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“SÉMINAIRE PHILOSOPHIE, ETHIQUE,
COMPTABILITÉ”
DEA 124
“DU MENSONGE À LA VIOLENCE”
HANNAH ARENDT
Présenté par Diéne KAMARA
1
SOMMAIRE
BIOGRAPHIE 3
PUBLICATIONS 4
INTERET DE L’OUVRAGE 5
POSTULATS 5
MODE DE DEMONSTRATION 6
RESUME 6
Chapitre 1 : Du mensonge en politique : réflexions sur les documents du Pentagone 6Partie I : Le mensonge érigé en art 6Partie II : Mentir pour justifier un engagement militaire 8Partie III : Comment ont-ils pu ? 10
Chapitre II : La désobéissance civile 11Partie I : Socrate et Thoreau ; Une fausse « désobéissance civile » ? 12Partie II : Les caractéristiques de la désobéissance civile 13Partie III : La désobéissance civile et le droit : des rapports ambigus 14
Chapitre 3 : Sur la violence 16Partie I : Une violence en puissance pour avoir la paix 16Partie II : Analyse critique de la violence 17Partie III : Violence et Pouvoir 17Partie IV : La nature et les causes de la violence 18
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HANNAH ARENDT
BIOGRAPHIE
Hannah Arendt est une philosophe née le 14 octobre 1906 dans la banlieue de Hanovre
en Allemagne. Son père était ingénieur et sa mère s’intéressait particulièrement à la musique
et à la langue française. Ses grands parents étaient des juifs réformés. En 1924, elle passe son
Abitur en candidate libre avec un an d’avance. Elle étudie la philosophie et la théologie aux
universités de Fribourg et de Heidelberg. Elle a été formée à la bonne école avec des
philosophes de renom tels que Heidegger, Husserl ou encore Karl Jaspers. Elle a soutenu son
travail doctoral avec Karl Jaspers sur le concept de l’amour chez saint augustin.
En 1929, elle obtient une bourse qui lui permet de travailler jusqu’en 1933 à la
biographie d’une jeune juive allemande Rachel Varhagen. Après être arrêtée par la Gestapo
puis relâchée faute de preuve, Hannah Arendt quitte l’Allemagne nazie et s’installe en France
où elle participe à l’accueil des réfugiés juifs fuyant le nazisme. A la suite d’une incarcération,
elle s’évade et s’exile aux Etats-Unis en 1941 avec sa mère et son mari. Devenue citoyenne
américaine, elle donne de nombreuses conférences et est professeur de philosophie politique
d’abord à l’université de Chicago, ensuite à la New School for Social Research de New York.
Elle est décédée le 4 décembre 1975 à New York.
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PUBLICATIONS
Hannah Arendt a légué à la postérité une œuvre colossale composée d’ouvrages, de
récits, d’articles et de comptes rendus de colloques et de conférences. La liste ci-dessous, loin
d’être exhaustive, présente quelques unes de ses œuvres majeures.
Condition de l’homme moderne, traduction française G. Fradier, Calmann-Levy, 1961, 1983,
réédité avec une préface de Paul Ricœur Pocket, 1998, 1992 [The human condition, London
Chicago University of Chicago 1958]
Vies Politiques, traduction française E Adda Gallimard 1974
La vie de l’esprit : I la pensée, II le Vouloir , traduction française L. Lotringer PUF 1981
(1992) et 1983 (1999) titre original [The life of the mind (1 Thinking ; 2 Willing) New York
1978-1981]
Penser l’événement, traduction française Cl. Habib, Belin 1989
La nature du totalitarisme, traduction française M.I.B. de Launay Payot 1990
Auschwitz et Jérusalem chez Pocket Agora les classiques Editions Calmann-Levy
Rachel Varnhagen chez Pocket Agora les classiques Editions Calmann-Levy
Du mensonge à la violence chez Pocket Agora les classiques Editions Calmann-Levy
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INTERET DE L’OUVRAGE
Cet ouvrage présente un double intérêt. D’abord sur le plan théorique, il a le mérite de
poser les jalons d’une réflexion philosophique sur des concepts tels que le mensonge, et la
violence. Le mérite est lié non pas au fait que cet ouvrage soit le seul à traiter de ces concepts,
mais (et surtout) parce qu’il part d’exemples réels et montre que nous avons une vision très
imprécise de la plupart de ces concepts alors que nous en faisons usage régulièrement.
Par ailleurs, il adopte une démarche rigoureuse et nous fait comprendre que des
phénomènes sociaux à priori distincts peuvent entretenir d’intimes rapports. C’est ainsi que ce
livre nous explique de manière implicite comment en usant du mensonge un gouvernement
peut conduire les citoyens à chercher une riposte à travers des mouvements tels que la
désobéissance civile et peut les pousser à adopter des comportements de violence.
Ensuite sur le plan pratique, il est facile de montrer que l’ouvrage est toujours
d’actualité. Les récents événements du Moyen-Orient ont encore mis le pentagone dans la
ligne de mire de bon nombre d’observateurs attentifs et avisés. De même dans la plupart des
pays du monde, les mouvements de violence et de désobéissance civile continuent d’occuper
une bonne place dans l’actualité quotidienne.
POSTULATS
Politique, Action et Mensonge sont liés.
En politique, la méthode scientifique n’est pas adaptée.
La superpuissance peut mettre à nu l’impuissance.
La désobéissance civile est un mouvement de groupe.
La désobéissance civile est indépendante des consciences individuelles.
L’esprit des lois américaines est caractérisé par l’adhésion des citoyens à travers leur
consentement à un contrat social.
La violence n’est pas une caractéristique inhérente à l’être humain.
La violence est différente du pouvoir.
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MODE DE DEMONSTRATION
Cet ouvrage est le fruit d’une longue réflexion philosophique. Pour étayer son
argumentation, Hannah Arendt emprunte à la réalité quotidienne des faits avérés et les
examine sous l’angle de la philosophie. Elle tente de donner des explications aux maux qui
gangrènent notre société par une analyse approfondie de certains concepts dont l’usage est
aisé mais la compréhension difficile. C’est ainsi qu’elle soumet à la rigueur de la réflexion
philosophique des concepts « ordinaires » de la vie quotidienne tels que violence, pouvoir,
puissance, mensonge désobéissance etc.
RESUME
Chapitre 1 : Du mensonge en politique : réflexions sur les documents du Pentagone
Dans ce chapitre, Hannah Arendt propose une analyse du rôle du mensonge en
politique. Elle pose les bases de sa réflexion sur les documents du Pentagone relatifs à la
guerre du Vietnam et publiés dans le New York Times. L’auteur commence (partie I) par nous
montrer qu’en politique le mensonge est souvent érigé en art. Ensuite, elle met en évidence le
rôle instrumental du mensonge (partie II). Dans le cas des documents du pentagone et de la
guerre du Vietnam, le mensonge a été utilisé pour justifier un engagement militaire. Enfin
(partie III) Hannah Arendt tente de donner des éléments explicatifs de l’enlisement militaire
des américains au Vietnam.
Partie I : Le mensonge érigé en art
Pour Hannah Arendt, il existe un lien fort entre mensonge politique et action. En effet,
sans action, la politique ne présente aucune utilité. Or, en politique, le mensonge est érigé en
art. En conséquence, les liens entre politique, mensonge et action s’établissent aisément.
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Eu égard aux liens existant entre politique et mensonge, l’auteur fait remarquer que le
mensonge en politique présente deux caractéristiques principales :
Le mensonge s’adapte au public. Il anticipe les désirs du public pour qu’il y’ait une
parfaite correspondance entre le message qui est émis et la réalité perçue par le public
visé.
Le mensonge est doté d’un pouvoir intrinsèque, du fait de sa nature adaptative et sa
capacité d’anticipation. Le pouvoir du mensonge se manifeste lorsque par exemple un
gouvernement (ou toute autre forme organisationnelle) élimine délibérément toutes
les données qui ne cadrent pas avec l’idéologie qu’il véhicule sans conséquences
majeures.
Lorsque le mensonge est érigé en art (ce qui est toujours le cas en politique), il peut
revêtir plusieurs formes. Dans le cadre des documents du Pentagone, deux catégories
« d’artistes menteurs » ont été identifiées : les experts en relations publiques et les
« spécialistes de la solution des problèmes ».
Les experts en relations publiques sont des experts en publicité politique. Quelle que
soit la démarche qu’ils adoptent, leurs objectifs restent identiques. Ils vantent pour
vendre et manipulent pour convaincre.
Quant aux « spécialistes de la solution des problèmes » leur démarche est caractérisée
par une rationalisation du mensonge. Cette rationalisation est liée à leur formation
« d’élite » et à leurs « grandes capacités intellectuelles ». Les « spécialistes de la
solution des problèmes » ont une excellente formation et sont « solidement armés de
l’analyse des systèmes et de la théorie des jeux ». Ils utilisent un langage pseudo
mathématique, se défont de tout sentimentalisme et sont riches de certitudes et de
convictions. Parfois, ils élaborent le mensonge et contribuent à sa justification
scientifique sans se rendre compte qu’ils sont à l’opposé de la vérité. Leurs
connaissances et capacités intellectuelles en font des citoyens naïfs et adeptes de la
« pensée scientifique unique ».
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Partie II : Mentir pour justifier un engagement militaire
Le mensonge peut avoir une visée salutaire. C’est notamment le cas lorsqu’il est utilisé
dans le cadre d’une stratégie militaire destinée à tromper l’ennemi. Seulement, L’élaboration
et leur diffusion secrète des documents du pentagone ne relèvent d’aucune stratégie visant à
atteindre le véritable ennemi. Ces documents étaient diffusés secrètement au niveau de la
haute administration américaine et étaient destinés à un public américain. C’est ainsi que l’on
peut montrer que le mensonge a été utilisé comme artifice pour justifier un engagement
militaire dont les objectifs réels sont restés flous.
A travers une lecture approfondie des archives du pentagone, Hannah Arendt met en
évidence le tissu de mensonge qui couvre les objectifs annoncés pour justifier la guerre du
Vietnam. Ainsi, pour répondre à la question « pourquoi étions nous engagées dans une guerre
et cela au Vietnam ? », plusieurs réponses peuvent être apportées. Les premières offrent des
perspectives nobles et ambitieuses telles que « veiller à ce que le peuple vietnamien puisse
librement déterminer son avenir » ou encore « éviter l’éclatement de la troisième guerre
mondiale ». Quant aux dernières réponses, elles montrent d’une part l’incapacité des Etats-
Unis à atteindre les objectifs annoncés et d’autre part, elles mettent en relief
« l’égocentrisme » de la première puissance économique et militaire du monde. En effet, ces
réponses sont telles qu’il est simplement question « d’éviter une défaite humiliante ou de
sauver la face ». Remarquons que sur un horizon chronologique relativement court à l’échelle
d’une grande nation (de l’ordre d’une dizaine d’années), les motivations affichées ont connu
des grandes fluctuations.
Parallèlement à cet ensemble d’objectifs annoncés, le pentagone avec l’aide des
« spécialistes de la solution des problèmes » avait mis en place plusieurs scénarios en fonction
des publics ciblés. Il fallait « soutenir le moral » des Sud Vietnamiens, rassurer les alliés et
faire subir aux communistes « des pressions énergiques ».
Notons au passage que cette situation était prévisible car à aucun moment la haute
administration américaine n’a daigné mettre en évidence les réelles motivations de sa mission
militaire au Vietnam. Ce qui reste paradoxal dans cette affaire, c’est le fait que les
gouvernements républicain et démocrate se soient succédés au pouvoir sans qu’il y’ait une
réelle volonté de changement.
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Les métamorphoses remarquées tenaient plus de la forme que du fond. Pendant toute
la durée de la présence militaire américaine au Vietnam, le mensonge a été une affaire d’Etat.
C’est probablement la raison pour laquelle la Maison Blanche a parfois violé les règles
constitutionnelles élémentaires exigeant l’autorisation du congrès américain préalablement à
la mise en œuvre de certaines opérations de grande envergure.
Pour Hannah Arendt, une double disparité caractérise l’engagement militaire américain au
Vietnam. La première disparité concerne les éléments sur lesquels portent les mensonges.
Ceci est illustré par deux exemples :
Le premier exemple rappelle que les informations fournies par les services de
renseignements américains et relatifs à l’influence mutuelle qu’exercent les pays
voisins du Vietnam les uns sur les autres (théorie des dominos) ont été parfois
contradictoires. Aussi, ces mêmes informations ont été parfois utilisées par des
décideurs qui n’adhéraient pas à leur fondement.
Le second exemple montre comment de faux alibis basés sur « le postulat d’une
conspiration monolithique communiste et celui de l’existence d’un bloc sino-
soviétique et en outre sur l’hypothèse des visées expansionnistes des chinois » ont été
utilisés. Ces alibis ne sont pas avérés parce que tout simplement il existait beaucoup de
différents entre Moscou et Pékin, à l’époque. Aussi, le peuple vietnamien a toujours
opposé une farouche résistance à toute visée impérialiste d’une puissance étrangère.
La seconde disparité relève des rapports entre les moyens utilisés et les objectifs
annoncés. Des moyens militaires et économiques importants ont été utilisés pour une mission
dont les objectifs et les contours ont été mal définis et délimités.
Enfin, notons que pour mieux asseoir sa politique, le pentagone a usé de ruse en
classant dans la catégorie « secret défense » une bonne partie des documents qui devraient
être mis à la disposition de certains décideurs. Cette utilisation du sceau « Secret défense » a
augmenté la puissance du Pentagone en lui laissant une plus grande latitude quant à
l’élaboration de stratégies de manipulation, de tromperie et de mensonge à des fins inavouées.
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C’est cette idée qui fait dire à Hannah Arendt que « l’efficacité de la tromperie et du
mensonge dépend entièrement de la notion claire de vérité que le menteur et le trompeur
entendent dissimuler ».
Partie III : Comment ont-ils pu ?
Après une analyse des documents du Pentagone sous les aspects du mensonge et de la
tromperie, Hannah Arendt essaye d’apporter des éléments de réponse justifiant l’enlisement
des Etats-Unis au Vietnam. Ainsi, à la question « comment ont-ils pu ? », un ensemble de
réponses a été apporté. Cet ensemble comporte quatre éléments de réponse : l’art du
mensonge, l’utilisation de mauvaises méthodes, la recherche aveugle de l’omnipotence et
l’arrogance.
Le mensonge érigé en art se manifeste par les écarts existant entre les déclarations
publiques et la réalité quotidienne. Toute la communication faite par le Pentagone était à
l’écart de la réalité. Au final, le Pentagone a fini par croire en ses propres mensonges car
« plus un trompeur est convaincant et réussit à convaincre, plus il a de chances de croire à ses
propres mensonges ».
Les méthodes utilisées par les « spécialistes de la solution des problèmes » relevaient
des mathématiques et de la logique. Or, le problème qui leur était présenté n’était pas
rationnel et n’admettait pas de solution unique. Hannah Arendt nous rappelle que ces
spécialistes au lieu d’ « apprécier » passaient leur temps à « calculer ».
Le troisième élément de réponse apporté à la question « comment ont-ils pu ? » tient
au fait que l’administration américaine est incapable de comprendre que le pouvoir même
d’une très grande puissance comporte toujours des limites. Ces limites sont apparues à la fin
du conflit lorsque le monde a constaté la défaite américaine malgré la puissance militaire et la
suprématie écrasante. Cette défaite a sonné le glas de la grande puissance américaine.
Finalement, on pourrait avancer que l’impuissance de la grande puissance américaine a été
mise en exergue par sa propre puissance militaire.
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Le dernier élément de réponse est lié à la double arrogance qui caractérise la démarche
américaine : l’arrogance du pouvoir et l’arrogance de l’esprit. L’arrogance du pouvoir
s’intéresse exclusivement à la recherche de l’omnipotence. Aucun arbitrage n’est fait entre les
moyens et les ressources dégagés et les résultats obtenus ou espérés. L’arrogance de l’esprit
est propre à la démarche des « spécialistes de la solution des problèmes ».
Ces quatre attitudes ont conduit les Etats-Unis à ne porter aucune attention à l’ennemi
et à le mépriser. Ceci a les a conduit directement à une triste et amère défaite.
Chapitre II : La désobéissance civile
Hannah Arendt se propose d’apporter des éclaircissements à la crise du droit qui
secoue l’univers juridique américain dans les années 1960. Le mouvement de désobéissance
civile sert de fondement à son analyse. Elle nous rappelle l’analyse juridique de la
désobéissance civile. Pour les juristes américains, la désobéissance civile relève soit d’une
volonté d’enfreindre des lois que l’on juge propre à sa morale, soit d’une intention de mettre à
l’épreuve la constitutionnalité de la loi. Abandonnant cette taxinomie simpliste, Hannah
Arendt analyse la désobéissance civile à la lumière des idées philosophiques et essaye de
comprendre les raisons qui poussent les individus à s’engager dans des mouvements de
désobéissance civile. C’est ainsi qu’elle commence (partie I) par revoir les exemples de
désobéissance civile utilisés par les théoriciens (il s’agit des cas de Socrate et Thoreau). Après
cela elle s’attache à caractériser les mouvements de désobéissance civile (partie II). Dans la
troisième partie de ce chapitre, Hannah Arendt examine les relations entre la désobéissance
civile et le droit.
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Partie I : Socrate et Thoreau ; Une fausse « désobéissance civile » ?
Dans le but de mieux analyser la désobéissance civile à la lumière des écrits et
ouvrages philosophiques, Hannah Arendt examine deux célèbres cas de désobéissance civile.
Le premier cas est relatif à la condamnation de Socrate, quant au second il nous montre les
rapports que Thoreau1 entretenait avec les lois. Ces deux formes de désobéissance civile sont
différentes dans leur essence et de toutes façons elles ne cadrent pas avec l’idée que Hannah
Arendt se fait de la désobéissance civile.
Dans le cas de Socrate, l’auteur nous rappelle que Socrate n’a jamais contesté les lois,
ni leur essence. Ce qu’il a contesté, c’est leur interprétation. Socrate n’était pas contre les
lois, il était contre les juges athéniens. Il ne voulait pas violer les lois, raison pour laquelle
même en étant en total désaccord avec leur interprétation, il a accepté le verdict des juges. La
force morale qui lui a permis de subir la condamnation au péril de sa vie relève d’un auto-
contrat. En fait, Socrate souhaitait rester fidèle à lui-même. Dans sa pensée, il fait l’apologie
de l’auto fidélité. C’est vraisemblablement la raison pour laquelle, Platon avance que pour
Socrate « la pensée est un dialogue muet entre la personne et le moi ».
Dans le cas de Thoreau, c’est le système judiciaire qui était mis à l’épreuve. Thoreau
contestait les lois en elles mêmes. Il ne lui convenait pas, et il tenait à montrer sa
désapprobation.
La comparaison de Socrate et de Thoreau est riche d’enseignements. Dans un premier
temps, on note une grande différence dans l’attitude qu’ils ont adoptée vis-à-vis des lois. Dans
un second temps, on remarque qu’il y’a une similitude dans leur rapport vis-à-vis des lois. En
effet aussi bien pour Socrate que pour Thoreau, la désobéissance est dictée par la conscience
individuelle. Pour Hannah Arendt, c’est justement là où le bât blesse car une désobéissance
civile ne saurait reconnaître une à une les consciences individuelles.
L’auteur nous montre la difficulté qui existe à vouloir traiter au niveau de la morale
individuelle le problème de la désobéissance à la loi. Pour elle, « les suggestions de la
conscience sont apolitiques et elles revêtent toujours un caractère subjectif ».
1 Dans le texte, Hannah Arendt nous explique brièvement que Thoreau fut contraint de passer une nuit en prison pour avoir refusé de payer l’impôt électoral à un gouvernement qui reconnaissait l’esclavage.
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Cette analyse permet à Hannah Arendt de remettre en cause tous les travaux sur la
désobéissance civile ayant pour unique fondement les attitudes de Socrate et de Thoreau.
Pour elle, vouloir appliquer ces exemples sur les plans juridique et politique, c’est tomber
dans l’abîme de la généralisation et de la subjectivité. Généralisation car la conscience est
individuelle, et subjectivité car la morale est personnelle et différente d’un individu à un autre.
Dans la recherche d’un outil d’analyse pertinent de la désobéissance civile, Hannah
Arendt avance que la désobéissance n’est civile et n’a de sens que lorsqu’elle est l’œuvre d’un
groupe.
Partie II : Les caractéristiques de la désobéissance civile
Les mouvements de désobéissance civile sont devenus des mouvements de masse et se
rencontrent partout dans le monde. Une analyse de l’histoire de l’évolution de l’humanité
pourrait nous apprendre que cette généralisation de la désobéissance civile est le signe
précurseur des révolutions. Dans le même temps, on constate une croissance du nombre de
crimes et délits commis en bandes organisées ou par des individus isolés. Sur la base de
statistiques alarmantes, Hannah Arendt met en exergue la faiblesse du système judiciaire.
Pour mieux comprendre le mouvement de désobéissance civile, elle analyse les traits
caractéristiques d’un mouvement de cette nature.
Tout d’abord, il est l’œuvre d’un groupe qui estime que « les mécanismes normaux de
l’évolution » d’une société ne fonctionnent plus correctement ou que la politique
gouvernementale est teintée d’une attitude anti constitutionnelle. Tel est par exemple
le cas de la politique du gouvernement américain à l’égard du Vietnam, ou encore on
peut citer l’exemple de la violation des libertés fondamentales.
Ensuite, la désobéissance civile cherche des changements désirés par l’ensemble de la
société. Le groupe auteur de la désobéissance estime que ces changements s’avèrent
nécessaires.
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Enfin, Hannah Arendt nous expose les distinctions à faire entre la désobéissance civile
et le mouvement criminel. Alors que les criminels violent la loi de manière
clandestine, la désobéissance civile réclame et clame sa désobéissance et ne cherche
surtout pas à la cacher. Alors que les criminels peuvent user et abuser de toute forme
de violence, la désobéissance civile bannit la violence sous toutes ses formes. C’est
d’ailleurs ce dernier trait qui distingue fondamentalement la désobéissance civile de la
révolution car celle-ci peut être violente.
En se référant à Hannah Arendt et en poussant le raisonnement à l’extrême, on pourrait
considérer la désobéissance civile comme un « fait social » au sens de Durkheim. En effet,
Hannah Arendt met en relief le désir de changement qui existe dans toutes les sociétés. Elle
nous rappelle aussi que le changement ne peut se faire que dans la stabilité, or le système
juridique est le principal garant de cette stabilité. Il offre un cadre à l’intérieur duquel
s’opèrent les changements. Lorsque le système juridique ne permet plus d’assurer
convenablement la stabilité nécessaire au changement progressif lié à l’évolution de la société
on voit alors naître une remise en cause de ce système juridique. Dès lors que cette remise en
cause est affichée et est l’œuvre concertée d’un groupe, on assiste à la naissance d’un
mouvement de désobéissance civile.
Partie III : La désobéissance civile et le droit : des rapports ambigus
Dans cette partie, Hannah Arendt pose le problème de la « compatibilité » de la
désobéissance civile avec la loi. Dans quelle mesure le mouvement de désobéissance civile
peut être compatible avec un système juridique donné ?
Pour Hannah Arendt, seul le système juridique américain peut permettre d’intégrer la
désobéissance civile dans sa démarche. Deux principales raisons sont avancées pour justifier
cette affirmation. La première est relative à la philosophie du droit américain autrement dit
« l’esprit » des lois américaines. La seconde raison (qui découle d’ailleurs de la première) est
liée au fait que le système juridique américain dispose d’un mécanisme qui peut lui permettre
de faire face à la désobéissance civile.
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Pour expliquer les fondements des affirmations ci-dessus, l’auteur commence par
caractériser l’esprit des lois américaines. Aux Etats-Unis, comme dans toutes les sociétés, les
individus agissent et réagissent suivant un « contrat social ». Pour Hannah Arendt, le « contrat
social » qui prévaut aux Etats-Unis se distingue aussi bien du « contrat social rousseauiste »,
que du « Léviathan » tel que nous le présente Hobbes. En fait, le « contrat social » américain
serait proche du « contrat social » au sens de Locke. Il s’agit d’une « conception horizontale »
du « contrat social » caractérisée par le fait que les individus tissent et entretiennent des
relations basées sur un consentement avec un fort lien de réciprocité. Dans cette forme de
contrat, les individus peuvent agir librement, et surtout, ils peuvent exprimer leur désaccord.
Ainsi pour Hannah Arendt « le consentement qui est l’esprit des lois américaines est fondé
sur la notion d’un contrat comportant des obligations mutuelles qui a permis d’abord
l’établissement des colonies séparées puis leur union fédérale ».
Sous cette vision, les mouvements de désobéissance civile aux Etats-Unis peuvent
s’expliquer par la défection des citoyens. Ces derniers ont retiré leur consentement car ils ont
perdu la confiance qu’ils avaient placée dans le système juridique. La perte de confiance
résulte de l’incapacité du système juridique à contraindre le gouvernement à adopter une
politique conforme à leurs désirs.
Pour mieux illustrer l’importance du consentement dans l’explication de la
désobéissance civile, Hannah Arendt rappelle que les noirs (qui se sont beaucoup engagés
dans les mouvements de désobéissance) n’ont jamais donné leur consentement pour participer
au « contrat social » car pendant longtemps, la constitution américaine a simplement nié leur
nécessaire prise en compte juridique.
Ainsi, la désobéissance civile s’explique par l’irrespect des citoyens vis-à-vis du
« contrat social » car le système juridique n’a pas tenu ses engagements. Or, comme le dit
Hannah Arendt, « toutes les organisations humaines, sociales ou politiques reposent en fin de
compte sur la capacité de chaque individu à prendre des engagements et à les tenir ». En
l’espèce, le système juridique n’a pas tenu ses engagements du fait de la rapidité des
transformations survenues dans la société.
Au-delà du consentement, l’esprit des lois américaines est fortement caractérisé par
« l’association volontaire ». C’est d’ailleurs la force de « l’association volontaire » qui peut
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permettre au système juridique américain d’intégrer et de faire face à la désobéissance civile.
Pour Hannah Arendt, il serait judicieux de considérer le mouvement de désobéissance civile
comme un mouvement relevant de l’association volontaire de citoyens défendant certains
intérêts (comme les groupes de pression) De ce fait, les rapports (entre le mouvement et le
système juridique) passeront de la « résistance » à un simple « désaccord ».
Chapitre 3 : Sur la violence
Constatant une recrudescence des actes de violence dans les grands pays développés, Hannah
Arendt se livre à un exercice de compréhension et d’explication de ce phénomène de société.
Pour bien cadrer son analyse, elle commence par évoquer les rapports qui existent entrent les
grandes puissances militaires (partie I). Ensuite elle s’attaque à une relecture critique des
écrits philosophiques ayant porté sur la violence (partie II). Après, elle examine les rapports
entre la violence et le pouvoir (partie III), avant de finir sur la nature et les causes de la
violence (partie IV).
Partie I : Une violence en puissance pour avoir la paix
Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, on assiste à un équilibre de la terreur. Les
grandes puissances occidentales à peine sorties de la seconde guerre mondiale, se sont lancées
dans une folle course aux armements. En conséquence, il est remarquable de constater que ce
sont les moyens utilisés pour préserver la paix dans le monde qui sont des instruments de
violence. Ceci est d’autant plus dangereux que ces armes ultra puissantes qui obligent les
grandes puissances à se méfier les unes à l’égard des autres sont de plus en plus sophistiquées
et peuvent anéantir la planète en un temps très court. Cette augmentation de la puissance du
complexe militaro-industriel dans les grands pays développés s’explique en partie par la
présence au sein des gouvernements de plusieurs conseillers issus des rangs militaires et
apportant leur version scientifico-militaire de la paix et de la résolution des conflits.
16
Partie II : Analyse critique de la violence
Sous un angle plus théorique, Hannah Arendt explicite la position de plusieurs
philosophes et intellectuels ayant travaillé sur le concept de violence. Nombre d’auteurs qui
réclament leur plus ou moins forte appartenance à l’idéologie marxiste font l’apologie de la
violence comme instrument de résolution des conflits. C’est ainsi que Sartre, s’inscrivant dans
la même lignée que Frantz Fanon (dans les damnés de la terre), prône de manière ouverte
l’utilisation des moyens violents pour venir à bout du système de domination mis en place
par l’oppresseur occidental. Adoptant une franche rupture avec la position de ces auteurs
(Sartre,Fanon ou Sorel), Hannah Arendt nous propose une relecture de Marx à la lumière du
concept de violence. Pour Hannah Arendt, la violence n’est présente dans l’œuvre de Marx
qu’à titre accessoire et n’y joue qu’un rôle secondaire. C’est dans cet ordre d’idées et en
suivant l’analyse de Marx qu’elle bannit toute forme de violence car nous dit-elle « si la
violence pouvait régler des conflits de société, la vengeance deviendrait le remède miracle à la
plupart de nos maux ».
S’attaquant de face aux théories prônant la violence comme étant un puissant moyen
d’émancipation des pays du tiers monde, Hannah Arendt montre la diversité qu’il y’a entre les
nations et les pays du tiers monde et par la même l’impossibilité d’adopter une démarche
pertinente dans un ensemble ayant pour principale caractéristique l’hétérogénéité.
Partie III : Violence et Pouvoir
Dans le domaine de la théorie politique, nombre d’auteurs ont assimilé (au risque de
tomber dans une regrettable confusion) le pouvoir et la violence. Lorsque l’on s’inscrit dans
cette logique, on accepte implicitement l’idée selon laquelle « la violence n’est rien d’autre
que la manifestation la plus évidente du pouvoir ». Pour Hannah Arendt, cette logique est
erronée car elle ne considère l’Etat et la politique que sous l’angle de la domination et de
l’oppression. Or, l’Etat n’est pas toujours une machine oppressive. Il est donc nécessaire de
distinguer le pouvoir de la violence. Pour parvenir à cette fin, Hannah Arendt trace une ligne
de démarcation entre le pouvoir et la violence.
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Pour elle, « le pouvoir a toujours besoin de s’appuyer sur la force du nombre tandis
que la violence peut s’en passer dans une certaine mesure, du fait que pour s’imposer, elle
peut avoir recours à des instruments ». L’exemple classique d’un système violent basé sur un
petit nombre peut être perçu à travers les régimes tyranniques qui ont sévi dans certains pays à
la force du glaive sans demander aux populations leurs avis. Ces régimes sont généralement
soutenus par un faible nombre d’individus. Leur force émane du glaive et de la passivité de la
majorité faible et spectatrice.
Regrettant le manque de précision et les confusions dans l’usage des mots tels que
« pouvoir », « puissance », « force », « autorité » et « violence », Hannah Arendt propose une
définition de chacun de ces mots.
Le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir et à agir de façon concertée. Le
pouvoir est une affaire de groupe.
La puissance est la propriété d’un objet ou d’une personne et fait partie de sa nature.
La force est la qualification d’une énergie qui se libère au cours des mouvements
physiques ou sociaux.
L’autorité se définit par sa caractéristique essentielle qui voudrait que ceux dont
l’obéissance est requise reconnaissent inconditionnellement l’autorité.
La violence est par nature instrumentale, on pourrait penser qu’elle n’a pas d’existence
propre. Elle reste un instrument proche de la « puissance » et aussi elle permet
d’accroître la « force ». Elle diffère du « pouvoir » car le pouvoir a besoin de
légitimité.
Partie IV : La nature et les causes de la violence
Pour rechercher la nature et les causes de la violence, Hannah Arendt commence par
indiquer les méthodes qui sont utilisées pour comprendre le phénomène de l’agressivité chez
l’être humain. Les méthodes utilisées sont empruntées aux sciences naturelles, et le
comportement de l’être humain est expliqué à travers une meilleure compréhension du
comportement des animaux.
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En somme, la logique scientifique voudrait que si l’on parvient à expliquer et à
comprendre la nature et les causes de la violence chez les animaux, on pourrait en tirer des
enseignements et les appliquer à l’être humain. Cette démarche relève tout simplement selon
Hannah Arendt d’une traditionnelle conception scientifique qui voudrait que l’homme soit
simplement « un animal doué de raison ». Cette conception ne permettrait certainement pas de
connaître la nature et les causes de la violence chez les humains. Dans les sciences de la
nature, l’agressivité des animaux est considérée comme relevant de leur instinct. En suivant
cette logique, la violence qui peut prévaloir dans le règne animal est normale et naturelle.
Pour Hannah Arendt, analyser la violence à la lumière des sciences naturelles, c’est porter des
prismes déformants qui ne nous feraient voir que le côté instinctif et bestial de l’être humain
comme facteur explicatif de tout comportement violent.
Se désolidarisant de l’approche « scientifique », Hannah Arendt s’inscrit dans une
optique différente. Elle commence par dire que chez l’être humain, la fureur est très proche de
la violence. La fureur éclate lorsque l’individu estime que ses droits sont spoliés, ou qu’il a
été victime d’une injustice ou encore qu’il a été manipulé. Cette fureur conduit l’homme à
agir avec violence, c'est-à-dire « à accomplir des actes sans raisonner, sans parler, sans
réfléchir et sans prévoir les conséquences ». L’injustice subie serait donc une cause
essentielle de violence. C’est ainsi que quelle que soit la violence d’un cataclysme naturel, les
hommes ne sont pas indignés et leur fureur ne se transforme jamais en violence car la nature
même si elle est injuste (parfois) ne peut pas être l’ennemi de l’homme. Périodiquement, un
tremblement de terre, un tsunami, une avalanche, une pluie diluvienne ou toute autre cause
naturelle peut provoquer un grand nombre de victimes sans entraîner un mouvement de
violence de la part des hommes. Or, parfois il suffit d’une personne tuée (par une autre
personne) pour que toute une cité dégénère dans une spirale infernale de violence.
Par ailleurs, Hannah Arendt nous interpelle sur les rapports existant entre la violence
et les caractéristiques physiologiques de l’individu. Elle nous explique que la race
(caractéristique physiologique) peut être l’objet de violence exacerbée dès lors qu’on ne la
distingue plus du racisme (idéologie). C’est ainsi que des mouvements de foule peuvent
adopter une démarche très violente (aussi bien verbale que physique) parce qu’il y’a une
totale confusion entre race et racisme. Ce qui reste déplorable, c’est que le racisme (idéologie)
parvient parfois à utiliser une argumentation pseudo scientifique pour faire de la race son
unique objet de violence.
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Aussi, dans la situation actuelle, le règne de la bureaucratie et la superpuissance des
grands pays pourraient expliquer la violence. La bureaucratie correspond au règne de
l’anonymat, à une « tyrannie sans tyran ». Les individus deviennent furieux dès lors qu’ils
sentent leurs droits bafoués. De ce fait, ils peuvent faire appel à la violence car ils ont
l’impression de ne pas avoir d’interlocuteur direct et visible. Dans le cas de la superpuissance
des grands pays, il se pose la question du dimensionnement. Les individus ont l’impression
d’être écrasés sous le poids de la puissance et des dimensions. Pour contrer ce mouvement, ils
adoptent parfois des comportements violents et clament leur nationalisme ou leur
appartenance à des communautés de plus petite échelle d’où la prolifération des mouvements
d’extrême droite. Remarquons au passage que lorsqu’une idéologie d’extrême de gauche
prône la violence pour changer le monde, une autre d’extrême droite en fait autant pour
empêcher ce changement !
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