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Après le silence des armes - UNHCRAux termes de l’Annexe 7 des Accords de Dayton (voir article page 14), le HCR est de nouveau chargé de coor-donner les secours humanitaires. Il

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U N E M O S A Ï Q U E D E D E S T I N É E S

SERBIE : femme de Sarajevocommençant une nouvelle vie à Belgrade.

SERBIE : famille croateayant demandé la nationalité serbe.

BOSNIE : femme croateayant refusé de quitter la Republika Srpska pendantla guerre.

BOSNIE : famillede réfugiés du Kosovoen Bosnie.

BOSNIE : cette famillemusulmane a retrouvé samaison dans une régionaujourd’hui sous contrôleserbe.

BOSNIE : paysan serbe revenudans la région de Sarajevo.

BOSNIE : veuves dumassacre de Srebrenican’attendant qu’unechose : retourner chezelles.

BOSNIE : rapatriés croates à Mostar,

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CROATIE : retour d’une famille croateayant fui les milices serbes en 1991.

CROATIE : cette rapatriée serbe attendtoujours de récupérer sa maison.

BOSNIE : familleserbe vivant dans unerégion de Bosnie àmajorité musulmane.dans la Fédération bosno-croate.

BOSNIE : réfugié croate continuant de vivre etde travailler sur les terres d’un autre réfugié.

CROATIE :famille croatede Bosnieinstallée enCroatie.

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Le “miracle” de Dayton Le “miracle” de Dayton

Le pont de Mostar est de retour…

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“LE PONT, DANS TOUTE SA BEAUTÉ ET SA GRÂCE, AVAIT ÉTÉ CONSTRUIT POUR TRANSCENDER NOS DESTINÉES INDIVIDUELLES,À L’ IMAGE DE L’ÉTERNITÉ”

–10 ans après–10 ans après

P H O T O G R A P H I E S D E V I N C E N T W I N T E R

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Le “miracle” de Dayton– 10 ans après

P A R R A Y W I L K I N S O N

oliman le Magnifique avait faitconstruire ce chef-d’œuvre de l’architec-ture du XVIe siècle pour faire ressortirtout l’éclat de son règne. Les pierres deson arche, qui enjambait si hardiment larivière Neretva, avaient paraît-il été ma-çonnées avec un mortier enrichi de déli-

cats blancs d’œuf et de crins de cheval. Depuis des siècles,il enchantait historiens, touristes et croyants, qui l’ad-miraient non seulement pour sa beauté, mais aussi parcequ’ il symbolisait la tolérance religieuse et culturelle.N’avait-il pas survécu aux empires ottoman et austro-hongrois, au royaume yougoslave et au régime com-muniste ?

Par une froide journée de novembre 1993, le généralcroate Slobodan Prljak s’arrêta devant le pont de Mos-tar, joyau niché au cœur de cette Bosnie-Herzégovinequi venait de proclamer son indépendance. Pour lui, cen’était pas un trésor de l’humanité. Plutôt un obstacle àl’un des projets les plus abjects du XXe siècle : le net-toyage ethnique, autrement dit la déportation ou le mas-sacre des populations locales dites inférieures.

“C’est juste un vieux pont”, laissa-t-il tomber en or-

donnant à son artillerie de détruire l’élégant ouvrageet onze autres monuments historiques avoisinantspour poursuivre son offensive contre les Bosniaquesmusulmans.

Les vénérables pierres allèrent s’écraser dans les eauxtumultueuses et glacées de la Neretva. La journalistecroate Slavenka Drakulic, qui rapportacette scène, en est encore bouleversée.“Pourquoi l’ image de ce pont détruitest-elle encore plus insupportable quecelle des massacres ?, s’interroge-t-elle.Parce que la mort fait partie de la vie.Mais la destruction d’un monument denotre civilisation, c’est tout autre chose.Le pont transcendait nos destinées in-dividuelles.”

Comme tous les autres épisodes tra-giques d’un cauchemar qui allait du-rer presque quatre ans, le pont de Mos-tar et sa destruction brutale sontdevenus le symbole non plus de l’en-tente entre les peuples, mais de lavague d’ intolérance et de barbarie quiensanglanta la région des Balkans audébut des années 90.

SLes années deguerre :Une passerelle defortune remplacele pont de Mostardétruit.

Bosniaquescapturés par desSerbes.

A l’abri des tirs desnipers serbes,dans un fosséboueux ou derrièredes véhiculesblindés de l’ONU.

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UN ACTEUR CLÉTout avait été si différent pen-dant quarante ans. Josip Broz, dit Tito,qui s’était emparé du pouvoir vers la finde la Seconde Guerre mondiale à la têtedes résistants communistes, avait fait dela Yougoslavie un pion essentiel sur

l’échiquier politique mondial et avait su ménager lessusceptibilités du grand frère soviétique, des socialistes,des pays occidentaux et du Tiers-Monde.

Mais en 1980, à la mort de Tito, les vieilles tensionsethniques, politiques, économiques et religieuses re-surgissent, et l’unité yougoslave commence à se lézar-der. En 1991, après dix années de tensions régionalescroissantes, la Slovénie et la Croatie proclament leurindépendance et sortent de l’orbite du gouvernement

de Belgrade, dominé par les Serbes. Des conflits locali-sés éclatent en Croatie. La Bosnie-Herzégovine pro-clame à son tour son indépendance en 1992, provoquantune guerre ouverte entre Croates, Serbes et Bosniaquesmusulmans.

Plusieurs centaines de milliers de personnes sonttuées durant les trois années d’affrontements et deguerres de factions qui s’ensuivent. Les forces serbesmassacrent près de 8000 hommes et jeunes garçons mu-sulmans dans une obscure petite ville appelée Srebre-nica — la pire atrocité jamais commise en Europe depuis

SLOVÉNIE

CROATIE

BOSNIE-HERZÉGOVINE

SERBIE

VOJWODINE

KOSOVO

MONTÉNÉGRO

EX RÉP. YOUGOSLAVEDE MACÉDOINE

Ljubjana

Zagreb

Knin

Dubrovnik

Novi Sad

Belgrade

Srebrenica

Mitrovica

PodgoricaPristina

Skopje

Kraljevo

Tuzla

Sarajevo

Mostar

Banja Luka

HONGRIE

ROUMANIE

ALBANIE

GRÈCE

ITALIE

MerAdriatique

Les Balkans

Tout comme les autres épisodestragiques de cette guerre, la destructiondu pont de Mostar est devenue le symbolede la vague d’intolérance et de barbariequi ensanglanta les Balkans.

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Il fautcreuser denouvellestombes pourles cadavresrécemmentidentifiés desvictimes dumassacre deSrebrenica en1995.

la fin de la Seconde Guerre mondiale. On voit apparaîtredes camps de concentration. La moitié de la populationbosniaque —hommes, femmes, enfants, vieillards et han-dicapés— est expulsée. L’expression «nettoyage ethnique»entre dans le vocabulaire international. Les infrastruc-tures de la Bosnie — usines, ponts, routes, écoles, mai-sons, centrales électriques et barrages — sont en grandepartie détruites. En Croatie, des villes et des villages en-tiers sont rayés de la carte.

Le HCR, désigné pour coordonner les secours hu-manitaires, lance l’opération la plus ambitieuse et laplus complexe de toute son histoire : un programmed’aide pour plus de 3,5 millions de personnes, et la miseen place d’un pont aérien qui durera trois ans et demi —du jamais vu dans l’histoire humanitaire — pour ravi-tailler quasi quotidiennement Sarajevo, la capitale bos-niaque.

Sarajevo. La ville qui a accueilli les Jeux olympiquesd’hiver en 1984. Sarajevo et ses maisons maintenant àmoitié détruites où se terrent des gens hagards et ter-rorisés qui n’osent plus s’aventurer dans les rues àcause des snipers serbes embusqués dans les collinesavoisinantes.

Après l’ intervention en puissance des Américainset de l’OTAN, le chapitre bosniaque du cauchemar desBalkans se referme enfin dans ce lieu inattendu où lesbelligérants signent les Accords de paix de Dayton du 21novembre 1995 : la base militaire américaine Wright-Patterson, dans l’Ohio.

Les armes se taisent. La Bosnie est divisée en deuxparties à peu près égales, la Republika Srpska, patriespirituelle des Serbes, et la Fédération bosno-croate.Aux termes de l’Annexe 7 des Accords de Dayton (voirarticle page 14), le HCR est de nouveau chargé de coor-donner les secours humanitaires. Il s’agit cette fois derapatrier les civils se trouvant dans des centres d’hé-bergement insalubres un peu partout dans la région,dans des maisons abandonnées et des immeubles bom-bardés qu’ils squattent depuis la fuite des propriétaires,et même de faire revenir ceux qui vivent dans descentres d’accueil ou autres logements en Europe ou enAmérique, pour les raccompagner dans un pays trufféde mines, sans infrastructures ou presque, où le travailest rare et les haines encore vives.

A la veille du 10e anniversaire des Accords de Day-ton, qui sera célébré en novembre, la renaissance du

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Le HCR est de nouveau chargé de coordonnerles civils dans un pays truffé de mines terrestres, où

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1878Le Congrès de Berlin redessine la carte des Balkansen créant trois nouveaux Etats : la Serbie, leMonténégro et la Roumanie. Les peuples concernésne sont pas consultés.

28 juin 1914L’archiduc François-Ferdinand, héritier du trôneaustro-hongrois, est assassiné par un nationalisteserbe lors d’une visite dans la capitale bosniaque deSarajevo. Cet événement déclenche la PremièreGuerre mondiale, qui aboutira à la chute des empiresautrichien et ottoman. En 1918, surgissant desdécombres, la Yougoslavie, ou «Royaume desSerbes, Croates et Slovènes» voit le jour.

24 octobre 1944Durant les derniers soubresauts de la SecondeGuerre mondiale, les partisans de Joseph Broz Titolibèrent Belgrade, la capitale yougoslave, et yinstaurent un régime communiste qui semaintiendra pendant près d’un demi-siècle.

25 juin 1991Après la mort de Tito, les vieilles tensions ethniquesrefont surface. La Croatie et la Slovénie proclamentleur indépendance. L’armée de la Fédérationyougoslave, dominée par les Serbes, riposte enprenant le contrôle de 30% du territoire croate.Quelques mois plus tard, le HCR est chargé de dirigerl’ensemble des opérations humanitaires dans larégion.

3 mars 1992La Bosnie-Herzégovine proclame son indépendance.Les forces serbes se déploient sur 70% du territoirebosniaque et assiègent Sarajevo. Le HCR organise unpont aérien pour ravitailler la ville. Ce pont dureratrois ans et demi, du jamais vu dans l’histoirehumanitaire.

1991-1995Des centaines de milliers de personnes sont tuéesen quatre années de guerre. Le terme «nettoyageethnique» est sur toutes les lèvres tandis que lesagences humanitaires se mobilisent pour protéger etnourrir quelque 3,5 millions de civils. En Bosnie, lesinfrastructures sont pratiquement réduites à néant.

11 juillet 1995Les forces serbes massacrent près de 8000 hommesdans l’enclave musulmane de Srebrenica. Cette

tuerie, d’une horreur sans précédent en Europedepuis la fin de la Seconde Guerre mondiale,accélère l’ intervention des troupes américaines etde l’OTAN.

12 août 1995La déroute des forces serbes se confirme. La Croatielance l’Opération Tempête et reprend le territoireoccupé par les Serbes. Quelque 250000 d’entre euxfuiront la Croatie durant la guerre.

21 novembre 1995Les Accords de paix de Dayton mettent fin auxhostilités en Bosnie-Herzégovine. Une forceinternationale est déployée sous commandement del’OTAN. Le HCR est désigné chef de file poursuperviser les diverses opérations humanitaires :rapatriement, ravitaillement et relogement despopulations déracinées.

15 janvier 1998La Croatie reprend pacifiquement le contrôle desdernières zones sous occupation serbe, dans l’est dupays. Pour la première fois de son histoire, elle peutexercer sa souveraineté sur l’ensemble de sonterritoire.

24 mars 1999Au moment même où l’ex-République yougoslavetente de se relever de la guerre, la situation sedégrade dans la province du Kosovo, où de vivestensions opposent la majorité albanaise et laminorité serbe. Les pourparlers de paix engagés enFrance échouent, et l’OTAN lance une offensiveaérienne de 78 jours contre les forces serbes. Enl’espace de quelques jours, près de 900 000 Albanaisdu Kosovo s’enfuient ou sont chassés vers l’Albanie,la Macédoine et le Monténégro.

12 juin 1999Après la signature du plan de paix, les forces del’OTAN et les troupes russes se déploient au Kosovo.Au cours des semaines qui suivent, pratiquementtous les Albanais du Kosovo reviennent. C’est l’undes revirements les plus spectaculaires de l’histoiredes réfugiés. Par crainte de représailles, quelque230 000 Serbes, Roms et autres minorités kosovaresprennent la fuite dans la direction opposée, vers la Serbie et le Monténégro. L’administration civile del’ONU (la MINUK) est chargée d’administrer leKosovo.

11 décembre 1999Un vent nouveau souffle sur les Balkans. Après lamort de Franjo Tudjman, l’homme fort de la Croatie,Zagreb accède à la démocratie. A Belgrade,Slobodan Milosevic perd les électionsprésidentielles d’octobre 2000. Le 28 juin 2001, il estremis au Tribunal pénal international de La Haye où ilsera jugé pour crimes de guerre.

Février 2001Des troubles éclatent dans l’ex-Républiqueyougoslave de Macédoine. Ils provoquent l’exode de plus de 150 000 personnes, essentiellement vers le Kosovo voisin. En août, les belligérants signentun accord de paix et les habitants commencent àrentrer chez eux.

4 février 2003Le Parlement de Belgrade adopte la charteconstitutionnelle d’un nouvel Etat, la Serbie-et-Monténégro. C’est la fin officielle de laRépublique fédérative de Yougoslavie, qui n’aura pasrésisté aux guerres des Balkans des années 90.

Juillet 2004La Bosnie franchit une étape clé de sa renaissance : le retour au pays de la millionième personnedéracinée par la guerre.

Janvier 2005Avec l’appui du HCR, de l’Union européenne et del’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), la Bosnie-Herzégovine, la Croatieet la Serbie-et-Monténégro s’engagent à régler laquestion des réfugiés et déplacés internes avant la fin de 2006.

Septembre 2005Plus de deux millions de personnes chassées par lesguerres des années 90 sont rentrées. Mais quelque620 000 civils attendent toujours de regagner leurfoyer, le problème majeur étant le retour des Serbeset des autres minorités au Kosovo. Le HCR a mobiliséenviron 500 millions de dollars pour appuyer le processus de Dayton engagé voilà maintenant 10 ans. Depuis quelques années, après avoir été le chef de file de l’aide humanitaire pendant et aprèsles troubles, l’agence se retire progressivement de la région.

Une brève chronique des BALKANS

les secours humanitaires — cette fois pour rapatrierle travail est rare et les haines encore vives.

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pont de Mostar illustre avec éloquence le chemin par-couru en dix ans et permet de mesurer à la fois les pro-grès et les lenteurs de la guérison de cette partie sud-est de l’Europe.

Le pont et les immeubles avoisinants ont été re-construits avec fidélité dans le cadre d’une opérationinternationale de sauvetage de plusieurs millions dedollars. Des pierres ont été récupérées dans le lit de la ri-vière, et celles qui manquaient ont été extraites de lamême carrière que les anciennes. La passerelle provi-soire qui reliait les deux rives, symbole de guerre et dedivision, a été démontée.

Les habitants de Sarajevo et des touristes de plus enplus nombreux se pressent aux terrasses plantées de pa-rasols aux couleurs vives où l’on sert les spécialités locales—cevapi (saucisse), jagnjetina (agneau) et silovane paprike(poivrons farcis) — arrosées de robustes eaux-de-vie. Lesenfants se baignent dans la Neretva pour échapper à lacanicule estivale. Des rires et des bribes de musique ri-cochent entre les berges escarpées.

Aujourd’hui, rares sont ceux qui s’arrêtent devantla petite plaque posée à l’entrée du pont, surmontée desrestes d’une roquette et portant ces simples mots : «Re-member ‘93.»

Mais à quelques rues de là, l’histoire nous saute enplein visage avec ces rangées fantomatiques d’immeubleséventrés et criblés d’éclats d’obus, trop coûteux à restau-rer — à supposer que les autorités en aient l’intention…

A Mostar et ailleurs, les optimistes comme les pes-simistes ne manquent pas d’arguments pour vanter oudéplorer ce qui s’est passé dans la région au cours desdix dernières années.

LA RENAISSANCE DES BALKANSCes dernières années, quelque 2,5 millions de déra-cinés sont rentrés chez eux et d’autres, environ 650 000,se sont installés à titre permanent à l’étranger et ne fi-gurent plus sur les registres du HCR et des autres or-ganisations humanitaires.

Plus d’un million de personnes sont rentrées enBosnie après la signature des Accords de Dayton, dontprès de la moitié dans des zones où elles sont désor-mais ethniquement minoritaires — le point le plussensible et le plus épineux de tout le projet de rapa-triement.

Cinq milliards de dollars d’aide ont été injectés dansle pays durant les premières années de paix. La moitiéenviron des 500 000 maisons détruites pendant laguerre ont été reconstruites ou remplacées. Quelque200 000 contentieux immobiliers ont été réglés àl’amiable.

Comme le pont de Mostar, Sarajevo a repris vie et aretrouvé ses rues animées, ses boutiques élégantes etses restaurants, même si, au centre-ville, quelques car-casses d’ immeubles témoignent d’un passé aux cica-trices encores fraîches.

Le “miracle” de Dayton– 10 ans après

Environ 2,5 millions de personnes sont retournées chezCes dernièresannées dans lesBalkans, les régionsdites minoritairesont vu leurshabitants revenir.

Fermier croate dansla Republika Srpska,en Bosnie.

Retrouvaillesfamiliales pour cesBosniaques, dontune partie vitmaintenant auxEtats-Unis, dans leurmaison reconstruite,à Stolac, ancienbastion croate prèsde Mostar.

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Les incidents graves étant devenus rares, l’effectifde la mission internationale de maintien de la paix a étéramené de 69 000 à 7000 hommes.

En 1998, la Croatie a récupéré la dernière partie deson territoire occupée par les forces yougoslaves depuisle début de la guerre, mettant ainsi fin, de manière pa-cifique, au conflit qui l’opposait à son voisin.

Le gouvernement de Zagreb, accusé par de nom-breux détracteurs de ne tolérer que du bout des lèvres leretour des Croates d’origine serbe, a pour sa part souli-gné le fait qu’il avait accueilli plus de 130 000 rapatriésen dix ans et facilité le retour de 240 000 personnes dé-placées.

La Yougoslavie, qui prendra plus tard officiellementle nom de Serbie-et-Monténégro, n’abrite plus quequelque 150 000 réfugiés, soit deux tiers de moins qu’en1996. Plus de 100 000 personnes ont réintégré la Croa-tie et la Bosnie et 116 000 réfugiés ont répondu favora-blement à l’ invitation de Belgrade, qui leur offre la pos-sibilité de s ’ installer déf initivement enSerbie-et-Monténégro et d’être naturalisés.

La communauté internationale a salué cette bonnevolonté en approuvant un premier programme d’aideéconomique d’un montant de 1,3 milliard de dollars.

Les retours massifs enregistrés dans les trois pays si-gnifient que les Serbes, les Croates et les Bosniaques(musulmans) sont de nouveau appelés à vivre et tra-vailler côte à côte.

(Alors que le calme était déjà revenu dans le nord des Bal-kans, d’autres conflits ethniques ont éclaté plus au sud —en1998 dans la province serbe du Kosovo, et en 2001 dans l’ex-République yougoslave de Macédoine. Ils ont déclenché desexodes de grande ampleur— on a parlé de plus d’un millionde personnes —mais de courte durée, voir article page 26).

La démocratie l’emporte sur les régimes autoritairesde Belgrade et Zagreb et l’ancien dirigeant yougoslave

elles dans les Balkans au cours des dernières années.

Jeune Serbe prèsde Knin, de retourde la Serbie.

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Slobodan Milosevic est transféré à La Haye, où il est ac-tuellement jugé pour crimes de guerre.

En janvier, sous l’égide du HCR, de l’ Union euro-péenne et de l’Organisation pour la sécurité et la co-opération en Europe (OSCE), les gouvernements de laBosnie, de la Croatie et de la Serbie-Monténégro signentl’Accord de Sarajevo, dit «Initiative 3x3», par lequel ilss’engagent à régler la question des déplacements de po-pulation dans leurs pays respectifs avant la fin 2006.

Le HCR peut ainsi boucler la mission de coordinationde l’aide humanitaire que lui ont assigné les Accordsde Dayton. Il a dépensé 500 millions de dollars en opé-rations de protection et d’assistance. C’est la fin d’uneépoque particulièrement marquante tant pour le HautCommissariat que pour la région.

Paddy Ashdown, ancien député libéral au Parlementbritannique et Haut représentant de la communautéinternationale en Bosnie, qui se qualifie lui-même d’op-

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Ces trois femmesoriginaires deCroatie et de Bosnien’ont pour toutavenir qu’unemaison de retraiteprès de Belgrade,capitale de laSerbie.

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timiste réaliste, n’hésite pas à parler de miracle à proposde l’après-Dayton. “Le miracle de la Bosnie, c’est le che-min parcouru en dix ans, explique-t-il. Un habitant surseize a été tué, soit plus qu’en France pendant la Se-conde Guerre mondiale, et la moitié des maisons ontété détruites.”

Un humanitaire qui a vécu le siège de Sarajevo esttout aussi catégorique quant aux résultats des Accords :“Nous aurions pactisé avec le diable pour mettre fin à

la guerre, à toutes ces souf-frances, à toutes ces morts.Rien d’autre ne comptait.”

LES LIMITES DUMIRACLE

Dans une maison deretraite de la banlieuede Belgrade, trois septua-génaires partagent uneminuscule chambre à cou-cher, où chacune disposed’un lit en fer et d’une tablede chevet. Deux viennentde la région de Knin, enCroatie, la troisième deGorazde, en Bosnie. Toutestrois sont d’origine serbe.Chassées de chez elles parla guerre, elles ont trouvéun asile temporaire en Ser-bie. Elles ont perdu leurmari, leurs enfants et toutce qu’elles possédaient.

Draginja Matijas, 78ans, s’est enfuie de sa pe-tite ferme en 1995, pensanty retourner quelques joursplus tard. “Eh voilà, je suistoujours là. Et je n’ai plus

que ça”, soupire-t-elle en montrant son sac à main.“C’est tout ce que j’ai”, répète-elle en pleurant. “Je suisvieille et je vais mourir ici.” Ses deux compagnes opi-nent de la tête.

Il y aurait dans les Balkans encore quelque 620 000déracinés qui voudraient bien rentrer chez eux, maiscertains, comme les trois vieilles dames et les autresvictimes collatérales de toute guerre, n’ont plus rien nipersonne.

Il y auraitdans les Balkansquelque 620 000déracinés quivoudraient bienrentrer chez eux, mais qui n’ont plus rien nipersonne oùretourner.

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LES ACCORDS DE PAIX DEDAYTON mettent fin à la guerreen Bosnie-Herzégovine. Ils sontparaphés par les dirigeants de tousles pays de la région —Bosnie-Herzégovine, Croatie et Républiquefédérale de Yougoslavie — sur labase militaire américaine Wright-Patterson de Dayton, dans l’Ohio, le21 novembre 1995, puis signésofficiellement à Paris le 14décembre de la même année.

Aux termes de cet accord-cadre,les parties s’engagent à respecterl’égalité souveraine de chacuned’entre elles, à maintenir lecessez-le-feu en Bosnie, à retirerses forces armées derrière leslignes de démarcation agréées, àadopter une nouvelle constitutionet à organiser des électionsprésidentielles et législatives.

Sarajevo, la capitale, estréunifiée et un gouvernementcentral est mis en place mais, et cesera là l’un des points les pluscontroversés des Accords, la

Bosnie-Herzégovine est divisée endeux entités distinctes censéescorrespondre à la réalité ethniquedu pays, à savoir la Republika Srpska(République serbe de Bosnie) et laFédération bosno-croate.

En 1991, au début des guerres desBalkans, le Secrétaire général del’ONU charge le HCR decoordonner l’action humanitaireinternationale engagée pour faireface à la crise. En 1995, aux termesdes Accords de Dayton, le HCR estde nouveau désigné, cette fois pourorganiser le rapatriement desmillions d’hommes, de femmes etd’enfants déracinés par leshostilités. Bien que concernantspécifiquement la Bosnie-Herzégovine, les Accords de Daytonauront des incidences politiques,militaires et humanitaires danstoute la région des Balkans.

L’annexe 7 des Accords traite dela question des réfugiés etpersonnes déplacées. Elle contient

notamment les dispositionssuivantes :� En sa qualité d’organisation chefde file, le HCR est chargé decoordonner les activités de toutesles organisations participant auxopérations de rapatriement, etd’élaborer un plan favorisant leretour progressif et dans lesmeilleurs délais des réfugiés et despersonnes déplacées.

� Tous les réfugiés et personnesdéplacées ont le droit de regagnerlibrement leur lieu d’origine. Ils ont le droit de récupérer les biensqu’ils ont perdus depuis le début deshostilités en 1991 et d’êtreindemnisés pour tout ce qui ne peutleur être restitué.

� Les rapatriés doivent pouvoirrentrer chez eux sans s’exposer à desrisques de harcèlement,d’intimidation, de persécution, dediscrimination, fondés notammentsur leur origine ethnique, leurs

croyances religieuses ou leursopinions politiques.

� Les parties conviennent d’abrogertoutes législations et pratiquesadministratives à viséediscriminatoire ; de prévenir, àtravers les médias et par d’autresmoyens, l’incitation à l’hostilité ou àla haine raciale ou religieuse ; deprotéger les minorités et leur accèsaux organisations humanitaires ; depoursuivre, limoger ou muter toutfonctionnaire qui viole les droitsfondamentaux des minorités.

� Les parties s’engagent à créer les conditions politiques,économiques et sociales requisespour encourager les retours et laréintégration, et, élément essentiel,les Accords mettent en place uneCommission des réfugiés et despersonnes déplacées pour régler lesréclamations et contestationsfoncières, dont le nombre pourraitatteindre des centaines de milliers.

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Le “miracle” de Dayton– 10 ans après

Une Serbe qui vit encore en exil

Organiser le retour des réfugiés

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D’autres sont toujours les otages des méandres de lapolitique régionale. Lorsque les Kosovars d’ascendancealbanaise reviennent au Kosovo en 1999 après le retraitdes militaires et policiers serbes, ils découvrent que desdizaines de milliers de leurs concitoyens d’origine serbeet d’autres minorités, craignant d’éventuelles repré-sailles de leurs voisins, prennent panique et fuient avecles troupes.

Il y aura quelques retours par la suite, mais pendantque la communauté internationale, la Serbie et les Ko-sovars ergotent sur le devenir de la province — indé-pendance pure et simple ou statut d’autonomie au seinde la Serbie — 250 000 personnes sont dans un vide ju-ridique puisqu’elles sont déplacées à l’ intérieur de laSerbie et n’ont guère envie de miser leur avenir en re-tournant au Kosovo.

La région des Balkans est confrontée à d’autres pro-blèmes colossaux. L’aide étrangère a beaucoup diminuéet l’économie régionale doit affronter deux défis ma-jeurs, d’une part se relever d’une guerre dévastatrice,d’autre part prendre le virage de l’économie de marché,après des décennies de dirigisme social-communiste.

Le taux de chômage stagne autour des 30%, avec despics à 80 % dans certaines régions. Près de la moitié dela population bosniaque vit sous le seuil de la pauvreté,environ 50 % n’ont pas accès aux soins et 18 % sont pri-vés d’électricité. Une bureaucratie pléthorique — cinqprésidents, deux premiers ministres, 13 ministres del’éducation pour les différentes structures de pouvoir —absorbe 60 % du PIB.

Si les discriminations les plus flagrantes ont dis-

paru, une certaine injustice demeure présente, quoiquemoins apparente, en matière d’emploi, de soins mé-dicaux ou de scolarisation.

Beaucoup de Bosniaques, en particulier les rapatriés,n’ont pour seul moyen de subsistance qu’une vache etun petit potager. “Ces gens-là sont des magiciens. Je necomprends pas comment ils arrivent à tenir le coup se-maine après semaine”, commente une humanitaire quipartage leur quotidien.

La sécurité a beau s’être considérablement amélio-rée, il y a encore au moins 10 000 criminels de guerre enliberté en Bosnie, dont Radovan Karadzic et Ratko Mla-dic, les cerveaux présumés du massacre de Srebrenicaet autres atrocités.

Même là où les minorités sont revenues, seule unepersonne sur deux a pu réintégrer son domicile d’avantla guerre. Et si ces rapatriés coexistent de nouveau avecleurs anciens voisins devenus leurs ennemis, on ne peutpas dire qu’ils cohabitent comme naguère.

“Je suis retournée à Mostar une fois”, déclare unefemme qui vit maintenant dans la banlieue de Belgrade.“En me voyant, mon ancien voisin m’a dit : «Qu’est-cetu fais ici ? Pour moi, tu n’existes plus.» Je n’ai donc plusrien à espérer là bas.”

En 2004, le Haut Commissaire Ruud Lubbers avaitprévenu le Comité exécutif du HCR qu’on ne pourraitsans doute jamais réunir toutes les pièces du puzzle bal-kanique. “Aidons celles et ceux qui aspirent à rentrerchez eux, mais cessons de nous bercer de vaines illu-sions en espérant rapatrier tous les déracinés”, déclara-t-il à l’époque.

qualifie Dayton de “catastrophe annoncée”.

La vie n’est pasfacile pour lesfamilles revenuesvivre dans leursvillages en ruinesau cœur de laBosnie.

Navenka Bodiroga,originaire deSarajevo, a décidéde rester en Serbie.

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Pour certains, les Accords de Dayton sont à l’originede tous les maux dont souffre la Bosnie. Un professeurde l’université de Sarajevo est allé jusqu’à les surnommer«Accords Frankenstein», les accusant d’avoir juridi-quement consacré la politique de nettoyage ethniqueavec la partition du pays en deux entités distinctes — laRepublika Srpska et la Fédération bosno-croate.

Navenka Bodiroga était enceinte de plusieurs moislorsqu’elle a quitté Sarajevo au début de la guerre. Elles’est installée à Sabac, près de Belgrade, où elle gagneun peu d’argent en faisant de la couture à domicile.L’évocation de son pays natal lui fait monter les larmesaux yeux. “J’ai le mal du pays”, confie-telle. Mais elle adécidé de prendre la nationalité serbe et de rester oùelle est. “ Dayton a été une catastrophe annoncée”, ré-sume-t-elle. Cet accord a certes mis un terme aux mas-sacres mais, pour une Serbe comme elle, il est syno-nyme de débâcle et d’exil définitif.

CRAINTES ET ESPOIRSIl suffit de se promener un peu en Croatie, en Bos-nie et en Serbie pour toucher du doigt les contradic-tions de l’après-Dayton — les espoirs et les déceptionsdes rapatriés, le combat quotidien contre l’adversité, lesamis retrouvés, les rancœurs héritées de la guerre, lescraintes face un avenir incertain.

Dans la région de la Krajina, en Croatie, on racontevolontiers que les guerres qui ont fait imploser la You-goslavie sont nées dans les collines et les vallées qui en-tourent Knin, la capitale régionale.

Les Croates sont encore bouleversés à l’évocationd’une certaine réunion de 1989, dans l’église orthodoxeSaint-Lazare, au cours de laquelle des prêtres et autrestribuns ont chauffé à blanc une foule de 60 000 Serbesà coup de discours nationalistes enflammés. “Nous avonsalors compris que la guerre était inévitable” raconte unpaysan.

Knin 1995 : l’exodedes Serbes.

Le “miracle” de Dayton– 10 ans après

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A l’époque, la Krajina était le fief des Serbes de Croa-tie, qui finissent par y proclamer la République de Kra-jina («Krajina» signifie zone frontalière) en 1991.

Comme on pouvait s’y attendre, ce coup de force dé-clenche un premier exode. Quelque 500 000 Croateset autres non-Serbes quittent la région devant l’avan-cée des soldats et miliciens serbes. Puis le vent tourne.En 1995, l’armée croate lance une contre-offensive sur-nommée Opération Tempête, qui contraint à l’exil prèsde 250 000 Serbes, à leur tour pris dans les chassés-croisés de populations qui touchent alors l’ensembledes Balkans.

Environ 40 000 des 120 000 Serbes que comptait larégion de Knin seraient revenus, mais ils sont devenusultra-minoritaires —10% à peine de la population totale,contre 90 % avant la guerre. Il y avait 600 000 Serbesdans l’ensemble de la Croatie. Ils ne sont plus que lamoitié aujourd’hui.

Cette recomposition ethnique et le fait que peu derapatriés veuillent retourner dans des régions où ilssont désormais minoritaires est une réalité aux consé-quences difficilement prévisibles, mais présente un peupartout dans la région.

Et l’histoire individuelle des Croates, des Bosniaqueset des Serbes illustre bien les succès et les difficultés in-hérents à la région toute entière.

Sava et Nevenka Stojanovic se sont enfuis en Serbieen 1995. Leur maison a été rasée par l’armée croate. Deretour dans le village deux ans plus tard, ils vivent dansune étable pendant trois ans. A l’époque, les aides nemanquent pas pour qui veut reconstruire son logement,mais aujourd’hui, crise économique oblige, toutes cesmesures ont été supprimées.

La maison de Boris Petko a également été rasée, maiselle a été reconstruite par l’Etat, comme 120 000 autres.Sa femme était déjà rentrée depuis quelques années,

“Je pleure de joiedepuis le premierjour. Je n’arrêtepas de pleurer.C’est trop beaupour être vrai.”

— Un Serbe rentré enCroatie où il a trouvéune maison entièrementreconstruite et unpetit-fils tout juste né.

Knin 2005 : leur retour.

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“Après la guerre, nous avons pour la première foisosé dire que nous étions Croates. Maintenant, nousavons de nouveau l’impression d’être une minorité.”

— Un Croate de la région de Knin se plaignant du pouvoir des Serbes.

18 R É F U G I É S

mais B. Petko, d’origine serbe, a longuement hésité avantde la suivre dans une région où les Croates sont désor-mais en majorité. Finalement, il s’est décidé. A son ar-rivée, il a trouvé non seulement sa nouvelle habitation,mais aussi un petit-fils né quelques heures auparavant.Ses quatre vaches laitières rapportent à peine de quoinourrir la famille, mais il est heureux : “Je pleure de joiedepuis le premier jour. Je n’arrête pas de pleurer. C’esttrop beau pour être vrai.”

Dusanka Jolic a eu moins de chance. Depuis son re-tour à Kovacic, elle vit comme tant d’autres Serbes dansun petit deux-pièces en sous-sol tandis qu’à quelquescentaines de mètres un réfugié croate de Bosnie conti-nue d’occuper son pavillon de deux étages. Le squattera déjà démonté une partie de sa maison pour récupérerdes matériaux de construction et chaque fois qu’elle ré-clame son bien, il menace de tout démolir. “J’ai fait mademande de reprise de logement en 1998, raconte-elle,et j’attends toujours.” Les autorités croates refusent d’in-tervenir.

Perisa Mijakovac quant à lui, n’a ni travail ni loge-ment, comme la majorité des ouvriers de la Krajina. Dutemps du communisme, il était logé par l’Etat, mais desdizaines de milliers de personnes, dont lui, ont perduce privilège dans le chaos de la guerre. Le relogement detous ces sans-abri est peut-être le problème numéro unde Zagreb aujourd’hui, même si l’on accuse ici et là lespouvoirs publics de traîner délibérément les pieds. Enattendant, Perisa Mijakovac fait la navette entre la mai-

son de sa belle-mère à Ridjane et son lieu d’exil, ne sa-chant pas très bien si son avenir est en Croatie ou enSerbie.

Les problèmes de Robert Konforta sont d’un autreordre. Ce Croate a quitté son pays en 1991 avant de re-venir en 1995, au moment même où ses voisins serbesprenaient le chemin de l’exil avec leurs tracteurs et leursremorques. Il appartient maintenant au groupe majo-ritaire, mais, bizarrement, le maire de sa ville est unSerbe, qu’il accuse d’entraver l’expansion de son petitcommerce de primeurs. “Après la guerre, nous avonspour la première fois osé dire que nous étions Croates,explique-t-il. Maintenant, nous avons de nouveau l’ im-pression d’être une minorité.” La remarque traduit uninquiétant ressentiment à l’heure où les souvenirs dela guerre sont encore si brûlants.

La récente commémoration du 10e anniversaire del’Opération Tempête a davantage souligné les senti-ments ambivalents, les rancœurs et le profond fossé quicontinuent de séparer tant de communautés.

Le Premier Ministre croate Ivo Sanader a déclaréque l’Opération Tempête avait été “un fait de libérationglorieux et un tournant dans l’histoire du pays”, mais ila en même temps tendu une main conciliante auxSerbes de Croatie en ajoutant : “Nous devons tenir cettelibération à l’écart des actes honteux commis contre lesSerbes par la suite.”

Le Premier Ministre serbe Vojislav Kostunica a étéencore plus clair : “La colonne des exilés, de Knin à

Le “miracle” de Dayton– 10 ans après

Cette famillecroate obligéede fuir Knin en1991 s’estreconvertie avecsuccès dans laproduction delégumesmaraîchers aprèsson retour.

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P A R P A D D Y A S H D O W N

EN JUILLET, J’AI ASSISTÉ À LA COMMÉMORATION DES DIX

ANS de la fin du cauchemar de Srebrenica. Ce massacre entache

encore la conscience de l’Europe. Mais par delà la douleur et

l’effroi, Srebrenica respire l’espoir.

Chaque homme, chaque femme, chaque enfant revenu vivre

dans cette ville martyre prouve à tout instant qu’au bout du

compte, le mal ne triomphe pas. Ils incarnent la concrétisation d’un

droit jamais encore exercé en Europe : le droit des réfugiés à

retourner chez eux, non seulement à Srebrenica mais à travers

toute la Bosnie-Herzégovine et dans l’ensemble des Balkans.

En 1945, l’Europe comptait cinq millions de personnes

déracinées. Pratiquement aucune n’a regagné le lieu où elle vivait

avant la Seconde Guerre mondiale.

En 1995, à l’heure de Dayton, il y avait plus de deux millions

de réfugiés et de déplacés en Bosnie. Plus d’un million sont rentrés

depuis. Un phénomène inimaginable durant ou juste après le

conflit.

A l’époque, les rapatriements se heurtaient à deux grands

obstacles : le traumatisme des expulsés et les menaces de ceux qui

les avaient chassés. Dans un climat de non-dit et de chaos

administratif, les institutions locales — police, municipalités,

services sociaux — n’avaient ni la volonté politique ni les moyens

administratifs, matériels et autres d’encourager les retours.

Mais le climat a radicalement changé à la faveur d’un lent

processus d’amélioration, dont le limogeage des officiers de police

et des fonctionnaires municipaux les plus récalcitrants.

Les retours se sont chiffrés en dizaines de milliers chaque année,

puis en centaines de milliers au début du millénaire, même s’ ils

tendent à être moins nombreux depuis quelque temps.

A présent, nous sommes dans une nouvelle phase : l’obstacle

majeur n’est plus d’ordre politique et administratif, mais relève

plutôt de la grisaille du paysage économique.

Une nouvelle usine métallurgique vient de s’ implanter à

Srebrenica. Lors de son inauguration, j’ai insisté sur les bénéfices de

cet événement qui permettrait de remplir les tiroirs caisse. J’ai fait

observer que l’ investisseur étranger n’avait pas apporté des

capitaux par pure philanthropie, mais suite à une décision de saine

gestion économique en misant sur la longue tradition sidérurgique

de la région.

Main d’œuvre qualifiée, salaires compétitifs, monnaie stable,

ressources abondantes et proximité des marchés ont été autant

d’atouts qui ont décidé l’entreprise étrangère à s’ implanter dans la

région. Par ailleurs, cette combinaison de facteurs devrait sans

doute attirer un nombre croissant d’ investisseurs.

L A C O N D I T I O N S I N E Q U A N O N

DE NOUVEAUX INVESTISSEMENTS créeront de nouveaux

emplois, ce qui favorisera une amélioration du niveau de vie. Ce

paradigme est au cœur du retour durable des réfugiés en Bosnie-

Herzégovine.

Notre but, ce n’est pas de faire de la bienfaisance mais

d’optimiser le potentiel économique de la région pour qu’ il étaye

le processus de rapatriement. La création d’emplois est le pilier de

la prospérité, grâce à laquelle les retours pourront continuer.

Dans ce processus, le HCR maintiendra son rôle clé. Il a organisé

le rapatriement des réfugiés après les Accords de Dayton et s’est

assuré que la société démocratique moderne se mettant en place

repose sur la réintégration des communautés et non sur une

éternelle division intra-communautaire.

Le Haut Commissariat a fait preuve d’une remarquable capacité

à adapter ses programmes et ses stratégies à des situations en

permanente mutation. Dans un premier temps, il a fourni des abris,

puis il s’est attaché à lever les obstacles juridiques et administratifs

entravant un retour durable, notamment en ouvrant des centres

d’ information et d’assistance juridique qui ont déjà aidé plusieurs

centaines de milliers de personnes.

L ’ H I S T O I R E N E S ’A R R Ê T E P A S L À

RESTE UNE GRANDE PRIORITÉ : insuffler une vie économique

dans les communautés de rapatriés de manière à ce que les retours

soient viables. Il a fallu surmonter la désagrégation sociale et les

discordes politiques, une lutte encore menée dans biens des

endroits aujourd’hui.

Pourtant où, sinon en Bosnie-Herzégovine, les victimes de guerre

ont-elles pu récupérer leurs biens à une si grande échelle ?

Le processus des retours a été un franc succès. Mais il ne sera

synonyme de pleine réussite que lorsque toutes celles et tous ceux

qui veulent rentrer au pays en auront la possibilité.

Un franc succès— mais il faut une pleine réussiteLe Haut représentant en Bosnie fait le bilan de dix ans de paix.

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LARENAISSANCED’UNE VILLESupermarchés flambants neufs, affichesrutilantes, gratte-ciels, nouveaux tramways,rues animées…

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Belgrade, a été la cible d’un crime horrible et ignoré,la plus grande opération de nettoyage ethnique depuisla fin de la Seconde Guerre mondiale. Dix ans après latragédie, la justice n’est pas encore passée et la véritén’est toujours pas admise.”

LE FIEF DES SERBES DE BOSNIEDe l’autre côté de la frontière, en Bosnie, lesforces serbes entreprennent en 1992 de «nettoyer» en-tièrement Kozarac et les villages voisins de leur popu-lation musulmane, pour créer une terre ethniquement«pure» pour la Republika Srpska et sa capitale BanjaLuka.

Des milliers d’hommes sont enfermés dans les tris-tement célèbres camps de concentration d’Omarska etKeraterm. D’autres sont tués puis jetés dans les puitsdes mines voisines dont on extrait encore chaque jour denouveaux cadavres. Les habitations et les mosquées sontsystématiquement rasées.

En 1999, Réfugiés s’est rendu sur place. A l’époque,les efforts pour encourager le retour des Bosniaquessemblaient voués à l’échec face à la résistance farouchedes Serbes locaux les plus fanatisés.

«Kozarac pourrait être un instantané des pires bom-bardements de la Seconde Guerre mondiale», lira-t-ondans le magazine par la suite. «Presque toutes les habi-tations ont été détruites. La végétation menace d’enva-hir les ruines de cette ville fantôme. Avant le conflit,16 500 Bosniaques relativement aisés y vivaient. Seulescinq familles sont revenues.»

Le tableau est nettement plus souriant aujourd’hui.Environ 90% des logements ont été reconstruits, et 7000Bosniaques sont de retour. C’est encore trop peu, certes,mais les rapatriés musulmans sont assez confiants ; ilsont réclamé des centaines de corps oubliés dans les fosses

communes et les puits des mines afin de les enterrer aucimetière.

Le flux des retours s’est encore amenuisé durant lesdeux dernières années, mais la reconstruction de la Bos-nie est une tâche colossale dont on peut mesurer la dif-ficulté non loin de Prijedor, dans le local exigu d’un bu-reau d’ avocats qui abrite le siège régional d’uneorganisation appelée «Vasa Prava» (Vos droits).

Ce réseau national de défense des droits de l’homme,créé avec l’appui du HCR, a aidé bénévolement au moins300 000 personnes à régler toutes sortes de problèmes— récupération de biens, rapatriement en Croatie, af-faire de divorce ou obtention d’un permis de travail.

“Je reçois 20 à 30 personnes par jour, explique Snje-zana Cepic. Et nous avons de plus en plus à faire. Mal-heureusement, les gens auront besoin de nos servicespendant des années.”

Udo Janz, qui représentait récemment encore leHCR en Bosnie, estime que la création de Vasa Pravaa été l’une des initiatives les plus utiles et importantesdu Haut Commissariat dans les Balkans : “Sans VasaPrava, nous n’aurions jamais réussi à ramener des mil-liers de gens chez eux. Ce projet a été une formidableréussite.”

L’HORREUR ABSOLUELe fanatisme religieux et ethnique à l’originede la tragédie de Srebrenica prend sa source à des lieuesde cette ville martyre, quelque part à l’entrée de la val-lée de Srebrenica, dans un village où vers la fin de laguerre des extrémistes ont érigé une église orthodoxedans le jardin d’une musulmane — une provocation ap-paremment délibérée.

Cette femme s’est rebellée mais elle a été accuséed’attiser la haine religieuse et ethnique.

Le “miracle” de Dayton– 10 ans après

Des fanatiques religieux ont érigédans le jardin d’une musulmane —une provocation

rebellée mais elle a été accusée

Reconstruire enRepublika Srpska.

Dans toute laBosnie, desavocats de VasaPrava sont àl’écoute depersonnes endétresse et leurprodiguent desconseils.

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Ironie de l’Histoire : c’est à ce même endroit, en 1995,que les forces serbes ont trié les Bosniaques, femmesd’un côté et hommes de l’autre, avant de passer toute lapopulation masculine par les armes.

Petite scène vue récemment un peu plus loin dansla vallée : des ouvriers s’activent pour ériger une croixen béton haute de sept mètres commémorant le meurtrede 49 Serbes par des milices bosniaques le 7 janvier 1993,jour du Noël orthodoxe. “Personne ne se souvient desvictimes serbes”, lâche avec amertume un maçon, fai-sant clairement allusion aux cérémonies prévues le len-demain pour marquer le jour anni-versaire du massacre de près de8000 hommes et adolescents à Sre-brenica, à quelques kilomètres de là.

La destruction du pont de Mos-tar a immédiatement soulevé untollé et la condamnation unanimede la guerre, mais il a fallu attendre2005 — dix ans après les faits — pourque les dirigeants serbes et lesgrands de ce monde reconnaissentle degré d’horreur du massacre deSrebrenica et admettent publique-

ment leur rôle peu glorieux dans cette tragédie.Des dizaines de milliers de personnes —hommes

d’Etat, diplomates, président serbe et proches des vic-times — se seront retrouvées devant l’usine de fabri-cation de batteries désaffectée où, sous le regard im-puissant de quelques soldats de l’ONU, les hommesont été séparés des femmes et envoyés à la mort, pourassister à l’ inhumation solennelle de 600 dépouillesdans le cimetière où reposent déjà 1326 autres victimes.Il reste encore beaucoup d’autres corps à exhumer ouà identifier.

une église orthodoxeapparemment délibérée. La propriétaire s’estd’attiser la haine religieuse et ethnique.

Au nom de lareligion :

Les corps de victimesmusulmanes ont ététransférés et enterrésà Kozarac.

L’emplacement decette église a réveilléde douloureuxsouvenirs.

Hommage auxvictimes serbes, prèsde Srebrenica.

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L’obélisque en marbre érigé sur le site du mémorialappelle à la sagesse :

Puissent les griefs devenir espoirPuisse la revanche devenir justicePuissent les larmes des mères devenir prièreCe SrebrenicaPersonne et nulle part plus jamaisNe le vivra

Beaucoup de gens n’en sont pas si sûrs. Quelque 4000Musulmans seulement sont rentrés en Bosnie, alorsqu’ils étaient près de 28 000 avant la guerre.

“J’ai pleuré pendant des mois”, confie Hafiza Hodlic,58 ans, dont le mari et les fils ont été pris dans une rafleà Srebrenica et dont elle est sans nouvelles depuis. “Jen’ai plus de larmes. Mais j’espère toujours les voir re-venir un jour.”

Sa fille Merima Mustafic a récemment vu une vi-déo montrant des soldats serbes tuant six hommes ar-

rêtés à Srebrenica, la première preuve visuelle de la réa-lité du massacre. Les victimes n’étaient pas de la famille,mais la jeune femme a été tellement bouleversée qu’ellea dû être transportée à l’hôpital. Des semaines plus tard,ces images continuent de la hanter.

“Je veux seulement me rappeler combien nous avonsété heureux ici”, dit sa mère après une énième visite in-fructueuse à la mairie où elle tente d’obtenir une aidepour reconstruire sa maison éventrée. “C’est ma seuleraison de vivre.”

Les femmes du centre d’hébergement de Jezevacont eu un peu plus de chance qu’Hafiza Hodlic. Ellesont pu identifier et récupérer les corps de leurs dis-parus. “Au moins, nous savons où sont leurs os, c’estdéjà bien ”, dit l’une d’elles. Pourraient-elles de nou-veau cohabiter avec les Serbes ? La réponse est una-nime : “Jamais ! On se méfie d’eux, et c’est réciproque.Comment pensez-vous que nos fils vont réagir quandils apprendront que leur père a été tué par nos voi-sins ? Ils n’oublieront jamais.”

Le “miracle” de Dayton– 10 ans après

Le mot qui revient le plus souvent à propos

Hafiza Hodlic :comment oublier ?

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UN AVENIR POUR SARAJEVOA Sarajevo, les vieux tramsrouillés circulent de nouveau surle boulevard central surnommé «al-lée des snipers » durant le siège,quand seuls les véhicules blindés s’yaventuraient. Les baraquements oùvivaient les réfugiés ont été recon-vertis en une rutilante usine CocaCola.

Le soir venu, des familles et descouples d’amoureux envahissent lestrottoirs, les restaurants et les bi-jouteries des vieux quartiers turc etautrichien. Les expositions de pho-tos organisées dans les salles auxmurs encore calcinés de la célébrebibliothèque de Sarajevo sont trèscourues.

Les hypermarchés flambantneufs font le plein, mais, à un pas-sage piéton particulièrement fré-quenté, une petite flamme qui brûlejour et nuit rappelle qu’un obus esttombé à cet endroit précis, en février1994. Bilan : 68 morts et 200 blessés.

Sur les collines avoisinantes, le ci-metière juif, autrefois en pleine lignede front, a retrouvé sa quiétude. Oncommence à le remettre en état maisdes tombes continuent d’être profa-nées par quelques vandales.

Sarajevo était autrefois une villebrillante et cosmopolite. CertainsSerbes sont retournés habiter dans

les banlieues, mais ceux qui avaient un logement ou unmagasin au centre-ville préfèrent le plus souvent vivreen Serbie ou plus loin encore, quitte à revenir dans leurancien quartier de temps à autre.

Depuis que les mesures les plus restrictives ont été le-vées, les voyages sont plus faciles, ce qui permet à descentaines de milliers d’exilés de venir voir leurs familles,amis ou voisins et de maintenir ainsi des liens avec leurpassé, signe encourageant pour l’avenir.

Justement, le mot qui revient le plus souvent à pro-pos des Balkans est celui de «continuité» : à présent, ilfaut consolider et intensifier les progrès de ces dix der-nières années et régler pour de bon la question des ré-fugiés dans l’ensemble de la région — le Kosovo de-meurant une exception — avant la fin de 2006.

“Il y a quelques années, la plus grande préoccupa-tion c’était la sécurité, encore et toujours la sécurité,résume Udo Janz. Aujourd’hui, c’est l’économie, c’estridicule.”

Malgré un gigantesque programme de reconstruc-tion, le paysage demeure défiguré par les dinosaures de

l’ère industrielle de l’avant-guerre : mines, centralesélectriques et briqueteries qui employaient l’essentielde la main-d’œuvre.

Un certain nombre de nouveaux secteurs ont vu lejour. Le HCR et d’autres organisations ont encouragéles créateurs de petites entreprises. Mais les rapatriéset les exilés qui hésitent encore à retourner au pays pen-sent presque tous que l’emploi est la clé de la prospéritéfuture de la région.

Le Croate Franjo Majijevic, 71 ans, est retourné vivreen Republika Srpska en 1998. Tout en reconnaissant queles minorités ne sont pas inquiétées, il déplore la crise del’emploi. “L’avenir n’est pas brillant. Les mines de char-bon sont fermées. La fonderie a disparu. La commu-nauté se meurt.”

A l’autre bout du pays, le Serbe Vidak Dujkovic, 69ans, est rentré dans son village près de Tuzla, mais sonchamp est plein de mines, il n’a pas de téléphone etn’a l’eau courante qu’un jour sur deux. Sa questionporte à réflexion : “Peut-on survivre ici ? Il n’y a pasde travail. Alors on mange quoi ? Les murs et le toitde la maison ?”

Marjana Andzic et son mari ont déménagé dixfois après leur fuite de Bosnie. Ils viennent d’acheterun pavillon près de Knin, en Croatie. Aimerait-elleretourner un jour dans son pays natal ? “Bien sûr,répond-elle sans hésiter. Mais il n’y a pas de travail,ni pour nous, ni pour nos enfants. C’est donc im-possible.”

Si Paddy Ashdown pense que le pays a déjà accom-pli un miracle, il est assez réaliste pour savoir que leclimat économique qui prévaut aujourd’hui pourraitréduire à néant une partie du travail accompli, et quela route du relèvement est encore longue.

“On oublie souvent qu’ il faut beaucoup, beaucoupde temps pour panser les plaies des sociétés dévas-tées par la guerre”, disait-il encore récemment. La ci-catrisation est bien plus longue qu’on ne le pense.Alors, patience.” �

des Balkans est celui de « continuité ».

La synagogue deSarajevo, aujourd’huirestaurée, était enpremière ligne desaffrontementsdurant le siège de lacapitale.

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L a déception et l’amertumesont encore à vif.“Nous avions beaucoup d’espoir,mais maintenant c’est fini”,confie Dragisa Petkovic, 37 ans.

“Nous pensions rentrer chez nous au boutde deux ou trois jours, mais maintenantnous réalisons que nous ne partironspeut-être jamais d’ici.”

“La simple pensée de retourner là-basme donne froid dans le dos, ajouteDanijela Stanojevic. Il faut beaucoup decourage, de volonté et de patience pourvivre comme ça”, murmure-t-elle enparcourant du regard la pièce minusculequ’elle partage avec son mari et ses deuxenfants.

Une jeune femme de 21 ansqui vit dans le même centred’accueil laisse éclater sa colèreet son impuissance : “Les gensn’arrêtent pas de venir nousposer des questions. Ils nousfont remplir des questionnaireset promettent de l’aide.Résultat ? On vit ici depuis sixans et on n’a rien. A qui lafaute ? A l’OTAN. Tout ce quinous arrive, c’est à cause del’OTAN.”

Début 1999, après un mois detensions croissantes, près d’un million deKosovars d’ascendance albanaise ont dûfuir ou ont été expulsés manu militari duKosovo, la province méridionale de ce quis’appelait encore la Yougoslavie (la Serbie-et-Monténégro aujourd’hui).

La communauté internationaleintervient et, trois mois plus tard, parl’un de ces revirements spectaculairesde l’histoire, les forces de l’OTAN se déploient au Kosovo, suivies par lesexpulsés de la veille qui reviennentmassivement dans leurs villes etvillages.

Les soldats et les policiers serbes seretirent de la province après la signaturedu plan de paix, entraînant dans leur

sillage plus de 200 000 Kosovars d’origineserbe, rom ou autre (lire page 29), inquietsà la perspective d’éventuelles représaillesde la part de la population albanaise.

La mission de l’administrationintérimaire des Nations Unies (MINUK)gère le Kosovo en attendant la tenue desélections et la mise en place desinstitutions administratives et politiques.Elle exhorte les populations déplacées àrevenir pour prendre part aux décisionsqui vont déterminer l’avenir de laprovince.

A ce jour, pourtant, Dragisa Petkovic,Danijela Stanojevic et la grande majoritédes autres déplacés — environ 226 000 —

continuent de vivre dans un videjuridique en Serbie-et-Monténégro. Lasécurité et les perspectives d’avenir auKosovo ? Ils n’y croient pas trop. Mais ilsn’ont guère de possibilités de reconstruireleur vie ailleurs.

“J’y suis retournée en visite, confieDanijela Stanojevic, mais chaque fois queje franchis la frontière, j’ai les jambes quiflageolent tellement j’ai peur.”

RETOUR OU NON RETOUR ?Quelque 13 000 Serbes et membresd’autres minorités sont pourtantretournés au Kosovo, malgré un contextepolitique, économique et socialparticulièrement sombre.

L’ AVENIR INCERTAIND’ UNE PROVINCE FRAGILISÉE

Où en estle KOSOVO?

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Comme presque toute la région desBalkans, le Kosovo est confronté à unecrise économique et au chômage à grandeéchelle.

La composition ethnique et larépartition de la population a changé dutout au tout. Les Kosovars d’ascendancealbanaise sont très largement majoritaires(90% de la population) et à l’exception de

Mitrovica, la population d’origine serbe adéserté les centres urbains.

En mars 2004, à peine lancé, le projetde rapatriement fait descendre dans la rue50 000 Kosovars albanais ivres de colère.Il y a au moins dix-neuf morts. Desmilliers de Serbes sont chassés de chezeux, des centaines d’immeubles etd’églises sont détruits.

“Nous pensions rentrer chez nousau bout de deux ou trois jours, maismaintenant nous réalisons que nousne partirons peut-être jamais d’ici.”

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La cathédrale serbe de Mitrovica (ci-dessus).Danijela Stanojevic se demande quel serason avenir (à gauche). Kosovo : enfants de laguerre et soldats de la KFOR (ci-dessous).

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Des incidents isolés éclatent par lasuite. Des émeutiers prennent d’assaut latrès multiethnique localité de Svingare,dans le nord de la province. Les troupes dela KFOR, stationnées non loin de là,sauvent des centaines d’habitants, mais nepeuvent empêcher la mise à feu de 135maisons serbes.

L’Etat a rapidement reconstruit lesprincipaux immeubles, mais seul un tiersdes Serbes sont revenus — et ils se méfienténormément des Albanais. “Ils ont aidéles voleurs à piller et détruire nosmaisons”, affirme un paysan qui vient dese réinstaller chez lui. “Si les soldats de laKFOR partaient, la vie serait très, trèsdifficile”, affirme-t-il. D’ailleurs, sesproches n’osent toujours pas passer la nuitsur place. Mais son voisin tient à ajouterque lui, il ne repartira pas, “quoi qu’iladvienne”.

L’église orthodoxe de Mitrovica-sud,en plein quartier albanais, a été protégéependant plusieurs années par des soldatsdu contingent grec de la KFOR. En 2004,elle a été entièrement pillée. Il y a quatreans, Slobodanka Nojic, l’épouse d’un despopes qui y officiait, confiait à Réfugiés :“J’ai trop peur. Et si on essayait de sortir

seuls, on serait enlevés ou tués. Jamais onne reviendrait dans cette maison.”

Ses craintes étaient fondées.Aujourd’hui, les popes et leurs famillesont tous pris la fuite et l’église estcadenassée et à l’abandon.

Un bref séjour dans l’enclave serbe deSlivovo, quatre ans après une premièrevisite, illustre bien l’état d’esprit quirègne dans les huit villages de ce petitcoin du Kosovo, d’une beauté tranquillerappelant la Suisse des cartes postales.

Contrairement à la plupart de sesvoisins, Miro Pavic n’est pas parti en 1999.Il a continué à cultiver son blé, son maïs etses fruits, à s’occuper de son bétail. “Je visdans une cage dorée au milieu de meslégumes”, dit-il.

A l’époque où les soldats du contingentsuédois de la KFOR étaient stationnés àproximité, Slivovo faisait partie de ladizaine de villages considérés commeassez sûrs pour autoriser le retour desminorités. “Cette présence internationaleétait absolument essentielle. Vivre sanselle, c’était impensable”, explique-t-il.

Les Suédois sont partis. Et il ne s’estrien passé. Miro Pavic travaille dans laville d’à côté. Pourtant, seuls quelques

dizaines d’autresSerbes sont revenusà Slivovo — et ilsrestent sur leursgardes. Comme l’adit un paysan de 75ans, “ici, tout sepasse bien, mais jene quitte pas levillage, car ailleursil y a plus deproblèmes”.

Plusieursinitiatives ont étéprises depuis 1999pour maintenir lecalme dans laturbulenteprovince, mais il y aencore un longchemin à faire.

Ainsi, il restebeaucoup d’endroitsoù la situation esttellement instableque le HCR ne peutencourageractivement etofficiellement leretour desminorités déplacées.

Dans l’un de sesrapports, le trèsrespectéInternational CrisisGroup préconise le renforcement desinstitutions gouvernementales, “faute dequoi le Kosovo risque fort d’être denouveau déstabilisé, avec tout ce que celaimplique pour celles et ceux qui se sontinvestis dans l’édification d’un avenireuropéen pour les Balkans”.

La sortie de crise se heurte à undilemme apparemment insurmontablepuisque, après des annéesd’humiliations de la part des autoritésde Belgrade, les Albanais du Kosovoexigent maintenant l’ indépendance dela province. Une telle issueempêcherait sans doute le retour debeaucoup de déracinés, et entraîneraitcertainement de nouveaux exodes. Legouvernement serait favorable à cequ’un humanitaire appelle “unesolution à mi-chemin entre autonomieet indépendance pure et simple” — uneformule que beaucoup d’Albanaisrejetteraient probablement.

Et l’avenir ? “On a le choix entre deuxscénarios : l’ impasse ou la catastrophe”,résume-t-il. �

Quelque 13 000 Serbes etmembres d’autres minorités sontretournés au Kosovo, malgré uncontexte politique, économique etsocial particulièrement sombre.

Quelles promessesd’avenir pour ces petitsrapatriés serbes ?

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L’ enfer ressemble peut-êtreà cela : des cabanes misérablesbricolées à la va-vite avec lesmoyens du bord —bouts de bois,cartons, bâches en plastique,

tôles et parpaings. Des conteneurs enguise de latrines. Des enfants quipataugent dans des flaques d’eau boueuseet fétide à deux pas d’une briqueterie

Kosovo. Une catastrophe écologique, selonles termes mêmes des autorités sanitairesinternationales, pour les quelque 500Roms installés dans des camps de fortuneaux alentours.

Les Roms, de même que les Ashkali etles «Egyptiens» qui leur sont apparentés,font partie du paysage des Balkans depuis des siècles, mais au moment de

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“Pourquoi on ne nous aide pas?Pourquoi on ne sauve pasnos enfants?”

LES ROMS DU KOSOVO

abandonnée et d’un tas de résidus deplomb hautement toxiques. Et, charriéepar le vent, une poussière grasse etnoirâtre qui colle à la peau, aux dents, auxvêtements, qui souille les aliments et seglisse sous les portes.

Voilà des années maintenant qu’unemine de plomb désaffectée pollue les solset les eaux de Mitrovica, dans le nord du

Les Roms, minoritaires dans la province, attendent toujours…

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l’ insurrection kosovare de 1999, desmilliers d’entre eux ont dû fuir le Kovosoen même temps que plus de 200 000Serbes avec lesquels on les accusait decollaborer (voir page 26).

Beaucoup ont trouvé refuge en Serbiemême et dans les pays avoisinants, maisd’autres ont été hébergés dans descampements provisoires. Ils devaient yrester quelques semaines tout au plus. Sixans plus tard, ils y sont toujours, et pourles Roms de Mitrovica en particulier,l’attente devient une question de vie oude mort.

En 2004, l’Organisation mondialede la santé a voulu mesurerl’ intoxication due au plomb parmi lesenfants roms, mais les taux relevésétaient si effarants que les appareils neparvenaient plus à en faire une lectureprécise. Depuis, certains enfants sontsans doute morts, d’autres souffriraientde pertes de mémoire, vomissements etconvulsions. Les experts parlent descandale et d’abomination, et les Roms,inquiets, se sentent plus que jamaisperdus et impuissants.

“Quand je regarde ma fille, j’ai enviede mourir”, confiait récemment une jeunemère hébergée dans le camp de Zitkovac.“Cette poussière la tue. Elle peut à peinemarcher.” Et Habib Hajdini, le porte-parole du camp, de s’interroger tout haut :“Doit on croire les résultats ? Et s’ils sontexacts, alors pourquoi on ne nous aidepas ? Pourquoi on ne sauve pas nosenfants ?”

VITE, UNE VRAIE MAISONLe HCR et d’autres organisationsdemandent depuis plus d’un an que cesRoms soient immédiatement relogésailleurs. En vain. Inertie, indifférence,changement de priorités politiques,intrigues diverses sont autant d’élémentsqui bloquent le dossier.

Les Roms eux-mêmes n’ont guèreenvie d’aller s’installer ailleurs que là oùils vivaient jusqu’en 1999, en l’occurrenceà quelques kilomètres seulement, dans unquartier de Mitrovica appelé RomaMahalla, qui abritait l’une des plusimportantes et prospères communautésroms des Balkans.

Mais pendant «lesévénements», les 6000habitants de Mahalla ont prisla fuite et les Kosovarsd’origine albanaise, quiavaient dû faire de mêmequelques mois seulementauparavant, ont incendié etdétruit toute l’enclave pourse venger.

Roma Mahalla restedéserté, hormis pourquelques rôdeurs en quête debutin. Mais on parle dereconstruction. Si tout vabien, les travaux pourraient

commencer dans quelques mois. Enréalité, il faudra bien plus longtemps pourque les Roms puissent retourner dansleur ancien quartier.

Pendant que les Roms de Mitrovicaattendent, quelques autres ont réintégréles logements qu’ils occupaient au Kosovoavant la guerre. Fin 2004, le Comitéaméricain pour les réfugiés a achevé lapremière phase de réhabilitation duquartier rom d’Abdullah Presheva àGnjilane, et 114 des 2500 premiershabitants s’y sont réinstallés.

Seize personnes d’une même famillesont revenues dans le village deRadivojce en avril. Leur nouvelle petitehabitation de deux étages est en

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Retourner à Gnjilane.

Roma Mahalla, jadis prospère…

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“Nous avons été très bienaccueillis ici. Nous n’avons euaucun problème.”

construction. En attendant, tout le monde— du bébé de 18 mois au patriarche de 74 ans — vit dans une cabane faite debois et de bâches en plastique fourniespar le HCR.

Tous leurs voisins sont des Albanais,mais le grand-père est optimiste et pensequ’avec son métier de forgeron il sedébrouillera très bien dans cette régionrurale.

“Nous avons été très bien accueillis ici.Nous n’avons eu aucun problème. Nousn’avions rien fait de mal. Alors, pourquoine pas revenir ? Je n’ai rien à mereprocher, et ici c’est chez nous.”

Voilà un sentiment que tous les Romsdu Kosovo aimeraient bien partager. �

Tromper la misère et l’ennui.

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Sarajevo :flamme éternelle en hommage aux victimes

de la guerre.