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MATHIEU ARNOUX LES MOULINS À EAU EN EUROPE OCCIDENTALE (IX e -XII e SIÈCLE). AUX ORIGINES D’UNE ÉCONOMIE INSTITUTIONNELLE DE L’ÉNERGIE HYDRAULIQUE En plaçant ce rapport dans la section « Aspetti economici dell’acqua » de notre rencontre, les organisateurs de cette Semaine suggéraient de faire sortir la question de la diffusion et de l’usage du moulin à eau dans le haut Moyen Âge du chapitre « transition entre l’Antiquité et le monde médiéval » auquel on réserve traditionnellement son examen, depuis l’article fameux publié par Marc Bloch en 1935 1 . Sur ce point, la tâche n’aurait pas été très difficile: la bibliographie consacrée à cette question est vaste et de qualité et elle présente souvent un caractère synthétique qui en rend le compte-rendu aisé. Mais un rapport sur ce point, surtout de ma part, aurait eu quelque difficulté à renouveler une problématique aussi bien établie et à aller au-delà de la confirmation de certains points largement acquis. Sans déroger à l’obligation d’en faire l’inventaire, préliminaire indispensable à la poursuite d’une enquête sur les moulins, il m’a paru plus utile et plus conforme à la suggestion lancée par les organisateurs de déplacer le questionnement vers l’aval, en m’interrogeant sur le lien entre diffusion du moulin à eau et développement des structures seigneuriales, un * Extrait de L'Aqua nei secoli altomedievali. Atti della LV Settimana di studio (Spoleto, 12-17 aprile 2007), Spolète, 2008, p.693-746. (1) M. BLOCH, Avènement et conquête du moulin à eau, dans Annales d’histoire économique et sociale, 7 (1936), p. 538-563, repris dans Mélanges historiques, Paris, 1963 (2 e édition, 1983), t. 2, p. 800-821.

Arnoux (M.)_Les Moulins à Eau en Europe Occidentale, IXe-XIIe s. Aux Origines d'Une Économie Institutionnelle de l'Énergie Hydaulique (55 Settimana Spolete, L'Aqua Nei Secoli Altomedievali,

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  • MATHIEU ARNOUX

    LES MOULINS EAU EN EUROPE OCCIDENTALE(IXe-XIIe SICLE). AUX ORIGINES DUNE

    CONOMIE INSTITUTIONNELLE DE LNERGIEHYDRAULIQUE

    En plaant ce rapport dans la section Aspetti economicidellacqua de notre rencontre, les organisateurs de cetteSemaine suggraient de faire sortir la question de la diffusionet de lusage du moulin eau dans le haut Moyen ge duchapitre transition entre lAntiquit et le monde mdival auquel on rserve traditionnellement son examen, depuislarticle fameux publi par Marc Bloch en 1935 1. Sur cepoint, la tche naurait pas t trs difficile: la bibliographieconsacre cette question est vaste et de qualit et elleprsente souvent un caractre synthtique qui en rend lecompte-rendu ais. Mais un rapport sur ce point, surtout dema part, aurait eu quelque difficult renouveler uneproblmatique aussi bien tablie et aller au-del de laconfirmation de certains points largement acquis. Sansdroger lobligation den faire linventaire, prliminaireindispensable la poursuite dune enqute sur les moulins, ilma paru plus utile et plus conforme la suggestion lancepar les organisateurs de dplacer le questionnement verslaval, en minterrogeant sur le lien entre diffusion du moulin eau et dveloppement des structures seigneuriales, un

    * Extrait de L'Aqua nei secoli altomedievali. Atti della LV Settimana di studio(Spoleto, 12-17 aprile 2007), Spolte, 2008, p.693-746.

    (1) M. BLOCH, Avnement et conqute du moulin eau, dans Annales dhistoire conomique et sociale, 7 (1936), p. 538-563, repris dans Mlanges historiques, Paris, 1963 (2e dition, 1983), t. 2, p. 800-821.

    ZoraaTexte tap la machine*

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    thme qui reste curieusement moins tudi que celui desorigines antiques de linnovation mdivale. Cet expossarticulera donc en deux moments de longueurs ingales:dans un premier temps, linterrogation dune bibliographiequi reste essentielle pour notre question, puis ltude dunetransition mal connue, o construction seigneuriale,croissance dmographie et urbanisation jouent un rleimportant, et qui voit, au terme de notre priode, la mise enplace partout en Europe dune infrastructure technique etdun ensemble dusages et de rgles appels marquerlconomie europenne jusquau milieu du XIXe sicle.

    RELIRE MARC BLOCH

    Larticle publi en 1935 dans les Annales est aujourdhuilun des crits les plus connus de lhistorien. La publicationrcente de sa correspondance avec Lucien Febvre permet decomprendre mieux la gense de ce texte important, laboren 1934 et 1935 sous la forme dun long article, la fois tudemonographique sur la question du moulin eau danslAntiquit et le haut Moyen ge et programme de recherchessur les techniques dans le monde mdival 2. Cest sur lasuggestion de Lucien Febvre que Marc Bloch se dcida lescinder en deux volets indpendants, qui furent tous deuxpublis dans le numro de novembre 1935 de la revue: lepremier, Avnement et conqute du moulin eau , dans larubrique Articles reprenait la partie monographique dutexte initial; le second, Les inventions mdivales ,dveloppant lintroduction de la premire version, figurait

    (2) M. BLOCH, L. FEBVRE, Correspondance, d. B. MLLER, t. 2, Paris, 2003, p. 193 (11dcembre 1934), 226 (13 avril 1935), p. 246 (5 juin 1935), p. 249 (6 juin 1935), p. 251(6-11 juin 1935), p. 253 (11 juin 1935).

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    dans la partie Problmes densemble du numro 3. Il nestpas sans importance de signaler que les 120 pages de cenumro, publies sour le titre gnral Les techniques,lhistoire et la vie constituaient le premier numrothmatique de la revue 4. Outre les deux articles dj cits, yfiguraient pas moins de quatre contributions de LucienFebvre, ainsi quun article important du sociologue GeorgesFriedmann sur Taylor et le taylorisme , un article ainsi quedes contributions plus courtes de lhistorien et anthropologuemarxiste Charles Parain et du gographe Jules Sion. Volontierspolmiques dans leur ton, les diverses contributionsaffirmaient laffinit de la revue lgard dune approchemarxiste non dogmatique de lhistoire des sciences et destechniques. Elle traduisaient aussi la volont de ne pasabandonner le terrain de lhistoire de linnovation celui quien tait alors lhistorien le plus connu en France, lecommandant Lefebvre des Nottes, dont Marc Bloch avaitsalu les premires publications pour leur caractre pionnier,mais dont il critiquait dans ses deux articles le caractreexcessivement dterministe, et ses yeux insuffisammenthistorique. Dans cette perspective, cest un autreautodidacte historien des techniques, le marin Guilleux LaRorie, quavait t demand un article sur lhistoire dugouvernail, dont la perspective trs internaliste etlattention la complexit des problmes techniques servaientle propos des directeurs de la revue.

    Il convient donc pour une lecture actuelle des deux textesde Marc Bloch de ne pas oublier leur aspect programmatiqueet polmique et leur place dans une stratgie doccupation de

    (3) M. BLOCH, Les inventions mdivales, dans Annales dhistoire conomique etsociale, 7 (1936), p. 634-644, repris dans Mlanges historiques, Paris, 1963 (2e dition,1983), t. 2, p. 822-832.

    (4) La revue peut tre consulte en ligne:

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    champs auparavant ignors par la discipline historique. Defait, le caractre volontairement frontalier de lenqutemene sur les moulins, dont la problmatique est autantconomique et sociologique que proprement historique, lui avalu dtre plus et mieux lu dans un premier temps par desspcialistes de sciences sociales que par des historiens. Dunecertaine manire, Marc Bloch lui-mme donne lexemple enne le citant pas dans la bibliographie de sa Socit fodale, oil ne consacre dailleurs que quelques lignes au problme dela banalit du moulin. Son disciple Andr Dlage, qui citelarticle dans sa thse sur la Vie rurale en Bourgogne, nydonne gure dimportance ce thme 5. Curieusement, lunedes premires rfrences dans la littrature anglo-saxonneprovient de larticle publi en 1939 par une enseignante dudpartement de sociologie de lUniversit de Berkeley,Margaret Trabue Hodgen, sur les moulins eau dans leDomesday Book 6. Aprs elle, dautres spcialistes destechniques continurent approfondir les questions posespar Bloch. Dans son premier article paru en 1940 sous le titre Technology and invention in the Middle Ages , Lynn White,faisait largement usage des contributions publies en 1935par les Annales, sans donner pour autant une placeparticulire larticle de Bloch 7. Mais cest lhistorienfranais quil ddia en 1963 son livre Technologie mdivale ettransformations sociales 8. Dans lhistoriographie franaisedaprs-guerre, cest deux marginaux clbres, Bertrand Gilleet Charles Parain que lon doit la rouverture du dossier sur

    (5) A. DLAGE, La vie rurale en Bourgogne jusquau dbut du XIe sicle, Macon,1941, p. 691.

    (6) M. TRABUE HODGEN, Domesday Water Mills, Antiquity, 13 (1939), p. 261-279.(7) L. WHITE, JR, Technology and invention in the Middle Ages, Speculum, 15 (1940),

    pp. 141-159; larticle de Bloch est cit p. 155, n. 4.(8) L. WHITE, JR, Medieval technology and Social change, Oxford, 1963; trad. fr.

    Technologie mdivale et transformations sociales, Paris, 1969.

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    le moulin eau, le premier partir de 1953 dans une sriedarticles prparatoires son Histoire des techniques, parueen 1978, confrontait les sources crites une iconographiecompltement absente de larticle de Bloch 9. Le secondreprit lessentiel de son analyse dans un article de rflexionparu en 1965 dans le mensuel du Parti communiste franais,La Pense, en y introduisant la question des spcificits et delvolution des crales panifiables. Il y reprochait curieusement Bloch demeur encore trop historien de cabinet desous-estimer les capacits et laction des producteursdirects [et] des masses populaires dans lhistoire 10.

    Jusquau dbut des annes 1970, la contribution de Blochet le thme des moulins semblent donc tre rests peu prsignors des historiens de la socit mdivale, particulirementen France. Dans sa thse de 1953 sur le Mconnais, GeorgesDuby, tout en citant larticle en bibliographie, ne mentionneles moulins ni dans la table des matires ni dans lindex. Ilssont mme absents du chapitre remarquable quil consacreau dveloppement de la seigneurie banale et la concurrencedes banalits 11. Dans la vaste bibliographie de sa synthse de1967 sur Lconomie rurale et la vie des campagnes, larticlede Bloch ne figure pas: cest ceux de Lynn White en 1940 et deBertrand Gille en 1953 qui font rfrence pour la question.En 1973, dans Guerriers et Paysans, qui fait une large placeau facteur technique parmi les causes de la croissanceeuropenne, le texte de Bloch nest pas cit et ce sont les

    (9) B. GILLE, Le moulin eau, une rvolution technique mdivale, Techniques etcivilisations, 3 (1954), p. 1-15; Histoire des techniques (Encyclopdie de la Pliade),Paris, 1978.

    (10) Ch. PARAIN, Rapports de production et dveloppement des forces productives,dans La Pense, n 119, fvrier 1965, repris dans Outils, Ethnies et dveloppementhistorique, Paris, 1979, pp. 305-327.

    (11) G. DUBY, La socit aux XIe et XIIe sicles dans la rgion mconnaise, Paris,1953, 2e d., Paris, 1971.

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    thses culturalistes et fortement diffusionnistes de LynnWhite qui servent de base son argumentation 12.

    Il faut attendre la premire crise de lnergie et les annes1980 pour voir des historiens de la socit mdivalereprendre leur compte le questionnaire de Marc Bloch etfaire de lapprovisionnement nergtique et du moulin unthme dtude de plein droit. Les deux noms qui simposentsont ceux de Luisa Chiapa Mauri, dont le livre de 1984 sur lesmoulins de la rgion de Milan se place directement souslinvocation de lhistorien franais, et de Dietrich Lohrmann,qui entame alors une srie denqutes explicitement placesdans le prolongement de larticle de 1935 13. Les recherchessur ce thme se sont multiplies depuis, portant sur lesdiverses priodes du Moyen ge, sur diverses rgionseuropennes sur divers aspects de la question des moulins.Dans notre perspective, sont particulirement retenir lescontributions de Georges Comet sur la transformation descrales et dtienne Champion sur les moulins dans lespolyptyques carolingiens 14. la diffrence des priodesprcdentes, ces enqutes sont toutes construites partir duquestionnaire labor par Bloch, dont elles soulignent

    (12) G. DUBY, Lconomie rurale et la vie des campagnes dans lOccident mdival(France, Angleterre, Empire, IXe-XVe sicles), Paris, 1962; Guerriers et paysans,VIIIe-XIIe. Premier essor de lconomie europenne, Paris, 1973.

    (13) L. CHIAPA MAURI, I mulini ad cqua nel Milanese (secoli X-XV), Roma (Bibliotecadella Nuova Rivista Storica , 36), 1984; pour les nombreux articles de D. LOHRMANN, cf.la bibliographie rassemble dans larticle Mhle, historisch , du Reallexikon dergermanischen Altertumskunde, t. 20 (2002), pp. 281-287; on retiendra en particulier:Travail manuel et machines hydrauliques avant lan mil, J. HAMESSE et C. MURAILLE-SAMARAN (d.), Le Travail au Moyen Age. Une approche interdisciplinaire, (Actes ducolloque international de Louvain-la-Neuve, 21./23. Mai 1987), Louvain-la-Neuve,1990, pp. 35-48; Le moulin eau, avant et aprs Marc Bloch, dans H. ATSMA et A.BURGUIRE (d.), Marc Bloch aujourdhui. Histoire compare et sciences sociales, Paris,1990, pp. 339-348.

    (14) G. COMET, Le paysan et son outil. Essai dhistoire technique des crales (France,VIIIe-XVe sicle), Rome (Collection de lcole franaise de Rome, 165), 1992; . CHAMPION,Moulins et meuniers carolingiens dans les polyptyques entre Loire et Rhin, Paris, 1996.

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    globalement la pertinence tout en nuanant les conclusions.Un volume collectif rcemment paru sous la direction dePaola Galletti et Pierre Racine a permis de confronter cesdiverses approches et den valuer les acquis 15.

    Ces contributions rcentes illustrent dabord les lecturestrs diverses et parfois contradictoires auxquelles se prte letexte de Bloch. Lune de ses propositions essentielles est quele moulin constitue une invention antique, sans douteattribuable aux Romains, mais quil reviendrait aux hommesdu Moyen ge davoir fait de lui un lment essentiel de leursystme conomique. Aux dires de Dietrich Lohrmann, unetelle approche ressort valide pour lessentiel des recherchesultrieures. Il y a eu une meunerie antique dont, ds 1940,ltude par F. Benoit du site de Barbegal avait montr ledveloppement et dont la lecture attentive des sources dutrs haut Moyen ge et de nombreuses dcouvertesarchologiques montrent que lhritage ne fut pas perduaprs la disparition de lEmpire 16. Le mantien de la capacitdes villes moudre est affirm par des sources nombreuses etles inventaires domaniaux montrent les moulins prsents ennombre apprciable dans les grands domaines ds la fin duVIIIe sicle. Mentionnons seulement, pour sa date prcoce etparce quil ne figure gnralement pas parmi les polyptyquesutiliss, linventaire en 787 des domaines de labbaye deFontenelle, qui mentionne un total de 67 moulins pour prs

    (15) P. GALETTI et P. RACINE (d.), I mulini nellEuropa medievale, Bologne, 2003; cf.galement le volume des colloques de Flaran consacr aux moulins mdivaux etmodernes: M. MOUSNIER (d.), Moulins et meuniers dans les campagnes europennes(IXe-XVIIIe sicle), Toulouse (Journes internationales dhistoire de labbaye de Flaran,21), 2002.

    (16) F. BENOIT, Lusine de meunerie hydraulique de Barbegal (Arles), dans RevueArchologique, 6e srie, 15 (1940), pp. 19-80. Sur les moulins dans le monde romain, cf.en dernier lieu . WIKANDER, Archaeological evidence for early water-mills - an interimreport, dans History of Technology, 10 (1985), pp. 151-79 et The water-mill dans ID. (d.)Handbook of Ancient Water Technology, Leiden (Technology and Change in History, 2),2000, pp. 371-400.

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    de 3000 manses: beaucoup en quantit, mais peu enproportion 17. Revenant sur le texte de Bloch lors dun colloquetenu la mmoire de lhistorien en 1990, D. Lohrmann estimaitque sa propre recherche confirmait pour lessentiel seshypothses et intuitions, citant pour lapprouver la conclusionbien connue: Sans doute faut-il, dans les premiers sicles duMoyen ge, tenir compte de la lenteur propre lexpansionde toute nouveaut, du maintien autour des grands dquipesserviles encore considrables, des habitudes enfin que lesconqurants barbares apportaient de leur pays dorigine [...].Assez rapidement cependant, du moins dans lancienneRomania et les contres germaniques limitrophes, partout oles conditions naturelles ne sopposaient point cettemtamorphose, meules bras et chevaux disparurent desgrands domaines: ctait chose faite en Gaule au temps despolyptyques carolingiens et du Capitulare de villis; enAngleterre au temps du Domesday Book: textes, qui saitcouter, tout bruissants de la chanson des roues 18 .

    Si sa problmatique densemble parat valide par lesrecherches suscites par larticle, ses conclusions nen sontpas moins fortement discutes, nuances ou remises en cause.En insistant sur limportance des machines hydrauliques etde la meunerie eau dans le monde romain, certainshistoriens de lAntiquit sinterrogent sur le lien entreesclavage et refus de linnovation technique 19. La prcisioncroissante de nos connaissances en matire de technologie

    (17) Gesta Sanctorum Patrum Fontanellensis Coenobii, d. J. LAPORTE et F. LOHIER,Rouen (Socit de lHistoire de Normandie), 1936, pp. 82-83; conclusions analogues pourla Rhnanie par D. LOHRMANN, Remarques sur les moulins mdivaux en Rhnanie, dansM. MOUSNIER (d.), Moulins et meuniers cit. p. 79-95, aux pp. 90-94.

    (18) M. BLOCH, Avnement et conqute cit., pp. 811-812; D. LOHRMANN, Le moulin eau, avant et aprs Marc Bloch cit. p. 348.

    (19) M.-C. AMOURETTI et G. COMET, La meunerie antique et mdivale, dans ArchivesInternationales dHistoire des Sciences, 50 (2000), pp. 18-29; A. SCHIAVONE, Lhistoirebrise. La Rome antique et lOccident moderne, Paris, 2003, pp. 154-188.

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    nous a permis de ne plus voir dans lusage de roues verticalesou horizontales le signe dune plus ou moins grande avancedans la voie du progrs technologique, mais un choixrationnel des acteurs, quil faut mettre en relation avec lesconditions et les objectifs de ltablissement dun moulin 20.Par ailleurs, ltude de lvolution ultrieure des moulins aconduit les historiens des techniques rvaluer lespotentialits de la roue horizontale, dont procde la turbinedes usines hydrauliques du XIXe sicle 21.

    Le problme de limportance de lquipement domanial afait lobjet de nombreuses recherches, qui mettent en videnceune situation complexe, o chaque cas doit tre examinminutieusement 22. Cest ce qua fait tienne Champion surles polyptyques dentre Loire et Rhin, montrant au termedune analyse serre [qu]au sein du grand domainecarolingien une nette majorit des terres disposait dunmoulin au sein de leur propre villa. De plus, si lon tientcompte de la distance communment parcourue [...] la trsgrande majorit, parfois la quasi totalit des paysans pouvaientmoudre leur grain au moulin 23 . tendant lespacegermanique une enqute mene auparavant pour lessentielsur des sources de Francie occidentale, Dietrich Lohrmannconclut sans quivoque: La thse qui attribue au XIe sicle

    (20) Les deux formes dutilisation de lnergie hydraulique peuvent parfaitementcoexister sur les mmes sites: en 1147, labbaye de San Salvatore di Messina possdeainsi deux moulins: lun dt, horizontal, lautre dhiver, vertical; H. BRESC, P. DI SALVO,Mulini ad acqua in Sicilia, I mulini, i paratori, le cartiere e altre applicazioni, Palerme,2001, p. 30.

    (21) COMET, Le paysan et son outil cit. pp. 427-445; Pour un tat de la question lpoque moderne et contemporaine, A. STOWERS, Watermills, c. 1500-c. 1850, pp.199-213, dans Ch. SINGER, A history of technology, t. 4, Oxford, 1957.

    (22) Cf. les pages prcises et nuances consacres aux moulins par J.-P. DEVROEY,conomie rurale et socit dans lEurope franque (VIe-IXe sicles), Paris, 2003, pp.134-140, en particulier p. 138; Il est clair quau IXe sicle, le moulin eau ntait pasun lment oblig de toute seigneurie. Ctait toutefois un investissement recherch etprofitable, qui relevait toujours de la rserve

    (23) . CHAMPION, Moulins et meuniers carolingiens, cit. p. 41.

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    seulement la premire grande vague de construction desmoulins eau en Europe devient de moins en moinsprobable. La Rhnanie sest couverte de moulins eau ds leVIIIe-IXe sicle, partiellement bien avant 24... . La prise encompte des sources mditerranennes invite pousser plusloin la remise en cause des ides prconues sur le sujet. Cestce que font, partir des sources de lEspagne chrtienne,Jean Gautier Dalch 25 et Pierre Bonnassie, pour qui cesinstallations sont frquentes dans toute lEspagne du Nordds avant le IXe sicle: Pour aussi longtemps que permettede remonter la documentation, crit ce dernier, la Catalogneapparat dote de moulins hydrauliques 26 . Sappuyant surlensemble de ces contributions, Pierre Toubert conclut donclogiquement dans une synthse rcente sur la questiondomaniale: contrairement aux vues exposes par MarcBloch dans son article fameux de 1935 sur les conqutesmdivales du moulin eau, le haut Moyen ge na ignor nila diffusion du moulin eau ni, par consquent, une capacitnon ngligeable dinvestissement seigneurial dans la construc-tion et la maintenance de dispositifs techniques assezcomplexes et coteux, comme les moulins et les brasseries 27 .

    Pour le trs haut Moyen ge et lpoque carolingienne, ilsemble donc acquis que Marc Bloch, dans les limites de ladocumentation disponible en 1935, avait su poser les justesquestions, mme si la relecture des sources amne leur

    (24) LOHRMANN, Remarques sur les moulins mdivaux en Rhnanie cit. p. 95.(25) J. GAUTIER DALCH, Moulin eau, seigneurie, communaut rurale dans le nord de

    lEspagne, IXe-XIIe sicles, dans tudes de civilisation mdivale (IXe-XIIe sicles).Mlanges offert Edmond-Ren Labande, Poitiers, 1974, pp. 337-349; repris dansconomie et socit dans les pays de la couronne de Castille, Londres (Collected StudiesSeries, 149), 1982.

    (26) P. BONNASSIE, La Catalogne du milieu du Xe la fin du XIe sicle. Croissance etmutation dune socit, Toulouse, 1975, t. 1, pp. 459-464.

    (27) P. TOUBERT, LEurope dans sa premire croissance de Charlemagne lan mil,Paris, 2004, p. 70.

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    donner aujourdhui dautres rponses que les siennes.Curieusement, la seconde partie de son article, qui traite desliens entre moulins et seigneurie et de la naissance desbanalits na pas fait lobjet de la mme attention ni suscit lemme type de synthse. Il me parat donc pertinent de faireporter lessentiel de mon enqute sur le problme quellesoulve, qui est vritablement celui de la naissance duneconomie institutionnelle de lnergie hydraulique.

    MOULINS, PAYSANS ET SEIGNEURS

    Ltude des rapports entre moulins et seigneurie banaleest construite sur deux dossiers de sources produits lappuidune hypothse expressment mutationniste de gense de lafodalit. Le premier dossier, qui expose comment fonctionnela banalit du moulin est curieusement dpourvu de sourcesrelatives aux Xe-XIIe sicles: les rfrences dates remontentau plus tt au XIIIe sicle, et Bloch nhsite pas utiliser dessources du XVIIIe sicle (crits des feudistes et cahiers dedolances de 1789) voire plus tardives (tmoignages du XIXe

    sicle relatifs aux territoires germaniques ou la seigneuriequbcoise). Le deuxime dossier, qui constitue lun des apportsles plus intressants de larticle, est consacr linterdictionde lusage des meules mains par les paysans. lexceptiondun texte normand de 1207, il est exclusivement anglais etconcerne pour lessentiel des vnements survenus au XIVe

    sicle. La narration qui sappuie sur cet ensemble de preuvesest construite avec une grande clart, et constitue une desdescriptions les plus drastiques de la mutation fodale ,telle quelle a fait lobjet de dbats rcents parmi leshistoriens franais:

    partir du Xe sicle, une profonde transformation se fit dans lastructure conomique et juridique du monde rural. Usant de leurs

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    pouvoirs de commandement quon appelait le ban, les appuyantsur ces pouvoirs de justice dont la carence des tats favorisait alorsle dveloppement, les seigneurs ou du moins un grand nombredentre eux parvienrent instituer leur profit certains monopoles:du four, du pressoir; du verrat ou du taureau; de la vente du vin oude la bire, au moins durant certains mois; de la fourniture deschevaux pour le dpiquage des grains, l o cette pratique tait enusage; enfin le plus ancien de tous probablement et, sans conteste, leplus rpandu celui du moulin 28 .

    Pour lessentiel, ce rcit reprend le schma dj mis enuvre en 1931 dans Les caractres originaux de lhistoire ruralefranaise 29. Dans les deux textes, le plus surprenant estlabsence de corroboration par des sources contemporaines.Dans larticle de 1935, la nouveaut est constitue par larvlation du conflit relatif lusage des meules mains,dont Bloch fait un moment essentiel de lhistoire de la luttedes classes, sans pour autant dissimuler limpossibilit o ilest de le fonder sur des tmoignages:

    De cette longue querelle, malheureusement, en ce qui concerne laplus grande partie de la France, et peut-tre aussi de lAllemagne, lercit sera toujours impossible crire par le menu [...]. Labsence detmoignage parat nanmoins certaine. Aussi bien, pour la Franceen particulier, le silence des documents est-il aisment explicable.Notre pays fut la terre dlection des banalits. Elles ne sytendirent pas seulement un nombre dactivits plus quailleurslev; elles y triomphrent aussi dans toute leur rigueurremarquablement tt. Or, en raison de cette prcocit mme, lapriode de leur tablissement qui couvrit en gros les Xe et XIe sicles,se trouve concider avec la plus grande pauvret dcrits quaitconnue le Moyen ge. Lorsque les sources redevinrent abondantes,la phase dcisive de la lutte tait dj passe 30 .

    (28) BLOCH, Avnement et conqute du moulin eau cit., p. 814.(29) M. BLOCH, Les caractres originaux de lhistoire rurale franaise, Paris, 1988, pp.

    122-123.(30) BLOCH, Avnement et conqute du moulin eau cit., p. 815.

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    On ne peut qutre surpris de la dsinvolture avec laquelleun historien aussi rigoureux manie ici largument a silentio.Il le justifie cependant en sexcusant, juste titre, par lasotte habitude qui autorise les diteurs de chartes priverleurs lecteurs de tout index par matires, comme si cesrecueils ntaient au monde que pour favoriser, grce auxtables de noms propres, les jeux des gnalogistes . Il y a lune suggestion faite au lecteur de poursuivre et dtendrelenqute entame par Marc Bloch, dont larticle de 1935 doitsans doute tre considr la fois comme un tat provisoirede la question et un programme de recherches venir.

    Celles-ci ne sont pas venues: dans les nombreuses mono-graphies rgionales portant sur les Xe-XIIIe sicles, en Franceou hors de France, la question de la banalit des moulinssuscite le plus souvent une rserve prudente, soit parcequaucun document ne fait tat dune telle institution, soitparce que les sources rvlent une situation trop complexe etnuance pour sinscrire dans le schma propos par Bloch. Deplus, dans la plupart des cas, les dossiers sont trop minces, enparticulier pour le XIe sicle, pour permettre de construireune argumentation solide. Aussi bien des enqutes doivent-ellese rduire au commentaire de quelques tmoignages particu-lirement intressants mais isols, et la mise en srie despremires mentions de moulins, ou des allusions des moulinsrcemment construits, pour en tirer les indices dunmouvement dquipement des campagnes. Dans la plupartdes cas, le rcit qui rsulte de lenqute fait lhypothse dundmarrage de lquipement au Xe sicle et constate uneacclration la fin du XIIe sicle, ce qui pose, comme Blochlavait dj soulign, le problme de la sous-estimation delquipement prexistant ds que la documentation domanialecarolingienne fait dfaut. Le principal problme rside en faitdans lchelle danalyse du phnomne: les processus dinno-vation technique et les changements conjoncturels sont des

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    phnomnes continentaux. Une approche strictementrgionale ne peut les dcrire de manire adquate 31.

    Les recherches menes en Angleterre partir du DomesdayBook permettent dillustrer ce dilemme. Les problmes syprsentent en effet avec une nettet particulire. Alors queles chartes anglo-saxonnes antrieures 1066 ne font querarement mention de moulins 32, le recensement des tenuresfait en 1086 sur ordre du roi Guillaume en numre environ6000, dont une bonne partie tait dj prsente pendant lergne ddouard le Confesseur. Dans son article publi en1936, Margaret Trabue Hodgen avait soulign ltonnantedisparit rgionale que rvlaient la mise en relation dunombre des moulins et de leur revenu avec le nombre desmanoirs, ou celui des tenures, ou encore la rpartition desmanoirs quips de plusieurs moulins et des sites de moulinsmultiples, en quoi elle proposait de voir, sans doute justetitre, les premiers centres de meunerie hydraulique. Unetelle analyse de gographie statistique mettait en videncedes zones caractrises par une forte densit de population,allie un dveloppement remarquable de lquipementhydraulique, quon rapporte celui-ci la structure manorialeou la rpartition de la population 33. Elle signalait parailleurs que dans un nombre non ngligeable de cas, lemanoir et les moulins qui lui taient associs ne relevaientpas du mme tenant. Ltude ultrieure des procdures

    (31) Malgr la faiblesse des sources, certains dossiers peuvent tre particulirementbien mis en valeur dans un cadre rgional: cf. par exemple R. FOSSIER, La terre et leshommes en Picardie jusqu la fin du XIIIe sicle, Paris, 1968, t. 1, pp. 382-389; A.DEBORD, La socit laque dans les pays de la Charente (Xe-XIIe sicles), Paris, 1984, pp.322-324; A. CHDEVILLE, Chartres et ses campagnes, XIe-XIIIe sicles, Paris, 1973, pp.194-197; P. RACINE, Plaisance du Xe la fin du XIIIe sicle. Essai dhistoire urbaine,Lille-Paris, 1979, t. 1, pp. 259-273.

    (32) Ph. RAHTZ et D. BULLOUGH, The parts of an Anglo-saxon mill, Anglo-SaxonEngland, 6, Cambridge, 1972, pp. 15-37.

    (33) TRABUE HODGEN, Domesday Water Mills cit.

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    denqute a permis de montrer que les moulins constituaientsouvent des tenures autonomes recenses part des lmentsmanoriaux 34. Lextraordinaire varit des revenus associs lexploitation des moulins, grains, farines, poissons, btes oufer, a conduit enfin les replacer dans le cadre dune conomiedchange: pour Richard Britnell, la prolifration des moulinset leur insertion dans des rseaux dchanges largementmontariss sont autant dindices rvlateurs de la commer-cialisation prcoce de la socit anglaise 35. Parmi descentaines dautres exemples, deux cas suggrent des pistesde recherches susceptibles dtre poursuivies sur dautresterrains. Le premier est celui des trois moulins rcemmentconstruits Cambridge par le shrif Picot, pour lesquels ilsest empar de la pture commune des bourgeois de la villeet a dtruit les moulins de lvque dly et du comte Alain deBretagne, sans doute placs en amont. Lautre cas est celuides 7 moulins tablis sur la rive sud de la Tamise Battersea, qui rapportent en 1086 la somme considrable de42 livres 9 s. 8 d. leur tenant, labb de Westminster 36. Cetquipement considrable constitue sans doute ds ce moment

    (34) D. ROFFE, Domesday, the Inquest and the Book, Oxford, 2000, p. 140, n. 152: Itmust be noted, however, that mills are often separately valued in Great Domesday Bookand in Little Domesday Book, and they may therefore have been considered discreteunity of tenure ; dans le cas des manoirs de labbaye de Glastonbury, qui ont fait lobjetde plusieurs tudes classiques, un inventaire de 1189 fait tat de 31 moulins (dont 23dentre eux figuraient dj dans le Domesday Book) pour 35 manoirs; un seul dentreeux appartient la rserve de labbaye, tous les autres tant concds sous diversesforme, sans que les coutumiers fassent tat dobligation particulires des tenants delabbaye leur gard, et aucune forme de banalit du moulin ne semble stredveloppe sur les domaines de Glastonbury; R. HOLT, Whose were the profits of cornmilling? An aspect of the changing relationship between the abbots of Glastonbury andtheir tenants, 1086-1350, dans Past and Present, 116 (aot 1987), p. 3-23, aux pp. 7-8.

    (35) R. H. BRITNELL, The Commercialisation of English Society (1000-1500),Cambridge, 1993, pp. 43-44.

    (36) R. LENNARD, Rural England, 1086-1135. A study of social and agrarianconditions, Oxford, 1959, pp. 278-287; Domesday Book. A complete translation, d. A.WILLIAMS, G. MARTIN, Londres, 1992, pp. 76-77 (fol. 32, Surrey) et p. 519 (fol. 189,Cambridgeshire).

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    un lment cl de lquipement hydraulique de la capitaleanglaise. Dans un cas, cest lambigut de la notion deseigneurie banale qui apparat. Dans lun comme lautre cestaussi le rle essentiel des villes dans lquipement des coursdeau qui est en cause. Ce sont deux thmes qui permettentde poser concrtement et de faon efficace les problmessignals auparavant.

    MOULINS ET BANALITS DANS LES SOURCES DES Xe-XIIe SICLES

    Mme sil reste difficile daccder des corpus scienti-fiquement tablis et indexs dactes des Xe-XIIe sicles, ce quiexclut toute prtention lexhaustivit en ce domaine, lesmoyens informatiques permettent aujourdhui linterrogationde bases de donnes qui nexistaient pas lpoque de MarcBloch. En loccurrence, la base de donne des actes originauxantrieurs 1121 conservs dans les archives et bibliothquesfranaises, constitue par le laboratoire ARTEM de Nancy, afait lobjet dune recherche pour les mots molendinum etfarinarium, qui a permis le rassemblement de plusieurscentaines 37 dactes postrieurs 680 dans lesquels apparatlun ou lautre de ces mots 38. Lexistence de deux mots ne posepas de problme: dans la plupart des actes o farinariumapparat, molendinum est galement prsent. Le premier,qui na pas laiss de trace en langue vulgaire, nest donc

    (37) La difficult dinterprter les listes dappendices domaniaux et lexistence dedoublons entre les deux sries, dactes faux ou dactes multiples rendant compte de lamme transaction rendent trs difficile ltablissement de chiffres exacts pour le corpusainsi rassembl, dont une exploitation statistique naurait dailleurs gure de sens.

    (38) Je tiens remercier Benoit-Michel Tock et Jean-Baptiste Renault pour mavoirdonn accs si aisment aux ressources de lARTEM. Sur la base de donnes des actesoriginaux cf. B. M. TOCK (dir.), M. COURTOIS et M.-J. GASSE-GRANDJEAN, et P. DEMONTY, Ladiplomatique franaise du Haut Moyen Age. Inventaire des chartes originalesantrieures 1121 conserves en France, Turnhout, 2001.

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    quun doublet cultiv du second. Le dpouillement des actes apar ailleurs contraint renoncer lexploitation dune largemajorit dentre eux: le mot molendinum, en effet, nestprsent le plus souvent que comme lun des lments deslistes dappendices domaniaux prsents dans la plupart desactes sous la forme bien connue: ... hanc vero villam cumomni integritate sua et cum omnibus adjacentis et finibussuis et cum villaribus, domibus, aedificiis, terris cultis et in-cultis, vineis, pratis, pascuis, silvis, aquis aquarumve decursi-bus, molendinis, exitibus et regressibus... , encore largementatteste au cours du XIIe sicle 39. On peut simplement noterque le moulin, alatoirement mentionn dans les listes desactes les plus anciens, y figure presque systmatiquementaprs le milieu du Xe sicle, signe de sa large diffusion dansles domaines. Il nest pourtant pas possible dans nombre decas de trancher entre la prsence effective et la simpleventualit dune installation partir de la seule occurrencedu mot dans une liste formalise.

    Une autre recherche est possible, qui sest rvle la foisplus aise et de valeur plus gnrale, malgr et en raisonaussi du corpus beaucoup plus limit quelle a permis deslectionner: il sagit de ne retenir que les actes mis proposdinstallations hydrauliques identifies. Ces documents livrentune ample moisson de formules et de procdures lies laconstruction et lexploitation des moulins; par leurrpartition dans le temps et dans lespace, ils permettent deconsidrer le moulin autrement que comme un appendice dudomaine et donc de comprendre comment saccomplit lepassage de lun lautre et la naissance de la seigneurie

    (39) Le mme problme se pose pour les actes normands et anglo-normands des XIe

    et XIIe sicles o le mot molendinum figure le plus souvent dans des numrationsdappendices du genre: ecclesiam de [...] cum decima et appendicitiis suis [...] tam inbosco quam in plano, molendinis etiam et aqua qui sinscrivent dans la postrit deslistes carolingiennes.

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    banale . Cette enqute, mene dans un premier temps sur leseul corpus des actes conservs en original, a pu dans undeuxime temps tre poursuivie dans dautres corpus rgionauxen utilisant le questionnaire pralablement labor.

    Sur la question des actes les plus anciens consacrs uneinstallation hydraulique particulire, lexamen des actesoriginaux conservs en France a permis de mettre envidence une aire de prcocit particulire stendant de largion parisienne aux confins de lAquitaine. Apparemment,les actes les plus anciens concernent Paris: dans le premier,en 894, le roi Eudes donne labbaye Saint-Denis, le mansede Sarcelles avec un moulin et son bief, ainsi quun autremoulin tabli sur un pont proche de labbaye sur la rivire duCrou 40. Le second concerne un moulin tabli au bord de laSeine, sur les prs de labbaye Saint-Germain, que le custosde labbaye, Abbon, concde en 914 un couple de tenants,moyennant un cens mensuel de trois deniers payable durantles mois o le moulin sera en fonction 41. Les documentspoitevins livrent ensuite quatre actes du Xe sicle, quimontrent une prcision croissante des transactions lies auxquipements hydrauliques. Poitiers, en 922, le droit deripaticum sur un cours deau proche de Thouars, quEblescomte de Poitou concde Rotard, abb de Nouaill, semblebien comprendre un moulin, dont le bief est dcrit avecprcision; un cens de deux deniers annuels sera vers aurector qui possde ce bien in regimine 42. En 942, le mmeabb reoit en don un manse situ sur le cours de la Vienne,avec cluse, pcherie et ripaticum, ainsi quun emplacement

    (40) Recueil des actes dEudes, roi de France, d. R.-H. BAUTIER et G. TESSIER, Paris,1967, pp. 154-156, n 36.

    (41) Recueil des chartes de labbaye Saint-Germain-des-Prs, d. R. POUPARDIN, t. 1,Paris, 1909, pp. 67-68.

    (42) Chartes de labbaye de Nouaill de 678 1200, P. de MONSABERT (d.), Poitiers,1936 (Archives historiques du Poitou, 49), pp. 71-73, n 40.

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    pour y construire un moulin 43. En 958, cest Guillaume comtede Poitiers, agissant comme abb de Saint-Hilaire dePoitiers, qui donne son homme Hubert un moulin avec lesdroits sur le cours deau qui lalimente, dont le cours et lesconfronts sont dcrits et borns 44. Dans une autre donationcomtale faite au nom de labbaye en 997, son successeurGuillaume duc dAquitaine concde au sous-doyen de labbayeun moulin avec sa portion du cours deau soigneusementdcrite: unum farinarium consistentem sub latere montisac super fluvium Biberim cum prato sive ascensu aque etdecursu, plus minusve superius perticas centum, et inferiussimiliter perticas centum, vocaturque Tentenonus 45 . Ladonation faite en 978 par le comte dAnjou Geoffroy Grisegonelledune aulnaie avec un moulin, dont les droits deau sontminutieusement dfinis, suivie en 1007 dune autre donationde moulin la mme abbaye, ouvre la srie considrable deschartes et notices tourangelles et angevines, notre principaledocumentation jusque dans les premires annes du XIIe

    sicle 46. Les autres rgions livrent des actes plus tardifs etisols: 1026, 1038, 1087 pour le duch de Normandie 47, 1050,1058 et 1066 pour la Provence 48, seulement 1030 et 1090

    (43) Chartes poitevines: 925-950, E. CARPENTIER (d.), Poitiers, 1999, pp. 117-118, n72.

    (44) Documents pour lhistoire de Saint-Hilaire de Poitiers, L. REDET (d.), Mmoiresde la socit des Antiquaires de lOuest, 14 (1847), pp. 30-32, n 26.

    (45) REDET, Documents pour lhistoire de Saint-Hilaire de Poitiers, cit., pp. 71-72, n62.

    (46) Fragments de chartes de Saint-Julien de Tours, Ch. de GRANDMAISON (d.),Bibliothque de lcole des chartes, 47 (1886), pp. 238-240, n 26; J. DELAVILLE LE ROULX,Notice sur les chartes originales relatives la Touraine antrieures lan mil, Tours,1879, pp. 41-42.

    (47) Recueil des actes des ducs de Normandie, M. FAUROUX (d.), Caen (Mmoires dela Socit des Antiquaires de Normandie, t. 36), 1961, pp. 145-146, n 41, pp. 242-244, n92; F. LOT, tudes critiques sur labbaye de Saint-Wandrille, Paris, (Bibliothque delEcole des Hautes-Etudes, 204), 1913, p. 96-97, n 42.

    (48) Archives dpartementales des Bouches du Rhne, 1H; d. P. AMARGIER, Chartesindites (XIe sicle) du fond de Saint-Victor de Marseille (thse de lUniversitdAix-en-Provence), 1967, n 32; Cartulaire de labbaye de Saint-Victor de Marseille, B.

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    pour la Bourgogne, malgr labondance des actes de Cluny 49,aucun acte avant les dernires annes du XIe sicle pour laFlandre ou la Picardie 50, ni pour les confins de lEmpire, lexception dune carta traditionis de 1014, relative un serfde Saint-Arnoul de Metz 51.

    Le biais de la source, qui ne retient que les originaux etexclut tous les actes parvenus en copie, est vident: certainstablissements, pour lesquels nous ne disposons que decartulaires sont absents de notre liste. Prendre en compte lecartulaire de Saint-Pre de Chartres, par exemple, nousaurait permis dajouter la courte liste des actes du Xe sicleles deux chartes de 968 et 971, relatives lachat des deuxmoulins de Falaise, sur lEure 52. Par ailleurs, le choix de

    GURARD (d.), Paris, 1857, t. 1, p. 563, n 571; Cartulaire de labbaye Saint-Honorat deLrins, H. MORIS et E. BLANC (d.), Paris, 1883, t. 1, pp. 35-36, n 36.

    (49) Recueil des chartes de labbaye de Cluny, A. BERNARD, A. BRUEL (d.), t. 4, (Coll.De Documents indits), 1888, p. 44-45; Chartes et documents de Saint-Bnigne de Dijon,prieurs et dpendances des origines 1300, G. CHEVRIER, M. CHAUME (d.), Dijon, 1986, t.1, pp. 151-152, n 373.

    (50) Dans cette rgion, le cas de Corbie est particulirement significatif. Labbayepossdait lpoque carolingienne un important patrimoine de moulins, voqus dansles Statuts de labb Adalhard; trois abbs du Xe sicle et un prvt de labbaye sontflicits dans un document des annes 986-989 pour avoir construit des moulins Corbie dans deux domaines tablis sur le cours de la Somme (L. MORELLE, La liste desrepas commmoratifs offerts aux moines de labbaye de Corbie (vers 986/989): unenouvelle pice au dossier du Patrimoine de saint Adalhard?, dans Revue belge dephilologie et dhistoire, t. 69, 1991, pp. 279-299). On ne trouve pourtant dans sonimportant dossier de chartes des Xe-XIe sicles quun seul acte relatif un moulin, quine concerne dailleurs pas labbaye; il sagit dun accord (989-1015) conclu parlintermdiaire de labb Maingaudus entre lvque Adalbron de Laon et les moines deSaint-Vincent de Laon, sur la concession cens dune pice de terre avec moulin etcluse appartenant aux moines: Paris, Bib. nat. de France, ms coll. Picardie 255, fol. 46;coll. Moreau 233, fol. 129, d. L. MORELLE, Les chartes de labbaye de Corbie (988-1196):prsentatoin et dition critique, thse de IIIe cycle de lUniversit Paris IV, 1988, 5 vol.dactyl., XXXVI-*136-831 p., t. II/1, n 3, pp. 68-73, de mavoir amicalement transmiscette information).

    (51) Metz, Archives Municipales, II 148, n 9.(52) Cartulaire de Saint-Pre de Chartres, B. GURARD (d.), Paris (Collection de

    documents indits, 2), 1840, t. 1, p. 57 (De area duorum molendinorum Falesiae abAdrado canonico censualiter empta) et 58 (Item qualiter eadem area ad monachosSancti petri devenerit).

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    laisser de ct les diplmes gnraux (confirmations royales,impriales ou piscopales, bulles) pour ne retenir que lesactes particuliers conduit sous-estimer les sources decertaines rgions, o ces derniers sont moins bien conservs.Cest le cas pour le duch de Normandie, o la prise encompte des cartulaires aurait livr des actes de 1010,1000-1015, 1035-1061, 1055-1066 et 1096 53; si on y ajoute lesmentions de moulins nombreuses et souvent trs prcisesque contiennent les confirmations ducales, les informationsdisponibles pour la premire moiti du XIe sicle saccroissentconsidrablement. Il nen reste pas moins que les actesslectionns parmi les originaux mettent en vidence desdisparits rgionales relles; ils fournissent par ailleurs uneinformation prcieuse, si lon considre le nombre et laqualit des notices provenant des rgions ligriennes, quitmoignent de lavance institutionnelle et technique acquisealors par ces rgions en matire dquipement hydraulique.

    Le dossier en question comprend en particulier un ensemblede prs dune quarantaine de notices dates du milieu du XIe

    sicle aux annes 1110, provenant de la Touraine, lAnjou, dela Bretagne et du Poitou. La moiti dentre elles manent desprieurs (obedientiae) de labbaye Saint-Martin de Marmoutier,et concernent toutes ces rgions. Les autres, tout faitcohrentes avec ce premier ensemble tant dans leur objet que

    (53) L. MUSSET, Actes indits du XIe sicle (III). Les plus anciennes chartesnormandes de labbaye de Bourgueil, dans Bulletin de la socit des Antiquaires deNormandie, 54 (1957-1958), pp. 15-54, texte dit p. 50, III (vers 1010, accord sur lesmoulins de lAvre, daprs le cartulaire de Saint-Pierre de Bourgueil); The Cartulary ofthe abbey of Mont-Saint-Michel, K. KEATS-ROHAN (d.), Donington, 2006, pp. 193-194,Appendix, II, 2 (1000-1015: donation au Mont de trois moulins dans le suburbium duMans), et n. 6, pp. 83-85 (notice de plaid de 1061 relative lalination du moulin deVain par labb Suppo peu aprs 1035); FAUROUX, Recueil des actes des ducs deNormandie cit., 213, pp. 401-402 (1055-1066: donation Jumiges dun moulin sur laRisle); E. ZACK-TABUTEAU, Transfers of Property in eleventh century Norman Law,Chapell Hill, 1988, p. 50 et 69, et p. 297, n. 45, p. 310, n. 190 (1096, accord entreSaint-Martin de Ses et Guillaume de Sivilly sur le moulin et la pcherie du Val).

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    dans leur style, voquent des institutions monastiquesprestigieuses mais de moindre rayonnement: Saint-Hilairede Poitiers, Nouaill, Saint-Julien de Tours, Saint-Aubin etSaint-Serge-et-Saint-Bach dAngers, Saint-Florent et Saint-Pierre de Bourgueil. Toutes ont pour objet de rgler ou deprvenir un conflit un conflit propos dun moulin dunmoulin ou dun site hydraulique. Lensemble met en lumirela conflictualit lie ces installations, qui sexprime enparticulier lors des changements survenus dans leur statutpar mutation, que ce soit par vente, totale ou partielle, legstestamentaire, don, concession viagre, bail emphytotiqueou autre. Survenant le plus souvent aprs ce changement, lesrevendications (calumniae) semblent lies la prise deconscience par les ayant droit de la valeur leve de ces biens.Elles prennent des formes variables, souvent passes soussilence dans le texte, mais peuvent aller jusqu la violenceouverte: meurtre du meunier, incendie de linstallation,blocus de ses voies daccs, vol du grain, de la farine ou desanimaux, ou mise hors dusage du mcanisme.

    Les dtails donns par les parties narratives de ces acteset les clauses de leurs dispositifs permettent de composer enun ensemble articul les pratiques, usages et rgles qui rendentpossibles la construction, le fonctionnement et le dveloppementdes moulins eau. Ils dfinissent dune part les principesdaccs lnergie hydraulique, qui permettent lquipementoptimal des cours deau, et rgulent dautre part le march dela mouture des grains, condition de lquilibre conomiquedes entreprises de meunerie. Les conditions dapplication deces rgles mettent en vidence deux ensembles de problmesassocis, relatifs dun ct aux investissements ncessaires la construction et lentretien des installations et de lautre la rpartition des revenus provenant de leur exploitation.Une enqute rapide sur des sources du XIIe sicle provenantdautres rgions europennes montre que lexprience dont

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    tmoignent les notices ligriennes vaut ultrieurement pourbien dautres espaces.

    COEXISTENCE DES MOULINS

    Le problme de la coexistence dtablissements construitssur le mme cours deau est lun des plus souvent poss aurdacteur dacte. Dans un pays de relief modr, o lesrivires ont le plus souvent atteint leur profil dquilibre, lessites sont en nombre fini. Les actes montrent quils sontconnus danciennet, beaucoup ayant dj t quips, ltantencore ou attendant de recevoir une nouvelle installation. Lesnombreuses mentions, ds le Xe sicle pour certaines, dempla-cements pour construire un moulin (aream ad construendummolendinum) ou siges de moulins, tmoignent dune gogra-phie des cours deau dj largement tablie, qui rpartit delieu en lieu les sites possibles de moulins. Dans cette pers-pective, lexistence ancienne dun moulin et son fonctionnementeffectif prouvent une lgitimit fonctionner, que desinstallations postrieures ne sauraient mettre mal. Il estdonc ncessaire que soit donne une dfinition gographiqueprcise des moulins voqus dans les actes, faisant mentionde sa capacit fonctionner et de la portion de cours deau quilui est affecte: molendino uno et ductu aque ex utraqueparte supra et subtus super fluvio Rodono, sicut antiquitusstetit est-il prcis ds 894 propos de lun des moulinsdonns Saint-Denis 54. Toute modification arbitraire du siteconstitue donc une atteinte aux droits qui lui sont naturellement attachs: molendinum qui erat in terraSancti Juniani naturaliter constitutus , comme lcrit en

    (54) Recueil des actes dEudes, roi de France cit., Paris, 1967, p. 154-156, n 36.

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    1078 un moine de Nouaill pour dfinir le moulin de sonabbaye, dont un chevalier avait entrepris de dtourner le coursdeau au profit des moines de Saint-Martial de Limoges 55.

    Ds la fin du XIe sicle, le niveau de saturation sembleatteint sur de nombreux affluents de la Loire et toutemodification du systme tel quil est tabli se fait auxdpens de moulins dj existants. Les moulins dtruits,dserts ou ruins voqus par nos sources portent sansdoute les marques de cette volont de la part de certains defaire une place sur les cours deau. Il est souvent possibledaccrotre le rendement nergtique des rivires en dplaantles installations et en les regroupant pour quiper au mieuxles sites les plus favorables. Cest ce que montre une notice deSaint-Aubin dAngers, antrieure 1096 56. Elle rgle le sortdu moulin construit ad complantum par deux associsIngenaud et Hildebert 57 sur la terre dIngenaud. Les deuxpropritaires en donnrent la tierce partie aux moines deSaint-Aubin, moyennant le dplacement de linstallation versle bief de Fossart, o se trouvait dj un autre moulin,construit par les paysans du lieu, qui y avaient dj accueilliles moines ( qui primum monachos in molendinum suumadoptaverunt ). La nouvelle installation fut divise en troisparts, une pour Ingenaud et Hildebert, une pour les rustici,une pour les moines de Saint-Aubin, chaque part donnantdroit au tiers de lannone, des poissons capturs dans le biefet du junioragium du meunier, en contrepartie du paiementdun tiers du ripagium. Lune des conditions de laccord taitlengagement des parties de ne jamais construire de moulin

    (55) Poitiers, Archives dpartementales de la Vienne, C 10 n 93.(56) Cartulaire de Saint-Aubin dAngers, d. A. BERTRAND DE BROUSSILLON, Paris,

    1903, t. 1, n. 259, pp. 300-301.(57) On ne sait quasiment rien de ces deux personnages: ils nappartiennent

    srement pas aux familles chtelaines de la rgion (renseignements amicalementcommuniqus par Chantal Sensby, que je remercie).

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    entre ceux de Fossart et celui du Merle; au cas o il seraitpossible dajouter un troisime moulin sur le mme site, ilserait tenu de la mme manire par les trois parties. Le textene semble pas dcouler dun procs, dune calumnia ou dunesituation de conflit, mais plutt de la volont commune despropritaires daccrotre la rentabilit dune portion derivire dj compltement quipe. Placs sur le mme site,les deux moulins pourront disposer dune hauteur deau accrue,qui permettra peut-tre ltablissement dune troisime roue.La mention du ripagium acquitter par les trois partiesmontre par ailleurs que le statut public du cours deau etlautorit comtale sur son affectation subsistent. Par lamultiplicit des partenaires concerns, la prcision de sondispositif et la complexit des rgles mises en application, cetexte est rvlateur dun jeu bien accept par les diffrentsacteurs qui cooprent sa russite.

    Il ne serait pas difficile de trouver la mme priode pourdautres rgions des textes qui montrent la mise enapplication de rgles analogues, dans des cas diffrents. PourlAngleterre des annes 1109-1114, un texte valeurtestamentaire du Normand Nel dAubigny prescrit sonfrre Guillaume la restitution des moulins construits sur untang par labb de Notre-Dame dYork, quil avait usurps.Et au cas o les moulins nouveaux quil a lui-mme faitdifier leur nuiraient, il ordonne de prendre sur leur revenupour ddommager les moines, reformant ainsi in extremis leur profit lunit dun site hydraulique sans doute devenuplus productif 58. Le mme mouvement se constate dans le

    (58) Charters of the Honour of Mowbray, d. D. E. GREENWAY, Londres et Oxford(Records of Social and economic history, n. s. 1), 1972, p. 6, n 2: ( et abbatie SancteMarie de Eboraco molendinos illos quos abbas fecerat super stagnum et si ipsimolendini deteriorantur propter nouos molendinos meos, uolo ut frater meus restauretillud damnum abbatie de redditibus molendinorum meorum ; clause analogue dansune charte de Bauduin de Reviers au prieur Saint-James dExeter (1146-1149) relative

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    monde germanique. Le dossier des chartes de labbaye deStavelot est particulirement instructif cet gard: dans cefond trs important, de nombreux moulins sont voqus auxIXe et Xe sicles, en particulier dans les descriptions dedomaines concds en prcaire 59. Il faut attendre lespremire annes du XIIe sicle pour voir apparatre des acteslis la gestion des moulins de labbaye. Dans un rglementde 1105, labb Fulmar restitue aux moines de Stavelot lesdeux moulins de Chanly et Ocquier, cartant les prtentions leur sujet dun sous-avou de labbaye et prcisant lesmodalits de leur concession et de leur entretien 60. Si cetacte, pass en prsence du comte de Namur, advocatus maiorde labbaye, tmoigne dabord dune volont de reprise enmain du patrimoine de la communaut, celle-ci saccompagneclairement dune politique de construction de nouveauxmoulins et de renforcement des installations existantes, donttmoigne une charte des annes 1105-1119, dtaillant lesdonations faites la mense conventuelle par labb PopponII. Celui-ci concde aux religieux un moulin nouvellementconstruit sur le cours de lAmblve, quil a acquis desconstructeurs en le leur cdant en viager pour un cens annuelde 40 sous. Pour assurer long terme le fonctionnement delinstallation, il affecte son entretien la dme de quatrevillages voisins. Par ailleurs, pour suppler linsuffisance dedeux moulins de la villa de Leignon, que le faible dbit des

    entre autre la donation de droits Topsham: concessi etiam prefatis monachis utnova molendina faciant in terra sua ubi voluerint, amotis molendinis meis deToppesham, ita quod de cetero nec michi nec heredibus meis nec alicui infraScutebrocam et Toppesham aliquod molendinum facere licebit ; Charters of theRedvers family and the Earldom of Devon (1090-1217), d. R. BEARMAN, Exeter (Devonand Cornwall Record Society, n. s. 37), 1994, n 28, pp. 77-78.

    (59) J. HALKIN, C.-G. ROLAND, Recueil des chartes de labbaye de Stavelot-Malmdy,Bruxelles, 1909, t. 1; cf. par exemple p. 127, n 53 (prcaire, 915), p. 140, n 58 (prcaire,930-931), p. 154, n 66 (prcaire, 943), p. 159, n 68 (prcaire, 947).

    (60) Ibid., pp. 279-281.

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    eaux rendait inutilisables une partie de lanne, contraignantles moines recourir des moulins extrieurs, il avaitlui-mme construit lorsquil tait prvt un nouveau moulin in quodam palustri loco , en dtournant les eaux deplusieurs sources voisines. Par le mme acte, il affecte sonentretien les 20 sous de cens verss annuellement pour lesdeux anciens moulins et, pour assurer lunit du revenu, faitdon aux moines du nouveau moulin, crant ainsi un sitecomplexe de trois moulins tablis sur plusieurs cours deaux.Enfin, pour ddommager loffice du prvt de la perte de sonmoulin, il lui donne un autre moulin tabli sur un sitenouveau, qui ne portera donc pas atteinte aux autres etnaura pas souffrir de leur proximit 61. Les mmes rglessont luvre quelques dcennies plus tard dans la partieorientale de la Germanie, par exemple dans lacte par lequelen 1172, larchevque Wichmann de Magdebourg concdeaux moines du monastre Neuwerk de Halle le site o lesbourgeois de la ville ont difi un moulin sur la Saale, en avalde celui quils possdaient dj, interdisant quiconquedtablir un moulin tant en amont quen aval des deuxinstallations 62.

    Il serait ais de trouver en grand nombre les textesanalogues, qui tmoignent la fois de lquipement de plus

    (61) Quod ne forte scandalizet vel moveat futuri temporis prepositos vel ministros,loco istius concedimus a nobis constructum ubi nunquam antea fuerat molendinum :Ibid., pp. 286-287, n 141.

    (62) Urkundenbuch des Erzstifts Magdeburg, d. F. ISRAEL, W. MLLENBERG, Halle(Hrsg. von der Historischen Kommission fr die Provinz Sachsen und fr Anhalt, n. r.18), 1937, pp. 447-448, n 339: locum molendino apto in lacu Sale fluvii iuxta pontemin cuius edificatione cives Hallenses convenerant [...] perpetuo iure possidendumtradidimus eo tenore ut nec ibi nec infra terminum molendini eorum superioris, quod ineodem lacu situm est, usque ad villam Gumniste, non fiat molendinum ex utraqueparte littoris nullusque in posterum preter eos molendinum statuere presumat . On netrouve pas dans les actes archipiscopaux de Magdebourg de documents consacrs desmoulins avant le milieu du XIIe sicle: Ibid., p. 328, n 259 (mention dans un ncrologede la donation dun moulin aux religieux de Saint-Maurice de Halle, 1145) et p. 344, n274 (donation dun moulin aux prmontrs de Gottesgnaden, 1142-1152).

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    en plus dense des rivires europennes et, dans le mmetemps, de la mise au point et de lapplication dune rgulationde lusage des eaux, visant protger les installationslgitimement tablies des dommages qui leur seraientinfligs par des constructions abusives sur les mmes coursdeaux. Dans la plupart des cas, cest la dlimitation desegments protgs en amont et en aval des roues qui vise cet effet, mais elle peut aussi faire obstacle lamliorationdes installations, en interdisant lquipement de biefsconstruits en parallle sur le mme site. De fait, on trouveds le milieu du XIIe sicle des rfrences des hauteursdeaux, tablies lors de procdures prcises et compliques,qui rendent possible un amnagement plus dense, en fixantcomme condition le maintien pour les moulins voisins de lahauteur deau compatible avec la prsence dune roue 63.

    (63) Cf. en particulier laccord pass en 1156 par les moines de labbaye de Josaphat,dans le diocse de Chartres, avec le seigneur voisin Milon de Lves, au sujet des moulinspossds par chacune des parties sur la mme portion du cours de lEure; ce rglementtrs dtaill prcise que Milon concessit ut, ex sua elemosina, juxta duos predictosmolendinos [...] si vellent etiam tertium construerent ad modum duorum, ita scilicetquod omnia molendinorum illorum exclusoria justo modo adaquarentur altitudinicuiusdam magni ligni quod in capite calceate a parte vinearum quasi pro custodecondicte pactionis utriusque partis positum fuit ; cette procdure de mesure de lahauteur de leau permet aux parties de saccorder sur un calendrier de gestion du site,qui prvoit de faire varier dans lanne le nombre de moulins tournants ou de biefsaliments en fonction de labondance des eaux, de faon pouvoir faire actionner dedeux quatre moulins simultanment: Monachi vero omnem controversie curaminter se et Milonem cupientes eradere [...] pacti sunt quod a festo Sancti Remigii usquead festum sancti Johannis, vel per tria exclusoria vel per tres molendinos molentes, et afesto sancti Johannis usque ad festum sancti Remigii, vel per duo exclusoria vel perduos molendinos molentes aquas emitterent nec retente essent impedimentomolendinorum Milonis; si vero inter festum sancti Johannis et festum sancti RemigiiAudura intumesceret et tres aut quatuor de molendinis Milonis ex aque copia molerepossent, concorditer concessum fuit ut ex quo molendinarius monachorum hoc per sevel per alium perciperet, sine dilatione per tot exclusoria vel per tot molendinosmolentes aquas inferius effluere permitteret per quot superius ingrederentur, nerotatum tollerent molendinis Milonis , Cartulaire de Notre-Dame de Josaphat, d. Ch.MTAIS, Chartres, 1911, t. 1, p. 273, n 230 (1156); le remarquable dossier des chartes delabbaye de Waltham (Essex) relatives au moulin de Netteswell permet de voircomment, la fin du XIIe sicle, la mesure de la hauteur deau dans la retenue permetde trancher le litige portant sur deux moulins tablis sur le mme cours deau: The

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    LA MOTURE: UN MARCH BIEN RGL?

    Compatibles entre eux du point de vue de leur appro-visionnement en eau, les moulins doivent ltre galement dupoint de vue de leur frquentation par les usagers locaux: siles paysans ne viennent pas, les investissements raliss pourleur construction resteront sans objet. Il convient donc detrouver des rgles qui permettent la fois la satisfaction desbesoins locaux et la rpartition des usagers entre les moulinsvoisins, ou entre moulins anciens et neufs. Lhabitude deshistoriens est de ranger lensemble de ces usages, lorsquilsapparaissent dans nos documents, sous le titre gnral deseigneurie banale, prjugeant ainsi que toute dfinition delaire de chalandise dun moulin renvoie lexistence dun banchtelain dont elle serait lune des consquences. De la mmemanire, linscription de la moltura au nombre des redevancesseigneuriales caractristiques, empche de mener de linsti-tution une analyse proprement conomique, qui est pourtantlune des cls de la comprhension de son tablissement et deson dveloppement.

    Ici encore, lanalyse de Bloch fournit un point de dpartutile, mais des rponses trs contestables. Il ne fait pas dedoute que le service rendu par le moulin aux paysans permetune conomie considrable de travail et de temps pass prparer la nourriture. Ce service se paye, dautant que lamachine qui le rend possible est coteuse: la moltura estavant tout salaire pour le meunier et provision pourlentretien et la rparation du moulin. En temps de relativeraret des installations, leur frquentation est dterminepar les paysans eux-mmes, qui dcident, en fonction du tempset de la peine pargns et de ceux qui seront occasionns par

    Early Charters of Waltham Abbey, d. R. RANSFORD, Woodbridge, 1989, pp. 155-170, enparticulier pp. 160-161, n 244 (1184-1201?).

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    le dplacement et par lattente, de renoncer une part de larcolte. Les meules bras pourvoient au reste des besoins. Ilnest donc besoin daucune rglementation pour organiserlaccs un service qui nest pas partout disponible.

    La croissance de la demande et la multiplication des instal-lations perturbent les usages anciens, et peuvent suscitertensions et conflits. Certains propritaires de moulinsnhsitent pas en effet recourir la contrainte ou laviolence pour instituer leur profit une aire de chalandisedcoupe sur celles des moulins prexistants. Dtruire unmoulin concurrent, provisoirement ou dfinitivement, peuttre une bonne solution, et bon nombre des installationsdsertes ou en ruine que citent nos sources tmoignent deces actes de violence. Un autre choix est dinterdire auxusagers laccs aux moulins voisins: cest ce que fait en 1084Geoffroy de Brure, dans le but de rcuprer les clients dumoulin de Divette, que son pre Roger avait donn auxmoines de Marmoutier: Filius vero Rotgerii aliquandiucalumniatus est eam [donationem] et voluit auferre viamquae ducit ad predictum molendinum per terram suam 64 .Linstitution dune fiscalit particulire prleve sur leshommes du fief et du voisinage qui vont moudre dansdautres moulins a le mme but. Cest ce que fait en 1087Lger, voyer de Robert des Roches, aux dpens des usagersdes moulins de Marmoutier: caepit igitur prendere annonaset asinos venientium ad molendinos nostros et mancipiafamulorum nostrorum qui de pane nostro vivunt, sive etiamfilias et filios facere vicariales, quae duo, ante Letgerium,nullus vicarius fecerat. Lors du plaid tenu cette occasion,tous les tmoins ayant protest contre ces extorsions sansprcdent, Lger, de faon rvlatrice, dixit quia per

    (64) Angers, Archives Dpartementales du Maine-et-Loire 38 H 1 n 7.

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    inopiam facebat et proposa une formule de modration deses exigences qui laissait libre le travail des serfs de labbaye,mais restreignait de manire efficace la capacit de dpla-cement des autres usagers: affirmavit etiam coram omnibusquod si aliquis [...] mitteret annonam suam ad molendinosnostros per mancipium suum, numquam caperetur; ipsetamen si per se adduceret, caperetur solus asinus vero, etannona numquam Bien quil ne soit fait nulle part mentiondans lacte de ses propres moulins, Lger espre en menaantles btes de bt inciter les usagers choisir ses moulins,probablement plus proches 65.

    Ces entreprises de contrainte, opres aux dpens desusagers, ne sont cependant pas les plus frquentes et il nestpas dit quelles furent toutes couronnes de succs. Des textespostrieurs insistent en effet sur leur caractre trs coteux,puisquelles impliquent de maintenir en permanence plusieurssergents cheval affects au contrle du territoire, tchepartiellement voue lchec si les moulins sont nombreuxdans les alentours et si les paysans disposent eux-mmes dechevaux 66. De fait, dans la plupart des cas, lindication de labanalit du moulin prend un style beaucoup moins tyrannique,se contentant dobliger les paysans continuer de venir aumoulin o ils avaient auparavant leurs habitudes. En 1060Hamelin fils dArchenulf vend ainsi labb de Saint-AubindAngers le moulin de la Vergne eo tenore ut similiter eanthomines terre illius ad molendinum sicut antequam vendidissetSancto Albino 67 . De telles clauses, se trouvent ds le dbutdu XIIe sicle dans de nombreuses rgions europennes, des

    (65) Tours, Archives Dpartementales de lIndre-et-Loire H 201 n 3.(66) M. ARNOUX, Moulins seigneuriaux et moulins royaux en Normandie: march de

    lnergie et institutions (XIe-XVe sicles), Economia e energia (secc. XIII-XVIII), atti dellatrentaquattresima settimana di studi delIstituto internazionale di storia economica F.Datini di Prato, S. CAVACIOCCHI (d.), Florence, 2003, p. 505-520, aux pp. 517-519.

    (67) Tours, Archives dpartementales dIndre-et-Loire, H 1002 n 2.

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    les britanniques jusqu la Sicile et la Pouille 68. Elles nontpas pour objet principal la mise en tutelle des populationspaysannes. Dans le cas cit, comme dans bien dautres, ellessont le corollaire de linterdiction de construire un nouveaumoulin proximit de celui qui vient dtre cd: ellesconstituent une part essentielle de lengagement de non-concurrence qui accompagne toutes les mutations dinstitutionshydrauliques. En 1140, labbaye Saint-Jean des Vignes Soisson reoit le moulin du Nouveau Manse, prs de laFert-Milon eo pacto ut omnes qui erant consuetudinarii ibimolere tempore Savarici et predecessorum ejus, consuetudinemantiquam ibi molendi teneant mais ce rappel du caractreobligatoire de la coutume, elle ajout une ouverture tous lesusagers voisins, insuper et omnes qui ibi molere voluerintnullum impedimentum ab Adam sive a Philippo fratre ejussustineant , dans les limites cependant du respect de la zonedexclusivit des autres moulins du donateur: exceptishospitibus vel hominibus ejusdem Adam qui Marrolismorantur . La suite de lacte montre quil convient, dans lamesure du possible de ne pas modifier les conditions defonctionnement qui ont fait jusquici le succs de linstallation: Item ut idem molendinum habeat processus et exitus suosliberos sicut prius, et in cespitibus evellendis ad clusamfaciendam et in omnibus commoditatibus sicut olim quandosibi predictus Philippus retinebat et in silva succidenda adopus ejusdem molendini ecclesia Sancti Johannis jus et

    (68) Pour la Pouille, J.-M. MARTIN, La Pouille du VIe au XIIe sicle, Rome (Collectionde lcole franaise de Rome, 179), 1993, p. 310: cf en particulier la concession en 1098par le comte (normand) de Conversano labbaye S. Benedetto di Conversano du droitde faire trappetum atque furnum etiam et molinum ut ibi omnes sui homines et nostriqui voluerint coquant et macinent ; cf. aussi P. DITCHFIELD, La culture matriellemdivale. LItalie mridionale byzantine et normande, Rome (Collection de lcolefranaise de Rome, 373), 2007, pp. 273-287; pour la Sicile les actes sont plus tardifs,1154 Mazarino, et 1201 Gratteri, o la concession dun moulin aux chanoinesprmontrs prcise: et sicut homines Gratterii et totius tenimenti eius in ipsomolendino solebant molere, sic de cetero molant nec audeant ad alia molendina ire admolendum BRESC, DI SALVO, Mulini ad acqua in Sicilia cit., p. 29.

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    licitum in id ipsum habeat, et hoc totum bona fide, exclusaomni subreptione 69 .

    Au total, ces rgles de bon fonctionnement desinstallations et de bon voisinage de leurs propritaires et deleurs usagers combinent deux principes fondamentaux: dunepart, pour les installations dont la longvit dmontrlutilit, la lgitimit continuer leur service; dautre part,pour fournir aux communauts voisines un service demeunerie efficace, lincitation quiper les cours deau de lamanire la plus intensive. Pour comprendre commentsappliquent ces rgles, il convient aussi de ne pas oublier queles moulins sont des machines fragiles, quil faut rparersouvent, et qui, pour cette raison, sont frquemment horsdusage, et que les cours deaux ont aussi leurs caprices.Pannes en tout genre, scheresses dt, crues dautomne ougels dhiver peuvent donc paralyser les roues, contraignantles usagers, seigneurs comme paysans, se rendre dans unmoulin voisin, ou remettre en usage les meules bras. Lalogique des fiefs et des seigneuries doit alors seffacer devantune contrainte de subsistance qui remet en cause les droitsacquis. Entre tant dautres, deux actes dHenri IIPlantagent dans les annes 1170, autorisant les moines deSaint-vroul reporter sur un moulin en service les droitsdun moulin dfaillant et, en cas de scheresse, retenir dansleur tang leau ncessaire au fonctionnement de lune desinstallations montrent que cette logique nchappait pas auxcontemporains 70. Un acte des annes 1140 organisant un

    (69) Paris, Archives nationales, L 1007 n. 2 (acte communiqu amicalement parGhislain Brunel).

    (70) Acte d Henri II Plantagent en faveur de labbaye Saint-vroult (1172-1178),rapportant un accord pass entre labb et un des ses vassaux propos dun moulintabli sur la Charentone: idem abbas concessit ut, si forte molendinum illud caderetvel molere non possit, quod tota supradicta moltura ad alia molendina Sancti Ebrulfiveniret et medietatem illius haberet Rogerius donec abbas et monachi molendinumsuum il illo loco vel alibi in foesta Brit., et reedificare licebit quandocumque et

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    village neuf en co-seigneurie entre le chapitre de Chartres etles seigneur de Courtalain montre comment sont tablies,dans ces conditions les obligations des tenants du nouvelhabitat: ad molendina que fient ibi molent hospites, quamdiupoterunt; cum autem non poterunt, molent ad mea molendina,videlicet ad molendinum Fontium vel ad molendinumCortalani, et ibi expectabunt per diem et noctem; et si tuncnon poterunt molere, eant quo voluerint 71 .

    RPARTIR DPENSES ET PROFITS

    Bien situ, bien construit et bien entretenu, un moulinpeut tre profitable son propritaire. La chose ne va passans intermdiaires: dans leurs aspects proprement techniquesen effet, les moulins relvent de la comptence des laboratores,alors que leurs propritaires appartiennent le plus souventaux groupes des oratores ou des bellatores. Il convient donc defixer par crit la contribution et la rmunration des uns etdes autres, dont le dtail remplit lessentiel des actes les plusanciens. Ici encore, lapproche conomique, trop souventnglige au profit de la seule tude des rapports sociaux,fournit des cls essentielles la comprhension du mouvementdensemble. La complexit des montages juridiques etfinanciers qui accompagnent la construction dun moulin estlun des aspects les plus frappants. Cest souvent elle qui

    ubicumque voluerint super aque Carentone ; cest sans doute au mme problme quefait allusion un autre acte pratiquement contemporain du mme souverain qui autoriseles moines retenir en cas de ncessit leau de la rivire: et quia molendinaeorumdem abbatis et monachorum multotiens pro penuria aque cessant et molere nonpossunt, eis concessi auctoritate regia ut aquam in suis vivariis integre teneant etconservent quociens viderint expedire ad opus molendinorum suorum DELISLE, Recueildes actes dHenri II Plantagent, t. 2, p. 72 et 102.

    (71) GURARD, Cartulaire de Saint-Pre de Chartres cit., t. 1, pp. XXXVIII-XXXIX,n. 4.

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    occupe les rdacteurs de notice. En effet, il est frquent quecette construction prenne la forme dune societas destine laconstruction et la gestion dun difice, regroupant le ou lespropritaires, et le ou les constructeurs. Les uns apporterontle site et les droits du moulin, les berges du cours deau, lesbiefs et les matires premires, les droits de pcherie, lesautres fourniront un capital montaire ou mettront sonservice leur travail et leurs comptences de constructeurs. Lefonctionnement et lentretien de linstallation seront loccasiondautres dpenses, qui seront nouveau rparties, lesconstructeurs fournissant usuellement le bois ncessaire aumcanisme, les usagers fournissant souvent les forces nces-saires au transport et la mise en place des meules. Les actesfournissent ce sujet des dtails dune prcision surprenante,comme la division des dpenses de bois pour le chauffage desclients du moulin et du salaire de lhomme qui le transportedans un moulin beauceron en 1119 72.

    Les formes de rtributions de ces apports sont multipleset peuvent tre dissocies en multiples fractions, chacunrecevant du meunier le revenu, fixe ou proportionnel affrant sa part de linstallation. Dans certains cas, tous les associsentrent dans la composition du capital de la socit etreoivent le droit de participer aux profits et aux pertes 73.Sagissant de mcanismes complexes exigeant une matrisetechnique particulire, les constructions de moulins semblent

    (72) Chartres, Archives dpartementales dEure-et-Loir, H 2382: Et adcalefaciendum molentes, et ad molendinos reficiendos, et ad sclusas reficiendas, et adportas reficiendas dabit monacus de luco Sancti Martini, si ea que necessaria fuerint, inluco poterint inveniri, et si in luco non poterint inveniri, querent inter Odonem etmonacos. [...] Et de mercede quam habebit mercenarius qui portabit ligna adcalefaciendum molentes, dabunt monachi medietatem, et Odo alteram medietatem .

    (73) La notice du cartulaire de Saint-Pre de Chartres relative la gestion desmoulins dAlluyes, partags un tiers aux moine et les deux autres la famille dudonataire montre la complexit de tels montages lorsque la confiance nexiste pas entreles associs (GURARD, Cartulaire de Saint-Pre de Chartres, t. 2 p. 404).

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    avoir suscit lapparition de techniciens de la construction etde lentretien, qui peuvent dans certain cas prendre encharge gestion de lensemble. Certains dentre eux sont destatut servile, comme Hardouin, serf de Saint-Arnoul deMetz, dont un acte de 1014 rappelle comment il fit acqurirpar change par son abbaye le moulin quil avait difi sur leterritoire aux communauts voisines de Bouxires etAgincourt 74. Dautres ont sans doute un statut de ministrial,comme ce Geoffroy le Cochon, charpentier, qui le prieur deChemill en 1101 remet en viager la meunerie de deuxmoulins, comme rtribution de son service de charpentier auservice des moines 75.

    La mise en valeur de terres nouvelles offre loccasion detelles constructions. Deux notices relatives au val de Loireproprement dit en donnent lillustration. En 1085 un certainGeoffroy fils dOtton, avec lassentiment de son pouseGuibourg et de leurs enfants, cde Saint-Julien de Toursdivers biens et terres pour construire un bourg proche de laLoire. Il y joint aquas de duobus ductis ad molendinumfaciendum, in Ligerim unam sclusam, et boscum de suainsula ad molendinum faciendum la construction duquelil ne participera pas (sine parte illius) ainsi quune pcherieo il prendra la moiti: et aliam sclusam ad piscandum; inhac ipse Gosfridus mittet medietatem et monachi alteram etpisces divident 76 . Il nest pas sr que la mise en valeur de

    (74) Metz Archives municipales, II 148 n 9.(75) Angers, Archives dpartementales du Maine-et-Loire, 39 H 2 n 102:

    Radulfum priorem Camiliacensem dedisse et concessisse assensu et concessionetocius capituli sui Gaufredo Cochioni molendinariam de duobus molendini Salomonistantummodo in vita sua. Ita tamen ut aliquis heredum suorum post mortem suamnichil posset reclamare, in predicta molendinaria, sed ad jus monachorum etproprietatem deveniret sicut antea fuerat. Ipse vero promisit propter hoc omnencarpentariam monachorum facere et nichil inde accipere preter procuracionem sibi etcarpentariis suis .

    (76) Tours, Archives dpartementales dIndre-et-Loire, H 498 n 1.

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    ces biens soit lie lendiguement du fleuve, qui commencealors. Les turcies sont en revanche bien prsentes dans lactepar lequel, vers 1100, un certain Hugues fait don labbayede Bourgueil de terrae meae et aquae superfluentes influvio Ligeri sitae, tantum quantum ad unam exclusamfaciendam in qua duo aut tres molendini si necesse fueritaedificari possint, sub censu VI denariorum, qui michi etposteris meis in sancti Maximi festo reddentur . La suite dutexte montre quil sagit dune terre rcupre sur le cours dela Loire, hors de la curtis de Choisay: Est autem terra ipsaet aqua sita super Choziaci vicum, ad turseiam quae vocaturFrogerii. Sunt autem maetae ejusdem terrae et aquae subprefato censu datae, a fraxino quadam quae super predictamturseiam est, usque ad hulmum majorem quae terram meamet curtis Choziaci ab illa inferiori parte pene dividit 77 .

    Une fois le moulin construit, il convient de lexploiter ouplutt de sen partager les revenus, laissant au meunier lesoin de le faire fonctionner. Une premire possibilit,prsente trs tt et largement rpandue consiste dabord sassurer de pouvoir jouir gratuitement de son service. Pourplus de sret et de commodit, sachant que linstallationnest active que par intermittence et quil faut profiter sansdlai des moments o elle fonctionne, il est possible de sefaire reconnatre le droit de moudre sans attendre, son tour.Ds 1080 Galois de Montreuil obtient ainsi des moines deSaint-Florent de Saumur en change du droit faire passersur ses terres le bief de leur moulin de Danzay que cumannona illius propria ad molendinum allata fuerit, si cujusalterius annona prius ingranata fuerit, prius moli permittetur,et mox annona illius nulla alia interposita moletur 78

    (77) Ibid., H 24 n 22.(78) Angers, Archives dpartementales du Maine-et-Loire H 3108 n 1.

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    inaugurant une longue srie dactes semblables rpandusdans lOuest de la France et dans les les britanniques 79.

    Au-del de ce droit dusage largement rpandu, nonngligeable lorsquil sagit de garnir la table seigneuriale, ilreste les diverses formes de revenus que peut offrir unmoulin: grain, farine, poissons, porcs, fer ou largent. Rien oupresque ne nous est dit sur la faon dont ces diverses valeursarrivent entre les mains du meunier. Le prlvement oprsur le grain apport en rtribution de la mouture est fix parla coutume et ne saurait tre chang par le meunier 80: il sagitdun juste prix, non susceptible de variations arbitraires, qui,ds les premires annes du XIe sicle, fait lobjet dupaiement dune dme spcifique 81. Seuls laccroissement dunombre de clients, laugmentation des performances dumoulin ou lallongement de sa dure de fonctionnementpermettent donc den augmenter les revenus lis lannone.Les crales que le meunier reoit rentrent aussitt dans lerseau commercial dont le moulin, dpositaire des mesuresde grain, constitue lun des points nodaux, comme Marc

    (79) Cf. par exemple la donation aux moines de Lyre du moulin Anzer par Mathieudu Bois-Anzer (fin XIIe sicle), la condition quil pourra moudre son bl quand il ledsirera aussitt aprs quon aura moulu le bl dj vers dans la trmie (vreux,Archives dpartementales de lEure, H 473): molendinum quoque de Veteri Lira quoduocabatur molendinum Ansereii concessi et confirmaui eisdem monachis cum omnibusmolturis suis [...] salua autem michi et heredibus meis de Bosco Ansereii libertatemolendi bladum meum proprium de mensa mea proximo scilicet loco post bladum quoderit in tremoia nisi hoc fuerit bladum monachorum ; mme clause dans une chartedHenri II Plantagent concdant la charge de panetier Odoin de Malpalu(1172-1189), d. DELISLE, Recueil des actes dHenri II Plantagent cit. t. 2, p. 329.

    (80) Depuis la fin de lantiquit des actes publics, attests dans toutes les rgionsdEurope, fixent le poids du pain en vente pour un prix fix en fonction du prix constatsur le march pour le grain; lexistence de telles tables de correspondances implique unecomplte stabilit de la mouture.

    (81) J. TARDIF, Monuments historiques, Paris, 1866, pp. 153-154, n 245 (1004:donation labbaye de Dols du monastre Saint-Donatien et Saint-Rogatien deNantes): ...item dono decimam de molendinis et de piscibus qui sunt in Tonu ;FAUROUX, Recueil des actes des ducs de Normandie cit. p. 41 n 145 (1012-1026, donation Saint-Ouen de Rouen de la dme des 8 moulins fiscaux tablis sur le Robec).

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    Bloch lavait signal dans son article, soulignant lesanalogies unissant ces deux institutions essentielles dessocits rurales de lEurope du Nord et du Nord-Ouest quesont les moulins et les marchs. Le moulin fournit aussi desproduits drivs, tels les cochons, nourris avec le sonprovenant de la moute 82, ou les poissons capturs dans le biefdu moulin, qui semblent constituer une part non ngligeablede ses revenus, si lon considre les trs nombreux cas o lepropritaire se contente deux pour sa part.

    Une chose est sre: sil existe des installations particu-lirement rentables, parce que linvestissement li leurconstruction est amorti depuis longtemps, parce quils setrouvent sur un site particulirement favorable, bien irriguet bien quip, parce que les usagers sy pressent, il existeaussi un grand nombre de petits moulins la rentabilitincertaine quun incendie ou une crue suffisent mettre enfaillite. Il est rare que nos sources nous permettent lesdiffrencier, mme si quelques installations particulirementimportantes se distinguent par le nombre des sourcesrelatives leur construction. Pour les uns comme pour lesautres, la multiplicit des intervenants est la rgle, pourdiminuer la prise de risque, ou parce que limportance desinvestissements dpasse les possibilits dun acteur unique.

    Fragiles, complexes et souvent menacs dans leurquilibre conomique, les moulins des Xe-XIIe sicles sont desproies faciles pour un groupe seigneurial en pleine ascension,pourvu de moyens montaires croissants et nhsitant pasdevant la violence pour se faire servir une rente sur lesrevenus des installation, mettre la main sur elles, ou les

    (82) Mainzer Urkundenbuch, ed M. STIMMING, Darmstadt, 1972, t. 1 p. 296 (fondationde la collgiale Notre-Dame et Saint-Pierre par larchevque Liupold, 1055), inRoriberch molendinum sub hac concessione dedi ut in festo sancti Michaelis ex parteprepositi in eodem molendino porcus immissus in Natale Domini pinguis reddatur .

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    liminer si elles font concurrences leurs propres moulins.Lun des moyens les plus simples et les moins violentsconsiste semparer du fer, qui assure lancrage de larbre dumoulin sur la meule tournante, interdisant tout mouvementde celle-ci. Dlit svrement puni par la loi salique 83, le vol dufer ou dune autre partie du moulin lors dune guerreseigneuriale est lun des risques pris en compte dans lesnotices, qui spcifient les prcautions prendre pour viterlimmobilisation du moulin ou prvoient les ddommagementsauxquels elle donne droit 84. La multiplication des installationsrend sans doute une telle violence socialement acceptablecar, dans la Normandie du XIIIe sicle la captura ferri estdevenue lun des recours admis pour contraindre lepropritaire du moulin sacquitter des rentes assises surson installation 85. La violence suscite par la cupidit ne se

    (83) Lex salica, ed. K. A. ECKHARDT, Hanovre (M.G.H., Legum S. 1, t. 4,2), 1969, p.222 (version S, LVI, 2 [24, 2]), p. 222: Si quis ferramentum in molino alieno furauerit,MDCC denarios qui faciunt solidos XLV culpabilis iudicetur .

    (84) Liber testamentorum Sancti Martini de Campis, Paris, 1905, n 18, p. 24(moulin de Dugny, avant 1094): aliud fuit additamentum quod debet essere notum hocvidelicet quod, si cum dominis suis aut cum quibuslibet aliis viris guerram habuerintqui partem suam a molendino rapere velint, si, ut determinatum est, in molendinoparata fuerit, et praevalens hostis eam rapuerit, aliquis eorum a monachis nullamredditionem exigebit . Dans une notice de Saint-Pre de Chartres (XIIe sicle), il estprvu de dfaire le moulin pour viter ce genre de pril: Si pro nostro forisfacto,quod vel nolimus vel non possimus emendare, destructa fuerit molendina, nos de nostroreficiemus ea; eodem modo, comparticipes nostri si pro eorum forisfacto destructafuerint, quod vel nolint emendare vel non possint, de suo ea reficient; si alio mododestructa fuerint, communiter ea reficiemus eo modo quo predictum est;si quandotamen ipsi submonuerint nos ut deficiamus molendina propter aliquam guerram dequa timeant, si nos noluerimus ea deficere et postmodum per illam guerram ea destruicontingerit, nos de nostro ea reficiemus , Cartulaire de Saint-Pre de Chartres, d. B.GURARD, cit. p. 406.

    (85) Cf. par exemple Arch. nat. L 973 n 762 (donation aux moniales de lAbbayeBlanche de Mortain dune rente sur un moulin la Meurdraquire, juillet 1246): nisipersoluta fuerit... poterint ferrum molendini capere et tenere usque ad persolutionem ;Bib. nat. de France, ms nouv. acqu. lat. 264 (Cartulaire du prieur de Friardel): n4, f 2(septembre 1263): volo etiam et concedo [...] quod dicti canonici et eorum successorespossint et debeant pro XXti solidis supradictis in molendino dOrbiquet in parrochia deAuribecco, super quod molendinum assigno eisdem canonis dictos XXti solidos, suamplenariam justiciam exercere per capturam ferri dicti molendini ; autres exemples

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    limite pas toujours aux parties du moulin, comme le montrelexemple du seigneur vendmois Constant de Ranay et deses fils: contraignant les moines de Marmoutier en 1061 et1067 organiser un duel judiciaire pour obtenir le versementdun palaticum (droit dancrage sur la rive) sur un moulindont il tiraient dj un motaticum (en change du droitdextraire la terre pour renforcer les chausses dtang), ilsiront pour parvenir leurs fins jusqu assassiner le meunierdes religieux, mais en vain 86.

    Bien que nos sources prsentent le plus souvent de telsconflits comme rsultant de rivalits locales, leur multiplicationest la marque dun processus beaucoup plus gnral dex-propriation des premiers propritaires ou des constructeursau profit du groupe seigneurial. Leffacement progressif dansnos sources des moulins possds par des paysans ou par descommunauts sexplique ce mouvement qui constitue un vne-ment dimportance majeure pour lhistoire de lconomieeuropenne. Pierre Bonnassie en dcrit la disparition descours deau catalans dans les annes 1040-1070 87. La transitionparat entame auparavant dans les rgions septentrionales:le commercium acque dont la revendication fut, avec lesdroit dusage en fort, lorigine de la rvolte des paysansnormands de 996 dsigne sans doute lexploitation desmoulins 88. Il est certain en tout cas que les sources normandes

    dans le mme ms, n 3, 5, 6, 23, 24, 42, 192; pour lAngleterre, entre autres exemplesThe cartulary of the Tutbury priory, d. Avrom SALTMAN, Londres (Historicalmanuscripts Commission, JP2), 1962, n 91, p. 88-89 ((vers 1260): et si contingeritaliquo tempore firmarios vel ballivos [...] cessare de solucione predicte firme, liceatplenarie predictis monachis et eorum successoribus quotienscumque aliquid a retrofuerit de predicta firma distringere per ballivos suos predicta molendina per omniaferramenta in eisdem inventa ut predicta molendina cessent ab omnimoda moltura .

    (86) Cartulaire vendmois de Marmoutier, d. A de TRMAULT, Vendme, 1893, pp.136-138 n 87.

    (87) BONNASSIE, La Catalogne du milieu du Xe la fin du XIe sicle cit. pp. 594-595.(88) GUILLAUME DE JUMIGES, Gesta Normannorum ducum, d. E. M. C. VAN HOUTS,

    Oxford (Oxford Medieval Texts), 1992-1995, t. 2, pp. 8-9; cf. M. ARNOUX, Classe agricole,

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    postrieures ne font pas mention dinstallations possdespar des paysans, en dehors peut-tre du moulin extorqu parusure un pauvre homme par le seigneur de Glos,Barnon, forfait qui valut celui-ci derrer aprs sa mort avecla Mesnie Hellequin , portant dans sa bouche le fer dumoulin quil avait saisi cette occasion 89. Moins puissants,peut-tre moins bien grs, ces moulins ne pouvaient gurersister la monte des quipements seigneuriaux, qui partir du XIIe sicle semblent subsister seuls sur les coursdes rivires.

    PRIODES, RGIONS, MARCHS: POUR UNE HISTOIRE EUROPENNE DELHYDRAULIQUE

    Si la diffusion des moulins le long des cours deau est unphnomne largement europen, constatable ds avant lanMil, on doit se demander si la dynamique dintensificationrurale dont tmoignent les notices de lOuest de la Franceconstitue la marque de choix conomiques et sociauxspcifiques cette rgion ou si elle sest tendue au reste delEurope. Faute dune enqute globale souhaitable,