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AIX-MARSEILE UNIVERSITE FACULTE D’ECONOMIE ET DE GESTION
Ecole Doctorale des Sciences Economiques et de Gestion d’Aix-Marseille Centre d’Etudes et de Recherche en Gestion d’Aix-Marseille
Appropriation des technologies et apprentissage dans un environnement en
e-learning : le rôle du tutorat en ligne
THESE POUR L’OBTENTION DU DOCTORAT EN SCIENCES DE GESTION
d’Aix-Marseille Université
Présentée et soutenue publiquement le 13 décembre 2013 par Valérie CARAGUEL
Membres du jury :
Rapporteurs : Professeur Bernard FALLERY, Université de
Montpellier II
Professeur Régis MEISSONIER, Université de Picardie Jules Verne
Suffragant : Professeur Marc BIDAN, Polytech,
Université de Nantes Directeur de la recherche : Serge AMABILE, Maître de conférences,
Habilité à Diriger les Recherches, Aix Marseille Université
Valérie Caraguel 2
L’Université Aix-Marseille n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les thèses ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs.
Valérie Caraguel 3
A mes parents et à mes filles Margaux, Clara et Floriane,
à qui je dédie cette thèse.
Valérie Caraguel 4
Remerciements
Mes remerciements vont en premier lieu à Serge Amabile qui m’a fait l’honneur d’accepter de diriger ma thèse. Je lui suis particulièrement reconnaissante de m’avoir prodigué ses conseils, et de m’avoir apporté un soutien permanent. Serge Amabile a su fédérer ses doctorants autour d’une dynamique d’équipe remarquable. J’ai particulièrement apprécié la convivialité et la richesse des échanges lors des réunions de travail qu’il animait.
Je suis très honorée et je remercie particulièrement les Professeurs Bernard Fallery et Régis Meissonier qui ont accepté de rapporter cette thèse.
Je tiens également à remercier très chaleureusement le Professeur Marc Bidan pour avoir accepté de participer à mon jury de thèse.
Les entretiens menés pour mon travail de recherche ont permis aux interviewés d’exprimer leur difficulté d’organisation dans le cadre d’une formation à distance, surtout si l’on considère que la plupart d’entre eux étaient des professionnels en activité. Ces retours ont fait écho à ma propre situation de doctorante exerçant une activité professionnelle. Savoir que nous vivons tous les mêmes difficultés, que nous avons tous des choix à faire, des priorités à mettre dans nos actions, a permis de conforter ma position et le fait que l’accompagnement est essentiel pour soutenir les efforts de ceux qui s’engagent dans de tels parcours.
C’est ainsi que je tiens à remercier les nombreuses personnes qui m’ont soutenue, chacune avec ses mots, ses anecdotes, ses expériences, son professionnalisme également ; mais surtout, tous, avec la même constante et une confiance inconditionnelle qu’ils m’ont accordée. Tous d’un unisson étaient là pour m’encourager dans ce projet que j’avais entrepris. Sans jamais faillir, même lorsque moi-même je perdais courage, tous étaient présents. Je tiens à les nommer sans pouvoir toutefois en faire la liste exhaustive, tant ils ont été nombreux à mes côtés.
Je commence par remercier tout particulièrement Béatrice Quesnel et Jean-Louis Boutte qui ont initié cette démarche et qui m’ont accompagnée tout au long de ce chemin. Un grand merci du fond du cœur à mes filles Margaux, Clara et Floriane qui m’ont encouragée jusqu’aux derniers instants, et à mes sœurs Marie-France, Christine, Isabelle et Carole qui m’envoyaient, de loin, tous leurs encouragements. Merci à Alain d’avoir été à mes côtés jusqu’à la dernière minute. Merci à Marie-Laure pour son soutien des derniers mois, des dernières semaines. Merci à mes amies Magali, Cathy, Isabelle et Laurence pour leur patience, et à tous les autres amis qui m’ont également soutenue. Merci à Jean-Luc qui m’a accompagnée au début de cette thèse. Merci à mes collègues et plus particulièrement Lucie et Claire qui étaient à mes côtés chaque jour.
Valérie Caraguel 5
Merci aux Professeurs Jean Philippe, Serge Agostinelli, et Mohamed Sidir, ainsi qu’à Karine Guiderdoni-Jourdain, Valérie Campillo, Dominique Bonet et Carole Poirel pour leurs précieux conseils. Merci à Michel Calmet pour ses recommandations et ses encouragements. Merci aussi à Caroline Ladage et Catherine Anaya pour m’avoir permis d’accéder au terrain de recherche. Je remercie également, pour leur soutien et leurs conseils, les doctorants de notre équipe, et notamment Adrien, Coralie, Jean-François, et Fouzia, ainsi que les enseignants-chercheurs qui nous entourent et nous conseillent Anne-Lise, Anne-Marianne, Bénédicte et Manel.
Merci également à Jean-Louis Le Moigne et Olivier Roques pour les retours qu’ils ont apporté sur ma thèse lors des ateliers de recherche auxquels ils ont participé.
Un merci tout particulier à Michael Stankosky qui, non seulement m’a fait confiance en m’invitant à un séjour de recherche à l’Institute of Knowledge and Innovation (IKI) de la George Washington University ; mais qui continue, mois après mois, semaine après semaine, à suivre mon travail.
Merci également à Walter Baets qui avait commencé à diriger mon travail de thèse avant de partir en Afrique du Sud pour diriger la Graduate School of Business de l’université de Cape Town (Afrique du Sud). Walter avait été mon enseignant en 2001 dans le cadre d’un DESS de management des technologies de l’information à l’IAE d’Aix-en-Provence;; son travail sur l’enseignement en ligne et l’institut qu’il dirigeait - NOTION (the Nyenrode Institute for Knowledge Management and Virtual Education) at Nyenrode Business University in the Netherlands - m’avait fascinée. Je le remercie d’avoir accepté quelques années plus tard de diriger mon travail de recherche. Même si ses activités professionnelles l’ont emmené loin de la France, il a su me donner quelques pistes intéressantes de réflexion sur le tutorat à distance et l’e-learning qui m’ont permis de démarrer mes propres recherches.
Valérie Caraguel 6
Résumé
Le projet de la recherche est de participer à l’intelligibilité des dispositifs
d’interactions tuteur-apprenant dans la perspective de soutenir les processus
d’appropriation de la technologie et d’apprentissage dans un contexte d’e-learning. Les
dispositifs d’enseignement à distance sont appréhendés comme des systèmes complexes
de transferts, de création et de partage de connaissances. Outre le champ de l’e-
learning, l’analyse de la littérature se focalise donc sur trois champs théoriques : celui
de l’apprentissage, celui de l’appropriation et celui concernant la fonction tutorale dans
les dispositifs d’enseignement. Ce prisme théorique nous amène à nous interroger sur
les modalités d’intervention tutorales et leurs évolutions ; puis, notamment, sur la
médiatisation du tuteur dans l’apprentissage des apprenants. Une étude de cas, réalisée
dans une formation dispensée au sein d’Aix-Marseille Université, nous permet
d’identifier les éléments de réponses aux questionnements précédents. Les résultats
montrent que le tuteur est principalement perçu dans un rôle d’accompagnement,
notamment, pour soutenir les stratégies d’apprentissage. De plus, dans les systèmes
d’enseignement à distance, les apprenants étant en attente de lien, de relation de
proximité, nos analyses suggèrent que le tuteur peut constituer le lien social entre, d’une
part, l’enseignant et le contenu pédagogique et, d’autre part, les apprenants. Au-delà de
ces activités, nous avons relevé que le tuteur peut aussi occuper deux autres fonctions
tutorales : celle de knowledge manager et celle de facilitateur de tutorat entre pairs. Cela
nous permet, in fine, de suggérer qu’un objectif des systèmes d’e-learning est de mettre
en place une fonction tutorale laissant émerger et favorisant un certain degré d’auto-
organisation entre apprenants. Notre recherche montre également que l’objectif de
« rendre la technologie transparente » est atteint lorsque l’appropriation des
technologies par les apprenants est initiée et favorisée dès les phases amonts du
processus d’enseignement. Pour conclure, alors qu’on craignait que l’e-learning ne se
substitue aux enseignants, nous relevons que le rôle de ces derniers apparaît… renforcé
quoique en évolution : le rôle de l’enseignant évolue, celui du tuteur émerge ! Il devient
le lien entre l’électronique et l’apprentissage, entre le « e » et le « learning » !
Valérie Caraguel 7
Valérie Caraguel 8
SOMMAIRE
INTRODUCTION GENERALE
CHAPITRE I : L’E-LEARNING
1 Introduction p.22
2 L’ e-learning p.31
3 L’e-learning comme système complexe p.45
4 L’e-learning comme innovation de service p.52
5 Ce qu’il faut retenir du chapitre I p.69
CHAPITRE II : L’APPRENTISSAGE
1 Définitions p.73
2 Les grands courants de l’apprentissage p.74
3 En conclusion du chapitre II p.102
CHAPITRE III : LE TUTORAT EN LIGNE
1. Qu’est-ce que le tutorat ? p.108
2. Position du tuteur dans un dispositif en ligne p.124
3. Le tutorat en ligne : maillon essentiel de la chaîne de l’apprentissage p.137
Valérie Caraguel 9
CHAPITRE IV : L’APPROPRIATION DES TECHNOLOGIES DANS UN DISPOSITIF E-LEARNING
1 Eclaircissement de quelques concepts autour de l’appropriation et des technologies en question p.143
2 Les courants majeurs sur l’appropriation des technologies p.149
3 Conclusion p.172
CHAPITRE V : METHODOLOGIE, EPISTEMOLOGIE ET PRESENTATION DU TERRAIN DE RECHERCHE
1. Genèse du projet de recherche et problématique générale de la thèse p.179
2. Positionnement épistémologique du chercheur p.185
3. Méthodologie de la recherche: L’étude de cas unique p.193
4. Choix de terrain et présentation du cas p.197
CHAPITRE VI : PRESENTATION ET DISCUSSION DES RESULTATS
1 Introduction p.222
2 Présentation des thématiques p.224
3 Présentation des résultats p.231
4 Interprétation des résultats et discussion p.260
5 Synthèse des résultats de la thèse p.282
CONCLUSION GENERALE p.286
BIBLIOGRAPHIE p.298
Valérie Caraguel 10
Introduction générale
Valérie Caraguel 11
INTRODUCTION GENERALE
« Appropriation des technologies et apprentissage dans un environnement en e-learning :
le rôle du tutorat en ligne »
A l’aube du XXe Siècle, une large majorité des français était occupée aux activités
de labourage (Serres, 1993, 2012). En 2013, la France, comme la plupart des pays
industrialisés, compte moins de 2% d’agriculteurs (Gouvernement français, 2012).
En interaction avec ces transformations et les mutations observées dans les sociétés
développées, l'enseignement, sous toutes ses formes, a été développé et démultiplié de
façon exponentielle. Comme le suggère Serres (2012), ce changement peut être perçu
comme une des principales évolutions récentes concernant les civilisations humaines.
L’auteur souligne, en outre, que nous nous situons vraisemblablement dans les premiers
sillons du long sentier nous conduisant à la société pédagogique.
En effet, les dispositifs et les méthodes d'enseignement ont, eux-mêmes, beaucoup
évolué... Ainsi, jusqu'à la fin du XXe siècle, les collégiens, les lycéens, les étudiants, les
salariés en formation, les citoyens, etc., devaient se réunir dans des lieux de formation,
des salles de cours, des amphithéâtres, etc. Il s'agissait d'écouter un enseignant, un
formateur, dans la perspective d'échanger et d'assimiler des connaissances. Désormais,
si les dispositifs d'enseignement continuent à se multiplier, ils se sont surtout
diversifiés ! De plus en plus souvent, ils sont organisés à distance. De même, ils peuvent
être développés dans des modes synchrones ou dispensés de façon asynchrone. Dans
certaines situations, les apprenants pourront être accompagnés par un formateur. Dans
d’autres contextes, ils pourront bénéficier du soutien de l'ensemble d'une équipe de
pédagogues. Ces derniers pourront se matérialiser de façon virtuelle, c'est-à-dire être
relayés et interagir via une ou plusieurs technologies de l'information ! En outre, lorsque
l’enseignant reste présent, cela peut être seulement partiel et/ou temporaire. En effet, au
fil du temps et de la progression des cursus, les pédagogues peuvent être amenés à
fonctionner en interaction avec des systèmes technologiques, voire à « s'effacer » ou à
Introduction générale
Valérie Caraguel 12
laisser leur place à ces derniers. De nombreux outils ont, en effet, été conçus afin
d'interagir, en autonomie partielle ou totale, avec un ou plusieurs apprenants.
Ces derniers ont également beaucoup évolués. Ils sont de plus en plus
technologistes, voire « geeks », et cela, à des âges toujours plus précoces. Bigot et
Croutte (2012, p. 22) notent ainsi que plus de 90% des français disposent d'un téléphone
portable, ce pourcentage s'approchant du seuil de 100% pour les français de plus de 15
ans. De même, un tiers des jeunes adultes de notre pays disposent d’un Smartphone
(« téléphone intelligent ») à partir duquel ils accèdent à Internet (Bigot et Croutte,
p. 42), téléchargent des applications, voire (dans des proportions moins importantes)
regardent la télévision. Par ailleurs, près de 90% des français disposent d’un ordinateur
à domicile (35% des personnes ayant même accès à 2 ordinateurs ou plus dans leur
habitat). La quasi-totalité de ces machines est connectée à Internet via des liaisons haut
débit. Enfin, près de 80% des personnes équipées se connectent tous les jours, pour des
usages toujours plus diversifiés (téléphoner avec son ordinateur, se connecter à un
« réseau social », télécharger de la musique, des vidéos, créer du contenu, animer des
débats, etc.).
En ce qui concerne les entreprises et, plus largement, les institutions
d’enseignement, les différents changements que nous venons d'évoquer ont,
naturellement, été perçus. Il est vrai que la diversification et la sophistication des
Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) sont susceptibles de
faciliter la mise en production de solutions d'enseignement assistées par les ordinateurs
présentant des niveaux de qualité et d’ergonomie sans cesse plus élevés.
Ces évolutions sont d'autant plus importantes que les préoccupations économiques
des institutions d’enseignement les amènent, depuis quelques années, à reconsidérer
leur politique de formation et à se tourner vers des solutions technologiques comme l’e-
learning. La crise économique incite, en effet, fortement les organisations à s’adapter et
à faire évoluer les compétences de leurs salariés. Dans cette perspective, l’enseignement
à distance et l’autoformation peuvent correspondre à des solutions plus économiques
que les formations traditionnelles. En ce qui concerne les universités, des épisodes de
l’actualité récente comme, notamment, l’apparition des Massive Open Online Courses
(MOOC) ont perturbé le modèle économique des formations traditionnelles, voire des
cours en ligne de première génération. Globalement, ces évolutions invitent les acteurs
Introduction générale
Valérie Caraguel 13
de l’enseignement à réfléchir à d’autres modalités que le développement classique de
cours en présence des étudiants.
Ainsi, des développements des TIC à la sophistication de leurs fonctionnalités, en
passant par les innovations pédagogiques ou, encore, la recherche de nouveaux modèles
économiques, les changements sont nombreux dans le domaine de l'enseignement.
Celui-ci semble devenu l'emblème des évolutions du début du XXIe siècle (Serres,
2012).
Dans les faits, qu'en est-il réellement ? Exprimé autrement, comment les
organisations ou, plus précisément, les institutions d'enseignement se sont-elles adaptées
et quelles sont les véritables moteurs de leur motivation ?
Des enquêtes menées dans des entreprises (Cegos et CSA, 2008 ; Demos e-Learning
Agency, 2008) et dans des universités européennes (E-LUE, 2006) révèlent
effectivement une tendance grandissante à l’adoption de formations en ligne. Si le gain
financier est présenté comme une motivation essentielle, les attentes se déclinent
également sur des perspectives pédagogiques. En particulier, sont démultipliées les
possibilités d’atteindre de nouveaux publics tels que les salariés ou les publics
empêchés (en raison, par exemple, de difficultés de déplacement liées à un éloignement
géographique et/ou à un manque de disponibilité). Cela présage certainement des
développements importants. Comme le souligne Lisowski (2010, p.44), l'innovation des
dispositifs d’e-learning est réelle car, en facilitant les accès à la connaissance et aux
formations, ils permettent de s'adresser et d'atteindre des acteurs géographiquement
séparés. En cela, ils sont susceptibles de participer aux développements des processus
de formation, voire d’auto-formation. Ils peuvent donc être à l'origine de l’entretien et
du développement des compétences individuelles et collectives.
Toutefois, depuis plus de quinze ans, les mises en place de formations en ligne dans
les entreprises ou, plus largement, dans les institutions d'enseignement, ont révélé
différents freins observés, principalement, dans l’usage de ces dispositifs. L’étude de
Demos e-learning Agency (2008) précise ainsi que près d'un apprenant sur deux
rencontre des problèmes d’organisation dans le temps de son apprentissage et ressent
également des difficultés techniques. Le sentiment de solitude, le manque
Introduction générale
Valérie Caraguel 14
d’accompagnement et de motivation sont également évoqués par un tiers des
apprenants.
Dans le cadre de la mise en place d’universités numériques, Isaac (2008) identifie
différents freins à l'utilisation de dispositifs e-learning. En premier lieu, il repère des
freins stratégiques. Ces derniers semblent liés à une réflexion insuffisante en ce qui
concerne les aspects émergents provenant, notamment, du travail collaboratif. En
second lieu, sont observés des freins organisationnels et financiers dûs au manque de
ressources et aussi à l’inégalité d’accès aux ressources numériques. Troisièmement, sont
récurrents des freins humains liés au manque de formation des enseignants en matière
de numérique. Ces freins peuvent aussi provenir d'un manque de reconnaissance de la
nouvelle forme d'enseignement ou, encore, de blocages socio-psychologiques
provenant, principalement, de la dimension transdisciplinaire et collaborative et aux
difficultés à partager son savoir-faire dans des contextes d’e-learning. Les freins
humains concernent les enseignants comme les apprenants. Enfin, Isaac (2008) relève
des freins juridiques concernant les contenus et les supports de cours en relation,
principalement, avec les questions de propriété intellectuelle.
Très largement, il apparait que les dispositifs d’e-learning ne peuvent être tenus
pour de simples évolutions ou innovations technologiques. Les dispositifs déployés
introduisent également des changements culturels et organisationnels dans les structures
concernées, de la même façon et, peut-être même, au-delà de ceux habituellement
induits par l'adoption de TIC (Amabile et Gadille, 2006 ; Amabile, 2008). Notamment,
lors de l'utilisation de systèmes e-learning, les processus de transformation,
d'apprentissage et d'appropriation, concernant les formateurs comme les apprenants,
peuvent être longs et se heurter à de nombreuses réticences (Spalanzani et Filippi,
2004). En particulier, les interactions humaines médiées par les technologies dans un
dispositif électronique de formation semblent particulièrement importantes. En ce sens,
Crozier (1995) relève que l’invention technique n'est pas suffisante, la différence
pouvant se constituer sur le développement d'interactions entre « tous les maillons de la
chaîne des rapports humains, de la connaissance scientifique à la découverte technique,
de son développement à sa mise en œuvre ». Plus récemment, les recherches
d’Orlikowski (1992, 2000, 2002), dans les perspectives de celles de Giddens (1984), ont
montré qu'il était difficile ne pas considérer les phénomènes d'appropriation de la
Introduction générale
Valérie Caraguel 15
technologie. Si cette dernière est susceptible de participer à la diminution des frontières
spatio-temporelles, cela n'est pas sans amener différentes contraintes liées à leurs usages
(Orlikowski, 1992 ; Amabile, 2008). En proposant le concept de « technology in
practice » (« technologie en pratique »), Orlikowski (2000) montre ainsi que c'est dans
la manière de l'utiliser que la technologie devient ce qu'elle est. Or, dans les dispositifs
d’e-learning, la dimension technologique est omniprésente, les outils étant le vecteur
des activités pédagogiques proposées aux apprenants. En cela, la mise en place de ces
dispositifs semble également relever d’une logique d’innovation organisationnelle et de
conduite du changement (Isaac, 2008).
En synthèse, nous comprenons pourquoi, il est pertinent d'étudier comment les
apprenants savent, peuvent et veulent utiliser les dispositifs d’e-learning et, également,
de comprendre comment ils participent à la conception ou à l’enrichissement du
dispositif dans le temps.
Dans cette perspective, Boutte (2007) montre que la « transmission de savoir-faire »
passe souvent par un « accompagnement » d’un novice par un expert à travers différents
processus. En cela, cet auteur suggère que, dans la cadre des dispositifs d’e-learning,
une amélioration de la qualité de l’apprentissage peut être raisonnablement attendue à
travers la mise en œuvre de processus de facilitation et d'accompagnement des
apprenants. Différents auteurs définissent ainsi comme centrale, la position du tuteur
dans les dispositifs d'enseignement en ligne (Paquette, 2001 ; Lisowski, 2010). Dans les
systèmes de formation et/ou d'enseignement, le tuteur peut favoriser la mise à
disposition du savoir et soutenir les processus d'apprentissage (Barbier, 1996). On lui
attribue alors un rôle facilitateur, de régulateur, d'accompagnateur, de dispensateur de
savoir, de modérateur ou, encore, de conseiller (Hulin, 2007 ; Rodet, 2010). Nous
mesurons donc l’importance de la conceptualisation du tutorat à distance et, plus
particulièrement, des modalités de l'organisation pratique de la fonction tutorale. La
mise en place d’un tutorat en ligne peut constituer une réponse aux craintes et aux freins
relevés lors de la mise en place de formation en e-learning.
Introduction générale
Valérie Caraguel 16
Questions de recherche, positionnement épistémologique et architecture de la thèse
Question de recherche
Précisément, nous définirons l’e-learning comme un système d’enseignement à
distance, dispensé au travers d’un dispositif électronique, caractérisé par des contenus et
des outils didactiques, collaboratifs et de gestion, au service de l’apprentissage et de la
connaissance. Ce dispositif est mis en œuvre à travers un système d’interactions
humaines médiées par les technologies.
En parallèle de cette définition, les développements précédents nous ont permis de
souligner les difficultés et les freins que pouvaient rencontrer les apprenants dans des
environnements d'enseignement à distance. De tels contextes peuvent être marqués par
la solitude et, plus largement, par des problèmes d'adaptation des apprenants. De même,
les outils étant le vecteur des activités pédagogiques proposées aux apprenants, nous
avons expliqué pourquoi la dimension technologique était centrale à notre recherche.
Plus précisément, la question de l'appropriation des technologies, derrière laquelle
peuvent être regroupés les questionnements concernant l'apprentissage, se situe au cœur
de notre sujet de thèse. En synthèse, compte tenu de la définition précédente et des
raisons que nous venons brièvement de rappeler, la thèse cherche principalement à
questionner l'intelligibilité et le développement de dispositifs d’interactions tuteur-
apprenant(s) dans la perspective de soutenir l’appropriation de la technologie par ce(s) dernier(s) dans le cadre du e-learning. Précisément, cet objectif global se
décline en une question générale de recherche :
« Quels dispositifs d’interactions tuteur-apprenant afin de soutenir
l’appropriation de la technologie et l’apprentissage des apprenants dans un contexte d’e-learning ? ».
Cette question se décline elle-même en différentes sous-questions de recherche.
Le passage de modes d’enseignement classiques, en présentiel et synchrones, à des
dispositifs en ligne dans lesquels les outils sont les vecteurs essentiels des activités
pédagogiques proposées aux apprenants, nous amène à poser deux sous-questions. La
première évoque les modalités d’intervention du tuteur :
Introduction générale
Valérie Caraguel 17
« Quelles modalités d’intervention du tuteur sont-elles susceptibles de
participer à l’appropriation des TIC dans un environnement en e-learning ? ».
La deuxième porte sur les évolutions des modalités d’interventions des tuteurs :
« Comment les modalités d’interventions tutorales évoluent-elles au regard du
processus d’appropriation des technologies ? ».
Enfin, nous avons montré que les processus de transformation et d'apprentissage
peuvent être longs et se heurter à d’importantes réticences. Nous aurons donc la
troisième sous-question de recherche suivante :
« Quel est le rôle de la médiatisation par le tuteur dans l’apprentissage des
apprenants ? ».
Positionnements épistémologique et méthodologique, choix du terrain Notre posture épistémologique constructiviste est enchâssée dans les courants de la
complexité (Le Moigne, 1991). En effet, nous souhaitons mobiliser dans le paradigme
de la complexité, le principe selon lequel les composants du système, en interactions les
uns par rapport aux autres, sont subordonnées au tout. En considérant les interactions,
nous pouvons considérer que le tout est plus que la somme de ses éléments. Or, dans un
dispositif d’e-learning, la création de connaissances, les processus d’apprentissage et
d’appropriation de la technologie dans un processus d’innovation peuvent être présentés
comme un système complexe et émergent. Celui-ci doit être appréhendé dans sa
globalité afin de ne pas perdre l’intelligibilité de ses modes de fonctionnement et de ses
évolutions.
Les implications méthodologiques issues de notre posture constructiviste ne sont pas
anodines. Nous sommes amenée, en effet, à proposer une approche méthodologique
spécifique à notre champ de recherche tout en restant cohérente avec notre sensibilité
épistémologique. Cet impératif se traduit par le renoncement aux méthodes analytiques
et statistiques, que nous pensons inadaptées pour appréhender des phénomènes dans
leur complexité, et par la construction d’un design de recherche autour d’une
méthodologie qualitative exploratoire.
Introduction générale
Valérie Caraguel 18
Ainsi, pour cette recherche, notre choix s’est porté sur une étude de cas unique. Pour
Yin (1994), l’étude de cas est une étude de terrain qui s’intéresse à un phénomène
contemporain dans son contexte réel et, plus particulièrement, lorsque les liens entre
phénomène et contexte ne sont pas perceptibles de façon immédiate. La collecte des
données y apparaît comme un processus itératif, qui permet au chercheur d’affiner sa
recherche alors que de nouvelles connaissances sont dévoilées (Eisenhardt, 1989 ; Yin,
1994).
Par ailleurs, pour étudier les processus d’appropriation des technologies dans un
environnement en e-learning, nous avons identifié deux champs possibles : l’entreprise
et le domaine public, les universités en particulier. Il convient de noter que l’accès à des
terrains universitaires pouvait sembler facilité du fait de notre pratique professionnelle.
Toutefois, il nous est également apparu important, à la suite des entretiens exploratoires
effectués auprès des responsables e-learning dans de grandes entreprises, de focaliser
notre recherche sur les universités. En effet, le tutorat en ligne est, encore aujourd’hui,
peu présent dans les entreprises. A contrario, il est perçu comme quasiment
indispensable dans les universités, les expérimentations y étant de plus en plus
nombreuses. Il apparait donc que l’étude de la fonction tutorale dans des dispositifs e-
learning développés au sein des universités est pertinente. Transposer ultérieurement
nos résultats dans la sphère des entreprises reste, naturellement, envisageable.
Ainsi, comme étude de cas, nous avons retenu une licence professionnelle de
médiation culturelle proposée à distance par Aix-Marseille Université.
Organisation de la recherche
S’intéresser aux dispositifs d’interactions tuteur-apprenant dans la perspective de
soutenir l’appropriation de la technologie et l’apprentissage des apprenants dans un
contexte d’e-learning invite à investir différents domaines scientifiques. De
l’apprentissage individuel à l’apprentissage organisationnel en passant par
l’apprentissage en équipe ou entre pairs, l'innovation et même l’innovation de services,
la modélisation des systèmes complexes et, enfin, les processus d'appropriation, les
courants de recherche sont nombreux. Pour autant, s’avèrent-ils tous pertinents pour
construire un cadre conceptuel susceptible de nous aider à explorer et à développer des
éléments de réponse autour de notre problématique de recherche. En outre, quels que
Introduction générale
Valérie Caraguel 19
soient les questionnements abordés, il semble difficile de prétendre à l’exhaustivité de la
revue de la littérature relative à un sujet de thèse.
De fait, nous avons retenu l’organisation suivante pour notre travail. La thèse est
structurée en six chapitres. Les quatre premiers ouvrages forment la partie théorique de
la recherche. Le cinquième présente nos choix méthodologiques et notre positionnement
épistémologique. Enfin, le dernier chapitre expose l’étude de cas que nous avons menée.
Dans la partie théorique (du Chapitre I au Chapitre IV), nous présentons les théories ou
courants de recherche susceptibles de nous apporter des éléments probants à
l’opérationnalisation de ce travail. Précisément, en ce qui concerne l'analyse de la
littérature, nous avons été amenée à faire deux choix. D'une part, nous nous sommes
orientés vers une analyse de la littérature plus synthétique que complète et exhaustive.
D'autre part, nous avons délibérément opté pour la présentation de travaux mobilisés, de
façon récurrente, dans des recherches développées dans le cadre des sciences de gestion
mais également dans celui des sciences de l'éducation, de la sociologie ou, encore, de la
psychologie cognitive. En effet, notre sujet concernant l’enseignement, l'ouverture de
notre réflexion à des résultats développés et/ou issus de ces disciplines nous a paru
pertinente. Notamment, cette orientation se retrouvera dans le chapitre II concernant
l'apprentissage : de nombreuses recherches provenant des sciences de l'éducation
comme de la psychologie cognitive y sont mobilisées. Elles participent à l’intelligibilité
des processus d'apprentissage dans la cadre de dispositifs d’e-learning.
Dans le détail, le sommaire de notre thèse est le suivant. Notre problématique
portant sur l’appropriation des technologies, l’apprentissage et le rôle du tutorat en
ligne, il était naturel de commencer notre réflexion par un panorama précis de ce qu’est
l’enseignement en ligne, de le définir et de décrire les dispositifs existants (Chapitre I).
Dans la seconde partie de ce chapitre, nous expliquons pourquoi l’e-learning peut être
tenu pour un système complexe. De là, nous montrons qu’il peut être considéré non
seulement comme une innovation dans l’enseignement mais, plus précisément, comme
une innovation de service.
Le second chapitre propose une lecture des processus d’apprentissage mobilisés
dans des contextes d’enseignement, d’enseignement en ligne et dans les activités du
tutorat. Pour ce faire, nous mobilisons différentes théories développées autour de
l’apprentissage. Pour chacune d’elle, nous montrons ce que l’enseignement et le tutorat
Introduction générale
Valérie Caraguel 20
en ligne peuvent tirer comme profit. Nous préciserons, ensuite, pourquoi le système
tutoral est différent selon le modèle d’e-learning adopté. Enfin, nous proposons un
tableau synthétique de cette approche, ce qui nous permettra d’esquisser notre réflexion
alliant théorie de l’apprentissage, modèle d’e-formation et mise en œuvre de tutorat en
ligne.
Le troisième chapitre revient sur le concept du tutorat. Partant de la question
« qu’est-ce le tutorat ? », nous précisons les rôles et les fonctions du tuteur dans un
environnement en e-learning. Enfin, nous discutons des différents types des
interventions tutorales.
La quatrième chapitre, le dernier de l’analyse de la littérature, concerne
l’appropriation des technologies dans un environnement en e-learning. Notre analyse
porte sur deux niveaux : le niveau individuel de l’appropriation de la technologie et le
niveau collectif ou organisationnel que nous ramenons au groupe d’apprenants.
Comme le montre la figure suivante, les quatre premiers chapitres de la thèse nous
permettent d’aborder les principaux phénomènes et/ou les éléments essentiels
constituant les dispositifs d'e-learning : les processus d’apprentissage, la fonction
tutorale et l’appropriation de la technologie dans un environnement d’enseignement en
ligne. Ils nous permettent ainsi de constituer et de justifier la pertinence de notre
question générale de recherche : « quels dispositifs d’interactions tuteur-apprenant
afin de soutenir l’appropriation de la technologie et l’apprentissage des apprenants dans un contexte d’e-learning ? ».
Introduction générale
Valérie Caraguel 21
Le rôle du tuteur
Théories de l’apprentissage
le behaviorisme
le constructivisme
le socio-constructivisme
l’apprentissage organisationnel
A partir de cette première étape, nous pouvons, dans le cinquième chapitre, détailler
les choix méthodologiques et définir notre positionnement épistémologique. Nous
présentons également le terrain de la recherche.
Enfin, le sixième et dernier chapitre de notre recherche présente et discute nos
résultats. En particulier, nous montrons comment un système tutoral peut être envisagé
en fonction des contextes d’enseignement. Les résultats de notre étude suggèrent, par
ailleurs, que, pour faciliter le processus d’appropriation des technologies, l’ingénierie
pédagogique préalable est très importante. Enfin, nos résultats révèlent de nouveaux
rôles pour le tuteur, notamment, le facilitateur de tutorat entre pairs et le Knowledge
Manager.
Introduction générale
Valérie Caraguel 22
Ainsi, nous concluons notre recherche en rapprochant la fonction tutorale de celles
liées au management de la connaissance dans les organisations. Dans cette perspective,
une extension de notre recherche pourrait être de se questionner sur la capitalisation des
connaissances acquises et des connaissances créées, qu’elles soient individuelles ou
collectives, dans un contexte d’enseignement en e-learning.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 23
CHAPITRE I : L’E-LEARNING
1 Introduction p.22
2 L’ e-learning p.31
3 L’e-learning comme système complexe p.45
4 L’e-learning comme innovation de service p.52
5 Ce qu’il faut retenir du chapitre 1 p.69
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 24
CHAPITRE I : L’E-LEARNING
1 Introduction
L’expression « e-learning » est apparue en France à la fin du XXe siècle. Elle est
venue s’ajouter à celle de FOAD (Formation Ouverte et/ou A Distance). La définition
officielle de la FOAD a été donnée par la Direction Générale à l’Emploi et à la
Formation Professionnelle (DGEFP) dans la circulaire du 20 juillet 2001 :
« Une formation ouverte et/ou à distance est un dispositif souple de formation,
organisé en fonction de besoins individuels ou collectifs (individus, entreprises,
territoires). Elle comporte des apprentissages individualisés et l’accès à des ressources
et compétences locales ou à distance. Elle n’est pas exécutée nécessairement sous le
contrôle permanent d’un formateur ».
L’« ouverture » fait référence à un choix possible parmi une diversité. Une formation
dite « ouverte » doit être accessible de multiples façons. Elle doit également être
flexible. L’ouverture concerne aussi les possibilités d’adaptation ou de régulation dans
le dispositif. La FOAD ainsi définie est une sous-partie de l’enseignement à distance
(EAD). En effet, ce dernier comprend tous les enseignements dits « à distance » - que ce
soit par voie postale ou par voie électronique (e-learning). De fait, par abus de langage,
lorsque, de nos jours, nous entendons parler d’enseignement à distance dans les
entreprises, les organisations, les institutions, etc., il est uniquement sous-entendu
enseignement en ligne. Il est vrai que les autres formes d’EAD ont vu leur importance
diminuer singulièrement depuis la fin du XXe siècle (Jacquinot-Delaunay et Fichez,
2008).
Un enseignement en ligne est dispensé via internet à travers, le plus souvent, une
plateforme technologique. Les modalités de délivrance de cet enseignement diffèrent
selon le dispositif. Nous référant à la typologie COMPETICE1 (cf. figure 1) et nous
appuyant sur notre expérience professionnelle – puisqu’il n’existe pas à ce jour de
catégorisation précise et que le sujet fait encore débat pour trouver un consensus -, nous
considérons qu’une formation peut être qualifiée de formation « en ligne » à partir du
1COMPETICE est un outil de pilotage des projets TICE par les compétences réalisé à l’initiative du Ministère de la Jeunesse, de l’Education Nationale et de la Recherche français.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 25
moment où il s’agit au moins d’un présentiel réduit. C’est en effet à partir de ce stade
que l’essentiel de la formation se fait en dehors de la présence de l’enseignant.
Présentiel Présentiel Présentiel Présentiel Présentiel Enrichi amélioré allégé réduit quasi inexistant
Présentiel à distance
Figure1 – Typologie COMPETICE (2002)
La plupart des recherches (Fichez, 2008) a montré que les formations effectuées
totalement à distance – ou présentiel inexistant - ne sont en général efficaces que pour
la bureautique, l’enseignement des langues ou, dans le cadre de l’entreprise, pour des
formations sur la réglementation ou pour l’acquisition de compétences dites
instrumentales. Ces formations pouvant ne pas être accompagnées d’un tutorat, il s’agit
alors d’auto-formations. Dans le cadre des enseignements universitaires, la forme la
plus recommandée de modèle d’e-learning est actuellement le « blended-learning »
(Rovai et Jordan, 2004) accompagnée d’un tutorat individualisé. Il s’agit d’une modalité
mixte de formation, mélangeant des temps de regroupement en présentiel avec des
séances de travail à distance. Sur la typologie COMPETICE, il se situe entre le
présentiel réduit et le présentiel quasi-inexistant.
Les pouvoirs publics comme les chercheurs, ont publié de nombreux rapports sur
l’enseignement en ligne. Dès 1990, le rapport Duhamel proposait la création d’une
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 26
« université ouverte ». De même, Averous et Touzot (2002) ont étudié les enjeux des
« campus numériques »2. Isaac (2008) a proposé des pistes pour une amélioration de la
qualité du numérique à l’université. De nos jours, pour les entreprises comme pour les
institutions et les organismes de formation, l’enseignement en ligne est devenu un enjeu
majeur. C’est ce suggère un certain nombre de récentes publications (Bernard, 2005 ;
Benraouane, 2011 ; Prat, 2012a, 2012b ; Vanwelde, 2012 ; Groux et Cantisano, 2013 ;
Cegos, 2013). De même, nous pouvons remarquer le fort développement de
manifestations organisées annuellement sur le thème de l’e-learning : Online Educa
Berlin (OEB), International Conference on Distance Learning and Education (ICDLE),
EFQUEL Innovation Forum, Conférences du FFFOD (Forum Français pour la
Formation Ouverte et à Distance). Pour le moins, cela suggère que l’e-learning intéresse
un public de plus en plus important.
Une étude de Demos e-learning Agency effectuée en 20083 auprès des responsables
de formation et du e-learning de 30 entreprises du CAC 40 ou du SBF120, amène des
résultats intéressants. Près de deux tiers (63%) des entreprises interrogées voient,
comme avantage majeur au e-learning, la réduction des coûts. De plus, pour près de la
moitié de ces organisations, l’e-learning facilite le déploiement massif de formations, de
transferts de connaissances et de dispositifs d’enseignement. Il permet donc d’intervenir
plus rapidement auprès, qui plus est, d’un nombre sans cesse plus élevé d’apprenants.
Les entreprises voient dans ces possibilités un autre argument particulièrement
important pour l’adoption de ce type de dispositif de formation (cf. figure 2).
Le baromètre européen du e-learning 2011 (Crossknowledge, Féfaur, Ipsos Loyalty)
mentionne que « plus on y a recourt, plus on prévoit d’en développer l’usage ». En
effet, comme le souligne Lisowski (2010, p.44), ce type de dispositif est « pensé et
conçu pour faciliter l’accès à la formation dans l’entreprise même. Il est censé, par
exemple, pouvoir servir à former des effectifs distants et éclatés. Il doit pouvoir aider à
l’intégration des nouveaux salariés et des intérimaires. Dans le cadre de la formation
2 Les campus numériques sont une forme de dispositifs de FOAD dans l’enseignement supérieur : « Les trois
syntagmes de « campus virtuel », d’«université virtuelle » et de « campus numérique », apparus avec le développement d’Internet dans la formation, ont été utilisés pour désigner ce qu’auparavant on appelait « enseignement à distance ». [...] Dans la chaîne discursive centrée sur l’enseignement à distance, ils pourraient donc ne constituer que de simples variations désignatives d’un même paradigme ». Extrait de la communication « De l’Université Virtuelle au Campus Numérique : Simple effet de traduction ou changement de paradigme » de Françoise Thibault au 1er colloque franco-mexicain, Mexico, du 8 au 10 avril 2002.
3 Etude « Blended-Learning et tutorat » 2008-2009, Group Demos, Paris, 30 p.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 27
continue, il doit permettre un accès libre à des ressources pour de l’auto-formation et
l’entretien des compétences individuelles et collectives ».
Figure 2 – Les avantages perçus du e-learning en entreprise
selon une enquête Demos E-learning Agency 2008 (reproduit selon schéma p.9)
Du côté des organisations publiques, les attentes se déclinent davantage sur des
perspectives pédagogiques que sur une logique de coût. Par exemple, Ainsi, dans
l’enseignement supérieur français, selon une enquête menée en 2006 pour la
Commission Européenne4, peu d’établissements considèrent que l’e-learning constitue
un moyen efficace de réduire leurs coûts. Seulement 4% des répondants ont évoqué la
réduction des coûts comme objectif pour la mise en place d’enseignements en ligne, ce
qui place ce critère en 7ème position sur 10 items proposés. (cf. figure 3).
4 E-LUE (E-Learning and University Education), Les universités européennes à l'heure du e-learning : regards sur
la Finlande, l'Italie et la France.
63%
43% 40% 40%
37% 37%
27% 23%
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 28
Figure 3 – Objectifs des politiques de développement du e-learning dans les établissements
supérieurs français selon l’enquête menée dans le cadre du projet E-LUE (2006)
lancé par la Commission Européenne (reproduit selon schéma p.71)
Qu’est ce qui encourage donc les universités françaises à adopter ce type
d’enseignement. Globalement, elles considèrent que l’e-learning améliore la qualité de
l’apprentissage des étudiants tout en offrant un niveau élevé de flexibilité quant aux
modalités d’accès aux supports (Thibault et Albero, 2006). La possibilité d’atteindre de
nouveaux publics tels que les salariés ou les publics empêchés (par éloignement
géographique et/ou par manque de disponibilité) correspond également à une
motivation importante.
Toutefois, si les acteurs ont une bonne perception des avantages du l’enseignement
en ligne, à la fois par les entreprises et par les établissements publics, il apparait
également des appréhensions à l’adoption de ce mode d’enseignement ou de formation.
Selon l’enquête Demos e-learning Agency (2008), les freins à l’adoption de l’e-learning
en entreprise (cf. figure 4) sont à :
- 43% dus à des problèmes d’organisation
- 43% dus aux difficultés techniques
- 30% dus à la solitude, au manque d’accompagnement, au manque de motivation
- 20% dus à l’importance ou à l’insuffisance des investissements.
0 2 4 6 8 10 12 14 16 18
Autres : Mutualisation et rationalisation…
Concurrence autres universités
Réduction des coûts
Concurrence divers organismes
nr*
Augmentation des inscriptions
Réduction des abandons
Publics diversifiés
Publics salariés
Flexibilité
Qualité
%
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 29
Figure 4 – Les freins à l’adoption du e-learning en entreprise
selon une enquête Demos E-learning Agency 2008 (reproduit selon schéma p.10)
Cette tendance est confirmée par le baromètre 2011 du e-learning en Europe
(Crossknowledge, Féfaur, Ipsos Loyalty). Les freins techniques apparaissent, en
particulier, comme une constante en ce qui concerne les difficultés rencontrées. Ainsi,
du point de vue des apprenants, les facteurs clés de succès touchent principalement à la
question de l’accompagnement et au suivi dans la perspective, notamment, de
s’autonomiser vis-à-vis des technologies de l’information mobilisées dans les dispositifs
en e-learning.
Dans les universités françaises, selon les répondants à l’enquête E-LUE (2006), les
difficultés rencontrées au démarrage des dispositifs d’enseignement en ligne semblent
rejoindre celles des entreprises (cf. figure 5). Sont ainsi citées l’absence de motivation
(17%), le manque de culture TIC (13%) et, en 3ème position, les difficultés de trouver
les financements (12%).
43% 43%
30% 30% 30%
20%
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 30
Figure 5 – Difficultés rencontrées au démarrage du dispositif, dans les établissements
supérieurs français, selon l’enquête menée dans le cadre du projet E-LUE (2006)
lancé par la Commission Européenne (reproduit selon schéma p.96)
De même, Isaac (2008), dans son rapport ministériel, identifie quatre types de freins
à la mise en place d’universités numériques :
- des freins stratégiques dus à un manque de réflexion stratégique globale ou
individuelle, face aux aspects nouveaux et émergents du travail collaboratif,
interdisciplinaire ou transdisciplinaire ;
- des freins organisationnels et financiers dus au manque de ressources, à l’absence
de stratégie éditoriale, à l’absence de stratégie de validation et d’amélioration du
patrimoine numérique des établissements, à l’inégalité d’accès à la ressource
numérique (fracture numérique) de certains pays ;
- des freins humains dûs au manque de formation des enseignants en matière de
numérique, au manque de reconnaissance de leur travail dans ce domaine, à des
blocages institutionnels ou de hiérarchie face à une nouvelle forme de pédagogie.
Sont aussi cités des blocages socio-psychologiques liés au manque d’habitude à
travailler de manière transdisciplinaire et collaborative, aux risques de plagiat, et
aux difficultés notamment à partager son savoir et ses savoir-faire. Ces freins
humains concernent les enseignants et les institutions comme les étudiants ;
- des freins juridiques sur des questions nouvelles concernant les contenus et
supports de cours - questions relatives à la responsabilité éthique ou
règlementaire, à la propriété intellectuelle et à la confidentialité de certaines
données.
0 5 10 15 20 25 30 35
Implication des décideurs
Formation des enseignants
Infrastructures inadéquates
Autres
Financements
Manque de culture TIC
Motivation
Nr
%
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 31
En France, de nombreux efforts ont été effectués pour améliorer la formation en
ligne – notamment par les différents appels à projets lancés par le Ministère depuis
quelques années, et, encore en octobre 2013 avec le projet France Université Numérique
(FUN). Toutefois, nous venons de constater que de nombreuses questions se posent dès
qu’on envisage de mettre en place ce type de dispositif. Globalement les appréhensions
face au e-learning restent encore très présentes.
Or, notre problématique porte sur l’appropriation des technologies pour
l’apprentissage dans un environnement d’e-learning et sur le rôle du tutorat en ligne
dans cette appropriation. Ainsi, avant d’aborder en profondeur les deux concepts
fondamentaux que sont le tutorat en ligne et l’appropriation des technologies dans un
contexte d’apprentissage, il paraît pertinent de proposer un panorama de ce qu’est
l’enseignement en ligne.
De fait, après avoir défini l’e-learning et décrit les dispositifs existants (Fallery,
2004 ; Fallery, 2007 ; Dondi, 2007 ; Fallery et Rodhain, 2011), nous présentons un
historique de l’enseignement en ligne. Dans une seconde partie, nous montrons que l’e-
learning peut être tenu pour un système complexe (Watzlawick et al, 1972 ; Le Moigne,
1977; Simon, 1990). Cela nous permettra de montrer qu’il peut être considéré non
seulement comme une innovation dans l’enseignement mais, plus précisément, comme
une innovation de service au sens de Langeard et Eiglier (1987).
2 L’ e-learning
De nombreuses définitions de l’e-learning ont été proposées. Globalement, celui-ci
est défini comme la convergence entre apprentissage et internet (Bank of America
Securities, 2007). La commission des communautés européennes (20015) précise ainsi
que l’e-learning peut être présenté comme :
« L'utilisation des nouvelles technologies multimédias et de l'Internet, pour
améliorer la qualité de l'apprentissage en facilitant l'accès à des ressources et des
services, ainsi que les échanges et la collaboration à distance ». Cette définition introduit des concepts importants pour l’enseignement en ligne. Il y
a, d’une part, les notions de ressources et de services. D’autre part, il y a celles
5 CCE, Le plan d'action eLearning: l'éducation de demain, Mars 2001.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 32
d’échanges et de collaboration, mises en exergue notamment à travers le système
tutoral.
Toutefois, afin de préciser notre conception de l’e-learning, il paraît souhaitable de
proposer notre propre définition. Entre autres choses, cela nous permettra d’introduire
différentes notions qui nous paraissent essentielles dans l’exercice de clarification du
concept.
2.1 Notre définition
En premier lieu, considérant les technologies concernées, les distances, les échanges,
les collaborations, les services et les apprentissages effectués, nous souhaitons
introduire la notion de « dispositif électronique ». En effet, cette notion implique que
les technologies ou les outils utilisés soient intégrés. On parle ainsi de plateforme
d’enseignement à distance ou de campus numérique. La première désigne différents
outils accessibles via internet et présentés sous forme de portail (Agostinelli et Medge,
2008). Les campus numériques quant à eux se déploient dans l’enseignement supérieur
essentiellement. Ils mobilisent différentes TIC et articulent temps de formation en
présence et à distance (Paquelin et al, 2006).
Dès lors, et contrairement à un simple outil isolé, les plateformes d’enseignement à
distance comme les campus numériques impliquent une intégration plus globale dans le
système d’information de l’entreprise ou de l’institution concernée.
En outre, en ce qui concerne la définition de ces dispositifs, il ne parait pas pertinent
de retenir uniquement l’aspect technologique. En fait, dans la lignée des recherches de
Linard (1996), nous considérons le dispositif d’e-learning comme fondé sur la mise en
système des agents et des conditions d’une action. Un dispositif est aussi une
« construction cognitive fonctionnelle, pratique, incarnée, […] une structure sociale
numérique, un mode de coordination collective » (Agostinelli, 2011, p.169). Ceci nous a
donc amenée à ajouter la notion d’interactions humaines médiées par les
technologies dans notre définition de l’e-learning. Nous développerons ces notions tout
au long de notre thèse.
De plus, l’introduction de la « mise en œuvre » des différents éléments constitutifs
de ce dispositif fait appel à la notion de « système » et donc à une gestion de celui-ci.
Le Moigne (1977) considère le système comme « un objet qui, dans un environnement,
doté de finalités, exerce une activité et voit sa structure interne évoluer au fil du temps,
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 33
sans qu'il perde pourtant son identité unique ». L’ «objet » du système, ici, est le
dispositif d’enseignement (vs apprentissage) dans lequel l’activité est d’enseigner ou
d’accompagner dans le processus d’apprentissage, comme nous le verrons dans cette
thèse, mais aussi d’apprendre si nous nous plaçons du côté de l’apprenant. La structure
d’un système correspond à l’organisation spatiale de ses composants (De Rosnay,
1975), les composants étant, dans le domaine de l’enseignement, les flux d’information
qui sont le plus souvent traités (Lapointe, 1993).
Enfin, nous souhaitons introduire le terme d’ « enseignement » afin de placer
l’enseignant dans le dispositif. A cet effet, nous évoquerons dans le chapitre II les
différentes théories de l’apprentissage qui sont mobilisées dans un environnement en e-
learning. De même, à travers les travaux de Lisowski (2010), nous montrerons que l’e-
learning est la scène d’une évolution de l’enseignement traditionnel sur le modèle
behavioriste (Thorndike, 1932 ; Watson, 1913 ;; Skinner, 1953) vers l’apprentissage
(Rogers, 1959 ; Piaget, 1954;Vygotsky, 1934 ; Bruner, 1983; Argyris, 1994). Nous
verrons également (et ceci étant lié à cela) que l’enseignant est également un acteur
essentiel de cette évolution.
Les éléments que nous venons d’introduire nous permettent ainsi de compléter la
représentation de l’enseignement en ligne dans le contexte des systèmes d’information ?
Nous pouvons donc proposer notre propre définition de l’e-learning :
« L’e-learning est un système d’enseignement à distance, dispensé au travers d’un
dispositif électronique, caractérisé par des contenus et des outils didactiques,
collaboratifs et de gestion, au service de l’apprentissage et de la connaissance. Ce
dispositif est mis en œuvre à travers un système d’interactions humaines médiées par
les technologies ».
Tout au long de notre travail, nous nous attachons à souligner l’importance de la
considération des éléments que nous venons de décrire dans notre définition. Ils nous
paraissent en effet participer à l’explicitation, d’une part, de la mise en œuvre de
« l’amélioration de la qualité de l’apprentissage », et d’autre part, la « facilitation »,
toutes deux présentes dans la définition de la Commission des Communautés
Européennes. Nous verrons, en effet, que la facilitation de l’accès aux ressources,
services, échanges et collaborations à distance peut se faire à travers la mise en œuvre
d’un dispositif comprenant un système diversifié d’interactions humaines. De même, la
conception d’un scénario pédagogique, d’une part, et d’un scénario d’encadrement
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 34
tutoral, d’autre part, seront susceptibles de contribuer à l’amélioration de la qualité de
l’apprentissage.
Enfin, il est nécessaire de mentionner l’importance des acteurs. Au-delà de la
plateforme technologique concernée et des contenus, les acteurs sont les piliers de tout
dispositif en e-learning. L’un ne fonctionne pas sans les deux autres. Sans plateforme, il
est difficile de développer de véritables dispositifs d’e-learning. De même, sans
contenus, il n’y a plus de formation. Enfin, sans les acteurs, le programme de formation
n’est « qu’une structure statique et son contenu muet » (Paquette, 2001, p.14). Les
acteurs d’un dispositif de formation en ligne (étudiant, groupe, personne tutrice, etc.)
peuvent donc être représentés comme des êtres stratégiques, porteurs d’intentions,
capables de réflexions, d’anticipation, et d’engagement de leurs projets. Pour Paquette
(2001), ils sont indispensables dans la mise en œuvre du projet de formation.
2.2 Historique de l’e-learning : entre espoirs et désillusions
Le début des années 90 voit l’émergence des Nouvelles Technologies Educatives,
NTE, (Spalanzani et Filippi, 2004). Agostinelli et Medge (2008, p. 40) présentent
l’extension du World Wide Web comme l’interface d’une « industrie numérique qui
conçoit, produit, gère et diffuse de l’information et des connaissances ». Les auteurs
parlent des années 1990, comme celles de la « déferlante internet ». Certains voient
dans le numérique le « marché du siècle » (Cartier, 1997) et la possibilité de vendre des
ressources informationnelles « Anyone, Anywhere, Anytime ». Les services en ligne
voient leur taux de croissance s’élever de 87% aux Etats-Unis en 1995. Des services
similaires sont lancés en Europe. En France, de nombreux organismes proposent de la
formation à distance et des activités associées telles que le télétravail, les téléactivités,
les classes virtuelles, les forums de discussion et l’enseignement à distance via l’Internet
(Agostinelli et Medge, 2008). La diminution des frontières spatio-temporelles et la
réduction des coûts tels que la location des locaux ou les déplacements sont des
arguments majeurs à leur adoption. La mondialisation des marchés de l’information et
de la connaissance créée par la mondialisation des autoroutes numériques favorise
l’émergence de services de formation en ligne (Perriault, 1996).
Dans ce contexte, l’e-learning émerge, en premier lieu, en Amérique du Nord
(Devaney, 2001). Très rapidement apparaît une multitude de formations en ligne sur des
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 35
plateformes « propriétaires »6. A cette époque, en effet, l’Open Source n’est pas
courant, et les plateformes d’enseignement en ligne sont très coûteuses. Toutefois, les
entreprises y voient une opportunité de formation en masse, de réduction des distances,
de baisse des coûts et donc un accroissement des profits à court terme. « l’e-learning
s’avère être comme le résultat des impacts sur la formation de facteurs aussi complexes
que la recherche d’efficacité et de rendement économique, la redistribution générale
des rôles en matière d’éducation et le besoin de traiter massivement un nombre
exponentiel de demandes de formation » (Lisowski, 2010).
Globalement, au début des années 2000, le marché des formations en e-learning est
en phase croissance importante (Dubois, 2000). D'après Thot7, le prix "Ibis" de la
meilleure e-formation francophone est choisi parmi 14 institutions en compétition en
1999, pour 41 en 2000 et, enfin, 146 en 2001. Les Etats-Unis et le Canada - pays
étendus sur des territoires très vastes – sont les premiers à pénétrer le marché. Alors que
l’activité des fournisseurs américains de produits et services de formation en ligne a
réellement démarré en 1998, il y a déjà une centaine d’entreprises sur le marché nord-
américain des formations en ligne en 19998. SmartForce.com est leader aux Etats-Unis
et représente un chiffre d’affaires de 198 millions de dollars. Le marché total de la
formation aux Etats-Unis est le deuxième plus important après celui de la santé et
représente alors 800 milliards de dollars par an (Devaney, 2001). En capter ne serait-ce
qu’une toute petite part grâce à l’e-learning constitue un enjeu important.
Les entreprises voient donc dans l’e-learning l’opportunité d’une formation en masse
de leurs salariés, couplée à une réduction des coûts. Ceci pourrait permettre un
accroissement significatif de leurs profits. En ce qui concerne les organismes publics -
et en particulier les universités -, il apparaît également comme un outil stratégique
d’internationalisation de l’enseignement supérieur. En ce sens, Dubois (2000), remarque
que le e-learning et, de façon plus générale, l’utilisation des TIC dans le domaine de la
pédagogie et de la recherche devraient fournir aux institutions de l’enseignement
6 Une plateforme propriétaire est une plateforme ayant été développée par une entreprise qui ne fournit
pas le code source – contrairement aux plateformes Open Source.
7 Thot est une entreprise privée dédiée à la promotion de la formation à distance francophone créée en 1996 au Québec.
8 Source : « Choisir une solution de téléformation », 2000, Etude réalisée par Le Préau, Aska et KLR.FR – e–formation
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 36
supérieur « une occasion décisive de multiplier les échanges avec l’étranger et
d’accroître sensiblement leur rayonnement international » (Dubois, 2000).
Ainsi, de nombreuses entreprises se créent, distributeurs, éditeurs de contenu, etc., et
les marchés commencent à se structurer.
Toutefois, du fait d’un contexte de renouvellement technologique rapide et de
besoins en formation en continuelle évolution, une certaine désillusion s’empare des
acteurs du domaine de la Formation Ouverte et A Distance (FOAD). Principalement, les
retours sur investissement attendus ne correspondent pas à ceux observés. C’est ce
qu’observe, dès 2000, Wolton9. Ses arguments évoquent la brutalité du changement qui
s’annonce dans les politiques de formation des entreprises. Il parle alors de « fantasme
démagogique du ‘do it yourself‘ ». A cette époque, les habitudes d’apprentissage ne sont
généralement pas orientées sur le développement de l’autonomie, des capacités méta
cognitives qui consistent à savoir apprendre à apprendre, piloter soi-même son
apprentissage, ou encore tenir ses engagements d’apprentissage (Wolton, 2000).
Baujard (2004) parle d’ « espoirs démesurés » et de « promesses non tenues » : les
entreprises s’imaginaient que leurs salariés allaient se former seuls devant leur
ordinateur, que ce mode d’apprentissage réduirait les coûts sans autre forme
d’accompagnement. La focalisation sur les plateformes technologiques au détriment des
principes pédagogiques a constitué une autre étape importante à la fin des années 90
comme l’indique Boullier10 (2013). Il évoque l’échec commercial patent de ces
entreprises sur ce nouveau marché technologique de l’enseignement. Ce phénomène,
dans une économie du savoir, de la connaissance et des nouvelles technologies qui
constitue pourtant un environnement favorable, met en évidence la difficulté à faire
adopter ces innovations par les utilisateurs (les entreprises, comme les organismes ou
institutions de formation) et à rendre pérennes, les innovations techniques et
pédagogiques.
Le rapport de Zemsky et Massy (2004) sur les difficultés de l’e-learning aux Etats-
Unis suggère que le développement promis de l’e-learning n’était pas celui espéré parce
qu’il est apparu avant que les gens sachent réellement comment utiliser la technologie.
Le processus d’innovation a été inversé ;; les enseignants et les apprenants n’étaient pas
9 Dominique Wolton, « La fracture numérique », Le Monde Interactif, 11 septembre 2000. 10http://internetactu.blog.lemonde.fr/2013/03/01/cours-en-ligne-massifs-et-ouverts-la-standardisation-ou-linnovation/
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 37
préparés à changer leur environnement d’apprentissage. Quand une nouvelle
technologie est introduite, telle que les TIC dans l’enseignement, elle crée l’opportunité
d’innover et de changer les processus existants. Crozier (1995) souligne ainsi que
l’invention technique ne suffit pas. Il précise que « ce qui fait la différence, ce sont les
interactions constructives entre tous les maillons de la chaîne des rapports humains, de
la connaissance scientifique à la découverte technique, de son développement à sa mise
en œuvre, mais aussi de l’apprentissage de comportements nouveaux chez le client
potentiel ». Dans le cas de l’enseignement en ligne, les acteurs n’ont pas saisi
l’opportunité qui leur était offerte. L’utilisation de la technologie dans l’enseignement
supérieur ne veut pas nécessairement dire que les résultats de l’apprentissage sont
meilleurs, ou que la qualité soit améliorée pour les apprenants, même s’il s’agit de la
perception a priori des enseignants concernés (Thibault et Albero, 2006). Les
recherches dans le domaine ont montré que la plupart des organismes publics qui
répondaient positivement quand on leur demandait « Utilisez-vous l’e-learning ? »
rapportaient que leur usage principal impliquait une plateforme de cours telle que
BlackBoard ou WebCT pour diffuser les contenus (Zemsky et Massy, 2004) dont les
matériaux étaient souvent les diaporamas utilisés pour les cours en présentiel. On
remarque ainsi que le style d’enseignement de base est largement inchangé. Par
exemple, la plupart des universités, y compris celles considérées comme leader
concernant les dispositifs de l’e-learning, continuent, pour l’essentiel, à enseigner…
comme elles l’avaient toujours fait. Précisément, elles mettent en ligne les supports des
cours qu’elles dispensaient précédemment en présentiel (Laurillard, 2006).
2.3 L’e-learning: un processus d’innovation en constante évolution.
L’historique précédent met en perspective les difficultés de développer l’e-learning
dans les dispositifs de formation. Comme le souligne Cros (2002), cela est
particulièrement vrai dans le cadre spécifique des systèmes universitaires français.
L’auteur souligne que l’innovation en éducation est « imprévue et rebelle » (Cros,
2002). Elle recouvre de multiples aspects, des plus évidents comme la technique, la
technologie, aux plus complexes comme les valeurs sociales et l’éthique de l’éducation
(Dax-Boyer et Gérard, 2005). De même, de Blignières-Légeraud (1998) montre que
c’est une « production, assimilation ou exploitation de produits ou de pratiques de
formation, dans un processus pluridimensionnel entre partenaires qui constituent des
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 38
améliorations ou des réponses/solutions réussies – tout en dépassant la pratique usuelle
– aux problèmes/besoins spécifiques dans leur contexte (à la fois spatial et temporel) et
qui sont susceptibles d’être transférées dans d’autres contextes».
De telles expériences relèvent également d’une logique d’innovation
organisationnelle et de conduite du changement du fait qu’elles induisent des
changements profonds au niveau de l’organisation (Spalanzani et Filippi, 2004) : « les
stratégies d’innovation, souvent intuitives, des institutions pédagogiques […] étaient à
la fois des stratégies d’opportunité […] , de différenciation par l’innovation, des
stratégies de réponse à une nouvelle demande […] de stratégies pédagogiques
[…].L’acte d’innovation relevait d’un pari sur un investissement immatériel (les TIC)
dont aucune n’était capable d’évaluer un réel retour sur investissement ».
Nous saisissons donc que toute innovation entraîne des bouleversements. Lorsque
cette innovation n’est pas simplement technologique mais qu’elle induit des
changements culturels, voire sociétaux, le processus de transformation peut alors être
encore long, les réticences étant encore plus présentes.
Dans les perspectives des réflexions précédentes, Fallery (2007) et Fallery et
Rodhain (2011) présentent l’évolution de l’e-formation11 à travers ses fondements
épistémologiques. Partant d’une focalisation sur la technique, ces auteurs identifient le
modèle du « juste à temps pédagogique » qui favorise l’accès au réseau, la
standardisation des ressources pédagogiques, l’accessibilité aux contenus et leur
pérennité. Le second modèle qualifié de « libre-service pédagogique » introduit la
notion d’interaction, d’individualisation de parcours et de tutorat. Alors que le troisième
modèle de la e-formation s’inscrit dans une dimension de réutilisation collective à
travers la notion de portails collaboratifs ouverts. Afin de mieux visualiser l’évolution,
au fil des années, des modalités d’apprentissage et des théories mobilisées dans les trois
modèles que présente l’auteur, nous avons établi le tableau synthétique présenté ci-après
(tableau 1).
11 Fallery, dans son article, parle d’e-formation. Nous ne faisons pas de différence terminologique avec l’e-learning, les deux étant employés ici sans véritable distinction dans la littérature. Nous conserverons donc l’appellation d’e-formation quand nous nous réfèrerons aux propos de Fallery.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 39
Epistémologie / Discipline
Perspective instrumentale, behavioriste et positive : « La e-formation est d’abord une transmission ». Postulat : la connaissance est considérée comme transférable.
Perspective relationnelle, connexionniste et constructiviste : « la e-formation est d’abord un échange ». Postulat : l’expérience est la source de la connaissance.
Perspective collective et socio-constructiviste : « la e-formation est d’abord une négociation du sens ». Postulats : Toute communication est une négociation de sens ;; l’interaction sociale est la source de la connaissance.
Sciences de la Communication
Shannon C. : si la quantité d’information est inférieure à la capacité du canal (problème de bande passante), les pertes tendent vers zéro.
Concept de feedback : Wiener : le processus circulaire d’information sur l’action en cours permet d’atteindre l’objectif.
Ecole de Palo Alto : importance centrale de la notion de feedback sur le comportement entre personnes. Le message se structure dans l’interaction.
Approche intégrative reposant sur 3 éléments : Le contexte détermine le rapport de place (étudiant/
professeur) La dynamique interactionnelle basée sur les enjeux
symboliques ou opératoires (faire bonne figure, obtenir une information)
La co-construction de sens, processus d’inférence consistant à co-sélectionner.
Sciences de l’Organisation
Variance theory : les phénomènes organisationnels sont des relations linéaires entre des variables dépendantes et indépendantes. Daft et Lengel (1986) : théorie de la richesse des médias qui élargit le modèle de la transmission équivoque du message : le manager « rationnel » choisira le médium dont la richesse correspond le mieux à l’équivoque du message à transmettre.
Construction du sens dans l’échange : Le Moigne (1995). « Comprendre (au lieu d’expliquer) le comportement d’un système [..] en l’interprétant en référence à sa capacité à se finaliser au fil du temps ». Process theory : on parle de d’événements plutôt que de variables. Notion de complexité et de temporalité du processus.
Hatchuel (1996) : théorie de l’action collective concevable. L’action engage un processus de « mise en sujet » par des conditionnements collectifs réciproques où le sujet restreint, délimite, repère ce qu’il va prendre en compte pour former et transformer un objet « de gestion ». Habermas (1981) : « l’agir communicationnel ». Notions de compréhensibilité, sincérité, confiance et légitimité. Spirale de la connaissance et communauté de pratique.
Sciences de l’Education
Modèle de la transmission : les apprenants sont des récepteurs qui décodent et reconstruisent, les formateurs sont des médiateurs qui fournissent et facilitent. Skinner (1983) : vision behavioriste de l’apprentissage par stimulus/réponses et renforcements.
Pédagogie de l’action : Piaget (1974) : Mettre les individus dans des situations qui leur permettent de développer de nouvelles connaissances structurées (par assimilation, accommodation, ou équilibration). Moore (1989) : sépare les interactions apprenant- contenu (processus actif de la cognition), les interactions apprenant-apprenant (la communauté apprend), et les interactions apprenant-formateur (contrats didactiques).
Vygotsky (1978) : concepts de « cognition socialement médiatée » (culturellement produite et interprétée) et « d’activité socialement racontable » (on ne connaît pas ce qu’on peut dire). « Artefacts médiateurs » : pratiques et objets développés en collaboration durant un processus de long terme.
Pour l’e-formation
Valorisation de l’accès au réseau dans un modèle du « juste-à-temps pédagogique ». Standardisation des ressources pédagogiques afin d’assurer l’accessibilité aux contenus et leur pérennité. (Dublin Core, LOM, SCORM)1
Valorisation de l’interaction par un modèle « libre-service pédagogique » avec individualisation des parcours, et tutorat, notamment. Modélisation des activités pédagogiques : définition de processus, scénarii structurés et réutilisables.
Valorisation de la collaboration par un modèle industriel de réutilisation collective. Environnements collaboratifs ouverts : portails communautaires, espaces numériques de travail (ENT).
Tableau 1 – Synthèse adaptée des fondements de l’e-formation de Fallery (2007) repris par Fallery et Rodhain (2011) 1 Le Dublin Core est une norme pour décrire un document (contenu, propriété, version). Le Learning Object Model (LOM) est un ensemble descriptif de meta-données composé de balises. Le Sharable Content Object Reference Model (SCORM) permet les communications entre apprenants et plateformes mais aussi entre plateformes et serveurs.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 40
Si Fallery (2004, 2007), Fallery et Rodhain (2011) ne relèvent pas précisément de
dimension temporelle, les étapes décrites dans leurs recherches, et que nous reprenons
ci-dessous, font bien apparaître le lien très fort existant entre, d’une part, la réelle
évolution des technologies depuis la fin des années 90 et, d’autre part, l’évolution de la
modélisation des dispositifs d’e-learning.
Notamment, ces auteurs précisent qu’au début des années 2000, l’e-learning était
caractérisé par un premier modèle de « juste-à-temps pédagogique » et de
standardisation des contenus pédagogiques afin d’en assurer leur interopérabilité, leur
réutilisabilité. Il s’inscrivait alors dans une logique instrumentale de transfert de
connaissances. C’est bien à cette période que le marché des plateformes technologiques
s’est fortement accru (Zemsky et Massy, 2004). On assimile facilement alors la
formation en ligne à l’autoformation. De nombreux modules « sur étagère » sont
développés par les éditeurs de contenus (Demos E-learning Agency, 2008).
Après l’euphorie technologique, l’e-formation est marquée par l’introduction des
notions de complexité et de temporalité des processus (Fallery, 2004, 2007). On
construit du sens dans l’échange (Le Moigne, 1995) et on valorise les interactions et
l’individualisation du parcours. On parle alors d’un modèle de « libre-service
pédagogique ». Fallery (2007, p. 255) remarque que l’« on promeut ici l'émancipation
d'individus ». Celle-ci est même réinvestie « d’une autonomie et d'une responsabilité
sociale à travers la co-production de leur projet de formation. Le sujet-apprenant
devient maître de ses choix, évaluateur de ses propres résultats, consommateur d'un
service qui a été formaté sur mesure, « usager » disposant de ressources éducatives en
tenant compte de ses contraintes de temps ou de mobilité ». Remarquons, toutefois, que
la dimension collective n’est pas encore vraiment présente.
Un troisième modèle plus récent introduit une dimension collaborative et donc
collective au e-learning. On adopte ainsi une perspective socio-constructiviste où
l’interaction sociale est la source de la connaissance. Il est fait référence à la théorie de
l’action collective concevable (Hatchuel, 1997) et à « l’agir communicationnel »
(Habermas, 1981). Le tutorat collectif est désormais un outil important de médiation
dans de tels environnements. Nous passons alors à un modèle industriel de réutilisation
collective.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 41
Même si ces trois modèles marquent une évolution temporelle, nous verrons à travers
le chapitre III qu’ils correspondent à des courants pédagogiques qui perdurent. Ainsi,
les trois modèles co-existent sur le terrain et sont mis en œuvre encore de nos jours pour
des finalités pédagogiques différentes et légitimes.
Parallèlement à cette évolution des modèles, le développement des logiciels Open
Source a permis assez rapidement de réduire considérablement le coût de revient de la
mise en place de dispositifs e-learning. D’autres développements ont permis de
diversifier les outils proposés pour la médiatisation des cours en ligne, ou les activités
qui viennent en complément du cours. Ainsi, une nouvelle génération d’outils dits du
« Web 2.0 » est apparue sur le marché. L'expression « Web 2.0 » utilisée dès 2003 par
Dougherty s'est imposée à partir de 2007. Elle concerne un ensemble de technologies,
fonctionnalités et usages d’outils dans un nouveau réseau d’interaction sociale. Le web
2.0 replace l’utilisateur et ses relations avec les autres au centre de l’internet, plutôt
qu’avec des contenus ou des machines. Guillaud (2005) relève ainsi que cela combine
« d’un côté, une amélioration des interfaces utilisateurs et de l’autre, des architectures
plus flexibles, des protocoles de communication plus ouverts (web services), une
interopérabilité plus poussé. [Il] repose sur une multitude de petites améliorations
technologiques (la révolution AJAX […]), ergonomiques (interfaces riches), et
sémantiques (micro-formats) qui donnent des résultats d’une grande souplesse
d’utilisation ». Le web 2.0 est résolument relationnel. Ce nouveau phénomène voit
l’émergence des Serious Games – jeux « sérieux » de plus en plus répandus en
entreprise. Leur apparition dans les universités permet la mise en situation de
l’apprenant. Les mondes virtuels (Second Life par exemple) immergent l’usager dans un
monde qu’il va découvrir et dans lequel il va être guidé. Enfin les entreprises
introduisent les réseaux sociaux dans les apprentissages (GARF, 2009). Dans la
continuité de ces développements, nous assistons également à la naissance l’e-learning
mobile « mobile learning » ou « m-learning» (l’enseignement en ligne sur support
mobile comme par exemple le téléphone, ou la tablette numérique) et de l’e-learning
2.0 (Yang Yuen, 2010). L’e-learning 2.0 utilise les technologies web 2.0 : une interface
plus agréable, une participation plus active des apprenants, une composante « social
web » avec réseautage, communautés de pratique, et environnements personnalisés.
Rubens et al (2011) évoquent l’e-learning 3.0 alliant les technologies du web 2.0 à
l’intelligence artificielle pour donner naissance à l’« intelligence learning ». Au moins
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 42
quatre caractéristiques permettraient de décliner cette nouvelle génération
d’enseignement en ligne: l’informatique distribuée, l’extension des technologies
mobiles, les filtres collaboratifs intelligents et la visualisation et l’interaction 3D
(Wheeler, 2011).
Toutes ces technologies et les développements qui leur sont associés permettent
d’enrichir encore les possibilités offertes à l’enseignement sur internet et de répondre
encore mieux aux besoins du marché. En effet, les utilisateurs demandent dorénavant
des logiciels intégrant l’ensemble des outils de communication, l’accès aux réseaux
sociaux et un monde le plus ludique possible. Les réseaux sociaux sont rentrés dans tous
les foyers ;; les entreprises créent des profils et des groupes de discussion sur l’ensemble
de ces plateformes. De même, les directions des ressources humaines des grandes
entreprises ont intégré les Serious Games dans leur catalogue de formation en ligne.
Enfin, les universités se dotent de plateformes permettant de créer des réseaux sociaux
ainsi que de logiciels créant des ponts d’échanges entre plateformes d’enseignement et
monde virtuel (tel que Sloodle12). C’est le cas de l’université de Lyon 3, à travers sa
faculté virtuelle de Droit, qui a fait son entrée sur Second Life en septembre 2009. Elle
cherche ainsi à développer sa visibilité et à atteindre de nouveaux publics13.
En synthèse, nous constatons, à travers cette étude de l’e-formation, que la
technologie est le vecteur qui porte l’innovation pédagogique. L’apparition des logiciels
libres a permis une première avancée dans la mise en place de l’e-learning grâce une
diminution considérable du coût d’investissement. Les technologies web 2.0 ont permis
de gagner en convivialité et facilitent l’accès à ce type d’enseignement.
Le rapport Helios 2006/200714 présente l’évolution observée puis espérée de l’e-
learning de 2000 vers l’e-learning innovant de 2010 (Dondi, 2007) :
12 Sloodle - pour Simulation Linked Object Oriented Dynamic Learning - est un projet Open Source qui permet de coupler Moodle et Second Life.
13 post sur EducPros.fr de Philippine Amal du 18/01/2010.
14 HELIOS est un observatoire durable sur les tendances européennes de l’e-learning. Il est financé au titre du programme eLearning 2004-2006 de la Commission européenne.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 43
e-learning 2000 e-learning 2010…
- Distribue de la connaissance15 consolidée - Est encore de l’e-teaching - Peut isoler l’apprenant - Est délivrée par un simple fournisseur,
une institution - Ignore l’environnement des apprenants et
les acquis - Décourage la créativité des apprenants
par des logiques transmissives - Laisse peu de place à l’enseignant et au
tuteur - Focalise sur la technologie et les
contenus - Se substitue aux salles de classe - Privilégie ceux qui apprennent déjà
- Génère de nouvelles connaissances - Appartient à l’apprenant - Crée des communautés d’apprentissage - Est à la fois l’outil de support et le
résultat d’un partenariat entre institution-enseignants-apprenants.
- Construit sur les acquis et l’environnement des apprenants
- Stimule la créativité des apprenants en la valorisant
- Enrichit le rôle des enseignants et des tuteurs
- Focalise sur la qualité, les processus et l’environnement de l’apprentissage
- Fait partie intégrante des processus sociaux et organisationnels de transformation
- Atteint et motive ceux qui n’apprenaient pas encore.
Tableau 2 – Evolution attendue de l’e-learning de 2000 vers l’e-learning innovant,
traduit de Dondi (2007) par nous-même.
Le tableau ci-dessus met en perspective certaines évolutions de l’e-learning déjà
observée par Fallery (2004, 2007). Il existe donc bel et bien, aujourd’hui, une pratique
européenne du e-learning, une façon commune « d’introduire et de déployer l’e-
learning (au-delà de la maturité et des spécificités culturelles) » (Baromètre européen
du e-learning 2011). Alors qu’on se focalisait sur la technologie et les contenus au tout
début – le « juste-à-temps pédagogique » -, nous amorçons désormais la mise en place
des communautés d’apprentissage dans lesquelles on parle de co-constructions
encadrées par des tuteurs qui stimulent la créativité des apprenants.
15 La connaissance est le résultat d’un processus de transformation et d’interprétation personnelle propre à chaque individu d’une information. Nous reviendrons sur cette définition chapitre III.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 44
2.4 Le devenir du e-learning
Nous venons de l’évoquer, l’intérêt pour la formation à distance s’est
considérablement accru ces dernières années, grâce au développement des technologies
et à celui de l’internet. Dans ce cadre, les technologies de l’information et de la
communication semblent répondre aux besoins actuels de notre société grâce à leur
rapport à l’espace et au temps. Les apprenants se forment à leur rythme, selon leur
besoin (Kalika, 2001).
En ce sens, les nouvelles générations d’apprenants dites « tout numérique » sont
familiarisées aux innovations liées aux technologies Web 2.0 qui leur sont proposées.
Dans l’enseignement supérieur, un environnement législatif et règlementaire, à
travers la prise en compte des heures d’enseignement dispensé à distance dans la charge
de travail des enseignants-chercheurs16, permet dorénavant de bénéficier d’un cadre
légal légitimant des pratiques qui n’étaient pas jusque-là en concordance avec les textes
de lois. Les enseignants-chercheurs sont donc plus enclin à se lancer dans cette grande
aventure qu’est l’e-learning. De même, la création du DIF17 a ouvert de nouvelles
perspectives aux salariés des entreprises en matière de formation continue.
Par conséquent, que ce soit dans l’entreprise ou dans les institutions ou organismes
publics, les responsables sont à la recherche de gain de temps et d’une meilleure
efficacité dans l’apprentissage. L’émergence progressive de grands catalogues de
contenus e-learning sur étagère18 a rendu l’e-learning plus abordable pour la plupart des
organisations. Les plus petites, ne pouvant plus se permettre d’immobiliser longtemps
leurs salariés en formation, adoptent l’e-learning comme une solution de formation plus
compatible avec les impératifs opérationnels (Baromètre européen du e-learning, 2012).
Dans l’enseignement supérieur, il y a, de plus en plus fréquemment, des étudiants qui
doivent travailler pour payer leurs études ou des professionnels qui relancent leur
carrière grâce à un diplôme complémentaire (Lebrun, 2012). Pour ces publics, l’e-
16 Arrêté du 31 juillet 2009 approuvant le référentiel national d’équivalences horaires établi en application du II de l’article 7 du décret n°84-431 du 6 juin 1984 modifié, fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs.
17 DIF : Droit Individuel à la Formation. La loi du 5 mai 2004 sur la formation professionnelle tout au long de la vie prévoit un droit individuel à la formation.
18 Les contenus « sur étagère » sont des contenus prêts à l’usage. Ils sont dénommés ainsi par opposition aux contenus dits « sur mesure ».
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 45
learning constitue une réponse pertinente et adaptée à toutes leurs demandes. Ainsi,
même si ce mode de formation en est encore quelquefois à un stade expérimental, l’e-
learning a connu un réel essor depuis le début des années 2000 (Terzian et Béziat,
2008). De fait, à condition de savoir tirer des leçons du passé et de répondre aux besoins
et attentes des futurs utilisateurs, l’e-learning semble promis à des perspectives réelles
dans un avenir proche.
Dans la suite de notre exposé, nous montrons que, comme tout système et tout
processus d’innovation, l’e-learning évolue par boucles itératives de rétroaction avant
de passer dans une phase transformative d’évolution.
3 L’e-learning comme système complexe
La formation à distance peut être considérée comme un dispositif (Jacquinot-
Delaunay et Monnoyer, 1999) qui vise « l’organisation de l’espace, du temps, des
acteurs et des objets d’une situation en vue d’objectifs précis » (Linard, 1996, p. 16). La
finalité d’une formation en ligne, son objectif, est bel et bien l’acquisition de
connaissances, voire de compétences par les apprenants. Un dispositif de formation en
ligne met en présence des acteurs humains (apprenants, enseignants, tuteurs) et des
objets techniques. Enfin, elle permet la communication et les interactions entre ces
acteurs à travers ces objets. Il nous apparaît ainsi pertinent de représenter le dispositif
sans le découper, en empruntant sa démarche à la modélisation systémique. Celle-ci
permet, en effet, de prendre en compte toutes les interrelations entre ses composants. Il
est essentiel de regarder les communications dans le groupe comme un système de
relations (Watzlawick et al, 1972 ; Bateson, 1990). Pour représenter les interactions
dans un environnement en e-learning, nous avons choisi de nous appuyer sur la théorie
des systèmes perçus complexes, parce qu’il est « un objet particulièrement utile et
commode, non pas pour expliquer mais pour représenter les objets que l’homme veut
connaître » (Le Moigne, 1977). L’approche globale d’un système permet également
d’intégrer la notion de temps dans sa dynamique (Watzlawick et al, 1972 ; Le Moigne,
1977), élément fondamental pour notre objet de recherche, le processus d’appropriation
de la technologie.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 46
3.1 Le système
La modélisation systémique correspond à un champ qui permet de situer l'étude
d'objets dans leur environnement, et, comme nous allons le voir, leur complexité.
Développée à partir de 1945, elle trouve sa source dans les théories de la cybernétique
(Wiener, 1948) et la théorie des systèmes ouverts et des systèmes généraux
(Bertalanffy, 1951). Du grec « systema » qui signifie « ensemble organisé », le système
est initialement défini comme « un complexe d’éléments en interaction » (Bertalanffy,
1973, p.53). De Rosnay (1975, p.93) y ajoute une notion de but qui sera reprise par de
nombreux chercheurs : un système est « un ensemble d’éléments en interaction
dynamique formant un tout, organisé en fonction d’un but ». Un peu plus tard, la notion
de temps, essentielle dans l’étude des processus d’interactions des systèmes, est
introduite par Le Moigne (1977) : « Un système est un objet qui, dans un
environnement, doté de finalités, exerce une activité et voit sa structure interne évoluer
au fil du temps, sans qu’il perde pourtant son identité unique ».
On distingue le système ouvert sur son environnement, qui échange des flux (de
matière, d’énergie, d’information) avec l’extérieur, du système fermé qui fonctionne en
autonomie (auto-organisation). Peu de systèmes sont complètement fermés. Ils ont
normalement des intrants et des extrants. Une voiture, par exemple, a besoin d’essence
pour fonctionner. Les systèmes peuvent être perçus comme des moyens de transformer
quelque chose – un ensemble de « ressources » ou « intrants » - en quelque chose
d’autre – des « produits » ou « extrants ».
Ces notions de systèmes impliquent une organisation, un ordre, et une hiérarchie
observables. Lapointe (1993) note ainsi qu’ « elles englobent des propriétés telles que
l’émergence, l’interaction, l’interdépendance, la finalité, l’identité et l’évolution ».
L’approche systémique insiste sur les transformations qui se produisent à l’intérieur
des ensembles que l’on étudie. Pour ce faire, une modélisation s’avère nécessaire. De
Rosnay (1975) introduit les principales notions de la systémique et leur usage dans un
outil d’analyse de son cru, « le macroscope ». Il généralise et illustre l’usage de la
systémique à des domaines aussi variés que la biologie, l’économie, l’énergie,
l’écologie, l’information et l’éducation. Le « macroscope » constitue un outil permettant
de mieux comprendre l’infiniment complexe. Il l’oppose au microscope qui permet une
analyse de plus en plus fine de l’infiniment petit et au télescope qui permet d’analyser
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 47
l’infiniment grand. Cette approche a été reprise dans diverses disciplines et, parmi les
plus connues, la « théorie du système général – théorie de la modélisation » de
Le Moigne (1977). C’est le cas également de la méthode structurée de capitalisation des
connaissances « MSKM » d’Ermine (1996), dans le domaine de la gestion des
connaissances.
3.1.1 La structure d’un système
La structure d’un système correspond à l’organisation spatiale de ses composants.
Elle représente la partie stable du système. De Rosnay (1975) relève les caractéristiques
d’un système : une limite, des éléments constitutifs, des réservoirs et des réseaux de
relations.
Les limites nous permettent de circonscrire le système à l’étude et de le distinguer
des autres sous-systèmes et de son environnement. Cette délimitation résulte d’un choix
que fait le chercheur sur un ensemble qui, en éducation, n’est pas toujours évident
(Lapointe, 1993). La limite d’un système peut être floue, ou particulièrement mouvante.
En effet, dans un système, il est difficile d’évaluer le nombre et la nature des éléments
qui le constitue, même de manière approximative (Le Moigne, 1991).
Les réservoirs sont des « lieux » dans lesquels sont entreposés puis récupérés
matière, énergie ou information sous toutes leurs formes. Comme le note Lapointe
(1993), « en éducation, ce sont les flux d’information qui seront le plus souvent traités.
Ces réservoirs pourront, selon les circonstances, être des documents écrits ou des
personnes–ressources que l’on consulte. […] Le contenu de ces réservoirs pourra subir
trois formes différentes de traitement : le transport (espace, communication, transfert),
l’entreposage (temps, enregistrement, mémorisation), et la transformation (forme,
modification, structuration) ».
Les réseaux de relations ou de communication permettent l’échange et le transport
d’informations entre les composants d’un système, ou entre un système et son
environnement. Nous tentons de montrer, dans notre recherche, le rôle du tuteur à
l’intérieur de ces réseaux de communication.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 48
3.1.2 L’aspect fonctionnel des systèmes
Rappelons ici la définition du système donnée par Le Moigne (1991) : « un objet qui
[...] exerce une activité et voit sa structure interne évoluer au fil du temps ». S’il s’agit
de phénomènes dépendants du temps, nous pouvons parler de processus, d’organisation
temporelle du système (De Rosnay, 1975). Il convient alors d’étudier comment les
caractéristiques fonctionnelles vont évoluer dans le temps. Dans le domaine de la
technologie de l’éducation, les principales caractéristiques sont : la rétroaction, la
régulation et le contrôle (Lapointe, 1993).
La rétroaction et la régulation sont imbriquées l’une dans l’autre. Une rétroaction –
ou feedback - a lieu lorsque des informations sur les résultats d’une transformation sont
acheminées à l’entrée du système. Un exemple fréquemment cité est celui d’un
chauffage à thermostat. Lorsque la température d’une pièce baisse, le thermostat
l’enregistre et transmet l’information au brûleur (rétroaction). La régulation consiste à
transmettre l’information au brûleur que la pièce est arrivée à la température souhaitée
et que celui-ci s’arrête. Une rétroaction est qualifiée de négative lorsque l’écart entre le
but visé par un système et son extrant diminue. La tendance qu’a le système à réajuster
pour maintenir un état de stabilité malgré les changements extérieurs est appelée
l’homéostasie. Elle caractérise les systèmes ouverts qui conservent ainsi leurs structures
et leurs fonctions intactes par l’intermédiaire d’équilibres dynamiques successifs. Dans
un système de formation, l’apprenant acquiert un certain nombre de connaissances. La
vérification que ces connaissances ont été acquises se fait par retour d’information de
l’apprenant vers l’enseignant. Il s’agit bien d’une rétroaction. Si un écart est perçu, il y
aura régulation de la part de l’enseignant.
Une rétroaction est qualifiée de positive lorsque l’écart entre les buts et les extrants19
s’accroît. Elle favorise alors la recherche de nouveaux objectifs, le changement, et la
mise en place de nouvelles fonctions.
Le contrôle est « l’ensemble des processus qui permettent de maîtriser et de guider
les transformations d’un système » (Mélèze, 1972, p.59). De Rosnay (1975) parle plutôt
de « pilotage ». Il paraît difficile de dissocier la notion de contrôle de celles de
rétroaction et de régulation. Lapointe (1992, p.24) précise qu’« un système maintient
19 Rappelons qu’un extrant est ce qui sort d’un système ouvert, un produit.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 49
son identité, malgré les fluctuations constantes de l’environnement, grâce au contrôle.
[…] Cette notion de contrôle, associée à la rétraction et à la régulation, est au cœur
même d’une étude des besoins ». Ainsi, pour l’auteur, le contrôle comprend l’ensemble
des dispositions prises pour piloter et guider les transformations d’un système et
l’analyse de besoins en constitue un élément clé.
3.1.3 Les propriétés des systèmes
En technologie de l’éducation, les propriétés d’un système sont la finalité,
l’indétermination, la complexité, l’équifinalité, l’interaction et l’ouverture (Lapointe,
1993).
La finalité est la description de ce qui est attendu d’un système. C’est une notion
fondamentale en systémique.
La complexité est « l’incapacité que l’on a de décrire tout le système et de déduire
son comportement à partir de la connaissance des comportements de ses parties »
(Mélèze, 1972, p. 50-51). Il faut néanmoins distinguer ce qui est complexe de ce qui est
compliqué. La complexité est attribuable – selon de Rosnay (1975) – à une grande
variété des composants possédant des fonctions spécialisées, à des éléments organisés
en niveaux hiérarchiques internes, à des interactions non-linéaires, à des difficultés
voire l’impossibilité de dénombrer de façon exhaustive les éléments qui le constituent,
et à une grande variété des liaisons possibles. Le degré de complexité d’un système
dépend du nombre de ses composants et du nombre et du type de relations qui les
relient.
Selon Bertalanffy (1973, p.73), un système ouvert (qui échange des flux de matière,
d’énergie et d’information) est équifinal lorsque « le même état final peut être atteint à
partir d’états initiaux différents, par des itinéraires différents ». Il n’y a donc pas de
solutions uniques pour atteindre ses objectifs.
L’interaction constante qui existe entre les éléments d’un système fait ressortir les
liens de dépendances existant à l’intérieur des différents composants du système
(Lapointe, 1993). Elle renvoie à l’idée d’une causalité non-linéaire. Ce concept est
essentiel pour comprendre la coévolution des systèmes. Une forme particulière
d’interaction est la rétroaction.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 50
3.1.4 L’apport de l’école de Palo Alto
Dans les années 60-70, un réseau de chercheurs s’est constitué, principalement dans
la ville de Palo Alto, fortement influencés par les travaux de Norbert Wiener (1940-
1960) – père de la cybernétique -, et de John von Neumann sur la théorie des jeux, les
processus digital et analogique, le feedback et l’autorégulation des systèmes, et par ceux
de Ludwig von Bertalanffy sur la théorie générale des systèmes (1972). D’autres
chercheurs les ont rejoints ensuite, dont Gregory Bateson et son épouse Margaret Mead
qui travaillaient à l’observation des processus culturels et de communication
interindividuelle, ou encore Paul Watzlawick, très connu pour ses travaux en
communication, à la fois théoriques et thérapeutiques20. Leurs travaux – sous l’influence
du psychiatre Milton Erickson - les conduisirent à la construction d’un modèle de
thérapie familiale et de thérapie brève.
En se référant aux propriétés des systèmes (finalité, totalité non sommativité,
équifinalité, homéostasie, complexité) développés par Ludwig von Bertalanffy et aux
travaux sur l’interaction du MRI21, ils ont dégagé une théorie de la communication
interindividuelle (et en particulier une théorie de la double contrainte) dont la portée
dépasse le simple domaine de la thérapie. Petit à petit, la cybernétique, la théorie des
systèmes et de l’information s’étendent à l’entreprise, à la société (Lapointe, 1993).
J.W. Forrester, professeur à la Sloan School of Management du MIT, crée en 1961 la
dynamique industrielle. Il développe une technique et un langage facilitant la
modélisation systémique. En 1971, étendant ses travaux aux systèmes urbains, il crée la
« dynamique des systèmes ».
Ainsi, de nombreux chercheurs se sont intéressés à ces travaux et les ont transposés
dans leur discipline respective. « L’école de Palo Alto est aujourd’hui une référence
tant d’un point de vue théorique pour les chercheurs que comme démarche
d’intervention pour les professionnels en Gestion des Ressources Humaines »
(Brasseur, 2000).
20 La dimension théorique de ses travaux comporte trois postulats : la communication est inévitable entre les humains ("Une logique de la communication");; la réalité est le résultat d’une construction ("La réalité de la réalité") ; le cerveau comprend deux hémisphères : le gauche orienté rationalisation et le droit orienté émotion (théorie de l'asymétrie cérébrale).
21 Le Mental Research Institute est fondé en 1959 par Don Jackson dans le but d'étudier les implications thérapeutiques des travaux du groupe Bateson.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 51
L’approche de Palo Alto va considérer que les systèmes interactionnels ont les
mêmes propriétés que les autres systèmes : L’interdépendance des parties par rapport au
tout est le fondement de la notion de système, dont les principales propriétés sont la
totalité (le tout est différent de la somme des parties), l’équifinalité (à partir de
conditions initiales identiques, deux systèmes peuvent évoluer vers des états finaux
différents et réciproquement) et l’homéostasie (tout système tend à maintenir un
équilibre dynamique de fonctionnement, « le problème, c’est la solution ») (Bertalanffy,
1966). Les chercheurs de Palo Alto ne s’intéressent aux systèmes que pour résoudre
leurs problèmes d’êtres humains vivant en collectivité (Brasseur, 2000). Dans leur
approche interactionnelle, ils préconisent d’analyser le phénomène de blocage en
situation de détresse. Leur démarche ne cherche pas à répondre à la question du
pourquoi du problème, mais se préoccupe du « comment faire ? » ;; l’objectif pour eux
étant de mettre en œuvre un plan d’action qui puisse amener le demandeur d’aide à
changer radicalement son mode d’interactions sans compromettre son efficacité. Ils
cherchent à identifier quelle stratégie d’intervention s’avèrera rapidement efficiente.
C’est pourquoi Brasseur et Schlanger (1998) ont qualifié cette approche de stratégique.
Cette approche des systèmes humains d’interactions nous paraît essentielle dans la
mesure où les chercheurs de Palo Alto cherchent à améliorer les interactions entre les
personnes dans une démarche de changement, pour faire évoluer les interactions. Ce
positionnement qu’ils qualifient eux-mêmes de constructiviste intéresse notre recherche
dans la mesure où le tuteur est au centre des interactions du dispositif en ligne et que ses
actions vont amener l’apprenant vers une appropriation des technologies et un
apprentissage dans une démarche de changement. Nous aborderons donc notre
recherche par une approche systémique des interactions observées dans un
environnement en ligne.
La finalité de tout enseignement est l’acquisition par l’apprenant de connaissances,
voire de compétences. L’enseignant – ou le tuteur dans le cas précis de l’enseignement à
distance – va interagir avec les apprenants afin de faciliter ces acquisitions. L’approche
systémique du dispositif d’interactions dans le contexte de l’e-learning nous paraît
pertinente pour répondre aux problématiques soulevées par l’introduction des TIC dans
l’enseignement. En effet, comme le note Mangenot (2000), « il nous semble que l’on ne
peut répondre à ces questions qu’en élaborant des modèles complexes d’intégration des
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 52
technologies, en évitant de chercher des rapports directs de cause à effet; les variables
sont en effet nombreuses et rarement isolables ».
Suivant la démarche proposée par l’école de Palo Alto, nous chercherons donc, dans
notre travail, à observer comment la connaissance et les compétences sont acquises par
les apprenants à travers les interactions avec le tuteur par le biais des TIC.
4 L’e-learning comme innovation de service
L’émergence des technologies de l’information et de la communication les a placées
au centre de la création de valeur et a ainsi profondément modifié la place accordée à
l’innovation et à ses facteurs de développement dans nos modèles de croissance
économique (Brodin, 2007 ; Jacquinot-Delaunay et Fichez, 2008). Le mot « innovation»
est employé partout, dans la recherche publique et privée, dans les stratégies des
entreprises, dans les discours politiques (Van de Ven, 1986 ; Bootz et Monti, 2008 ;
Michel et al, 2008). Comme le reflète la célèbre phrase de Drucker « Innover ou
mourir» (1999), l’innovation est la préoccupation stratégique majeure du nouveau
millénaire (Hamel, 2000).
Dans le domaine de la formation, comme nous l’avons discuté précédemment, les
préoccupations économiques des entreprises les amènent à reconsidérer leur politique et
à se tourner vers l’e-learning. La crise incite, en effet, les entreprises à s’adapter et à
faire évoluer les compétences de leurs salariés au moment où la récession des ventes et
des profits limite les budgets de formation : l’enseignement à distance et
l’autoformation semblent des solutions plus économiques que la formation
traditionnelle (Demos e-Learning Agency, 2008). Sur le plan des universités, l’actualité
de ces dernières années, entre les grèves et le risque de pandémie dû à la grippe H1N1,
mais également le problème du nombre croissant d’étudiants sur des campus toujours
aussi restreints, force les acteurs du monde de l’enseignement à réfléchir à d’autres
modalités que le cours en présence des étudiants, et à numériser leurs contenus ou à en
créer de nouveaux pour un enseignement en ligne. Le modèle des Open Educational
Resources (OER) dont les Massive Online Open Courses (MOOC) sont l’exemple le
plus connu aujourd’hui montre qu’un nouveau paradigme est en train d’émerger.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 53
L’enseignement à distance a été abordé par de nombreux chercheurs appartenant à
différentes disciplines. Ceux en sciences de l’éducation se démarquent notamment par
leurs recherches sur l’aspect didactique de l’enseignement à distance explorant la
pédagogie, la cognition et la métacognition (Jacquinot, 2003; Bernatchez, 2001;
Paquette, 2001). Les sciences de l’information et de la communication (SIC) ont aussi
largement contribué aux recherches dans le domaine en s’appropriant les approches
communication et usage (Peraya et al, 2007; Peraya et Viens, 2005). En particulier, sont
mis en perspective, l’importance centrale de la communication dans une approche
« anthropocentrée » (centrée sur l’homme et ses besoins) et le fait que le message
structure l’interaction. Les objets techniques (outil, instrument, dispositif et artefact)
sont également au cœur des recherches en SIC, ainsi que leur évaluation dans
l’enseignement en ligne. Quant aux sciences de gestion, les aspects stratégie, ressources
humaines et systèmes d’information ont été abordés notamment par Meissonnier et
Houzé (2005) pour l’aspect managérial de la décision et l’engagement nécessaire de
l’institution. Nous retrouvons cette approche chez Kalika et al (2005), sous l’angle de
l’e-RH. Baujard (2004) s’intéresse aux stratégies d’adoption de l’e-learning; Spalanzani
et Filippi (2004) l’étudie sous l’angle de l’innovation organisationnelle. Différents
chercheurs se sont également intéressés à l’enseignement en ligne à travers l‘acceptation
des technologies et plus particulièrement avec le modèle TAM - Technology Acceptance
Model – (Ayadi et Kammoun, 2009). Mais aucun, parmi tous ces chercheurs, n‘a abordé
l’e-learning comme un service.
Notre propos est précisément d’aborder l’enseignement à distance comme une
activité de service à usage externe ou interne car les entreprises l’utilisent maintenant
massivement. Selon une étude effectuée en 2007 sur les mesures et pratiques de la
formation en entreprise dans sept pays européens22, au Royaume-Uni, en Suisse ou en
Espagne, une entreprise sur deux forme ses salariés via des formules blended23 et e-
learning. L’Allemagne suit de près cette tendance avec 43% de blended et 39% de pur
e-learning. La France, l’Italie et le Portugal sont moins avancés dans ce domaine, avec
22 Le Groupe Cegos et CSA publient en 2008 une enquête sur les grandes pratiques de formation professionnelle en France, Allemagne, Royaume-Uni, Suisse, Italie, Espagne et Portugal. Cette étude, menée auprès de 1 303 DRH et Responsables Formation dans des entreprises de plus de 500 personnes, permet de comparer à l’échelle européenne le taux d’accès à la formation, les principaux domaines d’apprentissage, les modalités de formation et l’importance des programmes internationaux.
23 Le blended-learning est une formation dans la laquelle on trouve des sessions en présentiel et des modules en ligne.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 54
des scores inférieurs à 33%. Aux USA, les difficultés économiques et le chômage
massif mettent en avant l’offre d’entreprises et de fondations qui proposent des
formations à distance à coût moindre pour requalifier la main d’œuvre.
Au niveau international, l’enseignement à distance se développe sur deux plans : les
firmes multinationales l’imposent en autoformation pour s’assurer que leur main
d’œuvre partage un socle commun de connaissances notamment techniques, quel que
soit le pays d’implantation. Par ailleurs, les universités occidentales créent de véritables
parcours de formation à destination des pays émergents et trouvent un public, soit pour
des raisons de coût, soit pour des raisons de formations spécialisées absentes dans
l’offre locale.
Nous proposons ici d’aborder l’enseignement en ligne sous un aspect peu traité dans
la littérature, celui de service. En effet, l’enseignement traditionnel peut être vu comme
un service à l’apprenant et nous montrons en quoi l’e-learning est une innovation par
rapport à un service traditionnel, et quels changements ont été opérés. Nous proposons
de l’expliquer à travers deux grandes parties : le changement et l’internationalisation.
Commençons avant toute chose à montrer en quoi l’enseignement est un service.
4.1 L’enseignement vu comme un service
La définition d’un service de Hill (1977) - largement adoptée dans la littérature
internationale – semble correspondre à l’enseignement. Il définit un service comme un
« changement dans la condition d’une personne, ou d’un bien appartenant à une unité
économique quelconque, qui apparaît comme un résultat de l’activité d’une autre unité
économique avec l’agrément préalable de ladite personne ou de l’unité
économique »24..
L’enseignement est bien un service à l’esprit de la personne. Il est alors caractérisé
par un transfert de connaissance, de savoir. Ce savoir appris devra ensuite, en situation
de travail, se transformer en savoir-faire.
En 1987, Langeard et Eiglier ont formalisé une approche qu’on peut qualifier de
« systémique » de la production d'un service. La production de service est en effet
24 Notre traduction de: « A service may be defined as a change in the condition of a person, or a good
belonging to some economic unit, which is brought about as a result of the activity of some other economic unit with the prior agreement of the former person or economic unit. ».
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 55
comme un système;; ils l’ont intitulée «servuction». Ce néologisme - résultat de la
contraction des termes SERVice et prodUCTION - désigne « l'organisation
systématique et cohérente de tous les éléments physiques et humains de l'interface
client-entreprise nécessaire à la réalisation d'une prestation de service dont les
caractéristiques commerciales et les niveaux de qualité ont été déterminés» (Langeard
et Eiglier, 1987, p.102). Bien qu’il ne faille pas confondre « systématique » et
« systémique », l’approche des auteurs est bien celle d’un système comme nous verrons
dans cet exposé. La servuction modélise le processus de production des services par
quatre éléments qui sont : le client, le support physique nécessaire à la production du
service, le personnel en contact avec les clients, le système d’organisation interne de
l’entreprise. Dans ce modèle, le « Back Office » correspond à l’ensemble des opérations
réalisées sans la présence du client. Le « Front Office » représente toutes les activités
réalisées par des employés en contact avec le client ou par le client lui- même. Il s’agit
donc de la partie visible du système. Le « système d’organisation interne » est la partie
qui n’est jamais visible, tout ce qui concerne la gestion, le management, les ressources
humaines et la coordination interne.
Dans le cas de l’enseignement, que l’on regarde à travers le prisme de la
« servuction » : le client est bien entendu l’étudiant ; le service est la formation
dispensée ;; le personnel en contact est l’enseignant ; le support, quant à lui, correspond
aux ressources de la formation. Le système d’organisation interne organise toute la
logistique, met à disposition les salles de formation, choisit les enseignants, prépare le
matériel pédagogique,… En d’autres termes, le système d’organisation interne fait en
sorte que le service puisse être réalisé et, ce, dans les meilleures conditions. C’est alors
le personnel en contact qui gère les relations internes avec l’organisation.
Nous avons donc ici le modèle de production de services tel qu’il est caractérisé par
Langeard-Eiglier. L’enseignement peut alors bien être considéré comme un service qui
est destiné à l’esprit de la personne. L’étudiant se trouve à la fois producteur et
consommateur du service. En effet, une des caractéristiques majeures de la servuction
est que le client participe à la fabrication du service. Il est partie prenante du processus
(Eiglier, 2002): « La présence et le rôle du client dans la servuction constituent la
singularité fondamentale du système par les conséquences multiples que cela implique
en marketing: le client est à la fois producteur et consommateur […] ». Sans étudiant,
l’enseignant ne fait pas son cours, il n’y a pas production de service. De plus, les
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 56
nombreux échanges entre l’enseignant et l’étudiant participent à la production de ce
service (cf.figure 6).
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 57
Figure 6 – L’enseignement vu à travers le prisme de la servuction
« Back Office » Partie partiellement visible ou
épisodiquement visible
« Front Office » Partie visible
Partie invisible
Support = les ressources
Personnel en contact = l’enseignant
Support physique
Management de la formation (au niveau
établissement)
Systèm
e d’Organ
isatio
n Interne (
inst
itutio
n)
Client = l’étudiant
Client = l’étudiant
Service = la formation
Relations internes
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 58
L’enseignant, quant à lui, est en relation à la fois avec les étudiants - avec lesquels il
coproduit le service -, et avec l’organisation interne de l’université. Il participe donc à la
préparation et à l’organisation du travail. C’est ce qu’on appelle la « logique de
servuction » qui, dans l’optique de l’utilisateur, se fonde sur la spécificité des demandes
et l’unicité des résultats. Dans le concept de service, rappelons que la valeur d’un
service n’existe que lorsque celui-ci est délivré. C’est bien le cas de l’enseignement.
L’enseignant est donc le garant de la qualité du service rendu.
Comment peut-on alors caractériser un cours ? Le cours se situe tout d’abord dans
des locaux. Sont-ils agréables ? Correctement chauffés et ventilés ? Sont-ils
suffisamment équipés pour faciliter l’apprentissage (vidéo projecteur, et autres
matériels) ? Le contexte est particulier et joue un rôle sur le déroulement du cours : qui
a enseigné juste avant ce cours ? Quelle matière a été enseignée ? L’enseignant a-t-il dû
se déplacer ? A quelle heure de la journée se situe le cours, et quel jour de la semaine?
Est-ce un cours de fin de semestre ou la séance se situe-t-elle après une période de
repos ? L’enseignant pendant son cours porte en lui un certain charisme qui va lui
permettre de prendre sa classe en main. Sa personnalité, sa générosité à enseigner vont
donner le ton à la séance. La voix même de l’enseignant, son intonation sont des
éléments importants de son enseignement. Il fait cours à un groupe d’étudiants. Dans les
relations qu’il a avec eux, les échanges sont modulés par un feed-back incessant. En
plus des questions-réponses échangées pendant la séance, le langage non-verbal –
regards, gestes, mouvements divers - est une source très riche pour estimer si le
message et les connaissances ont été transférés aux étudiants. Il existe également de
nombreux effets de groupe dans un cours, de nombreux échanges. La forme et le
contenu de l’enseignement peuvent varier face à tous ces éléments. La schématisation
peut être privilégiée pour fixer les idées. Des travaux en sous-groupes peuvent être
préférés pour faciliter l’appropriation du contenu. Le support de cours pourra être
distribué aux étudiants afin que le contenu soit rendu plus accessible. La dynamique de
progression du cours pourra différer selon les réactions et les observations des acteurs
de la formation.
L’analyse de ces modalités montre que le service de formation comme les autres
services mêle des éléments immatériels et des éléments techniques : le service est un
changement d’état, mais c’est aussi un processus et une organisation. Les étudiants
participent au processus, et les interactions participent à part entière aux processus
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 59
d’acquisition. C’est ce qu’Hatchuel (1997) qualifie de « routines d’interaction » entre
les acteurs. Les auteurs anglo-saxons distinguent l’«output » (les moyens mis en
œuvre), de l’« outcome » (le résultat). Gadrey (1996) parle de « l’output immédiat » -
qui fait référence à l’obligation de moyens, donc à la mise en œuvre de la formation - et
de « l’output médiat » - qui fait référence à l’obligation de résultat, donc nous renvoie
ici au changement d’état de la personne. Ces distinctions sont nécessaires pour
comprendre les changements opérés par l’enseignement en ligne.
Notre vision de l’enseignement à partir des éléments de la littérature que nous venons
de présenter nous amène à considérer maintenant l’e-learning sous l’angle du service.
Comment opère l’enseignement en ligne ? Observons-nous un changement du rôle des
acteurs, dans leurs interactions ? Y a-t-il un changement de servuction, une
transformation du service ? Nous considérons que l’e-learning est une innovation de
service, et nous proposons de montrer en quoi dans la suite de cet exposé.
4.2 Le changement
Un certain nombre de changements peuvent être observés lors du passage d’un
enseignement traditionnel vers un enseignement en ligne. A partir des réflexions de
Jacquinot-Delaunay et Fichez (2008) et de Bellier (2001), nous proposons cinq
dimensions principales dans ce changement: l’introduction de la technologie, la
disponibilité de la ressource, la transformation du rôle de l’enseignant, la pédagogie
revisitée, et la transformation ²organisationnelle.
4.2.1 L’introduction de la technologie
Comme de nombreux auteurs l’ont décrit (Baron et al, 2000), une dimension
importante du changement peut se situer dans la technologie. La totalité des dispositifs
d’e-learning utilise aujourd’hui une plateforme dite « d’enseignement à distance » et
fonctionne en réseau. L’enseignement repose alors pour l’essentiel sur cette
technologie. Les caractéristiques de ces plateformes sont généralement identiques. Elles
comportent un espace de cours où les contenus sont déposés par les enseignants. Cet
espace « d’ingénierie pédagogique » est celui dans lequel les cursus de formation sont
composés de façon plus ou moins individualisée selon les besoins des apprenants, et
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 60
dans lequel le gestionnaire inscrit les étudiants aux différents modules qu’ils auront
choisis en accord avec leurs enseignants, et où les groupes d’étudiants sont constitués.
Un espace documentaire se retrouve également dans toutes les configurations
technologiques présentes sur le marché, celui-ci a pour vocation de regrouper tous les
documents annexes et complémentaires aux cours ainsi que les documentations
constituées par les étudiants eux-mêmes. Enfin, un espace collaboratif et de messagerie
permet aux étudiants d’échanger avec les enseignants et les autres étudiants sous forme
de courriel, de post dans des forums de discussion, de chat via un logiciel de messagerie
instantanée. Cette configuration est la forme basique de toute plateforme d’e-learning.
Certaines y ajoutent des classes virtuelles, des espaces de webconférence, des tableaux
blancs interactifs, ou encore des connexions avec des e-portfolio. Certaines entreprises –
plus avancées dans les technologies Web 2.0 – se connectent même par le biais de leur
plateforme d’e-learning à des réseaux sociaux externes, intègrent des mondes virtuels,
ou encore utilisent des contenus de Del.icio.us, Flickr, Twitter ou YouTube25 pour leurs
apprentissages (Bonfils, 2007 ; Malek, 2010 ; Yang et Yuen, 2010).
Si nous comparons l’e-learning avec un enseignement traditionnel, le terme
d’innovation est évidemment le premier qui nous vient à l’esprit. Il est le plus adéquat
parce qu’il traduit bien la transformation du mode de livraison du service : l’apprenant
ne se déplace plus, la formation lui est servie à domicile, et, ce, grâce à la technologie.
4.2.2 Disponibilité de la ressource
La seconde dimension identifiée concerne l’accessibilité de la connaissance. Celle-ci
devient permanente et inépuisable. Les supports de cours, la documentation
complémentaire, ou tout autre objet matérialisant la connaissance peuvent être stockés
sur la plateforme. Ainsi, devient-elle accessible de façon permanente et non plus
seulement au moment même du cours, comme dans l’enseignement traditionnel. Hormis
cet aspect de permanence de la connaissance, « l’e-learning oblige à repenser les
contenus mais aussi à les expliciter, à les retravailler, à les formaliser autrement. Ce
travail en profondeur sur ce que sont les « grains de savoir » que nous voulons diffuser
25 Il s’agit de sites communautaires de partage de contenus issus des technologies Web 2.0 : Del.icio.us pour les
bookmarks, Flickr pour les photos, YouTube pour les vidéos et Twitter pour le micro-blogging.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 61
a parfois été négligé …parce que tout est dans la tête des formateurs […] des pans
entiers de contenus étaient informels, implicites, non formalisés » (Bellier, 2001).
4.2.3 Transformation du rôle de l’enseignant
Si l’introduction de la technologie apparaît comme un changement majeur dans
l’enseignement, celle-ci n’est que le vecteur de ce changement. En l’introduisant dans
les outils de l’enseignement, le métier d’enseignant évolue et se transforme. En effet, si
l’enseignant a pu transférer ses connaissances explicites et implicites dans ses contenus,
s’il a revu l’ingénierie pédagogique pour l’adapter à l’enseignement en ligne, que reste-
t-il de son métier ? « Il n’est plus là pour apprendre quelque chose à un groupe ou pour
apporter des notions nouvelles ou inconnues. L’essentiel de son travail consiste à faire
passer le groupe de connaissances apprises sur l’écran à leur mise en œuvre dans des
situations professionnelles contextualisées. Son cœur de métier devient vraiment la
pédagogie, en ce sens qu’il est là pour aider à l’appropriation, vérifier le transfert,
faciliter la transposition » (Bellier, 2001). Pour l’auteur, il ne s’agit pas d’un nouveau
métier car tout bon formateur est normalement déjà un bon pédagogue avant d’être un
expert ou un animateur. Il devra simplement évoluer dans l’utilisation de ses pratiques
car il doit aider l’apprenant à transformer ses connaissances en compétences. C’est là un
élément novateur puissant de l’enseignement en ligne.
Cet autre aspect du rôle de l’enseignant – celui qui accompagne l’apprenant et
facilite la transposition des connaissances en compétences - est sujet à controverses au
sein de la communauté scientifique (Vetter, 2004) : l’enseignant en ligne, celui qui est
en contact avec les apprenants et que nous dénommerons plus communément le « tuteur
en ligne » ou « e-tuteur »26, est-il l’auteur des contenus ? Comme le note, Vetter (2004),
une partie des chercheurs travaillant sur la formation en ligne considère que l’auteur des
contenus ne doit pas être celui qui effectuera le tutorat. Pourtant, Abrioux (1985)
suggère que les deux rôles ne peuvent être remplis que par un même acteur du
dispositif. Plus précisément, cet auteur note qu’en ce qui concerne les Formations A
Distance (FAD) « l’enseignement et l’encadrement sont deux activités séparées,
contrairement à la formation traditionnelle où les deux sont sous la responsabilité du
26 Bernatchez (2001) définit le tuteur comme la personne qui entretient le contact le plus étroit avec l’apprenant tout
au long du cours.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 62
formateur ». Enfin, d’autres recherches (comme celles développées autour de l’équipe
du GreCO – Grenoble Universités Campus Ouvert27) considère que l’ensemble des rôles
d’un tuteur ne peut être rempli par un seul individu et que le tutorat est le travail d’une
équipe. Les raisons qui alimentent ces controverses qu’elles soient idéologiques,
pédagogiques ou économiques – ne modifient en rien, de notre point de vue, le rôle
fondamental du tuteur en ligne. En effet, l’ingénierie d’un dispositif de formation à
distance nécessite, dans l’immense majorité des cas pour, notamment, des raisons
pratiques de conceptualisation, de conception et de corrections, deux phases menées
distinctement dans le temps. Nous retrouvons, d’une part, la conception des contenus. Il
y a, d’autre part, les activités de tutorat. Le tuteur peut donc développer, selon qu’il soit
ou non l’auteur des contenus, des compétences différentes et bénéficier d’une prise de
recul supplémentaire. Toutefois, cela ne change pas fondamentalement le rôle qui lui
incombe ni, par ailleurs, la nature des activités qu’il développe (Berge, 1995). De fait, il
ne parait pas pertinent, pour notre recherche, de nous positionner dans un courant ou
dans l’autre. Nous considèrerons simplement, comme une large partie de la
communauté scientifique (Berge, 1995), que le tuteur doit être un pédagogue, expert du
contenu. Exprimé autrement, l’enseignement en ligne voit naître un nouveau rôle,
primordial pour pallier l’abandon de l’apprenant (risque décuplé en comparaison avec
l’enseignement traditionnel) : celui de tuteur en ligne. Ainsi, comme le note Julien
(2005), « le tuteur est alors un expert en procédures d’enseignement et d’apprentissage
qui doit être familier avec le contenu du programme. A l’aise avec les technologies
spécifiques internet (chat, forum, e-mail, tableau blanc électronique, etc.), cette
personne doit faciliter l’accès à l’apprentissage et fournir un soutien aux apprenants en
ligne » (Julien 2005). Ajoutons que, pour les entreprises – et notamment les firmes
multinationales -, la conception des modules de formation est confiée à des spécialistes
du sujet traité qui, rarement, dispensent les cours, surtout si ces derniers concernent des
apprenants situés dans des filiales étrangères. Dans un dossier spécial « e-learning » du
Monde Economie (2006)28, une journaliste concluait « qu’il ne suffisait pas de mettre
des cours en ligne pour former des milliers de collaborateurs » et que
« l’accompagnement d’un tuteur s’avère indispensable ».
27 http://greco.grenet.fr Site du GreCo visité en novembre 2009.
28 Le Monde, Economie, La vie au travail, « le E-learning surmonte ses erreurs de jeunesse », Nathalie Quéruel, 24 octobre 2006.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 63
4.2.4 Pédagogie revisitée et changement des processus d’apprentissage
Après le changement technologique, l’accessibilité devenue quasi-permanente des
ressources, et le changement du rôle des enseignants, nous observons une
transformation dans le service apporté à l’apprenant: la pédagogie semble en cours de
transformation. En effet, nous ne sommes plus dans une approche déterministe où
l’enseignant est au centre de la formation. C’est maintenant vers l’apprenant que
convergent l’ensemble des éléments du dispositif. Cela appelle certainement une remise
en cause des rôles de l’enseignant-tuteur. Si les supports de cours existaient déjà en
formation traditionnelle, ils sont ici les principaux vecteurs du transfert des
connaissances de l’enseignant (Bellier, 2001). L’enseignant doit donc avoir de fortes
connaissances dans les processus d’apprentissage (Julien, 2005). Il doit non seulement
guider l’apprenant dans l’apprentissage de ses savoirs;; mais également dans la
connaissance qu’il a de lui-même et plus spécifiquement de ses stratégies cognitives
(Jacquinot-Delaunay et Fichez, 2008). Cet aspect métacognitif a une conséquence
immédiate sur l’apprenant qui devient alors actif dans le processus et donc co-
producteur de cet apprentissage (Paquelin, 2004).
4.2.5 Transformation organisationnelle
Une cinquième dimension caractérise l’e-learning: la transformation
organisationnelle de l’établissement de formation – voire de l’institution - et la
dématérialisation de ses relations aux apprenants, voire aux enseignants.
L’enseignement en ligne nécessite une organisation pédagogique et administrative
extrêmement rigoureuse (Isaac, 2008). D’un point de vue pédagogique, le dispositif doit
être pensé dans sa globalité afin d’intégrer l’ensemble des acteurs : enseignants, tuteurs,
personnels, apprenants. Il doit être flexible et modulable, et prendre en compte
l’individualité de l’apprenant dans son parcours pédagogique (Paquelin, 2004). Du point
de vue organisationnel, il a souvent été observé la nécessité de formaliser les
procédures, de former les enseignants et les tuteurs aux spécificités de ce type de
dispositif, d’expliciter aux apprenants le déroulement des enseignements, d’imposer une
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 64
périodicité afin de dynamiser et de créer le groupe d’apprenants à distance. Il a été
constaté un changement radical dans le mode de formation, le mode de communication
mais aussi dans les mécanismes de gestion de la formation. En effet, comme le souligne
Linard (1996, p.35-36), il n’est peut-être pas suffisant d’innover, il convient également
de « modifier le cadre traditionnel dans lequel s’insère l’innovation ».
4.3 Les caractéristiques d’une innovation
Nous constatons ici que tous ces changements sont induits par l’introduction de la
technologie. L’innovation technique permet le changement. Nous pouvons déterminer
les différents niveaux qui caractérisent une innovation : le premier niveau – micro – se
situe au niveau des acteurs. Les apprenants d’un côté, les enseignants et tuteurs de
l’autre. Au niveau « méso », nous trouvons l’établissement qui gère l’innovation. Enfin,
le niveau « macro » correspond à l’instance de tutelle de cet établissement. Les cinq
dimensions que nous avons identifiées précédemment correspondent également aux
dimensions d’une innovation: la première dimension, technologique, est le vecteur de
l’innovation, elle porte l’enseignement en ligne. Les nouvelles formes d’accessibilité de
la connaissance permettent à l’apprenant d’aller vers plus d’autonomie et de
d’autoformation. Il s’agit là d’une innovation que nous pouvons qualifier de
méthodologique, d’un niveau « micro » - celui de l’apprenant. La transformation du rôle
de l’enseignant relève de changements des pratiques sociales de la formation. Il s’agit
d’une innovation pédagogique portée par l’équipe enseignante, au niveau « micro »
également. La transformation majeure au niveau de l’établissement – niveau « méso » -
se situe dans la gestion des formations. Un changement radical est opéré dans le mode
de communication avec les apprenants ; mais également dans les procédures de gestion
administrative. Enfin, la transformation touche également l’institution d’un point de vue
organisationnel – nous nous situons ici au niveau « macro » de l’innovation – et relève
de ce que Landry et Pillon (2005) appellent la gestion dynamique des compétences,
dans laquelle on reconnaît les compétences de chacun des acteurs à travers la
description des procédures et processus du dispositif.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 65
Con
tent
4.4 Une innovation de service
Nous venons donc de voir, à travers les dimensions du changement induit par
l’enseignement en ligne, qu’il s’agit bien d’une innovation de service. Selon Drucker
(2000), cette innovation « lève les barrières de temps et d’espace et fournit de hauts
niveaux de personnalisation tant à l'utilisateur qu'à la tâche. En intégrant dans
l'activité de chaîne de valeur, l'enseignement en ligne délivre la forme la plus opportune
de connaissance. En fournissant les outils par lesquels un utilisateur peut entièrement
personnaliser l'expérience basée sur ses compétences et ses tâches, l'apprentissage en
ligne crée une expérience d'apprentissage beaucoup plus intime et
mémorable (i.e.effective)»29.
Just-in-time
Content
Just-in-case
Figure 7 - Drucker (2000).
29 Traduction par nous-même de : « removes the barriers of time and place and provides high levels of
personalization to both the user and the task. By being integrated into the value chain activity, e-learning delivers the most timely form of knowledge. By providing the tools by which a user can fully personalize the experience based on their skills and tasks, e-learning creates a much more intimate and memorable (i.e.effective) learning experience».
e-Learning
Self-paced Computer-based
Training
Distance Learning
Academic Education
Gen
eral
ized
Personalized
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 66
Cependant, l’innovation dans les services rencontre les problèmes de tout processus
d’innovation que Van de Ven (1986) regroupe en deux catégories: d’une part, ceux
concernant la génération des idées innovantes, des nouveaux concepts - il s’agit ici de la
phase d’innovation stricto-sensu- ;; d’autre part, ceux relatifs au management du projet
d’innovation - il est difficile de faire accepter et de commercialiser un nouveau produit-.
La difficulté concerne les services exploitant cette innovation. Crozier précise ainsi
que« L’invention technique ne suffit pas. Ce qui fait la différence, ce sont les
interactions constructives entre tous les maillons de la chaîne des rapports humains, de
la connaissance scientifique à la découverte technique, de son développement à sa mise
en œuvre, mais aussi de l’apprentissage de comportements nouveaux chez le client
potentiel ».
Dans le cadre de la mise en œuvre de formations en ligne, et comme nous l’avons vu
précédemment, un certain nombre de freins à l’adoption de tels dispositifs sont
mentionnés par les acteurs. Compte-tenu de notre problématique et de nos questions et
sous-questions de recherche, nous nous focaliserons sur l’un des points majeurs qui
ressort de l’ensemble des enquêtes : les difficultés techniques et d’accompagnement.
D’un point de vue technologique, il est important que l’appropriation des outils mis
en place - nous parlons ici de la plateforme d’enseignement en ligne – ne constitue pas
un frein trop important. De nombreux chercheurs en systèmes d’information se sont
intéressés à l’appropriation de la technologie (Orlikowski, 1992;; Orlikowski et al,
1995,1999; De Sanctis et Poole, 1990, 1992, 1994; De Vaujany, 2000, 2001, 2003). Ces
travaux trouvent leur origine dans la théorie de la structuration d’Anthony Giddens
(1984). Cette théorie permet de concevoir les actions des individus ainsi que les
structures, en se focalisant sur les interactions. En effet, Giddens examine les relations
entre les individus de systèmes sociaux et la structure sociale. Dans un environnement
en e-learning, il est essentiel que tous les acteurs – enseignants, personnel ou apprenants
– s’approprient la technologie à un point tel qu’ils l’« oublient » pour naviguer en toute
convivialité afin de se concentrer sur l’objet central de cet environnement qui est le
transfert et l’acquisition - voire la création - de connaissance. L’homogénéité technique
et la simplicité de mise en œuvre – notamment côté apprenant – doivent être
privilégiées. Enfin, la disponibilité du dispositif et la permanence de l’accès doivent être
garanties par l’institution.
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 67
4.5 Les enjeux de l’enseignement en ligne
Dans leur synthèse sur l’innovation dans les universités, Jacquinot-Delaunay et
Fichez (2008) reprennent les différentes dimensions du processus d’innovation que nous
avons décrit et précisent: « l’innovation technico-pédagogique est un construit social,
objet de négociation.». Elles identifient cinq principaux passages dans la progression de
l’innovation : le passage d’une initiative de type politique à la mise à l’agenda politique;;
une lente évolution vers un modèle où l’attention est portée sur la facilitation de
l’appropriation des contenus ; le passage progressif « d’un modèle canonique
transmissif de la pédagogie universitaire au modèle constructiviste d’appropriation des
savoirs dans l’autonomie de la formation » ;; le passage d’une conception locale de
l’innovation vers une conception systémique de l’innovation qui met en évidence
l’interrelation des facteurs intervenant aux divers niveaux micro, méso et macro, qu’elle
concerne un aspect pédagogique, technologique, logistique, organisationnel,
institutionnel ou politique ; et enfin, Jacquinot évoque « un mouvement déjà en marche
de modernisation de l’enseignement supérieur : le passage d’un service public à un
autre service – encore public – amené à intégrer un certain nombre d’objectifs
économiques et sociaux ».
Si l’importance de l’innovation dans la croissance économique n’a rien de nouveau
(Schumpeter, 1911), son caractère décisif conditionnant la survie des entreprises semble
l’être de par l’incertitude de l’environnement, la compétition mondialisée, la
valorisation de savoir et des actifs immatériels, et l’éclatement des lieux d’innovation.
L’internet a facilité, pour les entreprises ayant des activités de services, une visibilité
mondiale et leur a souvent permis de développer leur crédibilité, de réduire les coûts de
transaction et de nouer des relations plus étroites avec leurs marchés et leurs clients.
Dans un nombre important de cas, ces organisations ont ajouté de la valeur en offrant
une gamme plus large de services et en personnalisant en fonction des exigences des
clients. Le rapport 2000 de l’UNCTAD WTO sur le développement à l’export dans l’ère
numérique précise « l’e-commerce est un moyen d’éliminer les insuffisances et
d’améliorer l’efficacité des chaînes de valeur traditionnelles, ainsi que de générer de
nouveaux débouchés pour des entreprises ». C’est tout à fait ce qui s’est passé pour
l’enseignement. Tout en diminuant les soucis de capacité d’accueil dans ses locaux,
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 68
tout en réduisant les coûts en massifiant ses apprenants, l’e-learning a permis de
toucher des publics qui, d’ordinaire, n’auraient pas pu suivre un enseignement
traditionnel , soit du fait de leur activité professionnelle, soit du fait de la distance des
institutions délivrant la formation (Jacquinot-Delaunay et Fichez, 2008).
Toutefois, la commission européenne (2000) définit l’e-learning comme un moyen
d’améliorer la qualité de l’enseignement. Elle note ainsi qu’il ne faut pas oublier, dans
cette course à l’innovation et à l’international, un des enjeux majeur de l’enseignement
en ligne : la qualité. De cette qualité dépendra la satisfaction du client dans la relation de
services.
Rappelons, pour terminer, ce que nous disait Pierre Tabatoni (2005) : « L’innovation
est un voyage, une course-relais, toujours compétitive, sur une route aventureuse avec
les élans et l’énergie naissant de ses acteurs créatifs, leurs tactiques personnelles et
collectives, leurs passions et leurs hubris, leurs tâtonnements, essais et erreurs. Les
acteurs cherchent le rythme, le souffle de fond, à travers des percées et des
dépassements, des pauses et découragements, des retards ou blocages. Le processus
d’innovation vise une performance incertaine qui se découvre par sa recherche ».
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 69
5 Ce qu’il faut retenir du chapitre I
Un historique de l’enseignement en ligne nous a permis de mieux comprendre le
processus d’émergence et l’avènement de ce phénomène. En particulier, nous avons
cherché à mettre en perspective les avantages et les freins rencontrés par les acteurs de
l’e-learning que les dispositifs concernés soient déployés en entreprises ou dans des
institutions d’enseignement comme les universités. Cet aperçu du terrain nous permet
de prendre la dimension des difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de ces
dispositifs.
Nous nous sommes donc attachés à décrire les différents éléments qui ressortent des
études préalablement mentionnées : l’organisation des apprenants dans leur travail, les
difficultés techniques, le sentiment de solitude, le manque de motivation et le manque
d’accompagnement.
Ces éléments nous semblent particulièrement importants. En effet, nous le
détaillerons dans le chapitre III, ils correspondent aux rôles du tuteur en ligne tels qu’ils
sont identifiés dans la littérature. Plus particulièrement, à travers la définition de l’e-
learning apportée par la Commission Européenne et celle que nous apportons, nous
avons souligné l’importance des interactions humaines médiées par les technologies
dans un dispositif électronique de formation. Il est donc plausible qu’à travers un
processus de facilitation, une amélioration de la qualité de l’apprentissage puisse être
constatée.
Ce chapitre nous a également permis de présenter plusieurs modèles d‘e-formation et
donc de situer et d’aborder différentes théories de l’apprentissage. Dans cette
perspective, il semble pertinent, afin de développer notre réflexion, de détailler ces
théories dans le chapitre suivant.
Par ailleurs, l’approche systémique que nous proposons de l’e-learning permet
d’envisager une plus grande intelligibilité des dynamiques d’interactions développées
au sein de ces dispositifs.
Enfin, considérer l’e-learning comme une innovation de service, nous permet
d’observer comment le client, ici l’apprenant, participe à la production de service. Cela
nous a amené à aborder les questions portant sur les types d’échanges effectués dans un
environnement d’enseignement à distance ainsi que les questionnements évoquant la co-
Chapitre I L’e-learning
Valérie Caraguel 70
construction de la connaissance. En particulier, nous avons montré que la qualité de
l’enseignement correspond, pour une large part, à celle perçue par l’apprenant (le
« client ») et donc que sa satisfaction et la qualité perçue de l’enseignement sont très
fortement liées à la relation de services. Dans le troisième chapitre, nous verrons, et
c’est le cœur de notre sujet de recherche, que cette dernière est établie et médiatée par le
tuteur en ligne.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 71
CHAPITRE II : L’APPRENTISSAGE
1 Définitions p.73
2 Les grands courants de l’apprentissage p.74
3 En conclusion du chapitre 2 p.102
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 72
CHAPITRE II - L’APPRENTISSAGE
Le projet de ce chapitre est de caractériser les processus d’apprentissage mobilisés
dans l’enseignement en ligne et dans les activités du tutorat. En effet, dans le chapitre I,
nous avons présenté les trois modèles de l’e-formation (Fallery, 2007; Fallery et
Rodhain, 2011). Le modèle du « juste-à-temps pédagogique » est construit dans une
perspective instrumentale, behavioriste et positive. La connaissance est considérée
comme transférable et « l’e-formation est d’abord une transmission » (Fallery, 2007 ;
Fallery et Rodhain, 2011). Le second modèle, dans une approche plus relationnelle,
connexionniste et constructiviste envisage d’abord « l’e-formation comme un
échange ». L’expérience est alors source de la connaissance. C’est dans ce modèle de
« libre-service pédagogique » qu’apparaissent l’individualisation des parcours et le
tutorat. Le troisième modèle dit de « réutilisation collective » s’inscrit plutôt dans une
perspective socio-constructiviste où l’interaction sociale est source de connaissances et
l’e-formation considérée comme « une négociation de sens ».
Ainsi, à partir de nos analyses précédentes et des approches que nous avons
évoquées, nous nous proposons de mobiliser différentes théories de l’apprentissage afin
de montrer ce que, dans chacune d’elle, l’enseignement en ligne et le tutorat peuvent
tirer comme profit. En effet, si les trois modèles décrits (Fallery, 2007 ; Fallery et
Rodhain, 2011) correspondent à une apparition sur le terrain de la mise en place de
nouvelles pratiques d’e-learning, reposant sur des fondements théoriques qui eux-
mêmes ont suivi une évolution dans le temps, ils coexistent dans le paysage actuel de
l’enseignement en ligne. Nous montrons donc comment les théories de l’apprentissage
supportent ces modèles. Cela nous permettra, dans la suite de notre recherche, de
préciser pourquoi le système tutoral est différent selon le modèle adopté.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 73
1 Définitions
L’apprentissage est très largement défini comme l'acquisition de nouveaux savoirs ou
de savoir-faire, c'est-à-dire « le processus d'acquisition de pratiques, de connaissances,
compétences, d'attitudes ou de valeurs culturelles, par l'observation, l'imitation, l'essai,
la répétition, la présentation. Il s'oppose, tout en le complétant, à l'enseignement dont le
but est surtout l'acquisition de savoirs ou de connaissances au moyen d'études,
d'exercices et de contrôles des connaissances ». Proposée par Wikipédia, cette
définition reflète l’apport des différentes théories, ainsi que les influences des différents
courants sur l’enseignement. C’est le cas en particulier des théories comme le
béhaviorisme, le gestaltisme, le cognitivisme, le constructivisme ou encore le socio-
constructivisme que nous décrivons dans ce chapitre. Le Petit Larousse (2006), à travers
la définition qu’il propose, rappelle les fondements de l’apprentissage : « ensemble des
processus de mémorisation mis en œuvre par l'animal ou l'homme pour élaborer ou
modifier les schèmes comportementaux spécifiques sous l'influence de son
environnement et de son expérience ». Nous retrouvons, en effet, les traces des premiers
behavioristes qui expérimentaient des procédés de mémorisation sur les animaux puis
sur l’homme, les schèmes proposés par Piaget (1974, 1979, 1991) et les structures
acquises par l’expérience, et enfin l’importance de l’environnement mis en valeur
notamment par les travaux de Vygotski (1930, 1934).
Berbaum (1984), dans la définition qu’il donne de l’apprentissage, parle d’un
« processus d’acquisition de comportements nouveaux et durables ». La connaissance et
la compétence ne sont plus les seules en jeu. Giordan (1998, p.16) va encore au-delà :
« L’apprendre est d’abord une métamorphose [...] La compréhension d’un savoir
nouveau est le résultat d’une transformation – souvent radicale – de la représentation
mentale de l’apprenant [...] ».
Nous proposons donc, dans la section suivante, de mobiliser les théories de
l’apprentissage afin de mettre en perspective les éléments caractéristiques mobilisés
dans l’enseignement en ligne.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 74
2 Les grands courants de l’apprentissage
Nous ne prétendons pas ici fournir une revue complète concernant les phénomènes
d’apprentissage. Nous cherchons simplement à proposer quelques repères, à partir de
courants qui abordent l’apprentissage en apportant chacun des éclairages particuliers
vis-à-vis de l’enseignement en ligne et, plus particulièrement, de notre sujet de
recherche. Cette exploration ne prétend donc pas être exhaustive. Il s'agit plutôt de
souligner la diversité et les apports de chacune de ces théories afin d’en réaliser une
synthèse et une mise en perspective vis-à-vis de l’enseignement en ligne comme du
tutorat. Ainsi, nous évoquerons le behaviorisme, le gestaltisme, le constructivisme, le
cognitivisme, et le socio-constructivisme. Nous nous interrogerons sur la pertinence de
ces différents courants en situation d’apprentissage. Afin de nous situer plus
précisément dans notre champ de recherche, nous explorons également la formation des
adultes, l’apprentissage organisationnel et l’anthropologie cognitive. Nous verrons en
quoi ces théories répondent aux préoccupations de l’enseignement en ligne.
2.1 L’influence de l’environnement sur l’apprentissage
Les premiers courants théoriques affirmaient que l’individu est modelé par son
environnement via les stimuli. Ces théories regardent ce qui est observable, dans des
conditions expérimentales, lorsque des facteurs externes à l’individu viennent
l’influencer. Nous verrons dans cette partie que, pour les behavioristes, apprendre, c’est
devenir capables de donner une réponse adéquate ;; ce courant s’intéresse au résultat de
l’apprentissage. Skinner (1938, 1953) a une approche plus « scientifique » des
processus d’apprentissage. En effet, il introduit la notion d’« agent de renforcement »
qui contribue à l’acquisition d’une nouvelle conduite.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 75
2.1.1 La théorie behavioriste
2.1.1.1 Les fondements du behaviorisme
La théorie behavioriste est également qualifiée de « comportementaliste » car elle
étudie les comportements des individus soumis à des facteurs extérieurs. Elle est
considérée comme l’une des premières réponses apportée au phénomène de
l’acquisition de connaissances, tant chez l’animal que chez l’être humain. Cette théorie
prend essentiellement ses racines dans une approche philosophique empiriste
développée par Descartes (1637) dans son « Discours de la méthode » et Locke (1693)
dans ses « Pensées sur l’éducation ». Selon ces philosophes, nos pensées ne sont pas le
fruit de notre seule expérience. Sur le plan scientifique, les premières mises en évidence
de cette conception empiriste de l’apprentissage sont le fait des travaux d’Ebbinghaus
(1885) sur la systématisation de la mémorisation – mettant ainsi en évidence que le
réapprentissage prend moins de temps que l’apprentissage. Par la suite, Thorndike
(1898), avec l’apprentissage par essai-erreur, fait naître la « loi de l’effet » et la notion
de rétroaction (feedback). De même, Pavlov (1927), à partir de son étude sur des
réflexes, soumet le « conditionnement répondant ». C’est l’américain Watson (1913) qui
introduit la dénomination de « behaviorisme », qui devient la science du comportement.
Il la définit comme la manifestation observable de la maîtrise de la connaissance.
Skinner se définit comme un behavioriste radical. Précisément, il est en accord avec
le postulat à la base du béhaviorisme qui affirme que les mécanismes internes sont
déclenchés par les événements du monde extérieur. Néanmoins, il considère que les
processus psychologiques tels que les sentiments, la motivation et la pensée doivent être
pris en considération. Ainsi, il va jouer un rôle majeur dans les théories behavioristes, à
travers ses travaux sur le « renforcement » dans le conditionnement (Skinner 1938,
1953). Dans la continuité de Thorndike sur le concept de feedback, il propose une
approche scientifique des processus d’apprentissage et introduit le conditionnement
« opérant » en poursuivant les principes du conditionnement pavlovien chez l’animal
avant de les étendre à l’homme et, en particulier, à l’élève. Le conditionnement
« opérant » s’oppose au conditionnement « répondant », dans la mesure où l’animal, ou
la personne qui effectue l’expérimentation est actif(ve). Skinner s’intéresse au feedback
comme Thorndike et propose, entre le stimulus et la réponse, l’idée de « renforcement »
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 76
en 1957. Un « agent de renforcement » est une conséquence de l’action qui apporte,
comme chez Thorndike, une satisfaction à l’animal qui opère (par exemple l’atteinte de
nourriture chez le rat affamé). C’est une sorte de récompense. L’« agent de
renforcement » permet, pour Skinner, l’acquisition d'une nouvelle conduite. Il ne s’agit
donc plus d’une réaction réflexive mais d’une conduite acquise lors de la présentation
de l’agent de renforcement ;; l’acteur de l’expérimentation devient alors autonome.
Pour Skinner, seule la réponse correcte joue un rôle d’agent de renforcement et
contribue à l’acquisition d’une nouvelle conduite. En revanche, pour Thorndike, l’erreur
participe pleinement à l’apprentissage.
Les travaux sur le conditionnement dans diverses formes d’apprentissage insistent
sur le poids de l’environnement. Néanmoins, cette approche ne s’intéresse qu’aux
facteurs externes à l’individu. Watson (1913) réagit même contre le courant scientifique
de son époque en affirmant que l’introspection est à bannir. En découlent
l’enseignement programmé avec une machine, la pédagogie par objectifs et
l’enseignement assisté par ordinateur.
2.1.1.2 La pédagogie de la maîtrise
« Etre capable de … ». Voici donc le modèle pédagogique inspiré des travaux
behavioristes. L’efficacité de ce modèle a notamment été prouvée dans les
apprentissages techniques ou professionnels, en particulier dans les formations courtes
qui nécessitent l’obtention d’un nouvel automatisme, la connaissance d’une série
d’actions.
Les théories behavioristes portent sur la modification du comportement par
l’association stimulus-réponse et le renforcement sélectif. L’intérêt pédagogique
s’articule autour de la maîtrise et de la réaction adaptative. Comme elles font fi des
questions concernant la signification, elles sont utiles dans le cas où il est impossible ou
non pertinent d’aborder les questions de significations sociales, tels les automatismes,
les dysfonctionnements graves ou le dressage des animaux (Skinner, 1974).
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 77
2.1.1.3 Les limites du behaviorisme
Plusieurs limites de ce modèle ont été évoquées et décrites dans différentes
recherches. Nous le détaillerons dans les paragraphes suivants, la première d’entre elles
vient de l’observation de distorsions entre ce que l’enseignement se propose de faire
acquérir et ce qui se passe réellement. Une seconde limite qui s’avère importante est que
le behaviorisme réduit un apprentissage complexe en une succession d’apprentissages
plus simples. La troisième limite qui découle de la précédente est que le tout n’est pas la
somme des parties qui le composent (Le Moigne, 1991).
Cette approche comportementaliste est également très controversée dans
l’enseignement car, même si les élèves adoptent les comportements ou les conduites
souhaitées, le conditionnement ne facilite pas le développement de la compréhension, ni
la prise de distance, ni l’esprit critique. Ces éléments relèvent de facteurs internes à
l’individu. Les courants qui prennent en compte ces facteurs complètent donc le
behaviorisme. C'est ce que nous allons aborder dans la section suivante.
2.2 L’influence des facteurs internes à l’individu sur l’apprentissage
2.2.1 Ce qui se produit chez le sujet : le Gestaltisme en réponse au
behaviorisme
Etymologiquement, « gestalt » vient de l’allemand et veut dire « forme ». Le
gestaltisme est donc la théorie de la forme, les capacités de l’humain à percevoir les
« formes » qui les mènent à résoudre les problèmes. Les chercheurs de ce courant
(Köhler, 1929) partent de la perception, constatent un certain nombre de phénomènes
qui l’affectent et montrent que la stimulation n’est pas un processus qui dépend
uniquement de facteurs externes mais aussi des orientations de chaque individu, de ses
besoins et de ses représentations, de ses attentes, de sa motivation, des besoins
d’autonomie (Deci et Rayan, 2000).
Wertheimer (1987), Koffka (1935) et Köhler (1929) sont les fondateurs du
gestaltisme dans les années 1920. Leurs travaux et réflexions montrent que la perception
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 78
n’est pas objective, prenant comme exemple des domaines tels que l’optique et
l’acoustique. Précisément, ils suggèrent qu'elle dépend à la fois des caractéristiques de
l'environnement dans lequel est placé l'objet et des attentes du sujet. Comprendre un
phénomène dépend donc des représentations du sujet, de ce qu’il est avec ses
connaissances antérieures. L’« insight » est le moment où le sujet perçoit la réalité
d’une manière différente qui le fait prendre conscience d’une nouvelle « forme » de
réalité (Köhler, 1929). Pour les chercheurs de ce courant, nos perceptions s’effectuent
de manière globale. Une totalité ne peut se réduire à la simple somme des stimuli
perçus. De fait, les formes (par opposition au « fond ») constituent des éléments
fondamentaux et indécomposables de nos perceptions.
Les gestaltistes postulent que notre compréhension et nos apprentissages s’effectuent
de la même manière. Ils mettent en évidence l’importance des stimuli mis en œuvre
dans les situations d’apprentissage. Toutefois, ils soulignent également l’importance de
l’environnement. Une partie dans un tout signifie autre chose que cette même partie
isolée ou incluse dans un autre tout, puisqu’elle tire une partie de ses caractéristiques de
sa place et de sa fonction de l’environnement. C’est, selon Wertheimer (1987), la
« bonne forme ».
La théorie de la Gestalt a étendu ses concepts à d'autres domaines de la perception.
Toutefois, elle s'est heurtée aux difficultés épistémologiques dues au fait qu’il est
nécessaire d’y voir à l’œuvre des lois innées. Ce problème a surtout été soulevé par les
travaux de Piaget (1974, 1979, 1991). Cet auteur, pour qui les connaissances se
construisent au fil du temps, s’oppose à ces hypothèses de prédéterminations, de
l’« innéité » (Piaget, 1979).
Néanmoins, s'opposant à quelques-uns des principes de base du behaviorisme, le
gestaltisme va aussi poser les premiers jalons du modèle « cognitiviste » qui se
développera à partir de la fin des années 1960. C'est la raison pour laquelle, compte tenu
de notre sujet de recherche sur l'étude des dispositifs d’interactions entre les
enseignants/tuteur et les apprenants afin de mieux saisir les processus d'apprentissage,
qu'il était particulièrement important d'intégrer et d'analyser cette théorie dans nos
travaux de recherche.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 79
2.2.2 L’interaction entre le sujet et son environnement : Piaget et le
constructivisme
Il existe des relations entre apprentissage et développement humain. Pour Piaget
(1974), l’apprentissage est le résultat d’une interaction entre le sujet et son
environnement. Le sujet construit des connaissances : c’est le début du mouvement
constructiviste.
Les deux grands concepts développés par Piaget sont le développement du sujet et
les schèmes.
L’ « épistémologie génétique » est l’étude du développement des « schèmes
opératoires » qui structurent et guident la pensée, comme le raisonnement. Il existe
différents stades de développement correspondant aux capacités cognitives, et que le
sujet met en œuvre en fonction de son âge :
le stade sensori-moteur (0-18 mois) ;
le stade pré-opératoire (2-7 ans) ;
le stade des opérations concrètes (7-12 ans) ;
le stade des opérations formelles (après 12 ans).
On peut parler ici d’épistémologie structuraliste dans la mesure où les stades
caractérisent alors la structure de la pensée. Pour Piaget (1974), la construction
s’effectue au fur et à mesure que l’individu grandit. Apprendre est un processus
permanent. Précisément, il consiste à élaborer les connaissances et des habiletés
nouvelles.
Le deuxième grand concept défendu par Piaget est le « schème ». C’est ce qui
différencie le constructivisme du gestaltisme. Pour Piaget, un schème est « une gestalt
qui a une histoire ». Les schèmes sont des structures cognitives acquises et non innées.
Ils constituent le processus de genèse.
L’apprentissage est alors le développement de schèmes opératoires, qui permettent
de résoudre les problèmes. Il est vu comme le résultat d’un déséquilibre entre le sujet et
son environnement. La théorie piagétienne décrit le développement cognitif comme une
structuration progressive commandée par des mécanismes d’équilibration qui se font en
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 80
deux temps : assimilation puis accommodation (Piaget, 1991). L’assimilation
correspond à une incorporation d’un objet ou d’une situation à la structure d’accueil du
sujet, sans modifier sa structure. Toutefois, elle correspond aussi à une transformation
progressive de l’objet ou de la situation à assimiler. L’accommodation a lieu lorsque
l’objet ou la situation résiste à l’apprentissage, du fait de connaissances antérieures. Il y
a alors conflit cognitif. Lorsque celui-ci est résolu, on dit que le sujet est transformé par
son environnement (Piaget, 1991).
Selon Piaget (1974), les capacités cognitives ne sont ni totalement innées, ni
totalement acquises. Elles résultent d’une construction progressive où l’expérience et la
maturation interne se combinent. Chez l’enfant, le développement génétique est le
ressort essentiel des acquisitions. Chez l’adulte, c’est le passage par le conflit cognitif et
l’accommodation qui sous-tend les acquisitions. La connaissance s’enracine dans
l’action. L’expérimentateur, l’enseignant, vont réguler les démarches du sujet par des
interventions adéquates lui permettant de dépasser le conflit cognitif. Les connaissances
précédentes sont particulièrement importantes pour analyser les rapports entre les
enseignants et les apprenants dans des contextes fait d'apprentissages et donc de
tensions. Ainsi, les recherches de Piaget nous apportent, globalement, une clé
supplémentaire d'interprétation pour progresser dans le traitement de notre
problématique générale de recherche.
2.2.3 L’importance de la relation sociale dans l’apprentissage : Vygotski et
Wallon
En 1931, Vygotski, Luria et Leontiev fondent l’école historico-culturelle à Moscou.
Ils considèrent que l’homme est inséré au sein d’une culture et d’une histoire qui le
marquent profondément.
Vygotski est un spécialiste des enfants déficients. Il reprend une part oubliée des
travaux de Pavlov traitant de l’importance accordée aux « signaux ». Il souligne que la
particularité de l’homme est de fabriquer « de nouveaux liens dans le cerveau », de
nouveaux signes (Vygotski, 1930, 1934). Les signes oraux, écrits, gestuels,
vestimentaires sont des « médiateurs ». Ils sont indispensables à la communication entre
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 81
plusieurs personnes, ils sont à la fois produits par les individus et producteurs de sens.
Le langage et les interactions occupent une place importance dans cette approche.
Vygotski considère qu’il existe une relation à double sens entre pensée et langage : ce
dernier permettant la pensée et la pensée permettant le langage. L'auteur parle alors de
« médiation sémiotique30» pour souligner le rôle des signes dans « la vie mentale »
(Vygotski, 1930, 1934).
Par ailleurs, pour Vygotski (1934), le langage est un instrument, c’est-à-dire un objet
qui est à la fois un outil de production pour s’adresser à l’autre. C'est aussi un ensemble
symbolique qui permet à l’individu de penser par lui-même, d’évoluer, de se
transformer.
D’autre part, pour Vygotski, ce sont les interactions avec les autres qui permettent à
l’individu d’apprendre. Pour l’auteur, l’aide apportée lors de l’effectuation de tâches est
fondamentale dans tout apprentissage. De ses travaux naît le concept central de « zone
proximale de développement » qui sera largement réutilisé par de nombreux chercheurs
(Brunet, 1983).
Selon Vygotski (1934), la zone proximale du développement correspond à la
distance entre le niveau de développement actuel « tel qu’on peut le déterminer à
travers la façon dont l’enfant résout des problèmes seul et le niveau de développement
potentiel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout des
problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec d’autres enfants plus
avancés ». De même, il précise que « l’apprentissage humain présuppose une nature
sociale et un processus par lequel les enfants grandissent dans la vie intellectuelle de
ceux qui les entourent ». Et c’est précisément le double aspect du langage, en tant
qu’instrument à la fois de pensée et de communication, qui rend possible les processus
d’apprentissage assisté entre enfants, ou entre enfants et adultes. Plusieurs
préoccupations émergent alors dans ce domaine : quel étayage31 l’adulte doit-il mettre
en place pour favoriser le « voyage » dans cette zone proximale ?
30 La sémiotique est la science des signes. 31 Le concept d'étayage en pédagogie renvoie à la théorie de l'américain Jérôme Bruner et à l'intervention de l'adulte
dans l'apprentissage de l'enfant : “L’étayage (désigne) l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ. ” (Bruner, 1983).
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 82
Pour Vygotski, il est essentiel que l’enfant puisse prendre de la distance par rapport à
son activité pour vraiment la maîtriser en en prenant conscience, qu’il s’agisse d’une
activité sociale, cognitive ou même motrice.
Wallon (1941) s’intéresse plus particulièrement à la psychologie de l’enfant. Pour
lui, l’enfant imite des actions de l’adulte dans le jeu. Cependant, les stades de
développement ne sont pas linéaires. L'auteur précise qu'ils se chevauchent et
s’imbriquent de façon complexe et sont ponctués par des crises (telles que
l’adolescence) et des régressions inévitables. L’affectif, l’émotion et la personnalité
jouent un rôle important, selon Wallon, dans l’apprentissage.
Pour résumer, Vygotski et Wallon ont introduit l’importance de la relation sociale
dans l’apprentissage. Chez Piaget (1991), l’apprentissage est essentiellement en termes
de développement cognitif. Pour Vygotski (1930, 1934) et Wallon (1941), l’enseignant,
l’adulte, et les pairs sont positionnés comme facilitateurs, médiateurs pour les
apprentissages impliquant des capacités cognitives de haut niveau.
Les théories constructivistes portent sur les processus par lesquels les apprenants
construisent leurs propres structures mentales en interaction avec l’environnement. Leur
intérêt pédagogique est axé sur les tâches et elles accordent une préférence aux activités
concrètes, gérées de façon autonome et orientées vers la conception et la découverte.
Elles sont utiles pour structurer des environnements d’apprentissage, telle la simulation,
qui permettent de construire certaines structures conceptuelles au moyen de
l’engagement dans des tâches gérées de façon autonome (Piaget, 1954 ; Papert, 1980).
2.2.4 Le traitement mental de l’information dans le cognitivisme
Le cognitivisme est centré sur le traitement mental de l’information. Il décrit les
processus mentaux à travers des théories logiques et mathématiques de l’information,
comme des acquisitions et des traitements mentaux d’informations élémentaires. C’est
ce qui a donné naissance à la « révolution cognitive ». Portée par des chercheurs en
psychologie cognitive (Chomsky, 1965, 1979, 2001 ; Miller 1956 ; Bruner 1960, 1966),
la perspective cognitiviste – dont l'appellation renvoie au terme cognition (connaissance
dans le sens de processus et de produit) - privilégie l'étude du fonctionnement de
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 83
l'intelligence, de l'origine de nos connaissances ainsi que des stratégies employées pour
assimiler, retenir et réinvestir les connaissances. Elle s'intéresse essentiellement à la
perception, le traitement en mémoire, le langage et ce, en regard du fonctionnement du
cerveau. Les théories cognitives portent sur les structures cognitives intrinsèques et
conçoivent l’apprentissage comme leurs transformations.
A partir de ses recherches sur la linguistique moderne, Chomsky, l'un des principaux
fondateurs du cognitivisme, a travaillé dans le domaine du langage et de la cognition
(Chomsky, 1979, 2001). En cela, il se situe à l’origine de la théorie de la grammaire
générative (Chomsky, 1965). Miller (1956) a développé nos connaissances sur la
mémoire humaine et Bruner celles concernant la psychologie éducative (1960). Ces
deux auteurs ont cherché à saisir « comment l’homme construit son monde ». Leurs
travaux sur la nature de la cognition ont, notamment, modifié notre compréhension du
développement de l'enfant et des processus d'acquisition des connaissances (Bruner,
1966). Simon a travaillé dans le domaine de l’intelligence artificielle (Simon, 1969), la
prise de décision (Simon, 1947, 1959) et la résolution de problème (Simon, 1972).
Comme nous allons le discuter dans les paragraphes suivants, ces recherches seront
utiles dans la perspective d'améliorer notre intelligibilité des interactions entre processus
d'apprentissage et cognition.
2.2.4.1 L’apprentissage et la cognition
Dans l’approche cognitive, l’apprentissage procèderait par schématisation
(Donnadieu et al, 1998). Ainsi, la confrontation à une ou plusieurs situations
provoquerait la construction d’un schéma mental qui serait actualisable dans de
nouvelles situations. Le concept d’équilibration de Piaget (1991) a eu une influence
considérable dans ces travaux. Les rétroactions ont un caractère endogène au
fonctionnement cognitif lui-même (et non externe, comme dans le behaviorisme). Nous
parlons ici d’activité réflexive du sujet.
Il existe deux courants majeurs dans le cognitivisme : un courant des comparaisons
experts/novices, et un courant de la résolution de problèmes. Dans le premier champ,
l’apprentissage est considéré comme le passage du statut de novice à celui d’expert. Le
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 84
novice observe, comprend le fonctionnement et adopte le raisonnement de l’expert.
C’est la compétence dans un domaine qui différencie experts et novices. Le passage
s’effectue à travers des conduites d’entraînement comme la schématisation. Les travaux
sur la résolution de problèmes partent de l’hypothèse qu’il n’existe pas d’opérations ou
de mécanismes spécifiques aux apprentissages. L’apprentissage découle d’activités
cognitives élémentaires qui interviennent dans le fonctionnement habituel.
L’apprentissage est donc l’acquisition d’algorithmes de résolution de problèmes. La
représentation de problème et les mécanismes de compréhension des énoncés ne sont
pas pris en compte. De ces travaux découle notamment l’enseignement programmé.
L’une des idées directrices de la psychologie cognitive a été la modélisation
scientifique de l’acquisition et du traitement de la connaissance, tout comme
l’ordinateur acquiert l’information et la traite. Pour le cognitivisme, tout système
intelligent possède des représentations symboliques de l’état du monde qui constituent
les significations de base desquelles s’opère la computation c’est-à-dire la pensée. Les
objets de recherche des cognitivistes sont donc les catégories de connaissances, les
conditions d'apprentissage et les stratégies cognitives. La mémoire et la représentation
des connaissances occupent donc une place très importante et l'apprentissage a, très
logiquement, laissé place à la mémoire comme thème dominant des processus mentaux.
Atkinson et Shiffrin proposent en 1968 leur modèle qui calque le fonctionnement de
la pensée à celui de l’ordinateur et fait apparaître les notions de mémoire sensorielle,
mémoire à court terme et mémoire à long terme. Ils montrent que la boucle de
rétroaction est une fonction essentielle de la mémoire à long terme. Pour ces chercheurs,
le fonctionnement de la pensée se fait en trois étapes :
le filtrage de l’information par le sujet ;
l’encodage qui va conduire à transformer ces sensations en représentations ;
le traitement qui porte sur les représentations pour les mettre en réseaux (faire
des liens), les transformer en expériences ou, encore, en faire des images
mentales.
Des opérations logiques peuvent également être effectuées, du type déduction,
induction, analogie, comparaison.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 85
Anderson, en 1983, propose une « architecture de la cognition » et distingue les
connaissances « déclaratives » des connaissances « procédurales ». Les premières
peuvent être représentées sous forme d’arrangements et peuvent être combinées pour
former d’autres arrangements plus complexes. Les secondes sont sollicitées lorsqu’on
doit mettre en œuvre des enchaînements complexes de gestes coordonnés (comme
conduire sa voiture). Les connaissances sont alors considérées comme un ensemble de
règles de ce type. Dans le modèle d’Anderson, la maîtrise de connaissances déclaratives
précède toujours celle des connaissances procédurales. On parle donc d’ « architecture
cognitive du sujet » dans la mesure où le sujet fonctionne comme une machine
autorégulée. Cette autorégulation est fondée sur la rétroaction. On retrouve bien ici les
fondements de la cybernétique.
Les deux modèles qui précèdent décrivent des modules et des structures ; ils sont
qualifiés de structuralistes. Ils nous montrent que c’est en fonction de ce qu’on connaît,
des représentations qu’on pourra mobiliser à partir de la mémoire à long terme, qu’on
construira de nouvelles représentations.
Un troisième modèle, connu sous le nom de « réseau sémantique » est proposé en
1969 par Collins et Quillian, pour décrire l’organisation des connaissances en mémoire.
Un réseau sémantique est constitué de nœuds et de liens. Les cartes conceptuelles
(Novak et Godwin, 1984), les systèmes hypertextes découlent de cette conception.
L’organisation des connaissances sous forme de réseaux et le mécanisme d’héritage
montrent à quel point l’apprentissage de nouvelles connaissances est dépendant des
connaissances antérieures.
Enfin, deux axes importants des recherches en psychologie cognitive ont eu des
retombées fondamentales sur les théories de l’apprentissage ; celui de la métacognition
et celui de la charge cognitive.
La métacognition est la cognition sur la cognition. La métacognition consiste à avoir
une connaissance de ses propres processus de connaissance. Les travaux en psychologie
cognitive montrent que les processus métacognitifs peuvent concerner la mémoire, la
perception et la résolution de problème. Ces processus, dans le domaine de
l’enseignement, s’intéressent à la connaissance qu’un individu a de sa façon
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 86
d’apprendre. Depuis les années 1990, la capacité métacognitive est apparue d’un grand
intérêt pour l’apprentissage.
Les automatismes acquis par une pratique répétée de certaines tâches sont source
d’économie cognitive et permettent de se concentrer sur des tâches intellectuelles de
niveau supérieur afin d’acquérir d’autres apprentissages. La théorie de la charge
cognitive de Sweller et al (1998) propose quelques recommandations pour réduire la
charge cognitive, notamment dans des domaines complexes tels que les mathématiques
ou les sciences. Par exemple, il peut s'agir de soumettre aux apprenants des problèmes
sans but pour réduire le stress de l’atteinte du but, de présenter des exemples de
procédures de résolution de problèmes, d'imbriquer les informations textuelles ou
graphiques afin de ne pas éparpiller les capacités attentionnelles des apprenants ou,
encore, d'éviter les redondances inutiles qui surchargent la mémoire de travail
(Chanquoy et al, 2007).
2.2.4.2 Le cognitivisme et la pédagogie
L’intérêt pédagogique des théories cognitivistes s’articule autour du traitement et de
la transmission d’information par la communication, l’explication, la recombinaison,
l’opposition, l’inférence et la résolution de problèmes. Elles sont utiles pour concevoir
des séquences de matériel conceptuel qui s’appuient sur des structures d’information
existantes (Anderson, 1983 ; Wenger, 1987 ; Hutchins, 1995).
Quelques principes fondamentaux peuvent être tirés des théories cognitivistes, pour
servir la pédagogie :
L’apprentissage est un processus actif et constructif. Dans la conception
cognitiviste, le sujet joue un rôle primordial dans son propre processus
d’apprentissage. Il doit être actif et conscient de ce qui se passe.
Les connaissances antérieures jouent un rôle fondamental dans l’apprentissage.
Elles participent au processus d’acquisition et d’intégration de nouvelles
connaissances et déterminent ce qu’il est possible d’apprendre.
L’apprentissage signifiant est étroitement lié à l’organisation de connaissances.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 87
L’apprentissage est à la fois l’acquisition d’un répertoire de connaissances et de
stratégies cognitives et métacognitives.
Les différentes catégories de connaissances – déclaratives, procédurales et
conditionnelles – ne s’acquièrent ni se stockent de la même façon.
2.2.5 La théorie « sociale cognitive » de Bandura
A mi-chemin entre behaviorisme et psychologie sociale, Bandura (1986) développe
la théorie « sociale cognitive ». Pour les behavioristes, les humains ne répondent pas
seulement aux stimuli, ils les interprètent. Il s’agit d’un conditionnement inconscient.
Bandura met en avant l’importance de la prise de conscience dans l’apprentissage. Il
précise qu’il ne suffit pas de considérer le comportement comme étant fonction des
effets réciproques des facteurs personnels et environnements les uns sur les autres.
L’interaction doit être comprise comme un déterminisme réciproque des facteurs
personnels, environnementaux et des comportements. Dans cette conception, l’influence
de l’environnement sur les comportements reste essentielle ;; mais, à l’inverse des
théories behavioristes, une part importante est faite aux facteurs cognitifs qui peuvent
influer sur le comportement et sur la perception de l’environnement. L’apprentissage
social se fait par observation et imitation. Pour Bandura, les croyances d’un individu à
l’égard de ses capacités à accomplir avec succès une tâche sont à compter parmi les
principaux mécanismes régulateurs des comportements. Le système de croyances qui
forme le « sentiment d’efficacité personnelle » (Bandura 1986, 1997) est le fondement
de la motivation et de l’action, et part des réalisations et du bien-être humains (Carré,
2003). Ce sentiment d’efficacité personnelle influe positivement sur la performance et
permet de mobiliser et d’organiser les compétences.
Pour Bandura, l'expérience « vicariante » - c'est à dire l'opportunité de pouvoir
observer un individu similaire à soi-même exécuter une activité donnée - constitue une
source d'information importante influençant la perception d'auto-efficacité.
L'apprentissage vicariant ne dispense certes pas dans tous les cas de l'expérience directe;
mais il permet, le cas échéant, de la faciliter et incite à s'y investir si les conséquences
observées sont positives. Le fait de pouvoir apprendre par observation – soit d’un adulte
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 88
référent, soit de pairs ayant déjà l’expérience de cet apprentissage - rend en effet les
individus capables d'acquérir des comportements ou des savoir-faire sans avoir à les
élaborer graduellement par un processus d'essais et d'erreurs. L'apprentissage vicariant
est un apprentissage « socio-constructif par observation » (Winnykamen, 1990). Le
concept d’« effet vicariant » de Bandura (1980) a également permis de grandes
avancées dans l’apprentissage social.
Les théories de l’apprentissage social tiennent compte des interactions sociales.
Elles mettent l’accent sur les relations interpersonnelles comprenant l’imitation et le
modelage et, ainsi, sur l’étude des processus cognitifs permettant à l’observation de
devenir une source d’apprentissage. Elles sont utiles pour comprendre les mécanismes
détaillées du traitement de l’information par lesquelles les interactions sociales influent
sur le comportement (Bandura, 1979).
2.2.6 Apprentissage et formation
Les travaux qui vont être présentés dans cette partie se sont nourris des théories
issues des courants historico-culturels (Vygotski, Luria et Leontiev, 1931), des sciences
cognitives, ou encore des sciences sociales (anthropologie, sociologie, psychologie
sociale). Ils s’intéressent tout spécialement aux situations courantes, authentiques et
réelles de l’apprentissage, en accordant une attention toute particulière à
l’environnement humain et matériel de l’expérience. Le cerveau n’est plus le seul lieu
de modélisation de la cognition, mais l’instrument (le stylo, le cahier, l’ordinateur,...) est
considéré comme le prolongement cognitif de l’individu ; et ce qui lui permettra d’agir.
La notion d’instrument prend donc une place importante ici dans la notion
d’apprentissage.
2.2.7 De « l’instrument » à la « formation » des esprits
Comme nous l’avons vu précédemment, Vygotski (1930, 1934) considère le langage
comme le premier instrument sémiotique. Il permet à la fois de produire de nouveaux
concepts et de les communiquer. Cette approche qui considère le langage à la fois
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 89
comme un outil et un produit de la pensée est celle choisie par les chercheurs qui se
réclament du courant socio-constructiviste.
Après s’être intéressé à différentes formes de développement chez le jeune enfant,
Bruner (1983) a délaissé les modèles computationnels cognitivistes pour les approches
constructivistes, afin de tenter de comprendre comment le social pouvait œuvrer dans
les apprentissages. Il a notamment lancé un important programme de recherche sur la
manière dont les enfants acquièrent le langage. Ses recherches montrent que
l’acquisition du langage repose sur des interactions sociales avec les proches,
notamment des interactions comportant des règles repérables et des régularités qui
structurent la relation.
Bruner (1983) s’intéresse à l’apparente contradiction des deux approches de Piaget et
Vygotski pour en concilier les apports.
Pour Piaget (1979, 1991), l’environnement social n’influence que de manière
marginale le développement cognitif. Il n’est pas constitutif de l’activité mentale. Le
rôle du langage est secondaire dans le développement de la connaissance. Vygotski
(1934) considère au contraire que l’enfant grandit en interaction étroite avec deux
aspects de la culture: les outils qu’elle produit (langage écrit et oral) et les interactions
sociales (entre adultes et enfants et entre enfants).
Bruner (1983) s’inspire du modèle de l’équilibration de Piaget (1991) pour proposer
un modèle d’acquisition des connaissances « en spirale ». Les notions enseignées dès
l’enfance doivent être vraies, verbalisées correctement et adaptées à la structure
cognitive de l’enfant. Par accommodation et sous l’influence du langage, l’enfant
parviendra à élaborer des systèmes conceptuels performants et accéder aux modes de
représentation symboliques. Bruner (1966, 1983) préconise une pédagogie de la
découverte. Il accorde un rôle capital au maître en tant que médiateur des
apprentissages.
Bruner prend quelques distances avec Piaget (1979, 1991) et rejoint les thèses de
Vygotski (1934). Il s’intéresse à la façon dont les adultes « organisent le monde pour
l’enfant dans le but d’assurer sa réussite dans l’apprentissage des concepts » (Bruner,
1983).
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 90
L’interaction sociale est nécessaire c’est-à-dire l’interaction interpersonnelle entre
l’enfant et l’adulte dans le contexte de la culture. Bruner parle d’interaction de tutelle. Il
s’agit d’une interaction entre un adulte et un enfant grâce à laquelle l’adulte essaie
d’amener l’enfant à résoudre un problème qu’il ne sait pas résoudre seul. Bruner
compare ces interactions à un système de support. Précisément, il suggère que « ce
système de support, fourni par l’adulte à travers le discours ou la communication plus
généralement, est un peu comme un étayage, à travers lequel l’adulte restreint la
complexité de la tâche permettant à l’enfant de résoudre des problèmes qu’il ne peut
accomplir seul » (Bruner, 1983). Dans cette perspective, la médiation sociale s’exerce
sur un mode communicationnel. L’adulte prend en charge les éléments de la tâche que
l’enfant et l’élève ne peuvent réaliser seuls.
Le concept d’étayage est lié au concept de ZPD. Rappelons que la zone proximale de
développement « est la distance entre le niveau de développement actuel tel qu’on peut
le déterminer à travers la façon dont l’enfant résout des problèmes seul et le niveau de
développement potentiel tel qu’on peut le déterminer à travers la façon dont l’enfant
résout des problèmes lorsqu’il est assisté par l’adulte ou collabore avec d’autres
enfants plus avancés » (Bruner, 1983).
L’étayage est donc plus qu’une aide provisoire. Le tuteur prive peu à peu l’apprenant
des aides dont il disposait pour lui permettre de réaliser la tâche seul. Il s’agit du
principe de désétayage.
Bruner repère 6 fonctions d’étayage:
L’enrôlement: Première tâche du tuteur. Il s’agit d’engager l’intérêt et l’adhésion
de l’enfant envers les exigences de la tâche.
La réduction des degrés de liberté : Prise en charge par le tuteur de certains
aspects de la tâche, ou simplification de la tâche par réduction du nombre des
actions requises pour atteindre la solution (afin d’éviter une surcharge
cognitive).
Le maintien de l’orientation : Eviter que l’enfant ne s’écarte du but assigné par
la tâche
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 91
La signalisation des caractéristiques déterminantes : Mettre l’enfant sur la voie
de la résolution et éviter qu’il ne s’écarte du but assigné par la tâche.
Le contrôle de la frustration : Éviter que les erreurs ne se transforment en
sentiment d’échec, et entretenir la motivation.
La démonstration: Plus que la simple exécution en présence de l’élève, la
démonstration comporte une « stylisation » de l’action et peut comprendre
l’achèvement ou même la justification d’une solution partiellement exécutée par
l’élève. « Le tuteur « imite » un essai de solution tenté par l’élève et espère que
celui-ci va « l’imiter » en retour sous une forme mieux appropriée ». Il s’agit
d’une suggestion de modèles de résolution. C’est, selon Bruner, la tâche la plus
délicate.
L’enrôlement, le maintien de l’orientation et le contrôle de la frustration jouent plutôt
sur les aspects affectifs, longtemps sous-estimés dans l’approche cognitiviste. La
réduction des degrés de liberté, la signalisation des caractéristiques déterminantes et la
démonstration relèvent plutôt d’aspects cognitifs au sens traditionnel du traitement de
l’information.
Bruner (1983) souligne aussi l’intérêt des « formats » qui donnent forme aux
interactions. Ainsi les rituels sont pour lui des facilitateurs du fait de leurs effets
structurants et régulateurs. Il montre également l’importance, dans l’apprentissage, de la
culture, de la socialisation, et de la narration (raconter dans les apprentissages).
Globalement, la notion d’étayage peut donc être présentée comme il suit :« une voix
au moins se fait entendre au travers de la plupart de ces articles, c’est celle du
psychologue russe L. S. Vygotski. C’est son œuvre qui m’a très tôt convaincu qu’il était
impossible de concevoir le développement humain comme autre chose qu’un processus
d’assistance, de collaboration entre enfant et adulte, l’adulte agissant comme
médiateur de la culture » (Bruner, 1983, p. 8).
Compte tenu de notre sujet de recherche, la notion d’étayage paraît particulièrement
pertinente dans la mesure (comme nous le détaillerons ci-après) où est participe à
l'explication des rapports tuteur-apprenant.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 92
2.2.8 La formation des adultes
Si Brunet s’intéresse plutôt à l’apprentissage chez les jeunes enfants, d’autres auteurs
ont exploré l’apprentissage « adulte ». Il nous paraît important, là encore, d’aborder cet
aspect du fait de notre objet de recherche, l’enseignement en ligne. En effet, nombre des
étudiants qui choisissent ce type de formation sont des adultes en reprise d’études.
Bachelard dans son ouvrage « La formation de l’esprit scientifique » (1938) place
l’approche scientifique de la formation en « modèle » de l’apprentissage. Il est
nécessaire pour lui de dépasser l’évidence – qu’il qualifie d’état préscientifique – pour
s’intéresser aux phénomènes en les soumettant à des expériences (l’état scientifique).
« Une expérience scientifique est alors une expérience qui contredit l’expérience
commune » (p.13). Dans cette approche, il montre que, dans la formation, il faut
franchir des obstacles épistémologiques avant d’accéder à une connaissance objective
du monde. Ses travaux ont beaucoup inspiré la didactique qui repose sur la distinction
entre les connaissances scientifiques et les connaissances du quotidien.
Deux auteurs américains, dans cette approche pragmatique de la formation, insistent
sur les manifestations concrètes des apprentissages chez les adultes : Knowles et Kolb.
Pour Knowles (1984), l’adulte a des tendances fortes en matière de formation. Il a
besoin de savoir où il va pour assimiler une connaissance, il a besoin de comprendre les
raisons de la formation pour être motivé et il faut qu’il puisse s’appuyer sur son
expérience. Il est le père de « l’andragogie », destinée à l’adulte, par opposition à la
pédagogie, destinée à l’enfant.
Kolb met en évidence, dans ses travaux sur l’ « Experiential Learning » (1984), que
l’apprentissage est un processus qui se poursuit tout au long de la vie ;; et qu’il existe des
styles d’apprentissage différents. Il insiste sur le fait que l’apprentissage s’opère de
manière cyclique, passant de l’abstrait (abstract conceptualization) au concret (concrete
experience) et oscillant entre activité (active experimentation) et observation (reflective
observation).
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 93
2.2.9 L’apprentissage organisationnel
Pesqueux (2004) détermine trois principes d’apprentissage : les boucles
d’apprentissage d’Argyris et Schön (1978, 1996), la spirale de l’apprentissage continu
de Nonaka et Takeuchi (1997) et enfin le fondement de l’organisation comme système
d’interprétation de Weick (1979).
2.2.10 L’apprentissage par double-boucle d’Argyris et Schön
Prolongeant la réflexion sur la formation des adultes, Schön propose un modèle dit
du « praticien réflexif ». Il met l’accent sur le fait que de nombreux savoirs ne sont pas
appris dans les institutions scolaires mais plutôt dans la vie quotidienne et en particulier
en situation de travail. L’apprentissage résulterait, un peu comme chez Kolb, de la
tension entre la réflexion et l’action.
Argyris et Schön (1978) proposent de distinguer deux niveaux d'apprentissage :
d’une part, l’apprentissage en simple boucle permet la consolidation des savoirs
existants. Il s’agit d’un changement de la manière de faire sans remise en cause des
schémas de fonctionnement généraux. D’autre part, l’apprentissage en double boucle
(double looping learning) autorise une modification en profondeur des schémas de
fonctionnement. On parle alors de rupture32. Argyris et Schön considèrent qu'il n'y a
véritablement apprentissage que dans le deuxième cas. Ainsi, lors d'un apprentissage
double boucle, de nouveaux comportements, de nouvelles routines vont se développer,
plus adaptés au contexte.
Valeurs directrices Actions Conséquences
Apprentissage en simple boucle
Apprentissage en double boucle
Figure 8 – Simple et double boucle d’apprentissage (adapté de Argyris et Schön, 1978)
32 Par exemple, Starbuck (1981, 1984) et Hedberg (1981) démontre que le désapprentissage a lieu lorsqu’il y a situation de rupture.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 94
Les auteurs poursuivent encore cette réflexion en parlant d’« apprentissage
organisationnel », pour qualifier l’importance et l’impact des organisations formelles
collectives professionnelles dans les apprentissages des adultes. La modélisation de
l’apprentissage « à double boucle » souligne l’importance conjuguée de l’action et de la
réflexion dans l’apprentissage organisationnel. Cette approche pragmatique montre
indirectement l’importance du management des connaissances et de la gestion des
compétences.
Ces modèles pragmatiques, s’ils sont très éloignés du modèle scientifique de la
formation, se rapprochent davantage de visions plus anthropologiques telles que celles
de l’anthropologie cognitive et de l’apprentissage situé et distribué dont nous parlons un
peu plus loin.
2.2.11 La spirale de l’apprentissage de Nonaka et Takeuchi
Nonaka et Takeuchi (1995) montrent que le savoir existant peut être transformé en
nouveau savoir. Leur modèle décrit une spirale de l’apprentissage, qui peut être
schématisée comme suit :
Figure 9 - La spirale de la création de la connaissance organisationnelle (Nonaka et Takeuchi, 1995)
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 95
Tacite Tacite
Explicite Explicite
Tacite
Tacite
Explicite
Explicite
Cette spirale de la connaissance nous montre que d’autres interactions (groupe,
organisation, inter organisation) viennent s’ajouter aux quatre modes de conversion de
base (socialisation, combinaison, externalisation et intériorisation), nécessaires, selon
eux, à une mise en marche durable du processus de création de la connaissance
organisationnelle. Nonaka et Takeuchi ont tenté de comprendre les processus de
diffusion de la connaissance organisationnelle. Ces auteurs mettent l’accent sur la
diversité des «interactions sociales entre connaissances tacites et connaissances
explicites». Ces interactions sociales constituent des modes de conversion ou de
transfert de la connaissance. La figure 10 ci-dessous met en évidence les quatre modes
de conversion de la connaissance dans l’organisation.
Figure 10 – Transitions entre dimensions tacite et explicite de la connaissance (Nonaka et Takeuchi, 1995)
- La socialisation : du tacite vers le tacite. Ce mode de conversion représente les
interactions sociales au cours desquelles s’échangent des connaissances tacites : on
peut acquérir une connaissance tacite sans l’usage du langage. La socialisation
contribue à la construction d’une base de connaissances commune au groupe ou à
SOCIALISATION ARTICULATION
INTERIORISATION COMBINAISON
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 96
l’organisation (pensée organisationnelle, communautés de pratique, mémoire
collective, ...).
- L’articulation : du tacite vers l’explicite. C’est la conversion de connaissances
tacites en connaissances codifiées : ce qui est su communément est progressivement
articulé en connaissances explicites. Ce traitement de la connaissance s’effectue
avec une certaine perte de sens.
- La combinaison : de l’explicite vers l’explicite. Dans ce mode de conversion, les
connaissances explicites sont combinées entre elles pour approvisionner la base
commune de connaissances explicites. Cette combinaison est facilitée par l’usage de
différents supports : documents écrits, réseaux de communication divers, ...
- L’intériorisation : de l’explicite vers le tacite. C’est la transformation de
connaissances explicites en connaissances tacites. L’intériorisation est souvent
synonyme d’apprentissage par la pratique (imitation, expérience, ...).
2.2.12 L’organisation comme système d’interprétation
Selon Weick (1979), toute information est interprétée. Nous devons pouvoir interagir
avec les autres pour accroître notre capacité d’interprétation. C’est un processus de
création d’une réalité commune. Les individus attribuent du sens aux événements ou à
leurs actions après que celles-ci aient été réalisées.
Hedberg (1981) appréhende l'apprentissage comme un processus d’interaction avec
l’environnement: « l’apprentissage a lieu quand les organisations interagissent avec
leurs environnements : les organisations augmentent leur compréhension de la réalité
en observant les résultats de leurs actes. Souvent, ces actes sont expérimentaux. Dans
d’autres cas, les organisations apprennent en imitant le « comportement » d’autres
organisations, ou en acceptant l’expérience et les cartes des autres pour leur
environnement ». Nystrom, Starbuck (1981, 1984) et Hedberg (1981) mettent en
évidence que l’apprentissage est même favorisé lorsqu’il est précédé par une phase de
désapprentissage. Starbuck (1996) prouve même que le désapprentissage est une phase
incontournable qui précède l’apprentissage lui-même.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 97
2.2.13 L’anthropologie cognitive
Depuis le milieu des années 1990, une communauté internationale de chercheurs en
Sciences Cognitives et Ergonomie se réclame d'une approche « située » et « distribuée »
de la cognition. Il s'agit « d'envisager les processus cognitifs et l'activité comme
indissociables d'une situation, dont les éléments physiques, artefactuels autant que
sociaux, offrent des ressources signifiantes pour l'action des sujets (l'on relève ici
l'influence de la théorie des affordances développée en Psychologie de la Perception
par James Gibson, 1979) » (Grison, 2004, p.26).
Le courant de l'« action située » originelle s'enracine dans la tradition intellectuelle
de l' « ethnométhodologie » de Garfinkel (1967), sociologie novatrice privilégiant
l'étude des «raisonnements sociologiques pratiques » des acteurs, ou ethnométhodes.
L'ethnométhodologie conçoit la connaissance comme une construction locale (situated).
Le courant de l'« apprentissage situé » se situe dans le prolongement du programme
de recherche développé depuis plus d'un siècle par la Psychologie Interculturelle (Cole,
1996) s'interrogeant sur l'existence d'invariants cognitifs face à la diversité des
situations culturelles.
Enfin, le courant de la « cognition distribuée » prend ses origines respectivement
dans les problématiques de la Sociologie de la Connaissance et de l'école russe de
Psychologie (Vygotski et l’approche historico-culturelle de la cognition, la théorie de
l'activité de Leontiev).
2.2.14 L’apprentissage comme processus expansif : Engeström
A partir des travaux de Leontiev (1981) sur l’activité humaine et des théories
vygotskiennes, Engeström dans son ouvrage « Learning by Expanding» (1993) propose
de modéliser l’apprentissage comme un processus expansif qui se prolonge du fait de
multiples relations ternaires « sujet-objet-social ». Le « social » est ici principalement
caractérisé par les règles de vie et les formes de division du travail qu’impose la société.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 98
La division du travail comme les règles jouent alors un rôle important dans la cohésion
et l’orientation de l’activité du groupe comme le montre le schéma structurel de
l’activité humaine d’Engeström reproduit ci-dessous.
OUTILS
PRODUCTION
SUJET OBJET RESULTATS
COMSOMMATION
ECHANGE DISTRIBUTION
REGLES COMMUNAUTÉ DIVISION DU TRAVAIL
Figure11 - Structure permettant l'analyse de l'activité humaine selon Engeström (1993)
Pour Engeström, le but de ce modèle est de proposer des oppositions dialectiques
élémentaires (entre subject et community par exemple, ou encore entre rules et objects).
Il est alors possible de décomposer scientifiquement une activité complexe en
oppositions plus simples, du point de vue de la recherche, afin d’analyser les
apprentissages en jeu. L’idée d’expansion est néanmoins que tous les facteurs
s’influencent entre eux dans la réalité et que cela se produit de manière continue et
processuelle au sein de l’activité humaine (AH = « production + échange +
distribution » des idées, des produits matériels, comme des relations langagières, etc.).
Néanmoins seules deux grandes orientations théoriques dominent dans la littérature
scientifique. L’une insiste sur la nature sociale et collective du bénéfice d’apprentissage
tiré des situations, et l’autre s’oriente sur la manière par laquelle « le » technique
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 99
apporte « en situation » des capacités cognitives ou des capacités d’action accrues à
l’homme.
2.2.15 L’apprentissage situé : Lave et Wenger
La situation et le situé sont devenus en quelques année les « signatures » du courant
de l’«anthropologie cognitive ». Ce courant s’est formé en réaction à l’hypothèse
cognitiviste selon laquelle il est possible d’étudier l’humain comme système
(informatique) de traitement de l’information. En effet, plusieurs psychologues
cognitivistes (Bruner, 1966, 1983 ;; Cole, 1996) sous l’influence des travaux de
Vygotski (1930, 1934) ont pris en compte le contexte socio-historique des
apprentissages. Ils se sont alors rapprochés de l’anthropologie (Geertz, 1986, Lave,
1988) qui, de son côté, appelait à évoluer vers une psychologie de terrains « outdoor
psychology » soulignant l’importance des origines locales du savoir, des situations
vécues et leur variété ethnographique, partant que « pour un ethnographe qui fouille les
mécanismes d’idées éloignées, les formes de savoir sont toujours inéluctablement
locales inséparables de leurs instruments et leur entourage » (Geertz, 1986, p.8-9).
Lave et Wenger chercheurs à Palo Alto au milieu des années 80 proposent ainsi de
théoriser l’apprentissage comme un processus socialement situé, c’est-à-dire
extrêmement dépendant de la culture du groupe dans lequel il s’opère (Lave et Wenger,
1991 ; Wenger, 1998). Par exemple, ils étudient ainsi la transmission de savoirs chez les
sages-femmes du Yucatan, ou celle qui se réalise dans un groupe d’alcooliques
anonymes, ou encore chez les tailleurs du Liberia. Les auteurs montrent comment les
connaissances se diffusent entre les novices et les « anciens » dans une «communauté
de pratiques », et comment le cheminement de l’apprentissage s’effectue de la
périphérie au centre du groupe.
L’apprenant dans ce modèle ressemblant clairement plus à un « apprenti » qu’à un
élève. Lave (1988) avait publié seule ou avec Rogoff (Lave et Rogoff, 1984) des études
semblables qui montraient comment l’apprentissage des mathématiques pouvait
s’effectuer de manière informelle dans un supermarché à partir de la comparaison des
produits mis en vente.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 100
2.2.16 La cognition socialement distribuée : Hutchins
Proche de ce courant, mais s’appuyant plus explicitement sur les modèles de la
psychologie cognitive moderne, Hutchins montre en 1995 dans son ouvrage « Cognition
in the wild » comment les connaissances se partagent et se diffusent à la fois dans un
groupe professionnel. Son travail repose sur l’analyse des tâches et des apprentissages
qui se font sur un navire de la marine américaine. Ces apprentissages sont souvent en
relation avec « le » technique tout en mettant l’accent sur le développement du collectif
autour de gestes professionnels. Hutchins (1995) parle de « cognition socialement
distribuée » pour qualifier l’activité menée entre acteurs et matériel. Les apprentissages
sont compris comme une mosaïque d’étapes d’acquisitions se fondant en une matrice de
connaissances expertes ayant des conséquences à trois niveaux. Sur le plan individuel
« le processus par lequel la personne apprend à réaliser la tâche peut être compris
comme un mouvement organisationnel qui se propage sur un ensemble complexe de
medias33 ». Sur le plan collectif, il apparaît que la navigation s’effectue dans le cours de
l’action à travers des résolutions collectives de problèmes sans qu’individuellement les
solutions adoptées ne soient conscientisées ni comprises individuellement par les
acteurs. Sur le plan culturel, il existe une dimension de développement des métiers de la
navigation liée au développement des pratiques c’est donc une culture locale qui se
crée.
L’arrivée des concepts de situation et de distribution est une évolution importante
dans la prise en compte des objets de l’environnement dans les apprentissages.
L’« environnement » (au sens large) a toujours été considéré comme un facteur essentiel
dans l’étude des apprentissages de Thorndike à Hutchins ou Lave (1998). Toutefois
c’est désormais l’intelligence de l’objet (virtuel ou réel, car une langue, un mot, un
savoir peut aussi être un objet ou un outil) qui peu à peu apparaît dans la mesure où
cette dernière prolonge l’action humaine en tant qu’« instrument », au point de lui
donner intentionnellement un sens nouveau dans le cadre d’une activité précise. Cette
approche intensifie les recherches sur la notion de « médiation », un médiateur
33 Traduction de: « The process by which an individual learn to perform the task can be seen as a
propagation of a wave of organization moving across a complex set of media ».
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 101
prolongeant l’action humaine en lui donne de l’envergure. En même temps, c’est aussi
une vision étroite de l’apprentissage limitée au cerveau qui disparaît. La dimension
située ne va pas sans poser de nombreuses questions. Celui qui apprend, loin de suivre
une procédure fermée, est en permanence en train de réinterpréter dans l’instant la
situation de manière dynamique.
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 102
6 En conclusion du chapitre II
A travers ce panorama des grands courants de l’apprentissage, nous apercevons la
diversité des possibles en matière d’enseignement. Une nouvelle théorie qui apparaît ne
fait pas pour autant disparaître la précédente. En effet, les travaux mobilisés nous ont
permis de mettre en perspective, des connaissances ou des comportements que l’on peut
acquérir de façons différentes. Ainsi, la théorie béhavioriste nous montre que, par le
stimulus-réponse et un agent de renforcement, nous pouvons apprendre des
automatismes, des séries d’actions. En d'autres termes, nous sommes « capables de... ».
De fait, pour les raisons que nous avons explicitées ci-avant dans ce chapitre, cette
théorie paraît pertinente pour des apprentissages techniques et professionnels, sur des
temps courts.
Dans une autre perspective, il est intéressant de relever que différents travaux ont
donné lieu à des recherches sur l’individualisation de l’enseignement. Ainsi le plan
Keller, mis en place en 1970 aux Etats-Unis, proposait l’informatisation d’outils pour
l’autonomie de l’élève. Pour les behavioristes, le sujet apprend de façon presque
mécanique. Ils considèrent que le changement de comportement peut s’obtenir
quasiment indépendamment de l’apprenant (Enlart et Charbonnier, 2010). Finalement,
l’apprenant ne peut pour ainsi dire pas résister à l’apprentissage.
Pour les gestaltistes, l’influence des facteurs internes à l’individu est fondamentale
dans l’apprentissage. La façon dont le sujet apprend dépend de ses représentations, de
ses attentes, de ses connaissances antérieures. Néanmoins, la Gestalt laisse quand même
le sujet encore bien passif : l’insight s’impose malgré lui. Ainsi, la compréhension est
décrite comme quasiment indépendante des caractéristiques individuelles (Enlart et
Charbonnier, 2010).
Les constructivistes (Le Moigne, 1991 ;; Piaget, 1991) considèrent qu’il existe des
relations entre apprentissage et développement humain. Précisément, il est considéré
qu'il ne peut y avoir apprentissage sans conscience de cet apprentissage. De fait, le sujet
construit des connaissances au fil du temps, en interactions avec son environnement.
L’apprentissage se fait en deux temps : par assimilation puis, une fois le conflit cognitif
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 103
résolu, par accommodation. Il existe plusieurs stades dans le processus d’apprentissage
caractérisant la structure de la pensée. Piaget (1974, 1991) parle de schèmes opératoires.
Il suggère que ce sont des structures cognitives acquises qui vont permettre de résoudre
des problèmes. Plus globalement, en ce qui concerne les travaux évoquant
l'apprentissage dans un contexte d'enseignement et s’inscrivant dans ce courant de
pensée, il est considéré que l’enseignant a pour rôle de réguler les démarches de
l’apprenant afin de l’aider à dépasser le conflit cognitif. De fait, compte tenu de notre
sujet et, plus particulièrement, de l'intérêt que nous portons au tuteur et aux interactions
qu'il entretient dans des contextes d'apprentissage et de e-learning, nous comprenons
que les travaux précédents s'avèrent tout à fait pertinents pour la définition et
l’adaptation de la fonction tutorale.
Les contributions de Vygotski (1930, 1934) et Wallon (1941) complètent les
connaissances précédentes en mettant en perspective l’importance de la relation sociale
dans l’apprentissage. L’homme est inséré dans une culture, une histoire. Le langage est
un outil permettant de s’adresser à l’autre. Les interactions avec les autres permettent
d’apprendre. Vygotski (1934, 1997) parle de la zone proximale de développement.
L’enseignant a alors pour mission d’accompagner l’apprenant dans cette zone
proximale de développement. L’idée sous-jacente est ce que l’apprenant est en mesure
de faire aujourd’hui en collaboration, il saura le faire tout seul demain (Vygotski, 1997).
Pour Wallon (1991), l’affectif, l’émotion, la personnalité jouent un rôle déterminant
dans l’apprentissage. Celui-ci n’est d’ailleurs pas linéaire, contrairement à la théorie de
Piaget, il existe des régressions. L’enseignement est, pour les socio-constructivistes, un
facilitateur, un médiateur, tout comme les pairs qui peuvent remplir ce même rôle. Ils
considèrent donc que l’apprentissage se fait essentiellement dans des tâches concrètes,
gérées de façon autonome, et orientées vers la conception, la découverte.
Selon les cognitivistes, notre pensée se développe selon un processus de traitement
de l’information. Les connaissances antérieures sont fondamentales, et la confrontation
à une ou plusieurs situations provoque la construction d’un schéma mental nouveau.
L’apprentissage est alors un algorithme de résolution de problèmes. On parle
d’approche computationnelle. Le sujet fonctionne comme une machine autorégulée, par
boucle de rétroaction essentielle à la mémoire à long terme. Le cerveau filtre, encode et
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 104
traite les informations. Il existe une activité réflexive du sujet. On parle de stratégies
cognitives et métacognitives.
La théorie sociale cognitive est notamment connue à travers les travaux de Bandura
(1979, 1980, 1986, 1997). Contrairement aux behavioristes, il considère que la prise de
conscience dans l’apprentissage est importante. Ses travaux sur le sentiment d’efficacité
personnelle (SEP) proposent que la dimension psychologique devienne un déterminant
de premier ordre dans l’apprentissage. Le SEP est la croyance de l’individu en ses
propres capacités. Il est le fondement de la motivation et de l’action. L’expérience
vicariante – qui consiste à observer quelqu’un d’autre réussir un comportement –
facilite l’apprentissage. Le sujet apprend par imitation, modelage.
Bruner préconise une pédagogie de la découverte. Le maître est le médiateur des
apprentissages. Son concept d’étayage consiste à priver peu à peu l’apprenant des aides
qu’il a dans son apprentissage pour lui permettre progressivement de faire la tâche tout
seul. Ceci mobilise à la fois l’affectif et le cognitif.
L’adulte en apprentissage a besoin de savoir où il va pour assimiler une
connaissance, il a besoin de connaître les raisons de la formation, il faut qu’il puisse
s’appuyer sur son expérience. Ainsi, dans ses travaux sur l’apprentissage expérientiel,
Kolb (1984) met en évidence qu’il existe différents styles d’apprentissage. De même,
Selon Argyris et Schön (1978, 1996), trois grands principes caractérisent
l’apprentissage organisationnel. Précisément, ces auteurs évoquent les boucles
d’apprentissage et, notamment, la simple boucle qui permet la consolidation des savoirs,
la double boucle autorise une modification en profondeur. Par ailleurs, la spirale de
l’apprentissage continu de Nonaka et Takeuchi (1997) montre que d’autres interactions,
telles que le groupe, viennent s’ajouter aux quatre modes de conversion de base
nécessaires au processus de création de la connaissance organisationnelle. Enfin, Weick
(1979) considère l’organisation comme un système d’interprétation. De fait, si
l’apprentissage est perçu comme un processus d’interaction avec l’environnement par
Hedberg (1981), Nystrom et Starbuck (1984) mettent en perspective que cet
apprentissage est favorisé lorsqu’il est précédé par une phase de désapprentissage.
L’anthropologie cognitive nous apporte son approche située et distribuée de la
cognition. Ci-avant dans ce chapitre, nous avons montré que l’approche située souligne
Chapitre II L’apprentissage
Valérie Caraguel 105
l’importance des origines locales du savoir et des situations vécues. En mobilisant les
travaux de Lave et Wenger, qui sont à l’origine de la théorisation de l’apprentissage
comme processus socialement situé, nous avons souligné comment les connaissances se
diffusent des experts aux novices au travers de communautés de pratiques, et comment
le cheminement de l’apprentissage s’effectue de la périphérie au centre du groupe.
Hutchins (1995) montre comment les connaissances se partagent et se diffusent à la
fois. Les concepts de situation et de distribution marquent une évolution importante
dans la prise en compte des objets de l’environnement dans les apprentissages.
L’apprentissage se fait par médiation.
Ce que nous enseignent toutes ces théories est qu’on ne peut pas acquérir tous types
de connaissances de la même manière. La richesse du panorama que nous venons
d’exposer, montre que nous pouvons puiser dans chaque théorie pour mobiliser des
savoirs et construire de nouvelles connaissances, pour générer des comportements
différents dans des situations d’apprentissage diversifiées. Toutes ces théories
cohabitent dans les situations d’enseignement. Nous rejoignons ainsi Genthon (1996)
lorsqu’elle nous invite à regarder l’apprentissage sous un angle multi-référencée.
Ainsi, compte tenu de notre sujet de recherche sur l'étude des dispositifs
d’interactions entre les enseignants/tuteur et les apprenants dans la perspective de mieux
saisir les processus d'apprentissage, il était particulièrement important d'intégrer et
d'analyser ces apports dans nos travaux de recherche. Nous mobiliserons ces premiers
résultats dans le chapitre suivant qui concerne spécifiquement la fonction tutorale.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 106
CHAPITRE III : LE TUTORAT EN LIGNE
1. Qu’est-ce que le tutorat ? p.108
2. Position du tuteur dans un dispositif en ligne p.124
3. Le tutorat en ligne : maillon essentiel de la chaîne de l’apprentissage p.137
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 107
CHAPITRE III - LE TUTORAT EN LIGNE
Boutte (2007) nous montre comment, en entreprise, la « transmission de savoir-
faire » passe par un « accompagnement » d’un novice par un expert à travers un
dispositif qui rappelle le compagnonnage traditionnel. Il en est de même dans le tutorat
en ligne. Dans ce chapitre, partant de cet élément, notre projet est de souligner
l’importance du concept du tutorat puis de présenter et de discuter des différents rôles
que le tuteur peut revêtir dans les dispositifs d’enseignement en ligne.
Ainsi, nous commençons par aborder la question suivante : qu’est-ce le tutorat ? Du
compagnonnage au tutorat en ligne, en passant par le tutorat plus traditionnel, il est
également intéressant de révéler qui est le tuteur. Quels sont ses rôles et compétences
associées dans un environnement en e-learning ? En particulier, nous montrons la
position centrale du tuteur dans un dispositif en ligne (Paquette, 2001) et les différents
types d’interventions tutorales qu’on y trouve.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 108
1 Qu’est-ce que le tutorat ?
Lisowski (2010) rapproche le tutorat du concept de la maïeutique socratique (IVème
siècle av. J.C.) – l’art de « faire accoucher » les esprits de leurs connaissances, de faire
éclore les grandes idées, d’accoutumer les esprits à chercher et à connaître leurs facultés
pour les tourner vers un but noble et utile (Mérimée, 1867). Dans cette approche, le
maître ne peut rien transmettre d’autre à son élève que « l’expérience qu’il a acquise
lors de son passage de l’ignorance à la connaissance » (Lisowski, 2010, p.44).
L’origine du compagnonnage - qu’elle soit inspirée des légendes de la construction
du Temple de Salomon ou de la construction des cathédrales - renvoie à la vocation du
devoir de transmettre (Hulin, 2009). Tout compagnon se doit de transmettre ce qu’il a
lui-même reçu (Guédez, 1994 ; Icher, 1999).
La transmission du savoir-faire dans le champ professionnel est souvent présentée
comme un « compagnonnage » (Boutte, 2004). Hulin (2009) propose de rapprocher ce
type de transmission au concept de socialisation de Nonaka et Takeuchi (1997). Pour
ces auteurs, la connaissance fait l’objet d’une transmission grâce à l’opération de
conversion qui s’effectue à travers quatre modes : l’intériorisation, la combinaison,
l’articulation et la socialisation. Cette dernière correspond en effet à la conversion du
savoir tacite en savoir tacite, notamment par imitation, pratique ou observation. Comme
le note Hulin (2009, p.23) : « L’écoute et l’observation des autres salariés sont des
moyens de se familiariser avec les savoir-faire du métier ». Sainsaulieu (1997) souligne
d’ailleurs que l’organisation dans laquelle s’inscrit l’expérience professionnelle de
l’individu constitue un lieu fondamental dans la construction de son identité
professionnelle.
1.1 Du compagnonnage au tutorat
L’univers compagnonnique est longtemps demeuré celui d’une organisation fermée
et organisée autour de croyances, d’une culture forte, et de valeurs perçues comme
anachroniques, voire désuètes. Néanmoins, les mouvements compagnonniques tiennent
une place essentielle dans le monde actuel de la formation professionnelle (Hulin,
2009).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 109
Le terme « compagnonnage » n’apparaît dans la langue française que vers 1719 pour
désigner le temps du stage professionnel qu’un compagnon devait effectuer chez un
maître. D’après Larousse (2006), le compagnonnage est le « temps pendant lequel un
ouvrier sorti d'apprentissage doit travailler comme compagnon chez un maître avant de
devenir maître lui-même » ;; il s’agit d’une « association entre ouvriers d'un même corps
d'état à des fins d'instruction professionnelle, d'assurance mutuelle et de moralisation ».
Ce type d’accompagnement est très répandu dans le domaine de l’artisanat. On le trouve
également en médecine lorsque le jeune médecin fait son internat en étant suivi par un
« patron ». Dans les pays anglo-saxons, le terme de « coach » ou « mentor » est plus
répandu pour qualifier la personne chargée de l’accompagnement du novice ; alors que
les pays francophones préfèrent utiliser celui de « tuteur » (Barnier, 2001 ; Baudrit,
2002).
A l’origine, le tutorat était plutôt confié à des « pairs », des apprenants souvent plus
âgés et plus avancés dans leur apprentissage (Lisowski, 2010).
De nos jours, l’appellation de « tuteur » est très courante, notamment dans les
organisations où les stages se sont multipliés, ainsi que les contrats professionnels et les
contrats d’apprentissage (Barnier, 2001). Les entreprises ont ainsi renouvelé des
pratiques ancestrales : tel que dans le compagnonnage dont la mission première est la
formation professionnelle, l’apprenti en entreprise apprend son métier en suivant un
parcours « balisé » qui alterne études et situations réelles, sous la responsabilité de son
« maître » qui contrôle la progression et le respect de la bonne route (Guédez, 1994).
1.2 Le tutorat dans l’enseignement traditionnel et en entreprise
Barbier (1996, p.9) définit la fonction tutorale comme « l’ensemble des actions et
dispositifs que met en place ou que reconnaît une organisation dans le but de favoriser,
chez tous ceux qui la composent, des itinéraires d’évolution correspondant à son propre
espace ». Pour l’auteur, le tutorat recouvre des situations et pratiques variées. Il identifie
trois champs dans lequel on le retrouve :
1) le champ des systèmes d’enseignement et/ou des formations où on utilise le
tuteur pour la conduite d’activités ou d’actions ayant trait au déroulement de
parcours individuels. Dans les systèmes d’enseignement, le tutorat a pour résultat
la mise à disposition de savoirs ; dans les systèmes de formation, le résultat est la
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 110
production de nouvelles capacités transférables. On parle du rôle facilitateur,
régulateur, en milieu éducatif.
2) le champ des systèmes de travail, ou systèmes de développement de
compétences, dans lequel le tuteur a pour fonction dominante la production de
biens et de services. Le résultat est la transformation du travail et de ceux qui
l’accomplissent.
3) le cadre plus large de la vie sociale où le tuteur accompagne les individus dans
leur capacité à subvenir à leurs propres moyens d’exister.
Hulin (2007) considère le tutorat en entreprise comme un outil particulier de transfert
intra-organisationnel de compétences. S’appuyant sur l’idée que, d’un point de vue
stratégique, les savoirs doivent être gérés comme des ressources matérielles (Prax,
2005), Hulin identifie quatre types de tutorat en entreprise :
- le tutorat de qualification qui facilite le passage de la vie scolaire à la vie
professionnelle,
- le tutorat d’intégration qui concerne plus spécifiquement les nouvelles recrues,
- le tutorat d’insertion, ou de « socialisation » qui s’adresse à des publics en
difficulté tels que les chômeurs longue durée ou des personnes sans qualification
en situation d’exclusion du marché du travail,
- le tutorat d’adaptation, pour permettre aux salariés de l’entreprise d’accéder à
des compétences nouvelles liées aux évolutions de l’organisation.
La compétence professionnelle n’existe que lorsqu’elle est mise en œuvre dans son
contexte de travail (Le Boterf, 1997). La forte évolution des métiers et des organisations
impose, de plus en plus, la mise en place de processus de transfert de compétences
internes à l’entreprise (Bartoli, 1997). Le tutorat est une solution pour faciliter le
transfert aussi bien de connaissances que de compétences ;; il peut s’appliquer à toutes
les populations et tous les âges, et il est considéré comme la conception de la pédagogie
intégrée à la situation de travail (Hulin, 2007).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 111
1.3 De l’enseignement en présentiel au tutorat en ligne…
Comme nous venons de le voir, l’histoire de l’enseignement se confond avec celle du
tutorat. Elle est jalonnée par diverses fonctions qui tournent autour du maître. Ainsi est
apparue la fonction de « maître d’étude » (loi du 1er mai 180234) qui consistait à suivre
les élèves en dehors des cours. Lui a succédé celle de « maître répétiteur » (décret du 17
avril 1802), chargé de veiller à la discipline et de concourir à l’enseignement. Bien
d’autres ont suivi depuis.
1.3.1 De l’enseignant au tuteur en ligne
Avec l’apparition de l’internet, naît l’enseignement en ligne. Avec lui, de nouveaux
rôles émergent dans le paysage de la formation. L’ensemble des chercheurs et
professionnels du domaine parlent de nouveaux métiers qui naissent, d’une nouvelle
façon d’enseigner. Chaque acteur de la formation doit se repositionner dans ce nouvel
environnement.
Si le métier d’enseignant évolue lorsque celui-ci est placé dans un environnement en
e-learning, Bellier (2000) distingue les évolutions rencontrées dans les différents types
de formations mixtes et/ou tutorées. Précisément, le présentiel dans les formations
mixtes - s’il correspond à la forme la plus connue de l’enseignement traditionnel du côté
des apprenants - change radicalement le rôle de l’enseignant. En effet, dans ce type de
formation, les apprenants ont étudié longuement en amont, à distance. L’enseignant,
pour Bellier (2000, p.120), n’est plus seulement présent pour apprendre quelque chose à
un groupe ou pour apporter des notions nouvelles ou inconnues : « l’essentiel de son
travail consiste à faire passer le groupe de connaissances apprises sur l’écran à leur
mise en œuvre dans des situations professionnelles contextualisées. Le cœur de son
métier devient vraiment la pédagogie, en ce sens qu’il est là pour aider à
l’appropriation, vérifier le transfert et faciliter la transposition ». Pour l’auteur, il ne
s’agit pas d’un nouveau métier car tout bon formateur est déjà un bon pédagogue avant
d’être un expert ou un animateur. Il devra simplement évoluer dans l’utilisation de ses
pratiques.
34 Source : Institut Français de L’Education (Ifé). Version numérisée du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand
Buisson (2nde édition, 1911).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 112
Le tutorat à distance asynchrone (en temps différé) est la situation pédagogique qui
est la plus proche de ce qui est connu en matière de formation à distance classique.
L’introduction de la technologie va néanmoins lui ajouter une dimension de rapidité
d’échanges qui est loin d’être négligeable. Il faut, de la part du tuteur, une grande
disponibilité et une capacité de réponse avec peu de recul. Pour Bellier (2000, p.124),
« entre le conseil pédagogique un peu trop général et la réponse du tac au tac à une
question précise, il y a tout l’espace de médiation à inventer ». Pour elle, il s’agit même
d’un profond changement de métier : rôle, mission et pratiques évoluent. C’est une
réflexion de fond qu’il faut opérer sur le changement du métier.
Bellier évoque également deux situations de tutorat particulières : la formation à
distance individuelle synchrone (one to one, en temps réel) et les situations collectives
synchrones (classes virtuelles). Ces deux situations requièrent une grande maîtrise
d’outils techniques très particuliers et peu utilisés. Mais surtout, la relation avec le ou
les apprenants diffèrent totalement de ce qui est connu en présentiel. Dans le premier
cas, il s’agit « d’une relation très proche avec l’apprenant qui est également
physiquement distant », ce qui génère des situations paradoxales relevées par l’auteur,
telles que l’adaptation/progression (réponses incessantes aux sollicitations tout en
veillant à la progression), ou le paradoxe rythme/variété (le groupe permet à la fois la
variété de rythme, de situations pédagogiques et de niveaux, ce que ne permet le one to
one). Dans le second cas, la difficulté majeure – hormis l’utilisation de toute la
technologie mise en place dans ce type d’environnement, que ce soit par le tuteur ou les
apprenants - réside dans la cohésion du groupe. En effet, le tuteur doit réussir à faire
interagir les apprenants entre eux et qu’aucun ne se sente isolé ni ne décroche, sans
avoir forcément de retour visuel de l’ensemble. Toute la palette habituelle de
l’enseignement traditionnel qu’est le langage non verbal disparaît avec l’introduction de
la technologie.
Nous constatons, au regard de ces descriptifs, combien le rôle du tuteur est diversifié
et complexe. Nous comprenons pleinement dorénavant le questionnement de Vetter
(2004) concernant le tuteur, et que nous évoquions dans la définition de ce dernier :
n’est-il pas un professionnel de l’accompagnement ? Ne serait-il pas recruté pour ses
compétences en stratégie d’apprentissage ? Ses propensions à l’empathie ?
Toutefois, comme nous l’avons déjà vu, la question des compétences techniques
revêt un caractère primordial dans le rôle du tuteur. S’il doit lui-même être très à l’aise
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 113
avec la technologie, ne doit-il pas également accompagner l’apprenant dans cet
apprentissage ?
1.3.2 L’apparition du tutorat dans les grands courants de l’apprentissage
Lisowski (2010) place le tutorat « traditionnel »35 au centre de la progression de
l’enseignement vers l’apprentissage, à travers cinq grands mouvements pédagogiques
contemporains (présentés dans le chapitre 2) : le behaviorisme, le gestaltisme, le
cognitivisme, le constructivisme et le socio-constructivisme.
Figure 12 – Les cinq mouvements pédagogiques contemporains (Lisowski, 2010)
Pour Lisowski (2010, p.46), à l’origine, l’apprenant était « atomisé », son
environnement pédagogique « subi », et l’apprentissage était un conditionnement sous
l’influence du behaviorisme (Thorndike, 1932). Le gestaltisme (Köler, 1929) fait
évoluer la perception de l’apprentissage comme une « maîtrise ». Le cognitivisme, sous
l’empreinte de Skinner (1953), marque l’apprentissage comme une expérience et remet
le tutorat au goût du jour. Progressivement, l’environnement pédagogique de
l’apprenant change pour aboutir à un cadre « choisi » où l’apprentissage devient une
35 Que nous mettons ici en opposition avec le tutorat en ligne.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 114
« appropriation »36 et où la collaboration entre apprenants se fait grandissante pour
atteindre, sous l’influence du socio-constructivisme (Vygotski, 1978, 1997) un état
« d’acte collectif ». Il s’agit alors moins d’enseigner que d’apprendre.
Cette mise en perspective de l’apparition du tutorat à travers les grands courants
pédagogiques nous amène à nous interroger sur son évolution: Comment le tutorat a-t-il
évolué avec l’apparition de l’internet et des outils liés à l’apprentissage en ligne ? Quel
rôle joue-t-il dans des environnements en perpétuelle évolution ?
Les premières expérimentations de l’enseignement en ligne en France datent des
années 80 ;; mais c’est à la fin des années 90 que nous observons un véritable
développement de l’e-learning. Comme nous l’avons vu dans le chapitre I, Fallery
(2007) et Fallery et Rodhain (2011), dans leur étude basée sur les fondements
épistémologiques de l’e-formation, dessinent trois grandes évolutions de l’enseignement
en ligne: Suivant le postulat que la connaissance est transférable, le modèle du « juste-à-
temps pédagogique » est développé, dans une perspective que l’auteur qualifie
d’« instrumentale, behavioriste et positive » (Fallery, 2007, p.253). Dans un souci
d’assurer l’accessibilité aux contenus et de leur pérennité, des standards liés aux
ressources pédagogiques sont mis en œuvre au niveau international (Dublin Core, LOM,
SCORM). Pour l’auteur, « l’e-formation est d’abord une transmission ». Sous
l’influence, notamment, des travaux de l’Ecole de Palo Alto (Watzlawick et al, 1972 ;
Bateson, 1980), de la construction du sens dans l’échange (Le Moigne, 1995) et de la
pédagogie de l’action (Piaget, 1974), dans une seconde période de l’histoire de l’e-
formation, l’expérience est considérée comme la source de la connaissance et « l’e-
formation est d’abord un échange ». Le « libre-service pédagogique » fait son
apparition, valorisant l’autonomie, l’individualisation des parcours et le tutorat. Dans
une troisième phase, les théories socio-constructivistes telles que la théorie de « l’action
collective concevable » (Hatchuel, 1997), « l’agir communicationnel » (Habermas,
1981), les concepts de « cognition socialement médiatée » de Vygotsky (1978), ou
encore la théorie de « l’apprentissage social » de Bandura (1963) - mettent en avant
l’importance de la communication, et de l’interaction sociale comme source de
connaissance. Ici « l’e-formation est une négociation de sens ». Il s’agit d’une approche
36 Le processus cognitif est assimilé à un processus d’acquisition (un processus d’appropriation
naturel) se déroulant entre l’individu et son environnement (Piaget, 1998).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 115
par les outils qui vise la collaboration et la « réutilisation collective » (Fallery, 2007,
p.258).
Les trois types de dispositifs d’e-formation décrits précédemment coexistent
actuellement sur le terrain ;; chaque institution ou entreprise s’approprie celui dans
lequel elle se sent plus légitime ou celui qui correspond au mieux, selon elle, à sa
culture d’apprentissage.
Dans cette évolution des dispositifs d’e-learning, il est tout à fait légitime de se poser
la question du rôle du tuteur en ligne aujourd’hui.
1.4 Tuteur, qui es-tu?...
1.4.1 Tentatives de définition
Le terme de tuteur est assez récent dans le domaine de l’enseignement en ligne.
Différentes appellations - telles que guide, correcteur, instructeur, facilitateur,
conseiller, animateur, intervenant, agent d’encadrement, moniteur, tuteur, modérateur,
voire coach (Daele et Docq, 2002, p.2) - reflètent ainsi les différentes perceptions
qu’ont les établissements et les concepteurs de contenus du rôle qu’ils attribuent aux
personnes tutrices (Paquette, 2001, p.7).
La formulation que nous affectionnons plus particulièrement est celle de Bernatchez
(2001, p.12), pour qui le tuteur est « la personne qui entretient le contact le plus étroit
avec l’apprenant tout au long du processus d’apprentissage ». Le tuteur reste un point
de référence comptant pour les apprenants, même si son rôle diffère selon les
présupposés pédagogiques inhérents au dispositif de formation (Om El Khir Missaoui,
2009, p.13). Dans une approche de type constructiviste, le tuteur jouera plutôt un rôle de
facilitateur37 ;; alors qu’un dispositif collaboratif le positionnera en tant qu’animateur.
Un dispositif plus transmissif, quant à lui, valorisera sa position d’expert, plus proche de
la vision classique de l’enseignant.
Afin de percevoir plus clairement qui est le tuteur, nous exposons ci-après les quatre
rôles fondamentaux du tuteur que nous avons repérés dans la littérature (Berge, 1995;
Daele et Docq, 2002 ; Peraya et Descryver, 2003 ; Kim et al, 2007). Ces auteurs
37 « Un « passeur » vers la connaissance » : (Carré, 1999).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 116
relèvent, principalement, 4 rôles fondamentaux: pédagogique, socio-affectif, technique,
et organisationnel.
1.4.2 Typologie des rôles du tuteur en ligne
1.4.2.1 Rôles du tuteur en ligne
Le premier de ces rôles est pédagogique. Il consiste, d’une part, en l’expertise des
contenus;; et d’autre part, en une connaissance approfondie des processus
d’apprentissage. Deux aspects importants de ce rôle sont à prendre en considération. Le
premier s’entend au plan cognitif. Il concerne d’un côté les interventions relatives au
domaine de connaissance du cours (Berge, 1995, p.25 ; Denis, 2003, p.25) et, de
l’autre, celles dans le domaine du programme de la formation (recherche documentaire,
modes de collecte de données,...). Selon l’approche d’apprentissage choisie, ce rôle sera
vu davantage comme dispensateur de savoirs ou comme facilitateur (Audet, 2006, p.52).
Le second aspect du rôle pédagogique se situe sur un plan métacognitif. Le métacognitif
renvoie à l’ensemble des activités que l’apprenant devrait réaliser pour avoir un regard
distancié sur sa formation. C’est cette prise de distance qui peut favoriser
l’accroissement de son autonomie (Rodet, 2007). Le tuteur doit donc favoriser la
posture métacognitive de l’apprenant en facilitant la planification du parcours
d’apprentissage, l’évaluation des stratégies d’apprentissage ainsi que l’autoévaluation
de l’apprenant. Ainsi, le tuteur doit non seulement guider l’apprenant dans
l’apprentissage de ses savoirs ; mais également dans la connaissance qu’il a de lui-
même et plus spécifiquement de ses stratégies cognitives. Le tuteur devra aider
l’apprenant afin de développer ses compétences en matière de planification de son
apprentissage et d’organisation de son travail : « On constate que, hormis quelques «
indépendants », qui réussissent par eux-mêmes ou en s’appuyant sur leur
environnement personnel ou professionnel, ceux qui ne s’adressent pas ou peu aux
tuteurs sont aussi ceux qui utilisent mal l’ensemble des ressources mises à leur
disposition et, finalement, abandonnent ou échouent » (Glikman, 2006, p.xii). Il ne
s’agit pas pour la plupart des étudiants à distance, issus d’une scolarité traditionnelle,
d’une démarche familière et aisée. Peu réalisent les exigences qu’elle impose,
notamment, une forte capacité d’adaptation à un apprentissage autonome.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 117
Le second rôle auquel l’ensemble des auteurs font référence est un rôle social (Daele
et Docq, 2002, p.3). Ce rôle englobe un aspect affectif (Bernatchez, 2001, p.14; Ndoye,
2005, p.8). Le tuteur peut être perçu comme un facilitateur, un modérateur ; mais
surtout comme un conseiller (Daele et Docq, 2002, p.2). Le tuteur doit alors faire
preuve d’empathie auprès des apprenants, de disponibilité, mais aussi de proaction. Ce
rôle est unanimement décrit comme important pour le soutien des apprenants. Dans
l’enseignement en ligne, la distance risque d’amener l’apprenant à une perte de
motivation, un sentiment de solitude et l’envie d’abandon. Si la technologie donne
l’illusion à l’apprenant qu’il va être proche des autres apprenants et des enseignants
grâce aux outils, seul derrière son ordinateur, il peut s’y trouver encore plus frustré. La
« couche » technologique peut ajouter à la sensation d’isolement. L’autonomie requise
et le sentiment d’isolement « créerait un déficit socio-affectif qu’il reviendrait au tuteur
de compenser » (Gauducheau et Marcoccia, 2007, p.4). De plus, la notion de
conversation ou de discussion est importante dans tout processus d’apprentissage
(Senge, 1990). Ce rôle social a donc une importance majeure dans les interactions
apprenant-enseignant. C’est pourquoi nous le qualifions de « socio-affectif », dans la
lignée des travaux de Bernatchez (2001).
Un troisième rôle important est le rôle technique (Berge, 1995, p.3 ; Bernatchez,
2001, p.20; Ndoye, 2005, p.11). Les auteurs parlent alors de maîtrise de la technologie,
de choix appropriés des outils. L’objectif est de rendre l’interface technique
transparente. En effet, comme le note Reix (2002), « La difficulté principale [dans la
mise en œuvre de tout système d’information] est la maîtrise de l’outil ».
L’appropriation de l’outil permet ainsi aux apprenants de se focaliser sur leur « tâche
académique » (Bernatchez, 2001, p.20) : le tuteur doit être capable de dépanner, en
identifiant la panne et en proposant une solution adaptée. Il doit également pouvoir
proposer un accompagnement technique en s’assurant d’une bonne appropriation de la
technologie et en concevant des tutoriels et autres guides. Les recherches du GreCO38,
montrent que ses compétences vont jusqu’au développement d’outils spécifiques. Les
TIC sont de formidables outils de mise en relation et non d’isolement, le rôle du tuteur
technique se situe justement dans sa capacité à faire en sorte que tout apprenant
38 http://greco.grenet.fr Site du GreCo – Grenoble Universités Campus Ouvert (dernière visite en septembre
2013).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 118
s’approprie la technologie de façon à ce que celle-ci soit un levier pour outrepasser
l’isolement, la distance et créer un véritable réseau relationnel.
Le dernier rôle fondamental est le rôle organisationnel ou managérial (Berge, 1995,
p.3). Nous nous intéressons alors aux activités proposées aux apprenants et à
l’organisation de la formation (Ibid, p.3 ; Daele et Docq, 2002, p.3). Ce rôle confère au
dispositif son dynamisme tant à travers ses interactions que ses interactivités au sein de
la plateforme. Notons que l’interactivité concerne le contenu - les échanges avec le
matériel didactique, et les ressources en ligne - ;; alors que l’interaction est humaine –
entre pairs ou avec le tuteur (Bernatchez, 2001, p.7). Le rôle organisationnel contribue
également, tout comme le rôle socio-affectif, à maintenir la motivation des apprenants.
La motivation intrinsèque est un facteur particulièrement important car il dépend
fortement de l'environnement de travail (Amabile, 1988, p.7). Plus précisément, pour le
tuteur, il s’agit ici de mettre en place véritablement le dispositif, en termes d’ingénierie
de formation et de gestion de projet : cours en présentiel ou à distance, calendrier des
cours et rythme de travail pour les apprenants. Il répartit ses apprenants en groupes,
donne les consignes de travail, prépare les interactions entre pairs et les regroupements
présentiels ou synchrones (selon le modèle choisi). La définition d’une progression dans
l’apprentissage prend ici toute sa dimension car elle constitue un cadre rassurant
nécessaire pour les apprenants en ligne. Afin que l’apprentissage soit plus efficient, et
pour maintenir la motivation des apprenants – venant ainsi compléter le rôle socio-
affectif, le rôle organisationnel recouvre également des tâches telles que le rappel des
règles et des procédures (Burge, 1994), la vérification de l’état d’avancement de
l’apprenant, la mise en place et le respect d’un calendrier. Le tuteur endosse également
des tâches administratives liées à l’organisation du programme : il communique les
informations de l’institution, et il établit les plannings de la formation.
Le tableau suivant synthétise les rôles du tuteur identifiés dans la littérature et les
caractéristiques correspondantes, que nous venons d’exposer.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 119
Rôles
Pédagogique Au plan cognitif = expert du contenu
Au plan métacognitif = stratégies cognitives
Organisationnel Se rapporte aux activités proposées
Se rapporte à l’ingénierie de formation et la gestion du projet
Socio-affectif Soutien
Technique Rendre la technique transparente
Tableau 3 – Rôles du tuteur et caractéristiques liées
Ainsi, comme nous venons de le détailler, il existe un quasi-consensus au sein de la
communauté scientifique en ce qui concerne les rôles du tuteur et les objectifs qui leurs
sont associés. Globalement, le tuteur doit pallier la perte de motivation, les abandons,
les phénomènes d’isolement. Il doit également favoriser l’appropriation des outils et des
connaissances et, enfin, guider l’apprenant dans son apprentissage.
Il s’agit ensuite pour celui-ci de mettre en scène ces différents rôles à travers ses
interventions tutorales.
1.4.2.2 Les compétences associées
A chacun des rôles que nous venons d’exposer correspondent des compétences
identifiées (Berge, 1995). Ainsi, l’expert du contenu, dans son rôle pédagogique, devra
être capable de transmettre un savoir, de construire un parcours individuel de formation,
de mesurer l’atteinte des objectifs d’apprentissage. Au plan métacognitif, il devra plus
spécifiquement connaître les processus d’apprentissage, ce qui lui permettra de mettre
en œuvre des stratégies cognitives propres à chaque apprenant. Le rôle socio-affectif
démontrera des compétences de disponibilité, d’écoute active. Le tuteur devra faire
preuve d’empathie et se montrer proactif. On distingue en effet deux modalités
d’intervention tutorale : la réactivité qui est à la demande de l’apprenant, et la
proactivité qui est à l’initiative du tuteur (Depover et Quintin, 2011). Dans son rôle
technique, la maîtrise de la technologie s’avèrera indispensable. Toutefois, le tuteur
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 120
devra également savoir faire les choix appropriés des outils dans les activités mises en
place et créer des tutoriels et des guides pour aider les apprenants. Enfin, sur le plan
organisationnel, le dynamisme, la réactivité voire la proactivité seront nécessaires pour
le management des activités proposées. Il faudra également au tuteur assurer la
logistique, effectuer le suivi des groupes et développer de véritables compétences
relationnelles et de gestion de projet. (Tableau 4 ci-après)
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 121
Rôles Compétences
pédagogique
Expert des contenus. Connaissance approfondie des processus d’apprentissage.
Au plan cognitif : - Rédiger des supports pédagogiques et didactiques - Réaliser des liens avec d’autres contenus - Mesurer l’atteinte des objectifs
- Repérer les difficultés d’apprentissage - Créer des exercices et séances d’activités individuelles ou collectives
- Communiquer des objectifs - Mettre en place des évaluations.
Au plan métacognitif : - Guider l’apprenant dans l’apprentissage de es savoirs - Le guider dans ses stratégies cognitives - L’aider dans l’organisation de son travail.
- Etre capable de transmettre un savoir - Etre capable de construire un parcours individuel de formation - Etre capable de mesurer l’atteinte des objectifs - Avoir une connaissance approfondie des processus d’apprentissage
socio-affectif Soutien des apprenants pour pallier la perte de motivation, le sentiment de solitude, l’envie d’abandon. - Faire preuve d’empathie, de disponibilité - Etre proactif.
technologique Rendre la technique transparente pour que l’apprenant se focalise sur sa « tâche académique ». - Maîtriser la technologie : dépanner, trouver une solution adaptée. - Faire les choix appropriés des outils - Concevoir des tutoriels et autres guides.
organisationnel
Quant aux activités proposées aux apprenants : Contribuer à maintenir la motivation par le dynamisme du tuteur : réactivité, proactivité, interactivités et interactions proposées.
Quant à l’ingénierie de la formation et à la gestion du projet :
– Répartir les apprenants en groupe – Etablir le rythme de travail et de progression à travers les cours, activités et regroupements – Etablir un planning de formation – Vérifier l’état d’avancement, le respect du calendrier – Rappeler les règles et procédures. – Informer.
- Faire preuve de dynamisme, de réactivité et de proactivité. - Etre capable d’assurer la logistique - Etre capable d’effectuer un suivi - Avoir des compétences relationnelles
Tableau 4 - Rôles et compétences du tuteur
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 122
Salmon (2000) relèvent trois principaux domaines de compétences :
1) une compétence dans la gestion des échanges en ligne, tant du point de vue technique
– qui fait alors référence au rôle technique du tuteur-, que du point de vue relationnel –
se rapportant plutôt au rôle socio-affectif-,
2) des compétences en rapport aux contenus – qui relèvent alors du rôle pédagogique
dans sa dimension cognitive-,
3) des compétences méthodologiques pour guider les apprenants dans leur processus
d’apprentissage – faisant référence à la fois à l’aspect métacognitif du rôle
pédagogique et au rôle organisationnel pour l’ingénierie pédagogique (cf. tableau 5 ci-
après).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 123
Rôles Compétences Domaines de compétences Pédagogique Au plan cognitif = expert du
contenu - Etre capable de transmettre
un savoir - Etre capable de construire un
parcours individuel de formation
- Etre capable de mesurer l’atteinte des objectifs d’apprentissage
Rapport aux contenus
Au plan métacognitif = stratégies cognitives
- Connaître les processus d’apprentissage
Compétences méthodologiques pour guider les processus d’apprentissage
Organisationnel Quant aux activités proposées - Faire preuve de dynamisme, de réactivité, de proactivité
Quant à l’ingénierie de formation et la gestion du projet
- Etre capable de mettre en œuvre la logistique nécessaire
- Etre capable d’effectuer le suivi des groupes
- Avoir des compétences relationnelles
- Avoir des compétences de gestion de projet
Socio-affectif Soutien - Faire preuve d’empathie, de disponibilité
- Etre proactif Compétences dans la gestion des échanges en ligne
Technique Rendre la technique transparente
- Maîtriser la technologie - Faire les choix appropriés
des outils - Concevoir des tutoriels, des
guides Tableau 5 – Assocation des domaines de compétence du tuteur (Salmon, 2000) aux rôles et compétences identifiés
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 124
1.5 Un tutorat différent pour chaque dispositif
Ces différentes illustrations montrent les multiples visages que revêt le tuteur. Le
tutorat peut aussi prendre différentes formes selon le modèle d’apprentissage sur lequel
il repose. Dans un modèle centré sur la transmission des savoirs – selon le courant
behavioriste -, les interventions tutorales seront plus directives, le contrôle strict, et nous
trouverons une régulation des apprentissages. On retrouve, dans ce type de dispositif, le
modèle de l’enseignant-expert des contenus. Dans une perspective constructiviste, les
modalités de tutorat seront plus souples et moins invasives. Le tuteur joue plutôt un rôle
de facilitation, se rapprochant ainsi du concept de la maïeutique socratique que nous
avons évoqué un peu plus tôt dans ce chapitre (Lisowski, 2010).
Dans le paragraphe suivant, nous nous proposons d’étudier la place du tuteur dans un
dispositif d’enseignement en ligne afin d’avoir une vision plus globale des interventions
tutorales.
2 Position du tuteur dans un dispositif en ligne
2.1 Le paradoxe du tuteur au centre du dispositif
Paquette (2001) place le tuteur au centre du dispositif, dans une position
« intermédiaire » entre l’établissement, la structure – qu’il définit comme le
département ou la composante de l’établissement en charge de la formation -, les
contenus – et donc leurs auteurs -, et les apprenants (cf figure 13). Selon les dispositifs,
il est fréquent que les auteurs des contenus soient eux-mêmes tuteurs.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 125
Etablissement
Structure Contenu
Personne tutrice
Groupe Etudiant
Figure 13 - La position intermédiaire de la personne tutrice (Paquette, 2001).
L’auteur met en perspective les différentes modalités d’intervention du tuteur. Il
établit une distinction entre tutorat individuel et tutorat collectif. Le tutorat individuel
s’exerce de personne à personne, entre le tuteur et un apprenant. Il a pour objectif de
guider l’étudiant dans son processus de connaissance, de le conseiller, de lui permettre
de prendre conscience de ses capacités et l’aider à apporter les changements qu’il
souhaite dans ses pratiques. Le tutorat collectif s’adresse au groupe d’apprenants ; le
tuteur représente l’établissement devant les étudiants et tente notamment de mettre en
place un sentiment d’appartenance à une communauté. Le tutorat entre pairs est évoqué
par l’auteur (Paquette, 2001, p.15) ;; il peut prendre la forme de groupe d’étude ou de
groupe de projet dont l’organisation est sous la totale responsabilité des apprenants (cf.
schéma ci-après).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 126
Établissement
Structure (du programme de formation) Contenu (du programme)
Personne tutrice
Groupe Étudiant
Rencontres d’encadrement collectif - Par période de 4 heures en
présentiel
Tutorat collectif · Représente l’établissement devant les
étudiants (appartenance à une communauté, contrôle et évaluation)
· Se sert de la structure qu’elle représente pour :
· Ancrer sa stratégie d’action · Consolider sa position · Rassurer et donner une stabilité, une
continuité · Résister aux pressions des étudiants
Encadrement par les pairs ·Groupe d’étude, ·Groupe de projet
Tutorat individuel ·Rencontrer l’apprenant, le conseiller ·Le guider dans sa connaissance ·Lui permettre de prendre conscience de ses
capacités, et révéler ses potentialités et préférences
·L’aider à apporter les changements qu’il souhaite dans ses pratiques
Figure 14 - Interventions dans le schéma de Paquette (adapté par nous)
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 127
Deschênes et al (2003) ont décrit une expérimentation d’encadrement par les pairs
mis en place à l’automne 2001 à la Télé-Université du Québec, dans un programme de
2ème cycle universitaire en formation à distance. La mise en place de cet encadrement
s’est déroulée en trois phases : recrutement des tuteurs ; formation ;; et mise en œuvre et
suivi du tutorat. L’idée de recruter parmi des étudiants plus avancés dans le cursus avait
une double visée : apporter un soutien particulier – de type congruence cognitive 39, et
une meilleure intégration aux nouveaux étudiants ; et par ailleurs, pour les pairs tuteurs,
développer des compétences d’intervention de soutien en apprentissage à distance, sans
tomber dans une approche académique de l’enseignement, comme le soulignent
Deschênes et al (2003) : « Ces dyades sont basées sur le principe qui veut que lorsque
l’on enseigne à quelqu’un ce que l’on apprend, on apprend mieux ». Ce type
d’encadrement privilégie une approche constructiviste. A travers les outils utilisés – ici
essentiellement les forums de discussion -, les auteurs montrent que les échanges sont
riches de collaboration, de construction de connaissances et de négociation - principes
même du constructivisme - ;; et permettent de diminuer l’abandon des étudiants (Abel,
1994 ; Lowe, 2000).
Si l’encadrement par les pairs remet en question le traditionnel triangle didactique
« maître-élève-savoir », il ne date pas d’aujourd’hui. Confucius (Ve siècle av. J.C.)
notait : « On apprend mieux de ses pairs que de ses maîtres » » (Baudrit, 2000, p.127);
Quintilien (70) estimait que « celui qui vient d'apprendre est le meilleur des enseignants
et qu'il est l'un des mieux placés pour rendre l'enseignement plus humain, plus moral,
plus pratique et plus profond » (Baudrit, 2000, p.127). Néanmoins, il reste peu
expérimenté, notamment dans le cadre de l’enseignement à distance. Pourtant, le fait de
tutorer ses pairs amène le tuteur à revisiter ses connaissances et à développer des
stratégies d’encadrement, d’aide et de soutien des autres apprenants. A travers les
échanges interactifs de ce type de dispositif, sa propre image est valorisée ; il tient le
rôle d’expert, habituellement attribué à l’enseignant. Le tuteur peut aussi développer,
dans ses interactions avec les autres, un véritable échange conduisant à un partage puis
une co-construction de connaissance. Chemin faisant, un réseau de pairs pourra voir le
jour. Les tuteurs construisent ainsi des relations sociales qui renforcent la motivation du
groupe, et améliorent leurs capacités de communication et de leadership. 39 Les tuteurs s’expriment dans le langage des étudiants, et utilisent les mêmes références conceptuelles
(Baudrit, 2000).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 128
Ainsi cet encadrement entre pairs n’est pas une simple relation tuteur-apprenant mais
un véritable échange profitable à chacun, de type don-contre-don (Mauss, 1925), à
l’image des relations qui s’établissent dans les communautés de pratique (Benkler,
2002 ;; p.418). Néanmoins, dans les expérimentations de ce type mises en œuvre40, ces
tuteurs-pairs sont eux-mêmes encadrés par des tuteurs-enseignants afin qu’une
cohérence de suivi soit maintenue, ainsi qu’une mutualisation des pratiques
d’encadrement. Notamment des indicateurs de suivi des apprenants sont mis en place
tels que le nombre de connexion, les dates de dernière connexion, les dates de rendu des
devoirs, etc… Ces tableaux de bord établis permettent également aux tuteurs de
comparer l’avancement de leur groupe par rapport aux autres groupes. Le décrochage
éventuel de certains apprenants est également plus facilement repéré, et le tuteur-pair
peut tenter de reprendre contact avec l’étudiant afin d’identifier ses difficultés et lui
apporter son aide. Un système de tutorat à plusieurs niveaux permet en effet d’assurer
un suivi plus précis des apprenants. Alors que les tuteurs-pairs sont souvent dans une
démarche réactive vis-à-vis de leurs pairs, le tuteur encadrant va développer une relation
plus « proactive » en allant solliciter l’étudiant alors qu’il ne s’est pas manifesté. Ce
type de comportement casse la sensation d’isolement que pourrait ressentir l’apprenant,
et participe à une redynamisation. Les deux modes d’intervention – et les deux types
d’intervenants – sont donc complémentaires, et il est important de les prévoir dans le
développement de l’ingénierie tutorale.
Paquette (2000) étudie les attentes de chacun des acteurs d’un dispositif de formation
à distance, quant au rôle du tuteur. Ce dernier se retrouve dans une position
d’intermédiaire ou de tiers médiateur avec pour principales tâches de favoriser le
dialogue constructif entre les participants et de soutenir l’apprenant dans ses
transactions avec lui-même, la structure, le contenu, l’établissement et les autres
apprenants. (Ibid, p.13).
40 comme cela a été le cas au Centre de Télé-Enseignement des Lettres d’Aix-Marseille Université.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 129
2.2 La vision des rôles du tuteur par les différents acteurs du dispositif
Pour les concepteurs de contenu, le tuteur doit soutenir individuellement chaque
apprenant dans son interaction avec l’objet d’apprentissage et dans l’amélioration de ses
stratégies d’apprentissage, l’aider à développer des capacités d’autogestion de son
apprentissage, contribuer au maintien de sa motivation, stimuler son rythme de travail et
l’encourager dans les moments difficiles (Dionne et al, 1999). Pour les établissements,
le tuteur fait respecter les règles et procédures administratives, encourage la persistance,
corrige et note les travaux et examens servant à évaluer les apprentissages. Il est
responsable de la gestion et de l’animation des activités collectives tels que les
séminaires et ateliers. Il doit également organiser la logistique des rencontres, favoriser
la participation de chacun et soutenir la démarche collective d’apprentissage (Burge,
1994). Pour les étudiants, le tuteur doit être un support cognitif et affectif et ceux-ci
attendent de lui des encouragements. Durant les activités collectives, ils attendent du
tuteur qu’il favorise le partage d’idées, agisse comme régulateur des échanges et
empêche qu’ils ne soient dominés par un seul individu (Stevenson et al, 1996) ; mais
aussi qu’il apporte des informations supplémentaires, des résumés, etc. (Burge, 1994).
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 130
Établissement
Structure Contenu
Personne tutrice
Groupe Étudiant
- Rôle pédagogique (cognitif et méta-cognitif)
- Rôle socio-affectif (dans le soutien, la motivation)
- Rôle administratif (dans le respect des procédures et règles de l’établissement)
- Rôle organisationnel (dans le choix des activités)
Vision des étudiants (individuellement ou en groupe) sur le rôle du tuteur (Burge et al 91, Stevenson et al 96, Naylor et al 90) = 3 rôles identifiés: - Pédagogique : support cognitif,
contribution aux travaux - Socio-affectif : encouragement, soutien - Organisationnel : Contacts avec les autres
étudiants
Vision des concepteurs sur le rôle du tuteur (Dionne et al 99) = 2 rôles identifiés: - Pédagogique (métacognitif): interactivité avec
les contenus, stratégie d’apprentissage, développement de la capacité d’autogestion.
- Socio-affectif : motivation, stimulation, encouragement.
Vision de l’établissement sur le rôle du tuteur (Burge 94) = 4 rôles identifiés: - Pédagogique : correction des travaux - Socio-affectif : motivation, stimulation, encouragement - Organisationnel : gestion des activités, organisation des rencontres - Technique vs administratif: respects des règles et procédures
administratives.
Relation non explicitée dans l’article
Relation étudiée par Paquette dans sa recherche
Relation étudiée par d’autres auteurs et citée par Paquette
Explicitation de la vision
Figure 15 - Rôles dans le schéma de Paquette (adapté par nous)
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 131
Le rôle du tuteur – ou devrait-on dire les rôles du tuteur – sont très diversifiés et très
complexes. S’ils s’apparentent sur certains points au rôle de l’enseignant dans une
situation en face à face, ils revêtent des formes qui ne sont pas connues de
l’enseignement traditionnel, ou connues sous une autre apparence. Comme différentes
recherches le notent (GreCo, 2007), « un nouveau support ne remet pas en cause le rôle
de l’enseignant mais déplace et change la nature de cette médiation. « La relation entre
l’enseignant et l’apprenant devient une relation personnalisée de suivi et
d’accompagnement ».
Le modèle de Paquette présenté ci-avant émerge d’une recherche effectuée à partir
d’un programme de formation continue en Sciences de l’Education, proposé à distance
par le Centre Romand d’Enseignement à Distance (CRED) en Suisse. La conception et
la mise en œuvre de cette formation avaient été confiées à la Téluq, l’université à
distance de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Dans son article, l’auteur ne
décrit pas l’environnement technologique du dispositif. Concernant les contenus, elle
évoque 71 documents texte représentant 2000 pages. Chaque document était
accompagné d’un résumé et d’activités proposées à l’apprenant. Le matériel didactique
comportait également des cassettes vidéos. Bien que le Canada ait une forte avance dans
le domaine de l’enseignement à distance, comme nous l’avons évoqué dans le chapitre
I, l’époque où se situe cette formation ne comportait pas encore la généralisation des
technologies liées à l’internet. Il nous paraît donc important, comme le suggère Depover
et Quintin (2011), d’étendre le modèle de Paquette en y ajoutant le dispositif
technologique. Dans la continuité des suggestions de ces auteurs, nous tenons compte
également de l’environnement familial et professionnel de l’apprenant du fait qu’il
réponde aux besoins d’ordre affectif, motivationnel et social des étudiants en ligne
(Glikman, 2006 ; Depover et Quintin, 2011). Ce dernier élément nous permet en effet
une vision plus globale par une approche systémique.
Les différents rôles du tuteur, les compétences nécessaires pour les remplir, la
diversité des modalités d’interventions tutorales nous amènent progressivement vers la
nécessité de mettre en place un système tutoral. Dans les paragraphes qui suivent, nous
décrivons ce que revêtent un tel système et l’ingénierie tutorale qui s’y rapporte.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 132
2.3 Un dispositif d’accompagnement
D’après une étude Demos e-learning Agency effectuée en 2008, auprès des
responsables de formation et du e-learning de trente entreprises du CAC 40 et du SBF
120, la mise en place de formations en ligne révèle des freins majeurs: En effet, 43%
des personnes interrogées connaissent des problèmes importants d’organisation
personnelle dans le temps de leur apprentissage, et 43% rencontrent des difficultés
techniques. Le sentiment de solitude, le manque d’accompagnement et de motivation
sont présents dans 30% des cas. Dans cette perspective, la mise en place d’un dispositif
d’accompagnement pourrait constituer une réponse aux craintes et aux freins rencontrés
lors de la mise en place de formation en e-learning. Toutefois, la question du dispositif
à concevoir et implanter doit être abordée.
2.3.1 L’ingénierie tutorale
Comme toute conception, il est nécessaire de passer par une phase d’ingénierie que
nous qualifierons, dans la lignée des travaux de Rodet (2010, 2013) d’« ingénierie
tutorale ». Différentes actions peuvent être menées lors de la phase de conception d'une
formation à distance ou d'une formation hybride pour penser et dimensionner les
services tutoraux qui seront offerts aux apprenants. Ces actions sont réparties en trois
phases - analyse, conception et diffusion – donnant lieu à trois livrables : le système
tutoral, le scénario tutoral, et le plan de diffusion (Rodet, 2013) :
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 133
Figure 16 : Schéma de l’ingénierie tutorale (Rodet, 2013)
Il s’agit donc bien d’une démarche consciente que l’institution et les concepteurs
d’une formation à distance doivent mettre en œuvre.
2.3.1.1 Mise en place d’un système tutoral
Mettre en place un système de tutorat rigoureux est essentiel dans un enseignement
en ligne, et reconnu comme gage de qualité dans ce type d’enseignement. Rappelons
que « système » - du grec « systema » - signifie « ensemble organisé ». C’est « un
complexe d’éléments en interaction » (Bertalanffy, 1973, p.53) ayant un but (De
Rosnay, 1975) et qui voit sa structure évoluer au fil du temps (Le Moigne, 1977). Rodet
(2010, p.7) distingue, en effet, la conceptualisation du tutorat à distance des modalités
de son organisation pratique : « Il y a donc bien deux phases à distinguer en matière de
tutorat, celle de l’ingénierie tutorale qui a pour but d’aider les concepteurs à imaginer
les services tutoraux et celle des interventions du tuteur auprès de chaque apprenant
qui consiste à adapter la délivrance de ces services aux besoins, à la personnalité et
aux caractéristiques de chaque apprenant ». Le tutorat a pour but d’accompagner les
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 134
apprenants dans leur apprentissage. Il doit être réfléchi, et organisé afin d’en cerner la
pertinence, les modalités et de constituer les équipes. Le type de modèle tutoral élaboré
dépend de la structure de la formation en place. Les interventions du tuteur, si elles sont
initialement planifiées, sont complétées ou transformées en fonction de l’évolution des
apprenants dans leur apprentissage. Le tutorat doit être adapté à chaque situation,
prenant ainsi en compte l’individualisation des interventions ; il doit être flexible pour
intégrer les contraintes de tous les apprenants et leur permettre de profiter de l’ensemble
des activités proposées. Enfin, il doit être adapté au public des apprenants : formation
initiale vs formation continue, expert en technologies ou novice, etc.
A la lecture de tous ces éléments et en référence aux définitions de la littérature, nous
pouvons donc avancer qui le tutorat est bien un système.
Le tutorat est un travail d’équipe. Il nécessite une grande rigueur organisationnelle,
de l’écoute et de l’empathie. Le choix de la structure peut se porter sur des tuteurs qui
soient eux-mêmes auteurs des contenus, ou simplement des experts du domaine qui
n’ont pas contribué aux ressources initiales constituant les contenus d’enseignement.
Pour Vetter (2004), le tuteur peut même ne pas être expert du contenu, mais un
professionnel de l’accompagnement. Toutes les possibilités peuvent donc être
envisagées, et les choix incombent aux responsables de formation, de structure
d’enseignement et d’établissement. De ces choix préalables va dépendre l’ingénierie
tutorale, c’est-à-dire les actions qui définiront le tutorat que l’on souhaite mettre en
place. Par exemple, les formations en ligne qui choisissent des tuteurs qui n’ont pas
contribué aux contenus des cours mettent généralement en œuvre un système de suivi de
ces tuteurs, leur demandant des rapports réguliers sur l’accompagnement qu’ils opèrent
auprès des apprenants, ou encore des tableaux de bord de suivi des groupes. Un
coordonnateur peut être nommé pour effectuer ce suivi. De façon concertée, ce suivi
sera établi par avance par l’équipe tutorale, afin d’en décliner les différentes modalités
(tutorat individuel ou collectif), la temporalité (fréquences d’intervention), ou encore le
type de comportements (proactivité, réactivité). De nombreuses fonctionnalités peuvent
être décidées et mises en œuvre à des stades différents du processus d’accompagnement
par l’équipe tutorale. La dimension humaine individuelle devra être prise en compte
dans cette organisation.
La conception d’un système tutoral nécessite une phase d’analyse des besoins, et
l’identification des différents acteurs et leurs périmètres d’action. Rodet (2007) propose
une représentation graphique des différentes fonctions tutorales des différents acteurs:
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 135
Figure 17– Rodet (2007)
Dans la configuration du dispositif que l’auteur nous propose, différents types de
tuteurs sont identifiés. L’ensemble de l’équipe remplit les divers rôles incombant au
tutorat et que nous avons identifié au début de ce chapitre.
Il ressort de tout ceci que la mise en place du tutorat à distance doit s’adapter à
chaque formation en ligne ; mais également aux ressentis de ses acteurs, les tuteurs
comme les apprenants.
2.3.1.2 Design du scénario tutoral
Lors de la conception du système tutoral, il est nécessaire de choisir les interventions
tutorales, de les quantifier éventuellement, et de choisir les outils qui conviennent le
mieux en fonction de l’objectif à atteindre et de l’activité à mettre en œuvre. Ce travail
peut aboutir à un guide ou une « valise » du tuteur. Il est souvent recommandé de
rédiger également une charte tutorale qui récapitule les droits et devoirs du tuteur dans
sa relation avec les apprenants ; mais aussi ses obligations vis-à-vis de la structure dont
il dépend.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 136
D’autres documents peuvent être produits pour faciliter l’apprentissage, tels qu’un
guide d’accueil ou encore un guide de l’apprentissage en ligne.
2.3.1.3 Plan de diffusion
La valise du tuteur est un outil précieux à l’accompagnement des tuteurs. Il peut être
néanmoins précédé par une formation spécifique aux enjeux du tutorat en ligne et aux
rôles, fonctions, et compétences attendues des tuteurs. Ceci peut permettre une cohésion
de l’équipe tutorale qui facilitera ensuite la coordination du travail.
Il est important de mettre en place des outils de suivi des apprenants
individuellement, et des différents groupes.
Il est toutefois primordial d’avoir en permanence à l’esprit que les services tutoraux
offerts par une institution à ses apprenants ne sont pas une solution idéale ni définitive,
et qu’ils ne peuvent, par avance, répondre à tous les besoins et attentes de ces derniers.
Ils restent une représentation des concepteurs du système sur les besoins des apprenants
en matière de tutorat et à ce titre sont donc susceptibles d’évolutions.
2.3.2 Un modèle pour organiser les activités
Afin d’élaborer à la fois le design des interventions tutorales, nous nous proposons
d’exposer les travaux de Salmon, connue pour son travail séminal sur l’apprentissage en
ligne (2000, 2002).
Salmon (2000) présente un modèle décrivant en cinq étapes le processus
d’apprentissage en ligne. Parallèlement à la proposition d’introduction par le tuteur des
technologies mises à disposition sur les plateformes, elle montre que le processus de
socialisation en ligne est lié au degré d’interactivité. Il est important de noter que les
travaux présentés par l’auteur ont émergé de dispositifs d’enseignement en ligne qui
n’offraient pas, à l’époque, toutes les possibilités et tous les outils du web 2.0 que nous
trouvons aujourd’hui. Etaient essentiellement utilisés la messagerie électronique, les
forums et la visioconférence.
Pour l’auteur, le rôle du tuteur se situe essentiellement dans le design de
l’apprentissage (Salmon, 2002). Parmi les idées fortes qu’elle développe, elle considère
que l’e-learning induit un partage et une création de connaissances particulièrement
riches dans la mesure où l’écriture en ligne induit un partage d’idées et une aide plus en
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 137
profondeur qu’en face à face, car plus réfléchie, et où les groupes d’apprentissage en
ligne développent souvent une forte identité qui facilite la création de connaissance.
Un modèle en 5 étapes :
Figure 18– Modèle en 5 étapes de Salmon (2000, 2002)
1 - L’accès et la motivation : Ce qui importe à ce stade, c’est d’acquérir une
capacité émotionnelle et sociale pour apprendre en ligne avec les autres. Il est important
de développer des activités qui vont permettre aux participants de se sentir impliqués,
de contribuer et de commencer à développer des compétences pour eux-mêmes. Ces
activités permettront, en même temps, aux participants de s’approprier les outils utilisés
et de les intégrer dans leurs usages. Il convient de mobiliser la compréhension des
participants (Pourquoi ils apprennent ? Pourquoi de cette façon ? Ce qu’ils doivent faire
pour être partie prenante dans cet apprentissage) et faire régulièrement des feed-back sur
leur progression.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 138
2 - La socialisation en ligne : Il s’agit ici de créer sa propre micro-communauté. Il
faut créer une atmosphère de confiance qui ne dépend pas de rencontres physiques,
choisir des activités qui permettent de construire un pont entre les attentes et les
réalisations. La tolérance et l’efficacité émergent d’une meilleure compréhension des
perspectives et points de vue.
3 - L’échange d’information. L’avantage des interactions asynchrones est que
chacun peut explorer à son rythme et réagir avant d’entendre le point de vue des autres.
4 - La construction de connaissances : A ce stade, les participants commencent à
reconnaître le potentiel des interactions et à prendre le contrôle de leur propre
construction de connaissances d’une nouvelle manière. Le tuteur a un rôle important à
jouer à ce stade ; il soutient les groupes dans leurs constructions.
5 - Le développement : Les participants deviennent responsables de leur propre
apprentissage et de celui de leur groupe. Ils se sont construits sur les idées acquises à
travers les activités en ligne et les appliquent alors à leurs contextes individuels. A ce
stade, les participants et le tuteur cessent de se demander comment ils peuvent
contribuer en ligne, ils deviennent engagés et créatifs. Ils développent également un
sens de l’auto-critique et de l’auto-réflexivité.
Ce modèle montre - à travers la qualité et le nombre d’interactions mais aussi par le
choix qu’il fait des technologies appliquées à chaque activité – comment le tuteur va
non seulement participer à la progression de l’apprentissage de l’apprenant, mais
également à son développement personnel pour s’acheminer, petit à petit, vers une
émancipation de l’apprenant vis-à-vis des technologies, de son propre apprentissage, et
de la communauté dans laquelle il évolue.
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 139
3 Le tutorat en ligne : maillon essentiel de la chaîne de l’apprentissage
Comme nous l’avons vu à travers les travaux de Paquette (2001), la place du tuteur
dans le dispositif d’apprentissage en ligne est centrale. Les différentes facettes du tuteur
que nous avons évoquées, non seulement à travers les rôles qu’il endosse, les
compétences qu’il nécessite, mais également par la vision que les acteurs en ont, nous
montrent que le tutorat ne peut, dans la majorité des dispositifs, être endossé par une
seule personne. Il s’agit bien d’un travail d’équipe. Par ailleurs, il nous paraît important
d’ajouter au modèle proposé par Paquette, les éléments que sont, d’une part,
l’environnement familial et professionnel, du fait de son influence sur l’environnement
d’étude de l’apprenant, et, d’autre part, le dispositif technologique avec lequel
l’apprenant interagit. Nous proposons donc de représenter le dispositif d’enseignement
en ligne tel que présenté ci-dessous (cf figure 19).
Figure 19 – L’équipe tutorale dans le dispositif d’enseignement en ligne
Structure
Établissement
Plateforme technologique
Équipe tutorale
Groupe Apprenant
Environnement familial et
professionnel
Chapitre III Le tutorat en ligne
Valérie Caraguel 140
Le modèle pédagogique peut également engendrer des formes variées de tutorat. Les
interventions seront plus directives dans le cas d’un modèle centré sur la transmission
des savoirs, alors qu’elles seront empreintes de flexibilité et de souplesse lorsque l’on se
situe dans une perspective plus constructiviste. Le tuteur sera tantôt dispensateur de
savoir, tantôt facilitateur, modérateur, conseiller. Nous mesurons donc ici l’importance
de la conceptualisation du tutorat à distance comme des modalités de son organisation
pratique. Les impacts réciproques entre scénario de la formation et dispositions
d’accompagnement sont importants à repérer. L’ingénierie tutorale relève d’un
processus d’actions à enclencher pour améliorer la qualité du tutorat et produire un
système tutoral opérationnel (Rodet, 2010).
Qu’il soit facilitateur ou dispensateur de savoir, le tutorat relève bien de la
transmission de connaissance et, tout particulièrement, comme le souligne Hulin (2009),
de l’étape de socialisation décrite par Nonaka et Takeuchi (1997). Celle-ci correspond
en effet, à la conversion du savoir tacite en savoir tacite, notamment par acquisition
directe d’une connaissance par imitation (apprentissage du geste, entraînement),
pratique, observation (consciente ou inconsciente), et interaction physique.
Globalement, nous comprenons pourquoi il était pertinent de se demander, comment,
dans un environnement en e-learning, les transmissions, les conversions, les
transformations, etc., de savoir se déroulaient et, surtout, comment elles pouvaient être
encadrées. Exprimé autrement, comment elles pouvaient être tutorées.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 141
CHAPITRE IV : L’APPROPRIATION DES TECHNOLOGIES DANS UN DISPOSITIF E-LEARNING
1 Eclaircissement de quelques concepts autour de l’appropriation et des technologies en question p.143
2 Les courants majeurs sur l’appropriation des technologies p.149
3 Conclusion p.172
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 142
CHAPITRE IV - L’APPROPRIATION DES TECHNOLOGIES DANS UN DISPOSITIF D’E-LEARNING
L’appropriation des technologies dans un environnement d’e-learning, par les
enseignants comme par les apprenants, est une préoccupation majeure dans nos travaux
de recherche. Nos étudiants en ligne finissent souvent par déclarer un jour ou l'autre :
« la technologie ne doit pas être un frein à notre apprentissage mais un levier ! ». La
récurrence de ce style de propos nous a amené à nous intéresser plus particulièrement
aux processus d'appropriation par les apprenants. Notre analyse porte sur deux niveaux :
le niveau individuel de l’appropriation de la technologie et le niveau collectif ou
organisationnel que nous ramènerons à notre groupe d’apprenants. Notre posture
cherche à comprendre les dynamiques et les processus d’appropriation de la technologie
dans le contexte formalisé de l’enseignement supérieur, et, tout particulièrement, dans le
cadre d’un dispositif d’e-learning. Nous discutons des interactions entre le tuteur en
ligne et les apprenants afin de progresser dans l’intelligibilité et dans la connaissance,
d’une part, du processus d’appropriation et, d’autre part, du rôle ou des rôles que peut
prendre le tuteur dans cette dynamique. Nous discutons également des détournements
éventuels dans l’utilisation de cette technologie, et les phénomènes organisationnels qui
en découlent.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 143
1 Eclaircissement de quelques concepts autour de l’appropriation et des
technologies en question
Avant de nous intéresser au concept d’appropriation, il nous semble utile de décrire
les technologies mises en œuvre dans un dispositif d’enseignement en ligne.
1.1 Les outils d’une plateforme d’e-learning
Comme nous l’avons précisé dans les chapitres précédents, un enseignement en ligne
est dispensé via internet, généralement à travers une plateforme technologique. Celle-ci
est constituée d’un ensemble de logiciels que Carton et al (2006, p.161) qualifient de
« coquilles vides qui vont se remplir des usages, interprétations, paramétrages...des
utilisateurs-finaux ». L’ensemble de ces éléments composent le dispositif
d’enseignement en ligne.
Nous trouvons sur le marché de nombreuses plateformes technologiques. Il s’agit de
logiciels. Ceux-ci peuvent être « propriétaires » ou « libres ». Le premier type fait
référence à des logiciels développés par des entreprises qui sont propriétaires du code
source, celui-ci étant alors non modifiable. L’acquisition de ce type de plateforme est
bien entendu payante. De nombreuses plateformes sont aujourd’hui « libres », le code
est accessible et modifiable. La plupart d’entre elles sont gratuites car développées par
une communauté de programmeurs bénévoles. C’est ce qu’on appelle les « open-source
community-based tools for learning ». Citons parmi les plus utilisées en France :
Moodle, Dokeos, et Claroline.
Les plateformes sont généralement réparties en trois grands espaces. Nous trouvons
tout d’abord un espace de cours41 qui regroupe à la fois des espaces de mise en ligne de
contenus de cours, des espaces de stockage de documents complémentaires, ou encore
des « activités » qui sont proposées aux apprenants et disponibles au sein de la
plateforme. Des outils multimédias permettent de préparer des séquences de cours, des
exercices, des questionnaires, des examens. Ils ont alors plutôt une vocation didactique.
Dans l’espace collaboratif, nous trouvons des outils tels que messagerie, forums,
chats (messagerie instantanée) qui sont les plus couramment utilisés. Ils sont de type
synchrones (l’émetteur et le récepteur sont connectés au même moment) ou asynchrones 41 La terminologie peut varier d’une plateforme à l’autre ; mais le concept reste identique.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 144
(échanges en temps différé). D’autres technologies peuvent également être mobilisées
telles que celles permettant la visioconférence, les classes virtuelles, le partage d’un
tableau blanc en temps réel, etc… Tous ces outils permettent les interactions entre
enseignants(-tuteurs) et apprenants, entre apprenants, entre enseignants(-tuteurs), ou
encore entre le personnel administratif et les autres acteurs - qu’ils soient apprenants ou
enseignants-.
Les plateformes prévoient également un espace d’administration pour le suivi des
apprenants : planning de la formation ;; autorisation d’accès ; gestion des apprenants, des
administratifs, des groupes, des enseignants et des tuteurs ; gestion des parcours de
formation (choix des modules) ; gestion des notes. Ce dernier espace est encore
actuellement celui qui est le moins développé dans les plateformes existantes, et
l’intégration dans les systèmes d’information – notamment des universités - reste
insuffisante du fait des procédures complexes d’inscription et d’identification des
étudiants.
L’ensemble de ces outils logiciels forme ce qu’on appelle communément une
plateforme d’e-learning.
1.2 Introduction au concept d’appropriation
Après la présentation de l’ensemble des outils que l’on trouve regroupés dans une
plateforme d’enseignement en ligne, on comprend que des chercheurs de nombreuses
disciplines se sont intéressés au concept d’appropriation des technologies. Ce terme est
fréquemment utilisé mais associé – à tort - à « utilisation », « usage », « pratique »,
« acceptation », « adoption ». Bien que proches, ces termes expriment en fait des
notions différentes que nous explicitons dans le paragraphe suivant (§1.3).
L’introduction d’un objet technique, d’une technologie sont considérés comme une
innovation technique. La prolifération de littérature autour de l’appropriation de la
technologie montre l’intérêt croissant des chercheurs à aborder le passage d’une
innovation technique à une innovation sociale (Paquelin, 2009).
Il existe un consensus scientifique en Sciences Humaines pour dire que
l’appropriation est un processus, et que le phénomène peut être étudié de manière
individuelle, mais aussi collective.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 145
Massard (2007) a identifié trois types de processus :
- Les chercheurs en Sciences d’Education, Sciences du Langage ou en Ergonomie,
ont cherché à comprendre comment les individus s’approprient un langage, des
savoirs ou encore des connaissances sur un outil informatique. Ils se rejoignent pour
exprimer l’idée commune de processus cognitif qui permet à un individu de
« rééquilibrer » sa structure cognitive suite à des perturbations dans son
environnement. Le résultat est une stabilité retrouvée dans la structure de l’individu.
Le concept d’appropriation recouvre alors les notions d’ « acquisition » - processus
d’appropriation dit naturel se déroulant entre l’individu et son environnement
(Piaget, 1998)-, d’« adaptation » - réorganisation interne des connaissances chez un
être en développement évoluant dans un milieu qui se modifie (Piaget, Inhelder,
1992) -, et d’« apprentissage » – processus d’appropriation dit artificiel et pour
lequel des acteurs interviennent pour favoriser l’acquisition de connaissance
(Chomsky, 1971) -.
- Dans la communauté des sociologues et des chercheurs en Sciences de l’Information
et de la Communication étudiant l’appropriation des technologies, celle-ci est perçue
comme un processus de construction de sens. L’individu va investir des
significations, des valeurs, dans l’usage de l’outil. Il en résultera un écart d’usage
entre ceux imaginés par les concepteurs et ceux effectifs des utilisateurs. Ce
détournement d’usage n’est pas à considérer négativement ;; l’acteur a ici un rôle
actif et créatif dans le processus d’appropriation (Perriault, 1989 ; De Certeau,
1990 ; Dosse, 2003). Le processus individuel de construction de sens de la
technologie par l’utilisateur a pour effet d’inscrire l’usager dans une identité
collective (Sainsaulieu, 1987 ; Bernoux, 2002).
- Les Sciences de Gestion, quant à elles, parlent plus volontiers de processus de formation de pratiques par lequel les routines de l’organisation vont se construire
sur les bases de propriétés de la technologie. Le résultat est une stabilité en termes
de structure de l’organisation suite à des transformations structurelles plus ou moins
importantes. Le processus d’appropriation peut être assimilé à une transition entre
deux périodes caractérisées chacune par la stabilité des routines. Le terme
« routine » est utilisé pour expliquer des agissements de récurrences dans
l’utilisation d’une nouvelle technologie. Le processus d’appropriation est la période
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 146
durant laquelle de nouvelles routines se forment sur la base des propriétés
structurelles de la technologie, à partir du moment où la technologie a été intégrée
comme un élément de la structure sociale (Houzé, 2000 ; De Vaujany 2001, 2003).
A la différence des travaux de Guillevic (1981), Houzé précise, dans les résultats de
sa recherche sur l’appropriation de TIC par un groupe distant, que l’appropriation ne
peut être caractérisée par un résultat dans le sens où elle ne peut être exprimée en
termes de succès ou d’échec (bonne ou mauvaise) pour l’utilisateur (Houzé, 2000).
Toutefois, ces travaux laissent à penser que le résultat du processus d’appropriation
se manifeste par la stabilisation des routines incluant les propriétés structurelles de
la technologie.
A partir de ces travaux, nous abordons, dans un premier temps, différentes
définitions autour du concept d’appropriation. Dans un second temps, nous évoquons
les grands courants de pensée autour du processus d’appropriation dans les différentes
disciplines. Une troisième partie de ce chapitre exposera les raisons qui nous ont
poussée à laisser de côté certaines théories au profit de celle de la structuration
(Orlikowski, 1992, 2000, 2004).
1.3 Quelques définitions autour du concept d’appropriation
L’appropriation est une notion polysémique et transdisciplinaire, dont les contours
sont flous (Proulx, 2001). Comme nous l’avons souligné plus haut, ce terme est souvent
associé à d’autres - tels que « utilisation », « usage », « pratique », « acceptation »,
« adoption » - qui relèvent pourtant de notions différentes. Pour clarifier notre propos, il
nous semble utile d’en donner les définitions.
L’ « utilisation » d’une technologie de l’information et de la communication (TIC)
se rapporte à l’interaction entre l’humain et l’ordinateur, et s’intéresse aux interactions
avec les interfaces. L’ « usage » revêt un sens plus large. Dans une perspective
sociologique, il est plutôt employé pour décrire le cadre social qui englobe les
interactions entre les humains et les machines (Proulx, ibid). L’usage correspond alors à
ce que font effectivement les acteurs avec les objets techniques. Il renvoie à l’utilisation
d’une technologie repérable et analysable à travers des pratiques et des représentations
spécifiques (Millerand, 1999). Il ne faut néanmoins pas le confondre avec l’« usage
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 147
social » qui correspond à un mode d’utilisation récurrent de l’objet, sous la forme
d’habitudes. Millerand (1999) rapproche, par ces définitions, « usages sociaux » et
« pratique ». Néanmoins, Jouët (1993, p.371) considère l’usage comme une simple
utilisation ; alors que la pratique est pour lui « une notion plus élaborée qui recouvre
non seulement l’emploi des techniques (l’usage);; mais aussi les comportements, les
attitudes et les représentations des individus qui se rapportent directement ou
indirectement à l’objet ». Ces quelques précisions sur ce que recouvrent les termes
d’utilisation, d’usage, et de pratique montrent la confusion qui règne souvent autour de
ces concepts. La notion d’ « acceptabilité » d’une technologie – grandement
développée par les chercheurs autour du modèle d’acceptation de la technologie
(T.A.M. – Technology Acceptance Model) développé initialement par Davis (1989) -
renvoie à la perception qu’a un individu de la valeur d’un système ou d’une technologie
(Brillet et al, 2010).
Le terme d’« appropriation » ajoute encore à la confusion au milieu de tout ce
vocabulaire autour des technologies. Nous allons tenter maintenant d’en clarifier la
signification, à travers quelques auteurs de référence, dans plusieurs disciplines qui s’y
intéressent, afin de mieux comprendre le concept – qu’il s’agisse d’appropriation d’une
technologie ou de tout autre objet.
Selon Proulx (2001), le moment de l’appropriation constitue le but ultime du
processus d’usage.
La notion d’appropriation est souvent rapportée au concept d’adaptation (Piaget et
Inhelder, 1992) qui recouvre la réorganisation interne des connaissances chez un être en
développement évoluant dans un milieu qui se modifie.
L’appropriation des connaissances est définie par Atkinson et Shiffrin (1968)
comme un processus de traitement des informations issues de l’environnement et
permettant à l’individu de nouvelles connaissances en mémoire. L’individu filtre les
informations, les traite et les mémorise. L’appropriation des connaissances est donc un
processus individuel, du fait qu’il relève d’une activité constructive personnelle
(Ghiglione et Richard, 2003).
L’appropriation de connaissances d’un outil informatique est le résultat des
représentations qu’a un individu du dispositif technique qu’il utilise. Ces représentations
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 148
– élaborées à partir de ses interactions avec l’artefact et ses interprétations du
comportement de l’artefact - ont pour fonction de guider son action. L’appropriation est
alors un processus dynamique et contextuel (Richard et al, 1990 ; Millerand, 2003).
Pour Guillevic (1988), l’appropriation cognitive d’un outil informatique
correspond à une régulation des perturbations par les éléments externes - aménagement
du système - ou internes - processus de compensation que développe l’individu pour
ramener son système cognitif à un état d’équilibre -.
L’appropriation effective d’une technologie par un agent humain suppose la
réunion de trois conditions (Breton, Proulx, 2002):
- une maîtrise cognitive et technique minimale de l’objet ou du dispositif technique ;
- une intégration sociale significative de l’usage de cette technologie dans la vie
quotidienne de l’agent humain ;
- la possibilité d’un geste de création rendu possible par les technologies, c’est-à-dire
que l’usage de l’objet technique fasse émerger de la nouveauté dans la vie de
l’usager.
Par conséquent, le résultat du processus cognitif de l’appropriation peut être
considéré comme un état d’équilibre après une phase de perturbation : rééquilibre du
système cognitif (Piaget, 1998), stabilité des niveaux d’utilisation (Guillevic, 1981), et
stabilisation des routines incluant des propriétés structurelles de la technologie (Houzé,
2000 ; De Vaujany 2001, 2003).
S’approprier une technologie de l’information et de la communication (TIC), c’est
« choisir parmi un ensemble de possible pour réinventer ‘sa’ machine » (Millerand,
2003, p.15).
L’appropriation de TIC dans l’organisation est un processus intermédiaire entre les
représentations – « façon de voir » - et les pratiques - « actions de faire » - (Jouët, 1993;
Prigent, 1995).
Nous nous inscrivons dans la perspective de De Vaujany (2005, p.83) pour qui
l’appropriation est « le processus par lequel des individus vont rendre un objet au début
forcément inconnu voire hostile, propre à un usage ».
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 149
Avant de développer les courants majeurs sur l’appropriation des technologies, il
nous semble nécessaire d’apporter une dernière précision de terminologie concernant
l’« adoption » d’une technologie ou d’une innovation – souvent confondue avec
l’appropriation de celle-ci-. L’adoption d’une innovation relève d’une décision, alors
que l’appropriation constitue un processus de mise en œuvre effective de cette
innovation (Brillet et al, 2010). Le processus d’adoption comprend, selon Damanpour et
Gopalakrishnan (1997), deux grandes activités réalisées de façon séquentielle :
l’initiation et l’implantation. L’initiation comprend les activités de recherche
d’information, conceptualisation et planification, en vue de l’adoption (Rogers, 1995).
C’est au cours de cette phase que s’opèrent la prise de conscience, la considération, puis
l’intention (ou non) d’implanter. En cas d’adoption, l’implantation est entamée (Rogers,
1995). Grover et Goslar (1993) précisent qu’une organisation adopte une technologie
lorsqu’elle décide de lui engager des ressources.
La question de l’appropriation des technologies a fait l’objet de nombreuses
recherches, tant en sociologie qu’en gestion. Le foisonnement de la littérature sur le
sujet atteste d’un intérêt sociétal pour cette question (Paquelin, 2009). Renvoyant à des
définitions différentes du concept et induisant des angles d’analyses divers, quelques
courants majeurs émergent dans ce domaine.
2 Les courants majeurs sur l’appropriation des technologies
Deux courants majeurs émergent dans les travaux sur l’appropriation des
technologies ;; d’une part, Alter (2000) et les sociologues de l’innovation, et d’autre part,
le courant structurationniste (Barley, 1986 ; De Sanctis et Poole 1990, 1992, 1994 ;
Orlikowski, 1992 ; Orlikowski et al 1995, 1999 ; Orlikowski 2000).
Un troisième courant s’intéresse aux usages des TIC, mais plutôt dans une
perspective d’assimilation (De Vaujany, 2005). Celui-ci regroupe la théorie de la
diffusion (Rogers, 1962, 1995), les travaux sur l’acceptabilité de la technologie et le
modèle TAM (Davis, 1989 puis Davis et al, 1989 ; TAM2 - Venkatesh et Davis, 2000 ;
UTAUT – Venkatesh et al, 2003 ; TAM3 – Venkatesh et Bala, 2008), et le modèle de
l’alignement stratégique des technologies de l’information – SAM – (Henderson et
Venkatraman, 1993 ; Venkatraman, 1994, 1995). Ces modèles de base, à visée
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 150
explicative, ne nous éclairent pas sur le processus d'appropriation (Reix, 2002). De plus,
ces travaux s’inscrivent dans le cadre théorique de la théorie de la contingence et
étudient les relations entre NTIC et performance. Selon une méta-analyse de l’adoption
des environnements d’e-learning dans l’enseignement supérieur aux Etats-Unis
(Casanovas, 2010), le contexte théorique qui structure l’adoption individuelle de l’e-
learning dans les institutions d’enseignement supérieur est communément (la plus
largement citée) la théorie de la diffusion des innovations de Rogers (1995). Notre
problématique de recherche ne portant pas sur la performance, nous ne retiendrons pas,
pour notre recherche, les travaux sur la diffusion de l’innovation ou l’acceptation de la
technologie.
Nous abordons, dans un premier temps, l’approche des sociologues de l’innovation
portée par les travaux d’Alter (2000). L’auteur considère qu’il y a appropriation lorsque
les acteurs parviennent à apporter un sens à l’invention initiale. Cette approche nous
paraît importante du fait du rôle particulier de l’acteur en capacité de créer un sens à
l’usage. De plus, nous portons un intérêt tout particulier au fait qu’il assimile
l’appropriation à l’apprentissage. Enfin, il a été pionnier- suivi ensuite par De Vaujany
(2001, 2003) - dans l’établissement d’une typologie des acteurs, que nous exposons.
Malgré tout l’intérêt de ces travaux, nous expliquons pourquoi nous ne les retenons pas
pour notre recherche.
Dans un second temps, nous présentons les travaux sur l’appropriation de la
technologie dans une perspective structurationniste. Cette approche permet d’étudier les
usages à deux niveaux : individuel et organisationnel. Dans un environnement en e-
learning, ces deux niveaux sont essentiels pour comprendre l’appropriation des
technologies du fait du travail individuel de l’apprenant, et des interactions dans les
groupes. Cette double approche nous paraît donc pertinente pour nos travaux.
2.1 Alter et les sociologues de l’innovation
Pour Alter (2000), l’appropriation est le passage de l’invention à l’innovation ;
l’invention étant la conception d’une nouveauté – dans une logique du concepteur -, et
l’innovation représentant l’intégration de l’invention dans le milieu social. L’acteur
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 151
transforme l’invention en innovation en lui donnant du sens et de l’efficience, en
considérant l’ordre établi de l’organisation.
L’auteur oppose ainsi deux logiques : celle de l’innovation et celle de l’organisation.
« L’une et l’autre sont complémentaires mais antagoniques. L’innovation tire parti des
incertitudes : [...] elle ne se programme pas, ne se décrète pas. L’organisation a, au
contraire, pour but de réduire l’incertitude du fonctionnement des entreprises » (Alter,
2000, p.75). Norbert Alter et les sociologues de l’innovation précisent que ce n’est pas
l’outil qui a de la valeur ; mais les capacités créatrices des utilisateurs, leur
« inventivité ». La marge de liberté de l’acteur dans l’organisation a été mise en avant
par Crozier et Friedberg (1977). Ils ont montré l’écart existant entre la théorie et la
réalité en matière de perception du fonctionnement de l’organisation, et donc des
actions qui en résultent. Ce phénomène s’explique par le fait que l’acteur, même dans
des situations extrêmes, garde toujours un minimum de liberté qu’il ne peut s’empêcher
d’utiliser.
Pour Alter (2000, p. 77), la trajectoire d’une innovation se décompose en trois
temps : incitation, appropriation et institutionnalisation. L’incitation correspond à
l’invention d’un nouveau dispositif. L’appropriation fait suite à une modification
structurelle : modification des règles et des ressources qui organisent habituellement
l’action. Elle a lieu lorsque les acteurs donnent sens au système par des pratiques
sociales existantes et la création de nouvelles pratiques. L’auteur assimile
l’appropriation à une phase d’apprentissage. L’institutionnalisation, quant à elle, traduit
les transformations des pratiques innovatrices en règles : « L’institutionnalisation a
pour objectif d’assurer un équilibre entre plusieurs acteurs et ne fait donc pas que
transformer en loi des pratiques qui étaient de l’ordre de l’informel : elle réduit les
incertitudes » (Alter,2000, p. 83).
Dans cette perspective, l’innovation pédagogique pourrait être considérée comme
une traduction de l’appropriation, et supposerait des transformations des pratiques
sociales consécutives à une modification structurelle. Cela nécessiterait une analyse des
recombinaisons spatio-temporelles et sociales des pratiques de l’acte de formation, et la
fonction des objets techniques dans leur triple dimension macro (l’institution) – méso
(le collectif) – micro (l’individu), dans les phases de conception et de mise en œuvre.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 152
Malgré l’intérêt de l’approche sociologique de l’innovation proposée par Alter, nous
ne retiendrons pas ces travaux pour notre recherche. L’intérêt qu’il porte à l’acteur en
capacité de créer un sens à l’usage nous semble important, il ne tient cependant pas
compte des interactions dans l’appropriation de l’innovation. Dans la lignée des travaux
structurationnistes, cette dimension nous paraît essentielle.
2.2 La perspective structurationniste
Dans cette partie, nous abordons la théorie de la structuration à partir des travaux de
Giddens (1979, 1984, 1987). Cette approche holiste, au niveau sociétal, permet une
compréhension globale des interactions entre les individus et les structures, et donc des
transformations induites. Ces travaux ont poussé certains chercheurs à transposer les
outils d’analyse de Giddens dans le champ des technologies en milieu organisationnel
(Barley, 1986 ; Orlikowski et Robey, 1991 ; Orlikowski, 1992). Le processus de
structuration en milieu organisationnel expliqué par Barley (1986) permet de mettre en
évidence les scripts d’interaction qui définissent « l’essence des rôles des acteurs »
(Barley, 1986, p.83). Il montre également l’importance du contexte dans lequel est
utilisée la technologie ;; puisque pour l’auteur, c’est celui-ci qui lui donne un sens. En
réaction au modèle quelque peu déterministe de la technologie de Barley, Orlikowski et
Robey (1991) puis Orlikowski (1992) proposent un modèle structurationnel basé sur la
dualité et la flexibilité interprétative de la technologie. Les acteurs humains peuvent être
concepteurs de la technologie, utilisateurs et preneurs de décision. Cette approche nous
intéresse tout particulièrement dans notre dispositif e-learning ; nous montrerons dans le
chapitre VI comment le tuteur en ligne interagit avec les apprenants et en quoi il peut
devenir co-concepteur du dispositif. Les travaux de De Sanctis et Poole (1994), que
nous abordons ensuite, réunissent deux concepts majeurs : celui de la structuration de
Giddens (1979) et celui de l’appropriation (Ollman, 1991). Ils permettent ainsi de
conceptualiser le détournement des usages par les utilisateurs et de modifier la structure
inscrite par les concepteurs de la technologie. Néanmoins, Orlikowski (2000), en
réponse à cette approche qui considère la technologie comme difficilement modifiable
une fois stabilisée, développe sa théorie de la « technologie en pratique » portée par le
« concept d’enactment » emprunté à Weick (1979). A travers l’engagement régulier des
utilisateurs avec une technologie, ils façonnent la structure de la technologie comme
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 153
celle-ci façonne leurs usages. Orlikowski (2000) affirme que son cadre théorique permet
de fournir un cadre d’analyse des innovations dans les usages.
Nous nous proposons donc de l’appliquer dans le cadre d’un enseignement en ligne.
Les technologies mises en œuvre dans un dispositif d’e-learning au sein d’une
organisation sont des coquilles vides qui vont se remplir des usages, interprétations,
paramétrages, et contenus des enseignants, apprenants et gestionnaires.
Ces travaux trouvent leur origine dans la théorie de la structuration d’Anthony
Giddens (1984).
2.2.1 La théorie de la structuration de Giddens
Cette théorie permet de concevoir les actions des individus ainsi que les structures,
en se focalisant sur les interactions. En effet, Giddens examine les relations entre les
individus de systèmes sociaux et la structure sociale. Les systèmes sociaux peuvent être
définis comme « des relations entre acteurs ou collectivités, reproduites et organisées
en tant que pratiques sociales particulières » (Giddens, 1984). La structure sociale est
définie comme des « règles et ressources, ou ensemble de relations de transformation,
organisées en tant que propriétés de systèmes sociaux ».
L’introduction du temps et de l’espace pour spécifier le rôle des acteurs permet de
concevoir l’organisation comme un tout non homogène ; comme une pluralité de
situations spatiales et temporelles dans lesquelles des acteurs différents et situés à des
niveaux différents de l’organisation peuvent mettre en œuvre des règles et des
ressources différentes. En fait, l’utilisation de la différenciation par Giddens est
nettement plus forte. Il introduit le concept de régionalisation pour signifier l’existence
de plusieurs processus de structuration de l’organisation en fonction des « différentes
régions » dans l’organisation et dans les relations de celle-ci avec les différents
environnements.
La structuration est issue de la sociologie et cherche à expliquer la constitution du
social. Selon cette théorie, le social se constitue par les interactions.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 154
Contrôle l’action et l’oriente
2.2.1.1 Les trois principes fondamentaux de la théorie de la structuration
La théorie de la structuration de Giddens comporte trois principes fondamentaux:
2.2.1.1.1 Le contrôle réflexif de l’action
Le principe de contrôle réflexif propose d’appréhender la relation entre l’acteur et
l’action comme indissociable : l’acteur exerce continuellement un contrôle réflexif dans
l’accomplissement de son action et de celle des autres acteurs en coprésence. Selon
Giddens (1987, p.19), la réflexivité est «conçue comme l’usage systémique et régularisé
d’information pour orienter et contrôler la reproduction des systèmes sociaux».
Le contrôle réflexif (figure 20) doit ainsi être compris dans les deux sens de la
relation: d’un côté, l’acteur contrôle son action et l’oriente, et de l’autre, l’action
orientée fournit à l’acteur de nouvelles sources d’information à prendre en compte à
nouveau. L’action et l’acteur se retrouvent alors dans une relation de causalité circulaire
et répétitive (Kéfi et Kalika, 2004).
Acteur Action
Le contrôle réflexif est un aspect incontournable dans la compréhension du principe
de la dualité du structurel. En effet, Giddens (1987, p.76) précise : « la structuration n’a
pas d’existence indépendante du savoir qu’ont les agents de ce qu’ils font dans leurs
activités de tous les jours ».
Pour Rojot (2000, p.71) : « La récursivité implique qu'il n’existe pas de relations
univoques « cause-effet » mais bien des relations circulaires, des anneaux de causalité,
dans la terminologie de Weick (1979) ».
Orientée, l’action fournie une nouvelle source d’information
Figure 20 - Principe de contrôle réflexif dans la théorie de la structuration
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 155
Produisent et reproduisent des PS
2.2.1.1.2 La dualité du structurel
Giddens (1984) distingue dans la notion de structure deux dimensions différentes :
− Un ordre matériel et observable.
− Un ordre virtuel de modes de structuration engagés de façon récursive dans la
reproduction de pratiques situées dans le temps et dans l’espace42.
Dans cette définition, Giddens présente donc les notions d’action et de structure
(prise dans son sens le plus large, c'est-à-dire dans ses deux dimensions) comme
indissociables. Même si Giddens (1984) insiste dans ses travaux sur la construction
sociale des propriétés structurelles, il ne néglige pas la dimension matérielle de ces
structures et les présente comme des propriétés institutionnelles sous la forme de
modèles régularisés et identifiables. A partir de là, Giddens (1987, p.15) a « développé
l’idée de ‘dualité du structurel’ selon laquelle les propriétés structurelles des systèmes
sociaux sont à la fois des conditions et des résultats des activités accomplies par les
agents qui font partie de ce système ».
La dualité du structurel (figure 21) renvoie alors à une construction mutuelle et
répétitive de propriétés structurelles par les activités accomplies, et vice versa : les
actions produisent et reproduisent des propriétés structurelles qui représentent à la fois
des contraintes et de ressources à ces actions. Les propriétés structurelles des systèmes
sociaux sont à la fois des conditions et des résultats des activités accomplies par les
agents qui font partie de ces systèmes.
Action Propriétés structurelles
42 Dans une note du traducteur de la version française de 1987, Michel Audet, on retrouve bien
cette distinction dans le choix des termes même de la traduction : « J’ai traduit le terme anglais « structure » par [le] « structurel » à chaque fois que l’auteur utilise ce terme dans son sens le plus abstrait et le plus global. Procéder ainsi permet de traiter du « structurel » sans laisser entendre que ce à quoi ce terme fait référence existe en tant que « structure » qui serait concrète-réelle, matérielle, observable. Dans la théorie de la structuration, l’absence d’une telle insinuation est cruciale. » (Ndt. Giddens, 1987, p. 47).
Contraignent et facilitent l’action
Figure 21 - La dualité du structurel dans la théorie de la structuration
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 156
Ainsi, Giddens refuse la conception du rapport entre la structure (prise dans son sens
large) et l’acteur comme un rapport de dualisme dans lequel l’un supporte et
conditionne l’autre;; relation qu’il explicite avec l’analogie, emprunté au structuro-
fonctionnalisme, avec l’anatomie du corps ou la charpente d’un édifice (Giddens, 1987,
p.15). L’objectif de Giddens est de dépasser ce dualisme pour établir une dualité
(Giddens, 1987, p. 31). L’analogie qu’il propose alors est celle du langage et de la
parole : l’apprentissage d’une langue contraint (règles de syntaxe, d’élocution…) et
facilite la parole (possibilité de communiquer…). Cette parole permet à son tour de
produire et de reproduire les propriétés et caractéristiques de cette langue.
Si la métaphore du langage et de la parole a pu expliciter le concept de la dualité du
structurel, sa portée explicative ne peut s’étendre à l’élucidation de la construction du
système social (Giddens, 1987, p.74). En effet, dans une société, les propriétés
structurelles ne sont pas nécessairement partagées par tous les acteurs (tel le partage des
règles de langue d’un même groupe linguistique). L’intégration de la dimension espace-
temps permettrait de mieux expliciter comment les propriétés structurelles permettent
de construire le système social.
2.2.1.1.3 La dimension spatio-temporelle de l’action
Giddens présente l’espace-temps comme étant la dimension à partir de laquelle se
forme le système social. Il reproche aux scientifiques des sciences sociales d’avoir
négligé cette dimension dans l’étude de la formation du système social qu’il définit
(Giddens, 1987, p.444) comme la « formation, à travers l’espace-temps, de modèles
régularisés de relations sociales conçues comme des pratiques reproduites ».
Précisément, l'auteur (1987, p. 163) souligne que les chercheurs des sciences sociales
« n’ont pas du tout développé leur pensée à partir des modes de constitution des
systèmes sociaux dans l’espace-temps. […] Le « problème de l’ordre » tel qu’il se pose
dans la théorie de la structuration rend impérative l’étude de cette question. […] Elle
est au cœur de la théorie du social telle qu’elle apparaît à travers le concept de
structuration et, en conséquence, elle est d’une importance considérable pour la
conduite des recherches empiriques dans les sciences sociales ».
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 157
Dualité du structurel
Comme nous l'illustrons dans la figure suivante (figure 22), à travers la dimension
espace-temps, les pratiques se structurent -sur la base du principe de la dualité du
structurel- pour donner lieu au système social.
Propriétés structurelles Système social
La dimension spatio-temporelle est aussi importante dans la segmentation des
propriétés structurelles (Giddens, 1987, p.66) :
− Les propriétés structurelles, les plus profondément ancrées, celles qui sont
engagées dans la reproduction des totalités sociétales.
− Les propriétés institutionnelles, les pratiques qui ont la plus grande extension
spatio-temporelle dans ces totalités sociétales.
Giddens (1987, p.76) reprend l’articulation entre les trois principes présentés plus
haut comme suit : « La dualité du structurel est toujours le principal fondement de la
continuité dans la reproduction sociale à travers l’espace-temps. De plus elle
présuppose le contrôle réflexif des agents dans la durée de l’activité sociale
quotidienne, un contrôle réflexif qui, au même temps constitue cette durée ».
Par l’élargissement de cette base théorique, différents auteurs (Barley, 1986 ;
Orlikowski, 1992 ; Orlikowski et al, 1995, 1999 ; De Sanctis et Poole, 1990, 1992,
1994) soutiennent que les nouvelles technologies structurent autant l’organisation et les
rapports sociaux en son sein que ceux-ci ne l’influencent.
Temps et espace
Figure 22 - La dimension spatio-temporelle dans la théorie de la structuration
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 158
2.2.1.2 La transposition des travaux de Giddens à l’analyse des technologies en
milieu organisationnel
2.2.1.2.1 Les scripts d’interactions de Barley (1986)
Le premier chercheur à s’être engagé dans une transposition de la théorie de la
structuration pour comprendre les relations entre technologies et organisation est Barley
(1986). L’auteur propose de montrer comment la technologie et les pratiques
institutionnelles interagissent. L’intérêt du travail de Barley est de conserver le caractère
récursif des interactions entre action et structurel initié par Giddens. Dans sa recherche,
il s’intéresse à l’évolution des interactions entre radiologues et techniciens lors de la
mise en place de scanners, en milieu hospitalier, au sein de deux départements. Il
constate des séquences régulières d’interactions entre les acteurs, qu’il nomme « scripts
d’interactions » et qu’il définit (Barley, 1986, p.83) comme « des descriptions de
modèles d’interactions récurrentes qui définissent [...] l’essence des rôles des acteurs ».
L’auteur s’attache, dans son modèle, à montrer la manière dont les contraintes
institutionnelles et les actions s’encadrent les unes les autres. Il montre également
l’importance du contexte dans lequel est utilisée la technologie. Enfin, Barley considère
la technologie comme figée. Il n’envisage pas de modifications physiques au cours du
temps et de son usage ; et refuse que la technologie puisse influencer l’acteur par son
usage récurrent (Guiderdoni-Jourdain, 2009).
2.2.1.2.2 Le modèle structurationnel (Orlikowski et Robey, 1991 ; Orlikowski, 1992)
En réaction au modèle empreint de déterminisme technologique de Barley (1986),
Orlikowski et Robey (1991) puis Orlikowski (1992) proposent un modèle basé sur la
dualité et la flexibilité interprétative de la technologie.
Il est intéressant de commencer cette section en soulignant, car cela constitue une
originalité, qu'Orlikowski a changé sa manière de conceptualiser la technologie à
différentes occasions considérant que la structuration n'offrait pas vraiment de pistes.
Dans un premier temps, et dans la lignée des travaux qu’elle a publiés avec Robey en
1991, elle traite la technologie davantage comme une entité matérielle (Orlikowski,
1992). Elle utilise alors la technologie pour penser la dualité avec le structurel et
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 159
considère que la technologie est à la fois le résultat de l'action humaine et son médium.
Le principe de la dualité de la technologie consiste à penser la technologie comme étant
à la fois le résultat et le moyen de l’action humaine. La technologie apparaît comme un
construit social résultant de l’action humaine et des propriétés structurelles du système
organisationnel.
Lorsqu’Orlikowski parle de flexibilité interprétative, elle fait référence « au degré
auquel les utilisateurs d’une technologie sont engagés physiquement et/ou socialement
dans la constitution de celle-ci sur la phase de développement ou d’usage »
(Orlikowski, 1992, p.409)
Orlikowski schématise ces deux notions – dualité de la technologie et flexibilité
interprétative – à travers son modèle structurationnel qui prend trois composants : les
acteurs, la technologie, et les propriétés institutionnelles de l’organisation (figure 23):
Figure 23 –– La dualité structurelle de la technologie
(adaptée d’Orlikowski (1992) et traduit par nous)
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 160
Selon Orlikowski, il existe quatre interactions symbolisées par quatre flèches :
- La technologie est un artefact humain ; elle est socialement construite (flèche a) :
elle n’existe qu’à travers l’action créative humaine, sa maintenance et l’adaptation
qu’elle en fait. Ce n’est donc que par l’appropriation que les hommes font de la
technologie que celle-ci joue un rôle signifiant et qu’elle exerce une influence. La
plupart des contraintes d’utilisation de la technologie ne viennent pas de la
technologie elle-même mais sont institutionnelles.
- La technologie ne peut pas déterminer les pratiques sociales; elle peut seulement les
conditionner (flèche b). Elle est le médium de l’action humaine. Elle facilite ses
pratiques et, en même temps, les contraint. L’auteur qualifie cette relation
d’influence duale.
- Quand les hommes agissent sur la technologie (design, appropriation, modification)
(flèche c), ils le font en fonction des conditions institutionnelles d’interactions avec
la technologie. Celle-ci est donc construite et utilisée selon certaines circonstances
sociales et historiques.
- La technologie influence l’institution par l’utilisation qui est faite de cette
technologie. Selon Weick (1970) (flèche d) : « La technologie est un environnement
énacté »43. L’appropriation et l’usage de la technologie renforcent ou changent la
signification, la domination et la légitimité des structures institutionnelles.
Orlikowski attribue un rôle central à la structuration. L’intérêt de son modèle est de
considérer la structuration comme un processus dialectique et dynamique encastré
historiquement et contextuellement (Guiderdoni-Jourdain, 2009).
2.2.1.2.3 La théorie de la structuration adaptative de De Sanctis et Poole (1994)
Les travaux de De Sanctis et Poole (1994) réunissent deux concepts majeurs : celui
de la structuration de Giddens (1979, 1984) et celui de l’appropriation (Ollman, 1991).
Les auteurs pensent que les effets des technologies en milieu organisationnel sont moins
dûs à la technologie elle-même qu’à la façon dont celle-ci est utilisée par les individus.
En présence d’une technologie, les usages sont hétérogènes. Certaines personnes
43 Notre traduction de: « Technology is an ‘enacted environment’ »
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 161
adaptent les technologies en fonction de leur besoin, d’autres y résistent. De Sanctis et
Poole proposent la Théorie de la Structuration Adaptative (TSA) pour conceptualiser les
changements organisationnels liés à l’introduction des technologies de l’information.
La TSA permet à la fois d’interpréter les structures sociales contenues dans les
technologies, et les processus clés d’interaction qui conduisent à l’usage de ces
technologies. Ils considèrent l’appropriation comme les actions visibles qui mettent en
évidence des processus de structuration. Les auteurs précisent (p.130) : « Le concept
d’appropriation inclut les intentions voulues ou les significations que les groupes
assignent à la technologie qu’ils utilisent ». Ils définissent le concept d’appropriation
comme « les actions immédiates et visibles qui mettent en évidence des processus de
structuration plus profonds » (De Sanctis et Poole, 1994, p. 128).
Toute la richesse de cette théorie est de montrer que l’usage d’une technologie n’est
pas seulement déterminé par les propres caractéristiques techniques de celle-ci ; mais
surtout par la rencontre entre technologie, environnement organisationnel et travail
(Guiderdoni-Jourdain, 2009). Il s’agit de comprendre les dynamiques du changement de
structures sociales à travers l’usage d’une technologie.
Pour les auteurs de cette théorie, mieux comprendre l’application d’une technologie
permet également d’améliorer la phase de conception.
De Sanctis et Poole établissent un lien fort entre le processus d’appropriation et la
structure décisionnelle du groupe des utilisateurs de la technologie étudiée. Ils
expliquent (1994, p.130) qu’« une structure donnée peut être appropriée assez
différemment selon le système interne du groupe, qui se définit par la nature même des
membres et de leur relation à l’intérieur du groupe ». Enfin, l’analyse de
l’appropriation se fait à trois niveaux : micro, global et institutionnel.
La théorie de De Sanctis et Poole a été critiquée par de nombreux auteurs.
Orlikowski (2000) reproche aux auteurs l’hypothèse de structures incarnées dans la
technologie. De Vaujany (2001), Giordano et Groleau (2004) et Hussenot (20008)
relèvent des propositions théoriques qui vont souvent à l’encontre de la pensée de
Giddens. Plus particulièrement, De Vaujany (2001, p.88) précise : « Reconnaître une
influence inhérente des structures de la technologie est contraire au principe
d’instanciation ». Enfin, De Sanctis et Poole (1994), dans une perspective déterministe,
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 162
n’appréhendent l’appropriation que sous l’angle de l’influence de la technologie sur les
usagers, sans en accepter le principe de réciprocité.
2.2.1.2.4 Les trois postulats de la théorie de la structuration
La théorie de la structuration liée aux technologies de l’information et de la
communication (TIC), malgré l’hétérogénéité des modèles s’y rapportant, recouvrent
principalement trois postulats théoriques (De Vaujany, 2000).
Le premier postulat repose sur « l’équivocité de la technologie » (De Vaujany,
2000). Les technologies de l’information et de la communication sont par leurs aspects
sociaux et techniques vues comme équivoques (Orlikowski, 1992). La notion
d’équivocité s’apparente, en fait, à des perceptions divergentes et concomitantes des
TIC. Par exemple, les TIC peuvent être vues tant comme un outil coercitif – Big Brother
– que comme un outil libérateur – constitution de collectifs via le web. Les TIC sont
ainsi l’objet d’utilisations variées. La notion de « flexibilité interprétative » développé
par Orlikowski fait référence à l’implication des utilisateurs dans la constitution sociale
ou physique de la technologie. Cela s’explique, selon de Vaujany (2000), par trois
évolutions majeures. La première raison qui explique le caractère équivoque des TIC est
le fait que celles-ci sont conçues de moins en moins comme des systèmes restrictifs et
contraignants. La deuxième raison, se rapportant au contexte social de l’usage de la
technologie, est liée à l’évolution des modes de management que beaucoup qualifient de
plus décentralisés et moins hiérarchiques. Et enfin, le dernier facteur explicatif est lié au
niveau de qualification et de formation des utilisateurs jugé de plus en plus élevé.
Le second postulat revisite le déterminisme technologique en le nuançant
clairement. Pour résumer la vision de ce courant, cette célèbre citation d’Alsène (1990)
paraît particulièrement pertinente : « Si la technologie ne détermine pas grand-chose,
elle ne détermine pas rien pour autant. Une certaine logique structurante est à
l’œuvre ». La logique développée ici ne caractérise ni la technologie comme neutre, ni
comme déterministe ;; mais bel et bien comme structurante de l’action sociale. Les TIC
sont perçues autant comme un « champ de contraintes que d’opportunités » (Huault,
1997).
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 163
Enfin, le troisième postulat porte sur l’usage des TIC. Les utilisations faites des TIC
se voient qualifiées de processus de structuration. Les usages des TIC s’intègrent de fait
dans un contexte historique, social, culturel qui conditionne les interactions entre
l’utilisateur et la technologie. Ainsi, les TIC font évoluer les structures sociales en
termes de signification, légitimation et domination. Ces nouvelles structures joueront
ensuite un rôle dans la nature des usages.
2.2.1.2.5 Les quatre relations entre TIC et organisation
De nombreux chercheurs ont appuyé leur analyse des relations entre les technologies
de l’information et l’organisation sur la théorie de la structuration (Reix, 2002).
L’auteur précise que les acteurs, dans leurs tâches quotidiennes, improvisent avec les
technologies et que leurs utilisations de celles-ci évoluent au cours du temps. Certaines
modifications s’imposent et sont institutionnalisées. Pour l’auteur, la perspective
interactionniste enrichit et nuance la vision proposée notamment par les modèles
déterministes, en situant les actions des acteurs au sein de l’analyse. Néanmoins, il
considère qu’il est nécessaire d’intégrer la complexité et, pour ce faire, il identifie
quatre relations entre les TIC et l’organisation qui se dégagent de ce courant et qui sont
rattachées à des problématiques de gestion:
- (relation 1) les TIC facilitent et contraignent l’action des individus,
- (relation 2) les actions des acteurs construisent les TIC,
- (relation 3) les structures sociales, les propriétés institutionnelles affectent les
utilisateurs dans leur interaction avec la technologie,
- et enfin (relation 4) les interactions des acteurs avec la technologie
reproduisent ou transforment les structures sociales.
L’auteur précise que l’on trouve, dans la relation 1, les problématiques classiques de
l’adéquation de la technologie à la tâche. Il fait référence ici notamment à la flexibilité
des technologies. La relation 2 évoque à la fois les problèmes de conception et
d’implantation des systèmes d’information, et le processus individuel de chaque acteur,
qui émerge au cours de l’appropriation. Nous nous situons plutôt alors dans une
conception du processus d’appropriation dans la lignée des travaux de la théorie de la
diffusion et des travaux de Rogers. La relation 3 concerne plutôt l’approche de
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 164
l’adoption des technologies que l’on trouve essentiellement dans les travaux issus du
modèle TAM. Ces travaux se limitent souvent à l’adoption et n’éclairent pas le
processus d’appropriation. La relation 3 recouvre à la fois les problèmes de gestion des
TI et les phénomènes de pratiques des utilisateurs. Le courant du déterminisme
technologique a largement abondé pour expliquer la relation 4.
Ces trois postulats (De Vaujany, 2000) et les relations entre TIC et organisation
(Reix, 2002)- fondements théoriques de la théorie de la structuration associée aux TIC -
guideront notre compréhension de l’analyse des relations entre collaboration
électronique et processus d’appropriation.
2.2.2 Le modèle de la “technologie en pratique” d’Orlikowski (2000)
Comme nous l’avons précisé précédemment, Orlikowski a modifié son spectre
d'interrogation et elle a regardé la technologie dans la constitution du social
(Orlikowski, 1996). Précisément, rencontrant des difficultés dans son analyse, elle a
adopté une position différente pour penser la technologie comme une série de
contraintes et de possibilités qui sont actualisées dans l'action. Toutefois, la
conceptualisation de la technologie dans ce cadre théorique ne semble toujours pas
complètement satisfaisante. Ainsi, à partir de 2000, Orlikowski a plutôt parlé de
« technology in practice », autrement dit de « technologie en pratique ». En d'autres
termes, c'est vraiment dans la manière de l'actualiser que la technologie devient ce
qu'elle est (Orlikowski, 2000).
Orlikowki propose donc une extension à la perspective structurationnelle sur la
technologie qui développe une vision des pratiques pour examiner comment les gens,
alors qu’ils interagissent avec une technologie dans leurs pratiques en cours,
« enactent » les structures qui façonnent à leur tour leur utilisation émergente et située
de cette technologie. A travers son modèle, l’auteur cherche à analyser l’usage réel que
les utilisateurs font d’une technologie, et à voir, par cet usage, s’il y a renforcement ou
évolution des structures de l’organisation.
Le concept d’enactment est emprunté à Weick (1979). il permet de mettre l’accent
sur l’action de l’utilisateur. La construction récursive des acteurs dans leurs interactions
avec la technologie permet une analyse fine de l’usage réel qu’ils en font.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 165
Face à une technologie donnée, les utilisateurs font preuve d’une grande inventivité.
Orlikowski, se référant à la notion de flexibilité interprétative qu’elle a développée
quelques années plus tôt (1992), propose d’observer l’émergence de structures
nouvelles dans les interactions entre la technologie et les acteurs : « Si nous nous
focalisons sur les structures émergentes, plutôt que sur les structures incarnées, alors
une approche alternative de l’usage de la technologie devient possible, une approche
qui nous permettrait de concevoir ce que les utilisateurs font avec la technologie, non
en termes d’appropriation, mais plutôt en termes de mise en pratique… » (Orlikowski,
2000, p.407). Ce qu’elle appelle la « technologie en pratique » sont les pratiques ciblées
et répétitives que les utilisateurs font de la technologie.
Figure 24 – Enactment de la technologie en pratique (Orlikowski, 2000)
Orlikowski mobilise le cadre théorique de la structuration en considérant la
« technologie en pratique » comme une structure. Celle-ci – représentée par les
rectangles – est influencée par les autres structures existant dans le système. Toutes ces
structures et leurs interactions se concrétisent dans les relations sociales récurrentes.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 166
L’enactment d’une technologie est analysé par l’intermédiaire des « facilités »
(moyens), des normes (protocoles) et des schèmes interprétatifs qui caractérisent ces
structures.
Les technologies évoluent dans le temps. Orlikowski reconnaît le caractère instable
d’une technologie après son développement, du fait que, pour elle, les individus peuvent
redéfinir et modifier le sens, les propriétés et les applications d’une technologie après
son implantation.
La comparaison des conditions et des conséquences associées si des acteurs utilisent
la technologie et comment ils l’enactent, amène Orlikowski à dégager trois types
d’enactment : l’inertie, par laquelle les utilisateurs choisissent d’utiliser la technologie
pour maintenir la façon dont ils font les choses. Le résultat est le renforcement et la
préservation du statu quo structurel, avec aucun changement discernable dans les
pratiques de travail ou l’artefact technologique. Le second type d’enactment dégagé par
Orlikowski dans ses travaux est l’application. Il concerne les personnes qui choisissent
d’utiliser la technologie pour augmenter ou affiner leurs façons de faire les choses. De
ce comportement résulte le renforcement et l’accroissement du statu quo structurel, des
changements notables dans les données et/ou les outils de l’artefact technologique, et
des améliorations notables également des processus de travail. Enfin, le troisième type
d’enactment est le changement. Les personnes choisissent d’utiliser la nouvelle
technologie afin d’altérer substantiellement leur façon de faire les choses. Il s’agit alors
d’une transformation du statu quo structurel, et de modifications significatives des
pratiques de travail des utilisateurs ainsi que de l’artefact technologique. L’enactment
du changement est représenté par l’improvisation dans la technologie en pratique, où
des spécialistes utilisent la technologie pour expérimenter et implémenter de nouvelles
voies de travail et d’organisation, et pour adapter des aspects de leur outil et des
données qu’il contient.
2.2.3 La typologie des acteurs (Hussenot, 2007)
Hussenot (2007) propose une typologie des acteurs face à ces technologies.
Précisément, il suggère quatre catégories.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 167
Les « essentiels » se limitent aux règles et procédures établies. Leurs usages sont
identiques aux préconisations et aux normes de l’organisation. Ils ont une attitude
procédurière et des pratiques mécaniques.
Les « acharnés » sont très procéduriers dans l’utilisation du logiciel, et ont une
bonne connaissance de toutes les possibilités techniques de la solution TIC. L’aspect
technique est pour eux primordial. Ils font une exploitation intensive et rigoureuse de la
technologie.
Les « cultivés » ont peu de respect pour les procédures d’usage. Ils ont une bonne
culture technique, une organisation peu précise, des routines de travail en constante
évolution. Les « indifférents » ont une grande capacité d’adaptation aux nouveaux outils
mais un usage uniquement reproducteur de pratiques ancrées. Ils ignorent les nouvelles
pratiques induites dans l’outil et conservent les pratiques de travail. Ils ne font pas un
rejet de la technologie mais s’impliquent au minimum dans l’usage qu’ils en font.
Globalement, cette typologie nous semble particulièrement pertinente dans la mesure
où elle montre un éventail de comportements et d’usages face aux TIC.
2.2.4 Les archétypes technologiques et les trajectoires d’appropriation (De Vaujany,
2001, 2003)
Les travaux de De Vaujany (2001, 2003) apporte un double éclairage aux travaux sur
l’approche structurationniste de l’appropriation des technologies de l’information en
offrant, d’une part, une typologie d’archétypes de l’usage technologique dans les
organisations (De Vaujany, 2001), et, d’autre part, des trajectoires appropriatives
idéales-types (De Vaujany, 2003).
2.2.4.1 Les archétypes technologiques (De Vaujany, 2001)
De Vaujany (2003, p. 518) présente son modèle archétypique de 2001 comme une
synthèse des travaux structurationnistes : « Il ramène en fait les dynamiques sociales
liées à l’usage des technologies de l’information à trois cas extrêmes, lesquels serviront
de point d’ancrage au modèle archétypique ».
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 168
L’archétype neutre (N) : La TIC, si elle est utilisée, ne remet pas en cause les modes
de fonctionnement de l’organisation. De Vaujany (2003, p.518) précise : « La
technologie ne fait que se dissoudre dans des routines qui préexistaient à la mise en
œuvre du nouveau système ».
L’archétype régénéré (R) conduit à une nouvelle génération de pratiques, les
innovations sociales à l’usage.
L’archétype perturbé (P) voit l’émergence de conflits aux pouvoirs déstructurants et
pouvant amener à une rupture organisationnelle. Les tensions induites par les
incompatibilités entre la structure et les usages peuvent, selon De Vaujany (2003,
p.519) : « aboutir à l’interruption des processus à l’œuvre ».
Hussenot (2008) rapproche les archétypes technologiques de De Vaujany aux
situations psychosociologiques de Giddens (1987). Pour l’auteur, ils correspondent
respectivement :
- au sentiment maintenu de « sécurité ontologique » des acteurs – sentiment de
continuité de leurs actes -,
- au sentiment conservé de « sécurité ontologique » dans les usages, qui produisent
tout de même de nouvelles structures sociales,
- et enfin, au sentiment ontologique rompu, les usages ne pouvant reproduire des
structures sociales que dans un climat angoissant.
2.2.4.2 Les trajectoires d’appropriation (De Vaujany, 2003)
Les trajectoires appropriatives décrites par De Vaujany (2003) sont l’acception de
séquences successives de situations archétypiques. L’auteur propose trois trajectoires-
types :
- La trajectoire équilibrée – dite « trajectoire du point d’équilibre » - est
caractérisée par deux types de séquences archétypiques : N-P-R-N ou N-R-N.
Dans les deux cas, les innovations d’aujourd’hui deviennent les routines de
demain. Pour l’auteur, la routine et l’inertie sont des états courants des
systèmes sociotechniques, la routine étant l’état le plus fréquent.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 169
- La trajectoire improvisationnelle se caractérise par une modification des
paramétrages de la technologie, la finalisation de l’outil, et le changement des
rôles à intervalles réguliers. Dans ce cas, processus de structuration et usages
sont entremêlés et continus.
- La trajectoire catalytique met en évidence une technologie qui accélère un
processus social en cours.
Dans ses travaux, De Vaujany montre que les changements au niveau
organisationnel sont rares, et les interactions très localisées. L’auteur met en évidence
que les usagers font davantage évoluer leur forme d’enactment à l’occasion de
processus réflexifs majeurs liés à des chocs exogènes (De Vaujany, 2001).
2.3 La théorie de l’acteur-réseau (Akrich, Callon et Latour, 1988)
La perspective d’Akrich, Callon et Latour (1988) permet de suivre les acteurs et les
objets à travers le réseau sociotechnique qu’ils forment. Ainsi, l’appropriation d’une
TIC s’observe à travers le prisme de la dynamique de la traduction sociotechnique.
Cette théorie permet de mettre en exergue les éléments suivants :
- Les controverses renvoient au moment où un problème apparaît. Selon Callon
(2006), les réseaux sociotechniques sont des boîtes noires qui s’ouvrent
lorsqu’une controverse apparaît. On identifie alors les points de divergence
entre les acteurs et la technologie, les associations dans le réseau, ainsi que
les ruptures.
- Les compromis participent à la stabilisation du réseau sociotechnique en
fermant les controverses. Les compromis sont les conditions pour qu’une
alliance soit scellée et le réseau renforcé. Ils entraînent des irréversibilités
dans le réseau sociotechnique.
- Les porte-parole sont les médiateurs humains qui « traduisent » le projet –
d’où le nom de « théorie de la traduction » également donnée à la théorie de
l’acteur-réseau (Akrich, Callon et Latour, 1988). Les porte-parole, désignés
par le réseau, sont au carrefour des différents points de vue ; ils portent les
controverses et les clôturent.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 170
- Les objets de médiation sont les supports à la médiation non-humaine. Il
s’agira de distinguer les entités virtuelles ou physiques sur lesquelles
s’ancrent les controverses. Ils permettent de révéler les modalités et les
inscriptions de la traduction sociotechnique.
- Les boucles itératives correspondent, pour les acteurs, à des périodes précises
où l’implantation prend fin. Dans la théorie de l’acteur-réseau, l’appropriation
est perçue comme une dynamique de configuration et reconfiguration des
réseaux sociotechniques. Cette dynamique de changement est une succession
de boucles itératives.
Hussenot (2008, p.63) décrit la dynamique d’appropriation des TIC à travers le
prisme de la théorie de la traduction comme il suit : « chaque compromis suppose une
modification des actants (les acteurs et les TIC) qui concourent à faire naître de
nouvelles controverses qui s’ancreront sur de nouveaux objets de médiation. Aussi,
l’identification des ‘passes’ (Akrich, Callon et Latour, 1988), c’est-à-dire des
modifications sociotechniques du point de vue des acteurs, permettra de mettre en
évidence les compromis successifs et la naissance de nouvelles controverses ».
La théorie de l’acteur-réseau, tout comme la perspective structurationniste, souligne
la nécessité de traiter l’influence réciproque de la technologie chez l’acteur. Il est
cependant plutôt question ici de représentations partagées. Cette théorie aurait pu nous
permettre, articulée avec l’enactment des technologies, de montrer les interactions dans
le réseau d’actants et d’observer comme la dynamique d’appropriation produit et
reproduit un cadre social ( les propriétés structurelles) et des pratiques (les actions
situées récurrentes), aux niveaux à la fois individuel et collectif. Orlikowski, dans ses
travaux plus récents (Orlikowski, 2006, 2007) mobilise largement la théorie de l’acteur-
réseau. Alors qu’en 2000, elle mettait en exergue les « technologies en pratique », à
travers le rôle de la matérialité dans la constitution des acteurs et des organisations
(Orlikowski, 2006), elle accorde une place entière aux technologies. Considérant le rôle
de la technologie comme temporaire dans l’organisation, ses travaux sur l’adoption, la
diffusion et l’appropriation (Orlikowski, 2007) redonne de l’épaisseur à l’artefact
(Hussenot, 2008). Ses travaux se rapprochent ainsi de ceux portant sur la cognition
socialement distribuée (Hutchins, 1995) que nous avons évoqués au chapitre II. Les
artefacts ne sont plus uniquement porteurs de propriétés physiques ; mais ce sont des
actants à part entière.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 171
Néanmoins, pour pouvoir observer l’évolution des dynamiques d’appropriation, la
théorie de l’acteur-réseau nécessite la mise en place d’une méthodologie sur le terrain
de type recherche-action afin de permettre une large collecte de données. Ainsi, nous
verrons dans le chapitre suivant, lors de l’exposé de notre étude de cas, que la difficulté
d’accès au terrain ne nous permettait de mobiliser la théorie de la traduction. De même,
cette théorie est appropriée pour appréhender l’implantation d’une technologie entre
plusieurs organisations, voire plusieurs succursales d’une organisation. La vision
« organisante » permet alors la négociation, les compromis. Nous verrons également,
lors de la présentation de l’étude de cas, que cela ne correspond pas à la configuration
du dispositif observé. Ce dernier est, en effet, concentré dans une unique structure dans
laquelle existe déjà une vision managériale. L’apport de la théorie de l’acteur-réseau est
donc moindre.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 172
3 Conclusion
Un dispositif d’enseignement en ligne est généralement conçu par une équipe projet
composée d’acteurs externes et internes à l’organisation. Il est ensuite utilisé par des
acteurs qui n’ont pas participé à sa conception : les utilisateurs finaux, les apprenants
dans notre cas. Ces derniers sont donc concernés par la notion d’appropriation. Ils vont
s’approprier le dispositif afin de le rendre « propre à leur usage » pour paraphraser de
Vaujany (2005).
Dans le présent chapitre, nous avons montré que le processus d’appropriation débute
lorsque l’individu subit un changement dans son environnement, une perturbation.
L’implantation d’un dispositif d’enseignement en ligne dans une institution est un cas
typique de changement d’environnement pour l’apprentissage. Néanmoins, comme le
souligne Linard (1996), l’innovation n’est pas suffisante, il convient également de
« modifier le cadre traditionnel dans lequel s’insère l’innovation ». L’appropriation est
un processus propre à chaque individu. Il débute par les représentations de l’individu
sur son environnement et, en particulier, sur l’outil. Ces représentations guident l’action
de l’individu avec l’outil et ses actions vont réactualiser ses représentations. Ce
processus est également influencé par des éléments du contexte, tels que les relations de
l’individu avec les autres acteurs et les actions des autres acteurs. Nous comprenons
donc que les actions d’enseignement, de médiation, d’aménagement de l’outil sont
susceptibles de participer à ce processus. De même, l’appropriation peut alors être tenue
comme ce qui permet à l’apprenant de retrouver un état d’équilibre dans sa structure
cognitive suite à la phase de perturbation engendrée par la mise en place du dispositif en
ligne.
Enfin, nous avons montré que les éléments repris dans le tableau ci-après (Hussenot,
2008) et qui synthétise les principaux courants de la perspective structurationniste, nous
semble particulièrement pertinent pour rendre intelligible les processus d’appropriation
des apprenants dans les dispositifs e-learning.
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 173
Appropriation Enactment Trajectoires d’appropriation
Auteurs Orlikowski (1992) De Sanctis et Poole (1994)
Orlikowski (2000) De Vaujany (2001, 2003)
Focus de recherche
Prima de la technologie : la technologie est porteuse de propriétés structurelles
Prima de l’usage : le structurel émerge dans l’action
Enchaînement d’archétypes qui conduisent aux trajectoires d’appropriation
Limites Peu conforme avec la théorie de la structuration : propriétés structurelles considérées comme extérieures à l’acteur
Conforme avec la théorie de la structuration : les propriétés structurelles émergent chez l’acteur
Conforme avec la théorie de la structuration : récursivité pratiques-structurel
Convergence des résultats : modes d’appropriation
L’usage de la technologie conduit à deux grands résultats : Soit à reproduire le structurel, soit à produire de nouvelles propriétés structurelles.
Tableau 6 - Mise en perspective des travaux structurationnistes (Hussenot, 2008)
Dans la perspective de notre étude de cas, nous avons mobilisé et développé les
travaux relatifs à l’enactment des technologies (Orlikowski, 2000). Cela nous permet
d’observer les « technologies en pratique » chez les apprenants et d’analyser le rôle des
tuteurs dans ce processus. Ceci peut être schématisé de la façon suivante :
Figure 25 – Influence du tutorat sur les technologies en pratique
Dans cette perspective, si l’on considère les technologies, mises en œuvre au sein
d’une organisation, comme des espaces qui vont se remplir d’usages, d’interprétations
ou autres paramétrages et contenus des enseignants, apprenants et gestionnaires, il est
pertinent d’étudier les animations, les actions et réactions des utilisateurs et, plus
Usage des technologies par les apprenants
Tutorat 1
2
Chapitre IV L'appropriation des technologies dans un dispositif d’e-learning
Valérie Caraguel 174
globalement, l’émergence de dynamiques nouvelles d’apprentissage en groupe (Carton
et al, 2006).
Synthèse des fondements théoriques de la recherche
Valérie Caraguel 175
A la suite des fondements théoriques de la recherche : quelques éléments de synthèse
Dès le chapitre I, un historique concernant l’enseignement en ligne nous a permis de
saisir l’avènement de ce phénomène et de situer son importance dans les évolutions des
dispositifs pédagogiques actuels. En présentant les éléments repérés dans la littérature,
nous avons mis en évidence les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de
dispositifs d’e-learning. Ces difficultés sont liées à des réticences des enseignants
comme des apprenants et à des phénomènes de démotivation de ces derniers liés,
notamment, à l’absence d’un enseignant en présentiel. Les dispositifs d’e-learning
participent donc à l’évolution des processus d'apprentissage des apprenants. Cela nous a
amené à revenir sur la diversité des possibles en matière d'apprentissage et, plus
particulièrement, des différentes façons d'acquérir des connaissances lors des processus
d’enseignement (chapitre II).
Compte tenu de notre sujet de recherche sur l'étude des dispositifs d’interactions
enseignants-apprenants, nous avons, par la suite, porté notre réflexion sur la fonction
tutorale (chapitre III). Les différents travaux mobilisés montrent que le tuteur peut être
dispensateur de savoir, facilitateur, modérateur ou, encore, conseiller. En cela, il occupe
une position centrale dans les processus d'apprentissage développés par les apprenants
dans les dispositifs d’enseignement en ligne. Ainsi, pour ces derniers, la
conceptualisation de la fonction tutorale ainsi que la compréhension des modalités de
son organisation pratique semblent fondamentales.
Une progression dans l’ingénierie tutorale semble d’autant plus importante que les
étudiants en ligne peuvent être déconcertés par l’intrusion, voire l’omniprésence d’outils
technologiques. En effet, ces derniers peuvent être assimilés à des leviers ou... être
perçus comme des freins ! Dans cette perspective, l’appropriation des technologies dans
un environnement en e-learning devient une dimension centrale de notre analyse. Ainsi,
nous avons discuté des « technologies en pratique » chez les apprenants et, par là-
même, analysé le rôle des tuteurs dans les processus d'appropriation de la technologie
dans un dispositif d’e-learning (chapitre IV). En particulier, nous avons montré que
l’appropriation est un processus propre à chaque personne, influencé par ses
représentations et la façon avec laquelle il se représente le contexte de l'enseignement en
ligne, y compris les relations qu'il entretient avec les autres acteurs concernés
Synthèse des fondements théoriques de la recherche
Valérie Caraguel 176
(apprenants, enseignants, tuteurs). Cela nous permet de postuler que les actions de
médiation et d’aménagement de l’outil sont susceptibles de soutenir le processus
d’appropriation de la technologie.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 177
CHAPITRE V : METHODOLOGIE, EPISTEMOLOGIE ET PRESENTATION DU TERRAIN DE RECHERCHE
1. Genèse du projet de recherche et problématique générale de la thèse p.179
2. Positionnement épistémologique du chercheur p.185
3. Méthodologie de la recherche: L’étude de cas unique p.193
4. Choix de terrain et présentation du cas p.197
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 178
CHAPITRE V - METHODOLOGIE, EPISTEMOLOGIE, ET PRESENTATION DU TERRAIN DE LA RECHERCHE
En Sciences Sociales, le chercheur n’est pas neutre à l’égard de son objet de
recherche. Il n’existe pas de hasard dans le choix que nous faisons. C’est ainsi que le
sujet que nous choisissons ici de traiter a pris différentes formes tout au long de notre
parcours : très largement, correspond à une préoccupation dominante au cours de notre
carrière professionnelle.
Dans la première partie de ce chapitre, nous exposons la genèse de notre projet et la
problématique générale de la thèse. Nous explicitons notre positionnement
épistémologique dans une seconde partie. Les troisième et quatrième parties sont
respectivement consacrées à la méthodologie de la recherche, d’une part, au choix et à
la présentation du terrain, d’autre part.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 179
1 Genèse du projet de recherche et problématique générale de la thèse
1.1 Genèse du projet
Comme nous le disions précédemment, la définition et la finalisation d’un projet de
recherche en Sciences Sociales n’est jamais neutre. Dans notre cas, il découle
directement d’un fil directeur de notre carrière professionnelle et de l’expérience
comme des questionnements qu’elle a engendrés.
Ingénieur, spécialisée en informatique de gestion, nous avons occupé tout au long de
notre carrière des postes en interface avec les utilisateurs. Nous pouvions ainsi les aider
à exprimer leurs besoins, faire remonter aux équipes de développement les demandes
d’adaptation ou d’évolution des logiciels, et ensuite aider ces mêmes utilisateurs lors de
la mise en place des nouvelles applications développées. Notre souci a donc toujours été
l’adaptation des outils aux utilisateurs, et l’accommodation de ces derniers aux outils
mis en œuvre.
Parallèlement, le début des années 90 a vu l’émergence de l’internet et des nouvelles
technologies. En septembre 2007, notre obtention du DESS en Management des
Technologies de l’Information à l’Institut d’Administration des Entreprises d’Aix-en-
Provence a été immédiatement suivie de notre intégration dans cette UFR en qualité de
responsable des Nouvelles Technologies Educatives. Ceci a été concomitant au
« boom » de l’e-learning du tout début des années 2000, que nous avons évoqué au
chapitre I.
A ce poste, nous avons été très rapidement confrontés à un premier constat : de
nombreux freins à l’adoption de l’e-learning émergeaient du terrain. Si, pour certains, la
crainte que la technologie ne les remplace était présente, c’est surtout l’appropriation de
celle-ci par les équipes pédagogiques qui revenait le plus souvent dans les
conversations. L’appréhension de ces technologies était aussi une des préoccupations
majeures des apprenants ;; surtout à cette époque où l’usage des messageries
électroniques n’était pas encore généralisé, et que l’internet haut débit était loin d’être
entré dans tous les foyers.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 180
En charge de l’accompagnement des enseignants pour la mise en œuvre et le suivi
des cours en ligne de l’Euro*MBA, un deuxième constat nous est apparu : les
apprenants manifestaient le besoin d’être accompagnés dans leur apprentissage en ligne.
Ces constats étaient dans la ligne droite de notre cheminement professionnel :
l’accompagnement dans la prise en main des technologies par les utilisateurs.
Ce cheminement est synthétisé dans le schéma ci-après (figure 26):
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 181
1er constat : Freins à l’adoption de l’e-learning
(Côté enseignants)
Figure26 - Genèse du projet de thèse - 2 constats (source: élaboration personnelle
Obtention du DESS Management des Technologies de l’Information
IAE Aix - septembre 2001
Ingénieur en charge des nouvelles technologies éducatives et de l’e-learning
IAE Aix - Université Paul Cézanne
2e constat : Besoin d’accompagnement dans
l’apprentissage en ligne (Côté étudiants)
Emergence de l’internet et des nouvelles technologies (début 90’s)
Boom de l’e-learning
(début 2000’s)
Expérience professionnelle : Ingénieur en informatique de gestion
(interface utilisateurs)
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 182
1.2 Problématique générale de la thèse
Etudier à la fois le côté tuteurs et le côté apprenants paraissait trop ambitieux pour
une thèse. Nous avons donc fait le choix d’étudier l’appropriation des technologies par
les apprenants. En effet, ceux-ci sont in fine les « utilisateurs finaux » du dispositif ;
ceux pour qui le dispositif d’enseignement en ligne a été pensé. Les
enseignants/formateurs-tuteurs étant les acteurs de la mise en œuvre des technologies
dans le dispositif, nous avons pris soin de recueillir également leurs témoignages afin de
mieux appréhender l’ensemble du système étudié.
Le champ d’observation que nous avons choisi est celui de l’enseignement supérieur.
Nous aurions pu choisir l’entreprise, champ d’observation privilégié dans les Sciences
de Gestion. Néanmoins, le sujet même de notre thèse portant sur l’enseignement en
ligne, le choix de l’entreprise ou de l’université était possible. Si notre position
professionnelle au sein de l’université peut laisser supposer un choix opportuniste,
celui-ci a plutôt été guidé par nos premières études et les quelques échanges et
entretiens que nous avons menés en entreprise au tout début de notre recherche.
En effet, afin de valider la pertinence de notre sujet et d’appréhender les terrains
possibles, nous avons, dans un premier temps, recensé quelques études pertinentes
provenant de cabinets de consultants reconnus. C’est ainsi que quelques grandes
caractéristiques (que nous avons déjà évoquées au chapitre I) se sont dégagées, et que
nous exposons ici.
Notre premier questionnement a été :
Quel frein principal à l’adoption de l’e-learning ?
Selon l’enquête Demos e-learning Agency (2008), les freins à l’adoption de l’e-
learning en entreprise sont à :
43% - dûs à des problèmes d’organisation
43% - dûs aux difficultés techniques
30% - dûs à la solitude, au manque d’accompagnement, au manque de motivation
20% - dûs à l’importance de l’investissement.
Les facteurs clés de succès du point de vue des apprenants semblent donc toucher
principalement à la question de l’accompagnement et au suivi.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 183
Une première approche de la problématique de l’accompagnement dans un
apprentissage en ligne lors de notre master recherche a permis d’apporter quelques
éléments de réponse.
Notre étude de littérature sur le tutorat en ligne, comme nous l’avons exposé au chapitre III, a mis en évidence les 4 rôles fondamentaux du tuteur, les compétences qui
leur sont associées et les domaines de compétences auxquels ils se rapportent. Nous
reportons ci-après le tableau que nous avons présenté lors de cet exposé de notre travail
de thèse :
Rôles Compétences Domaines de compétences
Pédagogique Au plan cognitif = expert du contenu
- Etre capable de transmettre un savoir
- Etre capable de construire un parcours individuel de formation
- Etre capable de mesurer l’atteinte des objectifs d’apprentissage
Rapport aux contenus
Au plan métacognitif = stratégies cognitives
- Connaître les processus d’apprentissage
Compétences méthodologiques pour guider les processus d’apprentissage
Organisationnel Quant aux activités proposées
- Faire preuve de dynamisme, de réactivité, de proactivité
Quant à l’ingénierie de formation et la gestion du projet
- Etre capable de mettre en œuvre la logistique nécessaire
- Etre capable d’effectuer le suivi des groupes
- Avoir des compétences relationnelles
- Avoir des compétences de gestion de projet
Socio-affectif Soutien - Faire preuve d’empathie, de disponibilité
- Etre proactif Compétences dans la gestion des échanges en
ligne
Technique Rendre la technique transparente
- Maîtriser la technologie
- Faire les choix appropriés des outils
- Concevoir des tutoriels, des guides
Tableau 7 – Rôles, compétences et domaines de compétences du tuteur (élaboration
personnelle à partir de l’étude de la littérature)
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 184
Comme nous le constatons, ces quatre rôles, parfois subdivisés en deux grands
domaines d’intervention, relèvent de compétences multiples. Ceci est rarement pris en
compte par les apprenants, car leurs préoccupations sont ailleurs. Nous avons, en effet,
été en charge de la mise en œuvre d’un cursus en ligne au sein de notre université, puis,
pendant cinq ans de la coordination de celui-ci. Or, la remarque d’un de nos étudiants,
« la technologie ne doit pas être un frein à notre apprentissage mais un levier ! », nous
a amenée à nous intéresser plus particulièrement à l’appropriation de la technologie par
les étudiants. Cette tendance est confirmée par le baromètre 2011 du e-learning en
Europe (Crossknowledge, Féfaur, Ipsos Loyalty) selon lequel « les freins techniques
apparaissent comme une constante dans plusieurs études ».
Si nous regardons plus précisément dans le tableau ci-dessus le rôle dit « technique »,
l’objectif qui lui est assigné est de « rendre la technique transparente ». Cette
expression empruntée à Berge (1995) nous paraît très pertinente et tout à fait
représentative de ce que souhaite tout acteur entrant dans ce que nous pourrions appeler
le « microcosme de l’enseignement en ligne ».
C’est ainsi qu’après le premier constat :
Le frein majeur à l’adoption de l’e-learning semble être la mise en pratique des
technologies.
... un premier questionnement nous est apparu :
Quel dispositif d’accompagnement enseignants/formateurs-apprenants mettre en place ?
Nous avons donc interviewé le responsable E-Learning Monde de l’entreprise ST
Microelectronics en juillet 2009. De cet entretien est ressorti un élément essentiel : le
tutorat en ligne n’existait pas. Plus précisément, il n’était pas reconnu comme tel.
Quelques échanges entre les experts auteurs des contenus et les apprenants avaient lieu
à la demande de ces derniers. Lors des autres échanges ou conversations que nous
avions, dans les articles de la presse spécialisée que nous lisions, le refrain était toujours
le même : l’enseignement en ligne en entreprise – ou plus précisément la formation en
ligne – était encore considéré comme faisant partie de l’auto-formation. Ceci rejoignait
d’ailleurs les idées reçues des entreprises pour qui la réduction des coûts était un
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 185
avantage majeur à la mise en œuvre de l’e-learning (Devaney, 2001 ; Demos e-learning
Agency, 2008).
C’est ainsi que notre choix de terrain de recherche s’est orienté vers le champ de
l’enseignement supérieur. En effet, bien que rarement institutionnalisé ou préalablement
réfléchi, le tutorat en ligne était un élément présent la plupart du temps dans les
formations en ligne universitaires. Nous avons décidé d’explorer ce champ dans l’espoir
que les résultats de notre recherche puissent être transposés ensuite à celui de
l’entreprise. De plus, l’avènement des MOOC44 remet en questionnement
l’accompagnement, lorsque le nombre d’étudiants qui suivent un cours en ligne se
comptent par milliers. Il nous paraît encore plus pertinent de faire un point sur
l’accompagnement dans l’apprentissage en ligne.
Partant de ce postulat, notre problématique de recherche porte sur les dispositifs
d’interaction tuteur-apprenant(s) afin de faciliter l’appropriation des apprenants dans un contexte d’e-learning.
A la question de dispositif d’accompagnement, nous associons le tutorat en ligne ; à
celle du frein à l’adoption de l’e-learning, l’appropriation des technologies. Nous
intéressant particulièrement à l’accompagnement, c’est sur le rôle du tuteur dans cette
appropriation et dans l’apprentissage, dans un contexte d’e-learning, que nous avons
choisi de faire porter notre recherche.
La figure ci-après (figure 27) schématise la genèse de notre projet de recherche dans
sa globalité:
44 Massive Online Open Courses
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 186
1er constat : Freins à l’adoption de l’e-learning
(Côté enseignants)
Figure 27 : Genèse du projet de thèse : 3 éléments de départ (source : élaboration personnelle)
Obtention du DESS Management des Technologies de l’Information
IAE Aix - septembre 2001
Ingénieur en charge des nouvelles technologies éducatives et de l’e-learning
IAE Aix - Université Paul Cézanne
2e constat : Besoin d’accompagnement dans
l’apprentissage en ligne (Côté étudiants)
Emergence de l’internet et des nouvelles technologies (début 90’s)
Boom de l’e-learning
(début 2000’s)
1er élément du projet de thèse : Quel dispositif d’accompagnement
enseignants-apprenants ? => Le tutorat en ligne
2e élément du projet de thèse : Quel frein à l’adoption de l’e-learning ?
=> L’appropriation des technologies
3e élément du projet de thèse : Quel est le rôle du tuteur dans l’appropriation des technologies ?
=> Le dispositif d’interactions tuteur(s)-apprenant(s)
Thèse : Le rôle du tuteur dans
l’appropriation des technologies et apprentissage dans un environnement
en e-learning
Expérience professionnelle : Ingénieur en informatique de gestion
(interface utilisateurs)
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 187
Nous avons cherché à observer le phénomène d’appropriation des technologies – ou,
pour reprendre les termes d’Orlikowski (2000), des « technologies en pratique » – à
travers les interactions tuteur-apprenant(s). Ceci nous a permis de formuler ainsi les
questions principales de notre recherche :
Quel dispositif d’interactions tuteur-apprenant afin de faciliter l’appropriation des technologies par les apprenants dans un contexte d’e-
learning ?
Quel dispositif d’interactions tuteur-apprenant afin de faciliter
l’apprentissage des apprenants dans un contexte d’e-learning ?
qui peuvent être décomposées en sous-questions de recherche :
Quelles modalités d’intervention du tuteur sont-elles susceptibles de participer à l’appropriation des TIC dans un environnement en e-
learning ?
Comment les modalités d’interventions tutorales évoluent-elles au
regard du processus d’appropriation des technologies ?
Les interactions avec le tuteur favorisent-elles de nouvelles dynamiques
dans les processus d’appropriation de la technologie ?
Quel est le rôle de la médiatisation par le tuteur dans l’apprentissage ?
Pour répondre à ces questions, nous mobilisons une démarche constructivisme au
cours de laquelle nous réévaluons constamment notre objet de recherche par
l’association d’une connaissance théorique approfondie à une attention empirique
redoublée. Tant les approches conceptuelles et épistémologiques que les objectifs
assignés à l’exploration empirique nous invitent à recourir à une étude de cas unique
(Yin, 1994 ; Stake, 1998).
.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 188
2 Positionnement épistémologique du chercheur
Après avoir précisé quel était notre projet de recherche et en avoir justifié les choix
et orientations, nous explicitons ici le positionnement épistémologique qui a orienté
toute notre démarche de connaissance au cours de cette recherche doctorale.
Le positionnement épistémologique du chercheur influence son travail scientifique.
Il apparaît donc essentiel de l’expliciter le plus clairement possible et cela afin que les
lecteurs puissent contrôler le processus de recherche et ainsi juger de sa pertinence.
Nous présentons donc les trois paradigmes revendiqués usuellement par les Sciences
de Gestion ;; puis nous indiquons que notre démarche s’inscrit au sein des
épistémologies constructivistes.
2.1 Les grands paradigmes épistémologiques
La validité de toute connaissance scientifique s’évalue à l’aune d’une épistémologie
qui permet, selon les termes de Piaget (1967, p.6), de déterminer ce qui précède à la
« constitution de connaissances valables », et de répondre concrètement aux trois
grandes questions suivantes (Le Moigne, 1995, p. 4) :
Qu’est-ce la connaissance ? (question gnoséologique)
Comment est-elle constituée ou engendrée ? (question méthodologique)
Comment apprécier sa valeur ? (question éthique)
L’épistémologie se définit comme la discipline qui prend pour objet la connaissance
scientifique. Le Moigne (1995) propose d’interroger le statut, la méthode et la valeur en
répondant aux trois questions énoncées ci-dessus. Il s’agit donc d’analyser le « contrat
social fondamental ». Toutefois, il n’y a pas d’unanimité sur les réponses à apporter aux
grandes questions épistémologiques. Ainsi, même s’il s’agit avec eux d’idéaux-types,
un chercheur de la discipline peut classiquement appréhender la connaissance suivant
trois grands paradigmes (Girod-Séville et Perret, 1999), qui fournissent chacun des
réponses sensiblement différentes aux questions gnoséologiques, méthodologiques et
éthiques : le positivisme, l’interprétativisme et le constructivisme (Tableau 1).
Nous avons inscrit la problématisation de notre recherche dans une épistémologie
constructiviste. Le rapport dialectique entre théorie et pratique est dépassé (Bachelard,
1987). Pour le « nouvel esprit scientifique », il n’est plus question non plus d’opposer
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 189
théorie et empirisme, rationalité et réalisme, esprit et réel. Pour les constructivistes, la
théorie et la pratique sont fondamentalement inter reliées. Elles s’influencent
mutuellement. La pratique existe à la fois avant et après la théorie. Les connaissances
nouvelles ne chassent plus les connaissances passées. Les connaissances scientifiques se
construisent en s’articulant, en se reconstruisant, en transformant celles qui ont permis
la construction préalable (Boutte, 2004, p.245).
LES PARADIGMES LES QUESTIONS EPISTEMIQUES
LE PARADIGME POSITIVISTE
LE PARADIGME INTERPRETATIVISTE
LE PARADIGME CONSTRUCTIVISTE
QUEL EST LE STATUT DE LA CONNAISSANCE ? LA « NATURE » DE LA
REALITE
Hypothèse ontologique.
Il existe une essence propre à l’objet.
Indépendance du sujet et de l’objet.
Hypothèse déterministe.
Le monde est fait de nécessités.
Hypothèse phénoménologique.
L’essence de l’objet ne peut être atteinte (constructivisme modéré
/interprétativisme) ou n’existe pas (constructivisme radical).
Dépendance du sujet et de l’objet.
Hypothèse intentionnaliste.
Le monde est fait de possibilités.
COMMENT LA CONNAISSANCE EST-ELLE ENGENDREE ? LE CHEMIN DE LA
CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE
La découverte
Recherche formulée en termes de « pour
quelles causes... »
Statut privilégié de l’explication.
L’interprétation
Recherche formulée en termes de « pour quelles motivations
des acteurs... »
Statut privilégié de la compréhension
La construction
Recherche formulée en termes de « pour quelles finalités... »
Statut privilégié de la construction
QUELLE EST LA VALEUR DE LA CONNAISSANCE ?
LES CRITERES DE VALIDITE
Vérifiabilité
Confirmabilité
Réfutabilité
Idiographie
Empathie (révélatrice de
l’expérience vécue par les acteurs)
Adéquation
Enseignabilité
Tableau 8 : Les grands paradigmes épistémologiques utilisés en sciences de gestion (Girod-Séville et Perret, 1999, p15).
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 190
Afin de justifier notre posture épistémologique, nous tentons de répondre, dans les
paragraphes suivants, à ces trois grandes questions épistémologiques que nous avons
préalablement énoncées.
2.1.1 Qu’est-ce que la connaissance ?
Tout d’abord, concernant la nature de la réalité, nous adoptons ici une posture de
type constructiviste. La première hypothèse constructiviste est l’hypothèse téléologique,
en opposition à l’hypothèse déterministe du positivisme, qui argue que la réalité n’existe
pas en soi. La réalité n’est pas donnée, elle est construite, et re-construite par
l’observateur. Nous adhérons à l’hypothèse phénoménologique et précisément, sans
aller jusqu’à postuler avec les constructivistes radicaux qu’elle n’existe pas (Von
Glaserfeld, 1988), nous pensons que l’essence de l’objet ne saurait être atteinte. Dans ce
cadre, nous ne posons donc pas la « réalité de la réalité » ; mais seulement «la
représentabilité de nos expériences du réel », c’est-à-dire que connaître consiste à
organiser « ses représentations d’un monde constitué par ses expériences » (Le Moigne,
1991, p.105). Par ailleurs, quant au lien sujet-objet, le constructivisme propose de
considérer les objets de connaissance non pas comme des données naturelles ; mais
plutôt comme des données issues d’une construction humaine qui lie inévitablement
l’objet et le sujet connaissant. Nous postulons donc ici l’existence d’une relation
d’interdépendance, et donc que la nature de la connaissance produite s’avère toujours «
subjective et contextuelle » (Girod-Séville et Perret, 1999, p.21).
Enfin, nous rejetons l’hypothèse déterministe, et jugeons que ce qui fonde la
connaissance, c’est « l’intention de représenter », c’est-à-dire que les sciences ne
doivent plus être définies par leur « objet », mais par leur « projet ». En conséquence,
selon nous, la connaissance doit être vue comme « l’actualisation des possibles, qu’ils
soient présumés préexistants, ou création de nouveaux possibles » (Le Moigne, 1991,
p.106).
2.1.2 Comment la connaissance est-elle engendrée ?
Concernant le chemin de la connaissance scientifique, nous privilégions avant tout
dans notre thèse une posture dite de « constructivisme méthodologique » (Charreire et
Huaut, 2001). Dans ce cadre, « sujet et "objet" co-construisent mutuellement un projet
de recherche » (Giordano, 2003, p.23), et le chemin de la connaissance n’existe alors
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 191
pas a priori. Le constructivisme aborde la connaissance non pas comme une « réalité
ontologique objective » ;; mais comme un acte d’organisation d’un monde empirique,
d’un monde fait d’expériences conscientes qui permet l’établissement de relations
fiables apparemment entre elles – acte susceptible d’ouvrir de nouvelles voies
d’exploration de nos expériences du monde. Nos expériences ne nous permettent pas de
découvrir la « nature des choses en soi » ; mais elles sont susceptibles uniquement
d’évaluer l’adéquation des modèles de monde avec l’expérience empirique. Von
Glaserfeld prend la métaphore de la clé et de la serrure pour éclairer cette idée.
Précisément, en ce qui concerne l’acticité humaine de connaître, il suggère qu’elle ne
peut pas mener « à une image du monde qui soit certaine et vraie, mais seulement à une
interprétation conjecturale, alors on peut comparer cette activité avec la fabrication de
clés dont l’homme se sert pour ouvrir des voies vers les buts qu’il choisit d’atteindre
[…]. En effet, l’efficacité d’une clé ne dépend pas du fait de trouver une serrure à
laquelle elle convienne : la clé doit seulement ouvrir le chemin qui mène au but précis
que nous voulons atteindre. » (Von Glasersfeld, 1988, p.34)
L’ensemble des auteurs se situant dans le champ du constructivisme insiste sur les
liens étroits qu’entretiennent les concepts d’action et de connaissance. L’action de
connaître modifie tant l’objet connaissable que le sujet connaissant. Cette hypothèse de
représentabilité du réel associée à celle de projectivité ou d’interaction sujet-objet sont
regroupées sous l’intitulé « hypothèse phénoménologique ». La citation d’Antonio
Machado45 éclairera l’idée développée par Le Moigne :
« Marcheur, ce sont tes traces
ce chemin, et rien de plus ;
marcheur, il n’y a pas de chemin,
le chemin se construit en marchant.
En marchant se construit le chemin,
et en regardant en arrière
on voit la sente que jamais
on ne foulera à nouveau.
Marcheur, il n’y a pas de chemin,
seulement des sillages sur la mer. »
45 Traduction de l’espagnol par José Parets-Llorca.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 192
Précisément, la connaissance se construit « chemin-faisant » (Avenier, 1997), par
l’interaction avec les acteurs, interaction qui s’avère dès lors « mutuellement
transformatrice » (Giordano, 2003, p.23). Suivant cette perspective, la construction des
connaissances apparaît dès lors guidée de manière générale par « l’intention de
représenter » du chercheur, le «projet » qu’il poursuit (Le Moigne, 1991, p.108).
Toutefois, comme nous le verrons par la suite dans la partie méthodologique, de par
la nature de notre objet, il nous a été impossible en pratique, suivant les principes du
« constructivisme méthodologique », de co-construire notre projet de recherche avec
l’ensemble des acteurs du terrain engagés dans le phénomène que nous observions. En
conséquence, certains éléments de notre contexte d’intervention nous ont amené à
limiter nos interactions et d’adopter, dans certains cas, une posture interprétativiste avec
les acteurs concernés. En d’autres termes, pour générer des connaissances, nous avons
pour partie appréhendé la réalité « au travers des interprétations qu’en font les
acteurs » (Girod-Séville et Perret, 1999, p.23). Cependant, la posture constructiviste
domine bien notre recherche.
2.1.3 Quelle est la valeur de la connaissance ?
Enfin, quant à la valeur de la connaissance produite, nous privilégions là encore
dans notre thèse un point de vue constructiviste. Si les critères de validité de la
connaissance constructiviste ne sont pas figés et restent encore largement en discussion
(Perret et Girod-Séville, 2002), nous pensons que, pour être valable, une connaissance
doit être tout à la fois « adéquate » vis-à-vis d’une situation donnée (Von Glaserfeld,
1988) et « enseignable » (Le Moigne, 1995). Le Moigne insiste sur la pertinence éthique
d’une connaissance que le chercheur décidera d’enseigner ou de communiquer. La
connaissance enseignable doit, selon lui, être reproductible, intelligible et constructible.
Précisément, nous pensons que construire des connaissances valables, c’est selon le
principe dit « d’action intelligente », réussir à inventer ou à élaborer, « par toute forme
de raisonnement (descriptible a posteriori), une action (ou plus correctement une
stratégie d’action), proposant une correspondance adéquate ou convenable entre une
situation perçue et un projet conçu par le système auquel on s’intéresse » (Le Moigne,
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 193
1991, p.113). Dans ce cadre, « le modélisateur ne pourra plus assurer que les
connaissances sont démontrées » ; mais il « devra montrer qu’elles sont argumentées et
donc à la fois constructibles et reproductibles, de façon à permettre leur intelligibilité
pour son interlocuteur » (Le Moigne, 1995, p.85).
2.2 Un positionnement épistémologique constructiviste modéré
Notre positionnement épistémologique s’est construit au fur et à mesure de nos
investigations tant théoriques qu’empiriques pour ce travail de doctorat (Baumard,
1997). Au final, suivant nos positions par rapport aux trois questions épistémologiques,
il apparaît que pour élaborer ici des « connaissances valables », nous avons
essentiellement fait appel aux principes épistémologiques propres au constructivisme ;
mais que n’ayant pu respecter à la lettre le principe de «constructivisme
méthodologique », nous avons mobilisé également l’un des principes sous-jacents à
l’interprétativisme. Dès lors, à l’instar « d’une grande partie des recherches en sciences
de l’organisation », notre démarche relève donc d’un positionnement dit « aménagé »
(Girod-Séville et Perret, 1999, p.31), qui même s’il est plus proche du constructivisme
que de l’interprétativisme, emprunte des éléments à ces deux paradigmes.
« Le réel existant et connaissable peut être
construit par ses observateurs qui sont dès lors
ses constructeurs »
Le Moigne, (1995a, p. 40)
3 Méthodologie de la recherche: L’étude de cas unique
Une fois le positionnement épistémologique clarifié et les questions de recherche
formalisées, la stratégie d’accès aux données résulte d’un choix déterminé sous
contraintes. Comme le précisent Baumard et Ibert (2003, p. 97) « le choix entre une
approche qualitative et une approche quantitative apparaît donc plus dicté par des
critères d’efficience par rapport à l’orientation de la recherche : construire ou tester ».
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 194
La sélection d’une stratégie de recherche requiert, selon Yin (1994), une lecture à
partir des questions de recherche, du contrôle des événements considérés et de leur
caractère contemporain.
Selon Kerlinger (1986), la conception de la recherche représente et articule le plan
du chercheur et la structure du mode d’investigation suivi pour répondre aux questions
de recherche posées. Nous avons plusieurs fois évoqué la transdisciplinarité de notre
sujet de recherche. Or, lorsqu’un objet de recherche est pluri disciplinaire, il est
important de l’aborder en utilisant les apports de disciplines différentes (Carré, 2001).
Dans le cadre d’une recherche sur l’e-learning, il paraît donc important d’utiliser des
travaux effectués au-delà du champ des Sciences de l’Organisation, reprenant aussi
ceux de la psychologie cognitive, des sciences de l’éducation et des sciences de
l’information et de la communication. Cette approche du sujet nous aura permis
d’appréhender l’e-learning comme un système intégrant le contenu et le contenant.
La revue de littérature nous a aussi permis de constater que la majorité des
recherches sur l’e-learning était composée d’études de cas s’intégrant dans une
démarche exploratoire. Ces approches peuvent s’expliquer par le caractère récent du
sujet de recherche et vont dans le sens de Yin (1994), pour qui lorsque les liens entre
phénomène et contexte ne sont pas clairement évidents, il est nécessaire d’étudier ce
phénomène dans son contexte, c’est-à-dire un environnement organisationnel dans
lequel il est possible de l’étudier.
3.1 Justification de l’étude de cas unique dans le cadre de notre
recherche
Afin de mettre en œuvre la stratégie de recherche la mieux adaptée, il convient
d’examiner le projet de connaissance visé par cette recherche. L’analyse de la
littérature a permis de dégager deux questions principales de recherche et quatre sous-
questions permettant d’explorer les processus d’appropriation des technologies dans un
environnement en e-learning.
Nos questions de recherche s’intéressent au comment du phénomène étudié, ce qui
écarte les études statistiques ou d’archives. Par ailleurs, l’aspect contemporain des
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 195
innovations étudiées serait incohérent avec les spécificités d’une étude historique.
Seule une stratégie de recherche fondée sur l’étude de cas et sur l’expérience semble
adaptée à notre travail.
Yin (1994) note que la méthode de l’étude de cas a été injustement étiquetée comme
le parent pauvre des méthodes en Sciences Sociales et que les résultats fournis par cette
méthode sont considérés comme manquant de précisions – par rapport à une étude
quantitative -, d’objectivité, et de rigueur scientifique. En dépit de ces assertions, on
peut constater que les études de cas sont maintenant reconnues en Sciences Sociales, et
plus particulièrement dans le champ des Systèmes d’Information, comme apportant une
contribution intéressante aux développements théoriques. Il est par ailleurs
fréquemment reconnu que chaque méthode de recherche comporte des forces et des
faiblesses, et qu’aucune n’est supérieure aux autres (Benbasat et al, 1987 ; Yin, 1994).
Ce qui détermine la « meilleure » méthode est l’adéquation entre le problème de
recherche, son contexte, le cadre de référence et la méthode choisie. L’étude de cas est
donc appropriée et justifiée lorsque les questions de recherche portant sur le
« comment » et le « pourquoi », quand le chercheur a peu de contrôle sur les
événements, et lorsque l’objectif est d’acquérir une meilleure appréhension d’un
phénomène contemporain dans son contexte réel.
Pour Yin (1994), l’étude de cas est une étude de terrain qui s’intéresse à un
phénomène contemporain dans son contexte réel, et plus particulièrement lorsque les
liens entre phénomène et contexte ne sont pas clairement évidents, et qui est utile :
dans les situations spécifiques où le nombre de points d’intérêt est trop
important pour être traité par l’intermédiaire de quelques variables et où le
contexte ne peut être résumé par un résultat unique ;
lorsque la recherche repose sur de multiples sources et témoignages qui
nécessitent ou non une triangulation ;
lorsque la recherche bénéficie de développements théoriques antérieurs
susceptibles de guider la collecte de données et leur analyse.
Nous avons choisi de réaliser une étude de cas unique, le cas en lui-même étant le
centre d’intérêt de la recherche (Stake, 1994). Il est en effet admis qu’une étude de cas
unique est choisie parce qu’elle représente un exemple unique ou extrême d’un
phénomène intéressant à observer. Comme nous le verrons en détail dans la présentation
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 196
de l’étude de cas, nous sommes ici en présence d’une licence professionnelle proposée à
distance depuis 2001. Tous les contenus ont été rééditorialisés à trois reprises et le
dispositif technologique a changé deux fois sur la même période. L’expérience acquise
au cours des onze années qui ont précédé notre observation a permis de penser la mise
en place d’un dispositif d’interactions dans de nombreuses dimensions, qu’elles soient
pédagogiques, didactiques ou organisationnelles. Il nous a donc semblé très pertinent
pour notre recherche de recueillir les propos des apprenants et des enseignants-tuteurs
de ce cursus.
Un intérêt majeur d’une étude de cas est, en effet, de permettre l’étude d’un
phénomène dans son contexte, dans le but de retenir « les caractéristiques constructives
et holistiques des événements réels » (Yin, 1994, p.3). Ceci parait particulièrement
important lorsqu’on étudie des processus managériaux et organisationnels. Plus
précisément, les études de cas ne cherchent pas, contrairement aux expérimentations
traditionnelles, à séparer un phénomène donné de son contexte pour en retirer un certain
nombre de variables à étudier (Kerlinger, 1986 ; Denzin et Lincoln, 1994 ; Yin, 1994 ;
Babbie, 1995). Ainsi, dans l’étude de cas, le contexte est considéré comme pertinent. Il
est donc délibérément inclus dans l’étude pour fournir une vue holistique. Cela permet
alors au chercheur d’observer des ensembles de données ou de relations qui pourraient
passer inaperçues lors d’expérimentations plus traditionnelles.
La réalisation d’une étude de cas semble donc pertinente lorsque le phénomène
observé est vaste et complexe, lorsque les connaissances sur le sujet sont limitées et
lorsque le phénomène ne peut être étudié en dehors de son contexte (Bonoma, 1985 ;
Benbasat et al, 1987 ; Feagin et al, 1991 ; Yin, 1994).
3.2 La collecte des données dans l’étude de cas
Dans l’étude de cas, la collecte des données apparaît comme un processus itératif.
Ceci permet au chercheur d’affiner sa recherche alors que de nouvelles connaissances
sont dévoilées (Eisenhardt, 1989 ;; Yin, 1994). Ces ajustements permettent d’explorer
des thèmes émergents, et d’améliorer la validité et la fiabilité de l’étude (Eisenhardt,
1989 ; Miles et Huberman, 1994).
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 197
Alors que certains chercheurs remettent en cause la modification de la collecte des
données, ou des outils utilisés en plein processus, Eisenhardt (1989) estime que ceci est
un des avantages principaux de l’étude de cas, permettant de développer une
appréhension plus en profondeur du sujet : « l’objectif n’est pas de fournir des
statistiques sommaires sur un ensemble d’observations. Ainsi, si une nouvelle
opportunité de collecte de données se présente, ou si une nouvelle approche émerge
durant la recherche, il est logique d’en tirer avantage en modifiant la collecte des
données, si cette modification permet d’asseoir la théorie ou de fournir un nouvel
aperçu théorique. Cette flexibilité n’est pas une autorisation d’être non systématique,
c’est plutôt un opportunisme contrôlé dans lequel les chercheurs prennent avantage de
la singularité d’un cas spécifique et de l’émergence de nouveaux thèmes afin
d’améliorer le résultat théorique ». (p. 539).
C’est ainsi que le chercheur a la possibilité de s’adapter à son terrain de recherche,
ce qui est d’autant plus important que le terrain est mal connu, comme c’est le cas du
nôtre, alors que dans un cadre de recherche de conception trop rigide, certaines idées
préconçues peuvent s’avérer être un frein lorsque le terrain est susceptible d’évoluer
rapidement.
Notre recherche comporte donc bien les caractéristiques de l’étude de cas qui
combinent généralement des méthodes de collecte de données différentes comme les
entretiens semi-directifs menés à partir d’un guide d’entretien, et l’étude de la
documentation;; cela conduisant à l’utilisation de données qualitatives (Eisenhardt,
1989).
4 Choix de terrain et présentation du cas
“Une université est une organisation formelle complexe dans le contexte de
l’enseignement supérieur, correspondant aux caractéristiques qui définissent
toute organisation: orientation par objectifs, frontières, interactions sociales,
système structuré d’activités, culture, ... ” (Mintzberg 199146)
46 Traduction personnelle de: “A university is a complex formal organization within HE context,
matching the characteristics that define any organization: goal-orientation, boundaries, social
interaction, a structured activity system, culture, etc…”
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 198
Dans la continuité de la pensée de Mintzberg, deux champs s’ouvraient à nous pour
étudier les processus d’appropriation dans un environnement en e-learning: l’entreprise
et l’université. Si l’accès à des terrains universitaires semblait facilité du fait de notre
pratique professionnelle, les entretiens à caractère exploratoire que nous avons menés
auprès de responsables e-learning dans de grandes entreprises ont fortement orienté
notre choix vers les universités. En effet, le tutorat en ligne est peu mis en place dans les
entreprises, alors qu’il est perçu comme quasiment indispensable dans les universités.
L’étude de ces dernières nous paraît intéressante afin de pouvoir transposer ensuite nos
résultats au monde des entreprises. De plus, comme nous l’avons précédemment
mentionné, l’évolution exponentielle et dans des formes très variées, de l’e-learning
dans l’enseignement supérieur ces dernières années, nous a conforté dans notre choix.
Le monde nouvellement globalisé nécessite des institutions éducationnelles
afin d’étendre le marché, de répondre aux besoins des apprenants - « time, any place,
any pace and in the chunks »-, d’interagir pour changer, modifier, manipuler les
données et créer de nouvelles connaissances (Spender, 2001). Ces exigences peuvent
être complètement remplies par un enseignement en ligne dans un contexte universitaire
ouvert aux innovations pédagogiques et qui implémente cela dans une culture
organisationnelle. Il s’agit d’une intégration pédagogique, technique et culturelle.
4.1 Le choix du terrain
Contrairement à ce que nous avions envisagé, nous avons rencontré quelques
difficultés pour accéder à notre terrain de recherche.
Notre position au sein de l’université, loin de faciliter l’accès au terrain, s’est révélée
être un obstacle dans le contexte de « pré-fusion » dans lequel nous nous situions.
En tant que professionnelle en charge de la formation en ligne à l’Université Paul
Cézanne (Aix-Marseille III), il nous a semblé important de ne pas prendre comme
terrain d’étude nos propres formations. En effet, nous voulions éviter d’être partie
prenante et d’ainsi risquer de manquer d’objectivité dans nos observations. C’est ainsi
que nous nous sommes tournée vers des terrains situés au sein des autres universités de
notre région : l’Université de Provence (Aix-Marseille I) et l’Université de la
Méditerranée (Aix-Marseille II). Cependant, notre requête d’accès au terrain s’est
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 199
avérée faire émerger des craintes relevant de suspicion d’espionnage de stratégie de
mise en œuvre de l’e-learning pour les uns, ou de plagiat de contenus pour les autres.
Après de nombreux contacts auprès de plusieurs unités de formation et de recherche
de l’enseignement supérieur, nous avons trouvé un terrain qui nous semblait intéressant
à plusieurs titres. En effet, il s’agit d’un campus numérique ouvert depuis une dizaine
d’années, ayant déjà traversé plusieurs changements fondamentaux dans sa structure,
ainsi que dans son dispositif technologique. Afin de pouvoir étudier le rôle du tuteur en
ligne, il était important qu’un tutorat soit institutionnalisé. Nombreux sont les dispositifs
en ligne qui n’ont pas mis en place de tutorat, ou qui en ont un qui n’est pas officialisé –
ce qui gênerait notre processus d’observation.
Quant à l’extériorité que nous souhaitions pour notre terrain de recherche, il est
important de préciser que le dispositif d’enseignement en ligne que nous avons étudié
est un dispositif faisant partie de l’offre de formation de l’Université de Provence (Aix-
Marseille I). L’approche du terrain avait été effectuée dès l’automne 2010. Les premiers
entretiens devaient avoir lieu à l’automne 2011 lors du premier regroupement en
présentiel des étudiants. Il est en effet important de préciser que l’étude du terrain ne
pouvait se faire que par année universitaire, afin que le groupe d’apprenants observés
sur une période donnée soit cohérent. Les entretiens n’ont pu être réalisés que lors du
second regroupement, dans le courant de l’année 2012. Cette précision peut paraître
anecdotique ;; mais elle est d’importance par rapport à notre démarche initiale. En effet,
les trois universités d’Aix-Marseille ont fusionné en janvier 2012. Ainsi, l’Université de
Provence – lieu de notre terrain de thèse -, l’Université de la Méditerranée, et
l’Université Paul Cézanne – où nous exercions en tant que professionnelle de
l’enseignement en ligne -, se sont regroupées pour former Aix-Marseille Université.
Une telle réorganisation de structures aussi importantes que les universités françaises ne
peut se faire du jour au lendemain. Bien qu’ayant été préparé pendant les deux années
qui ont précédé la fusion, tout n’était pas opérationnel en janvier 2012. Les services
TICE des universités au sein desquels nous exerçons nos fonctions qui sont le centre
névralgique des formations en ligne et qui sont en charge de la plateforme
technologique, n’avaient pas fusionné ;; la stratégie d’organisation de cette partie de la
Division Opérationnelle des Systèmes d’Information (DOSI) n’était pas à l’ordre du
jour. C’est ainsi que nous pouvons affirmer que, même si les entretiens ont eu lieu dans
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 200
le cadre de l’université fusionnée, l’extériorité et l’objectivité du chercheur sont
préservées du fait d’une organisation tardive des services de l’institution.
4.2 Présentation du cas : La 3ème année de licence professionnelle
« Activités culturelles et artistiques » - Spécialité « Conception et mise en œuvre de projets culturels » - Cursus à distance
La licence professionnelle Activités culturelles et artistiques, spécialité Conception et
Mise en œuvre de Projets Culturels, forme au devenir de chargé d’action culturelle. Le
chargé d’action culturelle met en œuvre les orientations de la politique culturelle des
établissements culturels et artistiques. Il réalise des projets culturels à partir de la
programmation artistique (musique, théâtre, littérature…), muséale ou patrimoniale
entre et avec les porteurs de projets, leurs partenaires, les publics et les territoires.
Cette licence à distance est proposée par le département Arts de l'Université d’Aix-
Marseille. Elle est localisée sur le campus Saint Charles à Marseille. Elle est proposée
en 3ème année selon deux modalités : en présentiel et à distance. Notre recherche s’est
focalisée sur la seconde modalité.
4.2.1 Historique de la formation
Les formations à la "Médiation Culturelle de l’art" de l’Université de Provence sont
habilitées depuis 1994 par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.
La licence professionnelle "Activités artistiques et culturelles" peut se préparer en
cursus à distance, sur internet, depuis la rentrée 2001.
4.2.2 Public concerné
Ce diplôme préparé à distance, a été conçu pour la formation professionnelle
continue. Il s’adresse aux personnes en cours ou en recherche d'emploi. Un parcours
individuel est aménagé pour chaque étudiant stagiaire en formation continue en fonction
de sa situation professionnelle. Le cursus peut être suivi sur un, deux ou trois ans.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 201
4.2.3 Objectifs pédagogiques
La licence forme les professionnels qui désirent élargir leur savoir-faire dans
différents métiers ou fonctions pour faciliter l’appréhension des œuvres d’art et le
développement de projets culturels et artistiques.
Elle prépare à quatre types d’activités :
- le développement d’actions culturelles adossées à une programmation artistique et
tournées vers la diversification des publics et leur élargissement ;
- le développement d’activités ou de projets de diffusion (musicale, théâtrale ou
chorégraphique), d’animation du patrimoine et des œuvres plastiques ou littéraires ;
- le développement d’actions dans le domaine des relations publiques au sein
d’établissements conventionnés ou labellisés du spectacle vivant, des arts plastiques, du
patrimoine ou du livre ;
- le montage logistique, financier, organisationnel, etc. de projets culturels et
artistiques.
4.2.4 Dispositif pédagogique
Des parcours diplômants modulables sont proposés aux étudiants. En effet, le
programme d’enseignement à distance étant destiné uniquement aux personnes relevant
de la formation continue, il a été conçu pour s’adapter à la situation professionnelle de
chaque individu et propose un parcours diplômant modulable.
Il est composé en fonction de la disponibilité des étudiants :
1 - Formation diplômante en 1 an (FD1) : ce programme se réalise en deux semestres
sur une année universitaire. Il s’adresse surtout aux personnes sans emploi et en congé
formation.
2 - Formation diplômante en 2 ans (FD2) : ce programme se réalise en deux années
universitaires (soit 3 UE par an). Il s’adresse principalement aux personnes en cours
d’emploi.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 202
3 - Formation diplômante par UE capitalisables : ce programme se réalise par
l’acquisition progressive d'Unités d'Enseignements (UE) sur un rythme personnalisé. Le
parcours est établi avec la coordinatrice des études dès la première inscription. Il peut
s’étaler sur plusieurs années : les résultats sont conservés et validés à la fin du cursus.
Ce type de parcours convient aux personnes en emploi souhaitant engager un parcours
de formation diplômant à un rythme compatible avec leur activité professionnelle.
Parcours diplômant
Durée Modalité Public
FD1 1 an 2 semestres sur 1 année
universitaire
Personnes sans emploi ou en
congé formation
FD2 2 ans 3 UE/an sur 2 années
universitaires
Personnes en cours d’emploi
FD3 3 ans UE capitalisables sur
rythme personnalisé
Personnes en activité
professionnelle
Tableau 9 – Types de parcours Licence 3 CMPC
Dans certains cas, le parcours peut s'organiser d'après des modalités de calendrier
personnalisé établi avec la coordinatrice des études. Il peut aussi se réduire et s'adapter
en fonction des unités d’enseignement validées par Validation d’Acquis de l'Expérience.
Le contenu des enseignements est donné sur une plateforme d’apprentissage,
chaque UE est accessible en ligne (cours, exercices d'autoévaluation, bibliographies,
ressources diverses…), chaque tuteur responsable de l’UE anime un forum : sorte de
TD virtuel. Les travaux de contrôle continu, les corrigés et les notes sont déposés en
ligne.
La formation comprend des regroupements en présentiel obligatoires de 4 à 5
jours organisés 4 fois dans l’année pour les cursus en un an et 2 fois par an pour le
cursus en deux ans (cf. Annexe I – Planning des regroupements 2011-2014).
Ces regroupements permettent une approche concrète des enseignements par des
séances de travaux dirigés, d’études de cas sur le terrain et l’organisation des examens
écrits ou oraux qui constituent les contrôles finaux de chaque UE.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 203
Le projet tuteuré est au cœur des enseignements. L'étudiant doit concevoir et
d’élaborer un projet d’action culturelle qui s’inscrit dans son parcours professionnel. Ce
projet a vocation à devenir un levier d’insertion ou de développement de carrière. Il est
accompagné par un enseignant en charge du tutorat individuel et suivi par la
coordinatrice du parcours à distance, et s’applique à une situation concrète de stage ou
d’activité professionnelle. Un stage de 12 semaines doit ainsi être effectué au cours du
cursus de l'étudiant-stagiaire, sauf lorsque celui-ci est en cours d'emploi, et que l'activité
professionnelle s'effectue dans un établissement culturel et est reliée au projet.
4.2.5 Encadrement pédagogique
Le directeur de la licence dirige et encadre l’ensemble des modalités (présentiel et
distance) et s’assure de la cohérence des contenus du diplôme.
L’équipe pédagogique est constituée d’un professeur d’université à mi-temps, d’un
maître de conférences, de trois PAST (professionnels qui enseignent à mi-temps) et de
chargés de cours.
Une secrétaire pédagogique, une secrétaire administrative, un ingénieur d’études contractuel à temps plein et un autre à mi-temps complètent cette équipe.
Leur mission est de sélectionner les candidats, les accueillir au sein de la formation,
d’identifier les projets individuels, et de coordonner le dispositif pédagogique
d’enseignement à distance.
La coordonnatrice du parcours de licence à distance (L3) assure le lien entre
l’équipe pédagogique et les étudiants-stagiaires. Elle est par conséquent l’interlocutrice
des étudiants de ce parcours spécifique. Elle suit le projet individuel de formation, son
intégration au projet professionnel, son adéquation aux situations d’emploi et/ou de
stage et la conception du projet culturel en collaboration avec l’enseignant référent pour
la méthodologie de projet. Elle assure la cohérence de l’ensemble du projet de
formation et le respect des programmes, des partenariats extérieurs et des règles
universitaires.
Les enseignements sont conçus par des universitaires issus de différentes disciplines
(esthétique et sciences des arts, sociologie, histoire de l’art, théâtre, littérature, etc.). Ils
proposent dans les parcours pédagogiques en ligne des synthèses de grands modèles
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 204
théoriques quant à l’approche de l’art et des œuvres, des institutions et des politiques
publiques, des publics et des pratiques culturelles, par l’analyse de cas concrets, par la
mise en perspective problématique d’objets de recherche, et selon des méthodologies et
des concepts.
Des professionnels de la culture, chargés de cours, prennent en charge le tutorat à
distance des enseignements théoriques, des activités pédagogiques en ligne et des
travaux dirigés lors des regroupements pour permettre une approche singulière des
fonctionnements institutionnels et des modes de gestion, des approches des publics
spécifiques ou de l’appréhension des outils de communication. Ils assurent
l’accompagnement à la méthodologie de projet en lien avec les logiques de stages ou
d’application dans des situations professionnelles.
Le secrétariat pédagogique assure la gestion logistique et administrative des
dispositifs pédagogiques, de la scolarité et la liaison avec les différents services de
l’Université.
L’ingénieur pédagogique à mi-temps assure le tutorat technique pour les étudiants
(assistance sur l’utilisation de la plateforme) d’une part, et accompagne les enseignants
dans la médiatisation et la scénarisation de leurs cours, d’autre part.
L’encadrement de la licence CMPC à distance est synthétisé sans le tableau ci-après.
Si nous nous rapportons aux rôles du tuteur identifiés dans la littérature, nous constatons
que chacun de ces rôles est bien présent dans les fonctions réparties à travers cette
équipe encadrante.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 205
Encadrement pédagogique
représente Fonction Rôles
Directeur Structure de formation
- dirige et encadre la formation - s’assure de la cohérence des contenus
du diplôme.
- organisationnel (ingénierie de formation)
Coordinatrice Equipe pédagogique - assure le lien entre apprenants et équipe pédagogique
- coordonne l’équipe pédagogique - suit le projet individuel de formation, - suit la conception du projet culturel en collaboration avec l’enseignant référent pour la méthodologie de projet
- assure la cohérence de l’ensemble du projet de formation
- s’assure du le respect des programmes, des partenariats extérieurs et des règles universitaires.
- socio-affectif (soutien)
- organisationnel (ingénierie de formation,
gestion de projet)
- pédagogique (métacognitif)
Secrétaires (pédagogique et administrative)
Etablissement - gère la logistique du programme - gère les dossiers d’inscription, la
scolarité
- organisationnel (administratif)
Tuteurs Equipe pédagogique - assure le tutorat de leur cours - pédagogique (cognitif, métacognitif)
Tuteur technique
Equipe pédagogique - assure l’assistance à la plateforme
technologique
- technique
Tableau 10– Encadrement pédagogique de la licence CMPC à distance
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 206
4.2.6 Modalités d'évaluation
L'évaluation se réalise à la fois en contrôle continu en ligne, mais aussi lors de
sessions d'examens (devoirs sur table, document d’intention de projet, soutenance)
organisées pendant les regroupements obligatoires.
4.2.7 Le choix d'une formation à distance
Pour les concepteurs de la licence, le choix de la distance se justifie car cette
modalité est particulièrement adaptée aux démarches de Formation Continue,
notamment par la souplesse qu’offre l’utilisation d'une plateforme d’apprentissage en
ligne. L'usage des technologies faciliterait en effet :
- l'individualisation des parcours,
- l’adaptation du parcours à la logique de VAE ou de dispense,
- la validation progressive d’Unités d’Enseignement.
4.2.8 Contenus et structure des enseignements
La formation est organisée en trois séries d’enseignements (fondamentaux, pratiques,
et professionnels), plus une série d’enseignements organisée en parcours :
Parcours 1 : Action culturelle et lecture
Parcours 2 : Action culturelle, arts visuels et patrimoines
Parcours 3 : Action culturelle, arts vivants et de la scène
Parcours 4 : Action culturelle et jeunes publics
Le programme s’articule en cinq pôles. Il mobilise des enseignements théoriques et
critiques déclinés par domaines artistiques (Arts plastiques, Théâtre et arts de la scène,
Littérature et poésie) :
- le pôle « Arts, œuvres et culture » ouvre les connaissances sur l'Art, l'Œuvre et
leur questionnement culturel,
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 207
- le pôle « Institutions et politiques publiques de l’art et de la culture » apporte
les savoirs et pose les enjeux des logiques institutionnelles, professionnelles et
politiques du secteur culturel,
- le pôle « Populations et publics de l’art et de la culture » aborde les techniques
de connaissance des populations et des publics de l'art et de la culture,
- le pôle « Techniques » permet l’appropriation d’outils destinés à la conception et
la réalisation de projet,
- le pôle « Projet et stage », véritable fil conducteur de la formation, articule la
méthodologie de projet à l’ensemble des enseignements des autres pôles afin
d’appliquer les acquis fondamentaux à la réalité la plus concrète des situations
professionnelles (en stage ou en poste). Au-delà, cela permet à l’étudiant de concevoir
et d’élaborer un projet d’action culturelle qui s’inscrit dans son parcours professionnel.
4.2.9 Le dispositif technologique
La modalité à distance de la licence CMPC a été ouverte à la rentrée 2001 grâce à un
plan « Campus numérique » en partenariat avec le CNED (Centre National
d’Enseignement à Distance) intitulé « Campus Cultura », qui a permis le développement
de la plateforme CIBEO d’enseignement en ligne qui a perduré de 2001 à 2006. La fin
du partenariat a entraîné le changement de dispositif technologique. C’est ainsi que les
contenus ont été transférés sur la plateforme Claroline de l’Université de Provence
courant 2006. En 2007, un projet de rééditorialisation a été initié. La mise à plat des
contenus de 2008 à 2009 a permis une réingénierie de la formation, qui s’est achevée
par le passage sur la plateforme Moodle.
Sur la plateforme, les contenus pédagogiques sont répartis en cinq catégories
correspondant aux cinq pôles proposés dans la licence. A l’intérieur de chaque pôle se
trouvent les UE du domaine. Chaque UE est structurée de la même façon :
- un espace de « bienvenue » où les apprenants trouvent une fiche de
présentation des enseignants de l’UE et le cours, dans son intégralité, à
télécharger en format .pdf,
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 208
- un espace de communication comprenant des forums thématiques organisés
par formation (FD1 ou FD2 et FD3), un forum pour les devoirs en ligne, un
forum des nouvelles et, le cas échéant, les archives des forums de l’année
précédente,
- un espace de rendez-vous « chat » avec prise de rendez-vous et accès au
chat,
- un espace « regroupement » où se trouve l’enregistrement du 1er
regroupement de l’année,
- une section de présentation de l’UE et de ses objectifs,
- plusieurs sections, généralement au nombre de trois, autour des thèmes
principaux de l’UE, comprenant la lecture active du cours, des documents
complémentaires et tests d’auto-évaluation,
- une section pour le devoir en ligne comprenant l’énoncé, un espace de
soumission du devoir (lieu de dépôt), un espace de bibliographie et
webographie.
La licence CMPC est ensuite structurée en plusieurs « espaces » virtuels de
communication sur la plateforme :
L’espace étudiant de la licence a pour objectif l’accueil des étudiants, la
coordination et la communication de la formation. L’équipe pédagogique est présente
sur cet espace afin d’interagir avec les étudiants. En plus des nombreux forums de
discussions qui sont ouverts, des sections sont créés pour le bon fonctionnement de la
formation :
1) Présentation générale de la formation : De nombreux documents sont
déposés à l’attention des étudiants tels que le curriculum de la formation, le
guide des études, les liens vers les cours, le planning de la formation, un
tableau des échéances de rendu de devoirs, les enregistrements des TD lors
des regroupements.
2) Usages Moodle : Divers modes d’emploi se trouvent dans cette rubrique
tels que le mode d’emploi et la présentation des outils, le modes d’emploi
des espaces de communication, le mode d’emploi de la plateforme d’e-
portfolio Mahara.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 209
3) Regroupements : L’organisation des regroupements est décrite dans cet
espace et des documents s’y afférant y sont déposés.
4) @portfolio : Objectifs de l’activité, contenus et modes d’emploi sont
regroupés ici.
5) Stage tuteuré : Cet espace est dédié aux personnes sans activité ou
demandeurs d’emploi qui sont dans l’obligation d’effectuer un stage de 12
semaines à temps plein dans une structure culturelle ou artistique. Des
documents concernant la description du type de stage souhaité, la
convention de stage, l’avenant éventuel, et la fiche d’évaluation de fin de
stage sont regroupés dans cette section. Un accompagnement à la recherche
de stage est également prévu au travers de forums de discussion.
6) Tableaux des notes : Les tableaux des notes de contrôles continus et
d’examens sont déposés ici par filière et par année.
7) Informations pratiques : « Comment accéder au site de St Charles » à
Marseille et « où se loger » sont les deux principales rubriques de cette
section.
L’espace équipe pédagogique de la licence permet d’informer, d’échanger et
de discuter entre enseignants, chargés de cours et coordinateurs. Cinq grandes
sections le configurent :
1) Organisation de l’année : On y trouve la présentation générale de la
formation, le guide des études, une liste des étudiants inscrits dans le cursus,
un planning d’organisation général qui explique le rythme de travail des
étudiants, le type de travail à rendre, le contenu et l’échéance pour chaque
enseignement , et enfin un document explicitant le stage à effectuer en
entreprise.
2) Usages pédagogiques de la plateforme : Un historique suivi d’un bilan et des perspectives, et d’un état des lieux des usages pédagogiques de la
palteforme se trouvent dans cette section. Afin de continuer à faire évoluer
le dispositif, les tuteurs sont sollicités pour compléter une grille d’état des
lieux des différents outils de la plateforme et des usages qu’ils en font dans
leur enseignement. Un forum de discussion est également ouvert afin
d’échanger sur ces usages.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 210
3) Coordination des UE : Cet espace est dédié aux enseignants qui se
partagent la coordination d’une UE, telle que la méthodologie de projet.
4) Regroupements : Un planning des regroupements pour les étudiants des
trois filières (FD1, FD2 et FD3) est mis à la disposition des tuteurs, ainsi
que la liste des étudiants par filière. L’étude de cas et les sujets d’examens
qui ont été discutés et choisis en concertation sont déposés dans cette
section.
5) Mise en ligne et actualisation des cours : Une note de présentation
générale des cours est mise à disposition des enseignants et tuteurs, ainsi
qu’un tutoriel du dispositif pédagogique. L’objectif est ici de donner tous les
éléments pour construire son cours. Une trame de lecture active est
également proposée aux enseignants. Tous les contenus des UE sont
scénarisés de la même façon ; ils articulent ressources pédagogiques et
activités. Un suivi personnalisé est demandé à chaque tuteur. La structure
générale de chaque cours :
le cours : il doit être disponible en téléchargement pour les étudiants.
Il est essentiellement littéraire et comprend un plan détaillé, un
sommaire interactif, et une bibliographie. Son volume est
habituellement d’une quarantaine de pages.
les activités : pour compléter le cours, des ateliers sont organisés au
cours desquels les étudiants s’entre-évaluent, des devoirs avec corrigé
type sont proposés, ainsi que des quiz et autres exercices
d’autoévaluation. Une activité tout à fait remarquable par sa
singularité au regard de nombreux autres dispositifs d’enseignement
en ligne est l’activité de « lecture active » : il s’agit d’un parcours
multi-médiatisé (icônes, animations, liens internet, images, son)
réalisé grâce à une technologie SCORM. Le cours est découpé en
autant de thèmes qu’en comporte le cours sur support papier et a pour
objectif d’attirer l’attention de l’étudiant de manière différente sur des
notions, des concepts, des applications qui sont abordés au fil du
cours. Plusieurs niveaux sont développés : 1) « Vous devez savoir ça »
(« en deux mots », « regardez bien », « notions délicates »,
« synthèses et articulations ») ; 2) « Et aujourd’hui concrètement »
(description par l’exemple, problématisation de leurs effets sociaux) ;
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 211
3) « Oui mais encore » (retour sur le cours, lectures singulières,
nouvelles pistes de travail).
les vidéos des TD de regroupements : Deux TD sont enregistrés et
proposés ensuite en téléchargement. R1 – introduction des
enseignements (3h) et R2 – préparation aux examens (3h – étude de
cas et énoncé d’examen).
les espaces d’échanges autour du cours : chat, forum thématique,
forums spécifiques.
L’espace d’examen en ligne permet aux apprenants de télécharger l’énoncé de
l’examen 5 mn avant le début de l’épreuve depuis la rubrique « Mise à disposition de
l’énoncé », et de déposer le travail réalisé au bout du temps imparti pour l’épreuve
dans la rubrique « remise des copies ». Pendant tout le temps de l’épreuve, la
coordonnatrice reste disponible via le mél et skype.
Le tableau suivant permet une vue synthétique de l’organisation des espaces dans le
dispositif technologique.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 212
Espace Objectif Public Rubriques
Cours Enseignement / Apprentissage
Etudiants / Tuteurs / Coordonnatrice
Cours Espace de communication Rendez-vous chat Présentation et objectifs du cours Activités autour des thèmes étudiés Devoir en ligne
Etudiants Accueil / Coordination / Communication
Etudiants / Tuteurs / Coordonnatrice
Présentation organisation générale Liens vers les cours Regroupements @portfolio Stage tuteuré Tableaux de notes Informations pratiques
Equipe pédagogique Informer / Echanger/ Discuter
Tuteurs / Coordonnatrice
Organisation de l’année Usages pédagogiques Moodle Coordination de l’UE Regroupements Mise en ligne et actualisation des cours
Examens en ligne Composer / Evaluer Etudiants / Coordonnatrice
Enoncé des examens Dépôts des copies
Tableau 11 – Dispositif technologique de la licence CMPC à distance
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 213
En reprenant notre schéma sur le tutorat, nous avons placé les acteurs de ce
dispositif :
Figure 28 – L’encadrement au sein de la licence CMPC à distance
Nous constatons qu’il a été nécessaire d’adapter notre schéma pour différencier la
coordonnatrice des autres tuteurs de l’équipe. Elle garde néanmoins une place centrale
dans le dispositif, comme mis en lumière par Paquette (2001). Les interactions tuteurs-
apprenants sont préconisées essentiellement à travers les espaces prévus sur la
plateforme technologique. Nous verrons à travers les entretiens que nous avons menés si
cette consigne a été respectée, quels usages se sont développés côté apprenants, et côté
tuteurs.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 214
4.3 Collecte des données
Notre recherche combine une collecte de données primaires à travers des entretiens
semi-directifs menés à partir d’un guide d’entretien, et l’étude de la documentation
considérée comme données secondaires;; cela conduisant à l’utilisation de données
qualitatives (Eisenhardt, 1989).
4.3.1 Les entretiens semi-directifs
A l’issue de notre revue de littérature et après avoir dégagé les grands concepts qui
permettaient de répondre à nos questions de recherche, nous avons élaboré deux guides
d’entretiens semi-directifs. Le premier guide concerne les apprenants ; le second, les
tuteurs. Un troisième guide a été élaboré pour la coordonnatrice de la formation, à partir
du guide des tuteurs. En effet, il nous semblait important de croiser les regards des
différents acteurs du dispositif, même si notre étude porte sur l’appropriation par les
apprenants.
D’un point de vue méthodologique, l’ordre des questions a suivi l’approche de
Blanchet et Gottman (1992) : à une séquence narrative (factuelle) suivait une séquence
informative (opinion et interprétation). Chaque thème ou même chaque idée était alors
développé au travers de deux questions : la première suscitait la description, la seconde
appelait à une réflexion de l’acteur.
Une relation de confiance s’est établie chaque fois assez facilement, notamment du
fait que nous soyons tous étudiants, quels que soient nos âges respectifs.
Les entretiens commençaient toujours par la présentation du projet de recherche
dans des termes généraux, en les prévenant que la plupart des questions porteraient sur
la problématique générale des technologies de l’information et sur le tutorat. Nous leur
précisions ce que nous attendions d’eux et leur garantissions l’anonymat de l’entretien.
Une autorisation d’enregistrer notre échange leur était également demandée. Durant
l’entretien, les acteurs avaient librement accès à la grille d’entretien. D’ailleurs, le
déroulement de l’entretien prenait la forme d’une conversation. La grille d’entretien
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 215
était davantage un guide qu’un questionnaire. L’ordre et la teneur des questions étaient
alors adaptés aux réponses de l’interlocuteur. Durant les entretiens des notes étaient
prises. Elles consistaient à relever des mots clefs cités par l’interviewé. Cela permettait
de relancer l’acteur sur une piste intéressante a priori, et de personnaliser en temps réel
la grille de lecture. Cette méthode fut préférée à celle de la prise de notes exhaustives,
car nous savions que les retranscriptions allaient s’effectuer rapidement après
l’entretien. Ensuite, l’analyse pouvait commencer. Après les retranscriptions, nous
avons procédé à une interprétation d’ensemble qui consiste à confronter les entretiens
avec les notes de terrain.
Le guide d’entretien était organisé autour de grandes parties. Quelques
renseignements généraux concernant chaque personne, en préambule, nous ont permis
de mieux cerner le contexte de son apprentissage : identité, âge, situations personnelle et
professionnelle, expérience préalable d’un enseignement à distance, études suivies,
formations aux TIC, usages des TIC. Nous démarrions ensuite sur la formation en ligne
elle-même : une première partie concernait les outils et leurs usages, la façon dont ils
avaient développés ces derniers et avec qui le cas échéant, l’évolution qu’ils avaient
constatée depuis le début de leur formation, les difficultés qu’ils avaient rencontrées, les
interactions qu’ils avaient avec les autres acteurs de la formation ; une seconde partie
concernant leur perception des technologies avant la formation puis au moment de
l’entretien, leur perception du rôle du tuteur, et les interactions qui les avaient le plus
aidé ; enfin, une dernière partie qui se voulait être une ouverture pour leur permettre de
s’exprimer plus librement dans laquelle, d’une part, nous leur demandions d’évoquer
une anecdote qui les aurait particulièrement marqué au cours de leur formation, et,
d’autre part, nous leur proposions d’aborder un autre sujet que nous n’avions pas
évoqué et sur lequel ils souhaitaient s’exprimer. Les trois guides d’entretien étaient
sensiblement les mêmes, bien que nous ayons adapté certaines questions selon que nous
nous adressions aux apprenants, aux tuteurs ou à la coordonnatrice de la formation.
Nous avons ainsi mené 19 entretiens semi-directifs. La quasi-totalité de ces
entretiens ont eu lieu sur le site de l’université, sur le campus de St Charles à Marseille,
lors des périodes de regroupements en présentiel de mars et de juin 2012.
Pour obtenir des rendez-vous auprès des étudiants et des tuteurs, nous sommes
passée par l’intermédiaire de la coordonnatrice de la formation. Des messages ont été
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 216
postés dans les forums avec un courrier que nous avions rédigé à l’attention des tuteurs
d’une part, et des apprenants d’autre part, afin de leur expliquer notre démarche et
l’objectif de ces entretiens. Un calendrier élaboré sur Doodle proposait des créneaux de
rendez-vous tout au long de la semaine. Etant donné le surcroît de temps que demande
l’organisation des semaines en présentiel, et sachant par ailleurs qu’elles sont l’occasion
d’organiser des examens sur table, peu d’étudiants avaient répondu à notre demande
avant le regroupement en présentiel. Nous avons donc participé à la 1ère réunion de la
semaine, avec l’accord de la coordonnatrice. Ceci nous a permis de nous présenter et
d’établir un calendrier de rendez-vous pour ceux qui ont accepté de participer à ce
travail de recherche. Les contacts avec les tuteurs ont été un peu plus complexes étant
donné qu’ils n’étaient pas tous présents aux regroupements.
Une salle nous avait été réservée pour chacune des deux semaines de regroupement
de mars et juin 2012. Trois entretiens avec des tuteurs ont été effectués en dehors de ces
périodes. Précisément, début avril, nous avons réalisé un entretien via le logiciel skype
avec un tuteur qui travaillait sur Montpellier et qui ne pouvait pas se déplacer. Courant
avril, nous sommes retournée sur le campus St Charles à Marseille pour l’entretien avec
la coordonnatrice de la formation. Le dernier entretien a eu lieu fin juillet 2012,
également via la logiciel skype, avec l’ingénieur pédagogique en charge du tutorat
technique. Tous ces entretiens ont été enregistrés avec l’accord des personnes
interviewées puis retranscrits dans leur intégralité. Leur durée était en moyenne de 45
minutes.
Nous avons obtenu une bonne représentativité des apprenants puisque nous avons
interviewé 6 étudiants en formation pour 1 an sur 11 inscrits, 5 étudiants en formation
pour 2 ans et en fin de cursus (2ème année) sur 14 inscrits à ce niveau, et 3 étudiants en
formation pour 3 ans, l’une en 2ème année (la seule inscrite à ce niveau) et les deux
autres en 3ème année (sur 13 inscrits).
Les entretiens que nous avons mené auprès des tuteurs étaient au nombre de cinq :
trois tuteurs pédagogiques, le tuteur technique de l’équipe qui assure également des
fonctions d’accompagnement des enseignants sur la scénarisation et la médiatisation de
leurs cours, et la coordonnatrice de la formation qui est également tuteur pédagogique
sur une UE. Sur l’ensemble de ces personnes, seule une tutrice était nouvelle dans ces
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 217
fonctions ;; elle n’assurait le tutorat de son UE que depuis janvier 2012. Les autres
avaient entre 4 et 6 ans d’expérience dans ce cursus.
4.3.2 Les données secondaires
Avant les entretiens et après ceux-ci, nous avons pu collecter un certain nombre de
documents qui nous ont permis de compléter notre analyse. La coordonnatrice de la
formation nous a transmis certains documents qu’elle avait elle-même établis et elle
nous a donné accès à l’ensemble de la plateforme d’enseignement en ligne afin de
pouvoir consulter l’intégralité des documents déposés. Parmi ceux-ci, un certain nombre
étaient particulièrement pertinents pour notre recherche :
- L’état des lieux effectué en 2011 sur l’usage des outils de la plateforme par les
tuteurs nous a permis de compléter notre analyse et de vérifier l’adéquation avec
les résultats de nos entretiens.
- Les documents sur l’organisation de la formation ont été très utiles à la
compréhension générale du dispositif pédagogique mis en œuvre et de
l’encadrement à distance à travers l’équipe de tuteurs.
- Les plannings des regroupements en fonction des filières et des années ont mis
en évidence la complexité du suivi de l’avancement des apprenants en fonction
des filières choisies et du rythme de formation adopté.
- Les différents guides des études, tutoriels, modes d’emploi, charte (du tuteur)
mettent en valeur les compétences nécessaires à l’enseignement et
l’apprentissage en ligne, ainsi que les droits et les devoirs de chacun des acteurs
dans les temps de réactivité et d’interactions.
4.3.3 La grille d’analyse et le codage des verbatims
Nous avons procédé à une analyse catégorielle thématique du corpus constitué par
les entretiens semi-directifs et les documents collectés lors de notre étude de terrain à
l’aide du logiciel NVivo. Cette analyse prend tout d’abord la forme d’un codage. Cette
opération « consiste à découper les données en unités d’analyse, à définir les catégories
qui vont les accueillir, puis à placer (ranger ou catégoriser) les unités dans ces
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 218
catégories » (Allard-Poesi, 2003, p.246). Cette étape permet au chercheur de structurer
ses données, gérer les volumes, faire émerger des concepts et définir des catégories
conceptuelles (Mouricou, 2009).
Un premier dictionnaire de thèmes a été élaboré a priori, en cohérence avec nos
questions et sous-questions de recherche et à partir de notre revue de littérature et du
cadre conceptuel que nous en avons dégagé, suivant une démarche déductive. Le
dictionnaire a été enrichi au fur et à mesure du traitement des données en fonction des
thématiques abordées et repérées lors des entretiens (Miles et Huberman, 1984).
Notamment, les actions situées et récurrentes qui ont émergé lors de la mise en pratique
des technologies ne pouvaient être portées à notre connaissance qu’à travers les
entretiens. Elles ont donc fait l’objet de rajout de codes dans notre dictionnaire. Par
ailleurs, lors du traitement des données, des opérations de fusion/rapprochement de
nœuds ont été opérées, entre ceux établis a priori et ceux qui ont émergé des entretiens.
Cette démarche abductive a permis d’affiner l’arborescence de catégories, de thèmes et
de codes qui constituent un dictionnaire finalisé à l’issue de ce processus (cf annexe II).
Une fois notre grille établie, nous avons procédé au codage à partir de la fonction
« nœud » du logiciel NVivo 10, distribué par la société QSR International. Comme le
rappelle Gibbs (2003), ce type de logiciel ne réalise pas l’analyse à la place du
chercheur. Il se contente de lui épargner la gestion manuelle des documents et des codes
(Mouricou, 2009).
Le codage est une opération d’analyse qui permet d’examiner les données pour leur
attribuer une unité de sens. Les codes permettent d’extraire et d’organiser des segments
de texte. Le codage facilite le travail de comparaison parce qu’il permet la mise en
relation de passages traitant des mêmes sujets. Notre corpus de textes a donc été importé
sur NVivo afin de procéder à ce codage thématique. Le schéma 1 (Mouricou, 2009)
donne un aperçu de ce que sont le codage et l’analyse des données qualitatives.
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 219
Codage et analyse des données qualitatives
Thème 1
Entretien 1 - Code 1.1
Entretien 2 - Code 1.2
Entretien 3 - Code 1.3
Notes de terrain Résultats de la recherche Entretien 4 Thème 2
Document - Code 2.1
- Code 2.2
Corpus Dictionnaire des thèmes
Déstructuration et Restructuration et
décontextualisation des données recontextualisation des données
Figure 29 - Codage et analyse des données qualitatives – (Mouricou, 2009 ; adapté de Deschenaux, 2007)
Dans NVivo, les nœuds représentent les codes. Un même nœud peut coder des
passages issus de plusieurs documents, tout comme un document peut être codé par
plusieurs nœuds. Le codage permet, en fait, d’identifier des passages qui renvoient aux
mêmes concepts et de les regrouper. Les nœuds sont structurés en une arborescence
avec des catégories, des sous-catégories et des catégories de 3ème niveau : « Les
hiérarchiser vous incite à clarifier vos idées, identifier des propriétés communes, voir
des catégories manquantes et trier des catégories qui se chevauchent. Et vous voyez
clairement de quels genres de choses votre projet traite - la structure de vos données »
Chapitre V Méthodologie – Epistémologie – Présentation du terrain
Valérie Caraguel 220
(Bazeley et Jackson, 2013, p. 94) 47. Ce travail permet également de faire émerger des
relations entre les différents concepts.
L’ensemble des codes, des thèmes et des catégories, regroupés au sein d’une
arborescence, constitue le dictionnaire des thèmes.
Dans NVivo, un cas a été créé par entretien, défini par un ensemble d’attributs. Pour
ce faire, un codage signalétique (Richards, 2005) a été effectué à travers les premières
questions de nos questions (âge, choix du parcours, année de formation).
Les requêtes nous ont notamment permis d’effectuer des recherches textuelles et des
comparaisons d’encodage. L’élaboration d’une matrice dite « à condensés » a facilité
notre lecture des données. La condensation est particulièrement utile en cas d’utilisation
de retranscriptions d’entretien car elle permet une présentation des données sous forme
de grille. Comme le notent Miles et Huberman (2003), la condensation des données
renvoie à « l'ensemble des processus de sélection, centralisation, simplification,
abstraction et transformation des données brutes figurant dans les transcriptions des
notes de terrain ». L’utilisation du contenu condensé facilite ainsi la consultation de
tout ce qui concerne un thème dans une colonne, ou la consultation des liens entre les
différents thèmes pour une personne donnée en lisant une ligne.
La création de fiches de debriefing sous forme de mémos pour chaque entretien
nous a permis de consigner un certain nombre d’impressions et de quelques notes
synthétiques à la sortie de chaque entrevue. Ces éléments ont pu être intégrés à notre
codage.
Enfin, nous avons utilisé la fonction de modélisation du logiciel NVivo afin d’élaborer
un modèle, construit sur la base de ces analyses, modèle que nous présenterons dans le
chapitre VI, lors de l’interprétation des résultats. La visualisation du modèle nous a
permis de faire émerger de nouvelles relations qui n’ont pas été générées
automatiquement par NVivo.
47 Traduction par nos soins de: “sorting them into hierarchies prompts you to clarify your ideas, to identify common properties, see missing categories, and sort out categories that overlap. And you clearly see what kinds of things your project is dealing with – the structure of your data”
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 221
CHAPITRE VI : PRESENTATION ET DISCUSSION DES RESULTATS
1 Introduction p.222
2 Présentation des thématiques p.224
3 Présentation des résultats p.231
4 Interprétation des résultats et discussion p.260
5 Synthèse des résultats de la thèse p.282
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 222
CHAPITRE VI – PRESENTATION ET DISCUSSION DES RESULTATS
1 Introduction
En allant sur le terrain, le chercheur doit avoir une théorie en tête (David, 2002). Le
cas étudié joue « un rôle de support et facilite notre compréhension d’autre chose »
(Stake, 1998, p. 137)48. Même si les théories et le sujet d’étude sont approximatifs, ils
structurent l’observation, le recueil d’informations et évitent l’éparpillement de
l’attention du chercheur (Hussenot, 2008). Si, dans le cas de la licence professionnelle
en ligne, le recueil des données est circonscrit dans le temps (mars 2012 – juillet 2012),
comme nous l’avons indiqué au chapitre précédent, il reflète la perception d’apprenants
qui ont étudié sur une période pouvant aller jusqu’à trois années. De plus, le travail
d’analyse du chercheur et de construction des savoirs se poursuit bien au-delà du temps
de présence sur le terrain. En questionnant sans cesse les théories et les pratiques
(Avenier, 2007), en construisant et déconstruisant les énoncés produits, en analysant
données primaires (les entretiens) et données secondaires (la documentation fournie par
les responsables de la licence), nous avons pu produite une grille d’analyse des données
permettant de répondre à nos question et sous-questions de recherche que nous
rappelons ici :
Quels dispositifs d’interactions tuteur-apprenant afin de faciliter l’appropriation des technologies par les apprenants dans un contexte
d’e-learning ? Question qui peut être décomposée en sous-questions de recherche:
Quelles modalités d’intervention du tuteur sont-elles susceptibles de participer à l’appropriation des TIC dans un environnement en e-
learning ? Comment les modalités d’interventions tutorales évoluent-elles au regard
du processus d’appropriation des technologies ? Quel est le rôle de la médiatisation par le tuteur dans l’apprentissage ?
48 « It plays a supportive role and it facilitates our understanding of something else » (Stake, 1998, p.137).
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 223
Plusieurs résultats se dégagent de cette recherche, les uns en réponse à nos
questionnements, les autres émergeant du terrain.
Les entretiens menés auprès des apprenants et des tuteurs et coordonnateurs du
dispositif montrent que l’appropriation de la technologie au sein de ce dispositif ne
semble pas poser de véritables problèmes, y compris pour les novices ou les réfractaires
aux TIC. L’analyse de nos données montre, à travers notre grille de lecture des
technologies en pratique et l’émergence des actions situées des apprenants, qu’il y a au
moins deux explications à ce phénomène, qui tiennent, d’une part, au travail préalable
au démarrage de l’apprentissage, et d’autre part, à un soutien tutoral pendant le
processus d’appropriation.
Les entretiens ont également mis à jour deux nouveaux rôles pour le tuteur ; celui de
facilitateur de tutorat entre pairs, d’une part, et de Knowledge Manager, d’autre part.
La première partie de ce chapitre est consacré à l’exposé de notre grille de codage
des entretiens. Une seconde partie présente l’ensemble de nos résultats. Puis, en
troisième partie, nous proposons une interprétation et une discussion de ces résultats.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 224
2 Présentation des thématiques
Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, nous avons dégagé, de notre
revue de littérature, de grands thèmes et des concepts qui nous ont permis de construire
une grille de codage des entretiens. L’objectif de ce travail est, bien entendu, d’apporter
des éléments de réponse à nos questions et sous-questions de recherche.
Notre grille de lecture est organisée selon quatre grandes catégories :
- une première catégorie intitulée « technologie en pratique » se rapporte aux
pratiques liées à l’usage de la technologie par les apprenants. Nous
opérationnalisons ici les travaux d’Orlikowski (2000) en utilisant sa grille de
l’enactment des technologies ;
- une deuxième catégorie, « familiarité avec les TIC », a pour objectif d’identifier
le processus d’appropriation des technologies à partir d’items déclaratifs des
apprenants ;
- une troisième catégorie porte sur les interventions du tuteur dans le dispositif
d’enseignement en ligne observé (Salmon, 2000, 2002 ; Paquette, 2001 ; Rodet,
2010, 2013);
- enfin, la quatrième catégorie, s’intéresse à la perception du rôle du tuteur en ligne par les apprenants (Berge 1995 ; Daele et Docq, 2002 ; Peraya et Descryver,
2003 ; Kim et al, 2007) ;
2.1 La catégorie « technologie en pratique »
Afin de faire émerger des actions situées et récurrentes, nous avons montré, dans le
chapitre IV, l’importance des technologies en pratique, au sens d’Orlikowski (2000).
Dans le cas que nous observons, nous allons clarifier, dans un premier temps, les
différentes dimensions que sont les propriétés structurelles du dispositif d’e-learning
dans lesquels les apprenants évoluent, les actions situées et récurrentes qu’ils réalisent
et les modalités que leur sont rattachées et qui sont des sources d’explication de ces
actions.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 225
Agen
ce
Stru
ctur
e
Technologie en pratique
(Règles et ressources instanciées dans l’usage de la technologie)
Facilités Normes Schèmes d’interprétation (matériel, (protocoles, (supposition, logiciel) étiquettes) connaissance)
Usages en cours de la technologie
Autres structures enactées dans l’usage de la technologie
Figure 30 - Enactment de la "technologie en pratique" (Orlikowski, 2000, p. 140)
Comme nous l’avons vu lors de l’exposé de l’étude de cas, quatre ensembles de
propriétés structurelles se distinguent dans le dispositif pédagogique de la licence
professionnelle CMPC. Seulement deux d’entre eux entrent dans notre champ d’étude :
- L’« espace cours » est un espace dédié à l’apprentissage où des ressources
pédagogiques sont déposées, des activités telles que les quiz, les exercices, la
lecture active sont proposées aux apprenants, et où des TD enregistrés permettent
de dérouler à nouveau les séances qui ont eu lieu lors des regroupements en
présentiel. Enfin, des forums de discussion sont ouverts pour chaque cours afin
d’échanger entre apprenants et tuteurs.
- L’« espace étudiants » est un lieu d’accueil, de coordination et de
communication entre l’équipe pédagogique et les apprenants. C’est un espace à
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 226
vocation, d’une part, administrative, puisqu’on y trouve les informations
pratiques concernant la formation, les renseignements pour effectuer le stage
tuteuré et le portfolio électronique lié au projet professionnel, et les tableaux de
notes des apprenants ;; d’autre part, organisationnelle, puisqu’il comporte la
présentation de l’organisation générale de l’année, les liens vers les cours, les
éléments concernant les regroupements en présentiel. Des forums de discussion
sont également ouverts à ce niveau plus général du dispositif.
- L’« espace équipe pédagogique » est réservé aux tuteurs et à la coordonnatrice
de la formation. Il a pour vocation d’aider à l’organisation de l’année et à la
coordination de l’équipe. Il n’a pas été étudié dans notre dispositif de recherche
étant donné qu’il n’est pas ouvert aux apprenants.
- L’« espace examens en ligne » n’a pas pu être exploré dans notre étude étant
donné qu’aucune des personnes que nous avons interrogées n’a évoqué cet espace.
La nature des actions que l’utilisateur va répéter à partir de son usage quotidien de
l’outil technologique est important à observer (Orlikowski, 2000). En effet, les
actions situées et récurrentes, dans chacun des espaces, renvoient à des pratiques du
type : télécharger le document pédagogique dans l’espace cours de l’UE, naviguer dans
les forums de discussion, poster un message dans un forum, faire un QCM en ligne,
récupérer l’énoncé d’un devoir, déposer un devoir, suivre la progression du cours à
travers la lecture active.
- Les modalités médiatisent l’interaction entre les pratiques et le structurel, et
livrent les éléments tangibles des propriétés structurelles. Ces derniers permettent
de comprendre les actions situées et récurrentes des utilisateurs. Orlikowski
(2000) définit les modalités à partir de trois éléments : les moyens, les normes et
les schèmes d’interprétations :
- Les moyens sont les ressources mises à disposition pour réaliser les actions
situées et récurrents, à savoir la formation de prise en main de la plateforme
technologique, les tutoriels et guides à destination des apprenants, le dispositif
d’interventions tutorales prévu a priori (forums de discussion, remise d’un
devoir/correction par semaine,...). De nouveaux moyens sont mis en œuvre tels
que les chats en cas de conflit ou de blocage.
- Les normes enactées à travers l’usage de l’espace de cours et de l’espace
étudiant sont les procédures officielles - ou considérées comme d’usage. Sont
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 227
compris dans ces normes le respect des procédures, le respect des consignes
d’usage données par le tuteur telles que poster un message dans le forum
approprié, poser les questions se référant aux cours au tuteur pédagogique en
charge de ce cours.
- Les schèmes d’interprétation enactés à l’usage de l’espace de cours et de
l’espace étudiant sont les perceptions, les sentiments, les interprétations, les idées
reçues que les apprenants ont de la plateforme technologique.
Ainsi notre grille de codage pour représenter la catégorie « technologie en pratique »
comporte trois thèmes : moyens, normes, et schèmes d’interprétation.
Technologie en pratique
(Orlikowski, 2000)
Moyens
Normes
Schèmes d’interprétation
Tableau 12 - Grille de codage pour la technologie en pratique
2.2 Catégorie « Familiarité avec les TIC »
Pour repérer l’évolution de l’appropriation des TIC chez les apprenants, les
questions posées lors des entretiens nous permettent d’ajouter dans notre grille de
codage la catégorie « Familiarité avec les TIC » que nous divisons en deux étapes :
initiale et finale. Les apprenants nous ont décrit quelle perception ils avaient de la
plateforme technologique lors du démarrage de la formation, puis celle qu’ils avaient au
moment de l’entretien.
Familiarité avec les TIC Initiale
Finale
Tableau 13 – Grille de codage pour la familiarité avec les TIC
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 228
2.3 La catégorie « interventions du tuteur »
Nous avons introduit dans la grille de codage de nos entretiens plusieurs concepts
identifiés dans la littérature comme importants pour identifier les interventions du
tuteur.
- Les travaux de Paquette (2001) ont mis en lumière trois natures d’intervention
tutorales : tutorat individuel – le tuteur avec un apprenant ; tutorat collectif – le
tuteur avec le groupe d’apprenants, tutorat entre pairs – les apprenants entre eux.
- L’initiative des interventions peut venir soit du tuteur – il s’agit alors d’une
intervention dite proactive -, soit il peut s’agir d’une réponse à la demande d’un
apprenant ou du groupe d’apprenants – intervention réactive - (Rodet, 2010,
2013).
- Le caractère de l’intervention nous a paru important. Elle peut être prévue à
l’avance, ou elle peut être spontanée, du fait de l’avancement du travail des
apprenants et du fait de leur progression dans le processus d’apprentissage.
- Les outils mis en œuvre permettent des interventions de type asynchrones – en
différé dans le temps -, ou synchrones – tous les usagers sont connectés en même
temps-.
- Les travaux de Salmon (2000, 2002) ont montré que les interventions du tuteur
étaient différentes selon qu’elles se situaient au début du processus
d’apprentissage, en cours de processus ou à la fin. Il nous est donc paru pertinent
d’introduire ces éléments dans notre grille de lecture. Ils apparaissent sous le
vocable de « temporalité » qui nous paraît résumer les caractéristiques
processuelles de ces interventions.
- Enfin, il nous a semblé important, après avoir mené nos premiers entretiens,
d’identifier l’objet des interventions du tuteur : s’agit-il plutôt d’interactions
portant sur les contenus, sur la technologie, sur l’organisation du travail des
apprenants, ou encore sur un plan socio-affectif.
Ainsi, tous ces éléments ont été regroupés sous forme de thèmes dans notre grille de
codage :
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 229
Interventions du tuteur
Nature des interventions tutorales
(Paquette, 2001)
Initiative des interventions tutorales
Caractère de l’intervention
Types d’interventions
Temporalité (Salmon, 2000, 2002 ;
Orlikowski, 2002)
Objet de l’intervention
Tableau 14– Grille de codage pour les interventions du tuteur
2.4 Catégorie « Rôles du tuteur »
L’étude de la littérature sur le tuteur a permis d’identifier quatre rôles fondamentaux,
deux d’entre eux sont subdivisés en deux parties. Le rôle pédagogique concerne
l’expertise du tuteur sur les contenus au plan cognitif, et la stratégie d’apprentissage au
plan métacognitif. Le rôle organisationnel porte à la fois sur l’ingénierie de formation
du dispositif, et sur les activités que le tuteur met en œuvre dans son enseignement.
Chaque rôle et plan dans ce rôle représente un code dans notre grille de lecture. Sont
également codés les rôles socio-affectif et technique du tuteur.
L’objectif de cette partie de la grille est de pouvoir coder la perception que les
apprenants ont du rôle du tuteur.
Rôles du tuteur
pédagogique
organisationnel
technique
socio-affectif
Tableau 15 – Grille de codage pour les rôles du tuteur
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 230
Nous obtenons ainsi la grille de codage présentée ci-dessous :
Catégories Thèmes
Technologie en pratique (Orlikowski, 2000)
Moyens
Normes
Schèmes d’interprétation
Familiarité avec les TIC Initiale
Finale
Interventions du tuteur
Nature des interventions
(Paquette, 2001)
Initiative des interventions
Caractère de l’intervention
Types d’intervention
Temporalité (Salmon, 2000,
2002 ; Orlikowski, 2002)
Objet de l’intervention
Rôles du tuteur
pédagogique
organisationnel
technique
socio-affectif
Tableau 16 – Grille de codage générale
Rappelons, comme nous l’avons énoncé au chapitre précédent, que nous avons créé
une grille de codage sous NVivo à partir de ce travail. Nous totalisons 38 codes
regroupés, sous forme d’arborescence, en thèmes et catégories tel que présenté dans ce
tableau.
Nous avons ensuite importé l’ensemble de notre corpus de texte sur NVivo et
procédé à l’analyse des données, analyse que nous avons détaillée au chapitre V.
Dans l’exposé de nos résultats qui suit, nous allons étudier chaque thème de chaque
catégorie en relation avec nos entretiens.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 231
3 Présentation des résultats
Sur la base de la grille de lecture que nous proposons, nous avons procédé à l’analyse
des données.
La catégorie « technologie en pratique » a permis de faire émerger quatre actions
situées récurrentes et trois types d’usage des technologies.
Nous avons mesuré les usages et pratiques des apprenants, ainsi que leurs attitudes et
sentiments vis-à-vis des TIC, d’une part, avant le démarrage de la formation, et d’autre
part, au moment des entretiens, ce qui correspond à une phase finale, pour la plupart des
apprenants interrogés. Ceci nous permet d’observer la perception de l’évolution de leur
degré de familiarité avec les technologies. Ce travail nous a permis de dégager deux
archétypes d’usagers – neutre et régénéré - et deux trajectoires d’appropriation –
équilibrée et catalytique.
La catégorie concernant les interventions du tuteur nous permet de voir les
différentes interactions mises en œuvre dans le dispositif d’enseignement en ligne. Ces
résultats donnent quelques éléments de réponse à nos questions de recherche portant sur
le dispositif d’interactions.
Enfin, nous présentons la perception des apprenants quant aux rôles du tuteur, ainsi
que des résultats complémentaires émergents et les apports, d’une part, de nos entretiens
avec les tuteurs, et, d’autre part, ce que nous avons appris des données secondaires.
Nous détaillons dans cette partie l’ensemble des résultats en les étayant avec des
extraits de verbatim issus des entretiens que nous avons menés.
3.1 Actions situées récurrentes émergentes
La lecture de nos entretiens par le prisme de la grille de l’enactment de la technologie
en pratique d’Orlikowski (2000) a permis de faire émerger des actions situées
récurrentes émergentes. En effet, Orlikowski (2000) permet de mettre en lumière les
actions émergentes par l’usage des technologies, dans un environnement particulier.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 232
Quatre actions récurrentes sont décrites par la plupart des apprenants :
- la lecture des messages provenant de la plateforme Moodle, sur le Bureau
Virtuel (BV),
- le processus d’apprentissage en plusieurs étapes : (1) téléchargement et
impression du document de cours en .pdf, (2) étude du cours (sur papier), (3)
lecture active sur la plateforme, (4) Quiz d’autoévaluation, (5) Devoir déposé
sur la plateforme,
- Recherche approfondie d’information dans les archives,
- Entraide au sein du groupe d’apprenants.
3.1.1 La lecture des messages sur le bureau virtuel
Une apprenante en 1 an nous précise qu’elle va systématiquement tous les jours sur
le bureau virtuel pour voir l’ensemble des messages postés sur les forums de la
plateforme. En effet, une option d’envoi automatique des messages sur la boîte
électronique de chacun a été paramétrée sur la plateforme Moodle.
« Ça me fait gagner du temps, [...]. Je préfère aller directement là-dessus plutôt que
de visiter les forums de toutes les matières, parce que chaque forum a des sous
catégories ;; c’est moi qui sélectionne en fonction des sujets, ce que je vais aller voir
en priorité ».
Une autre apprenante, à propos de la copie des post des forums dans la messagerie
individuelle, précise :
« C’est primordial, sinon je pense que je serai encore plus coupée, [...], forcément
on est un peu tout seul dans notre coin ».
Pour les apprenants qui lisent les post des forums à travers leur boîte de messagerie
individuelle, cette action récurrente permet de gagner du temps et de visualiser d’un
seul coup d’œil l’ensemble de l’actualité de la formation. Comme nous le dit cette
apprenante :
« Cela permet de centraliser car les forums sont éparpillés dans tous les cours ».
Cette même pratique suggérée par les responsables de la formation ne convient pas à
tous et l’envoi systématique peut être considéré comme une surcharge:
« Ça marche beaucoup forcément par forums, avec des messages qui sont envoyés
sur la messagerie de votre bureau virtuel. [...] J'en suis à 500 messages sur la boîte
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 233
de l’université, et je ne vois pas l'intérêt de rajouter 500 messages aux 300 qui me
viennent du domaine artistique on va dire ! ».
Une autre apprenante précise :
« A chaque fois que je l’ouvre [la boîte mail], y a 45 posts, et donc du coup 45 mails
qui nous disent, que quelqu’un a mis ça ou ça, ou telle remarque et que quelqu’un a
répondu [...]. Ca donne une impression d’avalanche ;; mais aussi c’est très décousu,
c’est-à-dire qu’à part le mail, on ne retrouve pas la conversation d’où ça vient ».
La lecture des messages des forums sur la boîte aux lettres individuelle a été
suggérée par l’organisation de la formation en ligne. Cette proposition a bien été suivie
par la plupart des apprenants et, à ce titre, elle constitue bien une action située
récurrente émergente.
3.1.2 Le processus d’apprentissage
Le dispositif d’apprentissage de la licence CMPC à distance a été, comme nous
l’avons vu dans le chapitre V, construit par une équipe pédagogique soucieuse du
processus d’apprentissage de ses étudiants. La prise en compte de la forme spécifique
de cet apprentissage du fait de la mise en ligne des contenus a été, pour les enseignants,
l’occasion de questionner leurs pratiques d’enseignement et de revisiter leurs contenus.
Une « rééditorialisation » des contenus - ainsi nommée par l’équipe pédagogique de la
licence – a été opérée à deux reprises depuis la création du diplôme en ligne.
L’ingénieur pédagogique en charge de l’accompagnement des enseignants nous dit,
évoquant son parcours professionnel :
« Ça me donne les moyens de pouvoir les pousser à faire…euh…à produire du
cours, que les étudiants qui seront en ligne vont pouvoir acquérir. [...]Donc j’essaie
de pousser les enseignants, parfois un peu dans leur retranchements, pour qu’ils…
comprennent exactement ce qui est important dans l’enseignement à acquérir. Et moi
après, je trouve des solutions techniques, donc dans les outils offerts par la
plateforme, les activités offertes ».
Dans le respect de cet esprit de travail, les contenus ont été développés par des
enseignants. Les activités mises en œuvre ont été pensées en tenant compte de la
progression des étudiants dans leur apprentissage et essayant d’anticiper leurs
éventuelles difficultés. C’est ainsi que l’activité de « lecture active » a été créée.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 234
Comme nous l’avions évoqué dans le chapitre V, la lecture active est un parcours multi-
médiatisé, réalisé grâce à une technologie SCORM. On y trouve autant de thèmes qu’en
comporte le cours sur support papier. L’objectif est d’attirer l’attention de l’étudiant de
manière différente sur des notions ou concepts abordés au fil du cours. Plusieurs
niveaux sont développés :
1) « Vous devez savoir ça » (« en deux mots », « regardez bien », « notions
délicates », « synthèses et articulations ») ;
2) « Et aujourd’hui concrètement » (description par l’exemple, problématisation de
leurs effets sociaux) ;
3) « Oui mais encore » (retour sur le cours, lectures singulières, nouvelles pistes de
travail).
Par conséquent, un processus-type d’apprentissage en plusieurs étapes a été
développé par l’équipe de la licence CMPC :
1) téléchargement et impression du document de cours en .pdf,
2) étude du cours (sur papier),
3) lecture active sur la plateforme,
4) Quiz d’autoévaluation,
5) Devoir à déposer sur la plateforme,
A travers les entretiens avec les apprenants, nous avons pu constater que tous
suivaient ce processus. Une apprenante nous dit :
« On peut télécharger les cours, donc le cours intégral en papier. Donc on peut
travailler comme ça. Et y'a également le cours intégral, enfin le cours en ligne, la
lecture active. C'est plus enrichi, c'est avec des exemples parfois ou des fois, ça
bascule sur les…sur les p'tits devoirs ou voilà, enfin y'a les tests, les quizz ».
Une autre :
« Disons qu'en fait, après lecture du cours sur papier, (j'imprime parce que la
lecture à l'écran, c'est pas très évident), j'aime bien aller sur la lecture active parce
que ça reconcentre un peu le cours; et puis le quizz, c'est assez ludique pour essayer
de voir si on a bien compris, ou si y'a des points qui sont encore sombres. Ça nous
permet quand on nous pose des questions, à travers le quizz, de savoir ce qui nous
manque quoi ».
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 235
Cette autre apprenante nous dit qu’elle suit effectivement le processus
d’apprentissage tel qu’il est prescrit ; cependant :
« La question de lecture active, ça me convient pas forcément dans ma méthode de
travail ben parce que, c’est le principe, c’est quand même d’avoir un peu ou résumé
ou schématisé l’échange du cours, moi j’ai besoin de le faire toute seule pour que ça
serve à quelque chose donc ça me correspond pas trop».
Pour cette apprenante, la conscience de la progression à travers ces diverses activités
est présente :
« Il y a un cours avec des parcours pédagogiques, des petits quizz, des petits
exercices; on rentre dans des documents particuliers, des pistes de recherche, des
choses comme ça…qui permettent des petites choses qui s'auto-évaluent ou qui sont
évaluées en ligne par les professeurs. Sans être…faire l'objet de note, de notation,
d'accord? C'est juste pour…pour une lecture progressive… ».
Tous ces témoignages nous montrent qu’une action récurrente située prescrite
émerge bien des usages des utilisateurs de la plateforme technologique, que les
étudiants y adhèrent ou non. Seule une apprenante déclare ne pas procéder ainsi.
3.1.3 La recherche dans les archives des forums.
Les entretiens ont fait ressortir un problème important à leurs yeux qui est le manque
de réponse des tuteurs. Une apprenante nous explique que l’organisation de la formation
en ligne nécessite une grande réactivité :
« On a un rythme tellement dense qu’on fait quasiment une semaine une matière,
dans les rendus, et euh…du coup ça colle pas bien avec leur rythme à eux
quoi…enfin c’est…en globalité…ça veut dire que…moi je sais que j’ai souvent
besoin de…j’ai souvent des questions et besoin d’une réponse avant…4-5 jours ».
Les apprenants en 2 ou 3 ans ont été globalement satisfaits de la réactivité de
l’équipe de tuteurs sur leur première année de formation. Cependant, cette année-ci, un
tuteur majeur dans le programme a été quasiment absent des forums de discussion. Il ne
répondait pas aux questions des apprenants, ou y répondaient avec un tel retard que
ceux-ci avaient déjà soit cherché ailleurs une réponse, soit abandonné l’idée d’en
obtenir une :
« C'est qu'on n’a pas toujours des réponses immédiates à nos questions comme on
aimerait avoir, puisque, nous, on est dans l'action. Donc on leur pose une question,
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 236
parce qu'on est en train de faire un devoir;; et des fois, la réponse, on ne l'a qu’une
semaine voire quinze jours après! ».
En réponse à ce problème, elle va donc consulter les forums :
« Et même dans les années précédentes. Puisque, finalement, on vit tous les mêmes…
aventures. Et souvent, je retrouve des réponses ».
Face à la non-réactivité des tuteurs, deux actions récurrentes ont donc émergées. La
première consiste en une recherche approfondie d’information dans les archives des
années précédentes :
« Pour des questions pointues, […], pour aborder un devoir : quand j'arrivais pas
trop à me faire une idée de ce qu'on attendait, de ce que l'enseignant attendait du
devoir… bon, les autres étudiants s'étaient certainement posés les mêmes questions,
[…] donc j'allais voir sur les archives ».
Le réel problème, pour cet apprenant, était lorsqu’il ne trouvait rien dans les
archives ; car, ayant posé sa question dans le forum :
« En général, à ce moment-là, je suis un peu triste, parce que je sais que je risque
d'attendre longtemps la réponse... ».
Une autre apprenante nous disait :
« C’est vrai ce qui m’apporte pas mal, c’est quand même un espace…voilà, c’est les
forums des années précédentes en fait, les traces des échanges qui ont été fait sur le
forum les années précédentes ».
Néanmoins, cette perspective n’a pas convenu à tous les apprenants :
« …on n’a pas forcément le temps de s'immerger dans le bouillon de culture ».
Nous constatons encore une fois que, tout comme pour la lecture des forums à travers
les copies des post envoyées sur la messagerie institutionnelle, la recherche de réponses
aux questions dans les archives des forums est considérée comme très chronophage par
certains. A ce titre, les apprenants la considèrent plutôt comme une perte de temps. Elle
constitue néanmoins une action située et récurrente émergente au sens d’Orlikowski
(2000).
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 237
3.1.4 L’entraide parmi les apprenants
La seconde action récurrente consécutive à la non-réactivité des tuteurs, consiste en
une auto-organisation entre apprenants pour trouver de l’aide, des réponses à leur
questionnement :
« Si on n’a pas compris par où il fallait passer, voilà, on peut appeler au secours, et
bon, quelqu'un nous dit "tu vas là, t'appuies là, tu fais ça", et voilà ».
Cette même étudiante nous précise :
« Y'a un petit groupe qui s'est formé… ».
Une apprenante, ayant une faible utilisation des outils, mais qui avoue être tout de
même active sur les forums, nous explique qu’elle a aidé une des personnes de son
groupe car :
« Elle avait envoyé un appel au secours sur le forum ».
Cette autre personne nous explique :
« Quand on n’a pas de réponses de nos profs, ben, ceux qui ont un peu compris, ils
vont aller le dire : ‘j’en ai compris ça ; peut-être que ça t’aura aiguillé, si nous
pouvions avoir confirmation de nos professeurs...’, voilà comment ça se passe ».
Pour cet étudiant, soit l’entraide fonctionne, soit il s’adapte, il fait sans réponse :
« On essaie de résoudre les problèmes entre nous. [ça se matérialise par] des
échanges entre étudiants par le biais du forum. Alors des fois, ça se débloque un peu.
Des fois y a...oui..., on finit par prendre des décisions nous-mêmes ».
L’entraide peut aussi avoir une autre vertu qui est de s’évaluer par rapport aux
autres :
« On est tous à des rythmes différents ; donc parfois, ça permet de repréciser des
choses qu'on a déjà... qu'on a vues, ou, au contraire, anticiper des points qui
risquent d'être un peu obscurs.(rires). Et donc, euh, la lecture que vous faites des
forums, c'est justement par rapport à ça: voir un petit peu où vous en êtes par
rapport aux autres, s'il y a des problèmes à anticiper. Et puis s'entraider par rapport
à des choses sur lesquelles on est déjà passé. Et euh…Pour faire avancer chacun.
Puisque, parfois, les profs sont pas forcément toujours présents ».
Les quatre actions situées récurrentes que nous venons de présenter sont les pratiques
qui émergent de l’usage des technologies. Ces résultats ont pu être mis en lumière grâce
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 238
à la grille d’enactment (Orlikowski, 2000) de l’espace de cours du dispositif de la
licence CMPC à distance que nous avons représentée dans le schéma ci-après :
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 239
Moyens
Ordinateur personnel et
connexion internet. Formation de prise en
main Tutoriels et guides
Dispositif d’interventions tutorales
Tuteur technique
Normes
Respect des procédures :
dépôt des devoirs en ligne,
Respect des consignes d’usage : poster les
messages dans les forums en fonction des critères de leur création (forum
général, forum technique, forum de cours,...)
L’espace de cours est le passage obligé pour la
communication, les questions sur les cours ou
la formation. Respect des dates et
horaires des rendez-vous en ligne.
Schèmes
d’interprétation
La plateforme technologique est
considérée comme un facilitateur à
l’apprentissage. Elle est utilitaire.
Les outils permettent indépendance et
autonomie de l’apprenant.
La plateforme technologique est un outil d’apprentissage et de communication « à
distance ». Les problèmes rencontrés
sont dûs aux outils.
Ag
ence
Stru
ctur
e
Ensembles structurels du dispositif d’enseignement en ligne
Règles et ressources enactées dans l’usage de la technologie
Propriétés structurelles de l’institution
Propriétés structurelles de l’espace de cours
L’espace cours est dédié à l’apprentissage pour les apprenants. Il leur permet d’accéder aux contenus pédagogiques, de communiquer à travers
les forums et de déposer leurs devoirs.
Actions situées et récurrentes Lecture des messages sur le bureau virtuel
Processus d’apprentissage Recherche dans les archives des forums de discussion
Entraide parmi les apprenants
Figure 31- Grille de lecture de l'enactment de l'espace de cours de la licence professionnelle à
distance CMPC d'Aix-Marseille Université selon Orlikowski (2000)
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 240
3.2 Emergence d’une typologie des usages de la technologie en pratique
Les entretiens que nous avons menés ont également permis de dégager trois types
d’usages dans les technologies par les apprenants : un usage utilitaire, un usage que
nous avons qualifié de communicationnel et un usage de type communautaire. Nous
présentons maintenant quelques extraits de verbatim permettant de caractériser ces trois
usages.
3.2.1 Usage « utilitaire »
Les apprenants qui sont dans cet usage déclarent une utilisation très limitée des
technologies : « je me tiens informée plus que d’interagir ». D’autres précisent qu’ils ne
répondent pas dans les forums, par paresse ou par manque d’intérêt. Pour certains, c’est
plus une conséquence à la faiblesse fréquentation de ceux-ci par les tuteurs.
3.2.2 Usage « communicationnel »
Nombreux sont les apprenants dans ce type d’usage car beaucoup recherchent
essentiellement dans la plateforme d’enseignement en ligne la possibilité de contacts,
d’échanges, de liens. Cette apprenante a une représentation très imagée des relations à
travers la technologie :
« à des moments, on a le sentiment que la personne d'en face n'est pas en face, c'est
le problème de la formation à distance. […] On a l'impression de parler dans le vide.
Pas vraiment dans le vide, parce que c'est habité, y'a des gens qui passent…(rires).
Mais pas la bonne personne au bon moment. » .
Cette autre apprenante cherche :
« Le contact avec les étudiants, donc le contact personnel, j'veux dire quand on a un
petit peu sympathisé avec les uns et les autres ».
Elle parle d’une technologie qu’elle a « apprivoisée ».
3.2.3 Usage « communautaire »
Quelques personnes cherchent l’interactivité et sont très actives dans les forums.
Pour elles, l’usage de la plateforme est clairement social. Une apprenante nous déclare
qu’elle a éliminé tous les outils qui ne permettent pas de relier. Elle dit, par ailleurs,
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 241
n’avoir aucune « affinité » avec la plateforme. Elle utilise les archives de forums pour la
recherche de réponses à ses questions. Elle fait partie des rares personnes qui nous ont
dit avoir accompagné d’autres apprenants dans l’usage des technologies. Elle est très
enthousiaste ;; lorsqu’elle parle de la grande réactivité du tuteur technique, elle la
qualifie de « très chouette ».
Une autre apprenante déclare consulter les forums pour les consignes avant les cours,
pour les questions, et pour les retours sur les devoirs. Elle considère que les échanges
entre étudiants dans les forums permettent de sentir qu’on appartient à un groupe. Ils
permettent également de se positionner par rapport au groupe. Ils motivent, ils comblent
le vide et permettent plus d’échanges qu’en présentiel. Elle se considère est plutôt
investie dans le groupe d’apprenants en ligne.
Une autre encore nous déclare :
« Je vais plutôt chercher l’interactivité, donc…euh…moi je suis assez active sur le
forum quoi. »
Elle ajoute :
« Moi je sais que les interactions avec les autres se créent en dehors et pas avec tout
le monde du coup, je pense que ça a accroché avec certains euh…après le 1er
regroupement et du coup on a été sur skype ».
Les apprenants dans ce type d’usage dépassent la simple interaction avec les autres
apprenants et vont chercher une relation de partage en ligne.
3.3 Familiarité avec les TIC
Lors des entretiens, il nous est apparu important de mesurer le degré de proximité des
apprenants avec les TIC et leur progression au cours de leur formation en ligne. Ainsi,
notre guide comportait des questions sur l’usage initial des TIC et leur perception de
celles-ci ;; puis l’usage et la perception qu’ils en avaient au stade de l’apprentissage où il
se trouvait au moment de l’entretien. Différents profils sont ressortis que nous exposons
ici.
3.3.1 Archétype d’utilisateur
Nous avons rencontré deux types de comportements des utilisateurs de ces
technologies. D’une part, ceux qui ont appris à les utiliser et qui les ont intégrées dans
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 242
leur quotidien sans, pour autant, que celui-ci en ait été perturbé ;; d’autre part, ceux pour
qui l’usage de ces technologies a tellement modifié leur potentiel, qu’il a transformé
leur vision jusqu’à les intégrer dans des sphères autres que celle de la formation.
Une apprenante, pour qui les technologies étaient vraiment perçues comme une
barrière au démarrage et qui dit s’être habituée petit à petit, nous précise :
« Ben aujourd'hui, je m'sens très bien euh, très à l'aise hein, moi avec la plateforme,
c'est très bien ».
Celle-ci, au départ « hermétique » aux technologies, nous parle de son usage en fin
de formation :
« Je bidouille, mais je suis assez fière de moi, parce que j'essaie de pas me noyer ».
Ces deux personnes ont appris beaucoup sur ces outils ; mais cela ne semble pas
avoir dépassé le cadre de la formation. En revanche, une autre apprenante déclare :
« J'utilisais jamais le "chat" par exemple. Mais… (silence) Non après, j'ai pas
l'impression d'avoir découvert plus de choses que ça, sur l'utilisation »
Le niveau d’usage initial des technologies n’est pas forcément lié à un archétype ou
un autre, une personne nous explique qu’elle avait un bon niveau d’usage des TIC avant
d’entrer en formation, mais qu’elle en a une faible utilisation. Elle n’a pas « d’affinités »
avec la plateforme et s’intéresse essentiellement aux outils qui permettent de « relier ».
Il ne semble pas que les TIC mobilisées dans le cadre de la licence aient eu un impact
quelconque sur ses usages ; ni pour cette autre apprenante qui, chargée de
communication dans une entreprise, se dit très à l’aise avec les TIC :
« Donc l'utilisation du "web" pour moi n'est pas, n'est pas…nouvelle, c'est pas un
souci quoi. Je ne découvre pas l'environnement ».
De façon générale, toutes les personnes ayant un haut niveau d’utilisation des
technologies web nous ont dit que leur usage dans le cadre de la formation en ligne n’a,
en rien, changé leurs habitudes.
L’enthousiasme d’autres apprenants lorsqu’ils évoquent les TIC aujourd’hui
montrent à quel point leurs pratiques en ont été transformées. L’un d’entre eux nous
parle de son usage devenu plus dense au fur et à mesure de la formation. Elle le
considère maintenant « adapté » à son mode de vie, à son réseau, pense les utiliser dans
le cadre professionnel, dans un avenir proche:
« Je m'en servirai, je pense, mais peut-être pas dans la chose la plus pointue ».
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 243
3.3.2 Trajectoires d’appropriation des apprenants
Les entretiens nous ont permis de demander aux apprenants quels usages initiaux ils
avaient des TIC, quels outils ils utilisaient dans le cadre de la formation en ligne et les
usages qu’ils en avaient, et enfin, les usages qu’ils avaient en fin de formation.
Plusieurs apprenants se sont déclarés peu à l’aise avec les technologies au démarrage.
Les raisons en étaient diverses. Soit ils n’utilisaient pas de TIC dans leur sphère
professionnelle, voire personnelle ; soit ils se déclaraient « hermétique », ayant une
barrière psychologique, ou encore « pas spécialiste, mais sans crainte » de les utiliser.
Une apprenante déclarait avoir quelques appréhensions car elle percevait les
technologies comme complexes. Une autre nous a dit clairement qu’elle n’aimait pas les
technologies.
Néanmoins toutes ces personnes nous ont expliqué que, par un usage quotidien, au
fur et à mesure, elles ont pris des habitudes. La progression des uns et des autres a
ensuite évolué quelquefois différemment. Alors que certains disent utiliser les TIC
dorénavant de façon quotidienne et en avoir un usage conforme à ce qui est attendu dans
le cadre de la formation en ligne, un groupe d’apprenants se déclare, en fin de parcours,
« très à l’aise » avec la technologie, y associant, pour l’un, une connotation affective
« j’ai appris à apprivoiser les outils», pour un autre sentiment de bien-être « il y a un
véritable suivi, ça rassure ». Parmi ces personnes, l’une d’elles a découvert, à travers le
« chat » et skype « une autre façon d’utiliser le web ». Une autre apprenante nous
déclare que son ordinateur est devenu son « doudou », il ne la quitte jamais. Pour ce
dernier groupe, nous constatons que l’usage des technologies a dépassé le cadre strict de
la formation et s’est introduit dans la sphère privée des apprenants.
Pour les personnes s’étant déclarées à l’aise avec les TIC, voire très à l’aise, du fait
de leurs activités professionnelles notamment (développement de site web, espace
virtuel pour projets artistiques, chargée de communication, journaliste, etc...), il y a bien
eu appropriation du dispositif technologique, sans pour autant que nous puissions noter
une évolution dans leurs pratiques personnelles.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 244
3.4 Interventions du tuteur
3.4.1 Nature des interventions tutorales
La relation d’accompagnement des apprenants dans un dispositif d’apprentissage en
ligne peut revêtir des caractères différents comme nous le montre Paquette (2001). Une
relation individuelle du tuteur à apprenant ou une relation collective du tuteur avec son
groupe d’apprenants n’ont pas les mêmes objectifs pédagogiques, ni les mêmes
conséquences sur l’apprentissage. Il nous paraissait important d’interroger les
apprenants pour voir quelle était la nature des interventions tutorales.
Le tutorat entre pairs n’était pas spécifiquement recommandé dans le dispositif. Nous
avons vu (au § 3.1.4) qu’il a émergé dans les pratiques des apprenants du fait du
manque de réactivité des tuteurs sur la période observée.
Nous exposons donc ici les propos des apprenants quant aux interventions
individuelles et collectives.
Les interventions individuelles ont été relatées par les apprenants, notamment dans le
cadre des interventions techniques et le projet professionnel.
La majorité des interventions du dispositif sont donc collectives. La plupart se
passent à travers les forums de discussion des différents espaces de communication,
ainsi que dans les forums des cours. Des « chats » écrits sont également programmés
par certains enseignants et par la coordonnatrice.
3.4.2 Initiative des interventions
Les interventions du tuteur peuvent être de deux types. Elles sont qualifiées de
« réactives », lorsqu’elles font suite à la demande d’apprenants. Si le groupe manque de
dynamisme, que des apprenants s’essoufflent dans leur apprentissage, que la motivation
baisse, le tuteur peut interagir avec les apprenants pour relancer la dynamique
d’apprentissage. Avec l’expérience, les tuteurs savent également à quels stades la
plupart des apprenants peinent dans leur progression, ou dans quelles circonstances. Ils
peuvent alors prévoir une intervention que l’on qualifie alors de « proactive ». Ils vont
chercher l’apprenant, le solliciter. Il nous paraissait important d’observer quels types
d’intervention du tuteur apparaissait dans le cas étudié, et quelles étaient les
conséquences éventuelles de tel ou tel type d’intervention. Bien que nous ayons évoqué
le manque de réactivité d’un tuteur dont l’activité était majeure dans le cadre de la
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 245
formation, les autres tuteurs ont interagi avec les apprenants. Ils nous ont donc décrit ce
qui se passait dans le dispositif.
Tous les apprenants qui ont eu besoin de tutorat technique parlent de la « grande
réactivité » du tuteur.
Une apprenante nous dit qu’en général, les tuteurs répondent aux questions des
apprenants (il n’y a donc pas de proactivité) :
« Si on veut parler à un professeur, j'sais pas, on est sur le forum du cours, ou sur le
forum des devoirs, pour lui demander; il envoie le "feed-back" pour, par exemple un
lien, si on a posté un devoir et qu'il a, sur une discussion particulière, sur la
correction du devoir, la correction se fait en ligne aussi… »
Selon une apprenante, la non-réactivité du tuteur casse la dynamique et peut
bloquer ; mais elle déclare :
« [ça] ne peut pas être comme en présence, et donc [ça] ne peut pas être aussi
réactif, ça fait partie aussi du concept…Mais voilà, moi, la seule chose que je
souhaiterais, c'est que les enseignants soient plus présents ».
Lorsque cette autre apprenante nous rapporte : « c'est moi qui me suis mise en retrait
en fait ces deux derniers mois », cela nous montre bien qu’il n’y a pas de proactivité
dans ce tutorat.
3.4.3 Caractère de l’intervention
Comme le souligne Rodet (2010, 2013), il existe deux phases dans le tutorat à
distance, la phase de conception de l’ingénierie tutorale et la phase pendant laquelle se
déroule le tutorat lui-même. A travers des scénarios d’encadrement, l’équipe de tuteurs
prévoit les interventions de type collectives. Il nous semblait important de pouvoir
mesure la part des interventions « programmées », de celles « spontanées », en fonction
du vécu des tuteurs et des apprenants.
Les apprenants nous ont parlé de quelques rendez-vous programmés à mi-parcours
pour faire un point avec la coordonnatrice de la formation. Par ailleurs, ponctuellement
et en réaction à l’avancement du travail ou aux difficultés perçues par l’équipe tutorale,
de nouveaux moments sur Skype ont été programmés afin de faire un bilan.
Le caractère programmé des interventions apparaît fortement dans les entretiens avec
les tuteurs en charge d’UE qui nous expliquaient s’être organisés de façon à planifier
des temps pour répondre aux questions sur les forums, deux fois par semaine.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 246
Néanmoins, ceci n’apparaît pas aussi clairement dans les déclarations des apprenants.
Nous n’avons pas pu dégager de verbatims illustrant ce caractère.
3.4.4 Types d’interventions
Comme nous l’avons vu lors de la description de ce que recouvre une plateforme
technologique (cf Chapitre I), les outils dans un environnement en e-learning peuvent
être soit de type synchrone - toutes les personnes sont connectées et interagissent en
temps réel – soit de type asynchrone – les échanges se font en temps différé -. Pour
caractériser notre dispositif, nous avons retenu deux codes qui ont pu être confirmés par
nos verbatims : synchrone et asynchrone. Il est important, avant de commencer notre
exposé, d’opérer une distinction dans les propos des apprenants. En effet, pour eux, il
existe deux types d’outils synchrones : « Skype » 49 qui représente une discussion
instantanée orale, et le « tchat » qui est un outil synchrone basé sur l’écrit. Le « tchat »
utilisé dans le cadre de la licence CMPC est un outil de la plateforme Moodle.
Contrairement à Skype, il n’intègre pas la voix, ni la vidéo. Dans le dispositif étudié,
Skype a été utilisé à quelques reprises pour résoudre des conflits, permettre de dépasser
des blocages, ou discuter de l’avancement d’un projet ou encore d’une proposition de
stage.
Nous avons ainsi recueilli la perception des apprenants des outils synchrones et
asynchrones, que nous présentons maintenant.
Une des apprenantes interrogées trouve les outils synchrones plus efficaces pour
régler les problèmes ; elles les trouvent rassurants, motivants :
« "Skype" par exemple avec Catherine, oui, ça permet rapidement de préciser
beaucoup de choses, de mettre un peu les idées en place. C'est plus efficace, je
dirais, c'est très efficace "Skype" ».
Elle ajoute par ailleurs que les outils asynchrones permettent de prendre le temps de
réfléchir :
« Même si c'est pas aussi réactif que "Skype" ou le téléphone, ça permet quand même
d'être en contact, de poser des questions, et de revenir sur la plateforme dans
l'attente de voir si quelqu'un a répondu. Si quelqu'un a répondu, on continue la
discussion, etc... ». 49 Skype est un logiciel gratuit de Skype Microsoft Division, dont la 1ère version est apparue en 2003.
Il permet notamment aux utilisateurs de passer des appels téléphoniques via Internet
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 247
Pour cette autre apprenante, les chats permettent d’introduire le contact direct avec
les autres, visuel et sonore :
« C'était très bien [...] ça mériterait de le faire sur chaque matière [...] je pense que
on devrait utiliser plus "Skype" aussi [...] qui est un outil qui permet aussi la vidéo-
conférence surtout on se voit. Et puis, c'est pas de l'écrit, c'est du visuel et du
sonore».
Avec l’outil asynchrone, tout le monde peut apporter sa contribution et le tuteur
valide ou complète les réponses :
« Puisqu'en fait même si on pose une question qui peut être à l'enseignant, les autres
étudiants peuvent y répondre s’ils croient savoir, ou ils ont un élément de réponse
que l'enseignant, ben, euh complète. Ou justement ça permet de vraiment… de
resituer des interrogations; et puis, quand on croit avoir la réponse, c'est bien aussi
de répondre dans le sens où, bon ben, on sait si, après par l'enseignant, si on est bien
dans le bon, dans la bonne ligne, ou si on a aussi compris le travail ».
Une autre apprenante y voit plutôt une perte de temps :
« J’aurais peut-être préféré avoir des rendez-vous par skype ou par tchat, très
régulier, où je pourrais savoir, bien en amont, que c’est tel jour à telle heure.
Comme ça, pour moi, ça m’aurait facilité la chose. Parce que j’aurais pu
m’organiser vraiment, être là pour discuter à un endroit précis et une heure précise,
plutôt que d’être dans une attente où je dois aller voir ce qui se passe régulièrement,
pour voir si par hasard y a quelque chose qui est important et qui est noyé dans une
sorte de flux d’information qui n’est pas très bien organisé ».
Pour la plupart des personnes interrogées, l’usage du forum est très orienté :
« Quand on écrit un mail sur le forum, c’est une question cours et c’est plutôt
adressée aux profs ».
Certains apprenants ne voient pas dans les outils synchrones que des avantages. La
disponibilité aux heures programmées est parfois un obstacle :
« En ligne, au même moment en plus, bon…»
Les inconvénients déclarés des outils synchrones sont le temps que cela prend pour
répondre et le fait que plusieurs questions peuvent se croiser:
« Je suis parmi celles qui sont les plus discrètes [dans les forums]. Voilà, en grande
partie parce qu'au moment où je veux participer, j'ai plus de connexion. Alors je
rentrais quand même pour voir quelques informations très urgentes, mais un forum,
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 248
ça demande du temps quand même, il faut du temps pour…participer à des
discussions ».
Cette autre apprenante nous confie :
« Le tchat c’est juste un peu trop long en fait, le tchat à l’écrit euh… [...] une ½
heure de tchat écrit, c’est 5 minutes à l’oral. [...] Ça permet de laisser une trace chez
les autres aussi, en soi c’est pas à rejeter en bloc ».
En effet, quelques instants auparavant, elle déclarait :
« Dans ma façon de travailler, je vais pas mal dans les questions réponses, et c’est
vrai ce qui m’apporte pas mal c’est les traces des échanges qui ont été fait sur le
forum les années précédentes ».
A travers tous ces verbatims, nous constatons l’importance que revêt, pour les
apprenants, le fait que les interventions soient synchrones ou asynchrones. Si les outils
synchrones sont plutôt marqués par la spontanéité et la créativité, les outils asynchrones
demandent, du fait de la transcription à l’écrit de la pensée, une part importante de
réflexion.
3.4.5 Temporalité
Salmon montre, dans ses travaux sur l’e-moderating (2000, 2002), qu’il existe cinq
étapes de progression de l’apprentissage dans un environnement en e-learning. Ces cinq
étapes sont caractérisées par des interactions différentes qui relèvent : (1) de l’accès et
de la motivation, (2) de la socialisation en ligne, (3) de l’échange d’information, (4) de
la construction de connaissance, (5) du développement. Il nous est donc paru important
d’identifier à quels moments les apprenants situaient les interventions de leur tuteur.
Nous avons prévu cinq codes dans notre grille, correspondant aux cinq étapes du
modèle de Salmon. Seulement trois sont apparus à travers les entretiens.
L’étape « accès et motivation » a été évoquée par les apprenants peu habitués aux
TIC lorsque nous demandions s’ils avaient rencontré des difficultés techniques.
Une apprenante, parlant de la difficulté rencontrée lors de sa toute première
connexion à la plateforme, nous expliquait que ses identifiants ne fonctionnaient pas,
elle confondait le « V » majuscule avec le chiffre « 5 » et la lettre « O » avec le chiffre
« 0 » :
« J’ai passé mon temps à essayer de rentrer mon code sans réfléchir que c’était pas
le bon truc. [...] Donc, j'ai appelé en disant "ça marche pas!". Et là, gentiment, on
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 249
m'a dit: "c'est peut-être pas le bon…".Ah oui, effectivement, ça doit être ça. Et ça a
marché ».
Une autre apprenante nous expliquait ses difficultés à prendre en main la plateforme.
Elle a fait appel à la coordonnatrice :
« Je tirais ma sonnette d'alarme ‘Catherine!’(rires) Donc, en général, elle nous...,
elle est formidable, parce qu’elle est toujours là, elle a toujours une réponse à nos
questions, et puis elle nous débloque des situations. Même au départ, j'avais du mal
justement à manipuler…Et puis, bien que j'avais fait le rassemblement et…bon, ça a
duré qu'une semaine. Et très vite, bon ben elle m'a aiguillée, elle m'a orientée, ça ça
a vraiment été bénéfique parce que...Au début ,c'était vraiment pas évident…à
chercher…où aller chercher l'info, j'avais l'impression que je pouvais me
débrouiller ; mais finalement je me connaissais très mal. Et c'est vrai que c'est grâce
à elle que j'ai pu… ».
3.4.6 Objet de l’intervention
Afin de terminer de caractériser les interventions du tuteur, il nous paraissait
important d’identifier l’objet des interventions.
Les interventions au plan technique ont clairement été identifiées par les apprenants
puisqu’une personne est dédiée à ce type de tutorat.
Les interventions pédagogiques sont relatées lorsque les apprenants décrivent les
allers-retours avec les tuteurs chargés des cours. Au plan pédagogique, ceux-ci leur
apportent des questions à leurs réponses, ou des pistes de réflexion. Certains complètent
avec des documents ou des liens vers d’autres ressources. La lecture active est une
activité qui apporte beaucoup également sur le plan pédagogique.
Les interventions de caractère méta-cognitif apparaissent plutôt dans les interactions
avec la coordonnatrice lors des rendez-vous programmés à mi-parcours. Ces rendez-
vous sont également l’occasion de soutien sur le plan organisationnel.
Les apprenants ne mettent pas toujours les mots pour dire qu’une intervention était
au plan socio-affectif ; mais on en retrouve les traits dans leurs propos, notamment
quand ils qualifient la coordonnatrice de « formidable », d’ « incroyable », lorsqu’ils
parlent de sa disponibilité. Nous comprenons également que les interventions ont ce
caractère socio-affectif quand les apprenants déclarent sentir « une présence permanente
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 250
et régulière », que les tuteurs sont là pour les « guider sur le bon chemin ». Une autre
apprenante déclare que les interventions des tuteurs la « rassurent ».
3.5 Perception du rôle du tuteur :
Quatre rôles du tuteur ont été identifiés dans la littérature. Il nous paraissait
intéressant d’interroger les apprenants sur leur perception du ou des rôles du tuteur.
Parmi les quatre rôles, quasi-unanimement, les apprenants déclarent que le tuteur n’a
rien à voir avec la technique. Il y a une autre personne pour remplir ce rôle. Une
apprenante parle de « prof technique » :
« Sur le forum, y'a aussi un endroit où un peut appeler son prof technique
apparemment ».
Une autre personne nous précise :
« S'il y a une question particulière à un moment donné, pour tout ce qui est
"manipulation"…en dehors des cours, euh il y a une personne qui est très réactive et
qui essaie de trouver tout le temps des solutions: elle est à l'affût quasiment, et elle
est très très très réactive; donc elle répond tout de suite, donne des solutions, essaie
de comprendre le problème, oriente. Catherine aussi est très mobilisée là-dessus.
Donc là-dessus, y'a pas de soucis ».
Nous voyons ici que le rôle technique n’est absolument pas perçu comme étant un
des rôles du tuteur. Il incombe à une autre personne, que les apprenants ne qualifient pas
de tuteur.
Tous les apprenants déclarent que le rôle du tuteur est important. Derrière cet
adjectif, la plupart déclarent que le tuteur est là pour les guider, leur donner des
explications sur le cours, répondre aux interrogations. Nous sommes ici au plan
pédagogique, à la fois sur le registre cognitif et sur le registre méta-cognitif.
Pour ce qui relève de l’organisation, les apprenants perçoivent ce rôle
essentiellement à travers la coordonnatrice.
Nous constatons ici que les quatre rôles existent bien dans l’équipe tutorale de notre
dispositif.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 251
3.6 Résultats complémentaires
Dans notre grille de lecture, nous avions prévu de coder, d’une part, le degré de
familiarité initiale puis finale des apprenants avec les technologies ;; d’autre part, à
travers les schèmes d’interprétation, leur perception des différents outils lors de leur
utilisation. Néanmoins, l’analyse de nos données a fait ressortir un code supplémentaire
« perception de la plateforme » qui, bien que proches des autres, se différencie du fait
d’un point de vue général sur la plateforme dans sa globalité, plutôt que sur les outils
indépendamment les uns des autres. D’ailleurs, les items extraits de nos verbatims
concernant ce code ne proviennent pas toujours de la perception liée à la perception de
la technologie ; mais aussi de la question concernant une anecdote particulière qui les
aurait marquée, de l’ouverture que nous faisions à la fin de chaque entretien pour
permettre à chaque personne d’ajouter ce qu’elle souhaitait, ou encore cette perception
générale de la plateforme a émergé au fil de l’entretien, au détour d’une autre question.
Deux grands types de perception ont été évoqués : d’une part, celles relatives à
l’organisation, l’indépendance dans le travail et l’autonomie ;; d’autre part, celles
touchant au relationnel.
Cette apprenante relève, par exemple que la plateforme permet indépendance et
autonomie, on travaille quand on peut, à son rythme :
« Quand on a cinq minutes, quand on a une heure; donc c'est très pratique dans ce
sens-là, dans le sens de l'autonomie ».
Cette autre apprenante précise :
« La formation à distance nous autonomise plus dans notre manière de travailler,
c’est-à-dire qu’on peut pas être dans une attente aussi scolaire quand on est en
présence. ».
Celle-ci nous explique :
« Ça me permet d'aménager mon temps comme je le souhaite, enfin pas toujours,
mais j'essaie. Donc on peut se connecter la nuit…C'est à déconseiller quand même
parce que je pense que beaucoup de gens veulent connecter la nuit, donc du coup y'a
des embouteillages ».
La conséquence de cette flexibilité, comme le note également la première
apprenante, est la nécessité d’une organisation rigoureuse.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 252
Le deuxième aspect relatif à la plateforme et qui a été évoqué par les apprenants est
l’aspect relationnel. La plateforme technologique permet le contact avec les autres,
voire l’entraide.
« on arrive très vite aux outils internet et compagnie qui crée du lien…enfin pour
moi la partie virtuelle qui permet de relier quoi. »
Une autre nous explique que les technologies permettent de garder la proximité
malgré la distance, qu’elles maintiennent un lien indirect.
L’expression employée par cette apprenante est caractéristique. Pour elle, la
plateforme est « habitée », « il y a des gens qui passent ».
Celle-ci nous dévoile sa réflexion à la fois philosophique et sociologique des
technologies :
« Des plateformes pour pouvoir travailler à distance. Je trouve que c’est vraiment
aussi le reflet de la société dans laquelle on vit des relations qu’on a avec les gens.
Et du coup, y a vraiment transition à penser entre cette présence, comment est-ce
qu’on travaille quand on est présent, et comment est-ce qu’on met en place les outils
qui nous permettent de travailler aussi efficacement à distance. » « La distance en
fait a des grands avantages, mais il faut être très responsable, la responsabilité
d’une autre manière, parce qu’on n’a pas les autres autour, on n’a pas des horaires
de travail qui disent, faut qu’on travaille à telle heure, à tel endroit, parce qu’on est
canalisé beaucoup plus quand on est dans le réel en fait. Et ça c’est clair que c’est à
la fois, un travail sur soi et ses fonctionnalités ».
Parmi les apprenants, certains nous opposent tout de même quelques réticences, telle
que cette apprenante pour qui la rencontre en face-à-face est indispensable :
« Sans passer par la rencontre c’est pas possible. C’est euh…voilà. Rien à voir quoi.
Et dans l’adhésion à la formation, ça compte vachement ! Moi je sais que j’ai adhéré
à la formation en rencontrant les intervenants, et en sentant ces trucs, cette
cohérence dans leurs discours, leur manière d’introduire le cours, etc…C’est une
vrai accroche pour les cours mais sur la formation en général aussi. »
Enfin, nos entretiens ont fait émerger une autre perception, cette fois, du dispositif de
formation en ligne lui-même. Une apprenante note qu’en définitive elle aura suivi « une
double formation par le biais de la formation en ligne ». Elle fait référence ici à la
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 253
formation en médiation culturelle pour laquelle elle s’est inscrite à l’université, et à la
formation aux TIC qu’elle a de fait suivi également.
3.7 Résultats des entretiens avec les tuteurs et apports des données secondaires
3.7.1 Les entretiens avec les tuteurs
Les entretiens que nous avons menés avec les tuteurs de cours, le tuteur technique et
la coordonnatrice de l’équipe n’ont pas apporté de résultats supplémentaires majeurs à
nos travaux ; ils corroborent néanmoins plusieurs des résultats obtenus par les entretiens
avec les apprenants.
La messagerie électronique est l’outil principal utilisé par la coordonnatrice de la
formation. Elle reçoit, par courrier électronique, une copie de chaque message posté
dans chaque forum de la plateforme ; que ceux-ci viennent de l’espace de cours, de
l’espace étudiant, de l’espace équipe pédagogique ou encore de l’espace d’examen en
ligne. Par ailleurs, chaque devoir déposé sur la plateforme par un étudiant fait l’objet
d’une alerte par mail dans la boîte de la coordonnatrice. C’est la raison pour laquelle
elle se sert des mails comme principal outil:
« Je fais la coordination à partir du mail en fait. [...] Je vais voir tout ce qui se passe
sur Moodle par le mail ».
En tant que coordonnatrice de la formation, elle utilise l’ensemble des outils
proposés par le dispositif technologique. Pour l’interaction avec les apprenants, elle
organise des « vagues de rendez-vous ». Il s’agit essentiellement de rendez-vous
collectifs à mi-parcours:
« C’est les moments où je propose aux étudiants des rendez-vous live, sur skype ou
d’autres outils pour faire le point sur leur…sur leur parcours ».
En ce qui concerne les enseignants-vacataires qui assurent le tutorat des cours de la
licence, elle nous donne quelques éléments concernant leur manque de réactivité cette
année dans les réponses aux apprenants :
« L’usage de Moodle aussi nous a mis dans un mode de fonctionnement…dans
un…dans un…euh…on va dire un schéma de communication auquel on échappait
jusqu’à maintenant. Euh… [...]la majorité des enseignants sont des vacataires.
Jusqu’à présent, ils n’avaient pas d’adresse mail de l’université ».
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 254
Une fois cette adresse créée :
« Ils n’avaient pas trop l’habitude d’utiliser l’adresse de l’université, donc euh…soit
ils passaient par le BV soit effectivement ils récupéraient l’adresse, bref…Du coup,
euh…du coup on a eu des périodes de flottement toute cette année ».
Le temps qu’un nouvel usage se mette en place a donc créé quelques flottements
dans les réponses aux apprenants.
Comme nous l’avons vu lors de l’exposé de l’étude de cas, l’activité « lecture
active » est le pilier de la formation du point de vue pédagogique : « c’est un héritage
de la première action de Campus Cultura ». Elle permet aussi, aux yeux de la
coordonnatrice, « d’amener une preuve tangible que l’action de formation a bien lieu »
puisqu’elle laisse des traces dans les fichiers de relevés de connexion des apprenants. La
plupart des étudiants étant en formation continue, il est, en effet, nécessaire de fournir
aux organismes payeurs des relevés de présence aux cours. Hormis cet aspect purement
administratif, il est intéressant de recueillir le sentiment de la coordonnatrice sur cette
activité. L’outil utilisé est le parcours SCORM :
« Je le trouve archaïque [...] et puis visuellement à l’écran quoi, c’est une horreur
quoi ! C’est de l’anti…c’est un repoussoir ! ».
Ce qui est perçu d’un côté comme un véritable « repoussoir » est la mise en œuvre de
l’activité. Le résultat, en revanche, est très apprécié par les apprenants, et facile à
s’approprier. Comme nous l’explique la coordonnatrice, il s’agit de :
« Une relecture du cours mis…mis en action, une relecture dynamique … voilà vous
avez lu le cours et voilà les éléments importants à retenir les temps…les articulations
donc ».
Concernant les rôles du tuteur, la plupart des personnes de l’équipe pédagogique
ayant participé à la rédaction des contenus, ou à la mise à jour de ceux-ci, elle trouve
« réducteur » de les qualifier de tuteur. Pour elle, ce sont des enseignants avant tout :
« Alors ce que j’entends par tuteurs, c’est plutôt euh…des accompagnants, plutôt
que euh…plutôt que des…plutôt que des enseignants c’est-à-dire qui délivrent un
savoir, ou qui activent l’acquisition d’un savoir ou d’un savoir-faire, tu vois ».
Nous sommes bien ici dans le registre du rôle pédagogique du tuteur. Pour la
coordonnatrice, ces accompagnants ne sont pas trop « TICE » ou seulement sur des
choses très basiques :
« Ils sont plutôt dans la coordination, des fois à rappeler un certain nombre de
règles, pour aller dans la bonne direction, voilà du forum c’est arrivé une ou 2 fois,
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 255
tu vois les plus jeunes de leur rappeler, que voilà quand on s’exprime sur un forum,
c’était bonjour, au revoir, les formes, vérifier les fautes d’orthographes, etc…qui
tchattait en fait sur le forum. Euh…mais les enseignants je les vois pas trop, être sur
l’usage, sur l’usage des TICE autrement dit donc…je les verrais plutôt au niveau
coordination ».
Nous constatons là encore que le rôle technique est très peu mentionné, même par
l’équipe pédagogique elle-même. Il y a bien une aide, un accompagnement ; mais il
n’est pas clairement identifié que cela fasse partie du rôle des tuteurs en charge des
cours.
L’entretien avec la coordonnatrice de la formation nous a donc donné des indications
intéressantes sur l’usage des technologies dans le processus de coordination de l’équipe
pédagogique, ainsi que des éléments importants dans le fonctionnement de la formation.
En plus de la coordonnatrice, trois tuteurs cours ont été interviewés :
Concernant ses interactions avec les apprenants, une tutrice nous explique qu’elle a
identifié des « temps de présence » sur la plateforme :
« Donc moi j'ai identifié deux temps où... en tout cas, je peux prendre connaissance
de…de ce qui aura été posté…entre ces deux jours-là, euh…Récupérer les devoirs,
etc... [...] voilà, j'ai identifié au regard de mon agenda professionnel, personnel, tout
ça, c'est ces deux temps-là qui me paraissaient les plus opportuns pour
être…disponible et disposée à prendre le temps de…de de suivre l'information, et…
Enfin, ça m'a permis aussi moi de m'organiser euh…plus facilement ».
Pour cette tutrice, la lecture des post sur la messagerie est également un usage situé
récurrent et qu’elle identifie comme une veille, un outil d’organisation :
« Après sur…sur la boîte mail euh…je me connecte un petit peu plus souvent…parce
que c'est le système où on reçoit des mails à chaque fois qu'un message est posté. Et
donc, dans les premier temps, j'étais moins vigilante sur la boîte mail; et je me suis
retrouvée à trier… (rires)… des centaines de mails. Et donc voilà. Mais là, je fais un
travail de de veille un peu plus régulier sur la boîte mail. Et qui est vraiment un
travail de…de veille et de tri. Voilà, ça me permet du coup, de savoir, voilà, le jour
que j'ai identifié de travailler euh…pour la licence, j'aurais telle ou telle chose, ou
telle ou telle urgence à régler ».
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 256
Néanmoins la notion de nécessité d’une grande réactivité est omniprésente :
« Je sais pas, mais la sensation de…euh…la sensation d'un besoin d'immédiateté, de
la part des étudiants, que la plateforme ne permet pas. Enfin, qu'elle ne permet pas,
ou en tout cas, sur laquelle il faudrait être connectée H-24 pour voir à chaque fois le
message qui est posté, et pour pouvoir y répondre dans la seconde, enfin… ».
Elle considère que son rôle est :
« C'est un accompagnement pour…les aider à ré ouvrir les possibles, ou en tout cas
le champ des possibles dans la perception…dans leur perception ».
Le tuteur qui a été fortement critiqué par les apprenants du fait de son absence en
ligne nous a expliqué avoir eu des problèmes de santé cette année et des problèmes de
connexion. Il effectue, en effet, le tutorat à distance depuis l’ordinateur de son
entreprise et il n’a pas toujours toutes les possibilités qu’il souhaite sur le réseau interne.
Concernant le manque de réponse dans les forums, il semblerait que, bien qu’il soit
tuteur dans cette formation depuis plus de 5 ans, il ait réalisé qu’il avait mal compris
l’usage des forums :
« Moi je croyais que c’était l’équivalent d’un forum et je me suis aperçu que non.
Voilà. Par exemple, quand je réponds, la réponse est à mon destinataire
uniquement ; alors que je sophistiquais des fois les réponses pour qu’elles soient un
peu méthodologiques, didactiques et pédagogiques. »
Il semble donc que ce tuteur utilisait le message d’alerte envoyé dans le BV comme
message de forum à part entière. Il a confondu email et post de forum.
Les entretiens avec les tuteurs nous ont donc été utiles pour avoir leur perception du
tutorat en ligne. Deux des tuteurs en charge de cours avaient une expérience de
plusieurs années sur le dispositif ;; alors que le troisième n’avait rejoint l’équipe que
depuis deux mois. Il est intéressant d’observer que certains partent sur l’idée d’une
organisation assez cadrée de leurs interventions, programmées dans un emploi du temps
dont les apprenants ont connaissance. Deschênes et al (2004) mettent en évidence que
les représentations que se font les tuteurs des besoins de soutien correspondent rarement
à la perception qu’ont les étudiants de ces besoins.
L’utilisation du forum est la plus prégnante dans la formation. Des tentatives de
session en live sur Skype avec l’un des tuteurs se sont soldées par un échec du fait de la
restriction appliquée dans l’entreprise de celui-ci. En effet, il effectue le tutorat à
distance de la formation sur son lieu de travail.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 257
Le dernier entretien que nous avons pu effectuer auprès de l’équipe assurant
l’encadrement des étudiants est celui de l’ingénieur pédagogique. Bien que ce soit cette
personne qui assure les fonctions de tutorat technique auprès des apprenants, comme
des enseignants, sa mission première est une mission d’ingénierie pédagogique.
Cet entretien nous a essentiellement permis de comprendre le fonctionnement de
l’accompagnement des enseignants dans la scénarisation de leurs cours, et la mise en
ligne des contenus et des activités proposées aux étudiants. Nous notons ici que la
technologie n’est pas simplement un outil pour une stratégie ; mais elle influe, par les
possibilités et usages qu’elle apporte, sur la stratégie mise en œuvre. La stratégie
cognitive d’apprentissage et la stratégie de transmission des savoirs passent pas
l’appropriation de la technologie au niveau des enseignants comme des apprenants.
C’est l’ingénieur pédagogique qui joue ce rôle pour les enseignants.
3.7.2 L’apport des données secondaires
Concernant les données secondaires, des discussions informelles avec les apprenants,
les secrétaires et les responsables de la formation nous ont permis de mieux appréhender
le contexte général dans lequel le dispositif avait été créé et perdurait au fil des années.
Nous avons également eu accès aux documents de travail de l’équipe pédagogique :
compte-rendu de réunions, présentation des bilans de chaque année universitaire, notice
d’actualisation des cours, tutoriels, planning des regroupements, plaquette de la licence,
vademecum, etc... Parmi ceux-ci, un a attiré toute notre attention. La coordonnatrice a,
en effet, tenté en 2011 de dresser un bilan des usages de la plateforme auprès des
tuteurs. La grille proposée (cf annexe xx) comportait cinq rubriques sur les usages liés à
leurs activités dans le dispositif :
- plateforme Moodle : usage des enseignants
- plateforme Moodle : suivi des activités des étudiants
- accompagnement pédagogique des étudiants
- coordination, échange équipe pédagogique
- relationnel étudiants/équipe.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 258
Pour chaque des rubriques, trois catégories :
1) réussites, ce qui fonctionne ;
2) obstacles, ce qui coince ;
3) les manques, à développer.
(1) Ce qui fonctionne :
Bien qu’il y ait eu un faible taux de réponses (4 répondants), il est intéressant de voir
que, dans les usages des enseignants, la copie systématique des messages postés sur les
forums constitue, pour les tuteurs, un outil « qui permet d’avoir une vision globale de
l’activité ».
Concernant le suivi des étudiants, un tuteur note : « certains étudiants se saisissent
des outils et nous sollicitent ».
Nous regrettons de ne pas pouvoir approfondir la remarque de ce tuteur concernant
l’accompagnement des étudiants, qui écrit : « la plateforme offre un panel d’outils qui
permettent de croiser différentes formes d’accompagnement ». Un autre ajoute : « les
questions et les remarques postées [dans les forums] sont de bons marqueurs à partir
desquels un accompagnement pédagogique peut se réaliser dans de bonnes conditions ».
(2) Ce qui coince :
Dans les éléments qui « coincent », un des tuteurs explique : « ne perdons pas de vue
que l’essentiel ce n’est pas le quiz ; mais le cours à télécharger, et que le cours en ligne,
ce n’est qu’une lecture active = un aspect du cours développé par ce média ; mais pas
une fin en soi ». Nous notons ici que l’outil, qui paraît essentiel aux apprenants pour
avoir une étude plus approfondie du cours et qui leur apporte un nouvel éclairage sur
son contenu, est considéré par ce tuteur comme un risque de dérivation. Cette activité ne
doit pas se substituer au cours lui-même.
Un des tuteurs anciens du dispositif parle du suivi des activités des étudiants en
évoquant « de longues périodes d’inactivités que l’on ne peut pas anticiper ». Il
semblerait que ce tuteur soit dans une posture uniquement réactive, et nullement
proactive. Il ajoute même : « on est finalement assez passif vis-à-vis des étudiants. Ion
ne peut pas les forcer à être motivé ». Ces propos semblent corroborer ceux des
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 259
apprenants que nous avons interviewés. Il est très surprenant ici de constater que ce qui
« coince » pour les tuteurs est également ce qui gêne les apprenants : le manque
d’activité, ou de réactivité. En quelque sorte, on peut le résumer en un manque de vie
sur la plateforme.
(3) Ce qui manque :
Concernant les manques, les choses à développer, deux tuteurs évoquent le « chat »
pour l’accompagnement des étudiants : « Comme nous l’avons évoqué, le « chat » peut
remplir une case vierge à cet endroit, avec un frein = le temps inhérent à sa préparation
et à son organisation ». L’autre tuteur est plus succinct : « L’idée de proposer un temps
d’échange en direct est une bonne idée. Mais il faut optimiser ce rdv ». Il est intéressant
de noter ici encore que les tuteurs ont une posture attentiste ;; ils trouvent l’idée du
« chat » intéressante d’un point de vue pédagogique, mais ils semblent attendre une
sorte de feu vert pour la mettre en œuvre dans les cours.
En résumé, les copies des messages sur le bureau virtuel permettent soit d’assurer
une coordination de l’équipe pédagogique, soit une veille sur l’activité. Dans tous les
cas, elles donnent aux tuteurs une vision globale de l’activité. Il nous paraît très
intéressant de constater que c’est également ce qui ressort pour la majorité des
étudiants : veille et vision globale de l’activité.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 260
4 Interprétation des résultats et discussion
Nous avons montré dans l’exposé des résultats que des actions situées récurrentes
émergeaient de la pratique de la plateforme technologique. Certaines étaient préconisées
par l’encadrement de la licence ;; d’autres relevaient d’une auto-organisation des
apprenants en réaction au manque de réactivité des tuteurs.
Notre analyse des données nous permet de faire émerger trois types d’usage de la
plateforme par les apprenants : utilitaire, communicationnel et communautaire.
Le degré de familiarité des apprenants en début puis en fin de formation nous a
permis d’identifier des archétypes d’utilisateurs parmi les apprenants et des trajectoires
d’appropriation de la technologie. Par ailleurs, nous avons pu caractériser les
interventions tutorales à travers la nature de ces interventions (individuelle, collective,
entre pairs), sur quelle initiative (réactive, proactive), pour quel caractère (programmée,
spontanée), selon leur type (synchrone, asynchrone), leur temporalité dans le processus
d’apprentissage (à quelle étape), et en fonction de l’objet de l’intervention (contenus,
technique, organisation, socio-affectif).
Ces premiers résultats nous apportent quelques éléments de réponse à nos questions
de recherche, notamment quant au dispositif d’interactions tuteur-apprenant pour
faciliter l’appropriation.
La perception que les apprenants et les tuteurs ont du rôle du tuteur va nous
permettre de corroborer les rôles identifiés lors de notre revue de littérature ; mais aussi
de les nuancer. Ces éléments seront complétés par des résultats complémentaires issus
de notre analyse, puisque nous identifions, dans notre recherche, deux nouveaux rôles
pour le tuteur. Ces rôles ainsi que le travail sur les contenus en amont de la formation
apportent une réponse à notre question concernant le rôle de la médiatisation par le
tuteur dans l’apprentissage.
Enfin, la combinaison des résultats sur l’appropriation des technologies, d’une part,
et de la perception du rôle du tuteur, d’autre part, va permettre de compléter les
réponses à nos questions de recherche sur les modalités d’interactions et le rôle du
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 261
tuteur dans l’apprentissage. Ces éléments nous permettront de revenir aux théories
mobilisées dans notre revue de littérature, notamment à travers le modèle de Salmon
(2000), les pratiques de compétences collectives d’Orlikowski (2002) et les trois
modèles de la e-formation proposés par Fallery (2007).
Au fur et à mesure de l’analyse des activités proposées dans le cadre de l’ingénierie
tutorale, le parallèle entre les travaux sur l’étayage de Bruner et le rôle du tuteur dans un
dispositif d’enseignement en ligne s’est imposé à nous. Nous l’exposerons donc dans ce
chapitre.
Pour terminer notre discussion, nous reviendrons sur les deux nouveaux rôles du
tuteur que nous avons identifié dans cette recherche, et nous nous poserons la question
de l’institutionnalisation du tutorat entre pairs, d’une part, et de la capitalisation des
connaissances dans le cadre d’un dispositif en ligne, d’autre part.
4.1 Interprétation et discussion des résultats concernant les actions situées récurrentes émergentes :
Le concept d’enactment d’Orlikowski (2000) représente l’usager dans sa relation
avec la technologie. Les actions situées, qui renvoient aux pratiques, sont alors mises en
perspective avec les ensembles structurels qui émergent à l’usage (Hussenot, 2008).
4.1.1 les actions situées récurrentes émergentes :
Dans notre recherche, l’analyse des données nous a permis, à partir de notre grille de
lecture sur les technologies en pratique, d’identifier quatre actions situées et récurrentes.
- la lecture sur le Bureau Virtuel (BV) des messages postés dans les forums et
provenant de la plateforme Moodle,
- le processus d’apprentissage en plusieurs étapes : (1) téléchargement et impression
du document de cours en .pdf, (2) étude du cours (sur papier), (3) lecture active sur
la plateforme, (4) Quiz d’autoévaluation, (5) Devoir déposé sur la plateforme,
- la recherche approfondie d’information dans les archives,
- l’entraide au sein du groupe d’apprenants.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 262
Nous constatons que les deux premières actions situées ont été préconisées par la
structure d’encadrement de la licence. Le paramétrage de la copie des messages postés
dans les forums vers la messagerie individuelle induit, en effet, une pratique de prise de
connaissance de ces messages par le bureau virtuel. Par ailleurs, le travail d’ingénierie
de formation et de scénarisation des contenus qui a abouti à une activité de lecture
active de chacun des cours de la licence oblige les étudiants à suivre le processus
d’apprentissage préconisé : lecture du cours dans son intégralité et sous format pdf, puis
travail sur les activités de la plateforme : lecture active, tests et quiz. La finalité de ces
processus étant le dépôt du devoir en ligne.
La troisième action située émergente que nous avons identifiée, n’est pas
particulièrement préconisée par l’équipe tutorale ; mais les archives des forums sont
mises à disposition des apprenants pour une éventuelle consultation. Certains d’entre
eux s’en sont donc emparés afin de tenter de trouver des réponses à leurs questions.
Deux usages ont été constatés. Le premier consistait à naviguer dans les archives des
forums avant de poser leur question. Peu d’apprenants optaient pour ces recherches qui
se sont avérées très chronophages. Le second usage consistait à chercher une réponse
dans les archives lorsqu’aucune n’avait été trouvée dans le forum de l’année et que la
réponse du tuteur se faisait attendre.
La quatrième action située récurrente caractérisée par une entraide émergente entre
apprenants a été observée suite au manque de réactivité des tuteurs. S’il est convenu que
les forums étaient le lieu des questions/réponses, notamment autour des problématiques
du cours, les apprenants nous ont déclaré qu’ils s’adressaient surtout aux enseignants,
même s’ils avaient conscience que les autres apprenants consultaient les messages. Ce
n’est que lorsqu’ils n’ont pas vu arriver les réponses que ceux qui avaient des éléments
de réponse, ont commencé à participer dans les forums. Il s’agit donc bien, dans ce cas,
d’une entraide émergente en situation d’urgence. Nous pouvons le qualifier de tutorat
entre pairs étant donné, notamment, que, en cas de difficultés importantes, les plus
avancés se lançaient « au secours » de ceux qui étaient « perdus ».
Les actions imprévisibles d’un système émergent des interactions entre les acteurs en
condition de désordre. L’auto-organisation qui en résulte peut être définie comme la
capacité d’un système à créer ses propres finalités et à se structurer lui-même. Maturana
et Varela (1994) introduisent le concept d’autopoïèse qui fait référence à la propriété
d’un système à se produire lui-même. La dynamique interne des systèmes complexes,
est une organisation autopoïetique : « Les êtres vivants sont caractérisés par le fait que,
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 263
littéralement, ils sont continuellement en train de s'auto-produire. Nous nous référons à
ce processus lorsque nous appelons l'organisation qui les définit l'organisation
autopoïétique. » (Maturana et Varela, 1994, p. 32). Selon ces auteurs, les composants
d’un système autopoïétique se régénèrent constamment par leurs interactions et leurs
transformations. Ces propos rejoignent ceux de Le Moigne (1990) pour qui : « Un
système complexe est, par construction, un système manifestant quelque forme
d’autonomie : si ses comportements devaient être complètement dépendants
d’interventions extérieures ou exogènes (sur lesquelles il n’exerce aucun contrôle), ils
ne seraient pas complexes mais au contraire complètement prévisible ».
4.1.2 Lien avec les types d’usages :
Par ailleurs, nous avons observé qu’il existait deux postures parmi les apprenants vis-
à-vis de la copie des post des forums dans la messagerie individuelle. D’une part, ceux
qui étaient pour et y voyaient un outil de veille et d’organisation de leur travail ;; d’autre
part, ceux qui la considérait comme inutile, source de surcharge informationnelle et
chronophage. Prolongeant notre analyse des données, nous avons pu établir des
relations intéressantes entre ces deux groupes d’apprenants et les types d’usages
identifiés préalablement.
Contrairement à ce que nous avions envisagé, le comportement des apprenants vis-à-
vis de la lecture des post des forums via leur messagerie individuelle ou via directement
dans les forums ne dépend ni de l’usage initial de ces technologies par les apprenants
(une apprenante se dit très à l’aise avec les technologiques alors qu’une autre se dit
hermétique), ni de l’usage final de l’outil, ni de leur âge (qui s’étale de 23 à 42 ans). La
notion de parcours de formation n’intervient pas non plus, puisque tous ceux qui se sont
exprimés sur ce sujet suivaient la formation en un an.
Nous avons noté, en revanche, que les apprenants qui voient un intérêt à ce que tous
les post soient copiés dans les boîtes aux lettres individuelles, ou ceux qui n’évoquent ni
l’intérêt d’une telle norme, ni n’en évoquent un quelconque inconvénient sont soit dans
un rapport affectif (« j’ai fini par apprivoiser les technologies ») ou socio-affectif avec
les technologies, soit dans une approche collaborative, voire constructiviste de
l’apprentissage : elles évoquent le lien social, l’accompagnement, ou encore
l’appartenance à un groupe. Les apprenants qui parlent de surcharge, de mauvaise
pratique, ont des comportements vis-à-vis des technologies qui relèvent de l’efficacité
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 264
ou de l’utilitaire : « C'est uniquement utilitaire. Non, ce qui m'intéresse c'est de rentrer
en contact, j'en ai un usage même avec les acteurs [du domaine culturel]….Tous mes
rendez-vous se font par mails, ou par textos », nous précise une apprenante. Une autre,
ayant de multiples activités en plus de la formation nous explique : « On reçoit aussi,
toutes les réponses des professeurs aux autres étudiants, ce qui peut être intéressant,
mais qui…dans une sorte de communication par mail, dans une messagerie, n’est pas
très efficace je trouve. Voilà. Du coup, moi j’aurais préféré avoir peut-être des rendez-
vous réguliers par skype, où du coup, je peux maximiser mon emploi du temps par
rapport à ça ».
Il semblerait donc qu’il y ait une corrélation forte entre la posture prise par les
apprenants vis-à-vis de la lecture des post dans la messagerie du BV et le type d’usage
qu’ils ont de la plateforme. Nous discutons ci-après les usages en question.
4.2 Interprétation et discussion des résultats concernant l’émergence d’une
typologie des usages de la technologie en pratique
A la suite des actions situées et récurrentes émergentes par les technologies en
pratique, dans le cas de la licence CMPC à distance, il se dégage des entretiens trois
types d’usage (cf § 3.2) :
- un usage que nous qualifions d’ « utilitaire », dans lequel les apprenants
utilisent les technologies de façon très limitée,
- un usage « communicationnel » caractérisé par des étudiants qui cherchent
essentiellement du lien dans les échanges,
- et enfin, un usage plus « communautaire » où l’échange semble avoir pour
objectif la construction de connaissance, à la fois individuelle et collective,
avec un support participatif.
Si nous mettons ces travaux en perspective avec les cinq pratiques de compétence
collective du « savoir comment » d’Orlikowski (2002), nous trouvons une forte
corrélation entre ces cinq pratiques et les trois usages que nous avons identifiées :
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 265
- l’usage « utilitaire » correspond à la pratique du partage d’identité d’Orlikowski
(2002) : participation au regroupement en présentiel, présentation en ligne,
définition du projet professionnel. Ces actions caractérisent à la fois le partage
d’identité au sein de la licence CMPC à distance, et la pratique du partage
d’identité.
- l’usage « communicationnel » semble regrouper deux des pratiques
d’Orlikowski : D’une part, la pratique de l’interaction en face-à-face caractérisée
par la construction d’un réseau fort, empreint de confiance, respect et engagement.
Les apprenants ont fortement identifié cette construction de leur réseau lors du 1er
regroupement : « ça pourrait pas se créer sans le regroupement, c’est évident ».
D’autre part, les pratiques relevant de l’usage communicationnel correspondent
également à la pratique qualifiée « d’alignement de l’effort » par Orlikowski
(2002). Elle parle de coordination des activités et d’allocations des ressources.
C’est en effet à cette étape que, dans sur notre terrain, nous avons constaté les
premières actions d’entraide.
- l’usage « communautaire » relève de la pratique de l’apprentissage par l’action –
le savoir comment – d’Orlikowski et de la pratique de support participant –
discussion, délibération, processus de décision. Nous sommes ici concrètement
dans le tutorat entre pairs, et les prémisses de la création d’une communauté
d’apprentissage au sens de Wenger (1988).
Ce parallèle entre les trois usages qui ont émergé de notre étude de cas et les travaux
d’Orlikowski (2002) est synthétisé dans le tableau suivant (cf tableau 17) :
Usages (Licence CMPC)
Utilitaire Communicationnel Communautaire
Pratiques de compétence collective du « savoir comment » (Orlikowski, 2002)
Partage d’identité
Interaction en face-à-face Alignement de l’effort
Apprentissage par l’action Support participant
Tableau 17 – Usages de la licence CMPC mis en perspective
avec les travaux d’Orlikowski (2002)
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 266
4.3 Interprétation et discussion de la familiarité avec les TIC
Les travaux d’Orlikowski (2000) permettent d’observer à un instant (t) les actions
situées et récurrentes qui émergent des usages des apprenants. Néanmoins, cette grille
de lecture ne permettant pas de montrer la progression dans l’appropriation des
technologies, nous nous sommes intéressée à la familiarité des apprenants avec les TIC,
au début et à la fin de leur apprentissage. Ce codage nous permet de voir la perception
des apprenants dans leur évolution dans l’appropriation des technologies.
Les résultats que nous obtenons sont en cohérence avec les travaux de De Vaujany
(2001) sur les archétypes et de De Vaujany (2003) sur les trajectoires d’appropriation.
En effet, nous avons rencontré deux archétypes dans les comportements des utilisateurs
de ces technologies. D’une part, ceux qui ont appris à les utiliser et qui les ont intégrées
dans leur quotidien sans, pour autant, que celui-ci en ait été perturbé ;; d’autre part, ceux
pour qui l’usage de ces technologies a tellement modifié leur potentiel, qu’il a
transformé leur vision jusqu’à les intégrer dans des sphères autres que celle de la
formation. Ces deux archétypes s’apparentent, pour le premier, à l’archétype « neutre »
de De Vaujany (2001), alors que le deuxième correspond plutôt à l’archétype
« régénéré » qui génère de nouvelles pratiques sociales.
Les entretiens ont fait émerger deux trajectoires appropriatives des TIC mobilisées
sur la plateforme technologique. D’une part, une trajectoire catalytique apparaît dans les
usages notamment des personnes se déclarant peu à l’aise avec les technologies.
L’appropriation des technologies déclenche un phénomène qui s’apparente à une
révélation pour leurs usages et qui les amène à les intégrer dans leur sphère privée et/ou
professionnelle. Au niveau de la plateforme, chez ce même groupe, nous avons constaté
que les rencontres sur skype provoquaient les apprenants une plus grande implication
dans les forums et de plus en plus d’interactions avec les autres apprenants. A ce titre,
nous pouvons qualifier ces outils de catalyseur d’appropriation. Nous retrouvons ici les
résultats des travaux de De Vaujany (2003). Dans le dernier exemple, l’intervention
humaine et le caractère synchrone de l’outil participent à ce phénomène.
Les résultats font apparaître un deuxième type de trajectoire que nous pouvons
qualifiée d’équilibrée. Elle concerne à la fois le groupe des apprenants très à l’aise avec
les technologies au départ et celui qui ne connaissait pas les TIC mais qui n’a pas
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 267
dépassé le cadre de la formation pour l’usage qu’il en faisait. Ce deuxième résultat
corrobore à nouveau les travaux de De Vaujany (2003).
4.4 Interprétation et discussion des résultats sur les interventions du tuteur
Comme nous l’avons vu précédemment, la grille de lecture d’Orlikowski a permis de
faire émerger des actions situées et récurrentes dans les pratiques, et des postures chez
les apprenants qui se caractérisent par des usages utilitaires et des usages qui varient
entre le communicationnel et le communautaire. Derrière ces usages, les propriétés
structurelles des apprenants au sens d’Orlikowski sont caractérisées.
Nous nous sommes posée la question du rôle du tuteur dans le passage d’un usage à
l’autre par les apprenants communicationnel (cf figure 32).
Figure 32 – Les trois types d’usages en pratique chez les apprenants
En effet, comme nous l’avons évoqué lors de la présentation des résultats, certains
apprenants ont clairement déclaré que le manque de réactivité des tuteurs les amenait à
abandonner, à ne plus attendre la réponse à leur questionnement et à « faire sans ».
Ainsi, ils finissaient par ne même plus poser de question sur les forums.
Une apprenante déclarait : « on a posté des choses sur le forum, ça a pris quand
même quelques semaines avant d’avoir la réponse, du coup on décroche entre temps »,
et une autre nous expliquait qu’il n’était pas question de « passer [son] temps à courir
après l'enseignant pour poser une question ».
Nous pouvons donc considérer que le manque d’interactions avec le tuteur peut faire
régresser l’apprenant dans l’usage de la technologie. Ainsi il peut passer d’un usage
communicationnel à un usage utilitaire. Le passage éventuel d’un usage communautaire
à un usage communicationnel a été évoqué plutôt lors de la surcharge de travail à
fournir pour la licence et par l’influence de la sphère professionnelle. .
Si l’analyse de nos données a permis de faire émerger le passage « régressif » d’un
usage à l’autre, nous avons donc cherché à comprendre comment les interventions du
Utilitaire Communicationnel
Communautaire
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 268
tuteur pouvaient faire passer d’un usage à l’autre, dans un processus de progression
dans l’usage des technologies et dans les interactions avec le groupe d’apprenants.
Nous n’avons pas noté de progression particulière du fait de la nature individuelle ou
collective de l’intervention. De fait, la plupart des interventions tutorales, dans le cadre
de la licence CMPC à distance, sont collectives. Les quelques interventions
individuelles relatées relevaient soit d’un problème technique, soit portaient sur le projet
professionnel de l’apprenant. Elles n’impactaient donc pas le comportement du groupe,
ou de l’individu dans le groupe.
D’après nos entretiens, la totalité des interventions était de l’ordre de la réactivité.
L’initiative de l’intervention en réaction à un problème ou une question, ou pour
relancer la dynamique d’un groupe n’a donc pas lieu d’être discutée ici. Le temps de
réactivité semble être un élément permettant de passer d’un type d’usage à l’autre. En
effet, nous avons vu que, lorsque la réponse d’un tuteur tardait trop, certains apprenants
régressaient dans la progression des usages. La grande réactivité du tuteur technique a
été mentionnée par tous les apprenants qui l’ont évoquée comme étant un élément
important pour le passage d’un usage utilitaire à un usage communicationnel. Nous
n’avons pas d’éléments nous permettant de déclarer que le caractère réactif du tuteur a
joué un rôle dans le passage d’un usage interactionnel à un usage communautaire. En
revanche, l’entraide entre apprenants à favoriser cette progression dans un petit nombre
de cas. Ainsi, cette apprenante nous précise qu’elle favorise la réciprocité dans
l’échange. Elle se situe clairement dans l’usage communautaire mais le restreint à des
personnes de confiance : « sur les forums, en envoyant des sujets, on a perçu que l’un
ou l’autre avait tel genre de difficulté et on a senti qu’on pouvait arriver à quelque chose
d’un plus privé, parce que sur le forum y en a qui participe et y en a qui participe
jamais. Donc ils viennent plus finalement pour prendre des idées quoi, faut dire ce qui y
est, donc voilà. Donc y a un moment où on se dit bon, c’est bien de donner, mais si c’est
toujours à sens unique, on reste un peu des fois entre personnes qui bossent quoi et qui
donnent, qui ont envie de donner voilà ». Une communauté s’est donc formée.
Le caractère de l’intervention programmée ou spontanée influence clairement la
progression dans l’usage. En effet, l’encadrement programmé par la coordonnatrice
d’une part, et par les tuteurs de cours d’autre part, ont clairement été évoqué. De
nombreuses questions sont posées avant de rendre les devoirs et juste avant les semaines
de regroupements. Les jalons établis lors de l’ingénierie de formation, et le caractère
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 269
programmé des interventions, ont donc une influence majeure sur le processus
d’appropriation.
Les interventions tutorales influençant ces passages d’un usage à un autre sont
schématisées dans la figure 33.
Figure 33 – Les trois types d’usages en pratique chez les apprenants
Notre grille de codage fait apparaître une notion de temporalité dans les interventions
du tuteur, issues des cinq étapes du modèle de Salmon (2000). L’auteur affirme qu’à
travers la qualité et le nombre d’interactions, ainsi que les technologies qu’il choisit de
mettre en œuvre, le tuteur participe à la progression de l’apprentissage de l’apprenant.
Par ailleurs, les trois types d’usage que nous avons identifiés chez les apprenants
semblent correspondre à des étapes de progression dans l’appropriation de la
technologie. L’usage utilitaire correspond à l’étape qualifiée d’accès et de motivation
par Salmon. L’important ici est d’acquérir une capacité émotionnelle et sociale pour
apprendre en ligne. Cela correspond bien aux descriptions faites par nos apprenants.
L’usage communicationnel correspond à la fois à la socialisation en ligne de Salmon et
à l’échange d’information. A ce stade de l’appropriation des technologies, les échanges
et le partage de connaissances sont possibles. L’usage communautaire est à rapprocher
des étapes 4 et 5 du modèle de Salmon. En effet, cet usage permet d’aborder la
construction de connaissances dans la micro-communauté d’apprentissage et qui s’est
formé et un développement qui peut se caractériser par une formation d’émancipation
des apprenants.
Ce parallèle entre les trois usages qui ont émergé de notre étude de cas et le modèle
de Salmon (2000) est synthétisé dans le tableau suivant (cf. le tableau suivant) :
tutorat entre pairs RDV programmés
surcharge de travail sphère
professionnelle
manque de réactivité
tutorat technique RDV programmés
Utilitaire Communicationnel
Communautaire
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 270
Usages (Licence CMPC)
Utilitaire Communicationnel Communautaire
Modèle de l’e-moderating (Salmon, 2000)
Accès et motivation
Socialisation en ligne Echange d’informations
Construction de connaissances Développement
Tableau 18 – Usages de la licence CMPC mis en perspective
avec le modèle de Salmon (2000)
A ce stade, notre mise en perspective serait incomplète si nous rapprochions les
travaux d’Orlikowski (2002) de ceux de Salmon (2000). La convergence des deux
approches, d’une part, celle d’Orlikowski sur les pratiques de compétence collective
lors de l’appropriation des technologies, et , d’autre part, celle de Salmon sur
l’apprentissage et le tutorat nous permet, sur la base de notre étude de cas, d’affirmer
que le tuteur a bien un rôle dans l’appropriation des technologies et l’apprentissage, à
travers les interactions qu’il a avec les apprenants, l’ingénierie tutorale qui aura été mise
en place par l’équipe tutorale et les outils qu’il choisit pour mettre en œuvre ces
interactions. Ceci permet donc de répondre à notre question sur le rôle du tuteur dans
l’appropriation des technologies. Nous synthétisons donc les mises en perspective de
ses travaux dans le tableau 19 ci-après.
Usages (Licence
CMPC)
Utilitaire Communicationnel
Communautaire
Pratiques de compétence collective du « savoir comment » (Orlikowski, 2002)
Partage d’identité
Interaction en face-à-face
Alignement de
l’effort
Apprentissage par l’action
Support
participant
Modèle de l’e-moderating (Salmon, 2000)
Accès et motivation
Socialisation en ligne
Echange
d’informations
Construction de connaissances
Développement
Tableau 19 – Usages de la licence CMPC mis en perspective avec les travaux d’Orlikowski (2002) et le modèle de Salmon (2000)
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 271
Les interventions du tuteur peuvent faire passer d’un type d’usage à un autre, comme
nous l’avons vu. Le manque de réactivité peut faire « régresser » l’apprenant dans ces
usages. Cependant, nous avons pu également constater que des interactions de mauvaise
qualité entre un apprenant et un tuteur peut impacter les relations entre ce tuteur et
l’ensemble des apprenants. Nous avons recueilli les propos d’une apprenante à ce sujet :
« Un fait marquant, pour moi, ça été la réponse d’un enseignant à une collègue [une
apprenante], sur un brouillon de devoir qu’elle lui envoyait, via le forum : ‘J’arrête
de lire ça. J’arrête de corriger car vu le niveau et les fautes d’orthographe…’. Des
trucs !... moi, j’étais…, je vous promets… ça m’a mis par terre. J’ai envoyé un mél
immédiatement à la fille en lui disant que c’était absolument scandaleux. [...] Je
trouvais cela immonde comme fonctionnement, vraiment immonde. En plus, c’était
d’un mépris !...d’une suffisance !... enfin, je ne peux pas vous dire, c’était
épouvantable. Bien sûr, mais moi, très honnêtement [...] j’ai coupé toute
communication avec cet enseignant. J’en ai tellement eu !... une fois, je lui ai dit que
je n’avais pas bien compris un truc, il m’a répondu que je n’avais qu’à lire le cours.
Je l’avais déjà lu 2 fois, donc si je ne l’avais pas compris, c’est peut-être qu’il y avait
des choses qui n’étaient pas claires ».
L’écrit peut être mal interprété ; écrire en faisant une réponse à un groupe est encore
plus délicat. Il convient donc d’être encore plus prudent à l’écrit qu’à l’oral. La distance
peut affecter les relations encore plus profondément qu’en face-à-face. Nous voyons,
dans ce qui relate cette apprenante, qu’elle a préféré rompre la communication. Dans la
lignée des travaux de Salmon (2000), nous affirmons donc que le nombre d’interactions
et le choix des outils doivent être complétés par une qualité dans les interactions avec
les apprenants, afin que l’appropriation puisse avoir lieu.
4.5 Interprétation et discussion des résultats sur la perception du rôle du tuteur :
Les TIC, qui sont à la base des nouveaux médias développés pour la formation et
l’éducation, sont avant tout des technologies qui visent à faciliter l’accès, en améliorant
le transport, la transmission et la circulation de l’information (Belisle, 2004). L’auteur
ajoute : « Mais elles n’améliorent, ni n’aident en aucune façon, cet autre versant
indispensable dans la communication humaine, et a fortiori dans l’apprentissage, qu’est
l’interaction ».
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 272
Dans la perception générale des apprenants, le tuteur a essentiellement un rôle
d’accompagnement dans le processus et la stratégie d’apprentissage ; on retrouve ici le
niveau méta-cognitif du rôle pédagogique identifié dans la littérature. A l’unanimité, les
apprenants déclarent que le tuteur est expert dans son domaine et doit répondre aux
questions des apprenants ;; il s’agit bien là du soutien cognitif relatif au rôle
pédagogique. Par ailleurs, nombreux sont les apprenants qui évoquent un
accompagnement socio-affectif lorsqu’ils expriment la nécessité de sentir de la
présence, du lien, lorsqu’ils parlent de la relation de proximité surprenante à travers la
distance, pour maintenir la motivation et pallier l’abandon. L’aspect organisationnel est
abordé également par les apprenants, lorsqu’ils mentionnent les activités mises en
œuvre par les tuteurs dans chacun des cours, ainsi que dans les points réguliers qui sont
faits par « chat ».
Le seul rôle que les apprenants ne reconnaissent pas au tuteur est le rôle technique.
Pour eux, l’enseignant n’a pas vocation à remplir ce rôle. S’il peut les aider, ils
apprécient ;; mais le rôle incombe, à leurs yeux, à l’ingénieur pédagogique. Les
apprenants n’ont pas conscience qu’une organisation spécifique a été mise en place dans
l’équipe de la licence, afin de répartir les tâches sur plusieurs personnes, l’une d’elle se
spécialisant justement dans le domaine technique. Il est cependant ressorti fortement
dans les entretiens que, pour tous les apprenants, il est naturel qu’il y ait un support
technique. Celui-ci a simplement été préalablement étiqueté, dans le cas de la licence
CMPC, sur une personne qui n’assure pas de tutorat pédagogique sur les cours qu’ils
ont choisis.
Une importance majeure a été également déclarée par les apprenants concernant la
coordination du tutorat. Tous mentionnent la nécessité d’un tel rôle en cas de conflit
interpersonnel, en cas de problème relationnel avec un tuteur de cours ; mais également
pour clarifier un projet, réorienter un parcours. Du point de vue des apprenants, c’est
bien à la coordonnatrice qu’il revient de s’occuper de ces problèmes du fait qu’elle ait
une vision globale de la formation. Elle remplit également, à leurs yeux, un rôle socio-
affectif non négligeable. Ses interventions permettent régulièrement de remotiver le
groupe aux périodes délicates du processus d’apprentissage, de rebooster leur moral et
d’impulser une nouvelle dynamique. La coordonnatrice revêt donc très fortement la
responsabilité des rôles méta-cognitif, organisationnel et socio-affectif. En cas de non
disponibilité du tuteur technique, elle le remplace également. Enfin, étant elle-même
tuteur de plusieurs cours sur la licence, elle remplit également le rôle pédagogique.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 273
Ainsi, nous constatons que les entretiens menés auprès des étudiants, comme auprès
des tuteurs, rejoignent les travaux sur le rôle du tuteur (Burge, 1995 ; Daele et Docq,
2002 ; Denis, 2003 ;; Ndoye, 2005). Concernant le rôle technique, l’objectif de « rendre
transparente la technologie » est atteint puisque l’appropriation des technologies par les
apprenants arrive assez tôt dans le processus d’apprentissage. Il est important ici de
rappeler que le tuteur n’est pas le seul responsable de cette appropriation ; mais que le
travail remarquable de scénarisation des contenus, d’ingénierie pédagogique,
d’ingénierie de formation, d’une part, et de coordination et de remédiation de l’équipe
tutorale d’autre part, contribuent fortement à cette appropriation qui n’est cependant pas
perceptible par les apprenants. Il s’agit bien d’un travail effectué en amont de
l’enseignement lui-même, et qui est sans cesse réinterrogé par un travail réflexif sur les
pratiques de l’équipe.
Il est clairement ressorti de notre analyse que, pour les apprenants comme pour les
tuteurs interrogés, le cœur du métier de tuteur en ligne se situe dans les interactions
pédagogiques. Nous avons par ailleurs noté que les actions de suivi des tuteurs de cours
et de la coordination étaient très proches des six fonctions principales que Bruner (1997)
a qualifiées d’« étayage ». Ceci nous a donc permis de mettre en perspective les travaux
de cet auteur dans le cadre du tutorat en ligne :
- l’enrôlement permet soutenir l’intérêt du sujet par rapport à la tâche ;
- l’orientation permet de s’assurer que l’apprenant ne s’écarte pas du but assigné
par la tâche ;
- la réduction des degrés de liberté correspond à l’ensemble des procédés par
lesquels le tuteur (mais aussi les pairs plus avancés) simplifie la tâche pour aider
l’apprenant à résoudre un problème ; le tutorat technique en est un exemple
caractéristique ;
- la mise en évidence des caractéristiques critiques de la tâche permet d’attirer
l’attention sur les éléments pertinents de celle-ci ;; l’activité de lecture active mise
en place dans la licence CMPC illustre bien ce concept ;
- le contrôle de la frustration permet d’éviter que les difficultés ne se transforment
en échec et que cela n’entraîne un sentiment de démotivation ; il est exercé
notamment à travers les rendez-vous sur skype programmés avec la
coordonnatrice de la formation ;
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 274
- la présentation de modèles pour démontrer la tâche à l’apprenant ou la détailler en
étapes, qui est clairement appliqué dans le cadre du suivi du projet professionnel
des apprenants de la licence.
L’étayage participe ainsi à l’émancipation de l’apprenant. Les enseignements
peuvent avoir un caractère émancipateur pour autant que les apprenants sont
accompagnés dans ce processus, notamment dans la formation à distance. Les facteurs
endogènes (nature de l’apprenant, comportement dans la communauté,…) et exogènes
(environnements familial et professionnel, conditions de travail,…), dans les deux
modalités, permettront une avancée plus ou moins grande selon les individus (Caraguel,
2012).
4.6 Interprétation et discussion des nouveaux rôles du tuteur identifiés
Les entretiens ont mis à jour deux autres résultats complémentaires importants dans
notre étude. D’une part, par ses interactions, le tuteur a la possibilité de faciliter le
tutorat entre pairs et d’initier la création d’une communauté de pratique. Nous
questionnerons la pertinence de l’institutionnalisation de ce type de tutorat. D’autre part,
nos entretiens avec les apprenants montrent que le tuteur a également un rôle de
knowledge manager à investir. Ces résultats sont corroborés par l’ingénieur
pédagogique lorsqu’elle parle des tags qu’elle souhaite ajouter sur les ressources. Notre
réflexion portera donc sur le lien entre e-learning et Knowledge Management (KM), et,
plus précisément, sur le lien entre tuteur en ligne et knowledge manager.
4.6.1 Le tuteur, facilitateur de tutorat entre pairs :
Le premier concerne un tutorat entre pairs qui s’est mis en place en parallèle du
dispositif initialement prévu. Nous nous interrogeons maintenant sur la pertinence de
l’institutionnalisation de ce type de tutorat : Doit-on l’institutionnaliser ? Dans ce cas,
ne perdrait-il pas de son efficacité, de sa spontanéité ? Quel degré
d’institutionnalisation et de formalisation pourrait-on envisager?
D’une part, nous avons pu constater que les apprentissages non formels au sein de
cette formation en ligne démarrent souvent au plan individuel. Les modalités collectives
qu’ils revêtent ensuite proviennent de « pairs aidants ». « Ce type d’intervention
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 275
participe de l’autoformation et de la formation réciproque entre usagers, en favorisant
la participation active des membres du parcours éducatif » (Jouet, 2010).
L’institutionnalisation de ces pratiques ne risquerait-elle pas de faire disparaître son
caractère à la fois spontané et créatif des interventions des pairs aidants?
Papi (2013) schématise dans la figure ci-dessous (figure xx) les travaux qu’elle a
coordonnées à travers l’ouvrage intitulé « Le tutorat de pairs dans l'enseignement
supérieur. Enjeux institutionnels, technopédagogiques, psychosociaux et
communicationnels ». Il existe différents types de tutorats entre pairs du plus
institutionnalisé au plus spontané, en présentiel comme à distance. Le tutorat
institutionnalisé n’a pas les mêmes objectifs, ni les mêmes conséquences qu’un tutorat
spontané. Nous pourrions, en revanche, inciter le tuteur à favoriser ce type d’entraide ;
c’est donc la proposition que nous faisons. Celle-ci peut être une voie vers
l’autonomisation des apprenants.
Figure 34 – Le tutorat de pairs dans l’enseignement supérieur (Papi, 2013)
Par ailleurs, si le tutorat en ligne se situe essentiellement dans les modèles de type
connexionniste, cognitiviste et constructiviste, tels que repérés par Fallery (2007), le
tuteur a un rôle important à jouer dans le modèle socio-constructiviste, pour encourager
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 276
les échanges entre pairs et la création de communauté d’apprentissage. Comme le
montre Salmon (2000, 2001), l’ultime étape de l’apprentissage en ligne est celle de la
création de micro-communauté permettant la création de connaissance entre apprenants.
Le tuteur mettra en œuvre des activités à travers d’outils qui faciliteront ce processus.
L’e-tuteur aurait un 4ème rôle, celui de facilitateur du tutorat entre pairs.
En effet, si les communautés de pratique n’ont pas attendu l’avènement des TIC pour
voir le jour, elles se sont considérablement amplifiées depuis l’introduction massive des
réseaux. Yochai Benkler, dans “Coase’s Penguin, or, Linux and The Nature of the
firm” (2002), parle même de l’émergence d’un nouveau paradigme, d’une nouvelle
méthode d’organisation qui convient à la production de certains biens tels que
l’information, la connaissance et la culture.
Dans leur ouvrage « Cultiver les communautés de pratique » (2002), Wenger,
McDermott et Snyder voient les communautés de pratique comme des groupes de
personnes partageant un ensemble de problèmes ou une passion sur un sujet, et qui
approfondissent leur connaissance et leur expertise dans ce domaine en interagissant de
manière régulière.
Les communautés de pratique sont des « fabriques de connaissance » qui permettent
aux organisations de gérer la connaissance avec le même professionnalisme utilisé pour
gérer d’autres actifs de l’organisation.
Il s’agit donc, pour l’entreprise, de comprendre comment développer ces structures.
Ces structures sous-tendent une « taciticité » des connaissances, une connivence d’un
collectif de travail, et une forme d’auto-organisation.
Il y aurait une forme de communautarisme légitimé par l’usage des TIC. Cohendet et
Diani (2003) posent la question de la gouvernance d’entreprise entre marché, hiérarchie
et communautés.
Les outils de travail collaboratif ont permis le développement d’échanges à tout
niveau. Les chats et les forums sont devenus les espaces de discussion communs des
internautes. Pas seulement réservés aux initiés, ils sont introduits petit à petit dans les
entreprises.
Les universités, de leur côté, développent des plateformes collaboratives telles que le
bureau virtuel, et s’acheminent vers le déploiement de véritables campus numériques.
Les modèles classiques sont perturbés, échappent à la hiérarchie, et la transversalité est
privilégiée.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 277
4.6.2 Le tuteur, Knowledge Manager:
Un deuxième phénomène intéressant qui émerge du terrain concerne la
documentation. Les étudiants, lorsqu’ils ont des questionnements sur leur apprentissage,
consultent les archives qui sont à leur disposition, notamment en termes de forums
puisque ce sont les seules archives qui sont mises à leur disposition dans ce dispositif.
Dans une deuxième intention, après avoir vérifié que la question n’ait pas déjà été
posée, ils postent eux-mêmes un message dans les forums du cours correspondant.
Certains étudiants nous parlent aussi des documents complémentaires déposés par leurs
tuteurs. Tous ces témoignages nous amènent à penser que le tuteur pourrait avoir un
autre rôle dans la formation en ligne – rôle qui ne pourrait qu’enrichir davantage le
dispositif lui-même : celui de Knowledge Manager.
De plus, si notre réflexion paraît intéressante dans un dispositif de formation en ligne
dans un cadre universitaire, elle prend toute sa pertinence en entreprise. En préalable de
notre recherche, nous avions interviewé en juillet 2008 en ce sens le responsable monde
e-learning de l’entreprise ST MicroElectronics. Quand nous avions abordé la question
de la mise en place d’un système de Knowledge Management (KM) dans l’entreprise, il
nous avait répondu que l’étude était en cours et que la responsabilité lui incomberait
probablement étant donné la vision convergente qu’ils avaient entre KM et e-learning.
Le projet étant néanmoins à l’état de réflexion et donc loin encore d’être mis en place.
Quant au tuteur, s’il paraissait probable qu’il ait un rôle à y jouer, il était bien trop tôt
pour projeter de son impact dans un tel dispositif, surtout que le tutorat en ligne pour la
formation n’était pas vraiment institutionnalisé au sein de l’entreprise mais plutôt sur le
plan du volontariat.
De nombreuses entreprises ont, depuis le début des années 2000, mis en place des
systèmes de gestion des connaissances, grâce à de fortes préconisations provenant du
Knowledge Management. En effet, la plupart des pratiques associées au modèle de
l’apprentissage organisationnel sont liées à la capitalisation des connaissances. Elle
consiste en l’élaboration d’entrepôts de connaissances, afin de préserver les savoirs
organisationnels de l’oubli ou du départ d’acteurs-clés.
Les systèmes de gestion des connaissances (SGC) apparus récemment dans les
entreprises se divisent en 2 grandes familles d’applications de technologies de
l’information (Pesqueux, 2000):
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 278
Les applications intégratives :
- Répertoires bien structurés de connaissances
- Gèrent les connaissances explicites
- Considèrent la connaissance comme un objet pouvant être collecté, stocké et
réutilisé
- « modèle d’entrepôt » d’Alavi (2000).
Concernant la réalité des démarches de mise en place de gestion des connaissances,
Pesqueux précise qu’elle « se limite le plus souvent à la seule mise en œuvre d’un outil,
le SCG. C’est cette vision purement technique qui conduit aux échecs des projets de
management par la connaissance. Le premier étage de la fusée a été conçu en oubliant
sa finalité : servir le management dans une perspective de conduite apprenante et
participative du changement ».
Le KM est un processus tourné vers les connaissances générées en interne (savoir-
faire, compétences, best practices…) et non vers les connaissances extérieures qui
relèveraient de la veille. Cependant, ces dernières tendent à être intégrées dans les
processus de stockage du KM.
Un grand nombre de techniques sont disponibles :
- Transcription des savoirs tacites : méthode REX, document de synthèse, fiches,…
- Ingénierie des connaissances : KOD, KADS, MKSM, MASK,…
- Gestion des savoirs tacites non transcriptibles : compagnonnage, groupware
informel
- Gestion des connaissances déjà transcrites sous forme de documents : GED,
ingénierie linguistique et moteurs de recherche, text mining
- Gestion des données : SGBD, SGDT, datawarehouse, datamining.
Les applications interactives :
- Favorisent les interactions sociales et l’échange des connaissances tacites
- A travers la mise en place de forums
- S’intéressent à établir des liens directs entre les individus
- « modèle de réseau » d’Alavi (2000).
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 279
Le KM serait un instrument de valorisation organisationnelle en particulier pour les
activités de service.
Nous pouvons rapprocher les travaux concernant le rôle du tuteur en ligne à ceux du
KM. En effet, les quatre rôles fondamentaux du tuteur identifiés dans la littérature
semblent correspondre au « Four Pillars Model » de KM de Stankosky (2005):
- Le leadership s’apparente au rôle socio-affectif du tuteur en ligne,
- Le learning au rôle pédagogique,
- la technology au rôle technique,
- et enfin l’organization au rôle organisationnel ou managérial du tuteur.
Au vu de ce modèle et de ce qui émerge de notre terrain, il paraît pertinent de se
poser la question du lien entre les deux et de s’interroger sur le rôle du tuteur en tant que
Knowledge Manager. Enfin, si nous nous référons au modèle de Gilly Salmon sur l'e-
moderating. Parmi les cinq étapes dans l'évolution du e-moderator avec ses apprenants,
les deux dernières ont trait à l'apprentissage, la construction de connaissance et au
"développement" (il s'agit dans cette dernière étape de méta-cognition de notre point de
vue). Dans ce modèle, ce sont bien ces deux étapes qui nous intéressent du point de vue
du KM. Si nous rapprochons enfin ces deux modèles à notre dispositif d’enseignement
en ligne, nous pourrons certainement y voir un certain nombre de correspondance.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 280
Structure
Établissement
Plateforme technologique
Équipe tutorale
Groupe Apprenant
Environnement familial et
professionnel
Les interactions entre l’équipe tutorale et la plateforme, l’équipe tutorale et
l'apprenant, l’équipe tutorale et le groupe d'apprenants, l'apprenant et le groupe
d'apprenants, enfin chaque d'entre eux avec la plateforme, toutes ces relations sont
sources de création de connaissances. Il paraît alors essentiel de capitaliser ces
connaissances pour qu'elles soient réutilisées comme matériel pour les promotions
suivantes d'étudiants. L’e-tuteur aurait un 5ème rôle qui est celui du management des
connaissances.
Une extension de notre recherche pourrait donc être : Comment capitaliser les
connaissances acquises et les connaissances créées, qu’elles soient individuelles ou
collectives, dans un contexte d’enseignement en e-learning ?
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 281
4.7 Interprétation set discussion des résultats des entretiens avec les tuteurs et apports des données secondaires
Comme nous l’avons vu dans l’exposé des résultats, le fait que les tuteurs soient,
pour la plupart, des professionnels du secteur culturel a engendré quelques
dysfonctionnements au démarrage du cursus. En effet, la contrainte pour accéder au
dispositif technologique est d’utiliser des identifiants universitaires. De même, les
copies des post des forums et des devoirs sont envoyées sur la messagerie universitaire
des intervenants. Ainsi, le temps que ces derniers s’approprient les technologies et que
les usages se mettent en place a provoqué un manque de réactivité qui a été gênant pour
les apprenants. Ce constat est confirmé par l’ensemble des tuteurs interrogés qui nous
expliquent qu’ils respectent le contrat qu’ils ont signé au démarrage de la formation en
se connectant au minimum deux fois par semaine sur la plateforme pour répondre aux
questions posées. Aucun d’eux n’a eu la sensation d’avoir été absent dans les échanges.
Même le tuteur qui a été tant décrié par les apprenants lors de nos entretiens n’a pas fait
mention d’un quelconque problème pendant l’année.
Les données secondaires nous ont permis de constater que les responsables de cette
formation ont géré leur dispositif par une approche du changement (Lewin, 1957 ;
Thomas, 2005). Ainsi une action de formation a été menée lors du premier
regroupement en présentiel et elle a été complétée par plusieurs tutoriels disponibles sur
la plateforme. Ces actions sont des facteurs d’influence de l’appropriation du dispositif.
Un tuteur technique, très réactif, répond à toutes les questions des apprenants et tente de
résoudre dans de très brefs délais les éventuelles problèmes techniques qu’ils
rencontrent. De plus, un processus itératif, à la fois de mise à jour des contenus et de
renouvellement des activités et des outils pour les mettre en œuvre montrent une réelle
volonté d’améliorer chaque année le processus d’appropriation des technologies et
d’apprentissage par les apprenants.
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 282
4.8 Synthèse des résultats de la thèse
L’analyse des données demande au chercheur un travail constant de vérification,
d’interprétation et de synthèse ; mais elle nécessite également un effort d’abstraction. La
démarche d’analyse consiste donc à générer du sens dans une masse d’informations.
Nous rejoignons Le Moigne (1987) qui précise qu’elle exige aussi de théoriser en
produisant des représentations intelligibles de l’expérience de terrain. Le passage de
l’empirique vers le théorique est alors un processus lent et itératif entre le cadre
théorique et l’expérience de terrain. Hussenot (2008, p.151) rappelle : « Travail de
théorisation et travail de terrain [sont] enchevêtrés ». La connaissance est alors
produite à travers un exercice de modélisation systémique (Le Moigne, 1987).
Un bon accompagnement dans un environnement en e-learning permet une
construction de connaissances (Salmon, 2000). La dynamique du groupe et la trajectoire
d’apprentissage sont données par l’encadrement. L’ambiance, la motivation, les
échanges et débats en dépendent. Salmon dit que le tuteur participe à la progression de
l’apprentissage de l’apprenant par le nombre et la qualité des interactions qu’il a avec
lui ; mais aussi par le choix des technologies, en fonction de l’étape dans laquelle se
trouve l’apprenant. Notre recherche corrobore les travaux de Salmon ; les apprenants
nous ont clairement donné leur perception du choix des outils en fonction l’usage de
ceux-ci dans la formation. Il nous paraît d’autant plus intéressant ici de confirmer ces
travaux que les dispositifs d’enseignement en ligne proposés en 2000 n’offrait pas
toutes les possibilités d’interaction que nous pouvons trouver aujourd’hui à travers les
outils web 2.0 de nos plateformes.
A travers notre grille de lecture des interventions du tuteur, nous avons pu montrer
que son rôle est aussi de faire progresser les apprenants dans l’usage qu’ils ont de ces
technologies. Le défaut d’interactions risque, a contrario, de faire régresser l’apprenant.
L’impact de la sphère personnelle et/ou professionnelle est évoquée par certains
apprenants lorsqu’ils parlent de la surcharge de leur emploi du temps, ou encore les
outils utilisés dans le cadre de la formation et qu’ils vont pouvoir utiliser dans leurs
projets professionnels car il y a bien pour eux une double formation TIC et médiation
culturelle.
Par ailleurs, nous nous plaçons dans la perspective de l’interaction qui renvoie à
l’idée selon laquelle l’interaction réciproque entre les technologies et les acteurs
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 283
entraîne l’organisation dans un processus de changement. Le courant structurationniste,
dans la perspective duquel nous nous insérons, est en accord avec les principes
d’interaction (Giddens, 1977). Il aborde en effet l’analyse conjointe des structures
organisationnelles et des interactions entre les individus et les technologies. Ils
expliquent les usages à deux niveaux : individuel et structurel.
S’il est indéniable que l’introduction d’une nouvelle technologie apporte le
changement, dans notre cas, la réingénierie des formations, la pédagogie revisitée, la
scénarisation des cours et l’individualisation des parcours renforcent et perpétuent le
changement. C’est alors que le rôle de l’enseignant évolue et que celui du tuteur
émerge : « nous sommes en train de vivre une révolution par le numérique. Dans la
guerre économique, le savoir est devenu compétence et il est mis au service de
l’innovation. On ne forme plus maintenant à des savoirs mais à des compétences »
(Stiegler, 2012).
Le tuteur n’est pas le concepteur des outils de la plateforme ; mais le concepteur, en
quelque sorte, du dispositif d’apprentissage proposé aux étudiants. Il conçoit les
contenus, mais également la scénarisation de ses contenus et des parcours pédagogiques
qu’il met à disposition des étudiants. Dans l’organisation de son tutorat, il met en œuvre
des activités qui lui semblent pertinentes pour l’acquisition de tel ou tel type de
compétence, en fonction d’un style d’apprentissage. L’appropriation des technologies
s’effectue à travers la scénarisation des cours d’une part ;; et du système tutoral d’autre
part.
L’enseignant devient facilitateur et le but de la formation est d’éduquer des
« reflective practitioners » (Schön, 1983). Les valeurs mises en avant sont
l’émancipation, l’autonomie professionnelle, l’esprit critique et démocratique (Raelin,
1994).
Les entretiens menés auprès des apprenants et des tuteurs et coordonnateurs du
dispositif montrent que l’appropriation de la technologie au sein de ce dispositif ne
semble pas poser de véritables problèmes, y compris pour les novices ou les réfractaires
aux TIC. L’analyse de nos données montre qu’il y a au moins deux explications à ce
phénomène, qui tiennent, d’une part, au travail préalable au démarrage de
l’apprentissage, et d’autre part, à un soutien pendant le processus d’appropriation :
En effet, l’ingénierie pédagogie qui a été mise en place et qui est revue régulièrement
par l’équipe pédagogique permet quasiment de répondre à toutes les inquiétudes des
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 284
étudiants d’un point de vue technique. Les enseignants se sont réellement mis en
situation d’apprentissage afin d’essayer d’envisager et surtout d’anticiper les éventuelles
difficultés que les apprenants pourraient rencontrer. Ce travail a été accompagné par le
tuteur technique qui « pousse les enseignants dans leurs derniers retranchements ». Les
tuteurs qui ne sont pas auteurs des contenus sont également sollicités à travers les
activités qu’ils proposent et la documentation complémentaire qu’ils apportent en
permanence leurs étudiants. La pertinence de leurs choix dans ces compléments
participe, bien entendu de l’apprentissage ;; mais aussi de l’appropriation des
technologies car ils envisagent des activités qui facilitent l’apprentissage tout en
mobilisant des outils dont ils facilitent ainsi l’appropriation. C’est ici que se trouve le
rôle du tuteur dans l’appropriation des technologies : dans un choix judicieux des outils
et des activités qui les mobilisent, afin de rendre la technologie la plus « transparente »
possible.
En plus de cette ingénierie pédagogique à laquelle les tuteurs comme les auteurs des
cours participent, un système tutoral a été mis en place. Une coordination des tuteurs et
enseignants est assurée par un ingénieur pédagogique qui enseigne par ailleurs dans ce
cursus. Cette double fonction lui permet de prendre en considération toute la dimension
à la fois pédagogique et organisationnelle du tutorat. Dans le système tutoral élaboré, un
autre ingénieur pédagogique est en charge de tous les aspects techniques. Les
apprenants savent que c’est elle qu’ils doivent contacter en cas de problème d’accès à la
plateforme ou à une ressource de celle-ci. Il arrive également qu’elle soit sollicitée en
tout début de parcours lors des premières connexions. Les demandes décroissent au fil
du temps, parallèlement au processus d’appropriation de la technologie qui se fait au fil
du temps. Ceci est tout à fait identifiable dans nos entretiens lorsqu’on interroge les
étudiants en 2ème ou 3ème année qui nous expliquent qu’ils ne rencontrent plus du tout
de problèmes techniques.
Les résultats de notre recherche ont participé à répondre aux questions et sous-
questions qui ont émergé suite à notre revue de littérature. Il est clairement apparu que
le tuteur joue un rôle dans l’appropriation des technologies et l’apprentissage, en amont
de la formation, à travers l’ingénierie de formation, la scénarisation des cours et
l’ingénierie tutorale, puis, pendant la formation, à travers la qualité et le nombre de ses
interactions, ainsi que le choix des outils. Par ailleurs, afin de faciliter la construction
des connaissances, nous suggérons qu’il développe un rôle de facilitateur de tutorat
Chapitre VI Présentation et discussion des résultats
Valérie Caraguel 285
entre pairs, d’une part, et de knowledge manager, d’autre part, pour capitaliser ces
connaissances.
Conclusion générale
Valérie Caraguel 286
CONCLUSION GENERALE
Conclusion générale
Valérie Caraguel 287
CONCLUSION GENERALE
Notre projet est de comprendre les dispositifs d’interactions tuteur-apprenant qu’il
est pertinent de développer afin de soutenir l’appropriation de la technologie et
l’apprentissage des apprenants dans un contexte d’e-learning.
Tout au long de notre thèse, nous avons montré que cette question générale peut elle-
même se décliner en 3 sous-questions de recherche :
- la première se focalisant sur l’appropriation et les modalités d’intervention du
tuteur : « quelles modalités d’intervention du tuteur sont-elles susceptibles de
participer à l’appropriation des TIC dans un environnement en e-learning ? »,
- la deuxième concernait les évolutions des modalités d’interventions des
tuteurs : « comment les modalités d’interventions tutorales évoluent-elles au
regard du processus d’appropriation des technologies ? »,
- la troisième sous-question de recherche, enfin, évoquait la médiatisation du
tuteur dans l’apprentissage des apprenants : « quel est le rôle de la
médiatisation par le tuteur dans l’apprentissage des apprenants ? ».
La finalité de cette conclusion est de synthétiser les principaux éclairages dégagés au
cours de notre recherche.
Au préalable, nous souhaitons apporter une précision concernant notre travail dans sa
globalité et, plus particulièrement, l'étude empirique. La réalisation d’une étude de cas,
nous a permis de dégager plusieurs éléments de réponse aux interrogations précédentes.
Toutefois, nous ne prétendons pas avoir expliqué, traité, ni même évoqué toutes les
dimensions afférentes aux dispositifs d’interactions tuteur-apprenant qu’il semble
pertinent d’investir afin de soutenir l’appropriation de la technologie et l’apprentissage
des apprenants dans un contexte d’e-learning. Nous n'avons fait que progresser dans
l'intelligibilité de ces dispositifs. Les pistes d’exploration restent nombreuses et…
passionnantes !
Conclusion générale
Valérie Caraguel 288
Cette précision apportée, nous pouvons initier la discussion de nos résultats afin de
dégager les contributions théoriques, méthodologiques et managériales de notre
recherche.
Nous évoquerons également les limites de cette dernière. Cela nous permettra alors
d’envisager des voies de recherche possibles. Ces dernières sont autant de possibilités
pour approfondir les résultats comme les éléments de discussion que nous avons pu
capitaliser tout au long de notre processus doctoral.
Contributions théoriques de la recherche…
Comme nous l’avons précisé dans le chapitre précédent, l’analyse des données
demande au chercheur un travail constant de vérification, d’interprétation et de
synthèse. Elle nécessite également un effort d’abstraction. La démarche d’analyse
consiste donc à générer du sens dans une masse d’informations. Le Moigne (1987)
précise ainsi qu’elle exige de théoriser en produisant des représentations intelligibles de
l’expérience de terrain. Le passage de l’empirique vers le théorique est alors un
processus lent et itératif entre le cadre théorique et l’expérience de terrain. Précisément,
« le travail de théorisation et le travail de terrain sont enchevêtrés » (Hussenot (2008,
p. 151). La connaissance peut alors être produite à travers un exercice de modélisation
systémique (Le Moigne, 1987).
…Par rapport à notre question générale : « sur les dispositifs d’interactions à développer afin de soutenir l’appropriation et l’apprentissage des apprenants »
Nous reviendrons, pour commencer, sur les activités tutorales dans un dispositif
d’enseignement à distance. Tout au long de ce processus, le tuteur est principalement
perçu dans un rôle d’accompagnement, notamment, pour soutenir les stratégies
d’apprentissage. Nous retrouvons ici le niveau métacognitif du rôle pédagogique déjà
identifié dans la littérature (Jacquinot, 2003 ; Bernatchez, 2001 ; Paquette, 2001). Ce
premier élément nous semble particulièrement intéressant pour deux raisons. D’une
part, il souligne l’importance des actions permettant de guider et d’accompagner
l’apprenant dans l’apprentissage de ses savoirs. D’autre part, et ceci étant lié à cela,
Conclusion générale
Valérie Caraguel 289
cette dimension métacognitive, elle-même inscrite dans le rôle d’accompagnement du
tuteur, révèle comment celui-ci permet aux apprenants de rester (…ou de redevenir !)
éveillés et actifs tout au long du processus d’apprentissage dans un dispositif à distance.
Précisément, nos analyses ont montré que, par son rôle d’accompagnement, le tuteur
amène l’apprenant à être co-producteur de son apprentissage. En cela, nous
confirmons les résultats soumis dans les recherches de Paquelin (2004).
Dans les perspectives de la discussion précédente, nous avons montré que le rôle
d’accompagnement du tuteur ne s’effectue pas au détriment de l’autonomie des
apprenants. Notamment, le tuteur facilite la planification du parcours d’apprentissage,
l’évaluation des stratégies d’apprentissage, l’organisation de son travail ainsi que
l’autoévaluation de l’apprenant. En cela, il le soutient dans sa capacité à se représenter
son environnement d’enseignement, à se connaître lui-même et, plus spécifiquement, à
rendre intelligible ses propres stratégies cognitives.
Les éléments précédents rendent intelligibles comment certains dispositifs
d’interactions tuteur-apprenant favorisent les processus d’appropriation et
l’apprentissage dans un contexte d’e-learning. En cela, ils constituent une première
étape dans la construction de réponses à notre question générale de recherche.
…Par rapport à la sous-question concernant la médiation du tuteur et l’apprentissage
Notre recherche a également permis de mettre en perspective le rôle socio-affectif du
tuteur. En effet, dans un environnement en e-learning, la présence d’un enseignant n’est
pas toujours avérée… au contraire des technologies qui peuvent être perçues aussi utiles
que nouvelles, voire intrusives ! Les apprenants attendent donc une présence, un
lien, une relation de proximité afin de suppléer les frontières spatiales et/ou temporelles séparant apprenants et enseignants. Nous avons donc montré que le
tuteur est particulièrement utile car, au-delà de son rôle de facilitateur et
d’accompagnement, sa présence permet de maintenir la motivation et d’éviter l’abandon
de l’apprenant isolé. Exprimé autrement, le tuteur peut constituer le lien social entre, d’une part, l’enseignant et le contenu pédagogique et, d’autre part, les apprenants.
Conclusion générale
Valérie Caraguel 290
Nos analyses prolongent celles développées dans d’autres recherches : le tuteur permet
de « compenser » (Gauducheau et Marcoccia, 2007, p. 4) et d’éviter l’émergence d’un
sentiment de solitude (Bernatchez, 2001).
Les éléments précédents montrent comment la médiation du tuteur participe à
l’apprentissage des apprenants. En cela, ils offrent une réponse à la sous-question
portant sur le rôle de la médiatisation par le tuteur dans l’apprentissage des apprenants.
…Par rapport à la sous-question concernant l’évolution du rôle du tuteur
Notre recherche a également permis de mettre en perspective l’importance d’une
coordination du tutorat. Nos résultats révèlent la nécessité d’un tel rôle en cas de conflit interpersonnel, de problème relationnel avec un tuteur mais également pour
clarifier un projet, et réorienter un parcours. De telles situations ne manquent pas
d’émerger au cours des processus d’apprentissage et d’enseignement. Au-delà des
interventions classiques des tuteurs et dans la perspective de dépasser certains blocages
ou de maintenir le lien entre avec et entre les apprenants, une coordination tutorale est
nécessaire. Que ce rôle soit tenu par les tuteurs eux-mêmes ou par un acteur unique,
cette fonction de coordination permet une prise de recul supplémentaire vis-à-vis de situations particulières rencontrées. Elle est susceptible de permettre au groupe
d’apprenants, souvent constitué d’individus hétérogènes ayant des intérêts diversifiés,
de dépasser les périodes délicates des processus d’apprentissage et de maintenir une dynamique d’interactions entre les acteurs concernés.
Par ailleurs, au-delà des activités évoquées ci-avant, nous avons montré qu’il peut
être particulièrement utile de favoriser deux autres fonctions tutorales dans les
dispositifs d’enseignement à distance. En effet, au-delà des dimensions pédagogiques,
organisationnelles, socio-affectives et techniques, nos analysent révèlent que le tuteur
peut également investir un rôle élargi de knowledge manager. De même, par les
interactions qu’il entretient avec les apprenants et entre ces derniers, il semble pertinent
de favoriser le tutorat entre pairs et d’initier la création d’une communauté de pratique
entre apprenants. Nous parlerons alors d’un rôle de facilitateur de tutorat entre pairs et
de communauté d’apprentissage.
Conclusion générale
Valérie Caraguel 291
Revenons, en premier lieu, sur le rôle de knowledge manager. De part
l’accompagnement qu’il effectue dans un environnement e-learning, nous avons montré
que le tuteur facilite la construction de connaissances. En effet, la dynamique du groupe
et la trajectoire d’apprentissage sont impulsées par l’encadrement. Dans cette
perspective, Salmon (2000) montre que le tuteur participe à la progression de
l’apprentissage de l’apprenant par le nombre et la qualité des interactions qu’il
entretient avec lui : le tuteur est donc facilitateur de connaissance. Notre recherche
prolonge ces analyses en précisant que le tuteur permet également aux apprenants de
progresser dans la connaissance qu’ils ont des technologies utilisées et, plus
globalement, du dispositif d’enseignement en ligne. Exprimé autrement, il leur permet
de se situer, d’appréhender et de connaître le système e-learning dans son ensemble. En
ce sens, il occupe un rôle plus large qu’attendu de knowledge manager.
Il faut également relever, que, a contrario, le défaut d’interactions peut initier une
démotivation, voire une régression de l’apprenant.
En ce qui concerne le tutorat entre pairs, nous avons montré que les échanges et les
trajectoires d’apprentissage sont liés à la dynamique du groupe que le tuteur saura
générer entre lui-même et les apprenants. Néanmoins, les échanges dépendent
également des interactions que les apprenants sauront et pourront développer
directement entre eux. En d’autres termes, ils sont liés au degré de liberté que le
dispositif d’enseignement leur permet d’avoir. Or, cette dynamique d’interactions entre
apprenants peut provenir d’une entraide émergente en situation d’urgence. Il convient
donc de relever que l’auto-organisation qui en résulte peut être interprétée comme la
capacité d’un système à se structurer lui-même. De même, cette entraide émerge
souvent lorsque les apprenants constatent un défaut d’interactions dans le dispositif
d’enseignement. Nous pouvons donc suggérer qu’un objectif des systèmes e-learning
est de mettre en place une fonction tutorale laissant émerger, favorisant cette auto-
organisation, ce tutorat entre pairs.
Les éléments précédents montrent comment il est pertinent de faire évoluer la
médiation du tuteur dans un système d’enseignement à distance. En cela, ils offrent une
réponse à la sous-question portant sur l’évolution du rôle du tuteur.
Conclusion générale
Valérie Caraguel 292
…Par rapport à la sous-question concernant l’appropriation et les modalités
d’intervention du tuteur
Concernant le rôle technique du tuteur, notre recherche montre que l’objectif de
« rendre la technologie transparente » est atteint lorsque l’appropriation des
technologies par les apprenants est initiée et favorisée dès les phases les plus amonts du processus d’apprentissage. Il est important ici de rappeler que le tuteur
n’est pas le seul responsable de cette appropriation. En effet, le travail de scénarisation
des contenus, d’ingénierie pédagogique, d’ingénierie de formation, d’une part, de
remédiation de l’équipe tutorale, d’autre part, contribuent fortement à cet objectif de
« transparence technologique ». Il s’agit bien d’un travail effectué en amont de
l’enseignement lui-même et qui est sans cesse réinterrogé par un travail réflexif sur les
pratiques de l’équipe.
Paradoxalement, il convient de noter que lorsque ce travail est réalisé, avec un
niveau de qualité satisfaisant, les apprenants… n’ont pas conscience qu’une
organisation spécifique a été mise en place pour faciliter l’appropriation de la
technologie.
Les éléments précédents évoquent les modalités d’intervention des tuteurs dans la
perspective de soutenir l’appropriation des TIC dans un environnement en e-learning.
En cela, ils constituent une réponse à la sous-question portant sur les modalités
d’intervention du tuteur et l’appropriation des TIC dans un environnement en e-
learning.
…le rôle de l’enseignant évolue, celui du tuteur émerge : l’important dans l’e-
learning, au-delà du « e » et du « learning », c’est le « - » !
Pour achever cette synthèse de nos principales contributions théoriques, il semble
important d’aborder un dernier point. Alors qu’on craignait que l’e-learning ne
remplace, plus ou moins rapidement et plus ou moins fortement, l’enseignant, le rôle de
celui-ci apparaît… renforcé mais en évolution. Comme nous le suggérions dans la
Conclusion générale
Valérie Caraguel 293
dernière section du chapitre précédent, le rôle de l’enseignant évolue, celui du tuteur
émerge. Il ne s’agit plus d’une transmission de supports pédagogiques et de connaissances, les TIC et les dispositifs e-learning bouleversant, dans leurs dimensions
spatiale et temporelle, les cadres habituels de formation.
Dans cette perspective, l’appropriation des technologies apparaît primordiale. Notre
travail présente donc des retombées importantes concernant la mise en place de
dispositifs en e-learning. Pour revenir sur les évolutions de l’enseignant-tuteur, nous
avons montré que, dès la conception de la formation, il participe à l’ingénierie de la
formation, à la scénarisation de ses supports pédagogiques et à l’ingénierie tutorale. Son
rôle se situe également dans le choix des outils, vecteurs de la transmission. Au moment
de la formation, ses interventions, les interactions qu’il entretient avec les apprenants,
les outils qu’il mobilise dans l’action, en complément de ce qui aura été planifié, vont
participer à l’appropriation des technologies et à l’apprentissage des apprenants. A ce
moment-là, il devient facilitateur, accompagnateur. Il devient le lien entre l’électronique et l’apprentissage, entre le « e » et le « learning ».
Nous retrouvons ici un débat actuel. Lebrun (2008), en réponse à une trop grande
focalisation sur les technologies qui a engendré nombres de déceptions au début de
l’histoire de l’e-learning, s’applique à montrer que, dans « e-learning », ce n’est pas le
« e » qui compte le plus. Ses travaux portent essentiellement sur comment enseigner et
apprendre en ligne, en alliant pédagogie et technologie. En réponse à cette assertion,
Agostinelli (2008) souligne que « pour l’e-learning, le « e » est également important ».
Dans le prolongement de sa théorie de « l’artefact communicationnel », il considère
qu’au cours du processus d’appropriation, au fur et à mesure des évolutions de la
formation, les notions d’objets et d’outils disparaissent au profit de l’instrument.
L’instrument est alors une extension des actions qui permet de penser et de mettre en
œuvre des usages appropriés. Agostinelli (2008) précise que les technologies « sont des
artefacts qui amplifient les aptitudes humaines, modifient la tâche et l’activité ». Elles
organisent notre vision du monde à travers les connaissances distribuées et les pratiques
sociales partagées qu’elles autorisent. Dans cette perspective, l’auteur considère l’e-
learning comme un artefact que les enseignants utilisent pour démultiplier leurs
capacités d’action de formation et que les apprenants utilisent pour augmenter leur
potentiel de production et accroître leur pouvoir sur le monde des savoirs. Ces deux
approches de l’e-learning nous semblent pertinentes et peut-être même… converger !
Conclusion générale
Valérie Caraguel 294
En effet, nous avons montré, à travers notre thèse que, si l’enseignement et la
pédagogie sont essentiels, l’artefact est le vecteur, l’instrument de cet
enseignement. En synthèse, à travers la thèse que nous venons d’exposer et par
l’éclairage que nous apportons sur le rôle du tuteur dans l’e-learning, nous avançons
que l’important dans l’e-learning, au-delà du « e » et du « learning », c’est le « - »,
c’est-à-dire l’accompagnement dans l’apprentissage en ligne.
Les contributions méthodologiques de la recherche
Le design de notre recherche repose sur le couplage classique d’une analyse de la
littérature et d’une étude de cas. Il y a donc un double regard qui émerge
progressivement tout au long de la thèse : l’analyse du terrain à travers le prisme des
principaux éléments théoriques et conceptuels relevés et, en retour, les résultats du
« terrain » qui prolongent, amendent et enrichissent, les recherches préexistantes. Ainsi,
nous avons pu souligner la fécondité, l’enrichissement mutuel de cette articulation :
l’étude de cas permet des analyses riches et détaillées de processus perçus complexes,
tandis que l’analyse de la littérature prolonge, améliore notre « grille » intellectuelle
initiale. Le choix d’une étude dite « qualitative » aura été pour nous un pari
intéressant… bien que difficile à tenir ! En effet, de nombreuses études concernant les
dispositifs d’enseignement à distance, se contentent d’études statistiques. Un tel choix
nous aurait certainement mené plus rapidement à la conclusion de notre recherche.
Toutefois, les résultats obtenus n’auraient vraisemblablement pas été les mêmes. En
effet, au vu de notre objectif de recherche, nous considérons qu’il est peu pertinent et,
potentiellement, moins riche de se contenter de recueillir des données quantitatives sur
les dispositifs d’enseignement à distance. En effet, notre projet est d’appréhender dans
sa globalité les phénomènes liés à la fonction tutorale. Nous pensons avoir, en partie,
réussi à satisfaire cet objectif.
Les contributions managériales de la recherche : la conception et la mise en œuvre de la fonction tutorale, élément essentiel des dispositifs e-learning
Conclusion générale
Valérie Caraguel 295
Les résultats de notre recherche présentent naturellement des intérêts pratiques pour
les mises en production de dispositifs d’enseignement à distance. S’il ne nous paraît pas
nécessaire de revenir sur l’ensemble des implications managériales de ce travail (cf., à
ce propos, la dernière partie du chapitre IV), il semble pertinent de rappeler certains
éléments. En premier lieu, nous avons montré pourquoi et comment à travers ses
différents rôles, le tuteur participait au transfert et à la construction de connaissances
ainsi qu’au processus d’appropriation des apprenants dans de tels dispositifs. Il semble
donc plausible d’architecturer les systèmes d’enseignement en fonction de ces résultats.
En cela, nous avons proposé des implications concrètes en termes d’organisation de ces
systèmes. En second lieu, nous avons montré empiriquement que la fonction tutorale a
toute sa place dans les dispositifs d’enseignement à distance car, par exemple, elle
maintient et oriente les processus d’apprentissage, elle contribue à rassurer les
apprenants projetés dans un environnement d’enseignement dans lequel certains acteurs,
comme les enseignants, tentent à disparaître ou n’interviennent plus en présentiel.
Enfin, elle est susceptible de participer à la résolution de certaines situations
conflictuelles.
Naturellement, nous ne postulons pas avoir créé un « guide de bonnes pratiques ».
La création de connaissances dans un processus d’enseignement s’inscrit avant tout
dans la compréhension de la complexité, des paradoxes et des interdépendances des
processus. Simplement, nous espérons avoir amélioré la compréhension des dispositifs
e-learning.
Les limites de la recherche
Concernant l’appropriation de la technologie, il semble important de relever deux
points. D’une part, nous avons rencontré des difficultés d’accès au terrain qui ne nous
ont pas permis d’augmenter le nombre d’entretiens effectivement réalisés. D’autre part,
l’organisation même de la licence concernée ne nous ont pas permis de rencontrer les
apprenants à tous les moments auxquels nous le souhaitions. Ainsi, nous n’avons pas pu
mettre en œuvre une méthodologie d’accès au terrain suffisante afin mobiliser la théorie
de l’acteur-réseau qui, articulée à la grille de lecture de l’enactment d’Orlikowski
Conclusion générale
Valérie Caraguel 296
(2000), nous aurait permis d’améliorer notre compréhension des dynamiques
d’appropriation des technologies dans des environnements d’enseignement à distance.
De plus, le caractère non pérenne, par nature, des étudiants de l’enseignement
supérieur limite la potentialité du rôle du tuteur dans la création des communautés
d’apprentissage. Comme nous venons de le voir, notre recherche a permis de mettre en
perspective une nouvelle dimension du tutorat : le tutorat entre pairs. Toutefois, si nous
avons pu identifier cette nouvelle fonction, la nature du dispositif d’intervention sur le
terrain de recherche n’a pas permis, selon nous, de la caractériser plus précisément.
En outre, le choix d’une analyse longitudinale, pour nos recherches futures, apparaît
judicieux dans la mesure où cela permettrait de mieux appréhender les perceptions des
acteurs concernés ; mais, surtout, de considérer davantage les évolutions de leurs
représentations.
Les voies à explorer
Les deux limites précédentes pourraient être levées en menant une étude similaire
dans le cadre, par exemple, d’une université d’entreprise ou sur un dispositif d’e-
learning d’une grande entreprise. Ainsi, dans une étude longitudinale réalisée en
entreprise, la dimension de knowledge manager pourrait alors être mieux exploitée.
Nous pourrions alors confronter les théories du knowledge management à celles du
tutorat en ligne. Cette possibilité avait déjà été évoquée lors de notre séjour de recherche
effectué en mai 2009 au sein de l’Institute for Knowledge and Innovation de la George
Washington University. Nous espérons donc, dans un avenir proche, pouvoir poursuivre
le projet afin d’explorer cette dimension émergente de nos travaux de recherche.
Conclusion générale
Valérie Caraguel 297
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Valérie Caraguel 298
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Valérie Caraguel 323
INDEX DES FIGURES
Figure1 – Typologie COMPETICE (2002) p24
Figure 2 – Les avantages perçus du e-learning en entreprise selon une enquête Demos E-learning Agency 2008 (reproduit selon schéma p.9) p26
Figure 3 – Objectifs des politiques de développement du e-learning dans les établissements supérieurs français selon l’enquête menée dans le cadre du projet E-LUE (2006) lancé par la Commission Européenne (reproduit selon schéma p.71) p27
Figure 4 – Les freins à l’adoption du e-learning en entreprise selon une enquête Demos E-learning Agency 2008 (reproduit selon schéma p.10) p28
Figure 5 – Difficultés rencontrées au démarrage du dispositif, dans les établissements supérieurs français, selon l’enquête menée dans le cadre du projet E-LUE (2006) lancé par la Commission Européenne (reproduit selon schéma p.96) p29
Figure 6 – L’enseignement vu à travers le prisme de la servuction p56
Figure 7 - Drucker (2000).p64
Figure 8 – Simple et double boucle d’apprentissage (adapté de Argyris et Schön, 1978) p92
Figure 9 - La spirale de la création de la connaissance organisationnelle (Nonaka et Takeuchi, 1995)p 93
Figure 10 – Transitions entre dimensions tacite et explicite de la connaissance (Nonaka et Takeuchi, 1995) p 94
Figure11 - Structure permettant l'analyse de l'activité humaine selon Engeström (1993) p97
Figure 12 – Les cinq mouvements pédagogiques contemporains (Lisowski, 2010) p112
Figure 13 - La position intermédiaire de la personne tutrice (Paquette, 2001). p124
Figure 14 - Interventions dans le schéma de Paquette (adapté par nous) p125 Figure 15 - Rôles dans le schéma de Paquette (adapté par nous) p129
Figure 16 : Schéma de l’ingénierie tutorale (Rodet, 2013) p132
Figure 17– Rodet (2007) p134
Figure 18– Modèle en 5 étapes de Salmon (2000, 2002) p136
Figure 19 – L’équipe tutorale dans le dispositif d’enseignement en ligne p138
Figure 20 - Principe de contrôle réflexif dans la théorie de la structuration p153
Figure 21 - La dualité du structurel dans la théorie de la structuration p154
Figure 22 - La dimension spatio-temporelle dans la théorie de la structuration p156
Figure 23 –– La dualité structurelle de la technologie (adaptée d’Orlikowski (1992) et traduit par nous) p158
Figure 24 – Enactment de la technologie en pratique (Orlikowski, 2000) p164
Figure 25 – Influence du tutorat sur les technologies en pratique p 172
Figure26 - Genèse du projet de thèse - 2 constats (source: élaboration personnelle p180
Valérie Caraguel 324
Figure 27 : Genèse du projet de thèse : 3 éléments de départ (source : élaboration personnelle) p185
Figure 28 – L’encadrement au sein de la licence CMPC à distance p212
Figure 29 - Codage et analyse des données qualitatives – (Mouricou, 2009 ; adapté de Deschenaux, 2007) p 218 Figure 30 - Enactment de la "technologie en pratique" (Orlikowski, 2000, p. 140)
Figure 31- Grille de lecture de l'enactment de l'espace de cours de la licence professionnelle à distance CMPC d'Aix-Marseille Université selon Orlikowski (2000) p 237Figure 32 – Les trois types d’usages en pratique chez les apprenants p 265
Figure 33 – Les trois types d’usages en pratique chez les apprenants p 267
Figure 34 – Le tutorat de pairs dans l’enseignement supérieur (Papi, 2013) p 273.
Valérie Caraguel 325
INDEX DES TABLEAUX
Tableau 1 – Synthèse adaptée des fondements de la e-formation de Fallery (2007) repris
par Fallery et Rodhain (2011) p38
Tableau 2 – Evolution attendue de l’e-learning de 2000 vers l’e-learning innovant,
traduit de Dondi (2007) par nous-même. p42
Tableau 3 – Rôles du tuteur et caractéristiques liées p117
Tableau 4 - Rôles et compétences du tuteur p120
Tableau 5 – Assocation des domaines de compétence du tuteur (Salmon, 2000) aux rôles et compétences identifiés p122
Tableau 6 - Mise en perspective des travaux structurationnistes (Hussenot, 2008) p172
Tableau 7 – Rôles, compétences et domaines de compétences du tuteur (élaboration
personnelle à partir de l’étude de la littérature) p182
Tableau 8 : Les grands paradigmes épistémologiques utilisés en sciences de gestion (Girod-Séville et Perret, 1999, p15). p188 Tableau 9 – Types de parcours Licence 3 CMPC p201
Tableau 10– Encadrement pédagogique de la licence CMPC à distance p204
Tableau 11 – Dispositif technologique de la licence CMPC à distance p211
Tableau 12 - Grille de codage pour la technologie en pratique p226
Tableau 13 – Grille de codage pour la familiarité avec les TIC p 226
Tableau 14– Grille de codage pour les interventions du tuteur p 228
Tableau 15 – Grille de codage pour les rôles du tuteur p 228
Tableau 16 – Grille de codage générale p 229
Tableau 17 – Usages de la licence CMPC mis en perspective avec les travaux d’Orlikowski (2002) p 263
Tableau 18 – Usages de la licence CMPC mis en perspective avec le modèle de Salmon (2000) p 268
Tableau 19 – Usages de la licence CMPC mis en perspective avec les travaux d’Orlikowski (2002) et le modèle de Salmon (2000) p 268
Valérie Caraguel 326
ANNEXES
Valérie Caraguel 327
TABLE DES MATIERES
Valérie Caraguel 328
INTRODUCTION GENERALE p.11
CHAPITRE I : L’E-LEARNING
1 Introduction p.22 2 L’ e-learning p.31 2.1 Notre définition p.32
2.2 Historique de l’e-learning : entre espoirs et désillusions p.34 2.3 L’e-learning: un processus d’innovation en constante évolution
p.37 2.4 Le devenir du e-learning p.43 3 L’e-learning comme système complexe p.45 3.1 Le système p.46 3.1.1 La structure d’un système p.47 3.1.2 L’aspect fonctionnel des systèmes p.48 3.1.3 Les propriétés des systèmes p.49 3.1.4 L’apport de l’école de Palo Alto p.50 4 L’e-learning comme innovation de service p.52 4.1 L’enseignement vu comme un service p.54 4.2 Le changement p.58 4.2.1 L’introduction de la technologie p.58 4.2.2 Disponibilité de la ressource p.59 4.2.3 Transformation du rôle de l’enseignant p.60 4.2.4 Pédagogie revisitée et changement des processus d’apprentissage
p.61 4.2.5 Transformation organisationnelle p.61 4.3 Les caractéristiques d’une innovation p.62 4.4 Les enjeux de l’enseignement en ligne p.65 5 Ce qu’il faut retenir du chapitre I p.69
Valérie Caraguel 329
CHAPITRE II - L’APPRENTISSAGE
1 Définitions p.73 2 Les grands courants de l’apprentissage p.74 2.1 L’influence de l’environnement sur l’apprentissage p.74 2.1.1 La théorie behavioriste p.75 2.1.1.1 Les fondements du behaviorisme p.75 2.1.1.2 La pédagogie de la maîtrise p.76 2.1.1.3 Les limites du behaviorisme p.77 2.2 L’influence des facteurs internes à l’individu sur l’apprentissage
p.77 2.2.1 Ce qui se produit chez le sujet : le Gestaltisme en réponse au
behaviorisme p.77 2.2.2 L’interaction entre le sujet et son environnement : Piaget et le
constructivisme p.79 2.2.3 L’importance de la relation sociale dans l’apprentissage : Vygotski et
Wallon p.79 2.2.4 Le traitement mental de l’information dans le cognitivisme p.82 2.2.4.1 L’apprentissage et la cognition p.83 2.2.4.2 Le cognitivisme et la pédagogie p.86 2.2.5 La théorie « sociale cognitive » de Bandura p.87 2.2.6 Apprentissage et formation p.88 2.2.7 De « l’instrument » à la « formation » des esprits p.88 2.2.8 La formation des adultes p.92 2.2.9 L’apprentissage organisationnel p.93 2.2.10 L’apprentissage par double-boucle d’Argyris et Schön p.93 2.2.11 La spirale de l’apprentissage de Nonaka et Takeuchi p.94 2.2.12 L’organisation comme système d’interprétation p.96 2.2.13 L’anthropologie cognitive p.97 2.2.14 L’apprentissage comme processus expansif : Engeström p.97 2.2.15 L’apprentissage situé : Lave et Wenger p.99 2.2.16 La cognition socialement distribuée : Hutchins p.100 En conclusion du chapitre II p.102
Valérie Caraguel 330
CHAPITRE III - LE TUTORAT EN LIGNE
1 Qu’est-ce que le tutorat ? p.108 1.1 Du compagnonnage au tutorat p.108 1.2 Le tutorat dans l’enseignement traditionnel et en entreprise p.109 1.3 De l’enseignement en présentiel au tutorat en ligne… p.111 1.3.1 De l’enseignant au tuteur en ligne p.111 1.3.2 L’apparition du tutorat dans les grands courants de l’apprentissage
p.113 1.4 Tuteur, qui es-tu?... p.115 1.4.1 Tentatives de définition p.115 1.4.2 Typologie des rôles du tuteur en ligne p.116 1.4.2.1 Rôles du tuteur en ligne p.116 1.4.2.2 Les compétences associées p.119 1.5 Un tutorat différent pour chaque dispositif p.124 2 Position du tuteur dans un dispositif en ligne p.124 2.1 Le paradoxe du tuteur au centre du dispositif p.124 2.2 La vision des rôles du tuteur par les différents acteurs du
dispositif p.129 2.3 Un dispositif d’accompagnement p.132 2.3.1 L’ingénierie tutorale p.132 2.3.1.1 Mise en place d’un système tutoral p.133 2.3.1.2 Design du scénario tutoral p.135 2.3.1.3 Plan de diffusion p.136 2.3.2 Un modèle pour organiser les activités p.136
3 Le tutorat en ligne : maillon essentiel de la chaîne de l’apprentissage p.137
Valérie Caraguel 331
CHAPITRE IV - L’APPROPRIATION DES TECHNOLOGIES DANS UN DISPOSITIF D’E-LEARNING
1 Eclaircissement de quelques concepts autour de l’appropriation et des technologies en question p.143
1.1 Les outils d’une plateforme d’e-learning p.144 1.2 Introduction au concept d’appropriation p.146 1.3 Quelques définitions autour du concept d’appropriation p.149 2 Les courants majeurs sur l’appropriation des technologies p.150 2.1 Alter et les sociologues de l’innovation p.152 2.2 La perspective structurationniste p.152 2.2.1 La théorie de la structuration de Giddens p.153
2.2.1.1 Les trois principes fondamentaux de la théorie de la structuration p.154 2.2.1.1.1 Le contrôle réflexif de l’action p.154
2.2.1.1.2 La dualité du structurel p.155
2.2.1.1.3 La dimension spatio-temporelle de l’action p.156
2.2.1.2 La transposition des travaux de Giddens à l’analyse des technologies en milieu organisationnel p.158
2.2.1.2.1 Les scripts d’interactions de Barley (1986) p.158 2.2.1.2.2 Le modèle structurationnel (Orlikowski et Robey, 1991 ; Orlikowski, 1992)
p.158 2.2.1.2.3 La théorie de la structuration adaptative de De Sanctis et Poole (1994)
p.160
2.2.1.2.4 Les trois postulats de la théorie de la structuration p.162 2.2.1.2.5 Les quatre relations entre TIC et organisation p.163 2.2.2 Le modèle de la “technologie en pratique” d’Orlikowski (2000) p.164
2.2.3 La typologie des acteurs (Hussenot, 2007) p.166
2.2.4 Les archétypes technologiques et les trajectoires d’appropriation (De Vaujany, 2001, 2003) p.167
2.2.4.1 Les archétypes technologiques (De Vaujany, 2001) p.167 2.2.4.2 Les trajectoires d’appropriation (De Vaujany, 2003) p.168 2.3 La théorie de l’acteur-réseau (Akrich, Callon et Latour, 1988) p.169 3 Conclusion p.172
A la suite des fondements théoriques : quelques éléments de synthèse p.175
Valérie Caraguel 332
CHAPITRE V - METHODOLOGIE, EPISTEMOLOGIE, ET PRESENTATION DU TERRAIN DE LA RECHERCHE
1. Genèse du projet de recherche et problématique générale de la thèse p.179 1.1. Genèse du projet p.179
1.2. Problématique générale de la thèse p.182 2. Positionnement épistémologique du chercheur p.185
2.1. Les grands paradigmes épistémologiques p.185 2.1.1. Qu’est-ce que la connaissance ? p.189 2.1.2. Comment la connaissance est-elle engendrée ? p.189 2.1.3. Quelle est la valeur de la connaissance ? p.192
2.2. Un positionnement épistémologique constructiviste modéré p.193
3. Méthodologie de la recherche: L’étude de cas unique p.193 3.1. Justification de l’étude de cas unique dans le cadre de notre recherche
p.194 3.2. La collecte des données dans l’étude de cas p.196
4. Choix de terrain et présentation du cas p.197 4.1. Le choix du terrain p.198 4.2. Présentation du cas : La 3ème année de licence professionnelle « Activités
culturelles et artistiques » - Spécialité « Conception et mise en œuvre de projets culturels » - Cursus à distance p.200
4.2.1. Historique de la formation p.200 4.2.2. Public concerné p.200 4.2.3. Objectifs pédagogiques p.201 4.2.4. Dispositif pédagogique p.201 4.2.5. Encadrement pédagogique p.203 4.2.6. Modalités d'évaluation p.206 4.2.7. Le choix d'une formation à distance p.206 4.2.8. Contenus et structure des enseignements p.206 4.2.9. Le dispositif technologique p.207
4.3. Collecte des données p.214 4.3.1. Les entretiens semi-directifs p.217
4.3.2. Les données secondaires p.217
4.3.3. La grille d’analyse et le codage des verbatims p.217
Valérie Caraguel 333
CHAPITRE VI – PRESENTATION ET DISCUSSION DES RESULTATS
1 Introduction p.222 2 Présentation des thématiques p.224
2.1 La catégorie « technologie en pratique » p.224 2.2 Catégorie « Familiarité avec les TIC » p.227 2.3 La catégorie « interventions du tuteur » p.228 2.4 Catégorie « Rôles du tuteur » p.229 3 Présentation des résultats p.231 3.1 Actions situées récurrentes émergentes p.231 3.1.1 La lecture des messages sur le bureau virtuel p.232
3.1.2 Le processus d’apprentissage p.233
3.1.3 La recherche dans les archives des forums. p.235
3.1.4 L’entraide parmi les apprenants p237 3.2 Emergence d’une typologie des usages de la technologie en pratique p.240 3.2.1 Usage « utilitaire » p.240
3.2.2 Usage « communicationnel » p.240
3.2.3 Usage « communautaire » p.240
3.3 Familiarité avec les TIC p.241 3.3.1 Archétype d’utilisateur p.241
3.3.2 Trajectoires d’appropriation des apprenants p.243
3.4 Interventions du tuteur p.244 3.4.1 Nature des interventions tutorales p.244
3.4.2 Initiative des interventions p.244
3.4.3 Caractère de l’intervention p.245
3.4.4 Types d’interventions p.246
3.4.5 Temporalité p.248
3.4.6 Objet de l’intervention p.249
3.5 Perception du rôle du tuteur p.250 3.6 Résultats complémentaires p.251
Valérie Caraguel 334
3.7 Résultats des entretiens avec les tuteurs et apports des données secondaires p.253
3.7.1 Les entretiens avec les tuteurs p.253
3.7.2 L’apport des données secondaires p.257
4 Interprétation des résultats et discussion p.260 4.1 Interprétation et discussion des résultats concernant les actions situées
récurrentes émergentes p.261 4.1.1 les actions situées récurrentes émergentes p.261
4.1.2 lien avec les types d’usages p.263
4.2 Interprétation et discussion des résultats concernant l’émergence d’une typologie des usages de la technologie en pratique p.264
4.3 Interprétation et discussion de la familiarité avec les TIC p.266 4.4 Interprétation et discussion des résultats sur les interventions du tuteur p.267 4.5 Interprétation et discussion des résultats sur la perception du rôle du tuteur
p.271 4.6 Interprétation et discussion des nouveaux rôles du tuteur identifiés p.274 4.6.1 Le tuteur, facilitateur de tutorat entre pairs p.277
4.6.2 Le tuteur, Knowledge Manager: p.277
4.7 Interprétation set discussion des résultats des entretiens avec les tuteurs et apports des données secondaires p.281
5 Synthèse des résultats de la thèse p.282