et 1672 à Saint Vincent.

Atahualpa (1502-1533).

Page 32: Anthropologie géographique de l'esclavage

En 1713, suite aux traités d'Utrecht, les Hollandais et les

Anglais obtinrent "l'Asiento", c'est-à-dire le monopole du

transport des Noirs d'Afrique vers les colonies espagnoles

des Caraïbes et d'Amérique du Sud.

Au Surinam par exemple, ancienne Guyane hollandaise,

l'influence de la colonisation et des flux migratoires se lit sur

le visage des habitants. Aujourd'hui 41% de la population

(31% de Créoles et 10% de Marrons) soit presque une

personne sur deux est métissée et à des origines africaines.

Les autres ethnies sont constituées d'émigrants Hindustani

(37%), Javanais (15%), Amérindiens (2%), etc.

Les Noirs furent également relativement nombreux au

Mexique, au Pérou, en Argentine et au Chili. Selon le

recensement établi en 1775 par le cosmographe et

explorateur Juan Lopez de Velasco dans son "Traité de géographie", en 1570 « les

Amériques espagnoles seraient peuplées de 9.3 millions d'habitants, dont la majorité

8.95 millions seraient des Indiens, 120000 des blancs et 2.3 millions des Noirs, des

mulâtres et des métis ».

Au Brésil

Le Brésil connut une traite négrière encore plus importante que les Antilles ou les

Etats-Unis. Le Conquistador portugais Pedro Alvares Cabral s'établit au Brésil en 1500.

A priori rien ne s'opposait à l'esclavage des Amérindiens qu'on retrouva même sur les

marchés de Lisbonne. Toutefois en 1570 une loi sur les indigènes fut adoptée stipulant

qu'on ne pouvait réduire en esclavage que les Indiens pris dans une juste guerre ou

anthropophages.

En 1573, une lettre royale permit de rendre esclaves tous les Amérindiens « sauf

dans les cas manifestement injustes ». L'interprétation du texte était bien entendu

laissée à l'appréciation des Portugais dont ils profitèrent largement durant deux siècles.

Le Portugal abolit finalement l'esclavage par un décret du 12 février 1761 du

Marquis de Pombal mais il ne

sera officiellement aboli au

Brésil qu'en 1888.

Quelles traces reste-t-il

aujourd'hui de cette période

d'esclavage au Brésil ? Quand

on observe les Brésiliens (et

les Brésiliennes !)

d'aujourd'hui, on constate que

la plupart ont un hâle bronzé

qui n'a rien à voir avec une

cure récente de Soleil.

En fait, si on se penche sur

l'histoire de son peuple, on

Métisse à Paramaribo (Surinam). Document Pim

Rupert.

Importance du commerce des esclaves Noirs dans les différentes régions du Nouveau Monde.

Page 33: Anthropologie géographique de l'esclavage

constate que les Amérindiens du Brésil ont travaillé aux côtés des esclaves Africains ce

qui conduisit à de nombreux échanges culturels et à métissage qui pris ici une

importance qui n’existe nulle part ailleurs.

Ainsi, selon les statistiques de la CIA, en 2011 le Brésil comptait environ 204

millions d'habitants. Un relevé établi par Census en 2000 répartit la population en 54%

de Blancs, 38% de Métisses, 6% de Noirs et 1.6% de minorités dont 0.9% de Japonais,

Arabes et Amérindiens mais parfois déjà métissés.

Suite à la colonisation et l'intensification des flux migratoires, à l'exception des îles,

le Brésil est devenu le pays le plus métissé au monde, où presque une personne sur

deux à des origines africaines et/ou amérindiennes. Pour souligner l'importance du

métissage dans ce pays, l'administration brésilienne a retenu la couleur "pardo" (gris)

pour désigner l'ensemble des Métis qui seront bientôt majoritaires, c’est-à-dire un

mélange qui résulte du mixage des populations originelles, indiennes, noires et

blanches.

Ceci dit, la mémoire collective a gardé une trace des atrocités du passé que semble

toujours refouler la population. En 1990, l'Institut Brésilien de Géographie et de

Statistique (IBGE) avait relevé plus de 100 nuances de traits physiologiques dans la

population brésilienne mais il constata que les personnes interrogées s'attribuaient des

caractères s'éloignant autant que possible de la couleur noire.

Autre pays, autre mœurs, les colonies françaises se singularisèrent en matière

d'esclavage avec le "Code Noir" du roi Louis XIV.

L'esclavage dans les colonies françaises

En 1685, le roi de France Louis XIV dit le "roi Soleil" voulut étendre son pouvoir

aux colonies. Par l'entremise de son ministre Jean-Baptise Colbert, il imposa le "Code

Noir" dans lequel il définit une doctrine de l'esclavage.

Dans une soixantaine d'articles, le monarque absolu décrivit le statut et la manière

de soumettre les esclaves nègres. Ce Code rassembla toutes les dispositions légales

en vigueur dans les colonies françaises des Antilles (1685), de Guyane (1704) et de

l'île de la Réunion (île Bourbon, 1723) et servit par la suite de modèle à d'autres

colonies européennes.

Louis XIV motiva ses ordonnances par cinq préoccupations

majeures : sauver l'âme des esclaves, garantir leur soumission

par la terreur, limiter la barbarie des maîtres, définir les

conditions de vente et d'héritage des esclaves et codifier les

conditions d'affranchissement.

Dans le 1er article de ce Code, on ne s'étonnera pas que Louis

XIV, catholique intolérant (il révoqua l'Edit de Nantes -

pluriconfessionnel - en 1685) exprima un objectif religieux en

exigeant l'expulsion de « tous les juifs qui ont établi leur

résidence [dans les îles ...] comme aux ennemis déclarés du

nom chrétien ». L'Article 2 impose que « Tous les esclaves qui

seront dans nos îles seront baptisés... ».

Page 34: Anthropologie géographique de l'esclavage

D'emblée le "Code Noir" fait apparaître la notion d'esclave comme un fait, peu

importe sa légitimation. L'esclave est considéré comme une personne de non-droit, tel

un objet comme le précise son Article 44 : « Déclarons les esclaves être meubles et

comme tels entrer dans la communauté, n'avoir point de suite par hypothèque, se

partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d'aînesse, n'être sujets

au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux,

aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quintes, en cas de

disposition à cause de mort et testamentaire ». Bref l'esclave n'avait aucun droit si ce

n'était celui de travailler. Les punitions étaient synonymes de mutilation (oreille

coupée, brûlure au fer rouge, jambe coupée), de pendaison ou de mort à la troisième

tentative.

Selon le philosophe français Louis Sala-Molins (1987), le Code Noir est « le texte

juridique le plus monstrueux qu'aient produits les Temps modernes ». Pire, dans

certains familles bourgeoises françaises le sujet est encore

tabou !

L'esclavage dans les colonies françaises et notamment aux

Antilles fut tout aussi violent que dans les autres colonies :

objet de non-droit, les esclaves faisant l'objet de tous les

commerces et de tous les abus. Comme les Portugais, les

Espagnols et les Américains avant eux, les colons français

souvent d'ascendance noble, ont débarqué dans les îles

accompagnés de centaines d'esclaves. Une fois installé et

devenus de riches propriétaires fonciers, certains comtes et

autres barons installés en Martinique ou en Guadeloupe

trouvèrent un plaisir sadique à mutiler les esclaves et abuser

des femmes. La mise à mort des voleurs et autres criminels

était aussi banale que les contrats négriers.

Mais un siècle plus tard, la Révolution française de 1789 bouleversa ce régime

"royal" accordé aux colonies. Le 15 mai 1791, l'Assemblée nationale accorda le droit

de vote à certains hommes de couleur. Ce début d'émancipation inquiéta les colons

blancs installés à Saint Domingue qui envisageaient de proclamer l'indépendance de

l'île pour préserver leur économie florissante. Cette demi-mesure instaurée par Paris ne

satisfaisait pas non plus les esclaves affranchis mulâtres tel François Ogé qui

réclamaient une véritable égalité entre esclaves et colons.

Le 14 août 1791, au cours d'une cérémonie vaudou dirigée par le prêtre Boukman au

Bois-Caïman, près de Morne-Rouge, les esclaves qui avaient fui les plantations et

s'étaient réfugiés dans les forêts (appelés esclaves marrons) revendiquèrent l'abolition

de l'esclavage.

Un soulèvement populaire s'en suivi le 22 août 1791, dirigé par Boukman et ses

lieutenants. Durant cette insurrection des centaines de sucreries et de caféières

(plantations de café) furent détruites. Des centaines de Blancs furent massacrés. Ce

sera le début d'une longue guerre qui conduira à l'indépendance de la colonie.

Les insurgés noirs reçurent le soutien des affranchis, dont le célèbre François Ogé.

La révolte sera finalement organisée par François Toussaint, un cocher âgé de 48 ans et

affranchi depuis 15 ans. Il entra au service de François Biassou et ne tarda pas à faire la

Page 35: Anthropologie géographique de l'esclavage

preuve de son courage et de sa détermination pour abolir l'esclavage. François

Toussaint sera surnommé "L'ouverture" (Louverture) en raison de sa bravoure.

Le 28 mars 1792, l'Assemblée législative vota l'égalité de droit entre tous les

hommes libres. Excluant les esclaves de tout droit, cette nouvelle demi-mesure ré

attisa la révolte des esclaves à Saint Domingue.

A la même époque, les Espagnols envisagèrent d'envahir le territoire français de

Catalogne. L'exécution de Louis XVI en 1793 marqua le début de la guerre franco-

espagnole dans les Pyrénées orientales.

A gauche, rébellion d'un esclave sur un bateau négrier. Peinture réalisée par Edouard Antoine Renard en 1833. A droite, la Révolution française et la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. A droite de l'image,

en jabot de soie blanc le gouverneur De Launay est emmené à la guillotine par les assaillants. Voici un autre dessin de Jean et Pierre Le

Campion (propriétaire des droits inconnu). Documents Musée du Nouveau Monde de La Rochelle et RMN.

Dans les colonies, conformément au Traité de Tordesillas, les Espagnols occupaient

la partie orientale de Saint Domingue (Santo Domingo). Ayant eu vent de la guerre

franco-espagnole, Toussaint Louverture et Biassou négocièrent avec les Espagnols le

droit de combattre les Français en échange d'une promesse de liberté pour tous les

esclaves. Les insurgés acceptèrent et Toussaint Louverture fut promu lieutenant

général dans l'armée espagnole et reçut le commandement d’un bridage de 4000

hommes.

Devant l'ampleur de la révolte des esclaves et face aux menaces d'invasion anglaise

et espagnole, les commissaires de la République française Sonthonax et Polverel se

résignèrent à proclamer la liberté générale des esclaves.

C'est ainsi que le 29 août 1793 la province du Nord de Saint Domingue fut libérée et

le 4 septembre les régions Ouest et Sud de l'île. La Convention généralisa ces décisions

par le décret du 4 février 1794 abolissant l'esclavage dans l'ensemble des colonies

françaises. Mais en 1802, sous l’influence du lobby colonial, Napoléon Bonaparte

rétablit l'esclavage et la traite des Noirs.

Entre-temps, à partir de 1792 les puissances Françaises et Anglaises s’affrontèrent

dans plusieurs parties du monde et notamment aux Antilles. Plusieurs îles passèrent

alternativement entre les mains des belligérants jusqu'en 1815. Finalement, la Jamaïque

Page 36: Anthropologie géographique de l'esclavage

et la Barbade par exemple passèrent définitivement aux mains des Anglais tandis que

la Guadeloupe et la Martinique parmi d'autres îles restèrent aux mains des Français.

Après avoir visité l'Amérique, certains Etats du Sud, le

Mexique et Cuba, à partir de 1830 l'écrivain français

Victor Schoelcher d'origine alsacienne fut sensibilisé par

la traite négrière. Dix ans plus tard il écrivit plusieurs

livres sur le sujet dans lesquels il exprima son désir

d'abolir l’esclavage immédiatement et non de manière

progressive. Il décrivit notamment les effets bénéfiques

de la suppression de l’esclavage dans les colonies

britanniques pour convaincre les esclavagistes français

que la liberté du travail n’était pas synonyme de ruine

pour les colonies.

En 1848, sous l’IIème République, Victor Schoelcher

fut nommé sous-secrétaire d'Etat aux Colonies françaises.

Héritier des courants abolitionnistes, le 27 avril il parvint

à faire signer le nouveau décret d'abolition de l'esclavage.

Dans son article premier il stipule : « L'esclavage sera

entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions

françaises, deux mois après la promulgation du présent

décret. A partir de la promulgation du présent décret

dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de

personnes non libres, seront absolument interdits ».

Victor Schoelcher sera député de la Guadeloupe en

1849. Il mourut dans les Yvelines (F) en 1893.

Aujourd'hui, la Martinique pour ne citer qu'une seule colonie française d'outre-mer

est devenue une destination de villégiature pour nombre de francophones. Mais les

Européens doivent venir en Martinique sans préjuger et en acceptant les gens tels

qu'ils sont. Le peuple est chaleureux, il est simple mais il est susceptible car les

Martiniquais comme tous les Antillais ont conservé la mémoire du passé et de

profondes blessures.

Après le Portugal, la France fut la deuxième grande puissance à abolir l'esclavage.

L'Espagne attendra de subir les guerres séparatistes Créoles et l'abolition de l'esclave

aux Etats-Unis (1865) pour abolir à son tour l'esclavage en 1886.

Mais ce n'était pas pour autant que l'esclavage n'existait plus dans les colonies,

notamment en Afrique. Le commerce des esclaves continua quelques temps,

principalement à destination des pays musulmans (Afrique Noire, Europe, mer Noire).

Voyons à présent qu'elle fut la situation sur le sol américain, et notamment les

raisons qui poussèrent ce pays à déclencher la Guerre de Sécession (Civil War) qui

conduira à l'abolition de l'esclavage.

Action dans les réserves indiennes à partir de 1830. Après l'affranchissement des

esclaves (voir plus bas), bon nombre d'anciens esclaves Noirs sont restés dans les

réserves indiennes, certains fondent des familles avec leurs anciens maîtres. Fier de

Emancipation à la Réunion. Huile sur toile d'Alphonse Garreau. Le député Sarda

Garriga apporte à l'île de La Réunion, le 20 décembre 1848, le décret abolissant

l'esclavage devant une foule calme et reconnaissante. A l'arrière-plan la statue de la liberté. Tableau exposé au Musée des Arts d'Afrique et

d'Océanie. Document RMN/Photo Jean-Gilles

Berizzi.

Page 37: Anthropologie géographique de l'esclavage

leur intégration, ces Noirs portaient des vêtements indiens, les rendant encore plus

atypiques parmi les "Peaux-Rouges".

Mais retournement bien ingrat de l'Histoire, de nos jours les indiens Cherokee qui

représentent la deuxième nation indienne des Etats-Unis après les Navajos ont voté une

loi leur permettant d'exclure de leur nation les descendants des esclaves Noirs qui

résident encore sur leurs terres. Les nations indiennes bénéficiant d'avantages et de

subventions du gouvernement américain, les critiques ne voient dans ce scrutin qu'une

façon pour les Cherokees de légaliser l'épuration ethnique. Bien entendu, les indiens

natifs et même les métisses de Baja Californie considèrent qu'ils ne font que protéger

leur communauté. En fait, si l'argent des subventions n'a pas d'odeur, il a bien une

couleur.

Le programme d'Abraham Lincoln : un casus belli

En 1854 naissait le Parti républicain, le GOP ("Great Old Party") comme on le surnomme

aujourd'hui, pour s'opposer à la loi Kansas-Nebraska autorisant la pratique de l'esclavage

dans ces deux Etats. Le ton était donné. Les Républicains voyaient dans cette loi la

preuve que les propriétaires d'esclaves du Midwest et du Sud conspiraient pour s'emparer

du pouvoir fédéral et envisageaient d'étendre l'esclavage à tout le pays. Avocat de

formation, Abraham Lincoln défendait également les vertus républicaines comme

l'opposition à l'aristocratie, à la corruption et à l'esclavage. Le Parti républicain était de

tendance centre-droite, proche des milieux d'affaires et assez conservateur. Aujourd'hui le

GOP en a gardé les traits bien que des courants opposés

évoluent dans ses rangs.

En 1857, alors que Lincoln était membre de la législature

de l'Illinois, il proposa à ses collègues républicains de

consacrer des fonds « pour retirer tous les Noirs affranchis

de l'Etat d'Illinois » et de les renvoyer dans leur pays natal.

Son idée sera violemment critiquée car son projet

d'émancipation des Noirs avait un prix.

Pour les 11 Etats du Sud dits Confédérés (51 villes

distribuées pour la plupart dans des zones agricoles), les

esclaves représentaient 38% de la population et

contribuaient à 23% de la richesse des Blancs. Le fait que

Lincoln envisageait de réduire les droits des propriétaires

d'esclaves était donc considéré comme une catastrophe

économique potentielle pour les Sudistes. Même ceux qui

n'avaient pas d'esclaves étaient prêts à défendre leur système

économique, au besoin par les armes.

On estime qu'à cette époque l'ensemble du "parc" des

esclaves Noirs présents sur le territoire des Etats-Unis

représentait une valeur marchande supérieure à 2.7 milliards

de dollars (de 1973, soit dix fois le prix des exportations

annuelles de coton en 1860). Bien sûr le gouvernement ne

pouvait payer une telle somme aux propriétaires en une fois

et comptait étaler les paiements sur 25 ans. Mais même ainsi

cela allait tripler les dépenses fédérales. Des solutions

Visage émacié et anguleux, au regard clair mais sévère et profond, le président Lincoln (1809-

1865) était avocat de formation et savait

défendre ses opinions et convaincre son auditoire.

C'était un homme déterminé à sauver

l'Union et la Constitution, quitte pour cela à user de la force. Photo prise en 1861. Document Civics

Online.

Page 38: Anthropologie géographique de l'esclavage

alternatives furent envisagées, comme le fait de laisser les enfants en esclavage jusqu'à

leur majorité, mais elles réduisaient peu la dette. Finalement le coût de l'émancipation

fut si élevé que même les anti-esclavagistes n'étaient plus d'accord de payer pour

"racheter" ceux qui possédaient des esclaves.

En parallèle, l'amélioration des conditions économiques dans le Nord et l'émergence

d'un capital industriel allaient bientôt faire s'effondrer l'organisation politique des

Etats-Unis. Ce changement socio-économique s'étendit d'abord dans les Etats du Nord

et du Nord-Est très peuplés (New-York, Chicago, etc.) puis de l'Ouest sans influencer

les Etats du Sud. Ainsi la population urbaine doubla partout dans les Etats-Unis sauf

dans les Etats Confédérés. Pour la classe bourgeoise et citadine, le temps d'un

changement de stratégie économique était venu et l'abolition de l'esclavage était l'une

des voies du succès. Comme le diront les historiens, la "révolution du marché" était en

route.

En 1858, Lincoln fit un discours sur les dangers de la désunion qui fera mouche

parmi les sénateurs. Le public sera également sensible à son éloquence et sa

détermination, portant sa réputation au grand jour.

En 1860, Abraham Lincoln fut choisi pour conduire la liste républicaine à l'élection

présidentielle. Il fut élu Président de l'Union le 6 novembre 1860 avec seulement

39.8% des suffrages, un score très faible qui s'explique par le fait que les Etats du Sud

voyaient en lui une menace pour leur économie.

Son discours inaugural parla d'amitié, de passion, d'union et de patriotisme. Figure

emblématique, le président Lincoln avait promis de ne pas étendre l'expansion de

l'esclavage sur le territoire de l'Union, sans pour autant l'abolir.

Bien que qualifié

d'abolitionniste et condamnant

la pratique de l'esclavage,

Lincoln, tout comme Jefferson,

favorisait en fait la

colonisation et donc la

déportation des hommes de

couleur. Son projet

d'émancipation des Noirs ne

s'appliquait qu'aux Etats

"rebelles", c'est-à-dire à ceux

qui s'étaient retirés de l'Union

et où l'esclavage n'était pas

encore aboli.

Le mandat présidentiel de Lincoln n'allait pas être facile. Son administration était

face à deux systèmes économiques incompatibles. D'une part, dans le Nord, les jeunes

patrons à la tête des industries naissantes souhaitaient développer leur marché intérieur.

Ils avaient besoin d'une politique protectionniste, de droits de douane et de prix élevés.

Ils étaient également en faveur de l'égalitarisme. D'autre part, dans le Sud au contraire

les propriétaires fonciers souhaitaient une politique de libre échange (absence de

barrière douanière, liberté de circulation des biens et service) afin d'écouler leurs

Les Etats américains concernés par l'esclavage (brun-rouge) vers 1860, c'est-à-dire 5 ans seulement avant son

abolition. Document Slavery In America.

Page 39: Anthropologie géographique de l'esclavage

produits agricoles vers l'Europe. Dépourvus d'industries, ils étaient en faveur de

l'esclavage.

Autrement dit, il était pratiquement impossible pour un industriel vivant dans le

Nord de vendre ses machines dans le Sud. En outre, en 1832 déjà le Congrès à

dominance Nordiste imposa une nouvelle taxe douanière que la Caroline du Sud

(Confédérée) jugea dangereuse pour son économie.

Les Etats Confédérés n'avaient pas d'autre alternative pour maintenir l'esclavage que

de rallier à leur cause les nouveaux Etats et territoires de l'Ouest. Mais ni l'Orégon ni la

Californie ne l'acceptait. En revanche, le Nord voulait stopper cette hémorragie (sauf 4

Etats du Midwest). La situation politique était donc tendue entre les Etats du Nord et

du Sud, propice à l'éclatement d'une crise qui conduira à la guerre civile.

La Guerre de Sécession (VI)

Le programme de Lincoln représentait en réalité une mesure de guerre. Son but,

écrivait-il, « est de sauver l'Union et ce n'est pas de sauver ou détruire l'esclavage. Si

je peux sauver l'Union sans libérer aucun esclave je le ferai, et si je peux la sauver en

libérant tous les esclaves je le ferai; et si je peux la sauver en en libérant quelques-uns

et en laissant d'autres seuls je ferai cela également ».

En 1861, Lincoln prit acte que les Etats Confédérés refusaient toute négociation et

comprit qu'ils iraient jusqu'à l'affrontement pour défendre leur système économique.

Leur attitude conduisit Lincoln à déclencher la "Guerre de Sécession" (Civil war) qui

opposa les Etats du Nord, fidèles à la Constitution, aux Etats du Sud esclavagistes.

Les Nordistes se rassemblèrent autour de la bannière étoilée (comprenant alors 33

étoiles, à ne pas confondre avec le drapeau de l'Union jack des Anglais) tandis que les

Sudistes se rassemblèrent un temps autour de l'étoile du "Bonnie Blue Flag" (que

portent encore certains avions) puis du "The Stainless Banner" également appelé

"Dixie flag", le drapeau croisé des Confédérés, symbole de la résistance et de la

tyrannie des Nordistes. Concernant les uniformes, les Nordistes portaient une tenue

bleue foncée tandis que les Sudistes portaient une tenue gris clair.

A consulter : Les premiers drapeaux américains (1776-1860)

Page 40: Anthropologie géographique de l'esclavage

Soldats de l'Union (gauche) et Confédérés (droite) durant la Guerre de Sécession (1861-1865). Au centre un affrontement autour des drapeaux. En 1861, les Unionistes se rassemblèrent autour

de la bannière étoilée. Les Confédérés portèrent le drapeau "Bonnie Blue Flag" de Floride, uni sous une seule étoile, puis adoptèrent le "Stainless Banner" croisé porté à l'origine par l'armée du

nord de la Virginie. Documents sdsoldiers et nordstaterne.

Précision historique, c'est durant la Guerre de Sécession que l'armée américaine

comprit le rôle essentiel du télégraphe inventé en 1844 par Samuel Morse. Cette

invention a priori anodine constitua en effet l'un des principaux outils tactiques de l'US

Army. Imaginez l'avantage stratégique que détient un Etat-Major s'il peut recevoir en

direct le statut de ses troupes et leur transmettre ses ordres par télégraphie sans passer

par des messagers. Aujourd'hui, une armée privée de moyens de communication est

morte, d'où l'invention des bombes électromagnétiques et à neutrons qui ne détruisent

que les systèmes électroniques et le matériel.

Parmi les généraux qui défendirent l'Union, citons les généraux Ulysses S. Grant,

George Meade et William T. Sherman, autant de noms devenus célèbres associés

aujourd'hui soit au monde politique soit à... des produits d'origine américaine

(télescope, char, etc.). Notons que le général de brigade Stand Watie était un chef

Cherokee et fut le seul général amérindien de la Guerre de Sécession.

Au début de la guerre, l'armée régulière Nordiste ne disposait que de 16367 hommes

d'active et perdit plusieurs batailles face au général Robert E. Lee. Les troupes de

l'Union seront rapidement décuplées pour atteindre 186000 hommes au début de la

guerre et seront équipées de beaucoup de matériel. Fin 1864, l'armée de l'Union

comptait plus d'un million d'hommes contre 358000 chez les Sudistes.

Au cours de la guerre, les soldats de l'Union seront 2 à 3 fois plus nombreux que les

Confédérés. Cette suprématie incita certains généraux à mener de très sanglantes

offensives qui décimèrent leurs troupes. Au total, les différents corps d'armée ont

participé à près de 15 batailles dont celle de Spotsylvania (Va.) et de Gettysburg (Pa.),

cette dernière ayant été particulièrement longue et sanglante.

Page 41: Anthropologie géographique de l'esclavage

En 1863, le général Lee conduisit ses

quelque 70000 hommes (3 corps

d'armée comprenant chacun 3 divisions

de 4 à 5000 soldats chacune, 1 corps de

cavalerie et une brigade) dans le Nord

jusqu'en Pennsylvanie. Il se heurta à

l'armée de l'Union commandée par le

général Meade et forte de 83000

hommes (7 corps d'armée comprenant

chacun 2 à 3 divisions de 3 à 4000

soldats chacune et 1 cavalerie).

Gettysburg sera le théâtre de la plus

grande bataille sur le sol américain.

Chaque camp perdit plus de 3000

hommes, il y aura plus de 14000

blessés de chaque côté et on dénombre plus de 5000 prisonniers ou disparus dans

chaque camp avec un peu plus de pertes chez les Confédérés. Après 3 jours de combats

au corps-à-corps, le 4 juillet, jour de la fête de l'Indépendance, les armées étaient à

nouveau face à face mais le général Lee fit évacuer le théâtre des opérations durant la

nuit et se replia en Virginie. Ce jour marqua la victoire de l'Union sur le front est. Au

même moment, le général Grant contrôla la vallée du Mississippi, coupant la

Confédération en deux.

Entre-temps, la Proclamation d'Emancipation abolissant l'esclavage fut écrite en

1862 et entra en application le 1 janvier 1863. L'idée de Lincoln de construire une

Amérique "blanche" a plus ou moins été abandonnée au milieu de la guerre (1863).

Les généraux Grant et Lee ainsi que Sherman et Johnston s'affronteront encore

durant deux ans sur les champs de bataille avant que les soldats de l'Union réussissent à

vaincre les Sudistes. Le 3 avril 1865, le général Grant s'empara de Richmond (Va.), la

capitale des Confédérés. Le 9 avril 1865, le général Lee fut vaincu à Appomattox (Va.).

Cet événement marqua la fin de la Guerre de Sécession.

Au total, la Guerre de Sécession mobilisa près de 2.8 millions d'Unionistes contre

750000 Confédérés sur une population totale de 31 millions d'habitants comprenant 9.5

millions de Noirs. Selon les chiffres officiels, il y eu 35% de désertion et d'absentéisme

dans les rangs de l'Union contre plus de 50% dans ceux de la Confédération.

Abraham Lincoln remporta la guerre puis fut réélu pour un second mandat

présidentiel. Malheureusement, il sera assassiné d'une balle tirée dans la nuque par

John Wilkes Booth, un sympathisant sudiste, le 14 avril 1865. Deux jours plus tard,

les dernières troupes rebellent capitulèrent. Deux mois plus tard, les derniers

Amérindiens capitulèrent à leur tour.

En mémoire du Président Lincoln

Le processus de Reconstruction se déroula en l'absence des conseils et des qualités

de leadership du Président Lincoln mais son nom ne sera jamais oublié. Le 18

décembre 1865, le Congrès américain vota un 13eme

amendement à sa Constitution : «

La "Bataille de Spotsylvania - Engagements" à Laurel Hill et NY River, Va, (8 au 18 mai 1864). Lithographie réalisée c1888. Copyright Kurz &

Allison. Documents Library of Congress.

Page 42: Anthropologie géographique de l'esclavage

Ni esclavage, ni aucune forme de servitude involontaire ne pourront exister aux É tats-

Unis ».

Une légende urbaine veut que la vie de Lincoln présente de nombreuses similitudes

avec celle de John Fitzgerald Kennedy. Mais les scientifiques n'y prêtent guère

attention.

Le Président Lincoln reste l’un des présidents les plus

admirés de l’histoire des Etats-Unis et le plus influent

de l'Histoire. L'Histoire retiendra qu'il a joué un rôle

vital comme dirigeant en préservant l'Union durant la

Guerre de Sécession et en déclenchant le processus qui

conduira à l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis.

C'est également un personnage respecté pour son

charisme, ses discours et ses lettres, un homme aux

origines humbles dont la détermination et la

persévérance l'ont conduit au poste le plus prestigieux

de la nation.

Outre sa biographie qui occupera encore des

générations d'étudiants et de chercheurs, en son

hommage, de nombreux bâtiments,

institutions, monuments et objets portent son nom. Son nom a notamment été donné à

la capitale de l’Etat du Nebraska, sa statue figure à l'entrée du mémorial érigé à

Washington, D.C, son visage est sculpté sur le mont Rushmore (S.D., son portrait

figure à l'extrême droite), son effigie apparaît sur la pièce de 1 cent comme sur le billet

de 5 dollars, plusieurs modèles de voitures de luxe fabriquées par Ford portent son nom

(les modèles Lincoln Continental, Cabriolet, Fairlane, MKR, Town, Zephyr, etc.) de

même qu'un porte-avion de classe Nimitz (CVN-72) dont voici les caractéristiques

ainsi qu'un émetteur CB parmi de nombreux autres objets.

Aujourd'hui, le drapeau de guerre des Confédérés (le Dixie flag) fait toujours l'objet

de controverses et reste la cible des mouvements antiracistes. Pour les habitants du Sud

(Caroline du Sud, Mississippi, Alabama, Arkansas, Géorgie et Floride), ce drapeau

représente leur héritage historique mais pour les Noirs en particulier, il symbolise la

ségrégation, l'esclavage et signe les crimes racistes du Ku Klux Klan.

Aucune personne connaissant l'histoire de l'esclavage ne peut donc rester sans

réaction en voyant flotter un Dixie flag dans une administration ou chez un particulier.

Aujourd'hui, grâce à la pression des organisations des droits civiques, tous les Etats du

Sud ont été obligés de retirer leur drapeau Dixie des monuments publics et l'ont

remplacé par un autre motif d'inspiration Dixie.

In Memoriam

Ainsi qu'on le constate, partout dans le monde l'époque des colonies est restée dans

la mémoire collective comme une époque très sombre de l'Histoire européenne et

mondiale. Encore aujourd'hui, les descendants d'esclaves ont parfois du mal à avouer

ou à assumer leurs origines africaines tellement le mal est profond et a détruit jusqu'à

leur identité.

Statue du Président Abraham Lincoln à l'entrée de son

mémorial à Washington, D.C.

Page 43: Anthropologie géographique de l'esclavage

Parmi les esclaves célèbres citons Agar (l’étrangère en hébreu) qui selon la Torah et

l’Ancien Testament fut l'esclave égyptienne de Sarah (la première épouse d'Abraham),

le mercenaire campanien Spendios (fl. –238), le gladiateur d'origine thrace Spartacus

(120-70 av. JC), le philosophe grec Epictète (50 ap JC), le pape d’origine grec Calixte

1er (155 ap. JC) et le pape Marcel 1er (~250-309), l’écrivain grec Esope (VIIème siècle

ap. JC) ainsi que sa maîtresse Rodophe tout deux esclaves à la cour d’un roi de Samos,

le samuraï d’origine congolaise Yasuke (~1530-1582), Olivier Le Jeune originaire de

Madagascar (1622-1654) qui sera esclave au Québec, le gouverneur de Haïti (Saint-

Domingue) Toussaint Louverture (1743-1803), le général Dumas (Thomas Alexandre

Davy de la Pailleterie, 1762-1806) qui fut un acteur de la Révolution française,

l’écrivaine afro-américaine Harriet Ann Jacobs (1813-1897), l’homme politique

tunisien Kheireddine Pacha (1822-1890) ainsi que le botaniste et un agronome

américain George Washington Carver (1864-1943).

Venons-en à présent aux Temps modernes, au XXème siècle, qui présente également

son lot d'esclaves et de souffrances.

Du camp de redressement au goulag (VII)

Le XXème siècle, considéré comme celui du développement des sciences et des

techniques, où le pouvoir fut aux mains de gens soi-disant démocrates et "civilisés"

donnant des leçons de morale aux indigènes des colonies, fut également celui des

guerres les plus destructrices et des plus grands génocides.

Rien ne différencie l'esclave du travailleur forcé et le XXème siècle tout comme celui

dans lequel nous vivons nous en ont montré bien de tristes exemples.

Loin de l'Europe et du Nouveau Monde, c'est en Russie que Lénine (1870-1924) créa

le premier camp de concentration bolchevik (mouvement ouvrier russe partageant les

idées de Lénine) en 1918 et le premier camp de travail forcé du Goulag (acronyme de

"Glávnoie Oupravlénïe Lageréi" signifiant "Direction Principale des Camps de travail")

en 1919. En fait il ne faisait que reprendre pour le généraliser et le durcir le système

carcéral des camps de travail (Katorgas) créés sous le régime de la Russie tsariste.

En effet, dès le XVIIème siècle, époque à laquelle naquit la dynastie Romanov ("Tsar

de toutes les Russies") qui perdura jusqu'à la Révolution de 1917, des brigades de

travail forcé furent créées en Sibérie et en Russie orientale. Déjà à cette époque les

camps avaient pour but de terroriser la population afin de la soumettre au régime. Les

camps permettaient d'éloigner les opposants politiques ainsi que les marginaux, une

manière également de peupler par la force les régions reculées de Sibérie et d'exploiter

à vil prix les ressources (eau, charbon, minerai, pétrole) de l’immense Russie.

Page 44: Anthropologie géographique de l'esclavage

Entre 1920 et 1923, on dénombra en Russie 84 goulags regroupant environ 25000

prisonniers, soit le tiers de la population carcérale de Russie. Mais ce n'était que le

début de la répression.

A la mort de Lénine en 1924, Staline (1878-1953) était déjà Secrétaire général du

Parti Communiste d'URSS (il avait pris la direction du Parti au lendemain de la chute

du régime tsariste en février 1917). A partir de 1930 Staline ouvrit des goulags non

seulement en Russie d'Europe mais également en Biélorussie, en Ukraine, au

Kazakhstan, en Mongolie et plus tard dans les pays de l'Est (Hongrie, Pologne et

Tchécoslovaquie).

Entre 1930 et 1932, 2 millions de paysans furent déportés dans des villages d’exil et

100000 vers les goulags. Durant les purges staliniennes de 1936 à 1938, 700000

personnes furent déportées dans les goulags et entre 1940 et 1941, quelque 500000

personnes supplémentaires habitant la Pologne, les pays Baltes, la Bessarabie et le

Bukovine seront déportées. L'épuration continua entre 1943 et juin 1944 où 900000

Ukrainiens et autres Tatars ainsi que 130000 Grecs, Arméniens, Turcs et Kurdes seront

arrêtés et déportés. En l'espace de 15 ans, plus de 2.3 millions de personnes opposées

au régime soviétique ou victime du "délit de sale gueule" ou d'épuration ethnique

seront déportées vers les camps du Goulag !

Entre-temps l'Allemagne nazie entra en guerre. Adolf Hitler fut

élu, faut-il le rappeler, démocratiquement à la chancellerie du

Reich en 1933. Mais en quelques mois il bascula le pays dans la

dictature la plus violente. Hitler introduit les camps de

concentration en 1933 dans le but de rééduquer ou d'éliminer

toute les opposants au régime nazi. Ces camps rassemblaient au

début les Allemands antinazis (communistes, socio-démocrates,

Juifs, objecteurs de conscience, catholiques, etc.). A partir de

1939 ils y déportèrent les Polonais puis les prisonniers de guerre

russes. Cela s'étendra finalement aux ressortissants d'une

vingtaine de nations et en particulier aux races jugées

"inférieures" (Juifs, Tziganes, Slaves, etc.).

Les camps de travail forcé seront ouverts à l'automne 1941 en

Slovaquie lorsque l’IIIème Reich promulgua un "Code Juif"

(port du brassard jaune, de l'étoile, interdiction des mariages

mixtes, etc.) et commença la déportation des Juifs vers les camps de concentration. En

moins de dix ans les Nazis condamneront à mort environ six millions de Juifs. Cette

extermination systématique des Juifs d'Europe sera appelée la "Shoah" (à ne pas

confondre avec l'holocauste qui est un sacrifice religieux d'un animal).

Il faudra attendre la fin de la guerre en 1945 pour libérer les travailleurs forcés et les

survivants des camps de concentration. Beaucoup de survivants en garderont des

séquelles à vie.

En Russie, les camps du Goulag trouveront leur apothéose entre 1946 et 1953

lorsque leur organisation passera entre les mains du Ministère des Affaires Intérieures

(MVD). Ils seront alimentés par la "Guerre froide" sous le motif que le régime avait

besoin de mains-d’œuvre pour combattre les "impérialistes occidentaux" (les créateurs

d'Empire et les adeptes du néo-colonialisme).

Libération de travailleurs forcés d'Allemagne en

1945.

Page 45: Anthropologie géographique de l'esclavage

Sous les régimes de Nikita Khrouchtchev (1953-1964) puis de Leonid Brejnev

(1964-1982) les camps du Goulag seront "humanisés" et la discipline assouplie mais ils

rassemblèrent toujours les opposants politiques. C'est à cette époque que le monde

entendit pour la première fois parler des goulags à travers les témoignages d'anciens

prisonniers tels que les dissidents (militants des Droits de l’Homme) Varlam Chalamov,

Alexandre Chliapnikov, Andreï Sakharov ou Alexandre Soljenistyne. Leur combat

traduit dans plusieurs livres et interviews sera médiatisé par Amnesty International

dans les années 1970.

Il faudra attendre l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev (1985-1991), initiateur

de la "glasnost" (politique de transparence) pour que tous les camps soient

définitivement supprimés. En 1990, Gorbatchev reçut le prix Nobel de la Paix pour son

action en faveur de la fin de la "Guerre froide". Mais devant l'état chaotique du pays,

tous les Russes n'applaudirent pas l'action de l'homme politique.

Aujourd'hui, on estime qu'entre 1920 et 1990 entre 3 et 4 millions de prisonniers

succombèrent dans les camps du Goulag ! En fermant les camps, l'Etat russe reconnut

sa faute mais les familles des victimes pleurent toujours leur père, leur frère ou leur

enfant disparu.

L'Allemagne et la Russie du siècle dernier représentent les empires emblématiques

de la répression poussée à l'extrême, qu'elle soit de droite ou de gauche. Leurs

dictateurs respectifs légalisèrent pratiquement le travail forcé, le génocide religieux ou

ethnique et l'assassinat des opposants. Mais ce ne sont pas les seuls. Il faut rappeler les

exactions commises par le régime de Mao Tsé-Tung (1893-1976) en Chine, les luttes

violentes de Che Guevara (1928-1967) et de Fidel Castro (né en 1926) à Cuba et le

régime sanglant des Khmers Rouges de Pol Pot (1925-1998) au Cambodge parmi

d'autres. Tous ces leaders contrôlèrent d'une main de fer une organisation communiste

qui fut toujours autoritaire et d'une brutalité extrême. Tous ces régimes ont banalisé le

culte de la personnalité, les abus de pouvoir, l'oppression et le meurtre.

Ces caractéristiques qui semblent a priori peu refléter la nature humaine méritent

qu'on s'attarde quelques instants sur l'idéologie du communisme. Sans vouloir

déculpabiliser personne, on comprendra mieux ainsi les raisons qui peuvent pousser

certains hommes à de tels excès. Retour au temps de la propagande, à une époque

troublée mais pas si lointaine.

Page 46: Anthropologie géographique de l'esclavage

Du camarade au anti-héros

Explorons le temps d'un chapitre les conséquences

idéologiques, politiques et socio-économiques du régime

communiste. On a dit le meilleur comme le pire à propos

du communisme. Encore aujourd'hui certains

mouvements politiques s'en revendiquent. Mais leurs

membres ont-ils bien conscience de toutes les

conséquences de leurs actions quand ils disent adhérer

aux idées d'un parti communiste ? On peut franchement

en douter quand on connaît l'histoire du communisme et

ses déboires. Après avoir vu le côté obscur de ce régime

gauchiste, un petit rappel théorique n'est pas superflu.

Selon le philosophe et écrivain allemand Karl Marx

(1818-1883), une idéologie est une représentation de la réalité propre à une classe

sociale. C'est également une doctrine politique (un ensemble d'idées) qui peut inspirer

un programme d'action. Par définition, cet ensemble cohérent d'idées est accepté sans

la moindre critique. Son contraire est la science.

Mais dans l'esprit de Karl Marx, dans la pratique du pouvoir communiste, cette

vision doctrinale du monde n'est en réalité qu'un mensonge entretenu par une classe

privilégiée pour défendre ses intérêts matérialistes et le pouvoir en place au détriment

des classes sociales défavorisées. Ainsi, dans un régime communiste classique, c'est la

propagande autour des idéologies de la classe dominante qui finit par convaincre le

peuple que les idées et les intérêts du régime sont également les intérêts de tous. Nous

avons malheureusement apprécié au cours de l'Histoire combien les intérêts du peuple

étaient pris en considération par les dictateurs et autres potentats à la solde des régimes

totalitaires.

D'où l'idée de la lutte des classes du marxisme : "l’émancipation des travailleurs

doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes". Malheureusement, entre les mains d'un

seul individu, cette idéologie conduit à l'anarchisme, c'est-à-dire une société sans

gouvernement. Peut-il exister de l'ordre sans une autorité ? Certains courants

socialistes et écologistes le pensent. Rappelons qu'une idéologie politique entre les

mains d'un collectif conduit au socialisme (prônant l'égalitarisme et la solidarité) et

entre les mains de l'Etat elle conduit bien sûr à la démocratie (république ou royauté).

Aujourd'hui, au-delà des clivages gauche-droite, il reste peu de partis communistes

dans les démocraties. Le Parti Communiste Français (PCF) par exemple recueille

environ 5% des suffrages, soit à peine plus que les partis d'extrême-droite. Connaissant

l'évolution de nos démocraties, on peut s'étonner que les partis communistes existent

encore dans nos sociétés.

Car sous son image démocratique et un programme social, le PCF s'est voilé la face

durant plus d'un demi-siècle devant les exactions du régime soviétique. Son

aveuglement par la propagande fut tel que dans les années 1970 les ministres

communistes français proclamaient encore haut et fort tous les bienfaits du régime

communiste alors que les Présidents Brejnev et Mao Tsé-Toung enfermaient les

opposants politiques et les intellectuels dans des camps de travail forcé et n'hésitaient

Karl Marx en 1875.

Page 47: Anthropologie géographique de l'esclavage

pas à sacrifier leur peuple pour prétendre "jouer dans la cour des grands" et défendre

leur image de grande nation moderne et progressiste ! Bien sûr vous me direz que la

France, l'Angleterre ou les Etats-Unis n'ont pas fait autre chose en irradiant les

populations du Pacifique avec leurs bombes nucléaires... Effectivement, c'est l'une des

faiblesses des démocraties. On y reviendra.

Quelle est aujourd'hui l'attitude ou le profil des membres

des partis communistes européens ? Longtemps, on trouvait

dans leurs rangs des militants convaincus rêvant d'une société

égalitaire, des intellectuels déçus par le capitalisme et des

ouvriers peu instruits ne jurant que par la lutte prolétarienne.

Si leur discours n'a pas changé, paradoxalement on les

retrouve 40 ans plus tard au poste de contremaître, contrôlant

le travail d'autres ouvriers ou occupant un siège municipal et

protégeant les grandes sociétés de leur région au détriment

des petits commerces. Embourgeoisés, ils sont prêts à

sacrifier des travailleurs pour conserver leurs privilèges !

On dirait que pour ces militants de la première heure, la

sagesse de l'âge leur a fait perdre l'odeur de l'argent et qu'une

veste se retourne en fonction du sens du vent et des majorités

politiques.

Tristes gens qui ne se rendent même pas compte qu'ils sont

eux-mêmes des marionnettes à la solde des lobbies et des

multinationales qui demain délocaliseront en Asie du Sud-Est

ou en Europe de l'Est.

En attendant, ce sont les prolétaires et les petites mains qui

peinent et encaissent les coups durs tandis qu'eux, bien assis

sur leur rond de cuir, amassent gloire et fortune.

Qui n'a pas connu dans sa vie professionnelle un ouvrier

devenu manager ou fonctionnaire qui était plus tyrannique

envers ses anciens collègues que l'équipe dirigeante, souvent

formée dans de hautes écoles. Comme si pour certains, le

pouvoir était synonyme d'oppression... Et de fait il peut le

devenir.

Certains militants des rares partis communistes existant encore, sans doute peu féru

d'histoire ou nostalgiques des grandes luttes sociales, brandissent ostensiblement le

drapeau de la faucille et de l'enclume ou une Etoile Rouge démodée et même parfois le

poster de Che Guevara ou le "Petit Livre Rouge" de Mao. Le poing levé, ils

revendiquent la lutte prolétarienne. Si leur combat peut-être noble et vise à créer une

société plus égalitaire et moins avide de richesses, qu'ils n'oublient jamais que ces

symboles communistes sont synonymes d'oppression et d'épuration ethnique. En ce

début de 3eme millénaire, le peuple a besoin de nouveaux repères et de nouveaux héros.

C'est bien simple, la commémoration des 40 ans de la mort du "Che" n'a été célébrée

qu'à Cuba - où plus qu'un héros, "l'Argentin" est une institution - et en Bolivie, terre de

son exécution le 8 octobre 1967.

Activiste politique bolivien, Che Guevara a mené la guérilla cubaine entre 1956 et 1967 avant

d'être exécuté par les forces spéciales

boliviennes. Symbole le plus fort de la révolution

marxiste et de la lutte des classes pour les uns, pour les autres le "Che" est un terroriste au sens moderne qui instaura les

camps de travail et fit régner la peur et le

chaos à Cuba, avouant même devant les

Nations-Unies qu'il continuerait à tuer et tuer

les opposants.

Page 48: Anthropologie géographique de l'esclavage

Aujourd'hui la lutte ouvrière passe par la gauche ou par la droite, l'essentiel étant de

changer les mentalités et le fonctionnement laxiste et bien trop lourd des institutions.

Mais à l'heure de l'Europe, cela doit être organisé au sein d'une politique européenne

plus solidaire et protectionniste, n'en déplaise au G20, à l'OCDE ou à l'OMC.

Ceux qui vouent encore un culte aux luttes de Fidel Castro, Che Guevara, Pol Pot,

Mao, Staline ou Lénine ne doivent pas non plus oublier que tous ces anti-héros ont du

sang sur les mains, qu'ils ont créé des camps de travail forcé pour rééduquer les

opposants, emprisonnés des dissidents et des pacifistes, torturés des centaines ou des

milliers de personnes dans les prisons et affamé leur peuple. Tous sans exception et

malgré leurs beaux discours révolutionnaires à l'idéologie socialiste, communiste,

maoïste ou marxiste ont échoué en essayant de redresser leur économie. Ils ne valent

finalement pas mieux que les dictateurs. Ils ont semé la peur et le chaos, forçant le

peuple à l'exil. L'échec du communisme est total et représente une autre page sanglante

de l'Histoire des hommes.

Si la lutte contre l'impérialisme (certains altermondialistes y incluent même les

institutions internationales), la libéralisation de notre société (suppression des

monopoles, délocalisation, etc.) et de meilleures conditions de vie pour les pauvres

restent des valeurs d'actualité, que les communistes résidents dans nos pays

démocratiques et opposés aux gouvernements en place apprécient leur liberté. Qu'ils se

rappellent bien comment de nos jours le régime communiste chinois ou celui de Corée

du Nord traite les intellectuels et les vrais défenseurs de la liberté... Certes l'image est

rouge, mais c'est du sang de ses victimes ! Ne vous méprenez pas, le communisme

entre les mains d'une personne ou d'un parti autoritaire et intolérant est dangereux. En

voulez-vous une dernière preuve ?

Tiananmen, 1989... Rappelez-vous cette image de Tiananmen qui fera le tour du monde. Nous sommes

place Tiana à Pékin (Beijing), le 5 juin 1989. Des journalistes occidents munis de leur

appareil photo assistent à la scène depuis l'hôtel Beijing Fandian situé sur le boulevard

Dongchang'anjie.

Sur la place Tiananmen située au

sud de la "Cité Interdite" et de la

ville de Pékin, de violentes

manifestations opposent depuis la

veille les Pékinois au gouvernement.

La veille, une manifestation

d'étudiants avait tourné au carnage,

la police ayant tiré à balles réelles et

tué entre 300 et 3000 personnes !

Cette fois, un homme seul affronte

les chars communistes. On imagine

le pire mais le conducteur du char de

tête arrête son convoi. Il essaye

d'éviter l'homme en manœuvrant par

la gauche et par la droite mais

chaque fois l'homme intrépide

Le symbole de la résistance passive du peuple face à l'oppression. Place Tiana à Pékin (Beijing), le 5 juin 1989, un homme seul affronte les chars

communistes... Nul ne sait s'il vit encore. Document AP/Jeff Widener.

Page 49: Anthropologie géographique de l'esclavage

s'interpose. L'homme monte finalement sur le char et essaye de négocier avec le soldat.

Rapidement le contestataire est éloigné par quelques personnes et disparaît dans la

foule.

La rumeur raconte qu'il fut pris par des policiers et exécuté 14 jours plus tard mais

ceci n'a jamais été confirmé. En 1990, Jiang Zemin, alors Secrétaire général du Parti

communiste chinois indiquait à des journalistes qu'il ne pensait pas que l'homme

dénommé Wang ait été tué. D'autres sources indiquent qu'il vivrait actuellement à

Taiwan mais nul ne peut le confirmer.

Depuis cette date, le gouvernement chinois a installé des filtres électroniques qui

censurent les grands sites Internet évoquant l'événement et de manière générale tous les

sites prônant la démocratie. Voilà le visage moderne du communisme !

Aujourd'hui, en Occident ce cliché et quelques autres symbolisent la résistance

passive du peuple face à l'oppression. Ils témoignent que derrière la propagande et sous

prétexte d'élever la nation, le communisme a toujours résolu ses problèmes par la

violence et dans le sang. En créant une société sans classe et sans Etat, on aboutit à une

organisation sociale primitive dans laquelle il n'y a ni échange commercial ni argent ni

propriété. Malheureusement, en cours de production tout le monde n'a pas les mêmes

besoins et il se crée naturellement des classes de privilégiés et nous savons maintenant

où cela peut nous conduire.

La démocratie, seul rempart face à l'intolérance

Au risque de revenir sur des notions a priori connues à travers l'actualité mais qui

visiblement n'ont pas été bien comprises par tous, il faut insister sur le fait que le même

risque d'oppression existe bien entendu sur l'aile droite du pouvoir et en fait sous

n'importe quel régime non démocratique et intolérant qui élève le parti unique,

communiste ou non, la dictature ou même la théocratie (Cf Taliban) au sommet de la

nation, lui accordant un pouvoir sans limite.

Citons par exemple les régimes dictatoriaux d'Adolf Hitler

(Allemagne), Francisco Franco (Espagne), Jorge Videla

(Argentine), Augusto Pinochet (Chili), Mobutu Sésé Séko

(Zaïre), Yeóryios Papadópoulos (Grèce) et Sadam Hussein (Irak)

parmi d'autres. Tous ces noms sont associés aux pires malheurs.

Tous furent des chefs militaires adeptes du culte de la

personnalité, de l'endoctrinement, de la répression, de la torture

et des condamnations sommaires pour asseoir leur pouvoir et

entretenir leur mythe.

Ces despotes et autres tyrans ont toujours existé. Rappelez-

vous de la politique dictatoriale de Jules César ou de Napoléon

Bonaparte (Napoléon 1er). Tous deux furent des génies politiques

mais également des tyrans militaires qui asservirent l'Europe. Si

les Romains divinisèrent Jules César (apothéose) alors qu'il fut

un dictateur, n'oublions pas que c'est Napoléon qui rétablit

l'esclavage dans les Antilles.

Napoléon 1er sur son trône impérial. Portrait réalisé par

Ingres en 1806.

Page 50: Anthropologie géographique de l'esclavage

Bref, tout régime totalitaire, où l'Etat absorbe la société civile et où l'idéologie

devient un dogme imposé aux intellectuels, est incompatible par nature avec la

démocratie.

En protégeant les institutions démocratiques, l'avis de la majorité et les libertés

individuelles, on peut espérer élever nos sociétés vers un mieux vivre général. Certes,

la "dictature de la majorité" a ses inconvénients mais pour paraphraser le philosophe

Ernest Renan, je souhaite du plaisir à celui qui a une meilleure idée.

Platon avait vu juste. Voici 2400 ans dans "La République", il énonça cette vérité

universelle : "Selon toute vraisemblance, aucun autre régime ne peut donner

naissance à la tyrannie que la démocratie; de la liberté extrême naît la servitude la

plus complète et la plus terrible". L'Histoire lui donnera raison. Nous savons

aujourd'hui que sous des idées démocratiques séduisantes mais autoritaires et

intolérantes peuvent se cacher un dictateur sanguinaire. Soyons vigilants et

débusquons la bête avant qu'elle nous saute au coup !

Mais dans nos démocraties comme ailleurs, une autre forme d'oppression subsiste

encore aujourd'hui : l'esclavage moderne. Ce sera l'objet du dernier chapitre.

L’esclavage moderne (VIII) Si en théorie l'esclavage a été aboli dans tous les pays depuis les années 1980, en

pratique on constate qu'il a pris de nouvelles formes et s'est adapté aux nouveaux

visages de la société. Le fléau séculaire est devenu moins violent physiquement parlant

mais il est plus sournois et plus sordide car les victimes ont aujourd'hui plus conscience

que jamais de leur condition d'esclave mais constatent avec désespoir que le public

reste insensible à leur douleur, mal informé ou préférant tourner la tête. Heureusement,

l'ONU, les ONG et bien sûr les médias font leur possible pour aider les victimes et

dénoncer les marchands d'esclaves.

Dans son rapport du 26 juillet 2006, l’Human Rights Watch (HRW) rapportait que la

violence et des conditions proches de l’esclavage existaient toujours dans 12 pays,

principalement des abus contre les travailleurs domestiques. Mais ainsi que nous allons

le découvrir, un recensement rapide permet toutefois de multiplier ce nombre par deux

sinon plus.

Dans les faits, le Bureau International du Travail (BIT), qui dépend de l’ONU, ne

dénonce pas exactement l'esclavage, mais l'ampleur du travail forcé dans le monde,

qu'il définit comme : « le travail ou le service exigé [qui] est exécuté sous la menace

d’une peine et contre la volonté de la personne ».

Dans un rapport publié le 11 juin 2005, le BIT estime que 12.3 millions de

personnes sont touchées par ce "fléau social" qui revêt des formes très diverses que

nous allons décrire.

Bien que le travail forcé soit interdit par la Convention 29 du BIT depuis 1930, nous

avons vu qu'il fut couramment pratiqué à grande échelle en Russie et en Allemagne et

plus récemment au Cambodge. Il se pratique encore dans certaines prisons, notamment

aux Etats-Unis, en Israël, en Chine, en Corée du Nord et dans certaines entreprises

d'Afrique et d'Asie, bref personne n'a retenu les leçons du passé. Pire, presque tous les

gouvernements se fichent des conventions internationales quand la sacro-sainte

Page 51: Anthropologie géographique de l'esclavage

"Raison d'Etat" est en jeu, notamment lors d'une guerre ou d'un renversement d'un

régime.

Selon le BIT, le travail forcé est présent sur toute la planète, y compris dans les pays

occidentaux, mais il se développe essentiellement dans les pays pauvres où règne à cet

égard non plus un vide mais un abîme juridique ! Il touche d’abord les femmes (56%)

et les jeunes de moins de 18 ans (40%). Corvéable et docile, cette main-d’œuvre est

très lucrative pour le secteur privé et prospère dans l’indifférence de nombreux

gouvernements.

De nos jours, la forme la plus banalisée de travail forcé est

celle des employées de maison utilisées par les particuliers

et certaines ambassades qui représentent tous les signes des

esclaves modernes.

Que nous soyons en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient,

en Asie ou ailleurs, des jeunes filles pauvres et parfois

illettrées venues des campagnes sont invitées à faire du

babysitting, des ménages ou à rendre de menus services.

Mais la plupart du temps leurs espoirs s’effondrent une fois

qu'elles ont passé le seuil de la porte car la nature véritable

de leur travail prend une toute autre forme.

Ainsi, au Maroc (Casablanca, Rabat et Tanger) quelque

66000 fillettes sont employées pour des travaux

domestiques. Selon le HRW relayé par le webzine marocain

"Yabiladi", « Les petites bonnes marocaines travaillent 126

heures par semaine et subissent des violences physiques et

sexuelles de la part de leurs employeurs. Elles triment entre 14 et 18 heures par jour

durant toute la semaine et sans aucun repos. Elles reçoivent uniquement 4 dirhams

par jour ». Un sondage indique que 83% de la population approuve le projet de loi

visant à criminaliser ces actes scandaleux.

Le travail forcé domestique peut également relever de la "servitude pour dettes"

comme il est de tradition en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie ainsi que nous

l'avons vu. Aujourd'hui, à grande échelle ce trafic d'êtres humains est organisé par des

mafias internationales.

Malgré sa pauvreté, l’Afrique Noire n’est pas épargnée. En effet, depuis des années

les ONG font appel à l'aide internationale et aux médias pour dénoncer l’esclavage qui

reste une pratique courante en Afrique où le BIT a recensé quelque 660000 esclaves

agricoles !

Au Niger, bien qu’une loi de 2003 punisse de prison l'esclavage, de nombreux

Nigériens sont exploités sans salaire et ne bénéficient d'aucun droit. Le gouvernement

minimise l'existence de cette pratique alors que le trafic des enfants n'est même pas

réprimé. On retrouve également des enfants maliens esclaves en Côte d'Ivoire que

l’on exploite dans les plantations.

Au Kenya le webzine "The Nation" (Daily Nation) de Nairobi dénonce les "ayahs",

ces jeunes filles esclaves auxquelles leur “propriétaire" confient les plus sales besognes

et généralement sans rémunération : charbon, tirage d'eau, nettoyage du linge, soins

Au Maroc, MmeYasmina Baddou, Secrétaire d’Etat chargée de la

Famille, de la Solidarité et de l’Action Sociale

veut criminaliser le travail des enfants.

Page 52: Anthropologie géographique de l'esclavage

aux animaux domestiques, cuisine, quand leur patron ne les exploite pas sexuellement...

La plupart de ces personnes n’ont pas de permis de séjour ni contrat de travail et vivent

prisonnière dans une cave ou un local à l’abri des regards. Certaines parviennent

heureusement à s’échapper de leur prison et à dénoncer leur exploitant.

En Mauritanie, le régime républicain en place tolère l’esclavage qui sévit encore

dans le nord et le centre du pays où des enfants font l'objet de rapt ou parfois de vente

hors de la Mauritanie vers les pays arabes.

En novembre 2006, l'agence de presse

Reuters dénonça l'esclavage dont faisait

l'objet des milliers de femmes Haratine dans

la société mauritanienne.

Alors que l'esclavage a été officiellement

aboli dans ce pays en 1981, on peut toujours

prêter ou louer un homme esclave (Haratine

ou abid) soit pour accomplir un travail

servile soit comme "étalon" pour féconder

des femmes esclaves, propriétés d’un autre

maître. Les esclaves ne se marient qu’en

fonction du besoin du maître : les enfants

sont séparés de la mère vers l’âge de deux

ans, et appartiennent au maître ; ils peuvent

être mutilés en cas de "fautes graves". Ces esclaves restent au service de leur maître

jusqu'à leur mort. Comble du mépris, ils sont privés jusqu’au droit d’héritage qui

revient à leur maître.

Au Soudan, le gouvernement de Khartoum n'a jamais voté les lois punissant

l'esclavage des Noirs ni même discuté de leur émancipation. En 1980, le gouvernement

chercha à légaliser cette pratique par des lois islamiques. Les juristes (uléma, les

docteurs de la loi, en fait des théologiens musulmans) ont considéré que l'esclavage

n'était pas interdit sur base religieuse mais que son abolition était de la compétence du

gouvernement à condition que les propriétaires soient dédommagés pour la perte subie.

A ce jour personne n'a jamais sollicité de compensation.

Depuis la découverte de pétrole en 1983, le Soudan reste un pays très instable en

proie à d'incessantes guerres tribales. Depuis février 2003, la population vivant dans la

région du Darfour située au nord et au nord-ouest du Soudan est victime d'une véritable

épuration ethnique que le monde entier semble ignorer. Un projet d'unification et de

constitution ont été proposés voici quelques années mais la guerre civile empêche tout

rapprochement des belligérants.

A Zanzibar, bien que le Royaume-Uni y ait interdit l'esclavage au XIXème siècle, les

habitants noirs ont conservé un statut de quasi-esclave.

La situation est tout aussi dramatique en Amérique centrale. Les travailleurs

centraméricains, pauvres et sans ressource sont otages des "maquillas". Au Nicaragua,

des ouvriers-esclaves sont employés dans les zones franches. Idem en République

dominicaine ou des sans-papiers sont réduits en esclavage dans des camps de travail.

Taube Hmeid, esclave Haratine dans son propre pays, la Mauritanie. Document

Reuters.

Page 53: Anthropologie géographique de l'esclavage

Le trafic humain dans les Caraïbes est notoirement connu, puisqu'en 2005, le

"Bahama Journal" citait un rapport de l'Office international des migrations sur cette

activité.

A Haïti, les plus pauvres sont soumis à l'esclavage dans les plantations de canne à

sucre. Ils vivent dans des campements misérables où ils sont maintenus en semi-

captivité.

Dès qu'ils savent marcher, donc vers 3-4 ans, la plupart des enfants haïtiens, qu'ils

aient des parents ou soient abandonnés, sont placés dans des familles plus fortunées.

S'il est convenu qu'ils aillent à l'école, généralement ils restent dans leur famille

d'accueil, d'où leur surnom de "Restavèk" en créole, où ils assurent toutes les tâches

domestiques. 70% des Restavèk sont des filles, 42% sont placés chez des parents,

parrains ou marraines, une pratique qui rappelle celle des Comoriens.

Si la plupart des Haïtiens n'ont pas

conscience de faire de mal à ces

enfants tellement cette coutume est

ancrée dans les mentalités, les

conflits se résolvent à l'abri des

regards, durant la nuit et dans la

violence, y compris par des brûlures

à l'huile bouillante. Pratiquement

aucun Restavèk ne dort dans un lit,

mais à même le sol et souvent sous

l'évier de la cuisine.

Pour faire bonne figure devant la

presse internationale, le Président

Aristide a rebaptisé pompeusement le Restavèk, "l'adopté informel", qui en dit long sur

sa volonté de vouloir changer les mentalités.

En Amérique du Sud également, l’esclavage agricole absorbe environ 1.5 millions

de travailleurs forcés.

L’ampleur de l’esclavage est préoccupante au Brésil. En 2005, le ministère brésilien

de l’Emploi a mené 183 raids contre les fermes des grands propriétaires (Fazendeiros).

4133 personnes réduites en esclavage ont été libérées par les autorités, le chiffre le plus

élevé depuis 10 ans ! Mais les autorités estiment que quelque 250000 personnes vivent

et travaillent toujours en semi-esclavage.

Comment le Brésil en est-il arrivé là ? Cette situation dramatique est née en 1964

avec l’instauration de la dictature militaire (1964-1985). En 1966, l’agence régionale

de développement SUDAM a ouvert la région d’Amazonie aux industriels ce qui

permit aux hommes d’affaires et aux Fazendeiros de devenir très riches.

Les propriétaires fonciers ont en effet employé des intermédiaires (gatos) pour

trouver de la main-d’œuvre serviable à merci parmi les ouvriers sans emploi pour

défricher leurs parcelles de bois, entretenir leurs plantations, travailler sur les chantiers

d'orpaillage dans le fleuve ou exploiter leurs mines à ciel ouvert creusées au milieu de

nulle part.

Un travailleur forcé libéré à Piaui au Brésil. Doct IOT.

Page 54: Anthropologie géographique de l'esclavage

La plupart de ces ouvriers viennent des régions pauvres et arides du Nordeste et du

Minas Gerais. Sans statut légal, ces pauvres gens sont traités comme des esclaves et

sont à la solde de leur employeur. Ils travaillent avec du matériel usé, inadapté, sans

hygiène et sans aucune sécurité quand ils ne consomment pas des aliments contaminés

au mercure. A ne pas confondre avec les Garimpeiros qui sont des mineurs locaux

indépendants. Ici señor, loin de la capitale, dans une région humide et boueuse,

uniquement accessible en 4x4 ou à pied, c'est la "loi de la jungle”. Les Fazendeiros

comme les hommes d’affaire font appel à des Pistoleros pour faire respecter la "loi du

plus fort".

A gauche, en Asie le travail voire la vente des enfants est jugée "normale" dans une société qui arrive à peine à survivre. Ils sont généralement exploités dans de petites besognes

artisanales (confection, manutention) mais où les risques d'accidents ne sont pas moins élevés. A droite, cette jeune fille s'appelle Surekha et vit en Inde. Elle est esclave domestique et doit vivre dans une pièce sale mesurant 1x2m. Elle y prépare la cuisine et y dort, entourée de ses quelques effets personnels. Son maître lui a transmis le SIDA. Aujourd'hui 0.9% de la population indienne est touchée par cette maladie. De toute évidence, bien que l'Inde soit un état démocratique, les droits de l'homme y sont toujours bafoués. Les hindouistes comme les

musulmans modérés prônent la tolérance, le respect de la vie et sont soi-disant prudes, choqués quand un couple s'embrasse en public ou qu'une femme montre ses formes mais

l'esprit de caste et le mépris des plus faibles reste d'actualité. Documents NGS.

En Inde, depuis toujours les Indiens des classes les plus modestes et oubliés par le

gouvernement et les Maharaja sont contraints d'envoyer leurs enfants gagner leur vie

dès l'âge de la puberté si pas plus tôt encore. Sans ressource et sans aide, ces enfants de

la rue vont rejoindre des milliers d'autres mendiants dans un pays qui interdit la

mendicité ! La police les traite comme des chiens dans l'indifférence de la population

qui a d'autres bouches à nourrir.

Concernant les jeunes femmes, le journal "Kerala News" constate que "les abus sont

légion" et vont jusqu'à la prostitution. Il rappelle que des émigrées indiennes "finissent

esclaves chez des Arabes".

En Corée du Nord, les ouvriers qui se révoltent sont enfermés dans des camps de

redressement ou sont condamnés à mort. C'est aujourd'hui l'un des pays les plus fermés

du monde où la propagande remplace la liberté d'expression.

Page 55: Anthropologie géographique de l'esclavage

En Chine, depuis des décennies c’est "Travaille et tais-toi". Les opposants politiques

(Cf. Tiananmen) et les intellectuels sont réprimés et tués tandis que le Bureau de la

censure veille sur Internet.

Même les employés sont maltraités. Selon le

quotidien "China Daily" de Pékin, les horaires des

ouvriers chinois comme les salaires ne sont pas

garantis. Il estime que 220000 personnes

d’origine rurales sont exploitées par des "urbains

pressés" à Pékin. Les ONG en place constatent

qu’il y a un gouffre entre les contrats et la réalité

qui se déroule dans un espace "privé", loin des

regards indiscrets.

Quant aux migrants désargentés, dont certains

ont donné toutes les économies de leur famille à

des passeurs clandestins, les Chinois leur font

miroiter un travail en Amérique. Leur rêve se brise quand ils débarquent dans une île

du Pacifique où ils deviennent des forçats du "Made in USA" au service de "Nike" et

autre fabricants peu scrupuleux.

En Birmanie le travail forcé est généralisé. Le pays vit sous un régime dictatorial

depuis 1962. Il est impossible de conduire une transaction commerciale ou d’engager

une activité économique sans avoir le support direct ou indirect de la junte. A cette

exploitation il faut ajouter le trafic des femmes et des enfants dans l’Est et le Sud-est de

l’Asie, notamment dans la région du Mékong (entre Laos et Birmanie).

La même situation se répète à grande échelle en Russie où l'activité économique des

principales métropoles est presque totalement entre les mains de riches clans mafieux

qui ont tissé un important réseau de trafic de biens et d'êtres humains avec tous les pays

d'Europe. La prostitution, le trafic de drogues et d'armes sont leurs principales sources

de revenus.

En Israël, le gouvernement estime qu'au moins 3000 jeunes femmes sont otages de

réseaux mafieux et forcées de se prostituer. L'ONG "The Task Force on Human

Trafficking" (TFHT) qui tente d'éliminer ce trafic estime que le nombre réel de femmes

sous le jouc de la mafia est de loin sous-estimé. Ces femmes travaillent 14 à 18 heures

par jour, recevant en moyenne de 10 à 15 clients sans tenir compte des risques et

d'aucune hygiène. Plusieurs femmes ont ainsi été contaminées par le SIDA.

Il ne faut pas croire que les pays occidentaux et soi-disant civilisés sont épargnés par

l’esclavage au sens large, que du contraire. Il semble que plus les gens ont d'argent,

plus ils prennent plaisir à exploiter les autres.

56% des travailleurs forcés sont des femmes, comme ici en Chine.

Document AFP.

Page 56: Anthropologie géographique de l'esclavage

Dans les pays riches, le BIT estime que

les arrière-boutiques d’Europe et des

Etats-Unis renfermeraient quelque 360000

travailleurs sans papiers et sans droits,

enchaînés par la peur des descentes de

police, pour le plus grand profit de leurs

exploiteurs.

Aux Etats-Unis, en l’an 2000 les

médias ont tiré à boulet rouge sur les

géants de la confection américaine

installés en Extrême-Orient, notamment

sur Nike et Adidas (Reebok) installés en

Indonésie. Rappelons qu’en 1980, Nike

quitta la Grande-Bretagne pour s’installer

en Corée du Sud et à Taiwan. Au début

des années 1990, le fabricant déplaça son

QG vers la Chine puis l'Indonésie, le Vietnam et Saipan, "l'île aux esclaves" où la

main-d'œuvre était huit fois moins chère qu'en Corée. Mais les ouvriers ont fini par se

révolter.

Nike comme Adidas et d’autres fabricants d’articles de sport n’ont pas hésité à

profiter des pauvres et des enfants pour fabriquer leurs chaussures et autres textiles à

un prix défiant toute concurrence. En Indonésie par exemple Nike payait les ouvrières

2.46 $US par jour et seulement 1.60 $US par jour au Vietnam. Elles pouvaient

fabriquer des dizaines de chaussures par jour qui se revendaient chacune entre 50 et

100$ aux Etats-Unis (au moins 50 € en Europe). On apprit ainsi que le salaire cumulé

des 6500 employés de Nike en Thaïlande équivalait à ce que gagnaient les 13 membres

du directoire de la firme ! Comme si cela ne suffisait pas, les responsables Indonésiens

de Nike abusaient également physiquement et sexuellement des ouvrières.

L’Europe ne s’échappe pas à l’esclavage et au travail forcé. Il y a tout d’abord

l’important trafic de jeunes femmes venues de Russie et d’Europe de l’Est pour

alimenter tous les réseaux underground occidentaux dont celui de la prostitution.

Chaque année la police appréhende des centaines de proxénètes, des dizaines de

réseaux mafieux sont démantelés. Malheureusement bien souvent les jeunes filles sont

renvoyées dans leur pays car elles ne peuvent prétendre au titre de réfugiée politique.

Mais ceci n'est que le sommet de l'iceberg. Selon un rapport du BIT publié en mai

2005, 2.4 millions de personnes sont victimes de la traite des êtres humains dans le

monde.

L’AFP nous rappelle que la France fut condamnée le 26 juillet 2005 par la Cour

européenne des Droits de l'Homme pour n'avoir pas suffisamment réprimé un cas

d'esclavage domestique dont avait été victime entre 1994 et 1998 une jeune Togolaise

employée sans rémunération par un couple parisien.

En Belgique le secteur de la construction et de l’Horeca exploitent depuis des années

de la main-d’œuvre non déclarée. Les autorités en manque d’effectif ont du mal à

contrôler ce trafic. Et la situation se répète ailleurs.

Enfants libérés de l'esclavage en Inde. Des ONG et des associations de particuliers

sensibilisés par leur détresse payent leurs frais de scolarité. Document Free The

Slaves.

Page 57: Anthropologie géographique de l'esclavage

En 2006, le "Sunday Telegraph" dénonça le fait que

des centaines d’enfants originaires d’Afrique, d’Asie et

d’Europe de l’Est arrivaient en Grande-Bretagne où ils

étaient réduits à l’état d’esclaves. Les jeunes victimes

entrent toujours clandestinement en Grande-Bretagne ou

grâce à des trafiquants qui se font passer pour des

membres de leur famille et exhibent de faux passeports.

Les enfants, une fois arrivés sur le sol britannique, sont

immédiatement mis au travail, vivent dans des

conditions de vie épouvantables et sont l'objet de

mauvais traitements physiques et d’abus sexuels. A ce

jour le gouvernement britannique ne s’est toujours pas

attaqué à ce problème de maltraitance. Les ONG

appellent à une action urgente pour mettre un terme à

"l’exploitation cruelle et scandaleuse des enfants".

En Italie, presque chaque année des "camps de travail

forcé" sont démantelés dans le sud du pays. En 2007, ils

exploitaient notamment de jeunes adultes sans emploi

venus de Pologne.

Au Portugal, on découvrit en 2002 que le secteur du

bâtiment exploitait une main-d’œuvre en provenance des pays de l'Est, prise dans les

filets des mafias du recrutement.

Dans tous les pays européens ce marché parallèle s’étend aux chômeurs qui pour

survivre et gagner quelques euros de plus n’hésitent pas à travailler occasionnellement

en noir. Mais généralement le particulier faisant appel à leurs services est malhonnête

et ne les rétribue pas pour le travail accompli.

Les femmes vivant seules et sans emploi sont particulièrement concernés par ce

problème. Ainsi, aujourd'hui une jeune femme peut trouver un travail occasionnel en

répondant à des petites annonces de particuliers publiées sur Internet. Mais attention au

miroir aux alouettes. Souvent bien mal leur en prend car en allant seule travailler au

domicile d'un inconnu, qu'il soit jeune ou âgé, ouvrier ou chef d'entreprise, la jeune

femme est souvent naïve et confiante et n'imagine pas un instant qu'elle peut devenir la

victime d'un homme frustré ou d'un pervers. L'encadrement par les agences de l'emploi

est donc plus que recommandé.

S’ajoute à l'esclavage domestique et la prostitution, les mariages blancs : une

personne ressortissante d'un pays non européen se marie avec une personne

européenne pour obtenir un permis de séjour ou une rémunération contre ce permis

puis divorce peu de temps après. Il s'agit parfois d'un arrangement entre les partenaires

contre rémunération mais parfois la personne européenne est victime du charme de

son partenaire. Lorsque le coup monté est dénoncé avant le mariage civil, l'étranger en

séjour illégal est renvoyé illico dans son pays d’origine.

A ne pas confondre avec le mariage forcé où des jeunes filles mineures sont

mariées de force à des hommes adultes. Cette pratique va à l'encontre de la liberté de

conscience. L'article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est clair

à ce sujet : « Toute personne a le droit de se marier et de fonder une famille sans

Pablo Picasso, les demoiselles d'Avignon, 1907. La prostitution représente la

nostalgie de l’esclavage moderne. L'avilissement, le mépris, les menaces, les

abus, le viol, la perversité et la loi du silence dont sont

victimes ces femmes en sont autant d'indices

Page 58: Anthropologie géographique de l'esclavage

aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion. Le mariage ne peut

être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux. »

Contrairement à ce qu'on pense

généralement, il y a encore aujourd'hui

des tentatives de mariage forcé en

Europe, même en Belgique ou en France

où la population musulmane est très

importante (en 2006, les Marocains

constituaient le 1er groupe de

ressortissants étrangers en Belgique

avec 264974 personnes, devançant les

Italiens).

Ainsi en 2004, le magazine "Faits &

Gestes" révélait que sur un échantillon

de 1200 élèves du secondaire supérieur (12-18 ans), 23 % des jeunes affirmaient avoir

été confrontés de près ou de loin aux mariages forcés ! En France, un rapport du Haut

Conseil à l’Intégration (HCI) publié en 2005 estimait à 70000 le nombre de jeunes

filles concernées par les mariages forcés ! De tels chiffres font peurs.

Aussi, pour lutter contre les mariages forcés, en Belgique l’article 146 du Code

Civil indique qu’ : « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a pas consentement ». De

plus un projet de loi prévoit une peine pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison et 500

euros d’amende en cas de mariage forcé. En France, l'âge du mariage légal pour les

femmes a été porté de 15 à 18 ans, mettant ainsi les femmes et les hommes sur le

même pied d'égalité.

Bien sûr nous pourrions également citer les enfants-soldats en Afrique endoctrinés

de force et contraints de tuer père et mère pour ne pas être tués. Jusqu'à présent seules

les ONG se préoccupent de leur sort.

Mais il a également tous ces bébés et ces enfants maltraités durant des mois ou des

années que leurs parents frappent, secouent, brûlent ou privent de nourriture et de

commodités, qu'ils enferment à la cave, au grenier ou même dans un placard en guise

de chambre. Si certains tortionnaires sont condamnés à de la prison ferme pour

traitement inhumain et coups portés, en Belgique, certains s'en sortent encore avec un

sursis et un euro de dédommagement. A se demander si nos nouveaux "juges

esclavagistes" du Tribunal correctionnel n'ont pas fait un rabais sur le prix de la dignité

humaine !

Déchaînez la démocratie !

Ainsi qu'on le constate, l'esclavage moderne est présent dans bien plus des 12 pays

cités par le HRW - nous en avons listé 23 - et malheureusement probablement plus près

de chez nous qu'on ne le pense.

Mais cette liste est encore loin de dresser le véritable portrait de ce fléau. Mis à part

les victimes qui témoignent de leurs conditions de vie épouvantables quand elles

parviennent à s'échapper des griffes de leur maître-geôlier, pratiquement personne ne

Page 59: Anthropologie géographique de l'esclavage

parle des sévices et de la souffrance physique comme psychologique qu'endurent ces

victimes. Là se situe la véritable douleur des esclaves et des travailleurs forcés.

Paradoxalement, la traite des êtres humains a concerné des empires et des pays

comme la France qui est aujourd'hui le pays des Droits de l'Homme ou les Etats-Unis,

qui sont devenus le pays des libertés par excellence. L'esclavage à outrance orchestré

par ces deux grandes nations et bien d'autres a sans doute contribué à ce mea culpa et

cette prise de conscience collective que cette exploitation de l’homme par l’homme est

un crime contre l'humanité. Mais ce n'est pas pour autant que ces nations respectent les

Droits de l'Homme si on en juge par le dernier rapport d'Amnesty International.

L’épais rapport du BIT fut sur table de la Conférence Internationale du Travail. Son

directeur général Juan Somavia estime que « même si les chiffres sont élevés, ils ne le

sont pas assez pour que l'abolition du travail forcé soit impossible ».

Arrivé au terme de ce dossier, on a pu constater que l'esclavage n'est pas du seul fait

de la gente masculine ou de tyrans sanguinaires régnant dans une république bananière.

Les "avantages" et les "privilèges" qu'on peut retirer de cette exploitation de l'homme

par l'homme intéressent beaucoup de monde, à tous les niveaux de pouvoir, de la

Signare métisse ou du mafieux local au directeur de multinationale en passant par le

couple qui habite peut-être à côté de chez vous.

En attendant que cette pratique soit abolie comme l'espère Juan Somavia, en ce

XXIème siècle où les gouvernements prônent la justice, la tolérance et la liberté, nous

pouvons avoir honte d'être soi-disant humain quand on apprend que ce sont des gens

(presque) comme vous et moi qui se comportent en esclavagistes ou exploitent la

misère humaine.

Chacun à notre niveau, nous pouvons combattre ces pratiques inhumaines et

dénoncer les abus. C'est ainsi que la démocratie pourra se déchaîner.

De la ségrégation raciale au génocide

En marge de cet article, n'oublions jamais que la ségrégation est également une forme criminelle d'oppression de l'homme par l'homme basée sur la couleur de la peau, le sexe, la langue ou une idéologie qui peut conduire au génocide.

Nul n'est besoin de rappeler l'oppression puis le génocide dont a fait l'objet le peuple juif tout au long de l'Histoire.

Aux Etats-Unis, la ségrégation raciale régna durant la période d'esclavage jusqu'en 1865 et après la reconstruction qui suivit la Guerre de Sécession en 1876. Plus récemment, en 1963 Marthin Luther King a payé de sa vie son rêve de "réunir maîtres et esclaves autour de la table de la fraternité".

En Afrique du Sud également, sous l'égide du Parti National, l'apartheid régna jusqu'en 1989 : Blancs et Noirs vivaient dans des lieux différents, fréquentaient des instituts différents et utilisaient des transports différents. Seuls les Africaners bénéficient d'un système éducatif performant et détenaient les clés du Pouvoir. C'est aujourd'hui l'une des rares républiques multiraciales d'Afrique qui accorde des droits égaux à toutes les ethnies. Mais cela reste une exception si on en juge par les guerres ethniques ou de religion qui enflamment toutes les contrées du Monde, y compris l'Europe.

Mais le racisme se cache parfois là où s'y attend le moins. En 2007, la tribu indienne Cherokee qui vit en Oklahoma vota à 77% des suffrages une loi de purification raciale leur permettant d'exclure de leur nation les descendants d'esclaves Noirs qui vivaient encore sur ses terres. Le but était soi-disant noble, protéger leur communauté.

On retrouve la même philosophie dans le nord de la Belgique où le pouvoir flamand en place tente d'interdire dans

Page 60: Anthropologie géographique de l'esclavage

la région la domiciliation ou l'emploi de tout qui ne parle pas la langue de Vondel.

Enfin, n'oublions pas l'existence toujours vivace dans nos démocraties des partis d'extrême-droite aux élans nationalistes (le Front National en France, le Vlaams Blok en Belgique, le NPD en Allemagne, le BNP en Angleterre, le KKK et le CCC aux Etats-Unis, etc.). Tous ces partis extrémistes occupent quelques sièges dans les administrations communales, au niveau provincial ou dans leur parlement respectif. Leurs actions criminelles ont déjà conduit à l'assassinat de civils innocents. Si leurs actions ne mettent pas encore en péril la démocratie, leur implantation est durable et impose qu'elle soit réglementée. Rappelez-vous que dans un moment d'inattention, une bête sauvage peut toujours vous sauter au coup.

Pour plus d'information

Sur Internet Comité contre l'esclavage moderne (F)

La Direction de l'Egalité des Chances (B)

Journée internationale pour l'abolition de l'esclavage (ONU)

L'esclavage (Wikipédia FR)

Esclavage, système esclavagiste et traite négrière, par H. et A. Rimbert

L'esclavage (NOE Education)

Pierre Savorgan de Brazza

Histoire du Congo (PDF de l'exposition de Tervuren)

Histoire de la colonisation belge du Congo, par Tshibumba (COBELCO)

Les esclaves, extrait de "La Politique" d'Aristote, chapitre 7 (CLIO-HIST)

Slavery (Wikipedia EN)

21st Century Slaves, (National Geographic)

Human Rights Watch

Bureau International du Travail

Amnesty International

UNICEF

Centre Martin Luther King (USA)

The Civil War Home Page, par M.Frosch

Livres La Bible dévoilée, les nouvelles révélations de l'archéologie, Israël Finkelstein/Neil

Asher Silberman, Bayard, 2002

Aux origines d'Israël : Quand la Bible dit vrai, William-G Dever, Bayard Centurion,

2005

Les négriers en terre d'islam, Jacques Heers, Perrin, 2003

La Traite négrière européenne: vérité et mensonges, Jean-Philippe Omotunde,

Ed.Menaibu, 2004

Regards sur l'esclavage dans les colonies françaises, Lémy Lémane Coco,

Ed.Menaibu, 2005

Le Code noir ou le calvaire de Canaan, Louis Sala-Molins, PUF, 1987/2002

Le destin des Noirs aux Indes de Castille, Jean-Pierre Tardieu, Paris, l’Harmattan,

1984

Red Rubber, E.D. Morel, University Press of the Pacific, 2005

Emancipating Slaves, Enslaving Free Men: A History of the American Civil War,

J.R. Hummel, Open Court, 1998

Strategic Factors in Nineteenth Century American Economic History, C.Goldin/ H.

Rockoff (s/dir), U.Chicago Press, 1992

Page 61: Anthropologie géographique de l'esclavage

Découverte et Baptême de l'Amérique, Albert Ronsin, Editions de L'Est, 1992

La colonisation arabe à Zanzibar, Catherine Coquery-Vidrovitch, Robert Laffont,

2003

Les films Tropiques amers (série sur l'esclavage aux Antilles et la Révolution française), 2006

Manderlay (histoire d'une ferme dans le sud des Etats-Unis), 2004

Spartacus (minisérie TV remake du film de S. Kubrik), 2004

Gladiator (l'esclave qui défia l'Empire), 2000

Amistad (esclaves mutinés capturés par un navire américain en 1839), 1997

1492 : Christophe Colomb (la découverte du Nouveau Monde), 1992

Mississippi Burning (enquête du FBI sur la disparition de trois militants des droits

civiques opposés au KKK), 1988

Coup de Torchon (critique de la France coloniale), 1981

Aguirre, la colère de dieu (un Conquistador perdu en Amazonie), 1975

Spartacus (combat des gladiateurs et insurrection des esclaves), 1960

Les Dix Commandements (Evocation de la vie de Moïse et l'exode des Hébreux),

1955

Documentaire Lumières Noires (colloque des intellectuels et artistes noirs à la Sorbonne en 1956), 2007.

Page 62: Anthropologie géographique de l'esclavage

Histoire de la colonisation belge du Congo, 1876 – 1910

La naissance de l'état indépendant du Congo

Après avoir retrouvé Livingstone à Udjidji (situé sur le bord est du Lac Tanganyika) le 9

novembre 1871 pour le compte du New York Herald, au grand dam de la Royal

Geographical Society (la société anglaise de l’exploration de l’Afrique), H.M.Stanley

donne le départ en novembre 1874 à Bagamoyo (près de Dar-es-Salaam) d’une nouvelle

expédition, créée à Zanzibar et ayant comme première destination le Lac Victoria, dans le

but de cartographier les grands lacs de l’Afrique Centrale.

Avant l’arrivée des explorateurs Occidentaux, l’Afrique Centrale était déjà traversée d’est

en ouest par des routes de caravanes commerciales. D’autre part, les bateaux de mer

n’allaient pas beaucoup plus loin que Banana sur le fleuve Congo, c’est à dire qu’ils

restaient au niveau de son embouchure.

Le commerce transatlantique d’esclaves au départ de l’embouchure du Congo vers les

Caraïbes et le Brésil a cessé aux environs de 1862. Cela n’empêchait pas des factoreries,

présentes dans le Bas Congo dans les années 1870 et exportant des produits tels que café,

arachides, huile de palme et sucre, de continuer à utiliser cette main d’œuvre servile.

L’expédition Stanley atteignit le Lac Victoria en 1875, les Stanley Falls, le StanleyPool,

Kinshasa et enfin Boma en août 1877. En un peu moins de 3 ans Stanley et son

expédition parcoururent 11.000 km dont une grande partie à suivre le cours du fleuve

Lualaba se prolongeant par le fleuve Congo, jusqu’à son embouchure. Cet exploit fut

malheureusement entaché d’exactions et de pillages et ne faisait qu’annoncer la couleur

de ce qui allait suivre.

Une quinzaine d’années auparavant, en Belgique, le Duc de Brabant fils du roi Léopold I,

vantait les mérites de la colonisation. Celle-ci avait déjà été tentée au Guatemala dans les

années 1840 par Léopold I, mais s’était rapidement terminée de manière tragique. Il

rêvait de s’approprier les richesses de ces contrées lointaines : « Au Japon, il y a des

richesses incroyables. Le trésor de l’Empereur est immense et mal gardé… la masse

d’argent accumulée là-bas est telle que si l’Europe en avait connaissance, on

organiserait de suite une expédition pour s’en emparer ». (Extrait d’une lettre adressée

au diplomate belge de Jonghe d’Ardoye, datée du 23 mars 1859).

Le duc de Brabant était aussi un fervent admirateur du « système des cultures » mis en

application à Java par les Hollandais. Ce système était à l’origine d’un important

excédent budgétaire en faveur de l’administration coloniale, contrairement aux autres

régimes coloniaux européens qui profitaient principalement aux secteurs privés. Ce

système génial, selon le futur roi, consistait à non seulement acheter le produit des

plantations à un prix fixé arbitrairement, mais aussi à mettre en place des fonctionnaires

Page 63: Anthropologie géographique de l'esclavage

qui obtenaient des primes en fonction de la production. Le système colonial hollandais

abolit ce type de cultures gouvernementales en 1870. Un autre allait le perpétrer.

En août 1875, dix ans après son accession au trône, le roi Léopold II, voyant que toute

possibilité de colonisation en Extrême-Orient lui échappait, concentra son attention sur

l’Afrique. Il ne lui restait plus qu’à trouver le moyen, selon ses propres termes, de

s’approprier une part du magnifique gâteau africain. Ce moyen il le trouva entre autre en

créant l’Association Internationale Africaine (AIA) d’exploration et de civilisation de

l’Afrique Centrale lors d’une Conférence Géographique organisée au Palais Royal à

Bruxelles en septembre 1876. Un grand nombre de personnalités dont des explorateurs,

des militaires et des membres de sociétés géographiques et philanthropiques des 4 coins

d’Europe vinrent acclamer le roi pour la création de ce mouvement civilisateur.

L’admirateur du travail forcé et du profit se muait en philanthrope.

Dans le sillage de l’AIA, d’autres associations furent créées comme le « Comité d’Études

du Haut Congo » qui sera remplacé par « l’Association Internationale du Congo » (1878).

Ces associations avaient toutes le même président (le colonel Maximilien Strauch), la

même bannière (étoile dorée sur fond bleu) et les mêmes prétendus objectifs humanitaires

tels que l’abolition de l’esclavage. En réalité, elles allaient permettre au roi d’intensifier

sa conquête du bassin du Congo par l’entremise de Stanley dont il s’était approprié les

services à partir de 1878. Ce dernier allait fonder plusieurs stations le long du fleuve

depuis son embouchure jusqu’au Stanley Pool où il créa à son extrémité Ouest un

quatrième poste qu’il baptisa Léopoldville, le 1er décembre 1881.

En plus d’un travail de reconnaissance, de création de poste, d’assemblage de bateaux à

vapeur, Stanley se devait d’obtenir par n’importe quels moyens des contrats d’exclusivité

avec les chefs autochtones. C’était en fait des contrats d’exploitations de leurs terres par

l’AIC et même pire : ces « traités » cédaient à l’association créée par le roi, la

souveraineté de leurs territoires et permettaient à l’AIA de proclamer ces territoires

« états libres ». Dès 1882, des affrontements entre ces postes et les populations

engendrèrent des répressions sanglantes de la part des groupes armés de Stanley et des

agents de l’AIC.

Une véritable course à la conquête avait lieu. C’était à qui serait le plus prompt à planter

son drapeau. Stanley n’était pas le seul à explorer la région : les Français par l’entremise

de de Brazza étaient au Nord. Les Portugais, arrivés en 1493 à l’embouchure du fleuve,

attendaient qu’on leur reconnaisse le droit de souveraineté sur le Bas Congo. Wissmann,

un explorateur allemand bien qu’ayant exploré le bassin du Kasaï pour le compte de

Léopold II, espérait que cette région allait revenir à son pays. Enfin Cameron, sujet de Sa

Majesté britannique, lorgnait tout autant sur la région.

Parallèlement à ces expéditions, des missions catholiques et protestantes faisaient le

forcing pour y établir leurs quartiers.

Les antagonismes entre les puissances coloniales telles l’Angleterre, la France,

l’Allemagne et le Portugal auront servi sans aucun doute à la reconnaissance de l’AIC de

Page 64: Anthropologie géographique de l'esclavage

Léopold II et de ses « territoires indépendants ». Dans un premier temps, et ce, via

l’entremise d’un certain Sanford, diplomate américain à la solde du roi des Belges, les

É tats-Unis reconnaîtront les premiers en 1884 la souveraineté de l’AIC sur ces « états

libres du Congo ».

Ensuite, la Conférence de Berlin (1884 - 1885), où Banning et Lambermont étaient les

représentants belges, approuvait un Acte imposant dans le bassin du Congo la liberté de

commerce et de navigation, interdisait tout monopole et promulguait l’abolition de

l’esclavage, la protection des Africains et des missionnaires chrétiens. Celui-ci prévoyait

également la création d’une Commission Internationale qui devait intervenir lors de

conflits ou de litiges se rapportant à l’Acte.

Le partage du bassin conventionnel du Congo ne se fit pas à la conférence de Berlin. Il se

fera néanmoins sur le terrain à partir de ce moment. Après les É tats-Unis, Bismarck

d’abord, les Anglais ensuite reconnaîtront l’AIC et sa souveraineté. Peu après, en février

1885, des accords entre la France et l’AIC et entre cette dernière et le Portugal

permettront de délimiter en partie leurs territoires respectifs sur cette vaste étendue

d’Afrique Centrale. En quelque sorte, la création d’une zone internationale à caractère

commercial et neutre, propriété d’un « roi philanthrope », déjà souverain d’une petite

nation, arrangeait les affaires des puissances qui s’arrachaient le continent africain.

En 1885, le 1er août, l’État Indépendant du Congo (EIC) était né, et le roi Léopold II en

assumait le titre de souverain grâce au vote au parlement belge lui permettant d’assumer

cette fonction. L’intervention d’Auguste Beernaert en tant que Premier ministre aura été

primordiale pour l’obtention de ce résultat. En effet, la reconnaissance par les puissances

de la souveraineté de l’AIC sur des territoires en Afrique Centrale créait la surprise en

Belgique puisque cette entreprise avait été réalisée fort discrètement par le roi. Et les avis

étaient mitigés.

Il faut aussi savoir qu’en Belgique aux environs des années 1880, l’activité industrielle

était florissante, aux dépens principalement de la classe ouvrière. En 1882, 42% de la

population était analphabète. Un petit pourcentage seulement des hommes pouvait voter

et ce en fonction de l’impôt payé.

Le gouvernement central de l’EIC s’installa à Bruxelles l’année de sa création. Trois

départements le composaient : les Affaires Intérieures (Maximilien Strauch), les Affaires

É trangères (Edmond Vaneetvelde) et enfin le Département des Finances (Hubert

Vanneuss). Il fallait bien entendu financer cette administration, et là aussi l’état belge

intervint à plusieurs reprises : en 1888, un décret fut voté pour permettre l’émission en

Belgique d’un emprunt à lots de 150 millions de francs qui rapportèrent en 1888 et 1889

23 millions dont 7,5 millions furent versés au roi qui garda 5,5 millions pour se

rembourser de ses investissements congolais réalisés depuis 1876 dont le montant est

estimé à 17,5 millions. Les autres 2 millions étaient déposés dans le trésor de l’EIC. On

vota une autre loi qui impliquait une participation de 10 millions de francs de l’état belge

dans le capital de la Compagnie du Chemin de Fer du Congo.

Page 65: Anthropologie géographique de l'esclavage

D’autre part, fait extrêmement important, sous l’impulsion de Beernaert, le parlement

vota en 1890 une convention entre la Belgique et l’EIC. Celle-ci allait lier le sort futur du

Congo à la Belgique, en tous les cas pour de nombreuses années. Moyennant un prêt sans

intérêt de 25 millions de francs étalé sur 10 ans, la Belgique obtenait la possibilité

d’annexer le Congo en 1900. De cette somme, 5 millions étaient versés immédiatement

au roi. Il en garda la moitié pour son remboursement. Enfin, un dernier subside de

6.850.000, éventuellement remboursable à l’état belge, était octroyé à l’EIC en 1895.

Ainsi le gouvernement belge dirigé par Auguste Beernaert reconnaissait la souveraineté

de Léopold II sur « l’Etat indépendant du Congo », et il lui fournissait également un

terrain propice à la réalisation de son entreprise coloniale.

A partir de 1886, le commandement sur le fleuve Congo allait être confié pour la

première fois à un Belge, Camille Janssen qui deviendra gouverneur général l’année

suivante. Dès ce moment, de nombreux postes de cadre reviendront à des militaires

belges mis à la disposition du roi par le Ministère de la Guerre. Les Scandinaves

représenteront la plus grande partie du contingent occidental non belge.

L’Acte de Bruxelles naquit en 1890 après la convocation d’une conférence initiée par le

1er ministre britannique. Il concernait la suppression du commerce d’esclaves par terre et

par mer en Afrique et au Moyen-Orient, et limitait l’importation en Afrique de boissons

alcoolisées et d’armes à feu. Cet Acte arrangeait bien entendu Léopold II puisqu’il

renforçait ses initiatives « humanitaires » et donc sa pénétration en Afrique Centrale. En

effet, une vaste zone à l’Ouest du Lac Kivu était sous l’influence depuis des années des

Swahilis, originaires de la côte est (actuel Kenya et Tanzanie). Le commerce d’esclaves

faisait partie de leurs diverses activités de négoce. Enfin, une dérogation à l’Acte de

Berlin, permettait la levée de droits d’entrée dans le bassin conventionnel du Congo.

Les agents territoriaux

Les fonctionnaires ou agents territoriaux étaient dans le début des années 1890 au

nombre de 175. Ils étaient responsables de l’exploitation du pays. La majeure partie de ce

personnel territorial (environ 60%), était représentée par les chefs de poste, généralement

des sous-officiers, provenant des casernes belges. Les commissaires de district, souvent

de jeunes lieutenants détachés de l’armée belge, avaient une partie de leur salaire versée

par l’état belge et gardaient leurs droits à la pension en Belgique. Un tiers de ces agents

partis au Congo avant septembre 1895 allait y mourir. Ce haut taux de mortalité allait

graduellement diminuer à partir de 1900.

Le règlement pour le personnel de l’EIC stipulait, à l’article 4, que les agents

s’engageaient à ne rien divulguer concernant les affaires de l’état à quiconque

n’appartenait pas au système administratif. Les agents de l’EIC pouvaient doubler leur

salaire grâce à un système de primes, instauré pour stimuler et accroître les bénéfices de

l’état.

Page 66: Anthropologie géographique de l'esclavage

Poste de collecte de l'ivoire, © Sanford museum, city of Sanford

La première de ces primes, était liée à la collecte de l’ivoire à partir de 1885 et pouvait se

résumer à ceci : la prime sera d’autant plus grande pour l’agent qu’il achètera l’ivoire au

prix le plus bas possible. D’autre part, au Congo, ce prix ne se payait pas en argent mais

en marchandises. Ces marchandises, qui prenaient souvent la forme d’armes. Entre avril

et août 1891, le roi fit envoyer 2.000 fusils à piston car Vangele, un agent de l’état, venait

de troquer un fusil contre 275 kilos d’ivoire. Au fil des années, ces primes varieront,

changeront de nom pour devenir une « allocation de retraite » fin 1896, terme moins

attaquable selon Vaneetvelde. Ensuite, celles-ci concerneront le caoutchouc, le copal, la

cire, le café et le cacao (cf. les systèmes de culture). Un exemple de circulaire à ce propos

datant de janvier 1896 : « Ces gratifications – notez que le terme prime avait été modifié

depuis 1892 – ne seront accordées que dans les districts rapportant annuellement à

L’État au moins 50.000 F d’impôts payés en nature par les indigènes étant bien entendu

que par ces impôts on doit comprendre les produits qui sont réalisés en Europe au profit

du trésor ». Ces soi-disant impôts relevaient de la seule volonté des agents territoriaux et

n’étaient régis par aucune loi.

La force publique

Un autre système de prime a vu le jour à la même époque, suite à la nécessité de

remplacer les « étrangers » dans les rangs de la force publique (l’armée de l’EIC,

officialisée en 1888, compta jusqu’à 19.000 officiers et soldats) qui enrôlait jusqu’alors

des hommes venus de Zanzibar et de la côte Ouest. Concernant ce recrutement

« d’étrangers », il apparaît que, de 1879 à 1895, 9.904 hommes arrivèrent au Congo,

provenant pour la plupart de Zanzibar, des futurs Ghana, Nigeria et Sierra Leone et

d’ailleurs dont le royaume du Dahomey. Certains furent des volontaires mais, bien qu’ils

fussent engagés en tant que travailleurs, beaucoup terminèrent dans la force publique à

leur arrivée à Boma. Les autres étaient des véritables esclaves qui allaient servir

l’administration coloniale. Cette fameuse prime, était liée au recrutement de Congolais.

Et ce recrutement devait coûter le moins cher possible au trésor de l’EIC.

Page 67: Anthropologie géographique de l'esclavage

Quelques extraits d’une lettre de Vaneetvelde au roi en 1889 : « …afin d’obtenir d’ici à 2

ans du recrutement indigène les 2.200 hommes nécessaires à la Force Publique, et

d’accroître même ce nombre sans frais, si c’est possible…Je me permets d’attacher la

plus grande importance au système de primes… …sans ce stimulant… nous ne pouvons

nullement compter nous passer désormais des contingents étrangers… ». Il expliquait

ensuite qu’un contrôle sévère devait être instauré de manière à pouvoir établir le montant

des primes à adjuger aux agents en fonction du nombre de recrues fournies.

Un moyen efficace était de transférer ces hommes dans un district autre que celui du

recrutement et de contrôler les récépissés fournis par les agents réceptionnant les

« engagés ». A noter que cet éloignement forcé limitait par la même occasion l’évasion

de « l’engagé ». Les frais d’engagement, incluant la prime de recrutement, étaient fixés

pour les hommes, les femmes et les adolescents. En outre, les articles 4 et 5 du règlement

stipulaient qu’une prime supplémentaire serait versée à l’agent en fonction de la

réduction des frais d’engagement.

Le recrutement

Les recrutés furent appelés « libérés ». Ce type de « système de libération » avait déjà été

appliqué avec grand « succès » par les Anglais, les Français et les Portugais, peu après la

soi-disant abolition de l’esclavage. Ces « libérés » étaient soit rachetés à leur propriétaire

soit tout simplement enlevés, et devaient servir l’état pendant un temps déterminé (très

souvent durant 7 années s’ils survivaient). Razzias, saisie de prisonniers de guerre et de

fuyards, sanctions, achats étaient les divers moyens pour obtenir ces auxiliaires

nécessaires au bon fonctionnement du système mis en place par Léopold II. Ces hommes

allaient soit servir la force publique soit être utilisés comme forçats aux différents postes.

Quelques illustrations pour décrire ce marché du travail et la condition de ces hommes :

« Poussez, je vous prie, la levée des soldats dans tous les districts : c’est la question

Page 68: Anthropologie géographique de l'esclavage

capitale en ce moment. Qu’on prenne les hommes par la force-comme en Europe-ou

qu’on les rachète, peu importe. L’État a le droit d’exiger ce service, et c’est pour lui une

question de vie ou de mort. Les sources de recrutement à l’étranger nous feront défaut

dans peu de temps. »

(Vaneetvelde à Wahis, gouverneur général à Boma avril 1892).

« Ces brigands – lisez les autochtones – se font constamment la guerre entre eux. Pour

un fusil à silex ils vous donnent 10 hommes… – Le chef – Epali me prévient qu’il part en

guerre demain. Comme il me dit qu’il me donnera tous les hommes qu’il prendra, je ne

lui dis rien et je le laisse partir, à condition toutefois qu’il ira bien loin chez des gens qui

n’ont pas de rapport avec le blanc… J’envoie un canot avec 2 hommes armés dans la

rivière, avec ordre d’arrêter toutes les pirogues indigènes et de prendre le poisson s’il y

en a. Puisqu’ils ne veulent pas venir me vendre leur poisson, je vais le leur prendre. »

(A.Daenen, chef de zone, journal de route, 1891).

« Nous laissons la paix aux villages qui nous servent bien, mais nous faisons disparaître

ceux qui voudraient entraver nos opérations. »

(Rousseau, chef de poste, 1892).

Voici des passages d’un rapport écrit par le juge Marcellin Desaegher adressé au

Gouverneur général, daté de juillet 1892, lors d’une visite dans le Haut Congo et

concernant le sort de ces « libérés » : « …Un fait capital : les trois quarts des libérés

périssent avant d’arriver à la destination où ils peuvent être utilisés, et parfois les

déchets sont encore plus élevés. Il cite ensuite quelques chiffres d’hommes dont les

contingents – venant du district de l’Ubangi-Uele – ont été depuis versés directement à

l’Equateur… Il pose ensuite la question : Quelles sont les causes de cette grande

mortalité ? De ces énormes déchets ? Le nègre adulte se plie difficilement à la servitude.

L’emprisonnement, les fers ou les chaînes le tuent en peu de temps. C’est pourquoi les

Arabes – les Swahilis – ne font guère de prisonniers mâles adultes.

L’EIC préconisait la création de camps d’instruction pour les « libérés » dans le but de les

former. Apparemment le gouvernement recommandait le bon traitement de ces hommes.

Mais, Desaegher écrit qu’il n’a pu constater l'application de ces instructions, et c’est la

première et indubitablement une des grandes causes des mécomptes. Le libéré est

enchaîné. Soit, c’est une nécessité ; souvent brutalisé et toujours abandonné dans la

solitude… J’ai vu les lieux de détention de Yakoma, Djabir, Bumba, rien de plus horrible

ni de plus pitoyable. Non pas les habitations mêmes, mais ces groupes d’hommes, de

femmes, d’enfants mal nourris, exténués, crasseux, malades. Plusieurs moribonds

tremblants de frayeur, attachés à la même chaîne et couchés pêle-mêle sur la terre… Si

tous les agents s’acquittaient de ce si facile devoir d’humanité que le gouvernement

prescrit en termes si formels, si on améliorait un peu le bien-être matériel, en leur

donnant une natte par exemple, l’occasion de se baigner, etc.… nous verrions décroître

les décès dans de notables proportions. On devrait aussi envoyer partout des chaînes en

acier qui remplaceraient les anciennes lourdes chaînes de bateau avec lesquelles on les

Page 69: Anthropologie géographique de l'esclavage

amarre actuellement.

…Que dirais-je des enfants ? Il y en a partout. Je ne parlerai que de Djabir, où ils se

trouvent par centaines et où il arrive des quantités chaque jour, appartenant à des races

magnifiques. Ils sont une des richesses de l’état. On ne sait combien il y en a, il n’y a pas

de contrôle, on ne s’en occupe pas… et les petits malheureux vivent dans le camp au

hasard. Beaucoup meurent des misères de la route, dit le docteur chef de station – le

médecin E.Vancampenhout –, des misères de la station, prétend M.Daenen – le chef de la

zone de Djabir. Quoiqu’il en soit, j’ai vu quantité de petits squelettes ambulants et ceux-

là meurent faute de soins. L’un d’eux agonisait à ma porte. Je demande au docteur s’il

n’y a plus rien à faire ? Rien me dit-il – Mais avec des soins ?– Je ne sais, peut-être –

Alors, donnez-moi cette petite fille. Malgré les fatigues de la route à dos d’homme et en

pirogue, l’enfant se porte actuellement bien. – Le docteur et le chef de zone – m’ont

reconnu l’un et l’autre que toutes les petites filles de la station – oh, de tout petits enfants,

étaient violées. On le sait et on a rien su faire pour les protéger… »

Ensuite le juge Desaegher indique les remèdes à appliquer selon lui. Il en vient à parler

de la création de colonies pour les enfants, pour leur éviter les routes qu’il estime pour

eux impraticables. Cette idée de colonies fut alors exposée aux missionnaires. Voici la fin

d’un rapport adressé par Fivé, inspecteur d’état, au gouverneur général, sur la

« libération » dans le district de Lualaba : « …et la mortalité était effrayante au

témoignage du commissaire de district Gillain… Les causes générales de mort sont

nombreuses chez nos libérés, entre autres : 1) les fatigues et les inévitables privations de

la route ; 2) la chaîne, l’emprisonnement, le spleen ; 3) la famine et tous ces maux…Je

me résume. Le gouvernement fait d’inutiles sacrifices pour assurer par la libération le

recrutement de la force publique. La difficulté n’est pas d’avoir des hommes, mais de

leur assurer dans le district d’origine assez de bien-être pour qu’ils n’y meurent pas, de

ne pas les laisser gaspiller, de les transporter dans des bonnes conditions au lieu de leur

destination. Les camps militaires et les camps sanitaires sont des mesures conservatoires.

C’est au gouvernement de parer à la crise d’abondance par l’organisation d’un service

régulier de transport… ». Quelques notes supplémentaires du même Fivé : « Quantité de

cadavres pourrissent aux alentours de l’hôpital… Des libérés, la chaîne au cou

traversent un pont, l’un tombe, il entraîne toute la chaîne qui disparaît… ».

Plus tard, le terme de « libéré » fut remplacé par le terme « milicien ». Ce qui n’allait pas

modifier, bien au contraire, la terrible situation de ces hommes. Pour preuve, quelques

lignes écrites par le missionnaire Camille Varonslé à son supérieur en Belgique, le père

Vanaertselaer, après une tournée au Congo en 1895 : « …On trouvait que nous étions en

présence d’un spectacle d’esclavagisme en grand… Les caravanes qui descendent la

route à Boma jonchent la route de cadavres… »

Les tâches principales des agents de l’EIC consistaient donc à faire récolter l’ivoire, le

caoutchouc et à recruter des hommes par la force selon les dires de Ch. Lemaire, sous-

lieutenant qui déclarait : « Mon éducation africaine commença dans les coups de fusil et

de canon, dans les incendies de villages « à mettre à la raison », en un mot dans l’abus et

le sur abus de la force avec tous ces excès ».

Page 70: Anthropologie géographique de l'esclavage

Comme on l’a déjà signalé, les achats se faisaient en échange d’armes mais parfois aux

moyens de produits tels que des étoffes voire en argent-or lors de certaines transactions

avec les Swahilis (musulmans originaires de la côte est de l'Afrique). A noter que les

factoreries ne pouvaient pas vendre d’armes.

Les missionnaires

Ces « libérés » allaient aussi profiter aux missionnaires catholiques belges de la

Congrégation de Scheut à partir de 1888. En effet, Léopold II allait subsidier (tout

comme certains membres de la noblesse belge) et faciliter leur installation au Congo pour

contrer « l’avancée » des protestants. Il allait faire pression sur le Vatican avec comme

résultat la création d’un Vicariat Apostolique de l’EIC, réservé aux Scheutistes (la maison

mère de Scheut se trouvait à Anderlecht en Belgique). L’un de ces premiers Scheutistes,

Gueluy, n’hésitait pas à organiser des expéditions armées pour se fournir en nourriture

auprès des villageois.

A partir du début des années 1890, la SAB assurait le transport des charges des

Scheutistes à l’intérieur du pays. Avant 1900, aucune évangélisation ne fut réalisée. Ils

avaient créé des postes, entre autre au Kasaï, qui au début, furent peuplés d’esclaves.

C’est le cas de Cambier qui rassembla dans le milieu des années 1890 à Mikalai plus de

mille personnes étrangères à la région (des Luba en terre Lulua) soit reçues des agents de

l’état, soit échangées contre quelques tissus, soit appropriées par la force. Des conflits

entre les fonctionnaires de l’état et les missionnaires allaient engendrer un accord à

Bruxelles entre Vaneetvelde et Vanaertselaer pour permettre aux Scheutistes de

« disposer » de Congolais. En contrepartie ils ne devaient pas s’immiscer dans les affaires

de l’état.

Ailleurs en Afrique, les missionnaires catholiques achetaient des enfants (rachetaient

selon leurs termes). Dans l’EIC ceux-ci étaient carrément livrés en groupe, gratuitement,

à domicile. C’était le moyen pour l’état, avant 1900, d’attirer les missionnaires

Page 71: Anthropologie géographique de l'esclavage

catholiques afin de contrer les protestants. L’administration coloniale rassemblait ces

enfants littéralement kidnappés dans les villages et les expédiait parfois très loin vers les

missions appelées colonies d’enfants qui prendront le nom de colonies scolaires. C’est

ainsi que des pères allaient former des Congolais pour en faire de bons chrétiens, mais

aussi et surtout de bons militaires puisqu’ils étaient aidés dans leur tâche par un agent de

l’EIC. Les futures femmes de ces militaires étaient « éduquées » par des sœurs.

A côté de ces colonies officielles, les missions créaient des colonies privées, elles aussi

occupées par des enfants livrés par l’état. Ces colonies se trouvaient notamment à Boma,

Bangala, Moanda et Berghe-Ste-Marie. Il y avait par exemple 387 enfants en 1900 dans

la colonie officielle de Boma. Ces colonies étaient de véritables camps de la mort. Le

taux de mortalité était énorme, lié principalement à la famine, à l’épuisement, au manque

d’hygiène et aux épidémies. Cette dernière cause était citée par les missionnaires comme

étant la cause principale des décès.

Quelques extraits du rapport trimestriel du Scheutiste Decleene d’avril 1895-Boma :

« Nombre d’élèves : 246. Si les enfants jouissent d’une excellente santé, le contraire est

vrai pour les enfants venus au mois de février ; plusieurs d’entre eux sont si épuisés par

les fatigues et les privations de la route des caravanes qu’ils n’ont pu se remettre de leur

maladie ». En janvier 1893, Fuchs, magistrat de l’EIC, parle d’un contingent de 62

enfants envoyés à Boma qui sont dans un état de maigreur excessive. Decleene, en juillet

1894, cite un autre contingent d’enfants dont la plupart sont arrivés dans un état si faible

que plusieurs pourraient succomber malgré les soins qui leur sont prodigués.

Entre 1890 et 1900, plus de dix mille enfants allaient mourir aux missions de Scheut,

selon leurs propres sources. Sans compter ceux qui sont morts lors des razzias, lors des

déportations ou encore lors de leur fuite. Voici une lettre écrite par le magistrat R. Breuer

en janvier 1900 : « La maladie du sommeil et la famine font des ravages affreux parmi les

enfants de cet asile philanthropique – Berghe. De trois à quatre cents enfants il n’en

resterait que quatre-vingt. Ceux-ci s’efforcent de fuir ce séjour des morts ; ils se

réfugient au poste de M. Mahieu – un commandant – pour implorer quelques nourritures ;

les plus affamés volent ce qu’ils trouvent. Mr Mahieu les exhorte en vain à retourner

auprès des pères ; quand on veut les ramener, ils s’enfuient vers la forêt ou dans la

brousse, préférant courir les risques de la vie errante que de s’exposer à la mort certaine

qui les attend à la mission. Mr Mahieu a vu de tout jeunes enfants enchaînés par les

missionnaires ». A partir de 1900, les colonies étaient peuplées d’enfants abandonnés qui

allaient devenir des soldats de la force publique ou encore des travailleurs pour l’état.

Une école pour commis s’ouvrait en 1906 à Boma. En 1908 celle-ci avait formé ses 5

premiers commis congolais.

Les missionnaires catholiques en général et les pères de Scheut en particulier, n’allaient

jamais critiquer le système mis en place par le roi (sauf le 13 avril 1908 quand E. Geens

critiquait l’impôt). Au contraire, ils allaient en assurer sa propagande, comme l’évêque

Vanronslé l’indique en 1904 : « …jamais ni moi-même ni, à ma connaissance, personne

parmi mes missionnaires, nous n’avons été témoins oculaires d’un acte de cruauté, ni

d’un effet quelconque d’un tel acte… ».

Page 72: Anthropologie géographique de l'esclavage

Le domaine royal

Le roi Léopold II décréta lors de la création en 1885 de l’EIC que les terres vacantes, –

lisez : ainsi que tout ce qui y était rattaché – appartenaient à l’état. Il allait s’agir d’une

confiscation pure et simple de la quasi-totalité des terres de la région. D’autre part,

comme on l’a déjà signalé, plusieurs factoreries, comme la NAHV (la Nouvelle

Compagnie Commerciale Africaine), étaient installées dans la région bien avant la

création de l’EIC et y exerçaient notamment le commerce de l’ivoire.

Une véritable guerre d’intérêts allait suivre entre l’EIC et ces compagnies commerciales

qui du côté belge voyait Albert Thys se trouver à la tête d’un important holding la

Compagnie du Congo pour le Commerce et l’industrie (CCCI) composée en outre de la

Société Anonyme Belge pour le Commerce du Haut Congo (SAB), soutenue par le

gouvernement belge, la Compagnie du Chemin de Fer du Congo, la Compagnie du

Katanga, la Compagnie des magasins généraux, la Compagnie des produits du Congo, et

le Syndicat Commercial du Katanga. Ces sociétés avaient leur siège rue Bréderode à

Bruxelles.

Nous étions par conséquent en présence de diverses parties : Léopold II à la tête de l’EIC,

mais devant politiquement ménager tout ce qui avait attrait à la Belgique, des sociétés

commerciales (belge, hollandaise et française) et le gouvernement belge dont le Premier

ministre était tiraillé entre les intérêts du roi et ceux des entreprises belges dont certaines

attaquèrent la politique domaniale du roi. Toutes ces parties convergeaient vers le même

centre d’intérêt : le Congo et ses richesses.

A partir de 1890, plusieurs décrets stipuleront le partage du Congo en 2 zones pour

l’acquisition de l’ivoire : la première destinée aux sociétés privées et la deuxième, bien

plus vaste, était considérée comme le domaine privé du roi

En 1892, la Société Commerciale Anversoise (l’Anversoise ou SCA) d’Alexandre de

Browne de Tiège et l’Anglo-Belgian Indiarubber and Exploration Company (Abir)

d’Arthur Vandennest, futur sénateur belge, rentrèrent en scène et acquirent des

concessions pour faire récolter le caoutchouc moyennant le partage des futurs bénéfices

avec l’EIC, dont les agents allaient installer les premiers postes. Ces deux sociétés

obtenaient donc des monopoles d’exploitation, soutenus par l’état. Leurs milices privées,

grâce à l’importation d’armes et à la collaboration avec la force publique (sorte de sous-

contractant) allaient faire régner la terreur pour obtenir le caoutchouc.

Selon le roi, via un décret secret, les agents devaient prendre les mesures « nécessaires

pour conserver à la disposition de l’état les fruits des terrains domaniaux – du domaine

privé –, notamment l’ivoire et le caoutchouc ». Il existait un véritable bras de fer entre les

sociétés de Thys et les agents de l’EIC, qui allaient jusqu’à obliger les Africains à leur

vendre et à eux seuls cet ivoire sous peine de punition. Le roi exerçait régulièrement des

pressions sur le gouverneur général comme on peut le lire via un extrait d’une lettre

envoyée à Wahis en avril 1892 : « Il importe d’activer promptement… le développement

Page 73: Anthropologie géographique de l'esclavage

bien nécessaire de nos récoltes d’ivoire et de caoutchouc. L’Etat ne peut maintenir son

existence qu’au moyen de très larges et très fructueuses récoltes ».

Une lettre de Wahis aux commissaires de district illustre bien les résultats de la pression

exercée par les autorités de l’EIC : « …Celui qui dans ces parages – lisez le domaine

privé – achèterait du caoutchouc, inciterait ainsi les indigènes à exploiter le domaine

privé, et il s’associerait à un délit prévu par la loi. Pour mettre fin à une telle

exploitation illicite, le commissaire de district devra de préférence punir les principaux

délinquants, c’est à dire les indigènes eux-mêmes et les mettre administrativement et

judiciairement en demeure de livrer à l’Etat le caoutchouc récolté sur le domaine privé.

Cela le dispensera probablement de poursuivre devant les tribunaux ceux qui achètent le

produit ; car il est désirable de ne leur intenter des poursuites que si l’on ne parvenait

pas à maintenir les indigènes dans la légalité… »

La presse belge était partagée à ce sujet. Certains journaux comme « Le Patriote » (qui

deviendra la « Libre Belgique » en 1918) L’Escaut et La Chronique critiquaient en 1892

la politique domaniale et constataient que « pendant que cela se passe, les Belges sont

invités à donner leurs millions à cet étrange gouvernement ». Ces journaux accusaient ce

même gouvernement d’utiliser des armes (achetés notamment à l’armurier Breuer à Liège)

comme produits de transaction, et demandaient la vérité sur les commissions attribuées

aux agents de l’état, officiers et sous-officiers de l’armée belge. Notez la réponse de

l’armurier liégeois : « les fusils qui sont ordinairement fournis aux nègres sont des fusils

à silex. Les nègres n’en veulent généralement pas d’autres et ils ne s’en servent

généralement que de jouet ; les nègres aiment à faire éclater la poudre du bassinet »

Voici l’idée de Vaneetvelde au sujet de la presse via une lettre écrite au roi en juillet

1892 : « Je me permets d’exprimer à votre majesté l’avis que dans ce moment il y aura

lieu de s’attacher quelques organes de la presse par la voie d’un subside, par exemple –

L’Étoile – et – Le Soir. Il faudrait à partir de septembre mener une campagne de

propagande dans la presse, et nous n’aurons jamais de la part des journalistes un

concours absolu si nous ne les payons pas. »

Après 1892 et le décret d’octobre qui signalait la fermeture de nombreuses régions aux

sociétés, sous-entendu leurs intégrations au domaine privé, le roi allait pouvoir faire

exploiter cette vaste étendue et faire récolter le caoutchouc sous forme d’impôts (notion

tout à fait floue comme nous l’avons vu) exigés à la population. Le règne de la terreur

allait battre son plein. L’Anversoise et l’Abir, alliées du roi, avaient acquis des

concessions. Les sociétés de Thys allaient suivre avec pour résultat qu’en 1905 une

grande partie de l’exploitation du pays était entre les mains de ces sociétés

concessionnaires. C’était le cas pour les districts Aruwimi, Bangala, Equateur et Kwango

où l’administration était au service de celles-ci.

Les Swahilis

La province orientale située à l’Ouest des grands lacs était sous l’influence de plusieurs

chefs Swahilis dont certains entretenaient de bonnes relations avec des agents de l’EIC

Page 74: Anthropologie géographique de l'esclavage

qui leur achetaient notamment des esclaves et de l’ivoire. L’un des plus illustres d’entre

eux, Tippo Tip, allait être nommé gouverneur des Falls. Avant cela, il avait grandement

aidé l’expédition de Stanley à progresser dans la région du Maniema en 1876.

Le roi accordait une très grande importance à ne pas générer de conflits avec les Swahilis

et recherchait leur alliance. Malgré cela, et contrairement aux ordres de Bruxelles, des

confrontations éclatèrent en 1892 entre certains Swahilis et des troupes de l’EIC elles-

mêmes soutenues par d’autres Swahilis. Ces derniers prendront le dessus, ce qui

permettra au gouvernement de l’EIC de se servir de ces événements pour qualifier cette

soi-disant campagne arabe comme étant la victoire de l’entreprise « civilisatrice » du roi

sur l’esclavagisme arabe dans l’Est du Congo. Victoire, qui est d’ailleurs toujours

célébrée aujourd’hui en Belgique et plus précisément à Blankenberge où une statue

représentant les agents Lippens et Debruyne a été érigée.

Le résultat des événements, est que le gouvernement de l’EIC devenait le maître de

presque toute cette province orientale qui englobait le Maniema et le Kivu. Les Swahilis

réintégrés, allaient dorénavant partager les bénéfices de leur administration (moitié-

moitié pour la récolte de l’ivoire) avec l’état. Certains seront nommés agents auxiliaires

de l’EIC.

Voici quelques extraits d’un rapport de Wahis écrit en 1896 à propos du district des

Stanley Falls : « Le régime est en somme à peu près celui qui a été créé par les Arabes –

les Swahilis. Les divisions du territoire sont celles qu’ils avaient établies. Le personnel

qui occupe les régions est en partie celui qu’ils y avaient mis. C’est là où leurs gens ont

été le mieux maintenu en place, que l’on tire le plus facilement parti des produits du pays.

On ne peut s’empêcher d’admirer les résultats auxquels ces aventuriers, venus dans ces

régions sans ressources, sont arrivés en un temps fort court. Les chefs auxiliaires, placés

à la tête des régions d’exploitation, sont tout simplement des chefs de poste, comme le

sont nos officiers et nos sous-officiers, qui ont dans un district des parties de territoires à

administrer. Au lieu d’avoir sous leurs ordres des soldats armés d’albinis, ils disposent

d’auxiliaires armés de fusils à piston…ils – les auxiliaires – ont une action constante sur

les populations… Niangwé a été administré successivement par 2 officiers, le lieutenant

Lemery et le capitaine Stevelinck, qui se sont montrés vis-à-vis des noirs indigènes, chefs

indigènes et auxiliaires d’une férocité de fauve, pendant ou jetant au fleuve tous ceux qui

paraissaient les gêner… ».

Wahis écrivait à Vaneetvelde la même année : « La région où je me trouve – les Falls –

pourrait s’appeler le pays des horreurs… Je vous signale quelques agents qui ont été

condamnés, mais d’autres ont la réputation d’avoir tué des masses de gens pour des

raisons petites. On dit que M.Rom – Léon – qui pour la presse belge est aussi un héros,

avait aux Falls un parterre de fleurs, complètement entouré d’une bordure faite des

crânes humains qu’il pouvait recueillir. Il avait une potence en permanence devant le

poste !… ».

Lisez les quelques passages d’une lettre écrite par Mgr Roelens au commandant

d’Albertville (Mtowa-Urua) décrivant le résultat de cette collaboration entre les agents de

Page 75: Anthropologie géographique de l'esclavage

l’EIC et leurs auxiliaires : « …les lettres que je reçois d’eux – des missionnaires de la

région – ne parlent que de guerre et de pillages… l’auteur de ces désordres est un de vos

soldats – l’auxiliaire Songoro –.abuse de votre nom… pour piller le pays au risque de le

soulever tout entier contre nous tous.

Le portage

© Anti-Slavery International

A partir de 1889 l’usage du portage s’accrût. Tous l’utilisaient, les agents de l’EIC, les

missionnaires et les sociétés privées dont certains louaient les « services de transport »

des agents de l’administration contre rémunération. Ce système était composé de

recruteurs, des agents de l’état, mais aussi d’Africains.

Il s’agissait de forcer les villageois à remplir ces tâches de portage contre rémunération

qui, selon l’état devait être la moins onéreuse possible. La prise d’otages, comme on peut

le voir sur cette photo, était le moyen coutumier utilisé pour le recrutement. Lisez ces

quelques lignes écrites par Joseph Antoine, commissaire de district f.f, en 1893 : « Il est

vrai, qu’afin d’assurer notre portage, nous amarrons des femmes dans les villages.

Depuis mon arrivée à Lukungu, j’ai toujours vu agir de la sorte envers les capitas

récalcitrants… Depuis près d’un an le capita de Mbanza Sanda n’a pas fourni de porteur

et à M.Rommel, se rendant dans cette région, j’ai donné l’ordre d’agir énergiquement…

La coutume d’amarrer des femmes pour obliger les capitas à se rendre à Matadi est

tellement admise que jamais des conflits ne surgissent entre les gens des villages et mes

recruteurs qui n’ont le plus souvent que deux soldats avec eux. Si ce moyen d’action,

moyen démontré efficace par expérience, m’était retiré, je me verrais dans l’impossibilité

d’assurer le recrutement des porteurs. »

Voici l’avis du secrétaire général Liebrechts en 1896, concernant l’action de la force

publique : « La force publique est bien exercée et impressionne suffisamment les

indigènes pour qu’on ait plus à craindre d’arrêts dans les transports. Ceux-ci ont donné

Page 76: Anthropologie géographique de l'esclavage

d’excellents résultats en juin: 8.000 porteurs sont montés dont 5.000 pour Léopoldville.

Du 1er au 11 juin au-delà de 2.000 porteurs se sont présentés à Tumba ».

Le roi Léopold II était bien conscient de ce recrutement forcé et des combats entre les

troupes de l’état et des Congolais qui se rebellaient face à ces méthodes, comme

l’attestent ces extraits d’une lettre de Wahis qui lui était adressée en janvier 1894 :

« … La région des Cataractes a été troublée, mais je pense que le calme sera partout

rétabli sous peu et que cette crise contribuera même à relever le portage. Je devrai

renforcer quelque peu les troupes de ce district ; c’est indispensable pour rétablir

l’autorité, éviter dans la mesure du possible les accidents, et assurer nos recrutements de

porteurs. Toutes les hostilités seront réprimées d’une façon complète ; il faut parfois

pour obtenir ce résultat consacrer quelque temps aux opérations, mais c’est le seul

moyen d’avoir le calme pendant une longue période. »

En 1895 il y avait environ 50.000 porteurs pour l’EIC.

Le caoutchouc

© Anti-Slavery International

Les récoltes de caoutchouc [extrait des lianes, comme on le voit sur cette photo

débutèrent à partir de 1893 et ce jusqu’en 1912. Le système consistait à la mise en place

d’auxiliaires et de sentinelles, originaires de la région, dans les villages pour forcer les

populations à récolter le caoutchouc. Ceux-ci étaient souvent la cible de représailles, de la

part des villageois qui devaient récolter le latex et l’amener aux postes de l’état ou des

sociétés, sous forme de boules voire de lanières. Certains villages en étaient exemptés

mais devaient par contre assurer la sustentation de leurs bourreaux. Il régnait un véritable

Page 77: Anthropologie géographique de l'esclavage

chaos dans certains districts comme celui du Kasaï où la famine et le trafic d’esclaves

étaient à leur comble. De nombreuses femmes étaient prises en otages et mouraient

parfois d’inanition comme cela était provoqué notamment par Matthys en 1899 dans le

district Bangala.

La compagnie concessionnaire Abir faisait remplir pour chaque otage des formulaires

stipulant le nom de l’otage, le lieu d’origine de celui-ci ainsi que la date. Un exemple de

méthodes utilisées par l’agent d’état, le lieutenant de l’armée belge Léon Fievez dans

l’Équateur en 1894 en réaction au refus de coopération de la part des Congolais :

« Devant leur mauvaise volonté manifeste, je leur fais la guerre. Un exemple a suffi, cent

têtes tranchées et depuis lors les vivres abondent dans la station. Mon but est en somme

humanitaire. J’ai supprimé cent existences, mais cela permet à cinq cents autres de

vivre ».

La terreur du caoutchouc allait être spécialement sanglante dans la région du Lac Tumba

(Equateur). Le même Fievez allait ensuite exiger des mains coupées comme preuve du

nombre de cartouches utilisées. L’un de ses « exploits » allait être soulevé par le député

belge Lorand à la Chambre après avoir été relaté dans le journal allemand Kolnische

Zeitung : un jour, cet agent d’état compta plus de 1300 mains coupées… Dans le Times

du 18 novembre 1895, un missionnaire protestant relatait les méthodes barbares de

l’administration congolaise. Fievez comparut en octobre et novembre 1899 à Boma pour

cas de violences à Bangala en 1898 et d’exécutions dans l’Ubangi en 1899. Il fut acquitté.

(Photo : missionnaires britanniques en compagnie d'hommes tenant les mains coupées de

Bolenge et Lingomo, victimes des milices de l'Abir en 1904.)

© Anti-Slavery International

Le refus des Congolais de fournir le caoutchouc à l’état était sanctionné par des

expéditions punitives causant morts et mutilations. A l’opposé, de temps à autres, des

agents de l’EIC étaient condamnés. Cela a été le cas du sous-officier Durieux accusé

Page 78: Anthropologie géographique de l'esclavage

d’avoir exécuté un homme et une femme liés ensemble. La sentence lui coûta une retenue

de 2 mois de salaire. Il terminera capitaine de cette même force publique.

Voici des extraits des recommandations de Wahis, pour rappel gouverneur général de

l’EIC, au commissaire de district Sarrazyn fin 1896 : « …Quand la population n’exécute

pas les engagements auxquels elle s’est soumise, ou qui lui ont été imposés, il faut

commencer par obliger le chef à venir s’expliquer au poste le plus voisin commandé par

un blanc. S’il refuse de se présenter, on doit tâcher de le prendre, lui et quelques

indigènes importants du village ; on les tient ensuite en captivité jusqu’à ce que les gens

du village soient venus les réclamer en déclarant qu’ils exécuteront leurs engagements.

…Si une résistance par les armes se produisait au moment où une troupe entre dans un

village pour procéder à une arrestation, le chef de cette troupe peut faire usage de la

force dont il dispose, mais il doit toujours agir avec la plus grande modération… La

troupe doit toujours être commandée par un officier ou un sous-officier – lisez un agent

de l’EIC – quand il s’agit d’exécuter une opération de guerre et que l’on aura par

conséquent à attaquer des populations… Je n’ai pas besoin de vous recommander en

outre que nos agents doivent se surveiller le plus possible surtout là où ils sont en contact

avec des missionnaires… »

(© Anti-Slavery International

Certaines sociétés privées comme l’Abir et la SAB utilisaient ces mêmes méthodes en

employant de véritables milices pour exiger des populations la récolte du caoutchouc. Sur

cette photo, Nsala, du district de Wala, regardant les membres coupés de sa fille Boali,

victimes des milices de l'Abir. Voici quelques lignes assez descriptives écrites par

l’officier danois Knud Jespersen et qui concerne la période 1898-1899 qu’il passa à Bala-

Londji : « …d’après les règles de l’époque, chaque cartouche manquante doit être

justifiée par une main humaine. Il est vrai que beaucoup d’entre elles proviennent de

cadavres de guerriers tombés au combat, mais il y a également des mains d’enfants, de

femmes et de vieillards. Cela est prouvé par les invalides encore en vie…

…Il – il parle de lui à la 3ème personne – trouve des agglomérations presque totalement

abandonnées. Les fugitifs se groupent à l’intérieur des forêts… les soldats et leurs aides

les y poursuivent pour les massacrer… ce qui expliquent que les fugitifs pénètrent très

Page 79: Anthropologie géographique de l'esclavage

profondément en forêt. Les soldats et leurs aides parviennent cependant à expédier des

pirogues chargées de butin et de prisonniers adolescents et jeunes femmes, dans le but de

les vendre ou de les faire travailler pour eux dans leurs villages d’origine…

…Le lendemain des ambassadeurs viennent se soumettre en promettant de travailler pour

l’état. Jespersen leur rend alors les femmes et les enfants prisonniers, malgré les

protestations violentes des soldats et contrairement à la pratique courante de cette

époque – ils étaient souvent payés en femme ou en enfant. En effet habituellement les

indigènes ne travaillaient qu’en vue de la restitution de leurs femmes, une femme par

hotte de caoutchouc… une expédition punitive contre le village de pêcheurs de Ventri

pour n’avoir pas livré la quantité imposée de poissons… le sergent Fariala est envoyé

avec 10 soldats pour punir les récalcitrants. L’attaque nocturne anéantit l’agglomération

et le lendemain l’expédition rapporte une hotte de mains coupées… »

Plusieurs cas de révoltes et de résistances ont entravé le travail morbide de ces milices

qui n’hésitaient pas à entreprendre des représailles insensées. Quelques extraits du journal

du sous-officier Louis Leclercq en 1895 qui participa à des représailles dans l’Aruwimi

suite à une révolte en novembre 1894: « 10 avril : Six indigènes tués. Village livré aux

flammes… La tête de la colonne est attaquée par un parti d’indigènes… deux morts et

quatre blessés mortellement… 17 avril : Parti avec 80 hommes pour le village Baourou.

Une quinzaine de personnes tuées… 25 avril: …Arrivée à Iteke. Brûlé le village ainsi que

Yambi aval… arrivée à Yambi amont… Brûlé le village.

26 avril : Arrivée à Llongo aval à 6H20. Brûlé le village et tué un indigène. Arrivé à

Llongo amont à 9H. Brûlé. Arrivé à Yambumba à 11H40. Je fais brûler le village… après

quelques instants d’une fusillade bien nourrie, les indigènes prennent la fuite en laissant

treize des leurs sur le terrain. Je fais mettre le feu aux cases. – Ensuite, il parle de

villages incendiés les 27,28 et 29 avril… 1er juin : Attaque du poste de Mahonga –

Bahanga ? – par les indigènes. Le poste a mis les noirs en fuite et leur a tué plus de 50

hommes. Les têtes des 18 principaux tués et le corps du grand chef d’Ilondo ont été

apportés le lendemain par le chef du poste à Basoko. [Note : fait suite le récit de

nombreux villages incendiés, de nombreuses têtes coupées et donc de nombreux morts.

Ces représailles prirent fin le 12 août].

Alphonse Jacques, ancien chef de la force antiesclavagiste belge sur le lac Tanganyika,

sera nommé baron et général. Entre temps il dirigea la récolte du caoutchouc de 1895 à

1898 dans le district du Lac Léopold II. Il a sa statue sur la grande place de Dixmude en

Belgique. Il est vrai qu’il se distingua pendant la première guerre mondiale. Georges

Lorand lira à la Chambre le 28 février 1906 une des lettres écrites par Jacques à son chef

de poste Leyder Mathieu :

« Monsieur le chef de poste,

…Ces gens d’Inongo…..sont venus couper les lianes à caoutchouc à Ibali – note : les

lianes ne devaient pas être coupées mais incisées. Nous devons taper sur eux jusqu’à

soumission absolue ou extinction complète… Prévenez encore une toute dernière fois les

gens d’Inongo et mettez au plus tôt votre projet à exécution de les accompagner dans le

bois, ou bien rendez-vous au village avec une bonne trique. Au premier chimbèque

adressez-vous au propriétaire: Voilà un panier tu vas le remplir de caoutchouc. Allez,

Page 80: Anthropologie géographique de l'esclavage

file dans le bois et tout de suite, et si dans 8 jours tu n’es pas revenu avec 5 kg, je flambe

ton chimbèque ! et vous flambez, comme vous l’avez promis. La trique servira à chasser

dans les bois ceux qui ne veulent pas quitter le village. En brûlant – les cases – une à une,

je crois que vous ne serez pas obligé d’aller jusqu’au bout avant d’être obéi.

PS: Prévenez-les que s’ils coupent encore une liane, je les exterminerai tous jusqu’au

dernier. »

Leyder Mathieu fut jugé à Boma suite au meurtre d’un Congolais qui fera grand bruit

dans la presse internationale avec pour résultat la mise en branle du système judiciaire de

l’EIC et la condamnation de ce dernier à plusieurs années de prison au Congo. Il sera

également révoqué

En 1899, Léopold II eut à deux reprises quelques sentiments furtifs de désapprobation

face aux nombreux actes barbares perpétrés à l’encontre des Congolais en priant par

l’entremise de Liebrechts le gouverneur général de l’EIC de faire respecter la loi et les

règlements. Quelques poursuites tapageuses engagées par l’état à l’encontre de certains

de ses fonctionnaires étaient organisées en réponse aux attaques de certains milieux en

Europe qui s’indignaient des divers témoignages de violences perpétrées à l’encontre des

Africains.

La chicotte

En ce qui concerne la peine de la chicotte (ou fimbo) qui était appliqué en cas « d’atteinte

au règlement », sa première apparition dans les textes officiels remonte à 1888 et

autorisait 100 coups dont 50 par séance. Ce supplice pouvait bien entendu être mortel. La

chicotte était un fouet dont les coups, appliqués sur les fesses, pouvaient les déchirer. Au

fil des années, la limite maximale du nombre de coups pouvant être infligés diminua

progressivement. Elle fut abolie en 1959, dix mois avant l’indépendance du Congo.

Page 81: Anthropologie géographique de l'esclavage

photo© ASI

Le chemin de fer

La Compagnie du Chemin de Fer du Congo allait entreprendre à partir de 1890 la

construction d’une ligne de chemin de fer Matadi-Kinshasa. Cette entreprise prit fin en

1898 et fut un réel enfer pour des milliers d’Africains, provenant d’Afrique de l’Ouest

principalement, ainsi que pour des Chinois. Un grand nombre d’entre eux y perdit la vie.

En juin 1895, le gouvernement belge, dirigé alors par de Smet de Nayer, accordait à la

compagnie un prêt de 5.000.000 de francs tandis que l’année suivante le parlement

approuvera une convention entre les 2 parties qui permettra le financement des travaux

restants pour atteindre Kinshasa. Parallèlement à ce soutien du gouvernement à

l’entreprise congolaise, allaient naître en Belgique des voix politiques s’y opposant,

notamment de la part des députés Lorand et Vandervelde.

Quelques extraits d’un discours de Lorand en mai 1896 à la Chambre, faisant suite à

l’adoption de la convention : « Grâce à la piperie des mots on l’a appelé chemin de fer.

En réalité, il ne fut jamais qu’un tout petit tramway. En effet il a un écartement de 75

centimètres… Voilà le fameux chemin de fer qui a englouti 40 millions !… Veuillez croire

que vous servez beaucoup plus mal que nous la monarchie par vos incessantes demandes

d’argent au profit du Congo et par toutes les manœuvres auxquelles on a eu recours dans

cette affaire : car on a trompé le pays et le pays le sait… Si l’on veut reprendre le Congo,

qu’on le dise franchement et tout de suite… Le rôle de vrai civilisateur serait, tout en

appropriant l’Afrique à l’exploitation économique des blancs, de protéger les

populations noires, de les initier peu à peu à ce qu’il y a de bon dans notre civilisation et

surtout de les sauver de la destruction et de l’exploitation qui ont déshonoré toutes les

Page 82: Anthropologie géographique de l'esclavage

colonisations européennes en pays sauvage… La politique coloniale, c’est selon moi du

tape à l’œil… Je mets au défi qui que ce soit de prouver que cette politique est une chose

utile aux pays qui la pratiquent… »

La construction du « tramway » allait pourtant graduellement supprimer le portage au

Bas-Congo, principal « système de transport » de l’époque, hormis les quelques

chaloupes déjà mises en service sur les sections navigables du fleuve en direction du

Stanley Pool. Il s’avèrera que cette compagnie allait être extrêmement bénéficiaire pour

ces actionnaires. En 1920 des travaux d’aménagement de cette voie ferroviaire furent

nécessaires. De 1923 à 1931, cette reconstruction allait utiliser plusieurs dizaines de

milliers de forçats, originaires du Congo, parmi lesquels 7.000 moururent.

La mortalité

Quant au caoutchouc, il rapporta annuellement entre 1900 et 1908, la somme de 25

millions de francs principalement à l’état et donc au roi. Pour ces millions de francs et la

conquête du Congo, le régime colonial « Léopoldien » a entraîné la mort de centaines de

milliers voire de millions de Congolais. Le « mouvement civilisateur » mis en place par

le roi des belges avait frappé fort. Jan Vansina, professeur émérite d’Histoire et

d’Anthropologie à l’Université du Wisconsin, estime que la population du Congo a

diminué de moitié entre 1880 et 1920. En 1924, la population du Congo était estimée à 10

millions d’habitants.

Les causes de cette mortalité sont la famine (lors des défections et des fuites, lors des

emprisonnements prolongés, lors des déportations, dans les camps et les colonies…) ;

l’épuisement dû aux mauvaises conditions de travail ; les incarcérations ; les guerres et

les massacres ; les effets de l’environnement (sur les populations amenées à fuir les

villages) les accidents (construction du chemin de fer) ; les conditions sanitaires précaires

dans les camps lors des déportations ; et bien entendu les maladies comme la variole, les

dysenteries et la maladie du sommeil.

A ce propos, il est bien établi qu’outre la variole, maladie contre laquelle la production

locale d’un vaccin a débuté à partir de 1895, la maladie du sommeil a fait de terribles

ravages. Apparemment, de nombreuses épidémies de Trypanosomiase, l’agent de la

maladie du sommeil, ont éclaté dans diverses régions du bassin du fleuve Congo dans les

années 1890. Elles peuvent être attribuées aux mouvements de population engendrés par

la machine coloniale. P.G. Janssens, Professeur émérite de l’Université de Gand et

spécialiste de la Trypanosomiase africaine écrivait que : « …Il semble dès lors logique

d’admettre la présence sur les territoires de l’EIC, du Congo français et de l’Angola,

d’un certain nombre de foyers permanents – de Trypanosomiase – qui ont été réactivés

par les changements brutaux des conditions et modes de vie ancestraux qui ont

accompagné l’occupation accélérée des territoires… Celles-ci – les régions touchées –

ont connu une morbidité et une mortalité effarantes, des villages entiers ont été décimés,

la maladie du sommeil a connu une impressionnante extension. Quoiqu’il en soit, l’EIC a

laissé au Congo belge et au Zaïre un problème médico-social majeur…

Page 83: Anthropologie géographique de l'esclavage

La propagande

Sept des victimes de la terreur au Congo reposent en Belgique le long d’une des façades

de l’église de Tervuren. Elles furent la conséquence de la représentation d’un véritable

zoo humain dont les pays coloniaux étaient friands. En 1897, l’exposition du Congo,

organisée dans le cadre de l’exposition internationale au Cinquantenaire à Bruxelles,

montrait au Palais des colonies, situé au bout de l’avenue de Tervuren et construit pour

l’occasion, trois villages congolais.

Cette véritable attraction « relevée » par la présence de 267 Congolais attira plus d’un

million de visiteurs qui s’émerveillèrent devant ces « sauvages civilisés » grâce à l’œuvre

du rédempteur de l’Afrique, comme A. Thys avait appelé le roi. Le commerce et

l’industrie belge y organisèrent un banquet en l’honneur de l’EIC. Peu après, Vaneetvelde

fut fait baron.

La propagande autour de l’EIC était bien sûr assurée par le roi et ses acolytes, par

l’entremise de parutions, de discours, mais également par beaucoup d’autres qui servaient

sa cause. En Belgique, comme à l’étranger. En 1897, le gouvernement britannique fit

publier un rapport en faveur de l’EIC. D’autre part, le roi accorda des concessions au

Congo notamment au groupe Guggenheim et à J.D.Rockefeller.

Certains journaux belges étaient achetés. Le plus digne représentant de la propagande

royale était l’Étoile Belge. Par contre, Félicien Cattier, avocat, professeur à l’Université

Libre de Bruxelles, fit paraître Droit et Administration de l’État Indépendant du Congo

en 1898, dans lequel il admire l’édifice juridique de l’EIC, mais souligne aussi ses failles

concernant l’insuffisance de statut des fonctionnaires de l’état, le danger de l’organisation

du système ainsi que l’absence de réglementation de l’impôt pouvant conduire à tous les

excès. Il intervint également dans la presse belge par l’entremise du journal Le Petit Bleu

en 1899, en vue de dénoncer les abus du système.

Les réactions dans le monde

En 1899, Reuter diffusait l’interview de Frank Andrew ex-fonctionnaire de l’EIC, qui

dénonçait l’état de guerre régnant au Congo. Celle-ci sera publiée dans certains journaux

britanniques dont le Times. A l’étranger, plusieurs personnalités se sont particulièrement

dressées contre le régime mis en place par le roi au Congo. Il s’agit de George

W.Williams , Edmund Dene Morel et Roger Casement .

Le premier, américain, après un voyage de plusieurs mois au Congo écrivit notamment

une lettre de 16 pages au roi en 1890. Celle-ci dénonçait, de même qu’un rapport adressé

au président des Etats-Unis, le système et ses abus. De larges extraits parurent en

Angleterre, aux Etats-Unis, en Suisse, en Allemagne, en France et en Belgique.

ED Morel, anglais, ayant été au service de la compagnie maritime de Liverpool « Elder

Dempster » qui détenait le monopole de transport de l’importation ainsi que de

Page 84: Anthropologie géographique de l'esclavage

l’exportation de l’état du Congo, mena une campagne sans relâche à partir de 1901 contre

le roi et l’EIC via la rédaction de livres, de discours et de divers articles.

Ses sources d’informations furent des fonctionnaires de l’état du Congo, des

missionnaires ainsi que des documents. Il avait des alliés au Parlement britannique, au

sein des organisations humanitaires comme l’Aborigines Protection Society. L’action

menée par Morel et ses partisans politiciens allait conduire le Foreign Office à demander

un rapport sur la situation dans l’EIC. Il fut réalisé par le consul britannique au Congo :

R.Casement. Ce rapport parut début 1904, mais fut modifié par le Forein Office qui

supprima tous les noms en laissant uniquement les initiales.

Peu de temps après, les deux fervents opposants au régime Léopoldien au Congo se

rencontrèrent. Morel fonda la Congo Reform Association (CRA). Il allait faire pression

sur les gouvernements belge, britannique et américain, notamment par l’intermédiaire de

la presse dont le Times pour lequel il écrivait. Le but de Morel était que Léopold II

abandonne le Congo.

En 1906 éclata aux É tats-Unis un scandale provoqué par la corruption du républicain

Kowalsky par le roi Léopold II. Ce fait allait précipiter le vote d’une résolution

demandant une enquête internationale sur le Congo. Quelques mois auparavant, le roi

avait lui-même créé sa commission d’enquête en vue de démentir les propos des diverses

attaques dont lui et son entreprise coloniale faisaient l’objet de toutes parts. Celle-ci était

composée de 3 magistrats : un Suisse, un Italien et un Belge.

Ils allaient pendant trois mois écumer le Congo afin de mener cette enquête et de

recueillir des témoignages. Ils en revinrent épouvantés. Ils rédigèrent un rapport qui fut

publié le 4 novembre 1905. La vieille de sa parution, Léopold II envoya un faux

document aux principaux journaux britanniques. L’Associated Press fit suivre ce faux

aux Etats-Unis. Ce texte transformait les propos des trois magistrats et paraissait dans des

journaux britanniques et américains.

Mais ce tour de passe-passe ne pouvait rien changer aux propos défavorables de la

commission. Par contre, pas de traces des témoignages des Africains qu’avait recueillis la

commission. On peut malgré tout les trouver dans les archives de l’état belge, à Bruxelles.

Ils sont à la disposition du public depuis 1980.

En voici quelques extraits : Témoin: Llange Kunda de M’Bongo : « J’ai connu Malu-

Malu – Charles Massart. Il était très mauvais ; il nous forçait à apporter du caoutchouc.

Un jour, je l’ai de mes yeux vu tué un indigène nommé Bongiyangwa, uniquement parce

que, parmi les 50 paniers de caoutchouc qu’on avait apportés, il s’en trouvait un qui

n’était pas suffisamment rempli. Malu-Malu a ordonné au soldat Tshumpade de saisir

l’indigène qui était en défaut et de l’attacher à un palmier. Il y avait 3 liens, un à la

hauteur des genoux, un second à la hauteur du ventre, et le troisième qui enserrait les

bras. Malu-Malu avait sa cartouchière à la ceinture ; il a pris son fusil, a tiré d’une

distance d’environ vingt mètres, et d’une seule cartouche il a tué Bongiyangwa. La balle

a frappé l’indigène en pleine poitrine, au milieu du sternum, et est sortie par le dos : j’ai

Page 85: Anthropologie géographique de l'esclavage

vu la blessure. Le malheureux a poussé un cri et est mort. Témoin : M’Putila de

Yembe : » Comme vous le voyez, j’ai la main droite coupée. C’est Boula Matari qui m’a

mutilé ainsi. Quand j’étais tout petit, les soldats sont venus faire la guerre dans mon

village à cause du caoutchouc. Ils ont tiré des coups de fusils et comme je fuyais, une

balle m’a rasé la nuque et m’a fait la blessure dont vous voyez encore la cicatrice.

Je suis tombé et j’ai fait semblant d’être mort. Un soldat à l’aide d’un couteau m’a coupé

la main droite et l’a emportée. J’ai vu qu’il était porteur d’autres mains coupées. …Le

même jour, mon père et ma mère ont été tués, et je sais qu’ils ont eu les mains coupées. »

La reprise

Grâce notamment au travail de Morel et de la CRA et de la pression des gouvernements

britanniques et américains, des négociations entre le gouvernement belge et le roi

Léopold II s’organisèrent en 1907 pour la reprise du territoire du Congo. Le 20 août 1908,

la Chambre des Représentants approuva la Charte Coloniale et le traité de reprise du

Congo qui seront entérinés au Sénat en septembre et sanctionnés par le roi en octobre.

Le 15 novembre 1908, l’EIC devint le Congo belge. Renkin était nommé Ministre des

Colonies. Le montant de la reprise du Congo par la Belgique s’élevait à 95,5 millions

dont 50 à la charge du Congo et 45,5 millions à la charge de la Belgique. Ce dernier

fonds était prévu pour l’achèvement des travaux entrepris par le roi dont des

transformations au Château de Laeken et des travaux au Heysel, sur la route de Meise, au

palais de Bruxelles, etc.… Le fonds, à la charge du Congo, de 50 millions, était à verser

en 15 annuités au roi ou à ses successeurs et destiné à diverses rentes (notamment pour le

prince Albert), à des subventions aux missionnaires de Scheut, et à l’entretien des serres

de Laeken et du musée colonial de Tervuren. Cette dernière somme fut « attribuée au roi

en témoignage de gratitude pour ses grands sacrifices en faveur du Congo créé par lui ».

Le député socialiste E.Vandervelde partit au Congo en juillet 1908. Il écrivit un livre au

sujet de ce voyage intitulé Les Derniers Jours de l’Etat du Congo dont voici quelques

extraits : « Tout d’abord on peut dire que, pratiquement, il n’y a pas d’écoles au Congo.

En second lieu, l’insuffisance flagrante du service médical et hospitalier est un fait qui

n’est contesté par personne… Les hôpitaux pour noirs sont, à quelques exceptions près,

défectueux et insuffisants… A Matadi l’hôpital de la Compagnie du Chemin de Fer est

tout battant neuf. Il a coûté 80.000 francs. L’hôpital de l’état est l’ancien hôpital de la

Compagnie. C’est une baraque en bois… se trouvant dans un état de délabrement que je

n’hésite pas à qualifier de scandaleux … Cet état de chose fait monter la colère à la

gorge, quand on songe que le roi, avec les millions dépensés pour l’Arcade du

Cinquantenaire ou l’embellissement de son palais de Laeken aurait pu créer des hôpitaux

à 80.000 francs chaque dans tous les postes importants du Congo ! »

Léopold II mourut en 1909. Il possédait entre autre des dizaines de propriétés

immobilières à Bruxelles, l’équivalent de plusieurs dizaines de millions dans une

fondation en Allemagne, des propriétés sur la Côte d’Azur. L’état belge récupéra la

majeure partie de ces fonds, contrairement au Congo.

Page 86: Anthropologie géographique de l'esclavage

En 1909, le prince Albert se rendait au Congo (ce que son oncle n’avait jamais fait) pour

se rendre compte lui-même de la situation. Il nota plusieurs points comme le portage

excessif, le travail forcé, l’impôt élevé, des malades enchaînés, le système infernal du

caoutchouc, l’absence de systèmes médico-sanitaires pour les Africains. Néanmoins, lors

de son serment constitutionnel du 23 décembre 1909, il fit l’éloge de l’œuvre coloniale de

son oncle.

Le député Vandervelde complimentait ED.Morel à la Chambre en 1910 lors du

débat sur le plan de réformes à apporter au Congo. La réaction de Renkin :

« …Je n’ai jamais fait ni à Morel ni à la CRA l’honneur de discuter leurs allégations…

La CRA et M.Morel ont dirigé contre le roi Léopold II… mais aussi contre la Belgique,

contre les Belges, contre le gouvernement belge, une campagne de dénigrement et de

calomnie qui s’est prolongée pendant toute l’année 1909… Je défends la dignité de mon

pays. »

Le ton pour la poursuite des événements était donné. L’effondrement des cours du

caoutchouc sauvage sur le marché mondial mit fin à sa récolte et aux atrocités qui y

étaient liées. Mais le travail forcé mit en place pour sa récolte continua sous des formes

différentes. Un lourd impôt sur la personne physique des Congolais fut instauré. Des

drames humains allaient se jouer dans les mines ainsi que lors de la reconstruction du

chemin de fer. Le gouvernement belge ne se révèlerait pas être meilleur philanthrope que

son défunt roi.

Page 87: Anthropologie géographique de l'esclavage

Commentaire :

Résumé pour ceux qui désirent connaître l’histoire universelle des crimes commises par

des nations présumées être civilisées et leur désir mutuel d’étouffer et de nier leur passé

pour des raisons obscures. Nous avons tous le devoir de dénoncer chaque crime envers

l’humanité. Il ne faut pas confondre l’honneur qu’on a envers sa patrie, son pays, sa

conviction religieuse ou laïque avec la honte que dans le passé cet honneur a été trahi par

ceux qui représentaient la patrie, la religion ou même parties politiques. Ce ne sont pas

les enfants d’un famille…- dont le père a commis des crimes graves en association avec

d’autres sous ses ordres…- qui doivent être jugés ou être montrés du doigt pour le reste

de leur vie… non !, c’est le père qui doit être jugé et lui seul … fût-ce qu’il est roi, raison

de plus !!! Ainsi seulement les enfants et leurs enfants connaîtront la paix… mais si les

enfants et leurs enfants prennent défense de leur (grand) père sans que celui-ci a été jugé

ils se verront à toujours être poursuivi par leur passé et leur complicité.

La vérité est fertile et a beaucoup des descendants … Le mensonge est stérile et n’a

aucun futur, il se définit par son non-existence !

Victor Rosez

anthropologue géographique

linguist