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Approche transversale, quels enjeux, limites et méthodes ? août 2010 - N°13 décembre 2013 - N°15 Territoire

Approche transversale, quels enjeux, limites et méthodes

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Approche transversale, quels enjeux, limites et méthodes ?

août 2010 - N°13décembre 2013 - N°15

Territoire

Formation & Territoire - n° 15 32 Formation & Territoire - n° 15

Editorial ..............................................................................P. 6-7

Préface ........................................................................................P. 9

Par François-Olivier MORDOHAY, consultant Effect If P .........................................................P.10

Points de vue ..................................................................P.13

Politiques transversalesPar Jean-Michel BELORGEY, ancien Député, Président de section au Conseil d’Etat honoraire .......................................................................................P.14

Interview de Santiago SERRANO, 10ème adjoint délégué au développement économique et commercial, à l’emploi et aux nouvelles technologies, ville du Blanc-Mesnil...........................................................P.17

Des professionnels-les s’interrogent ................................................................P. 21

Par un collectif d’acteurs et d’actrices ...........P. 22 régionaux-les et interinstitutionnels-les

Des confrontations au réel ...................P. 29

A propos de politique transversale : l’exemple des actions en faveur des seniors.Par Frédéric ZANTE, directeur de l’Aract Champagne-Ardenne .....................................................P. 30

Le plan régional d’insertion des travailleurs handicapés de Champagne-Ardenne, un exemple de transversalité.Par Pascal CLARKE, directeur de PRACTHIS et coordinateur du PRITH Champagne-Ardenne .........................................................P. 34

La lutte contre l’illettrisme : une politique transversale ?Par Marie-Liesse NIMIER, animatrice régionale du centre ressources illettrisme Champagne-Ardenne GIP Arifor .........................P. 38

Interview de Murielle MAFFESSOLI, directrice de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville (Alsace) ...............................................................................P. 44

Des clés de lecture ...............................................P. 49

Les politiques transversales de prévention des discriminations : penser la méthode pour conduire les changementsPar Noémie MICHELIN, cheffe de projet prévention des discriminations, mission lutte contre les discriminations et égalité entre les femmes et les hommes, ville de Reims ............................................................................P. 50

A propos de stratégies de défense : confrontation à la mise en œuvre de politiques publiques !Par Frédéric ZANTE, directeur de l’Aract Champagne-Ardenne ...................................................P. 54

Prévention des discriminations et collectivités : les atouts et les enjeux d’une approche intégrée.Par le réseau RECI (Ressources pour l’égalité des chances et l’intégration) ..............................................P. 56

Freins et blocages dans la mise en œuvre de politiques transversales : quelques éléments à prendre en compte du côté de l’humain.Par Frédéric ZANTE, directeur de l’Aract Champagne-Ardenne ...................................................P. 61

Interview de Patrick TASSIN, président du CESER Champagne-Ardenne .....................................................P. 68

Comment faire vivre l’égalité entre les femmes et les hommes dans la collectivité régionale de Champagne-Ardenne ? Par Clémence NOWAK, mission égalité, Conseil régional Champagne-Ardenne ..............................P. 70

Sommaire Revue Formation & Territoire n°15Approche transversale, quels enjeux, limites et méthodes ?

Formation & Territoire est une publication du GIP ARIFOR

Directrice de la publicationMarie Noël d’HOOGE, présidente du GIP ARIFOR

Rédactrice en chefSandrine POITTEVIN, directrice du GIP ARIFOR

Expert François-Olivier MORDOHAY, consultant Effect IF P

Coordinatrice du numéroEmilie ARNOULET, chargée de mission, GIP ARIFOR

Comité de rédactionNicolas BACHET, DRJSCS

Bernard BALZANI, Université de LorraineOlivia COURSIER, AGEFIPH

Estelle DEROUILLAT, CESER Champagne-ArdenneVirginie GUERIN, DIRECCTE

Clémence NOWAK, Conseil régional Champagne-ArdenneFrédéric ZANTE, Aract Champagne-Ardenne

Conception graphiqueCom’ In création

ImpressionLe réveil de la Marne

ISSN : 1285-1787

500 exemplaires décembre 2013

Les opinions exprimées dans les articles n’engagent que la responsabilité des auteurs-es.

Edito

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L a Région Champagne-Ardenne à travers ses priorités d’actions et son mode de fonctionnement démontre depuis 2008 son attachement à cette approche transversale.Si la compétence générale de la Région est la promotion du développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique et d’aménagement du

territoire, elle a très vite investie d’autres champs d’intervention complémentaires aux autres collectivités avec une nouvelle façon de conduire des projets publics : la co-conception.Prenons quelques exemples significatifs de cette approche volontariste :

- La politique Jeunesse transversale intégrée aux différentes directions de la Région, puisque le public jeune est concerné par la majorité des aides déployées par le Conseil régional, représentant ainsi une cinquantaine de dispositifs ciblés vers ce public.- La politique de développement durable à travers notamment la mise en place d’une démarche qualité environnementale dans les opérations de rénovation/construction de la Région et l’intégration systématique des clauses sociales dans les marchés de travaux.- La politique en matière d’économie sociale et solidaire transversale aux directions de l’aménagement du territoire, du développement économique et de formation professionnelle avec le dispositif régional « Progress » de soutien aux projets économiques d’utilité sociale.- La politique du handicap prise en compte de manière transversale dans l’ensemble des actions du CPRDFP (Contrat de plan régional de développement de la formation professionnelle). - Et encore la politique de promotion de l’égalité femmes hommes avec la création en 2012 de l’Observatoire régional pour l’égalité entre les femmes et les hommes, mission transversale à l’ensemble des politiques de la Région…

S’engager sur des thématiques transversales est pour la Région une réelle opportunité pour poursuivre une démarche éthique qui renforce les valeurs de service public et la garantie d’une meilleure cohésion sociale sur le territoire régional.

Je salue la belle performance du comité de rédaction d’avoir évoqué les sujets de la lutte contre les discriminations, l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre l’illettrisme, le handicap,… Bravo à tous-tes les architectes de ce numéro, expert, coordonnatrice et écrivants-es ! Bonne lecture,

Marie-Noël d’HOOGE, Présidente du GIP ARIFOR et Conseillère régionale

L es politiques interministérielles dites « transversales » ont, par leur définition même, cette capacité à rassembler un ensemble d’acteurs institutionnels et professionnels, à tous les échelons du territoire et autour d’une même thématique.Depuis plusieurs années, la Direction Régionale des Entreprises, de la

Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi de Champagne-Ardenne participe à la mise en œuvre de politiques transversales, aux côtés d’acteurs incontournables tels que la Région, Pôle emploi, les missions locales, l’Agefiph, les collectivités locales, les partenaires sociaux, les employeurs pour répondre aux besoins du territoire et de la population champardennaise.Ainsi, par exemple, la Direccte anime et coordonne, en région, la politique en faveur de l’emploi des personnes handicapées. La mise en œuvre de cette politique nécessite une double approche : d’une part, une approche globale, grâce à un ensemble d’actions à la fois cohérent, pertinent et rassembleur destiné à répondre aux enjeux de cette politique et, d’autre part, une approche intégrée consistant en l’organisation, l’amélioration et l’évaluation des processus de prise de décision nécessaires à la mise en œuvre de cette politique, et ce, afin qu’elle soit investie dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs impliqués dans sa mise en place. Cette double approche s’est concrétisée, le 14 novembre 2012, par la signature, en région, de l’accord cadre du Plan Régional d’Insertion des Travailleurs Handicapés (PRITH) par 17 acteurs institutionnels et professionnels de la région exprimant ainsi leur volonté commune de mettre en œuvre ce plan dans le cadre d’une organisation partenariale tout en veillant à garantir la complémentarité de leurs différentes interventions.Il est donc nécessaire et indispensable de considérer la conception et l’animation d’une politique transversale quelle qu’elle soit (lutte contre l’illettrisme, lutte contre les discriminations, égalité entre les femmes et les hommes, …) à travers une approche à la fois globale et intégrée afin de tendre vers les objectifs que cette politique s’est fixée. C’est autour de cette réflexion que l’ARIFOR a élaboré la revue Formation & Territoire n°15 en associant un ensemble d’actrices et d’acteurs investis sur cette thématique, à l’échelon national ou régional, afin d’appréhender la transversalité sous tous ses aspects.La qualité des contenus de cette revue permettra, de toute évidence, d’éclairer les décideurs dans le pilotage de leurs actions. Aussi, je tiens à adresser mes sincères remerciements à toutes celles et ceux qui ont contribué à la rédaction de cette quinzième revue Formation & Territoire de l’ARIFOR.

Patrick AUSSEL, Directeur régional des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi de Champagne-Ardenne

La Région, un acteur central du développement des politiques publiques transversales

L’Etat, acteur incontournable des politiques publiques transversales

Edito Edito

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Formation & Territoire - n° 15 76 Formation & Territoire - n° 15

Préface

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Qu’est-ce qui fait la spécificité des politiques transversales ? A quels obstacles ou problèmes se heurtent-t-elles ? Mobilisent-t-elles des compétences, des ressources, des postures professionnelles particulières ? Telles sont quelques unes des questions que se sont posées les contributeurs-trices de ce numéro de la revue « Formation & Territoire ».

Les politiques transversales, encore relativement nouvelles dans le paysage d’ensemble de l’action publique, recoupent dans leur qualification de « transversales » un ensemble d’enjeux et de valeurs qui ont abouti à considérablement élargir leur domaine de définition initiale.

Dans la conclusion de sa contribution, Jean-Michel BELORGEY ancien Parlementaire et Président de Section au Conseil d’Etat, s’interroge d’ailleurs « sur la nécessité de parler de politiques transversales », ou plutôt d’une exigence plus systématique de « la conduite de toute politique, sous le signe d’une ouverture aux autres, d’une accoutumance à émettre des sollicitations et des mises en garde, en direction d’opérateurs voisins, à en recevoir de leur part et à en tenir compte, sans faire pour cela systématiquement recours à des appareils juridiques évoquant la négociation entre Puissances ».

Officiellement définies en France, suite à la loi organique (LOLF), et la Révision générale des politiques publiques (RGPP), les politiques transversales, s’inscrivent initialement dans trois directions principales :

• Le développement, à partir du milieu des années 80, des approches dites intégrées (traduction du terme de « mainstreaming »), dont le groupe de spécialistes du Conseil de l’Europe s’est mis d’accord, sur les finalités « de réorganisation, d’amélioration, d’évolution et d’évaluation des prises de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité [en l’occurrence entre les femmes et les hommes] dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques.»

• La définition administrative française des politiques transversales, rappelée dans la contribution du groupe de travail animé par le GIP ARIFOR, qui souligne le rôle significatif, politique, financier et technique joué par l’Etat, ainsi que leur cadre interministériel d’organisation.

• Les évolutions du « management public », dont la LOLF et la RGPP directement ou implicitement, ont constitué les fondements politiques, et dont on sait qu’il a eu une forte tendance à emprunter au secteur privé ses méthodes et une bonne partie de ses critères d’évaluation.

A l’intersection de ces trois approches convergentes, les politiques transversales présentent trois caractéristiques majeures.

Tout d’abord, ainsi que le mettent notamment en évidence les contributions qui abordent la lutte contre les discriminations ou contre l’illettrisme, l’insertion des travailleurs handicapés, la politique de la ville, celle visant à faire vivre l’égalité entre les femmes et les hommes ou l’exemple des actions en faveur des seniors, toutes ces politiques ont en commun une vocation « vertueuse et altruiste » et elles sont « majoritairement liées à la protection des droits fondamentaux des individus et de leur environnement ».

En cela les politiques transversales occupent aujourd’hui un champ d’application beaucoup plus large que celui de la seule action publique conduite par l’Etat. Il est tout à fait révélateur, de ce point de vue, que plusieurs articles ou interviews reviennent sur la définition étatique initiale et proposent, son élargissement en termes à la fois méthodologique autour de la question de l’ingénierie de projet et partenarial en soulignant les rôles des différents acteurs.

Enfin, les politiques transversales apparaissent souvent envisagées, en contrechamp des politiques dites verticales (ou spécifiques) sachant que la dichotomie entre les deux termes est, dans les faits, loin d’être rigide et que les degrés de verticalité ou de transversalité peuvent susciter des stratégies menées de pair.

La décision du comité de rédaction de la revue de consacrer ce numéro aux politiques transversales a bien sûr constitué une opportunité pour revenir sur leurs définitions et leurs caractéristiques mais aussi l’occasion de faire état des conditions actuelles et souhaitables de leur mise en œuvre.

Face à la variété des approches, le choix a été fait d’associer plusieurs modalités de questionnements, individuels et collectifs. A chacun, il a été demandé, ce qui, pour elle ou pour lui, faisait le sens d’une politique transversale, quelles en étaient aussi les difficultés et les postures professionnelles.

Certaines des difficultés évoquées s’appliquent, de façon plus générale, à toute conduite de politique publique, mais elles présentent, dans le cadre des politiques transversales, une intensité particulière.

L’engagement effectif des acteurs constitue fréquemment une source importante de problèmes, à la hauteur de ses enjeux. Sa traduction dans des structures d’organisations généralement verticales est d’autant plus difficile, que les institutions concernées et y compris parfois l’acteur qui en est le chef de file, poursuivent simultanément des objectifs disjoints voire partiellement antinomiques de la politique transversale.

La multiplicité des acteurs et de leur intérêts spécifiques, a en outre comme effet que les négociations, les consensus tant politiques qu’opérationnels, s’effectuent au prix de coûts de transaction élevés et corrélativement avec des dépenses d’énergies tant individuelles que structurelles peu efficientes et pas toujours efficaces.Plusieurs contributions font référence aux stratégies de réaction, d’inertie, « de défense

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Points de vue

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de château fort », comme l’écrit Frédéric ZANTE, auxquelles les animateurs des politiques transversales ont à faire face, dans leur travail au quotidien, comme sur le plus long terme.

De surcroît, quand elle n’est pas suffisamment affirmée et effective, la coopération, exigée par la mise en œuvre des politiques transversales, rencontre le double écueil de l’invisibilité qui résulte de sa « dilution » dans les autres politiques et de l’isolement des professionnels qui en ont la charge face aux défis de leur inscription dans des repères stables et reconnus.

Pourtant, les auteurs-es de ce numéro démontrent que ce panorama ne désespère, ni leurs volontés, ni leurs énergies.Ils soulignent les exigences essentielles d’engagement des institutions concernées, de ressources humaines et financières adaptées, de formation des professionnels, de transformation des pratiques et des cultures professionnelles, d’ouverture organisationnelle, de postures « d’interprètes et de passeurs » et d’un temps suffisant pour que les politiques transversales prennent corps dans leurs environnements. Au carrefour de leurs enjeux et de leurs conditions de réalisation, l’utopie serait finalement, non pas dans la poursuite de leur réussite mais bien davantage dans l’hypothèse de pouvoir y renoncer.

François Olivier MORDOHAYExpert et consultant Effect If P

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Formation & Territoire - n° 15 1514 Formation & Territoire - n° 15

Politiques Transversales

Les politiques sociales, lorsqu’elles ont fait leur apparition, se sont intéressées à des groupes cibles (les classes laborieuses, les enfants, les personnes âgées, les malades mentaux) ou à des grandes catégories de besoins (protection sociale, logement, santé), non sans que leurs promoteurs prennent fréquemment conscience du nécessaire croisement entre les approches. Mais leur développement a progressivement donné naissance

à de grandes mouvances institutionnelles entre lesquelles l’habitude s’est peu à peu perdue de poursuivre des échanges pourtant nécessaires à la compréhension des faits sociaux et à la mise au jour de réponses pertinentes aux désordres, attentes, besoins repérés. C’est ainsi que, sous l’effet des mécomptes engendrés par différentes sortes de cloisonnement, de l’essoufflement aussi de l’effort social dont s’est accompagnée la fin des Trente Glorieuses, on a vu surgir et s’affermir ce que, dans « Clefs pour la politique sociale », publié en 1976, j’appelais des « mythes de délivrance ». Au nombre de ceux-ci, aux côtés de l’affirmation de la nécessité de prévenir plutôt que de se borner à réparer, figurait dès cette époque en bonne place, celle de la nécessité de désenclaver les politiques sectorielles, ou trop étroitement ciblées. Au nom de cette nécessité ont successivement été révisées, réaménagées, redéployées les stratégies d’intervention en matière de service social, d’aide sociale à l’enfance, d’action sociale et ont pris leur essor, diverses initiatives pour promouvoir et consolider des services sociaux polyvalents, des services unifiés de l’enfance, des équipements intégrés ; en même temps qu’étaient imaginées, et parfois expérimentées, des politiques intégrées de lutte contre la pauvreté et la précarité, de promotion de l’égalité hommes/femmes, de lutte contre le handicap. C’est à la même époque, qu’ont vu le jour les premières opérations de réhabilitation

des quartiers dégradés s’intéressant simultanément à la dimension physique et à la dimension sociale de cette dégradation ; de ces opérations dites

« Habitat et Vie Sociale » sont nés le « développement social des quartiers », puis la « Politique de la ville ». Des opérations proches

de celles conduites dans le cadre du groupe Habitat et Vie Sociale, mais intéressant les populations immigrées, avaient également été tentées, en petit nombre, sur le même modèle intégrateur des interventions sur le bâti et sur le tissu social ; elles n’ont guère eu de postérité, même sous l’égide du FAS puis FASILD, fonds d’action sociale en faveur des travailleurs immigrés, dont

il n’est pas arbitraire de considérer qu’il constituait, lui aussi, un cadre plausible de remembrement des différentes catégories

d’actions en faveur des immigrés.

Par Jean-Michel BELORGEY, ancien Député, Président de section au Conseil d’Etat honoraire

Mais au monde des politiques sociales, y inclus des politiques du travail, de l’éducation, de la lutte contre la délinquance, qui font incontestablement partie du champ social, la décentralisation a, dès le début des années 1980, apporté de considérables changements. L’aggravation de la crise, le retour en force des idéologies libérales, les crispations croissantes opposées aux revendications de toutes natures émanant du milieu immigré ont également fait leur œuvre. On a un temps pu considérer la décentralisation, comme par elle-même propice à une approche intégrée des politiques sociales, au sens large, sur un territoire pertinent, ceci à partir d’une meilleure connaissance des besoins, autorisant des réponses plus adaptées et mieux articulées les unes aux autres, quels que soient les opérateurs appelés à contribuer à leur satisfaction. Cette illusion a en partie vécu. La décentralisation n’a, en particulier, pas permis d’enrayer la contribution du système scolaire à la reproduction des inégalités de génération en génération, entre groupes sociaux et territoires, ni la marginalisation de nombreuses cohortes d’enfants handicapés. Le Président du Conseil Général d’Ille-et-Vilaine a lors de la conclusion des journées de l’action sociale organisées en 2011/2012 dans son département, présenté à ce sujet des analyses très fortes. La décentralisation n’a pas non plus favorisé l’intégration entre interventions sociales décentralisées et interventions sociales persistant à relever de l’Etat ou faisant l’objet d’une gestion de plus en plus concentrée entre ses mains, comme cela a été le cas avant la loi HPST, mais l’est plus encore depuis sa promulgation, en matière de santé, et le sera bientôt en matière médico-sociale.

Là ne sont pas hélas les seuls obstacles auxquels se heurte une transversalisation féconde des politiques. L’incontestable vertu de telles politiques, quand elles s’incarnent, est de mettre fin à l’ignorance mutuelle dont ne peuvent que pâtir la pertinence et l’efficacité d’interventions intéressant les mêmes territoires, voire les mêmes publics, et cherchant, par des procédés différents, à remédier aux mêmes difficultés, mêmes handicaps, mêmes exclusions, ou à des difficultés, handicaps, exclusions qui se nourrissent, se consolident, les unes les autres. Le mainstreaming qu’appellent de leurs vœux, les conclusions d’innombrables colloques sur les femmes, les personnes handicapées, les jeunes, qu’on peut définir comme une sorte de super-transversalisation sous le signe de la prévention, pourrait elle-même permettre de ne pas alimenter les phénomènes qu’on considère comme indésirables, et qu’on se souciera un jour de réparer. Le droit commun est, de ce point de vue, idéal, et participe lui aussi d’une transversalisation bien comprise – Pas à n’importe quelles conditions cependant – A celles, tout d’abord, qu’il ne conduise pas à une invisibilisation des problèmes particuliers que posent certains territoires et certaines populations, et finalement à l’exclusion de ces populations ; dont il faut certes éviter que des formes spécifiques de prises en charge ne consacrent la stigmatisation ; mais dont il faut éviter qu’une conception réductrice de la notion d’égalité fasse obstacle à traiter les différences de façon aussi différente que nécessaire (il n’est de traitement égal, en cas de différence, que suffisamment différent ; un traitement identique est inégal). Transversaliser, articuler généralement pas diluer. Si tout est dans tout et inversement, rien n’est plus saisissable, ni mesurable, ni gérable. Transversaliser suppose donc un repérage soigneux des articulations et des responsabilités ; soigneux, non obsessionnel, à telle enseigne que des aménagements de frontières, des ajustements

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dans la distribution des rôles soient praticables sans excès de formalisme. Transversaliser suppose aussi qu’on évalue, non pas seulement, ni même principalement en confrontant intentions et réalisations, mais en observant ce qui naît, ce à quoi on est par avance convenu qu’il fallait, même si on n’en avait pas une idée très précise, donner la chance de naître. Transversaliser enfin, et c’est en quoi entre mainstreaming et transversalisation existe, pas seulement dans l’idéal, mais pour que la démarche fasse sens, une relation

étroite, suppose que les politiques transversales ne restent pas, ou pas durablement pelliculaires, à la surface des choses, comme la politique de la ville, qui s’y est

desséchée.

Peut-être, au total, faudrait-il moins parler de politiques transversales que de conduite de toute politique sous le signe d’une ouverture aux autres, d’une accoutumance à émettre des sollicitations, et des mises en garde en direction d’opérateurs voisins, à en recevoir de leur part, et à en tenir compte, sans faire pour cela systématiquement recours

à des appareils juridiques évoquant la négociation entre Puissances. La mutation éventuelle que cela implique n’est pas pour demain. Pour

après-demain peut-être.

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Interview de Santiago SERRANO10ème adjoint délégué au développement économique et commercial, à l’emploi et aux nouvelles technologies, ville du Blanc-Mesnil.

En quoi la notion de politique transversale vous concerne-t-elle ?

Je suis d’abord concerné d’un point de vue professionnel parce que je travaille actuellement dans une structure départementale qui se rapproche physiquement d’une autre collectivité sur la thématique de la prévention des conduites à risques et des addictions. Les deux collectivités, le Conseil général de la Seine-Saint-Denis et la ville de Paris sont parties du constat commun que leurs territoires respectifs étaient traversés par le même phénomène et y compris que les mêmes individus pouvaient naviguer d’un territoire à l’autre. Très basiquement, cela semblait nécessaire de mutualiser, de travailler ensemble, de définir des stratégies, des moyens d’action et des actions communes. Ce qui est intéressant dans ce domaine de la prévention des conduites à risques et des toxicomanies, c’est que ce n’est pas une compétence obligatoire pour ces collectivités territoriales, il y a donc une grande part de créativité. Cela relève du volontariat politique et technique.

Deuxième chose, c’est que, je suis élu et amené à gérer des structures intercommunales c’est-à-dire de la transversalité territoriale sur les thématiques de l’emploi et de la création d’activités. Je suis également en charge d’une délégation sur les nouvelles technologies de l’information et de la communication et je suis administrateur d’un syndicat intercommunal informatique mis en place pour mutualiser avec d’autres collectivités un certain nombre de moyens.

Vous semblez dans les deux cas, avoir une conception de ces politiques qui est avant tout opérationnelle.

Dans les deux situations, les positions que j’ai eu à prendre et les missions auxquelles j’ai participé, ont toujours été à cheval sur des problématiques liées au logement, au secteur du social, à l’économique, à l’éducatif, à la santé, au développement numérique, à l’insertion par l’économique ; ça donne une place intéressante.

D’une culture à l’autre, d’un dispositif à l’autre, on utilisait souvent l’expression « essayer de tordre un peu la tuyauterie administrative classique construite dans des édifices verticaux ». Le fait de définir des champs, cela sert à travailler, à avoir une posture, une cible, un objectif, etc. C’est utile, mais vouloir en

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faire un principe absolu, ça ne fonctionne pas. Et de fait, être dans un champ et dans des édifices verticaux ne peuvent pas empêcher une

certaine porosité avec les autres champs car les problématiques sont transverses. Il peut y avoir pour une personne des problèmes sociaux, de santé, d’emploi… mais en réalité tout est interconnecté, sa vie est un tout et il ne se pose pas des questions de transversalité.

La définition officielle, au plan administratif, des politiques transversales, en fait un domaine privilégié de l’Etat qui en

est le chef de file, comment percevez-vous ce rôle ?

Je pense que l’Etat est en proie, depuis au moins vingt ans maintenant à un travail d’élaboration de ce que doit être la définition de l’Etat. A une certaine époque, on a eu la sensation d’un Etat omniprésent, d’ailleurs cela se traduit encore par des réflexes type au niveau local quand quelque chose ne va pas, c’est que l’Etat n’y a pas mis les moyens. C’est cet Etat omnipotent qui est remis en cause, dans le cadre d’une bataille idéologique entre trop d’Etat ou pas assez d’Etat et où les tenants d’un Etat plus « light » tiennent pour l’instant le manche. Cela se traduit par des cures d’amaigrissement sous un objectif affiché de bonne gestion et surtout par des lois de décentralisation successives transférant de larges pans de ses prérogatives.

Dans ce contexte, on a un « chef de file » avec des moyens parfois restreints suivant les domaines et qui doit travailler avec des collectivités qui quelques fois concentrent dans ce même champ des capacités plus grandes. Pour l’Etat, la transversalité est aujourd’hui un enjeu de travail en bonne intelligence avec son environnement. Il y a aussi un enjeu politique de préservation de cet outil et un choix de société à faire quant à sa dimension. Parce que si la « pensée française », dans ce monde désormais ouvert, veut continuer à exister, sa littérature, sa langue, son angle d’attaque dans les questions du monde, il faut quand même avoir un Etat fort qui lui permette d’exister psychiquement et physiquement.

Vous êtes élu d’une ville et agent d’une collectivité départementale avec dans les deux situations, des responsabilités politiques ou opérationnelles, ce qui conduit inévitablement à vous poser la question de l’engagement dans des politiques à vocation transversale. Pour dire les choses autrement, les professionnels de ces politiques évoquent souvent de véritables difficultés de conviction des acteurs des politiques verticales dont la résolution nécessiterait un engagement quasi militant percutant la posture traditionnelle de la fonction publique. De plus, présenté comme inhérent à la réussite des politiques transversales, cet engagement reste souvent implicite voire pour ainsi dire anonyme et occulté.

C’est une chose de ne pas décrier son institution et son fonctionnement, c’est autre chose, d’entendre qu’une personne dans une situation professionnelle dans laquelle elle doit faire des choses, a besoin de dire ce qu’elle comprend de la situation, donner son analyse et que cela fait partie de la richesse qu’elle apporte. Ce qui va souvent créer des difficultés

dans les politiques transverses, c’est la question de base qui est psychique, c’est la place, la reconnaissance, le pré-carré, son propre pouvoir. Ce qui rend les choses implicites sur les questions de la conviction et de l’engagement et qui conduit souvent à une impasse dans les mobilisations transversales, c’est la non prise en compte explicite de cette dimension psychique.Je pense qu’à un moment donné « l’acteur vertical », défend SON champ, SON service, SON contrôle, etc. Il y a cette dimension qu’on ne lâche pas forcément ce que l’on estime être à soi, ce qui relève de sa souveraineté, « j’ai mon paquet de billes, je veux bien qu’on joue ensemble, mais mes billes ce sont mes billes. »

L’autre élément qui freine l’avancée collective vers un mode de travail collaboratif plus apaisé est l’irruption en très peu de temps d’un nouveau mode de gestion visant la rationalisation et la performance : le « management » public. Cette injonction soudaine à la performance provenant de l’extérieur constitue un choc culturel dans la fonction publique, elle déstabilise, fait peur et produit par la dévalorisation ressentie de la souffrance au travail. Assez rapidement les canaux de recrutement réduisent la promotion interne dans les structures et arrive de l’encadrement intermédiaire, plutôt jeune, plutôt très diplômé, et très à l’aise dans les problématiques de management, de performance, de reporting, d’optimisation, de gestion des risques, de ratios, d’indices, d’indicateurs d’évaluation, etc.

Dans ce contexte devenu inhospitalier pour les cadres et les agents inscrits dans des dispositifs verticaux aux modes de gestion traditionnels, les efforts liés à la protection et à la résistance peuvent figer le nécessaire travail d’élaboration psychique pour passer à autre chose et travailler en mode projet. C’est à dire de façon transversale avec l’ensemble des acteurs et des ressources en lien avec l’objet à travailler.

Vous pensez que cela vaut pour le technique comme pour le politique ?Je pense que oui. On voit le débat sur les métropoles. La principale opposition à ce projet c’est la crainte, assez justifiée, des élus locaux des territoires de perdre leur identité. On voit comment là aussi la méthode et la soudaineté de la décision entraînent un sentiment de non-respect de ce qu’est l’élu local, de ce qui constitue la base de son existence : le corps à corps quotidien avec les citoyens et la capacité sur la base de cette connaissance à réfléchir, agir et décider. Paradoxalement tous s’accordent sur la nécessité de repenser la gouvernance et le partage des compétences à l’échelle métropolitaine.

Les problématiques de gouvernance, de transversalité, de décision sont typiquement ce qui freine. Mais ce sont aussi des résistances psychiques, sur ma place, mon pouvoir, ma position locale face à l’envie de plus de place, plus de pouvoir des autres. Je pense qu’il faut avoir une approche psycho-politique et laisser le temps à l’élaboration mentale du changement dont je parlais précédemment.

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La problématique c’est celle de la difficulté d’inscrire le changement dans le long terme, c’est-à-dire qu’on est pressé, il faut que tout change vite. Chaque acteur qui a à voir sur la définition de la stratégie et/ou des politiques, veut y mettre sa patte, ses idées et avoir sa part de lumière, et est toujours en train de chambouler un peu la règle du jeu s’il le peut.Alors quand ça va trop vite, qu’on se sent agressé, ça fuit ou ça résiste et ça ralentit le processus. Au final là où on pensait gagner du temps, on en perd voire on bloque pour longtemps la dynamique qu’on pensait enclencher.

Il n’échappe à personne que tout ça doit se faire depuis la crise de 2008 à diminution constante des moyens réels perçus. Le contexte a une influence considérable. J’ai affiché dans mon bureau derrière moi, une voiture avec un personnage dedans, qui est dans une pente, c’est un dessin et ça s’appelle « l’influence du contexte », ça veut dire qu’on peut être dans une voiture, la même personne, la même couleur, etc. dans une ligne droite à plat, il ne se passera pas la même chose que dans une pente à 10%.

Y a t-il face à toutes ces difficultés de bonnes postures possibles afin de les surmonter ?Je pense qu’il y a des cadres et des responsables politiques qui ont des qualités humaines pour animer les équipes ou mobiliser des élus, il y en partout dans tous les milieux professionnels et dans toutes les collectivités j’entends. Et un des leviers, de mon point de vue, pour réussir une politique transversale, c’est aussi d’avoir des interprètes, des gens qui sont capables de comprendre une structure professionnelle, ses mots clés et de mettre ensemble d’autres messages issus d’autres structures pour aider à la production d’une compréhension commune, d’un partage d’analyse à même de déboucher sur des actions pensées et portées collectivement. Quand on est dans un champ professionnel et qu’on est toujours en train de traiter la même chose, incontestablement on voit la problématique de la transversalité de sa place avec ses propres codes de lecture et il y a nécessité de les croiser avec ceux des autres pour s’accorder et s’engager ensemble. L’Etat essaye d’ailleurs de le faire avec les politiques dites interministérielles, il faudrait le faire dans l’inter collectivité territoriale, il faudrait le faire dans l’inter politiques publiques.

Aujourd’hui il y a des staffs qui raisonnent et qui sont capables d’y parvenir, à force de connaître et de croiser les cultures. Mais si on ne reste que dans du management désincarné, on place les gens dans des réflexes d’autodéfense et on se prive de leurs points de vue, de leur implication et de leur intelligence.

En tant qu’élu, j’ai besoin de ne pas être tout seul, en tant que technicien, j’ai besoin aussi d’échanger sur la position politique, parce que si on avait la solution, si on avait raison, chacun dans nos champs, dons nos positions, on aurait résolu tous les problèmes. On est bien dans une dialectique de « working progress », de tâtonnements, d’échecs et de réussite.

Si je résume, je dirais ça : il faut des passeurs, des politiques transversales qui croisent forcément les édifices verticaux, pas simplement des moyens, des politiques, des budgets, mais des cultures professionnelles et des lectures partagées du monde.

Des professionnels-les s’interrogent…

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Approche transversale, quels enjeux, limites et méthodes ?

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Des professionnels-les s’interrogent …Par un collectif d’acteurs et d’actrices régionaux-les et inter-institutionnels-les

Cet article est issu des échanges d’un groupe de réflexion réuni en octobre et décembre 2012 à l’ARIFOR. Ce collectif composé d’acteurs et d’actrices régionaux-les et d’institutionnels-les s’inscrit dans la réflexion plus globale que l’ARIFOR a mené pour la thématique de la revue Formation & Territoire (n°15) consacrée à la définition et à la mise en œuvre des politiques publiques.

Cette rencontre visait plus précisément à s’interroger sur les méthodes de travail à conduire pour mettre en œuvre une politique publique transversale et à échanger autour des postures professionnelles.

En effet, comment les professionnels-les adaptent ou n’adaptent-ils-elles pas leur posture et méthode dans la mise en œuvre de ces politiques ? Y-a-t-il des pratiques professionnelles particulières, des méthodologies de travail spécifiques ?

Cette rencontre aura permis de collecter des informations à partir des témoignages et des pratiques des acteurs et actrices présents-es, nécessaires dans la réflexion collective que nous menons.

Le groupe a tenté de répondre à plusieurs interrogations en matière d’approche intégrée :1. Quelles sont les caractéristiques d’une politique transversale ? Qu’entend-on par

politique transversale ? Quels exemples de politiques transversales ? Politique de la ville, culture, prévention et lutte contre la toxicomanie, prévention des discriminations, politique jeunesse...

2. Quelles difficultés de mise en œuvre et quels obstacles ? Qu’est ce qui relève des pratiques professionnelles, personnelles, individuelles ?

3. Quelles postures professionnelles ? Voit-on apparaître de nouvelles compétences ? Comment passe-t-on d’une politique verticale à une politique horizontale ? Quel impact sur sa posture ? Quel changement cela implique-t-il ?

Cet article apporte des éléments de cadrage sur les politiques publiques transversales et propose également d’alimenter la réflexion à partir de l’expérience et des pratiques des acteurs et actrices présents-es.

A Une définition et des caractéristiques multiples

Suite à la loi organique (LOLF) du 1er août 2001 (levier de la réforme de l’Etat, puis de la révision générale des politiques publiques), le terme même de politique transversale fait l’objet d’une définition officielle en France.

Au sens strict, « une politique transversale est une politique publique interministérielle financée à un niveau significatif par l’Etat, identifiée par le Premier ministre, dont la finalité concerne plusieurs programmes relevant de différents ministères et n’appartenant pas nécessairement à une même mission. Pour chaque politique transversale, un ministre chef de file, désigné par le Premier ministre, a la responsabilité de coordonner les activités de l’Etat relevant des différents programmes concernés, en vue de favoriser l’obtention de résultats socio-économiques communs. Le programme relevant du ministre chef de file, de par les fonctions de coordination dont ce dernier est investi, peut donc comporter des objectifs transversaux, qui reflètent les effets conjugués des activités conduites par plusieurs programmes. Le ministre chef de file a également la responsabilité de produire un document de politique transversale (DPT), en vue du débat budgétaire, qui concrétise sa mission de coordination. Ce document décrit la stratégie globale de la politique transversale et présente, de façon structurée, les objectifs inscrits dans les différents programmes concernés qui la déclinent. Un objectif présent dans le DPT figure nécessairement dans un projet annuel de performances, l’intérêt du DPT étant de démontrer la cohérence entre les objectifs de différents programmes. »

Si dans cette définition le rôle de l’Etat est presque toujours mis en avant, chacun peut constater que dans la réalité la transversalité des politiques a une étendue nettement plus large. En particulier, les collectivités locales entretiennent des modes de coopération spécifiques avec l’Etat dans la conception et le suivi des schémas régionaux dont certains possèdent une dimension de plus en plus prescriptive. Corrélativement, les domaines, formes, organisations, efficacité et efficience des politiques transversales conduites sont questionnées par des systèmes d’acteurs très divers, à la fois dans leurs statuts, finalités, pratiques, moyens et interdépendances.

Au-delà de cette définition qui énonce le socle d’une politique publique transversale portée par l’Etat, les échanges ont permis d’identifier des caractéristiques multiples qui peuvent être qualifiées et classées, après analyse, en fonction des principaux types d’enjeux auxquels elles renvoient.

C’est ainsi que le groupe de travail a successivement été amené à s’intéresser aux raisons qui conduisent à l’élaboration d’une politique transversale, c’est à dire aussi à son usage, aux conditions préalables nécessaires de sa mise en œuvre, au management qu’elle requiert, aux cultures professionnelles qu’elle privilégie et aux impacts qui peuvent en être spécifiquement attendus.

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En termes de causalité et d’usage, le groupe a relevé que plusieurs raisons peuvent conduire à mettre en œuvre une

politique publique transversale. L’essoufflement d’une politique dite verticale ou le manque d’efficacité d’actions, qui sont éventuellement trop segmentées, peuvent être disjointes ou redondantes. Relevant déjà éventuellement d’un dispositif interministériel, elles doivent être en cohérence avec les autres politiques menées.

L’exemple de l’égalité femme/homme en fait un thème pionnier dans ce domaine.

« L’approche intégrée consiste en la (ré)-organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins

d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques.L’approche intégrée de l’égalité ne peut se substituer aux politiques spécifiques visant à redresser les situations résultant des inégalités entre les sexes. Les politiques traditionnelles en matière d’égalité entre les femmes et les hommes et l’approche intégrée de l’égalité sont des stratégies doubles et complémentaires et doivent être menées de pair pour parvenir à l’égalité entre les femmes et les hommes. »

Dans cette optique, les politiques publiques transversales tendent à améliorer la capacité d’agir tant des organisations que des individus qui les composent. Elles contribuent à une meilleure synergie entre le développement économique local et le développement social, et une meilleure appréhension des différentes stratégies sectorielles.

Mais leur réussite exige peut être encore plus, que pour les politiques dites verticales, la mobilisation d’une approche stratégique fondée sur la recherche de la prise de conscience de leurs enjeux, un engagement des hauts responsables concernés qui assure le portage politique du programme et des actions projetées ainsi que des ressources humaines et financières indispensables. Le portage politique est d’autant plus nécessaire à toute déclinaison des politiques publiques transversales qu’un des éléments essentiels de leur mise en œuvre tient à la place accordée aux processus de prises de décision. Ce type de politique conduit assez inévitablement à réorganiser partiellement les procédures, les moyens d’actions, les responsabilités et les compétences des différents acteurs concernés, de manière à intégrer la thématique transversale dans toutes les sphères de l’organisation.

Cela suppose de déterminer le mode de gouvernance, la manière dont s’exerce le pouvoir et en arrière plan, les options les plus adéquates en matière de pilotage concerté et partenarial, de synergies et d’optimisation des moyens mis à disposition.

Les politiques publiques transversales supposent aussi de repenser les techniques de management de projets qui touchent à la fois l’ensemble de leur propre organisation et celles des différentes structures qui y participent. Elles interrogent simultanément les

cultures professionnelles en présence, en termes d’acculturation de pratiques partagées et/ou complémentaires, de respect de l’identité de chaque institution, de connaissance et de prise en compte de leurs contraintes respectives.

Les échanges ont mis en avant l’efficacité et l’efficience d’une politique transversale, la possibilité d’innover et de toucher un certain nombre d’acteurs-trices, dès lors qu’elle est opérationnelle. L’impact sera théoriquement et nécessairement plus grand sur l’environnement puisqu’elle touche une pluralité d’acteurs et d’actrices en lien direct avec la thématique mais aussi les sphères sociales, économiques, environnementales. Mais cette mesure d’impact suppose de pouvoir réaliser une évaluation fiable et consistante de la politique engagée. Il s’agit, pour cela de définir clairement ses objets, de se mettre d’accord sur le socle commun de définition et de compréhension de la politique et de s’accorder sur un référentiel pertinent pour traiter la question. C’est un quasi préalable à sa mise en œuvre.

A Des difficultés spécifiques à résoudreLes difficultés identifiées par les participants-es du groupe de travail, en lien avec les caractéristiques précédentes, apparaissent à la fois diverses et nombreuses. Elles relèvent, de façon synthétique, de quatre domaines principaux :

n L’adhésion et l’engagement effectifs des acteurs : les participants-es du groupe soulignent que la réussite et la maintenance de la mobilisation des acteurs-trices conditionnent grandement la mise en œuvre d’une politique transversale. Elles et ils ont d’ailleurs souvent le sentiment de passer beaucoup de temps à mettre tout le monde autour de la table pour définir un objectif commun. Or, il apparait pourtant essentiel avant de s’engager dans une politique transversale, de s’accorder sur ce dont on parle. Confronté à d’autres cultures professionnelles, il est nécessaire pour chaque acteur-trice, d’être en situation et en capacité de déconstruire ses propres représentations afin d’appréhender la thématique transversale dans une plus grande sûreté.

n La bonne approche stratégique : afin de définir une stratégie partagée et commune réciproquement, décliner une politique transversale nécessite aussi de respecter les identités et le fonctionnement des autres acteurs et actrices. Or, l’élaboration d’une stratégie n’est pas évidente. Chaque organisation est relativement différente de l’autre et en interne n’est pas complètement homogène. Ainsi, dans une collectivité, la stratégie des élus-es et celle des techniciens-nes ne seront pas toujours immédiatement uniformes et l’une des difficultés, fréquemment évoquée, va alors s’apparenter aux modalités et à la temporalité de cette conciliation et des ajustements intra et interinstitutionnels correspondants. Autrement dit aussi, dans la collectivité, quel sera le niveau opérationnel optimal d’arbitrage ? Selon les situations, au plan politique, dans la hiérarchie

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des services, qui remplira cette mission ? Sera-t-elle rattachée à la direction générale des services ? Qui aura l’autorité pour mener la politique transversale ? Qui sera le ou la pilote ? Autant de questions qui rendent éminemment difficile la reconnaissance de la mission d’animation de la thématique transversale, sa visibilité dans l’organisation et son portage politique.

Chaque situation locale étant singulière, il faut nécessairement s’adapter aux jeux d’acteurs en trouvant des « complices », des « passeurs », des « alliés-es ». La conduite

de projet peut alors se faire en marchant, plus ou moins vite, en s’adaptant aux problématiques et en infléchissant la mise en œuvre des orientations suivant

les attentes des partenaires.

n La prise en compte des contextes et des temporalités : agir pour une politique transversale suppose d’identifier l’échelle de territoire d’intervention pertinente. Selon le cas, il peut s’agir du niveau local (bassins) et/ou intercommunal, voire infra-communal, comme par exemple dans le cadre d’opérations de rénovation urbaine, mais aussi

d’une échelle départementale ou régionale.

De plus, décliner une politique transversale ne se fait pas sans prendre en compte la mouvance politique locale du territoire, les échéances électorales etc.

Mener une politique transversale suppose aussi de s’inscrire dans la durée. Tous les acteurs-trices ne fonctionnent pas selon la même temporalité. Les systèmes d’acteurs sont complexes. Certains-nes professionnels-les risquent de changer d’affectations, d’autres, nouveaux dans leurs fonctions, de demander des explications supplémentaires ou sont même susceptibles de remettre en cause certains aspects des démarches engagées précédemment qu’ils ou elles n’ont pas suffisamment partagées. Il importe donc que les animateurs et animatrices des politiques transversales, soit aient un bon niveau de connaissance et de maitrise des contextes d’action de chacun des partenaires, soit, que les synergies d’organisation et de fonctionnement des dispositifs mis en place permettent d’assurer une bonne articulation temporelle des modes respectifs d’intervention et la continuité des orientations et des actions engagées. De même, lorsque l’on s’inscrit dans la réalisation d’une politique transversale, il faut tout particulièrement accepter de prendre du temps, tout en restant dans un cadre réaliste de mise en œuvre et d’évaluation de la politique.

n L’intégration de la politique transversale : par nature, une politique transversale doit, en effet, être du mieux possible intégrée dans son environnement politico-administratif. Les échanges dans le groupe ont permis de préciser l’intérêt d’établir des liens avec les politiques publiques de droit commun. Cette approche étaye la légitimité des collectivités mais aussi de l’Etat à mettre en place des actions transversales en les intégrant dans les politiques locales menées, tout en veillant à réduire les risques de mise en concurrence des politiques verticales et transversales. Il s’agit en revanche, de rester vigilant quant à la visibilité de la politique transversale dans les organisations qui y participent et dans leur environnement. En effet, sous couvert de la transversalité, le

risque est de constater une dissolution du sens de cette politique dans le temps et dans les actions effectives.

A De nouvelles postures : fonction ou métier ?

Le passage de l’animation de politiques verticales à celle d’une politique transversale, exige pour les professionnels-les qui en ont la charge, le développement de nouvelles postures ou, a minima, d’attitudes adaptées à ses caractéristiques et à ses difficultés spécifiques. Ces comportements constituent en quelque sorte, un « idéal référentiel » de la fonction d’animateur-trice de politique transversale. Ils ne sont pas exclusifs de ces politiques mais y revêtent une acuité particulière.Les acteurs-trices travaillant sur la mise en place des politiques transversales ressentent et expriment souvent un sentiment d’isolement. Ils et elles déplorent que les actions soient fréquemment portées par un seul-e acteur-trice et considérées comme non prioritaires.Corrélativement à ce premier constat, plusieurs thématiques des politiques transversales, comme notamment l’égalité femme/homme ou la lutte contre les discriminations, leur apparaissent considérées par les autres comme des thèmes du ressort du militantisme. Dès lors, s’engager dans ces politiques revient-il à militer ? Il importe, en l’occurrence, de ne pas confondre engagement et militantisme.S’engager, c’est prendre conscience des enjeux et en l’occurrence, la posture la plus juste est alors trouvée à la réunion d’une éthique et d’une technicité professionnelles de l’action. Les enjeux de sensibilisation et de conviction, portés par les politiques transversales renvoient tout particulièrement, à l’exigence d’une telle posture.Parmi les autres compétences à réunir, il semble souhaitable que les professionnels-les engagés dans l’animation des politiques transversales disposent bien sûr, d’une expertise sur la thématique concernée, comme ils ou elles pourraient l’avoir sur telle ou telle politique verticale car c’est, en partie, sur ce socle de connaissances, de diagnostic des situations, de maitrise des actions possibles et de leur évaluation, de veille des évolutions que leur légitimité se construira et sera reconnue. Mais il est aussi important, voire indispensable, qu’ils ou elles soient de bons généralistes des organisations et des fonctionnements de l’action publique.L’analogie avec le chef d’orchestre, qui va rendre cohérent le jeu de l’ensemble des musiciens, leur imprimer une pulsation et un rythme communs, équilibrer les différentes masses, a été effectuée à plusieurs reprises par des participants-es du groupe. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle questionne la place et la capacité d’agir de l’animateur-trice d’une politique transversale, d’orienter l’interprétation de la thématique, par les acteurs-trices concernés-es, dans l’environnement et au vu des obstacles, des freins ou des écueils susceptibles d’être rencontrés, tout en restant à son service.Si sa liberté de créer est incontestablement limitée, contrairement, en général, à celle du chef d’orchestre, par sa

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Des confrontations au réel

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position dans sa propre institution et par les compétences et les attributions des autres acteurs, il n’en demeure pas moins que le ou la professionnel-le, en charge d’une politique transversale, doit pouvoir remplir une fonction essentielle de traduction, de négociation, de « surcodage » et de réinvestissement de leurs intérêts, de leurs codes institutionnels, culturels ou professionnels. Dans cette optique, les politiques publiques transversales doivent montrer notamment en quoi elles servent aussi les politiques verticales en présence.

Deux autres qualités s’avèrent, enfin, fortement recommandées.La première tient à une compétence élevée en matière d’ingénierie et de gestion de projet, ne serait-ce que pour prendre en compte, de manière efficiente le nombre important d’acteurs et donc de « transactions », impliquées dans la politique transversale : diagnostics et évaluations partagés, contractualisations, pilotage et suivi, administration des programmes etc. La seconde posture réside dans le rôle moteur et de force de propositions que peut jouer l’animateur-trice auprès de sa structure et de sa hiérarchie. Elle est d’autant plus importante dans sa dynamique, qu’elle est à la fois porteuse de crédibilité et d’exemplarité mais que, réciproquement, elle est aussi engageante et exigeante pour l’institution.

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1La France se caractérise par un faible taux d’emploi des seniors (41,5% des 55-64 ans en emploi d’après l’enquête emploi de l’INSEE en 2011).

Les exemples ne manquent pas pour évoquer les différentes modalités d’intervention publique et analyser leur impact sur les sujets, thématiques ou populations visées. De nombreuses questions restent en suspens – et récurrentes – sur les modalités de constructions de telles politiques, de mise en œuvre opérationnelle, sur les enjeux, les leviers et contraintes…

Comme sujet de réflexion en matière de politique publique, nous pouvons nous interroger ensemble sur ce qui se fait en matière de « seniors ». Le senior est un objet de convoitise, d’interrogation, source de problématiques selon l’acteur qui en parle et du coup, est un exemple de politique « transversale ».

Le « senior » est un terme générique largement utilisé et relayé dans les médias comme dans des documents officiels mais avant toute chose, il est indispensable de définir et de qualifier ce qu’on entend par senior. Ainsi, si on se réfère à un dictionnaire usuel tel que le « Larousse », le senior est étymologiquement issu du latin. Il signifie « plus âgé ». Si on se

réfère à la pratique sportive, il s’agit du concurrent qui a dépassé l’âge limite des juniors (20 ans pour la plupart des fédérations sportives) et qui n’est pas encore vétéran

(moins de 45 ans en général). Là où le bât commence à blesser, c’est lorsqu’on recherche une définition « officielle ». En effet, l’utilisation du terme même

« senior » a évolué ces dernières années et du coup, dans les textes officiels, l’âge à partir duquel on devient « senior » change. Alors qu’au départ, ce terme désignait les publics dits « retraités », de nouvelles catégories sont apparues au sein de l’activité professionnelle. Selon les sources, il est ainsi fait allusion (référence) : aux personnes âgées de 45 ans et plus, de 50 ans et plus, de 55 ans et plus, de 57 ans et plus. Le plan gouvernemental

d’action, il y a quelques temps, fait référence aux plus de 50 ans ; dans le contrat de génération, il est question des 57 ans et plus.

On s’aperçoit dès à présent que le sujet du « senior » est du coup un sujet complexe

Par Frédéric ZANTE, directeur de l’Aract Champagne-Ardenne

qui met en œuvre différents types d’acteurs-trices, mobilise diverses institutions et donc plusieurs ministères parmi lesquels le ministère de l’Emploi mais également la santé, les loisirs, le logement… Les clés d’entrée pour aborder les actions ne manquent pas et pour assurer une cohérence d’ensemble, une politique transversale est utile pour intervenir au profit de cette population.

Je vous propose, chère lectrice, cher lecteur, de nous intéresser d’une manière concrète à cette question de transversalité en regardant ce qui se passe au niveau de la région.Du côté des acteurs institutionnels mettant en œuvre des politiques publiques nationales, on a en premier lieu le Préfet de région (et les préfets départementaux) auprès de qui on retrouve la DIRECCTE et autres représentations de l’Etat ; sur délégation et déconcentration des missions d’Etat, on va retrouver le Conseil régional et les Conseils généraux. Sur des missions spécifiques, vont se rajouter différents types d’acteurs tels que Pôle Emploi, l’AGEFIPH et les « Cap Emploi », les collectivités territoriales avec en premier rang les communes… Sur des intérêts plus particuliers ou d’ordre économique, culturel, etc., nous retrouvons les chambres consulaires, les partenaires sociaux… Bref, il ne s’agit pas ici de dresser une liste exhaustive car ce serait vite une gageure d’autant qu’il faudrait évoquer les associations œuvrant sur des problématiques ou sujets précis.On arrive à un premier niveau de questionnement sur la coordination de ces différents acteurs et actrices qui interviennent à des niveaux très variés, à des moments particuliers, et sont mobilisables selon des contextes précis. N’y a-t-il pas un risque d’éparpillement des moyens et des ressources disponibles et une perte d’efficacité dans certains cas ?

Ont été cités à l’instant des acteurs et actrices mais sur quoi interviennent-ils/elles concrètement ? Quels sont les champs, les objets de politiques publiques déclinés en région justifiant de cette transversalité ?

En nous intéressant tout simplement à l’actualité, aux sujets retrouvés dans nos médias nationaux ou régionaux, nous pouvons déjà citer :

A Le volet emploi Les questions du maintien dans l’emploi (et la prévention de la désinsertion professionnelle) ou de la reprise d’emploi1, derrière ces questions se profilent celles de la sécurisation des parcours professionnels et la gestion de fin de carrière.

A Le volet santéIl s’agit ici de tout ce qui a trait à la prévention de la pénibilité, l’aménagement des postes de travail et du coup, un lien se fait avec la sécurisation des parcours professionnels et la gestion des fins de carrière.

A propos de politique transversale : l’exemple des actions en faveur des seniors

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2 On peut pour le caractériser évoquer l’enjeu des reprises d’activités (entreprises, baux commerciaux…) au départ en retraite de leur titulaire

Un aparté à cet instant : pour renforcer l’aspect crucial de ces sujets emploi et santé et montrer qu’ils sont clairement liés, il faut évoquer les enjeux liés à l’allongement de la carrière professionnelle et une nouvelle réforme des retraites à venir.

A Le volet socialJ’évoque ici pêle-mêle les aides sociales, les aides au logement, l’assistance à personnes dépendantes… Cela peut effectivement paraître réducteur mais approfondir tous ces sujets d’importance aurait pour effet de produire un article de taille encyclopédique.

A Le volet loisirsLa population « senior » est une cible économique intéressante pour bien des acteurs-trices. En effet, elle intéresse celles et ceux qui sont sur le champ du bien-être, de l’épanouissement personnel mais également les acteurs-trices des loisirs (bricolage, jardinage qui viennent spontanément à l’esprit mais ne pas oublier les « voyagistes » et autres « tours operators »).

Cet article ne prétend pas couvrir toute la thématique mais balaye un certain nombre d’enjeux et n’en témoigne pas moins de la réalité d’un véritable sujet de politique transversale.

En effet, la thématique « senior » fait l’objet de politique emploi (rentrant dans le champ de la DIRECCTE dans ses pôles « travail », « emploi » ou « mutations économiques2» mais également de Pôle emploi). Les indicateurs en terme de reprise d’emploi, de signature de contrats de génération sont suivis de très près tant au niveau régional par le Préfet que par le ministre en charge de cette question… Les acteurs et actrices du service public de l’emploi (SPE) sont donc largement mobilisés-es !Mais ce type de politique fait également l’objet de politiques publiques spécifiques dans le cadre des Plans de santé publique (politique hospitalière, des maisons de retraites… suivi par l’ARS – Agence régionale de santé en charge de la coordination des politiques de santé

publique) mais également de santé au travail (avec l’implication de ceux que l’on nomme les « préventeurs » : services de santé au travail, GAS BTP, OPP-BTP,

MSA, CARSAT, ARACT… et DIRECCTE à nouveau, car en charge de ce volet spécifique dans le cadre du Plan Régional de Santé au Travail 2

(PRST 2)).

Le volet social n’est pas oublié avec le suivi de tout ce qui se fait en matière de services à la personne, de logement, d’aides sociales et pour lesquels différents ministères et institutions sont largement sollicités.

Les activités de loisirs et tourisme viennent compléter – sans achever le sujet – ce panorama.

Arrivé à ce moment de l’article, je vous propose de tirer quelques éléments permettant de caractériser une politique transversale :

n Les clés d’entrée pour appréhender un sujet tel que celui des seniors sont multiples : l’emploi, la santé, l’accessibilité aux loisirs ou à la culture, aux nouvelles technologies, etc. L’objet d’une politique transversale est donc pluriel, complexe, protéiforme.

n Les enjeux sont nombreux car ayant des impacts en termes économique, social, de santé, de cohésion d’ensemble… Il y a un niveau stratégique incontournable nécessitant une action publique.

n Il est nécessaire d’associer vision d’ensemble et pragmatisme : en effet, de par le nombre d’actions nécessaires et l’aspect temporel à ne pas négliger (au regard de ressources toujours par définition mesurées, même au regard d’un pays), il est indispensable de faire preuve de réalisme, d’un « pragmatisme éclairé », c’est-à-dire mettre en œuvre des actions ayant suffisamment de sens pour mobiliser les acteurs-trices concernés-es durablement au vu de résultats escomptés mais à l’aune des moyens pouvant être sollicités :

l Il faut du coup un pilote dans l’avion, c’est-à-dire celui qui a le plan d’ensemble et qui décline auprès des acteurs les actions « concertées » de chacun d’entre eux pour assurer cohérence d’ensemble, éviter la dispersion, la redondance et la concurrence.l Il faut laisser au temps le temps et derrière évaluer, superviser, contrôler pour rectifier le tir, corriger les erreurs et tenir le cap imparti.l Tout cela s’appuie au départ par un diagnostic rigoureux et partagé de la situation permettant de proposer et de définir le plan d’action.

Pour tenter d’apporter une conclusion, une politique transversale est un exercice délicat qui nécessite savoir-faire, doigté pour faire partager une vision, favoriser le travail d’acteurs et d’actrices parfois concurrents-tes, qui ne se comprennent pas toujours de par leur positionnement, champ d’action, rôle…, aider à lever les blocages et freins qui ne manquent pas et sont même accentués dans le cas d’une telle politique. Pragmatisme éclairé, psychologie sont deux éléments clés à garder en mémoire.

L’exemple des « seniors « conforte également l’enjeu à utiliser un tel levier dans un contexte de mutations de la société dans son ensemble.

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Le plan régional d’insertion des travailleurs handicapés de Champagne-Ardenne, un exemple de transversalité

Par Pascal CLARKE, directeur de PRACTHIS et coordinateur du PRITH Champagne-Ardenne

Les plans régionaux d’insertion des travailleurs handicapés (PRITH)1 s’installent progressivement depuis 2010 sur l’ensemble du territoire national. Politiques transversales dans un sens élargi, elles impliquent notamment des services déconcentrés de l’Etat, des acteurs du service public, des collectivités territoriales et des gestionnaires de fonds.

Par conséquent, la pluralité des acteurs concernés, la diversité des publics visés comme l’amplitude des thématiques à traiter en font un dispositif ambitieux auquel il n’est pas aisé de donner aussi bien du sens que du corps.

La Champagne-Ardenne a été en 2009 parmi les toutes premières régions à s’engager sur la mutation des précédents programmes départementaux d’insertion des travailleurs handicapés en un plan régional. Elle propose aujourd’hui une configuration exemplaire à plusieurs titres de ce que peut offrir une politique transversale au bénéfice de l’emploi des personnes handicapées.

A Un PRITH qui se construit dans l’actionLà où certaines régions ont privilégié un diagnostic approfondi en amont de l’élaboration du plan, répondant à la méthode préconisée par la DGEFP, la Champagne-Ardenne a préféré réduire cette phase à un exercice minimum pour être rapidement dans l’action.

Un plan en 18 priorités et 36 actions2 a ainsi été dégagé des 5 axes prioritaires - les 4 axes traditionnels du PRITH auxquels a été ajouté un axe de communication et de professionnalisation.Pour autant, le PRITH n’a pas négligé l’analyse des besoins, mais cette approche a été intégrée au plan d’actions et ciblée sur certaines problématiques. Un diagnostic spécifique a été réalisé sur la thématique du maintien dans l’emploi, et des actions d’analyse des besoins ou d’état des

lieux ont été initiées, par exemple sur l’accès des personnes handicapées à la formation ou à l’insertion par l’activité économique ou encore sur les accords d’entreprises dans le champ du handicap. Ce type d’approche permet ainsi d’enrichir le diagnostic de manière itérative et de l’éprouver au fur et à mesure de l’avancée des travaux.Parallèlement, le comité de pilotage a souhaité ajouter une dimension d’aide à la décision et au pilotage à la démarche d’élaboration des indicateurs du plan régional, attendue pour tous les PRITH. Dans cette perspective, le tableau de bord réalisé en Champagne-Ardenne a évolué en 2012 vers un traitement plus qualitatif que quantitatif.

A Un pilotage et une coordination partagésDans la circulaire DGEFP de 2009, le pilotage des PRITH repose pour l’essentiel sur l’organisation d’une instance régionale. La plupart des régions y ont ajouté une instance plus technique ayant la charge de traduire les orientations du comité de pilotage de manière opérationnelle. Toutefois, certaines régions ont conservé le principe d’instances départementales dont les prérogatives vont de l’organisation du partenariat sur le département à la proposition de plans d’actions locaux.

Les Plans régionaux d’insertion des travailleurs handicapés font suite aux programmes départementaux mis en place en 1991, d’abord sur 20 départements pilotes, puis généralisés en 1994 sur l’ensemble des départements3.

Un PRITH vise aussi bien des personnes à insérer ou à maintenir dans l’emploi que des employeurs à mobiliser. Il s’adresse également aux acteurs des PRITH eux-mêmes, quand il s’agit notamment de soutenir leurs coopérations.

La circulaire DGEFP 2009-15 du 26 mai 2009 résume ainsi ce qu’est un PRITH : le plan régional d’insertion professionnelle des travailleurs handicapés est un document écrit unique et partagé. Il comprend la totalité des actions mises en œuvre par le service public de l’emploi élargi et ses partenaires qui contribuent à l’insertion des travailleurs handicapés. Le PRITH

prend ainsi une dimension globale et intégrée : un seul diagnostic, des objectifs partagés, un seul plan d’action, une évaluation concertée. (...) Ainsi conçu, le plan d’actions doit s’assurer de la complémentarité des interventions des différents acteurs.

Les PRITH ont à présent une clef d’entrée régionale, niveau jugé le plus pertinent pour conduire ces politiques, même s’ils conservent des déclinaisons locales (départementales ou infra départementales). Ils sont structurés autour de 4 thématiques principales : l’accès à la formation professionnelle, l’accès à l’emploi, la sensibilisation des employeurs publics et privés et le maintien dans l’emploi.

L’instance décisionnelle du PRITH est un comité de pilotage présidé par le Préfet de région, qui réunit, outre l’Etat et l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), le Fonds pour l’insertion des personnes

handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), Pôle emploi, le Conseil régional, les Conseils généraux et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ainsi que l’Agence régionale de santé (ARS).Le comité de pilotage s’assure de la coordination et de la cohérence de son action avec d’autres instances (pilotage des Cap emploi, de la formation professionnelle, des actions en direction de la fonction publique, etc.). La coordination du PRITH, thématique et/ou transversale, est assurée par un ou plusieurs acteurs institutionnels (avec une logique de «chefs de file») et/ou par une prestation ad hoc, financée par voie d’appel d’offres.Les PRITH sont depuis juillet 2011 inscrits dans le code du travail, qui stipule que tous les cinq ans, le service public de l’emploi élabore, sous l’autorité du représentant de l’Etat dans la région, un plan régional d’insertion des travailleurs handicapés.

Les PRITH

3 Il faudra cependant attendre 1999 pour qu’une circulaire en définisse le cadre d’organisation.

1 Voir encadré ci-contre2 A titre d’exemple : prospection concertée des employeurs, accompagnement renforcé vers la formation, appui aux réseaux d’accompagnement à la création d’activité, évaluation des besoins des personnes handicapées en phase d’orientation, organisation d’événements sur le handicap et l’emploi, etc.

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36 Formation & Territoire - n° 15 Formation & Territoire - n° 15 37

La question de la coordination de la politique sur les différentes thématiques - formation, emploi, sensibilisation des entreprises et maintien dans l’emploi - est quant à elle moins évidente : faut-il privilégier une approche transversale ou au contraire une entrée thématique ? Faut-il internaliser complètement la fonction ou avoir recours à une prestation externe ?De ce point de vue, on a 2 grands types d’organisation des PRITH dans les régions :

n Des PRITH à coordination plutôt transversale, qui ont recours à une prestation externe, généralement copilotée par l’Etat et l’AGEFIPH.n Des PRITH à coordination plutôt thématique, en particulier sur le champ de la formation et du maintien dans l’emploi. La coordination sur les autres thèmes est pilotée directement par l’Etat, qui assure également la coordination transversale. Toutefois, une variante existe sur ce type de PRITH : en plus de coordinations thématiques externalisées, le comité de pilotage s’appuie également sur une prestation de coordination transversale.

La Champagne-Ardenne propose quant à elle une organisation spécifique : le pilotage, bien qu’organisé comme les autres PRITH autour d’un comité régional, est décliné également au niveau de chaque action conduite au titre du PRITH. Un représentant des institutions ou des partenaires4 est de ce fait impliqué sur le pilotage d’une ou plusieurs actions qui entrent dans son champ de compétences ou d’intérêt. Certaines actions sont pilotées en binômes, quand les moyens à mobiliser le nécessitent, par exemple le Conseil régional et l’AGEFIPH pour l’impulsion d’une politique concertée de formation des travailleurs handicapés.Cette organisation permet de mieux partager le pilotage, facilite l’appropriation des orientations par l’ensemble des acteurs et favorise leur pleine implication jusque dans la coordination des actions. Associés au plus tôt, ils apportent une expertise dans l’élaboration même des stratégies à mettre en œuvre.Le comité de pilotage s’est adjoint également le concours d’une prestation de coordination externalisée, mais celle-ci intervient plutôt comme facilitateur, au niveau interinstitutionnel ou opérationnel. Cette intervention se traduit par des éclairages sur des expériences conduites dans d’autres régions, des apports méthodologiques sur certains travaux, un appui dans le traitement des données ou de l’information, ou encore dans l’organisation d’événements...Au niveau du pilotage thématique, le PRITH de Champagne-Ardenne s’appuie sur les instances existantes en matière d’emploi ou de formation, notamment le Comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle (CCREFP). Il installe, à compter de 2013, une commission maintien dans l’emploi, car il n’existe pas d’instance «naturelle» pour traiter de cette thématique éminemment transversale. Des liens sont cependant recherchés avec certaines politiques proches comme par exemple le plan régional santé au travail (PRST).

A Un engagement formalisé pour des réalisations concrètes

Cet engagement des acteurs champardennais a été formalisé dans un accord-cadre signé à la Préfecture de région en novembre dernier. Dix-sept institutions ont déjà signé le plan, parmi lesquelles on retrouve des partenaires sociaux. L’accord cadre a été d’ailleurs soumis également pour avis, en amont de la signature, à la Commission paritaire interprofessionnelle régionale de

l’emploi (Copire). Outre les membres du comité de pilotage, le PRITH de Champagne-Ardenne associe à la démarche des partenaires tels que l’ARIFOR, les missions locales, des OPCA, des associations de personnes handicapées, etc.

Fruit de deux années de travail avec les institutions concernées, cet accord cadre, le premier du genre en ce qui concerne les PRITH, permet de dépasser le seul formalisme de l’élaboration du plan pour créer une dynamique partenariale autour de constats, d’objectifs et d’une organisation partagés.

Cet accord cadre contribue ainsi à donner corps au PRITH, sans pour autant perdre de vue la nécessité de traduire les engagements en réalisations concrètes.En effet, pour chaque PRITH, l’enjeu est de pouvoir démontrer sa plus-value du point de vue de l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés. Or l’évaluation de l’impact des actions mises en œuvre sur l’évolution de la situation des personnes handicapées reste délicate. Le choix des indicateurs de résultats, action par action, doit être en amont mûrement réfléchi.Mais c’est également dans la nature des réalisations que les PRITH doivent démontrer leur bien-fondé, concrétiser l’idée de faire «mieux et plus» pour l’emploi des personnes handicapées.Dans cet esprit, le PRITH de Champagne-Ardenne a inscrit dans son plan d’actions une forte dimension projet : expérimenter des dispositifs ou prestations5 sur les différents champs d’intervention du PRITH.

A cette fin, les partenaires du PRITH, en particulier les décideurs, se retrouvent autour de la table pour travailler ensemble sur l’élaboration de cahier des charges et le montage financier de projets innovants. Cette démarche traduit le souci de construire au sein du PRITH, qui va de pair avec celui de mieux connaître et d’améliorer l’existant.

Les PRITH ont ceci de particulier, à la différence de nombreuses politiques publiques, de n’avoir ni cœur de cible défini, ni dispositif ou mesure dédiés. En effet, un PRITH n’a pas de moyens propres, il s’appuie sur des mesures et dispositifs pré existants, pilotés par chacune des institutions appelées à rejoindre le PRITH. Les financements dédiés couvrent pour l’essentiel les besoins liés à la coordination du PRITH.

Aussi, la transversalité du PRITH repose sur deux principaux enjeux :n Agréger les moyens de l’ensemble des institutions qui le composent.n Coordonner son action avec d’autres politiques publiques qui ont légitimité à traiter de la question du handicap et de l’insertion professionnelle6.

De ce fait, l’organisation du PRITH joue un rôle essentiel dans sa capacité à mettre en œuvre une transversalité effective et durable, tout en créant sa propre valeur ajoutée.Le PRITH champardennais a su créer de telles conditions, grâce à une implication des acteurs à tous les niveaux de décision comme de conception du plan.

5 Par exemple, l’expérimentation d’un parcours d’accompagnement renforcé vers la formation, l’élaboration d’une prestation de remobilisation de salariés malades pendant l’arrêt de travail ou encore la régionalisation d’un dispositif local de formation par l’alternance de personnes handicapées ayant des difficultés d’apprentissage.6 Par exemple les pactes territoriaux d’insertion pour les bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé (AAH) ou les schémas départementaux des personnes handicapées pour les ressortissants d’établissements médicosociaux, pour ne citer que celles-ci.

4 Pôle emploi, Cap emploi, Conseil régional, Agefiph, Maison départementale des personnes handicapées, Assurance maladie (service social régional ou caisse primaire), des représentants de l’Etat, etc.

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La lutte contre l’illettrisme : une politique transversale ?Par Marie-Liesse NIMIER, animatrice régionale du centre ressources illettrisme Champagne-Ardenne GIP Arifor

La situation d’illettrisme renvoie généralement à un vécu, à une histoire personnelle difficile et compliquée et pèse généralement sur la vie et le parcours individuel de la personne concernée. Ainsi, pendant longtemps, la problématique de l’illettrisme s’est trouvée éloignée des préoccupations et des priorités des gouvernements et des institutions car on considérait que c’était « faire du social ».

Néanmoins, depuis quelques années, cette question de l’illettrisme est entrée de plus en plus dans la sphère économique car elle semble influer sur le développement des territoires. Le contexte économique actuel marqué par un environnement de concurrence, implique, pour les entreprises, la nécessité d’être de plus en plus stratégiques et performantes avec une production et des services orientés innovation, qualité, moindre coût. Dans les organisations du travail, la nécessité de développer des compétences spécifiques et pointues devient indispensable et on comprend alors d’autant plus que la lutte contre l’illettrisme puisse représenter un enjeu de compétitivité économique.

Cette évolution concernant l’intérêt porté à la question de l’illettrisme a suivi la fluctuation des représentations sociales qui ont qualifié, au fil du temps, ces situations de difficultés.C’est avec le mouvement ATD Quart Monde1 que l’on a tout d’abord associé illettrisme à pauvreté et exclusion sociale avec une vision misérabilisme2 . Puis, la situation d’illettrisme a été largement perçue comme une situation de défaillance individuelle proche de la maladie, de carence cognitive ou fonctionnelle ou encore comme une certaine débilité.

L’illettrisme a aussi souvent été confondu avec des formes de résistance ou d’opposition au langage écrit qu’elles soient collectives (pour des raisons culturelles) ou individuelles (en cas de problème ou de souffrance face à l’école). Enfin, l’illettrisme a largement interrogé l’organisation du travail puisqu’à partir des années 1980, des ouvriers considérés spécialisés ont été petit à petit déqualifiés puis disqualifiés3 en raison des évolutions technologiques.

Aujourd’hui, l’usage courant d’Internet et des outils de communication évoque l’idée de fracture numérique. L’illettrisme représente dorénavant un frein pour la compétitivité économique et on l’associe aisément à chômage.L’illettrisme est donc un phénomène de société qui existe depuis longtemps et dont la définition a été stabilisée.

A Qu’est ce qui justifie la lutte contre l’illettrisme comme politique transversale ?

Elle peut s’expliquer par :

• Un caractère temporel : l’illettrisme est une réalité constante qui se déroule et se maintient dans le temps même si elle a pris des formes variées et des vocables variables comme évoqué ci-avant.

• Un aspect quantitatif : l’illettrisme est un fléau de masse qui ne concerne pas que quelques individus mais qui touche, en France, plusieurs millions de personnes quels que soient leur âge et leur statut.

En France métropolitaine, les derniers chiffres donnent 2,5 millions de personnes adultes (de 18 à 65 ans) en situation d’illettrisme soit 7 % de la population dont

51 % 10 % 17,5 % 13,5 % 8 %

Dans l’emploi Au chômage A la retraite En formationou en inactivité Au foyer

(Source : enquête INSEE Information et Vie Quotidienne en 2011-2012)

En région Champagne-Ardenne, ce sont 100 000 adultes qui sont concernés soit 13 % des 18-65 ans qui sont en difficulté avec les savoirs fondamentaux. (Source : enquête INSEE Information et Vie Quotidienne 2004-2005)

• Une dimension plurielle : l’illettrisme est une problématique collective qui a été investie par une multiplicité d’acteurs (formateurs-trices lutte contre l’illettrisme, animateurs-trices de l’accompagnement à la scolarité, psychologues, orthophonistes, conseillers-ères des missions locales, conseillers-es des OPCA, travailleurs sociaux, bibliothécaires, enseignants-es spécialisés, etc.) avec des formes de coopération plus ou moins étendues.

• Un processus d’institutionnalisation : l’illettrisme représente un enjeu socio-économique suffisamment important pour que cette problématique conduise différentes

4 Selon l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI), on parle d’illettrisme pour des personnes qui, après avoir été scolarisées en France, n’ont pas acquis une maîtrise suffisante de la lecture, de l’écriture, du calcul, des compétences de base, pour être autonomes dans les situations simples de la vie courante. L’illettrisme est à distinguer de l’analphabétisme (personnes jamais scolarisées) et du « Français langue étrangère » (apprentissage de la langue française pour un nouvel arrivant en France). Plus d’infos sur www.anlci.gouv.fr

1 Le mot illettrisme est un néologisme créé en 1981 par ATD Quart Monde afin de désigner les personnes ayant une connaissance insuffisante de l’écrit, bien qu’ayant été scolarisées dans notre pays. Auparavant, la définition de l’UNESCO de l’analphabétisme ne permettait pas de faire cette distinction.2 WRESINSKI Joseph. Grande pauvreté et précarité économique et sociale, Rapport au Conseil économique et social français, février 1987, 104 p.3 PAUGAM Serge, Disqualification sociale, PUF (1991)

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institutions à s’en emparer et s’en préoccuper de manière significative ; autrement dit, d’une question de militantisme, la lutte contre l’illettrisme est devenue une affaire d’Etat avec la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions !

A Comment l’engagement des institutions pour cette politique transversale se traduit-il ?

Elle implique des actions à différents niveaux :• Au niveau européen n Suite au constat d’un manque de qualification de plus d’un tiers de la population européenne, le Conseil européen déclare en 2000 la nécessité pour l’Union européenne de devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ».n En 2006, le Parlement européen définit 8 compétences clés indispensables à acquérir au cours de l’éducation et la formation tout au long de la vie ce qui a donné lieu à un outil de référence pour les États membres.

• Au niveau national n L’ANLCI a élaboré un cadre national de référence5 qui se veut le point d’ancrage d’une politique de lutte contre l’illettrisme partagée en présentant les principes directeurs, les champs d’intervention, le rôle des pouvoirs publics, de l’entreprise et de la société civile. Un référentiel des compétences clés en situation professionnelle a également été bâti par l’agence à partir du périmètre du cadre européen et en prenant appui sur l’observation des situations de travail. Il a été diffusé à grande échelle dans toutes les régions. n La circulaire DGEFP6 n° 2008/01 du 3 janvier 2008 relative à la politique d’intervention du ministère chargé de l’Emploi en faveur de l’accès aux compétences clés des personnes en insertion professionnelle définit les orientations générales de la politique du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Emploi en faveur de l’accès aux compétences clés pour une insertion durable dans l’emploi. n Dans la continuité des anciens dispositifs « Atelier de Pédagogie Personnalisé » et « Atelier de Formation de Base », la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) a mis en place, en 2010, un dispositif de formation aux savoirs de base intitulé Compétences clés7.

• Au niveau régionaln Le dispositif « Compétences Clés » est porté, sur l’ensemble du territoire régional, par la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE). Au total, 24 sites de formation Compétences clés peuvent accueillir des personnes faiblement qualifiées ou en situation d’illettrisme, soucieuses d’élever leur niveau

de qualification et de compétences afin de concrétiser leur projet professionnel élaboré en lien avec leur conseiller de Pôle emploi, d’une mission locale, d’un Cap emploi ou d’un chantier d’insertion ayant conventionné avec les services de l’Etat.n En 2010, le premier plan régional de prévention et de lutte contre l’illettrisme (2011-2013) a été signé8. Ce plan9 est piloté par le Secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR).Ce plan engage les signataires à mettre en œuvre des actions destinées à faire prendre conscience de l’urgence à agir contre l’illettrisme, à rendre lisible et visible la contribution de chacun à la prévention et la lutte contre l’illettrisme, à impulser et soutenir le développement d’initiatives nouvelles par la mobilisation de nombreux acteurs, à encourager la complémentarité des actions relevant de l’Etat, des collectivités territoriales, des entreprises, des OPCA, des associations …dans le respect des compétences de chacun.n Des actions de lutte contre l’illettrisme ont été intégrées dans l’axe transversal du Contrat de plan régional de développement des formations professionnelles (CPRDFP) pour la période 2011-2015 ; contrat de plan élaboré par le Conseil régional en concertation avec les partenaires du territoire.n La mise en place d’une instance d’appui aux acteurs par le Centre régional de ressources illettrisme (CRI) est placé au sein du GIP ARIFOR et financée par le Fonds social européen et par l’Etat.

Avec un cadre européen, un cadre national de référence, un référentiel des compétences clés, un dispositif national de formation, un plan régional, on peut constater que les différentes institutions impliquées dans la lutte contre l’illettrisme marquent une volonté forte de construire des repères de fonctionnement et un cadre pour l’action. Leurs missions respectives consistent généralement à fédérer, rassembler et optimiser les énergies, les actions et les moyens dévolus à cette problématique.Les éléments du cadre institué par ces différents outils auraient alors une fonction de « contenant », de « recentrage » notamment au regard de la multiplicité des actions qui se sont développées sur le territoire tout au long de ces dernières années en revendiquant le label « lutte contre l’illettrisme ».On peut souligner le caractère « unique » propre à chacun de ces outils qui vient s’articuler avec la dimension « multiple » des actions associées à la lutte contre l’illettrisme. Cette interaction entre unicité et multiplicité doit cependant trouver un juste équilibre. En effet, une trop grande rigidité imposée par des conditions de cadrage trop strictes freinerait l’initiative requise pour l’innovation et empêcherait la prise en compte de spécificités sur les territoires. De même, la multiplication excessive des actions conduirait au risque de dispersion, d’éparpillement et à un manque de cohérence et de lisibilité sur les territoires. Pour conclure, la lutte contre l’illettrisme, eu égard à sa transversalité, s’exprime à la fois au travers d’un engagement fort d’une pluralité d’acteurs et de la mise en œuvre d’un grand nombre d’actions préventives et curatives visant l’ensemble de la population. Au cours de ces dernières années, l’ANLCI, soutenue par un grand nombre d’acteurs, a engagé, un travail de mobilisation pour faire de la lutte contre l’illettrisme la grande cause nationale. Obtenir

5 Consulter le cadre et le référentiel sur le site de l’ANLCI : www.anlci.fr / Rubrique « outils et ressources »6 http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2009/04/cir_1219.pdf7 De mars 2010 à décembre 2012, 134 000 personnes ont ainsi pu bénéficier de ces formations, sur l’ensemble du territoire national

8 Les signataires : le Conseil régional, l’académie de Reims, le Centre national de la fonction publique territoriale, la Préfecture de Région Champagne-Ardenne, la direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la forêt, l’ANLCI9 Découvrez l’intégralité du plan sur le site de la préfecture de région : http://www.champagne-ardenne.pref.gouv.fr/index.php/sgar/site/sgar/home/les_dossiers/cohesion_sociale/lutte_contre_l_illettrisme

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le label « Grande cause nationale 2013 » a eu un impact fort sur l’engagement des acteurs et décideurs avec notamment l’organisation des Assises10 de prévention et de lutte contre l’illettrisme dans chaque région. Ces temps forts ont valorisé le travail de tous ceux qui agissent déjà au quotidien. Faire davantage converger les moyens déjà existants vers ceux qui en ont le plus besoin afin d’inscrire la lutte contre l’illettrisme comme une priorité d’actions justifie encore plus sa dimension transversale dans les politiques publiques.

Zoom sur…Le centre ressources illettrisme (CRI), un outil d’accompagnement à la mise en œuvre

1ère mission : Sensibiliser et professionnaliser les acteursDans un contexte mouvant, il s’agit d’engager les acteurs de la lutte contre l’illettrisme à faire évoluer une démarche « artisanale » basée en partie sur le dévouement, la bonne volonté, la générosité, la compassion vers une démarche professionnelle où compétence, professionnalisme et technicité doivent prendre le pas sur l’altruisme même si les qualités humaines demeurent des atouts indéniables.C’est pourquoi des actions de formation1 en relation avec la thématique lutte contre l’illettrisme sont régulièrement proposées chaque année par le CRI. Chacune de ces actions reste ouverte à tout acteur intéressé (professionnels-les ou bénévoles d’associations, d’organismes privés ou publics ayant une pratique d’orientation, de formation ou d’accompagnement des publics fragilisés, …) sans qu’il y ait de sélection particulière ou de critères d’entrée en fonction d’un statut spécifique. Ainsi la mission professionnalisation du CRI repose à la fois sur une programmation d’actions établie et fixée à l’avance mais aussi sur un principe de renouvellement, de délocalisation et de réponse à la demande (notamment pour les actions de sensibilisation à la problématique illettrisme et de repérage des publics) pour faire face aux besoins spécifiques des territoires.Par conséquent, c’est en alternant anticipation et réactivité que cette mission du CRI s’organise et acquiert une reconnaissance régionale en touchant une large diversité d’acteurs.

2ème mission : Animer le réseau des formateurs intervenant sur le dispositif compétences clés

Passer d’un réseau informel constitué d’un éventail d’associations et de nombreux bénévoles au plan local à un réseau formel composé des opérateurs du dispositif de formations aux compétences clés et sélectionnés en commission d’appel d’offres dans le cadre d’un marché public a conduit le CRI à repenser sa mission d’animation.De plus, l’arrivée du dispositif « compétences-clés » impulse une pédagogie qui doit davantage

s’orienter sur le développement de compétences que sur l’acquisition de connaissances.C’est pourquoi le CRI a développé une démarche de conduite de projet qui a l’avantage d’utiliser une pédagogie active articulant action sur des « objets » concrets et réflexion sur les apprentissages associés. Les projets proposés dans le cadre de l’animation du réseau s’inspirent du principe d’isomorphisme en cherchant, avec les composantes d’un projet, à reproduire au plus près les contours du monde du travail. Aussi, la volonté de fédérer et de partager la diversité des savoirs, des expériences, des pratiques et des compétences entre acteurs du réseau (formateurs-trices et apprenants-es) s’exprime par la mise en œuvre commune de projets initiés par le CRI, appliqués au monde du travail, avec un accompagnement soutenu du CRI (commande de services ou de travaux pour l’atteinte d’objectifs concrets et précis, production de livrables dans un délai imparti) tant du côté des formateurs-trices que des apprenants-es. Ils peuvent ainsi avoir libre cours dans la réalisation d’un projet. L’implication des formateurs-trices dans ces projets2 les conduit également à faire évoluer leur posture vers des rapports formés-accompagnés non hiérarchisés avec l’autonomie des apprenants comme objectif et comme point d’appui.

3ème mission : Outiller les acteurs et diffuser l’information

Avec l’ensemble des moyens de la structure GIP ARIFOR, le CRI constitue un lieu de référence régional de ressources mises à disposition des professionnels. Ces ressources3, qu’elles soient informatives, documentaires ou pédagogiques, se présentent sous des formes différentes (jeux, ouvrages, photos, documents, guides pratiques, CD rom, cartographie, etc.) et imposent, selon leur nature, une fonction d’actualisation pour leur mise à jour ou de gestion des emprunts. Le degré d’utilisation d’un centre ressources est généralement conditionné par la qualité et la diversité des outils qu’il propose mais aussi par les liens que ces derniers peuvent avoir avec l’activité professionnelle des utilisateurs.Au regard d’un contexte qui place sur le devant de la scène la notion de compétence et d’un objectif d’insertion professionnelle qui balise la plupart des actions qui se déploient sur le terrain, le travail autour de l’apprentissage des savoirs de base doit, de plus en plus, s’articuler avec le projet professionnel des personnes en situation d’illettrisme. Cela suppose pour les professionnels de savoir établir, sur le plan de l’ingénierie pédagogique, un rapport étroit entre l’acte de formation ou d’accompagnement qu’ils mettent en œuvre et les réalités du monde du travail.Consciente des enjeux concernant l’outillage de ces professionnels-les et pour s’adapter à de nouvelles exigences, l’équipe du CRI assure une fonction de veille auprès de nombreux éditeurs et de veille en ligne pour répondre à la diversité des demandes exprimées par les acteurs de terrain. Elle y associe également une fonction de conception en interne qui se réalise en collaboration avec des professionnels de l’entreprise. Les supports pédagogiques4 qui sont conçus autour de la présentation de métiers servent la contextualisation des apprentissages.

2 Découvrez ces projets sur le site du CRI : www.illettrisme-ressources.com rubrique Lutte contre l’illettrisme/services du CRI Champagne-Ardenne3 Explorez ces ressources sur le site du CRI : www.illettrisme-ressources.com Rubrique Ressources /centre de ressources ARIFOR4 Consultez ces supports sur le site du CRI : www.illettrisme-ressources.com Voir « nos productions d’outils »

Formation & Territoire - n° 15 4342 Formation & Territoire - n° 15

1 Exemples d’actions de formations prévues au titre du programme de professionnalisation 2012/2013 de l’Arifor : - Réaliser une évaluation initiale sur le champ des savoirs de base- Savoir gérer l’hétérogénéité d’un groupe dans la conduite d’une formation aux compétences de base- Découvrir une manière de créer un environnement facilitateur de l’apprentissage et de lutter contre la fracture numérique auprès des publics en difficulté avec les savoirs de base

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10 Les Assisses en Champagne-Ardenne ont été organisées le 5 septembre 2013 par la Préfecture de région avec l’appui du centre ressources illettrisme.

Formation & Territoire - n° 15 4544 Formation & Territoire - n° 15

Interview Murielle MAFFESSOLI, directrice de l’Observatoire régional de l’intégration et de la ville, Alsace

En tant que centre ressources, comment définissez-vous une politique transversale ?

Une politique transversale est une politique publique qui porte soit sur une population, soit sur un processus qui touche différentes politiques sectorielles. Elles relèvent du droit commun comme la politique d’action sociale, celle du vieillissement ou encore celle du logement. Le sujet traité nécessite l’implication de l’ensemble des autres politiques publiques. C’est une articulation entre du spécifique et du droit commun, pour reprendre une notion souvent utilisée aujourd’hui. Le droit commun étant une politique applicable à tous sans distinction et le spécifique faisant référence à un enjeu d’équité de l’intervention quand l’application ne se fait pas au profit de tous ou que l’égalité ne permet pas l’équité de l’intervention.Les politiques publiques transversales concernent souvent un public particulier. Prenons l’exemple des femmes, on plaidait pour une approche intégrée. Cette notion est un héritage de l’Europe dans le domaine de l’égalité femmes-hommes. Elle peut être définie comme suit : « L’approche intégrée consiste en la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques. »Aujourd’hui, les politiques sectorielles se pensent souvent de manière universaliste en partant

du citoyen « moyen ». Alors que penser la transversalité, mettre en œuvre une démarche intégrée, c’est bien penser la complexité et la diversité des situations. Souvent on

considère que l’approche prenant en compte les situations les plus difficiles a un coût supplémentaire (exemple de la politique d’accessibilité dans le

domaine du handicap). Alors que l’on pourrait le prendre comme un atout, une chance pour les politiques publiques car en étant dans l’obligation de réfléchir aux situations les plus complexes, on répond ainsi aux besoins de tous.

Le principe d’inter-ministérialité est un principe de transversalité et peut garantir une approche intégrée. La question est de savoir si on est réellement

en mesure de mettre en œuvre cet inter ministérialité, qui constitue pour pas mal de questions un véritable enjeu. !

Le centre ressources rencontrent-ils des difficultés et le cas échéant, y-a-t-il une méthodologie particulière pour faciliter la mise en œuvre de ce type de politique ?

Des difficultés, c’est indéniable notamment dans le cadre de deux des politiques sur lesquelles travaille le centre de ressources au quotidien que sont la politique de la ville d’un côté et l’intégration des immigrés entendu comme un processus impliquant l’ensemble de la société.

Dans le cas de la politique de la ville, on considère que c’est le problème d’un quartier et de la population de ce quartier et par conséquent il y a des dispositifs particuliers qui sont mis en place pour compenser ces freins. Un exemple me vient à l’esprit. Un élu mentionnait qu’une association, pour une même action demandait une subvention lorsqu’elle devait être développée sur le quartier politique de la ville et pas de subvention sur un autre quartier car cela relevait de son financement de droit commun. Et l’élu demandait : « pourquoi ne vous y prenez-vous pas de la même manière ? ». L’association répond que « cela lui demande un travail particulier ». Alors si ça demande un travail particulier encore faut-il pouvoir le qualifier et effectivement, cela peut demander un accompagnement spécifique parce que ce sont des publics que l’on qualifie d’éloignés de l’emploi ou parce que c’est un public jeune. Il faut alors avoir une méthodologie particulière et dans ce cas-là c’est la méthodologie qu’on fait financer et pas l’action de produire une brochure, une plaquette qui est la même partout et pout tous.

Dans le domaine de l’intégration, la question est plus complexe. Elle demeure en dépit des intentions une politique spécifique s’appuyant sur la création d’organismes particuliers. Au fil du temps, ils ont été arrêtés ou ont été transformés et sont devenus de plus en plus généralistes. Par exemple le service social d’aide aux immigrants (vraiment spécifique) a été supprimé. On peut se dire que c’est une bonne chose car tout le monde doit être pris en charge de la même manière sauf que la formation des travailleurs sociaux à ce type de public n’a pas été réalisée, ce qui ne permet pas une approche adaptée. Ainsi, la réponse qu’ils font est soit de dire « je ne comprends pas ce public, je n’ai pas les connaissances », soit ils les traitent comme n’importe quel public, tout en étant porteurs de représentations à leur égard, soit, ils en ont une approche culturaliste qui les enferment dans des stéréotypes.

Pour mettre en place une politique ayant une visée de transversalité ou intégrée, cela demande une transformation non seulement des pratiques professionnelles mais également des cultures professionnelles. En termes de méthode, cela suppose de partir de la pratique des professionnels, de questionner leurs pratiques et de mettre en perspective cette démarche avec leurs méthodes habituelles, afin de leur montrer que ce ne sera pas une charge de travail supplémentaire.Par exemple dans le cadre d’un travail récent sur « petite enfance et discriminations » mené par l’ORIV en lien avec Le Furet (centre de ressources en région intervenant dans le domaine de la petite enfance et de l’interculturalité), au-delà de faire reconnaitre aux personnels de la petite

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n Le deuxième niveau c’est l’adaptation de la structure elle-même. On peut transformer les pratiques, dire au professionnel d’agir plutôt de telle ou telle manière mais pour que cette action soit efficace, il est nécessaire que ces transformations soient prises en compte dans le fonctionnement de la structure. C’est dans la structuration du service, dans les consignes données et dans le cadre de politique publique, dans les décrets, les circulaires diffusées et dans toutes les procédures que l’approche doit être prescrite. Prenons l’exemple des guichets de service public, il y a une charte d’accueil qui dit bien qu’il faut respecter l’individu et dans le même temps les agents ont un temps moyen d’accueil pour éviter les files d’attente, ce qui ne leur permet pas de faire face aux situations complexes de manière satisfaisante.

n Il est également nécessaire que l’action menée touche tous les niveaux hiérarchiques de la structure. Ce n’est pas suffisant de travailler seulement avec la personne qui va être en contact avec le public, il est indispensable de travailler également avec la hiérarchie. Celle-ci doit être en accompagnement, doit soutenir et donner les moyens de réaliser ce travail de prise en compte intégrée, en transversalité.

Pendant tout ce temps d’accompagnement, on ne rend pas visible le travail effectué qui s’inscrit dans le long terme. Et les usagers concernés ou le territoire concerné vont continuer à penser qu’on le stigmatise. D’où la nécessité parfois de mener parallèlement des actions spécifiques ce qui va permettre de tenir la question des transformations à long terme et la nécessité d’actes visibles immédiats, on pourrait dire des actions symboliques. Toutefois le spécifique doit être pensé dans un court terme et doit donner lieu à une réflexion visant la transformation de l’action publique concernée.

Y-a-t-il des postures professionnelles spécifiques, des nouveaux types de compétences pour s’adapter ?

Il faut donner aux professionnels la possibilité de comprendre ce qu’ils sont en train de vivre, de leur donner des ressources, de construire avec eux des arguments qui puissent être tenables.Ainsi, et à titre d’exemple, on constate un recours à la laïcité assez systématique sans pour autant, le plus souvent, que cette notion soit appréhendée dans sa globalité par les professionnels eux-mêmes.

Cette dimension n’est jamais accompagnée d’un argumentaire mais relèverait d’une dimension magique comme si le terme laïcité allait résoudre la situation sociale auquel on est confronté. Or le recours aux principes de la laïcité demandent un travail d’explicitation au regard de la situation.

La difficulté, réside dans le fait de travailler parallèlement ces deux dimensions, déconstruire et travailler la complexité et dans le même temps pouvoir donner des éléments concrets.

enfance qu’ils peuvent être porteur de discriminations, il a fallu interroger les procédures qui amènent à faire le choix d’une famille ou d’une autre. Cette question ne porte pas seulement sur la question de la discrimination mais c’est plus globalement la qualité du travail qui est en question dans un souci d’égalité de traitement de tous les parents. Nous nous sommes efforcés de leur montrer que quand ces professionnels-les élaborent le projet d’établissement (qu’ils ont l’obligation de faire), il est possible de travailler cette question dans une logique de qualité, qu’il ne s’agit pas de le traiter à part, comme un nouveau sujet à traiter. Ces questions-là ne vont pas de soi car certains publics, certaines réflexions et contenus ne sont pas perçus comme étant nécessaire.

Penser la diversité dans l’action publique sans faire du spécifique, c’est certainement le défi de la transversalité.

Toutefois, le spécifique peut s’avérer nécessaire par moment ou pour faire face à des situations particulières.Par exemple : le travail sur les femmes immigrées et la question des violences. Il y a deux manières de voir la question :

n Soit on considère que ces femmes subissent plus de violence que les autres et qu’il y aurait un processus particulier, option qui n’a pas été retenue parce qu’on n’en a pas la preuve. Elles subissent des violences, c’est indéniable mais d’autres femmes les subissent sans être immigrées.

n Soit on reconnaît que ces femmes, en tout cas certaines d’entre elles ayant encore la nationalité de leur pays de naissance, relèvent d’un droit particulier notamment lié au « statut personnel »1 .

Or cet aspect du droit est souvent peu connu, et les actions généralistes risquent face à cette dimension de s’avérer inopérante voire contre-productrice. Cela suppose donc à la fois de

disposer d’un minimum d’information sur des aspects particuliers mais aussi d’être en capacité de décrypter la situation personnelle vécue.

Je retiendrais plusieurs dimensions dans l’accompagnement : n Il y a tout d’abord un accompagnement d’ordre philosophique qui renvoie à la pratique mais pas seulement, à l’individu lui-même aussi. Car transformer les pratiques au regard de publics spécifiques ou de territoires particuliers ou des publics fragilisés, c’est parfois remettre en cause sa propre histoire, sa connaissance des situations et son approche personnelle.Cela demande parfois un processus long et une certaine compétence

pour ne pas « braquer » les interlocuteurs. Il faut certes travailler leurs représentations mais il faut leur donner en contrepartie la possibilité de

disposer de points d’ancrage pour continuer d’avancer.

1 Toute personne étrangère en France est soumise, pour son statut personnel, à la loi du pays dont elle possède la nationalité (cf. article 3, alinéa 3 du Code Civil. La notion de statut personnel englobe toutes les questions de droit qui concernent directement la personne (filiation, mariage, décès…).

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Des clés de lecture

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Expert ou militant ?Il ne s’agit ni de favoriser l’une ou l’autre posture. Ces professionnels sont avant tout des généralistes puisqu’ils agissent dans le cadre de politiques sectorielles. Il faut leur donner des éléments de positionnement professionnels et d’analyse des situations auxquelles ils sont confrontés, y compris quand cela s’avère nécessaire en les rassurant sur ce qu’ils font.

Ils ne peuvent avoir une connaissance absolue sur tous les sujets. Ainsi, il ne s’agit pas de faire de tous les professionnels des spécialistes du droit des étrangers par exemple. Par contre, il faut qu’ils sachent comment aborder la situation (identifier les questions à se poser) et savoir en cas de difficulté particulière où aller chercher la ressource, l’atout ou la compétence. Ce qui implique d’identifier les compétences et les outils sur le territoire pour pouvoir mettre en œuvre cette politique. Parallèlement cela suppose de disposer de tels relais sur le territoire.

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Les politiques transversales de prévention des discriminations : penser la méthode pour conduire les changementsPar Noémie MICHELIN, cheffe de projet prévention des discriminations, mission lutte contre les discriminations et égalité entre les femmes et les hommes, ville de Reims

Les domaines des politiques transversales sont majoritairement liés à la protection des droits fondamentaux des individus et de leur environnement. Vertueuses et altruistes par vocation, les politiques publiques transversales contribuent à remettre en cause les inégalités systémiques ethnocentrées et l’idée rassurante du progrès1.

Le sens de la démarche intégrée – comme outil d’application des politiques transversales – quel que soit le niveau de gouvernance est de proposer un mode d’organisation du travail transversal, en sortant du mode hiérarchique classique. Il présente d’une part, l’avantage de ne pas avoir à remanier les organisations fonctionnelles ou en créer d’autres mais aussi d’inscrire le sujet dans l’ensemble des activités de ces organisations. Organisation nouvelle qui, pour autant, suppose l’existence d’un-e responsable qui désigne l’action, la conduit, l’organise, l’évalue, en rend compte, avec des partenaires clairement identifiés et légitimés sur cette fonction.

Si les travaux des différentes disciplines, conduits sur les phénomènes discriminatoires, ont permis à l’action publique locale d’initier ce changement, ils n’ont pas suffi à l’inscrire durablement dans les territoires assignant encore cette politique publique à l’option politique. L’utilisation du champ théorie du management de projet, de la conduite du changement en propose une mise en application durable et évaluable. La notion de discrimination, travaillée à travers les paradigmes juridiques (loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, aménagement à la charge preuve, sanctions, discriminations multiformes, actions positives), sciences politiques et sociologiques (rapport de domination, figure majoritaire/minoritaire, construction de la

citoyenneté discriminatoire, institutionnalisation des logiques discriminatoires, héritage politique publique ségrégative notamment logement, action sociale, sport et culture), et psychosocial (catégorisation sociale, stéréotypes, préjugés, discriminations, notion de victime, stratégie de contournement, d’adaptation, violence symbolique, mort sociale)2.

Ces cadres de référence ont été utilisés, éprouvés, développés dans la conduite des politiques d’égalité. Notamment à travers les nombreuses formations menées auprès de publics divers (acteurs et actrices économiques, intermédiaires de l’emploi, du logement, professionnels-es de l’insertion, de l’accompagnement social, de la prévention et sécurité, du grand public)Cette diffusion de connaissance demeure indiscutablement un passage obligatoire, permettant la prise de conscience des acteurs des systèmes dans lesquels ils évoluent, auxquels ils participent. Cette condition initiatique est nécessaire en tant que première étape des démarches de changements mais pas suffisante.En effet, si le bien-fondé de la prévention des discriminations semble aujourd’hui faire consensus, force est de constater que les projets qui la déclinent peinent à être montés, déroulés et évalués.

Cette difficulté est d’une part intrinsèquement liée à la nature de la thématique appelant un radical changement des rapports sociaux fondés sur des logiques de domination où la figure du majoritaire3 reste dans l’inconscient collectif figure de légitimité, de confiance, de sécurité, de réussite tant dans l’accès à la citoyenneté, qu’à l’emploi, à la propriété, aux biens et aux services.Mais aussi liée au manque de clarification des objectifs à atteindre, la notion d’approche intégrée comme outil d’application des politiques transversales telles que définies par le conseil de l’Europe n’évoque pas la notion de durée, de finalité, impartie à la réalisation de ce type de projet. Le manque d’élaboration de méthodes, de modes contraignants d’agir fragilise considérablement la conduite des changements.Or la conduite du changement impose une stratégie. En cela, le champ théorique du management appliqué à la prévention des discriminations propose de précieux éclairages pour éviter les écueils possibles de la démarche intégrée non pensée comme l’absence de partenaires potentiels, des actions de formation sans suite, une confrontation aux résistances (notamment la non déconstruction des stéréotypes et leurs fonctions sociales de maintien des rapports de domination). En effet, la seule connaissance de la législation ne permet pas la mise en mouvement vers le changement de pratiques.

La conduite du changement et/ou de projet de changement appellent la notion de temps, de début et de fin, qui va permettre aux pilotes de planifier, d’organiser, d’élaborer une méthodologie permettant de fixer avec les partenaires, un état des lieux partagé des besoins et des objectifs communs.

1 Claude Levi Strauss in « Race et histoire » 1951

2 Pascal Tisserand, Fethi Benslama, Lyse Gaignard3 Travaux d’Olivier Noël, rapports études testing Jean-François Amadieu Sorbonne Paris 1.

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La méthodologie de conduite du changement appliquée aux politiques d’égalité suppose de réunir plusieurs conditions :

n Connaître les argumentaires qui permettent de limiter les résistances en fonction du domaine d’activité de son interlocuteur4.

n Identifier le changement que l’on souhaite obtenir s’il réinterroge les processus ou les résultats, ou les deux.

n Vérifier que ce changement relève bien de l’objectif de non discrimination. (Réduction des stéréotypes, du traitement défavorable d’une personne sur la base de critères prohibés dans une situation comparable) et non de politiques d’insertion, de lutte contre les exclusions, d’interculturalité…

n Maîtriser les étapes relatives à la conduite du changement : partage du diagnostic de la situation, identification / anticipation des réactions, se mettre à la place du récepteur du message transmis, comprendre les contraintes, les tensions, les intérêts ou non de l’acteur-trice à se mettre en mouvement.

n Développer des actions propres au champ d’activité de l’interlocuteur-trice, être dans la créativité en acceptant l’idée que les actions ne sont pas systématiquement transférables d’un secteur à l’autre voir au sein d’un même secteur.

n Comprendre les contraintes spécifiques, les intérêts ou non de l’acteur-trice à se mettre en mouvement en adaptant un argumentaire adapté, en privilégiant la posture empathique, concevoir les actions dans une démarche « nous allons nous apprendre » et non « je vais vous apprendre » qui met le ou la partenaire potentiel-le en posture passive.Cette logique résolutoire propose en outre le bénéfice de sortir de la logique plaintive « les partenaires ne comprennent rien, ça ne les intéresse pas »5.

n Etre lucide sur le nombre d’alliés-es, d’adhérents-es, et savoir renoncer au projet ou à l’action s’il n’y a pas d’alliés à un moment donné sur un secteur.

n Prendre le temps d’élaborer la stratégie, les actions avec la structure, être dans la créativité, ne pas se censurer, quasiment faire du sur mesure.

n Conduire en parallèle des actions ré-interrogeant en profondeur les systèmes d’attribution (d’emploi, de logement, de loisirs…) pouvant prendre plusieurs années et des actions plus courtes, visibles, communicantes qui font parler du sujet, valorise le travail des porteurs.

n Modéliser les actions (identification des besoins du secteur, des objectifs à atteindre, des moyens pour y parvenir).

n Enfin, identifier les potentiels-pourvoyeurs des partenaires6 et commencer par leur proposer des actions possibles à réaliser dans un délai court, ne mobilisant pas tous leurs moyens.

Le potentiel des collectivités territoriales est illimité et encore largement sous-exploité. Qu’elles soient employeuses (recrutement et management), pourvoyeuses de biens (locaux, subvention), de services, porteuses de politiques publiques (enfance, sport, santé..), organisatrices d’évènements (accessibilité, représentativité des interlocuteurs, communications non stéréotypées dans les images, les prénoms, les intitulés de fonction…), les collectivités offrent de nombreuses possibilités d’intégrer, d’appliquer, promouvoir la prévention des discriminations.Les décideurs politiques et administratifs peuvent-doivent-saisir encore l’opportunité de cette politique publique sans se limiter à la politique de la ville. Là où nombreux professionnels voient du « ou », il semble que le « et » soit de mise pour rendre effective la prévention des discriminations. Régulatrice, cadrante et permettant de repérer les attitudes déviantes (discrimination, harcèlement discriminatoire, du type «bouc émissaire»), la prévention des discriminations réinvestit les notions de responsabilités, de devoir, donne du sens aux relations et objectifs de travail tant au niveau intra, qu’inter-organisation. Fédératrice de valeurs, de culture et de pratiques communes, elle limite le «tout est permis7», objective et sécurise l’ensemble des comportements, procédures liées à l’ensemble des activités des structures, notamment en rationalisant leurs choix à ses activités de gestion des ressources humaines et économiques écartant les systèmes de faveurs, d’entre-soi, de compromission et d’accéder uniquement aux compétences des candidats et leurs capacités de production.Outiller les porteurs de la thématique quel que soit le niveau de gouvernance de leur structure à la conduite du changement, offre de belles perspectives de réflexion et d’action à ce champ souvent controversé où après la prise de conscience (quasi) collective de la nécessité de prévenir les discriminations, de nombreux changements sont encore à mener.

6 Intervention de Noémie Michelin ENA, séminaire Les nouveaux enjeux de la fonction publique : la lutte contre les discriminations. 24 février 2009.7 Intervention de Noémie Michelin Colloque Institut National des Etudes Démographiques juin 2010 « Politique de lutte contre les discriminations et promotion de la diversité dans les collectivités locales et les entreprises » séminaire « Lectures internationales des discriminations : confrontations d’approches institutionnelles, scientifiques et militantes »

4 Gazette des communes janvier 2009. 5 Intervention de Noémie Michelin « évaluation des plans de lutte » séminaire national ACSE. Novembre 2010

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A propos de stratégies de défense : confrontation à la mise en œuvre de politiques publiques !Par Frédéric ZANTE, directeur de l’Aract Champagne-Ardenne

La mise en œuvre de politiques publiques, qu’elles soient spécifiques ou transversales, nécessite la mise en mouvement de différents-tes acteurs-trices, qu’il s’agisse de ministères, d’administrations centrales ou territoriales, de structures publiques ou privées (sous financements, pour tout ou partie, publics) ou encore de collectivités territoriales. Cela ne s’opère pas sans difficultés du fait des sujets, des histoires singulières des parties prenantes sollicitées. On assiste alors à la mise en œuvre de stratégies de défense qui constituent alors autant de freins à surmonter pour mobiliser et agir.

Ces stratégies de défense de structures, d’organisations1 ne sont pas une surprise en soi ni même une aberration. Il s’agit d’une réaction « normale » identique à celle que l’on retrouve chez les individus, tant individuellement que collectivement placés dans le cadre d’une conduite de changement ou d’évolution des pratiques professionnelles.

Dans le cadre d’une politique axée sur l’emploi par exemple, il peut être décidé de faire appel à un nouvel intervenant alors qu’existe déjà sur le territoire un acteur identifié, « expert » du sujet. Ce dernier pour préserver sa spécificité mais également justifier de son existence va se défendre alors en limitant par exemple son implication dans le projet ou en faisant de la « rétention d’information » ou plus exactement en ne s’empressant pas de communiquer au nouvel arrivant les données en sa possession. Il s’agit d’une stratégie individuelle où la structure, se sentant agressée dans son identité, va se « cuirasser » à l’instar des chevaliers médiévaux. Tout l’enjeu sera alors de relancer la communication pour qu’elle accepte de lever la visière de son heaume voire de se débarrasser de son armure.

Mais cette structure peut ne pas être seule à se sentir menacée dans ses fondements et d’autres organisations du territoire peuvent ressentir les mêmes sentiments – qu’ils soient fondés ou pas ! Dans ce cas-là, c’est collectivement que les acteurs concernés vont faire front commun et se défendre contre ce qu’ils caractériseront comme une agression, une attaque. Et la configuration, stratégie de défense collective, sera analogue à celle

du château fort médiéval. Des « murs épais » seront bâtis, entourés de douves larges et profondes avec un pont-levis relevé et une herse bien fermée. Ces murs seront d’autant plus solides que « l’agression » sera perçue comme forte. Pour « noircir » le tableau un peu plus, imaginez des ressortissants, administrés, usagers, patients… qui contestent également l’action de ces organisations et vous imaginez sans peine le tableau. Un effet certain de cet environnement est le renforcement de la cohésion du collectif « visé » et l’enracinement dans le refus de ce nouvel arrivant mais au delà un rejet de la politique à mettre en œuvre qui sera jugée comme inappropriée, injuste le cas échéant, mettant en péril un collectif qui se sent agressé dans sa légitimité d’action voire contesté…

Tout l’enjeu dans la mise en œuvre d’une politique publique – comme d’ailleurs tout projet de conduite du changement, soit-dit en passant – nécessitera un réel travail de communication, d’explications, d’accompagnement pour que les parties prenantes acceptent de « désarmer » et d’abaisser le pont-levis. Cela nécessite du dialogue, l’instauration d’un cadre propice aux échanges, de la confiance – cette dernière se gagnant par des actes et non des paroles – de la concertation réelle, des actions… Cette communication pour finir cette rapide explication sera nécessairement plurielle. Mais cela, vous l’aviez compris !

1 Il faut ici l’entendre au sens « manière dont quelque chose se trouve structuré, agencé ; la structure elle-même : l’organisation évoquée ici peut être aussi bien une administration, une association qu’une entreprise…)

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Prévention des discriminations et collectivités : les atouts et les enjeux d’une approche intégrée

Par le réseau RECI (Ressources pour l’égalité des chances et l’intégration)

Le réseau Ressources pour l’égalité des chances et l’intégration mène, depuis 2006, une réflexion sur l’une des politiques publiques transversales : la prévention des discriminations. Il a interrogé plus spécifiquement les politiques menées par les collectivités en matière de prévention et de lutte contre les discriminations. Un travail de capitalisation des expériences des collectivités engagées dans ce champ a permis de dégager des pistes de réflexions et d’identifier des pratiques favorisant l’émergence d’une politique locale de prévention des discriminations pérenne et efficiente1.

Au-delà de ce travail de capitalisation, cette réflexion interroge également l’évaluation de cette politique publique transversale considérée comme stratégique. Et d’ailleurs l’évaluation contribue à légitimer les actions de prévention et de lutte contre les discriminations.S’engager dans une politique de prévention des discriminations repose nécessairement sur un (re)positionnement des acteurs (élus-es et techniciens-nes), une modification des pratiques et une transformation du mode de fonctionnement interne comme des relations avec les autres acteurs.S’inscrivant de fait comme une politique publique intégrée, quels sont les impacts sur la gestion et l’organisation des collectivités ? Passer d’une approche spécifique à une démarche intégrée, quelles implications cela a-t-il sur l’organisation de la collectivité ? Comment anticiper ces évolutions ?

A Démarche intégrée : un travail sur la professionnalisation des acteurs

La notion de démarche intégrée est apparue en 1995 lors d’une conférence de l’Organisation des Nations Unies à Pékin, au sujet de l’égalité entre les femmes et les hommes.

Elle a été inscrite par le Conseil de l’Europe dans le cadre des politiques pour la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes et se définit de la manière suivante : « L’approche intégrée consiste en la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques. » Elle sera utilisée en France à partir de 1997.

L’approche intégrée s’oppose à une approche spécifique, et par conséquent, s’apparente à une approche dite de droit commun, c’est-à-dire qu’elle vise à agir sur les dispositifs et fonctionnements existants pour permettre une prise en compte par tous de la thématique traitée. Cette approche se développe comme une alternative à la discrimination positive et à toutes actions particulières.

Elle consiste en fait à travailler sur les effets « potentiels » des discriminations sans se préoccuper de l’intentionnalité des actes, donc dans une logique de prévention. Il s’agit effectivement d’identifier ce qui, dans les procédures, ouvre la voie aux discriminations. Il faut alors inspecter les procédures en se demandant : « comment arrive-t-on à défavoriser les femmes ou les personnes de telle ou telle origine ? ». Il s’agit alors de s’assurer que les politiques publiques mises en place ne créent pas de discriminations, de traitement différencié selon un critère considéré comme illégal. La démarche intégrée permet de travailler sur la professionnalité des acteurs concernés.

A Les préalables d’une approche intégrée ?C’est une approche qui interroge l’ensemble des actions menées que ce soit celle de la structure (dans le cas présent une collectivité) mais aussi celles des structures partenaires. Autrement dit, elle permet de questionner, en quoi un processus de fonctionnement s’avère non discriminatoire et comment est-il possible d’agir pour anticiper ? Par conséquence, il ne s’agit pas ici de travailler sur les discriminations elles-mêmes et auprès des victimes, mais plutôt de travailler sur les processus de discrimination indirects ou systémiques. Pour être efficiente, cette approche repose toutefois sur un certain nombre d’enjeux qui sont présentés comme des préalables :

n Établir un diagnostic permettant d’élaborer un constat partagé de la problématique. Cette étape est souvent présentée comme un incontournable.n Mobiliser l’ensemble des acteurs (politiques et techniciens-nes) et permettre que la prévention des discriminations ne soit pas l’affaire d’un ou une élu-e, mais de tous les élus-es.n Favoriser un portage collectif de cette politique par la collectivité correspond de fait à la promotion d’une approche intégrée de la prévention des discriminations dans le cadre des politiques locales.n Être légitime à insuffler une démarche de prévention et de lutte contre les discriminations au sein d’autres services ou d’autres structures.n Engager une démarche du même type que celles demandées aux autres acteurs en

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1 Accessible en téléchargement sur http://reseau-reci.org « Elus et prévention des discriminations », note du Réseau RECI, Novembre 2006, 22 p.

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termes de travail d’introspection et de réflexion sur les pratiques professionnelles mises en œuvre en interne de la collectivité.Ces différents aspects sont réinterrogés ci-après à l’aulne des analyses faites à partir des pratiques d’acteurs.

A Reconnaître les discriminations comme une réalité partagée

Travailler les discriminations suppose qu’on les reconnaisse comme un phénomène existant ou pertinent pour expliquer une réalité sociale. Le diagnostic est souvent présenté comme un outil permettant de se saisir de la réalité du territoire et de ses besoins et comme un préalable obligatoire à toute démarche. Il semble qu’il ne soit pas toujours indispensable pour mener des actions collectives puisque des collectivités s’engagent dans une démarche sans diagnostic préalable. Ce n’est pas le diagnostic en soi qui est porteur d’une capacité à mettre en place une politique publique mais il est nécessaire qu’a minima, il y ait consensus sur la réalité des discriminations, sur la nécessité à agir et à questionner tous les acteurs-trices. Toutefois, il permet de poser un regard pour atteindre une reconnaissance collective de la question des discriminations.

A Porter politiquement et collectivement La question du portage politique de la thématique des discriminations dans les collectivités est une question incontournable pour au moins deux raisons : le sujet est complexe et il touche un fondement de la République, à savoir le principe d’égalité. Chaque collectivité qui s’engage dans la prévention des discriminations doit se poser une question essentielle et inévitable avant de s’engager : qui porte politiquement cet enjeu ?

Concrètement, le plus souvent, la prise en compte de cet enjeu se traduit par la mobilisation d’un seul élu-e comme si cette question ne concernait qu’une seule personne. La mobilisation collective et politique autour de la prévention des discriminations reste faible et repose sur la volonté et le militantisme d’un-e élu-e porteur-se, délégitimant de fait la dimension transversale et de droit d’une action dans ce domaine. Ainsi, malgré l’engagement souhaité de la collectivité et/ou de l’élu-e, les élus-es porteurs-ses de la problématique se retrouvent souvent seuls-es face aux autres élus-es.

Désigner un-e élu-e porteur-se de la thématique permet d’afficher clairement que la collectivité s’engage sur cette problématique. Toutefois, ne pas l’afficher signifie-t-il que la collectivité ne fait rien ? Afficher et désigner un-e élu-e permet-il de mieux articuler la politique de prévention des discriminations aux autres politiques territoriales et d’essaimer cette politique au sein de tous les services de la collectivité ?Les expériences analysées indiquent qu’effectivement une plus-value existe. Pour autant la prise en compte transversale des enjeux de la discrimination reste néanmoins souvent conditionnée à la capacité de mobilisation qui sera donnée à l’élu-e par son positionnement dans l’organigramme municipal (adjoint-e, conseiller-ère municipal-e délégué-e…).

A Les discriminations : un enjeu de droitLes discriminations étant un délit sanctionné par la loi et une atteinte au principe républicain d’égalité, les élus-es doivent être en mesure de relayer ces aspects et d’être porteurs-ses du droit (parole publique). L’Etat a fait de la prévention et de la lutte contre les discriminations un enjeu gouvernemental et a mis en œuvre un certain nombre de dispositifs et d’actions dont il s’agit d’assurer la diffusion sur les territoires.

Les élus-es jouent un rôle majeur d’incitation et d’interpellation au niveau des acteurs-trices locaux-les (dans le domaine de l’emploi ou du logement par exemple). Ce rôle est renforcé dans le cadre de leur mandat au niveau de certaines structures (par exemple : administrateurs-trices au sein de PLIE, de missions locales, d’hôpitaux…).Les élus-es sont également confrontés-es à la question des discriminations en tant qu’employeurs. Ils ont donc une responsabilité pour que le droit soit appliqué dans la gestion des ressources humaines de leurs collectivités.

Enfin, les communes sont considérées par la population comme l’institution la plus proche d’eux, elles sont à ce titre interpellées pour assurer l’égal traitement de tous les citoyens-nes. Il en ressort ainsi la nécessité de faire de la question des discriminations un enjeu transversal à la collectivité qui soit porté par l’ensemble des services, chacun-e pouvant mobiliser ses propres réseaux liés à ses champs de compétences.

A Mobiliser l’ensemble des acteursToute généralité concernant la mobilisation est à proscrire car suivant les territoires, des degrés d’implications différents d’un-e même acteur-trice existent, qui peut être renforcé par la contractualisation d’un plan territorial de prévention des discriminations.Lorsqu’une collectivité s’engage sur cette question, par le biais d’un plan par exemple qui doit favoriser la mobilisation des acteurs-trices locaux-les, elle reste confrontée à des difficultés de mobilisation des partenaires qui ne se sentent pas forcément concerné par le sujet des discriminations. Les professionnels-les développent différentes stratégies, souvent empreintes de pragmatisme pour répondre à cet enjeu. Ils ou elles se saisissent des opportunités et/ou recherchent des « alliés » potentiels.

C’est notamment le cas dans le domaine de l’emploi en raison souvent de la faiblesse des relations préalables entre les collectivités et le monde économique. Les collectivités essaient de s’attacher à mobiliser les relais que peuvent être les clubs d’entreprise, syndicats ou chambres consulaires.

Il en ressort la nécessité de faire de la question des discriminations un enjeu transversal à la collectivité qui soit porté par l’ensemble des services. En effet, dans cette perspective ; chacun pourra mobiliser ses propres réseaux en lien avec ses champs de compétences. Ainsi le ou la directeur-trice des ressources humaines de la collectivité pourrait être chargée de mobiliser les services Ressources Humaines des entreprises (par le biais de réseaux nationaux et locaux, exemple l’ANDRH). Il sera certainement plus en capacité de développer

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un argumentaire adapté aux enjeux et compétences de ces interlocuteurs. La mobilisation des autres acteurs de l’emploi (service public de l’emploi, maisons de l’emploi…) peut également permettre d’établir un lien et de sensibiliser le monde économique.

A Faire participer les habitants et de la société civileLes plans territoriaux de prévention des discriminations comportent le plus souvent un volet participation des habitants entendu comme la nécessité de mobiliser l’ensemble des parties prenantes de la société civile sur cet enjeu.Toutefois, les collectivités dans leurs discours publics, en reconnaissant les discriminations comme phénomène pouvant affecter tout individu et porter potentiellement par tout un chacun, amènent à positionner leur population comme « victimes potentielles » ou « discriminants potentiels », au risque de les enfermer dans l’un ou l’autre de ces statuts.

Pour sortir de cette impasse, un équilibre est donc à trouver entre :n le positionnement des habitants-es comme victimes potentielles de discrimination, entraînant des mesures de prévention et d’information, n l’interpellation de ces mêmes habitants-es comme porteurs de discriminations à l’égard d’autres personnes,n l’attention particulière à porter aux personnes confrontées aux discriminations, impose des mesures d’accompagnement appropriées, n la mobilisation des habitants-es à la définition d’une stratégie ou d’une politique locale de prévention et de lutte contre les discriminations permettant de les repositionner en tant qu’acteurs-trices au sein de leur territoire et pouvant susciter l’adhésion de ces populations sur un sujet encore trop souvent peu, ou mal, appréhendé par la société civile.

A Inscrire la démarche dans la duréeL’approche intégrée doit se poursuivre avec les aléas inhérents à la gestion d’une institution : changement de municipalité, turn-over important chez les techniciens-nes, etc. Autant de raisons supplémentaires pour que le projet local s’inscrive dans l’institution et ne repose pas uniquement sur un-e élu-e et/ou un-e technicien-ne ayant une appétence pour les questions de prévention des discriminations. Les moyens dévolus, que ce soit en termes d’information, de sensibilisation/formation, de communication doivent donc l’être en continu et à tous les niveaux hiérarchiques de l’institution.Cette pérennisation des politiques locales de prévention et de lutte contre les discriminations relève d’un double enjeu :

n réussir à mobiliser et fédérer les acteurs et les actrices autour d’une vision et d’un projet intégré de cohésion sociale,n et ainsi en assurer la mise en œuvre durable par une véritable transformation des pratiques et des processus.

Freins et blocages dans la mise en œuvre de politiques transversales : quelques éléments à prendre en compte du côté de l’humain.

Dans le cadre de la mise en place de politiques transversales comme dans tous projets bousculant un système établi, une organisation, des freins et blocages divers sont rencontrés. Cette résistance n’est pas une nouveauté en soi. En effet, selon certains travaux de recherche, ce thème n’est pas récent. Ainsi, selon Marie Noble (2003), la première manifestation de

résistance à un changement est observée en Angleterre, au XIXe siècle. Des ouvriers, pour marquer leur opposition à l’introduction de nouvelles machines, détruisent les outils permettant leur fabrication.

Depuis, cette notion de résistance au changement est devenue plus ou moins partie intégrante tant de la vie des organisations que de la mise en œuvre de politiques publiques… Pour mieux comprendre les mécanismes en jeu, il est possible de s’y intéresser via différentes clés d’entrée possibles : organisationnelles, sociologiques, individuelles, collectives, etc. Je prends le parti pris de vous proposer une réflexion orientée sur des notions subjectives telles que le ressenti des individus. Je ne m’attarderai donc pas sur les théories du changement, les méthodes à mettre en œuvre ou au contraire à éviter. En revanche, je donnerai des éléments de compréhension d’ordre psychologique, de ressources humaines…

A Quelques éléments préalablesQuelque soit le projet envisagé, la mesure à mettre en place, l’action à lancer, des freins, des blocages se font jour. On les rencontre aussi bien de manière individuelle au sein d’une structure que collectivement. Ces difficultés se retrouvent également à l’échelle de plusieurs organisations, d’un territoire voire d’un pays entier.

Outre la réaction classique de déni de ces résistances, il existe de manière beaucoup plus fondamentale une incompréhension des motifs conduisant à ces freins, ce refus d’une nouveauté… Ce « facteur humain », source de questionnement divers, pose souci car il ne réagit jamais – ou très rarement, soyons positif – comme prévu. Contrairement aux

Par Frédéric ZANTE, directeur de l’Aract Champagne-Ardenne

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sciences dites exactes telles que les mathématiques, il n’est pas fiable, il n’est pas prévisible – quoique – bref, il ne se comporte pas comme écrit sur le papier !

Du coup, selon le prisme par lequel on aborde cette question, l’explication que l’on va essayer de donner diverge littéralement : elle n’emmènera pas aux mêmes conclusions si elle est étudiée d’un point de vue philosophique, sociologique, économique, selon une logique financière voire politique. Par ailleurs, la manière de s’interroger sur un tel sujet occasionne invariablement des biais plus ou moins importants : chacun, y compris l’auteur de cet article, creuse la question selon sa propre subjectivité, son parcours, sa posture professionnelle…

La notion de peurUn mot n’a pas encore été employé, celui de la ou plus exactement des « peurs ». Celui-ci est essentiel à évoquer. En effet, toute action entraînant des modifications dans l’organisation, la façon de travailler, de rendre compte, de communiquer avec autrui, entraîne un sentiment de peur, d’anxiété voire d’angoisse plus ou moins prononcé selon les individus, sa situation de travail…

En allant plus loin dans la réflexion, il est important de noter que ces peurs s’appuient sur deux types d’éléments : pour les uns d’ordre factuel et pour les autres reposant sur un ressenti, sur du subjectif. Concrètement, les modifications telles que par exemple travailler sur son cœur de métier et voir d’autres structures se rajouter dans le paysage entraînent des remises en question de ses modes de fonctionnement, de postures et pratiques professionnelles…

Elles mettent à jour des dysfonctionnements, des comportements et attitudes inadéquats, des mauvaises habitudes, des perceptions du travail ou des tâches à effectuer erronées, des lacunes en termes d’information ou communication… Elles peuvent également mettre en exergue un professionnalisme imparfait, des compétences qui mériteraient d’être étoffées…

Il est intéressant ici de prendre un peu de hauteur et de voir quels sont les acteurs concernés par un tel sujet – et ses répercussions. Il y à tout d’abord « l’opérateur final» c’est-à-dire la personne en « bout de chaîne » en contact avec le réel de la mesure à appliquer, décliner, mettre en œuvre… je vous laisse choisir la description vous parlant le plus.Ensuite il y a le management chargé de l’encadrement, du contrôle de ce qui est fait sur le terrain.On retrouve ensuite la direction de la (des) structure(s) (ou opérateur(s) dans le « jargon » du métier) en charge de la mesure, projet…Il y a les représentations institutionnelles (qu’elles soient émanations nationales déclinées en région, territoriales…) qui ont le rôle de coordination, supervision des différents opérateurs mobilisés…Et il y a le niveau national en charge de mettre en œuvre une politique publique pour répondre aux attentes de la population. Cette segmentation est bien sûr lapidaire mais il ne s’agit pas ici de décliner les différentes strates possibles mobilisables. Le but est tout

simplement de comprendre comment les divers niveaux apprécient la situation et se positionnent sur cette question des résistances, des peurs…

Pour être simple et concret, ces différents interlocuteurs vont agir vis-à-vis du « terrain » selon :

n leur connaissance dudit terrain, des différents acteurs ou parties prenantes,n la manière dont ils perçoivent le positionnement dans le processus global des organisations en cause,n de la manière dont ils perçoivent l’impact des personnes en charge de l’action sur les résultats de ladite action,n de leur image du professionnalisme des uns et des autres,n de leur perception de l’action organisationnelle,n de leur intérêt collectif (propre à la structure qu’ils représentent) et personnel (de quelle manière vont-ils pouvoir tirer leur épingle du jeu).

Tous ces éléments rapidement évoqués (et bien d’autres) conditionnent la manière dont la gestion des ressources humaines se construit aux diverses strates et donc par conséquent les résultats et succès futurs.

Dans une organisation telle qu’une entreprise mais plus encore dans le cas d’une politique transversale, les actions initiées dépendent clairement des interactions mais également des ancrages respectifs, des enjeux défendus par chaque acteur (en interne dans son organisation comme vis-à-vis des autres structures concernées). Acteur est ici à prendre non seulement au sens de l’organisation (structure collective) mais également de l’individu.Arrivé ici dans notre article, il est utile de conforter un point essentiel : il est possible d’œuvrer en prenant en compte les différents intérêts en jeu. Il est tout aussi important de faire référence à des notions telles que la motivation, la reconnaissance, l’implication, l’engagement1…Et cela accentue encore mon propos initial sur la nécessité de m’appuyer sur des éléments d’ordre psychologique.Quelques lignes au dessus, je vous parlais de peurs, de freins. J’évoquais également la notion de ressenti. Je vous propose de nous arrêter quelques courts instants sur ce sujet.

Les freinsUne banalité : nous sommes tous différents. Cela signifie que nous avons donc des réactions variées quand nous sommes confrontés à la même situation. Certains d’entre nous perdent leurs moyens quand d’autres au contraire se révèlent. Par ailleurs, ce comportement n’est pas forcément reproductible selon notre forme physique, la période…

En d’autres termes, face à une situation donnée, nous n’aurons pas tous le même ressenti. Vous l’avez compris, ce ressenti diffère selon les individus. L’inquiétude devant la nouveauté prédomine en général parce que beaucoup ne sont pas capables de faire rentrer dans leur analyse de la situation la totalité des données. Leur réflexe est donc de refuser d’aller vers

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1 L’engagement : celui-ci correspond à l’attachement, à l’identification et à l’implication de l’individu envers sa structure, son organisation (dimension individuelle)

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cet inconnu. D’autres agiront par esprit de contradiction, d’opposition..Il est possible, arrivé à ce stade de mon déroulé, de brièvement énoncer quelques facteurs favorisant ou au contraire gênant la conduite de projet :

• Facteurs d’environnementn Cadre réglementairen Ressources et moyensn Temporalité, délais pour mise en oeuvren Nombre d’acteurs concernés / impactésn Public(s) ciblé(s)n Mesures régaliennes ou non (rôle d’injonction, de contrôle…)n Etc.

• Facteurs psychologiquesn Sentiment d’insécuritén Craintes, angoisse, peurn Bonne volontén Habitudes, inertien Surcharge de travailn Complexitén Adaptabilité ou nonn Mobilité (psychologique, géographique)n Etc.

• Facteurs psychosociauxn Structure organisationnellen Confiance ou pasn Dynamique de groupen Relations socialesn Valeurs partagées ou nonn Solidarité, cohésionn Identification, exemplaritén Etc.

Je vous parlais d’éléments psychologiques. Il est important effectivement de vous apporter un éclairage complémentaire.Cette notion de « ressenti » renvoie bien sûr aux situations professionnelles dans lesquelles évoluent les individus mais également aux comportements qu’ils vont avoir.

A Ressenti professionnelChaque personne, dans sa vie professionnelle, se trouve soumise à trois influences majeures et doit trouver en permanence un équilibre entre les sollicitations qui émanent de ce triple relationnel2 :

n Son « Ego », sa personnalité profonden Les autres individus : collègues et pairs, hiérarchie, partenaires…n Les réalités factuelles de sa situation professionnelle.

L’individu se crée une stratégie personnelle de comportement, plus ou moins inconsciente, qui lui permet d’absorber avec le moins d’inconfort possible les sollicitations de ces trois pôles. En l’occurrence, ce qui est facteur d’inconfort, c’est l’incohérence ressentie entre toutes ces sollicitations très diverses : elle vient perturber la stratégie difficilement élaborée.

Ce qui renforce cette incohérence est que le triangle de François Sigault renvoie à la notion de reconnaissance, au sentiment d’utilité. En effet, ma perception de la qualité de mon travail est renforcée par la reconnaissance que me renvoient – ou pas – mes pairs, mes partenaires, ma hiérarchie. Cette notion d’utilité est essentielle pour l’appréciation individuelle de ce triple relationnel. Les conséquences, dans les cas graves, peuvent devenir pathologiques (stress, burn-out, etc.).

Cela explique la mise en place tant au niveau individuel que collectif de stratégies de défense destinées à se prémunir contre les risques pour sa santé (tant physique que psychique) et cette forte identification catégorielle rencontrée dans certaines organisations. Ce mécanisme explique ainsi les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de projets, de politiques publiques où les acteurs doivent se remettre en perspective dans un environnement changeant.

A Enjeux comportementauxDans le cadre des stratégies de défense évoquées plus haut, l’individu va être particulièrement sensible à certaines caractéristiques, certaines données, certains éléments de sa situation professionnelle, qu’il ressent comme positif ou négatif.Il va ainsi considérer les points positifs comme des acquis à préserver absolument.Il va considérer les points négatifs comme des inconvénients majeurs et tout risque d’accentuation sera pris comme des atteintes graves à son équilibre. Il est important de noter que l’aspect subjectif est un incontournable de l’équation.

Pour renforcer ce point, il est important de rappeler que, tout bien considéré, ces caractéristiques, en soi, n’ont que la valeur que lui attribue l’individu pour des raisons psychologiques et/ou culturelles. Selon les personnes, certaines seront mises en exergue, d’autres négligées.

Il y a chaque fois le revers de la médaille, et choisir de développer une caractéristique accroît le risque d’en payer le prix. C’est une affaire de choix. Certaines sont exclusives de certaines autres. Ces choix constituent les enjeux de la situation vécue par les intéressés.

Pour des questions culturelles, circonstancielles et de dynamique de groupe, dans un

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2 Il s’agit du Triangle de François SIGAULT utilisé en psychodynamique du travail concernant un Acte Traditionnel Efficace.

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organisme, un secteur donné…, les choix d’une même catégorie professionnelle sont souvent convergents. On pourra parler de stratégie catégorielle.Dans un monde parfait, les projets, les politiques publiques, dans leurs choix et présentation de leur déclinaison devraient soigneusement prendre en considération les stratégies adoptées par les différentes catégories d’acteurs et publics ciblés. Mais cela est plus facile à dire et à écrire qu’à faire.

Un aparté important à noter :Les publics ciblés par les politiques publiques par exemple n’échappent pas à ces dimensions et expliquent la faible attractivité de certaines mesures proposées…

A Evolution des organisations du travailPar ailleurs, il ne faut pas oublier le poids des mutations qui entraînent des modifications dans la manière de travailler, dans les relations de travail. Si l’on se réfère à B. Perceval (2001), on assiste à des changements profonds tant dans les organisations que dans les déclinaisons de politiques publiques. Cette dernière évoque l’évolution suivante : « pour le formuler à la canadienne : avant travailler, c’était co-opérer ; maintenant, travailler c’est performer, compétitionner. »

Peuvent être listés un certain nombre de facteurs explicatifs, des freins, des blocages rencontrés :

• La mise en concurrencedes collaborateurs, des services au sein d’une organisation, des organisations ou des institutions entre elles (pas simplement au sens commercial mais également dans la mise en œuvre de politiques publiques…).• les contrats d’objectifs individualisésils ne tiennent compte que du résultat, souvent sans énoncer de correspondance avec les moyens.• L’obligation d’être rentableCela touche de plus en plus la sphère non commerciale – justifier la dépense publique faite en période de forte contrainte budgétaire – et du coup, peut fonctionner comme un dispositif de menace.• L’évaluation des individus• Des objectifs contradictoiresIl s’agit ici de tout ce qui touche aux injonctions, au travail prescrit et au travail réel ; en jargon de psychologue, cela renvoie également à la fameuse question de comment rendre visible, explicite la « boîte noire3 », le travail concret dans tous ses ajustements, ses « ficelles de métier ».• Les normalisations et contrôles externesIls portent en général sur des critères purement quantitatifs, voire comptables et financiers, se substituent aux règles de métier et créent des conflits de priorité.

• La communication des organisationsLa communication présente les organisations comme parfaites. Ainsi, tout dysfonctionnement renvoie aux erreurs humaines.• Les obligations de traçabilitéPrésentées comme garante de qualité ou de sureté / sécurité, elles doublent la charge de travail, occultent les problèmes rencontrés mais sont imparables pour renvoyer la responsabilité en cas d’accident.• L’intensification physique et psychique du travail et la rigidité des organisationsElles réduisent les marges de manœuvre et s’opposent à l’initiative et la créativité des personnes ….

Ces quelques éléments rapidement évoqués contribuent à expliquer le désintérêt progressif dans le travail et pourquoi les projets mis en œuvre dans les organisations, les politiques publiques lancées, les changements conduits dans l’organisation entraînent des blocages, des résistances et peuvent parfois s’envenimer pour aller jusqu’au conflit.

Selon B. Perceval (2001), les collaborateurs se protègent du coup en rigidifiant les procédures ou en se désinvestissant du travail, en prenant de la distance.

Cette évolution des organisations renforce la culture du chacun pour soi, délétère pour l’estime de soi, et pour l’épanouissement et l’investissement dans le travail.

Mais les répercussions se déclinent également entre acteurs, organisations, « opérateurs » et du coup, peuvent gravement entraver l’action commune.Vous l’avez compris, il s’agit d’un vaste sujet pour lequel les réponses à apporter ne sont pas aisées.

A ConclusionL’enjeu, vous l’avez compris, est de mieux prendre en compte ce fameux facteur ou capital humain dans la déclinaison d’un projet quelque qu’il soit.

Il s’agira alors de réussir à obtenir l’engagement volontaire des individus dans toutes les organisations concernées par le projet, la déclinaison d’une politique publique… pour qu’ils adhèrent individuellement et collectivement aux valeurs, objectifs véhiculés par ladite politique publique, le dit projet pour ensuite se mobiliser, c’est-à-dire mettre en œuvre leur intelligence, leurs compétences, leurs qualités… au service de la réussite du projet…

Un préalable : que le sens du dit projet soit clair, pertinent, reconnu comme juste… Vous aurez, chère lectrice, cher lecteur, sûrement un goût d’inachevé en arrivant à cette conclusion mais le but était avant tout de donner des éléments de compréhension de comment une personne fonctionne, quel(s) ressort(s) l’anime(ent). La dimension subjective est essentielle car trop souvent méconnue ou même déniée. En avoir conscience est un premier pas pour améliorer la bonne appropriation d’un projet car elle amène à se questionner sur sa propre posture et sur comment on interagit avec autrui.Cela donne matière à réflexion, sans doute.

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3 Description par laquelle le travail est obscur pour un non initié.

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Interview de Patrick TASSIN, Président du CESER Champagne-Ardenne

Du point de vue du CESER, qu’est-ce qu’une politique transversale ?Pour le CESER, une politique publique transversale, ce sont des choix politiques qui s’adressent à des populations diverses, des secteurs d’activité divers.Par exemple, l’égalité entre les femmes et les hommes est une politique transversale « pure ». Puisqu’elle concerne tous les hommes et toutes les femmes quel que soit ce qu’ils sont, ce qu’ils représentent et quel que soit leur activité.Mais une politique publique transversale peut ne s’adresser qu’à une catégorie de population, par exemple la population jeune. Dans cette population, il y a des cas de figure très différents selon les situations, les origines, les études supérieures menées ou non.C’est l’idée que le CESER se fait de la politique publique transversale.

Comment le CESER se positionne-t-il pour préconiser et/ou pour faciliter la mise en œuvre de ce type de politique ?Le CESER est là pour donner des avis, faire des propositions, des préconisations aux élus-es régionaux. Dans ce cadre, ce dernier ne travaille pas que sur des politiques publiques transversales. Il peut être amené à étudier des sujets très pointus.Toutefois, il travaille très souvent sur des objets qui relèvent de politiques transversales. Le travail mené sur l’autonomie des jeunes nous a conduit à considérer les jeunes sur une période de la vie sans nous autoriser à donner une limite d’âge (18-30 ans ou encore 16-25 ans). D’ailleurs, les préconisations faites à la Région vont dans ce sens ; il y a des situations à prendre en compte concernant la jeunesse, notamment en termes de mobilité, de logement, de pouvoir d’achat…Sur l’égalité entre les femmes et les hommes, c’est la Région qui nous a demandé de travailler sur ce sujet dans le cadre de la signature de la Charte européenne entre les femmes et les hommes dans la vie locale ; plus précisément sur les actions à mettre en œuvre. Les préconisations ont été étroitement liées aux compétences du Conseil régional dans ce domaine.

Il y a d’autres thèmes sur lesquels s’est investi le CESER dernièrement comme l’illettrisme dans l’entreprise. Suite à cet avis, le Président du Conseil régional a demandé au CESER de

travailler sur l’illettrisme chez les demandeurs d’emplois. Ce sont deux publics qui peuvent se croiser mais qui restent certes différents. Quand on parle d’illettrisme, on est, là aussi, en présence d’une politique publique transversale car cela s’adresse à une multitude de typologie de personnes, y compris d’âges.

La difficulté rencontrée lorsque l’on s’adresse à une collectivité, c’est que celle-ci a des compétences, mais des compétences limitées. Elle peut, bien entendu, aller au-delà de ces compétences, comme l’ensemble des collectivités d’ailleurs. Lorsque le sujet traité est un sujet qui dépasse largement les compétences du Conseil régional, le CESER se donne des limites dans certaines préconisations qui s’adressent, par exemple à l’Etat ou à d’autres collectivités.

Sur la sécurisation des parcours professionnels où le CESER a fait un certain nombre de préconisations, la compétence est ici d’ordre législatif, ce qui n’empêche pas une collectivité comme la Région d’intervenir dans ce domaine.

On voit bien, dans nos travaux, que l’on a une large possibilité d’interventions dans des domaines très divers qui touchent souvent une politique transversale d’un point de vue régional.

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Comment faire vivre l’égalité entre les femmes et les hommes dans la collectivité régionale de Champagne-Ardenne ?

Cette question est assez complexe car elle repose sur un véritable projet politique au sens propre du terme. Sans cette première condition, l’égalité entre les femmes et les hommes ne peut s’intégrer dans le quotidien.

Dans sa volonté d’approcher l’Egalité entre les femmes et les hommes dans ses politiques, la Région Champagne-Ardenne a signé la Charte1 européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale en octobre 2007.

En 2013, l’observatoire régional pour l’égalité entre les femmes et les hommes en Champagne-Ardenne est installé, il a comme finalités d’être :

n Un véritable outil de connaissances de la condition des femmes en Champagne-Ardenne, un outil d’aide à des actions concrètes, mais également et surtout un lieu d’échanges autour de 3 thématiques phares : l’égalité professionnelle, la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au travail, le partage et la diffusion de la culture de l’égalité entre les femmes et les hommes sur tous les territoires.n Un outil de diagnostic de la situation de l’égalité entre les femmes et les hommes en Région et un outil d’évaluation des actions entreprises en faveur de cette question.

Forte de cette signature et de cet engagement politique, la Région a affiché sa volonté de faire de l’égalité une priorité transversale, elle constitue un véritable enjeu pour la collectivité régionale. Cependant la transversalité reste difficile à appliquer. D’abord engagée sur un plan d’actions externes, il était significatif pour la collectivité régionale, de s’investir aussi dans un plan d’actions internes pour faire vivre l’égalité dans son organisation. En 2010, la Région a affiché pour la première fois sa volonté de faire de l’égalité entre les femmes et les hommes, une question transversale en créant une mission égalité, rattachée à la direction générale des services et un poste de conseillère régionale déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes. Depuis 2012, la mission égalité existe, et se formalise

Par Clémence NOWAK, mission égalité, Conseil régional Champagne-Ardenne

par l’existence d’un budget propre et d’une équipe aujourd’hui composée de 3 personnes dont la responsable occupe d’autres missions que celles relatives à l’égalité.L’objet de cet article est d’apporter un témoignage sur l’expérimentation relative à l’installation d’une politique intégrée en matière d’égalité entre les femmes et les hommes.

La transversalité n’est pas « naturelle », sa définition : « La transversalité : c’est créer des passerelles entre les services, les acteurs, où la mutualisation des compétences prend tout son sens, dans un objectif commun… ». Cette définition trouvée sur internet, revêt un aspect intéressant tant elle reprend les points qui viennent à l’esprit quand le mot est dit dans une conversation. Ainsi les notions de liens, de mutualisation, de coopération, de compétences et d’objectifs communs apparaissent.Une tendance et un concept actuels qui ne peuvent s’opérer que dans le cadre d’une réelle volonté avec un mode d’organisation favorable.

Elle doit participer de la volonté de construire un environnement favorable aux échanges. Elle est un moyen managérial dont la mise en œuvre devrait décloisonner les politiques entre elles. Supprimer les cloisons, tel est son objectif principal. Mais cela n’est pas suffisant, encore faut-il qu’elle soit véritablement pratiquée.

Pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes, la cellule en charge de cette mission devra pouvoir s’intégrer de façon naturelle dans les différentes activités ainsi que dans les sphères de la collectivité. Ceci nécessite un temps de travail et de mise en place assez long, puisque cette méthodologie peut bousculer une organisation déjà établie. Afin d’éviter que la question de l’égalité entre les femmes et les hommes ne soit considérée comme une politique spécifique, et donc à l’encontre de la transversalité, la question du temps est nécessairement fondamentale dans l’intégration au quotidien.

Cette transversalité sans cesse annoncée et donc recherchée et de fait l’intégration de l’égalité entre les femmes et les hommes ne se décrète pas simplement, pour qu’elle puisse vivre dans les faits et concrètement, elle doit être imposée dans toutes les sphères de manière horizontale : féminisation des textes, des supports de communication, vigilance sur les attitudes sexistes, représentation équilibrée dans les différentes interventions,…Pour faire vivre l’égalité entre les femmes et les hommes, il est fondamental de l’intégrer dans toutes les politiques et de l’intégrer comme un plus à valoriser. Lorsqu’une avancée a été obtenue par et pour les femmes, c’est toute la société dans son entier qui en bénéficie, aussi bien les femmes que les hommes…

En résumé les conditions de la réussite de la transversalité : • Engagement politique • Organisation transversale et intégrée dans les services• Moyens humains et budget dédié• Formations des agents-es et des élus-es• Actions partenariales • Agents-es convaincus-es au quotidien • Temps.

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1 Extraits page 72.

Approche transversale, quels enjeux, limites et méthodes ? Approche transversale, quels enjeux, limites et méthodes ?

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Extraits de la Charte Européenne pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la vie locale.« L’égalité des femmes et des hommes est un droit fondamental pour tous et toutes, et constitue une valeur capitale pour la démocratie. Afin d’être pleinement accompli, ce droit ne doit pas être seulement reconnu légalement mais il doit être effectivement exercé et concerner tous les aspects de la vie : politique, économique, sociale et culturelle.En dépit de nombreux exemples d’une reconnaissance formelle et des progrès accomplis, l’égalité des femmes et des hommes dans la vie quotidienne n’est pas encore une réalité. Les femmes et les hommes ne jouissent pas des mêmes droits dans la pratique. Des inégalités politiques, économiques et culturelles persistent – par exemple les disparités salariales et la sous-représentation en politique.Ces inégalités sont le résultat de constructions sociales qui se fondent sur les nombreux stéréotypes présents dans la famille, l’éducation, la culture, les médias, le monde du travail, l’organisation de la société… Autant de domaines dans lesquels il est possible d’agir en adoptant une approche nouvelle et en opérant des changements structurels.Les autorités locales et régionales, qui sont les sphères de gouvernance les plus proches de la population, représentent les niveaux d’intervention les mieux placés pour combattre la persistance et la reproduction des inégalités, et pour promouvoir une société véritablement égalitaire. Elles peuvent, dans leur domaine de compétence et en coopération avec l’ensemble des acteurs locaux, entreprendre des actions concrètes en faveur de l’égalité des femmes et des hommes.

Pour parvenir à l’instauration d’une société fondée sur l’égalité, il est capital que les collectivités locales et régionales intègrent pleinement la dimension du genre dans leurs politiques, leur organisation et leurs pratiques. »

AACSE Agence nationale pour

la cohésion sociale et l’égalité des chances

AGEFIPH Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des personnes Handicapées

ANACT Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail

ANLCI Agence nationale de lutte contre l’illettrisme

ANDRH Association nationale des directeurs de ressources humaines

ARACT Agence régionale pour l’amélioration des conditions de travail

ARIFOR Action Régionale pour l’Information sur la Formation et l’Orientation (dénomination du CARIF en Champagne-Ardenne)

ARS Agence régionale de santé

CCARSAT Caisse d’assurance

retraite et de la santé au travail

CIRDD Centre d’Information et de Ressources sur la Drogue et les Dépendances

CCREFP Comité de coordination régional de l’emploi et de la formation professionnelle

CESER Conseil économique, social et environnemental régional

COPIRE Commission paritaire interprofessionnelle régionale de l’emploi

CPRDFP Contrat de plan régional de développement des formations professionnelles

CRI Centre ressources illettrisme

DDGEFP Délégation générale à

l’emploi et à la formation professionnelle

DIRECCTE Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi

DRJSCS Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale

DPT Document de politique transversale

EENA Ecole nationale

d’administration

FFAS Fonds d’action sociale

pour les travailleurs immigrés et leurs familles

FASILD Fonds d’action et de soutien à l’intégration et à la lutte contre les discriminations

FIPHFP Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique

GGAS-BTP Groupe action sociale

- Bâtiment et travaux public

GIP Groupement d’intérêt public

HHPST Hôpital, patients, santé

et territoires

IINSEE Institut national de la

statistique et des études économiques

LLOLF Loi organique relative aux

lois de finances

MMSA Mutualité sociale agricole

MDPH Maison départementale des personnes handicapées

OOPCA Organisme paritaire

collecteur agréé

OPP BTP Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics

PPRILDE Pôle régional intégration,

lutte contre les discriminations et pour l’égalité (situé à l’ARIFOR)

PRITH Plan Régional d’Insertion des Travailleurs Handicapés

PRST Plan régional de santé au travail

RRECI Réseau ressources pour

l’égalité des chances et l’intégration

SSGAR Secrétariat général pour

les affaires régionales

SPE Service public de l’emploi

GLOSSAIREApproche transversale, quels enjeux, limites et méthodes ?

74 Formation & Territoire - n° 15

Déjà parus

Numéro 1 Piloter un organisme de formation - juin 1997Coordonné par Marie-France FREY, ARGO Ingénierie, Paris

Numéro 2Le formateur et l’alternance - février 1998Coordonné par Lilianne VOLERY, CNAM-CFFB, Paris

Numéro 3La lutte contre l’illettrisme : pratiques en mouvement - juin 1998Coordonné par Sylvie RONDEAU, CAFOC, Reims

Numéro 4L’apprentissage de la compétence :premiers effets, premiers enjeux - janvier 1999Coordonné par Serge de WITTE, CD-FFPS CNAM, Paris

Numéro 5Redécouvrir le tutorat - septembre 1999Coordonné par Alain TYACK, CAFOC, Reims

Numéro 6Accompagnement et insertion des publics juillet 2000Coordonné par Bernard BALZANI, DRPJJ Lorraine, Champagne-Ardenne, Nancy

Numéro 7Démarches de professionnalisationmai 2001Coordonné par Sandrine POITTEVIN, ARIFOR

Numéro 8Formation et précarité : tendances et perspectives - décembre 2002Coordonné par Hervé LHOTEL, GREE, CEREQ de Nancy 2

Numéro 9Les pratiques d’orientation professionnelle : éclairages théoriques et témoignages d’acteurs - juillet 2004Coordonné par Serge BLANCHARD et Jean-Claude SONTAG, INETOP/CNAM

Numéro 10La validation des acquis de l’expérience : une expérience en cours d’acquisition décembre 2005Coordonné par Josette LAYEC, MCVA CNAM

Numéro 11 Les discriminations : comprendre, agir, accompagner - décembre 2006Coordonné par Julien VITEAU, ALETEYA, Paris

Numéro 12 Formation et professionnalisation, l’accompagnement en question – juin 2008Coordonné par Mathieu BÉRAUD et Ali BOULAYOUNE, GREE, Université Nancy 2

Numéro 13 Le travail en réseau, plus-values et contraintes août 2010Coordonné par l’ARIFOR et la CRESCA

Numéro 14Projet et orientation tout au long de la vie novembre 2011Coordonnée par Agnès HEIDET, André Chauvet conseil

Les derniers numéros de Formation & Territoire sont téléchargeables sur le site www.arifor.frCertains numéros sont encore disponibles sous forme papier sur demande.

La Revue « FORMATION & TERRITOIRE »La revue d’ingénierie de formation FORMATION & TERRITOIRE a été créée en 1997 par la MIFCA pour alimenter la réflexion autour d’une problématique en lien avec la formation professionnelle, l’insertion et l’orientation en Champagne-Ardenne. Au sein du GIP ARIFOR, Centre d’Animation de ressources pour l’information sur la formation en Champagne-Ardenne, elle est l’outil phare de réflexion et de capitalisation de pratiques régionales sur les champs d’investigation pré-cités.

Chaque numéro vise le recueil d’articles de praticien-nes concerné-es par le thème retenu et d’écrits d’expert-es venant éclairer et illustrer les pratiques décrites par les professionnel-les de terrain. Les articles de praticien-nes proviennent en priorité de la région Champagne-Ardenne.

Les destinataires de cette revue sont les opérateurs-trices de la formation professionnelle, de l’insertion et de l’orientation de Champagne-Ardenne (organismes de formation publics et privés, Missions locales, acteurs et actrices de l’information et de l’orientation…), les prescripteurs publics et privés de formation (Pôle emploi,…), les centres ressources régionaux et nationaux, les universités…