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  Epilogue 1   Antiscolastique et philosophie « Ma lettre, à cause de la tienne, a l’air d’une justification. Ca ne va pas fort.  Tu n’es pas un Arabe, t’es un chacal. Tu fais tout pour que je devienne ce que tu me critiques d’être devenu, petite  vedette, vedette, vedette. Moi je ne te demande rien, mais je t’aime beaucoup  Ŕ pour en finir avec les bruits. » Gilles Deleuze 1  Ce texte est la réécriture d’une lettre à un ami. J’ai enlevé autant que possible, mais pas toujours, la forme « interpellative » (« tu… »), mais n’ai pas atténué le ton quelque peu «  emporté ». Le sujet du titre y prête.

Antiscolastique et philosophie

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Epilogue1 

 Antiscolastique et philosophie 

« Ma lettre, à cause de la tienne, a l’aird’une justification. Ca ne va pas fort.

 Tu n’es pas un Arabe, t’es un chacal. Tufais tout pour que je devienne ce que tu

me critiques d’être devenu, petite  vedette, vedette, vedette. Moi je ne te

demande rien, mais je t’aime beaucoup Ŕ pour en finir avec les bruits. »

Gilles Deleuze

1  Ce texte est la réécriture d’une lettre à un ami. J’ai enlevé autant que possible, mais pas toujours, la forme« interpellative » (« tu… »), mais n’ai pas atténué le ton quelque peu « emporté ». Le sujet du titre y prête.

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In memoriam Philippe Lacoue-Labarthe

N’en déplaise aux coquetteries professionnelles du jour, la modernitécommence avec une méditation sur l’Origine, c’est-à-dire avec Rousseau. Il y a

quelques années, les deux insultes préférées des « professionnels de la profession »

étaient : « métaphysique ! », et : « subjectivisme ! ». Aujourd’hui, -grâce entre autresà celui qui a réhabilité la pleine dignité des deux mots mis entre guillemets, j’ainommé Alain Badiou-, l’insulte en passe de devenir à la mode quelque chose

comme : « zarma, t’es un scotché de l’Origine ! ».

Et donc quand tu me dis, dans un moment de relâchement, que la pensée de

Rousseau quant à l’Origine est un « mythe », tu avalises le cliché le plus énorme et

le plus intenable qui se véhicule sur Rousseau depuis deux siècles. Elle n’a riend’une mythologie, elle est justement une pensée. C’est à tel point une pensée que,sans cette pensée, pas de Révolution française, pas de Saint-Just, pas deRobespierre, pas du Kant de la seconde critique (Rousseau est « le Newton de la loi

morale », il faut bien peser ces mots), et sans doute même de la première (le

transcendantal, donc ensuite la négativité chez Hegel, sont sans doute impensables

sans la césure que formalise Rousseau de l’Origine2  ), pas de Hölderlin, pas de

Schelling (la première esquisse d’une philosophie matérialiste, « athée », du Mal),

2 Comme en tous les points décisifs de mon « pas au-delà » de Badiou, j’en dois le clinamen  à Philippe Lacoue-Labarthe. Le citer chaque fois serait impossible : Hegel disait qu’il n’était pas une seule phrase d’Héraclite qu’il n’aitreprise dans son Encyclopédie. Plus modestement (par rapport à moi, non à Lacoue), je peux dire qu’il n’est pas uneseule des percées philosophiques de Lacoue-Labarthe que je n’aie reprise dans mon « sistême ». Donc, ici : Poétique de l’Histoire, Paris, Galilée, 2002.

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pas de Hegel (la négativité donc, mais  la dialectique Maître/esclave), donc pas de

Marx. Darwin lui-même est tout simplement impensable sans Rousseau, de même

que plus tard Lévi-Strauss. Et donc, à bien y penser, pas de Freud ni de Lacan non

plus : la sexualité qui cesse , pour la première fois, d’être considérée du point de la

« Nature » (qu’elle soit « normale » ou « dépravée »). Elle est précisément la penséeévénementielle de l’interruption du Mythe. Si l’on considère la pensée rousseauiste del’Origine comme un « mythe », on est obligé d’en tirer les conclusions, et deconsidérer tous les noms qui s’ensuivent, en bloc, comme du Mythe. Ce n’est passur un siècle ou deux qu’on prend dès lors de l’avance en faisant ce pari, commepour toute philosophie le moindrement digne de ce nom, mais sur un millénaire ou

deux, avec un peu de chance : quand il aura été définitivement démontré que le

communisme générique et le politique moderne (entre autres) auront été les mythes

de notre temps, comme le monothéisme pendant les deux millénaires précédents.Nous savons bien qu’il ne manque pas de monde, aujourd’hui, pour tenir cespropos très « pessimisme français ».

Quand Rousseau parle de « l’homme naturellement bon » (entendons : l’animalréduit à ses seuls besoins), ça ne lui prend pas plus de quelques pages. Ce qui

l’intéresse, et c’est cette seule considération qui  fonde  le politique moderne, c’est :

comment l’homme, sans la moindre my thologie créationniste, sort-il de son état

animal (« marquer son territoire », meutes et petits troupeaux, pas plus), et dit-il : ça,

c’est à moi (ce que j’appelle, en un sens qui n’est plus celui de Heidegger :

appropriation), jusqu’à la « trustisation » intégrale de la planète à quoi nous

assistons aujourd’hui, et la menace, pour la première fois de notre Histoire, d’unecatastrophe planétaire. Cette menace, comme aurait dit Mao, nous la craignons ;

mais nous n’en avons pas peur. Nous devons  ne pas en avoir peur, comme ça se

passe dans la  psychè du petit-bourgeois occidental nihilisto-dépressif : nous devons

combattre, chacun à notre mesure, les conditions qui ont installé une telle possibilité

catastrophique. « Les conditions réellement existantes ». C’est dans le premier

paragraphe de la seconde partie du Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité   parmi les hommes que Rousseau fonde le politique moderne, et il faut mesurer quel

héroïsme  téméraire il fallait à l’époque pour avancer une démonstration pareille :

« Le premier qui ayant enclos un terrain, s’avisé de dire, ceci est à moi , et trouva des

gens assés simples pour le croire, [à partir d’ici c’est moi qui soulignerai]   fut le vrai  fondateur des sociétés civiles. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de miséres et

d’horreur, n’eût point épargné au Genre-humain celui qui arachant les pieux ou

comblant le fossé, eût crié à ses semblables. Gardez- vous d’écouter cet imposteur ;

  Vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous , et que la Terre n’est à  personne : Mais il y a grande apparence, qu’alors les choses en étoient déjà venües au

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point de ne plus pouvoir durer comme elles étoient  ; car cette idée de propriété , dependant de

beaucoup d’idées antérieurs qui n’ont pu naître que successivement , ne se forma pas tout d’un 

coup dans l’esprit humain : Il falut faire bien des progrès, acquérir bien de l’industrie etdes lumières, les transmettre et les augmenter d’âge en âge, avant que d’arriver à cedernier terme de l’état de Nature. »

Dans un texte récent, assez indigent comme d’habitude, de Peter Sloterdjik, onpouvait lire que, non, Rousseau avait tort (et Lénine), sous-entendu : on a tout à fait

le droit de s’accaparer la terre et le reste. Et il n’argumente pas plus loin, ce qui est

la caractéristique du mauvais philosophe, ou du philosophe quand il est mauvais.

Pozner et toute l’idéologie buschiste, aux Etats-Unis, disent strictement la même

chose : ce sont des lois de la Nature, des extensions. Des excroissances, dirait

Badiou. Et c’est du reste le reproche que je fais à ce dernier, notre seul et unique

différend (qui va peut-être plus loin que je ne veux me l’admettre) : le pathos de larupture avec l’Origine, chez lui, est plus une pose qu’autre chose : celle qui prête à

l’interprétation de sa philosophie de l’événement comme commencement radical,miraculeux, tombé du ciel (j’y reviens pour finir). Je pense que nous sommes, et deplus en plus, au moins d’accord sur un point : il est très dangereux d’ontologiser  lepolitique. Dangereux pas parce que cela risquerait de nous conduire à on ne sait

quel désastre (le désastre est ce qui est là de toute façon, tout le monde est d’accordlà-dessus), mais tout simplement parce que la politique anthropologique (y en a-t-il

une autre ?) n’a rien  d’ontologique, mais est, éventuellement, une conséquence del’aptitude qu’a l’animal humain de s’approprier  l’être (par l’ontologie mathématiquejustement, mais entre autres , dois-je loyalement tenir « contre » Badiou).

Pour Badiou, l’événement est « simple » rupture avec l’Origine. Ce que penseRousseau, c’est : l’Origine comme  rupture avec l’Origine. Telle est la différenceradicale de ma conception de l’événement et de celle de Badiou, toutes proportionsgardées par ailleurs, comme on dit. C’est en rompant avec l’Origine animale ques’origine la politique, c’est-à-dire « l’inégalité entre les hommes ». (Plus radical

encore, ce qui ne peut que « déplaire » à Badiou : c’est à l’être-à-la-science qu’on« doit » l’existence  du politique dans la clôture anthropologique, c’est-à-dire

expropriation, servitude, torture, guerre, etc. Voire : la politique tout entière est

une mimèsis  de la science. Cela, je l’ai démontré  philosophiquement, dans une toile

sophistiquée d’inférences et de déductions précises, et pas simplement assené sans

arguments, comme le fait toujours la mauvaise philosophie.)

C’est en rompant avec l’origine qu’on créé l’Origine elle-même : c’est avec cetoxymore dialectique que Rousseau a donné le coup d ’envoi de toute  la pensée

moderne, jusqu’à Badiou compris, qu’il en soit conscient ou pas. C’est sur ce

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« module » dialectique que s’enlève l’ensemble de mon « sistême » propre. Par

exemple, et pour rester au plus près de Rousseau, c’est en rompant avec notre

animalité que se constitue l’archiévénement « homme » comme animal historique

(ou « éternel », dirait Badiou, ce qui dit strictement la même chose). Mais c’est là

encore que j’ai avoué, carte sur table, ma dette envers Lacoue-Labarthe : l’aufhebung de Hegel, la suppression-conservation ou « relève » de ce qui a disparu, comme

traduira Derrida (ce qu’on appelle aussi emphatiquement, de nos jours, la« mémoire »), ce n’est rien d’autre qu’une traduction, via Rousseau justement, de la

katharsis d’Aristote. Terreur et pitié sont « supprimés » par la Tragédie, et en même

temps conservés (ce ne sont plus les affects pénibles qu’ils sont « dans la vie », et

pourtant ce sont quand même les « mêmes » affects, devenus « délicieux » par

l’opération mimético-tragique. Ce qui est « supprimé » sur l’entrefaite, -l’horreur-,

n’est du reste  pas réellement supprimé. Il est même appelé, par cette opération, àrevenir sous une forme empirée : voilà exactement ce qu’il y a de « nouveau » dans ce

que j’essaie d’articuler d’une dialectique de l’Histoire).

La « relève » hégélienne est une katharsis  étendue, qui démontre donc que

l’Histoire anthropologique s’origine d’une césure sans cesse répétée avec l’Origine,qui est aussi bien répétition de la fondation de l’Origine. En césurant notre animalité,

en la « supprimant » technologiquement, cette animalité désanimalisée, évidée notamment par l’appropriation scientifique, est  cependant « conservée » : dans la

forme générale, à point nommée, du  Mal . Que l’homme devienne par là sous-

animal ne veut pas seulement dire qu’il devient « civilisé », claquemuré dans la

« seconde Nature » de ses gestes vides quotidiens (hygiène, information, travail,

lunettes : tout ce qu’on voudra) : ça veut dire aussi qu’il devient esclave, bête de

somme et chair à pâté (voire, pour la seule et unique fois de notre Histoire : rien ,dans la chambre à gaz : même pas  un sous-animal. Ontologique de l’Histoire , dans le

sillage d’Adorno, Lacoue-Labarthe et quelques autres, a   poussé plus loin l’analytique 

historiale qui a amené l’apocalypse d’Auschwitz qu’on ne l’avait jamais fait).

L’événement Ŕ tout événement singulier- fait accéder l’homme au Bien, maisl’animalité « supprimée », traumatisée par cette « relève », insiste dans une forme

pervertie, monstruée comme je le disais naguère : la haine à la place de l’animosité, laguerre et non plus la prédation, la bombe atomique et non plus simplement « le

gros poisson qui mange le petit » de Mao, etc. etc. Pour le dire encore autrement :

j’ai tâché, contrairement à ce qui se dit, de tenir compte de la considération pleine de

bon sens de Derrida : l’événement ne peut être qu’un Mal. Certes. C’est ça qui aconstitué le « Mythe » aussi bien du « péché originel » dans le monothéisme que de

la césure tragique chez les grecs. Et j’ai donc tâché de me tenir entre  l’axiomebadiousiste (l’événement ne créé que le Bien, et c’est ce seul Bien que la philosophie

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doit considérer et « relever ») et le récapitulé éthique de l’axiome de Derrida(l’événement ne créé « que » le Mal, donc il faut s’en prévenir, dans une réflexionmétaphysique de l’idéologie social-démocrate. Et je ne le dis même pas, ici, en

mauvaise part : il s’agit de penser ce qui est   ). « Juste milieu » ? Aristotélisme !

t’écries-tu, pour deux phrases plus tard me reprocher de ne rien apporter, où que cesoit, à Badiou que je me conterais de recopier au plus près.

Mettons les points sur les i. Ma médiation  globale   de l’événement, mesconceptions de la subjectivation, de l’Origine comme co-dépendance des procédures

génériques entre elles (pour Badiou, tout est séparé, et notamment les « vérités » :

c’est ça aussi que j’appelle « machisme transcendantal », et même pas en mauvaise

part : ma pensée   Ŕqui n’est certes pas une «philosophie positive »- est plus

« féminine » de ce point de vue, interrogeant les procédures de vérités dans leur co-

dépendance organique : j’y reviendrai plus loin), la dialectique métaphysique quej’organise de la Mort (appropriation d’être et pathétique Ŕ tragique- du disparaître

sont rigoureusement -« mathématiquement »- proportionnés3  ), donc de la « vie »,

etc., ma pensée, ne t’en déplaise, ne doit plus rien à Badiou. Son concept de vérité,

et lui seul, reste entièrement le mien, c’est-à-dire que je l’applique . Mais je l’applique,et c’est à ce détail que tout se joue, à des vérités négatives autant que positives (plus

exactement : à la négativité comme condition de production des vérités positives) . Je lui pose souvent la question et il ne répond pas : il n’y a aucun moyen, lui dis-je,

de ne pas tirer de votre concept de vérité le fait qu’il y a aussi des vérités négatives.

Il ne répond jamais quand on touche juste, et telle est la « soustraction » : éviter la

contradiction et s’installer en un lieu où on en fasse l’économie (ce n’est p as autre

chose que ce qu’il hérite, comme l’a bien signalé Zizek 4, de la dialectique « bout

3 Il s’agit bien d’une mathématique. Dans Ontologique de l’Histoire , op.cité, Algèbre de la Tragédie. Voire : d’une « théologie »a-thée, dans le sillage de Hölderlin, de la contingence miraculeuse : le pathétique de la Mort, c’est celui du disparaîtrede l’étant qui s’approprie le plus d’être. Un minéral s’approprie moins d’être qu’un végétal, qui le fait moins qu’unanimal, qui le fait moins qu’un homme dans l’immensité cosmique vide  d’étants appropriateurs comme nous : ladécouverte post-galiléenne des « espaces infinis » aurait  pu , après tout, nous faire découvrir d’autres « étantsappropriateurs » (et c’est l’hypothèse des « extraterrestres ») partout dans l’Univers. Mais non, rien. Le quantum d’appropriation d’être se « paie » donc d’un pathétique tout aussi démesurée du disparaître : le Mal, ou la conditiontragique. Mais aussi une sorte de « justice » cosmique : j’ai de la « chance », une chance statistiquement miraculeuse ,d’être plutôt un « homme » que cette chaise ; mais, d’une part, cette chaise n’en saura jamais rien (elle ne « manque » àproprement parler de rien du tout, et ne souffre pas de ce manque : c’est l’étant sujet de l’appropriation qui estpassible, proportionnellement, de souffrances, c’est -à- dire du pâtir de ce manque même, universellement inclus, qu’il s’approprie,et dont le minéral ou la chaise ne soupçonnent rien) ; de l’autre, la situation anthropologique, celle de l’étantmaximalement appropriateur, « s’expie » dans le pathétique incommensurable de l’expropriation, politique et autre.  4 « Mao-Tsé-toung, seigneur marxiste du désordre », dans  Mao, de la pratique et de la contradiction, Paris, La Fabrique,2008. Commentant les passages ou Mao résume cette « dialectique » du bout portant en croyant « sursumer » Hegel(« La négation de la négation, ça n’existe pas. Affirmation, négation, affirmation, négation… (…) La synthèse s’esteffectuée comme ça : leurs armées avançaient, et nous les dévorions, nous les mangions morceau par morceau. (…)Une chose en mange une autre, un gros poisson qui mange un petit poisson, c’est ça la synthèse. On ne l’a jamaisexpliquée comme ça dans les livres », etc.), Zizek objecte opportunément : « Qu’est-ce qui tourne court chez Mao ?C’est sa manière d’opposer  l’injonction de rupture et de division à la synthèse dialectique. Quand Mao désignemoqueusement la synthèse comme étant la destruction de l’ennemi ou sa subordination, son erreur réside dans cette

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portant » de Mao, bien peu hégélienne en vérité, -Hegel et toute dialectique

s’installe dans  la déchirure et la contradiction qu’est  la vérité-. Badiou pratique une

« dialectique axiomatique », tout au plus : on considère la forme générique des

 vérités du dehors , et on lance des énoncés dont on juge qu’ils sont de nature à

alimenter son moulin : à y produire un effet. C’est ça la différence essentielle de la« posture » hégélienne et de la « posture » badiousiste. Et c’est pour ça que le signeque Badiou donne à son concept de la vérité générique est… féminin ! Soustraction

et castration ne riment pas par hasard. Comme il le dit, par une charmante ellipse,

dans L’être et l’événement , il choisit le signe féminin ♀ « pour des raisons que je laisse

à la dilection du lecteur ». Tout ça pour m’écrire un jour ceci : « Les féministes ont

réussi à vous persuader que la femme, c’est la vérité ! Mais vous restez sur vos

gardes… »).

De ce fait, pour lui, il suffit de couper court vers les vérités historiques, et

s’économiser la pensée de l’Origine ; ca produit et ça produira des résultats, qui

sont ce qu’ils sont et qui seront ce qu’ils seront. Mais on ne peut pas en rester là.

Car ce n’est qu’une déclaration : dire  qu’on s’économise toute pensée de l’Origine nesignifie certainement pas qu’on ne pense pas , comme n’importe quel animal humainest obligé  de le faire, et d’autant plus qu’il est davantage pensant, à partir  des

innombrables traces de l’Origine, des origines multiples : nommément les

événements. L’homme est l’animal qui sait  qu’il a une origine. En observant lesanimaux, je me demande très souvent ce que ça peut faire de se demander, par

déduction (et on ne voit pas pourquoi un animal ne pourrait pas le faire) : « j’aienfanté, et j’ai été enfanté ; je sais donc avoir un père et une mère, qui à leur tour

ont eu un père et une mère, que je n’ai pas connus, etc. » Et de soupçonner qu’il a une

Origine ancestrale, sans pouvoir la connaître. Tel est aussi ce qui explique le

« pathétique » de la condition anthropologique, son héroïsme tragique : la

« dépressurisation », l’animalité évidée, exténuée, du fait d’habiter  l’historialitécomme appropriation démesurée, incalculable, de l’Origine. La Science elle-même.

Ma conviction est donc que c’est en reposant à nouveaux frais la question del’Origine Ŕ comment la politique est-elle possible ? Question de type transcendantal,

attitude moqueuse elle-même   Ŕil ne voit pas que c’est là la vraie synthèse hégélienne. » Badiou ne commet pasl’erreur, mais garde la méthode répétitive de Mao (destruction, reconstruction, destruction, reconstruction, etc.). De cepoint de vue seulement, mais de ce point de vue entièrement, Hegel est bien dans une position « hystérique »(féminine), celle qui consiste à décrire la vérité de l’intér ieur de sa « conflictualité sans accord » (qui est , disjonctivementaurait dit Deleuze, la « synthèse »), et Badiou dans celle du « machisme transcendantal », qui n’agit  sur  la vérité (cequ’il appelle le générique, qui n’est autre que l’équivalent, chez lui, de la « synthèse » dialectique) que de l’extérieur , parsérie d’axiomes bien choisis et bien frappeurs. Quitte à sortir des gonds : le Mal « n’existe » pas (pas plus que les

  vérités, dans la définition qu’il leur donne, ai-je envie de rétorquer), Auschwitz ou Hiroshima ressortissent de laNature, « je crois comme Rousseau que l’homme est naturellement bon », etc. C’est sur ces hubris du Maître que j’aifait mon « fonds », et ai orienté la pensée vers d’autres sentiers d’honneur. 

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au sens de Rousseau-Kant plus que de Badiou, qui dépend pourtant de ces deux-

là - que je peux contribuer, à ma mesure, à ce qu’elle Ŕ la politique- reprenne

effectivement. Il est en tout cas clair qu’une simple théorie du Sujet, comme chezlui, et une stratégie du seul « couper court » vers les vérités séparées entre elles ne

suffiront pas, ceci dit sans le moindrement minimiser tout ce que nous lui devonsaujourd’hui, et qui est, comme tout ce qui importe, incommensurable.

Dans cette pensée, -la mienne-, qui n’a donc rien d’une philosophie positive,mais est d’ores et déjà, comme disait donc Rousseau, un « sistême » organiquement

articulé, où il est impossible, n’en déplaise aux petits couteaux, de critiquer un pointsans commenter l’ensemble des articulations qui soutiennent ce point, cette pensée,

dis-je, est une tentative de « désensorcellement » de ce que je ne laisse pas de tenir,

après Deleuze, pour la philosophie contemporaine et la seule. Comme le dit Badiou

lui-même, on ne peut rien reprocher à une philosophie qui lui soit purement

extérieur. Mais on peut, latéralement, élaborer autre chose  à partir de ses points

d’insuffisance : de ce qu’elle ne traite pas, ou de manière expéditive, ou de mauvaisefoi, ou carrément mensongère5. Le « désensorcellement » que je tente, c’est aussipour mieux lui être fidèle : il faudra, demain, un véritable Sujet politique. Ce Sujet

ne fera pas plus l’économie de Badiou que Marx et Lénine n’auront pus’économiser la fréquentation de Hegel ; nous sommes bien d’accord.

Mais le Sujet, c’est justement la fidélité. Et la fidélité à la modernité, c’est lafidélité à ce qui a fondé la Politique, à savoir la pensée rousseauiste de l’Origine.Désensorceler veut donc dire : à l’intérieur de la lecture éblouie de Badiou, j’arrive à

« voir » la séparation radicale des quatre procédures de Vérité (science, politique, art

et amour) entre elles. De l’extérieur , j’avoue ne pas y arriver du tout 6. Ne jamais arriver à

examiner la politique comme un champ de vérité immaculée où n’interviendrait ni

5  Badiou m’a tenu un jour ce propos, pour moi révélateur de son machiavélisme « chinois » : « Le cas d’Antonin Artaud est compliqué. Il était incapable de mentir. Donc incapable de vérité. »6 Ce qui, pour Badiou, est la position « féminine » typique, comme on a vu. Je conclurai là-dessus, mais enfin je nepeux pas m’empêcher de faire ce récapitulé foudroyant : ce que j’appelle « architransgression » est en effet l’Idéed’une Origine « unique », mais qui n’a jamais existé. Elle est l’Idée de l’imbrication de tous les micro-événements(agriculture, chasse, silex…) qui ont fini par faire que l’homme soit ce qu’il est. Dans cette Origine, aussi bien, art,science, politique et amour ne se distinguent  pas encore  : ils sont la capacité originaire de l’animal humain à la mimèsis appropriatrice et donc à la tekhnè. Mais là encore, ce n’est qu’une Idée : les dessins de Lascaux ou Chavaux sontl’origine de l’art (mais aussi bien de ce qui deviendra  proprement la science : la capacité à inscrire des lettres), la chassepuis la guerre à l’Origine du politique (mais dépendant de la Science, en un sens qui ne se distingue pas encore dutechnologique), l’association « amoureuse » (au-delà de la sexualité) existe chez d’autres espèces mammifères que lanôtre (mais enfin la sublimation  amoureuse ne dépend de rien d’autre que des autres conditions, comme tekhnè érotique), etc. Je ne mélange donc pas simplement toutes les procédures dans une Origine commune : puisque je lesdistingue à même  cette Origine, d’une façon inédite, et qu’ensuite je les conserve dans leur séparation« contemporaine », au sens large. Le « sistême » reste donc « masculin ». Mais le fait de faire incessamment

communiquer ces procédures entre elles, voilà, certes, le « féminin ». Et c’est tout l’enjeu du présent livre, que de jeterles bases d’une dialectique tenant compte, «  à même l’Origine », de ce qu’on doit, incessamment, aux deux positionssexuées.

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art (et « culture », au sens le plus péjoratif), ni amour (et sexe), ni science (et

technique). Ou l’art sans la moindre incidence de la science, de la politique et del’amour. Ou l’amour, sans la moindre incidence de la science, de la politique et de

l’art. Ou la science, sans la moindre incidence de l’amour, de l’art et du politique.

Enfin (et donc), j’avoue ne jamais parvenir à envisager tout cela sans laconsidération des envers négatifs de toutes ces « procédures » immaculées, en amont

comme en aval : technologie (auto-) destructrice comme envers de la science,

pathétique érotique comme envers de l’amour, culture cancéreuse(« démocratique », dit-on de nos jours…) comme envers de l’art, expropriationgénéralisée comme envers des vérités politiques. Généralisée , c’est-à-dire : aussi

surnuméraire  que le sont les hautes vérités « platoniciennes » de chacune des

procédures.

Quand Badiou écrit que la vérité dont tel ou tel Sujet est le « corrélat »

(Toussaint-Louverture, Rosa Luxembourg), c’est : « L’esclavage n’est pas naturel »,

je réponds que là est le point intraitable de mon différend avec lui. Qu’on ne peutpas tenir cette vérité par une pure et simple « déconstruction » du concept de tekhnè ,qui résorbe celle-ci, à point nommé, dans le concept « mathématisé » de la Nature

qu’il a donné dans L’être et l’événement (je m’y attaquerai un jour, et dans le grain). Oupar un pur et simple congé donné, qui risque de ne donner qu’une  pose  philosophique de plus, à toutes les « pensées de l’Origine ».

La pensée de l’événement ne peut rien être d’autre qu’une pensée de l’Origine. Si

« Spartacus » est le nom d’une vérité éternelle (c’est-à-dire, d’ores et déjà, d’unévénement comme Origine), il faut tout de même nous dire de quoi procède cette

« merveilleuse » vérité originairement événementielle, à savoir l’abomination non naturelle de l’esclavage : le  Mal . C’est-à-dire, que ça plaise ou non : strictement post- événementielle , exactement au même titre que les « vérités éternelles » positives. Et elle

ne procède de rien d’autre que de ce que Lacoue-Labarthe appelle, chez Rousseau,

« l’onto-technologie », à savoir de la capacité anthropologique aux merveilles sansmélange (pour le « platonisme ») de la Science, son archi-aptitude à la tekhnè , qui est

aussi une technologisation de   l’espèce  elle-même, dès l’Origine (Hegel ne dira riend’autre), technologisation à laquelle nous devons , en part la pire comme la meilleure,

la « politique ». L’animal à avoir quitté la sphère du « besoin » nutritif est aussi le

seul qui connaisse la famine ; l’animal à avoir quitté le « milieu naturel » par l’habitatest aussi celui qui se retrouve à la rue (pas de clochards chez les autres animaux), ou

par milliard dans des bidonvilles, etc. L’esclavage, en son sens le plus général, n’estrien d’autre qu’une « technologisation » de l’homme par l’homme. Et il se trouve

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qu’une telle technologisation n’existe chez aucun autre mammifère  que l’homme (toutau plus chez des insectes, abeilles et fourmis).

Pour le dire encore autrement : identifier tendancieusement, avec des mines en

coin de petit marquis7

, ma tentative « philosophique » naissante à celle, accomplie,de Badiou, est à peu près aussi sérieux que de comparer la frayée du jeune Schelling 

avec le criticisme kantien achevé. Criticisme qu’elle a commencé par transgresser, et

tout est là : c’est en transgressant les Interdits fondamentaux du Père qu’on arrive àquelque chose de neuf. Ainsi, Badiou comme Zizek transgressent l’interditfondamental de Lacan : ne pas appliquer sa pensée à la Chose politique (sous peine

de « ne dire que des bêtises », prévenait Lacan). C’est-à-dire : c’est comme si turésorbais, dans une éthique métaphysique du Bien sans mélange (la seconde critique

de Kant), une métaphysique du Mal (Schelling), la toute première dans l’Histoire dela philosophie, et pas à n’importe quel moment. Badiou, je le sais bien, me diraitqu’alors ce n’est pas de la Philosophie, ascétiquement ordonnée à la seule étude du

Bien. A quoi je répondrai imperturbablement : peu m’importe qu’on appelle celaphilosophie, antiphilosophie ou aquarelle : il s’agit du  fond , non de la forme. De la

Chose même et non du mot. Et si j’ai recréé, avec des outils entièrement neufs, une« métaphysique du Mal » stricte, la première depuis Schelling (et, ai-je envie de dire

pour aggraver mon cas, autrement clarifiante et athée  ), c’est que c’est ça, à mes yeux,la rupture réelle avec le nihilisme : la déconstruction de son concept chez Nietzsche-

Heidegger, l’analytique de sa forme effective dans la « démocratie ».

Pourquoi ? Parce que ma conviction absolue est que c’est en n’oblitérant pas laquestion du Mal comme production positive (au sens précis que je donne à l’adjectif 8 ),c’est-à-dire comme condition pure et simple du politique, que : 1-on se donne la

possibilité, pour la première fois, d’éviter définitivement  la question du « nihilisme » ;

2-on regarde, tout de même, le fait politique en face. Dans sa négativité radicale, qui

est sans doute la négativité tout court. Les deux points se co-impliquant

évidemment. Examinons donc comment.

1-Le montage de Badiou dépend encore du concept de « nihilisme », puisque tout

ce qui n’est pas ce que son gigantesque Système avalise comme vérités positives et

comme Bien, c’est du « nihilisme », c’est-à-dire aujourd’hui pratiquement tout cequi n’est pas « lui » (« moi », par exemple), à savoir ce que n’agréé pas le Tribunalterminal et épurateur de Vérités (là encore, on doit plus à Kant qu’on ne voudrait :

7 Adorno, dans Minima moralia , op. cité : « Il est un critère quasiment infaillible pour savoir si quelqu’un vous veut dubien : la manière dont il rapporte les déclarations inamicales ou hostiles à votre égard. Le plus souvent de tels ragots

sont inutiles, simples prétextes à laisser transpirer la malveillance sans en assumer la responsabilité, voire même aunom du bien. »8  J’exhaustive la question dans Inesthétique et mimèsis, Paris, Lignes, 2010.

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la Philosophie est la mimèsis  de la Convention terroriste, les « mains sales » en

moins9  ). Le « platonisme contemporain» est ce qui prétend s’économiser leNégatif ; ce qui veut dire que tout ce qui n’est pas l’Empyrée des Vérités éternelles est

purement et simplement néantisé. Il y a donc une stratégie de négativité radicale,

contrairement à ce que cette philosophie tient dans l’explicite du Discours, qui estson implicite stratégie : rien n’est assez Bon pour elle. Ce qui la rapproche, pour la

énième fois, de Kant, celui justement de la seconde critique (l’homme destiné auBien sans mélange) : on constate qu’aucun acte moral réel , aussi héroïque et

désintéressé soit-il, n’est jamais assez bon pour elle10  (c’est ce qui permettra lerapprochement de Kant avec Sade, d’Adorno à Lacan.) Le fait que Badiou consenteà Guyotat quelque chose de cet ordre devrait t’ouvrir les yeux, à toi comme auxautres. La philosophie comme « relève » platonico-angéliq ue de l’universel « Bordel

boucherie », titre qu’a donné Guyotat à un de ses plus beaux textes, ou del’universelle « Prostitution », mon livre préféré de cet auteur. Badiou « laïcise »

l’éternité, le Bien, les Anges héroïco-subjectifs des Vérités Positives : bref, il laïcise

le paradis  (c’est le côté « catholique » -augustinien- de la Chose). Très bien. Il n’y adès lors pas la moindre raison pour ne pas aussi laïciser l’enfer . Comme le dit un des

plus grands poètes, d’autant plus pertinemment qu’il se revendiqua toujours ultra-

platonicien :

« Et alors apparut, comme pour ma chute finale et irrévocable, l’esprit de

PERVERSITE. De cet esprit la philosophie ne tient aucun compte. Cependant, aussisûr que mon âme existe, je crois que la perversité est une des primitives impulsions

du cœur humain ; une des indivisibles premières facultés ou sentiments qui donnent

la direction au caractère de l’homme. Qui ne s’est pas surpris cent f ois commettant

une action sotte ou vile, par la seule raison qu’il savait devoir ne pas  la commettre ?

9  J’exhaustive, là encore, la question dans Inesthétique et mimèsis, Ibid. C’est le thème Ŕ provocateur comme toujours-,chez Badiou, de « L’ange », c’est-à-dire du Sujet voué aux vérités éternelles, canonisé par la Philosophie, et qui se laveles mains, dans la « sublimation du concept », de tout Mal, « catégorie de la théologie, ou de la morale, qui est unethéologie dégradée », dit Badiou. Pour répondre à la provocation par une autre, on pourrait dire que, de même que jene sais plus qui a dit, de l’éthique kantienne, « elle a les mains propres, mais elle n’a pas de mains », que l’admirationde Badiou pour la pièce de Sartre permettrait presque de dire de son « éthique des vérités » : « elle a les mains sales,mais elle n’a pas de mains » ! Plus proche de Hegel, qui disait : « seules les pierres sont innocentes », donc deRousseau, je partage encore avec un Adorno Ŕ et quelques autres : les « philosophies négatives »- la thématique d’uneculpabilité universelle de l’humain, culpabilité qu’il faut penser, justement, hors de tout théologisme et moralisme (il y a,après tout, un très fort moralisme de Badiou, malgré ses dénégations en ce sens). Sous ce rapport, le « platonisme »contemporain en reste au moyen-âge thomiste (la « hiérarchie » céleste des Anges, Chérubins, etc.), c’est-à-dire aucatholicisme , comme Sollers ; ce qui ne laisse pas d’être très « français ». Tandis que mon paradigme demeure Luther etnon pas seulement Saint Paul : c’est-à-dire allemand. Thématique de l’univ ersalisation subjective de l’espèce  par  laculpabilité du péché originel, à savoir : la responsabilité . Mais aussi bien : de  fidélité  à ce dont procède Badiou lepremier : à Rousseau, à Hegel, à Lacan, -entre autres-. Tout le « procès » que je lui intente  Ŕ « l’antiphilosophe »- sefait sur le Tribunal de : « qu’est-ce qu’être réellement fidèle à tous ces noms ? » La dimension « positive »,systématique, gigantesque, grandiose, etc., du travail de Badiou y répond positivement ; toutes ses facilités sur le Mal, la morale, la théologie, la technique, etc., ne sont ni plus ni moins que des trahisons. Mais nul ne  peut faire autrement s’il

s’engage dans quelque chose : la « pieuse infidélité » de Hölderlin (ou la « condition tragique »), telle que j’en rappellela dialectique très bientôt.10  J’ai analysé ce point dans la seconde section d’Ontologique de l’Histoire. 

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N’avons-nous pas une perpétuelle inclination, malgré l’excellence de notre jugement,à violer ce qui est la loi , simplement parce que nous comprenons que c’est la loi ? (…)C’est ce désir ardent, insondable de l’âme de se torturer elle-même , de violenter sa

propre nature, de faire le mal pour l’amour du mal seul (…). »11 

Le Mal : la torture, l’esclavage, la prostitution, Auschwitz, Hiroshima, l’AgentOrange, bref : l’universel « bordel boucherie » du Poète (ou l’éternité négative, telleque l’a « immortalisée » Christophe Manon dans son Poème12  ). Badiou répète

souv ent que si la philosophie n’est pas destinée au communisme, elle ne vaut pasune heure de peine. Tout à fait d’accord. Mais j’ajoute alors que si « la »

philosophie, en 2009, n’est pas capable d’expliquer une fois pour toutes pourquoil’humanité, la forme la plus puissante d’animalité sur terre, soit aussi bien la seule et

unique espèce susceptible de souffrir quelque chose comme la  famine , alors « la »

dite philosophie ne vaut pas une seule seconde d’attention.  Tâche ingrate en apparence, mais après tout, que faire « après » Badiou,

« après » Platon ? Monter encore plus haut dans l’Himalaya des vérités éternelles ?

Impossible. Donc « redescendre » : si c’est de « l’aristotélisme moderne », comme tu

me l’insinues en te croyant très mordant, alors que  je l’ai moi-même problématisé

explicitement, eh bien soit. Si, comme le dit Badiou pour se débarrasser du

problème, on laisse la question du Mal et de l’enfer immanent à la « théologie et à la

morale », on s’affaiblit. Pourquoi ? Parce qu’on laisse justement à nos ennemis le soin

de théologiser le Mal (cf. la « Shoah », etc.), à toute fin politique et à tout nouveau

« grand récit » utiles, ou de remplacer la politique par la componction morale

(« l’humanitaire », etc.). Il est donc très gentil de ta part de, tantôt, me présenter

comme un ersatz indifférent de Badiou, tantôt, de me reprocher de le trahir

absolument de toutes parts (« Aristote ! », le Mal, etc.), mais décide-toi une bonne

fois pour toutes, sinon je vais cesser de perdre mon temps avec ta « brillante

hystérie ». Il est très facile de réduire la pensée des autres à des stéréotypes

péremptoires en croyant en imposer ; il l’est beaucoup moins de repérer quelles

sont les opérations singulières d’une construction conceptuelle donnée. Compter lespoints de l’extérieur n’a jamais présenté le moindre intérêt : il faut à chaque fois entrer dans le questionnement singulier qu’organise un auteur pour en comprendre l’enjeuet la portée.

Et il n’est pas fortuit que le texte, à mon humble avis, le plus approfondi qu’aitproduit Badiou pour définir l’essence de ce que lui  entend par politique, ce soit la

méditation (la trente-deuxième) consacrée à Rousseau dans L’être et l’événement.  Je

11 Edgar Allan Poe, Le chat noir , in Œuvres complètes , Paris, Laffont, 1989.12 L’éternité , Paris, Dernier Télégramme, 2006.

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cite quelques phrases, pour alimenter le moulin de toutes les mises en procès de la

« mythologie » de Rousseau : « Rousseau établit pour toujours le concept moderne

de la politique » ; « L’homme n’est pas un animal politique, car le hasard de lapolitique est un événement surnaturel » ; « La politique est une création , locale et

fragile, de l’humanité collective, elle n’est jamais le traitement d’une nécessité vitale » ; etc. On peut dire que sous ce rapport, tout concorde. Mais ce qui vaut la

peine d’être relevé, c’est que ce que Badiou prélève de fondamental chez Rousseau,c’est son concept de la « volonté générale » comme création , là encore avant tout le

monde et avant Badiou lui-même, du concept même  de générique, appliqué à la

chose politique. Bref : c’est sous rapport de la question de la vérité que Badiou litRousseau ; moi, c’est sous rapport de la question de l’Origine. Ca ne veut surtoutpas dire, quoi qu’on en pense quand on prend les choses de très loin, que qui traite

de l’Origine s’écarte de la vérité, pas plus que qui se « concentre » sur la vérité soitexempté de tout questionnement, à son insu ou non, sur l’Origine. 

Badiou se contente de dire : est « nihiliste » ce dont je décide que ça n’existepas. Par exemple, le Mal : Auschwitz, c’est la peste d’Athènes. Autrement dit : ça

ressortit de la Nature, d’où le fait de bien faire attention quand on parle de laquestion « Rousseau », ce qui vaut aussi pour lui. Je lui ai fait remarquer que, quand

il disait, dans les provocations un peu gratuites dont les présentations de ses

« Circonstances » sont friandes (le reste d’agit-prop), « je pense comme Rousseau

que l’homme est naturellement bon », il avalise, et sans croire une seule seconde à

ce qu’il dit, le cliché anti-rousseauiste le plus « bête et méchant », puisque si

Rousseau dit ça, c’est pour dire : comment se fait-il qu’on ait quitté cet état (« en

deçà du Bien et du Mal », dit ailleurs Badiou de manière bien plus fidèle à

Rousseau ), qu’on soit entrés dans le régime fondateur du politiq ue, qui est celui de

l’expropriation généralisée (les « stratégies effroyables », dit Schürmann) ? Ce qui

n’existe pas, c’est donc les conditions de l’événement réel : l’existence nue del’esclavage et de l’exploitation, comme les excès collatéraux de la GRCP pour

réparer ce Tort originaire, les psychoses de Cantor, Gödel et Grothendiek à quoi saphilosophie doit tout, les souffrances terribles des artistes effectifs (et le fait qu’ilsne rendent presque toujours compte que de la souffrance) , le fait que l’amour, oui,

dépende de la perversion originaire de l’animal humain et de ce que j’appelle le« viol archaïque » de la position homme. L’abjection esclavagiste et tortionnaire, les

 Traites, dans notre siècle Auschwitz, Hiroshima, l’Agent Orange au Vietnam, etc.,

ne sont pas, comme le dit avec légèreté Badiou, des « effets de la Nature » (mais, je

l’ai dit, je m’y attaquerai un jour dans le grain   ). Sans théorie matérialiste  du Mal

(comme production stricte), c’est-à-dire comme prix d’expropriation généralisée quisolde  l’appropriation scientifique, je ne vois pas comment parler, concrètement , de

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politique. Le génie scientifique, donc l’antiphilosophe, paie, et moi, le Philosophe,j’encaisse. Je ne le dis même pas en mauvaise part, mais chez chaque philosophe ou

penseur il y a un pli singulier de la katharsis- relève, et fondamentalement Badiou

c’est ça : la philosophie est ce qui épure les vérités de leurs graisses sanguinolentes,

dans l’éternité canonique du concept. Par exemple, Deleuze encaissant la plus-valueconceptuelle (et « poétique ») de la schizophrénie, expérimentée et pensée sur le

terrain par son ami Guattari, sur des schizos concrets, que Deleuze ne pouvait pas

piffrer physiquement. C’est toujours Hegel qui eut seul à subir les quolibets d’unschème épurateur commun à toute philosophie, et qui définit à chaque fois son style

singulier : sa métaphysique. Par rapport à Badiou comme Deleuze, je garde, à l’écolede Hegel et plus encore d’Adorno ou Lacoue-Labarthe, le souci de la négativité

concrète à laquelle nous devons aussi bien « l’éternité des vérités positives » de Badiou

que « l’extase affirmative intégrale du virtuel » de Deleuze.

Comme pour Spinoza, le Mal n’est qu’une vue de l’esprit pour Badiou. Ou

encore : rabattre le Mal sur le nihilisme, c’est avaliser la position métaphysiqueclassique du Mal comme non-être, et c’est exactement cela  qui a changé avec

Rousseau et tout ce qui s’ensuit. Pour le dire encore dans les termes de Hölderlin :

ici comme ailleurs, c’est la fidélité à Badiou qui m’aura commandé de lui êtreinfidèle : c’est sur ses « infidélités » (à Rousseau, à Hegel, à Lacan…) à lui queBadiou sera devenu lui-même, et aura poursuivi le programme moderne. C’est enrepérant  ces infidélités (« comme un Traître », dit Hölderlin de la césure tragique,

savoir : de l’événement), que je suis sommé d’être à mon tour infidèle à Badiou, pour lui être fidèle. Comme l’écrit Lacoue-Labarthe :

« Le revirement, de fait, est ce qu’il importe de considérer (…) c’est l’infidélité.L’homme n’en décide pas, il obéit à sa Loi Ŕ qui est la Loi, en général. La pieuse

traîtrise de l’homme est une réponse, la seule manière qui soit de maintenir une« communication » avec le Dieu catégoriquement détourné et de le garder, comme

tel, en mémoire. »

Et encore :

« Le commandement de l’impiété par l’obligation même de la fidélité. Hölderlinappelle cela : la Révolution , et nous en sommes toujours là. »

Y compris en (anti)philosophie. Le Mal n’est « rien », pour Spinoza ou Badiou ; pas

pour Hegel le luthérien, qui regarde en face   la boucherie qu’est effectivementl’Histoire, l’envisage comme Origine nécessaire  des merveilleuses vérités (pas la

moindre ironie dans l’adjectif) dont l’humanité est susceptible : le prix à payer. Il le

dit par ailleurs nommément, comme tout le monde depuis Rousseau, là encore : leMal n’est pas entitatif (le « Diable », comme continuent avec pose à le dire

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certains13 ), il est un processus rationnellement réglé, comme la bureaucratie nazie en

aura administré le paradigme le plus monstrueux. C’est-à-dire que pour la première

fois, il ne l’est  plus : le Mal n’est plus manque ou non-être, comme dans la « vue »

classique de Badiou, mais   production stricte. Comme effet indiscernable de la  poïesis 

elle-même. Schelling, seul, en eut l’intuition philosophique, mais il recula devant satrouvaille en rêvant d’une « nouvelle mythologie de la Raison », qui donnera,

historico-politiquement, les résultats qu’on connaît, et qui écrasent  encore

aujourd’hui l’Europe politique. 

C’est toujours et encore la différence entre «  l’innocence païenne de l’être »,

chère à Deleuze, « l’innocence catholique de la rédemption » universelle par

l’événement, chez Badiou, et le moment luthérien d’une universalisation par le péché

originel. Rousseau, sans nul hasard, en procède (et sa conversion catholique ratée

  vaut plus que symptôme) ; de même que Hegel (« Je suis luthérien et, par la

philosophie, entièrement ancré dans le luthérianisme. »).

« Toute action, étant négatrice du donné existant, est donc mauvaise : un péché. (…)Origine chrétienne (luthérienne) : toute action est un péché(…). »14 

Le moment « catholique » s’éclaire dès lors : comme l’écrivait Badiou au bon vieux vieux temps du maoïsme « dur » : « C’est toute la rationalité de l’expressionmilitante : les poubelles de l’Histoire. Résoudre, c’esr rejeter. L’histoire a d’autant

mieux travaillé que ses poubelles sont mieux remplies. » Le problème du« catholicisme ontologique », c’est ce que ces poubelles bien remplies ne disparaissent aucunement ; elles ne laissent pas d’être , c’est-à-dire d’ex-sister. C’est le motif, dansl’imaginaire, des damnés, des fantômes, des zombies, du Diable, etc. : du schème de

ce qui est supprimé comme conservé sous une f orme monstrueuse. De l’enfer. Enfersuscité sur terre de manière parfaitement immanente et réglée, par un étant et un

seul : l’animal humain appropriateur. Que toute action, à commencer parl’alimentation animale, soit un crime, signifie : toute appropriation est une

expropriation. Mais c’est bien d’aller au-delà de la simple appropriation animale quidéfinit le régime d’expropriation généralisée qu’est la politique pour l’homme et luiseul. Ce n’est pas un hasard si Hegel, à la fin du cinquième chapitre de sa

13 Sollers, par exemple, et ses disciples. A ceux qui se sont étonnés, attendu l’opacité  erratique qu’aura presquetoujours constituée son parcours politique, que je le cite élogieusement dans ces pages, je réponds qu’il ne faut pastout confondre. Sur la question sexuelle, Sollers aura toujours été et demeure un Maître insurpassable (c’est plutôtaux « philosophes » de sortir de la seule bienséance philosophique : il n’y a pas que Freud, Lacan ou Foucault qui

 pensent la sexualité). Autant reprocher, par exemple, à Badiou ou Zizek d’admirer le « pétainiste » catholique Claudel,ou, plus près du paradigme encore, Lacoue, Lyotard ou Badiou d’admirer le Ministre gaulliste Malraux. Je constate àtout instant que Sollers est le Malraux de ma génération (on murmure, pour pomponner le tout, qu’il aurait éténommé Ministre de la Culture si Balladur avait accédé à la présidence française lors des élections de 1995…).  

14 Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, Paris, Gallimard, 1947.

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Phénoménologie de l’esprit 15, explore les insolubles contradictions de la notion de

 propriété  (« la propriété se contredit elle-même sous tous ses aspects »)  juste après

avoir exposé la racine luthérienne de sa dialectique. Or, c’est précisément ici que se

situe le polémos « paulinisme »-« luthérianisme ».

« Théologie dialectique paulinienne : elle identifie le Bien et le Mal ; le diable (le péché)

prépare et provoque l’Incarnation [comme le Maître, dialectiquement, n’est que le« prétexte » de l’esclav e, NDA] ; c’est Dieu qui tente l’Homme (en lui donnant la Loi)pour pouvoir s’incarner (la Loi est promulguée pour que le péché, et donc larédemption, deviennent possible). (…) Pour Saint Paul, le salut est immédiat , sans

effort, sans « œuvres » (Conversion). C’est là son erreur. Car alors la vie de Jésus n’apas de sens (seulement sa mort et sa résurrection). [Exactement ce que dit Badiou

dans son livre sur Saint Paul ! NDA]. En réalité, la transformation du péché en salut

n’est pas automatique ; elle demande du temps ; entre les deux il y a un acte de liberté,

une vie active (imitée du Christ). Si le salut vient de Dieu, c’est la grâce ; ce qui faitperdre toute valeur propre au Chrétien ; et de plus cette Grâce vient du Logos

intemporel [comme chez Badiou…] et par conséquent transcende le Temps etl’Histoire. S’il vient de l’Homme, -alors ni Adam n’a perdu les hommes ni Jésus ne lesa sauvés. »16 

Le « paulinisme » badiousiste est pure incorporation « immédiate » au Bien. On

pourrait presque dire que sa « politique sans Parti » est la même chose que la

Conversion immédiate sans Eglise. Mais c’est bien l’Eglise qui fera le (sale) boulot.

Plus important : la « conversion », en son fond élitiste  (la « Grâce »), nom religieuxde l’« incorporation » laïque badiousiste au Bien, fait comme si le Mal n’avait pastiré toutes les ficelles. Or, c’est faux : c’est une fuite de la réalité. C’est, pour moi,l’abstraction  centrale de la pensée de Badiou que de penser le Bien comme

radicalement coupé, comme processus, de tout le Mal qu’il combat (en politiquecomme ailleurs). Déni, et d’abord du réel archéologique de l’événement, qui dépendbien plus du « Mal » que du Bien (par exemple, comme parfaitement établi par

Hegel : art et science procèdent de l’esclavage), et du réel immanent qui solde l’archi-

appropriation : l’expropriation généralisée, donc le Mal. Autrement dit : l’avis denon-existence dont Badiou frappe « platoniquement » le Mal, la promotion, c’est lecas de le dire, « à l’aveugle » du Bien autonome et « angélique », je n’ai  jamais compris de quoi il pouvait bien s’agir. Luther rétablit la vérité  : c’est au Mal  que

nous devons l’Idée du Bien. Au péché originel que nous devons l’universalisationde notre espèce animale en Sujet historique et planétaire. Et tant que le Mal n’estpas intégralement supprimé sur Terre, il est intenable de parler d’un « Bien » en

apesanteur : d’une « Grâce » qui nous coupe sans retour du Mal dont nous

15 Paris, Aubier, 1991.16

Alexandre Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, op. cité. 

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procédons. L’« éternité » des vérités « badiousistes », autrement dit, ne transcendent

 pas  le Temps et l’Histoire. L’appropriation de l’éternité par l’Homme est unprocessus infiniment plus intéressant, philosophiquement, que l’éternité elle-même

(les mathématiques « figées », dit Hegel, et sans rien sous-estimer de tout ce que

nous devons, -de ce que  je  dois-, à l’identification éternitéontologique=mathématique chez Badiou). Il y va, là encore, de ce qui différencie

l’élaboration que j’ai faite du concept d’événement de celle de Badiou, mais aussi deHeidegger et Deleuze.

Chez Deleuze, l’événement=être en ultime instance veut dire qu’aucunévénement, donc aucun péché, n’a jamais eu lieu : j’ai montré comment. Le« catholicisme » de Badiou, c’est : nous sommes entièrement rédimés par l’événement.Donc on retrouve quelque chose de Deleuze par de tout autres détours. Ma

déplorable « remontée aux Origines » procède tout entière d’une profondeinsatisfaction quant à cette dimension de sa philosophie, qui m’a par ailleurs tantapporté, plus que toute autre des cinquante dernières années. Pourquoi ?

Ce que supprime l’événement, tout événement, en « remplissant les poubelles »

-la métaphore est parlante, mais lourde d’inconscience, si ce n’est d’inconséquence-,

est conservé, mais pas seulement dans la forme « hégélienne » du progrès positif : de

la forme « idéelle » qui supprime la matière sacrifiée (ce qui fait que je ne suis  pas 

simplement « hégélien » non plus, même si je considère encore aujourd’hui qu’ils’agit de la philosophie la plus accomplie de tous les temps). Cette matière elle-

même se conserve, mais elle-même modifiée : à la dialectique lacano-badiousiste du

manque et de l’excès j’ai ajouté le motif du déchet , d’une nécessité conceptuelleaujourd’hui aussi falgrante qu’inexplorée par les philosophes. Les « poubelles bien

remplies » ont modifié ce qu’on y jette : qui ne se volatilise aucunement, mais devient précisément déchet. C’est cette « déviation hégélienne de droite » de Badiou  Ŕ l’événement est pure « épuration » immatérielle, suppression sans reste de ce qu’il

« dépasse »- qui fait qu’il affiche le plus souverain mépris pour le phénomènehistorique de l’écologie, c’est-à-dire du déchet planétaire de la révolution industrielle :

de son événement qui conserve-supprime. La préoccupation écologique ne surgit pas

après le dix-neuvième siècle par hasard (soi dit en passant : Rousseau témoigne

encore ici de son génie : en plus du communisme générique, il est le premier

écologiste Ŕ Lévi-Strauss y fera le plus vibrant écho dans notre siècle- ). L’événement« révolution industrielle » supprime une certaine  humanité féodale pour la

« conserver » dans le capitalisme avancé (transforme   par exemple l’humanité nonsuffisamment industrialisée en déchet : le tiers-monde). Il porte à sa limite l’événement par excellence (il répète une énième fois cet événement), l’archi-

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événement qui « supprime » la Nature, et pourtant la conserve , dans la forme que je n’aipas peur de dire générique du Mal. Il y a une vérité du Mal (voilà qui est assené tout le

long d’Ontologique de l’Histoire , mais semble t’avoir échappé, ce que je ne peux mettreau compte que de ta mauvaise foi, ne pouvant tenir l’inculture ou la bêtise pour

  vraisemblable). Quand Adorno dit que l’humanité « commence à comprendre lanature illusoire et futile des efforts entrepris jusqu’à présent pour échapper à lanécessité, et qui utilisèrent la richesse pour reproduire la détresse sur une plus vaste

échelle », il ne parle de rien d’autre. En « supprimant » la nécessité  nutritive, on la

« conserve » de façon monstrueuse , dans ce qu’on appelle justement les nécessiteux : les

déchets  anthropologiques de l’événement qui césure technologiquement le besoinnutritif. En créant le dédoublement technologique de l’habitat, on chie littéralement

le clochard , etc. Et tout ceci, étrangement, dans la seule et unique sphère anthropologique.

Seul l’animal humain peut se retrouver incapable de subvenir à ses besoins nutritifs.En « supprimant » par l’événement le besoin , il retrouve ce dernier à la puissance n : à une

intensité qu’ignore  toute autre espèce que la nôtre, c’est-à-dire tous les étants qui

n’ont pas  prétendu  « dépasser », au sens le plus littéralement hégélien, ces besoins.

Schwärmerei , pathos sacré de la Tragédie, architransgression, péché originel : etc. Le

tort de Kant, je l’ai démontré par ailleurs, c’est qu’il veut interdire après coup toute

schwärmerei , sans voir  que tout vient de là : de la transgression sacrée par quoi

l’homme est ce qu’il est, et par quoi, par exemple, il forme et s’incorpore la

merveille de la « Loi morale ».

C’est pourquoi la démonstration, par Lacoue-Labarthe, via  Rousseau, du fait

que la katharsis d’Aristote et l’aufhebung de Hegel étaient une seule et même chose

n’est pas seulement une trouvaille cruciale sur l’histoire de la philosophie, mais unecréation cruciale de  l’histoire de la philosophie elle-même. Pourquoi ? Parce qu’ilmontre aussi bien que cette « identité » katharsis=aufhebung  est conditionnée par la

mimèsis. L’homme est l’animal archi- et ultra-appropriateur parce qu’il est l’animalarchi- et ultra-mimétique. En imitant tout ce qui l’entoure, l’homme le « supprime »

et le conserve à la fois.  Mais  la différence avec le paganisme deleuzien et lecatholicisme de Badiou, et aussi bien avec le hégélianisme, c’est-à-dire l’aufhebung comme simple relève « positive » de ce qui est imité, c’est-à-dire suppression de la

matière et conservation de la forme (« idéelle ») qui alimente le progrès, je tiens que

la mimèsis a le don de conserver aussi bien la matière supprimée, sous une forme à

point nommé difforme : monstrueuse. Lorsque l’homme imite le néant qu’est l’être, ilparvient à s’approprier ce néant et à en faire, justement, de l’être : un non-étant

édictant la structure indéconstructible de tout étant : aufhebung positive, à quoi il n’y a

rien à redire. Mais aussi bien, en s’appropriant ce néant, il permet (la « propriété »de Rousseau-Hegel : l’immanence  de l’étant paradoxal qu’est l’événement, qui est

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l’homme) une séparation surnuméraire de l’étant qui s’appelle, dans sa « clôture », mais

telle qu’elle affecte toute une part du restant de l’étant : politique.

Quand je dis que la mathématique est la mimèsis de l’être, tu dis tout de suite :

« Aristote » ! En croyant m’avoir réfuté, comme tu te persuades d’avoir réfutéRousseau ou Deleuze (et sans doute Aristote…), sans t’attacher aux vulgairesdétails argumentatifs. Tout ça pour m’accabler quelques lignes plus tard de n’êtrequ’un épigone mal délavé de Badiou. Comme dirait Deleuze : ça ne va pas fort.

Si je dis : la mathématique est la mimèsis  de l’être, en quoi cela diffère-t-il de

l’énoncé canonique de Badiou : « les mathématiques sont l’ontologie » ?

Littéralement, en rien.   Après, bien entendu, le choix des mots implique une

orientation de pensée différente : mais alors, pour le coup, il faut un tout petit peu

entrer dans les arguments, si tu as envie d’avoir une discussion. Si lesmathématiques étaient l’être même , elles ne seraient pas une ontologie, par

définition, ce qui implique, tu t’en doutes bien, la structure dialectique même qui lie

« paradoxalement » l’événement à l’être : il faut que la mathématique soit autre

chose que l’être même pour être sa science appropriatrice, par définition.

Prenons un exemple qui touche de près à notre sujet. Je ne crois pas être le

premier, même si je ne me souviens pas où j’en ai lue la remarque (Lacoue ?), que le

schème de l’aufhebung=katharsis  n’est rien d’autre que celui de la sublimation psychanalytique. Je te cite un passage de la célébrissime analyse de Dora par Freud :

« Il y a comme un trait conservateur dans le caractère de la névrose, à savoir que le

symptôme une fois formé est conservé autant que possible, même si la pensée

inconsciente qui a trouvé en lui son expression a perdu sa significativité. »17 

 Voilà qui est tout de même aveuglant.

L’inconscient est cela qui conserve ce que la Loi anthropologisante a supprimé.La femelle mammifère devient Femme anthropologique en césurant cette animalité

sous les innombrables lois surnuméraires de la bonne tenue civile ; mais

l’inconscient « conserve » cette animalité césurée et « l’exprime » par les symptômes

hystériques.

Il est à mes yeux assuré qu’en un sens, on peut « cerner » la singularité de

chaque philosophe ainsi : « dis-moi quel est ton schème de suppression-

conservation, je te dirai qui tu es »18. Il ne s’agit donc pas, par exemple, dans mon

17

 Cinq psychanalyses, Paris, P.U.F., 2008.18

Par exemple, Giorgio Agamben tâche de penser le « désoeuvrement » comme nouvelle eschatologie

politique de l’humanité : la production est ce qui « supprime » la naturalité en nous, le désoeuvrement, ce

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travail, en « psychanalysant la philosophie », d’expliquer la métaphysique d’unphilosophe par sa libido (ce serait à tout prendre le contraire). Mais de vérifier à quel

point ça coïncide  toujours avec une précision que j’ai trouvée, à mesure quej’avançais, merveilleuse. Ce qu’amène la psychanalyse, c’est comment le schème

cathartique diffère très profondément selon l’appartenance sexuelle, et c’est enprenant acte des schèmes respectifs de la suppression-conservation dans les

sexuations qu’on éclaire en retour à quelle sexuation « appartient » un philosophe,

qui est toujours en retour, avec une cohérence toujours aussi aveuglante, avouée

dans la littéralité même du texte : la « féminité » chez Deleuze, la « virilité » chez

Badiou.

Freud, aux premiers pas de la psychanalyse qui restent toujours indépassés

comme tels Ŕcomme toute origine…-, éclaire sous deux angles au moins la manière

dont la katharsis inconscient-conscient fonctionne côté femme Ŕ « hystérie »- et côté

homme Ŕ « névrose de contrainte »-. La première éclaire le schème deleuzien, chez

qui, dit une phrase aussi canonique que célèbre, « le temps dédouble le présent en

deux directions hétérogènes, dont l’une s’élance dans l’avenir et l’autre tombe dansle passé. »19 Ce « jet » vers l’avenir, c’est tout micro-événement en tant

qu’actualisation un peu intense ; mais c’est toujours et encore un « faux »

événement, un simulacre, chargé d’exprimer le seul et unique événement du virtuel,en ce que celui-ci n’est pas seulement ce qui « tombe dans le passé », comme le

traumatisme psychanalytique tombe intégralement dans l’inconscient hystérique,nous allons très vite voir comment, mais bien cela qui est intégralement conservé dans

et comme  passé. Le passé comme conservation intégrale, mémoire totale, que le

philosophe doit recouvrer comme plénitude : le différend avec la psychanalyse était

chez Deleuze couru d’avance. La philosophie (deleuzienne) est l’inconscienttotalement rédimé, ce que la psychanalyse ne peut admettre.

Examinons maintenant comment la mémoire « conserve » le traumatisme chez

l’hystérique selon Freud, par rapport au névrosé de contrainte masculin (jesoulignerai) :

« Shabbat éternel », est ce qui expose la production, le travail, comme finalité elle-même in-sensée de

l’humanité : elle supprime cette suppression dans une réappropriation terminale de l’humanité par elle -même,

expropriée (« aliénée ») par la production. Le désoeuvrement messianique d’Agamben est ce qui supprimera

l’aliénation anthropologique de la production et du travail en la conservant. ( Nudités, Rivages, Paris, 2009).

Agamben évite seulement, me semble-t-il, d’interroger tout ce que sa « proposition » ontologico-politique

fondamentale doit, finalement, au montage hégélien, qui n’est pas mince, dans la littéralité même du texte, et

qu’il n’interroge pourtant jamais (prenant plutôt le détour érudit des discussions théologiques historiques).

C’est-à-dire : évite de nous dire ce que son montage apporte de nouveau à l’eschatologie hégélienne (et doncmarxiste).19

 L’image-temps, Paris, Minuit, 1985.

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« Dans l’hystérie il est de règle que les facteurs occasionnants [qui reviennent toujours, en

ultime instance, au « viol archaïque » tel que je l’ai déduit de la description d’Adorno-

Ibsen, NDA] récents de l’affection succombent à l’amnésie [tombent « immédiatement »

dans le passé, dira Deleuze, qui veut, comme toute ontologie « féminine », que tout

demeure en ultime instance immédiat], tout comme les expériences vécues infantiles à

l’aide desquelles ceux-ci transposent leur énergie d’affect en symptômes. Là où unoubli total est impossible , la circonstance occasionnante  traumatique récente est toutefois

pour le moins dépouillée de ses composantes les plus significatives. Nous voyons

dans une telle amnésie la preuve que le refoulement a eu lieu [« métaphysiquement » :

la trace, oubliée de l’hystérique elle-même, de l’événement évanoui]. Il en va autrement en général de la névrose de contrainte . Les présupposés infantiles de la névrose peuvent

bien avoir succombé à une amnésie   Ŕqui souvent n’est qu’incomplète ; les facteurs

occasionnants récents de l’affection se trouvent par contre conservés dans la mémoire

[en clair, là où l’hystérique refoule « intégralement » le traumatisme pour le conserver

tout aussi intégralement dans la mémoire encore inconsciente, le névrosé de contraintemasculin refoule une partie  de l’événement traumatique, celui qui in-siste dans sa

névrose, et en conserve consciemment une autre partie]. Le refoulement s’est ici servid’un autre  mécanisme, à vrai dire   plus simple   [l’inconscient hystérique est plus« complexe » que l’inconscient du névrosé, de même que le virtuel de Deleuze estplus « complexe » que le vide  de Badiou] ; au lieu d’oublier le trauma  [ce que fait

l’hystérique bien sûr], il lui a retiré l’investissement d’affect   [tandis que l’hystérique neconserve que cela  : l’affect du trauma sans la mémoire consciente de sa factualité, là où le

névrosé masculin fait l’exact inverse : ne se souvient que du fait, pas de l’affect], sibien qu’il reste dans la conscience un contenu de représentation considéré commenon essentiel. »

  Voilà pour la première manière. En somme, l’hystérique supprime tout  de

l’événement traumatique même pour le conserver tout aussi intégralement. Ce qu’il y a de « complexe » dans l’hystérique, c’est précisément l’extrême « simplicité »

  violente de la manière dont elle vit le trauma : intégralement supprimé par la

conscience, intégralement conservé par l’inconscient qu’expriment ses symptômessouffreteux. L’homme, lui, coupe immédiatement  l’événement en deux : conserve sa

« factualité » empirique consciemment (ne la rejette pas dans l’amnésie immédiate,comme l’hystérique), mais supprime sont « affectualité » traumatique, et le vide ainsi

de sa vérité traumatisante et donc surdéterminante : il conserve consciemment le fait ,mais l’épure de son aspect surdéterminant au présent. C’est pourquoi il le répète, par

des compulsions de séparations logiques. Je vais dire tout de suite comment.

Il s’agira aussi bien de voir comment la seconde manière dont l’hystériquesupprime-conserve l’événement traumatique, tout autre que celle du névrosé

masculin, éclaire la première, et éclaire à la fin toute « métaphysique » extra-

psychanalytique, en ce qu’une sexuation prioritaire la surdétermine toujours. Freud lemontre à l’occasion du cas où l’homme aux rats, qui tantôt enlève une pierre du

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chemin où sa bien-aimée va passer pour la « sauver », tantôt remet la même pierre

pour que la bien-aimée se casse la gueule : la logique illogique du battement alternatif  (diachronique) haine/amour côté névrose masculine. Le principe du tiers exclu : si

amour, pas haine, si haine, pas amour. Tel est le mode de refoulement masculin,

« calqué » sur le tiers exclu primordial désir ≠ jouissance. Tiens-toi bien (jesoulignerai bien sûr) :

« Le doute de la contrainte à comprendre est un doute quant à l’amour de la dame.

Chez notre amoureux fait rage un combat entre amour et haine qui s’adressent à lamême personne (…). De telles actions de contrainte entre-deux temps , le premier temps

étant supprimé  par le second, sont une occurrence typique dans la névrose de

contrainte. Naturellement elles sont comprises à faux par le penser conscient du

malade et pourvues d’une motivation secondaire Ŕ rationalisées [entendons :  faussement 

rationalisées Ŕ 

tu me vois venir]. Leur véritable signification réside cependant dans lefait de présenter le conflit de deux motions opposées d’une grandeur à peu près égale,qui, d’après ce que l’expérience a pu m’apprendre jusqu’ici, est toujours l’opposition 

entre l’amour  et la haine   [discriminés dans l’inconscient masculin, en somme, parl’événement traumatique]. (…) Au lieu de trouver, comme cela arrive régulièrementdans l’hystérie, un compromis  qui fait droit aux deux opposés  dans une seule et même 

 présentation en attrapant deux mouches d’un seul coup [équivalent viennois du « faire

d’une pierre deux coups » français], ici [côté névrose masculine donc] les deux

opposés, chacun pris isolément , trouvent satisfaction, d’abord   l’un  puis   l’autre[diachronie du névrosé masculin, par opposition à la synchronie hystérique],

naturellement et sans que tentative soit faite d’établir, entre les deux opposés hostiles l’un à l’autre, une sorte de connexion logique Ŕ souvent en faisant fi de toute logique . »20 

Là-dessus Freud évoque encore un cas de la manière dont la névrose masculine

essaie d’ordonner « logiquement » une contrainte inconsciente « illogique »

(traumatique) :

« Un autre malade de contrainte me rapporté un jour que dans le parc de

Schönbrunn il avait heurté du pied une branche barrant le chemin et qu’il avait lancéedans la haie bordant le chemin. Sur le chemin du retour, un souci s’empara soudainde lui : dans sa nouvelle position, la branche qui maintenant dépassait peut-être un

peu pourrait causer un accident pour quelqu’un qui passerait auprès de lui au mêmeendroit. Il lui fallut sauter du tram, retourner en hâte dans le parc, chercher l’endroitet remettre la branche dans sa position initiale, bien qu’à tout autre que le malade ileût paru évident que la position initiale devait être encore plus dangereuse pour un

passant que la nouvelle, au milieu des buissons. La seconde action hostile, qui s’estimposée comme contrainte, s’était, pour le penser conscient, parée de la motivationde la première, la motivation philanthropique. »

20 Cinq psychanalyses, op.cité.

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La névrose masculine essaie de « recouvrir » par la « logique » un événement

premier fondamentalement illogique, irrationnel. Recouvrir, et non recouvrer,

comme chez l’hystérique. C’est en refoulant intégralement l’événement même quel’hystérique le recouvre tout aussi intégralement. C’est en ne le refoulant que

partiellement que le névrosé ne le recouvre que partiellement aussi : dans le « suivides conséquences » logiques…

« Métaphysiquement », chez Badiou la logique est fondamentalement suivi des

conséquences qui succèdent à l’événement formellement toujours « irrationnel »,

paradoxe logique de l’auto-appartenance ; chez Deleuze, la logique n’est que lefaux-semblant qui nous empêche un accès « plein » à l’être même comme uniqueévénement où la contradiction logique n’a pas lieu. Que bien souvent cetêtre=événement originaire, à la fois paradoxal et au-delà de toute contradiction, ce

soit la Femme elle-même, ne peut évidemment rien avoir de fortuit.

  Ainsi, de même que désir et jouissance composent une seule et même

substance libidinale côté femme, et que la suppression-conservation hystérique

(puis deleuzienne-schizophrénique) est surdéterminée par cette « unicité » que

même Freud et Lacan n’auront pas su pointer, nous savons que l’amour  féminin,

toujours passionnel, est toujours un composé inextricable, pour l’homme(« irrationnel ») d’amour et de haine, là où il est un battement alternatif chez

l’homme : « l’hainamoration » de Lacan, le « j’adore j’déteste » de Brigitte Fontaine,-dont tu dois aussi savoir qu’elle fut en son temps l’égérie de l’antipsychiatrie et dela schizo-analyse de Deleuze et Guattari !-. Ce que pointe bien, par contre, le texte

de Freud, et avec génie : la « résolution dialectique », côté femme, est toujours un

« compromis » d’amour et de haine, là où il est un battement « logiquement »

séparateur côté homme : tantôt amour (le caillou ou la branche « écartés »), tantôt

haine (le caillou replacé, la branche « redressée »). L’inconscient féminin ignore le

principe du tiers exclu : amour et haine à la fois, désir et jouissance synchroniques,

extase et supplice, etc.

Métaphysiquement : être et néant sont une seule et même chose « dans »

l’événement pour les deux positions sexuées. Mais l’homme est celui qui sépare  lenéant de l’être qui le « conserve », en supprimant la matérialité « traumatique » où ce

néant se « possède ». L’événement même est devenir qui affecte le sujet qui lesubit : identité « immédiate » d’être et de néant, de désir et de jouissance, d’amour etde haine, le temps très précaire (pour l’homme) ou il a lieu. Ce temps est bienmoins « précaire » pour la femme : le devenir dure . Sans doute parce que

« l’événement », pour elle (le « viol archaïque ») est précisément ce qui la sépare del’identité qu’elle recouvre en le refoulant intégralement, dans le tissu de ses

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symptômes qui sont tous des « résolutions dialectiques », des synthèses  désir=jouissance, amour=haine, être=événement, etc. La femme subit bien

l’événement traumatique comme « devenir », puisqu’elle n’est pas la même aprèsqu’avant, mais ce qu’elle conserve c’est bien le trauma même  en le supprimant

intégralement, pour le conserver tout aussi intégralement dans un désir=jouissancemaladif , épelé par les symptômes hystériques. J’y reviendrai pour finir : l’homme, parla castration, se sépare  du devenir (être=néant) qu’est l’événement même , en le

conservant comme vidé  de sa charge affectuelle traumatique (mise-en-logique

séparatrice, algébrique) ; la femme, elle, supprime justement la  forme  traumatique

dans l’amnésie immédiate et ne conserve que la « matière » affectuelle, bien vivante

dans les symptômes criards qui cartographient son corps (mise-en-continuité

« illogique », qui est en réalité topologiq ue). Et l’homme vide  l’événement de son

affect parce sa libido, algébrique, « culmine » avec la jouissance qui est le point mortde l’affect, l’identité à soi maximale qui est est néant. Par là, il peut « rationaliser »

l’événement, le découper logiquement (algébriquement) en parties

compartimentées. La femme, elle, ne forclôt l’événement traumatique que pour y rester « liée », par ses symptômes justement ; sa libido, topologique, ayant la forme

d’une asymptote vers l’identité parfaite désir=jouissance. D’où que « l’être » féminin

lui-même soit essentiellement topologique, unissant, et se tourne électivement vers

les ontologies qui y ressemblent. L’événement « masculin » est rencontre du vide,

césure séparatrice, conception « surdéterminée » par sa libido algébrique (lajouissance vide le désir). L’événement « féminin », lui, est asymptote vers une

concentration intensive maximale, conception surdéterminée par l’origine dudésir=jouissance inséparés, qui veut  (inconsciemment) la non-séparation du coït

alors q ue c’est son accomplissement même qui séparera21.

  J’ai bien vu, soit dit en passant, que bien des lecteurs ont été choqués par

l’usage, dans Être et sexuation , du terme de « femelle », quand nul n’a été gêné parl’usage de « mâle ». Je ne vois pas en quoi, étant donné ce que je dis et ce que je

pense du masculin. Ici on peut dire que c’est l’inconscient collectif qui continuetoujours et encore à fourcher, même chez les mieux intentionné(e)s, et passe aux

aveux misogynes : je ne connote pour ma part rien de négatif dans cette origine

animale, dont la mimèsis  nous clive, qu’elle supprime tout en la conservant. Le

21 Sur le point de remettre le présent livre à l’éditeur, paraît un livre d’entretiens entre le susnommé Fabien

Tarby, qui avait d’ores et déjà lu une version « avancée » d’Être et sexuation, et Alain Badiou ( La Philosophie et l’événement, Germina, 2010) : « Pour la position masculine, s’il y a lutte contre la séparation, il faut qu’il y ait la

séparation. La position féminine se polarise plutôt sur la luttre contre la séparation : certes, il y a la séparation,mais il faut d’abord la lutte contre la séparation. C’est pour cela que l’homme est toujours vu par la femme

comme quelqu’un qui va s’en aller, ou comme quelqu’un qui s’en va. »

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« féminisme » doit aussi atteindre ce niveau inconscient : c’est mal d’être néebiologiquement femelle, ce n’est toujours pas si mal d’être né mâle.

Ce qui est « conservé » dans la névrose psychanalytique, c’est précisément

l’animalité « supprimée ». La mimèsis  permet à la femelle mammifère de se« sublimer » en femme  anthropologique, mais l’animalité « supprimée » par la

mimèsis revient, précisément, dans la cartographie corporelle des symptômes. Elle est

« conservée » aussi  sur ce mode, et non pas seulement celui de la « sublimation »

positive : comme déchet  inaccessible (« l’inconscient »). C’est encore plus hégélien,d’ailleurs, que ça, puisque la cure analytique, de cette animalité niée et traumatisée

par la mimèsis , censée donner la seule féminité anthropologique « positive », et qui

donne « malencontreusement » l’hystérie (détail intéressant : Freud ne parle presque

pas de « l’ »hystérie en général, mais presque toujours d’une hystérie : de chaque cas

singulier qu’il traite), cette cure, dis-je, doit idéalement supprimer les effets négatifs

de cette suppression sublimante (l’anthropologisation de la femelle en femme) : nier

la négation. La femme ayant « supprimé » son animalité femelle dans son être-

civilisé, diffère son animalité dans le tissu carthographique des symptômes hystériques

(on lit Freud comme un roman policier réel : pas étonnant que Lacan ait lu Poe avec

un sérieux quasi scientifique) : une sorte d’hiéroglyphe vivant, qu’on essaie dedéchiffrer comme une langue de prime apparence « sauvage », et dans laquelle on

découvre une mathématique pure.

Ce qui est à dialectiser, -Freud avec Hegel, décidément-, c’est ceci : la

différence qualitative qui existe entre désir et jouissance dans la position « homme »

se heurte à la position où cette différence n’existe  pas . Où le langage

« ventriloquant » fait que ce qu’on appelle « orgasme » chez la femme n’est qu’unedifférence quantitative  dans la même « substance » libidinale, comme dirait Rémy 

Bac. Cette substance se donne aussi bien  dans le tissu rationnel des symptômes

souffreteux que dans l’orgasme positif, ou même dans l’hystérie « réussie » de la

femme pleinement féminine : sa façon de « jouir » d’elle-même dans la vie courante.Le caractère universellement plus « entier » des femmes (plus vives, plus

lumineuses, plus rapides, plus « terre-à-terre, etc. : je n’ai pas peur de ce cliché-là,

tant je pense que l’idéolog ie « démocratique » est peut-être encore plus répressive en

son fonds que les vieux autoritarismes. Tant sa bien-pensance nous empêche

partout de voir ce qui est , et de le dire. Là encore : il y a peut-être davantage de

« refoulement » dans l’idéologie « démocratique », dont la pornographie est le

symptôme libidinal, que dans les bonnes vieilles censures22. Et le philosophe doit

22Lacoue-Labarthe le résume avec limpidité dans une lettre à une américaine (parue dans la revue L’animal ,

numéro 19-20, hiver 2008), du bon vieux temps du mur de Berlin : « Ce qui tient lieu d’Europe n’est jamais, en

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être le « psychanalyste » de cette séquence : interroger, déchiffrer, dégager la syntaxe

de cet hiéroglyphe impronostique).

Le « viol archaïaque », c’est l’appropriation, par « l’être » désirant côté mâle, du

néant de la jouissance comme répétition surnuméraire, surnaturelle, trans-reproductive. Sur l’entrefaite, la castration est le prix d’expropriation que renvoie la

position expropriée à l’expropriateur : la manière dont elle marque son corps

biologique « sublimé » en homme, comme il a traumatisé son corps biologique pour

qu’elle « devienne » femme anthropologique. Je maintiens qu’il y a une vasteenquête à entreprendre, la rencontre philosophie-psychanalyse dont je ne suis pas le

seul à rêver aujourd’hui, c’est le moins qu’on puisse dire. Sur le fait quel’événement, comme appropriation du néant qui le convertit en être, et « sursume »

par là la matière ontique, la « supprime » en la « dépassant ». Que Deleuze ait

« rejoint » quelque chose d’une métaphysique « féminine », et que, comme par

hasard, le grand « phantasme » métaphysique de Deleuze, ce soit que tout  se

conserve en ultime instance dans la « mémoire totale » du virtuel, montre que pas

plus que quiconque il n’est immun du spectre de l’aufhebung , de la katharsis. Il va

bien plus loin, à vrai dire, que Hegel, puisque chez lui l’événement ne « supprime »

en ultime instance rien , conserve tout  comme virtuel. Le prix à payer des

« philosophies positives », de Spinoza à lui en passant par Bergson, c’estprécisément de ne vouloir en payer aucun. Adam innocent est « conservé » comme

tel par le péché originel. Et il y a là quelque chose d’archéo-féminin, je n’endémords pas. Mais parodiquement. Pourquoi ?

 A une certaine pointe, il ne faut pas laisser échapper, pour comprendre ce que

je développe, le fait que l’équation être=néant, dans la jouissance, est la même pour

les deux positions (le « pompoir »). Mais c’est là que les choses se dialectisent. C’estson identité prolongée qui est la position féminine, tandis que c’est son identité précaire qui est la position masculine. Et derechef « revenir » à la métaphysique, puisque

l’identité être=néant est, dans une ontologie « masculine », celle, précaire, del’événement appropriateur-expropriateur : devenir , mais évanescent, fuyant. Cette

« fuyance », le virtuel veut l’éterniser telle quelle , éterniser l’identité être=néant comme devenir, qui « conserve »… absolument tout. Comme je l’ai écrit il y a un certaintemps, la jouissance masculine comporte quelque chose comme une perte. La

conséquence, qu’une zone d’influence de la sous-culture de masse produite par le capital. Ce qui dans mon

esprit ne vaut pas comme une accusation de la seule Amérique (...). Le capital étatisé est tout autant

dévastateur, et incomparablement plus brutal. Mais l’avantage paradoxal des bureaucraties impériales, de

leurs polices et leurs chiens de garde idéologiques, c’est qu’avec le sentiment insupportable de l’oppression,

elles font naître immédiatement un désir de résistance. C’est pourquoi au fond seuls aujourd’hui les « gens del’est » ont une idée de ce qu’on peut mettre sous le nom d’« Europe ». Alors que nous, nous nous plaignons, ou

nous élevons de vagues (et : ridicules) protestations. »

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position féminine n’a rien à voir : on peut presque dire que quand elle jouit, c’est lecontraire d’une perte : un gain, un recouvrement. Ce qu’elle a toujours-déjà perdu,

c’est l’identité désir=jouissance qui marque son corps animal lors du rut. Que perdl’homme par la jouissance ? Le désir. En « retenant » la jouissance, le Maso

deleuzien « conserve » intégralement le désir : « rejoint » mimétiquement l’identitédésir=jouissance de la position « femme ». En « césurant » le péché originel, comme

tout bon néo-païen spinozisto-nietzschéen, parti en croisade contre toutes les

formes de prêtrise, du judéo-christianisme à la psychanalyse ou au « bolchévisme »,

Deleuze « conserve », de la même manière, l’intégralité « immanente » de

l’innocence d’Adam, comme virtuel : virtuel aussi réel que le réel que son

« événement » est censé césurer, mais ne « césure » que pour mieux révéler

intégralement (par exemple, que les contradictions du réel ne sont que les faux

mouvements, les effets d’optique, d’un être essentiellement paradoxal). Castrationde la castration : négation de la négation là encore. Devenir-femme au bout, parce

que la femme est l’ « identité » mimétologique du devenir « pur ». Hystérie sans

hystérie, en quelque sorte : « inconscient à ciel ouvert », où le passé césuré

« remonte à la surface », intégralement : à savoir la schizophrénie en ultime

instance. C’est pour ça que Deleuze a été le grand métaphysicien du moment 68 :

qui fut effectivement le moment d’une « remontée intégrale » de l’inconscientcollectif, la « libération sexuelle », etc. Mais c’est pour ça que cette « remontée »,

trois ou quatre décennies plus tard, ressemble à un enfer dépressif : la transparutionpornographique de tout, la suppression dialectique de la suppression, du

« refoulement », etc., est une nouvelle forme de refoulement, et peut-être la pire. En

quoi ? En ce qu’elle prétend avoir recouvré intégralement le réel animal  longtemps

césuré par le « refoulement bourgeois ». Or, c’est précisément  ça qui ne peut pas

marcher, et c’est de ce  moment historique, le nôtre, que la nouvelle formation

aufhebung-katharsis-mimèsis  que je propose veut rendre raison. Le réel animal

immédiatement inaccessible : voilà la leçon philosophique administrée par notre temps :

transparence de tous à tous, fascisme démocratique. L’homme « libéré »sexuellement est beaucoup plus castré qu’avant ; la femme « libérée » sexuellement

est le plus souvent (mais pas toujours : il n’y a que des singularités) beaucoup plusfrigide encore qu’avant. Hystérie  glacée , dépression castrée. C’est le solde  inéluctable

de la « conservation pleine » à la Deleuze, la rêverie virtuelle surdéterminée par son

ascèse masochiste : toute cette nature soi-disant pleinement conservée revient

comme totalement et immédiatement perdue , congelée. Pourquoi la pornographie ne

laisse-t-elle pas d’être un « inconscient à ciel ouvert », malgré sa prétention à la

transparence terminale ? Parce que nul n’y applique le logos que toutes ces pratiques

sont : un langage  entièrement rationnel, réglé comme une horloge suisse. Il suffit

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donc de poser les quelques questions dérangeantes : pourquoi les actrices pour

adultes ahanent-elles tout le temps, c’est-à-dire miment  une jouissance (=désir)

permanente dont tout le monde sait qu’elle est presque toujours « fausse » ?

Pourquoi « l’orgasme forcé » ? Et aussi bien, cette surexposition fait que « le

frottement est sous censure », comme dit Sollers : des phénomènes autres que cetteexhibition ne sont plus interrogés, sous prétexte que la crudité transparutionnelle-

organique nous dirait « tout le vrai » (c’est le trait « totalitaire » du nihilisme

démocratique : tout l’apparaître est la vérité). En effet les témoignages d’unemajorité de femmes sur l’orgasme masturbatoire fait ressortir le caractère essentieldu frottement dans leur excitation et leur plaisir. Voilà les questions dérangeantes

qu’on ne pose  jamais , et, bien au-delà de la pornographie, pourquoi la censure qu’exerce partout le nihilisme démocratique n’a rien à envier aux plus brutales

dictatures. Se passer de langage , c’est-à-dire de pensée : voilà le phantasme, en son fondsfasciste, du nihilisme démocratique.

L’inconscient freudien, tu le sais aussi, découvert côté « femme », est au-delà du

principe de contradiction. Les contradictions ressortissent d’autant plus fort à lasurface  somatique des symptômes ; dans la « profondeur » inconsciente, il n’a paslieu. C’est ce qui m’a toujours dérangé, au fond, dans l’anti-freudisme de Deleuze :

toute ma démonstration consiste aussi à montrer comme l’opération ontologique de

Deleuze ressortit d’un « malentendu libidinal ». Tu vois bien comme il tâche de

« faire remonter à la surface » tout l’inconscient non-contradictoire. En incorporant

l’événement, tout événement, à l’unicité de l’être, comme le désir masochistemasculin s’incorpore la jouissance, qui est contradiction (négation) du désir dans la

position homme, il fait de « tout l’inconscient », la mémoire totale de Bergson, le

  virtuel, une conscience « remontée à la surface », à la stoïcienne : une aufhebung encore plus terminale que celle de Hegel. Il rejoint aussi bien la « substance » de

Spinoza comme nom de l’être, qui est totalité non-contradictoire de toutes les

illusoires « contradictions » ontiques (tout s’entre-dévore, mais quelle Joie ! Ce

panard ontologique laisse le luthérien en moi totalement froid). Il ne voit pas queFreud est un modeste médecin Ŕ un « petit juif pas tout à fait à la page », dit Lacan-

qui ne prétend pas s’élever aux grandes interrogations métaphysiques, mais découvre l’inconscient sur le corps de l’hystérique, qui, à « refouler » nécessairement une

libido non-contradictoire , fait sa conscience , sa surface corporelle et mondaine, être lacérée par les contradictions. Freud découvre l’inconscient dans la position femme parce qu’il« découvre », sans le comprendre jusqu’à moi, que la libido féminine elle-même ne

connaît pas de contradiction décalquée sur la structure masculine désir≠jouissance ;

mais que c’est cette libido qui se saisit d’elle par le « viol archaïque » qui introduit du dehors  la contradiction. « Viol archaïque » que l’homme sublime, dans l’hypocrite

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surface civilisée, par ce que Lacan appelle « tous ses efforts d’amour, de menussoins et de tendres services », et qui « ravivent la blessure de la castration ».

Qu’apporte ma découverte à ça ? Un point fondamental : ce n’est pas du

« manque de phallus » que souffre fondamentalement l’hystérique, même si, à la surface  de ses symptômes, il y a évidemment tentatives vengeresses

(« revendicatives », et vindicatives) d’appropriation du phallus, mais que la« castration » qui l’affecte est celle qui la sépare de sa libido non -contradictoire, de

son désir=jouissance incastrable. C’est comme  ça  qu’elle est castrée : pas comme

l’homme mutilé par la répétitivité de sa jouissance phallique, pas en étant « jalouse »

de cette jouissance soi-disant « la plus parfaite » -contresens de Freud comme de

Lacan-, mais de sa  libido non-contradictoire, et plus exactement : « alogiquement

non-incompatible », comme dirait Deleuze. Le principe de contradiction se saisit du dehors de cette non-incompatibilité alogique : « logicise » à faux une « étantité », un

affect, au-delà de la contradiction  pour l’homme , c’est-à-dire du point de vue de son fonctionnement libidinal propre, fondé du principe de non-contradiction, qu’il auniversalisé un peu trop vite (« la chair de ma chair ») .

Qu’apporte maintenant cette découverte côté métaphysique ? Quelque chose

d’une cohérence aveuglante. Deleuze, réincorporant l’événement à l’être comme il

résorbe la jouissance dans le désir, fait de l’être, comme la « femme » supposée elle-

même, une sorte de vivier « inconscient à ciel ouvert » non-contradictoire, où lesplus extrêmes et déchirants paradoxes cohabitent « harmonieusement » (dans

l’entre-dévoration « chaoïde » même). Badiou, bien plus « virilité classique »,

soustrait l’être aux apories deleuziennes en le soustrayant à toute « image » de

l’étant. En le déterminant comme vide, c’est-à-dire comme au-delà de la

contradiction et de la non-contradiction. L’appropriation de ce vide donne l’être,par exemple l’être épuré dans les mathématiques, l’aufhebung  terminale qui supprime

toute matérialité de l’étant et n’en garde que la forme pure. Chaque philosophe, son

aufhebung. J’ai la mienne et, comme dirait Nietzsche : « n’allez pas confondre ».

Chez Badiou, l’événement n’est pas réincorporé à l’être comme chez le masoDeleuze, c’est-à-dire : la jouissance n’est pas réincorporée au désir, elle est biennégation de celle-ci. L’événement nie la cohérence de l’être, qui est négation de toutétant, comme la jouissance phallique nie le désir le temps précaire où il a lieu. Le

lacanisme classique de Badiou, son machisme, transcendantal ou pas, le met sur une

 voie tout aussi intéressante (et plus cohérente, d’être plus masculine), et qui en dittrès long. La jouissance virile est contradiction, négation du désir, mais par rencontre 

du phallus psychanalytique, la femme, qui, elle, est , pour l’homme, « l’étantcontradictoire » où désir et jouissance ne se contredisent pas logiquement (ou ne

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sont pas incompatibles « alogiquement »). Du coup, il peut séparer l’être-vide, le

non-étant, ni contradictoire, ni non-contradictoire, de l’événement-« femme », qui

est, lui, l’étant contradictoire. La manière dont l’être « masculin » néantisé par

l’événement « s’incorpore » cet étant paradoxal, Badiou l’appelle la vérité, à quoi il

ne donne pas le signe féminin par hasard. C’est ce qu’a «  d’impur » Être et sexuation ,je te l’accorde sans peine : on psychanalyse la philosophie et on philosophe la

psychanalyse, sans être tout à fait ni dans l’une ni dans l’autre. Par ce face -à-face du

« masochisme » deleuzien et du « sadisme » badiousiste, on comprend une fois pour

toutes pourquoi la femme, d’un côté, aura représenté pour l’homme le chaosexcessif, irrationnel, destructeur, « sorcière », weiningerien, etc., d’un côté, et le vide

pur de l’être, le non-recevoir sourd, la bêtise cruche et végétale qui ne comprend

rien au logos masculin, etc., de l’autre. Par le masochisme De leuze relève le chaos, par

le « sadisme » Badiou relève  le vide pur. Dans les deux cas, qu’est-ce qui est relevé« philosophiquement », je veux dire : qu’est-ce que la philosophie veut « réfuter » de

la psychanalyse ? L’inconscient ! Je me suis assez étendu sur l’opération proprementdeleuzienne, mais Badiou n’est pas tant que ça en reste : je me souviens, il y a déjà

longtemps, qu’il m’a dit que, dans son système (en particulier sa théorie du Sujet,qui est ce qui « relève » la concentricité des contradictions qu’est la Vérité), il n’avaitnul besoin de l’hypothèse de l’inconscient. Je dis : voire… dans les deux cas : «

philosophiquement » veut dire : anti-antiphilosophie, négation de la négation,

négation de l’étant contradictoire qu’est l’inconscient féminin, qui ne « connaît pas »la contradiction tout en ne connaissant, à la surface de ses symptômes somatiques,

que ça. Le virtuel est le nom de la « vérité » chez Deleuze, ce qui veut dire

n’importe quoi ; la vérité est le nom du « virtuel » non-contradictoire chez Badiou,

qui « accueille » toutes les contradictions dans son résultat  indiscernable, et il faut

bien reconnaître que c’est un peu moins n’importe quoi. Mais ce qui m’importe ici,c’est la dialectique  générale par rapport à laquelle tous ces immenses montages

philosophiques se laissent appréhender d’un point de vue un peu décentré. Badiou

me dirait que c’est l’opération antiphilosophique par excellence… Peu importe : cequi importe, c’est à quelle  vérité singulière on touche par là.

Là où Badiou prétend « tout supprimer » dans l’événement, hyperbolisant laposition « masculine », la castration en grand, Deleuze prétend « tout conserver »,

hyperbolisant la position « féminine », hystérique quoi qu’il en ait : machisme

transcendantal, hystérie transcendantale. Parce que Badiou est « platonicien », « trop

proche » sans doute du paradigme même de la suppression-conservation, qui est la

mathématique : où, par excellence, l’ontique est intégralement  supprimé par le

formalisme ontologique. D’où la « déviation gauchiste originaire » de saphilosophie : l’événement supprime intégralement  la matière pour ne conserver que la

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forme. Deleuze conserve tout aussi « intégralement » la matière, mais il s’agit à mon

sens d’un « faux mouvement ». Et par exemple : une caricature  de la « féminité »

réelle. Pourquoi ? Freud nous le dit, et le combat de Deleuze contre lui vaut plus

que symptôme, -c’est le cas de le dire-.

  J’ai montré comme la femme n’essayait pas, pour rester dans le registre

« aufhebung », de se supprimer « elle-même » comme l’esclave hégélien : mais bien

de supprimer la médiation que lui aura « refilée » le « phallogocentrisme originaire »

pour devenir elle-même. Mais ce « retour » n’est pas un retour à l’innocence d’Adam(d’Eve, en l’occurrence !), à la matière pleinement conservée dans la forme-

mémoire, à l’identité animale désir=jouissance : il y a bien, dans le cas le plus idéal

qu’on puisse imaginer, « relève » de la « fémellité » en « féminité » anthropologique,

accomplie par la suppression -« conservation » dialectique de cette animalité.

« Féminité extatique », parfaite, qui par définition n’existe pas dans la réalité (pas defemme absolument extatique, de Sainte terminale), mais est le point idéal,

l’asymptote ascensionnelle, vers laquelle toute femme tend , que ce soit au bureau, au

bordel ou au couvent. C’est pourquoi de l’aveu même de Deleuze il n’y a de devenir« fort » que féminin et non masculin. Wonder-woman, sex-symbol, Thérèse d’Av ila,

Maîtresse Souveraine, Maria Callas ou Thérésa Stratas… Et c’est de cettedialectique de tous  les devenirs-femmes, qui sont des devenir-soi , que j’ai voulurendre raison : les femmes les plus concrètes, mais aussi les transsexuels, les queer 23,

les masochistes des deux bords (en examinant ma phénoménologie, tu constateras

que des deux sexes, les masos veulent devenir- femme, par des moyens entièrement différents qui en disent long sur l’entièreté de la dialectique telle qu’elle affecte la noceimpure de l’érotique et du métaphysique tout entière. C’est ce qui ne va pas chezDeleuze, sa libido telle qu’elle épouse processuellement l’entièreté de samétaphysique : il ne voit pas que la « conservation intégrale » du désir se fait par

« suppression dialectique » de la jouissance, ce qui est archéo-masculin. Il fait du

désir, comme le chaste Spinoza, un désir « ontologique » surdéterminé par des

présupposés phallocentriques inconscients. De même, il ne voit pas qu’il n’a  pas le droit  de « supprimer » le péché originel au profit du seul virtuel « intégralement

conservé » que cette césure fait advenir comme inaccessible et non comme accessible).

Cette dialectique est, oui, un « féminisme » historial.

23 Mais enfin, il est clair que nul n’a attendu les gender studies, nul de pensant en tout cas, pour savoir que

l’animal humain était originairement « transsexuel ». C’est bien Freud qui, le premier dans l’Histoire, a conçu la  

psychanalyse comme la description dialectique du jeu de l’appropriation/expropriation des « signifiants » de lasexuation sur tel ou tel corps biologique. Le récit de la psychanalyse de Dora demeure à cet égard un chef-

d’œuvre. 

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Le virtuel deleuzien, plus hégélien que le calife, est donc tout de même ce qui

conserve… tout ! L’événement « paulinien » de Badiou, lui, ne conserve rien que le

Bien angélique, la « conversion » paulinienne : et « remplit les poubelles » de tout ce

qui n’est pas Incorporation à la vérité positive (mais pas à l’Eglise du « compromis

historique » qui devra mêler les serviettes des vérités positives aux torchons du Malobjectif). Mais ce qui remplit ces poubelles ne laisse pas de vivre . Cette « vie » n’estpas celle de la mémoire totale et du virtuel deleuziens, plus qu’à leur tourintégralement « positifs », quand bien même, de l’aveu de Deleuze même, qui pardéfinition ne craint aucun paradoxe, ce « paradis originel » intégralement conservé

est tout aussi bien un enfer objectif. Deleuze accusait la phénoménologie d’avoirbéni trop de choses, mais son paganisme ontologique est bien pire : en voulant

apurer, contre toutes les formes de prêtrise, tous les péchés, Deleuze canonise tout

ce qui est. Et le trait que je souligne de cette suppression-conservation ontologico-anthropologique  n’est pas non plus la seule conservation « progressiste » de Hegel. En

quelque sorte, j’essaie de venger Schelling de son frère ennemi, dans la syntaxe decelui-ci. La conservation comme déchet est la détermination conceptuelle sobre du Mal. 

  J’ai dit plus haut comme le besoin alimentaire « supprimé » revenait en fait à la

puissance n . Il est « conservé », comme déchet anthropologique : celui qui pue et se

traîne par terre à nos portes.

 Voilà comment s’explique le mystère du « paradoxe » de l’événement, qu’il soitl’être même, avec Deleuze, ou l’étant « irrationnel », avec Badiou. Irrationnel

pourquoi ? Parce qu’il s’auto-appartient (et Deleuze, dans Logique du sens , a découvert son ontologie sur les mêmes sentiers que Badiou : celui du paradoxe russellien de

l’auto-appartenance). Les animaux ne « s’approprient » l’être que comme espace, ense déplaçant « gratuitement », comme temps, en se perpétuant, et par la nourriture.

« L’événement » est pour eux aussi un « paradoxe » le temps furtif qu’il a lieu :

l’étant qui les nourrit est appropriation d’un « néant » qui devient leur être. Mais

n’allant pas au-delà, ils n’ont pas éprouvé le besoin d’appeler ça « être ». Ils

s’approprient de l’être, mais ils ne le savent pas, voilà pourquoi ils n’éprouvent pas lebesoin de le nommer ; ce savoir, qu’est la science, est effectivement uneappropriation excédentaire de l’être (comme eux sont excédentaires par rapport aux

 végétaux, qui le sont par rapport aux minéraux, etc.). Ils sont « structurés » par l’êtreque nous « désabritons » par l’édiction scientifique, que nous nous approprions mais

pas eux, et voilà pourquoi nous sommes des paradoxes sur pattes. En s’appropriantle néant et en en « faisant » de l’être, l’homme en vient à différer de l’être même, d’uncôté, et de l’étant qu’il est, de l’autre. Il est l’étant paradoxal qui, s’appropriant l’être

comme structure universelle de l’étant, n’est ni cet être ni cet étant tout en « étant »les deux. Ne s’appropriant pas l’être qui les structure, fors espace, temps et

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nourriture, les animaux n’inscrivent pas l’expropriation comme organisationsurnuméraire de leurs espèces (en tout cas : aucun mammifère, j’y insiste sans cesse.Nous ne savons pas grand-chose des termites ou des fourmis, qui sont peut-être au

monde « insectes » ce que nous sommes au monde « mammifères ».)

  Tant pis pour eux, puisqu’ils ne s’entourent pas des innombrables luxestechnologiques surnuméraires qui composent notre « seconde nature ». Tant mieux

pour eux, puisqu’ils ne pâtissent pas des effets collatéraux des appropriations supra-

spatiales et supra-temporelles qui sont les nôtres : du Mal, si ce n’est celui, bien sûr,que nous  leur faisons. Il y a une justice, comme on dit : l’appropriation surnuméraire se paie de réseaux proportionnés d’expropriations sans nombre. Être « hégélien » à

mon sens, c’est ça aussi : de même que Hegel a historiquement « démontré » que le

devenir-historique de Dieu n’était autre que le devenir-historique de l’homme (aupoint de dire, selon Kojève, que Dieu s’accomplit en lui : que Dieu, c’est lui), ilnous faut lever le double « mystère » de l’être comme événement paradoxal, et del’événement comme paradoxe extra-être. La solution est si j’ose dire très simple :

c’est l’homme, l’étant trans appropriateur, qui est cet étant « paradoxal » : ici la

philosophie parvient à dire ce que la mathématique, d’elle-même, ne peut dire. Et

c’est ce reste de « mystère » que j’ai voulu lever chez Deleuze comme chez Badiou

(et déjà Heidegger), sans rien enlever aux géniales descriptions phénoménologiques

que donne Badiou du devenir  des vérités qui succèdent à tel ou tel événement.

Souvent, en lisant ce dernier (mais ça vaut aussi pour Deleuze ou Heidegger), je me

dis que son anti-humanisme est une anthropologie inconsciente ; mon

anthropologisme assumé  est, lui, un anti-humanisme parfaitement « conscient de

soi », -pour rester hégélien-.

  Autrement présenté encore: l’anti-humanisme du « moment soustractif » ne

tient pas quitte de produire une anthropologie. Quitte à être néo-classique, dix-

septiémistes et pré-critiques, toutes choses à quoi nous lui (Badiou) devons la

possibilité, autant l’être jusque au bout et produire aussi cette dimension nécessairede toute philosophie classique. C’est à ça que je me suis collé (à la différence d’unMeillassoux par exemple).  Sans cette production, je suis persuadé, depuis

maintenant longtemps, et fort d’innombrables lectures, que tout ce qui se fabriqueaujourd’hui de porteur en philosophie restera  politiquement  sans effet, ou, disons,

d’un effet moindre. C’est à cela et pas autre chose que je sacrifie. Par exemple, ce

qu’un tel « sistême » a démontré une fois pour toutes, c’est un des points faibles dudiscours du Badiou sur la politique : la pure et simple identification de l’Etat ausens ontologique du terme (l’excès des parties sur les éléments, de la représentation

sur la présentation) s’applique (chez lui) sans transition  au politique. Du coup

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l’existence même de la politique dans la clôture anthropologique devient, qu’il le  veuille ou non, indéchiffrable  : voilà un des prix funestes qu’il risque de payer à la

morgue anti-Origine, si nous ne prenons pas la responsabilité de pointer là où ça ne

marche  pas . Parler sans distinction de l’Etat politique anthropologique et de l’Etat

ontologique, comme si le premier n’était qu’un paradigme « entre autres » dusecond (en style spinoziste : l’Etat politique n’est qu’une mode de l’Etatontologique universellement nécessaire), c’est s’ôter tout moyen de comprendrequoi que ce soit à l’essence du politique. On reste ici comme toujours sous le coupdu schème historial hégélo-marxiste : soit la finalité de l’humanité commecommunisme générique se fera dans la forme surnuméraire-contingente de l’Etat :

Hegel ; mais alors, en identifiant purement et simplement l’Etat à la nécessitéontologique, on renonce au thème corollairement impraticable du « dépérissement

de l’Etat ». Soit, comme le fait Badiou, c’est à Marx qu’on donne raison : lecommunisme générique s’accomplira comme péremption de l’Etat, mais alors ilfaut cesser définitivement d’identifier l’Etat politique comme un « mode » de l’Etatontologique. Et dès lors s’en donner les moyens. 

C’est pourquoi la dimension de l’appropriation dans l’événement, dont Badioune veut faire aucun cas, est ce qui permet de résoudre le problème (mais encore faut-

il lire : je veux bien qu’un crétin s’en abstienne et s’en prémunisse par des clichéspsychologiques, mais toi…). Premièrement, parce que j’ai démontré comme c’estde la dimension appropriatrice de l’événement scientifique (appropriatrice de l’êtrepur, dans le cas des mathématiques) que s’origine, oui, le régime d’expropriation 

 généralisé qu’est le politique. Surtout, la dimension appropriatrice est fondamentalepour résoudre l’aporie où se tient aveuglément Badiou, en ceci que l’excès dereprésentation, l’excès ontologico-étatique des parties sur les éléments, ne

deviendrait  pas  politique, dans la clôture anthropologique, sans la mimèsis  de l’appropriation ontologique (scientifique). Qu’il n’y ait pas, ou peu, d’Etat  politique chez les autres animaux (en tout cas : chez aucun autre mammifère , et c’est cette

« énigme » qu’explore Être et sexuation   ), reste inexplicable sans l’entière dialectiquequ’a déployée la théorie de l’archiévénement. Si, toi, tu pouvais l’expliquer, je seraispreneur. Mais tu ne pourras pas. Personne n’est en mesure d’expliquer  pourquoi l’animal humain et lui seul s’est à la fois historisé et  planétarisé , seul de tout le règne

mammifère, et donc comment a-t-il  politisé  ce qu’il s’est approprié par la science(l’excès étatique de l’être), sans tenir compte du fait que l’événement est toujoursl’oxymore d’une appropriation expropriatrice d’être. Si les autres animaux (mammifères)en avaient fait de même, s’étaient approprié l’excès par la science, ils auraient

exploité , c’est le verbe qui s’impose, ce savoir dans la surpuissance expropriatrice quiporte le nom de : politique. Il existe des formes d’appropriation animales de l’être

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(l’Ontologique en épelle quelques-unes), mais pas la science au sens qui est le nôtre

(ils en restent à des tekhnaï rudimentaires, celles mêmes de l’homme préhistorique,c’est-à-dire de l’animal humain avant… l’Origine : avant son être-historique, qui

n’est rien d’autre que son « éternité » au sens de Badiou) ; et donc ils ne connaissent

pas de politique (sinon de manière tout aussi rudimentaire). Ils ne connaissentsurtout pas, et là c’est absolu (aucune espèce mammifère ne se « mondialise »

comme nous), d’Etat  politique, parce qu’ils ne se sont pas appropriés l’étatontologique : ils en sont sujets, comme tout ce qui est, mais n’ont pas le redoublement réflexif que permet l’appropriation scientifique de cet excès. Cette aporie profonde

du travail de Badiou, dont tu as convenu toi-même, c’est au moyen de mon« anthropologie dialectique » que je l’ai tout simplement résolue. Il faut toute la

mauvaise foi géniale de Badiou pour ne pas convenir du fait que plus la Science

s’avance et se sophistique, plus l’expropriation politique est gigantesque : il n’est pasune seule parcelle de la planète que l’homme ne se soit pas « approprié », par ce

qu’on appelle le « Droit », et il est la seule espèce animale à avoir fait ça. En s’étantapproprié la représentation par la Science, l’homme en vient à représenter l’appropriation  : par le « Droit » hypocrite, qui couvre l’expropriation des autres . Et

telle est bien la définition générique du politique comme tel, dont Badiou, dans son

espace, ne peut rendre raison.

Quand Badiou reproche quelque part à Deleuze son usage purement

« métaphorique » des mathématiques, ça ne nous proscrit pas, comme écrasés par la

Loi mosaïco-platonicienne, de détecter là où lui aussi s’y commet. Son éblouissante

connaissance de la question, et les résultats infinis qu’il en a déduitsphilosophiquement, ne doit pas non plus nous intimider quand ça nous engage,

tout simplement, sur une fausse piste. Soyons sérieux : comment soutenir deux

secondes que l’Etat d’un corps biologique donné, par exemple, et l’Etat en son senspolitico-anthropologique, soient deux paradigmes d’un seul et même mêmeinvariant « ontologique » ? Et c’est ça que ce livre met à la question : qu’est-ce

qu’un événement pour  le corps biologique mammifère, en deçà de l’appropriationscientifique ? D’évidence, le rut qui le fait sortir, à point nommé, de son « Etat »

normal (ce qui voudrait dire qu’ici comme ailleurs, c’est-à-dire à ce niveau même

pour les autres mammifères, tout événement est réappropriation  de l’excès étatique« normal » : concentration  intensive, comme chez Deleuze). Côté mâle : le désir

intrépide interrompu par l’éjaculation castratrice. Côté femelle : la transe

désir=jouissance interrompue par la même castration. Qu’est-ce qui a fait que le

seul mammifère à s’être approprié, entre autres, cette processualité par la Science,

se clivant aussi bien de l’Origine animale comme telle, en vient, par d’immensesdétours tors, à universaliser  cette appropriation et tant d’autres, dans la forme de

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l’Etat politique planétaire ? Pourquoi ça ne lui est arrivé qu’à lui , au prix des

souffrances que l’on sait, et sans oublier le banco « platonique » des innombrables

« vérités éternelles » ? Qu’est-ce qui rend cet Etat proprement politique irréductible

à l’Etat ontologique tel qu’on peut l’appliquer, par exemple, à un corps biologique

en son indivisible cohésion (la question de la physique, comme la pose très bien Tarby), c’est-à-dire, d’évidence, au fantasme idéologique par excellence qui fait de cet Etat (politique) l’illusion d’une « cohésion organique » strictement équivalente à

celle d’un « corps biologique » ? C’est-à-ce genre d’illusions que risque de reconduire  la pure et simple identification badiousiste de l’Etat ontologique et de l’Etatpolitique. Tu sais bien, et la remarque pèse beaucoup plus lourd qu’on ne le jugecommunément, que c’est pour cela que Badiou « reproche » à Spinoza d’être lephilosophe historique à avoir le plus intégralement résorbé l’excès de l’état  

ontologique dans la structure d’appartenance « sensible », « naturelle », etc. ; celui àavoir avoir purement et simplement indiscerné présentation et représentation. Mais

il risque  Ŕ Badiou- d’en retrouver quelque chose par l’identification qu’il fait à son

tour de l’état ontologique partout inclus (comme le manque libidinal masculin…),et de l’Etat en son sens proprement politique, c’est-à-dire en sa formation historico-

structurale singulière , irréductible à la première. Et c’est bien parce qu’il en retrouve

quelque chose que, comme Spinoza (mais pas Hegel ou Schelling : pas les

luthériens…), il finit par estimer que la question du Mal est nulle et non avenue, du

point indiscernablement ontologique et politique où il se tient. Si état ontologiqueet Etat politique sont purement et simplement la même chose, alors en effet le

« Mal » et les maux que nous hallucinons dans les situations politiques ne sont que

des modes parmi d’autres de l’enchaînement « naturel », incastré, des causes et des

effets. Ces « maux » ne sont que des plis de la structure naturelle des choses, qui est

justement l’excès ontologique de représentation, donc quelque chose de  partout ,hors-humanité, « normal » dans sa non-normalité même, naturel dans sa non-

naturalité même, etc., et donc il n’y a aucun Mal proprement anthropologique (donc,

pour moi : proprement politique). Même si je devais le concéder à Badiou  Ŕ mais jen’en concède strictement rien,  philosophiquement parlant-, alors ce serait là  le pire à

mes yeux : car alors je ne verrais pas la moindre chance de mobiliser qui que ce soit

en direction de quelque politique égalitaire que ce soit.

Il s’agit donc bel et bien d’une aporie profonde de sa pensée, qu’il  faut  que

nous levions pour aller plus loin. Quand, du bon vieux temps du maoïsme militant,

il écrit avec François Balmès que les « invariants communistes » consistent dans

« les grands révoltes de masse des classes exploitées successives (esclaves, paysans,

prolétaires) [qui] trouvent leur expression idéologique dans des formulationségalitaires, antipropriétaires et antiétatiques », il ne peut toujours pas, plus de trente

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années plus tard, nous expliquer  pourquoi  il y  a  de la propriété et de l’étatisationpolitique constituées , irréductibles à l’étatisation ontologique constituante de tout ce qui

existe (comme il nous l’aura magistralement fait voir). C’est l’appropriation de l’Etatontologique (logico-mathématique, physique, biologique…) qui se transforme, de

façon chimique voire alchimique (le tourniquet dialectique de l’événement), en Etatpolitique. Et l’aporie se résume très simplement, et est insoluble si l’on s’en tient audoctrinal badiousiste strict : si la politique générique communiste, c’est l’abolitionde l’Etat, mais qu’on continue encore et toujours à ne pas faire la différence entre l’Etatontologique et l’Etat politique planétarisé, on se met dans une position désespérée .Puisque, selon ces présupposés (l’Etat politique ressortit, strictement, de l’Etatontologique par quoi la représentation de tout étant excède sa présentation, etc.), il

est impossible d’abolir l’Etat : je n’hésite carrément pas à dire qu’il y a là le risque d’un

nihilisme  politique  implicite, voire inconscient. L’Etat politique est une mimèsis monstrueuse de l’Etat ontologique, et par là plus qu’à son tour une opérationdialectique de conservation-suppression, probablement la plus « fascinante » de

toutes (la plus « alchimique », en sens inverse : qui transforme l’or de la Science enplomb liquide de la politique). Et c’est, quelque part, au-delà de la « calamité

originaire », heureux, puisque s’il n’en était pas ainsi, il n’y aurait aucune chanced’activer quelque « grand soir » que ce soit, la fin de la propriété privée et le

dépérissement de l’Etat qui doivent rester le mot d’ordre primordial des politiques

d’émancipation à venir. Là encore, c’est le prix à payer de la coquetterie  du jour, consistant à se tenir

simplement quitte de la question de l’Origine rousseauisto-allemande. C’est-à-dire

de n’interroger l’Histoire de la politique que du point du Sujet (insurrectionnel, cequi est, quoi qu’on en dise, le reste de « gauchisme spéculatif » chez Badiou). C’est-à-dire, tout de même, la traduction de la République  n’y pouvant mais, de ladimension de l’utopie qui doit commander toute politique (je montrerai ailleurs  Ŕ un

  vrai programme que ma lettre !- comme la question de l’utopie est radicalement

distincte de la question du Mythe). Je te cite encore Lacoue, qui récapitule comme àson habitude de manière limpide les enjeux en quelques phrases :

« La chose est bien connue : le schème mis en place par Rousseau de la question de

l’origine (c’est-à-dire de la condition de possibilité) de la culture n’ouvre passimplement l’espace de la réflexion transcendantale ; il est rigoureusement

commandé, bien qu’en l’absence de toute formalisation, par une logique dialectique,au sens de la dialectique dite spéculative. (…) téléologiquement pensée, l’histoire estdéchiffrable comme la mise en œuvre d’un dessein de la nature qui aboutirait,

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moyennant le conflit ou l’opposition entre nature et culture (liberté, selon Kant24 )

(…), à leur réconciliation finale dans un art qui, s’accomplissant jusqu’à la perfection,deviendrait de nouveau nature. Tel est le sens de l’histoire. »

Cet art, bien entendu, n’est autre que la politique au sens où nous l’entendons. Traduisons : à l’expropriation généralisée par laquelle la tekhnè  autonomisée en

science s’est pervertie en politique « effroyable », doit répondre l’art politique qui se

réapproprie l’expropriation et la restitue égalitairement à une humanité désaliénée etrendue à elle-même. En termes encore plus serrés, c’est-à-dire plus proche de ce

que nous héritons/subvertissons de Badiou : c’est la Science qui césure l’homme desa « normalité » animale ; c’est au politique, au sens le plus général du terme, querevient de créer de toutes pièces une « normalité » seconde qui répare l’hémorragieexpropriatrice, excessive, a-normale, par quoi se solde l’expropriation permise par la

Science. C’est le schème hégélo-marxiste, bien entendu, qui se surdétermine là (etqui surdétermine encore Badiou, n’en pouvant mais). Autrement dit : dans ce

« schème » dont nous procédons, le Sujet politique (le communisme générique) a sa

fin en autre chose : Etat de Droit universel chez Hegel, fin de la division du travail et

abolition de ce même Etat chez Marx. Avec Badiou (le « gauchisme spéculatif »), le

Sujet politique insurrectionnel a tout l’air de devenir une fin en soi. Et ça, que tu le

  veuilles ou pas, c’est une insuffisance. Tout simplement: nous sommes tous

d’accord sur le fait que la seule chose qui puisse sauver l’humanité, et non pas au

sens de « sauver son âme » (ça, c’est Badiou implicitement qui pense comme çaquand il dit que « seul le communisme peut sauver l’humanité »), mais bien au sens

de la sauver en tant qu’espèce , c’est la fin de la superstructure étatique et de lapropriété privée : le contrôle partagé de toute l’humanité sur l’économie réelle et lesmoyens de production. Le surgissement du problème « écologique » et de

l’existence de la bombe atomique signifie, en termes historico-historiaux, que pour

la première fois nous devons penser que le Sujet et l’espèce animale qui la supportesont un seul et même enjeu ; tandis que de Descartes à Badiou en passant par Kant et

Hegel, le Sujet, en particulier politique, était toujours cela qui « s’élevait » au-dessusde sa condition animale, qui misait cette existence animale dans un enjeu qui en

excédait la finitude. Mais c’est désormais l’existence même de cette finitude  qui est

menacée comme telle : non la finitude contingence de telle ou telle existence (celle

du Maître ou celle de l’esclave, dont le meurtre circonstancié ne menaçait en rienl’existence globale de l’espèce, et donc les enjeux subjectifs qui « sacrifiaient » telle ou

24 Dans la seconde et la dernière section d’Ontologique de l’Histoire, je formalise exhaustivement la question de la liberté,sur la base de la théorie de l’architransgression : la liberté, capacité surnaturelle à se fixer des lois (ce qu’on appelle, àpoint nommé, le Droit : l’appropriation « ontologique » de la Nature, dont le réel est l’expropriation politico -

économique), découle de cette torsion dialectique qui « renverse » l’appropriation scientifique en expropriationsurnuméraire planétaire, in-existante à toute autre espèce q ue la nôtre. Je m’y suis à nouveau plus qu’arrêté dans lesprésentes pages, tant la question me paraît décisive, et j’y reviendrai dans Le sinthome politique.

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telle finitude, pour la « relever » dans un progrès toujours local), mais la

contingence originaire, eh oui, de cette existence elle-même . Jadis, on risquait sa

peau, cette animalité finie, en vue d’une subjectivation dont on jugeait que l’enjeuméritait qu’on y sacrifie, le cas échéant, la furtive animalité de son passage sur

 Terre ; reculer devant une telle mise était un choix égoïste qui ne tirait pas plus àconséquence que ça (même si c’est évidemment cette option qui aura été tenue par

toute la tradition métaphysique, et donc implicitement encore Badiou, pour la

détermination du Mal). Aujourd’hui, qui n’est pas prêt à faire quoi que ce soit pourquelque subjectivation que ce soit « avoue » par là même qu’il est prêt à sacrifierl’égoïsme animal lui-même qui sert de support à toute subjectivation anthropologique, y compris  les « subjectivations perverses » du « Mal » égoïste lui-même. C’est cet« arrière-fond » éthico-métaphysique qui s’est très profondément ancré en nous,

sans que nous ayons même commencé à en prendre la mesure : qui nous tétanisehistoriquement.

Pour ces raisons, jamais le Sujet politique n’aura moins  été une fin en soi :

jamais il n’aura été davantage qu’à notre époque le moyen  d’accéder à uneorganisation planétaire de l’humanité qui ne lui fasse plus encourir, non plusseulement l’exploitation et l’horreur, mais la disparition physique pure et simple (cequi veut aussi dire : l’écologie politique ne sera possible qu’à condition d’uneorganisation communiste, anti-propriétaire : c’est très clair). Il y a une hyper-

téléologie du Système de Badiou, qui est le Sujet. Mais autant je veux bien que ça« colle » pour la Science, l’art et l’amour (et encore… toujours « l’angélisme »),

autant quelque chose « coince » à mes yeux en ce qui concerne la politique. Le Sujet

ne peut pas y être le terminus téléologique. Tout ça tient ensemble. Augustin a écrit

que l’homme existait pour qu’il y ait du commencement. Badiou pourrait écrire :

l’existence humaine n’a d’intérêt que pour faire exister quelques vérités. Quel qu’ensoit le prix, ajouterait-il. Certes. Mais le prix pourrait bien devenir si radical que la

condition même de toute vérité disparaisse. Il faut donc surélever  l’enjeu : ma

manière de prendre Badiou « par le bas » (« aristotéliciennement ») est aussi unemanière de placer les enjeux un peu plus haut.

C’est avec Rousseau et nul autre que, dans le transcendantal politique, Dieu est

effectivement mort . Et tout ça a à faire avec une pensée de l’Origine révolutionnaire 

dans l’Histoire de l’humanité. Par exemple, quelle que soit la singularité grandiose

de Badiou sur ces questions, et la fortune à laquelle son architectonique

conceptuelle ne fait que commencer à être promise, il ne peut éviter, comme toutes

les autres à partir de Rousseau, -et pour les quelques raisons que je viens de

t’épeler-, que sa philosophie soit philosophie de l’Histoire, explication avecl’Histoire de la philosophie (avant Kant, donc Rousseau, ce n’était un passage

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obligé pour personne. C’est même par là que les allemands ont tout de même été leplus grand moment de pensée depuis les  grecs : au dialogue « immanent » de ces

derniers, entre quelques dizaines de philosophes groupés dans la Cité sur deux

siècles seulement, ils ont substitué l’Histoire, à savoir le dialogue  avec l’éternité  ).

Donc d’être (Badiou) toujours et encore pris dans le « moment allemand » : le« Dieu lui-même et mort » de Luther devient réappropriation, par l’Humanité, de sa 

  propre Origine.  C’est ça, rigoureusement, qui clive pour toujours la politique post-Révolution française du Religieux (du Mythe), et inaugure notre Histoire proprement

dite. Quand Meillassoux brandit son implacable « argument du fossile » contre les

idéalismes, phénoménologismes et empirismes en tous genres, à savoir que

d’innombrables mondes ont existé il y a des millions d’années, comme celui desdinosaures, sans qu’une conscience constituante ait été nécessaire pour les

enregistrer, c’est toujours et encore à l’Histoire qui a commencé à ce moment et pasun autre qu’il participe, et à sa conquête laïcisée de l’Origine, contre lecréationnisme religieux (son « grand récit » périmé, et dont il faut se demander à

nouveaux frais pourquoi il fait aujourd’hui retour avec tant de puissance), qu’ilcontribue sur son mode. C’est cette Histoire qui s’écrit depuis seulement deux siècles

(autant dire : rien du tout), et ne cessera pas de s’écrire de sitôt. Contre le tir debarrage incessant du nihilisme démocratique, insistant sans cesse sur la peur

dépressive, la fin de toute chose, l’impasse absolue des grandes tentatives

politiques, etc., après une Histoire longue et interminable, il faut insister sur l’exactcontraire : deux siècles pour que l’humanité se réapproprie sa propre Origine, c’est 

extrêmement peu. Nous avons des siècles devant nous, mais c’est maintenant que nous

devons mettre notre cœur à l’ouvrage, chacun selon son mode. L’homme estl’animal qui sait  qu’il a une Origine. Le nihilisme, démocratique ou autre, c’esttoujours ne rien vouloir savoir  de l’Origine dont on procède : il suffit d’ouvrir nosjournaux, d’allumer nos télévisions ou nos radios : que voulez-vous, mon bon

Monsieur, hier c’était hier, aujourd’hui c’est aujourd’hui, ça n’a rien à voir. Pétons

un coup avec nos comiques sur notre médiocrité « démocratique » obligatoire, etallons nous coucher. Versons une petite larme sur les malheurs du monde, et

contentons-nous de ce que nous avons. Par exemple, en Europe, sous le traumatisme sans précédent de la seconde guerre mondiale, la première « Paix durable »

(soixante-cinq ans à ce jour) de toute l’Histoire de l’Humanité. Naturellement, cettePaix a un prix : quand la mauvaise conscience occidentale se délecte négativement

des horreurs perpétrées, par exemple, au Nigéria ou au Libéria, elle oublie que c’està ces horreurs qu’elle doit sa prospérité. En « contemplant » la barbarie de ceux qui

torturent et ouvrent les ventres de femmes enceintes, on ne se rend pas compte que

ce n’est que le résultat de l’expropriation économique que nous  faisons subir aux

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richesses de ces populations. Enfoncer notre pompe à essence dans notre voiture,

c’est strictement la même chose que le couteau qui entre dans le ventre de la femme

enceinte. Quand nous enfonçons cette pompe, nous enfonçons ce Couteau. Voilà ce

que, dans mon « sistême », je relève du Poème de Guyotat. Voilà ce que pense ma

pensée (et qui me rapproche, je n’ai aucune honte à le dire, et je l’ai dit, despréoccupations écologiques), que la pensée de Badiou ne veut pas penser. Quand

nous « jugeons » moralement du génocide rwandais, nous passons sous silence,

avec notre componction sociale-démocrate habituelle, la désastreuse décision de

Mitterand de ne pas intervenir, mais, surtout, nous oublions  que c’est à notre colonialisme25 qu’ils « doivent » le délire ethnologique (séparation des « hutus » et

des « tutsis ») qui les a amenés là. Et nous  sommes comptables du génocide par

procuration que sont les dizaines de millions de mort du SIDA en Afrique. Entre

mille exemples.Bref, et pour le dire avec Adorno : « Les besoins naturels, qui défièrent

[l’homme] si longtemps, pourraient désormais tous être satisfaits : si l’on s’en tient àl’état des forces productives techniques, nul n’est plus condamné à mourir d e faim

sur terre ». Mais c’est toujours et encore du point de l’Origine si exemplairementpensée par Rousseau que nous pouvons le comprendre (et Adorno a

malheureusement, sous ce rapport, fait partie de ceux qui expédiaient sous le

stéréotype « cantonal » Rousseau, auquel il devait, comme les autres, tout , sans le

savoir). C’est-à-dire, et c’est ce que manque Adorno : qu’est-ce qui fait que lemammifère humain quitte la sphère du besoin alimentaire et reproductif animal ? Je

cite Rousseau cité par Lacoue-Labarthe :

« …ses désirs [à l’homme caricaturé comme « naturellement bon », alors que l’enjeuest précisément de penser comment il s’est césuré, castré  de cette origine, c’est-à-dire

devenu pas-bon-du-tout : ce que Lacoue appelle l’onto-technologie de Rousseau] ne

passent pas ses besoins physiques ; les seuls biens qu’ils connoisse dans l’Univers

25 Entre autres choses, qui seront abordées dans Le sinthome politique , et qui éclaire ma différence radicale « deméthode » avec Badiou : le colonialisme est évidemment une des formes, l’envers obscur, de l’universalisme. (Mais cen’est pas au vieil orang mao qu’on apprend à faire des grimaces  : j’apprends comme par hasard, sentant sans douteapprocher, comme il dirait, le « boulet », qu’il a expliqué devant Etienne Balibard qu’il n’était pas « universaliste »…ce qui est la plus élégante manière de toujours éviter la même question politico-anthropologique du solde des « véritéséternelles », c’est-à-dire de leur universalité virilement « séparées entre elles ».) C’est  parce que l’homme a trouvé lemoyen de traverser son être-là animal localisé dans le temps et l’espace, par son devenir-historique et son devenir-« mondial », c’est parce qu’il dispose d’au moins un langage universellement transmissible, comme la mathématique(mais tous les autres peuvent s’apprendre par n’importe quel être humain en droit, des langues linguistiques àl’écriture musicale), qu’il est aussi  susceptible de l’envers obscur de cette universalisme : par exemple le colonialisme.Ici comme ailleurs, la politique est une mimèsis monstrueuse, différée, de la Science. Il est tout de même un peu tropfacile de ne vouloir que le bon grain de l’Universel positif, sans l’ivraie de ses co rrélats effroyables, comme il est unpeu commode de vouloir encaisser et le beurre de l’antiphilosophie et son argent philosophique, dans l’apesanteurangélique des « vérités éternelles ». Cette analytique, qui démontre qu’on ne peut pas simplement « séparer » le Bienscientifique, politique ou autre de ses corrélats immédiatement négatifs, donnera aussi bien congé aux facilités« gauchistes » contemporaines de l’anti-universalisme.

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sont la nourriture, une femelle, et le repos ; les seuls maux qu’il craigne sont ladouleur, et la faim ; je dis douleur, et non la mort ; car jamais l’animal ne saura ce que

c’est que mourir, et la connoissance de la mort, et de ses terreurs, est une despremières acquisitions que l’homme ait faites, en s’éloignant de la conditionanimale ».

Lacoue-Labarthe répond avec une précision d’acupuncteur :

« A moins que (…) le mortel ayant le langage (…) ne soit déjà décelable dansRousseau : auquel cas la politique programmée, jusque dans l’époque de Heidegger,serait peut-être la Terreur… Je veux dire : la politique fondée sur l’épreuve , en tous

sens, de la mort. »

En tous sens. Et sans doute, quoi qu’on en dise, dans le nihilisme démocratique plus  qu’ailleurs : c’est même de cette épreuve que s’origine ma position« antiphilosophique ». C’est en tout cas cette question historique que je pose à la fois

à Deleuze et à Badiou. S’agissant de ces questions, peut me chaux, encore une fois,

qu’il s’agisse de philosophie, d’antiphilosophie ou d’aquarelle. L’antiphilosophe (ce« sacrifié amer du concept », dit gracieusement Badiou, filant là la métaphore

éternelle de l’hôpital et de la charité) est un philosophe antiscolastique. Et c’est toutde même aussi de cette curieuse coïncidence que Badiou ne veut pas parler. Quand

il dit de Kant qu’il est « notre premier professeur  », c’est une coquetterie qui oblitère

que sa philosophie, -l’archi-platonisme-, n’aurait pas été possible en dehors du cadreuniversitaire. L’hôpital, ici, aimerait s’incorporer  la charité. Un passage de Blanchot

reste pour moi directeur depuis longtemps, et même de plus en plus avec mon

évolution « personnelle ». Il ne te sera pas difficile de tirer les conclusions sur ce qui

fait quasiment toujours parfaitement coïncider, depuis deux siècles (Rousseau),

« antiphilosophie » au sens de Badiou, et antiscolastique :

« Le haut temps de la philosophie, celui de la philosophie critique et idéaliste, va

confirmer les rapports qu’elle entretient avec l’Université. A partir de Kant, lephilosophe est principalement professeur. Hegel, en qui la philosophie se rassemble

et s’accomplit, est un homme dont l’occupation est de parler du haut d’une chaire, derédiger des cours et de penser en se soumettant aux exigences de cette forme

magistrale. Je ne dis pas cela dans une intention dépréciatrice. Il y a un grand sens

dans cette rencontre de la sagesse et de l’Université. Et il est clair que la nécessitéd’être philosophe à titre de professeur, c’est-à-dire de donner à la recherche

philosophique la forme d’un exposé continu et développé, ne peut rester sansconséquence. Mais il y a Kierkegaard ? Il y a Nietzsche ? Assurément. Nietzsche aussi

fut professeur, puis il dut renoncer à l’être et pour diverses raisons, dont l’une estrévélatrice : comment sa pensée voyageuse qui s’accomplit par fragments, c’est-à-dire

par affirmations séparées et exigeant la séparation, comment  Ainsi parlait Zarathoustra 

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auraient-ils pu prendre place dans l’enseignement et s’accorder avec les nécessités dela parole universitaire ? Cette noble manière d’être ensemble et de penser ensembleselon la division maître et disciple que l’Université prétend (peut-être à tort)

maintenir est ici refusée. Avec Nietzsche, quelque chose d’insolite se fait jour,comme quelque chose d’insolite s’était fait jour, lorsque la philosophie avaitemprunté le masque de Sade, lequel ne représente plus l’homme ex cathedra , mais

l’homme enfoui des prisons. Et pourtant le philosophe ne peut plus éviter d’êtreprofesseur de philosophie. Kierkegaard engendre de grands Universitaires. (…) Onpourrait ramener à quatre les possibilités formelles qui s’offrent à l’homme de larecherche : 1° il enseigne ; 2° il est homme de savoir, et ce savoir est lié aux formes

toujours collectives de la recherche spécialisée (psychanalyse  Ŕ science de la non-

science-, sciences humaines, recherches scientifiques fondamentales) ; 3° il associe sa

recherche à l’affirmation d’une action politique ; 4° il écrit. Telles sont ses

métamorphoses. Hegel [et Heidegger], Freud et Einstein, Marx et Lénine, Nietzsche

et Sade. »

  Je reviens à la question de l’Histoire. Jusqu’à Rousseau, aucun philosophen’était tenu à ça : la nécessaire explication avec l’Histoire, à quoi sacrifie Badioucomme les autres, n’est rien d’autre qu’un des noms de « la Mort de Dieu » (et qui

n’est à son tour pas autre chose que ce qu’il appelle « vérités éternelles », quelles que

soient les charges anti-historicistes). Comme le dit Lacoue au sujet de son « être

suprême » (à Rousseau bien sûr) dont on connaît et la fortune et les ennemis

(Sollers aujourd’hui, par exemple26

 ) : les curés genevois ont très bien compris ce quiétait en jeu, et que cet être suprême n’avait strictement plus rien à voir avec le Dieu

de la métaphysique. En persécutant le responsable, ils ne se sont absolument pas

trompés de  pharmakos . C’est exactement la même chose que le scandale qu’aprovoqué sa pensée de l’Origine : les gens ne se sont absolument pas trompés, et

surtout pas les curés. C’était la première fois, et bien avant Darwin, qu’étaitimplicitement, mais clairement, réfutée l’hypothèse créationniste (il n’y a aujourd’hui,on le constate encore sous ce rapport de toutes parts, pas d’autre enjeu que celui-

là : fidélité à l’événement - Rousseau.) Et la politique moderne s’en est tout simplementensuivie. Il faut donc bien prendre la mesure, toujours à nouveau,  Ŕ fidélité créatrice ,qui est infidélité nécessaire- , de ce qui s’est joué là.

On ne peut pas ontologiser, pour toutes les raisons que je viens de rappeler, le

politique (Malabou fait la même chose, dans un autre sens : c’est le capitalisme quiest « ontologique », et c’est évidemment faux aussi. Le capitalisme est ce qui s’ensuit 

de l’appropriation ontologique que fait l’homme. Il n’y a pas de Bill Gatesmoléculaire, ou félin, ou végétal, ou minéral, ou mathématique, ou cosmologique).

26 Ibid. que la note qui précède la dernière. C’est donc fort logiquement q ue les sarcasmes sollersiens contre « l’êtresuprême » s’accommodent de l’apologie des Papes contemporains. 

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Bref : la question de savoir si Rousseau est « antiphilosophe » pose la question

de savoir pourquoi a-t-il été, et quelques autres (Nietzsche, Lénine, Debord…),susceptible de susciter  un événement, bien plus : d’être, en tant que  pensée , un

événement. Y compris pour la philosophie , singulièrement allemande, de Kant à Marx,

et jusqu’à Heidegger compris en passant par Nietzsche, chez qui les choses segâtent de commencer à méconnaître tout ce qu’il doit à Rousseau (ce qui deviendra,

ensuite, le lieu commun calamiteux qu’on sait). Comment se fait-il que les grands antiphilosophes de la pléiade (du montage 

historial  ) de Badiou soient tous des antiscolastiques, des penseurs hors-Université27 ?

Et qu’inv ersement les grands philosophes soient toujours, depuis Kant,

universitaires et professeurs (Hegel, Husserl, Heidegger…) ? Pour durcir un peu la

question : à quelles conditions  le « piédestal bureaucratique du Bien », par où la

philosophie se sera aujourd’hui réinventée en sa personne, est-il possible ? Je faisavec ce que j’ai, et je me dis simplement : de fait, quelles que soient les grandes

leçons prescriptives, tout à fait légitimes (mais terriblement proches, là encore, d’unKant, bien plus que d’un Hegel, dans leur façon de tenir que la philosophie n’estque la bureaucratie spirituelle et immaculée du Bien), qu’administre aux mortels leplatonisme contemporain, on retombe à la case départ : du temps de Platon la

condition pour philosopher était d’être  aristocrate et d’avoir du temps libre,aujourd’hui c’est d’être professeur dans les meilleures universités (normalienne,

pour couper court), et issu d’un très bon milieu. C’est ça le réel  de« l’antiphilosophie » historique, mais c’est pourquoi je préfère, et désormais de très

loin, le qualificatif générique d’Antiscolastique. Et ça jette quand même une ombresur les coquetteries de Badiou lui-même contre « l’université », qu’il singe , au fond,

aux antiphilosophes qu’il admire. Et je crois donc bien que ce que Badiou envie aux

antiphilosophes, c’est leur capacité, bien plus que les philosophes, a produiredirectement , par le forçage inouï d’un  point de pensée, des événements. A tel point

qu’ils produisent… de la philosophie : Rousseau Kant et Hegel, Nietzsche Heidegger

et Deleuze, Lacan Badiou. Mais ils produisent aussi des événements proprement dits , àsavoir politiques. C’est  exemplaire avec Rousseau. Mais c’est exemplaire aussi,hélas, avec Nietzsche. Hegel a dû en passer par la case Marx, sans quoi il serait resté

indiscernable de l’Etat de Droit universel qu’il a par ailleurs génialement prophétisé,

27  A l’exception de Wittgenstein, qui instruit cependant de manière précise sur la dialectique qui lie, par l’entremiseévanouissante ou au contraire excessive de l’Université (de la scolastique), philosophie et antiphilosophie : pour lebon côté, il était un Universitaire plutôt « excentrique ». Pour le mauvais, Badiou a finit par admettre quel’antiphilosophe n’était rien d’un sophiste. Et c’est précisément la collusion de Wittgenstein et de l’Université qui a faitbasculer son Antiphilosophie dans la Sophistique généralisée. Sur les raisons pour lesquelles, historiquement ,l’antiphilosophe n’est plus le sophiste, et en a en quelque sorte pris la place, je ne m’attarderai pas ici : me contentant

d’indiquer la piste, et les dialectisations possibles. Par exemple : Sartre est un philosophe antiscolastique (mais, sanshasard, à la solide formation universitaire avant de « voler de ses propres ailes » et droits d’auteur), Zizek ou Derridades antiphilosophes scolastiques, etc.

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à très long terme (son utopie à lui, au moins aussi passionnante, sinon à mon avis

beaucoup plus, que la République platonicienne Ŕ là encore je compte bien y revenir

un jour-  ). C’est la même chose qui arrivera à Badiou (la philosophie est ce quiprésente un événement à un autre événement) : il aura son Marx, qui ne sera rien de

ce qu’il aura appelé de ses vœux. Il attend son vrai antiphilosophe, c’est-à-dire sonPolitique : qui ne pourra, par définition, pas être ce qu’il attend. Je me demandesouvent si ce n’est pas son phantasme, -son sinthome28 propre- : l’équivalent ducourt-circuit qui a frappé la téléologie hégélienne, où le Savoir Absolu qualitatif va

se répéter tel quel dans l’expansion quantitative, et on est « forcé d’admettre que toutcontinue », mais pas du tout comme prévu. Je pense que l’explication n’est pas trèscompliquée : jeté dans la Nature (et pas celle de l’éden mathématique ou autre,généralement, sans parler du fait que les génies mathématiques en reviennent assez

souvent, et de plus en plus à mesure que l’Histoire s’avance, calcinés : psychose deCantor, paranoïa de Gödel, « rousseauisme » schizophrénique  Ŕ et écologiste - de

Grothendiek, qui se jette en somme de lui-même dans cette Nature « ingrate »),

l’antiphilosophe endure presque à chaque fois une expérience négative,traumatique. Tous sont exemplaires à cet égard, Rousseau le premier. Ils ne sont

pas protégés par le bon salaire de l’Université, et donc par le confort administratif (comme déjà Kant…) permettant aussi bien d’administrer «  comment s’orienterdans la vie et la pensée ». Je ne le dis même pas, contrairement à ce que tu pourrais

croire, en mauvaise part. J’ai été éduqué  par cette philosophie, de manièrelittéralement salvatrice . Tout cela ne dit rien non plus contre l’héroïsme exemplaire du

parcours subjectif de Badiou. Mais je n’ai aucune envie de tricher avec le réel demon parcours subjectif, plutôt torturé, et pas spécialement éclairé de la lanterne du

Bien sans mélange. Lire passionnément l’hyperplatonisme, Himalaya des véritéséternelles et éden des subjectivations maximales, est une chose ; sortir de cette

philosophie pour se contenter d’ânonner le chantage positif aux maximisationséthiques, c’est prendre le risque de se transformer en petit singe pontifiant, toujours

assuré d’être du bon côté du manche.Il est quand même temps, pour toutes ces raisons, de poser la question :

pourquoi l’antiphilosophe est-il toujours antiscolastique ?

Il y va donc, comme aurait dit Nietzsche, de  probité dans le discours, et de la

position (« hystérique », en son sens étendu) de l’énonciation : la déréliction de

Rousseau, de Hölderlin, de Kierkegaard, de Nietzsche, d’Artaud, de Blanchot, dusecond Debord (celui des Commentaires sur la société du spectacle 29 : notre Machiavel,

rien de moins). Freud et Lacan seront médecins (Blanchot résume de manière

28 Tel sera le sujet, entre autres, du Sinthome politique  : le sinthome du philosophe est d’attendre le Saint Hommepolitique Idéal.29 Paris, Gérard Lebovici, 1988.

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percutante la partition, bien avant Badiou) : la question de la « communauté »

comme épreuve solitaire ne les traverse donc pas (mais c’est sans doute ce qui leséloigne radicalement du questionnement « antiphilosophique », Bataille et Blanchot,

de « l’amitié », sur lequel je vais enchaîner). Bataille, Blanchot, le premier Debord,

auront pointé le problème après la « mort de Dieu » : la communauté  politique30,irréductible au communisme « réel » (étatique), « l’amitié » au sens de Blanchot.

Marx, seule exception « antiphilosophique » du dix-neuvième siècle à avoir échappé

à la déréliction des autres (mais pas à la misère matérielle), a compris que l’enjeuétait immédiatement politique.

Loyauté énonciative veut donc dire : ne pas  pouvoir plastronner abstraitement,

de là où on est et du point de ce qu’on a vécu 31, sur le « service du Bien »

philosophique qui s’opposerait au « service des Biens » du Capital et du nihilisme

démocratique. « L’antiphilosophe », qui, dans le cas de Rousseau, surdétermine toute la philosophie qui lui succède (c’est-à-dire la politique), jusqu’à Badiou compris,répond à l’horreur  qu’est, dès son Origine, ce « service des biens » qui double

l’humanité comme sa « seconde Nature », par une réflexion, précisément, sur

l’Origine de cette horreur. Si la philosophie tout entière est une katharsis de l’horreurdont elle procède, le va-nu-pieds « antiphilosophique » et « hystérique » est celui qui

rappelle au Maître professoral ce  qui est relevé dans son opération de

prestidigitateur, et qui lui-même fait toujours retour sous une forme différée,

« empirée » au sens de Beckett. L’interprétation que donnent des Zizek ou desBadiou du « Cap au pire » beckettien32 oblitère que le devenir historique de

l’homme est réellement une surenchère au pire, qui double la production historique

de nouvelles vérités positives, comme deux lignes divergentes partant du même

point (telle est purement et simplement la thèse de l’architransgression dansl’Ontologique   ), et produit sans cesse des horreurs encore plus horribles, des

monstruosités encore plus monstrueuses, des abjections encore plus abjectes, etc. :

du pire vraiment encore pire. Voilà l’opération mathématique, au sens de Spinoza, que

30 Une des opérations géniales et inaperçues de Lacoue-Labarthe, qu’on peut deviner en voyant le superbe film Proëme  (entretiens de l’île Saint-Pierre avec Jean-Christophe Bailly, réalisé par Christine Baudillon et François Lagarde, HorsŒil éditions, Montpellier, 2006) n’aura rien moins été que le suivant : Bataille aura été le premier penseur« moderne » de la communauté, motif que « relèvera » Blanchot pour le transmettre à Derrida, Nancy, Lacoue-Labarthe, Surya et quelques autres. Bataille aura toujours tenu que cette pensée supposait, comme sa conditiontranscendantale de possibilité, -son événement- , l’existence d’une pensée et d’une expérience portant le nom deNietzsche. On sait le prix payé : fascination pour l’horreur et le sacrifice, voire pour le fascisme : accusation, parBenjamin, de faire le jeu de ce dernier, et, par Breton, de « surfascisme ». L’opération , donc, de Lacoue-Labarthe (avec

 Jean-Christophe Bailly : l’amitié) consiste à refonder ce questionnement bataillo-blanchottien, et la communauté quisoutient cette relance, sur le nom propre de Rousseau, et non plus de Nietzsche.31  Que résume plaisamment, dans mon cas, la phrase d’Artaud : « Mon Histoire n’est pas celle d’un grandpersonnage, elle est celle d’un homme qui en a sué et chié pendant dix ans plus que son compte et même au delà ducompte de tout compte. »32   Au sens, tout simplement, de l’appropriation éthique héroïque dégraissée de toute négativité (Badiou), oucarrément « léniniste » chez Zizek, quand il cite « Cap au pire » pour relancer le communisme : « Essayer encore.Rater encore. Rater mieux encore. »

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mon « sistême » a voulu dégager, et qui éclaire une fois pour toutes le

« traumatisme » qu’aura été le vingtième siècle pour la pensée. Et nul doute que le vingt-et-unième siècle s’apprête à battre encore de nouveaux records, qui sont

probablement le prix que nous devrons payer pour nous réveiller, -nous relever -, de

notre sommeil politique actuel.Sans l’événement  de la pensée-Rousseau, aucune des conséquences que nous

tâchons, chacun à notre mesure, de relever, n’est possible, et pas même laphilosophie néo-platonicienne se définissant par le  pharmakos  sans reste de la

question du Mal, pour couper court vers les vérités et le Bien. Mais couper court,

c’est aussi, en l’occurrence, prendre le risque de se couper de l’événement même, delui être infidèle : affecter  le mépris pour la pensée (la Révolution de l’Origine parRousseau, qui donne la Révolution tout court, et le reste) dont on procède, et

risquer de ne pas voir qu’on y reste entièrement pris. C’est-à-dire : dépendant,toujours et encore, d’une Origine qu’on veut forclore, pourquoi ? Pour impulser la

Nouvelle Origine : tel est le seul et unique contenu de mon différend avec Badiou.

Une des choses qui nous embarrasse tous, et c’est au fond le sujet de ce livre,

c’est la curieuse suture du politique et de l’érotique de 68, dont notre génération aura

été négativement sujet. Foucault, Deleuze, Derrida, Lyotard, etc. : nul penseur « 68 »

n’aura été immun de cette suture, historiquement incongrue (mais, à bien y creuser,

pas tant que ça (le péché originel, etc.) : et tel est l’exact l’enjeu de ce travail), du

politique et de l’érotique. Ce n’est assurément pas la seule question que 68 pose,mais enfin c’est une de celles qu’elle pose : Zizek, le complice numéro un de Badiou

dans la conquête conceptuelle du monde, ne fait que déployer avec virtuosité la

dialectique érotologique de Lacan, sur les apories politiques de la modernité : sur

son impossible encore et toujours verrouillé, à l’heure où j’écris ceci. C’est si vrai quemême Badiou , malgré ses forclusions en ce sens, en est Sujet. Qu’est-ce que Théorie du Sujet 33, premier livre réellement « idiosyncratique » de Badiou ? Un livre d’antiphilosophie politique, aux moyens conceptuels de l’antiphilosophie lacanienne . C’est-à-dire

que même Badiou  procède  d’une suture politique/érotique, de manière doncdoublement   antiphilosophique, qu’il n’entraperçoit même pas, qui est tout le réel

incongru , impronostique, de la séquence « 68 ». Qu’il ait « relevé », bien plus tard,

cette suture dans sa philosophie, en séparant soigneusement toutes les procédures

dans l’imprenable Cathédrale soustractive, je suis bien le dernier à le sous -estimer

une seule seconde. Mais enfin ça n’interdit pas d’interroger… l’Origine descoordonnées.

33 Paris, Seuil, 1982.

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Je tombe sur le livre brillantissime de Bruno Bosteels, Alain Badiou, une trajectoire  polémique 34 ,  tout entier consacré, comme annoncé, à l’énergique plaidoirie contre

ceux qui accusent la conception événementielle de Badiou d’être simplement« miraculeuse », « gauchiste spéculative », etc. ; où je prélève le passage suivant, qui

me fait enfin oser écrire : « Badiou avec Weininger » (souvenons-nous : « dans cettetypologie, le pôle masculin est l’incarnation du principe surnaturel qui préside à laconstitution de tout cadre rationnel et discipliné de l’existence, du droit à la morale,jusqu’à la logique elle-même qui détermine l’organisation objective du monde au

sein de son système catégoriel. En revanche, le principe féminin représente, dans

ses deux variantes principales, Aphrodite et Déméter, l’abysse vide d’une sphèrenaturaliste qui tend, sans cesse, à rendre vaines, dans son irrationalité chaotique,

toutes les conquêtes de la raison », etc.). Il me sera inutile de souligner quoi que ce

soit, tant ce texte fournira heureuse matière à conclure :

« Badiou commence par définir l’acte de subjectivation comme une figure hystérique,capable de détacher au moins un énoncé de l’événement qui, lui, disparaît aussitôtaprès être apparu. A partir de l’événement, défini ontologiquement en termes d’auto-

appartenance, la subjectivation initiale consiste donc non seulement à nommer le

  vide mais à en extraire l’énoncé inaugural, apte à déclencher un processus logique

d’implication. Disons, pour prendre l’exemple le plus simple : après une rencontre

amoureuse, il faut pouvoir formuler une déclaration initiale, telle « Je t’aime », capable

d’être le commencement d’une série possiblement infinie de conséquences dans la

construction d’un couple. Cette première figure de déclaration serait « hystérique »,selon Badiou, dans la mesure où le sujet de l’énonciation reste personnellementimpliqué dans l’énoncé, comme dans la formule de Lacan : « Moi, la vérité, je parle ».

Dans ce sens, tout sujet d’un processus de vérité surgit d’abord comme un êtrehystérique. Par contre, afin de dériver un régime de conséquences de l’énoncéinaugural et donc afin de donner de la consistance à une vérité universalisable

concernant la situation tout entière dans laquelle l’événement a eu lieu, il faut unefigure de maîtrise par laquelle une série d’énoncés nouveaux puisse être inférée qui nedépend plus de la personne particulière du sujet de l’énonciation. Ce procédé

inférentiel se poursuit selon les règles de l’implication logique. Tandis que lesurgissement d’une vérité nouvelle obéit à un schéma hystérique, par contre lesopérations de fidélité présupposent toujours une certaine figure de maîtrise. La

maîtrise et l’hystérie apparaissent ainsi dans une relation de codépendance, étantdonné que les deux sont requises pour qu’une vérité puisse prendre forme. L’acte desubjectivation est nécessaire mais strictement sans conséquence. Son intensité peut

même toujours être mise en évidence afin de dénigrer le pauvre résultat des

inférences du maître. C’est d’ailleurs la manière préférée dont la figure hystérique,tout comme l’antiphilosophe qui souvent s’en approche, rappelle au maître le besoinde recommencer sans fin. (…) Un événement est certes un commencement, quelque

34 Paris, La Fabrique, 2009.

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chose de radicalement nouveau et imprévisible, mais ce n’est qu’un recommencementqui en produit la vérité. La philosophie de Badiou pourrait ainsi se condenser en

deux maximes éthiques : « Ne pas céder sur son désir ! », mais aussi : « Toujours

continuer ! », c’est-à-dire : « Toujours recommencer ! » »

On le voit sans peine : l’hystérique est quasiment « l’événement même », ou, dumoins : le premier sujet de l’événement, celle ou celui qui est « aux premières loges ».

L’identité de l’énonciation et de l’énoncé est une des nombreuses manières dedécliner la vérité  éternelle de la position féminine, en ce qu’elle a une part plus« directe », plus immédiate, à l’événement que l’autre position. C’est la position« virile » qui va se charger de tirer les conséquences (par exemple, produire un

Système philosophique), quand bien même l’autre position, sans cesse, forte de sonintensité toujours plus « présente » que la masculine, est « mise en évidence afin de

dénigrer les pauvres résultats des inférences du maître ». Mais c’est ce dénigrementmême qui alimente l’éternelle vérité du maître, qui est l’aptitude à répéter, àrecommencer (« ascensionnellement », comme dit Zizek de Wagner : ce qui est sans

doute la vérité du platonisme métaphysiquement « mâle » « -toujours plus haut »-

par opposition à l’aristotélisme métaphysiquement « féminin » -« redescend sur

  Terre, coco »-). Sans ce dénigrement perpétuel  de la position hystérique, qui

demande toujours à ce que l’événement produise, justement, ses effets au présent , lemaître ne ferait rien (se prélasserait dans son désoeuvrement éternel, comme je l’ai

montré : le Dieu de Schelling-Zizek en personne).

 Autrement dit, l’hystérique s’incor  pore le devenir. J’ai démontré comment : là où

chez le mâle animal, qui est toujours la matière-support de toute  subjectivation

anthropologique, la jouissance phallique est vitesse infinie d’apparition et de disparition  

(qui ne dure que quelques secondes), chez la femelle cette vitesse infinie est bien

celle d’une identité du désir et de la jouissance, sauf que cette dernière dure des jours entiers. Et je suis donc désolé de prouver ici qu’on ne peut pas faire l’économie decette déplorable Origine animale pour penser l’événement dans toute son extension.

C’est-à-dire la surdétermination « érotique » de telle ou telle conception del’événement : l’événement comme «  vitesse infinie d’apparition et de disparition »,

c’est une conception « virile » (l’intensité  d’être éblouissante s’évanouit aussitôtqu’apparue). La position « hystérique », elle, demande incessamment à ce que

l’événement demeure « plus proche » de l’être, parce que sa position fait qu’elle le vitainsi. L’événement comme intensité d’être éblouissante va « aussi vite » que dans

l’autre position, est aussi intense, mais cette intensité dure beaucoup plus longtemps que

dans l’autre, et donc met beaucoup plus de temps  à disparaître que dans « l’éclair »

masculin : c’est plutôt la métaphore de l’ouragan qui s’impose, c’est-à-dire de ce quidévaste des jours entiers. D’où le « ralentissement » de l’événement à mesure que

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les ontologies se font plus « féminines », jusqu’à identification pure et simple avecl’être même. Ralentissement qui n’immobilise rien de la vitesse infinie de l’événement,ne le « fixise » pas, d’où la mise entre parenthèses de « ralentissement », qui veut ici

dire, comme chez Deleuze : donner consistance  à l’inconsistance primordiale de la

« vitesse infinie » qu’est l’événement-affect des deux côtés .

Ceci n’enlève rien  à la magistrale description phénoménologique que donne

Badiou du devenir d’une vérité  (post-coïtum événementiel, si j’ose dire) dans sonLogiques des Mondes. Mais enfin, ça n’interdit pas de regarder ailleurs : par exemple du

côté du devenir ontologique accéléré  chez les philosophes plus « féminins » (plus

aristotéliciens) : Heidegger, Deleuze, Malabou, -mais aussi Schelling, Lacoue-

Labarthe et d’autres…-. Et, oui, l’incorporation du devenir dans la position« femme » ne peut qu’avoir à faire avec ce « viol archaïque » qu’est le « devenir »

masculin, à savoir la jouissance phallique instantanée qui met fin à la transe : elle

s’incorpore ce devenir (castration, des deux côtés), et s’incorpore son propre devenir

(l’identité « océanique » du désir et de la jouissance). C’est ainsi que commence  la

subjectivation : sur une relève  à la fois de l’extatique et de l’horrifique. Par larépétition mimétique elle-même.

  Vitesse infinie d’apparition-disparition. Donc : l’événement « même », dans la

systématique de Badiou. Chez Deleuze, on aurait donc une  perversion métaphysique,

qui « transférerait » cette vitesse infinie à l’être même. Et c’est l’événement (dans laperversion masochiste masculine) qui est « ralentissement » de cette vitesse infinie,

ou plus exactement : l’ontologie tout entière se « féminise », de l’extase océaniquedu virtuel à la frigidité nue de l’actuel (la « banalité quotidienne », dit Deleuze), et

qui fait tantôt dire que l’événement singulier est ralentissement de cette vitesse

infinie, tantôt que l’être est l’unique événement d’apparition-disparition infinie de

toute chose : la féminité=Nature. C’est-à-dire, dans le « fantasme » métaphysique

par excellence : la phusis non encore « falsifiée », selon Nietzsche et Heidegger, par

l’illusion de Maîtrise scientifique et séparatrice archi-masculine (et archi-philosophique…), le débitage logico-mathématique. Nature qui revient , dès lors,

après ce saucissonnage dû à la sacralisation exagérée du scientifique par le

philosophe de Platon à Descartes, selon Heidegger et Schürmann, comme

catastrophe « écologique » contemporaine. Voilà qui n’est pas tout à fait faux, etc’est avec ça que nous devons nous dépatouiller à nouveaux frais. Poser lesquestions que ni Heidegger, ni Deleuze, ni Badiou ne posent. Ce qui est supprimé par la « relève » événementielle revient sous une forme autre , monstrueuse : la

Nature « domptée » par la technoscience se soulève monstrueusement . Entre autres

« résultats » que la dialectique ici expérimentée permet de saisir.

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   Autant dire, pour ceux qui n’auraient pas compris, que c’est de ma « propre »

hystérie que j’aurais ici parlé, c’est-à-dire : de l’hystérie en tant que savoirappropriable , comme toute essence anthropologique. En tant que la plus hystérique

des femmes n’est pas si « purement » hystérique, que quelque chose de son hystérie

ne lui puisse pas être « prélevé », exproprié, et psychologiquement (les hommess’hystérisent, par exemple moi, qui l’aura toujours été superlativement), et« philosophiquement », au sens où on peut toujours en extraire un savoir

supplémentaire sur l’être (au-delà de Freud et de Lacan, dans ce livre par exemple).

L’être en son sens impur, non badiousiste : rapporté plus immédiatement que la

mathématique à l’étant sensible. C’est de ma propre « féminité » avant tout qu’ilaura été, bien sûr, question, et pas simplement philosophique, vis-à-vis du

machisme transcendantal « séparateur » de Badiou ; tout autant, bien entendu, que

de mon « propre » machisme courtois, ou de ma « propre » virilité (mais aussi biende mon « propre » masochisme, bien plus que de mon « propre » sadisme : mon

amour pour Deleuze s’éclairant à cette lumière). Autrement dit et pour conclure : le

seul livre  philosophique authentiquement  gender , et le seul livre  gender rigoureusement

 philosophique  qu’il aura été donné de lire au lecteur contemporain, c’est celui qu’ils’apprête à finir. Mais aussi bien : c’est de ce qu’il y a d’inappropriable dans la femme,

de non incorporable, d’irréductible à quelque « transfert » dialectique que ce soit, la

féminité j’ose dire « pure », l’essence  du féminin irréductible à quelque donation

substantielle que ce soit, ce que m’auront appris les femmes que j’ai aimées, que j’ai voulu rendre ici raison. Et qui parfois n’étaient… absolument pas hystériques ! Bien des

« traits », figure-toi, que j’ai empruntés pour la description de « l’hystérietranscendantale », je les ai prélevés… sur des hommes empiriques, comme moi.

Ou… toi ! Eh oui. Certaines phrases précises, que je te montrerai, s’inspiraient deton comportement à mon égard.

Quand bien même les femmes empiriques s’approprient à leur tour toutes les« essences » masculines, le jeu dialectique de la castration qui « enfonce » l’homme,

je n’ai pas laissé de penser à ce reste  irréductible qui s’accroche à nos corpsbiologiques, toujours d’un sexe ou de l’autre à la naissance, qui insiste au plus fortdes « transferts » dialectiques de l’une à l’autre position (l’incastration féminine35 dans

l’irréductible de son désir=jouissance), et par où on peut accéder à l’essence , contre

une autre des coquetteries « professionnelles » du jour (« l’anti-essentialisme »

paresseusement obligatoire), de la féminité telle qu’elle contribue à l’universalité des

35 Cf. l’appendice 1. 

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 vérités36. A ce réel biologique irréductible, en somme, dont tant de discours

« théoriques » contemporains ont décidé de faire bon marché.

Plus tôt, Bosteels écrit, et je me sens piqué au vif 37 :

« la figure obscure quant à elle semble captive de la solution « gauchiste » qui

transforme l’événement, de la condition singulière qu’il est, en une origine radicale ouun acte immémorial qui de tous côtés transcende et excède la quête locale d’une

  vérité au présent. Le savoir à propos de cette origine glorieuse s’impose ou setransmet dès lors aux initiés sans pouvoir être détaché ou séparé de façon universelle,

ce qui obscurcit la possibilité qu’un nouveau régime de conséquence puisse êtredéclenché ici et maintenant par un rare acte temporel de subjectivation. »

« Ici et maintenant », notons-le. On peut dire qu’on retombe, là aussi, sur

l’aporie immémoriale de l’hôpital et la charité. S’il est quelqu’un, tout de même, quia contribué à ce que le signifiant « Badiou » représente en France quelque chose de

plus qu’un nom de passe universitaire, et donc qu’il fasse acte de vérité au présent sur

un terrain de luttes un peu plus vaste que l’Académie, c’est bien le déplorable« hystérique antiscolastique » noyé à n’en plus finir dans « l’origine transcendantaleglorieuse » ; et quelque peu mis en quarantaine depuis ce « sacrifice amer » et

désintéressé . Le présent épilogue, et donc ce livre tout entier, peut valoir aussi de

réponse à cette longue « remarque ». Et en hommage, pour toujours, à Philippe

Lacoue-Labarthe. Le plus humble et le plus reconnaissant.

Post-scriptum fatalement provisoire  

Décidément : peut-être me faut-il donner raison à Milner : toute philosophie

matérialiste (il cite Epicure, Marx, Lacan) est toujours, de structure, inachevée car

inachevable. Je me fends donc encore de quelques lemmes.

36 Pour le dire autrement : un des véritables avantages (« amèrement sacrificiels »…) de la position antiscolastique estd’être vacciné contre les velléités bien-pensantes d’un certain « être-de-gauche » et d’un certain « féminisme », quiparlent toujours de la femme et de la féminité telles qu’elles « devraient » être, sans jamais savoir exactement quoi. Jem’intéresse, moi, à la féminité telle qu’elle est dans l’entièreté de ses manifestations sensibles effectives : à l’entièretédu spectre de son être-là, comme on dit en bon souabe : seul et unique moyen de saisir quelque chose de son être.

 Aux femmes telles qu’elle apparaissent en leur être même partout dans le monde, dans toutes les couches de la société,et non à ce que la « conscience éclairée » de gauc he, paralysée par l’onction de sa bonne volonté, tient pour « la »femme « démocratiquement » souhaitable. Pour le dire encore autrement : il faut défendre la philosophie. Scolastique ouantiscolastique. La transcendantalisation philosophique, qui est toujours , malgré les coquetteries du jour, depuisRousseau un regard dans le « rétroviseur » de l’Origine, éclaire toujours bien mieux l’immanence actuelle que ladispersion millimétrée des enquêtes empiriques. Ainsi de la dialectique Maître/esclave hégélienne : jamais nous n’enpouvons constater la Scène « comme telle » dans la réalité, mais le transcendantal construit  de cette Scène comme

 pensée est ce qui permet de déchiffrer le plus exhaustivement les rapports de force effectivement existants.37 C’est-à-dire visé. Tout ceci sent quand même la discussion « enlevée » entre l’auteur et Alain Badiou, et le propossimplement rapporté. Comment je ne vois pas qui peut être visé d’autre (peut -être Lacoue-Labarthe…), j’exige, laprochaine fois, qu’on mette quand même les noms !

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Si, après toute cette « mise au poing » à laquelle tu m’as forcé, quelque chosedevait attester qu’un disciple inventif, ce que j’espère être, demeure à tout jamais undisciple, c’est le moment de l’administrer. Le bouque de Bosteels m’a donné enviede replonger, pour la première fois depuis longtemps, dans Théorie du Sujet. Je dois

dire que ce fut une lecture assez vexante pour l’inconscient de mon orgueil Ŕ pourmon hystérie-. Et en même temps pas tant que ça : sur la base de ma « Thèse », qui

est un fait qui « dépasse » Freud et Lacan en les clarifiant : désir et jouissance ne se

distinguent pas dans la position « femme ». Il s’agit de la même « substance »

libidinale, que j’écris désir=jouissance, mais on aurait presque pu, et dû, trouver unautre nom (en même temps, trouver un autre nom eût court-circuité ce qui est en

jeu : la rencontre  de deux « espèces » radicalement hétérogènes, et l’universel quis’ensuit. Moyennant la violence qui la fonde, et même l’horreur : point luthérien

que jamais je ne céderai au platonico-paulinisme de Badiou, l’extase de laconversion « pure » au Bien. Protestant incurablement, l’archi-événement comporte

toujours pour moi une composante négative : « viol archaïque ». Amour et

prostitution originaires, quoique ensuite différenciés, doivent être pensés ensemble

dans leur Genèse   Ŕet la prostitution plus originairement que l’amour-. Comment

expliquer, sinon, que malgré toutes les « libérations » et les « progrès » de toute

sorte, la prostitution ne cesse de faire retour, historiquement, sous des formes à

chaque fois plus au carré ?).

  Je veux revenir, boosté-Bosteels par cette relecture, sur la différence

algèbre/topologie dans l’événement originaire de la sexuation anthropologique, -qui

indique, oui, les pistes frémissantes d’une nouvelle philosophie de l’Histoire,comme me l’ont, à ma joyeuse surprise, signalé les premiers émérites lecteurs,hommes et femmes, d’Être et sexuation -.

Répétition algébrique, répétition topologique. Si la répétition est le

transcendantal anthropologique de l’événement, -s’il n’y a d’événements

subjectivants qu’à l’homme historique (pléonasme) que parce qu’il est l’animalmimétique-, le « pompoir » est le concept amusant qui formalise que c’est dans larencontre  des deux positions que prend forme le Sujet au sens strict, et que, sans

cette rencontre somme toute impronostique, l’humanité ne serait jamais devenue cequ’elle est. 

En d’autres termes : c’est le « savoir » libidinal algébrique de l’homme quiimpose à la position féminine sa répétition astucieuse, surnuméraire. Celle-ci ne

réagit pas du tout comme prévu, comme une esclave simplement docile, mais bien

plus astucieusement : par une répétition topologique qui conserve  tout ce qui est

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supprimé, tout en modifiant profondément toute cette « conservation » : l’alchimieanthropogénétique.

Soit dit en passant : peut-être pourrait-on prendre le débat

philosophie/ « antiphilosophie » de ce point-là, et moultes remarques de Badioucomme de Bosteels abondent en ce sens : « l’antiphilosophe » est l’hystérique duconcept. Je me souviens encore de Lévi-Strauss qui disait quelque part qu’à ladifférence de lectures intellectuelles plus « froides », dans Rousseau il n’arrivaitjamais à faire la part de ce qui était raisonnement et de ce qui était affect. Et de fait

« l’antiphilosophe » dans la pléiade badiousiste, Pascal, Rousseau, Kierkegaard,

Nietzsche, Lacan, c’est toujours un affect qui pense , et un raisonnement en tout point

rigoureux, mais aussi bien en tout point innervé par la Passion. Bref : une hystérie.

 Tandis que « le » philosophe, qui est toujours depuis Kant le Professeur (jusqu’àBadiou compris), est, comme le « névrosé de contrainte », quelqu’un qui vide  sa

pensée de l’affect traumatique qui l’a produite. C’est pourquoi la question

contemporaine de l’événement est celle qui épure  cette dialectique, peut-être

exténuée, de la philosophie/antiphilosophie : et que ma façon de déplacer

« l’antiphilosophie » vers l’antiscolastique revient, en un énième acte féministe, àdonner droit de cité à l’hystérie dans la philophie elle-même.

  Aussi, parce que mon « sistème» général, je m’en aperçois clairement,

ressemble bien davantage à la répétition hystérique « passive » qu’à la répétition virile « active ». La mimétologie générale de l’hystérique est ce qui expose la vérité de

ce qu’elle répète : par exemple, la Nature, l’essence sexuée, mais aussi bienl’événement archaïque, « violant », qui en est sorti, etc. Cette répétition topologique

généralisée n’est pas réduplication de ce qu’elle répète, mais à la fois découverte de ce

qui est répété est création anthropologique qui déserte cela qu’elle répète. C’est même,circulairement, en désertant quelque chose qu’on le découvre, et en le découvrantqu’on le déserte. La Femme donne congé défintif à la femelle, en révélant celle-ci ;

sans aventure humaine, jamais nous n’aurions rien su, à proprement parler, de lasexualité « biologique ».

Pourquoi « topologique » ? La libido féminine tourne de tous ses efforts autour

d’un coït qu’elle préfère aussi longtemps que possible éviter : topologie. La libido

masculine vise en ligne droite un coït pour mieux s’en débarrasser : algèbre. « Tirer

son coup », dit l’aimable jargon populaire. Ce qui ne veut évidemment pas dire quela femme, au long cours, ne prenne pas goût au coït. Mais rien là qui soit « donné

par la Nature » : il s’agit d’un art, à conquérir de haute lutte dans l’écrasante

majorité des cas. Par exemple : je n’ai  jamais  dans ma pensée opposécaricaturalement la mimèsis -semblant à la vérité. Il n’y a pas d’un côté les

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« simulatrices » (du désir=jouissance) et de l’autre celles qui ne simulent pas, qui

jouissent « vraiment » : l’art mimétique est une composante  absolue de la volupté

érotique féminine, et pas seulement un moyen d’exciter et faire croire à l’homme,comme dans la prostitution stricte. Le mouvement topologique de « simulation » ne

fait pas que simuler : il stimule , et cette s(t)imulation est la dimension imprescriptiblede mouvement asymptotique par où la femme parvient à sa rejoindre elle-même, à

« jouir » d’elle-même, à porter son désir=jouissance à l’orgasme effectif, mais aussià ce qu’on peut qualifier d’une volupté de soi encore « plus profonde » que

l’orgasme (la plupart des témoignages « sexologiques » des femmes en ce sens

attestent qu’il y a quelque chose, pour elle, qui va en un sens « plus loin » que

l’orgasme Ŕon comprend désormais quoi…). Il est l’élément « deleuzien »

d’ascension virtuelle de la femme vers elle-même, dans l’épaisseur de sa libido

propre.

Mais enfin, les « progrès » de la libération sexuelle n’y ont pu mais  : l’immensemajorité des femmes continue à se plaindre de l’empressement masculin à « y aller,

et y aller vite », comme dirait Sollers. La libido féminine est partout hors-coït, si j’osedire, en résonance à mes considérations sur « Sujet et infini » : ce que Lacan a

compris négativement au « il n’y a pas de rapport sexuel », j’autorise à ce qu’aussibien on le comprenne positivement. Elle n’y tient pas tant que ça veut dire : la

libido ne se réduit en aucune manière, pour elle, au terminus du coït ; elle se déploie

absolument partout hors de celui-ci. Elle peut y tenir, à condition que l’autrecomprenne qu’elle n’est pas-toute dans le coït, que le hors-coït est autant dedans

que le coït lui-même ; mais la plupart des hommes n’y parviennent pas, neparviennent pas à le comprendre. C’est pourtant ce  mouvement topologique qui

universalise l’espèce au-delà du « viol archaïque », non l’obsession masculinetéléologique obtuse. Empiriquement, c’est souvent quand un homme, parexception, montre qu’il n’y tient pas tant que ça, que les femmes lui tombent dessusà bras raccourcis. Inversement, le libidineux baveux fait souvent fuir son supposé

gibier. Algèbre et topologie se contaminent mutuellement, bien sûr ; c’est dans cettedialectique même que l’essentiel se passe.

  Autrement dit : la séparation algébrique désir/jouissance, côté homme,

rencontre un reste , l’autre libido ordonnée par la violence que lui inflige le « savoir »

masculin à être infiniment topologique : à être la vérité  fuyante de la rencontre « violante » des deux positions. C’est-à-dire, et là encore je l’écrit souvent et entoutes lettres : la libido féminine anthropologique a la forme d’une asymptote. Or,

tout le développement, à partir de la page 206 de Théorie du Sujet , que Badiou va se

trouver donner de la dialectique qui lie algèbre et topologie, comporte des

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coïncidences qui me stupéfient après coup. Par exemple : le procès algébrique de la

connaissance possède la structure d’une mimèsis  sans reste, d’une répétitionexhaustivante ; le procès topologique de la connaissance, lui, possède la structure

d’une asymptote infiniment approximative. Ces coïncidences me stupéfient d’autant

plus que ce que j’ai pointé  de ce livre, je te l’ai dit, c’est à son tour son« inconscient » : utiliser l’érotologie lacanienne à la Chose politique. Nulle partBadiou n’applique le couple algèbre/topologie à la division sexuelle. Lesrecoupements en sont d’autant plus étonnants. Car tout ça était chez moi

inconscient plus qu’à son tour… 

Il y va donc ici de rien de moins que de la théorie de la connaissance de

Badiou. Qui n’est donc rien d’autre, et à ma connaissance c’est la seule fois dansson œuvre où il en parle strictement, qu’une théorie de la mimèsis . La connaissance

qu’il appelle « algébrique » est une connaissance absolue , qu’il appelle connaissance« de reflet » : strictement duplicative, donc (ainsi, la mathématique de l’être. Maisquel reste  à cette duplication de l’être dans les mathématiques ? L’étant épuré  par

l’opération ontologique). L’autre connaissance, la topologique, n’est pas uneconnaissance « relative » opposée à l’absoluité de l’autre : elle est le reste  de la

connaissance absolue, de la mimèsis . Comme la libido féminine, soutins-je, est ce

reste du soi-disant « savoir absolu » libidinal du mâle.

L’algèbre, nous dit Badiou, duplique : imite. Le reste de la connaissanceabsolue algébrique, c’est toutes les opérations d’approximation, d’unions précaires,

de voisinages qui avisent à ce que la capture algébrique laisse en reste : de topologie.

Résumons Badiou, qui donc curieusement, dans ce livre abondamment allaité

aux mamelles lacaniennes, ne parle pour ainsi dire jamais de sexuation(s) :

« Le matérialisme opère la scission unifiante d’une structure de réduplication et d’uneffet d’approximation. Il pose le Même, plus son reste. (…) Je me propose denommer « algèbre » le premier type de dialecticité du matérialisme (sous la loi

métaphorique du reflet, en tant que logique de la thèse d’identité) et « topologie » le

second (métaphore de l’asymptote, logique de la thèse du primat 38, causalité du

reste).

38 De la matière sur la pensée : telle est la thèse absolue de tout matérialisme. La torsion dialectique de Badiou selaisse alors saisir en son impensé sexué : la pensée étant, fondamentalement, « pensée du manche », comme ditLacan, elle est archi-virile dans son envoi appropriateur. Mais la matière précède cet envoi, comme la Femme est enprécession sur l’épistémocratie que lui applique l’homme à fins douteuses utiles. La topologie naît là : dans le fait quela matière-femme précède la pensée qui s’en saisit, la prétention à la fidélité duplicative de cette pensée laisse en reste

ce qu’elle a saisi, et qui était en précession sur elle. La matière désormais tourne topologiquement autour du savoir,comme la vérité qui la confirme ou l’infirme, joue avec elle ; ainsi de la libido féminine, qui se joue du savoir supposéabsolu mâle.

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Il y a donc une torsion contradictoire du procès de la connaissance

badiousiste :

« Que toutefois l’homme puisse résoudre un problème (…), et le résoudre entièrement ,garantit la métaphore du reflet. C’est e fameux paradoxe de l’ Anti-Dühring : la

connaissance est relative (asymptote) pour autant qu’elle est absolue (reflet). »

La résolution de cet oxymore dialectique de la connaissance, je n’ai donc pascraint, dans mon « érotologie transcendantale », de l’appeler « pompoir ». Qui

résout par exemple l’infâme diagnostic des lesbiennes (avec tout le respect que jeleur voue par ailleurs) : le coït hétérosexuel, celui où la femme essaie de venir et n’y arrive pas, celui où l’homme essaie de ne pas venir et n’y arrive pas. Pour le coup, ilpeut arriver qu’elle s’efforce de très bon cœur à venir, et y arrive, et que l’homme

s’efforce de ne pas venir, jusqu’à ce qu’elle vienne, et arrive à cette faveur : le« pompoir ». C’est souvent à l’occasion Ŕplus topologique qu’algébrique- de

l’amour. La s(t)imulation comme art d’asymptote topologique, comme Véritélibidnale de la femme à même la mimèsis. Elle doit toujours faire un petit effort…Pour ne rien te cacher. Badiou appelle ça joliment : « faire reflet d’un segmentasymptotique ». Tout un art de vivre, assez tao, voire arabe.

La libido masculine s’ordonne à une répétition algébrique monotone :

désir/jouissance, désir/jouissance, etc. La libido féminine s’ordonne à cette

répétition comme reste, mais de manière autrement complexe, comme l’a à la foisdécouvert la psychanalyse, et sur quoi elle a quand même déclaré forfait (du point

que je découvre, s’entend). La répétition algébrique est droite, ascensionnelle, verticale : la répétition topologique est brisée, discontinue, et horizontale.

De là, autre croisement : d’un côté j’ai montré comme le « devenir-femme » de

Deleuze est la philosophie de  feinte  « suppression », qui est conservation de la

mémoire totale, de même que l’hystérique est conservation totale, dans le « corps

sans organes » de son affect hystérique, de ce qu’elle a consciemment intégralementforclos, une violence libidinale : de l’autre, nous avons le fait que Badiou ordonne,dans Théorie du Sujet , le deleuzisme à la « déviation de gauche » de… quoi ? D’unetopologie intégrale . L’autre déviation Ŕ de droite- est incarnée par le structuralisme

« dur », celui de Lévi-Strauss (« Deleuze à l’ultra-gauche, Lévi-Strauss à droite »).

« Le mécaniste isole la métaphore du reflet. Elle imagine l’adéquation sans reste. Elles’en tient à la répétition. Le dynamiste fait de même avec l’asymptote. Universalisantla doctrine du reste, elle pose que tout est fluant, tendanciel, approximatif. (…) Ladéviation de droite ne connaît que la loi du lieu. Elle ne fait pas problème des

problèmes qu’elle résout. La déviation de gauche est en perspective de fuite. C’est unradicalisme de la nou veauté. Elle brise tous les miroirs. (…) Deux matérialismes qui

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traitent en dérive (…). L’un dans la combinatoire des signes, l’autre dans lesmolécules cancéreuses. Le matérialisme est toujours en posture d’avoir à résister auxtentations qui le fondent : ni chiffrage atomique ni libération des flux. »

En somme, Badiou recherche ici ce qui succéderait à un véritable « pompoir »

de l’algèbre et de la topologie, à une rencontre des deux dispositions qui fasse Sujet.Il est d’autant plus troublant que, venant de Lacan, il n’applique cela qu’à lapolitique, jamais à la sexuation dont l’ensemble de ce raisonnement procède.

Badiou continue son procès méta-bolchevique (je ne souligne rien, sûr que, sur

la base de toute ma Thèse systématique, le lecteur le fera désormais mentalement) :

« Les gnostiques du matérialisme  Ŕ les mécanistes- posent l’adéquation sans reste.Satisfaits du Même, reclus dans la répétition, peu leur chaut qu’il faille le croisement

de deux processus pour qu’un objet quelconque v ienne à être connu. Leur logiquen’est que d’exactitude. Leur métaphorique s’en tient au miroir. En politique, ilsdogmatisent : « Ce qui est dit dit ce qui est. » Le dogmatique, notz bien, nous est

nécessaire. Gardien des principes dans le gel du miroir, il nous préserve de confondre

la loi du reste et l’abandon du lieu. C’est lui qui met en alerte sur ce que telle« nouveauté » marxiste (de Bernstein à Krouchtchev), ou freudienne (de Jung à

Reich), loin de forcer la place inoccupable dont le présent problème se spécifie, s’en  va tout bonnement ailleurs . Reste que le forçage même le rebute. La fonction

conservatrice du miroir  Ŕ de la glace- fait du dogmatique un matérialiste à reculons.

D’ignorer le reste le fait, lui, rester. Les ariens du matérialisme Ŕ les dynamistes-

posent le reste omniprésent, la multiplicité des intensités variables. Ce sont gens du

tendanciel insoluble. (…) Leur métaphorique s’en tient à l’asymptote, au flux. Leurlogique n’est que d’approximation. En politique, ils empiricisent : « Ce qui est

l’emporte sur tout ce qui est dit. » Les empiristes ne manquent ni de saveur, ni

d’utilité. A l’affût du mouvement, ils nous gardent de rabattre l’exigence du refletexact sur l’oubli de la nouveauté. C’est l’empiriste qui nous avertit de ce que telle

contrainte du lieu (de Lasalle à Staline, ou de Jones à Anna Freud) nous dissimule la

place inoccupable dont toute rupture pourrait procéder. Reste que la prise de parti le

rebute. La perspective de fuite des asymptotes fait de l’empiriste un matérialiste

errant, un philosophe vagabond des substances naturelles. D’ignorer le miroir le met,lui, en miroir du monde. (…) Nous dirons, faisant percée d’une nouvelle métaphore,qu’il y a la disposition algébrique et a disposition topologique. Le matérialisme actif 

croise ces deux dispositions. Quant au sujet, son argument  Ŕ matérialiste- l’inscritdans cette intersection. Tout sujet effectue les opérations d’une algèbretopologique. » 

  J’ai montré comme les dispositions phénoménologiques ou analytiques,

comme la structuraliste « dure », avaient quelque chose d’intrinsèquementmasculin : leur théorie de la connaissance sans reste, duplicative, est celle du vieux

célibataire endurci (qu’est si souvent le Scientifique au sens strict). Badiou dit

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ailleurs que la disposition algébrique est celle du primat de l’Un, comme celle de laposition homme. Et la disposition topologique, comme par hasard, duale, comme

la femme elle-même dans le Sujet de la rencontre, où l’Un n’existe pas pour elle(« rien que le Deux »). Le triomphe temporaire des philosophies de la différence

n’est pas due par hasard à leur contemporanéité avec la victoire définitive duféminisme pendant soixante-huit : d’où aussi l’effet collatéral de la question poséepar Baudrillard « que faire après l’orgie ? » Les interminables topos  de Derrida,

Deleuze, Foucault, ne concluent jamais rien. Incorrigiblement dionysiaques,

orgiaques, métaphysiquement partouzards, ils ignorent que toute extase à une

retombée  algébrique : que chacun revient à sa place, « rendu au sol », disait l’autre,« avec la réalité rugueuse à étreindre » : et que là est l’épreuve de la vérité. Releverl’extase erratique du topologique par un formalisme organisateur algébrique. 

Dans le fait, à « l’opposé » du pôle badiousiste, que je démontre  que le

masochisme deleuzien rejoint , quoique sur le mode du simulacre, la « topologie

intégrale » de la position « femme », supprimant l’origine algébrique (la castration),il y a un dernier enseignement à tirer : sur un formalisme transcendantal du

« pompoir ». J’ai démontré comme le masochisme masculin (le seul dont fasse casDeleuze, à l’ignorance candide de nos deleuziens) n’a rien à voir avec le féminin,justement à cause de la différence algèbre/topologie. Le masochisme masculin est

une algèbre forclose (une suppression algébrique  de la jouissance, qui veut faire

passer son résultat acquis pour un être-ontologique « inné » : le « désir ») ; le

masochisme féminin est plutôt une littéralisation  Ŕ une assomption- de l’être-

asymptotique  Ŕ topologique- de sa libido. Mais, dans les deux cas, sous une

contrainte strictement algébrique (les ordres du Maître ou la Maîtresse : le Contrat

comme dit Deleuze, jamais à un paradoxe prêt. Double forclusion de l’algébriquequ’on requiert pour tout réduire au topologique).

Il faut l’hystérique, qu’est sans doute « l’antiphilosophe », et il faut le Maître, la

contrainte algébrique qui oriente l’errance féconde des « natures » topologiques. Après tout, si le fait que l’hystérique « prenne barre sur le Maître », devienne, bien

avant la Scène SM, maîtresse du Maître, est un lieu commun du lacanisme lambda (par exemple celui de Badiou), il n’est pas faux non plus de dire que le Maître est,d’une certaine façon, l’hystérique de l’hystérique. Il réagit coup pour coup en

mettant en ordre le bombardement contradictoire dont l’assaille l’hystérique ; c’estsans doute l’hystérique qui donne naissance au Maître « lacanien » proprement dit.

C’est après tout évident dans le parcours de Badiou : si Lacan est un Maître

hystérique, Badiou a « refroidi » ce génie hystérique par un Système en étant

l’hystérique de ce Maître-le. Et ainsi de suite.

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Voilà qui nous permet de sortir du lieu commun justement. Car contrairement,

par exemple, au cliché qui court depuis toujours, ce n’est pas la femme qui est l’être« naturellement » mimétique, l’hystérique qui habite « naturellement » le semblant,

mais l’homme, par l’astuce mimétique et le « viol archaïque », qui la  contamine.

C’est elle qui est la vérité de son être-à-la-mimèsis comme prétendu savoir algébrique« plein », exhaustif, « épuisant » comme son désir qui s’épuise, satisfait, dans lajouissance « pleinement » consommée ; plénitude qui laisse l’hystériqueinstrumentalisée là insatisfaite, et pour cause. La différence qui surgit là est entre

mimèsis  algébrique et mimèsis  topologique, comme dans les descriptions

phénoménologiques magistrales (et plutôt « algébriques », dans leur placidité

descriptive, d’où l’aporie, plus tard, du « mystère » de la « jouissance » féminine…)de Freud : là encore, « verticalité » platonicienne dans la répétition « homme »,

« horizontalité » aristotélicienne côté femme.

L’homme, par sa mimèsis , coupe en deux ce qui est répété : supprime quelque

chose, conserve quelque chose. La femme, elle, supprime tout et conserve tout à la

fois : le cliché de l’hystérique archi-mimétique, encore une fois, relève de la

confusion entretenue entre deux types de mimèsis , de répétitions.

« Ontologiquement » deleuzienne, le simulacre   fait partie de la vérité libido-

anthropologique de la femme : et donc, comme par hasard, de l’autre position. Las(t)imulation. Qui croit seulement s’en tenir quitte par machisme transcendantal : la

parade hystérique n’est « qu’un » semblant certes enchanteur, mais piégeux voire

funeste si on y prend trop goût. De plus, elle n’est là que « pour » cette satisfaction

de l’homme : d’où les logion « machisme transcendantal » de Lacan ou Badiou : une

femme (n’)est (que) le symptôme d’un homme (Lacan) ; la femme m’existe(Badiou). On rétorquera : oui et non. L’être féminin est, de fait, originairementsuscité par l’instrumentation masculine, le « viol archaïque » ; mais cet être échappe

du tout au tout au « savoir » décalcomaniaque à quoi l’homme aimerait le réduire.Comme dans la dialectique Maître/esclave, où c’est le Maître qui suscite l’esclave

mais ce dernier qui est le moteur de la vérité anthropologique, la femme est unecréation du « viol archaïque », mais c’est elle qui devient l’agent anthropogénétiqueproprement dite, et non la bêtise libidinale aveugle et répétitive de l’homme. Aprèstout, j’ai démontré dans ces pages que l’homme n’est pas moins déterminé à êtrepleinement humain par la riposte impronostique, la vérité fuyante, que donne la

femme à son « viol archaïque ». Il n’aurait pas été humain, historique, sans cette sur-

prise de l’amour sur la simple instrumentation érotique, archi-prostitutionnelle. 

  Aussi ma tentative de pensée n’est-elle pas montée contre Badiou. Elle est au

fond autre. Je demeure un indéfectible disciple et ce que je fraie n’a plus rien à voir :

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ma méditation sur l’événement, toutes proportions gardées par ailleurs, ne doit plusrien qu’à elle-même et à ses outils propres ; elle n’est plus rien, ni de celle deHeidegger, ni de celle de Deleuze, ni de celle de Badiou. Au fond, voici l’image quime vient, par rapport à la relation à l’Histoire de la philosophie que Deleuze

définissait comme enculage et enfant dans le dos : j’avancerais plus volontiers lamétaphore de la bouture. En philosophie, il n’y a que des Maîtres et des disciples ;

Leibniz et Spinoza prélèvent un morceau de Descartes, et le font proliférer

absolument ailleurs ; Hegel, Schelling et Hölderlin avec Kant ; Marx, Kierkegaard

ou Feuerbach avec Hegel (et, plus tard, Kojève ou Adorno) ; Heidegger, Sartre et

Merleau-Ponty avec Husserl ; Derrida, Lévinas ou Schürmann avec Heidegger ; etc.

Last but not least, Badiou avec Hegel et Lacan ; c’est très frappant avec Théorie du Sujet , où réellement on a l’impression de voir un apprenti chirurgien se faire la mainsur les dialectiques de Hegel et Lacan, dans l’aveu cartes sur tables de chercherquelque chose d’autre. A chaque fois, le Maître est saisi latéralement , limite par un

petit bout du lorgnon ; ceci, non pas pour croire qu’en ayant détecté une petitefaiblesse chez le Maître, on est tout à coup plus grand que lui (ça, c’est lapsychologie des petits couteaux). Mais bien, à partir du repérage de cette

« faiblesse », c’est-à-dire de ce que ce point nous paraît révéler d’une insuffisance,repérage aussi bien d’un  problème  nouveau que nul n’avait traité en philosophie,déployer l’entière exposition de ce problème, et son exténuation par de tous

nouveaux moyens conceptuels : qui donne la pensée (pas forcément

« philosophique »…) nouvelle et irréductible au segment d’extraction à partir dequoi on l’aura patiemment faite proliférer. A cette différence près du jardinier et duphilosophe : une bouture strictement jardinière, si elle prend, donne un arbre

identique à celui dont il est prélevé. En philosophie, si ça prend, ça donne une toute

nouvelle espèce : une sorte de monstre harmonieux, voilà ce qu’est toujours unenouvelle philosophie.

Que Badiou ait prélevé toute « sa » dialectique algébrico-topologique surLacan, voilà, et en abyme brisé, l’effet de « ma » bouture dans le seul Être et sexuation  : en ramenant l’origine lacanienne dans les dispositifs que nous lègueBadiou, je résous aussi bien un problème que n’avait pas résolu Lacan. Il n’y a pasde « ligne droite » dans l’Histoire philosophique. Meillassoux innove en revenantsur le débat Hume/Kant, comme s’il était pleinement actuel. On peut prendren’importe quel problème dans n’importe quel point de l’Histoire de la philosophie,si on tient qu’il a été mal ou faussement résolu, ou tout simplement non traité ; et

en faire son problème idiosyncratique : sa signature. 

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Mais aussi bien, cette métaphore de la bouture qui donne autre chose et non pas

l’identique me ramène à Hegel : autre nom par lequel je « détourne » le Maître, le

conteste, pour aller ailleurs. Justement les deux noms que lui-même a dû

« bouturer »… C’est en abyme, car le fait que le « bouturage » philosophique

engendre du neuf et non de l’identique, voilà exactement ce qui fait de l’homme unSujet historique et non une simple espèce. C’est pourquoi je ne traite pas, dans mon« sistème », le phénomène écologique avec le mépris absolu que lui réserve Badiou.

Celui-ci répète souvent que l’humanité en a vu d’autres, par exemple l’ère glacière.Mais justement, quand elle a traversé l’ère glacière, l’humanité n’était pas encore unSujet, c’est-à-dire un être historique : elle n’était qu’une espèce.   Je cite derechef 

Kojève, que je n’avais pas relu depuis longtemps, ayant préféré comme tu sais lapratique « première main » de Hegel pour L’esprit du nihilisme. C’est que comme tout

  vrai grand disciple, Kojève n’est pas «simplement » une duplication de Hegelmais… autre chose, une bouture harmonieusement montée en graine.

« Pour qu’il y ait Histoire, il faut qu’il y ait non seulement une réalité donnée, maisencore une négation de cette réalité et en même temps une conservation

(« sublimée ») de ce qui a été nié. (…) Et c’est précisément ce qui distingue l’Histoirehumaine d’une simple évolution biologique ou « naturelle ». Or, se conserver en tant

que nié, c’est se souvenir de ce qu’on a été tout en étant devenu radicalement autre.C’est par le souvenir historique que l’identité  de l’Homme se maintient à traversl’Histoire, en dépit des auto-négations qui s’y effectuent, de sorte qu’il peut se réaliserpar elle en tant qu’intégration de son passé contradictoire ou en tant que totalité , voire

entité-dialectique. L’histoire est donc toujours une tradition consciente et voulue, et

toute histoire réelle se manifeste aussi comme une historiographie : il n’y a pasd’Histoire sans souvenir historique conscient et vécu. C’est par le souvenir (…) quel’Homme « intériorise » son passé en le faisant vraiment sien, en le conservant en soi

et en l’insérant réellement dans son existence présente, qui est en même temps unenégation radicale active et effective de ce passé conservé. C’est grâce au souvenir quel’homme qui « se convertit » peut rester « le même » homme, tandis qu’une espèceanimale qui se convertit par « mutation » en une autre n’a plus rien à voir avec ce

dont elle est issue. Et c’est le souvenir qui concrétise l’auto-négation de l’Homme, enfaisant de cette négation une réalité  nouvelle. (…) C’est donc par l’Histoire créée, vécue et remémorée réellement en tant que « tradition » que l’Homme se réalise ou

« apparaît » en tant que totalité dialectique, au lieu de s’anéantir et « disparaître » par

une négation « pure » ou « abstraite » de tout donné quel qu’il soit, réel ou pensé. »

Et ici, Kojève annote, ce qui froisse une fois de plus mon narcissisme,

récapitulant le « procès monumental » que l’entièreté de L’esprit du nihilisme , dont

mes considérations sur la sexualité sont le quatrième tome, a voulu instruire au

« nihilisme démocratique », qui est précisément la haine abstraite de l’historicité dontnous procédons.

5/11/2018 Antiscolastique et philosophie - slidepdf.com

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« C’est dans le manque de souvenir (ou de compréhension) historique que réside ledanger mortel du Nihilisme ou du Scepticisme, qui voudraient tout nier sans rien

conserver, même sous la forme de souvenir. Une société qui passe son temps à

écouter l’Intellectuel radicalement « non-conformiste », qui s’amuse à nier(verbalement !) n’importe quel donné (même le donné « sublimé » dans le souvenir

historique) uniquement parce que c’est un donné, finit par sombrer dans l’anarchieinactive et disparaître. »

 A bonzes entendeurs, salut. 

L’écologie, ce n’est pas un problème de la « Nature », quoi qu’on en dise. C’estun problème strictement subjectif : pour la première fois de son Histoire, qui n’estrien d’autre que sa Subjectivité, l’humanité peut se détruire elle-même en tant

qu’espèce. C’est-à-dire se suicider , ce qui était jusque-là le « privilège » de « sujets » au

sens d’individus. [Hegel/Kojève : l’Histoire, à proprement parler, est celle d’unsuicide différé]. Mais oui, donc, je concède à Badiou que par rapport à sa

gigantesque réussite, qui est de re-fonder radicalement une pensée du Sujet à

l’époque où on l’aura déclarée impossible, j’en tire les conséquences en pensantl’humanité comme une archi-subjectivation. Il me l’avait tôt reproché : « votre Sujet

est trop structural », entendons : trop structuralement anthropologique. Mais la question

est seulement de savoir si j’ai raison ou pas. En tout cas, toujours la bouture etl’enfant dans le dos : Hegel (et la radicalisation, encore aujourd’hui rafraîchissante,

que propose Kojève de cette dimension de sa pensée) pense en effet le Sujetcomme archi-anthropologique. Sur la base de Badiou, mais Heidegger et Deleuze,

je « reprends » anachroniquement Hegel : là où le « message » de Badiou aura été :

d’accord, l’humanité est une catastrophe, mais il y a du Sujet, ce qui sauve tout,j’aurais dit : de f ait, l’humanité est une catastrophe, mais c’est à cette catastropheque nous devons  qu’il y ait du Sujet,   y compris au sens que lui donne Badiou. Ce qui

change tout, puisque tout l’effort de ce dernier vise quand même à oblitérer etoublier qu’il y ait de la catastrophe. Badiou dit, et reste intra-anthropologique par

là : l’humanité est une catastrophe (dont ma philosophie ne tient aucun compte,puisque « la » philosophie, c’est ça), mais il y a du Sujet et de la Vérité, ce qui sauvetout. Belhaj Kacem dit : c’est à la catastrophe que nous devons, littéralement et en

tous sens, qu’il y ait du Sujet et de la Vérité. 

C’est la tradition allemande, à quoi m’aura ouvert Lacoue-Labarthe, de Hölderlin à

Benjamin, qui pense l’humanité, dépassement de l’espèce en Sujet historique

(pléonasme), comme catastrophe : « péché originel » athéologique. Et que cette

catastrophe étant en quelque sorte la « normalité » de l’homme, sa seconde Nature à

point nommé, il faut éviter que survienne pire que la catastrophe : le Désastre,d’esclavage en Auschwitz, de Torture en agent orange.

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