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Armature urbaine du Maroc : Mutations contemporaines

Armature urbaine du Maroc

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Armature urbaine du Maroc

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Armature urbaine du Maroc : Mutations contemporaines

INTRODUCTION Le Maroc n'a connu la colonisation directe qu'en 1330H/1912. Toutefois, la pénétration économique étrangère avait commencé au milieu du 13e siècle de l'hégire (milieu du 19e siècle), époque à laquelle on situe généralement le début de la période pré-coloniale. Pour notre part, nous estimons impératif de faire remonter cette période au minimum jusqu'à la fin du règne fort du sultan alaouite Moulay Ismaïl [1]. Nous nous plaçons, en cela, dans la perspective de l'analyse établie par le penseur Malek BENNABI [2].

1° LA PERIODE PRECOLONIALE

"Centré sur sa seule personne, l'édifice créé par Moulay Ismaïl s'effondra à sa mort en 1727 (1139H)." Abderrahim BENHADDA [3]

Cette période s'étend de la mort de Moulay Ismaïl jusqu'à la signature du traité de 1272H/1856 [4], et comprend trois phases :

"Al Fatra" (Intervalle), laquelle est une phase de relâchement de l'autorité makhzanienne, engendrant une anarchie politique, sociale et économique (1139H-1170H/1727-1757),

une deuxième phase qui commence avec le début du règne de Mohammed III et se termine par l'entrée des Français en Algérie (1170H-1245H/1757-1830),

une troisième phase qui s'étend de 1245H/1830 à la signature du traité de 1272H/1856.

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a - Al Fatra

A sa disparition, Moulay Ismaïl légua à ses successeurs un lourd héritage. En effet, sa mort mit en évidence de nombreux problèmes :

tout d'abord, la formation d'une armée prétorienne d'esclaves noirs ('Abid al Boukhâri: les Bouakhers) l'avait, certes, lié à la personne du souverain (condition primordiale dans un pays soumis souvent à des troubles intérieurs ou à des guerres extérieures), mais privait néanmoins son pouvoir d'une véritable assise sociale, tout en le condamnant à demeurer fort pour être en mesure de la maîtriser [5] ;

ensuite, la marginalisation des zaouïas, entreprise par Moulay Ismaïl, privait Al Makhzen d'un soutien qui pouvait se révéler efficace en temps de crise [6] ;

et enfin, la constitution de l'armée a privé les campagnes de leur main-d'oeuvre servile, ce qui a entraîné une chute de production.

Sans compter que l'effectif même de cette armée, cent cinquante milles, représentait un danger latent pour le Makhzen lui-même. De fait, la disparition du seul souverain qui possédait suffisamment de poigne pour la maîtriser fera que l'armée se posera comme véritable successeur du défunt [7]. Pourtant, les Bouakhers prendront bien garde à ne pas renverser la dynastie, de la sorte la situation se présentait de manière tout à fait différente de celle qui avait prévalu au temps des Mamelouks d'Egypte par exemple.

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En effet, si les analogies sont nombreuses, il demeure que les Bouakhers avaient affaire à une dynastie de chorfas ayant un grand ascendant sur les Marocains, et qu'un coup d’état aurait eu très peu de chance de porter ses fruits, du fait de la complexité de l'organisation sociale du pays : puissantes confédérations de tribus, zaouïas, villes frondeuses... (et cela contrairement à l'Egypte qui était organisée de manière relativement centralisée et monolithique, ce qui facilitait d'autant l'installation d'un pouvoir à la place d'un autre, et permettait qu'une force suffisamment grande apparaisse pour usurper le trône, ce qui était arrivé avec les Mamelouks entre autres). Ce qui révèle la coupure entre l'armée, soutien du pouvoir, et la société.

La révolte des Bouakhers s'explique par le fait que ceux-ci ont été privés au lendemain de la mort de Moulay Ismaïl des impôts collectés dans les villes et chez les tribus, impôts sur lesquels vivait l'armée de professionnels qu'ils constituaient . En effet, suite à l'affaiblissement de l'autorité centrale, la plupart des régions du pays avaient refusé de payer l'impôt.Durant cette phase, les mouvements des tribus se poursuivirent des montagnes vers les plaines. Ces tribus ont su tirer profit du fait que l'armée des Bouakhers avait déserté les kasbas. Elles cherchaient également à investir les régions côtières afin d'avoir leur part du commerce avec l'Europe.

Pour ce qui est des Aït Atta, par exemple, ceux-ci "... revinrent à une existence semi-nomade et partirent à la recherche d'oasis à occuper... ils tirèrent, par ailleurs, profit de la route commerciale reliant Fès à Sijilmassa ; la prospérité de cet itinéraire restait liée à la centralisation du pouvoir et au maintien de la sécurité et de la stabilité... la crise politique et générale que connaissait le Maroc aggrava encore la situation et entraîna la faiblesse du contrôle commercial transsaharien auquel l'échange régional était lié organiquement." [8]. Les deux capitales Fès et Marrakech seront ravagées par la guerre civile et l'anarchie. )

A partir de 1158H/1746, et sous l'impulsion du prince Mohammed (futur Mohammed III), les commerces atlantique et saharien retrouvèrent une certaine vitalité. La réunification du pays sous la même autorité, celle de Mohammed III, consacra la fin de la crise en 1170H/1757.

b - Les premières pressions occidentales :

Le sultan Mohammed III (1141-1171H/1757-1790) parvint à neutraliser les Bouakhers et partant à tenir l'armée. Il entreprit de consolider les assises du Makhzen et de développer le commerce extérieur dans le but de se ménager de nouvelles ressources et de renflouer les caisses de l'Etat (Bayt al mal). En effet, les levées d'impôt nécessitaient presque toujours des expéditions militaires. Or, il s'agissait d'entreprises onéreuses, dangereuses et d'efficacité incertaine ; et cela d'autant plus que le pouvoir des zaouïas s'était renforcé après la disparition de Moulay Ismaïl [9].

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Aussi, Mohammed III pensa-t-il se ménager de nouvelles ressources par les droits prélevés sur les marchandises provenant de l'étranger. Il réduisit les taxes douanières afin d'attirer les négociants étrangers et abolit l'impôt ('Achor) dans tous les ports atlantiques. Toutes ces mesures ont été prises dans l'objectif de briser le monopole anglais, devenu effectif durant la phase précédente, à cause notamment des nombreux traités conclus avec la Grande-Bretagne.

Afin de renforcer cette politique de "la porte ouverte", le Makhzen entreprit la restauration d'Anfa en 1174H/1760 (détruite par le séisme de 1169H/1755), la reconstruction d'Essaouira en 1179H/1765 et l'inauguration du port de Fedala (l'actuelle Mohammedia) en 1180H/1766.

La fondation d'Essaouira introduisit une nouvelle forme d'action sur l'espace. Il s'agissait non seulement d'une action volontariste -ce qui n'était pas nouveau- mais surtout d'une approche de planification à la mode occidentale [10]. Les raisons de cette fondation sont, d'une part, la volonté de concurrencer le port d'Agadir, aux mains des rebelles du Souss, d'autre part, d'aménager un port pour la course, utilisable durant toute l'année (conditions de navigation très favorables pendant toutes les saisons).

Après que les Français eurent attaqué et saccagé Larache en 1178H/1765, le souverain Mohammed III reconstruisit cette ville la même année et la fortifia. La reprise d'El Jadida aux mains des Portugais en 1180H/1769 vint renforcer ce système portuaire. Le commerce caravanier continua son déclin ; désormais, il ne représentera plus que 10 % des ressources du Makhzen. Et dans le cadre de la lutte contre les tribus, le sultan en déplaça certaines d'une région à une autre.

Pourtant tous ces efforts ne purent renverser une tendance à la déstructuration du système urbain marocain. En effet, les villes furent abandonnées par leurs populations suite à une succession de calamités naturelles s'étalant sur plusieurs années. On assista alors au retour accéléré à la vie nomade de groupements récemment sédentarisés. La poussée tribale se poursuivit du sud vers le nord sous forme d'une lente et irrésistible infiltration [11].

A la mort de Mohammed III, le pays est de nouveau morcelé et va connaître une période de troubles qui s'étendra de 1206 à 1211H (1792 et 1797). Le règne de Moulay Slimane inaugura une nouvelle orientation de la politique du Makhzen, radicalement opposée à celle de son prédécesseur[12].

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En effet, le souverain entamera une nouvelle approche des relations avec l'Europe qui se caractérisait par la fermeture quasi-totale du Maroc à toute influence ou pénétration étrangère. L'expédition de Bonaparte en Egypte (1212H/1798) amena le sultan Moulay Slimane à adopter une politique d'autarcie et de prudence vis-à-vis de l'Europe. La présence de la flotte anglaise à Gibraltar participa à la coupure économique et commerciale du Maroc avec les pays européens, principalement la France et la Hollande. De fait, cette politique d'autarcie sera contrecarrée par des notables qui établirent clandestinement des rapports commerciaux avec les étrangers, ce qui préfigurait ce qui allait se passer à une plus grande échelle -et au grand jour- quelques décennies plus tard.

Le Makhzen prit diverses initiatives afin de limiter ces relations commerciales, notamment en élevant les droits de douane et en imposant en 1220H/1805 aux consuls européens de ne résider qu'à Tanger. Ces initiatives amenèrent une chute réelle des échanges avec l'Europe et entraînèrent une stagnation des ports, notamment ceux de Tanger, de Larache, de Rabat et de Salé (pénalisée de surcroît par le coup d'arrêt porté à la course en l'an 1233H/1818) et même la disparition d'Al Mehdia en 1209H/1795. Toutefois, cette politique de la "porte fermée" n'englobait pas l'Afrique Noire et l'Orient arabe, contrées avec lesquels les relations économiques et commerciales furent même renforcées. Ces mesures profiteront en grande partie aux zaouïas situées sur les voies caravanières telles que, par exemple, les zaouïas Derqaouia et Ouazzania.

Les tribus continuèrent leur avancée dans les plaines et certaines refusèrent d'appliquer la politique de "fermeture" vis-à-vis de l'Europe (surtout dans le nord), d'autres continuèrent à imposer des droits de passage aux caravanes. Ce commerce fut par ailleurs sérieusement menacé par les Aït Atta qui occupèrent les ksours du Makhzen évacués par les Bouakhers pendant Al Fatra (première phase de cette période). L'Espagne, d'autre part, encourageait les rébellions des tribus.

Entre 1233 et 1237H (1818 et 1822), le pouvoir du Makhzen diminua considérablement, principalement du fait des révoltes des tribus et des troubles suscités par les zaouïas mécontentes du Dahir promulgué par le sultan en 1233H/1818 et qui interdisait toutes les pratiques non orthodoxes telles que les moussems (rassemblements annuels) et les ziyarates (dons et cadeaux) [13], chose qui privait celles-ci de leurs bases économiques. C'est à la même époque qu'eut lieu la récupération d'Oujda et de sa région (en 1211H/1796), occupée par les Turcs pendant la phase de l'anarchie, Al Fatra.

c - Le Maroc, une chasse gardée de l'Occident

Le tournant de la première moitié du 13e siècle de l'Hégire (19e siècle) dans l'histoire de l'Afrique du Nord est constitué par la prise d'Alger en 1246H/1830.

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Les réfugiés algériens affluèrent dans les villes marocaines, notamment Oujda, Tétouan et Fès. Dès lors, l'affrontement entre le Maroc et la nouvelle puissance coloniale était inévitable ; il eut lieu à Isly, le 29 Rajab 1260H/14 août 1844, où le Maroc connut une cuisante défaite. A l'ouest, la flotte française pilonnait Tanger et Essaouira [14]. Las, le souverain Abderrahmane Ibnou Hicham n'avait plus d'autre choix (semble-t-il) que de se plier aux exigences des puissances étrangères. Et cela d'autant plus que sa marge de manoeuvre était limitée par les troubles qui secouèrent fortement le pays après sa défaite à Isly. Pour l'Europe, il s'agissait d'un véritable triomphe [15].

L'une des principales répercussions de la défaite d'Isly fut la démonstration de la faiblesse du Maroc devant l'Europe et la révision du cadre juridique régissant ses rapports avec les puissances occidentales. De fait, cette révision ne pouvait s'effectuer qu'au détriment de celui qu'on commençait à appeler "l'homme malade de l'ouest musulman". La convention de Tanger, le 27 Ramadan 1260H/10 octobre 1844, fermait la porte du Jihad (officiel) et engageait même le Makhzen aux côtés de la France contre la résistance algérienne (de l'Emir Abdelkader) [16].

Un nouveau tournant décisif de cette époque fut marqué par la signature du traité de 1272H/1856 avec la Grande-Bretagne. Cette dernière, se posant en amie du Maroc, avait réussi à convaincre le Makhzen de la nécessité de l'abolition de tout ce qui pouvait entraver le développement du commerce maritime, afin, prétendit-elle, que le Maroc puisse résister aux puissances étrangères[17]! En réalité, ce traité limitait le champ de manoeuvre du sultan en matière commerciale et douanière, de même qu'en ce qui concerne la juridiction sur le séjour des étrangers et sur les autochtones en liaison supposée ou réelle avec ces derniers.

Ce traité fut donc le véritable point de départ de la pénétration coloniale et impérialiste au Maroc.

2° - LA PERIODE COLONIALE

"Réagissez avant qu'il ne soit trop tard. Contre l'invasion dissolvante, défendez-vous -non par la violence, bien entendu, non par l'inhospitalité et la mauvaise humeur- mais en dédaignant cette camelote occidentale dont on vous inonde quand elle est démodée (...). Encore quelques années, si vous n'y prenez garde, et on aura fait de vous de simples courtiers levantins, uniquement occupés de la plus-value des terres et de la hausse des cotons."

Pierre LOTI [18]

" Sous l'effet des remèdes... le mal a empiré."

Le sultan Hassan 1er [19]

Cette période commence avec le traité de 1272H/1856 et se termine avec la proclamation de l'indépendance en 1375H/1956. On peut y distinguer deux phases :

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la première s'achève avec la signature du traité de 1330H/1912 instituant le protectorat français,

la seconde correspond au protectorat (1330-1375H/1912-1956) et constitue la troisième période intermédiaire de l'histoire du Maroc.

Après avoir maintenu un aspect physique homogène malgré la déstabilisation du système urbain, la médina au cours de cette période verra la naissance, en dehors de ses remparts, d'un nouvel espace reflet d'un modèle civilisationnel agressif et concurrent. Ceci aura de profondes répercussions sur la physionomie de la ville marocaine, laquelle ne reflétera plus les principes fondateurs qui ont été à la base des formes et des contenus de la médina et donnera lieu à un espace bicéphale de par ses références opposées et contradictoires.

Etouffée, la médina ne formera plus qu'une entité parmi d'autres dans une "conglomération" réglée sur des mécanismes ségrégationnistes.

A suivre...

Publié par Larbi BOUAYAD à l'adresse 02:19 0 commentaires

Libellés : HTA 3 Armature Maroc

mercredi 13 février 2008

Histoire de l'armature urbaine du Maroc

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L'HÉRITAGE HISTORIQUE

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LA PÉRIODE PRE-ISLAMIQUE

Tingis[1], Adyla[2], Zilis[3], Lixus[4], Thymiatérian[5], Rusibis[6], Rossadir[7], le site de Chellah[8]... comptoirs commerciaux phéniciens et carthaginois[9] dans le Maroc pré-islamique, localisés principalement sur les côtes du Nord.

Les Romains développèrent cette armature "urbaine" punique et rajoutèrent quelques places fortes au niveau du "lime"[10] sud telles Babba Julia Campestris[11], Volubilis[12] et Oppidum Novium[13]. Les quelques pénétrantes romaines à l'intérieur des terres se justifiaient par un souci de garantir l'exploitation agricole des plaines et plateaux de la Mauritanie Tingitane[14] d'une part, et par la nécessité stratégique de contenir les autochtones, jaloux de leur indépendance, d'autre part [15]. Volubilis et Tingis maintinrent leur importance pendant la domination byzantine -domination contestée par certains historiens[16]- malgré les troubles dus à la fragilité du pouvoir colonial, à un état de révolte chronique et à l'existence de confessions hétérogènes et hétéroclites. En dehors du triangle Tingis-Julia Trajecta (Ceuta)-Volubilis, les liaisons maritimes prédominaient dans la Mauritanie Tinjitane, et même à l'échelle de toute l'Afrique du Nord, notamment pour des raisons de sécurité : "Le Maroc romain semble avoir été relié de manière précaire au Maghreb central ; Tanger communiquait plutôt par mer avec Césarée (Cherchell en Algérie)"[17].

L'ensemble des entités "urbaines" constituait en fait une greffe étrangère, et dont la population cosmopolite se composait exclusivement d'étrangers et d'autochtones ayant entièrement adopté les mœurs de la civilisation conquérante. Les habitants du Maroc n'avaient point encore atteint un stade de fixation susceptible de donner naissance à des concentrations sédentaires à caractère urbain.

Le caractère dominant de cette époque serait donc la présence d'un réseau "pseudo-urbain", de par son manque d'intégration, réseau presque constitué exclusivement de têtes de ponts de la domination étrangère militaire et économique, un ensemble "pseudo-urbain" dénué d'une véritable assise vernaculaire.

LA PÉRIODE DE FORMATION

"L'arrivée de l'Islam au Maroc fut marquée par le passage d'un État de dépendance à un État de souveraineté." [18]

Cette période s'étale des "foutouhats" [19] à l'avènement de la dynastie almoravide. On peut y distinguer trois phases essentielles :

1. la phase des Foutouhats qui correspond à l'arrivée de l'Islam avec les premiers "Fatihoun" [20],

2. la phase de la constitution du premier État musulman indépendant au Maroc par les deux Idriss,

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3. la phase coïncidant avec la première période intermédiaire de l'histoire générale du Maroc (note 4 ; page 21), elle se caractérise par la dislocation de la dynastie idrisside et l'alternance de périodes de domination omeyyade (de l'Andalousie) et obaydite (ancêtre de la dynastie fatimide), et ce jusqu'à l'avènement des Almoravides.

La phase des foutouhats

Durant la première phase, l'« armature urbaine » existante va être exploitée ; on assiste alors à l'apparition d'un nouveau "concept urbain" : la médina, "concept" engendré par une nouvelle organisation des territoires et par un changement des rapports sociaux et spatiaux. D'anciennes bourgades telles que Ceuta, Tanger et Tétouan, vont recevoir ce nouveau "concept urbain" qui va permettre une restructuration de ces entités, les élevant par là au rang de cités. D'autres bourgades, abandonnées, seront ressuscitées telles que Ksar El Kébir, Asila, Sijilmassa et Mellilia [21].

Au lendemain des Foutouhates, on vit l'apparition de nouvelles médinas, villes fondées par diverses tribus autochtones, entreprise alors tout à fait inédite chez celles-ci. "Meknassat ez-zaitoun (l'oliveraie) et Taza ont été toutes deux fondées par les tribus Meknassas znatas, Aghmat par les tribus Haïlana, Sefrou, qui abrita des berbères et des juifs, était soumise aux Kharidjites, et Zerhoune fondée par les Aourabas allait bientôt accueillir Idriss I, fondateur du premier état musulman au Maroc" [22].

Les Fatihoun, soucieux d'accomplir leur mission de propagation de la nouvelle foi, n'accordaient pas la priorité à l'édification de nouvelles cités, exception faite de Kairouan [23]. C'était une étape d'édification civilisationnelle pour certains et de défi pour d'autres. Et lorsque les musulmans ont eu la possibilité de s'exprimer, ils n'ont point pris comme référence de base les conceptions anté-islamiques existantes, mais ont été novateurs d'un espace conforme à leur conception du monde et de la vie. Sijilmassa est bâtie par les Kharijites Safarites, véritable port saharien, en 140H/757 [24].

La phase des premiers idrissides

Durant la deuxième phase de cette période de formation, on assiste à une accélération de la réorganisation entamée durant la phase précédente. Le réseau urbain se restructure en s'articulant autour des voies continentales devenues désormais prioritaires [25] par rapport aux voies maritimes caractéristiques du système de communication pré-islamique, lequel système tournait le dos à l'intérieur du pays possédant seulement quelques pénétrantes qui se justifiaient par un souci stratégique et par un objectif d'exploitation agricole. Cette nouvelle restructuration, accomplie par les premiers musulmans, reflète la symbiose des deux peuples - les nouveaux arrivés arabes et les autochtones berbères - sous la bannière de la foi nouvelle. Tout ceci donna le résultat inédit du réseau urbain intégré au territoire [26], et non plus voué à servir de tête de pont pour des "piqûres hypodermiques" recherchant l'exploitation et la "ponction" des ressources du pays.

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Cette phase, caractérisée par la formation du premier Etat musulman marocain, voit la fondation de la ville de Fès en 192H/808[27], la nouvelle capitale des Idrissides ; Fès, qui devait, de par sa position stratégique, renforcer les voies de communication continentales en créant un centre de gravité à l'intérieur du pays : le territoire idrisside s'étendait de Tanger au "Ribat de Taza", au plateau central jusqu'au pied de l'Atlas, où se localisait Aghmat dès l'époque des foutouhats[28].

Dans la foulée, d'autres cités ont été bâties pour renforcer ce réseau urbain, telle Al Basra "certainement" (sic)[29] édifiée par Idriss II ; seconde capitale bénéficiant d'une importante position stratégique [30], car située au sud de Ksar al Kébir sur l'axe Sijilmassa [31]-Fès-Ceuta.

Concernant Salé, un texte d'Ibn HAOUQAL, datant de 367H/977-8 [32], décrit la situation en ces termes : "Au-delà du fleuve Sbou, dans la direction du pays des Bourghouatas, à environ une étape, coule le Wadi Sala (fleuve Abi Raqraq ou Bouragrag). C'est là que se trouve le dernier lieu habité par les musulmans : un ribat où se groupent les musulmans. C'est sur ce fleuve également qu'est la ville ruinée, dite Sala l'ancienne (Chella)".

La première période intermédiaire de l'histoire du Maroc

La troisième phase de cette période commence par la mort d'Idriss II et la répartition du royaume entre ses fils, lesquels ne vont pas tarder à se faire la guerre, attisant par là les convoitises des puissants empires voisins, les Omeyyades de l'Andalousie et les Obaydites d'Ifriqia (Tunisie actuelle).

Durant la longue agonie des Idrissides, entrecoupée de velléités de renaissance et de restauration du royaume des deux Idriss, et dont l'espoir farouche et persévérant n'avait jamais abandonné l'esprit des princes de la dynastie, on assista à la déstabilisation totale du pays. En 384H/994, Ziri Ibn ATIYA construisit Oujda [33].

Pourtant, et malgré les troubles et l'anarchie de cette période intermédiaire -et la destruction de cités dont l'importance pourrait égaler celle d'une capitale telle qu'Al Basra [34] - l'armature urbaine prouva sa vitalité et sa force, de même que sa vocation à constituer un "squelette" prêt à recevoir d'autres entités urbaines [35].

Un squelette qui allait véritablement développer une assise parfaite pour l'unification et la structuration du pays lors de l'avènement des Almoravides, et former par là une plate-forme pour un rayonnement plus large de la civilisation musulmane de l'ouest.

LA PÉRIODE D'UNIFICATION ET DE STRUCTURATION

Cette période correspond aux règnes des dynasties almoravide et almohade, lesquelles dynasties permirent de réaliser l'unité politique d'une aire géographique s'étendant de Saragosse à Tunis. Durant cette période, on va assister à la consolidation de l'armature urbaine déjà existante par l'adjonction de nouvelles capitales[36].

On peut distinguer deux phases dynastiques :

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- la phase almoravide ou phase d'unification,

- la phase almohade ou phase de structuration.

La phase d'unification

Au milieu du 5e siècle de l'hégire (milieu du 11e siècle), les Almoravides fondèrent leur capitale Marrakech, bâtirent la ville de Tamarrakecht située dans la plaine de Doukkala sur les bords du fleuve Oumerrabi', et développèrent Tlemcen[37].

Désormais, et à partir des Almoravides, le Maroc sera doté de deux capitales, l'une au nord, Fès, ouverte à l'Andalousie et à l'Orient, l'autre au sud, Marrakech, servant de tremplin aux influences sahariennes, une ville dont le rayonnement atteindra le cœur de l'Afrique [38].

Le cœur du Maroc urbain, vu le poids de Marrakech, va se déplacer vers le sud au niveau du triangle Sijilmassa-Marrakech-Fès ; un triangle dont Fès constitue le sommet vers lequel convergeaient les principaux axes commerciaux avec l'Afrique [39].

Cette nouvelle capitale au sud a permis d'organiser les territoires sahariens, de réaliser la cohésion du sud autour du commerce caravanier et d'intégrer ce sud, dans le cadre d'un ensemble unifié [40], au territoire urbanisé du nord, organisé lui autour de Fès [41].

La phase de structuration

Durant la phase almohade, il y avait, pour des raisons politiques, une prédilection pour les villes côtières [42]. Le premier souverain almohade Abdelmoumem Al Goumi prit Rabat comme capitale, déplaçant ainsi le centre de gravité politique, sans pour autant produire une grande incidence sur l'organisation de l'armature urbaine existante qui demeurait structurée autour de deux pôles : Marrakech et Fès [43].

« En l'an 529H (1135), Abdelmoumen ordonna la construction du ribat (fortin) de la ville de Taza. Elle fut construite et fortifiée... » et servit de base pour combattre les derniers almoravides[44].

En 532H/1138, les Almohades fortifièrent la casbah almoravide et toute l'agglomération de Taroudante en la dotant d'une mosquée et d'un hammam[45], mais selon Ibn KHALDOUN ces travaux remonteraient à Abou Yacoub Youssef le Mérinide en 694H/1294[46].

Nous assistons durant cette phase à l'adjonction de nouvelles médinas à l'armature préexistante, la complétant et préparant une assise caractérisée par une certaine cohérence, et appelant plus d'efforts de stabilisation.

Cependant, au 6e siècle de l'hégire (12e s.), la ville de Tamdoult fut ruinée à cause de querelles intestines entre ses habitants ; et à la fin de cette période, les guerres de succession qui opposèrent les Mérinides à la dynastie almohade aboutirent entre 660-668H/1261-1269 à la destruction de Maaden Aouam ; Aghmat, appelée aussi Marrakech Tania (la seconde Marrakech), quant à elle, disparaît à cause de l'essor de Marrakech, capitale incontestée du sud. En outre, malgré ses fortifications, son difficile accès et sa situation en montagne, Aghmat n'avait pas d'arrière pays fertile. Elle s'effondra avec la disparition de la dynastie almohade.

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LA PERIODE D'APOGEE ET DE STABILISATION

Cette période correspond à la phase d'apogée du règne mérinide, règne qui va durer presque trois siècles : la plus grande partie du 7e siècle de l'hégire, le 8e et le 9e (le 13e, 14e et plus de la moitié du 15e siècle). La phase d'apogée de cette dynastie s'étale sur presque un siècle et demi (613-759H/1220-1358[47]).

Il s'agit d'une période de stabilisation[48] et d'"étoffement" de la macroforme urbaine existante.

En effet, les Mérinides ne construisirent pas de nouvelles médinas -à l'exception de Mansoura qui fut détruite par les habitants de Tlemcen [49] - mais œuvrèrent à la dotation de celles existantes à cette époque, de nouveaux équipements structurants [50] et de nouvelles extensions. "Lorsque le mont Tinmel fut occupé par les Mérinides, que les derniers descendants d'Abdelmoumen l'Almohade furent définitivement éliminés et que le chemin de la royauté fut ouvert au sultan Yacoub le Mérinide... il conçut d'ériger une cité destinée à perpétuer son souvenir... où il aurait avantage à s'installer avec sa cour, sa suite et ses gens. Il ordonna alors de bâtir la "ville blanche" (Al madinatou al baïda') jouxtant la ville de Fès..." [51].

Pendant cette période, le Maroc connaissait une phase de prospérité due au commerce caravanier et aux échanges maritimes. L'équilibre de l'armature urbaine héritée des périodes précédentes sera maintenu et renforcé.

Le rôle de Marrakech au sud et celui de Fès au nord demeurent toujours prépondérants tant sur le plan politique qu'économique, scientifique ou spirituel, avec toutefois, une prédominance de Fès à ces deux derniers niveaux. Rabat, ancienne capitale almohade, et désormais ville impériale, va fonctionnellement s'intégrer au sein de l'ensemble des entités urbaines du pays.

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« En ce qui concerne l'organisation de l'espace, on assiste à un équilibre entre le nord et le sud. Ceci a donné naissance à un nouveau centre de gravité caractérisé par une « bicéphalie » territoriale : Fès au nord et Marrakech au sud, en plus d'un essai de création d'un nouveau pôle : Rabat »[52]. Chellah, hors les murs de Rabat, servait de nécropole aux souverains et princes mérinides. Une zaouïa y fut créée, appelée aussi Ribat, servant de lieu de rassemblement et de ralliement pour les expéditions vers l'Andalousie. Notons enfin "la destruction de Taroudante en 703H/1304 lors de la pacification du Souss par Ya'ich Ibn Yaaqoub. En 706H/1307, cette ville fut reconstruite"[53].

DEBUT DE LA RUPTURE DE LA COHERENCE

"Sous les Mérinides, les portugais réussirent à avoir plusieurs têtes de pont sur les côtes marocaines. En l'an 818H/1415, ils envahirent la médina de Ceuta, en 862H/1457, ils occupèrent Ksar al Majaz ... qui était le port marocain le plus proche de l'Andalousie, en 869H/1464, ils prirent Tanger et depuis l'an 818H/1415, les marocains sont en grand conflit avec les Portugais. Cette lutte durera 264 ans ...les Marocains ... les expulsèrent de leurs derniers bastions en 1182H/1768". Chit KHATTAB [54]

Cette période correspond au début du déclin de la dynastie mérinide et dure jusqu'à l'avènement de la dynastie collatérale des Wattassides. Elle englobe un peu plus d'un siècle (759-869H/1358-1465 [55]).

Durant cette période, on va assister à la déstructuration de l'armature urbaine par l'action conjuguée de différents facteurs d'ordre géopolitique et économique :

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l'encerclement de l'Andalousie, notamment après la prise de Ceuta en 818H/1415 et de Tanger en 869H/1465 [56],

l'étouffement du Maroc par la prise des principales villes côtières [57],

le début de la régression du relais saharien de Sijilmassa, notamment à cause de l'expansion portugaise vers les côtes de l'Afrique équatoriale,

le transfert du commerce caravanier vers l'Egypte.

L'impact de l'encerclement de l'Andalousie sur l'armature urbaine du Maroc sera considérable. Il s'est manifesté directement par la perte d'importantes villes portuaires du nord, véritable amputation du corps urbain marocain. En effet, Ceuta et Tanger remplissaient au sein de ce corps la fonction de plaque tournante des échanges afro-européens principalement entre le Maroc et l'Andalousie [58].

La structure de l'armature urbaine marocaine qui s'était organisée autour des axes du commerce Sud-Nord, véritable colonne vertébrale, va être bouleversée par la perte de ses débouchés du nord. De surcroît, l'installation des Ibériques sur les côtes du Maroc contribuera à cette déstabilisation en privant le Maroc de toute vocation maritime jusqu'à l'époque des Alaouites. De fait, les Lusitaniens installeront des ports tout au long de la côte africaine jusqu'en Guinée, transférant l'essentiel du commerce africain à destination de l'Europe vers la voie maritime.

Désormais le rôle d'intermédiaire dans les échanges commerciaux entre l'Afrique et l'Europe sera usurpé au Maroc par les Portugais. Parallèlement, le réseau caravanier empruntera en priorité la voie de l'Egypte à partir du règne d'Abou Inane[59].

Toutes ces conditions amenèrent la régression de Sijilmassa qui remplissait le rôle de relais principal pour le commerce afro saharien au sein des villes marocaines. Nous assistons au début de la perte de cohésion de la macrostructure des entités urbaines marocaines, une cohésion qui se traduisait par un équilibre autour des pôles Fès et Marrakech pour l'intérieur, Ceuta et Sijilmassa, pour les échanges extérieurs. Notons enfin la reconstruction d'Oujda et de Kasbat Belkouch (l'actuelle Béni Mellal), ainsi que la disparition de Makarmeda, d'Al Mansoura, et la destruction par Henri III de Castille de la ville de Tétouan en 804H/1401[60].

LA PERIODE D'INSTABILITE

Cette période commence par l'avènement des Wattassides et s'achève avec la fin du règne de Moulay Ismaïl l'Alaouite (1139H/1227) [ 61] . On peut y distinguer quatre phases :

1. La première correspond au règne de la dynastie wattasside ;2. la deuxième correspond au règne de la dynastie des chérifs saâdiens ;

3. la troisième phase est en réalité la deuxième période intermédiaire - de l'histoire générale du Maroc - qui voit la dislocation de la dynastie des Saâdiens, en l'absence de toute autorité politique jusqu'à l'avènement de Moulay Ismaïl ;

4. la quatrième correspond au long règne de Moulay Ismaïl l'Alaouite qui dura 57 ans.

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C'est une période d'instabilité et de troubles ponctuée de moments calmes. Son caractère général est la rupture de la cohésion entre entités urbaines et ce malgré l'apparition de nouvelles médinas[62]. Il s'agit d'un reflet de l'accentuation de l'instabilité interne et des relations conflictuelles externes dans l'espace territorial.

La phase wattasside

La première phase de cette période fut marquée par la chute de Grenade[63] amenant l'arrivée massive des musulmans andalous au Maroc. Ceci entraîna la reconstruction de Tétouan[64] et le développement de Rabat (à un autre niveau, amenant un malaise politique dans le pays).

Il est à noter que l'afflux des Andalous avait déjà été suffisamment important pour entraîner l'édification de Chefchaouen[65] par un "Zaïm" (chef religieux et militaire), en l'absence d'une autorité centrale forte.

En effet, c'est le peuple et les oulémas (docteurs de la foi) qui se chargeront de la résistance contre l'invasion étrangère. Celle-ci s'est soldée, par ailleurs, par l'occupation des médinas d'Anfa, de Safi (en l'an 910H/1504), de Larache, d'Assila, d'Azzemour (en l'an 914H/1508) et de Maamora [66].

Suite à ces guerres continuelles, plusieurs médinas vont disparaître.

Ainsi, Badis, attaquée par les Espagnols en 926H/1520 et occupée en 961H/1554, fut abandonnée par ses habitants et tomba en ruine. Auparavant, la médina d'Al Homar, qui fut désertée par ses habitants après la chute d'Assila aux mains des Portugais, tomba en ruines en 875H/1471. Les habitants d'Al Mansoura la désertèrent après la destruction d'Anfa par les portugais en 876H/1472 et allèrent se réfugier à Rabat.

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Cette véritable hécatombe de médinas se poursuivit par la chute et la ruine de Tamarrakecht en 919H/1513, suite à la prise d'Azzemour et au transfert de sa population vers la cité Al Madina, située dans la plaine de Doukkala [67].

Dès 875H/1471, les Portugais entreprirent d'installer de nouveaux bastions sur les côtes du Maroc. C'est ainsi qu'ils bâtirent Founti[68] dans le Souss près de l'actuelle ville d'Agadir, Santa Cruz en 880H/1476 (reprise par les Saâdiens en 957H/1550) et Mazagan en 908H/1502.

Cette phase se caractérise, comme il apparaît clairement, par la désorganisation complète du territoire à cause, d'une part, de la disparition ou de l'occupation de plusieurs villes, et d'autre part, à cause de la greffe de nouvelles entités étrangères à l'armature autochtone, entités satellites - de même que les villes occupées - et avant-postes d'une civilisation hostile.

La phase qui correspond à la dynastie saâdienne possède globalement les mêmes caractéristiques que la phase précédente pour ce qui est de la déstabilisation de l'armature urbaine. Il y a donc, de ce point de vue, continuité entre les deux phases surtout pendant les premiers règnes de la dynastie saâdienne qui s'achève par la bataille de Oued al Makhazine[69].

La phase saâdienne

Dès le début du 10e siècle de l'Hégire (16e siècle), il apparaît clairement que l'encerclement du Maroc par les Ibériques n'est plus possible [70] grâce, d'une part à la montée d'une nouvelle puissance en Méditerranée : l'empire ottoman, et d'autre part grâce au dynamisme des confréries religieuses -les zaouias- appuyées sur, et par, le peuple[71]. La plus importante d'entre ces zaouias, celle qui devait jouer un rôle politique déterminant, est celle des chérifs saâdiens.

Partant de Souss, ces derniers menèrent la lutte contre les Portugais, d'une part, et contre les Wattassides, accusés de léthargie et d'incurie face à l'envahisseur, d'autre part. Ils réussirent à reprendre Founti dans le Souss en 947H/1540[72], Safi, Azzemour et Assila en 947H/1541[73] ainsi que Santa Cruz en 956H/1550. Signalons encore que lors de la reprise de Founti, le roi Abou Abdallah CHEIKH construisit la ville et le port d'Agadir[74].

Il s'agissait véritablement d'un événement exceptionnel durant cette période, car la plus grande partie des médinas nouvellement édifiées le furent par des chefs religieux de zaouias (zaïms) telles Bejaâd (construite par le chef Bouabid CHARKI) et de Ouazzane (construite par Moulay Abdallah CHERIF).

Si les Ibériques n'avaient pu ni encercler le Maroc ni l'envahir, ils avaient néanmoins réussi à l'étouffer sur le plan économique et commercial en le privant de ses ouvertures sur le monde extérieur. A l'est, un statu quo avec l'empire ottoman[75] contribuait d'autant à cet isolement. Les seules relations extérieures ayant quelque importance étaient maintenues avec les Etats (protestants) de l'Europe du Nord.

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"Officiellement", afin de remédier à cet isolement et de renouer les liens avec une Afrique de plus en plus pénétrée par les Portugais, qui déviaient à leur profit le commerce africain, Al Mansour Dahbi conçut le projet malencontreux d'attaquer l'empire du Mali[76]. "Sa seule grande expansion, le Maroc la connut alors du côté de l'Afrique Noire... Mais est-ce un triomphe pour le grand commerce mondial, une ouverture véritable du monde marocain ? La présence portugaise dans l'Atlantique draine maintenant une partie au moins de l'or de l'Afrique vers les rivages, affaiblissant d'autant les routes sahariennes, et Tombouctou... il semble bien... qu'on ne doive parler d'"ouverture" qu'avec prudence. Pour le Maroc chérifien, ombrageusement replié sur lui-même et thésauriseur, le Soudan fut beaucoup moins un poumon, une fenêtre sur le monde, qu'une réserve... intégrée à un orbe clos" [77].

Le Maroc va se contracter [78] : les villes qui sont soumises à des sièges ou attaques se replient sur elles-mêmes. C’est là l’image micro spatiale de la stagnation globale que subit la macrostructure urbaine dans son ensemble. Un autre phénomène qui participe de la crise est le retour à une "civilisation rurale" et le développement de la vie nomade.

La seconde période intermédiaire du Maroc

La troisième phase de cette période qui correspond à la seconde période intermédiaire (voir note 4 à la page 21), a duré près de 70 ans. Au lendemain de la mort d'Al Mansour Dahbi, l'empire saâdien se divisa en deux royaumes antagonistes : le royaume de Fès et celui de Marrakech. Ceci créa un climat d'instabilité totale favorable aux visées étrangères [79] et précipita la fin de la dynastie saâdienne. Au milieu de ce désordre, des villes naguère florissantes telles Fès et Marrakech furent victimes des guerres civiles incessantes découlant de conflits entre les princes saâdiens[80]. Les famines et les épidémies qui se succédèrent sur le pays ne firent qu'empirer une situation déjà fort mauvaise.

C'est à la même époque que le Maroc vit l'afflux des Morisques[81] ; ceux-ci installèrent de petites républiques indépendantes dans plusieurs villes notamment à Chefchaouen, Rabat, Tétouan, etc. Les Morisques entamèrent la course contre les bateaux chrétiens, ce qui contribua au développement et à l'enrichissement de ces villes[82] mais les exposa aux attaques punitives des puissances européennes.

A la même époque Maâmora (Mehdia) fut occupée par les Espagnols en 1022H/1614. Marrakech marginalisée, un nouveau circuit économique s'installa entre Fès, Tétouan et Salé. Désormais le centre de gravité de l'armature urbaine va se situer au niveau de ce triangle qui représenta un circuit presque fermé s'il n'était alimenté par la course.

Après la chute des derniers bastions saâdiens, le Maroc sera divisé en trois principautés importantes : celle constituée par la zaouïa dilâi autour de la ville de Dilâ [83], celle constituée par la zaouïa semlalienne avec comme capitale la ville d'Iligh que ses adeptes semlalis construisirent dans le Souss qu'ils dominaient, et enfin, celle des chérifs alaouites autour des ksours de Tafilalet dont la capitale fut Sijilmassa. La principauté dilâite parvint à dominer les voies commerciales entre Fès et Marrakech et profita du commerce international à travers les ports de Salé et de Tétouan. Les Semlaliens parvinrent à chasser les Espagnols du port d'Agadir et fondèrent le port de Massa pour leurs relations avec les Européens.

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Le Tafilalet connut un regain d'importance avec le déclin des Saâdiens pour plusieurs raisons : la crise du commerce atlantique et l'insécurité qui sévissait dans les autres pays du Maghreb amenaient les caravanes à dévier leurs itinéraires habituels vers Sijilmassa.

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Cette période d'instabilité va s'achever avec l'élimination des deux principautés dilâite et

semlalienne par les chérifs alaouites : la ville de Dilâ sera saccagée par les Alaouites en

1079H/1666, de même Iligh sera détruite en 1081H/1670.

Cette phase va s'achever par la réunification du pays sous un pouvoir fort, lequel tentera de nombreux efforts de structuration du territoire, mais sans toutefois parvenir à réinstaller la cohésion qui caractérisait la macroforme urbaine aux périodes d'apogée et de stabilité.

Le règne de Moulay Ismaïl l'Alaouite

La quatrième phase de cette période débuta avec la fin de la deuxième période intermédiaire de l'histoire du Maroc correspondant au commencement du règne de Moulay Ismaïl l'Alaouite et s’acheva avec la mort de ce roi. L'action de ce souverain pour la restructuration de l'armature urbaine se situe à trois niveaux complémentaires :

- Au sud : la maîtrise du commerce caravanier Sud-Nord[84] s'effectue notamment à travers l'alliance avec les tribus Maâqil du Sahara et la nomination d'un Caïd (administrateur et chef militaire) marocain à Chenguit. La prise de Touat permet le contrôle d'un passage obligé pour les caravanes. La zaouïa Qadiriya se déplaça vers Asmara et Chenguit, et se chargera d'assurer la sécurité des voies commerciales de la région. En ce temps, la voie de Tombouctou deviendra plus importante que celle de Gao. On peut dire que le Makhzen[85] put ainsi contrôler tout le réseau caravanier[86]. La prise de Laghouat et de Aïn al Mehdi permit de dévier, au profit du Maroc, les caravanes qui se dirigeaient vers l'est. Notons enfin qu'en 1082H/1671, le souverain alaouite restaurera Taroudante et installera une population rifaine déportée de Fès (afin de repeupler Taroudante après les batailles qui l'avaient opposé aux princes Mahrez et Harrane). On assiste donc à une tentative de redynamisation des relations commerciales avec l'Afrique mais il ne s'agissait plus, en réalité, que de la gestion d'un trafic déjà ébranlé par les transformations géopolitiques ayant affecté toute la région de l'Afrique du Nord [87].

- Au centre : les conditions difficiles que connaissait le Maroc à l'époque (la sécheresse, la famine, les troubles...) poussèrent certaines tribus berbères des montagnes à déferler sur les plaines. Pour contrer cette poussée, le sultan mena plusieurs campagnes, installa une série de casbahs et de forteresses (plus de 170 casbahs) et en restaura d'anciennes –notamment Adkhissen en 1100H/1688, c'est l'actuelle Khénifra bâtie par l'Almoravide Youssef Ibn TACHAFINE et détruite depuis[88]-. Les plus importantes parmi ces casbahs sont : Casbah Tadla, Settat, Qalâat Sraghna, Al Casbah Lekbira dans le Tadla[89] ; Azrou, Qalâat Sefrou, Chrarda, Midelt, Laayoune (du nord), Taourirt et Lamsoune dans le Moyen-Atlas et le plateau central[90].

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- Sur les côtes : la reprise des côtes occupées par les Européens permit de doter le pays de débouchés maritimes pour le commerce. Mehdia fut reprise aux Espagnols en 1092H/1681, Tanger reprise aux Anglais en 1095H/1683, Larache et Assila furent délivrées des Espagnols respectivement en 1100H/1688 et 1102H/1690. Salé connut un essor considérable[91] à l'époque tandis que Safi accusa une régression suite au déplacement de la capitale du royaume de Marrakech vers Meknès et suite au départ des consulats et des commerçants vers le nord.

Le Makhzen s'était assuré le contrôle des deux axes commerciaux intérieurs les plus importants :

- Le premier reliait le sud et le nord du pays en partant du Sahara[92], passant par Taroudante, Marrakech, Meknès et aboutissant à Tanger.

- Le second axe reliait l'est du Maroc à l'ouest partant de Tlemcen et passant par Taza, Fès, Meknès et Salé.

On assista donc à un nouveau recentrage du centre de gravité de l'armature urbaine situant celui-ci au niveau de Meknès, la capitale ismaïlienne. Des casbahs furent érigées tout au long de ces deux axes pour assurer la sécurité des caravanes, leur servant aussi de stations de ravitaillement. Meknès va supplanter Fès dans le rôle de plaque tournante au sein de la macroforme urbaine au niveau des liaisons nord-sud et est-ouest. Fès sera de plus éprouvée par les lourdes charges et contributions imposées par le Makhzen et par la perte d'une bonne partie de sa population (déportée vers Taroudante) [93].

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"Maknassa aux oliviers est l'une des cités anciennes en terre marocaine, construite par les berbères. Les Almohades l'assiégèrent pendant sept ans [94] avant de la prendre par la force et de la détruire au milieu du 6e siècle de l'Hégire (12e siècle). Par la suite, ils bâtirent le nouveau Meknès : Takrart... Après eux, les Mérinides construisirent sa kasba et y érigèrent mosquées, médersas et zaouïas. A l'époque, elle était le siège du vizir comme Fès Jedid était le siège du prince ... Le commandeur des croyants (Moulay Ismaïl), après en avoir terminé avec Fès [95] , y retourna (à Meknès) et entreprit d'y bâtir des palais..." [96]

Le roi mit à contribution tout le pays pour la construction de sa nouvelle capitale[97]. « Le sultan alawite en fit "une sorte de Versailles rustique et militaire" » [98].

Cette phase reflète, malgré les farouches tentatives de redressement de Moulay Ismaïl, l'enfoncement inéluctable du Maroc dans l'isolement, le statisme et l'instabilité.

"Le Maroc, fragile "agrégat de groupements", maintenu par la seule autorité du prince - quand elle existait -, déchiré par la turbulence berbère et le prétorianisme noir, le Maroc resta seul, enfermé dans un Islam qui mariait "l'idéologie alide" et le çûfisme à un malékisme rigoureux..." [99].

Au niveau des médinas, cela se traduira par une stagnation, et parfois même, par une régression sur les plans architectural et urbain.

SYNTHESE DE L'HERITAGE HISTORIQUE

Nous avons assisté durant ces périodes réunies sous le nom d'héritage historique à ce qu'on pourrait appeler : l'aventure de la macrostructure urbaine au Maroc.

Cette "aventure" a commencé par une longue gestation qui a duré près de deux mille ans. L'arrivée de l'Islam constituera le véritable point de départ de la structuration de l'armature urbaine marocaine, dotée désormais et jusqu'à l'époque "moderne" d'une véritable assise "vernaculaire". L'événement marquant de cette époque demeure l'apparition d'une nouvelle forme d'urbanité basée sur les principes fondateurs de la civilisation musulmane et matérialisée par la Médina.

Le système urbain sera désormais intégré au territoire, chose qui va lui permettre de réaliser sa vocation naturelle née de par sa position stratégique et qui le destinait à servir de "lieu d'échanges et de rencontre" entre les peuples.

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Cette structuration se poursuivra pendant les périodes ultérieures jusqu'aux Mérinides dont le déclin amorça la déstructuration, entamée d'abord par la prise des villes côtières et ensuite par la crise du commerce saharien.

L'étouffement du Maroc va être total lorsque les Ottomans s'installeront dans leur province de l'Algérois (la régence d'Alger). A partir de cette époque, en effet, le Maroc s'enfermera dans l'isolement et l'immobilisme pour des siècles.

Ayant perdu sa vocation, l'armature urbaine va "vivoter" tant bien que mal, et connaître un ralentissement des activités de même qu'un relâchement des liens externes et internes.

C'est dans une telle situation, et avec un tel "acquis", que le Maroc dut faire face aux défis de l'ère précoloniale, à un moment où en Europe le capitalisme naissant se préparait à effectuer la révolution industrielle.

[1] - Tanger, première installation humaine dans la région, remontant à 2.000 ans avant J.C. ; c'était le principal port punique en Méditerranée.

[2] - L'actuelle Ceuta, la Julia Trajecta des Romains et la Septa des Byzantins. Elle va garder un rayonnement exceptionnel de par sa position de lien géographique entre les deux ailes de la civilisation musulmane de l'ouest (Maghreb et Andalousie).

[3] - L'actuelle Asila, à 50 km au sud de Tanger.

[4] - Ville disparue dont les ruines se trouvent à une dizaine de km au nord-est de Larache.

[5] - L'actuelle Mehdia, à 12 km au sud-ouest de Kénitra (ex-Port-LYAUTEY).

[6] - L'actuelle El-Jadida, reconstruite par les Portugais en 911H/1505 (ex-Mazagan).

[7] - L'actuelle Mellilia.

[8] - La Sala Colonia des Romains située à Rabat.

[9] - « Des foyers de civilisation existaient ; mais ils étaient en fait "marginaux, et leur civilisation est à rattacher au monde méditerranéen dont elle est importée"… : ce sont Tanger, Lixus, Sala et Essaouira. Leur situation sur la côte océanique plaide en faveur d'activités commerciales prospères, et donc d'ouverture, de contacts variés et soutenus. On admet aujourd'hui que la plupart de ces villes-comptoirs ont été occupées par les Phéniciens. On est toutefois en droit de se demander si l'action phénicienne a amené une création ex-nihilo, ou si elle contribua seulement au développement d'établissements pré-existants..Le reste du territoire était sous l'influence d'une civilisation "libyco-berbère" : cette majeure partie du pays était demeurée, jusqu'à preuve du contraire, en dehors des courants d'origine méditerranéenne. » Abdelaziz TOURI, "Des origines à l'avènement de l'Islam" in "La grande encyclopédie du Maroc : l'Histoire", p.16-17.

[10] - "Lime" : terme latin qui signifie frontière de l'empire romain, frontière matérialisée par des fortifications et des ouvrages de défense.

[11] - L'actuelle Ouazzane.

[12] - Ville disparue dont les ruines se situent près de Moulay Idriss Zerhoune.

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[13] - L'actuelle Ksar el-Kébir.

[14] - Partie nord du Maroc actuel.

[15] - "Le réseau urbain de la Mauritanie Tingitane à l'époque romaine est bien connu, grâce aux nombreuses descriptions des géographes antiques. De leurs relations il ressort que le Maroc urbain s'organisait autour de deux grands axes nord-sud, l'un côtier, l'autre continental, jalonnés par plusieurs centres d'importance inégale. Du nord au sud, la route côtière partait de Tanger et aboutissait à Sala en passant par Ad Mercuri, Zilil (Dchar Jdid actuellement), Tabernae, Lixus, Frigidae, Banasa et Thamisuda. Quant à la route intérieure qui reliait Tanger à Tocolosida, elle passait également par Ad Mercuri, carrefour des deux routes, puis par Ad Novas, Oppidum Novum, Tremilis, Vopisiana, Babba Campestris, Aquae Dacikae et Volubilis." A. TOURI, op. cité p.31.

[16] - "En 533, Byzance entreprit d'expulser les vandales des territoires qu'ils occupaient depuis environ un siècle... Cette reconquête byzantine a-t-elle pour autant touché la Mauritanie Tingitane ? A ce propos, les textes autant que l'archéologie restent muets... Les quelques rares objets byzantins qu'on a découverts ne peuvent attester une présence effective ; ils ne peuvent qu'indiquer que des relations existaient entre ces régions, indépendantes depuis déjà deux siècles, et le reste de la Méditerranée. Dans le nord, les fouilles... ont montré l'absence de toute occupation étrangère dès la fin du 4e siècle ou le début du 5e siècle. La ville de Tanger... n'a livré aucun document archéologique qui puisse en faire une place forte byzantine. Il reste qu'un épisode célèbre, relaté par les chroniques arabes, montre que la ville de Ceuta (Septem) était, au moment de la conquête musulmane, le siège d'un gouverneur wisigothique ou byzantin ..." A. TOURI, op. cité p.37-38.

[17] - Roger LETOURNEAU, "Fès avant le protectorat", édition Laporte, Rabat 1987, p.38.

[18] - AZIZ, MOUNCHIH et TITA, « Les médinas du Maroc, possibilités et limites de leur réhabilitation », M.E.N.A. Rabat 1990, p.300, tome II.

[19] - Période d'expansion de l'Islam.

[20] - Membres d'une expédition de propagation de l'Islam.

[21] - Les deux premières sont construites par les Ktamas, la troisième par les Meknassas et la quatrième par les Béni Yafrane.

[22] - Aziz, Mounchih et Tita, op. cité p.302, tome II, Mutatis Mutandis.

[23] - C'était avant tout une base d'opérations et de défense, telles Bassora et Koufa en Irak.

[24] - Cf. NACIRI, op. cité, p.111, tome I.

[25] - "Dès leur premier bond, les cavaliers arabes ont utilisé le chemin de terre." Roger LETOURNEAU, op. cité p.38.

[26] - « "Dans notre Occident européen", écrit Paul BUTTIN en citant J. WEULERSSE ("Le drame du Maroc", p.25), "gens des villes et gens des champs sont issus de la même souche ... En Orient au contraire, et aussi au Maroc, la ville apparaît comme un corps étranger ... "enkysté" dans le pays". Son origine n'est pas une concentration spontanée de forces autochtones" mais "une implantation artificielle provoquée par des maîtres étrangers" ». Ladislav CERYCH op. cité p.224. Cette vision est tout à fait subjective et erronée, mais elle n'est guère surprenante du moment que l'approche qui la sous-tend s'inscrit dans un contexte colonial. Il est significatif de constater que l'ouvrage de BUTTIN qui cite WEULERSSE date de 1955, période de confrontation qui accentue la position colonialiste actuelle qui a toujours visé à dresser arabes contre berbères et villes contre campagnes (supposées refléter la même antinomie). Alors que l'Islam, comme souligné plus haut (note 4, p.14), que les arabes ont communiqué aux berbères -entre autres- permet la fusion entre les peuples pour la réalisation d'objectifs communs. Notons, pour notre part, que c'est en Occident, même si l'on admet que les gens des villes et ceux des campagnes sont issus de la même souche, que l'on a vu la naissance des "Jacqueries" (ou révoltes

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paysannes), lesquelles n'étaient pas des mouvements de tribus poussées par la sécheresse, mais de véritables insurrections et actions de revendication sociale et politique, certes dirigées contre les nobles et le clergé en premier lieu, mais aussi, et peut être surtout contre les bourgeois des villes qui, lorsqu'il s'agissait d'exploiter la paysannerie, n'étaient jamais en reste (consulter, par exemple, Benoît GARNOT, "Croquants et Nu-Pieds prennent les armes" in Historia & Historama N° 32, novembre-decembre 1994, p.102-109).

[27] - Cf. NACIRI, p.151, tome 1.

[28] - « … en (87H) 705, un des hommes de Oqba, du nom de Chaker, y édifia une mosquée ». Aziz, Mounchih et Tita, op. cité, p.288, tome 1.

[29] - D. EUSTACHE, "La capitale idrisside et son port" in Hespéris 1er et 2ème trimestre 1955, p.228.

[30] - Ibid.

[31] - Capitale à cette époque de l'émirat Kharidjite des Béni Medrar.

[32] - "Kitab Al Massalik" (Livre des voies juridiques) cité par J. CAILLE dans "La ville de Rabat jusqu'au protectorat français" in Histoire et Archéologie, p.36, vol. I.

[33] - "... la dota de murailles et de fortifications ... et s'y installa avec sa famille et sa suite ... en fit sa capitale car elle était située au centre de sa principauté : les deux Maghrebs extrême et central." NACIRI, p.195, tome I.

[34] - "El Bakri la décrit (et nous informe qu') elle fut ravagée par Ibn Abi al Afiâ lors de la poursuite des Idrissides" Aziz, Mounchih et Tita, op. cité p. 290. Hassan El Ouazzan dans "La description de l'Afrique" parle de la destruction de Nekkour en 316H/929 par ce même Moussa Ibn Abi al Afiâ qui s'était fixé comme objectif - de connivence avec les Obaydites - l'extermination des Idrissides. Toutefois NACIRI nous informe qu'elle fut détruite une autre fois en 369H/990 par Bolloggine SANHAJI. Cf. NACIRI, p.190, tome 1.

[35] - "Telles Tamdoult bâtie par un petit-fils d'Idriss I à proximité d'une riche mine d'argent, dernier point habité avant la traversée du désert (voir carte), El Homar bâtie par Ali Ben Mohammed ben Idriss en 222-232H/836-846, ainsi que Makermeda bâtie par les souverains Zénètes. Larache, jusqu'ici un centre "populeux" (selon Al Bakri - décédé en 487H/1094 - "Description de l'Afrique Septentrionale" traduit en 1913 par Mac Guckin de Slane) prit son essor lors de la formation du Ribat-Harat al Ahchis." En parallèle, on assiste à l'édification d'un Ribat à Salé par les Banou Achara et l'entrée des Zénètes à Anfa (l'actuelle Casablanca) ... Les tribus Meghouara qui ont à ce moment établi leur autorité sur Fès et Tlemcen fondèrent la capitale Oujda entre les deux premières." Aziz, Mounchih et Tita, op. cité, p.305, tome II.

[36] - André MIQUEL, op. cité p.202.

1 - Concernant Marrakech et Tlemcen, il est à noter que Youssouf Ibnou Tashafine les érigea respectivement en 454H/1062 et 474H/1082.

[38] - Surtout au moment où la dynastie saâdienne en fera sa capitale.

[39] - Sénégal-Taroudante-Marrakech-Fès-Ceuta-Andalousie, Mali-Tamdoult-Marrakech-Fès, Ghana-Sijilmassa-Sefrou-Fès et Ghana-Marrakech-Fès. (voir carte, p.32 de ce Livre).

[40] - Les Almoravides ont édifié d'autres médinas pour servir cet objectif stratégique et économique telles Taroudante, Targa (les Oudayas de Rabat), Hisn Daï (l'actuelle Béni Mellal - Hisn veut dire bastion), Adkhissan (l'actuelle Khénifra)... et l'amélioration des défenses de Safi et d'Azzemour enlevées aux hérétiques Bourghouatas.

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[41] - Sur le plan micro-territorial, les Almoravides unifièrent les deux Adouas (rives) de la ville de Fès en la ceinturant par une seule fortification.

[42] - Fondation d'Al Mehdia, d'Al Mansoura située à 3 km de l'Océan Atlantique à mi-distance de Rabat et d'Anfa, de Ksar al-Majaz (Ksar esghir) base d'escale pour la traversée du détroit vers l'Andalousie, de Maaden Aouam, ville minière dont les habitations étaient en bois, bâtie par un ministre d'Abdelmoumen...

[43] - "Les médinas de la période de formation, selon leur importance et leur emplacement, virent leurs fonctions se confirmer dans le cas de Ceuta, Assila, Tanger, Badis (située au bord de la Méditerranée, connue chez les Espagnols sous le nom de Velez de la Gomera), Larache et Mellilia. Toutes sont des médinas portuaires situées essentiellement au nord. Au centre, Salé, Anfa, Azzemour et Safi connurent le même sort. Pour d'autres médinas qui ne remplissent pas leurs fonctions, elles se réduisent et disparaissent telle Aghmate ... Pendant ce temps, Taroudante est la principale médina du Souss, ainsi que Sijilmassa qui demeure un lieu de commerce très important". Aziz, Mounchih et Tita, Mutatis Mutandis, op. cité p.309, tome II.

[44] - NACIRI, op. cité p.99, tome II.

[45] - RAHAL et MAANOURI in "Etude architecturale de la médina de Taroudante", M.E.N.A. Rabat 1988.

[46] - Ibn KHALDOUN, "Al 'Ibar" ("Les leçons de l'histoire") p.290, tome VII.

[47] - Date de la mort du roi Abou Inane, considérée par l'historien Ahmed Ibn Khalid NACIRI (1250-1315H/1834-1897) comme "... la première brèche apparue dans l'édifice de la dynastie mérinide", op. cité, p.205, tome III. Ce jugement de NACIRI, suite à la mort tragique d'Abou Inane décrite par Ibn KHALDOUN contemporain de ces événements, souligne effectivement le début du déclin de cette dynastie et la fin de la période d'apogée de leur règne.

[48] - "Les premières années du règne mérinide correspondent à l'inertie de l'héritage des deux dynasties almoravide et almohade". Aziz, Mounchih et Tita, op. cité p.309, tome II.

[49] - "En 1303 (702-703H), après la première conquête mérinide de Tlemcen sous le gouvernement d'Abou Ya'qûb Yûsuf, la construction de la grande mosquée de Mansûra fut entreprise dans la nouvelle cité fondée hors les murs de l'ancienne". J.D. HOAG, "Architecture islamique" (traduit de l'anglais), édition Gallimard/Electa, Milan 1991, p.54. En fait, les Mérinides fondèrent la cité de Mansoura prés de Tlemcen, durant le long siège de cette dernière. A la levée du siège, les habitants de Tlemcen détruisirent Mansoura pierre par pierre.

[50] - mosquées, médersas, hôpitaux, fondouks, marchés ... "Tous les califes du 14e siècle employèrent leur zèle à créer des Médrasas (Médersas) où l'en enseignait les principes de la doctrine sounnite et qui permettaient de former les fonctionnaires qualifiés pour le Makhzen ..." J.D. HOAG, op. cité, p.55. Voir également le chapitre "L'édification des Madrasas des sciences dans la cité de Fès" NACIRI, op. cité p.111, tome III.

[51] - NACIRI, op. cité, p.44, tome II. Cette "ville blanche", dans l’enceinte de la médina, est désignée actuellement par "Fès Jdid" (la nouvelle Fès).

[52] - Aziz, Mounchih et Tita, op. cité p.309, tome II.

[53] - Aziz, Mounchih et Tita, Mutatis Mutandis, op. cité p.156, tome I.

[54] - Mahmoud Chit KHATTAB in "Qâdat al fath al islami : al Maghreb al ‘arabi" (Les chefs de l'expansion musulmane : le Maghreb arabe -en arabe-), édition Dar al Fikr, Beyrouth 1966, p.201.

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[55] - "Et ainsi disparut du Maroc avec sa mort (Abdelhaq Ibn Abi Saïd, le dernier des Mérinides dont le règne, qui a duré 46 ans a été le plus long des règnes des souverains mérinides) la dynastie des Béni Abdelhaq (son fondateur), et seul demeure Dieu !" NACIRI, op. cité p.100, tome IV.

[56] - "Partant de Ceuta, les soldats portugais par milliers l'attaquèrent (Tanger), l'occupèrent pendant plus de deux siècles puis l'offrirent à titre de dot aux Anglais en l'an 1074H (1663)" NACIRI, op. cité p.98, tome IV.

[57] - Mellilia tomba en 853H/1449. "La prise d'Anfa par les Portugais a eu lieu vers 874H (1469), ils l'ont détruite et laissée ainsi durant plus de 40 ans. Ils entreprirent ensuite sa fortification et sa reconstruction et y demeurèrent jusqu'à 1054H (1644)" NACIRI, op. cité p.116, tome IV. La prise d'Anfa s'est effectuée pendant l’interrègne entre Mérinides et Wattassides qui va durer six ans (869-875H/1465-1471). Asilah tombera entre les mains des Portugais au début du règne des Wattassides en 876H/1471.

[58] - De plus, l'impact stratégique de ces pertes fut rapidement décisif, dans la mesure où il précipita la fin de l'indépendance de l'Andalousie musulmane.

[59] - Déjà, vers la fin de la période d'apogée, Abou ‘Inane tenta de remédier à cela par l'envoi d'ambassades au coeur de l'Afrique, tel IBN BATTOUTA à Tombouctou, par exemple. "Rentré au Maroc, IBN BATTOUTA se rend à Marrakech, ruinée par la guerre entre le père et le fils mérinides, et c'est là qu'il recevra sa première mission officielle. Abou 'Inan, après s'être débarrassé de son père, cherche à rétablir le contrôle des Mérinides sur l'Afrique du Nord, en commençant par Tlemcen. Or Tlemcen est l'aboutissement de la route de l'or du Sahara, et le Mérinide veut dévier cette route vers le Maroc. Il charge alors IBN BATTUTA, au début de l'année 1352, d'une ambassade au Mali. Le récit de ce dernier voyage, de près de deux ans, est sans doute le plus précis et peut-être le plus intéressant parce qu'il entend renseigner son souverain en nous fournissant en même temps les premières informations directes sur les pays du sud du Sahara." Stéphane YERASIMOS, "Vision d'un siècle" in "Fès Médiévale", éditions Autrement, série Mémoire n° 13, février 1993, p.63.

[60] - Ali MAHJOUBI, op. cité, p.7646 vol. 13, ainsi que René LHENAFF et Ramon Garcia PELAYO, p.2389 vol. 4.

[61] - Après avoir délivré Mehdia, Tanger, Larache, Assila et assiégé Ceuta.

[62] - Chefchaouen, à l'époque des Wattassides, Bejaad, Ouazzane et Dilâ à l'époque des Saâdiens, Tadla, Settat, Qalaat Sraghna, Azrou, Adkhissen (Khénifra), Chrarda, Midelt, Layoune (du nord), Taourirt, Lamsoun... par les Alaouites.

[63] - "... le 25 novembre 1491 (897H), le vizir Abû al Qâcim El Mûlîh signa à Santa Fé la capitulation de Grenade... Les rois catholiques prirent possession de Grenade le 2 janvier 1492 et y entrèrent personnellement le 6... La bannière castillane fut hissée sur la Tour du Guet de l'Alhambra ..." Rodrigo de Zayas, "Les Morisques et le racisme d'Etat" édition La différence 1992, p.190.

[64] - Reconstruite aux alentours de 900H (avant 1500) avec la permission du premier roi wattasside. "Lorsque les Espagnols prirent Grenade, de nombreux Andalous partirent pour le Maroc et s'installèrent à Martil près de Tétouan... Le roi leur désigna l'emplacement de la médina de Tétouan, en ruine depuis 90 ans ... le chef des Andalous, désigné par le roi, entreprit la restauration des remparts de l'ancienne médina, construisit la grande mosquée et s'installa dans la nouvelle cité ainsi reconstruite... Une guerre continuelle s'installa entre Tétouan et les Portugais de Ceuta analogue à celle qui s'était établie entre la population d'Azzemour et les Portugais de Mazagan." NACIRI, op. cité, p.124-125, tome IV.

[65] - "... la ville de Chefchaouen a été édifiée par des Chorfas ALAMI dans le but de protéger les musulmans des chrétiens de Ceuta, en effet depuis que ceux-ci s'y étaient installés, ils ne cessaient d'attaquer les habitants des villages de la région." NACIRI, op. cité p.121, tome IV.

[66] - Maamora, porte aussi le nom de Mehdia, est occupée en l'an 921H/1515 et reprise cinq ans après.

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[67] - "Description de l'Afrique" de Léon l'Africain.

[68] - "... ils y demeurèrent soixante douze ans avant d'être délivrée par le Sâadien Mohammed CHEIKH en 947H/1540 ..." NACIRI, op. cité, p.19, tome 5.

[69] - Connue aussi sous le nom de la bataille des trois rois : Abdelmalek, frère et prédécesseur d'Al Mansour Dahbi, Mohammed-Al Moutawakil et Sébastien d'Aviz, tous morts sur le champ de bataille en 986H/1578.

[70] - Ils parvinrent néanmoins à déstabiliser durablement le pays. "Nos sources traditionnelles de richesse s'assèchent et le rôle d'intermédiaire que nous jouions au Moyen-Age, entre les cités d'Europe et les pays du Niger, nous est enlevé. L'axe fortement imprimé jadis qui reliait Ceuta, Tétouan, Fès et Sijilmassa, se détend de plus en plus pour disparaître au début de ce siècle. Le Maroc pour qui le trafic maritime n'était qu'un complément doit se tourner vers la mer, sans aucun profit. Par la mer en effet vient l'envahisseur. Pour se défendre contre lui, on devient pirate. Ce qui convient parfaitement au commerçant de l'Europe qui alimente nos propres réactions en pratiquant lui-même la piraterie. Ce faisant, il obtient deux résultats positifs : il fournit à sa marine des galériens musulmans, il étouffe à la base toute velléité marocaine de substituer au commerce caravanier mourant, un commerce océanique normal. Nous restons donc sous sa dépendance. Lui seul peut commercer pour nous. Ce n'est pas un hasard si la course disparaît au XVIIIe siècle. Elle disparaît, non que les "barbaresques" soient devenus raisonnables, mais parce que les techniques européennes ont progressé au point de dispenser la marine de la force des galériens et de laisser loin derrière elle les techniques rudimentaires de notre société toujours féodale." "Histoire du Maroc", ouvrage collectif avec la collaboration de Michel TERRASSE, édition Hatier, Paris 1967, p.182. Hormis les quelques erreurs dues à l'inévitable référence à l’histoire européenne -le véritable "obstacle épistémologique" de "l'européocentrisme scientifique" chez "nos" chercheurs- (le fait de parler de la "féodalité", à titre d'exemple), ce texte rend assez bien compte des mutations qu'ont connu les rapports de force entre le Maroc et l'Europe.

[71] - "... manifestation d'un Islam militant et de masse, dont la vivacité est sans conteste le trait majeur de l'histoire marocaine et même maghrébine au 15e et 16e siècles." A. MIQUEL, op. cité p.209.

[72] - NACIRI, op. cité p.19, tome V.

[73] - "Reprises sans combat". NACIRI, op. cité p.19-20, tome V.

[74] - Abou Al Abbas al Qâdi in "Al Mountaqa al Maqsour âla maâtir al khalifa al Mansour" (Précis de récits choisis autour des œuvres du calife Al Mansour) cité par NACIRI, même source, p.20, tome V.

[75] - "Des efforts diplomatiques de la part des Ibériques ont pu détériorer les relations entre les Saâdiens et les Ottomans, surtout durant le règne d'al Mansour." Mutatis mutandis, Mahmoud CHAKIR in "At-tarikh al Islami, bilad al Maghrib" (Histoire islamique, pays du Maghreb –en arabe-), p.327 et 328 tome XIV.

[76] - Consulter pour plus de précisions NACIRI, op. cité p.114, tome V, et notamment la fameuse affirmation : « Souveraine des pensées est la pensée du roi ! » par laquelle son conseil appuya son projet africain.

[77] - A. MIQUEL, op. cité p.269-270.

[78] - C'est à ce moment, semble-t-il, qu'est apparu le mot "Maroc" : "Il résulte, on le sait , de la contraction de Marrakech, capitale principale ; soit la partie pour le tout, mais un tout fortement réduit. La contraction par elle-même devient révélatrice : nos limites géopolitiques imprécises par excès pendant le Moyen-Age sont devenues imprécises par défaut depuis le XVIe siècle". Ouvrage collectif, "Histoire du Maroc", op. cité, p.181.

[79] - Le royaume de Fès pactisa avec les Espagnols et leur céda Larache en 1019H/1610. Pour ne pas être en reste, celui de Marrakech s'"acoquina" avec les Portugais et leur céda El Jadida.

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[80] - "En l'espace de 14 mois, six rois se sont succédé au gouvernement de la ville (Marrakech), au point que celle-ci a été ravagée tant à l'intérieur des remparts, qu'à l'extérieur. Plus aucune voie n'est sûre et il n'y a aucun espoir de paix. Les princes ne cessent de se faire la guerre pour le pouvoir ... Chaque fois que l'un deux s'installe dans la ville, un autre l'en chasse. Je vous informe aussi qu'il m'est impossible de demeurer ici plus longtemps à cause de la cherté de la vie." Message d'un attaché commercial hollandais à son gouvernement décrivant la situation de Marrakech en 1017H/1608 in "Sources inédites de l'histoire du Maroc", Pays-Bas p.278.

[81] - "... Cette mémorable expulsion se fit entre le mois d'octobre de l'an 1619 (sic) et le mois de septembre de l'an 1610. Les expulsés furent cinq cent mille environ." Jaime BLEDA, "Cronica de los moros de Espana" cité par Rodrigo de ZAYAS, op. cité, p.262.

[82] - "Entre 1030H et 1040H (1620 et 1630), ils disposèrent de 15 millions de lires, une moyenne annuelle d'un million et demi de lires, autant que les rentrées annuelles d'impôts sous le règne du saâdien Al Mansour". D'après une lettre de Rasilly, capitaine de frégate, à Richelieu, datée de novembre 1626.

[83] - Située dans le versant sud du Moyen-Atlas près de Béni Mellal. Les tribus Sanhajas désiraient s'emparer des plaines situées au pied du Moyen-Atlas, Mohammed El Hadj Dilâi (1046-1079H/1636-1668) fit siennes les ambitions des Sanhaja et leurs intérêts vitaux. De simple village, Dilâ devint une ville fortifiée vers le milieu du 11e siècle de l'Hégire (milieu du 17e siècle).

[84] - Déjà avant la prise de Fès, les Alaouites avaient dévié le commerce caravanier afin de priver les Dilâites d'une importante source économique.

[85] - Le Makhzen désigne, depuis l'avènement de la dynastie alaouite, l’ensemble des institutions administratives, financières, militaires, protocolaires, etc., du Palais.

[86] - Près de 50.000 dromadaires traversaient le Sahara annuellement.

[87] - L'expansion européenne et son impact sur l'Atlantique et la Méditerranée.

[88] - NACIRI, op. cité p.70, tome VII.

[89] - Aziz, Mounchih et Tita, op. cité p.319, tome II.

[90] - Ibid.

[91] - De même que Tétouan qui "abritait de nombreux négociants ... ce commerce allait cependant décliner rapidement, au point d'être ruiné aux alentours de 1712 (1124H)", d'autre part "... les prélèvements de plus en plus forts imposés par l'état aux corsaires (de 10 % au début du siècle à 70% à sa fin) découragèrent les plus fervents défenseurs du "Jihad" en mer". Mohammed MEZZINE, ibid., p.108.

[92] - "Moulay Ismaïl avait tout fait pour restructurer et impulser le commerce caravanier :

extension de son autorité en Mauritanie, lutte contre les Français et les Hollandais installés au Sénégal...la zaouïa d'Aqqa, qui soutenait le sultan, étendit son influence dans la région de Smara vers le sud ;

envoi régulier de gouverneurs à Touat...

dégagement de la route Tafilalet - Fès par la mise au pas des Senhajas.

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Mais la menace des Turcs dans le Touat (sud-est), celle des Français au Sénégal et celle des Bambaras au Soudan (actuellement le Mali, Niger...) était trop forte ; à la mort du souverain, tout cet édifice était appelé à s'écrouler." Mohammed MEZZINE, op. cité p.108.

[93] - Ce qui amènera des révoltes suivies de répressions sanglantes.

[94] - Un des derniers bastions des Almoravides au cœur du Maroc.

[95] - Après avoir maté la révolte des Fassis, chose qui explique sa politique de marginalisation de cette ville impériale.

[96] - NACIRI, op. cité p.48-49, tome VII.

[97] - Dans le but de contrer la poussée des tribus montagnardes, "la nouvelle capitale n'était elle-même qu'une casbah (forteresse) géante." Mohammed MEZZINE, op. cité p.107.

[98] - R. RAYNAL, cité par J. LE COZ, op. cité p.7830.

[99] - A. MIQUEL, op. cité p.269.

Armature urbaine du Maroc : Mutations contemporaines (suite)

Les débuts de la colonisation

Le traité conclu avec la Grande-Bretagne en 1272H/1856, comportait une clause qui le rendait automatiquement applicable aux autres puissances. Ses dispositions les plus importantes concernaient :

l'acceptation du principe de la liberté des échanges, la fixation d'un taux uniforme de droit à l'importation (10 %, alors que la moyenne

antérieure était de 50 %) ,

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l'abolition des monopoles qu'exerçait le Makhzen sur la commercialisation de produits de grande consommation (à travers les toujjar-sultan, commerçants travaillant pour le Makhzen), ce qui était extrêmement nuisible pour l'Etat marocain,

enfin, l'institution d'un régime d'"exterritorialité" .

Ces conditions et dispositions créèrent une situation qui permettait l'invasion du marché marocain par les produits manufacturés étrangers, ce qui ne pouvait s'effectuer qu'au détriment de l'économie du pays encore en grande partie artisanale. Le trait essentiel de cette époque est la désarticulation des anciennes structures économiques, que ce soit dans les villes ou dans les campagnes, la paupérisation des artisans et des agriculteurs et la formation d'une bourgeoisie marchande, notamment dans la ville de Fès qui se transforma en grand centre de redistribution des marchandises en provenance d'Europe. Les importations l'emportèrent sur les exportations.Autre facteur de déstructuration de l'économie traditionnelle, la vente d'articles copiés sur ceux de l'artisanat et fabriqués massivement en Europe sur la base de spécimens recueillis à Fès . Toutes ces perturbations structurelles de l'économie traditionnelle entraînèrent une révolte urbaine de grande envergure, celle des tanneurs à Fès en 1290H/1873 .On assista à la même époque à l'amorce d'un processus d'acculturation et à une dislocation des structures sociales au contact du mode de vie occidental (adoption de coutumes vestimentaires, ameublement...) et à un début d'exode, vers la ville, des ruraux déracinés suite à la famine et à l'effondrement de leur pouvoir d'achat, phénomène consécutif à l'invasion économique étrangère.Véritable cheval de Troie, le système des protections, naturalisations et associations agricoles permit aux Européens de désarticuler de l'intérieur les principaux rouages du Makhzen , notamment par le "débauchage" des toujjar-sultan, qui non seulement s'inscrivaient ainsi dans un système très prisé par les négociants, mais aussi échappaient à la nécessité de rembourser les fonds avancés par le Makhzen.Dans les campagnes, ceux qu'on appelait les "Moukhalites" (équivalents des "censaux") permettaient l'infiltration des capitaux étrangers dans les campagnes à travers des associations agricoles qui permettaient d'une part aux moukhalites d'échapper à l'impôt du Makhzen, puisque les partenaires étrangers n'y étaient pas soumis et qu'il était impossible d'établir la part de chacun ; d'autre part, ces partenaires étrangers parvenaient ainsi à contourner l'interdiction de posséder des terres au Maroc (avant 1297H/1880).Tous ces facteurs firent que les ressources de Bayt al Mal furent rapidement réduites à néant, ce qui réduisait par là-même, et considérablement, la marge de manoeuvre du Makhzen et sa capacité à collecter l'impôt des tribus et des régions non "contaminées" par ces fléaux, et consécutivement privaient l'Etat de toute possibilité d'échapper à ce cycle infernal .Ce que Mohammed KENBIB appelle la rupture la plus décisive de l'histoire du Maroc au 13e siècle de l'Hégire (19e siècle) eut lieu entre 1275 et 1276H (1859 et 1860) : la guerre hispano-marocaine possédait pour les Espagnols une signification continentale ("La Guerra de Africa").Cette guerre aurait pu constituer une nouvelle phase de la pénétration européenne, et notamment espagnole, caractérisée par la colonisation directe. Seulement, cette première tentative tourna court, sans toutefois manquer d'apporter avec elle de nouveaux malheurs pour un pays qui n'en manquait pourtant point. Elle se solda d'une part, par l'entrée traumatisante des troupes espagnoles à Tétouan -puisqu'elle s'est effectuée sans combat le 14 chaâbane 1276H/6 février 1860- et son évacuation le 3 kaâda 1278H/ 2 mai 1862. D'autre part, par des conditions de paix draconiennes (le Maroc paya 19 millions de pesetas entre 1276H/1860 et 1301H/1884), ce qui handicapait le pays pour des décennies .L'intervention de la diplomatie anglaise, contraignant l'armée espagnole à se replier vers

Page 32: Armature urbaine du Maroc

Ceuta, ne fut pas gratuite : l'emprunt que la Grande-Bretagne accorda au Maroc marqua le début d'un long processus de démantèlement de la souveraineté marocaine avant et durant le protectorat . La diplomatie française, appuyée par les milieux financiers, arriva à se réserver la main mise exclusive sur une grande partie du Maroc . Elle obligea Moulay Hafid à signer le traité qui instaura le protectorat le 11 rabiâ II 1330H/30 mars 1912. En corollaire, l'Espagne prit possession de la zone nord et du Sahara occidental . De 1322H/1904 à 1329H/1911, années des deux grands emprunts usuraires, la véritable puissance des banques apparaît face aux vizirs auxquels des volontés politiques furent imposées avec une grande désinvolture et "grande maîtrise" . "L'influence et l'intervention des banques a précédé et préparé l'installation du protectorat" .Durant cette phase, le traité de 1272H/1856 garantissait aux négociants européens l'ouverture des ports de Larache, d'Al Jadida et de Casablanca qui étaient liés au trafic traditionnel avec l'Afrique Noire et l'Algérie . Pour faire face aux pressions des grandes puissances européennes, Moulay Hassan I eut recours aux nouvelles tentatives de réforme. Il envoya plusieurs expéditions au sud et installa le Makhzen à Tiznit pour matérialiser l'autorité chérifienne dans le sud. Au centre, et afin de contrôler les tribus berbères et protéger la voie Fès-Marrakech, il édifia El Hajeb en 1296H/1879.Pendant ce temps, la propriété des terrains de la colonie européenne augmenta autour des principaux ports, tels Safi, Casablanca et Tanger . Après la disparition du sultan Hassan I et de son chambellan (hajib) Ba Ahmed, la France occupa Figuig en safar 1321H/mai 1903 et Bechar en rajab/octobre de la même année , et fut désormais maître du Haut-Guir à partir de chaâbane 1326H/septembre 1908.En outre, la conférence d'Algésiras (20 kaâda 1323H-12 safar 1324H/16 janvier-7 avril 1906) permit à la France le contrôle des ports de Rabat, Al Jadida, Safi et Essaouira et affecta à l'Espagne le contrôle des ports de Larache et de Tétouan.Oujda est occupée sans résistance par LYAUTEY le 12 safar 1325H/27 mars 1907 au moment où la France prépare l'occupation des plaines de la Chaouïa dans l'ouest du Maroc.De plus, Casablanca fut bombardée le 25 joumada II 1325H/5 août 1907 , puis toutes les plaines de la Chaouïa furent occupées durant le printemps de 1326H/1908 jusqu'à Settat et bien au-delà . Par ricochet, et en réaction à la prise de la Chaouïa, l'Espagne entreprit l'occupation du Rif à partir de Ceuta et Mellilia. Cette campagne prit un air de croisade et servit les compagnies minières espagnoles. Nador, Selouan (Zelûan) et le mont Gourougou furent occupés entre joumada II et ramadan 1327H/juillet et septembre 1909.Le 22 safar 1329H/22 février 1911, des tribus rassemblées à Agouraï (au sud de Meknès) instaurèrent le gouvernement Moulay Zine à Meknès, assiégèrent Fès et s'apprêtèrent à s'emparer du sultan. La France simula un prétexte fallacieux pour légitimer, par le mensonge , la marche sur Fès. Les troupes du général MOINIER occupèrent la capitale marocaine le 22 joumada I 1329H/21 mai 1911, écrasèrent le gouvernement "rebelle" de Meknès le 10 joumada II/8 juin et occupèrent Rabat le 12 rajab/9 juillet .C'est dans un Maroc transformé en immense territoire de la "Siba moderne" franco-espagnole , -se substituant à la "Siba autochtonne", naguère alibi de choix pour l'intervention des puissances européennes- que la nouvelle de la signature du traité du protectorat fut répandue, provoquant "une consternation générale" , la population estima que le "sultan du Jihad", Moulay Hafid, avait vendu "une partie de Dar El Islam" .

La colonisation "officielle"

« ... Un système de production (authentique)... qui n'existe plus, depuis que le Maroc a eu sa "Renaissance" en 1912. » Omar HASSOUNI

Page 33: Armature urbaine du Maroc

Cette phase s'inscrit dans la troisième période intermédiaire de l'histoire du Maroc. On peut y distinguer deux étapes :

la première, qui débute par la signature du traité de Fès et s'achève avec l'émergence du mouvement national vers 1355H/1936,

la seconde, qui se caractérise par la mise en place des premières formes d'approche coloniale des questions de l'habitat populaire pour Marocains et qui s'achève par la proclamation de l'indépendance en 1376H/1956.

Les traits essentiels et profonds des bouleversements apportés durant cette période, et qui ne sont en fait qu'une accélération des mutations constatées lors de la troisième phase de la période pré-coloniale, ces traits découlent des changements manifestes des fonctions principales des médinas du Maroc : avant l'implantation de "l'entité moderne" à ses côtés, la ville traditionnelle était en voie de devenir un comptoir de distribution des marchandises en provenance de l'Europe.En outre, la macro-structure urbaine traditionnelle du Maroc, déjà étouffée, subira de profonds bouleversements économiques et sociaux engendrés par les actions du protectorat qui amèneront la mise en place d'une nouvelle répartition urbaine aux côtés de l'armature existante.

L'ETAPE DE LA "PACIFICATION"

« Il n'y a jamais eu au Maroc une force de résistance, de protestation une révolte unanime comparable aux mouvements dont le Maroc tout tressaille aujourd'hui ... » Jean JAURES

La signature du traité de 1330H/1912 provoqua un tollé général . Le gouvernement français que dirigeait POINCARE se rendit compte que la soumission du Maroc n'était pas aussi facile que l'avait assuré le "Comité du Maroc" .Devant la gravité de la situation, il décida le 10 joumada I 1330H/27 avril 1912 de nommer un soldat, et le choix du général LYAUTEY en tant que premier résident général au Maroc s'imposa .En effet, l'effervescence populaire frisait l'explosion générale, des tribus en marche sur Fès, déjà en révolte, venant du nord (El Hajjami) et du sud (El Hiba), risquaient de provoquer un cataclysme inévitable.Dès juillet, LYAUTEY décida de transférer "provisoirement" le siège de la résidence générale à Rabat où il installa "momentanément" le sultan Moulay Hafid . Il pratiqua une politique "tache d'huile" sous le titre de "pacification", celle-ci s'échelonna sur plusieurs étapes.Ce fut d'abord la consolidation de la présence française dans Casablanca, la région de Chaouïa et celle d'Oujda, déjà occupée en 1325H/1907, puis la prise des plaines de 'Abda, Doukkala, El Haouz, de toutes les villes côtières, de Marrakech et Taza et l'occupation du Haut-Atlas, "pacification" effectuée entre 1330 et 1332H (1912 et 1914).La prise de Tadla et de Khénifra s'effectua entre 1332 et 1335H (1914 et 1917), celle du Moyen-Atlas, de Zayane et du centre entre 1335 et 1338H (1917 et 1920). De 1338 à 1345H (1920 à 1926) s'effectua la pacification du Rif et de 1349 à 1353H (1930 à 1934) celle du Haut-Atlas oriental, de Jbel Seghrou et du Tafilalet ."L'idée de région, qui n'existait pas en tant que telle au Maroc anté-colonial, fut une pure création du protectorat introduite pour la première fois par le Général Lyautey en 1919."LYAUTEY transféra la capitale de Fès à Rabat pour de nombreuses raisons. Il s'agissait d'abord de s'éloigner d'une zone de pression militaire, et dont la position de Fès constituerait un objectif principal lors d'une éventuelle résistance marocaine (les sièges de 1329H/1911 et 1330H/1912). De plus, Fès est assortie d'un rôle combatif sacré matérialisé par la grande université Qaraouiyne.

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Le transfert du centre de gravité commercial et marchand du coeur du pays au littoral océanique (Fès vers Casablanca), facilita l'échange extérieur avec la métropole, objectif principal du nouvel aménagement du territoire par lequel s'organisera la nouvelle structure urbaine du Maroc.Ces considérations d'ordre stratégique "objectives" pour la résidence étaient néanmoins assorties par d'autres raisons d'ordre subjectif propres au général LYAUTEY, et qu'il n'a exposé ni officiellement ni en privé . "... Fès risquerait... de manifester sa résistance à l'occupation coloniale d'autant plus qu'elle groupait une population forte de plus de 100.000 habitants. "Ville bourgeoise" par excellence, Fès abrite une oligarchie particulièrement puissante et singulièrement habile dont les intérêts ne peuvent que se trouver... en contradiction avec ceux des futurs colons, ne serait-ce qu'en ce qui concerne l'appropriation des terres à l'intérieur et autour de la ville. A Rabat par contre, ces obstacles étaient tout à fait mineurs voire inexistants... En outre, Lyautey avait une prédilection pour les grandes réalisations urbaines."Les colons accordaient un intérêt prioritaire aux médinas occupées tenant compte de leur importance en fonction de leur taille, de leur concentration humaine, des potentialités de leurs "haouzs", de leur situation stratégique et du rôle qu'elles remplissaient avant le protectorat. La politique d'implantation coloniale s'est basée sur une stratégie politique, militaire et économique.Cette étape est caractérisée par la mise en place d'un appareil juridique, institutionnel, administratif, économique... devant assurer le développement de nouvelles formes d'aménagement spatial destinées notamment à accueillir les colons européens et à remplacer les structures précoloniales.Sur le plan urbanistique, les premières procédures coloniales dans les villes eurent un caractère militaire, ce qui était dans l'esprit du temps. Elles se caractérisèrent par les mesures suivantes :la construction de bases militaires dans des centres stratégiques afin de surveiller les villes,l'édification de gares ferroviaires militaires,la construction de voies périphériques autour des villes,la mise en place d'un réseau routier liant les gares routières et les bases militaires d'une part, et les gares routières et les quartiers juifs d'autre part.Sur le plan administratif, la Résidence a oeuvré pour la sauvegarde des institutions makhzéniennes, vivaces en apparence, paralysées dans le fond. Elle procéda à une politique de double-jeu qui lui permit de mettre sur pied une administration s'évertuant à revêtir la parure d'une "légitimité" par le biais de laquelle le Protectorat allait agir .Sur le plan juridique, et afin de doter sa politique urbanistique d'une certaine légalité, la Résidence a promulgué une série de lois au nom du Makhzen pour garantir son application .La loi de la conservation foncière du 9 ramadan 1331H/12 août 1913 fut une procédure coloniale qui permit de déposséder les propriétaires légitimes de leurs terres, accélérant ainsi l'établissement des colons .Outrepassant la "lourde procédure" instituée par l'acte d'Algésiras en matière d'expropriation, et en vue de réaliser de grands travaux tels les voies ferrées, les ponts et les chaussées, l'administration promulgua le dahir du 31 août 1914 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique et l'occupation temporaire.La Résidence, s'inspirant de quelques expériences tentées en Egypte, en Allemagne et en Suisse, dota le Maroc de lois d'urbanisme avant la France qui ne connut ses premiers textes juridiques que cinq années plus tard (11 joumada II 1337H/14 mars 1919, loi française où est employé pour la première fois le terme "loi d'urbanisme"). La première règle écrite fut le dahir du 1er joumada II 1332H/16 avril 1914 qui constituera un cadre d'action efficace permettant à la puissance publique du protectorat de modeler et de concevoir entre

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1333H/1915 et 1343H/1925 une dizaine de villes modernes.Cet arsenal de dahirs fondamentaux relatifs aux plans d'aménagement, aux lotissements et à la police des constructions, n'ont pas été promulgués en continuité avec l'esprit et les principes de l'organisation de l'espace urbain traditionnel, au contraire, ils constituaient une rupture, et consacraient la suppression d'un patrimoine abondant de textes et de pratiques, vieilles de plusieurs siècles, basé sur une législation et des références authentiques .La différence entre l'approche juridique musulmane et celle instaurée par le protectorat réside essentiellement dans le fait que la législation du protectorat traitait des situations moyennes (qui, comme chacun le sait, sont celles qui se rencontrent le moins, car une situation moyenne est un cas presque abstrait) sans tenir compte des cas particuliers. Par contre, la jurisprudence musulmane s'attachait à traiter cas par cas tous les problèmes qui se posaient. Cette juridiction traite "... des différents "cas" relatifs au droit traditionnel en matière d'urbanisme et de voisinage en particulier énoncés dans les livres traitant des "Nawazils" que nous traduisons par "casuistiques" ou traitement de cas particuliers en matière de droit... dont les applications (des régulateurs de ce droit) sont variables suivant le cas traité, et suivant les usages (Al'orf) influents sur l'effort législatif. Cette casuistique a fondé des sortes de "pratiques juridiques" pouvant avoir des positions différentes vis-à-vis du même cas traité."L'objectif de la loi d'urbanisme promulguée par le dahir du 1er joumada II 1332H/16 avril 1914 fut l'établissement d'une réalité nouvelle se démarquant de l'héritage historique authentique, ce qui engendrera des perturbations importantes et dangereuses laissant de profondes séquelles dans l'évolution de nos villes . "Tout le savoir vernaculaire accumulé durant des siècles fut purement et simplement déclaré nul et non avenu, ou tout au moins corrompu et intégré dans un cadre étranger qui ne pouvait qu'en altérer l'éclat et le message culturel et le déraciner autant que l'oeuvre étrangère qu'il serait susceptible de légitimer" . La mise en place d'une nouvelle structure urbaine "la ville nouvelle" fut réalisée parallèlement à la production de l'arsenal juridique suscité relevant de la réglementation française ; ce qui entraîna l'élimination du système traditionnel de la gestion telle que la Hisba , les Habous ... et la mise en place d'une structure de gestion tricéphale (représentant les communautés marocaine, française et juive). A Rabat et à Fès par exemple, on eut droit à un Majlis Baladi (Conseil Municipal) composé du Majlis musulman représentant la médina, du Majlis juif représentant le Mellah et du Conseil Municipal représentant la ville nouvelle.Le plan d'aménagement posait la délicate question de la délimitation du périmètre municipal qui fut réglée plus tard par une charte municipale promulguée en vertu du dahir du 15 joumada II 1335H/8 avril 1917. Elle consacrera la marginalisation des institutions traditionnelles et la mise en place d'une nouvelle organisation municipale."La charte municipale de 1917 est un chef-d'oeuvre de machiavélisme que la France n'a pas pu réaliser ailleurs, car tout en réussissant à sauvegarder le caractère légitime du pouvoir municipal, détenu en théorie par le pacha, représentant du sultan, elle parvint rapidement à s'emparer de tous les pouvoirs pour les mettre entre les mains du Chef des Services Municipaux, représentant du Résident Général et des intérêts des colons." . Afin de mener "à bien" sa politique urbanistique, le protectorat se vit contraint de maîtriser le système foncier traditionnel, afin de l'orienter selon ses objectifs. Pour ce faire, la Résidence promulgua un certain nombre de dahirs qui transformèrent les biens habous en biens domaniaux (Dahirs de 1332H/1914), contrairement aux spécifications du traité de Fès. Un autre dahir important permit au protectorat d'exproprier des biens Melk (propriété privée) pour "utilité publique".D'autre part, "forts de l'instrument diabolique de l'immatriculation et assurés de l'assistance indéfectible de l'appareil judiciaire, les étrangers entreprirent un vaste mouvement d'accaparement du sol, tant en ville qu'à la périphérie" . Sur le plan financier, le protectorat instaura un système de fisc qui permit en réalité le financement de la ville européenne par les indigènes .

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Les lois juridiques évoluèrent selon les besoins du protectorat qui constata après une expérience de trois ans que l'expropriation directe, étant une opération onéreuse et dangereuse, pouvait être remplacée en encourageant la création d'associations syndicales de propriétaires urbains dont le statut fut arrêté par le dahir du 25 moharram 1336H/10 novembre 1917 .Comme la question foncière fut une entrave principale à l'établissement des colons, le protectorat procéda à la conversion des domaines habous en domaines publics en centralisant son institution. Celle-ci exécuta de nombreux projets entre 1333H/1915 et 1348H/1930, tels les quartiers habous de Rabat, Meknès et Casablanca .La stratégie économique établie par le protectorat va contribuer à métamorphoser profondément l'armature urbaine traditionnelle et à l'orienter vers une nouvelle organisation du territoire, principal moyen d'exploitation du pays. Des zones de drainage ont été mises en place pour faciliter l'écoulement des richesses de chaque région vers les ports.Les points de ponction se présentaient alors comme suit :

Oran pour l'Oriental, Casablanca pour les plaines de Chaouïa et Zaër,

Port LYAUTEY (l'actuelle Kénitra) pour les plaines du Gharb et les plateaux du Saïss,

Safi pour les plaines et plateaux de Doukkala, 'Abda et Haha,

Agadir pour le Souss et les plaines et plateaux du Sud.

Toutefois, l'événement marquant de cette époque dans le domaine de l'aménagement du territoire demeure l'édification de ports sur la façade atlantique destinés à l'évacuation des produits agricoles et miniers :

Casablanca (extensions d'Anfa), port national (70 % du trafic maritime global en 1375H/1956),

Port LYAUTEY (Kenitra) édifié en 1333H/1915,

Safi (en 1375H/1956, 90 % de son activité étaient consacrés au phosphate),

Fedala (l’actuelle Mohammedia), pour l'importation du pétrole, ville-port où sont localisées les raffineries du Maroc,

Tanger, ville internationale, réservée aux trafics des voyageurs.

Ainsi les investissements se sont orientés vers les grands travaux d'infrastructure, notamment les supports de transports : réseaux routiers et ferroviaires à l'échelle nationale. D'où l'émanation de la thèse du "Maroc utile" et du "Maroc inutile" qui n'est peut être pas éditée par LYAUTEY mais sûrement pratiquée par lui.Dans le Maroc dit "utile", représenté par le triangle Fès-Casablanca-Marrakech, le développement de la nouvelle armature urbaine devint favorable à la concentration des capitaux et à celle de la force du travail. L'apparition d'une nouvelle hiérarchie des villes fut fondée sur les relations de dépendance de la métropole. Cette nouvelle armature fut ponctuée de nouveaux centres stimulés par la colonisation, et ayant une localisation qui devait répondre à des impératifs précis ."L'intérêt" porté aux plaines et plateaux de la part du protectorat, notamment à travers la désagrégation des structures agraires -et partant des structures de production propres au milieu rural- et l'implantation parallèle de l'économie moderne à travers les souks hebdomadaires, entraîna la formation de nouvelles entités urbaines, phénomène aggravé par l'accroissement démographique important que connut le Maroc durant cette époque.

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On vit alors l'apparition dans la Chaouïa, entre 1330H/1912 et 1344H/1926, de Khouribga pour l'activité minière (où il y a d'importants gisements de phosphate), de Oued Zem, ainsi que de Berrachid, Rommani, Bejaad, et Kasbat Tadla pour la colonisation agricole. Dans la même plaine apparurent, entre 1345H/1927 et 1355H/1936, de nouveaux centres agricoles pour les colons à Ben Slimane (ex. Camp Boulhaut), et Ben Ahmed.Parallèlement, se formèrent dans le Gharb, entre 1330H/1912 et 1344H/1926, des centres pour la colonisation agricole, à Kénitra (Port-LYAUTEY), Souk Larba' et Sidi Kacem (Petitjean) ; Sidi Slimane s'ajouta à ces centres entre 1345H/1927 et 1355H/1936. Dans l'Oriental, Berkane et Ahfir se développèrent pour la colonisation agricole entre 1330-55H/1912-36, tandis que le réseau ferroviaire et routier fit apparaître, à la même période, de nouveaux centres tels que Jerada (où il y a d'importants gisements de houille), Guercif et Taourirt.L'activité minière amena le développement des centres de Boujniba et de Sidi Boulanouar entre 1345H/1927 et 1355H/1936, au moment où apparut Fqih ben Salah en tant qu'important centre de colonisation agricole.Au Nord, cependant, les espagnols développèrent dans la zone khalifale, entre 1330H/1912 et 1355H/1936, des centres pour des raisons spécifiquement militaires à El Hoceima (Villa Sanjurjo), Nador et Martil (port de Tétouan). Dans le sud, à partir de 1350H/1931, le parachèvement de la conquête coloniale donna naissance à des centres militaires et administratifs à Midelt, Errachidia (ex. Ksar Es-Souk), Erfoud et Goulmima.Les zones urbaines pré-coloniales, telles El Haouz, Saïss et le nord-ouest, ne sont guère affectées par ce phénomène, situation d'autant plus surprenante que, comme le fait remarquer AGOUMY , ces régions ont été aussi des domaines privilégiés de la colonisation agricole. La colonisation a donc utilisé le réseau traditionnel dans les régions où il était bien implanté. Ce n'est que dans les plaines traditionnellement rurales, telles Chaouïa et El Gharb, qu'elle favorisa l'essor de nouveaux centres urbains.Par l'édiction des premières lois, il s'avère que la Résidence avait, dès le départ, des objectifs précis concernant la conception et la réalisation de "ses villes" au Maroc. Cependant, l'exode considérable des colons après la première guerre mondiale , déclenchant le mécanisme incontrôlable de la spéculation foncière, a failli faire échouer les projets de la Résidence qui constata l'anarchie et la désorganisation dans les extensions des villes.Afin de contourner cette situation périlleuse, LYAUTEY fit appel dès 1331H/1913 à l'urbanisme Henri PROST pour établir des plans d'aménagement pour une douzaine de villes marocaines, principal moyen et outil de contrôle de l'espace urbain.Les directives de LYAUTEY visaient à concevoir dans la "ville moderne" un "paradis des fonctionnaires" (à Rabat, capitale administrative) en maintenant intactes les médinas et les palais royaux, et en imposant un certain zoning. Tout l'espace fut réservé à la ville européenne et PROST ne réserva dans certaines villes (Rabat, Meknès et Casablanca) qu'une petite cité habous pour la population marocaine qui fut maintenue, obligatoirement pour la plupart, dans les médinas. La priorité de l'espace fut également accordée aux militaires mais rarement PROST prévit l'implantation de zones industrielles.PROST quitta le Maroc en 1341H/1923, deux années avant LYAUTEY laissant derrière lui une série d'orientations qui modulèrent l'espace des villes et contribuèrent à la formation d'une nouvelle structure urbaine superposée à l'armature traditionnelle des médinas. La séparation entre la médina et la ville européenne vint accentuer l'originalité de l'approche colonialiste française au Maroc. La France tira profit de sa longue expérience coloniale, notamment en Algérie et en Tunisie.Elle s'appliqua à ne pas retomber dans certaines erreurs, particulièrement celle de la pénétration par des installations européennes des villes algériennes, erreurs qui avaient alimenté la colère des autochtones en Algérie, engendrant un cycle de révoltes et de répressions qui coûtèrent à la présence française des dépenses considérables en vies et en

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matériel .Au Maroc, la France se présenta comme le protecteur du pays, de ses institutions, de sa culture etc. De fait, la notion de protectorat floue et extensible à souhait, pouvait revêtir, selon les circonstances, une double interprétation : protection des intérêts européens au Maroc ou "protection" du pays contre ses problèmes et ses maux .En effet, le "principe" de ségrégation spatiale entre l'habitat européen et l'habitat traditionnel, même s'il prétendait respecter la civilisation autochtone, matérialisa les objectifs "supérieurs" auxquels aspirait l'oeuvre colonialiste comme système d'"expression", de "communication", et surtout comme forme décadente de "dialogue civilisationnel".Les objectifs officiels de cette ségrégation spatiale s'exprimaient ainsi :

sur le plan politique : afin d'éviter l'interpénétration des races ; sur le plan sanitaire et hygiénique : afin d'éviter tout contact direct avec les indigènes

et de manière générale avec la médina susceptible d'être touchée par des épidémies ;

sur le plan esthétique : afin de conserver le patrimoine urbanistique et architectural "pittoresque" des médinas.

Il s'agissait en définitive d'éviter autant que possible tout contact avec une communauté "indigène" certes misérable, sale, quasi-sauvage, foyer de maladies sournoises, mais dont l'aspect "présente bien" dans ce décor exotique et romantique particulièrement prisé par la sensibilité très "âme 19e" du colon moyen, féru d'une supériorité que lui rappelle sans cesse la présence toute proche de la "race indigène"."Il s'agissait d'abord de garder ses distances vis-à-vis des indigènes afin, d'une part, d'éviter toute friction entre Marocains et Européens pouvant dégénérer en luttes ouvertes, et d'autre part pour être à l'abri de toute épidémie susceptible de toucher la médina. Ensuite, en cas de troubles ou de soulèvements, le cantonnement des populations à l'intérieur des remparts permettait de circonscrire rapidement le danger et faciliterait l'intervention des "forces de l'ordre". Enfin, l'objectif le plus important était de reproduire à bon compte la force de travail puisque la médina pouvait entretenir une population nombreuse pour laquelle on n'avait pas à investir pour améliorer ses conditions de vie."Aussi, la médina fut-elle ceinturée d'une zone "non aedificandi" de vingt cinq mètres. Un "cordon sanitaire", constitué d'administrations, de garnisons ou d'espaces verts, fut établi autour des médinas afin de séparer les zones de résidences européennes des entités urbaines traditionnelles.L'intervention coloniale dans les villes revêtait trois aspects principaux : urbanistique, économique et militaire. En réalité, l'intensité de l'action coloniale variait selon l'importance des villes.L'analyse de l'action du Protectorat durant cette période permet de conclure que celle-ci se situait globalement aux niveaux suivants :un premier niveau où l'action urbaine concerna la création de villes nouvelles pour le regroupement de colons, l'aménagement de cités Habous pour fonctionnaires et pour certains notables marocains, et l'apport d'une fonction structurante sur les plans régional ou national (par exemple Rabat : administration, Casablanca : industries, finances et port, Kénitra : port, Meknès : l'agriculture...) ; où l'action économique se situa au niveau de l'implantation d'unités, de production et d'industries de transformation, d'entrepôts... ; et où l'action militaire se manifesta par l'aménagement de casernes, de gares ferroviaires, d'hôpitaux et de quartiers militaires, de terrains d'aviation... Ce dernier type d'action était prédominant dans le Maroc khalifal ;un second niveau où les actions urbaines concernèrent uniquement l'implantation de quartiers européens dont la population demeurait assez limitée ; où l'action économique se limita à la mise en place d'une zone industrielle et d'entrepôts ; et où l'action militaire se limita à

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l'implantation de casernes ;un troisième niveau où l'action urbaine concerna la prévision d'une extension type "moderne" de la médina et l'aménagement possible d'un quartier européen ; où l'action économique consista à contrôler les activités "indigènes" ; et où l'action militaire se limita à l'implantation de camps militaires."L'intervention de degré 1 a essentiellement concerné les médinas de grande taille et regroupant une grande concentration humaine. Ces dernières avec certaines médinas, dont l'intervention était de degré 2, forment des centres d'accueil. Les centres d'impulsion ont essentiellement subi l'intervention de degré 3 ou de degré 2."L'action militaire était consubstantielle à l'avènement du protectorat à toutes ces entreprises. Il est à remarquer que certaines actions urbanistiques peuvent avoir des raisons économiques et militaires. Il y a eu donc un chevauchement entre ces actions. Ces fonctions imposaient une nouvelle configuration de l'armature urbaine, basée sur une sorte de spécialisation des villes en fonction des intérêts coloniaux motivés par l'efficacité, la rentabilité et l'exploitation des autochtones et des ressources du pays.La mise en place des plans d'aménagement servait les mêmes objectifs de contrôle . L'institution des plans d'aménagement introduisit de nouvelles formes d'action sur l'espace. Ils apportèrent de nouvelles formes de rapport entre le processus de production de l'espace (en introduisant l'architecte, le permis de construire, le permis d'habiter...) et les modes de son utilisation et de sa gestion. Ces derniers ne pouvaient alors qu'en être profonde.

Les plans d'aménagement ignoraient totalement les médinas, marginalisèrent les populations autochtones et instituèrent de surcroît une ségrégation spatiale même entre les européens : "Petits blancs" ibériques, italiens, maltais, grecs... et français ("Grands blancs"?).Avec leur installation, les Européens vont instituer l'utilisation sélective des sites selon une triple ségrégation : la première, raciale, consacrant la séparation des colons et des indigènes ; la seconde, sociale, établissant une hiérarchie au sein même de la communauté européenne ; la troisième, fonctionnelle, concrétisée par le zoning . A noter encore qu'il existe parfois -comme à Rabat- une quatrième forme de ségrégation qu'on peut qualifier d'environnementale, d'écologique et/ou de cytologique.A un autre niveau, la politique coloniale "se voulait d'abord une politique de peuplement, censée répondre à une colonisation qui se voulait agricole villageoise et rurale" . L'irruption des colons dans le monde rural mit en branle un processus de déstabilisation des structures traditionnelles, notamment à travers la désagrégation des systèmes productifs et agraires, ce qui entraîna l'exode massif des ruraux vers les centres urbains.La ville fut envahie par les ruraux déracinés qui s'installèrent, en l'absence de structures d'accueil, en marge des villes dans ces abris de fortune qu'on appela désormais "bidonvilles", qui constituèrent depuis un élément fondamental du paysage urbain et qui de nos jours encore semblent promis à un bel avenir. Le Maroc est le premier pays dans le monde entier - triste honneur - où est apparu le bidonville .En outre, la médina fut soumise au contrôle du Service des Beaux Arts qui y gela toute action et contribua à sa "momification" et à sa transformation en un musée, certes animé, mais désormais reflet d'un espace rendu statique . "Cependant, il n'y avait pas que les nostalgiques de l'art néo-mauresque. Il ne faut pas perdre de vue que la plupart des Européens venus au Maroc étaient d'origine modeste et se souciaient peu de ces "vieilleries" qu'étaient les médinas. Pour ces Français, nous dit A. ADAM , les médinas n'étaient que la preuve de l'arriération de la société marocaine et la justification, en quelque sorte évidente, de la colonisation" .Le Protectorat promulgua une série de textes spécifiques aux médinas, destinés à définir les cadres des "actions" susceptibles d'être menées dans l'espace traditionnel. Entre 1332H/1914

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et 1333H/1915, le pouvoir colonial édicta une série de dahirs et de décrets visant à la "protection" de la médina et principalement de ses équipements publics (mosquées, murailles, médersas, portes...).Par la suite, entre 1338H/1920 et 1346H/1927, la "protection" fut généralisée non seulement aux monuments mais aux sites entourant ceux-ci, et à certains quartiers .Le successeur de LYAUTEY, Jules STEEG (rabi' I 1344H/octobre 1925-chaâbane 1347H/janvier 1929) encouragea le peuplement et la colonisation par les français, l'administration se montrant de moins en moins exigeante sur leurs qualités, et favorisant les transferts des terres au profit d'acquéreurs pour qui les droits des anciens propriétaires étaient le cadet de leurs soucis : "La colonisation dite humanitaire tourna tout uniment à la spoliation."Avec le parachèvement de la pacification du Maroc et l'écrasement de la révolte d'Abderkrim dans le Rif en 1345H/1926, le nombre d'émigrants européens au Maroc augmenta considérablement, et devint un véritable "rush" pendant la grande crise économique mondiale en 1348H/1929. Le mouvement de colonisation s'accéléra et entraîna un important développement du secteur de la construction, ce qui amena l'apparition du modèle de l'immeuble à plusieurs étages (et par suite l'apparition de quartiers contrastant parfois violemment avec l'horizontalité marquée de l'habitat autochtone), de même que l'intervention des institutions bancaires privées dans le processus de production de l'habitat.De surcroît, et afin de répondre à la demande croissante de l'habitat européen, l'administration coloniale usa largement des instruments juridiques qu'elle avait mis en place dès 1330H/1912, notamment l'expropriation qui fut le principal outil de sa politique urbanistique, et l'octroi d'emprunts pour la construction.Au lendemain de la crise mondiale de 1348H/1929, dont les répercussions ne se firent sentir au Maroc qu'en 1350H/1931 (année où la production dans tous les secteurs connut une baisse importante, notamment dans la construction, l'agriculture...) le déclin du secteur de la construction eut pour cause l'étroite dépendance de l'économie marocaine vis-à-vis des emprunts internationaux et l'arrêt de l'émigration étrangère.Consécutivement, le prix de la construction connut une baisse remarquable suite, notamment, à l'accroissement considérable de l'exode rural qui inonda le marché d'une main-d'oeuvre peu chère, au fait qu'on s'est limité à un habitat très horizontal et à la baisse de la demande.La résistance armée subsistant encore dans les montagnes, le dahir berbère souleva une forte opposition au Protectorat qui se manifestera d'abord dans les villes, avant de concourir à internationaliser "la question marocaine", contribuant à souder le nationalisme marocain naissant au "panarabisme oriental" .Parmi les dispositions de ce dahir, figurait plus particulièrement l'article 4 qui instituait désormais deux droits : deux poids et deux mesures à l'intérieur du pays.En matière pénale, cet article transféra les Berbères à la juridiction criminelle française, privant ainsi le Sultan d'une de ses prérogatives essentielles . Les pressions internes et externes furent telles qu'en 1352H/1934 le Protectorat supprima le fameux article 4 du dahir berbère.Au niveau de l'aménagement du territoire, le Maroc vit depuis 1344H/1926 une période de désengagement et d'urbanisme médiocre. Le départ de LYAUTEY et de son acolyte PROST - le "Périclès et le Phidias" de De TARDE ou comme les appellent BELFQUIH et FADLOULLAH "le Glaive et le Pinceau" - laissa un vide décisionnel que seul comblera l'arrivée d'ECOCHARD en 1365H/1946.Au Maroc khalifal les Marocains étaient sous le régime espagnol de l'indigénat instauré en 1332H/1914. L'Espagne n'était pas de taille à concurrencer les puissances européennes pour le partage du monde ; elle n'eut sa part dans le partage du Maroc et de l'Afrique que grâce à sa proximité géographique. De fait, dans les visées des impérialistes franco-britanniques, cette

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part devait être proportionnelle à la puissance espagnole, c'est-à-dire, à leurs yeux, "une misère".De fait, l'axe traditionnel Fès-Tanger, remplaçant l'antique axe Fès-Ceuta, est brisé par l'installation d'une douane franco-espagnole à Arbaoua. Ainsi, l'axe Fès-Casablanca se vit renforcé et s'inscrit dans une structure plus vaste au niveau de toute l'Afrique du Nord coloniale . Des centres urbains qui tiraient profit de leur position sur l'axe Fès-Tanger, tels que Ouazzane, Ksar El Kébir, Larache et Tétouan, vont péricliter au profit de nouvelles concentrations urbaines situées sur le nouvel axe Fès-Casablanca tels que Khémisset, Sidi Kacem et plus tard Tiflet.L'Espagne possédait une longue expérience colonialiste et avait contre le Maroc une rancune civilisationnelle tenace. Son comportement dans la zone khalifale qu'elle dominait diffère sensiblement de celui de la France, notamment par l'installation de l'administration coloniale dans la médina (intra muros), par l'encerclement du tissu urbain par des casernes militaires accolées aux murailles et par la mise en place d'une politique de "missionnaires". L'Espagne n'avait pas d'objectifs urbanistiques comparables à ceux de LYAUTEY par exemple. Elle se contenta d'installer ses colons dans les médinas, signe de domination cher à l'esprit 16ème, "conquistador", des espagnols.Notons, d'autre part, que l'Espagne n'a pas pu concrétiser ses visées sur Tanger, ce qui l'aurait mise en possession d'une importante monnaie d'échange pour une éventuelle pression sur l'Angleterre dans le but de récupérer Gibraltar. Cet impérialisme d'un autre âge, eut bientôt à faire face au mouvement rifain de libération d'Abdelkrim El KHATTABI. L'Espagne y réussit si bien qu'elle aurait perdu toute la zone khalifale, n'était l'intervention du vainqueur de Verdun, le maréchal PETAIN, qui prônait dans le Rif une guerre totale aussi sale que possible .Au niveau politique, l'opposition nationaliste naissante se manifesta à travers le Comité d'Action Marocaine (C.A.M.), première forme de structuration du nationalisme marocain. La nouvelle génération qui forma le mouvement national à partir de 1353H/1934 , ayant pris fort peu part à la résistance armée, allait mener le conflit franco-marocain sur une voie qui s'acheminera vers l'éclatement du Protectorat en 1375H/1956. Publié par Larbi BOUAYAD à l'adresse 10:19 0 commentaires Libellés : HTA 3 Articles

dimanche 27 juillet 2008

LA VILLE DE FES

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INTRODUCTION

Une nature féconde et généreuse fit l'écrin, il revint au génie d'une civilisation d'"ouvrager" l'œuvre. La conjonction d'un lieu et d'un type d'homme accorda à l'humanité l'un des produits les plus accomplis de l'esprit bâtisseur : Fès.

Que n'a-t-on vanté la beauté diaphane de cette ville chargée d'Orient, chargée de civilisation et remplie d'histoire... Vanité ! La beauté passe, demeure l'enseignement des siècles.

Fès, blottie dans ses murs, n'est pas à l'abri du temps. Ses tours édentées nous interrogent et invitent à ce recueillement intérieur qui précède les grands espoirs et les grandes folies, mais aussi les grandes résolutions et les pensées véritablement créatrices. C'est cet immense élan de vie qui fit Fès qu'il nous faut aujourd'hui comprendre pour prendre. Il est là le Fès des siècles ; depuis ce mont Zalagh qui est aussi, à sa façon, le faiseur de l'âme de la cité, nous parvient, bien faible, le murmure des âges. Car pour l'écouter, il faut suivre la foule des souks bariolés de lumières et de couleurs, de sons et d'odeurs.

Au bas de la descente tour à tour rapide ou douce, tel un cours d'eau, se réunissant à la mer ou en échappant, la foule fassie "besogneuse et créatrice" se répand autour de la Qaraouiyine "la première édifiée et l'une des plus célèbres universités du monde. Edifiée par une femme ... C'était au milieu du 9e siècle [1], cinquante années après la fondation de la ville ... les professeurs et les lauréats de cette université ont marqué par leurs recherches, et leur érudition, des générations de personnages historiques dans l'université du savoir ..." [2].

Etablie au creux d'un vallon, dominée par les masses sombres et imposantes des monts Zalagh et Tghat, avant-gardes du Rif à la frange de la plaine haute du Saïs, la cité de Fès est située dans le passage étroit entre le Saïs et le Sebou [3] et se trouve ainsi dans une position stratégique à la jonction de quatre régions naturelles facilement accessibles [4].

Le site de Fès possède en outre le privilège de disposer d'une véritable manne : une eau abondante aisément exploitable[5], la proximité d'un sol prodigue en matériaux de construction[6], un climat favorable, un sol agricole fertile et un site proche de pâturages et de bois. "Ce site présente toutes les potentialités requises pour l'édification d'une ville conformément au grand principe traditionnel qui commande de "s'assurer de l'utile et de se débarrasser du nuisible"." [7]

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L'abondance des eaux à Fès et dans sa région est due aux conditions géographiques exceptionnelles du site : la plaine du Saïs descend en pente douce du Moyen-Atlas vers le Rif, les eaux provenant du Moyen-Atlas remplissent des nappes phréatiques qui viennent heurter la barrière imperméable des montagnes du pré-Rif ; elles affleurent au sol à plusieurs endroits, notamment dans la sous-région de Fès.

D'autre part, "... au pied du massif pré-rifain du Zalagh et en vue des premiers contreforts du moyen Atlas que coule l'Oued Fès, dont la vallée constitue le site originel de la ville ; l'Oued dissèque, en amont, le rebord du plateau du Saïs, deuxième site de Fès, sur lequel se sont implantés Fès-Jdid, puis Dar-Debibagh, avant de rejoindre le Sebou dans une zone demeurée jusqu'à présent vierge de toute urbanisation." [8]

1° FONDATION DE LA CITE :

« O Dieu, Tu n'ignores point qu'à travers l'édification de cette cité je n'ai cherché ni ostentation ni vantardise et point l'étalage, le prestige ou l'orgueil... J'ai voulu qu'on T'y adore, qu'on récite Ton Livre et qu'y soient perpétuellement dressées les limites que Tes Lois indiquent et qu'y soient établis la Tradition et l'enseignement de Ton Prophète, bénédictions et paix sur lui (bpsl). Puisses-Tu, ô Seigneur, inspirer le bien à ses habitants et à tous ceux qui y demeurent, les y aider, les préserver de leurs ennemis, leur accorder l'abondance de biens et les sauvegarder des désordres et de la discorde ; Ton omnipotence, ô Seigneur, est infinie. » Invocation d'Idriss II [9]

La fondation de Fès est inséparable de l'avènement idrisside. La famille d'Idriss Ibn Abdallah, descendant de Fatima fille du Prophète (bpsl), devait constituer la première dynastie musulmane au Maroc. Pourtant le premier Idriss était considéré plus comme Imam[10] que sultan ou roi.

a - Naissance du premier royaume musulman au Maroc :

Persécuté par les Abassides qui voyaient en lui et en sa famille un danger potentiel pour la stabilité de leur pouvoir, Idriss Ibn Abdallah[11] dût s'exiler d'abord en Egypte puis à Tlemcen avant de s'installer définitivement à Oualili (Volubilis) au Maroc[12]. Son savoir, sa piété, ajoutés à ses qualités d'organisateur, firent, que six mois ne s'étaient écoulés après son arrivée, qu'il était élu Imam.

Dès son avènement, Idriss Ibn Abdallah déploya des efforts soutenus pour la propagation de l'Islam dans les contrées du Maroc central où régnaient le paganisme et l'idolâtrie. Il porta par la suite ses étendards sur Tlemcen et parvint à s'en emparer sans combat en rajab 173H/789.

Sur ces entrefaites, la nouvelle parvenue à Bagdad, Haroun Er-Rachid l’abbasside pensa qu'Idriss portera bientôt ses regards sur Ifriquia (la Tunisie) et peut-être au-delà. Le calife abbasside décida d'agir avant que le jeune état idrisside ne devienne trop puissant pour être contenu ou détruit. Il chargea un dénommé Souleimane Ibn Jarir Ach-Chammakh, sorte d'aventurier[13], de gagner la confiance de l'Imam Idriss puis de l'éliminer. Ach-Chammakh parvint à remplir sa mission et à empoisonner le premier idrisside en Rabi'II 177H/ juillet 793[14].

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A la mort d'Idriss Ibn Abdallah, son compagnon et affranchi Rached assura l'intérim jusqu'à la naissance d'Idriss Ibn Idriss, puis assura la régence jusqu'à ce que ce dernier ait atteint l'âge de onze ans en 188H/804, âge où il fut proclamé Imam[15].

La naissance d'Idriss Ibn Idriss marqua une évolution irrésistible vers la monarchie héréditaire. Pour la postérité, Idriss II est d'abord le consolidateur du premier royaume musulman au Maroc et le fondateur de Fès.

b - Questions autour de la fondation de Fès :

Pour la plupart des auteurs, il ne fait pas de doute que c'est Idriss II qui est derrière l'édification de la cité de Fès en 192H/808. Néanmoins, pour d'autres, cette fondation remonterait au moins[16] jusqu'à Idriss Ibn Abdallah en 172H/789.

La version la plus répandue affirme que "des arabes et des andalous affluèrent en nombre auprès de lui (Idriss II). Ils étaient 500 environ. Idriss les attacha à son service, à l'exclusion des berbères ; ils formèrent sa cour et son entourage. Son autorité en fut affermie. Informé de l'alliance du chef des Aouraba, Ishaq Ibn Mahmoud, avec Ibrahim Ibn Al Aghlab, il le fit tuer. L'accroissement du nombre des serviteurs de la dynastie et de ses partisans fut tel que la ville d'Oualili ne pouvait plus les contenir. Idriss choisit un emplacement pour construire une ville...

Il se rendit à Fès, installa son camp à Guerouaoua et fit commencer les travaux de construction. Il fonda le quartier des Andalous en 192 (808). Un an après, en 193, il fonda le quartier des Kairouanais, y édifia sa demeure et vint y habiter. Il y construisit la mosquée des Chorfas." [17]

Une autre version affirme qu'après plusieurs tentatives infructueuses [18] de bâtir une nouvelle cité pour l'accueillir, Idriss II chargea son ministre 'Omaïr de chercher le meilleur emplacement possible pour sa future capitale. Et de fait, vu cet acharnement à bâtir une nouvelle cité, il semblerait qu'il s'agissait d'une question vitale et qu'il ne pouvait, en tout cas, guère attendre.

Etait-ce alors en raison de l'exiguïté d'Oualili, comme le laisse entendre Ibn KHALDOUN, ou alors à cause de la défiance que commençait à ressentir Idriss II envers les Aouraba dont il venait de supprimer le chef Ishaq Ibn Abdelhamid [19], comme l'affirme LETOURNEAU[20], d'ailleurs, sur de simples spéculations ? Selon d'autres sources, notamment Abou Bakr Er-Razi (historien cordouan du 4e siècle de l'hégire/10e siècle), ce serait Idriss I le fondateur de Fès [21].

Enfin, et à la suite du géographe Ibn Saïd [22], des historiens contemporains, se basant aussi sur l'analyse numismatique, adoptent l'hypothèse de la fondation de deux cités voisines : la première par Idriss le père en 172H/788 nommée madinat Fès sur la rive droite et la seconde par Idriss le jeune en 192H/808 nommée Fès el 'Alia sur la rive gauche. Cette thèse semble être confirmée par la présence, au temps d'Idriss II, de deux villes ceintes de murailles différentes.

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Contrairement aux hypothèses qui voient dans la séparation de la cité en deux entités une séparation sur des bases ethniques ou culturelles (berbères/arabes ou kairouanais/andalous), on peut voir dans cette séparation un phénomène engendré par le besoin d'espace d'une part, et d'autre part par le désir du jeune souverain de se bâtir une sorte de "ville administrative"[23] à côté de la ville préexistante.

On peut faire l'analogie avec ce qui se passa à l'époque mérinide par exemple : l'édification de Fès-Jdid (Fès-la-Neuve) à côté de Fès-al-Bali (Fès l'ancienne).

Les structures embryonnaires de l'Etat à l'époque idrisside et les événements historiques que connaîtra la cité ne permettront pas le marquage de l'espace que Fès Jdid a connu. Ces structures embryonnaires n'étaient probablement pas de nature à empêcher le souverain idrisside d'exprimer la volonté d'édifier sa ville de commandement à Fès El 'Alia sur la rive droite kairouanaise de l'oued Fès.

Cette hypothèse permet au moins d'expliquer la bipolarisation originelle de la médina et que les autres thèses ne permettent pas d'approcher de manière satisfaisante. On pourra toutefois ajouter que les véritables circonstances de la fondation des deux Fès (Madinat Fès vraisemblablement d'Idriss Ibn Abdallah et Fès El 'Alia d'Idriss II) demeureront à jamais un mystère.

2° EPOQUE DES DEUX 'ADWAS :

Cette période s'étend de la fondation de la cité jusqu'à la réunion des deux 'Adwas sous le règne de Youssef Ibn Tachafine l'almoravide, en Safar 463H/novembre 1070. Elle se caractérise par de nombreux troubles et une instabilité politique chronique, constamment entretenue par les rivalités entre les Omeyyades andalous et leurs alliés et clients marocains d'un côté, et les 'Obaïdites (Fatimides) d'Ifriquia (la Tunisie actuelle) et d'Egypte et leurs alliés marocains de l'autre.

En effet, après la disparition d'Idriss II, dans la fleur de l'âge, le royaume idrisside fut partagé, sur les conseils de sa mère, entre ses douze fils, tout en demeurant théoriquement réuni sous l'égide de l'aîné Mohammed. La concorde régna jusqu'à ce qu'un différend éclata entre le prince 'Issa, gouverneur de Chellah et de Tamesna (région de Rabat-Salé) et son frère aîné, entraînant de nombreux troubles et révélant la fragilité de la nouvelle construction du royaume.

L'anarchie qui s'ensuivit est rapidement exploitée par les dynasties rivales d'Andalousie et d'Afrique du Nord qui se disputaient le contrôle du Maroc (qui avait le "privilège" de se trouver entre ces deux empires) tirant notamment profit des rivalités opposant les tribus zénètes et senhajas [24].

Durant cette période troublée, le contrôle de la cité de Fès s'avéra être un objectif stratégique et de choix pour quiconque désirait assurer sa mainmise sur le pays, étant donné le poids politique, économique, culturel et démographique que la ville commençait à avoir[25]. En effet, depuis sa fondation, la ville de Fès n'a cessé d'être l'objet de l'attention particulière des princes qui l'ont gouvernée, qu'ils aient été idrissides ou gouverneurs au nom des Omeyyades ou des Fatimides. Assez tôt, les deux 'Adwas ont été reliées par les ponts de Rcif et de Bine Lemdoune (terme signifiant "entre les villes") [26].

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Le prince zénète Ahmed Ben Boubker (345H/956) fit construire le célèbre minaret de la Qaraouiyine et en fit agrandir la mosquée qui avait été édifiée par une femme, Fatima Oum Al Banine EL FIHRIA, près d'un siècle auparavant (début ramadan 245H/fin novembre 859) [27]. Le même prince serait à l'origine de l'érection du minaret de la mosquée d'Al Andalous.

A la même époque, les constructions commencèrent à déborder rapidement hors les murailles et les deux villes semblaient ainsi se rejoindre. LETOURNEAU affirme qu'il y eut jusqu'à six ponts entre les deux rives ; "plus que maintenant" [28]... La séparation des deux 'Adwas devait durer jusqu'à l'avènement almoravide.

A suivre...

1 - Milieu du 3ème siècle de l'Hégire.

2 - Larbi ESSAKALI, "Fès", collection "Sites et cités", édition Nuvo Media, Madrid 1992, p.12.

3 - Plus de 200 m de dénivelé d'après le Schéma-Directeur d'Urbanisme de la ville de Fès (S.D.U.F.), dossier technique I-5, "Les données naturelles", Ministère de l'Habitat et de l'Aménagement du Territoire, édité par l'U.N.E.S.C.O. en 1980, p.1

4 - "Le Moyen-Atlas au sud, les plaines atlantiques à l'ouest, le Rif au nord et les hauts plateaux de l'Oriental, ouvrant de larges passages vers le Tafilalet et le Sahara, la côte atlantique, la Méditerranée, la "méseta" orano-marocaine et la basse Moulouya, une position privilégiée de domination régionale et de conquête d'un empire au croisement des grandes routes d'une partie du continent." Ibid.

5 - Plus de cinquante sources et l'intarissable Oued Fès parcourant la ville.

6 - "On doit tenir compte aussi des matériaux de construction dont est prodigue le sol de Fès : moellons, pierres à chaux, argile, gypse. Tout cela se trouve sur les pentes mêmes du vallon Idriss ou à peu de distance." Roger LETOURNEAU, "Fès avant le protectorat", éditions Laporte, Rabat 1949, p.37. Concernant l'eau, LETOURNEAU affirme que sa présence abondante "... ne saurait toutefois faire oublier que Fès fut parfois privée de sa rivière par les hommes qui l'assiégèrent, comme, par exemple, 'Abd el-Moumen l'Almohade en 1145 (540H), ou par le ciel qui n'envoyait pas de pluie ; au cours du terrible printemps de 1945 (1364H), Fès a connu des patios désertés par le murmure joyeux des jets d'eau, des rues où l'on n'entendait plus ni le bruissement de la rivière, ni le ronron des moulins. Un tel silence est rare, mais il peut se produire..." Ibid. Cette affirmation aurait gagné en poids et en valeur si l'auteur n'avait pas multiplié systématiquement le doute sur la véracité des faits et événements touchant à la fondation de Fès. LETOURNEAU dans cet exemple, partant de détails exceptionnels et rarissimes, apporte quelques doutes à l'adaptation de Fès à son site et de celui-ci à Fès. Nous retrouverons dans d'autres cas cet esprit avec lequel il traite les événements et faits historiques.

7 - Kamil YASSINE, "Les principes Intimité-Voisinage dans l'habitat islamique", op. cité (au Livre I), p.58.

8 - S.D.U.F. 1980, dossier I-2, "La région et le périurbain", p.1. Notons, qu'à quelques virgules près, le S.D.A.U. de Fès 1991 nous rapporte les mêmes informations que le S.D.U.F. Lors de l'étude du SDAU (Michel PINSEAU, "Schéma Directeur de Fès - Rapport justificatif", Ministère de l'Intérieur, Rabat août 1991), l'équipe qui a tant emprunté au SDUF s'est bien gardée d'emprunter l'esprit qui était un esprit de dépassement de la réalité et non de projection de la tendance.

9 - Invocation prononcée à la fin du prêche du premier vendredi après l'achèvement de l'édification de Fès (cf. NACIRI, op. cité, p.152, tome 1).

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[10] - C'est-à-dire chef d'une communauté bâtie sur le Chraâ, ce qui était normalement une garantie contre tout glissement vers la monarchie ou le despotisme. Un début de ce glissement devait avoir lieu juste après sa mort : l'Etat idrisside se transforma en monarchie héréditaire. On peut certes ajouter que le système monarchique n'est pas une création idrisside dans le monde musulman; Mo'awia, fondateur de la dynastie omeyyade, endossa l'immense responsabilité devant l'histoire d'être le précurseur du régime monarchique en terre d'Islam. Avant lui, ni le Prophète (bpsl) ni aucun des califes rachidiens (orthodoxes) ne chercha à perpétuer le pouvoir dans sa descendance. Au contraire, la Choura (consultation et délibération) et l'élection libre du successeur du Prophète comme chef de le Oumma (par les oulémas, les notables pieux... dans un cadre ouvert à toute confrontation saine des idées) a été la règle jusqu'à l'avènement de Mo'awia en 41H/661.

11 - Après la débâcle des Alites à la bataille du Fakh en 169H/785.

12 - Sous la protection d'Ishaq Ibn Mohammed Ibn Abdelhamid, chef de la puissante tribu des Aouraba en 172H/788.

13 - Un genre de "médecin" avec probablement un côté Cagliostro.

14 - Il devait se réfugier, après avoir perdu un bras dans l'aventure, chez le futur émir d'Ifriquia Ibrahim Ibn El Aghlab, qui avait contribué à planifier l'attentat et dont la récompense fut justement l'émirat d'Ifriquia. Plus tard, le manchot devait être reconnu dans les rues de Bagdad.

15 - Après la mort d'Idriss I, Rached déclara au peuple, assemblé autour de lui, qu'Idriss n’avait pas laissé d'enfant mais que sa compagne Kenza était enceinte. Il leur fit choisir entre patienter jusqu'à la naissance de l'enfant, si celui-ci est un mâle il se chargerait de son éducation jusqu'à l'âge où il pourrait recevoir l'allégeance en sa qualité de descendant du Prophète (bpsl) ; sinon ils pourront se choisir l'Imam qu'ils voudront. On lui répondit : "Vénérable cheikh, nous n'avons d'autre vision des choses que la tienne, tu es pour nous le remplaçant d'Idriss, tu t'occupes de nos affaires comme le faisait Idriss, tu diriges nos prières et tu gouvernes selon les Lois du Livre de Dieu et de la tradition prophétique. Nous patienterons jusqu'à la naissance de l'enfant et il en sera selon ta volonté. Si c'est un garçon, nous l'élèverons et lui accorderons notre allégeance, si c'est une fille, tu es le mieux placé pour être notre guide en raison de tes vertus, de ta piété et de ton savoir ..." Ali Ibn Abi Zar' El FASSI, "El Anis al motrib bi Rawd al-Kirtass fi akhbar moulouk al Maghreb wa tarikh medinat Fas". (Le compagnon divertissant au milieu du jardin de l'écriture concernant la chronique des rois du Maroc et l'histoire de la cité de Fès) en arabe, édition El Mansour, Rabat 1972, p. 24-25 (voir aussi NACIRI, op.cité, p.145, tome 1). De tout ceci, il apparaît que l'organisation politique de l'Etat fondé par Idriss a bien failli s'acheminer vers un régime électif où le guide est choisi selon ses qualités morales, intellectuelles et spirituelles. Il n'en fut pas ainsi autant par le manque de volonté de Rached lui-même que de celle des notables.

16 - Ainsi Roger LETOURNEAU, se basant sur "Rawd el-Kirtas", affirme l'existence d'indices "qui peuvent faire supposer que la Fès musulmane n'a pas été la première occupante de ce site si favorisé". Quels sont donc ces indices, "indices mystérieux, indices fragiles et qui confinent à la Légende Dorée, indices tout de même d'une tradition très ancienne et obscurcie par le temps" (?) : "On lit, en effet, nous dit LETOURNEAU, dans le Rawd el-Kirtas qu'un jour où Idris était occupé à tracer le plan de la cité future, un moine chrétien, âgé de plus de cent cinquante ans, le vint trouver et lui demanda à quoi il s'occupait. Idris lui exposa ses projets ; le vieillard alors fut tout illuminé de joie et lui dit : "J'ai connu un moine qui a vécu avant moi dans mon monastère et qui est mort depuis cent ans. Il m'a déclaré avoir lu dans un livre savant qu'une ville appelée Saf et qui a été détruite voilà dix-sept cents ans, avait existé en ce lieu même et qu'un homme de la descendance d'un prophète, portant le nom d'Idris, la rebâtirait, qu'elle acquerrait une grande renommée et une incomparable puissance et qu'elle conserverait la foi islamique jusqu'au jour de la résurrection." Le Rawd el-Kirtas rapporte encore qu'un juif, en creusant le sol pour y établir les fondations de sa demeure, découvrit une statue de jeune fille en marbre, sur le buste de laquelle on pouvait lire cette inscription en caractères hindous ou himyarites : "Ceci est l'emplacement de thermes qui furent fréquentés pendant mille ans, puis détruits". A leur place, on dressa un oratoire pour le culte". Op. cité, p.38. Il est cependant curieux que l'auteur, qui pourtant fait preuve d'esprit critique "moderne" et qui pour d'autres événements n'hésite pas à critiquer la tendance qu'ont les historiens et les orientalistes à admettre "comme parole d'évangile" (sic), p.33, les récits traditionnels comme ceux justement de Rawd el-Kirtas, il est curieux, disions-nous (et même paradoxal) que l'auteur n'ait trouvé qu'un récit aussi invraisemblable, que celui que nous venons de rapporter, afin de mettre en doute le fait que les Idrissides

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aient été les premiers à exploiter le site de Fès. Il semble ainsi prendre ses souhaits pour des réalités lorsqu'il passe quasiment de l'interrogation à l'affirmation : "D'ailleurs, est-on sûr que le site de Fès fut vierge quand Idriss s'y établit ? Certes on n'y a fait aucune découverte archéologique pré-musulmane ; mais il faut dire aussi qu'on n'y a pas pratiqué de fouilles, parce que les fouilles s'avèrent très difficiles dans une ville aussi compacte que la Fès moderne. Aucune campagne de prospection méthodique n'est possible ; il faut se résigner à compter sur le hasard des fondations que l'on creuse pour des immeubles nouveaux ; jusqu'à présent le hasard n'a pas été favorable aux archéologues. Il pourrait l'être cependant un jour, si nous en croyons la tradition rapportée par les historiens arabes". Op. cité p.38. Apparemment, le doute cartésien s'applique chez lui d'une manière des plus sélectives. En réalité, le fait que les musulmans aient été les premiers ou les derniers à avoir découvert ce site "prédestiné" (sic), p.37, n'a, du point de vue où nous plaçons, aucune importance. On peut néanmoins noter en passant que même si d'autres "pionniers" avaient pu précéder les Idrissides, ils ne pouvaient être que des autochtones.

17 - Ibn KHALDOUN, cité par Mostafa HASSANI-IDRISSI, "Du fath islamique aux Almoravides" in "La grande encyclopédie du Maroc : Histoire", op.cité, p.44.

18 - La première sur le flan méridional du mont Zalagh : à peine construits, les premiers édifices furent emportés par un torrent ; ensuite à l'emplacement de la Hamma de Khawlane (l'actuelle station thermale de Sidi Harazem) mais trop proche du fleuve Sebou ; la troisième probablement au nord près de Tanger.

19 - Celui-ci même qui avait reçu son père et qu'il soupçonna -à tort ou à raison, l'histoire ne nous le dit pas avec suffisamment de clarté- de conspirer avec l'émir d'Ifriquia Ibrahim, le premier Aghlabide à gouverner en Tunisie au nom des abassides. L'Ifriquia, position avancée du califat de Bagdad, avait comme tâche prioritaire de lutter contre les Idrissides et les Omeyades d'Andalousie. Les "grandes réussites" de l'Aghlabide dans ce cadre furent notamment l'assassinat d'Idriss I en 177H/793, du régent Rached en 188H/804 et le fait de semer les troubles et la zizanie au sein du jeune royaume. On peut noter qu'Ibn el Aghlab avait essayé à plusieurs reprises d'assassiner, toujours pour le compte des abassides, Idriss II en qui il voyait le même danger que son père. (Consulter, pour plus de détail, Mahmoud ISMAIL : "Al Aghaliba, 184H/296, siyassatouhoum al kharijiya" -"Les Aghlabides, 799-908, leur politique extérieure"- en arabe, éditions Papeterie de l'Université, Fès 1978, p.112-124).

[20] - « En 189/805, il voyait arriver près de lui des Arabes d’Andalousie et d’Ifrikia, au nombre de cinq cents et se laissait gagner à leur influence au point que, trois ans après, en 192/808, il faisait mettre à mort le chef de la tribu des Awrabas, Abou Laïla Ishak. Il est aisé de comprendre qu’alors Idris et ses compatriotes (arabes, récemment arrivés ! Kenza, sa mère, étant berbère) ne se sentirent plus en sécurité à Walila et songèrent à s’installer à Fès où… vivaient des Berbères différents des Awrabas et que le meurtre d’Abou Laïla Ishak n’avait pas forcément scandalisés ». Op. cité, p.35.

21 - "Idriss Ibn Abdallah (Idriss I) arriva au Maghreb au mois de ramadan 172 (février 789). Il s'arrêta à Oualili. Des tribus berbères s'assemblèrent autour de lui et le placèrent à leur tête. Il bâtit la ville de Fès, dont l'emplacement était couvert de brousailles..., et les berbères l'habitèrent." HASSANI-IDRISSI, op.cité, p.44.

22 - "Fès consiste en deux villes. L'une fut construite par Idriss Ibn Abdallah ...Elle est connue sous le nom de Rive des Andalous. L'autre fut bâtie après la première ; elle est connue sous le nom de Rive des Kairouanais." Ibid.

23 - On peut remarquer que la prière du vendredi se tenait dans la mosquée Al Achraf sur l'autre rive (Al Andalous). En outre, il est à souligner que la seconde "'Adwa" a été érigé sur la rive "haute" (al 'alia, ou l'Alite), "la rive du commandement" en quelque sorte.

24 - Cf. Abdulhadi AL TAZI, "La mosquée Al-Qaraouiyin, l'Université de Fès", édition Dar Al Kitab Allubnani, Beyrouth 1972, p.58, tome 1.

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25 - "Elle était alors la seule véritable grande ville du Maroc continental... Tanger et Ceuta sont par trop excentriques, Meknès n'était qu'un gros bourg berbère ; Walila était bien déchue depuis que les idrissides l'avaient abandonnée. Fès était donc forcément le point de convergence des courants économiques d'une région riche et, grâce à son industrie naissante, elle avait de quoi donner en échange des produits du sol qu'on lui apportait de partout ; peut-être même un courant commercial s'était-il déjà établi entre Fès et l'Andalousie, par l'intermédiaire des Cordouans émigrés. Elle était plus et mieux qu'un grand centre commercial : un foyer de civilisation". LETOURNEAU, op. cité, p.48.

26 - AZIZ, MOUNCHIH et TITA, op. cité, p.92, tome 1. Ponts édifiés par les souverains zénètes (alliés des Omeyyades), lorsqu'ils prirent le pouvoir dans les deux villes. La fortune des armes faisait que parfois l'une des deux 'Adwas était sous contrôle omeyyade (les zénètes), pendant que l'autre était gouvernée par les 'Obaïdites (les Sanhajas).

27 - Issue d'une grande famille d'origine kairouanaise, cette femme instruite et pieuse, ayant hérité de l'immense fortune de son père, entreprit la construction d'une mosquée, œuvre que la Tradition prophétique recommande : "Quiconque érige une mosquée, n'ayant d'autre but que celui de servir Dieu, le Seigneur lui destinera une demeure au paradis". Dès le début, le projet bénéficia de l'intérêt du peuple, des oulémas et du prince idrisside Yahia qui suivait la construction en personne. De fait, cet intérêt semble être dû à la personnalité de Fatima El FIHRIA et à sa piété plus qu'à la taille du projet lui-même. D'un autre côté, il est à noter que de nombreux historiens, tels Ibn Abi ZAR' et Ibn KHALDOUN, affirment que la mosquée Al Andalous, située sur l'autre rive, a été élevée par la propre sœur de Fatima El FIHRIA, Mariam, autre âme fervente, qu'une sainte émulation poussait à vouloir égaler sa sœur dans le bien. D'autres historiens ne se prononcent pas en faveur du récit parlant de Mariam, trouvant probablement que cela "paraît trop beau pour être vrai" (LETOURNEAU, op. cité, p.49). Pour notre part, ayant gardé une confiance raisonnable en l'être humain, nous estimons qu'un "parallélisme si parfait entre les deux sœurs et les deux mosquées" (Ibid.) n'a rien de bien extraordinaire...

28 - Op. cité, p.51, "Les émirs et les rois ajoutèrent sans cesse d'autres constructions à Fès et la population en vint à bâtir dans les faubourgs des deux villes, les constructions se rejoignirent de tous les côtés jusqu'à la fin de la dynastie zénète. Parmi ces princes, Dounas Ibn Hamama Ibn El Mo'izz Ibn 'Atiya Ibn Zaïd entoura de murs tous les faubourgs de tous les côtés et y fit construire des mosquées, des entrepôts, des bains, etc... Fès devint alors une seule ville." Aboul Hassan EL JAZNAI, "Zahrat el As" (La fleur du Myrte).