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analyse anthropologique de l'esclavage et le colonialisme
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Anthropologie géographique de l'esclavage
Un fléau aux multiples visages (I)
Le problème de l'esclavage étant considéré comme le
fléau des temps modernes, il n'est pas inutile de rappeler
comment il se développe dans nos sociétés pour essayer
d'endiguer son extension.
Depuis janvier 2006, le 10 mai est déclaré "Journée
des mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de
leurs abolitions". Cet événement renforce la "Journée
internationale pour l'abolition de l'esclavage" célébrée le 2 décembre.
Pour commémorer cet anniversaire lourd de sens, le Secrétaire général de l’ONU
Kofi Annan attire notre attention sur le fait que ce fléau existe toujours.
« De nombreuses formes d'esclavage persistent comme le travail forcé et la main
d'œuvre servile, le travail des enfants et l'esclavage à des fins rituelles ou religieuses »
a-t-il déclaré. « Le monde doit aussi faire face à une nouvelle forme d'esclavage, à
savoir la traite d'êtres humains, qui entraîne de nombreuses personnes vulnérables,
quasiment abandonnées par les systèmes juridiques et sociaux, dans un engrenage
sordide d'exploitation et d'abus », a-t-il ajouté.
Par la résolution 57/195 du 18 décembre 2002, l'Assemblée de l’ONU a décidé de
proclamer 2004 Année internationale de commémoration de la lutte contre l’esclavage
et de son abolition.
« Commentaire : Il faut tout de même ajouter que malgré l’ONU et sa puissance
monétaire, politique et militaire, le problème de l’esclavage, la suppression des
peuples et la naissance des nouvelles guerres n’a pas pris fin. Au contraire, depuis sa
naissance
…- il y a 68 huit ans (1945-2013) – 9 ans ont passé depuis cet assemblé de l’ONU
avec l’élan plein d’idéalisme de la part du secrétaire général -…
On doit constater que dans certains domaines, comme la création des nouvelles formes
d’esclavage, divers branches de l’ONU en ont été les catalyseurs. L’ONU reste en
grande partie une plateforme pour les superpuissances de l’occident avec les Etats-
Unis en commande et c’est dans ce contexte qu’il faut lire la suite des explications de son excellence
le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan » « (Victor Rosez) »
Définition
Selon la définition de l’ONU (1926, 1956), l'esclavage est « l'état ou condition d'un
individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété ou certains d'entre eux
». La traite des esclaves représente « tout acte de capture, d'acquisition ou de cession
d'un individu en vue de la réduire en esclavage; tout acte d'acquisition d'un esclave en
vue de le vendre ou de l'échanger; tout acte de cession par vente ou échange d'un
esclave acquis en vue d'être vendu ou échangé, tout acte de commerce ou de transport
d'esclaves ainsi que les actes conduits par des institutions et des pratiques analogues
à l'esclavage : servitude pour dettes, servage, mariage forcé, etc. ».
L'esclavage est donc un système socio-économique reposant sur l'exploitation des
personnes. Généralement les esclaves ne sont ni libres ni rémunérés et nous verrons
qu'ils faisaient jadis l’objet d’une réglementation particulière.
Responsabilités
Aux yeux des instances internationales et de la convention des Droits de l'Homme,
chaque nation a l'obligation d'abolir l'esclavage sur son territoire et ses possessions.
Mais au-delà de ses frontières, aucun É tat ne peut en principe s'ingérer dans les affaires
étrangères sans l'approbation de l'É tat concerné ou de l'ONU.
Trois institutions internationales prennent donc le relais : l'ONU, l'Organisation des
Nations Unies est concernée par toutes les formes d'esclavage, l'UNICEF, le Fond des
Nations Unies pour l'Enfance est comme son nom l'indique concerné par l'esclavage
des enfants tandis que l'OMS, l'Organisation Mondiale de la Santé est concernée par
l'esclavage sexuel.
Lors de son allocution du 2 décembre 2005, Kofi Annan rappelait que « ceux qui
pratiquent, soutiennent ou facilitent l'esclavage ou des formes apparentées doivent en
être tenus responsables au niveau national et, si nécessaire, international. D'autre
part, la communauté internationale doit faire plus pour combattre la pauvreté,
l'exclusion sociale, l'analphabétisme, l'ignorance et la discrimination qui accroissent
la vulnérabilité et font parties des causes profondes de ce fléau ».
Le Secrétaire général a engagé tous les É tats à « ratifier et à appliquer les
instruments existants à cet égard, notamment le Protocole additionnel à la Convention
des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir,
réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ».
Kofi Annan a aussi lancé un appel à tous les É tats pour qu'ils coopèrent pleinement
avec le Rapporteur spécial sur la traite de personnes et à recourir davantage aux
Directives établies par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux Droits de
l'Homme. Il a enfin appelé les Etats à fournir « une contribution généreuse au Fonds
de contributions volontaires des Nations Unies pour la lutte contre les formes
contemporaines d'esclavage qui fournit une aide aux victimes ».
Avant d'en venir à l'esclavage moderne, voyons les origines de cette pratique et
quelles furent les nations qui participèrent à la traite des esclaves. Nous verrons quels
sont les personnages politiques qui approuvèrent ou abolir cette pratique et combien
cette oppression a laissé des cicatrices dans la mémoire collective, comme dans celle
des descendants d'esclaves.
Nous verrons dans les dernières pages comment cette pratique se transforma au fil
des siècles en travail forcé et continue à oppresser des millions d'individus dans le
monde. Préparez-vous à lire la description de ce que l'homme a de plus violent et de
plus pervers en lui depuis l'aube de la civilisation, voici près de 4000 ans..
Histoire abrégée de l'esclavage
A Babylone, pays de Sumer Les premières traces d'esclavage ont
été découvertes en Mésopotamie, cette
région du Moyen-Orient située dans le
"croissant fertile", entre le Tigre et
l'Euphrate et qui correspond grosso-
modo à l'Irak actuel.
A cette époque, le troc était
"monnaie courante". Les Sumériens
qui vivaient dans le sud de la
Mésopotamie utilisaient des céréales
en guise de monnaie. On pouvait
obtenir du métal ou du bois contre une
quantité déterminée de sacs de céréales. A l'époque de la civilisation Sumérienne
(entre ~3100 et 2000 av. JC) et de Babylone (entre ~2000 et 500 av. JC), un shekel ou
sicle pesait autant que 180 grains d'orge. 1 mine valait 60 shekels et un talent, 60
mines ou 10800 céréales.
Un contrat de vente d'esclave remontant au règne de Rim-Sîn, roi de Larsa vers
1800 av. JC précise le prix d'un esclave : « Sini-Ishtar a acheté un esclave, Ea-tappi
de son nom, de Ilu-elatti, et Akhia, son fils, a payé dix shekels d'argent, le prix
convenu ».
La Mésopotamie. Document T.Lombry.
Des traces codifiées d'esclave sont mentionnées dans le Code
d'Hammourabi remontant entre 1792 et 1750 av. JC. Ce texte de
jurisprudence gravé dans une stèle de basalte décrit notamment
la hiérarchisation de la société.
A l'époque d'Hammourabi, roi de Babylone (celui-là même qui
fit prisonnier Rim-Sîn après le siège d'Isin), on apprend qu'il
existait trois groupes d'individus : les hommes libres (awīlum et
muškēnum), les subalternes et les esclaves (wardum). Ces
derniers bénéficiaient d'un semblant de protection sociale, un
esclave ne devant en aucun cas être séparé de sa femme et de ses
jeunes enfants. Pour le reste, au moindre délit il était condamné à
mort.
On apprend également dans l'article 7 que le commerce des
esclaves obéissait à des règles strictes : « si un homme a acheté
ou reçu en dépôt, sans témoin ni contrat, de l'or, de l'argent,
esclave mâle ou femelle, bœuf ou mouton, âne ou quoi que ce
soit, des mains d'un fils d'autrui ou d'un esclave d'autrui, cet
homme est assimilable à un voleur et passible de mort ».
L'article 15 précise que « si un homme a fait sortir des portes
un esclave ou une esclave du palais, un esclave ou une esclave
d'un mouchînou [affranchi], il est passible de mort ».
L'article 16 condamne également à mort celui qui abrite un esclave en fuite. En
revanche, l'article 17 précise que « si un homme s'est emparé dans les champs d'un
esclave ou d'une esclave en fuite, et l'a ramené à son maître, celui-ci lui donnera deux
shekels d'argent ».
En Egypte
Contrairement à une rumeur persistante en Occident et à ce qu’a pu nous faire croire
le cinéma ("Les Dix Commandements” de Cécil B. Demil), l'Egypte n'a jamais utilisé
d'esclaves pour bâtir ses pyramides (durant l’IIIème et IVème dynastie, ~2650 av JC)
comme l'écrivit l'historien grec Hérodote (fl. 450 av JC) ! C'est bien simple, le mot
"esclave" n’existe pas en égyptien ancien ! Le serviteur (bak ou bakhou) était un
homme libre, marié ou non et payé pour son travail (un peu comme les serfs au
Moyen-Age). Il était d’ailleurs interdit d’exercer la moindre pression sur les ouvriers et
des textes de loi les protégeaient contre d’éventuels abus de pouvoir.
Les tombes retrouvées aux abords des pyramides confirment que les milliers
d'ouvriers vivaient sur les chantiers avec leur famille, ils étaient volontaires, rémunérés
avec des sacs de céréales, ils étaient bien nourris, bénéficiaient d'un confort relatif et de
soins médicaux d'aussi bonne qualité que la noblesse.
D'autres serviteurs assuraient les fonctions de domestique, danseur, comptable et
même de scribe, l'une des positions les plus honorables de la société.
La stèle de basalte découverte à Suse
en 1902 sur laquelle est gravée
le Code d'Hammourabi en
écriture cunéiforme dont voici un
agrandissement. Elle est exposée au Musée du Louvre.
Les Egyptiens utilisaient également le mot
"sekher-ankh" (blessés vivants) pour
qualifier les prisonniers de guerre. Certains,
intégrés à la société égyptienne, firent une
carrière politique.
Toutefois, il est exact que certains
individus faits prisonniers dans le sud du
pays (à Meroe et Kush notamment, des villes
datant de l'Age du Bronze) ou en Libye ainsi
que des enfants vendus par des familles
pauvres furent traités en esclave comme
l'atteste le document présenté à droite.
En revanche, selon la Bible, les Egyptiens auraient bien réduit les Hébreux en
esclavage. Selon la Bible, cette période remonte vers 1670 à 1650 av. JC et de
l’opposition entre Joseph et ses frères. Joseph est vendu par ses frères à des marchands
bédouins. Ces derniers le conduisent ainsi que 70 autres Hébreux jusqu’en Egypte où
ils seront esclaves, ainsi que "leurs enfants et les enfants de leurs enfants". Selon
Abraham (Exode, XII, 40), son peuple fut réduit en esclavage durant 430 ans. Selon les
historiens, entre l’exode de Jacob et de ses enfants et la sortie d’Egypte (XIIIème siècle
av. JC), il s'écoula 210 ans. Selon l'Exode XII, 37, Moïse sortit d'Egypte avec quelque
600000 hommes. En ajoutant les femmes et les enfants, on arriverait à environ un
million de personnes mais il n'est mentionné nulle part que tous avaient été réduits en
esclavage.
Ceci dit, historiquement parlant, les seules traces archéologiques que nous avons du
passage des Israélites en Egypte sont gravées sur une stèle remontant au XIIIème siècle
av. JC commémorant la victoire du Pharaon Memeptah sur le peuple d'Israël, mais cela
se déroula en terre de Canaan. Les enquêtes historiques ne confirment donc pas les
écrits bibliques.
Dans la Grèce antique
La troisième trace la plus ancienne d'esclavage remonte à la Grèce antique.
L'esclavage faisait partie intégrante de la société grecque et ne fut jamais remis en
cause par les philosophes. Selon les Sophistes (Vème siècle av. JC), tous les hommes
appartiennent à une même race, qu’ils soient Grecs ou Barbares, et donc certains
hommes sont esclaves alors qu’ils ont l’âme d'un homme libre, et réciproquement.
Aristote (384-322 av. JC) reconnaît cette possibilité dans "La Politique" (ch.7 "Les
esclaves") et considère que l’esclavage ne peut être imposé que si le maître est meilleur
que l’esclave, rejoignant ainsi l'idée qu'on peut être esclave par nature (Aristote).
Egyptien battant un esclave alors qu'un autre implore sa clémence.
A l'époque classique, l'esclave est appelé "andrapodon"
pour le différencier du bétail (tétrapodon). Par la suite, il
sera généralement appelé "doulos" pour le différencier du
citoyen, de l'homme libre.
Dès que VIIIème av. JC, l'esclavage est banalisé et
l'esclave considéré comme une simple marchandise. Il
semblerait que ce soit à Chios que débuta le commerce des
esclaves au VIème siècle av. JC. Au IVème siècle, l'esclave est
légalement considéré comme une source de revenus, un
bien meuble.
Selon Homère, l'esclavage est une conséquence
inévitable de la guerre. Dans "l'Iliade" et "l'Odyssée",
Homère considère que les esclaves sont avant tout des
femmes, prises comme butin de guerre et objet de plaisir,
parfois concubines, alors que les hommes sont rançonnés
ou tués sur le champ de bataille.
Les Grecs avaient trois manières de s'approvisionner en esclaves : la guerre avec son
butin de prisonniers, la piraterie consistant plus en un sport local, et le commerce.
Thucydide (VI, 62; VII, 13) par exemple évoque la capture de 7000 habitants
d’Hyccara, en Sicile qui seront ensuite vendus pour 120 talents à la ville voisine de
Catane. Thucydide considère toutefois la piraterie (en mer) et le brigandage (sur terre)
comme une "manière ancienne" d'acquérir des esclaves.
Quant au commerce, selon Strabon (XIV, 5, 2) le port de Délos permet "d'écouler
quotidiennement des myriades d'esclaves". La plupart des marchands d'esclaves
vendaient leur "marchandise" aux peuples barbares voisins : Thraces, Scythes,
Cappadociens, Paphlagoniens, etc. Ils feront également commerce avec les marchands
d'Ephèse, de Byzance ou encore du Tanaïs (le Don, qui se jette dans la mer d'Azov).
L'esclave grec a un statut inférieur et différent de celui du serf (Hilote spartiate, etc.).
Selon Homère, un esclave vaut la moitié de la valeur d'un homme libre. Mais malgré sa
déchéance, l'esclave grec reste attaché à la famille.
Selon Xénophon, un mineur du Laurion pouvait se négocier jusque 180 drachmes.
Les couteliers du père de Démosthène valaient 500 ou 600 drachmes. Par comparaison,
un ouvrier de grands travaux recevait 1 drachme par jour.
Selon Garlan, assez étonnement, l'acheteur bénéficiait d'une garantie contre les
"vices cachés" de l'esclave : si celui-ci était malade et que l'acheteur n'en avait pas été
informé, il pouvait faire annuler la vente. Enfin, comme en Afrique, à Athènes un
citoyen incapable de payer sa dette à son débiteur lui était asservi, c'était la servitude
pour dette. Cette pratique sera interdite par Solon (640-558 av JC), homme politique
inventeur de la démocratie et l'un des Sept Sages de la Grèce.
Vente d’une esclave. Tableau peint par Jean-Léon Gérome vers 1884 et exposé au Musée de
l'Ermitage de Saint-Pétersbourg.
A l'exception de la politique réservée aux
citoyens, selon les Grecs, toutes les tâches
pouvaient être assurées par des esclaves. On
pense et cela est confirmé par les textes de
l'économiste Xénophon, que les esclaves
furent tout d'abord utilisés dans l'agriculture,
base de l'économie. Ils seront également
utilisés dans les mines et les carrières, aux
côtés des serfs. Selon de Lauffer, les Grecs
affecteront jusqu'à 30000 esclaves au
traitement du minerai d'argent dans les
mines de Laurion en Attique.
Les esclaves seront également utilisés
dans l'artisanat (armurier, coutelier, literie,
etc.). La famille Lysias par exemple
exploita 120 esclaves pour fabriquer des boucliers.
Enfin, les esclaves comme les serfs seront mobilisés comme soldats durant les
guerres opposants les cités-états entre elles. Ainsi durant la guerre de Décélie, dernière
phase de la guerre du Péloponnèse (413-404 av JC), Thucydide évoque la désertion de
20000 esclaves.
La population esclave devait donc être très nombreuse pour que l'Etat se permette
s'en sacrifier autant durant les guerres. Entre le VIème et le Vème siècle av. JC, on estime
que la ville d'Athènes abritait quelque 80000 esclaves, ce qui faisait une moyenne de 3
à 4 esclaves par famille.
Les esclaves pouvaient être affranchis. Le changement de statut se fit d'abord par
voie orale puis devant témoins ou au tribunal. On relate également des cas
d'affranchissements collectifs. Bien souvent l’esclave affranchi était tenu de se racheter
pour un montant au moins équivalent à sa valeur marchande en faisant un prêt
personnel ou un emprunt auprès d'un ami ou même de son ancien maître. Selon la
nature du contrat (religieux ou civil), une partie de l'argent était versée à une divinité
(Apollon) ou au magistrat sous forme de taxe.
Le travail des esclaves était parfois pénible, notamment dans les mines et les
punitions étaient réglées au rythme des flagellations. En revanche, à Athènes, les
citoyens grecs déploraient le fait qu'ils n'avaient pas le droit de frapper les esclaves et
que ceux-ci ne devaient pas se ranger devant leur passage.
Dans l'Empire romain
A Rome, l'esclave est une personne de non-droit, dont le statut est héréditaire mais
pas obligatoirement détenu à vie. C'est surtout durant les guerres que les Romains
constituèrent leur stock d'esclaves. Ainsi en 146 av. JC, les Romains détruisirent
Carthage et déportèrent toute la population vaincue en esclavage.
Disque de miroir en bronze de l'époque hellénistique (env. 320 à 300 av. JC) intitulé "Marsyas et l'esclave scythe".
Document Metropolitan Museum of Art.
Au cours de ses célèbres campagnes militaires,
Jules César (100-44 av. JC) aurait fait prisonnier
plus d'un million de Gaulois qu'il vendit comme
esclave. Le prix d'un esclave variait en fonction des
époques et de sa qualification mais atteignit environ
2000 sesterces soit 500 deniers.
En 166 av. JC, Rome installa à Délos un port
franc et développa le marché aux esclaves inauguré
par les Grecs.
C’est également aux Romains que nous devons le
terme de "servus", qui a conduit au substantif
"servile", de "serf" au Moyen-Age et aux termes
modernes de "service" et "serviteur" notamment.
Jusqu'au IIIème siècle, durant la République, les Romains pouvaient devenir esclave
pour dette (nexum), ce qui déplut au peuple (la plèbe).
Comme en Grèce, les esclaves étaient divisés en plusieurs catégories :
- les esclaves ruraux travaillant dans les domaines agricoles (latifundia)
- les esclaves miniers qui étaient également les plus maltraités
- les esclaves citadins, parfois instruits, au service de maîtres plus ou moins riches ou
de la noblesse. Certains occupèrent des places de secrétaire, de comptable ou de
précepteur parmi d'autres fonctions.
- les esclaves publics appartenant aux services municipaux de la cité. Ils occupaient
une grande variété de tâches allant de
la voirie à l'administration.
Il faut y ajouter plusieurs autres
catégories dont le gladiateur (Spartacus,
etc.) qui pouvait être soit un homme libre
(sédentaire ou nomade, combattant
professionnel ou amateur) soit plus
généralement un prisonnier de guerre
réduit en esclavage ou aux travaux forcés.
A partir du 1er siècle av. JC (époque du
Principat), il devint plus difficile aux
Romains de ramener des prisonniers de
guerre en esclavage. De ce fait, une loi
supprima au maître son droit de vie et de mort sur son esclave. Le statut de ce dernier
s'améliora et les mauvais traitements seront interdits. A une époque où les esclaves se
comptèrent par million dans l'Empire, il était prudent pour l'avenir de la cité de
ménager cette classe sociale à risque.
A l'époque de Trajan (53-117), Rome aurait compté 400000 esclaves pour un million
d'habitants. Il y avait 2 à 3 millions d'esclaves dans toute l'Italie, soit 30% de la
population.
Comme en Grèce, l'esclave pouvait être affranchi mais uniquement pour des états de
service exceptionnels envers le maître ou par testament. Il prenait alors un nom
Combat de gladiateurs peint sur une mosaïque romaine.
Ingres, "Odalisque à l'esclave" (1840).
romanisé. Il n'avait toutefois pas accès aux fonctions de magistrature municipales (les
honneurs de la cité). L'affranchissement devint tellement courant, que sous Auguste
(63-14 av. JC) un impôt fut prélevé sur les affranchissements avec un plafonnement du
nombre d'esclaves affranchis par testament.
C'est à cette époque qu'apparut l'esclave impérial servant d'abord dans les palais
impériaux puis dans l'administration d'Etat.
Etonnement, l'esclave affranchi prenait le statut social de son ancien maître, et devint
soit citoyen latin soit citoyen romain. Sous Auguste, les plus riches furent seviri
augustales pour une année et pouvaient notamment participer à la célébration du culte
impérial. Par la suite, ils conservèrent des places d'honneur très enviables dans la
société. Mais tout le monde n'eut pas cette chance.
Sous le règne de l'empereur Septime Sévère (146-211), l'Empire romain ne toléra
toujours pas le christianisme. Nobles ou esclaves, les chrétiens condamnés à mort
étaient jetés aux fauves. L'Histoire chrétienne se rappelle que deux femmes
catéchumènes (personne instruite dans la religion chrétienne mais pas encore baptisée)
dénommées Perpétue, patricienne romaine d'ascendance noble qui allaitait son enfant,
ainsi que Félicité, son esclave alors enceinte et son frère Révocat, seront pris dans une
rafle avec Saturnin et son frère Satyre.
Refusant de sacrifier aux idoles ainsi que l'exigeait le
proconsul, ils seront mis en prison dans des conditions très
pénibles. Félicitée y donna naissance à son bébé. Jugés, ne
reniant pas leur foi, ils seront tous condamnés à mort. Le 7
mars 203, on les conduisit à travers les rues de Carthage
jusqu'aux arènes où ils seront tout d'abord flagellés. Les
deux femmes seront ensuite enveloppées dans un filet serré
puis on lâcha une génisse furieuse. Perpétue fut jetée au sol
par la génisse mais se releva pour venir au secours de son
amie esclave Félicité qui était tombée à son tour. Les
spectateurs ayant pitié des deux jeunes femmes, elles seront
amenées à la Porte Sauve, mais ce n'était qu'un répit. Les
Romains achevèrent Perpétue en l'égorgeant au glaive tandis
que Félicité et Révocat seront dévorés par des léopards.
Satyre fut dévoré par des lions. On raconte que le visage des femmes n'affichait aucune
peur mais au contraire rayonnait de joie. Quant à Saturnin, il aura la tête tranchée en
256. Le bébé de Félicitée sera élevé par une femme chrétienne. En commémoration de
leur martyr, l'Eglise chrétienne les canonisera tous.
Au IVème siècle, sous le règne de l'empereur Constantin (306-337), l'Empire romain
devient chrétien. Constantin interdit aux juges de condamner aux bêtes, au bénéfice de
travaux forcés dans les mines. Son édit publié en 326 après JC sonnera le glas des jeux
du cirque. Il réunira également les évêques pour fixer les termes du "credo de Nicée"
(la foi chrétienne) et fit bâtir églises et basiliques.
Lorsque l'Empire Romain devint chrétien, le principe de l'esclavage ne fut pas remis
en question mais Saint Augustin (Augustin d'Hippone, 354-430) considéra qu'on
pouvait devenir esclave pour ses péchés.
Sainte Perpétue et sainte Félicitée.
Finalement, à la fin de l'Empire romain, début du Haut Moyen-Age, l'esclavage
évolua et prit la forme du servage au statut tout différent. Le serf était une personne
juridique, pratiquement libre, possédant des biens, au service d'un seigneur. Tous deux
avaient des droits et des devoirs réciproques : fidélité pour le premier, protection pour
le second. Mais ceci est une autre histoire.
A Venise
Le mot moderne "esclave" moderne serait apparu dans la République de Venise au
cours du Haut Moyen-Age, peu avant le Xème
siècle, où la plupart des esclaves étaient
des Eslavons (Slaves) venus des Balkans (la Slavonie, une province de la Croatie
actuelle).
Les marchands vénitiens se procuraient des esclaves grâce aux Saxons de langue
germanique qui possédaient de nombreux prisonniers Slaves, donc des personnes de
race blanche. Ces esclaves étaient revendus très cher aux marchands de l'empire arabe
du sud de la Méditerranée et notamment aux Arabes d’Egypte. Les peintres Jean-Léon
Jérome et Ingrès en réalisèrent quelques toiles célèbres
présentées dans cet article.
L'Eglise n'y voyait rien d'immoral, rapprochant cette
pratique du servage, cette servitude remontant à l'époque de
Charlemagne (~800 ap. JC) par laquelle les paysans
sacrifiaient leur liberté en échange d'une parcelle à cultiver
et de la protection du seigneur. Mais à la différence des
esclaves, les serfs de l'époque carolingienne ne pouvaient
pas être vendus comme des biens meubles. Ainsi que nous
l'avons expliqué, ils avaient une existence juridique, même si
cela passait entre autre par le droit de cuissage du seigneur,
une forme légalisée de viol.
Les esclaves seront recrutés à Venise jusqu'au XVème
siècle et seront exploités dans les plantations en Provence, au
Portugal, en Espagne, en Italie ou encore à Chypre.
C'est également à Venise que fut créé en 1516 le premier
quartier réservé aux Juifs, le Ghetto. L'origine de ce mot est incertaine. En hébreu,
"ghetto" à la même racine que "guète" qui signifie divorce. Le ghetto serait donc
synonyme d'un acte de divorce des gentils vis à vis des Juifs, ces derniers rappelons-le,
ayant été expulsés de toutes les villes d'Italie à cette époque. A moins que le mot
"ghetto" ait une origine locale, une fonderie de fer qui se dit "geto" en dialecte vénitien
se trouvant à proximité de ce quartier. Cette origine est plus probable. Les Juifs y
seront emprisonnés et porteront une tenue vestimentaire distincte (signes jaunes et
vêtements et chapeaux spéciaux). Ils bénéficiaient toutefois d'habitations relativement
confortables, d'une relative liberté et vivaient en bonne entente avec leurs voisins
chrétiens.
L'oppression et l'esclavage furent donc deux activités que les Vénitiens pratiquaient
avec zèle.
Le quartier du Ghetto (aujourd'hui Guetto
Nuovo) à Venise dont voici une autre image.
Premières traces d'abolition de l'esclavage
Outre l'affranchissement des esclaves grecs et romains, on retrouve déjà la trace
d'une abolition de l'esclavage sous le règne de Clovis II et Bathilde d'Ascagnie (625-
680), reine des Francs, qui interdit les marchés aux esclaves sur ses terres. Le principe
sera progressivement repris par l'Eglise qui fera de Bathilde une sainte.
En Asie, en 958, Gwangjong, quatrième roi du Royaume de Corée, interdit
l'esclavage mais sa réforme sera balayée par les invasions mongoles ultérieures.
En France, le roi Louis X le Hutin publia le 3 juillet 1315 un édit affirmant que «
selon le droit de nature, chacun doit naître franc [...] le sol de France affranchit
l'esclave qui le touche ». Depuis cette date, la France abolit officiellement l'esclavage
mais dans les faits l'interdiction connut de nombreuses entorses dans toutes les régions
méditerranéennes qui entretenaient des relations commerciales avec les pays
musulmans, et bien entendu, par la suite, dans les colonies.
Enfin, en Afrique, Soundiata Keïta, Empereur du Mali, interdit l'esclavage au XIIIème
siècle. Il sera rétabli en 1591 par le pacha marocain Djouder puis définitivement aboli
avec la colonisation française en 1891.
Mais d'autres événements allaient bientôt banaliser l'esclavage sur toute la planète.
Ce sera l'objet du projet chapitre.
L'esclavage en Afrique et dans le
monde arabe (II)
L'Afrique a longtemps été ignorée par
l'homme Blanc et les spéculateurs fonciers.
Les premiers Européens qui visitèrent
l'Afrique furent les Portugais. Le 13 juin 1415,
Henry le Navigateur, prince du Portugal,
embarqua pour une expédition le long des
côtes de l'Afrique. En 1420, il atteignit le Sierra Leone. Son aventure marqua le début
de l'hégémonie portugaise en Afrique de l'Ouest, connue à l'époque sous le nom de
Côte d'Or car les marchands y échangeaient de l'or contre du poivre.
En 1441, les Portugais kidnappèrent plusieurs nobles africains qui, pour regagner
leur liberté, leur offrirent des esclaves Noirs en guise de rançon. Trois ans plus tard, les
premiers esclaves Noirs furent vendus au Portugal.
On estime que 150000 Noirs transiteront ainsi par le port de Lisbonne entre 1450 et
le premier voyage de Christophe Colomb en Amérique (1492).
En 1482, le capitaine portugais Dom Diego Cao atteignit l'embouchure du fleuve
Congo. Il remonta le fleuve sur quelques kilomètres à la recherche de débouchés et
d'ivoire. Il revint au pays avec quatre Congolais qu'il présenta au roi. Il repartit ensuite
au royaume du Kongo avec un émissaire appelé Roderigo de Souza accompagné de
plusieurs missionnaires catholiques pour y prêcher la Bonne parole. Ils seront rejoints
en 1549 par des pères Jésuites.
Les explorateurs européens ne s'enfonceront pas au cœur du Continent Noir avant la
seconde moitié du XIXème siècle et les expéditions de Brazza, Livingstone et Stanley.
Arabes et Portugais développèrent donc parallèlement la traite des Noirs en Afrique.
Mais les Noirs eux-mêmes sont également responsables de cette traite. En effet,
plusieurs traditions expliquent le développement de l'esclavage en Afrique.
L'esprit de caste
Jusqu'au XIXème siècle la seule richesse de l'Afrique Noire était ses hommes et ses
femmes. A l'instar des guerres tribales ou ethniques d'aujourd'hui (Cf. au Soudan, en
Ethiopie, au Congo, etc.), les conflits entre royaumes alimentaient un trafic de
prisonniers qui furent vendus comme esclaves à tout acheteur qui se présentait, qu'il
s'agisse d'une autre tribu, des Arabes ou des Portugais.
On ne comprend réellement la société africaine, animiste, chrétienne ou musulmane,
que si on réalise que cette société n'est pas fondée sur les mêmes principes qu'en
Occident (démocratie, industrialisation, capitalisme, etc.). La société africaine
(primitive, car cela évolue) était très hiérarchisée, agricole, fondée sur des traditions
séculaires où l'esprit de caste organisait toute la société. Ainsi, en Afrique du Nord les
serviteurs devaient servir les nobles à l'image de la relation de servitude du Moyen-Age
entre serf et seigneur.
On comprend mieux ainsi pourquoi il n'y a pas si longtemps encore des gens comme
Bokassa (Rép.Centrafricaine), Mobutu (Zaïre), Idi Amin Dada (Ouganda) et consorts
sont montés sur le trône de leur pays. Membres de castes nobles, ils furent un temps
appréciés jusqu'au jour où leur peuple comprit que ces personnages ne se sentaient
nullement redevable envers eux.
Dans le respect de l'esprit de caste,
au Niger par exemple les nobles
étaient dispensés de tout travail
manuel, une activité réservée aux
esclaves noirs. Cet esclave était
rattaché à la famille de son maître
qui le considérait comme un fils.
L'esclave ne pouvait pas avoir de
famille ni hériter d'aucun bien. Mais
il pouvait se marier si son maître
payait sa dot. Ses enfants
appartenaient au maître de son
épouse. A la mort de l'esclave, tous
ses biens revenaient à son maître.
L'esclave pouvait être vendu ou échangé et même faire partie de la dot d’une fille de la
noblesse.
Tant les habitants de Zinder (Damagaram, la capitale du Niger jusqu'en 1926), que
les Touareg (Targuy au singulier) habitant au Nord ou les Mangas Maikoréma Zakari
Targuy et son méhari dans le Massif de l'Aïr à Timia au Niger. Document A.Aubert.
habitant l'Est du pays ont toujours pratiqué l'esclavage. Ils ne reconnaissent toujours
pas cette pratique, mais le terme "iklan" par exemple qualifie bien un esclave en
tamasheq, la langue Touareg.
Des documents administratifs attestent cette pratique. Les "iklans" d'origine
soudanaise étaient préposés à la garde des troupeaux. Chez les Mangas Maikoréma
Zakari, le Muniyoma, roi du Munyo et maître absolu avait instauré une taxe. Outre le
prélèvement d'une fraction de la récolte, chaque homme devait lui payer 2000 cowries
(cauris) par esclave et 1000 cowries par adulte ou par tête de bœuf. Lors des ventes aux
enchères, un esclave adulte pouvait se négocier jusqu'à 40000 cowries, une jeune fille
nobile jusque 100000 cowries !
Cette société était également raciste. Les nomades Touareg et Mangas s'alimentaient
en esclaves tout d'abord grâce à la traite organisée à partir du Soudan puis, à partir du
XIXème siècle par le rapt de personnes isolées issues des peuples sédentaires du Sud
(Mali, etc.). Au début les esclaves pouvaient s'acquérir soit par le commerce soit par le
troc (échange d'étoffes, d'animaux, de céréales, d'outils agricoles, etc.).
Dans le Nord de l'Afrique, où nomades et sédentaires ont toujours cohabité, la
société a souvent été matriarcale, la femme Touareg par exemple pouvant accéder au
niveau de pouvoir suprême. Mais ce statut fut exceptionnel.
La polygamie et le statut de la femme
Cette pratique est aussi vieille que les
civilisations. Rappelons que les rois de
Babylone, de Perse et les pharaons d'Egypte
étaient polygames. Le roi David eut plusieurs
épouses, le roi Hérode eut 10 femmes et le
roi Salomon eut un harem de 700 femmes et
300 concubines. La Loi de Moïse autorisait
la polygamie, les prophètes ne
l'encourageaient pas tandis que le Christ
considéra que le fait de quitter sa femme
pour une autre était un adultère. Enfin, les
Grecs et les Romains n'ont jamais autorisé la polygamie.
En Afrique, quel que soit leurs convictions religieuses, beaucoup de peuples ont
pratiqué la polygamie.
Par ailleurs, comme les Arabes, les Africains considéraient d'un très mauvais œil
l'émancipation de la femme qui pouvait potentiellement faire ombrage au pouvoir des
hommes. De ce fait, la femme a souvent été rabaissée et son statut n'était guère
différent de celui des esclaves.
Dans beaucoup de pays africains d'obédience islamique, l'homme considérait que
rien ne servait d'éduquer la femme puisqu'elle avait juste le droit de travailler, de
s'occuper des tâches domestiques, d'élever les enfants et de satisfaire l'appétit sexuel de
son mari. Malheureusement, même dans nos pays certains machos le pensent encore.
Certaines femmes dociles s'y plient, y trouvant probablement des compensations, mais
très peu de jeunes couples acceptent encore ce genre d'attitude.
Femme africaine. Document Karloucha.
Le mariage forcé
Etre marié à une personne connue ou inconnue contre son gré (et souvent une jeune
fille mineure à un homme adulte) est une pratique qui a également toujours existé.
Aujourd'hui cette pratique est illégale mais se rencontre encore, même en Europe.
En Afrique, dès que les adolescents atteignaient l'âge nubile, leurs parents
organisaient leur mariage, comme cela se pratique encore localement. Après
négociation entre les chefs de famille, les jeunes filles étaient vendues par leur propre
père à leur futur époux en échange d'une dot. Elles devaient obéissance à leur mari
comme à un maître et devaient le servir pour le restant de leur vie par leur travail et
leur soumission à ses désirs sexuels. Toute épouse ne pouvant satisfaire son mari ou lui
donner un garçon était répudiée et toute femme adultère pouvait être condamnée à mort
et même lapidée dans le monde islamique.
Organisation de la traite des esclaves
Durant le Moyen-Age et les débuts de l'Islam, la traite des Noirs en Afrique ne
déboucha pas sur des déportations massives, violentes et traumatisantes des
populations. Déjà soumis à des us et coutumes ségrégationnistes, les prisonniers ou les
victimes de rapts acceptaient leur condition d'esclave avec résignation. D'autre part, il
était vains de se révolter car les marchands d'esclaves étaient armés et ne faisaient pas
de quartier.
Au début de l'Islam, donc longtemps avant que les îles atlantiques (Madère, Canaries,
São Tomé) et l'Amérique ne soient reliées au commerce négrier, des chefs noirs se
mirent au service des marchands négriers arabes pour vaincre leurs ennemis et leur
fournir des prisonniers. Ceux-ci étaient ensuite revendus comme esclave en Afrique du
Nord ou sur les marchés du Moyen-Orient, d'Inde et l'Insulinde (Malaisie, Indonésie,
Philippines). Ceci explique pourquoi aujourd'hui nous retrouvons des populations
noires dans toutes ces régions.
Les marchés d'esclaves se développèrent surtout au
Maroc, en Lybie (Tripoli), en Egypte et dans le sud
de l'Arabie (Yemen). La traite transsaharienne passait
notamment par l'aristocratie Touareg et Mangas qui
exportaient principalement les Noirs vers le nord de
l'Afrique et l'Arabie.
La valeur des esclaves variait selon qu'il s'agissait
d'une fille pubère (80 à 100000 cowries, un enfant
(60 à 80000 cowries), un jeune pubère (50 à 60000
cowries) ou un adulte (30 à 40000 cowries).
Cette traite débuta avant le commerce triangulaire
au XVIème siècle et finit au XIXème siècle. Au total, on
estime que près de 8 millions d'esclaves furent ainsi
déplacés vers l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient
entre le VIIIème et le XIXème siècle.
Marché aux esclaves. Tableau peint par Jean-Léon Gérome
vers 1884.
Ces marchés d'esclaves possédaient leurs propres caractéristiques. Ainsi, en Afrique
subsaharienne le prix des femmes esclaves dépassait celui des hommes car elles étaient
plus nombreuses et pour ainsi dire polyvalentes (elles pouvaient s'acquitter des tâches
ménagères, être épouse, prostituée, ouvrière, etc.). En revanche, en Afrique du Nord et
au Moyen-Orient, le prix des femmes était encore plus élevé que dans la région
subsaharienne alors que les hommes esclaves travaillaient également dans l'agriculture
et dans l'armée.
Quant à l'Amérique, les fermiers avaient surtout besoin d'une main-d’œuvre robuste
et donc d'esclaves masculins. Mais malgré la maltraitance ou le choix du sexe, rien
n'explique qu'il y eut deux fois plus d'hommes que de femmes esclaves dans le
Nouveau Monde. Une chose est sûre, les femmes esclaves étaient surtout demandées
sur les marchés esclavagistes africains.
Avant 1650, on estime qu'il y eut jusqu'à 10000 esclaves par an exportés en direction
des pays musulmans du Moyen-Orient sinon au-delà. Il y en eut autant exportés vers le
Nouveau Monde. Le langage courant à conserver une trace de cette époque; le mot
arabe abid qui désigne un serviteur ou un esclave est devenu synonyme de Noir.
Zanzibar
Au XIXème siècle, des musulmans Chiite originaires d'Oman et du Yemen s'établirent
à Zanzibar (le "littoral des Noirs" en arabe), une île africaine de l'Océan indien. Grâce à
l'importation d'une importante main-d’œuvre d'esclaves noirs, les Arabes y
développèrent la culture du giroflier. Rapidement le sultanat de Zanzibar devint l'une
des principales routes du commerce négrier en Afrique
orientale.
L'Ecossais Mungo Park qui explora cette région peu avant
1805 rapporta que dans les lieux qu'il visita une personne sur
quatre avait le statut d'esclave ou de travailleur forcé.
C'étaient des prisonniers de guerre ou des prisonniers pour
dettes.
Bien qu'en 1845, le sultan Seyid-Saïd ait interdit
l'exportation des esclaves, ses comptes précis permettent
d'évaluer à plus de 700000 le nombre d'esclaves qui
transitèrent par Zanzibar entre 1830 et 1872 !
A partir de 1890, les Britanniques tentèrent de réduire
l'esclavage sur cette île mais le commerce continua
clandestinement jusqu'au début du XXème siècle. En fait il
perdure encore aujourd'hui sous une forme à peine plus
moderne.
Entre-temps, en 1853, le pasteur et explorateur d'origine écossaise David
Livingstone explora la région du Congo et passa près des sources du fleuve Congo en
1867. Il raconta avoir vu au cours d'une exploration des esclaves capturés par les
Arabes et apprit que 40000 esclaves avaient été déportés à Zanzibar. Sur son chemin, il
Hommes, femmes et enfants capturés par les marchands d’esclaves. Document AKG publié
sur Brazza.culture.
vit des squelettes et des ossements d'esclaves morts lors de la marche, et cela dans
chaque village qu'il parcourut.
En 1876, le journaliste et explorateur américain Henry Morton Stanley partit à la
recherche de Livingstone porté disparu depuis quelques années et arriva à Nyangwe, au
Congo. Il découvrit un peuple anthropophage. Il se rendit compte à son tour de la
présence des Arabes et remarqua qu'ils prenaient des Congolais en esclavage.
Stanley, que les Congolais appelaient "Bula-Matadi" ("celui qui casse les cailloux"),
arriva à Zanzibar en 1874 et fut stupéfié par l'ampleur du trafic négrier. Comme
Livingstone il constata qu'ici également la traite était organisée par des Arabes. Son
récit va révolter les Européens et contribuer à soulever l'opinion mondiale contre
l'esclavage.
Le récit qu'en fit le Dr Livingstone est
devenu célèbre : « Une longue chaîne
composée d'hommes, de femmes et
d'enfants, liés à la file et les mains
attachées, serpenta sur la colline et prit
le sentier du village. Chacun de ces
malheureux avait le cou pris dans
l'enfourchure d'une forte branche de 6 à
7 pieds de long, que maintenait à la
gorge une tige de fer solidement rivée. »
Selon l'historienne Catherine Coquery-
Vidrovitch, les conditions de travail des
esclaves étaient épouvantables : « La mortalité était très élevée, ce qui signifie que 15
à 20% des esclaves de Zanzibar (soit entre 9000 et 12000 individus) devaient être
remplacés chaque année ».
Les chasseurs d'esclaves n'avaient aucune difficulté pour trouver des esclaves.
Armés par des Européens, ils possédaient des armes à feu. En face d'eux, les indigènes
ne pouvaient leur opposer que des lances et des flèches. La lutte était inégale, la
résistance des Noirs inutile.
Après que Stanley eut raconté ses aventures aux Européens, le 26 février 1885, après
plus de trois mois de discussions, les partenaires européens signent l’Acte de Berlin.
Véritable Charte de la colonisation de l’Afrique, cet acte promulgua la liberté de
navigation et de commerce sur le bassin conventionnel du fleuve Congo, la neutralité
des territoires concernés en cas de guerre et la répression de la traite des esclaves.
En 1888, la Conférence de la Société Antiesclavagiste se tint à Bruxelles. Elle traita
de l'esclavage dans l’Etat Indépendant du Congo (E.I.C.) et demanda à ce que les
coloniaux y mettent un terme.
Un Arabe nommé Tippo Tip fut institué Gouverneur de la région des Chutes de
Stanley et plusieurs postes de contrôle furent installés dans la région. Mais rapidement
les Arabes voulurent soumettre les Blancs et finirent par s'opposer à la politique
européenne par la force. Une guerre s'en suivi à partir de mai 1892. Parmi les héros de
cette guerre, le Baron Dhanis poursuivit les Arabes jusqu'à leur dernier retranchement
au Congo. Début 1894 les Blancs remportèrent finalement la victoire qui marqua la fin
de l'esclavage et de l'emprise des Arabes sur l'Afrique Noire.
D'un point de vue économique, on s'interrogea au XIXème siècle sur l'intérêt de la
traite des Noirs. Malthus considérait que la démographie africaine pouvait combler les
pertes humaines causées par la traite. A l'inverse, les abolitionnistes européens
affirmaient que ces prélèvements dépeuplaient l'Afrique.
Même Jules Verne dans son roman "Un capitaine de quinze ans" publié en 1878 fit
référence aux comptes rendus de Livingstone et s'inquiéta de « ces chasses à l’homme
qui menacent de dépeupler tout un continent pour l’entretien de quelques colonies à
esclaves ».
Une simulation démographique
réalisée en 1988 par Patrick Manning et
William S. Griffiths de la Northeastern
University montre que la traite
atlantique dut fortement éprouver les
populations des régions côtières de
l'Afrique de l'Ouest.
Peuplées de 25 millions d'habitants
en 1730, ces régions auraient perdu de 3
à 7 millions d'habitants en 1850. Même
les femmes âgées de 15 à 29 ans - les
années les plus favorables de la
fécondité féminine - ont deux fois
moins été déportées que les hommes, cela a lourdement pesé sur la reproduction des
populations de la région. Dans ces régions, on peut estimer à environ 12 millions le
nombre d'individus capturés à partir de 1700. De ce total, 6 millions furent déportés
vers les colonies d'outre-mer, 4 millions furent livrés à la captivité domestique et les 2
millions restants périrent en Afrique des suites de l'esclavage.
La situation fut tout aussi préoccupante dans les colonies françaises d'Afrique et aux
Antilles. Si l'esclavage fut aboli en 1848, le travail forcé n'a été aboli en Afrique que le
11 avril 1946, à l'initiative du député Félix Houphouët-Boigny, qui sera plus tard
Président de la Côte-d'Ivoire. Rappelons que cette pratique est toujours en vigueur aux
Etats-Unis et dans quelques états non démocratiques (Chine, Corée du Nord, etc.).
Voyage dans l’Afrique équatoriale. Tableau peint par Paul du Chaillu en 1863.
Le Congo au temps des
colonies (III)
Avant d'accéder à
l'indépendance en 1960 et
longtemps avant d'être une colonie
belge, le Congo fut une colonie
portugaise. En effet, en 1483 le roi
Alphonse V chargea le navigateur
portugais Diogo Cam de partir à la
découverte des côtes d'Afrique à la
recherche d'une route maritime
vers les Indes. En 1484, il
découvrit l'embouchure du fleuve
Congo et poussa son exploration
jusqu'à 22° de latitude Sud.
En 1488, Bartolomeu Dias ramena des Noirs d'Afrique du Sud à la Cour où ils seront
"civilisés". Ils accompagnèrent ensuite les Portugais afin de faciliter leur implantation
au Zaïre, le nom originel du Congo.
Vient ensuite la période du "commerce triangulaire" et de la traite des Noirs sur
laquelle nous reviendrons.
En 1815, la Navy britannique envoya le Capitaine James Kingston Tuckey à la
découverte de la source du fleuve Congo. Tuckey ne trouva que des villages coloniaux
abandonnés par les Portugais et des missions catholiques moribondes. Il mourut en
1816 à Moanda, futur Kinshasa. Sa mission fut un échec mais raviva l'intérêt des
Européens pour l'Afrique Noire.
Ensuite les Français commencèrent à explorer l'Afrique. Après deux ans de voyage
en Afrique équatoriale, l'explorateur français Pierre Savorgan de Brazza publia en 1831
son "Voyage au Congo et dans l'intérieur de l'Afrique équinoxiale". Il recevra la
médaille d'or de la Société de Géographie. En1884, de Brazza fonda la ville qui porte
aujourd'hui son nom. En 1891, le Congo-Brazza forma l'un des quatre Etats de
l'Afrique Equatoriale Française et Brazzaville sera sa capitale. A ne pas confondre avec
la République Démocratique du Congo (ex-Zaïre) dont la capitale est Kinshasa.
En 1853, Livingstone commença son exploration de l'Afrique et constata que la foi
chrétienne survivait encore au Congo (Zaïre) mais que les missionnaires Portugais
avaient quitté les lieux. Il suggéra d'envoyer des missionnaires (pasteurs protestants) à
évangéliser les Noirs.
A partir de 1868, les "Pères Blancs" d'obédience catholique évangélisèrent à leur
tour le Congo. Leur œuvre sera également sociale, assurant l'éducation et les soins de
santé des populations locales. Ils installeront des missions jusqu'en brousse, notamment
à Tandala, situé dans le nord de l'Uélé.
Extrait de l'atlas de Jean-Baptiste Douville (1831), "Voyage au Congo et dans l’intérieur de l’Afrique
équinoxiale". Document Musée de l’Homme de Paris.
Développement du Congo
A l'inverse des Portugais ou des Anglais, les Belges n'ont jamais eu d'expérience
coloniale. Ils ont bien tenté de coloniser Manhattan au XVIIème siècle (Peter Stuyvesant
et ses lieutenants Wallons et Flamands), puis Santo Tomas au Guatemala en (1841) et
les Etats américains du Wisconsin, d'Illinois, de Pennsylvanie et la Louisiane mais rien
à l'échelle d'un pays. Ils se sont donc organisés autour des projets d'implantation et
industriels de Stanley et calqué leur tenue tropicale sur celles que portaient les Anglais
de la Compagnie des Indes.
L'Acte de Berlin de 1885 fixa les règles d’occupation des nouveaux territoires sur les
côtes de l’Afrique. Le Portugal conserva l'enclave de Kabinda (le Kasai oriental) et
ainsi que nous l'avons vu reconnut l'Etat Indépendant du Congo (E.I.C.). Après
discussions, la Belgique finit également par reconnaître cet Etat. La Conférence de
Berlin autorisa également le roi Léopold II de Belgique à y percevoir des droits à
l'exportation.
Les atrocités du système léopoldien (1891-1906)
Dès 1884 le roi Léopold II envoya des ingénieurs prospecter les ressources du
Congo. Leur mission s'avéra assez difficile car ils devaient être encadrés par des
militaires qui durent se battre avec des trafiquants et des braconniers. Assez rapidement
la Belgique découvrit deux ressources : d'abord l'ivoire qui allait alimenter jusqu'à 85%
du commerce mondial, ensuite le caoutchouc (le latex) mais dont l'exploitation
inhumaine fera grand bruit jusque dans les années 1920. On y reviendra.
En 1891, la souveraineté du roi Léopold II et de son monopole sur le Congo (E.I.C.)
entra en vigueur jusqu’en 1906, permettant à la Belgique d’exploiter directement les
ressources de ce pays à son profit ainsi que de percevoir l’impôt en nature.
Une "Charte Coloniale" entra ensuite en vigueur à partir du 18 octobre 1908, fondant
la base de l’organisation politique du Congo belge et la nature des relations entre ce
pays et la Belgique.
Malgré l'œuvre pacifique et parfois même scientifique (ethnologique) des "Pères
Blancs" et l'opinion négatif des Européens à l'égard de toute forme d'oppression des
indigènes, l'asservissement des Noirs sera encouragé par le gouvernement belge,
officiellement pour "développer le Continent Noir", mais nul n'était dupe, il s'agissait
en fait pour la Belgique d'en tirer comme d'autres pays sans scrupule, toutes les
richesses à son profit.
Ainsi protégée par un cadre légal, loin des regards désapprobateurs, entre 1885 et
1908 la Belgique réduisit au travail forcé des millions de Congolais dans la brutalité.
Les Français seront tout autant visés par le travail forcé des Noirs au Congo-Brazza.
Le cinéaste Marc Allégret et l'écrivain André Gide s'y rendront en 1926-1927 et
rapporteront un film et un livre intitulé "Voyage au Congo", des documentaires
pamphlétaires critiquant violemment le colonialisme. Ces publications déclencheront
une commission d'enquête.
A lire :
Histoire de la colonisation belge du Congo, 1876-1910
Histoire du Congo
(PDF de l'exposition de Tervuren)
http://home.scarlet.be/be074683/partie1.htm
Ou voir le dernier chapitre
Histoire de la colonisation belge du Congo, 1876 - 1910
A gauche, caricature du roi Léopold II de Belgique à qui on prête d'avoir appelé l'Afrique "le magnifique gâteau Africain". Au centre, enfant congolais à la main coupée,
sentence sévère d'un menu larcin. A droite, des missionnaires britanniques en compagnie d'hommes tenant les mains coupées de Bolenge et Lingomo, victimes des milices de la "Belgian Indiarubber and Exploration Company" (ABIR) en 1904. Devant
ces faits, entre 1895 et 1906 des Anglais jaloux de la colonie belge diffusèrent ces images et les récits de missionnaires protestants dans le Times (dont les journaux européens se feront l'écho tel que le journal allemand Kolnische Zeitung) afin de
dénoncer le sadisme du régime du roi Léopold II au Congo.
Documents HistoryWiz, Anti-Slavery International et ASI.
Le système colonial français comme le système léopoldien conduisirent à des abus et
des atrocités de toutes sortes connues sous le nom de "red rubber", le caoutchouc rouge.
Ce terme en dit long sur les abus du régime colonial qui réglait tous les délits dans le
sang et à coup de chicotte (fouet fait d'une queue d'hippopotame). En 2005, la BBC en
fit un film documentaire en coproduction notamment avec la RTBF.
Les ouvriers par exemple qui ne récoltaient pas suffisamment de caoutchouc étaient
tout simplement tués. On relate également les atrocités commises par le lieutenant de
l’armée belge Léon Fievez en mission dans la région de l'Equateur en 1894. En
réaction au refus des Congolais de collecter le caoutchouc : « Devant leur mauvaise
volonté manifeste, je leur fais la guerre. Un exemple a suffi, cent têtes tranchées et
depuis lors les vivres abondent dans la station. Mon but est en somme humanitaire.
J’ai supprimé cent existences, mais cela permet à cinq cents autres de vivre ». Plus
tard le journal allemand Kolnische Zeitung dénonça d'autres exactions de Fievez qui
furent relayées à la Chambre par le député belge Lorand : « un jour, cet agent d’Etat
compta plus de 1300 mains coupées ». Dans le Times du 18 novembre 1895, un
missionnaire protestant relata les méthodes barbares de l’administration congolaise.
Fievez comparut en 1899 pour cas de violences et d’exécutions mais il fut acquitté.
Il y eut également ces images montrant un Noir allongé nu sur la terre battue entre
deux morceaux de bois et fouetté ainsi que ces enfants aux mains coupées (application
de la charia islamique) photographiés en 1904 que les tirailleurs de la Force publique
(une police locale encadrée par des coloniaux) ramenaient aux officiers blancs pour
prouver qu'ils n'avaient pas gaspillé leurs cartouches !
L'attitude du roi fut dénoncée par une campagne internationale dite "antisystème
léopoldien" principalement orchestrée par les Anglo-saxons et les missionnaires
protestants. Au début, le roi Léopold II éluda la question disant qu'il s'agissait de
simple jalousie de la part des Anglais. Mais devant l'ampleur que prit le scandale et
l'intensité de l'acharnement contre sa personne, Léopold II fut contraint de céder sa
"propriété privée" à la Belgique en 1908.
L'attitude du roi comme de ses employés et de la justice nous paraît aujourd'hui
scandaleuses et le mot est faible mais il faut se rappeler qu'à cette époque et depuis les
débuts de la colonisation, les punitions corporelles faisaient partie de l'éducation. On
exhibait également un peu partout en Europe des indigènes sur les foires et dans les
zoos, la plupart étant à peine nourri et payé pour leur prestation. Ainsi on exposa la
"Vénus hottentote" (Sarah Baartman) à Paris en 1815, des Lapons à Hambourg en 1875,
des Pygmées à Tervuren en 1897 et d'autres ethnies noires au zoo de Londres en 1904 !
Ces "zoos humains" faisaient presque partie du quotidien au même titre que la foire et
personne ne s'en offusqua jusqu'en 1958 quand les responsables de l'Exposition
Universelle du Heysel (B) obligèrent encore des Noirs à s'exhiber dans un parc
d'attraction !
Mais ne croyez pas que les mentalités ont beaucoup changé. Moyennant finance,
certains touristes peuvent encore visiter les campements des Amérindiens d'Amazonie
qu'ils traitent de "primitifs" ou assister à la vie quotidienne des Indiens parqués dans les
réserve d'Amérique du Nord ! Dans ces deux cas, il ne s'agit pas de représentations
commerciales payantes et destinées aux touristes mais bien d'une violation pure et
simple de la vie privée de ces gens.
De Tintin au Congo à "Bwana Kitoko" (1930-1960)
La colonisation du Congo fut maintenue par le gouvernement belge en raison de son
intérêt historique pour l'ivoire et le caoutchouc puis en raison de l'exploitation du
minerai de cuivre (au Katanga) et d'uranium et accessoirement de l'argent, du cobalt,
du zinc, de l'étain, des diamants, de l'or et du copal (résine fossile). Après 1945 la
Belgique y développa la culture du coton, du thé, du café et du tabac.
Parmi les grandes entreprises coloniales de l'époque citons
la Forminière (extraction des diamants et de l'or du Kasai,
soutenue par la Banque de Bruxelles), l'UMHK (extraction
du cuivre, argent, cobalt et métaux rares du Haut Katanga,
soutenue par la Société Générale) et la Cotonco. Peu avant
1960 la Cotonco était le 3eme producteur mondial de coton et
occupait environ 750000 travailleurs ! L'entreprise sera
nationalisée après l'indépendance.
Aussi étonnant que cela soi, durant toute la période
coloniale (jusqu'à l'indépendance du Congo belge), les
coloniaux ont réussi à contrôler un pays sans nation et sans
politique nationale, un pays grand comme quatre fois la France (presque aussi grand
que l'Europe continentale) dans lequel vivaient sans trop s'aimer quelque 500 ethnies !
On reconnaissait un colonial à son casque typique (casque colonial dans les années
1930 puis portant le chapeau de scout à partir des années 1950), sa saharienne et sa
carabine Winchester, Hergé l'ayant représenté dans sa fameuse bande dessinée "Tintin
au Congo" dès 1930.
L'idée que le colonial belge était une brute esclavagiste est tenace. Elle remonte en
fait à l'époque léopoldienne car l'attitude des coloniaux changea radicalement au milieu
du XXème siècle, même si leur côté paternaliste et il est vrai parfois méprisant ou
hautain a longtemps subsisté. Interrogez tous les coloniaux aujourd'hui pensionnés,
qu'ils soient missionnaires, chasseurs, techniciens ou chefs de district, aucun ne vous
dira qu'il a vu ou possédé des esclaves, violenté des Noirs ou fait couler le sang. Aucun
fils de colonial ayant vécu aux alentours des années 1945-1960 au Congo ne fut témoin
d'exactions ou de brutalité des coloniaux envers les Noirs.
Certes, les coloniaux disposaient de "boys" noirs, un terme emprunté à l'anglais
signifiant domestique au sens large et qui n'a aucune connotation péjorative ou raciste
bien qu'il y ait toujours un lien de subordination entre le domestique et son patron et un
sentiment d'infériorité du premier vis-à-vis du second. Mais ce sentiment n'a rien à voir
avec l'esclavage. Les boys étaient et sont encore des employés rémunérés pour leur
travail domestique (cuisine, entretien, nourrisse, nurse, etc.) qui tirent toujours un large
profit et beaucoup de satisfactions de leur statut privilégié comparé à la misère dans
laquelle doivent survivre leurs compatriotes désœuvrés. Toute chose étant relative,
n'oublions pas non plus qu'un employé est aussi au service de son patron.
Toutefois, il faut dire la vérité. L'Histoire a retenu de cette époque coloniale
française et belge des actes peu glorieux et parfois franchement révoltants et criminels.
Il y a notamment ces films super8 en noir et blanc montrant ces jeunes techniciens
célibataires de la Cotonco passant leurs loisirs à tirer sans état d'âme sur les grands
mammifères (léopard, éléphant, gorille, etc.) ou posant fièrement sur des trophées de
crocodile, ces coloniaux hilares abusant de jeunes filles torses nues, ces contrebandiers
fouettés à mort ainsi que ces enfants aux mains coupées que les tirailleurs de la Force
publique (une police locale encadrée par des coloniaux) ramenaient aux officiers
blancs pour prouver qu'ils n'avaient pas gaspillé leurs cartouches. Mais ce n'est pas tout
car il ne faut pas oublier le pillage organisé des objets d'art, de l'ivoire, des fourrures et
des trophées... Ajouté au comportement méprisant des Blancs vis-à-vis des Noirs, pour
les Congolais cela ne pouvait plus durer.
A lire : Aloube ou Une enfance au Congo belge
Histoires authentiques de la vraie vie des coloniaux entre 1946 et 1959
Commentaire :
« Sur le site d’Aloube on évite de mêler trop le nom du roi Léopold II, on évite de parler
du feu mais on montre de sources nombreuses avec beaucoup de fumée qui laisse à
deviner … (V.R) »
A gauche, coloniaux réunis pour l'apéritif au Congo français (Brazza). Au centre, un colonial se mesurant à des Pygmées à l'époque du Congo belge. A droite, à ce jeu le roi Musinga (Rwanda)
tient la tête haute à cet officier colonial photographié en 1930. Documents Oxygénées, La médiathèque et B.Sehene.
Suite à l'abdication du roi Léopold III, en 1951 le prince Baudouin âgé d'à peine 21
ans monta timidement sur le trône de Belgique. Au fil des législatures, le
gouvernement envisagea l'indépendance du Congo belge au cours d'un processus lent
qui devait durer 30 ans. Mais l'arrivée au pouvoir du parti congolais Abako en 1957
bouleversa les projets du gouvernement.
Entre 1956 et 1960 plusieurs pays d'Afrique accédèrent à l'indépendance (Maroc,
Tunisie, Soudan, Guana, Guinée, etc.) ce qui n'était pas pour déplaire aux intellectuels
Congolais qui commençaient à ne plus supporter la condescendance et le paternalisme
des Blancs à leur égard et une économie exclusivement tournée vers l'Occident.
En 1959, à l'étonnement général, le gouvernement belge annonça son désir
d'accorder son indépendance au Congo. Le 30 juin 1960 le roi Baudouin 1er se rendit à
la cérémonie d’indépendance qui devait avoir lieu à Léopoldville. Signe prémonitoire,
en cours de route un spectateur congolais lui vola son sabre qu'on lui rendit peu de
temps après.
Arrivé à Léopoldville, le Roi est tout d'abord applaudi par
l'Assemblée. Mais au cours de la cérémonie, le roi Baudoin
commet l'erreur de faire l'apologie de la colonisation devant
les députés congolais. Le Président Kasa-vubu proclama de
suite la République, mais le Premier ministre Patrice
Lumumba qui sortait de 6 mois de prison pour actions
indépendantistes répondit vertement à la provocation. Faisant
ses salutations non pas au roi mais « aux Congolais et
Congolaises, aux combattants de l'indépendance... »,
Lumumba proclama officieusement l'indépendance du pays et
la fin de l'exploitation du Congo par la Belgique et les
hommes Blancs.
Humilié, "Bwana Kitoko", le "beau jeune homme" qu'était
le roi Baudouin, rentra dare-dare en Belgique.
Le discours de Lumumba sera à l'origine de violentes
émeutes dans tout le pays. Le 8 juillet 1960, le sergent-major
Joseph Désiré Mobutu est promu Colonel et devient du jour au lendemain chef d'É tat-
major. Devant l'ampleur de la guerre civile, les militaires belges quittèrent le pays,
abandonnant lâchement les ressortissants étrangers à leur sort. La Force publique
congolaise n'étant plus payée par les Belges, elle rejoignit rapidement les pillards et mit
le pays à feu et à sang. Les vieilles guerres ethniques ressurgirent.
En quelques jours la "chasse au Blanc" fut ouverte, forçant les coloniaux à l'exil sous
peine d'être abattus à coup de machette et les femmes violées.
La radio locale et les missionnaires annonçant aux coloniaux qu'il se commettait les
crimes les plus odieux dans tout le pays, les coloniaux renvoyèrent de suite leur femme
et leur(s) enfant(s) en Europe rejoindre leur famille. On se souvient encore de ces
hommes en bras de chemise et de ces femmes hébétées et fatiguées par le stress et un
long vol épuisant descendant seules des avions en provenance du Congo avec pour tout
bagage leur bébé âgé de quelques jours dans les bras. Leur mari, chef d'entreprise ou
responsable d'exploitation (notamment pour la Cotonco) restera encore au Congo
quelques années avant de revenir définitivement en Belgique et y chercher un nouvel
emploi.
Arrivée du roi Baudouin au Congo le
30 juin 1960 accompagné du
Président Kasa Vubu.
"L'Histoire sanglante du Congo". Tableau réalisé par le peintre autrichien Werner Horvath. On reconnaît Laurent
Après l'assassinat du
Président Lumumba
commandité par la Belgique, en 1965 Mobutu Sese Seko fut élu Président de la
République Démocratique du Congo qu'il rebaptisa le Zaïre quelques années plus tard.
Rapidement la population se rendit compte qu’elle avait tout perdu y compris ses
illusions; l'administration sera corrompue durant le règne de Mobutu, tandis que les
institutions publiques, les industries comme la population survécurent tant bien que
mal, plutôt mal, alors que les proches du pouvoir s'enrichissaient à ne plus savoir quoi
faire de leur argent. En quelques années, tout le tissu socio-économique de la jeune
République s'effondra. Les gouvernements belges successifs se voilèrent la face sous le
prétexte de non-ingérence en attendant des jours meilleurs.
Paradoxalement, le Président Mobutu garda toujours une haute estime du roi
Baudouin au point que dans les années soixante il essaya de l'imiter dans l'habillement
ou la façon de saluer la foule. Les deux personnages se sont écrits de nombreuses
lettres.
En 1970, le roi Baudouin sera officiellement invité par le Président Mobutu pour
célébrer les 10 ans d'indépendance du Zaïre. Le roi s'y rendit volontiers. Il sera reçu
avec beaucoup de sympathie comme on le voit sur cette image prise par un
photographe de l'agence News.
Devant le travail accompli au Congo par les belges entre 1930 et 1960 et
principalement après la guerre, il va sans dire que les ouvriers noirs et les anciens boys
qui perdirent leur travail ont paradoxalement regretté le départ des Blancs qui leur avait
permis de vivre dans un pays organisé et économiquement en croissance. Entre 1935 et
1957, la production industrielle augmenta en moyenne de 14% par an. Le surplus
économique (valeur de production avant/après colonisation) atteignit environ 400%
alors qu'il n'atteignit pas 10% au début de la colonisation.
Mais d'un autre côté le peuple congolais a choisi librement l'indépendance,
l'émancipation, bref la liberté. Les Congolais étaient loin d'imaginer que la démocratie
et la justice sociale ne faisaient plus partie du vocabulaire du mégalomane, milliardaire
et dictateur Mobutu qui laissa crever son peuple jusqu'en 1997, époque à laquelle
Laurent-Désiré Kabila repris les rênes du pouvoir, non sans mal.
Aujourd'hui la situation socio-économique du pays est toujours déplorable et la
Belgique est divisée sur la question de l'aide à apporter au Congo. C'est dommage car
d'autres nations et notamment les Etats-Unis, le Canada et même la Chine n'ont pas
hésité à reconquérir les marchés abandonnés par la Belgique (la même situation se
produit dans les anciennes colonies françaises). Quant à la politique congolaise (voir
aussi ce site) les élus de la jeune république ont encore du travail à abattre pour
supprimer la corruption, la haine raciale et rejoindre les vraies démocraties
respectueuses des Droits de l'Homme.
Voyons à présent qu'elle fut la situation dans le Nouveau Monde et comment
s'organisa la traite au départ de l'Afrique.
Kabila (gauche), Patrice Lumumba (centre) et Mobutu Sese Seko (droite). Document Virtual Museum of Political Art.
L'esclavage dans le Nouveau
Monde (IV)
Ecartelés entre l'Eldorado promis en
Amérique du Sud, les plages
paradisiaques des Caraïbes, les terres
vierge d'Amérique du Nord et la ruée vers
l'Ouest, en quelques siècles des dizaines
de millions d'immigrants conquirent ces
nouveaux territoires en quête de richesses
et d'un avenir meilleur.
Dans ce contexte socio-économique de
pleine croissance, les fermiers
manquèrent rapidement de main-d’œuvre
pour développer leurs affaires. C'est donc
assez naturellement qu'à partir du XVIème
siècle le commerce négrier explosa dans le Nouveau Monde.
La traite s'est progressivement organisée depuis l'Europe, l'Afrique et les différents
comptoirs d'outre-mer, orchestré par le pouvoir en place et les lobbies coloniaux. La
traite des Noirs fut méthodique et participa à l'essor économie des colonies.
Au début de la traite des Noirs les bateaux négriers partaient de l'île de Gorée
située à quelques brasses de Dakar, au Sénégal. L'île de Gorée fut découverte en
XVème siècle par les Portugais. Durant plus de quatre siècles Gorée sera fréquentée
par des bateaux venant du Portugal, d'Espagne, de France, d'Angleterre et même du
Danemark.
Aujourd'hui l'île est évidemment mondialement connue pour sa "Maison des
esclaves" et sa fameuse "porte sans retour" donnant sur l'Atlantique... Pour mémoire,
cette maison appartenait à Signare (déformation de senhora) Anne Colas, une négrière
métisse. Par la suite beaucoup de maisons du front de mer furent bâties sur ce modèle.
Entre le XVIème et le XIXème siècle, toutes les puissances maritimes participèrent au
commerce négrier vers le Nouveau Monde. Après avoir installé des comptoirs en
Afrique puis en Amérique du Sud, les Portugais étendirent leurs routes commerciales
jusqu'aux Indes. Puis ce fut le tour des Conquistadors Espagnols. Après avoir réussi la
Reconquista (la reconquête du territoire d'Espagne sur les Maures et réunifier leur
territoire sous l'autorité des "Rois très Catholiques") ils partirent à leur tour à la
conquête du Nouveau Monde grâce à Christophe Colomb. Plus tard l'Angleterre puis la
France les rejoignirent. On y reviendra.
Certaines routes comme celles des Caraïbes, d'Amérique du Sud ou des Etats-Unis
eurent une fréquentation inimaginable aujourd'hui. Dans son livre sur l'histoire des
Pygmées, Victor Bissengué estime qu'entre le XVIème et le XIXème siècle 50 millions
d'esclaves noirs furent envoyés dans les colonies. Si certains auteurs ont recensé 11
millions d'esclaves dans le Nouveau monde, pour l'UNESCO le nombre d'esclaves et
de déportés atteignit 100 millions de personnes !
L'escalier de la "Maison des esclaves" sur l'île de Gorée au Sénégal. Au bout du couloir,
la "porte sans retour" où des chaloupes attendaient les esclaves. Ceux qui tentaient de s'enfuir étaient tués soit au mousquet soit
par les requins Document UNESCO.
Les principales routes de l'esclavage entre le VIIIe et le XIXe siècle. Des navires chargés de pacotilles quittaient les ports européens vers
l'Afrique. Les denrées étaient échangées contre des esclaves. Ceux-ci étaient ensuite acheminés vers les colonies d'Amérique : c'est le
commerce triangulaire. Document UNESCO/Marc Verney/RFI adapté par l'auteur.
Au XVIIIème siècle on arriva au paroxysme de la traite des Noirs. Le commerce
européen des esclaves donna naissance au "commerce triangulaire" entre l’Europe,
l’Afrique et l’Amérique. Des navires chargés de pacotilles quittaient les ports
européens vers l'Afrique (Sénégal, Guinée, Bénin, Congo, Zanzibar). Les denrées
étaient échangées contre des esclaves. Ceux-ci étaient ensuite acheminés dans des
conditions inhumaines vers les colonies d'Amérique (portugaises, anglaises,
hollandaises, espagnoles et françaises). Du Nouveau Monde, les navires repartaient
vers l'Europe avec des produits tropicaux et des métaux précieux. Parfois les navires
revenaient avec des indigènes qu'ils exhibaient à la Cour des Roi, dans les foires et
parfois même dans les zoos (Angleterre, 1908).
Outre les documents administratifs, les photographies et la mémoire des peuples qui
attestent de ce commerce, la seule preuve "vivante" que nous avons de ce trafic qui
dura parfois plusieurs siècles se lit aujourd'hui sur le visage des ressortissants de ces
pays d'outre-mer qui dans certaines îles des Antilles représentent une population à 95%
noire (Haïti). Autre signe indéniable de la colonisation, au Brésil près de la moitié de la
population est métissée.
Voyons comment tout cela a commencé en distinguant trois routes commerciales et
trois manières de réglementer le commerce des esclaves avant d'aboutir finalement à
l'abolition de cette pratique :
- L'esclavage dans les colonies portugaises et espagnoles (Amérique centrale et du
Sud)
- L'esclavage dans les colonies françaises (Antilles, Guyane, Réunion)
- L'esclavage dans les colonies anglaises d'Amérique du Nord (Etats-Unis).
L'esclavage dans les colonies portugaises et espagnoles
Avec la bénédiction du pape
L'expansion de l'esclavage aux colonies d'outre-mer remonte à l'époque des grandes
découvertes. La première reconnaissance officielle de l'esclavage dans les colonies
remonte à 1445, époque à laquelle une bulle du pape Eugène IV autorisa le Portugal à
réduire en esclavage les peuples infidèles du Nouveau Monde.
A son tour, en 1454 le pape Nicolas V autorisa le roi du Portugal à pratiquer la traite
en Afrique.
Aux Antilles
Le 3 août 1492 Christophe Colomb affréta deux caravelles et une nef à destination
des Indes. En fait il partit réellement des îles Canaries car il dut réparer un gouvernail.
Après une longue traversée et évité de justesse une mutinerie, le 12 octobre Colomb
découvrit l'île de San Salvador, ainsi baptisée car il estima que c'était le Christ, le Saint
Sauveur, qui sauva son expédition. Puis il découvrit Cuba, la Dominique, la
Guadeloupe et Montserrat, bref les Antilles. Colomb était persuadé d'avoir atteint
l'Asie.
A gauche, réplique de la caravelle Niña affrétée par Christophe Colomb en 1492. A droite, arrivée de Christophe Colomb en Amérique, le 12 octobre 1492. Documents
Anonyme et Library of Congress.
Dès le deuxième voyage en 1493, des Noirs furent embarqués dans les caravelles.
Christophe Colomb découvrit Saint-Barthémely, Porto-Rico puis la Jamaïque.
A Hispaniola (l'île rassemblant aujourd'hui les Etats de la République Dominicaine
et Haïti), les explorateurs espagnols firent prisonnier 1500 amérindiens Arawaks qui
seront parqués comme des animaux. Les Espagnols tenteront de les ramener en Europe
pour en faire des esclaves mais la plupart succombèrent sous la maltraitance ou lors du
voyage de retour.
Environ 300 Amérindiens survécurent et seront mis aux enchères en Castille après
1496. On raconte que Christophe Colomb vendit chaque Améridien pour 5000
maravedis, presque rien. L'expression nous est restée : "Cela ne vaut pas un
maravédis" pour signifier que cela n'a aucune valeur.
Rapidement toutes les îles des Antilles seront colonisées par les Espagnols (Cuba,
Santiago, Porto Rico, Santa Cruz, Guadalupe, Dominica, Martinina, etc.) puis certaines
seront acquises par les Britanniques, les Français ou même les Danois.
En Jamaïque (Santiago) par
exemple les Anglais boutèrent les
Espagnols hors de la colonie mais
conservèrent leurs esclaves (les
Marrons signifiant "fier et sauvage").
Après le déclin de la population
amérindienne, les Britanniques
importèrent des esclaves d'Afrique.
Les Français coloniseront la
Guadeloupe et la Martinique en 1635
puis massacreront les Amérindiens.
Santa Cruz fut colonisée par les
Danois en 1672 (Indes occidentales
danoises) puis passera sous protectorat américain en 1917 (U.S. Virgin islands) contre
la somme de 25 millions de dollars.
Après quatre voyages et passé huit années à explorer des dizaines d'îles, Colomb
perdit toutes ses illusions de mettre pieds en Inde. Pourtant, en atteignant le Venezuela
puis Panama il avait découvert un nouveau continent qui sera signalé à la même
époque par le navigateur italien Amerigo Vespucci.
Pour ne pas alourdir cet article, nous décrirons séparément cet événement historique
à l'origine du nom de baptême de l'Amérique. Nous verrons également qu'elles furent
les conséquences économiques comme linguistiques du Traité de Tordesillas signé à la
même époque.
A lire : L'Amérique a-t-elle usurpé son nom ?
Le Traité de Tordesillas
http://www.astrosurf.com/luxorion/amerigo-tordesillas.htm
En Amérique centrale
Au XVème et au XVIème siècle, il faut bien avouer que l'esclavage était devenu banal.
En 1514, le juriste espagnol Jean Lopez de Palacios Rubios (1450-1525) dû publier un
"Requerimiento" (une sommation) pour éviter les abus commis par les Conquistadores
dans l'esclavage des Amérindiens et pour convertir ces derniers à la religion catholique
si besoin par la force et la menace.
Le Belem en Martinique. Document M.Pabois.
Le XVIème siècle fut marqué par de
multiples tragédies humaines. Les
expéditions de Cortès et de Pizarro
seront les plus sanglantes.
En 1519, Hernan Cortès débarqua à
Tabasco, au Mexique. Une prophétie
Aztèque remontant à dix ans avait prédit
qu'un feu enflammerait le ciel durant la
nuit, annonçant qu'un malheur allait
s'abattre sur l'Empire. Signe prémonitoire
que le temps était venu, l'année
précédant l'arrivée de Cortès, de grandes
lueurs et même une comète auraient été
observées par les Aztèques.
L'empereur Moctézuma II n'y prêta pas attention et alla à la rencontre des Espagnols
en toute confiance, les invitant à Tenochtitlan (Mexico) en ses termes : "Bienvenus
dans notre pays, mes seigneurs !", estimant probablement que leur chef de file était un
dieu.
Les espions de Cortès lui avait déjà dit que l'Empereur avait la fierté d'un pharaon
d'Egypte et disposait de centaines de serviteurs qui balayaient le chemin devant son
passage. Cortès décida de se faire passer pour le dieu Quetzalcoatl.
Pour son expédition Cortès était accompagné d'une jeune femme métisse native
d'Amérique appelée Doña Marina par les Espagnols et La Malinche par les Aztèques
qui lui servit d'interprète. Elevée à la vie de la Cour, diplomate et autoritaire, elle
devint le bras droit de Cortès dans toutes ses affaires militaires et influença fortement
ses décisions. Elle deviendra sa maîtresse et lui donnera un enfant avant de le quitter.
Cortès sera traité à l'égal d'un empereur par Moctézuma II.
Devant la beauté de sa cité entourée de lacs et de sommets
enneigés, ayant apprécié la qualité des parures d'or et d'argent
et ne voyant aucun signe d'hostilité et très peu d'hommes armés,
Cortès comprit vite qu'il était dans une sorte de Paradis et en
territoire conquis.
La relation se passa bien mais en 1520, suite à des
malentendus avec un autre explorateur qui tua le clergé aztèque,
les Aztèques massacrèrent une partie de l'armée de Cortès lors
de la "Noche Triste". Cortès ne tarda pas à répliquer et en 1525
ses troupes massacrèrent tous les Amérindiens. Mais le
génocide n'alla pas s'arrêter là. Cortès se lança à la conquête du
pays qu'il baptisa la "Nouvelle Espagne".
Arrivés au Mexique armés jusqu'aux dents, portant des sabres en acier et des bouclés,
équipés d'armes à feu, de canons et d'arc à flèches - autant d'armes inconnues des
Amérindiens -, les Conquistadores étaient pratiquement invincibles. Par ailleurs,
porteurs de maladies inconnues dans le Nouveau Monde, les Espagnols s'attaquèrent
également à un peuple qui n'avait aucune défense immunitaire. En l'espace de 20 ans
L'empereur Moctézuma II observant une comète l'année précédant l'arrivée des Conquistadors espagnols au Mexique.
Mauvais presage car il sera assassiné en 1520.
Hernan Cortès.
les Conquistadors exterminèrent 95% de la population Mexicaine déjà estimée à 19
millions d'habitants !
En Amérique du Sud
En 1532, Francisco Pizarro arriva au Pérou avec 180 hommes et 37 chevaux. Digne
héritier des méthodes sanglantes de Cortès, Pizarro fit prisonnier l'Inca Atahualpa,
prétendant au pouvoir impérial et provoqua un massacre parmi la population effrayée
par les chevaux et l'armement des Castillans. Pizarro contraignit les Incas à lui donner
tous leurs trésors puis assassinat leur chef en 1533. Pizarro conquit ensuite Cuzco puis
Quito (grâce à Belalcazar) avant de fonder Lima
(Ciudad de los Reyes).
Mais pour coloniser un pays, trouver de l'or et
des pierres précieuses (les Conquistadores
trouvèrent surtout de l'argent), abattre les arbres,
bâtir des villes et cultiver la terre, les militaires
souvent issus de la noblesse, ne voulaient pas
s'abaisser à effectuer de vils travaux. Ils avaient
donc besoin de mains-d’œuvre. Pizarro comme
Cortès et Cabral non seulement pillèrent et
saccagèrent les colonies mais firent souffrir des
milliers d'Amérindiens d'esclavage et
exterminèrent certaines tribus.
Du moins à quelques exceptions près, car en 1530 pour la première fois l'Empereur
Charles Quint interdit l'esclavage des Amérindiens, position suivie sept ans plus tard
par le pape Paul III. Toutefois, la condamnation par l'Eglise romaine eut peu d'effet
dans les colonies.
A son tour l'évêque espagnol Bartolomé de Las Casas prit la défense des
Amérindiens. En 1542, des lois furent même promulguées pour protéger les indigènes
mais elles furent également peu respectées car elles entraient en conflit avec les intérêts
des miniers.
Finalement en 1550 Charles Quint affranchit tous les esclaves des Indes occidentales.
Trois ans plus tard l'Angleterre commença à pratiquer la traite.
En 1546, il y avait 600 Noirs dans les troupes de Pizarro. Les Espagnols (comme les
Amérindiens) les considéraient comme des serviteurs. Mais une fois la colonisation
terminée, les Noirs perdront leur prestige et redeviendront esclaves.
Suite à la colonisation des "deux Indes", les Noirs resteront en esclavage car ils
résistaient soi-disant beaucoup mieux que les Blancs à la chaleur des Tropiques. Les
Noirs furent très nombreux à Saint Domingue (la République Dominicaine) où ils
dépassèrent très tôt le nombre d'indigènes (les Taïnos du groupe des Arawaks). On y
reviendra. Ce fut également le cas en Amérique centrale où les Noirs seront utilisés
dans toutes les plantations. Localement ils seront même exploités par les indiens
Caraïbes suite au naufrage deux bateaux négriers en 1635 et 1672 à Saint Vincent.
Atahualpa (1502-1533).
En 1713, suite aux traités d'Utrecht, les Hollandais et les
Anglais obtinrent "l'Asiento", c'est-à-dire le monopole du
transport des Noirs d'Afrique vers les colonies espagnoles
des Caraïbes et d'Amérique du Sud.
Au Surinam par exemple, ancienne Guyane hollandaise,
l'influence de la colonisation et des flux migratoires se lit sur
le visage des habitants. Aujourd'hui 41% de la population
(31% de Créoles et 10% de Marrons) soit presque une
personne sur deux est métissée et à des origines africaines.
Les autres ethnies sont constituées d'émigrants Hindustani
(37%), Javanais (15%), Amérindiens (2%), etc.
Les Noirs furent également relativement nombreux au
Mexique, au Pérou, en Argentine et au Chili. Selon le
recensement établi en 1775 par le cosmographe et
explorateur Juan Lopez de Velasco dans son "Traité de géographie", en 1570 « les
Amériques espagnoles seraient peuplées de 9.3 millions d'habitants, dont la majorité
8.95 millions seraient des Indiens, 120000 des blancs et 2.3 millions des Noirs, des
mulâtres et des métis ».
Au Brésil
Le Brésil connut une traite négrière encore plus importante que les Antilles ou les
Etats-Unis. Le Conquistador portugais Pedro Alvares Cabral s'établit au Brésil en 1500.
A priori rien ne s'opposait à l'esclavage des Amérindiens qu'on retrouva même sur les
marchés de Lisbonne. Toutefois en 1570 une loi sur les indigènes fut adoptée stipulant
qu'on ne pouvait réduire en esclavage que les Indiens pris dans une juste guerre ou
anthropophages.
En 1573, une lettre royale permit de rendre esclaves tous les Amérindiens « sauf
dans les cas manifestement injustes ». L'interprétation du texte était bien entendu
laissée à l'appréciation des Portugais dont ils profitèrent largement durant deux siècles.
Le Portugal abolit finalement l'esclavage par un décret du 12 février 1761 du
Marquis de Pombal mais il ne
sera officiellement aboli au
Brésil qu'en 1888.
Quelles traces reste-t-il
aujourd'hui de cette période
d'esclavage au Brésil ? Quand
on observe les Brésiliens (et
les Brésiliennes !)
d'aujourd'hui, on constate que
la plupart ont un hâle bronzé
qui n'a rien à voir avec une
cure récente de Soleil.
En fait, si on se penche sur
l'histoire de son peuple, on
Métisse à Paramaribo (Surinam). Document Pim
Rupert.
Importance du commerce des esclaves Noirs dans les différentes régions du Nouveau Monde.
constate que les Amérindiens du Brésil ont travaillé aux côtés des esclaves Africains ce
qui conduisit à de nombreux échanges culturels et à métissage qui pris ici une
importance qui n’existe nulle part ailleurs.
Ainsi, selon les statistiques de la CIA, en 2011 le Brésil comptait environ 204
millions d'habitants. Un relevé établi par Census en 2000 répartit la population en 54%
de Blancs, 38% de Métisses, 6% de Noirs et 1.6% de minorités dont 0.9% de Japonais,
Arabes et Amérindiens mais parfois déjà métissés.
Suite à la colonisation et l'intensification des flux migratoires, à l'exception des îles,
le Brésil est devenu le pays le plus métissé au monde, où presque une personne sur
deux à des origines africaines et/ou amérindiennes. Pour souligner l'importance du
métissage dans ce pays, l'administration brésilienne a retenu la couleur "pardo" (gris)
pour désigner l'ensemble des Métis qui seront bientôt majoritaires, c’est-à-dire un
mélange qui résulte du mixage des populations originelles, indiennes, noires et
blanches.
Ceci dit, la mémoire collective a gardé une trace des atrocités du passé que semble
toujours refouler la population. En 1990, l'Institut Brésilien de Géographie et de
Statistique (IBGE) avait relevé plus de 100 nuances de traits physiologiques dans la
population brésilienne mais il constata que les personnes interrogées s'attribuaient des
caractères s'éloignant autant que possible de la couleur noire.
Autre pays, autre mœurs, les colonies françaises se singularisèrent en matière
d'esclavage avec le "Code Noir" du roi Louis XIV.
L'esclavage dans les colonies françaises
En 1685, le roi de France Louis XIV dit le "roi Soleil" voulut étendre son pouvoir
aux colonies. Par l'entremise de son ministre Jean-Baptise Colbert, il imposa le "Code
Noir" dans lequel il définit une doctrine de l'esclavage.
Dans une soixantaine d'articles, le monarque absolu décrivit le statut et la manière
de soumettre les esclaves nègres. Ce Code rassembla toutes les dispositions légales
en vigueur dans les colonies françaises des Antilles (1685), de Guyane (1704) et de
l'île de la Réunion (île Bourbon, 1723) et servit par la suite de modèle à d'autres
colonies européennes.
Louis XIV motiva ses ordonnances par cinq préoccupations
majeures : sauver l'âme des esclaves, garantir leur soumission
par la terreur, limiter la barbarie des maîtres, définir les
conditions de vente et d'héritage des esclaves et codifier les
conditions d'affranchissement.
Dans le 1er article de ce Code, on ne s'étonnera pas que Louis
XIV, catholique intolérant (il révoqua l'Edit de Nantes -
pluriconfessionnel - en 1685) exprima un objectif religieux en
exigeant l'expulsion de « tous les juifs qui ont établi leur
résidence [dans les îles ...] comme aux ennemis déclarés du
nom chrétien ». L'Article 2 impose que « Tous les esclaves qui
seront dans nos îles seront baptisés... ».
D'emblée le "Code Noir" fait apparaître la notion d'esclave comme un fait, peu
importe sa légitimation. L'esclave est considéré comme une personne de non-droit, tel
un objet comme le précise son Article 44 : « Déclarons les esclaves être meubles et
comme tels entrer dans la communauté, n'avoir point de suite par hypothèque, se
partager également entre les cohéritiers, sans préciput et droit d'aînesse, n'être sujets
au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux,
aux formalités des décrets, ni au retranchement des quatre quintes, en cas de
disposition à cause de mort et testamentaire ». Bref l'esclave n'avait aucun droit si ce
n'était celui de travailler. Les punitions étaient synonymes de mutilation (oreille
coupée, brûlure au fer rouge, jambe coupée), de pendaison ou de mort à la troisième
tentative.
Selon le philosophe français Louis Sala-Molins (1987), le Code Noir est « le texte
juridique le plus monstrueux qu'aient produits les Temps modernes ». Pire, dans
certains familles bourgeoises françaises le sujet est encore
tabou !
L'esclavage dans les colonies françaises et notamment aux
Antilles fut tout aussi violent que dans les autres colonies :
objet de non-droit, les esclaves faisant l'objet de tous les
commerces et de tous les abus. Comme les Portugais, les
Espagnols et les Américains avant eux, les colons français
souvent d'ascendance noble, ont débarqué dans les îles
accompagnés de centaines d'esclaves. Une fois installé et
devenus de riches propriétaires fonciers, certains comtes et
autres barons installés en Martinique ou en Guadeloupe
trouvèrent un plaisir sadique à mutiler les esclaves et abuser
des femmes. La mise à mort des voleurs et autres criminels
était aussi banale que les contrats négriers.
Mais un siècle plus tard, la Révolution française de 1789 bouleversa ce régime
"royal" accordé aux colonies. Le 15 mai 1791, l'Assemblée nationale accorda le droit
de vote à certains hommes de couleur. Ce début d'émancipation inquiéta les colons
blancs installés à Saint Domingue qui envisageaient de proclamer l'indépendance de
l'île pour préserver leur économie florissante. Cette demi-mesure instaurée par Paris ne
satisfaisait pas non plus les esclaves affranchis mulâtres tel François Ogé qui
réclamaient une véritable égalité entre esclaves et colons.
Le 14 août 1791, au cours d'une cérémonie vaudou dirigée par le prêtre Boukman au
Bois-Caïman, près de Morne-Rouge, les esclaves qui avaient fui les plantations et
s'étaient réfugiés dans les forêts (appelés esclaves marrons) revendiquèrent l'abolition
de l'esclavage.
Un soulèvement populaire s'en suivi le 22 août 1791, dirigé par Boukman et ses
lieutenants. Durant cette insurrection des centaines de sucreries et de caféières
(plantations de café) furent détruites. Des centaines de Blancs furent massacrés. Ce
sera le début d'une longue guerre qui conduira à l'indépendance de la colonie.
Les insurgés noirs reçurent le soutien des affranchis, dont le célèbre François Ogé.
La révolte sera finalement organisée par François Toussaint, un cocher âgé de 48 ans et
affranchi depuis 15 ans. Il entra au service de François Biassou et ne tarda pas à faire la
preuve de son courage et de sa détermination pour abolir l'esclavage. François
Toussaint sera surnommé "L'ouverture" (Louverture) en raison de sa bravoure.
Le 28 mars 1792, l'Assemblée législative vota l'égalité de droit entre tous les
hommes libres. Excluant les esclaves de tout droit, cette nouvelle demi-mesure ré
attisa la révolte des esclaves à Saint Domingue.
A la même époque, les Espagnols envisagèrent d'envahir le territoire français de
Catalogne. L'exécution de Louis XVI en 1793 marqua le début de la guerre franco-
espagnole dans les Pyrénées orientales.
A gauche, rébellion d'un esclave sur un bateau négrier. Peinture réalisée par Edouard Antoine Renard en 1833. A droite, la Révolution française et la prise de la Bastille le 14 juillet 1789. A droite de l'image,
en jabot de soie blanc le gouverneur De Launay est emmené à la guillotine par les assaillants. Voici un autre dessin de Jean et Pierre Le
Campion (propriétaire des droits inconnu). Documents Musée du Nouveau Monde de La Rochelle et RMN.
Dans les colonies, conformément au Traité de Tordesillas, les Espagnols occupaient
la partie orientale de Saint Domingue (Santo Domingo). Ayant eu vent de la guerre
franco-espagnole, Toussaint Louverture et Biassou négocièrent avec les Espagnols le
droit de combattre les Français en échange d'une promesse de liberté pour tous les
esclaves. Les insurgés acceptèrent et Toussaint Louverture fut promu lieutenant
général dans l'armée espagnole et reçut le commandement d’un bridage de 4000
hommes.
Devant l'ampleur de la révolte des esclaves et face aux menaces d'invasion anglaise
et espagnole, les commissaires de la République française Sonthonax et Polverel se
résignèrent à proclamer la liberté générale des esclaves.
C'est ainsi que le 29 août 1793 la province du Nord de Saint Domingue fut libérée et
le 4 septembre les régions Ouest et Sud de l'île. La Convention généralisa ces décisions
par le décret du 4 février 1794 abolissant l'esclavage dans l'ensemble des colonies
françaises. Mais en 1802, sous l’influence du lobby colonial, Napoléon Bonaparte
rétablit l'esclavage et la traite des Noirs.
Entre-temps, à partir de 1792 les puissances Françaises et Anglaises s’affrontèrent
dans plusieurs parties du monde et notamment aux Antilles. Plusieurs îles passèrent
alternativement entre les mains des belligérants jusqu'en 1815. Finalement, la Jamaïque
et la Barbade par exemple passèrent définitivement aux mains des Anglais tandis que
la Guadeloupe et la Martinique parmi d'autres îles restèrent aux mains des Français.
Après avoir visité l'Amérique, certains Etats du Sud, le
Mexique et Cuba, à partir de 1830 l'écrivain français
Victor Schoelcher d'origine alsacienne fut sensibilisé par
la traite négrière. Dix ans plus tard il écrivit plusieurs
livres sur le sujet dans lesquels il exprima son désir
d'abolir l’esclavage immédiatement et non de manière
progressive. Il décrivit notamment les effets bénéfiques
de la suppression de l’esclavage dans les colonies
britanniques pour convaincre les esclavagistes français
que la liberté du travail n’était pas synonyme de ruine
pour les colonies.
En 1848, sous l’IIème République, Victor Schoelcher
fut nommé sous-secrétaire d'Etat aux Colonies françaises.
Héritier des courants abolitionnistes, le 27 avril il parvint
à faire signer le nouveau décret d'abolition de l'esclavage.
Dans son article premier il stipule : « L'esclavage sera
entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions
françaises, deux mois après la promulgation du présent
décret. A partir de la promulgation du présent décret
dans les colonies, tout châtiment corporel, toute vente de
personnes non libres, seront absolument interdits ».
Victor Schoelcher sera député de la Guadeloupe en
1849. Il mourut dans les Yvelines (F) en 1893.
Aujourd'hui, la Martinique pour ne citer qu'une seule colonie française d'outre-mer
est devenue une destination de villégiature pour nombre de francophones. Mais les
Européens doivent venir en Martinique sans préjuger et en acceptant les gens tels
qu'ils sont. Le peuple est chaleureux, il est simple mais il est susceptible car les
Martiniquais comme tous les Antillais ont conservé la mémoire du passé et de
profondes blessures.
Après le Portugal, la France fut la deuxième grande puissance à abolir l'esclavage.
L'Espagne attendra de subir les guerres séparatistes Créoles et l'abolition de l'esclave
aux Etats-Unis (1865) pour abolir à son tour l'esclavage en 1886.
Mais ce n'était pas pour autant que l'esclavage n'existait plus dans les colonies,
notamment en Afrique. Le commerce des esclaves continua quelques temps,
principalement à destination des pays musulmans (Afrique Noire, Europe, mer Noire).
Voyons à présent qu'elle fut la situation sur le sol américain, et notamment les
raisons qui poussèrent ce pays à déclencher la Guerre de Sécession (Civil War) qui
conduira à l'abolition de l'esclavage.
Action dans les réserves indiennes à partir de 1830. Après l'affranchissement des
esclaves (voir plus bas), bon nombre d'anciens esclaves Noirs sont restés dans les
réserves indiennes, certains fondent des familles avec leurs anciens maîtres. Fier de
Emancipation à la Réunion. Huile sur toile d'Alphonse Garreau. Le député Sarda
Garriga apporte à l'île de La Réunion, le 20 décembre 1848, le décret abolissant
l'esclavage devant une foule calme et reconnaissante. A l'arrière-plan la statue de la liberté. Tableau exposé au Musée des Arts d'Afrique et
d'Océanie. Document RMN/Photo Jean-Gilles
Berizzi.
leur intégration, ces Noirs portaient des vêtements indiens, les rendant encore plus
atypiques parmi les "Peaux-Rouges".
Mais retournement bien ingrat de l'Histoire, de nos jours les indiens Cherokee qui
représentent la deuxième nation indienne des Etats-Unis après les Navajos ont voté une
loi leur permettant d'exclure de leur nation les descendants des esclaves Noirs qui
résident encore sur leurs terres. Les nations indiennes bénéficiant d'avantages et de
subventions du gouvernement américain, les critiques ne voient dans ce scrutin qu'une
façon pour les Cherokees de légaliser l'épuration ethnique. Bien entendu, les indiens
natifs et même les métisses de Baja Californie considèrent qu'ils ne font que protéger
leur communauté. En fait, si l'argent des subventions n'a pas d'odeur, il a bien une
couleur.
Le programme d'Abraham Lincoln : un casus belli
En 1854 naissait le Parti républicain, le GOP ("Great Old Party") comme on le surnomme
aujourd'hui, pour s'opposer à la loi Kansas-Nebraska autorisant la pratique de l'esclavage
dans ces deux Etats. Le ton était donné. Les Républicains voyaient dans cette loi la
preuve que les propriétaires d'esclaves du Midwest et du Sud conspiraient pour s'emparer
du pouvoir fédéral et envisageaient d'étendre l'esclavage à tout le pays. Avocat de
formation, Abraham Lincoln défendait également les vertus républicaines comme
l'opposition à l'aristocratie, à la corruption et à l'esclavage. Le Parti républicain était de
tendance centre-droite, proche des milieux d'affaires et assez conservateur. Aujourd'hui le
GOP en a gardé les traits bien que des courants opposés
évoluent dans ses rangs.
En 1857, alors que Lincoln était membre de la législature
de l'Illinois, il proposa à ses collègues républicains de
consacrer des fonds « pour retirer tous les Noirs affranchis
de l'Etat d'Illinois » et de les renvoyer dans leur pays natal.
Son idée sera violemment critiquée car son projet
d'émancipation des Noirs avait un prix.
Pour les 11 Etats du Sud dits Confédérés (51 villes
distribuées pour la plupart dans des zones agricoles), les
esclaves représentaient 38% de la population et
contribuaient à 23% de la richesse des Blancs. Le fait que
Lincoln envisageait de réduire les droits des propriétaires
d'esclaves était donc considéré comme une catastrophe
économique potentielle pour les Sudistes. Même ceux qui
n'avaient pas d'esclaves étaient prêts à défendre leur système
économique, au besoin par les armes.
On estime qu'à cette époque l'ensemble du "parc" des
esclaves Noirs présents sur le territoire des Etats-Unis
représentait une valeur marchande supérieure à 2.7 milliards
de dollars (de 1973, soit dix fois le prix des exportations
annuelles de coton en 1860). Bien sûr le gouvernement ne
pouvait payer une telle somme aux propriétaires en une fois
et comptait étaler les paiements sur 25 ans. Mais même ainsi
cela allait tripler les dépenses fédérales. Des solutions
Visage émacié et anguleux, au regard clair mais sévère et profond, le président Lincoln (1809-
1865) était avocat de formation et savait
défendre ses opinions et convaincre son auditoire.
C'était un homme déterminé à sauver
l'Union et la Constitution, quitte pour cela à user de la force. Photo prise en 1861. Document Civics
Online.
alternatives furent envisagées, comme le fait de laisser les enfants en esclavage jusqu'à
leur majorité, mais elles réduisaient peu la dette. Finalement le coût de l'émancipation
fut si élevé que même les anti-esclavagistes n'étaient plus d'accord de payer pour
"racheter" ceux qui possédaient des esclaves.
En parallèle, l'amélioration des conditions économiques dans le Nord et l'émergence
d'un capital industriel allaient bientôt faire s'effondrer l'organisation politique des
Etats-Unis. Ce changement socio-économique s'étendit d'abord dans les Etats du Nord
et du Nord-Est très peuplés (New-York, Chicago, etc.) puis de l'Ouest sans influencer
les Etats du Sud. Ainsi la population urbaine doubla partout dans les Etats-Unis sauf
dans les Etats Confédérés. Pour la classe bourgeoise et citadine, le temps d'un
changement de stratégie économique était venu et l'abolition de l'esclavage était l'une
des voies du succès. Comme le diront les historiens, la "révolution du marché" était en
route.
En 1858, Lincoln fit un discours sur les dangers de la désunion qui fera mouche
parmi les sénateurs. Le public sera également sensible à son éloquence et sa
détermination, portant sa réputation au grand jour.
En 1860, Abraham Lincoln fut choisi pour conduire la liste républicaine à l'élection
présidentielle. Il fut élu Président de l'Union le 6 novembre 1860 avec seulement
39.8% des suffrages, un score très faible qui s'explique par le fait que les Etats du Sud
voyaient en lui une menace pour leur économie.
Son discours inaugural parla d'amitié, de passion, d'union et de patriotisme. Figure
emblématique, le président Lincoln avait promis de ne pas étendre l'expansion de
l'esclavage sur le territoire de l'Union, sans pour autant l'abolir.
Bien que qualifié
d'abolitionniste et condamnant
la pratique de l'esclavage,
Lincoln, tout comme Jefferson,
favorisait en fait la
colonisation et donc la
déportation des hommes de
couleur. Son projet
d'émancipation des Noirs ne
s'appliquait qu'aux Etats
"rebelles", c'est-à-dire à ceux
qui s'étaient retirés de l'Union
et où l'esclavage n'était pas
encore aboli.
Le mandat présidentiel de Lincoln n'allait pas être facile. Son administration était
face à deux systèmes économiques incompatibles. D'une part, dans le Nord, les jeunes
patrons à la tête des industries naissantes souhaitaient développer leur marché intérieur.
Ils avaient besoin d'une politique protectionniste, de droits de douane et de prix élevés.
Ils étaient également en faveur de l'égalitarisme. D'autre part, dans le Sud au contraire
les propriétaires fonciers souhaitaient une politique de libre échange (absence de
barrière douanière, liberté de circulation des biens et service) afin d'écouler leurs
Les Etats américains concernés par l'esclavage (brun-rouge) vers 1860, c'est-à-dire 5 ans seulement avant son
abolition. Document Slavery In America.
produits agricoles vers l'Europe. Dépourvus d'industries, ils étaient en faveur de
l'esclavage.
Autrement dit, il était pratiquement impossible pour un industriel vivant dans le
Nord de vendre ses machines dans le Sud. En outre, en 1832 déjà le Congrès à
dominance Nordiste imposa une nouvelle taxe douanière que la Caroline du Sud
(Confédérée) jugea dangereuse pour son économie.
Les Etats Confédérés n'avaient pas d'autre alternative pour maintenir l'esclavage que
de rallier à leur cause les nouveaux Etats et territoires de l'Ouest. Mais ni l'Orégon ni la
Californie ne l'acceptait. En revanche, le Nord voulait stopper cette hémorragie (sauf 4
Etats du Midwest). La situation politique était donc tendue entre les Etats du Nord et
du Sud, propice à l'éclatement d'une crise qui conduira à la guerre civile.
La Guerre de Sécession (VI)
Le programme de Lincoln représentait en réalité une mesure de guerre. Son but,
écrivait-il, « est de sauver l'Union et ce n'est pas de sauver ou détruire l'esclavage. Si
je peux sauver l'Union sans libérer aucun esclave je le ferai, et si je peux la sauver en
libérant tous les esclaves je le ferai; et si je peux la sauver en en libérant quelques-uns
et en laissant d'autres seuls je ferai cela également ».
En 1861, Lincoln prit acte que les Etats Confédérés refusaient toute négociation et
comprit qu'ils iraient jusqu'à l'affrontement pour défendre leur système économique.
Leur attitude conduisit Lincoln à déclencher la "Guerre de Sécession" (Civil war) qui
opposa les Etats du Nord, fidèles à la Constitution, aux Etats du Sud esclavagistes.
Les Nordistes se rassemblèrent autour de la bannière étoilée (comprenant alors 33
étoiles, à ne pas confondre avec le drapeau de l'Union jack des Anglais) tandis que les
Sudistes se rassemblèrent un temps autour de l'étoile du "Bonnie Blue Flag" (que
portent encore certains avions) puis du "The Stainless Banner" également appelé
"Dixie flag", le drapeau croisé des Confédérés, symbole de la résistance et de la
tyrannie des Nordistes. Concernant les uniformes, les Nordistes portaient une tenue
bleue foncée tandis que les Sudistes portaient une tenue gris clair.
A consulter : Les premiers drapeaux américains (1776-1860)
Soldats de l'Union (gauche) et Confédérés (droite) durant la Guerre de Sécession (1861-1865). Au centre un affrontement autour des drapeaux. En 1861, les Unionistes se rassemblèrent autour
de la bannière étoilée. Les Confédérés portèrent le drapeau "Bonnie Blue Flag" de Floride, uni sous une seule étoile, puis adoptèrent le "Stainless Banner" croisé porté à l'origine par l'armée du
nord de la Virginie. Documents sdsoldiers et nordstaterne.
Précision historique, c'est durant la Guerre de Sécession que l'armée américaine
comprit le rôle essentiel du télégraphe inventé en 1844 par Samuel Morse. Cette
invention a priori anodine constitua en effet l'un des principaux outils tactiques de l'US
Army. Imaginez l'avantage stratégique que détient un Etat-Major s'il peut recevoir en
direct le statut de ses troupes et leur transmettre ses ordres par télégraphie sans passer
par des messagers. Aujourd'hui, une armée privée de moyens de communication est
morte, d'où l'invention des bombes électromagnétiques et à neutrons qui ne détruisent
que les systèmes électroniques et le matériel.
Parmi les généraux qui défendirent l'Union, citons les généraux Ulysses S. Grant,
George Meade et William T. Sherman, autant de noms devenus célèbres associés
aujourd'hui soit au monde politique soit à... des produits d'origine américaine
(télescope, char, etc.). Notons que le général de brigade Stand Watie était un chef
Cherokee et fut le seul général amérindien de la Guerre de Sécession.
Au début de la guerre, l'armée régulière Nordiste ne disposait que de 16367 hommes
d'active et perdit plusieurs batailles face au général Robert E. Lee. Les troupes de
l'Union seront rapidement décuplées pour atteindre 186000 hommes au début de la
guerre et seront équipées de beaucoup de matériel. Fin 1864, l'armée de l'Union
comptait plus d'un million d'hommes contre 358000 chez les Sudistes.
Au cours de la guerre, les soldats de l'Union seront 2 à 3 fois plus nombreux que les
Confédérés. Cette suprématie incita certains généraux à mener de très sanglantes
offensives qui décimèrent leurs troupes. Au total, les différents corps d'armée ont
participé à près de 15 batailles dont celle de Spotsylvania (Va.) et de Gettysburg (Pa.),
cette dernière ayant été particulièrement longue et sanglante.
En 1863, le général Lee conduisit ses
quelque 70000 hommes (3 corps
d'armée comprenant chacun 3 divisions
de 4 à 5000 soldats chacune, 1 corps de
cavalerie et une brigade) dans le Nord
jusqu'en Pennsylvanie. Il se heurta à
l'armée de l'Union commandée par le
général Meade et forte de 83000
hommes (7 corps d'armée comprenant
chacun 2 à 3 divisions de 3 à 4000
soldats chacune et 1 cavalerie).
Gettysburg sera le théâtre de la plus
grande bataille sur le sol américain.
Chaque camp perdit plus de 3000
hommes, il y aura plus de 14000
blessés de chaque côté et on dénombre plus de 5000 prisonniers ou disparus dans
chaque camp avec un peu plus de pertes chez les Confédérés. Après 3 jours de combats
au corps-à-corps, le 4 juillet, jour de la fête de l'Indépendance, les armées étaient à
nouveau face à face mais le général Lee fit évacuer le théâtre des opérations durant la
nuit et se replia en Virginie. Ce jour marqua la victoire de l'Union sur le front est. Au
même moment, le général Grant contrôla la vallée du Mississippi, coupant la
Confédération en deux.
Entre-temps, la Proclamation d'Emancipation abolissant l'esclavage fut écrite en
1862 et entra en application le 1 janvier 1863. L'idée de Lincoln de construire une
Amérique "blanche" a plus ou moins été abandonnée au milieu de la guerre (1863).
Les généraux Grant et Lee ainsi que Sherman et Johnston s'affronteront encore
durant deux ans sur les champs de bataille avant que les soldats de l'Union réussissent à
vaincre les Sudistes. Le 3 avril 1865, le général Grant s'empara de Richmond (Va.), la
capitale des Confédérés. Le 9 avril 1865, le général Lee fut vaincu à Appomattox (Va.).
Cet événement marqua la fin de la Guerre de Sécession.
Au total, la Guerre de Sécession mobilisa près de 2.8 millions d'Unionistes contre
750000 Confédérés sur une population totale de 31 millions d'habitants comprenant 9.5
millions de Noirs. Selon les chiffres officiels, il y eu 35% de désertion et d'absentéisme
dans les rangs de l'Union contre plus de 50% dans ceux de la Confédération.
Abraham Lincoln remporta la guerre puis fut réélu pour un second mandat
présidentiel. Malheureusement, il sera assassiné d'une balle tirée dans la nuque par
John Wilkes Booth, un sympathisant sudiste, le 14 avril 1865. Deux jours plus tard,
les dernières troupes rebellent capitulèrent. Deux mois plus tard, les derniers
Amérindiens capitulèrent à leur tour.
En mémoire du Président Lincoln
Le processus de Reconstruction se déroula en l'absence des conseils et des qualités
de leadership du Président Lincoln mais son nom ne sera jamais oublié. Le 18
décembre 1865, le Congrès américain vota un 13eme
amendement à sa Constitution : «
La "Bataille de Spotsylvania - Engagements" à Laurel Hill et NY River, Va, (8 au 18 mai 1864). Lithographie réalisée c1888. Copyright Kurz &
Allison. Documents Library of Congress.
Ni esclavage, ni aucune forme de servitude involontaire ne pourront exister aux É tats-
Unis ».
Une légende urbaine veut que la vie de Lincoln présente de nombreuses similitudes
avec celle de John Fitzgerald Kennedy. Mais les scientifiques n'y prêtent guère
attention.
Le Président Lincoln reste l’un des présidents les plus
admirés de l’histoire des Etats-Unis et le plus influent
de l'Histoire. L'Histoire retiendra qu'il a joué un rôle
vital comme dirigeant en préservant l'Union durant la
Guerre de Sécession et en déclenchant le processus qui
conduira à l'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis.
C'est également un personnage respecté pour son
charisme, ses discours et ses lettres, un homme aux
origines humbles dont la détermination et la
persévérance l'ont conduit au poste le plus prestigieux
de la nation.
Outre sa biographie qui occupera encore des
générations d'étudiants et de chercheurs, en son
hommage, de nombreux bâtiments,
institutions, monuments et objets portent son nom. Son nom a notamment été donné à
la capitale de l’Etat du Nebraska, sa statue figure à l'entrée du mémorial érigé à
Washington, D.C, son visage est sculpté sur le mont Rushmore (S.D., son portrait
figure à l'extrême droite), son effigie apparaît sur la pièce de 1 cent comme sur le billet
de 5 dollars, plusieurs modèles de voitures de luxe fabriquées par Ford portent son nom
(les modèles Lincoln Continental, Cabriolet, Fairlane, MKR, Town, Zephyr, etc.) de
même qu'un porte-avion de classe Nimitz (CVN-72) dont voici les caractéristiques
ainsi qu'un émetteur CB parmi de nombreux autres objets.
Aujourd'hui, le drapeau de guerre des Confédérés (le Dixie flag) fait toujours l'objet
de controverses et reste la cible des mouvements antiracistes. Pour les habitants du Sud
(Caroline du Sud, Mississippi, Alabama, Arkansas, Géorgie et Floride), ce drapeau
représente leur héritage historique mais pour les Noirs en particulier, il symbolise la
ségrégation, l'esclavage et signe les crimes racistes du Ku Klux Klan.
Aucune personne connaissant l'histoire de l'esclavage ne peut donc rester sans
réaction en voyant flotter un Dixie flag dans une administration ou chez un particulier.
Aujourd'hui, grâce à la pression des organisations des droits civiques, tous les Etats du
Sud ont été obligés de retirer leur drapeau Dixie des monuments publics et l'ont
remplacé par un autre motif d'inspiration Dixie.
In Memoriam
Ainsi qu'on le constate, partout dans le monde l'époque des colonies est restée dans
la mémoire collective comme une époque très sombre de l'Histoire européenne et
mondiale. Encore aujourd'hui, les descendants d'esclaves ont parfois du mal à avouer
ou à assumer leurs origines africaines tellement le mal est profond et a détruit jusqu'à
leur identité.
Statue du Président Abraham Lincoln à l'entrée de son
mémorial à Washington, D.C.
Parmi les esclaves célèbres citons Agar (l’étrangère en hébreu) qui selon la Torah et
l’Ancien Testament fut l'esclave égyptienne de Sarah (la première épouse d'Abraham),
le mercenaire campanien Spendios (fl. –238), le gladiateur d'origine thrace Spartacus
(120-70 av. JC), le philosophe grec Epictète (50 ap JC), le pape d’origine grec Calixte
1er (155 ap. JC) et le pape Marcel 1er (~250-309), l’écrivain grec Esope (VIIème siècle
ap. JC) ainsi que sa maîtresse Rodophe tout deux esclaves à la cour d’un roi de Samos,
le samuraï d’origine congolaise Yasuke (~1530-1582), Olivier Le Jeune originaire de
Madagascar (1622-1654) qui sera esclave au Québec, le gouverneur de Haïti (Saint-
Domingue) Toussaint Louverture (1743-1803), le général Dumas (Thomas Alexandre
Davy de la Pailleterie, 1762-1806) qui fut un acteur de la Révolution française,
l’écrivaine afro-américaine Harriet Ann Jacobs (1813-1897), l’homme politique
tunisien Kheireddine Pacha (1822-1890) ainsi que le botaniste et un agronome
américain George Washington Carver (1864-1943).
Venons-en à présent aux Temps modernes, au XXème siècle, qui présente également
son lot d'esclaves et de souffrances.
Du camp de redressement au goulag (VII)
Le XXème siècle, considéré comme celui du développement des sciences et des
techniques, où le pouvoir fut aux mains de gens soi-disant démocrates et "civilisés"
donnant des leçons de morale aux indigènes des colonies, fut également celui des
guerres les plus destructrices et des plus grands génocides.
Rien ne différencie l'esclave du travailleur forcé et le XXème siècle tout comme celui
dans lequel nous vivons nous en ont montré bien de tristes exemples.
Loin de l'Europe et du Nouveau Monde, c'est en Russie que Lénine (1870-1924) créa
le premier camp de concentration bolchevik (mouvement ouvrier russe partageant les
idées de Lénine) en 1918 et le premier camp de travail forcé du Goulag (acronyme de
"Glávnoie Oupravlénïe Lageréi" signifiant "Direction Principale des Camps de travail")
en 1919. En fait il ne faisait que reprendre pour le généraliser et le durcir le système
carcéral des camps de travail (Katorgas) créés sous le régime de la Russie tsariste.
En effet, dès le XVIIème siècle, époque à laquelle naquit la dynastie Romanov ("Tsar
de toutes les Russies") qui perdura jusqu'à la Révolution de 1917, des brigades de
travail forcé furent créées en Sibérie et en Russie orientale. Déjà à cette époque les
camps avaient pour but de terroriser la population afin de la soumettre au régime. Les
camps permettaient d'éloigner les opposants politiques ainsi que les marginaux, une
manière également de peupler par la force les régions reculées de Sibérie et d'exploiter
à vil prix les ressources (eau, charbon, minerai, pétrole) de l’immense Russie.
Entre 1920 et 1923, on dénombra en Russie 84 goulags regroupant environ 25000
prisonniers, soit le tiers de la population carcérale de Russie. Mais ce n'était que le
début de la répression.
A la mort de Lénine en 1924, Staline (1878-1953) était déjà Secrétaire général du
Parti Communiste d'URSS (il avait pris la direction du Parti au lendemain de la chute
du régime tsariste en février 1917). A partir de 1930 Staline ouvrit des goulags non
seulement en Russie d'Europe mais également en Biélorussie, en Ukraine, au
Kazakhstan, en Mongolie et plus tard dans les pays de l'Est (Hongrie, Pologne et
Tchécoslovaquie).
Entre 1930 et 1932, 2 millions de paysans furent déportés dans des villages d’exil et
100000 vers les goulags. Durant les purges staliniennes de 1936 à 1938, 700000
personnes furent déportées dans les goulags et entre 1940 et 1941, quelque 500000
personnes supplémentaires habitant la Pologne, les pays Baltes, la Bessarabie et le
Bukovine seront déportées. L'épuration continua entre 1943 et juin 1944 où 900000
Ukrainiens et autres Tatars ainsi que 130000 Grecs, Arméniens, Turcs et Kurdes seront
arrêtés et déportés. En l'espace de 15 ans, plus de 2.3 millions de personnes opposées
au régime soviétique ou victime du "délit de sale gueule" ou d'épuration ethnique
seront déportées vers les camps du Goulag !
Entre-temps l'Allemagne nazie entra en guerre. Adolf Hitler fut
élu, faut-il le rappeler, démocratiquement à la chancellerie du
Reich en 1933. Mais en quelques mois il bascula le pays dans la
dictature la plus violente. Hitler introduit les camps de
concentration en 1933 dans le but de rééduquer ou d'éliminer
toute les opposants au régime nazi. Ces camps rassemblaient au
début les Allemands antinazis (communistes, socio-démocrates,
Juifs, objecteurs de conscience, catholiques, etc.). A partir de
1939 ils y déportèrent les Polonais puis les prisonniers de guerre
russes. Cela s'étendra finalement aux ressortissants d'une
vingtaine de nations et en particulier aux races jugées
"inférieures" (Juifs, Tziganes, Slaves, etc.).
Les camps de travail forcé seront ouverts à l'automne 1941 en
Slovaquie lorsque l’IIIème Reich promulgua un "Code Juif"
(port du brassard jaune, de l'étoile, interdiction des mariages
mixtes, etc.) et commença la déportation des Juifs vers les camps de concentration. En
moins de dix ans les Nazis condamneront à mort environ six millions de Juifs. Cette
extermination systématique des Juifs d'Europe sera appelée la "Shoah" (à ne pas
confondre avec l'holocauste qui est un sacrifice religieux d'un animal).
Il faudra attendre la fin de la guerre en 1945 pour libérer les travailleurs forcés et les
survivants des camps de concentration. Beaucoup de survivants en garderont des
séquelles à vie.
En Russie, les camps du Goulag trouveront leur apothéose entre 1946 et 1953
lorsque leur organisation passera entre les mains du Ministère des Affaires Intérieures
(MVD). Ils seront alimentés par la "Guerre froide" sous le motif que le régime avait
besoin de mains-d’œuvre pour combattre les "impérialistes occidentaux" (les créateurs
d'Empire et les adeptes du néo-colonialisme).
Libération de travailleurs forcés d'Allemagne en
1945.
Sous les régimes de Nikita Khrouchtchev (1953-1964) puis de Leonid Brejnev
(1964-1982) les camps du Goulag seront "humanisés" et la discipline assouplie mais ils
rassemblèrent toujours les opposants politiques. C'est à cette époque que le monde
entendit pour la première fois parler des goulags à travers les témoignages d'anciens
prisonniers tels que les dissidents (militants des Droits de l’Homme) Varlam Chalamov,
Alexandre Chliapnikov, Andreï Sakharov ou Alexandre Soljenistyne. Leur combat
traduit dans plusieurs livres et interviews sera médiatisé par Amnesty International
dans les années 1970.
Il faudra attendre l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev (1985-1991), initiateur
de la "glasnost" (politique de transparence) pour que tous les camps soient
définitivement supprimés. En 1990, Gorbatchev reçut le prix Nobel de la Paix pour son
action en faveur de la fin de la "Guerre froide". Mais devant l'état chaotique du pays,
tous les Russes n'applaudirent pas l'action de l'homme politique.
Aujourd'hui, on estime qu'entre 1920 et 1990 entre 3 et 4 millions de prisonniers
succombèrent dans les camps du Goulag ! En fermant les camps, l'Etat russe reconnut
sa faute mais les familles des victimes pleurent toujours leur père, leur frère ou leur
enfant disparu.
L'Allemagne et la Russie du siècle dernier représentent les empires emblématiques
de la répression poussée à l'extrême, qu'elle soit de droite ou de gauche. Leurs
dictateurs respectifs légalisèrent pratiquement le travail forcé, le génocide religieux ou
ethnique et l'assassinat des opposants. Mais ce ne sont pas les seuls. Il faut rappeler les
exactions commises par le régime de Mao Tsé-Tung (1893-1976) en Chine, les luttes
violentes de Che Guevara (1928-1967) et de Fidel Castro (né en 1926) à Cuba et le
régime sanglant des Khmers Rouges de Pol Pot (1925-1998) au Cambodge parmi
d'autres. Tous ces leaders contrôlèrent d'une main de fer une organisation communiste
qui fut toujours autoritaire et d'une brutalité extrême. Tous ces régimes ont banalisé le
culte de la personnalité, les abus de pouvoir, l'oppression et le meurtre.
Ces caractéristiques qui semblent a priori peu refléter la nature humaine méritent
qu'on s'attarde quelques instants sur l'idéologie du communisme. Sans vouloir
déculpabiliser personne, on comprendra mieux ainsi les raisons qui peuvent pousser
certains hommes à de tels excès. Retour au temps de la propagande, à une époque
troublée mais pas si lointaine.
Du camarade au anti-héros
Explorons le temps d'un chapitre les conséquences
idéologiques, politiques et socio-économiques du régime
communiste. On a dit le meilleur comme le pire à propos
du communisme. Encore aujourd'hui certains
mouvements politiques s'en revendiquent. Mais leurs
membres ont-ils bien conscience de toutes les
conséquences de leurs actions quand ils disent adhérer
aux idées d'un parti communiste ? On peut franchement
en douter quand on connaît l'histoire du communisme et
ses déboires. Après avoir vu le côté obscur de ce régime
gauchiste, un petit rappel théorique n'est pas superflu.
Selon le philosophe et écrivain allemand Karl Marx
(1818-1883), une idéologie est une représentation de la réalité propre à une classe
sociale. C'est également une doctrine politique (un ensemble d'idées) qui peut inspirer
un programme d'action. Par définition, cet ensemble cohérent d'idées est accepté sans
la moindre critique. Son contraire est la science.
Mais dans l'esprit de Karl Marx, dans la pratique du pouvoir communiste, cette
vision doctrinale du monde n'est en réalité qu'un mensonge entretenu par une classe
privilégiée pour défendre ses intérêts matérialistes et le pouvoir en place au détriment
des classes sociales défavorisées. Ainsi, dans un régime communiste classique, c'est la
propagande autour des idéologies de la classe dominante qui finit par convaincre le
peuple que les idées et les intérêts du régime sont également les intérêts de tous. Nous
avons malheureusement apprécié au cours de l'Histoire combien les intérêts du peuple
étaient pris en considération par les dictateurs et autres potentats à la solde des régimes
totalitaires.
D'où l'idée de la lutte des classes du marxisme : "l’émancipation des travailleurs
doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes". Malheureusement, entre les mains d'un
seul individu, cette idéologie conduit à l'anarchisme, c'est-à-dire une société sans
gouvernement. Peut-il exister de l'ordre sans une autorité ? Certains courants
socialistes et écologistes le pensent. Rappelons qu'une idéologie politique entre les
mains d'un collectif conduit au socialisme (prônant l'égalitarisme et la solidarité) et
entre les mains de l'Etat elle conduit bien sûr à la démocratie (république ou royauté).
Aujourd'hui, au-delà des clivages gauche-droite, il reste peu de partis communistes
dans les démocraties. Le Parti Communiste Français (PCF) par exemple recueille
environ 5% des suffrages, soit à peine plus que les partis d'extrême-droite. Connaissant
l'évolution de nos démocraties, on peut s'étonner que les partis communistes existent
encore dans nos sociétés.
Car sous son image démocratique et un programme social, le PCF s'est voilé la face
durant plus d'un demi-siècle devant les exactions du régime soviétique. Son
aveuglement par la propagande fut tel que dans les années 1970 les ministres
communistes français proclamaient encore haut et fort tous les bienfaits du régime
communiste alors que les Présidents Brejnev et Mao Tsé-Toung enfermaient les
opposants politiques et les intellectuels dans des camps de travail forcé et n'hésitaient
Karl Marx en 1875.
pas à sacrifier leur peuple pour prétendre "jouer dans la cour des grands" et défendre
leur image de grande nation moderne et progressiste ! Bien sûr vous me direz que la
France, l'Angleterre ou les Etats-Unis n'ont pas fait autre chose en irradiant les
populations du Pacifique avec leurs bombes nucléaires... Effectivement, c'est l'une des
faiblesses des démocraties. On y reviendra.
Quelle est aujourd'hui l'attitude ou le profil des membres
des partis communistes européens ? Longtemps, on trouvait
dans leurs rangs des militants convaincus rêvant d'une société
égalitaire, des intellectuels déçus par le capitalisme et des
ouvriers peu instruits ne jurant que par la lutte prolétarienne.
Si leur discours n'a pas changé, paradoxalement on les
retrouve 40 ans plus tard au poste de contremaître, contrôlant
le travail d'autres ouvriers ou occupant un siège municipal et
protégeant les grandes sociétés de leur région au détriment
des petits commerces. Embourgeoisés, ils sont prêts à
sacrifier des travailleurs pour conserver leurs privilèges !
On dirait que pour ces militants de la première heure, la
sagesse de l'âge leur a fait perdre l'odeur de l'argent et qu'une
veste se retourne en fonction du sens du vent et des majorités
politiques.
Tristes gens qui ne se rendent même pas compte qu'ils sont
eux-mêmes des marionnettes à la solde des lobbies et des
multinationales qui demain délocaliseront en Asie du Sud-Est
ou en Europe de l'Est.
En attendant, ce sont les prolétaires et les petites mains qui
peinent et encaissent les coups durs tandis qu'eux, bien assis
sur leur rond de cuir, amassent gloire et fortune.
Qui n'a pas connu dans sa vie professionnelle un ouvrier
devenu manager ou fonctionnaire qui était plus tyrannique
envers ses anciens collègues que l'équipe dirigeante, souvent
formée dans de hautes écoles. Comme si pour certains, le
pouvoir était synonyme d'oppression... Et de fait il peut le
devenir.
Certains militants des rares partis communistes existant encore, sans doute peu féru
d'histoire ou nostalgiques des grandes luttes sociales, brandissent ostensiblement le
drapeau de la faucille et de l'enclume ou une Etoile Rouge démodée et même parfois le
poster de Che Guevara ou le "Petit Livre Rouge" de Mao. Le poing levé, ils
revendiquent la lutte prolétarienne. Si leur combat peut-être noble et vise à créer une
société plus égalitaire et moins avide de richesses, qu'ils n'oublient jamais que ces
symboles communistes sont synonymes d'oppression et d'épuration ethnique. En ce
début de 3eme millénaire, le peuple a besoin de nouveaux repères et de nouveaux héros.
C'est bien simple, la commémoration des 40 ans de la mort du "Che" n'a été célébrée
qu'à Cuba - où plus qu'un héros, "l'Argentin" est une institution - et en Bolivie, terre de
son exécution le 8 octobre 1967.
Activiste politique bolivien, Che Guevara a mené la guérilla cubaine entre 1956 et 1967 avant
d'être exécuté par les forces spéciales
boliviennes. Symbole le plus fort de la révolution
marxiste et de la lutte des classes pour les uns, pour les autres le "Che" est un terroriste au sens moderne qui instaura les
camps de travail et fit régner la peur et le
chaos à Cuba, avouant même devant les
Nations-Unies qu'il continuerait à tuer et tuer
les opposants.
Aujourd'hui la lutte ouvrière passe par la gauche ou par la droite, l'essentiel étant de
changer les mentalités et le fonctionnement laxiste et bien trop lourd des institutions.
Mais à l'heure de l'Europe, cela doit être organisé au sein d'une politique européenne
plus solidaire et protectionniste, n'en déplaise au G20, à l'OCDE ou à l'OMC.
Ceux qui vouent encore un culte aux luttes de Fidel Castro, Che Guevara, Pol Pot,
Mao, Staline ou Lénine ne doivent pas non plus oublier que tous ces anti-héros ont du
sang sur les mains, qu'ils ont créé des camps de travail forcé pour rééduquer les
opposants, emprisonnés des dissidents et des pacifistes, torturés des centaines ou des
milliers de personnes dans les prisons et affamé leur peuple. Tous sans exception et
malgré leurs beaux discours révolutionnaires à l'idéologie socialiste, communiste,
maoïste ou marxiste ont échoué en essayant de redresser leur économie. Ils ne valent
finalement pas mieux que les dictateurs. Ils ont semé la peur et le chaos, forçant le
peuple à l'exil. L'échec du communisme est total et représente une autre page sanglante
de l'Histoire des hommes.
Si la lutte contre l'impérialisme (certains altermondialistes y incluent même les
institutions internationales), la libéralisation de notre société (suppression des
monopoles, délocalisation, etc.) et de meilleures conditions de vie pour les pauvres
restent des valeurs d'actualité, que les communistes résidents dans nos pays
démocratiques et opposés aux gouvernements en place apprécient leur liberté. Qu'ils se
rappellent bien comment de nos jours le régime communiste chinois ou celui de Corée
du Nord traite les intellectuels et les vrais défenseurs de la liberté... Certes l'image est
rouge, mais c'est du sang de ses victimes ! Ne vous méprenez pas, le communisme
entre les mains d'une personne ou d'un parti autoritaire et intolérant est dangereux. En
voulez-vous une dernière preuve ?
Tiananmen, 1989... Rappelez-vous cette image de Tiananmen qui fera le tour du monde. Nous sommes
place Tiana à Pékin (Beijing), le 5 juin 1989. Des journalistes occidents munis de leur
appareil photo assistent à la scène depuis l'hôtel Beijing Fandian situé sur le boulevard
Dongchang'anjie.
Sur la place Tiananmen située au
sud de la "Cité Interdite" et de la
ville de Pékin, de violentes
manifestations opposent depuis la
veille les Pékinois au gouvernement.
La veille, une manifestation
d'étudiants avait tourné au carnage,
la police ayant tiré à balles réelles et
tué entre 300 et 3000 personnes !
Cette fois, un homme seul affronte
les chars communistes. On imagine
le pire mais le conducteur du char de
tête arrête son convoi. Il essaye
d'éviter l'homme en manœuvrant par
la gauche et par la droite mais
chaque fois l'homme intrépide
Le symbole de la résistance passive du peuple face à l'oppression. Place Tiana à Pékin (Beijing), le 5 juin 1989, un homme seul affronte les chars
communistes... Nul ne sait s'il vit encore. Document AP/Jeff Widener.
s'interpose. L'homme monte finalement sur le char et essaye de négocier avec le soldat.
Rapidement le contestataire est éloigné par quelques personnes et disparaît dans la
foule.
La rumeur raconte qu'il fut pris par des policiers et exécuté 14 jours plus tard mais
ceci n'a jamais été confirmé. En 1990, Jiang Zemin, alors Secrétaire général du Parti
communiste chinois indiquait à des journalistes qu'il ne pensait pas que l'homme
dénommé Wang ait été tué. D'autres sources indiquent qu'il vivrait actuellement à
Taiwan mais nul ne peut le confirmer.
Depuis cette date, le gouvernement chinois a installé des filtres électroniques qui
censurent les grands sites Internet évoquant l'événement et de manière générale tous les
sites prônant la démocratie. Voilà le visage moderne du communisme !
Aujourd'hui, en Occident ce cliché et quelques autres symbolisent la résistance
passive du peuple face à l'oppression. Ils témoignent que derrière la propagande et sous
prétexte d'élever la nation, le communisme a toujours résolu ses problèmes par la
violence et dans le sang. En créant une société sans classe et sans Etat, on aboutit à une
organisation sociale primitive dans laquelle il n'y a ni échange commercial ni argent ni
propriété. Malheureusement, en cours de production tout le monde n'a pas les mêmes
besoins et il se crée naturellement des classes de privilégiés et nous savons maintenant
où cela peut nous conduire.
La démocratie, seul rempart face à l'intolérance
Au risque de revenir sur des notions a priori connues à travers l'actualité mais qui
visiblement n'ont pas été bien comprises par tous, il faut insister sur le fait que le même
risque d'oppression existe bien entendu sur l'aile droite du pouvoir et en fait sous
n'importe quel régime non démocratique et intolérant qui élève le parti unique,
communiste ou non, la dictature ou même la théocratie (Cf Taliban) au sommet de la
nation, lui accordant un pouvoir sans limite.
Citons par exemple les régimes dictatoriaux d'Adolf Hitler
(Allemagne), Francisco Franco (Espagne), Jorge Videla
(Argentine), Augusto Pinochet (Chili), Mobutu Sésé Séko
(Zaïre), Yeóryios Papadópoulos (Grèce) et Sadam Hussein (Irak)
parmi d'autres. Tous ces noms sont associés aux pires malheurs.
Tous furent des chefs militaires adeptes du culte de la
personnalité, de l'endoctrinement, de la répression, de la torture
et des condamnations sommaires pour asseoir leur pouvoir et
entretenir leur mythe.
Ces despotes et autres tyrans ont toujours existé. Rappelez-
vous de la politique dictatoriale de Jules César ou de Napoléon
Bonaparte (Napoléon 1er). Tous deux furent des génies politiques
mais également des tyrans militaires qui asservirent l'Europe. Si
les Romains divinisèrent Jules César (apothéose) alors qu'il fut
un dictateur, n'oublions pas que c'est Napoléon qui rétablit
l'esclavage dans les Antilles.
Napoléon 1er sur son trône impérial. Portrait réalisé par
Ingres en 1806.
Bref, tout régime totalitaire, où l'Etat absorbe la société civile et où l'idéologie
devient un dogme imposé aux intellectuels, est incompatible par nature avec la
démocratie.
En protégeant les institutions démocratiques, l'avis de la majorité et les libertés
individuelles, on peut espérer élever nos sociétés vers un mieux vivre général. Certes,
la "dictature de la majorité" a ses inconvénients mais pour paraphraser le philosophe
Ernest Renan, je souhaite du plaisir à celui qui a une meilleure idée.
Platon avait vu juste. Voici 2400 ans dans "La République", il énonça cette vérité
universelle : "Selon toute vraisemblance, aucun autre régime ne peut donner
naissance à la tyrannie que la démocratie; de la liberté extrême naît la servitude la
plus complète et la plus terrible". L'Histoire lui donnera raison. Nous savons
aujourd'hui que sous des idées démocratiques séduisantes mais autoritaires et
intolérantes peuvent se cacher un dictateur sanguinaire. Soyons vigilants et
débusquons la bête avant qu'elle nous saute au coup !
Mais dans nos démocraties comme ailleurs, une autre forme d'oppression subsiste
encore aujourd'hui : l'esclavage moderne. Ce sera l'objet du dernier chapitre.
L’esclavage moderne (VIII) Si en théorie l'esclavage a été aboli dans tous les pays depuis les années 1980, en
pratique on constate qu'il a pris de nouvelles formes et s'est adapté aux nouveaux
visages de la société. Le fléau séculaire est devenu moins violent physiquement parlant
mais il est plus sournois et plus sordide car les victimes ont aujourd'hui plus conscience
que jamais de leur condition d'esclave mais constatent avec désespoir que le public
reste insensible à leur douleur, mal informé ou préférant tourner la tête. Heureusement,
l'ONU, les ONG et bien sûr les médias font leur possible pour aider les victimes et
dénoncer les marchands d'esclaves.
Dans son rapport du 26 juillet 2006, l’Human Rights Watch (HRW) rapportait que la
violence et des conditions proches de l’esclavage existaient toujours dans 12 pays,
principalement des abus contre les travailleurs domestiques. Mais ainsi que nous allons
le découvrir, un recensement rapide permet toutefois de multiplier ce nombre par deux
sinon plus.
Dans les faits, le Bureau International du Travail (BIT), qui dépend de l’ONU, ne
dénonce pas exactement l'esclavage, mais l'ampleur du travail forcé dans le monde,
qu'il définit comme : « le travail ou le service exigé [qui] est exécuté sous la menace
d’une peine et contre la volonté de la personne ».
Dans un rapport publié le 11 juin 2005, le BIT estime que 12.3 millions de
personnes sont touchées par ce "fléau social" qui revêt des formes très diverses que
nous allons décrire.
Bien que le travail forcé soit interdit par la Convention 29 du BIT depuis 1930, nous
avons vu qu'il fut couramment pratiqué à grande échelle en Russie et en Allemagne et
plus récemment au Cambodge. Il se pratique encore dans certaines prisons, notamment
aux Etats-Unis, en Israël, en Chine, en Corée du Nord et dans certaines entreprises
d'Afrique et d'Asie, bref personne n'a retenu les leçons du passé. Pire, presque tous les
gouvernements se fichent des conventions internationales quand la sacro-sainte
"Raison d'Etat" est en jeu, notamment lors d'une guerre ou d'un renversement d'un
régime.
Selon le BIT, le travail forcé est présent sur toute la planète, y compris dans les pays
occidentaux, mais il se développe essentiellement dans les pays pauvres où règne à cet
égard non plus un vide mais un abîme juridique ! Il touche d’abord les femmes (56%)
et les jeunes de moins de 18 ans (40%). Corvéable et docile, cette main-d’œuvre est
très lucrative pour le secteur privé et prospère dans l’indifférence de nombreux
gouvernements.
De nos jours, la forme la plus banalisée de travail forcé est
celle des employées de maison utilisées par les particuliers
et certaines ambassades qui représentent tous les signes des
esclaves modernes.
Que nous soyons en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient,
en Asie ou ailleurs, des jeunes filles pauvres et parfois
illettrées venues des campagnes sont invitées à faire du
babysitting, des ménages ou à rendre de menus services.
Mais la plupart du temps leurs espoirs s’effondrent une fois
qu'elles ont passé le seuil de la porte car la nature véritable
de leur travail prend une toute autre forme.
Ainsi, au Maroc (Casablanca, Rabat et Tanger) quelque
66000 fillettes sont employées pour des travaux
domestiques. Selon le HRW relayé par le webzine marocain
"Yabiladi", « Les petites bonnes marocaines travaillent 126
heures par semaine et subissent des violences physiques et
sexuelles de la part de leurs employeurs. Elles triment entre 14 et 18 heures par jour
durant toute la semaine et sans aucun repos. Elles reçoivent uniquement 4 dirhams
par jour ». Un sondage indique que 83% de la population approuve le projet de loi
visant à criminaliser ces actes scandaleux.
Le travail forcé domestique peut également relever de la "servitude pour dettes"
comme il est de tradition en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie ainsi que nous
l'avons vu. Aujourd'hui, à grande échelle ce trafic d'êtres humains est organisé par des
mafias internationales.
Malgré sa pauvreté, l’Afrique Noire n’est pas épargnée. En effet, depuis des années
les ONG font appel à l'aide internationale et aux médias pour dénoncer l’esclavage qui
reste une pratique courante en Afrique où le BIT a recensé quelque 660000 esclaves
agricoles !
Au Niger, bien qu’une loi de 2003 punisse de prison l'esclavage, de nombreux
Nigériens sont exploités sans salaire et ne bénéficient d'aucun droit. Le gouvernement
minimise l'existence de cette pratique alors que le trafic des enfants n'est même pas
réprimé. On retrouve également des enfants maliens esclaves en Côte d'Ivoire que
l’on exploite dans les plantations.
Au Kenya le webzine "The Nation" (Daily Nation) de Nairobi dénonce les "ayahs",
ces jeunes filles esclaves auxquelles leur “propriétaire" confient les plus sales besognes
et généralement sans rémunération : charbon, tirage d'eau, nettoyage du linge, soins
Au Maroc, MmeYasmina Baddou, Secrétaire d’Etat chargée de la
Famille, de la Solidarité et de l’Action Sociale
veut criminaliser le travail des enfants.
aux animaux domestiques, cuisine, quand leur patron ne les exploite pas sexuellement...
La plupart de ces personnes n’ont pas de permis de séjour ni contrat de travail et vivent
prisonnière dans une cave ou un local à l’abri des regards. Certaines parviennent
heureusement à s’échapper de leur prison et à dénoncer leur exploitant.
En Mauritanie, le régime républicain en place tolère l’esclavage qui sévit encore
dans le nord et le centre du pays où des enfants font l'objet de rapt ou parfois de vente
hors de la Mauritanie vers les pays arabes.
En novembre 2006, l'agence de presse
Reuters dénonça l'esclavage dont faisait
l'objet des milliers de femmes Haratine dans
la société mauritanienne.
Alors que l'esclavage a été officiellement
aboli dans ce pays en 1981, on peut toujours
prêter ou louer un homme esclave (Haratine
ou abid) soit pour accomplir un travail
servile soit comme "étalon" pour féconder
des femmes esclaves, propriétés d’un autre
maître. Les esclaves ne se marient qu’en
fonction du besoin du maître : les enfants
sont séparés de la mère vers l’âge de deux
ans, et appartiennent au maître ; ils peuvent
être mutilés en cas de "fautes graves". Ces esclaves restent au service de leur maître
jusqu'à leur mort. Comble du mépris, ils sont privés jusqu’au droit d’héritage qui
revient à leur maître.
Au Soudan, le gouvernement de Khartoum n'a jamais voté les lois punissant
l'esclavage des Noirs ni même discuté de leur émancipation. En 1980, le gouvernement
chercha à légaliser cette pratique par des lois islamiques. Les juristes (uléma, les
docteurs de la loi, en fait des théologiens musulmans) ont considéré que l'esclavage
n'était pas interdit sur base religieuse mais que son abolition était de la compétence du
gouvernement à condition que les propriétaires soient dédommagés pour la perte subie.
A ce jour personne n'a jamais sollicité de compensation.
Depuis la découverte de pétrole en 1983, le Soudan reste un pays très instable en
proie à d'incessantes guerres tribales. Depuis février 2003, la population vivant dans la
région du Darfour située au nord et au nord-ouest du Soudan est victime d'une véritable
épuration ethnique que le monde entier semble ignorer. Un projet d'unification et de
constitution ont été proposés voici quelques années mais la guerre civile empêche tout
rapprochement des belligérants.
A Zanzibar, bien que le Royaume-Uni y ait interdit l'esclavage au XIXème siècle, les
habitants noirs ont conservé un statut de quasi-esclave.
La situation est tout aussi dramatique en Amérique centrale. Les travailleurs
centraméricains, pauvres et sans ressource sont otages des "maquillas". Au Nicaragua,
des ouvriers-esclaves sont employés dans les zones franches. Idem en République
dominicaine ou des sans-papiers sont réduits en esclavage dans des camps de travail.
Taube Hmeid, esclave Haratine dans son propre pays, la Mauritanie. Document
Reuters.
Le trafic humain dans les Caraïbes est notoirement connu, puisqu'en 2005, le
"Bahama Journal" citait un rapport de l'Office international des migrations sur cette
activité.
A Haïti, les plus pauvres sont soumis à l'esclavage dans les plantations de canne à
sucre. Ils vivent dans des campements misérables où ils sont maintenus en semi-
captivité.
Dès qu'ils savent marcher, donc vers 3-4 ans, la plupart des enfants haïtiens, qu'ils
aient des parents ou soient abandonnés, sont placés dans des familles plus fortunées.
S'il est convenu qu'ils aillent à l'école, généralement ils restent dans leur famille
d'accueil, d'où leur surnom de "Restavèk" en créole, où ils assurent toutes les tâches
domestiques. 70% des Restavèk sont des filles, 42% sont placés chez des parents,
parrains ou marraines, une pratique qui rappelle celle des Comoriens.
Si la plupart des Haïtiens n'ont pas
conscience de faire de mal à ces
enfants tellement cette coutume est
ancrée dans les mentalités, les
conflits se résolvent à l'abri des
regards, durant la nuit et dans la
violence, y compris par des brûlures
à l'huile bouillante. Pratiquement
aucun Restavèk ne dort dans un lit,
mais à même le sol et souvent sous
l'évier de la cuisine.
Pour faire bonne figure devant la
presse internationale, le Président
Aristide a rebaptisé pompeusement le Restavèk, "l'adopté informel", qui en dit long sur
sa volonté de vouloir changer les mentalités.
En Amérique du Sud également, l’esclavage agricole absorbe environ 1.5 millions
de travailleurs forcés.
L’ampleur de l’esclavage est préoccupante au Brésil. En 2005, le ministère brésilien
de l’Emploi a mené 183 raids contre les fermes des grands propriétaires (Fazendeiros).
4133 personnes réduites en esclavage ont été libérées par les autorités, le chiffre le plus
élevé depuis 10 ans ! Mais les autorités estiment que quelque 250000 personnes vivent
et travaillent toujours en semi-esclavage.
Comment le Brésil en est-il arrivé là ? Cette situation dramatique est née en 1964
avec l’instauration de la dictature militaire (1964-1985). En 1966, l’agence régionale
de développement SUDAM a ouvert la région d’Amazonie aux industriels ce qui
permit aux hommes d’affaires et aux Fazendeiros de devenir très riches.
Les propriétaires fonciers ont en effet employé des intermédiaires (gatos) pour
trouver de la main-d’œuvre serviable à merci parmi les ouvriers sans emploi pour
défricher leurs parcelles de bois, entretenir leurs plantations, travailler sur les chantiers
d'orpaillage dans le fleuve ou exploiter leurs mines à ciel ouvert creusées au milieu de
nulle part.
Un travailleur forcé libéré à Piaui au Brésil. Doct IOT.
La plupart de ces ouvriers viennent des régions pauvres et arides du Nordeste et du
Minas Gerais. Sans statut légal, ces pauvres gens sont traités comme des esclaves et
sont à la solde de leur employeur. Ils travaillent avec du matériel usé, inadapté, sans
hygiène et sans aucune sécurité quand ils ne consomment pas des aliments contaminés
au mercure. A ne pas confondre avec les Garimpeiros qui sont des mineurs locaux
indépendants. Ici señor, loin de la capitale, dans une région humide et boueuse,
uniquement accessible en 4x4 ou à pied, c'est la "loi de la jungle”. Les Fazendeiros
comme les hommes d’affaire font appel à des Pistoleros pour faire respecter la "loi du
plus fort".
A gauche, en Asie le travail voire la vente des enfants est jugée "normale" dans une société qui arrive à peine à survivre. Ils sont généralement exploités dans de petites besognes
artisanales (confection, manutention) mais où les risques d'accidents ne sont pas moins élevés. A droite, cette jeune fille s'appelle Surekha et vit en Inde. Elle est esclave domestique et doit vivre dans une pièce sale mesurant 1x2m. Elle y prépare la cuisine et y dort, entourée de ses quelques effets personnels. Son maître lui a transmis le SIDA. Aujourd'hui 0.9% de la population indienne est touchée par cette maladie. De toute évidence, bien que l'Inde soit un état démocratique, les droits de l'homme y sont toujours bafoués. Les hindouistes comme les
musulmans modérés prônent la tolérance, le respect de la vie et sont soi-disant prudes, choqués quand un couple s'embrasse en public ou qu'une femme montre ses formes mais
l'esprit de caste et le mépris des plus faibles reste d'actualité. Documents NGS.
En Inde, depuis toujours les Indiens des classes les plus modestes et oubliés par le
gouvernement et les Maharaja sont contraints d'envoyer leurs enfants gagner leur vie
dès l'âge de la puberté si pas plus tôt encore. Sans ressource et sans aide, ces enfants de
la rue vont rejoindre des milliers d'autres mendiants dans un pays qui interdit la
mendicité ! La police les traite comme des chiens dans l'indifférence de la population
qui a d'autres bouches à nourrir.
Concernant les jeunes femmes, le journal "Kerala News" constate que "les abus sont
légion" et vont jusqu'à la prostitution. Il rappelle que des émigrées indiennes "finissent
esclaves chez des Arabes".
En Corée du Nord, les ouvriers qui se révoltent sont enfermés dans des camps de
redressement ou sont condamnés à mort. C'est aujourd'hui l'un des pays les plus fermés
du monde où la propagande remplace la liberté d'expression.
En Chine, depuis des décennies c’est "Travaille et tais-toi". Les opposants politiques
(Cf. Tiananmen) et les intellectuels sont réprimés et tués tandis que le Bureau de la
censure veille sur Internet.
Même les employés sont maltraités. Selon le
quotidien "China Daily" de Pékin, les horaires des
ouvriers chinois comme les salaires ne sont pas
garantis. Il estime que 220000 personnes
d’origine rurales sont exploitées par des "urbains
pressés" à Pékin. Les ONG en place constatent
qu’il y a un gouffre entre les contrats et la réalité
qui se déroule dans un espace "privé", loin des
regards indiscrets.
Quant aux migrants désargentés, dont certains
ont donné toutes les économies de leur famille à
des passeurs clandestins, les Chinois leur font
miroiter un travail en Amérique. Leur rêve se brise quand ils débarquent dans une île
du Pacifique où ils deviennent des forçats du "Made in USA" au service de "Nike" et
autre fabricants peu scrupuleux.
En Birmanie le travail forcé est généralisé. Le pays vit sous un régime dictatorial
depuis 1962. Il est impossible de conduire une transaction commerciale ou d’engager
une activité économique sans avoir le support direct ou indirect de la junte. A cette
exploitation il faut ajouter le trafic des femmes et des enfants dans l’Est et le Sud-est de
l’Asie, notamment dans la région du Mékong (entre Laos et Birmanie).
La même situation se répète à grande échelle en Russie où l'activité économique des
principales métropoles est presque totalement entre les mains de riches clans mafieux
qui ont tissé un important réseau de trafic de biens et d'êtres humains avec tous les pays
d'Europe. La prostitution, le trafic de drogues et d'armes sont leurs principales sources
de revenus.
En Israël, le gouvernement estime qu'au moins 3000 jeunes femmes sont otages de
réseaux mafieux et forcées de se prostituer. L'ONG "The Task Force on Human
Trafficking" (TFHT) qui tente d'éliminer ce trafic estime que le nombre réel de femmes
sous le jouc de la mafia est de loin sous-estimé. Ces femmes travaillent 14 à 18 heures
par jour, recevant en moyenne de 10 à 15 clients sans tenir compte des risques et
d'aucune hygiène. Plusieurs femmes ont ainsi été contaminées par le SIDA.
Il ne faut pas croire que les pays occidentaux et soi-disant civilisés sont épargnés par
l’esclavage au sens large, que du contraire. Il semble que plus les gens ont d'argent,
plus ils prennent plaisir à exploiter les autres.
56% des travailleurs forcés sont des femmes, comme ici en Chine.
Document AFP.
Dans les pays riches, le BIT estime que
les arrière-boutiques d’Europe et des
Etats-Unis renfermeraient quelque 360000
travailleurs sans papiers et sans droits,
enchaînés par la peur des descentes de
police, pour le plus grand profit de leurs
exploiteurs.
Aux Etats-Unis, en l’an 2000 les
médias ont tiré à boulet rouge sur les
géants de la confection américaine
installés en Extrême-Orient, notamment
sur Nike et Adidas (Reebok) installés en
Indonésie. Rappelons qu’en 1980, Nike
quitta la Grande-Bretagne pour s’installer
en Corée du Sud et à Taiwan. Au début
des années 1990, le fabricant déplaça son
QG vers la Chine puis l'Indonésie, le Vietnam et Saipan, "l'île aux esclaves" où la
main-d'œuvre était huit fois moins chère qu'en Corée. Mais les ouvriers ont fini par se
révolter.
Nike comme Adidas et d’autres fabricants d’articles de sport n’ont pas hésité à
profiter des pauvres et des enfants pour fabriquer leurs chaussures et autres textiles à
un prix défiant toute concurrence. En Indonésie par exemple Nike payait les ouvrières
2.46 $US par jour et seulement 1.60 $US par jour au Vietnam. Elles pouvaient
fabriquer des dizaines de chaussures par jour qui se revendaient chacune entre 50 et
100$ aux Etats-Unis (au moins 50 € en Europe). On apprit ainsi que le salaire cumulé
des 6500 employés de Nike en Thaïlande équivalait à ce que gagnaient les 13 membres
du directoire de la firme ! Comme si cela ne suffisait pas, les responsables Indonésiens
de Nike abusaient également physiquement et sexuellement des ouvrières.
L’Europe ne s’échappe pas à l’esclavage et au travail forcé. Il y a tout d’abord
l’important trafic de jeunes femmes venues de Russie et d’Europe de l’Est pour
alimenter tous les réseaux underground occidentaux dont celui de la prostitution.
Chaque année la police appréhende des centaines de proxénètes, des dizaines de
réseaux mafieux sont démantelés. Malheureusement bien souvent les jeunes filles sont
renvoyées dans leur pays car elles ne peuvent prétendre au titre de réfugiée politique.
Mais ceci n'est que le sommet de l'iceberg. Selon un rapport du BIT publié en mai
2005, 2.4 millions de personnes sont victimes de la traite des êtres humains dans le
monde.
L’AFP nous rappelle que la France fut condamnée le 26 juillet 2005 par la Cour
européenne des Droits de l'Homme pour n'avoir pas suffisamment réprimé un cas
d'esclavage domestique dont avait été victime entre 1994 et 1998 une jeune Togolaise
employée sans rémunération par un couple parisien.
En Belgique le secteur de la construction et de l’Horeca exploitent depuis des années
de la main-d’œuvre non déclarée. Les autorités en manque d’effectif ont du mal à
contrôler ce trafic. Et la situation se répète ailleurs.
Enfants libérés de l'esclavage en Inde. Des ONG et des associations de particuliers
sensibilisés par leur détresse payent leurs frais de scolarité. Document Free The
Slaves.
En 2006, le "Sunday Telegraph" dénonça le fait que
des centaines d’enfants originaires d’Afrique, d’Asie et
d’Europe de l’Est arrivaient en Grande-Bretagne où ils
étaient réduits à l’état d’esclaves. Les jeunes victimes
entrent toujours clandestinement en Grande-Bretagne ou
grâce à des trafiquants qui se font passer pour des
membres de leur famille et exhibent de faux passeports.
Les enfants, une fois arrivés sur le sol britannique, sont
immédiatement mis au travail, vivent dans des
conditions de vie épouvantables et sont l'objet de
mauvais traitements physiques et d’abus sexuels. A ce
jour le gouvernement britannique ne s’est toujours pas
attaqué à ce problème de maltraitance. Les ONG
appellent à une action urgente pour mettre un terme à
"l’exploitation cruelle et scandaleuse des enfants".
En Italie, presque chaque année des "camps de travail
forcé" sont démantelés dans le sud du pays. En 2007, ils
exploitaient notamment de jeunes adultes sans emploi
venus de Pologne.
Au Portugal, on découvrit en 2002 que le secteur du
bâtiment exploitait une main-d’œuvre en provenance des pays de l'Est, prise dans les
filets des mafias du recrutement.
Dans tous les pays européens ce marché parallèle s’étend aux chômeurs qui pour
survivre et gagner quelques euros de plus n’hésitent pas à travailler occasionnellement
en noir. Mais généralement le particulier faisant appel à leurs services est malhonnête
et ne les rétribue pas pour le travail accompli.
Les femmes vivant seules et sans emploi sont particulièrement concernés par ce
problème. Ainsi, aujourd'hui une jeune femme peut trouver un travail occasionnel en
répondant à des petites annonces de particuliers publiées sur Internet. Mais attention au
miroir aux alouettes. Souvent bien mal leur en prend car en allant seule travailler au
domicile d'un inconnu, qu'il soit jeune ou âgé, ouvrier ou chef d'entreprise, la jeune
femme est souvent naïve et confiante et n'imagine pas un instant qu'elle peut devenir la
victime d'un homme frustré ou d'un pervers. L'encadrement par les agences de l'emploi
est donc plus que recommandé.
S’ajoute à l'esclavage domestique et la prostitution, les mariages blancs : une
personne ressortissante d'un pays non européen se marie avec une personne
européenne pour obtenir un permis de séjour ou une rémunération contre ce permis
puis divorce peu de temps après. Il s'agit parfois d'un arrangement entre les partenaires
contre rémunération mais parfois la personne européenne est victime du charme de
son partenaire. Lorsque le coup monté est dénoncé avant le mariage civil, l'étranger en
séjour illégal est renvoyé illico dans son pays d’origine.
A ne pas confondre avec le mariage forcé où des jeunes filles mineures sont
mariées de force à des hommes adultes. Cette pratique va à l'encontre de la liberté de
conscience. L'article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme est clair
à ce sujet : « Toute personne a le droit de se marier et de fonder une famille sans
Pablo Picasso, les demoiselles d'Avignon, 1907. La prostitution représente la
nostalgie de l’esclavage moderne. L'avilissement, le mépris, les menaces, les
abus, le viol, la perversité et la loi du silence dont sont
victimes ces femmes en sont autant d'indices
aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion. Le mariage ne peut
être conclu qu’avec le libre et plein consentement des futurs époux. »
Contrairement à ce qu'on pense
généralement, il y a encore aujourd'hui
des tentatives de mariage forcé en
Europe, même en Belgique ou en France
où la population musulmane est très
importante (en 2006, les Marocains
constituaient le 1er groupe de
ressortissants étrangers en Belgique
avec 264974 personnes, devançant les
Italiens).
Ainsi en 2004, le magazine "Faits &
Gestes" révélait que sur un échantillon
de 1200 élèves du secondaire supérieur (12-18 ans), 23 % des jeunes affirmaient avoir
été confrontés de près ou de loin aux mariages forcés ! En France, un rapport du Haut
Conseil à l’Intégration (HCI) publié en 2005 estimait à 70000 le nombre de jeunes
filles concernées par les mariages forcés ! De tels chiffres font peurs.
Aussi, pour lutter contre les mariages forcés, en Belgique l’article 146 du Code
Civil indique qu’ : « Il n’y a pas de mariage lorsqu’il n’y a pas consentement ». De
plus un projet de loi prévoit une peine pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison et 500
euros d’amende en cas de mariage forcé. En France, l'âge du mariage légal pour les
femmes a été porté de 15 à 18 ans, mettant ainsi les femmes et les hommes sur le
même pied d'égalité.
Bien sûr nous pourrions également citer les enfants-soldats en Afrique endoctrinés
de force et contraints de tuer père et mère pour ne pas être tués. Jusqu'à présent seules
les ONG se préoccupent de leur sort.
Mais il a également tous ces bébés et ces enfants maltraités durant des mois ou des
années que leurs parents frappent, secouent, brûlent ou privent de nourriture et de
commodités, qu'ils enferment à la cave, au grenier ou même dans un placard en guise
de chambre. Si certains tortionnaires sont condamnés à de la prison ferme pour
traitement inhumain et coups portés, en Belgique, certains s'en sortent encore avec un
sursis et un euro de dédommagement. A se demander si nos nouveaux "juges
esclavagistes" du Tribunal correctionnel n'ont pas fait un rabais sur le prix de la dignité
humaine !
Déchaînez la démocratie !
Ainsi qu'on le constate, l'esclavage moderne est présent dans bien plus des 12 pays
cités par le HRW - nous en avons listé 23 - et malheureusement probablement plus près
de chez nous qu'on ne le pense.
Mais cette liste est encore loin de dresser le véritable portrait de ce fléau. Mis à part
les victimes qui témoignent de leurs conditions de vie épouvantables quand elles
parviennent à s'échapper des griffes de leur maître-geôlier, pratiquement personne ne
parle des sévices et de la souffrance physique comme psychologique qu'endurent ces
victimes. Là se situe la véritable douleur des esclaves et des travailleurs forcés.
Paradoxalement, la traite des êtres humains a concerné des empires et des pays
comme la France qui est aujourd'hui le pays des Droits de l'Homme ou les Etats-Unis,
qui sont devenus le pays des libertés par excellence. L'esclavage à outrance orchestré
par ces deux grandes nations et bien d'autres a sans doute contribué à ce mea culpa et
cette prise de conscience collective que cette exploitation de l’homme par l’homme est
un crime contre l'humanité. Mais ce n'est pas pour autant que ces nations respectent les
Droits de l'Homme si on en juge par le dernier rapport d'Amnesty International.
L’épais rapport du BIT fut sur table de la Conférence Internationale du Travail. Son
directeur général Juan Somavia estime que « même si les chiffres sont élevés, ils ne le
sont pas assez pour que l'abolition du travail forcé soit impossible ».
Arrivé au terme de ce dossier, on a pu constater que l'esclavage n'est pas du seul fait
de la gente masculine ou de tyrans sanguinaires régnant dans une république bananière.
Les "avantages" et les "privilèges" qu'on peut retirer de cette exploitation de l'homme
par l'homme intéressent beaucoup de monde, à tous les niveaux de pouvoir, de la
Signare métisse ou du mafieux local au directeur de multinationale en passant par le
couple qui habite peut-être à côté de chez vous.
En attendant que cette pratique soit abolie comme l'espère Juan Somavia, en ce
XXIème siècle où les gouvernements prônent la justice, la tolérance et la liberté, nous
pouvons avoir honte d'être soi-disant humain quand on apprend que ce sont des gens
(presque) comme vous et moi qui se comportent en esclavagistes ou exploitent la
misère humaine.
Chacun à notre niveau, nous pouvons combattre ces pratiques inhumaines et
dénoncer les abus. C'est ainsi que la démocratie pourra se déchaîner.
De la ségrégation raciale au génocide
En marge de cet article, n'oublions jamais que la ségrégation est également une forme criminelle d'oppression de l'homme par l'homme basée sur la couleur de la peau, le sexe, la langue ou une idéologie qui peut conduire au génocide.
Nul n'est besoin de rappeler l'oppression puis le génocide dont a fait l'objet le peuple juif tout au long de l'Histoire.
Aux Etats-Unis, la ségrégation raciale régna durant la période d'esclavage jusqu'en 1865 et après la reconstruction qui suivit la Guerre de Sécession en 1876. Plus récemment, en 1963 Marthin Luther King a payé de sa vie son rêve de "réunir maîtres et esclaves autour de la table de la fraternité".
En Afrique du Sud également, sous l'égide du Parti National, l'apartheid régna jusqu'en 1989 : Blancs et Noirs vivaient dans des lieux différents, fréquentaient des instituts différents et utilisaient des transports différents. Seuls les Africaners bénéficient d'un système éducatif performant et détenaient les clés du Pouvoir. C'est aujourd'hui l'une des rares républiques multiraciales d'Afrique qui accorde des droits égaux à toutes les ethnies. Mais cela reste une exception si on en juge par les guerres ethniques ou de religion qui enflamment toutes les contrées du Monde, y compris l'Europe.
Mais le racisme se cache parfois là où s'y attend le moins. En 2007, la tribu indienne Cherokee qui vit en Oklahoma vota à 77% des suffrages une loi de purification raciale leur permettant d'exclure de leur nation les descendants d'esclaves Noirs qui vivaient encore sur ses terres. Le but était soi-disant noble, protéger leur communauté.
On retrouve la même philosophie dans le nord de la Belgique où le pouvoir flamand en place tente d'interdire dans
la région la domiciliation ou l'emploi de tout qui ne parle pas la langue de Vondel.
Enfin, n'oublions pas l'existence toujours vivace dans nos démocraties des partis d'extrême-droite aux élans nationalistes (le Front National en France, le Vlaams Blok en Belgique, le NPD en Allemagne, le BNP en Angleterre, le KKK et le CCC aux Etats-Unis, etc.). Tous ces partis extrémistes occupent quelques sièges dans les administrations communales, au niveau provincial ou dans leur parlement respectif. Leurs actions criminelles ont déjà conduit à l'assassinat de civils innocents. Si leurs actions ne mettent pas encore en péril la démocratie, leur implantation est durable et impose qu'elle soit réglementée. Rappelez-vous que dans un moment d'inattention, une bête sauvage peut toujours vous sauter au coup.
Pour plus d'information
Sur Internet Comité contre l'esclavage moderne (F)
La Direction de l'Egalité des Chances (B)
Journée internationale pour l'abolition de l'esclavage (ONU)
L'esclavage (Wikipédia FR)
Esclavage, système esclavagiste et traite négrière, par H. et A. Rimbert
L'esclavage (NOE Education)
Pierre Savorgan de Brazza
Histoire du Congo (PDF de l'exposition de Tervuren)
Histoire de la colonisation belge du Congo, par Tshibumba (COBELCO)
Les esclaves, extrait de "La Politique" d'Aristote, chapitre 7 (CLIO-HIST)
Slavery (Wikipedia EN)
21st Century Slaves, (National Geographic)
Human Rights Watch
Bureau International du Travail
Amnesty International
UNICEF
Centre Martin Luther King (USA)
The Civil War Home Page, par M.Frosch
Livres La Bible dévoilée, les nouvelles révélations de l'archéologie, Israël Finkelstein/Neil
Asher Silberman, Bayard, 2002
Aux origines d'Israël : Quand la Bible dit vrai, William-G Dever, Bayard Centurion,
2005
Les négriers en terre d'islam, Jacques Heers, Perrin, 2003
La Traite négrière européenne: vérité et mensonges, Jean-Philippe Omotunde,
Ed.Menaibu, 2004
Regards sur l'esclavage dans les colonies françaises, Lémy Lémane Coco,
Ed.Menaibu, 2005
Le Code noir ou le calvaire de Canaan, Louis Sala-Molins, PUF, 1987/2002
Le destin des Noirs aux Indes de Castille, Jean-Pierre Tardieu, Paris, l’Harmattan,
1984
Red Rubber, E.D. Morel, University Press of the Pacific, 2005
Emancipating Slaves, Enslaving Free Men: A History of the American Civil War,
J.R. Hummel, Open Court, 1998
Strategic Factors in Nineteenth Century American Economic History, C.Goldin/ H.
Rockoff (s/dir), U.Chicago Press, 1992
Découverte et Baptême de l'Amérique, Albert Ronsin, Editions de L'Est, 1992
La colonisation arabe à Zanzibar, Catherine Coquery-Vidrovitch, Robert Laffont,
2003
Les films Tropiques amers (série sur l'esclavage aux Antilles et la Révolution française), 2006
Manderlay (histoire d'une ferme dans le sud des Etats-Unis), 2004
Spartacus (minisérie TV remake du film de S. Kubrik), 2004
Gladiator (l'esclave qui défia l'Empire), 2000
Amistad (esclaves mutinés capturés par un navire américain en 1839), 1997
1492 : Christophe Colomb (la découverte du Nouveau Monde), 1992
Mississippi Burning (enquête du FBI sur la disparition de trois militants des droits
civiques opposés au KKK), 1988
Coup de Torchon (critique de la France coloniale), 1981
Aguirre, la colère de dieu (un Conquistador perdu en Amazonie), 1975
Spartacus (combat des gladiateurs et insurrection des esclaves), 1960
Les Dix Commandements (Evocation de la vie de Moïse et l'exode des Hébreux),
1955
Documentaire Lumières Noires (colloque des intellectuels et artistes noirs à la Sorbonne en 1956), 2007.
Histoire de la colonisation belge du Congo, 1876 – 1910
La naissance de l'état indépendant du Congo
Après avoir retrouvé Livingstone à Udjidji (situé sur le bord est du Lac Tanganyika) le 9
novembre 1871 pour le compte du New York Herald, au grand dam de la Royal
Geographical Society (la société anglaise de l’exploration de l’Afrique), H.M.Stanley
donne le départ en novembre 1874 à Bagamoyo (près de Dar-es-Salaam) d’une nouvelle
expédition, créée à Zanzibar et ayant comme première destination le Lac Victoria, dans le
but de cartographier les grands lacs de l’Afrique Centrale.
Avant l’arrivée des explorateurs Occidentaux, l’Afrique Centrale était déjà traversée d’est
en ouest par des routes de caravanes commerciales. D’autre part, les bateaux de mer
n’allaient pas beaucoup plus loin que Banana sur le fleuve Congo, c’est à dire qu’ils
restaient au niveau de son embouchure.
Le commerce transatlantique d’esclaves au départ de l’embouchure du Congo vers les
Caraïbes et le Brésil a cessé aux environs de 1862. Cela n’empêchait pas des factoreries,
présentes dans le Bas Congo dans les années 1870 et exportant des produits tels que café,
arachides, huile de palme et sucre, de continuer à utiliser cette main d’œuvre servile.
L’expédition Stanley atteignit le Lac Victoria en 1875, les Stanley Falls, le StanleyPool,
Kinshasa et enfin Boma en août 1877. En un peu moins de 3 ans Stanley et son
expédition parcoururent 11.000 km dont une grande partie à suivre le cours du fleuve
Lualaba se prolongeant par le fleuve Congo, jusqu’à son embouchure. Cet exploit fut
malheureusement entaché d’exactions et de pillages et ne faisait qu’annoncer la couleur
de ce qui allait suivre.
Une quinzaine d’années auparavant, en Belgique, le Duc de Brabant fils du roi Léopold I,
vantait les mérites de la colonisation. Celle-ci avait déjà été tentée au Guatemala dans les
années 1840 par Léopold I, mais s’était rapidement terminée de manière tragique. Il
rêvait de s’approprier les richesses de ces contrées lointaines : « Au Japon, il y a des
richesses incroyables. Le trésor de l’Empereur est immense et mal gardé… la masse
d’argent accumulée là-bas est telle que si l’Europe en avait connaissance, on
organiserait de suite une expédition pour s’en emparer ». (Extrait d’une lettre adressée
au diplomate belge de Jonghe d’Ardoye, datée du 23 mars 1859).
Le duc de Brabant était aussi un fervent admirateur du « système des cultures » mis en
application à Java par les Hollandais. Ce système était à l’origine d’un important
excédent budgétaire en faveur de l’administration coloniale, contrairement aux autres
régimes coloniaux européens qui profitaient principalement aux secteurs privés. Ce
système génial, selon le futur roi, consistait à non seulement acheter le produit des
plantations à un prix fixé arbitrairement, mais aussi à mettre en place des fonctionnaires
qui obtenaient des primes en fonction de la production. Le système colonial hollandais
abolit ce type de cultures gouvernementales en 1870. Un autre allait le perpétrer.
En août 1875, dix ans après son accession au trône, le roi Léopold II, voyant que toute
possibilité de colonisation en Extrême-Orient lui échappait, concentra son attention sur
l’Afrique. Il ne lui restait plus qu’à trouver le moyen, selon ses propres termes, de
s’approprier une part du magnifique gâteau africain. Ce moyen il le trouva entre autre en
créant l’Association Internationale Africaine (AIA) d’exploration et de civilisation de
l’Afrique Centrale lors d’une Conférence Géographique organisée au Palais Royal à
Bruxelles en septembre 1876. Un grand nombre de personnalités dont des explorateurs,
des militaires et des membres de sociétés géographiques et philanthropiques des 4 coins
d’Europe vinrent acclamer le roi pour la création de ce mouvement civilisateur.
L’admirateur du travail forcé et du profit se muait en philanthrope.
Dans le sillage de l’AIA, d’autres associations furent créées comme le « Comité d’Études
du Haut Congo » qui sera remplacé par « l’Association Internationale du Congo » (1878).
Ces associations avaient toutes le même président (le colonel Maximilien Strauch), la
même bannière (étoile dorée sur fond bleu) et les mêmes prétendus objectifs humanitaires
tels que l’abolition de l’esclavage. En réalité, elles allaient permettre au roi d’intensifier
sa conquête du bassin du Congo par l’entremise de Stanley dont il s’était approprié les
services à partir de 1878. Ce dernier allait fonder plusieurs stations le long du fleuve
depuis son embouchure jusqu’au Stanley Pool où il créa à son extrémité Ouest un
quatrième poste qu’il baptisa Léopoldville, le 1er décembre 1881.
En plus d’un travail de reconnaissance, de création de poste, d’assemblage de bateaux à
vapeur, Stanley se devait d’obtenir par n’importe quels moyens des contrats d’exclusivité
avec les chefs autochtones. C’était en fait des contrats d’exploitations de leurs terres par
l’AIC et même pire : ces « traités » cédaient à l’association créée par le roi, la
souveraineté de leurs territoires et permettaient à l’AIA de proclamer ces territoires
« états libres ». Dès 1882, des affrontements entre ces postes et les populations
engendrèrent des répressions sanglantes de la part des groupes armés de Stanley et des
agents de l’AIC.
Une véritable course à la conquête avait lieu. C’était à qui serait le plus prompt à planter
son drapeau. Stanley n’était pas le seul à explorer la région : les Français par l’entremise
de de Brazza étaient au Nord. Les Portugais, arrivés en 1493 à l’embouchure du fleuve,
attendaient qu’on leur reconnaisse le droit de souveraineté sur le Bas Congo. Wissmann,
un explorateur allemand bien qu’ayant exploré le bassin du Kasaï pour le compte de
Léopold II, espérait que cette région allait revenir à son pays. Enfin Cameron, sujet de Sa
Majesté britannique, lorgnait tout autant sur la région.
Parallèlement à ces expéditions, des missions catholiques et protestantes faisaient le
forcing pour y établir leurs quartiers.
Les antagonismes entre les puissances coloniales telles l’Angleterre, la France,
l’Allemagne et le Portugal auront servi sans aucun doute à la reconnaissance de l’AIC de
Léopold II et de ses « territoires indépendants ». Dans un premier temps, et ce, via
l’entremise d’un certain Sanford, diplomate américain à la solde du roi des Belges, les
É tats-Unis reconnaîtront les premiers en 1884 la souveraineté de l’AIC sur ces « états
libres du Congo ».
Ensuite, la Conférence de Berlin (1884 - 1885), où Banning et Lambermont étaient les
représentants belges, approuvait un Acte imposant dans le bassin du Congo la liberté de
commerce et de navigation, interdisait tout monopole et promulguait l’abolition de
l’esclavage, la protection des Africains et des missionnaires chrétiens. Celui-ci prévoyait
également la création d’une Commission Internationale qui devait intervenir lors de
conflits ou de litiges se rapportant à l’Acte.
Le partage du bassin conventionnel du Congo ne se fit pas à la conférence de Berlin. Il se
fera néanmoins sur le terrain à partir de ce moment. Après les É tats-Unis, Bismarck
d’abord, les Anglais ensuite reconnaîtront l’AIC et sa souveraineté. Peu après, en février
1885, des accords entre la France et l’AIC et entre cette dernière et le Portugal
permettront de délimiter en partie leurs territoires respectifs sur cette vaste étendue
d’Afrique Centrale. En quelque sorte, la création d’une zone internationale à caractère
commercial et neutre, propriété d’un « roi philanthrope », déjà souverain d’une petite
nation, arrangeait les affaires des puissances qui s’arrachaient le continent africain.
En 1885, le 1er août, l’État Indépendant du Congo (EIC) était né, et le roi Léopold II en
assumait le titre de souverain grâce au vote au parlement belge lui permettant d’assumer
cette fonction. L’intervention d’Auguste Beernaert en tant que Premier ministre aura été
primordiale pour l’obtention de ce résultat. En effet, la reconnaissance par les puissances
de la souveraineté de l’AIC sur des territoires en Afrique Centrale créait la surprise en
Belgique puisque cette entreprise avait été réalisée fort discrètement par le roi. Et les avis
étaient mitigés.
Il faut aussi savoir qu’en Belgique aux environs des années 1880, l’activité industrielle
était florissante, aux dépens principalement de la classe ouvrière. En 1882, 42% de la
population était analphabète. Un petit pourcentage seulement des hommes pouvait voter
et ce en fonction de l’impôt payé.
Le gouvernement central de l’EIC s’installa à Bruxelles l’année de sa création. Trois
départements le composaient : les Affaires Intérieures (Maximilien Strauch), les Affaires
É trangères (Edmond Vaneetvelde) et enfin le Département des Finances (Hubert
Vanneuss). Il fallait bien entendu financer cette administration, et là aussi l’état belge
intervint à plusieurs reprises : en 1888, un décret fut voté pour permettre l’émission en
Belgique d’un emprunt à lots de 150 millions de francs qui rapportèrent en 1888 et 1889
23 millions dont 7,5 millions furent versés au roi qui garda 5,5 millions pour se
rembourser de ses investissements congolais réalisés depuis 1876 dont le montant est
estimé à 17,5 millions. Les autres 2 millions étaient déposés dans le trésor de l’EIC. On
vota une autre loi qui impliquait une participation de 10 millions de francs de l’état belge
dans le capital de la Compagnie du Chemin de Fer du Congo.
D’autre part, fait extrêmement important, sous l’impulsion de Beernaert, le parlement
vota en 1890 une convention entre la Belgique et l’EIC. Celle-ci allait lier le sort futur du
Congo à la Belgique, en tous les cas pour de nombreuses années. Moyennant un prêt sans
intérêt de 25 millions de francs étalé sur 10 ans, la Belgique obtenait la possibilité
d’annexer le Congo en 1900. De cette somme, 5 millions étaient versés immédiatement
au roi. Il en garda la moitié pour son remboursement. Enfin, un dernier subside de
6.850.000, éventuellement remboursable à l’état belge, était octroyé à l’EIC en 1895.
Ainsi le gouvernement belge dirigé par Auguste Beernaert reconnaissait la souveraineté
de Léopold II sur « l’Etat indépendant du Congo », et il lui fournissait également un
terrain propice à la réalisation de son entreprise coloniale.
A partir de 1886, le commandement sur le fleuve Congo allait être confié pour la
première fois à un Belge, Camille Janssen qui deviendra gouverneur général l’année
suivante. Dès ce moment, de nombreux postes de cadre reviendront à des militaires
belges mis à la disposition du roi par le Ministère de la Guerre. Les Scandinaves
représenteront la plus grande partie du contingent occidental non belge.
L’Acte de Bruxelles naquit en 1890 après la convocation d’une conférence initiée par le
1er ministre britannique. Il concernait la suppression du commerce d’esclaves par terre et
par mer en Afrique et au Moyen-Orient, et limitait l’importation en Afrique de boissons
alcoolisées et d’armes à feu. Cet Acte arrangeait bien entendu Léopold II puisqu’il
renforçait ses initiatives « humanitaires » et donc sa pénétration en Afrique Centrale. En
effet, une vaste zone à l’Ouest du Lac Kivu était sous l’influence depuis des années des
Swahilis, originaires de la côte est (actuel Kenya et Tanzanie). Le commerce d’esclaves
faisait partie de leurs diverses activités de négoce. Enfin, une dérogation à l’Acte de
Berlin, permettait la levée de droits d’entrée dans le bassin conventionnel du Congo.
Les agents territoriaux
Les fonctionnaires ou agents territoriaux étaient dans le début des années 1890 au
nombre de 175. Ils étaient responsables de l’exploitation du pays. La majeure partie de ce
personnel territorial (environ 60%), était représentée par les chefs de poste, généralement
des sous-officiers, provenant des casernes belges. Les commissaires de district, souvent
de jeunes lieutenants détachés de l’armée belge, avaient une partie de leur salaire versée
par l’état belge et gardaient leurs droits à la pension en Belgique. Un tiers de ces agents
partis au Congo avant septembre 1895 allait y mourir. Ce haut taux de mortalité allait
graduellement diminuer à partir de 1900.
Le règlement pour le personnel de l’EIC stipulait, à l’article 4, que les agents
s’engageaient à ne rien divulguer concernant les affaires de l’état à quiconque
n’appartenait pas au système administratif. Les agents de l’EIC pouvaient doubler leur
salaire grâce à un système de primes, instauré pour stimuler et accroître les bénéfices de
l’état.
Poste de collecte de l'ivoire, © Sanford museum, city of Sanford
La première de ces primes, était liée à la collecte de l’ivoire à partir de 1885 et pouvait se
résumer à ceci : la prime sera d’autant plus grande pour l’agent qu’il achètera l’ivoire au
prix le plus bas possible. D’autre part, au Congo, ce prix ne se payait pas en argent mais
en marchandises. Ces marchandises, qui prenaient souvent la forme d’armes. Entre avril
et août 1891, le roi fit envoyer 2.000 fusils à piston car Vangele, un agent de l’état, venait
de troquer un fusil contre 275 kilos d’ivoire. Au fil des années, ces primes varieront,
changeront de nom pour devenir une « allocation de retraite » fin 1896, terme moins
attaquable selon Vaneetvelde. Ensuite, celles-ci concerneront le caoutchouc, le copal, la
cire, le café et le cacao (cf. les systèmes de culture). Un exemple de circulaire à ce propos
datant de janvier 1896 : « Ces gratifications – notez que le terme prime avait été modifié
depuis 1892 – ne seront accordées que dans les districts rapportant annuellement à
L’État au moins 50.000 F d’impôts payés en nature par les indigènes étant bien entendu
que par ces impôts on doit comprendre les produits qui sont réalisés en Europe au profit
du trésor ». Ces soi-disant impôts relevaient de la seule volonté des agents territoriaux et
n’étaient régis par aucune loi.
La force publique
Un autre système de prime a vu le jour à la même époque, suite à la nécessité de
remplacer les « étrangers » dans les rangs de la force publique (l’armée de l’EIC,
officialisée en 1888, compta jusqu’à 19.000 officiers et soldats) qui enrôlait jusqu’alors
des hommes venus de Zanzibar et de la côte Ouest. Concernant ce recrutement
« d’étrangers », il apparaît que, de 1879 à 1895, 9.904 hommes arrivèrent au Congo,
provenant pour la plupart de Zanzibar, des futurs Ghana, Nigeria et Sierra Leone et
d’ailleurs dont le royaume du Dahomey. Certains furent des volontaires mais, bien qu’ils
fussent engagés en tant que travailleurs, beaucoup terminèrent dans la force publique à
leur arrivée à Boma. Les autres étaient des véritables esclaves qui allaient servir
l’administration coloniale. Cette fameuse prime, était liée au recrutement de Congolais.
Et ce recrutement devait coûter le moins cher possible au trésor de l’EIC.
Quelques extraits d’une lettre de Vaneetvelde au roi en 1889 : « …afin d’obtenir d’ici à 2
ans du recrutement indigène les 2.200 hommes nécessaires à la Force Publique, et
d’accroître même ce nombre sans frais, si c’est possible…Je me permets d’attacher la
plus grande importance au système de primes… …sans ce stimulant… nous ne pouvons
nullement compter nous passer désormais des contingents étrangers… ». Il expliquait
ensuite qu’un contrôle sévère devait être instauré de manière à pouvoir établir le montant
des primes à adjuger aux agents en fonction du nombre de recrues fournies.
Un moyen efficace était de transférer ces hommes dans un district autre que celui du
recrutement et de contrôler les récépissés fournis par les agents réceptionnant les
« engagés ». A noter que cet éloignement forcé limitait par la même occasion l’évasion
de « l’engagé ». Les frais d’engagement, incluant la prime de recrutement, étaient fixés
pour les hommes, les femmes et les adolescents. En outre, les articles 4 et 5 du règlement
stipulaient qu’une prime supplémentaire serait versée à l’agent en fonction de la
réduction des frais d’engagement.
Le recrutement
Les recrutés furent appelés « libérés ». Ce type de « système de libération » avait déjà été
appliqué avec grand « succès » par les Anglais, les Français et les Portugais, peu après la
soi-disant abolition de l’esclavage. Ces « libérés » étaient soit rachetés à leur propriétaire
soit tout simplement enlevés, et devaient servir l’état pendant un temps déterminé (très
souvent durant 7 années s’ils survivaient). Razzias, saisie de prisonniers de guerre et de
fuyards, sanctions, achats étaient les divers moyens pour obtenir ces auxiliaires
nécessaires au bon fonctionnement du système mis en place par Léopold II. Ces hommes
allaient soit servir la force publique soit être utilisés comme forçats aux différents postes.
Quelques illustrations pour décrire ce marché du travail et la condition de ces hommes :
« Poussez, je vous prie, la levée des soldats dans tous les districts : c’est la question
capitale en ce moment. Qu’on prenne les hommes par la force-comme en Europe-ou
qu’on les rachète, peu importe. L’État a le droit d’exiger ce service, et c’est pour lui une
question de vie ou de mort. Les sources de recrutement à l’étranger nous feront défaut
dans peu de temps. »
(Vaneetvelde à Wahis, gouverneur général à Boma avril 1892).
« Ces brigands – lisez les autochtones – se font constamment la guerre entre eux. Pour
un fusil à silex ils vous donnent 10 hommes… – Le chef – Epali me prévient qu’il part en
guerre demain. Comme il me dit qu’il me donnera tous les hommes qu’il prendra, je ne
lui dis rien et je le laisse partir, à condition toutefois qu’il ira bien loin chez des gens qui
n’ont pas de rapport avec le blanc… J’envoie un canot avec 2 hommes armés dans la
rivière, avec ordre d’arrêter toutes les pirogues indigènes et de prendre le poisson s’il y
en a. Puisqu’ils ne veulent pas venir me vendre leur poisson, je vais le leur prendre. »
(A.Daenen, chef de zone, journal de route, 1891).
« Nous laissons la paix aux villages qui nous servent bien, mais nous faisons disparaître
ceux qui voudraient entraver nos opérations. »
(Rousseau, chef de poste, 1892).
Voici des passages d’un rapport écrit par le juge Marcellin Desaegher adressé au
Gouverneur général, daté de juillet 1892, lors d’une visite dans le Haut Congo et
concernant le sort de ces « libérés » : « …Un fait capital : les trois quarts des libérés
périssent avant d’arriver à la destination où ils peuvent être utilisés, et parfois les
déchets sont encore plus élevés. Il cite ensuite quelques chiffres d’hommes dont les
contingents – venant du district de l’Ubangi-Uele – ont été depuis versés directement à
l’Equateur… Il pose ensuite la question : Quelles sont les causes de cette grande
mortalité ? De ces énormes déchets ? Le nègre adulte se plie difficilement à la servitude.
L’emprisonnement, les fers ou les chaînes le tuent en peu de temps. C’est pourquoi les
Arabes – les Swahilis – ne font guère de prisonniers mâles adultes.
L’EIC préconisait la création de camps d’instruction pour les « libérés » dans le but de les
former. Apparemment le gouvernement recommandait le bon traitement de ces hommes.
Mais, Desaegher écrit qu’il n’a pu constater l'application de ces instructions, et c’est la
première et indubitablement une des grandes causes des mécomptes. Le libéré est
enchaîné. Soit, c’est une nécessité ; souvent brutalisé et toujours abandonné dans la
solitude… J’ai vu les lieux de détention de Yakoma, Djabir, Bumba, rien de plus horrible
ni de plus pitoyable. Non pas les habitations mêmes, mais ces groupes d’hommes, de
femmes, d’enfants mal nourris, exténués, crasseux, malades. Plusieurs moribonds
tremblants de frayeur, attachés à la même chaîne et couchés pêle-mêle sur la terre… Si
tous les agents s’acquittaient de ce si facile devoir d’humanité que le gouvernement
prescrit en termes si formels, si on améliorait un peu le bien-être matériel, en leur
donnant une natte par exemple, l’occasion de se baigner, etc.… nous verrions décroître
les décès dans de notables proportions. On devrait aussi envoyer partout des chaînes en
acier qui remplaceraient les anciennes lourdes chaînes de bateau avec lesquelles on les
amarre actuellement.
…Que dirais-je des enfants ? Il y en a partout. Je ne parlerai que de Djabir, où ils se
trouvent par centaines et où il arrive des quantités chaque jour, appartenant à des races
magnifiques. Ils sont une des richesses de l’état. On ne sait combien il y en a, il n’y a pas
de contrôle, on ne s’en occupe pas… et les petits malheureux vivent dans le camp au
hasard. Beaucoup meurent des misères de la route, dit le docteur chef de station – le
médecin E.Vancampenhout –, des misères de la station, prétend M.Daenen – le chef de la
zone de Djabir. Quoiqu’il en soit, j’ai vu quantité de petits squelettes ambulants et ceux-
là meurent faute de soins. L’un d’eux agonisait à ma porte. Je demande au docteur s’il
n’y a plus rien à faire ? Rien me dit-il – Mais avec des soins ?– Je ne sais, peut-être –
Alors, donnez-moi cette petite fille. Malgré les fatigues de la route à dos d’homme et en
pirogue, l’enfant se porte actuellement bien. – Le docteur et le chef de zone – m’ont
reconnu l’un et l’autre que toutes les petites filles de la station – oh, de tout petits enfants,
étaient violées. On le sait et on a rien su faire pour les protéger… »
Ensuite le juge Desaegher indique les remèdes à appliquer selon lui. Il en vient à parler
de la création de colonies pour les enfants, pour leur éviter les routes qu’il estime pour
eux impraticables. Cette idée de colonies fut alors exposée aux missionnaires. Voici la fin
d’un rapport adressé par Fivé, inspecteur d’état, au gouverneur général, sur la
« libération » dans le district de Lualaba : « …et la mortalité était effrayante au
témoignage du commissaire de district Gillain… Les causes générales de mort sont
nombreuses chez nos libérés, entre autres : 1) les fatigues et les inévitables privations de
la route ; 2) la chaîne, l’emprisonnement, le spleen ; 3) la famine et tous ces maux…Je
me résume. Le gouvernement fait d’inutiles sacrifices pour assurer par la libération le
recrutement de la force publique. La difficulté n’est pas d’avoir des hommes, mais de
leur assurer dans le district d’origine assez de bien-être pour qu’ils n’y meurent pas, de
ne pas les laisser gaspiller, de les transporter dans des bonnes conditions au lieu de leur
destination. Les camps militaires et les camps sanitaires sont des mesures conservatoires.
C’est au gouvernement de parer à la crise d’abondance par l’organisation d’un service
régulier de transport… ». Quelques notes supplémentaires du même Fivé : « Quantité de
cadavres pourrissent aux alentours de l’hôpital… Des libérés, la chaîne au cou
traversent un pont, l’un tombe, il entraîne toute la chaîne qui disparaît… ».
Plus tard, le terme de « libéré » fut remplacé par le terme « milicien ». Ce qui n’allait pas
modifier, bien au contraire, la terrible situation de ces hommes. Pour preuve, quelques
lignes écrites par le missionnaire Camille Varonslé à son supérieur en Belgique, le père
Vanaertselaer, après une tournée au Congo en 1895 : « …On trouvait que nous étions en
présence d’un spectacle d’esclavagisme en grand… Les caravanes qui descendent la
route à Boma jonchent la route de cadavres… »
Les tâches principales des agents de l’EIC consistaient donc à faire récolter l’ivoire, le
caoutchouc et à recruter des hommes par la force selon les dires de Ch. Lemaire, sous-
lieutenant qui déclarait : « Mon éducation africaine commença dans les coups de fusil et
de canon, dans les incendies de villages « à mettre à la raison », en un mot dans l’abus et
le sur abus de la force avec tous ces excès ».
Comme on l’a déjà signalé, les achats se faisaient en échange d’armes mais parfois aux
moyens de produits tels que des étoffes voire en argent-or lors de certaines transactions
avec les Swahilis (musulmans originaires de la côte est de l'Afrique). A noter que les
factoreries ne pouvaient pas vendre d’armes.
Les missionnaires
Ces « libérés » allaient aussi profiter aux missionnaires catholiques belges de la
Congrégation de Scheut à partir de 1888. En effet, Léopold II allait subsidier (tout
comme certains membres de la noblesse belge) et faciliter leur installation au Congo pour
contrer « l’avancée » des protestants. Il allait faire pression sur le Vatican avec comme
résultat la création d’un Vicariat Apostolique de l’EIC, réservé aux Scheutistes (la maison
mère de Scheut se trouvait à Anderlecht en Belgique). L’un de ces premiers Scheutistes,
Gueluy, n’hésitait pas à organiser des expéditions armées pour se fournir en nourriture
auprès des villageois.
A partir du début des années 1890, la SAB assurait le transport des charges des
Scheutistes à l’intérieur du pays. Avant 1900, aucune évangélisation ne fut réalisée. Ils
avaient créé des postes, entre autre au Kasaï, qui au début, furent peuplés d’esclaves.
C’est le cas de Cambier qui rassembla dans le milieu des années 1890 à Mikalai plus de
mille personnes étrangères à la région (des Luba en terre Lulua) soit reçues des agents de
l’état, soit échangées contre quelques tissus, soit appropriées par la force. Des conflits
entre les fonctionnaires de l’état et les missionnaires allaient engendrer un accord à
Bruxelles entre Vaneetvelde et Vanaertselaer pour permettre aux Scheutistes de
« disposer » de Congolais. En contrepartie ils ne devaient pas s’immiscer dans les affaires
de l’état.
Ailleurs en Afrique, les missionnaires catholiques achetaient des enfants (rachetaient
selon leurs termes). Dans l’EIC ceux-ci étaient carrément livrés en groupe, gratuitement,
à domicile. C’était le moyen pour l’état, avant 1900, d’attirer les missionnaires
catholiques afin de contrer les protestants. L’administration coloniale rassemblait ces
enfants littéralement kidnappés dans les villages et les expédiait parfois très loin vers les
missions appelées colonies d’enfants qui prendront le nom de colonies scolaires. C’est
ainsi que des pères allaient former des Congolais pour en faire de bons chrétiens, mais
aussi et surtout de bons militaires puisqu’ils étaient aidés dans leur tâche par un agent de
l’EIC. Les futures femmes de ces militaires étaient « éduquées » par des sœurs.
A côté de ces colonies officielles, les missions créaient des colonies privées, elles aussi
occupées par des enfants livrés par l’état. Ces colonies se trouvaient notamment à Boma,
Bangala, Moanda et Berghe-Ste-Marie. Il y avait par exemple 387 enfants en 1900 dans
la colonie officielle de Boma. Ces colonies étaient de véritables camps de la mort. Le
taux de mortalité était énorme, lié principalement à la famine, à l’épuisement, au manque
d’hygiène et aux épidémies. Cette dernière cause était citée par les missionnaires comme
étant la cause principale des décès.
Quelques extraits du rapport trimestriel du Scheutiste Decleene d’avril 1895-Boma :
« Nombre d’élèves : 246. Si les enfants jouissent d’une excellente santé, le contraire est
vrai pour les enfants venus au mois de février ; plusieurs d’entre eux sont si épuisés par
les fatigues et les privations de la route des caravanes qu’ils n’ont pu se remettre de leur
maladie ». En janvier 1893, Fuchs, magistrat de l’EIC, parle d’un contingent de 62
enfants envoyés à Boma qui sont dans un état de maigreur excessive. Decleene, en juillet
1894, cite un autre contingent d’enfants dont la plupart sont arrivés dans un état si faible
que plusieurs pourraient succomber malgré les soins qui leur sont prodigués.
Entre 1890 et 1900, plus de dix mille enfants allaient mourir aux missions de Scheut,
selon leurs propres sources. Sans compter ceux qui sont morts lors des razzias, lors des
déportations ou encore lors de leur fuite. Voici une lettre écrite par le magistrat R. Breuer
en janvier 1900 : « La maladie du sommeil et la famine font des ravages affreux parmi les
enfants de cet asile philanthropique – Berghe. De trois à quatre cents enfants il n’en
resterait que quatre-vingt. Ceux-ci s’efforcent de fuir ce séjour des morts ; ils se
réfugient au poste de M. Mahieu – un commandant – pour implorer quelques nourritures ;
les plus affamés volent ce qu’ils trouvent. Mr Mahieu les exhorte en vain à retourner
auprès des pères ; quand on veut les ramener, ils s’enfuient vers la forêt ou dans la
brousse, préférant courir les risques de la vie errante que de s’exposer à la mort certaine
qui les attend à la mission. Mr Mahieu a vu de tout jeunes enfants enchaînés par les
missionnaires ». A partir de 1900, les colonies étaient peuplées d’enfants abandonnés qui
allaient devenir des soldats de la force publique ou encore des travailleurs pour l’état.
Une école pour commis s’ouvrait en 1906 à Boma. En 1908 celle-ci avait formé ses 5
premiers commis congolais.
Les missionnaires catholiques en général et les pères de Scheut en particulier, n’allaient
jamais critiquer le système mis en place par le roi (sauf le 13 avril 1908 quand E. Geens
critiquait l’impôt). Au contraire, ils allaient en assurer sa propagande, comme l’évêque
Vanronslé l’indique en 1904 : « …jamais ni moi-même ni, à ma connaissance, personne
parmi mes missionnaires, nous n’avons été témoins oculaires d’un acte de cruauté, ni
d’un effet quelconque d’un tel acte… ».
Le domaine royal
Le roi Léopold II décréta lors de la création en 1885 de l’EIC que les terres vacantes, –
lisez : ainsi que tout ce qui y était rattaché – appartenaient à l’état. Il allait s’agir d’une
confiscation pure et simple de la quasi-totalité des terres de la région. D’autre part,
comme on l’a déjà signalé, plusieurs factoreries, comme la NAHV (la Nouvelle
Compagnie Commerciale Africaine), étaient installées dans la région bien avant la
création de l’EIC et y exerçaient notamment le commerce de l’ivoire.
Une véritable guerre d’intérêts allait suivre entre l’EIC et ces compagnies commerciales
qui du côté belge voyait Albert Thys se trouver à la tête d’un important holding la
Compagnie du Congo pour le Commerce et l’industrie (CCCI) composée en outre de la
Société Anonyme Belge pour le Commerce du Haut Congo (SAB), soutenue par le
gouvernement belge, la Compagnie du Chemin de Fer du Congo, la Compagnie du
Katanga, la Compagnie des magasins généraux, la Compagnie des produits du Congo, et
le Syndicat Commercial du Katanga. Ces sociétés avaient leur siège rue Bréderode à
Bruxelles.
Nous étions par conséquent en présence de diverses parties : Léopold II à la tête de l’EIC,
mais devant politiquement ménager tout ce qui avait attrait à la Belgique, des sociétés
commerciales (belge, hollandaise et française) et le gouvernement belge dont le Premier
ministre était tiraillé entre les intérêts du roi et ceux des entreprises belges dont certaines
attaquèrent la politique domaniale du roi. Toutes ces parties convergeaient vers le même
centre d’intérêt : le Congo et ses richesses.
A partir de 1890, plusieurs décrets stipuleront le partage du Congo en 2 zones pour
l’acquisition de l’ivoire : la première destinée aux sociétés privées et la deuxième, bien
plus vaste, était considérée comme le domaine privé du roi
En 1892, la Société Commerciale Anversoise (l’Anversoise ou SCA) d’Alexandre de
Browne de Tiège et l’Anglo-Belgian Indiarubber and Exploration Company (Abir)
d’Arthur Vandennest, futur sénateur belge, rentrèrent en scène et acquirent des
concessions pour faire récolter le caoutchouc moyennant le partage des futurs bénéfices
avec l’EIC, dont les agents allaient installer les premiers postes. Ces deux sociétés
obtenaient donc des monopoles d’exploitation, soutenus par l’état. Leurs milices privées,
grâce à l’importation d’armes et à la collaboration avec la force publique (sorte de sous-
contractant) allaient faire régner la terreur pour obtenir le caoutchouc.
Selon le roi, via un décret secret, les agents devaient prendre les mesures « nécessaires
pour conserver à la disposition de l’état les fruits des terrains domaniaux – du domaine
privé –, notamment l’ivoire et le caoutchouc ». Il existait un véritable bras de fer entre les
sociétés de Thys et les agents de l’EIC, qui allaient jusqu’à obliger les Africains à leur
vendre et à eux seuls cet ivoire sous peine de punition. Le roi exerçait régulièrement des
pressions sur le gouverneur général comme on peut le lire via un extrait d’une lettre
envoyée à Wahis en avril 1892 : « Il importe d’activer promptement… le développement
bien nécessaire de nos récoltes d’ivoire et de caoutchouc. L’Etat ne peut maintenir son
existence qu’au moyen de très larges et très fructueuses récoltes ».
Une lettre de Wahis aux commissaires de district illustre bien les résultats de la pression
exercée par les autorités de l’EIC : « …Celui qui dans ces parages – lisez le domaine
privé – achèterait du caoutchouc, inciterait ainsi les indigènes à exploiter le domaine
privé, et il s’associerait à un délit prévu par la loi. Pour mettre fin à une telle
exploitation illicite, le commissaire de district devra de préférence punir les principaux
délinquants, c’est à dire les indigènes eux-mêmes et les mettre administrativement et
judiciairement en demeure de livrer à l’Etat le caoutchouc récolté sur le domaine privé.
Cela le dispensera probablement de poursuivre devant les tribunaux ceux qui achètent le
produit ; car il est désirable de ne leur intenter des poursuites que si l’on ne parvenait
pas à maintenir les indigènes dans la légalité… »
La presse belge était partagée à ce sujet. Certains journaux comme « Le Patriote » (qui
deviendra la « Libre Belgique » en 1918) L’Escaut et La Chronique critiquaient en 1892
la politique domaniale et constataient que « pendant que cela se passe, les Belges sont
invités à donner leurs millions à cet étrange gouvernement ». Ces journaux accusaient ce
même gouvernement d’utiliser des armes (achetés notamment à l’armurier Breuer à Liège)
comme produits de transaction, et demandaient la vérité sur les commissions attribuées
aux agents de l’état, officiers et sous-officiers de l’armée belge. Notez la réponse de
l’armurier liégeois : « les fusils qui sont ordinairement fournis aux nègres sont des fusils
à silex. Les nègres n’en veulent généralement pas d’autres et ils ne s’en servent
généralement que de jouet ; les nègres aiment à faire éclater la poudre du bassinet »
Voici l’idée de Vaneetvelde au sujet de la presse via une lettre écrite au roi en juillet
1892 : « Je me permets d’exprimer à votre majesté l’avis que dans ce moment il y aura
lieu de s’attacher quelques organes de la presse par la voie d’un subside, par exemple –
L’Étoile – et – Le Soir. Il faudrait à partir de septembre mener une campagne de
propagande dans la presse, et nous n’aurons jamais de la part des journalistes un
concours absolu si nous ne les payons pas. »
Après 1892 et le décret d’octobre qui signalait la fermeture de nombreuses régions aux
sociétés, sous-entendu leurs intégrations au domaine privé, le roi allait pouvoir faire
exploiter cette vaste étendue et faire récolter le caoutchouc sous forme d’impôts (notion
tout à fait floue comme nous l’avons vu) exigés à la population. Le règne de la terreur
allait battre son plein. L’Anversoise et l’Abir, alliées du roi, avaient acquis des
concessions. Les sociétés de Thys allaient suivre avec pour résultat qu’en 1905 une
grande partie de l’exploitation du pays était entre les mains de ces sociétés
concessionnaires. C’était le cas pour les districts Aruwimi, Bangala, Equateur et Kwango
où l’administration était au service de celles-ci.
Les Swahilis
La province orientale située à l’Ouest des grands lacs était sous l’influence de plusieurs
chefs Swahilis dont certains entretenaient de bonnes relations avec des agents de l’EIC
qui leur achetaient notamment des esclaves et de l’ivoire. L’un des plus illustres d’entre
eux, Tippo Tip, allait être nommé gouverneur des Falls. Avant cela, il avait grandement
aidé l’expédition de Stanley à progresser dans la région du Maniema en 1876.
Le roi accordait une très grande importance à ne pas générer de conflits avec les Swahilis
et recherchait leur alliance. Malgré cela, et contrairement aux ordres de Bruxelles, des
confrontations éclatèrent en 1892 entre certains Swahilis et des troupes de l’EIC elles-
mêmes soutenues par d’autres Swahilis. Ces derniers prendront le dessus, ce qui
permettra au gouvernement de l’EIC de se servir de ces événements pour qualifier cette
soi-disant campagne arabe comme étant la victoire de l’entreprise « civilisatrice » du roi
sur l’esclavagisme arabe dans l’Est du Congo. Victoire, qui est d’ailleurs toujours
célébrée aujourd’hui en Belgique et plus précisément à Blankenberge où une statue
représentant les agents Lippens et Debruyne a été érigée.
Le résultat des événements, est que le gouvernement de l’EIC devenait le maître de
presque toute cette province orientale qui englobait le Maniema et le Kivu. Les Swahilis
réintégrés, allaient dorénavant partager les bénéfices de leur administration (moitié-
moitié pour la récolte de l’ivoire) avec l’état. Certains seront nommés agents auxiliaires
de l’EIC.
Voici quelques extraits d’un rapport de Wahis écrit en 1896 à propos du district des
Stanley Falls : « Le régime est en somme à peu près celui qui a été créé par les Arabes –
les Swahilis. Les divisions du territoire sont celles qu’ils avaient établies. Le personnel
qui occupe les régions est en partie celui qu’ils y avaient mis. C’est là où leurs gens ont
été le mieux maintenu en place, que l’on tire le plus facilement parti des produits du pays.
On ne peut s’empêcher d’admirer les résultats auxquels ces aventuriers, venus dans ces
régions sans ressources, sont arrivés en un temps fort court. Les chefs auxiliaires, placés
à la tête des régions d’exploitation, sont tout simplement des chefs de poste, comme le
sont nos officiers et nos sous-officiers, qui ont dans un district des parties de territoires à
administrer. Au lieu d’avoir sous leurs ordres des soldats armés d’albinis, ils disposent
d’auxiliaires armés de fusils à piston…ils – les auxiliaires – ont une action constante sur
les populations… Niangwé a été administré successivement par 2 officiers, le lieutenant
Lemery et le capitaine Stevelinck, qui se sont montrés vis-à-vis des noirs indigènes, chefs
indigènes et auxiliaires d’une férocité de fauve, pendant ou jetant au fleuve tous ceux qui
paraissaient les gêner… ».
Wahis écrivait à Vaneetvelde la même année : « La région où je me trouve – les Falls –
pourrait s’appeler le pays des horreurs… Je vous signale quelques agents qui ont été
condamnés, mais d’autres ont la réputation d’avoir tué des masses de gens pour des
raisons petites. On dit que M.Rom – Léon – qui pour la presse belge est aussi un héros,
avait aux Falls un parterre de fleurs, complètement entouré d’une bordure faite des
crânes humains qu’il pouvait recueillir. Il avait une potence en permanence devant le
poste !… ».
Lisez les quelques passages d’une lettre écrite par Mgr Roelens au commandant
d’Albertville (Mtowa-Urua) décrivant le résultat de cette collaboration entre les agents de
l’EIC et leurs auxiliaires : « …les lettres que je reçois d’eux – des missionnaires de la
région – ne parlent que de guerre et de pillages… l’auteur de ces désordres est un de vos
soldats – l’auxiliaire Songoro –.abuse de votre nom… pour piller le pays au risque de le
soulever tout entier contre nous tous.
Le portage
© Anti-Slavery International
A partir de 1889 l’usage du portage s’accrût. Tous l’utilisaient, les agents de l’EIC, les
missionnaires et les sociétés privées dont certains louaient les « services de transport »
des agents de l’administration contre rémunération. Ce système était composé de
recruteurs, des agents de l’état, mais aussi d’Africains.
Il s’agissait de forcer les villageois à remplir ces tâches de portage contre rémunération
qui, selon l’état devait être la moins onéreuse possible. La prise d’otages, comme on peut
le voir sur cette photo, était le moyen coutumier utilisé pour le recrutement. Lisez ces
quelques lignes écrites par Joseph Antoine, commissaire de district f.f, en 1893 : « Il est
vrai, qu’afin d’assurer notre portage, nous amarrons des femmes dans les villages.
Depuis mon arrivée à Lukungu, j’ai toujours vu agir de la sorte envers les capitas
récalcitrants… Depuis près d’un an le capita de Mbanza Sanda n’a pas fourni de porteur
et à M.Rommel, se rendant dans cette région, j’ai donné l’ordre d’agir énergiquement…
La coutume d’amarrer des femmes pour obliger les capitas à se rendre à Matadi est
tellement admise que jamais des conflits ne surgissent entre les gens des villages et mes
recruteurs qui n’ont le plus souvent que deux soldats avec eux. Si ce moyen d’action,
moyen démontré efficace par expérience, m’était retiré, je me verrais dans l’impossibilité
d’assurer le recrutement des porteurs. »
Voici l’avis du secrétaire général Liebrechts en 1896, concernant l’action de la force
publique : « La force publique est bien exercée et impressionne suffisamment les
indigènes pour qu’on ait plus à craindre d’arrêts dans les transports. Ceux-ci ont donné
d’excellents résultats en juin: 8.000 porteurs sont montés dont 5.000 pour Léopoldville.
Du 1er au 11 juin au-delà de 2.000 porteurs se sont présentés à Tumba ».
Le roi Léopold II était bien conscient de ce recrutement forcé et des combats entre les
troupes de l’état et des Congolais qui se rebellaient face à ces méthodes, comme
l’attestent ces extraits d’une lettre de Wahis qui lui était adressée en janvier 1894 :
« … La région des Cataractes a été troublée, mais je pense que le calme sera partout
rétabli sous peu et que cette crise contribuera même à relever le portage. Je devrai
renforcer quelque peu les troupes de ce district ; c’est indispensable pour rétablir
l’autorité, éviter dans la mesure du possible les accidents, et assurer nos recrutements de
porteurs. Toutes les hostilités seront réprimées d’une façon complète ; il faut parfois
pour obtenir ce résultat consacrer quelque temps aux opérations, mais c’est le seul
moyen d’avoir le calme pendant une longue période. »
En 1895 il y avait environ 50.000 porteurs pour l’EIC.
Le caoutchouc
© Anti-Slavery International
Les récoltes de caoutchouc [extrait des lianes, comme on le voit sur cette photo
débutèrent à partir de 1893 et ce jusqu’en 1912. Le système consistait à la mise en place
d’auxiliaires et de sentinelles, originaires de la région, dans les villages pour forcer les
populations à récolter le caoutchouc. Ceux-ci étaient souvent la cible de représailles, de la
part des villageois qui devaient récolter le latex et l’amener aux postes de l’état ou des
sociétés, sous forme de boules voire de lanières. Certains villages en étaient exemptés
mais devaient par contre assurer la sustentation de leurs bourreaux. Il régnait un véritable
chaos dans certains districts comme celui du Kasaï où la famine et le trafic d’esclaves
étaient à leur comble. De nombreuses femmes étaient prises en otages et mouraient
parfois d’inanition comme cela était provoqué notamment par Matthys en 1899 dans le
district Bangala.
La compagnie concessionnaire Abir faisait remplir pour chaque otage des formulaires
stipulant le nom de l’otage, le lieu d’origine de celui-ci ainsi que la date. Un exemple de
méthodes utilisées par l’agent d’état, le lieutenant de l’armée belge Léon Fievez dans
l’Équateur en 1894 en réaction au refus de coopération de la part des Congolais :
« Devant leur mauvaise volonté manifeste, je leur fais la guerre. Un exemple a suffi, cent
têtes tranchées et depuis lors les vivres abondent dans la station. Mon but est en somme
humanitaire. J’ai supprimé cent existences, mais cela permet à cinq cents autres de
vivre ».
La terreur du caoutchouc allait être spécialement sanglante dans la région du Lac Tumba
(Equateur). Le même Fievez allait ensuite exiger des mains coupées comme preuve du
nombre de cartouches utilisées. L’un de ses « exploits » allait être soulevé par le député
belge Lorand à la Chambre après avoir été relaté dans le journal allemand Kolnische
Zeitung : un jour, cet agent d’état compta plus de 1300 mains coupées… Dans le Times
du 18 novembre 1895, un missionnaire protestant relatait les méthodes barbares de
l’administration congolaise. Fievez comparut en octobre et novembre 1899 à Boma pour
cas de violences à Bangala en 1898 et d’exécutions dans l’Ubangi en 1899. Il fut acquitté.
(Photo : missionnaires britanniques en compagnie d'hommes tenant les mains coupées de
Bolenge et Lingomo, victimes des milices de l'Abir en 1904.)
© Anti-Slavery International
Le refus des Congolais de fournir le caoutchouc à l’état était sanctionné par des
expéditions punitives causant morts et mutilations. A l’opposé, de temps à autres, des
agents de l’EIC étaient condamnés. Cela a été le cas du sous-officier Durieux accusé
d’avoir exécuté un homme et une femme liés ensemble. La sentence lui coûta une retenue
de 2 mois de salaire. Il terminera capitaine de cette même force publique.
Voici des extraits des recommandations de Wahis, pour rappel gouverneur général de
l’EIC, au commissaire de district Sarrazyn fin 1896 : « …Quand la population n’exécute
pas les engagements auxquels elle s’est soumise, ou qui lui ont été imposés, il faut
commencer par obliger le chef à venir s’expliquer au poste le plus voisin commandé par
un blanc. S’il refuse de se présenter, on doit tâcher de le prendre, lui et quelques
indigènes importants du village ; on les tient ensuite en captivité jusqu’à ce que les gens
du village soient venus les réclamer en déclarant qu’ils exécuteront leurs engagements.
…Si une résistance par les armes se produisait au moment où une troupe entre dans un
village pour procéder à une arrestation, le chef de cette troupe peut faire usage de la
force dont il dispose, mais il doit toujours agir avec la plus grande modération… La
troupe doit toujours être commandée par un officier ou un sous-officier – lisez un agent
de l’EIC – quand il s’agit d’exécuter une opération de guerre et que l’on aura par
conséquent à attaquer des populations… Je n’ai pas besoin de vous recommander en
outre que nos agents doivent se surveiller le plus possible surtout là où ils sont en contact
avec des missionnaires… »
(© Anti-Slavery International
Certaines sociétés privées comme l’Abir et la SAB utilisaient ces mêmes méthodes en
employant de véritables milices pour exiger des populations la récolte du caoutchouc. Sur
cette photo, Nsala, du district de Wala, regardant les membres coupés de sa fille Boali,
victimes des milices de l'Abir. Voici quelques lignes assez descriptives écrites par
l’officier danois Knud Jespersen et qui concerne la période 1898-1899 qu’il passa à Bala-
Londji : « …d’après les règles de l’époque, chaque cartouche manquante doit être
justifiée par une main humaine. Il est vrai que beaucoup d’entre elles proviennent de
cadavres de guerriers tombés au combat, mais il y a également des mains d’enfants, de
femmes et de vieillards. Cela est prouvé par les invalides encore en vie…
…Il – il parle de lui à la 3ème personne – trouve des agglomérations presque totalement
abandonnées. Les fugitifs se groupent à l’intérieur des forêts… les soldats et leurs aides
les y poursuivent pour les massacrer… ce qui expliquent que les fugitifs pénètrent très
profondément en forêt. Les soldats et leurs aides parviennent cependant à expédier des
pirogues chargées de butin et de prisonniers adolescents et jeunes femmes, dans le but de
les vendre ou de les faire travailler pour eux dans leurs villages d’origine…
…Le lendemain des ambassadeurs viennent se soumettre en promettant de travailler pour
l’état. Jespersen leur rend alors les femmes et les enfants prisonniers, malgré les
protestations violentes des soldats et contrairement à la pratique courante de cette
époque – ils étaient souvent payés en femme ou en enfant. En effet habituellement les
indigènes ne travaillaient qu’en vue de la restitution de leurs femmes, une femme par
hotte de caoutchouc… une expédition punitive contre le village de pêcheurs de Ventri
pour n’avoir pas livré la quantité imposée de poissons… le sergent Fariala est envoyé
avec 10 soldats pour punir les récalcitrants. L’attaque nocturne anéantit l’agglomération
et le lendemain l’expédition rapporte une hotte de mains coupées… »
Plusieurs cas de révoltes et de résistances ont entravé le travail morbide de ces milices
qui n’hésitaient pas à entreprendre des représailles insensées. Quelques extraits du journal
du sous-officier Louis Leclercq en 1895 qui participa à des représailles dans l’Aruwimi
suite à une révolte en novembre 1894: « 10 avril : Six indigènes tués. Village livré aux
flammes… La tête de la colonne est attaquée par un parti d’indigènes… deux morts et
quatre blessés mortellement… 17 avril : Parti avec 80 hommes pour le village Baourou.
Une quinzaine de personnes tuées… 25 avril: …Arrivée à Iteke. Brûlé le village ainsi que
Yambi aval… arrivée à Yambi amont… Brûlé le village.
26 avril : Arrivée à Llongo aval à 6H20. Brûlé le village et tué un indigène. Arrivé à
Llongo amont à 9H. Brûlé. Arrivé à Yambumba à 11H40. Je fais brûler le village… après
quelques instants d’une fusillade bien nourrie, les indigènes prennent la fuite en laissant
treize des leurs sur le terrain. Je fais mettre le feu aux cases. – Ensuite, il parle de
villages incendiés les 27,28 et 29 avril… 1er juin : Attaque du poste de Mahonga –
Bahanga ? – par les indigènes. Le poste a mis les noirs en fuite et leur a tué plus de 50
hommes. Les têtes des 18 principaux tués et le corps du grand chef d’Ilondo ont été
apportés le lendemain par le chef du poste à Basoko. [Note : fait suite le récit de
nombreux villages incendiés, de nombreuses têtes coupées et donc de nombreux morts.
Ces représailles prirent fin le 12 août].
Alphonse Jacques, ancien chef de la force antiesclavagiste belge sur le lac Tanganyika,
sera nommé baron et général. Entre temps il dirigea la récolte du caoutchouc de 1895 à
1898 dans le district du Lac Léopold II. Il a sa statue sur la grande place de Dixmude en
Belgique. Il est vrai qu’il se distingua pendant la première guerre mondiale. Georges
Lorand lira à la Chambre le 28 février 1906 une des lettres écrites par Jacques à son chef
de poste Leyder Mathieu :
« Monsieur le chef de poste,
…Ces gens d’Inongo…..sont venus couper les lianes à caoutchouc à Ibali – note : les
lianes ne devaient pas être coupées mais incisées. Nous devons taper sur eux jusqu’à
soumission absolue ou extinction complète… Prévenez encore une toute dernière fois les
gens d’Inongo et mettez au plus tôt votre projet à exécution de les accompagner dans le
bois, ou bien rendez-vous au village avec une bonne trique. Au premier chimbèque
adressez-vous au propriétaire: Voilà un panier tu vas le remplir de caoutchouc. Allez,
file dans le bois et tout de suite, et si dans 8 jours tu n’es pas revenu avec 5 kg, je flambe
ton chimbèque ! et vous flambez, comme vous l’avez promis. La trique servira à chasser
dans les bois ceux qui ne veulent pas quitter le village. En brûlant – les cases – une à une,
je crois que vous ne serez pas obligé d’aller jusqu’au bout avant d’être obéi.
PS: Prévenez-les que s’ils coupent encore une liane, je les exterminerai tous jusqu’au
dernier. »
Leyder Mathieu fut jugé à Boma suite au meurtre d’un Congolais qui fera grand bruit
dans la presse internationale avec pour résultat la mise en branle du système judiciaire de
l’EIC et la condamnation de ce dernier à plusieurs années de prison au Congo. Il sera
également révoqué
En 1899, Léopold II eut à deux reprises quelques sentiments furtifs de désapprobation
face aux nombreux actes barbares perpétrés à l’encontre des Congolais en priant par
l’entremise de Liebrechts le gouverneur général de l’EIC de faire respecter la loi et les
règlements. Quelques poursuites tapageuses engagées par l’état à l’encontre de certains
de ses fonctionnaires étaient organisées en réponse aux attaques de certains milieux en
Europe qui s’indignaient des divers témoignages de violences perpétrées à l’encontre des
Africains.
La chicotte
En ce qui concerne la peine de la chicotte (ou fimbo) qui était appliqué en cas « d’atteinte
au règlement », sa première apparition dans les textes officiels remonte à 1888 et
autorisait 100 coups dont 50 par séance. Ce supplice pouvait bien entendu être mortel. La
chicotte était un fouet dont les coups, appliqués sur les fesses, pouvaient les déchirer. Au
fil des années, la limite maximale du nombre de coups pouvant être infligés diminua
progressivement. Elle fut abolie en 1959, dix mois avant l’indépendance du Congo.
photo© ASI
Le chemin de fer
La Compagnie du Chemin de Fer du Congo allait entreprendre à partir de 1890 la
construction d’une ligne de chemin de fer Matadi-Kinshasa. Cette entreprise prit fin en
1898 et fut un réel enfer pour des milliers d’Africains, provenant d’Afrique de l’Ouest
principalement, ainsi que pour des Chinois. Un grand nombre d’entre eux y perdit la vie.
En juin 1895, le gouvernement belge, dirigé alors par de Smet de Nayer, accordait à la
compagnie un prêt de 5.000.000 de francs tandis que l’année suivante le parlement
approuvera une convention entre les 2 parties qui permettra le financement des travaux
restants pour atteindre Kinshasa. Parallèlement à ce soutien du gouvernement à
l’entreprise congolaise, allaient naître en Belgique des voix politiques s’y opposant,
notamment de la part des députés Lorand et Vandervelde.
Quelques extraits d’un discours de Lorand en mai 1896 à la Chambre, faisant suite à
l’adoption de la convention : « Grâce à la piperie des mots on l’a appelé chemin de fer.
En réalité, il ne fut jamais qu’un tout petit tramway. En effet il a un écartement de 75
centimètres… Voilà le fameux chemin de fer qui a englouti 40 millions !… Veuillez croire
que vous servez beaucoup plus mal que nous la monarchie par vos incessantes demandes
d’argent au profit du Congo et par toutes les manœuvres auxquelles on a eu recours dans
cette affaire : car on a trompé le pays et le pays le sait… Si l’on veut reprendre le Congo,
qu’on le dise franchement et tout de suite… Le rôle de vrai civilisateur serait, tout en
appropriant l’Afrique à l’exploitation économique des blancs, de protéger les
populations noires, de les initier peu à peu à ce qu’il y a de bon dans notre civilisation et
surtout de les sauver de la destruction et de l’exploitation qui ont déshonoré toutes les
colonisations européennes en pays sauvage… La politique coloniale, c’est selon moi du
tape à l’œil… Je mets au défi qui que ce soit de prouver que cette politique est une chose
utile aux pays qui la pratiquent… »
La construction du « tramway » allait pourtant graduellement supprimer le portage au
Bas-Congo, principal « système de transport » de l’époque, hormis les quelques
chaloupes déjà mises en service sur les sections navigables du fleuve en direction du
Stanley Pool. Il s’avèrera que cette compagnie allait être extrêmement bénéficiaire pour
ces actionnaires. En 1920 des travaux d’aménagement de cette voie ferroviaire furent
nécessaires. De 1923 à 1931, cette reconstruction allait utiliser plusieurs dizaines de
milliers de forçats, originaires du Congo, parmi lesquels 7.000 moururent.
La mortalité
Quant au caoutchouc, il rapporta annuellement entre 1900 et 1908, la somme de 25
millions de francs principalement à l’état et donc au roi. Pour ces millions de francs et la
conquête du Congo, le régime colonial « Léopoldien » a entraîné la mort de centaines de
milliers voire de millions de Congolais. Le « mouvement civilisateur » mis en place par
le roi des belges avait frappé fort. Jan Vansina, professeur émérite d’Histoire et
d’Anthropologie à l’Université du Wisconsin, estime que la population du Congo a
diminué de moitié entre 1880 et 1920. En 1924, la population du Congo était estimée à 10
millions d’habitants.
Les causes de cette mortalité sont la famine (lors des défections et des fuites, lors des
emprisonnements prolongés, lors des déportations, dans les camps et les colonies…) ;
l’épuisement dû aux mauvaises conditions de travail ; les incarcérations ; les guerres et
les massacres ; les effets de l’environnement (sur les populations amenées à fuir les
villages) les accidents (construction du chemin de fer) ; les conditions sanitaires précaires
dans les camps lors des déportations ; et bien entendu les maladies comme la variole, les
dysenteries et la maladie du sommeil.
A ce propos, il est bien établi qu’outre la variole, maladie contre laquelle la production
locale d’un vaccin a débuté à partir de 1895, la maladie du sommeil a fait de terribles
ravages. Apparemment, de nombreuses épidémies de Trypanosomiase, l’agent de la
maladie du sommeil, ont éclaté dans diverses régions du bassin du fleuve Congo dans les
années 1890. Elles peuvent être attribuées aux mouvements de population engendrés par
la machine coloniale. P.G. Janssens, Professeur émérite de l’Université de Gand et
spécialiste de la Trypanosomiase africaine écrivait que : « …Il semble dès lors logique
d’admettre la présence sur les territoires de l’EIC, du Congo français et de l’Angola,
d’un certain nombre de foyers permanents – de Trypanosomiase – qui ont été réactivés
par les changements brutaux des conditions et modes de vie ancestraux qui ont
accompagné l’occupation accélérée des territoires… Celles-ci – les régions touchées –
ont connu une morbidité et une mortalité effarantes, des villages entiers ont été décimés,
la maladie du sommeil a connu une impressionnante extension. Quoiqu’il en soit, l’EIC a
laissé au Congo belge et au Zaïre un problème médico-social majeur…
La propagande
Sept des victimes de la terreur au Congo reposent en Belgique le long d’une des façades
de l’église de Tervuren. Elles furent la conséquence de la représentation d’un véritable
zoo humain dont les pays coloniaux étaient friands. En 1897, l’exposition du Congo,
organisée dans le cadre de l’exposition internationale au Cinquantenaire à Bruxelles,
montrait au Palais des colonies, situé au bout de l’avenue de Tervuren et construit pour
l’occasion, trois villages congolais.
Cette véritable attraction « relevée » par la présence de 267 Congolais attira plus d’un
million de visiteurs qui s’émerveillèrent devant ces « sauvages civilisés » grâce à l’œuvre
du rédempteur de l’Afrique, comme A. Thys avait appelé le roi. Le commerce et
l’industrie belge y organisèrent un banquet en l’honneur de l’EIC. Peu après, Vaneetvelde
fut fait baron.
La propagande autour de l’EIC était bien sûr assurée par le roi et ses acolytes, par
l’entremise de parutions, de discours, mais également par beaucoup d’autres qui servaient
sa cause. En Belgique, comme à l’étranger. En 1897, le gouvernement britannique fit
publier un rapport en faveur de l’EIC. D’autre part, le roi accorda des concessions au
Congo notamment au groupe Guggenheim et à J.D.Rockefeller.
Certains journaux belges étaient achetés. Le plus digne représentant de la propagande
royale était l’Étoile Belge. Par contre, Félicien Cattier, avocat, professeur à l’Université
Libre de Bruxelles, fit paraître Droit et Administration de l’État Indépendant du Congo
en 1898, dans lequel il admire l’édifice juridique de l’EIC, mais souligne aussi ses failles
concernant l’insuffisance de statut des fonctionnaires de l’état, le danger de l’organisation
du système ainsi que l’absence de réglementation de l’impôt pouvant conduire à tous les
excès. Il intervint également dans la presse belge par l’entremise du journal Le Petit Bleu
en 1899, en vue de dénoncer les abus du système.
Les réactions dans le monde
En 1899, Reuter diffusait l’interview de Frank Andrew ex-fonctionnaire de l’EIC, qui
dénonçait l’état de guerre régnant au Congo. Celle-ci sera publiée dans certains journaux
britanniques dont le Times. A l’étranger, plusieurs personnalités se sont particulièrement
dressées contre le régime mis en place par le roi au Congo. Il s’agit de George
W.Williams , Edmund Dene Morel et Roger Casement .
Le premier, américain, après un voyage de plusieurs mois au Congo écrivit notamment
une lettre de 16 pages au roi en 1890. Celle-ci dénonçait, de même qu’un rapport adressé
au président des Etats-Unis, le système et ses abus. De larges extraits parurent en
Angleterre, aux Etats-Unis, en Suisse, en Allemagne, en France et en Belgique.
ED Morel, anglais, ayant été au service de la compagnie maritime de Liverpool « Elder
Dempster » qui détenait le monopole de transport de l’importation ainsi que de
l’exportation de l’état du Congo, mena une campagne sans relâche à partir de 1901 contre
le roi et l’EIC via la rédaction de livres, de discours et de divers articles.
Ses sources d’informations furent des fonctionnaires de l’état du Congo, des
missionnaires ainsi que des documents. Il avait des alliés au Parlement britannique, au
sein des organisations humanitaires comme l’Aborigines Protection Society. L’action
menée par Morel et ses partisans politiciens allait conduire le Foreign Office à demander
un rapport sur la situation dans l’EIC. Il fut réalisé par le consul britannique au Congo :
R.Casement. Ce rapport parut début 1904, mais fut modifié par le Forein Office qui
supprima tous les noms en laissant uniquement les initiales.
Peu de temps après, les deux fervents opposants au régime Léopoldien au Congo se
rencontrèrent. Morel fonda la Congo Reform Association (CRA). Il allait faire pression
sur les gouvernements belge, britannique et américain, notamment par l’intermédiaire de
la presse dont le Times pour lequel il écrivait. Le but de Morel était que Léopold II
abandonne le Congo.
En 1906 éclata aux É tats-Unis un scandale provoqué par la corruption du républicain
Kowalsky par le roi Léopold II. Ce fait allait précipiter le vote d’une résolution
demandant une enquête internationale sur le Congo. Quelques mois auparavant, le roi
avait lui-même créé sa commission d’enquête en vue de démentir les propos des diverses
attaques dont lui et son entreprise coloniale faisaient l’objet de toutes parts. Celle-ci était
composée de 3 magistrats : un Suisse, un Italien et un Belge.
Ils allaient pendant trois mois écumer le Congo afin de mener cette enquête et de
recueillir des témoignages. Ils en revinrent épouvantés. Ils rédigèrent un rapport qui fut
publié le 4 novembre 1905. La vieille de sa parution, Léopold II envoya un faux
document aux principaux journaux britanniques. L’Associated Press fit suivre ce faux
aux Etats-Unis. Ce texte transformait les propos des trois magistrats et paraissait dans des
journaux britanniques et américains.
Mais ce tour de passe-passe ne pouvait rien changer aux propos défavorables de la
commission. Par contre, pas de traces des témoignages des Africains qu’avait recueillis la
commission. On peut malgré tout les trouver dans les archives de l’état belge, à Bruxelles.
Ils sont à la disposition du public depuis 1980.
En voici quelques extraits : Témoin: Llange Kunda de M’Bongo : « J’ai connu Malu-
Malu – Charles Massart. Il était très mauvais ; il nous forçait à apporter du caoutchouc.
Un jour, je l’ai de mes yeux vu tué un indigène nommé Bongiyangwa, uniquement parce
que, parmi les 50 paniers de caoutchouc qu’on avait apportés, il s’en trouvait un qui
n’était pas suffisamment rempli. Malu-Malu a ordonné au soldat Tshumpade de saisir
l’indigène qui était en défaut et de l’attacher à un palmier. Il y avait 3 liens, un à la
hauteur des genoux, un second à la hauteur du ventre, et le troisième qui enserrait les
bras. Malu-Malu avait sa cartouchière à la ceinture ; il a pris son fusil, a tiré d’une
distance d’environ vingt mètres, et d’une seule cartouche il a tué Bongiyangwa. La balle
a frappé l’indigène en pleine poitrine, au milieu du sternum, et est sortie par le dos : j’ai
vu la blessure. Le malheureux a poussé un cri et est mort. Témoin : M’Putila de
Yembe : » Comme vous le voyez, j’ai la main droite coupée. C’est Boula Matari qui m’a
mutilé ainsi. Quand j’étais tout petit, les soldats sont venus faire la guerre dans mon
village à cause du caoutchouc. Ils ont tiré des coups de fusils et comme je fuyais, une
balle m’a rasé la nuque et m’a fait la blessure dont vous voyez encore la cicatrice.
Je suis tombé et j’ai fait semblant d’être mort. Un soldat à l’aide d’un couteau m’a coupé
la main droite et l’a emportée. J’ai vu qu’il était porteur d’autres mains coupées. …Le
même jour, mon père et ma mère ont été tués, et je sais qu’ils ont eu les mains coupées. »
La reprise
Grâce notamment au travail de Morel et de la CRA et de la pression des gouvernements
britanniques et américains, des négociations entre le gouvernement belge et le roi
Léopold II s’organisèrent en 1907 pour la reprise du territoire du Congo. Le 20 août 1908,
la Chambre des Représentants approuva la Charte Coloniale et le traité de reprise du
Congo qui seront entérinés au Sénat en septembre et sanctionnés par le roi en octobre.
Le 15 novembre 1908, l’EIC devint le Congo belge. Renkin était nommé Ministre des
Colonies. Le montant de la reprise du Congo par la Belgique s’élevait à 95,5 millions
dont 50 à la charge du Congo et 45,5 millions à la charge de la Belgique. Ce dernier
fonds était prévu pour l’achèvement des travaux entrepris par le roi dont des
transformations au Château de Laeken et des travaux au Heysel, sur la route de Meise, au
palais de Bruxelles, etc.… Le fonds, à la charge du Congo, de 50 millions, était à verser
en 15 annuités au roi ou à ses successeurs et destiné à diverses rentes (notamment pour le
prince Albert), à des subventions aux missionnaires de Scheut, et à l’entretien des serres
de Laeken et du musée colonial de Tervuren. Cette dernière somme fut « attribuée au roi
en témoignage de gratitude pour ses grands sacrifices en faveur du Congo créé par lui ».
Le député socialiste E.Vandervelde partit au Congo en juillet 1908. Il écrivit un livre au
sujet de ce voyage intitulé Les Derniers Jours de l’Etat du Congo dont voici quelques
extraits : « Tout d’abord on peut dire que, pratiquement, il n’y a pas d’écoles au Congo.
En second lieu, l’insuffisance flagrante du service médical et hospitalier est un fait qui
n’est contesté par personne… Les hôpitaux pour noirs sont, à quelques exceptions près,
défectueux et insuffisants… A Matadi l’hôpital de la Compagnie du Chemin de Fer est
tout battant neuf. Il a coûté 80.000 francs. L’hôpital de l’état est l’ancien hôpital de la
Compagnie. C’est une baraque en bois… se trouvant dans un état de délabrement que je
n’hésite pas à qualifier de scandaleux … Cet état de chose fait monter la colère à la
gorge, quand on songe que le roi, avec les millions dépensés pour l’Arcade du
Cinquantenaire ou l’embellissement de son palais de Laeken aurait pu créer des hôpitaux
à 80.000 francs chaque dans tous les postes importants du Congo ! »
Léopold II mourut en 1909. Il possédait entre autre des dizaines de propriétés
immobilières à Bruxelles, l’équivalent de plusieurs dizaines de millions dans une
fondation en Allemagne, des propriétés sur la Côte d’Azur. L’état belge récupéra la
majeure partie de ces fonds, contrairement au Congo.
En 1909, le prince Albert se rendait au Congo (ce que son oncle n’avait jamais fait) pour
se rendre compte lui-même de la situation. Il nota plusieurs points comme le portage
excessif, le travail forcé, l’impôt élevé, des malades enchaînés, le système infernal du
caoutchouc, l’absence de systèmes médico-sanitaires pour les Africains. Néanmoins, lors
de son serment constitutionnel du 23 décembre 1909, il fit l’éloge de l’œuvre coloniale de
son oncle.
Le député Vandervelde complimentait ED.Morel à la Chambre en 1910 lors du
débat sur le plan de réformes à apporter au Congo. La réaction de Renkin :
« …Je n’ai jamais fait ni à Morel ni à la CRA l’honneur de discuter leurs allégations…
La CRA et M.Morel ont dirigé contre le roi Léopold II… mais aussi contre la Belgique,
contre les Belges, contre le gouvernement belge, une campagne de dénigrement et de
calomnie qui s’est prolongée pendant toute l’année 1909… Je défends la dignité de mon
pays. »
Le ton pour la poursuite des événements était donné. L’effondrement des cours du
caoutchouc sauvage sur le marché mondial mit fin à sa récolte et aux atrocités qui y
étaient liées. Mais le travail forcé mit en place pour sa récolte continua sous des formes
différentes. Un lourd impôt sur la personne physique des Congolais fut instauré. Des
drames humains allaient se jouer dans les mines ainsi que lors de la reconstruction du
chemin de fer. Le gouvernement belge ne se révèlerait pas être meilleur philanthrope que
son défunt roi.
Commentaire :
Résumé pour ceux qui désirent connaître l’histoire universelle des crimes commises par
des nations présumées être civilisées et leur désir mutuel d’étouffer et de nier leur passé
pour des raisons obscures. Nous avons tous le devoir de dénoncer chaque crime envers
l’humanité. Il ne faut pas confondre l’honneur qu’on a envers sa patrie, son pays, sa
conviction religieuse ou laïque avec la honte que dans le passé cet honneur a été trahi par
ceux qui représentaient la patrie, la religion ou même parties politiques. Ce ne sont pas
les enfants d’un famille…- dont le père a commis des crimes graves en association avec
d’autres sous ses ordres…- qui doivent être jugés ou être montrés du doigt pour le reste
de leur vie… non !, c’est le père qui doit être jugé et lui seul … fût-ce qu’il est roi, raison
de plus !!! Ainsi seulement les enfants et leurs enfants connaîtront la paix… mais si les
enfants et leurs enfants prennent défense de leur (grand) père sans que celui-ci a été jugé
ils se verront à toujours être poursuivi par leur passé et leur complicité.
La vérité est fertile et a beaucoup des descendants … Le mensonge est stérile et n’a
aucun futur, il se définit par son non-existence !
Victor Rosez
anthropologue géographique
linguist