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Apologie de Socrate Criton · Socrate qui, par sa mort, témoigne de cette conviction : seule la pratique qui inspire son action, à savoir la « phi- ... tribus3 (carte II). L’archonte-roi

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APOLOGIE DE SOCRATECRITON

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Du même auteurdans la même collection

ALCIBIADELE BANQUETLE BANQUET. PHÈDRECHARMIDE. LYSISCRATYLEÉCRITS ATTRIBUÉS À PLATONEUTHYDÈMEGORGIASHIPPIAS MAJEUR. HIPPIAS MINEURIONLACHÈS. EUTHYPHRONLETTRESLES LOIS (livres I à VI)LES LOIS (livres VII à XII)MÉNEXÈNEMÉNONPARMÉNIDEPHÉDONPHÈDREPHÈDRE suivi de LA PHARMACIE DE PLATONPHILÈBEPLATON PAR LUI-MÊMELE POLITIQUEPREMIERS DIALOGUESPROTAGORASPROTAGORAS. EUTHYDÈME. GORGIAS. MÉNEXÈNE.

MÉNON. CRATYLELA RÉPUBLIQUESOPHISTESOPHISTE. POLITIQUE. PHILÈBE. TIMÉE. CRITIASTHÉÉTÈTETHÉÉTÈTE. PARMÉNIDETIMÉE. CRITIAS

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PLATON

APOLOGIEDE SOCRATE

CRITON

Traductions, introductions, notes,chronologie et bibliographie

parLuc BRISSON

Édition corrigée et mise à jour en 2016

GF Flammarion

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4e édition corrigée, 2016.© Flammarion, Paris, 1997.ISBN : 978-2-0813-8278-7

www.centrenationaldulivre.fr

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REMERCIEMENTS

Cette nouvelle traduction de l’Apologie et du Criton aété réalisée en parallèle avec celle de l’Euthyphron et duLachès par Louis-André Dorion ; nous avons fait une lec-ture croisée de nos traductions et nous avons discuté deplusieurs points litigieux.

Je tiens à remercier Michel Christiansen avec lequel j’aidiscuté pendant des années de l’Apologie, et qui a relu toutce travail en me faisant d’importantes remarques.

Je veux exprimer ma gratitude à Richard Goulet qui apu grâce au programme Lexis 2, qu’il a lui-même mis aupoint, me fournir un lexique grec complet du texte del’Apologie et du Criton.

Catherine Joubaud a relu le dernier état de cette traduc-tion, François Renaud a relevé les coquilles qui subsistaientdans la première édition, et Louis-André Dorion m’a fournila liste des corrections à apporter à la troisième édition.

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ABRÉVIATIONS

CAF : Comicorum Atticorum Fragmenta, éd. parTh. Kock, Leipzig, Teubner, 1880-1888.

CIA : Corpus Inscriptionum Atticorum, éd. parW. Dittenberger et alii, Berlin, Reimer, 1873-1895.

DK : Die Fragmente der Vorsokratiker, éd. parH. Diels ; 6e éd. par W. Kranz, Berlin, Weidmann, 1951-1952 = reprint de la 5e éd. [1934-1937] avec desNachträge.

DPhA : Dictionnaire des Philosophes antiques, publiésous la direction de Richard Goulet, Paris, éd. duCNRS I, 1989 ; II, 1994-.

FGrH : Die Fragmente der Griechischen Historiker, éd.par F. Jacoby, Berlin, Weidmann, puis, Leyde, Brill,1923-1958.

IG : Inscriptiones Graecae, éd. minor, Berlin, de Gruy-ter, 1913-.

PCGr : Poetae Comici Graeci, éd. R. Kassel etC. Austin, Berlin, de Gruyter, 1983-.

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APOLOGIE DE SOCRATE

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INTRODUCTION

Dans l’Apologie, Platon élève au rang de « mythe fon-dateur » de la philosophie un fait contingent et de peud’importance au regard de l’histoire, la condamnation àmort en 399 à Athènes d’un individu au terme d’unprocès public. Et cette transmutation de la contingenceen exigence absolue conserve aujourd’hui encore tout sonpouvoir de fascination. Alors que, dans les autres dia-logues socratiques, il décrit un Socrate en pleine action,dans l’Apologie Platon fait, en définitive, apparaître unSocrate qui, par sa mort, témoigne de cette conviction :seule la pratique qui inspire son action, à savoir la « phi-losophie », fait que, pour un être humain, la vie vautd’être vécue.

A. LE PROCÈS DE SOCRATE

Platon et Xénophon firent l’un et l’autre le récit duprocès de Socrate 1. Xénophon ne revint pas d’AsieMineure avant 394, soit cinq ans après l’événement 2 qu’il

1. Sur les différences entre les deux versions, cf. Gregory Vlastos,Socrate. Ironie et philosophie morale [1991], trad. française par C. Dali-mier, Paris, Aubier, 1994, p. 396-398.

2. Xénophon se trouvait alors en Perse et participait à l’expéditionqu’il décrit dans l’Anabase. Voilà pourquoi dans son Apologie deSocrate, qui correspond au dernier chapitre du livre IV des Mémorables,Xénophon se dit informé par Hermogène, le demi-frère sans fortunedu richissime Callias (cf. n. 51, p. 130).

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faut situer en 399, vers le milieu du mois de mai 1 ; alorsque Platon fut présent au procès (Apologie 34a, cf. aussi38b), même si, dans le Phédon (59b), on apprend qu’iln’assista pas à la mort de Socrate, parce qu’il étaitmalade. Voilà pourquoi le témoignage de Platon mesemble devoir être privilégié 2, bien qu’on puisse penserque Platon fait souvent dire à Socrate ce qu’il aurait dûdire plutôt que ce qu’il a dit. Il n’en reste pas moins quePlaton devait respecter une certaine vraisemblance : eneffet, le procès qu’il décrit s’était tenu devant plusieurscentaines de juges et d’auditeurs qui devaient, pour laplupart, être encore vivants entre 392 et 387, date àlaquelle l’Apologie fut probablement écrite 3 ; cette situa-tion impose des contraintes bien plus fortes que s’ils’agissait d’une conversation privée entre quelques inter-locuteurs morts lors de la rédaction du dialogue, commec’est le cas pour le Parménide notamment 4.

Au début de l’Apologie 5, Socrate remarque que c’estla première fois qu’il comparaît devant un tribunal alorsqu’il est âgé de soixante-dix ans environ ; cette remarque

1. Sur l’établissement de cette date dramatique, cf. l’Introduction auCriton, n. 1, p. 159.

2. En dépit des réserves faites par Pierre Vidal-Naquet dans« Platon, l’histoire et les historiens », d’abord publié dans Histoire etStructure, à la mémoire de Victor Goldschmidt, éd. par Jacques Brun-schwig, Claude Imbert et Alain Roger, Paris, Vrin, 1985, p. 147-160 ;puis repris dans La Démocratie grecque vue d’ailleurs, Paris, Flamma-rion, 1990, p. 121-137. Voir aussi Louis-André Dorion, dans « La sub-version de l’elenchos juridique dans l’Apologie de Socrate », Revuephilosophique de Louvain 88, 1990, p. 311-344. Ce n’est pas parce qu’ila du génie que Platon déforme systématiquement les faits qu’il évoque ;tout fait doit être interprété, et rien n’interdit que l’interprétation dePlaton soit la meilleure.

3. Voir n. 165, p. 144.4. Cf. l’Introduction de Parménide, Paris, GF-Flammarion, 1994. En

outre, dans l’Apologie, Platon se met lui-même en scène.5. Voir n. 12, p. 126. Platon, qui fréquentait Socrate depuis 408,

approchait de ses trente ans. Et Aristophane avait dans les soixanteans. L’Assemblée des femmes de ce dernier fut représentée en 392, à uneépoque où Platon écrivait ou projetait d’écrire l’Apologie.

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revêt une véritable pertinence, si l’on rappelle que, àAthènes, un procès ne constituait pas un événementexceptionnel : tout conflit d’intérêt, privé ou public, pou-vait, sur initiative privée ou publique, y être porté nonpas devant des professionnels, mais devant un largepublic de juges ; que Socrate soit cité à comparaître auTribunal pour la première fois à l’âge de soixante-dix anssignifie qu’il s’est peu mêlé des affaires publiques. Il resteque, pour comprendre l’Apologie, dont le vocabulaire etla structure dépendent de son contexte juridique, il fautreplacer l’œuvre dans son cadre : celui d’un procès 1.

1. La procédure

Un jour de 399, Mélétos se rendit au Portique royalpour y intenter une action (graphḗ) contre Socrate auprèsde l’archonte-roi. À Athènes, le terme générique pourune affaire juridique était dikĹ, que cette affaire fûtprivée (dikĹ ídia) ou publique (dikĹ dĹmósia). Une affairepublique portait sur toute faute, tout conflit, qui intéres-sait l’ensemble de la communauté. Le type le plus ordi-naire d’« action publique » était la graphĹ 2, dontl’origine étymologique indique que, au point de départ,ce fut le seul type d’affaire où la plainte devait être rédi-gée par écrit, afin d’être publiée sur une tablette exposéedans l’agora, près des statues des héros éponymes des dixtribus 3 (carte II).

L’archonte-roi qui avait reçu la plainte devait menerune enquête préliminaire, une instruction (anákrisis)pour décider si l’affaire justifiait un procès. Dansl’affirmative, l’archonte-roi faisait, à une date qu’il avaitfixée, lire la plainte devant les deux parties qui venaient

1. La description qui suit s’inspire de Douglas M. MacDowell, TheLaw in classical Athens, London, Thames & Hudson, 1978.

2. Apologie 19b, 26b, 26e, 27a, 27e, 28a, 31d.3. Aristophane, Nuées, v. 770, Guêpes, v. 349 ; Isocrate, Sur l’échange

[XV], 237 ; Démosthène, Contre Midias [XXI], 103.

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lui expliquer l’affaire : l’accusé devait alors reconnaîtreles faits ou faire une déclaration solennelle là contre. Etla séance se terminait par un serment mutuel 1, par lequelles deux parties juraient que leurs déclarations étaientvraies 2, ce qui fut le cas pour Socrate et pour Mélétos.Après avoir mis en place cette procédure, l’archonte-roitransmit l’affaire auprès de l’Héliée, ou plutôt l’Éliée(Īliaía) 3, la cour qui était habilitée à examiner les accu-sations d’impiété. Désormais Socrate, contre qui Mélétosavait porté plainte 4, faisait l’objet d’une poursuite 5.

Le jour du procès 6, les parties se rendaient à la cour,où les attendait le magistrat qui devait traiter l’affaire,avec leurs témoins et leurs « supporteurs » ; le public semassait tout autour de l’enceinte qui matérialisait lacour 7. Les uns et les autres pouvaient, au cours duprocès, manifester bruyamment leurs sentiments 8. Les

1. Le terme grec est antĊmosía (Apologie 19b, 24b).2. Isocrate, Sur l’attelage [XVI], 2 ; Isée, Pour Euxénippe [III], 6-7,

Contre Démosthène [V], 1-2, et [IX], 1 ; Démosthène, Contre Macarta-nos [XLIII], 3.

3. Sur la nature et la composition de cette cour, cf. Douglas M. Mac-Dowell, The Law in classical Athens, op. cit., p. 35 : « This was the courtfor many important types of case, some of which required particularlylarge juries (1 000 or more) and it must have had a larger building thanthe other courts […]. That may be why this court took over the title“Elaia”, which in earlier times had meant the full Athenian assembly. »Pour une description archéologique, cf. The Athenian Agora. Results ofexcavations conducted by the American School of classical Studies atAthens, vol. 14 : The Agora of Athens. The history, shape and uses of anancient city center, ed. by Homer A. Thompson and R.E. Wycherley,The American School of classical Studies at Athens, Princeton, 1972,p. 62-65.

4. Le verbe est egkaléĊ (Apologie 26c, 27e) et le substantif correspon-dant égklĹma (24c).

5. Le verbe est eiságĊ (Apologie 24d, 25c, 25d, 26a, 29a, 29c, 35b).6. Le terme agĊn (Apologie 24c, 34c, 37, cf. agĊnizesthai, 34c)

désigne le procès.7. Le terme dikastḗrion désigne tout naturellement le tribunal (Apo-

logie 17c, 29a, 40b), l’enceinte où sont assis les juges. Démosthène,Contre Nééra [XI], 5, 27, 80, 91, 161, et Contre Conon [LIV], 41.

8. Cf. les occurrences de thorubeîn (Apologie 17c, 20e, 21a, 27b, 30c).

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juges ne devaient pas prêter serment, puisqu’ils l’avaientdéjà fait, lorsqu’ils avaient été choisis au début del’année ; mais le magistrat qui présidait la cour tirait ausort parmi eux un individu qui surveillait l’horloge à eau,quatre qui supervisaient le vote et quatre qui s’occu-paient du paiement des juges à la fin du procès.

L’affaire était alors instruite. Devant les juges et lepublic, un greffier lisait l’acte d’accusation et la loi àlaquelle l’accusé était censé avoir contrevenu 1. Si les deuxparties étaient présentes 2, le procès commençait immédia-tement avec le discours de l’accusateur et celui del’accusé 3, qui prenaient l’un et l’autre la parole. Un seuldiscours de chaque côté était admis, dont la longueur étaitlimitée. Pour mesurer le temps écoulé, on se servait d’unehorloge à eau, un grand vase dont le fond était percé d’untrou qu’on pouvait obturer avec un bouchon ; le vase étaitrempli d’eau 4, et on enlevait le bouchon lorsqu’un dis-cours commençait. Une affaire publique retenait la courpendant une journée entière 5 dont l’ensemble était divisé

1. Suivant la procédure dite de la graphḕ paranómĊn. Cf. Apologie24b-c, et peut-être 33d. Pour des parallèles juridiques : Eschine, ContreCtésiphon [III], 200 ; Démosthène, Contre Théocrinès [XVIII], 111. Pourdes exemples de cette lecture : Aristophane, Guêpes, v. 894 ; Eschine,Contre Timarque [I], 2.

2. La possibilité d’un procès in absentia (erḗmĹn katĹgoreîn) est évo-quée dans l’Apologie (18c) par Socrate, lorsqu’il se réfère aux calomniesanciennes qui avaient été lancées par Aristophane.

3. Pour l’accusateur, le champ sémantique est katĹgoros (Apologie17a, 18b, 18c, 19b, 24b, 35d, 39b, 41d), katĹgoria (19a), kathĹgoreîn(passim) ; pour l’accusé, apologia (24b, 28b) et apologeîsthai (passim).

4. Pour chaque discours, on accordait 44 khoḗ, unité de capacitéathénienne. Les archéologues, qui ont retrouvé des clepsydres surl’agora, ont pu mesurer une durée de 3 minutes par conge (khoḗ). Parsuite, les discours de l’accusateur et de l’accusé pouvaient durer chacunun peu plus de deux heures (44 X 3 = 132 minutes = 2 heures et12 minutes). Il va sans dire que cette durée n’est qu’approximative, tropde variables intervenant dans le débit de l’eau : viscosité du liquide,porosité du récipient, température ambiante, etc. Sur le sujet, cf. Dou-glas M. MacDowell, The Law in classical Athens, op. cit., p. 248-250.

5. Toute la procédure devait se dérouler en un seul jour (Apologie37a-b).

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(diametrĹménĹ) en trois parties, d’égale longueur : un tierspour le discours de l’accusateur, un tiers pour celui del’accusé et un tiers pour l’établissement de la peine, au casoù l’accusé était reconnu coupable 1. Plusieurs types deprocès étaient possibles.

Mais, dans le cas de Socrate, on retint ce type deprocès appelé agĊn timĹtós 2, qui ne comprenait pas depeine établie par la loi. Dans un procès de ce type, lapeine proposée par l’accusateur était indiquée à la fin del’acte d’accusation 3. Si le jury reconnaissait que l’accuséétait coupable, une nouvelle étape du procès commençait.L’accusation pouvait après le verdict présenter une argu-mentation en faveur de la peine indiquée à la fin de l’acted’accusation, et on accordait à celui qui venait d’êtredéclaré coupable un temps de parole égal pour proposerune peine alternative 4. Les juges votaient une secondefois pour choisir entre les deux propositions, maisl’accusé ne pouvait présenter une troisième proposition,ce qui constitue un point décisif dans le cas de Socrate.Le procès que Platon prétend rapporter dans l’Apologiea bien cette structure. Dans un premier discours (Apolo-gie 17a-35d), Socrate présente sa défense face à l’accusa-tion portée contre lui. Et dans un second discours (ibid.36e-38b), Socrate propose une peine de substitution.

Chaque partie devait parler pour elle-même, après êtremontée à la tribune 5. Elle ne pouvait être défendue par

1. Aristote, Athenaion Politeia 67 ; Démosthène, Contre Macartanos[XLIII], 8, et Contre Nicostratos [LIII], 17 ; Eschine, Sur l’ambassadeinfidèle [II], 126, et Contre Ctésiphon [III], 197.

2. À proprement parler, un procès (agṑn), où l’on fixe la peine(timĹtós).

3. C’est bien le cas pour Socrate, si on en croit Diogène Laërce qui pré-tend citer Favorinus : « Voici la plainte que rédigea et que confirma parserment contradictoire Mélétos, fils de Mélétos, du dème de Pitthos,contre Socrate, fils de Sophroniskos, du dème d’Alopékè : Socrate est cou-pable de ne pas reconnaître les dieux reconnus par la cité et d’introduiredes nouvelles puissances démoniques ; il est en outre coupable de cor-rompre les jeunes gens. Peine : la mort. » (II, 40). Texte analysé, p. 35-40.

4. C’est-à-dire antitimĹsis, cf. Apologie 36b.5. Le terme qui désigne cette action est anabaínein (Apologie 17c, 31c,

33d, 36a, 40b) et anabibázein (18c, 34c, 34d).

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un avocat, auprès duquel elle serait restée silencieuse,comme c’est le cas de nos jours. Si elle doutait de sescapacités oratoires, chaque partie pouvait cependant sefaire assister soit par un « logographe », un « avocat depapier », qui écrivait le discours que prononçait la partieen question 1, soit par un parent ou par un ami quil’accompagnait et dont l’aide ne devait pas être rémuné-rée sous peine de poursuite. On pouvait aussi citer à com-paraître un témoin. Outre ces personnes qui luiapportaient leur aide, une partie pouvait s’entourer de« supporteurs » 2, notamment sa famille et surtout sesenfants, qui ne prenaient pas la parole, mais dont la pré-sence était susceptible de toucher les juges 3.

Dans l’Apologie, l’accusateur cherche à montrer 4 laculpabilité de l’accusé qui, lui, doit établir son innocence ;ils doivent se réfuter l’un l’autre 5. L’opposition est doncinsurmontable, et le conflit ne peut se résoudre qu’à l’avan-tage de l’un des deux orateurs qui doit réussir à produiredes preuves 6 accablantes pour ses adversaires. Or cespreuves ont pour sources principales les vraisemblances etles témoins. Socrate joue sur les vraisemblances, mais iln’appelle jamais de témoins à la rescousse 7 ; il se borne

1. Sur l’existence des logographes et sur leur importance, cf.M. Lavency, Aspect de la logographie judiciaire attique, Louvain, Pressesde l’université de Louvain, 1964, ainsi que mes remarques dans l’Intro-duction que j’ai donnée à ma traduction du Phèdre.

2. Cf. la liste de noms cités en Apologie 33e-34a.3. Aristophane, Guêpes, v. 568-574 ; Platon, Apologie 34c ; Lysias, Pour

Polystratos [XX], 34 ; Démosthène, Contre Midias [XXI], 99, 186-188.4. Cf. les verbes apodeiknúnai (Apologie 20d) et epideiknúnai (22a,

24c, 125c, 40a). On trouve aussi le substantif tekmḗrion (24a, 24d,32a, 40c).

5. Le verbe qui désigne cette action est elégkhein (Apologie 18d, 21c,29e, 39c) et le substantif élegkhos (39d).

6. En grec ancien, tekmḗrion (Apologie 24a, 24d, 32a, 40c).7. Socrate fait parfois allusion à des témoins (mártures, 19d, 20e,

31c, 32e, 34a) qui pourraient porter témoignage (martureîn, 21a) en safaveur, mais jamais il ne fait formellement appel à eux personnellement.La seule exception, il faut le remarquer, est non pas un homme, maisun dieu, Apollon, qui présente cette qualité qu’on attend d’un témoin :il est digne de foi, c’est-à-dire axiókhreĊn (20e).

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APOLOGIE DE SOCRATE16

à désigner ceux qui sont venus pour lui apporter leursoutien 1. De façon très générale, on peut dire que, àAthènes, dans un procès, deux personnes qui ne repré-sentent qu’elles-mêmes s’affrontent en leur nom propre.Elles cherchent non pas à se convaincre mutuellementou à convaincre le magistrat qui préside la cour, mais àconvaincre les juges, qui, en dernière instance, tranche-ront et décideront par leur vote de façon irréversible ; eneffet, il n’y avait pas de cour d’appel à Athènes pour cegenre d’affaires ; comme le Tribunal était populaire, seulle peuple réuni à l’Assemblée pouvait revenir sur ses déci-sions 2. La preuve est donc antérieure et extérieure auprocès lui-même.

Cependant, celui qui avait la parole pouvait poser desquestions à son adversaire 3. Ce dernier était obligé derépondre, ce que rappelle Socrate au cours de l’interroga-toire (erĊtĹsis) auquel il soumet Mélétos 4. On n’a aucuneraison de penser que l’eau de la clepsydre s’arrêtait decouler durant un contre-interrogatoire. Dans un procèsordinaire, le contre-interrogatoire ne jouait qu’un rôlesecondaire, en faisant ressortir des failles dans le discoursde l’adversaire 5. En outre, on peut penser qu’il étaitrelativement peu utilisé, notamment dans les procès où lesparties lisaient un texte, car il signait l’irruption del’imprévu dans le cours d’un processus structuré d’avance.

Au cours d’un procès, la réfutation (l’elenchos) nes’obtient donc pas dans le cadre d’un interrogatoire (erĊtĹ-sis). Dans un passage important du Gorgias, Socrate

1. Le terme qui désigne l’action d’« apporter son soutien » est paré-khesthai (31c, 34a).

2. Ce fut le cas, par exemple, pour la loi d’amnistie qui, en 403,déclarait invalides les verdicts prononcés sous les Trente.

3. Lysias, Contre Ératosthène [XII], 25, et Contre Agoras [XIII], 30-32 ; Isée, La Succession d’Hagnias [XI], 5 ; Démosthène, Contre Stépha-nos [XLVI], 70.

4. Apologie 25c-d.5. « At best, the interrogation was a rhetorical device to embarrass

one’s opponent rather than a mean of securing information », selonR.J. Bonner & G. Smith, The Administration of Justice from Homer toAristotle II, Chicago, Chicago University Press, 1931, p. 122.

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INTRODUCTION 17

explique bien à Polos en quoi consiste cet elenchos juri-dique et comment il se distingue de celui que Socrate, lui,pratique : « En fait, très cher ami, tu te mets à me réfutercomme les orateurs au Tribunal, quand ils veulent réfuterla partie adverse (rhĹtorikō̂s gár me epikherireîs elégkhein,hĊsper hoi en toîs dikastĹríois hĹgoúmenoi elégkhein). AuTribunal, en effet, on estime qu’on réfute son adversaire(ekeî hoi héteroi toùs hetérous dokoûsin elégkhein) si on pré-sente, en faveur de la cause qu’on défend, un bon nombrede témoins très bien vus de tout le monde, tandis que lacause adverse, elle, n’a qu’un seul témoin, sinon aucun.Mais ce genre de réfutation (hoûtos dè ho élegkhos) n’aaucune valeur pour la recherche de la vérité. On sait bienqu’il arrive parfois qu’un homme soit mis en cause par defaux témoignages abondants et qui semblent dignes de foi.Surtout en ce moment, presque tout le monde, Athénienset étrangers, sera d’accord pour défendre ta cause, si tuveux que tous témoignent contre moi et affirment que jene dis pas la vérité. Tu auras, si tu veux, le témoignage deNicias, fils de Nicératos, et celui de ses frères en mêmetemps, eux qui ont fait poser dans le sanctuaire de Dio-nysos une rangée de trépieds, symbole de leur importance.Tu auras aussi, si tu veux, le témoignage d’Aristocrate, filsde Skellios, qui a fait installer lui aussi dans le temple de laPythie un superbe monument. Tu auras enfin, si tu veux,les témoignages de tout l’entourage de Périclès et ceux detoute autre famille d’Athènes que tu voudras choisir »(Gorgias 471e-472b). La même conception juridique del’elenchos se retrouve dans l’Hippias majeur (388a). Or, surplusieurs points essentiels l’elenchos juridique diffère del’elenchos dialectique propre à Socrate. Le premier ad’autant plus de force persuasive qu’il se fonde sur un plusgrand nombre de témoins. Or le seul témoin qui intéresseSocrate, c’est son interlocuteur. De plus, alors que l’elen-chos dialectique établit sa preuve par le biais d’une erĊtĹsisau cours de laquelle l’adversaire donne lui-même sonaccord, l’elenchos juridique fonde sa preuve sur le nombreet la renommée des témoins rassemblés en faveur d’une

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APOLOGIE DE SOCRATE18

thèse, sans forcément procéder à un interrogatoire del’adversaire 1. En faisant du contre-interrogatoire auquel ilsoumet Mélétos un instrument essentiel de la preuve,Socrate « subvertit » donc l’elenchos juridique en se com-portant comme s’il s’agissait de l’elenchos auquel il necesse de soumettre ses concitoyens dans les rues et surl’agora 2.

Lorsque l’accusateur et l’accusé avaient fini de pronon-cer leur discours, les juges 3 votaient immédiatement ; ni lemagistrat qui présidait ni quiconque d’autre ne faisait decommentaire ou ne donnait son avis sur ce qui venaitd’être dit. Chaque juge n’avait qu’un seul bulletin de vote.C’était un caillou 4 ou une coquille qu’il apportait avec luià la cour. Il y avait deux urnes, l’une pour la condamnationet l’autre pour l’acquittement. Les juges qui faisaient laqueue passaient d’abord devant l’urne pour la condamna-tion 5 puis devant l’urne pour l’acquittement 6. Chaqueurne était pourvue d’un entonnoir en osier, qui permettaitau juge, qui y enfonçait la main, de préserver le secret deson vote 7.

Si l’accusé était reconnu non coupable, le procès s’arrê-tait là ; dans une affaire publique, si l’accusateur obtenaitmoins que le cinquième des votes, il devait payer une

1. Sur tout cela, cf. L.-A. Dorion, Les Réfutations sophistiquesd’Aristote : introduction, traduction et commentaire, vol. 1, thèse présen-tée en 1990, Paris-I.

2. Tout ce qui vient d’être dit sur la preuve s’inspire de l’article deL.-A. Dorion, « La subversion de l’elenchos juridique dans l’Apologiede Socrate », Revue philosophique de Louvain 88, 1990, p. 311-344. J’yreviendrai plus loin, p. 66-73.

3. En grec, le juge est désigné par le terme dikastḗs (Apologie 24e,26d, 34c, 40a, 40b, 40e, 41b, 41c). Les juges étaient assis, commel’indique le verbe káthĹstai (Apologie 35c).

4. En grec, psḕphos (Apologie 34d, 36a, 36b).5. Le verbe grec indiquant la condamnation est katapsĹphisasthai

(30e, 38c, 39c, 39d, 41d).6. Les verbes grecs qui indiquent l’acquittement sont apopsĹphisas-

thai (Apologie 34d, 39e) et apopheúgein (38c).7. Aristophane, Guêpes, v. 94-99, v. 349, v. 987-992.

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INTRODUCTION 19

amende de 1 000 drachmes, et il perdait le droitd’instruire le même genre d’affaire 1. Si, en revanche,l’accusé était condamné, il devait être soumis à unepeine 2 ; alors s’ouvrait, dans le cas d’un agĊn timĹtós,une autre phase, au cours de laquelle l’accusé devait pro-poser une peine de substitution 3 moins lourde que cellequi figurait à la fin de l’acte d’accusation. L’accusateuret l’accusé prenaient chacun la parole, pendant le derniertiers de la journée ; une seule proposition pouvait êtrefaite par l’une et l’autre partie. Un nouveau vote avaitlieu ; c’est probablement l’invraisemblance des deux pre-mières propositions faites par Socrate qui explique quele nombre des juges qui lui étaient hostiles ait augmentéconsidérablement lors de ce second vote.

Après l’annonce du résultat du vote, le procès prenaitofficiellement fin, et les juges recevaient sur-le-champleur rémunération 4. Voilà pourquoi on s’est interrogé surl’historicité du discours de Socrate sur lequel se terminel’Apologie (38c-39d) 5. La question est de savoir si ce troi-sième discours doit être considéré comme partie inté-grante du procès ou comme un commentaire réservé parSocrate à ses amis et supporteurs.

2. Les jugesEn fonction de l’importance de l’affaire, le nombre des

juges pouvait varier entre quelques centaines et quelquesmilliers. Tout ce que nous apprend Platon dans l’Apolo-gie, c’est que Socrate s’adresse à un nombre non négli-geable de juges (Apologie 24e) 6.

1. Sauf s’il s’agissait d’une eisaggelía, cf. n. 1, p. 44.2. Les termes timḗ (Apologie 29e, 35b) et timĹma (39b) désignent la

peine et le verbe correspondant est timâsthai (passim).3. Cf. le verbe antitimḗsomai (Apologie 36b).4. Aristophane, Guêpes, v. 106-108, v. 167 ; Aristote, Athenaion Poli-

teia 69.5. Sur l’authenticité et la nature de ce dernier discours, cf. n. 286,

p. 154.6. Douglas M. MacDowell, The Law in classical Athens, op. cit.,

p. 36. Un nombre avoisinant les cinq cents est généralement retenu

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APOLOGIE DE SOCRATE20

Les juges étaient des volontaires ; pour être juge, il fal-lait être âgé de trente ans ou plus et être en possession deses droits civiques. Parmi ces volontaires, six mille étaientchoisis au hasard pour l’année 1 ; probablement six centspour chacune des dix tribus 2. Chaque juge, au début del’année, prêtait un serment qui, en gros, devait corres-pondre à celui qu’évoque Démosthène dans son ContreTimocrate 3. De ce nombre, des groupes différents étaientencore une fois au hasard assignés aux différentes coursque comprenait le système judiciaire athénien 4. Celles-cine se réunissaient pas tous les jours, et en tout cas pas lesjours de fêtes ni les jours où se tenait l’Assemblée ; lesjuges ne touchaient une rémunération que lorsqu’ils

pour le procès de Socrate. Le nombre de cinq cent un qui revient sisouvent dans les commentaires reste hypothétique.

1. L’Athènes de la fin du Ve siècle comptait entre vingt et trente millecitoyens (cf. Michel Austin et Pierre Vidal-Naquet, Économies et sociétésen Grèce ancienne, 1972, p. 117). Si cette évaluation est exacte, six millecitoyens constituaient un échantillon relativement représentatif.

2. Aristophane, Guêpes, v. 662 ; Aristote, Athenaion Politeia 24, 3,27, 4, 63, 3. Mais la chose n’est pas certaine.

3. « “Je voterai conformément aux lois et aux décrets du peuple athé-nien et du conseil des Cinq-Cents. Je ne voterai pas l’établissement d’unetyrannie ni d’une oligarchie, et si quelqu’un veut renverser le gouverne-ment populaire d’Athènes, ou fait une proposition hostile à ce gouverne-ment, ou la met aux voix, je ne le suivrai pas. Je ne voterai ni l’abolitiondes dettes privées ni le partage des terres et des maisons des citoyens athé-niens. Je ne rappellerai ni les exilés ni les condamnés à mort ; je n’expulse-rai du pays aucun citoyen y résidant, contrairement aux lois existantes etaux décrets du peuple athénien et du conseil ; je ne le ferai pas moi-mêmeet j’en empêcherai autrui […]. Je ne recevrai point de présent en qualitéd’héliaste, ni personnellement ni par l’intermédiaire d’une autre per-sonne, homme ou femme, de ma connaissance, et cela par aucun biais oumoyen. J’ai atteint l’âge de trente ans. J’écouterai avec une égale attentionles deux parties, accusateur et accusé ; et je ferai porter mon vote unique-ment sur l’objet de la poursuite”. L’héliaste jure ensuite par Zeus, parPoséidon, par Déméter, appelant sur soi-même et sur sa maison l’exter-mination, au cas où il violerait ces engagements, et au contraire toutesles prospérités, s’il tient son serment » (Démosthène, Contre Timocrate[XXIV], 149-151). Socrate fait allusion à ce serment (Apologie 35c).

4. Douglas M. MacDowell, The Law in classical Athens, op. cit.,p. 35-40.

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siégeaient 1. Ils recevaient 3 oboles par jour 2. Comme lesalaire quotidien moyen d’un ouvrier qualifié était d’unedrachme, cette rémunération (3 oboles = 1/2 drachme)était relativement faible et ne pouvait être appréciée quepar des hommes âgés, pour qui ce salaire équivalait à unepension de retraite, ou par des citoyens que leur état phy-sique ou leur manque d’habileté rendaient inaptes au tra-vail ; bref, les Athéniens âgés et peu fortunés devaient yêtre largement représentés, comme le fait remarquer sur unton à la fois comique et pathétique le chœur dans lesGuêpes (v. 291-311) ; mais, il convient sur ce point de restermodéré sur les conclusions 3, même si la composition et lanature du jury qui condamna Socrate furent déter-minantes.

3. Les accusateurs

Au cours du procès qu’est censée rapporter l’Apologie,Socrate cite à deux occasions les noms de ses accusateurs :Mélétos, Anytos et Lycon (Apologie 23e, 36a). Unemeilleure connaissance de leur personnalité, de leur rôlepolitique et de leurs mobiles, permettrait de définir plusprécisément les accusations portées contre Socrate.

1. Aristophane, Guêpes, v. 662 ; Aristote, Athenaion Politeia 24, 3,27, 4, 64, 3.

2. Cette somme aurait été votée par l’Assemblée probablement surune proposition de Cléon en 425. Aristophane, Cavaliers, v. 51, v. 800 ;scholie sur les Guêpes, v. 88, v. 300.

3. Douglas M. MacDowell, The Law in classical Athens, op. cit.,p. 34-35. Il faut pourtant atténuer cette affirmation, car en évoquantles accusations lancées contre lui par Aristophane dans les Nuées, vingt-quatre ans plus tôt, Socrate déclare : « […] ils [les accusateurs anciens,dont Aristophane] s’adressaient à vous, quand certains d’entre vousétiez des enfants ou des adolescents […] » (Apologie 18c). On peutpenser que les tribunaux jouaient un rôle si important, dans le jeupolitique dont l’Assemblée du peuple était le centre, que certains ten-taient toujours d’infiltrer des partisans parmi les juges de toutes lescours ; ce qui aurait ainsi limité la représentation de certaines catégo-ries sociales.

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APOLOGIE DE SOCRATE22

Le moins connu des trois accusateurs est Lycon ; touteidentification reste douteuse 1.

C’est Mélétos qui, officiellement, déposa la plaintecontre Socrate 2, même si Anytos et Lycon l’appuyaient,ce qui signifie, entre autres choses, qu’ils étaient soli-daires des conséquences de l’acte posé ; comme on l’avu, si moins du cinquième des membres du jurydéclaraient Socrate coupable, ils devaient avec Mélétospayer une amende (Apologie 36a-b) de 1 000 drachmes 3

pour harcèlement 4. Mais les mobiles des troisaccusateurs semblent bien avoir été différents (ibid.23e-24a).

Voici par ailleurs ce que Socrate dit de Mélétos àEuthyphron : « Je ne le connais pas très bien moi-même,Euthyphron, car j’ai l’impression qu’il est plutôt jeune etinconnu. En tout cas, on l’appelle Mélétos, à ce que jecrois. Il est du dème de Pitthée, si jamais tu as à l’espritun certain Mélétos de Pitthée, un homme à la longuechevelure, à la barbe clairsemée et au nez légèrementcrochu » (Euthyphron 2b). Toute identification avec lepoète (inférence à partir de l’Apologie 23e) dont semoque Aristophane dans les Grenouilles (v. 1302), piècereprésentée pour la première fois en 405, ou avec celuiqui poursuivit Andocide pour impiété et qui fut l’un deshommes envoyés par les Trente pour arrêter Léon (cf.Andocide, Sur les Mystères [I] 94), action injuste àlaquelle refusa de s’associer Socrate (Apologie 32d), resteplus que douteuse 5.

1. Peut-on identifier ce Lycon à celui dont Aristophane calomniel’épouse dans les Guêpes (v. 1301) ou à celui qui est le père d’Autolycosdans le Banquet de Xénophon ? Il est impossible de le dire.

2. Apologie 19b, 24c, 26b, 26d, 26e, 27a, 27e, 28a, 31d, 35d, 36a-b,37b, et Euthyphron 2b, 12e ; Xénophon, Mémorables IV, 4, 4, IV, 8, 4.

3. Pour une évaluation de toutes les sommes d’argent, cf. n. 3, p. 41.4. Sur le sujet, cf. Douglas M. MacDowell, The Law in classical

Athens, op. cit., p. 64.5. Cf. les arguments de J. Burnet, dans une note à son édition de

l’Euthyphron (2b), [1924], New-York, AMS Press, 1977.

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INTRODUCTION 23

La plupart des commentateurs font d’Anytos 1

l’instigateur de la plainte portée contre Socrate 2. Selonune scholie à l’Apologie (18b), Anytos, fils d’Anthémion,s’était enrichi grâce au tannage des peaux. Dès la fin dela guerre du Péloponnèse, c’était un homme politiqueimportant et controversé. En 409, il fut chargé d’organi-ser une expédition militaire à Pylos, qui tourna audésastre. Traduit en justice, il aurait corrompu le jurypour échapper à une lourde condamnation 3. Démocratenotoire, Anytos fut exilé en 404 dès que les Trente prirentle pouvoir. Il joua un rôle important aux côtés de Théra-mène. Et il aida Thrasybule à reprendre le pouvoir et àrétablir la démocratie en 403. À la fin du Ménon (89e-95a), il est décrit comme un opposant fanatique à toutindividu considéré à Athènes comme un sophiste, « qu’ilsoit étranger ou citoyen ». Aux yeux d’Anytos, les valeurssur lesquelles une société est fondée ne doivent être nicritiquées ni même étudiées, mais seulement repro-duites 4. Avec ce personnage, l’accusation portée contreSocrate prend toutes ses dimensions, sociales etpolitiques.

4. Les chefs d’accusation

Au début de l’Apologie, Socrate déclare : « Cela étant,Athéniens, il est juste que je me défende, d’abord contre

1. Sur cet Anytos, cf. J.K. Davies, Athenian propertied Families,Oxford, Clarendon Press, 1971, no 1324, p. 40-41. Et plus généralement,cf. s.v. Anytos, DPhA I, 1989, p. 261-261 [Luc Brisson].

2. Cette façon de voir, qui est déjà celle de Diogène Laërce (II, 38),se trouve corroborée par le fait que Socrate désigne ainsi ses accusa-teurs au début de l’Apologie : « Anytos et ses comparses » (Apologie18b, cf. aussi 29c, 30b, 31a).

3. Plutarque, Vie de Coriolan, 14 ; Diodore de Sicile, Bibliothèquehistorique XIII, 64, 8 ; Aristote, Constitution d’Athènes 27, 4-6.

4. Sur la place et le rôle d’Anytos dans le Ménon, cf. MoniqueCanto, Introduction au Ménon, traduction inédite, introduction etnotes, Paris, GF-Flammarion, 1991, p. 26-34.

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APOLOGIE DE SOCRATE24

les premières accusations mensongères qui ont été por-tées contre moi et contre mes premiers accusateurs et,ensuite, contre les accusations qui ont été récemmentportées contre moi et contre mes accusateurs récents. »(Apologie 18a). Socrate rapporte donc les accusationsauxquelles il doit désormais faire face à des accusationsplus anciennes. Ces premières accusations qu’il qualifiede « calomnies 1 », furent celles portées contre lui parAristophane dans les Nuées, les plus récentes ayant étéportées par Mélétos, Anytos et Lycon, au début de 399.

Les calomnies anciennesLes Nuées 2, comédie composée par Aristophane,

furent représentées pour la première fois en 423 : Socrateétait alors âgé de quarante-cinq ans environ. L’argumentde la pièce est le suivant.

Un paysan, Strepsiade, qui menait autrefois une viesimple et heureuse, a épousé une femme de la ville, quilui a donné un fils, Phidippide, lequel, comme sa mère,recherche luxe et grandeur. Pour payer ses dettes et satis-faire la passion de son fils pour les chevaux, Strepsiadea dû contracter de nombreux emprunts, dont il n’arrivemême plus à rembourser les intérêts. Il croit avoir trouvéla solution qui lui évitera la ruine. Près de chez lui habiteSocrate qui, dans son « pensoir », enseigne l’art de fairetriompher la faible cause contre la forte ; s’il arrivait àacquérir cet art, Strepsiade pourrait ne point payer sesdettes. Le vieil homme va donc trouver Socrate. Mais,ne parvenant pas à assimiler l’enseignement dispensé, ildécide son fils à prendre sa place. Phidippide fait desprogrès si rapides que bientôt il est passé maître dansl’art d’avoir toujours raison. Strepsiade l’apprend à sesdépens. À la suite d’une discussion, Phidippide bat son

1. En grec, on trouve le substantif diabolḗ (Apologie 19a, 19b, 20c,20d, 20e, 21b, 23a, 24a, 38c, 37b) et le verbe diabállein (19b, 23e, 33a).

2. J’utilise essentiellement : Aristophanes, Clouds, ed. with introduc-tion and commentary by K.J. Dover, Oxford, Clarendon Press, 1968.

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INTRODUCTION 25

père et lui prouve péremptoirement non seulement qu’ila eu raison de frapper son père, mais aussi qu’il auraitmême le droit de maltraiter sa mère. Désespéré etfurieux, Strepsiade tire vengeance de Socrate en démolis-sant et en incendiant le « pensoir ».

Dans sa comédie, Aristophane présente Socrate avanttout comme un technicien du discours ; c’est sur cetteidée force que repose l’économie de toute la pièce. Celadit, Socrate n’est pas seulement un professeur de rhéto-rique, de métrique, de rythmique (v. 638 sq.) et de gram-maire (v. 658 sq.). Il s’occupe aussi d’astronomie et demétéorologie (v. 195 sq., v. 270 sq., v. 193 sq., v. 200,v. 227 sq., v. 376 sq., v. 395 sq., v. 489 sq.), de géologie(v. 186 sq., v. 192), de géographie (v. 206 sq.), de géomé-trie (v. 145 sq., v. 202), de problèmes de physique(v. 145 sq.). Conséquence naturelle chez un hommeadonné à de telles études, Socrate professe l’incrédulitéla plus complète à l’égard des dieux de la religion grecque(v. 246 sq., v. 365 sq., v. 825 sq.). Les divinités qu’il adoresont le Tourbillon, le Vide, les Nuées, la Langue (v. 253,v. 365, v. 423, v. 827). Et, en véritable « sophiste » qu’ilest, il reçoit de l’argent pour prix de ses leçons (v. 99,v. 245, v. 1146 sq.).

Dans les Nuées, Aristophane veut caricaturer le type« intellectuel 1 » en général, et plus précisément tel qu’ils’était imposé à Athènes sous Périclès 2. Il s’agit là d’untype hybride faisant la synthèse entre deux catégoriesd’individus : les « penseurs 3 » qui s’intéressaient à la

1. À l’instar de K.J. Dover, j’utilise le terme forcément anachroniqued’« intellectuel » parce qu’il recouvre les catégories de « penseur » et de« sophiste », qui ne sont pas distinguées chez Aristophane. Ce termegénéral désigne un individu qui consacre le plus clair de son activiténon à l’action, c’est-à-dire la politique, les choses militaires ou lesaffaires d’argent, mais à la parole, c’est-à-dire l’étude et l’enseignement.

2. Périclès joua un rôle important dans les affaires d’Athènes surtoutentre 463, année où il fit mettre Cimon en accusation, et 429, date desa mort, pendant l’épidémie de peste.

3. J’utilise le terme de « penseur » et non celui de « philosophe », carc’est Platon qui, pour la première fois, employa le terme « philosophe »

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INDEX DES NOMS PROPRESDU CRITON

Apollon : 159Artémis : 159

Callias : 163 (n. 3)Cébès : 215 (n. 25)Clinias : 163 (n. 2), 164Corybantes : 221 (n. 110)Crète (lois de) : 220 (n. 94)Critobule : 162-164Criton, passim

dialogues (qui lui sont attribués) :162-163 (n. 1)

identité : 161-164Ctésippe : 161

Délies : 159Délos : 159, 214 (n. 8)

Échécrate (de Phlionte) : 215(n. 24)

Éliée (Héliée) : 160 (n. 1)Empousa : 216 (n. 36)Épigène : 161

Gélo : 216 (n. 36)

Hadès (monde de l') : 160 (n. 2)Hermogène : 161, 163

Isthmiques (jeux) : 220 (n. 89)

Lacédémone (lois de) : 220 (n. 94)Lamia : 216 (n. 36)Lois : 177-180

prosopopée : 218 (n. 68)un terme au masculin en grec

ancien : 218 (n. 68)

Mégare : 221 (n. 96)Ménon : 215 (n. 26)Mormo : 216 (n. 36)Mormolycée : 216-217 (n. 36)

Onze (les) : 214 (n. 11)

Philolaos : 215 (n. 23)Phthie : 214 (n. 13)

Simmias : 215 (n. 23)Socrate

âge : 214 (n. 7)trois fils : 215 (n. 27)

Thargélion (mois de) : 159-160(n. 1)

Thèbes : 221 (n. 96)Thésée : 159, 214 (n. 8)Thessalie : 215 (n. 26)

Xanthippe : 162, 215 (n. 27)

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TABLE

Remerciements........................................................... 5Abréviations .............................................................. 6

APOLOGIE DE SOCRATE

Introduction............................................................... 9Plan de l’Apologie de Socrate................................... 75Remarques préliminaires............................................ 79Apologie de Socrate.................................................. 81Notes de l’Apologie de Socrate................................. 125

CRITON

Introduction............................................................... 159Plan du Criton.......................................................... 181Remarques préliminaires............................................ 183Criton ....................................................................... 185Notes du Criton ........................................................ 213

Cartes........................................................................ 223Chronologie............................................................... 227Bibliographie de l’Apologie de Socrate...................... 233Bibliographie du Criton............................................. 253Index thématique de l’Apologie de Socrate............... 263Index thématique du Criton....................................... 267Index des noms propres de l’Apologie de Socrate...... 269Index des noms propres du Criton............................. 271

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No d’édition : L.01EHPN000776.N001Dépôt légal : mars 2016