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Berghahn Books Pour une histoire de l'éducation spéciale: Les interfaces des années 1940 Author(s): Michel Chauvière Source: Historical Reflections / Réflexions Historiques, Vol. 7, No. 2/3, The Making of Frenchmen: Current Directions in the History of Education in France, 1679 - 1979 (Summer- Fall/Eté-Automne 1980), pp. 601-615 Published by: Berghahn Books Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41426580 . Accessed: 01/10/2013 21:28 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Berghahn Books is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Historical Reflections / Réflexions Historiques. http://www.jstor.org This content downloaded from 186.125.44.154 on Tue, 1 Oct 2013 21:28:16 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Berghahn Books

Pour une histoire de l'éducation spéciale: Les interfaces des années 1940Author(s): Michel ChauvièreSource: Historical Reflections / Réflexions Historiques, Vol. 7, No. 2/3, The Making ofFrenchmen: Current Directions in the History of Education in France, 1679 - 1979 (Summer-Fall/Eté-Automne 1980), pp. 601-615Published by: Berghahn BooksStable URL: http://www.jstor.org/stable/41426580 .

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Pour une histoire

de l'éducation spéciale: Les interfaces des années 1940

Michel Chauvière

Le dispositif complexe, progressivement mis en place en France pour venir en aide aux enfants et adolescents dits inadaptés, n'est aujourd'hui ni unifié, ni réellement coordonné. Les deux dernières lois sociales de Juin 1975 (loi d'orientation en faveur des handicapés et loi sur les institutions sociales et médico-sociales) ne sont à cet égard que les dernières tentatives connues pour structurer rationnellement et efficacement un secteur qui parait aujourd'hui comme hier résister à d'aussi louables efforts. En fait, l'action sociale (notion récente) a toujours été et demeure, derrière l'unanimité de façade des parlemen- taires et des media, le lieu étouffé d'enjeux politiques et institutionnels que seule la complexité fait sans doute croire mineurs . Fait curieux, on commence à peine à s'intéresser à l'histoire de ces pratiques, pourtant en pleine expansion depuis plus d'un siècle. La recherche parait avoir investi en priorité l'histoire de la folie et du traitement psychiatrique, délaissant en particulier l'histoire des enfants inassimi- lables, des pratiques spécialisées à leur endroit et surtout des interfaces caractéristiques de l'organisation de l'éducation spéciale.

Le court exposé qui va suivre a pour ambition un repérage durant la décennie 1940, plus précisément de la veille de la guerre à 1947-48 considéré comme fin de Г après guerre, des contenus et statuts de l'inadaptation, des distributions et regroupements dans le champ rééducatif et enfin des débats, qui du scientifique au politique, ont fait qu'existe en France et depuis ces dates, un secteur relative- ment autonome de la rééducation.1 Une telle perspective exclut évidemment de s'en tenir à la simple évocation des événements et des hommes , dans le but unique d'instruire, comme si la seule actualité de ces problèmes comptait. Au contraire. L'histoire de l'éducation spéciale ne peut être que celle d'un dispositif en devenir, dans le cours duquel sont seulement isolables certains moments particuliers tels la décennie 1940. C'est donc nécessairement une histoire inachevée. Et l'on doit

1. Cet article est tiré d'une recherche financée par le CORDES (Commissariat au Plan), et publiée sous le titre Enfance inadaptée, l'héritage de Vichy (Paris: Editions Ouvrières, 1980).

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admettre aussi que le sens premier dont découlerait tous les autres nous échappera toujours (le bien des enfants, les intérêts supérieurs de la société, etc.)- C'est en définitive une histoire de la dialectique du sens et des pratiques, dont les institu- tions ont accumulé les stigmates et continuent de le faire.

Il existe bien un historique plus ou moins romancé de Г éducation spéciale, différent d'ailleurs d'un appareil à l'autre (Santé, Education Nationale ou Educa- tion Surveillée) et à usage quasi exclusif des centres de formation du personnel spécialisé. Nous ne voulons pas y substituer un 4 4 nouveau roman," mais plutôt verser quelques éléments pour une nécessaire réflexion historique.

La situation à la veille de la guerre Il n'est pas aisé de la décrire brièvement, et encore moins d'imaginer la vie quotidienne des enfants placés. Retenons simplement quelques traits essentiels.2 Depuis de longues années, la question des compétences entre les trois ministères principaux est posée et résolue dans le sens d'un partage d'apparence fonction- nelle de la population des enfants inassimilables. Au Ministère de l'Instruction Publique dans le cadre des classes et écoles de perfectionnement suscitées par la loi de 1909, reviennenent tous les "arriérés éducables," entendre sous la toise du quotient intellectuel les débiles légers et les retardés scolaires. Au Ministère de la Justice, les délinquants, vagabonds (jusqu'en 1920), mais aussi enfants "vic- ieux" de l'Assistance Publique, bref, tous les "enfants de justice," depuis qu'en 191 1 ce Ministère a relayé le Ministère de l'Intérieur en matière d'Administration Pénitentiaire, et qu'en 1912 est apparue la première Loi sur l'Education Surveillée et les tribunaux pour enfants et adolescents. Enfin au Ministère de la Santé Publique, de création récente (1920), les enfants soit hospitalisés, soit relevant d'établissements sur lesquels ce ministère exerce une tutelle et un contrôle (enfants déficients, anormaux, placés).

Quant à l'équipement, à la veille de la seconde guerre mondiale, il est à peu près celui-ci:

• Quelques classes de perfectionnement seulement, car la loi de 1909 n'était que facultative.

• Des maisons publiques de l'Education Surveillée, mieux nommées maisons de correction.

• Quelques instituts médico-pédagogiques, le plus souvent rattachés à des hôpitaux psychiatriques.

• Enfin, un secteur multiforme d'initiative et de gestion privées: sociétés de patronage, institutions charitables, établissements de bienfaisance et in- ternats de rééducation. Le tout est sans organisation véritable et connaît d'énormes difficultés financières, en particulier depuis la crise économique de 1930.

Avec le Front Populaire s'engagent, semble-t-il, deux processus nettement distincts. Au niveau politique tout d'abord, Henri Sellier, ministre de la Santé et Mme Suzanne Lacorre, secrétaire d'état à la protection de l'enfance, constituent une commission interministérielle comprenant Santé, Education Nationale, Jus-

2. Concernant l'avant-guerre on consultera: Verdes-Leroux, Travail; Donzelot, Police; Gaillac, Maisons ; Querrien, "L'enseignement"; et Bulletin du SPERAS 18 (1979).

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tice et, ce qui est nouveau, des représentants du corps médical et des mouvements scouts. Les mêmes prévoient également une enquête de dépistage pour déterminer l'importance du problème. Un projet de loi est encore conçu tendant à assurer la protection de cette catégorie de mineurs. Mais l'ensemble restera velléitaire en raison des événements, et aussi parce que dans certains cercles dirigeants de l'époque l'opinion prévaut encore que la rééducation, malgré les nombreuses garanties médicales offertes (la neuro-psychiatrie infantile est en plein essor) est trop souvent décevante, eu égard aux dépenses qu'elle entraine.

Dès ces dates sont ainsi posés les termes de la future politique de l'éducation spéciale. Mais la combinaison proposée diffère sur quelques points essentiels de ce qu'elle sera quelques années plus tard, sous Vichy, Ainsi:

• Les compétences et responsabilités respectives des différents départements de l'appareil d'Etat en matière de protection de l'enfance sont affirmées. Avec elles, s'engage également la politique dite de coordi- nation qui allait magiquement et progressivement servir à étouffer les contradictions originelles de ce secteur.

• Une terminologie est également fixée. On dit encore ''Protection" en 1936, on dira "Sauvegarde" en 1942. Affaire de degré dans le pater- nalisme. On parle encore de l'enfance en général, on traitera plus tard de l'enfance inadaptée. C'est le rapport d'un tout à sa partie, ce sera aussi le passage d'une approche globale à une approche sectorielle .

• Des partenaires sont également désignés (premier élément du mode de production étatique). Pour le corps médical, c'est bien là une conséquence de la stratégie d'extension de la "psychiatrie sociale" sur "l'aliénisme" au travers des institutions asilaires et surtout médico-pédagogiques.3 Pour le scoutisme au contraire, le promotion proposée est nettement conjonc- turelle (1936: les congrès payés, le droit au loisir, l'éducation populaire, etc.). Mais il faut aussi la rapporter à quelques expériences prémonitoires de ce qu'allait être la future pratique éducative spécialisée à St Hilaire et St Maurice en particulier, deux établissements du Ministère de la Justice. C'est là le deuxième processus.

Dans le contexte du Front Populaire, au sein de ces deux établissements, une greffe très expérimentale est en effet entreprise du scoutisme sur la rééducation. Des instituteurs détachés volontaires tentent sous la direction du chef éclaireur Desjardins,4 une transformation des techniques d'encadrement par les méthodes scoute. Ce sera un échec en raison de la désertion progressive des instituteurs, mais l'initiative restera essentielle, car elle répond bien au succès des campagnes de presse extrêmement violentes, avec Alexis Danan notamment, contre les ' 'bagnes d'enfants," et elle manifeste à tous que d'autres technologies peuvent et doivent être employées. De cette idée riche et fondatrice, allait effectivement surgir d'autres tentatives plus réussies celles-là pendant la guerre. C'est là manifestement une des origines historiques de la profession d'éducateur. Mais pour l'heure reste encore et surtout à donner un cadre institutionnel à l'expérience, puis promouvoir une véritable politique.

Entre ces deux processus, à cette date, il y a plus de parallélisme que de convergence. Psychiatres, magistrats et fonctionnaires d'une part, nouveaux

3. Castel, Ordre; CERFI, "Histoire." 4. Guérin-Desjardins, "Adaptation."

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cadres de l'enfance de l'autre, ne sont investis par l'appareil d'état ni pour des tâches identiques , ni encore pour des fonctions complémentaires . Tout est à faire .

Sous le régime de Vichy, 1940-1944 Comme MacMahon, Pétain aimait les enfants. Du moins la politique d'ordre moral qu'il instaura fit-elle de l'enfance et de la jeunesse une de ses cibles privilégiées. Avec l'église et la famille, piliers classiques de toute restauration, et une fois écartés les instituteurs et toute la "démocrassouille" responsables de la défaite,5 le régime de Vichy crut relever la France en enrégimentant la jeune génération d'une part, et en traitant les inadaptations de l'autre. S'il n'y parvint politiquement pas, son oeuvre 4 4 sociale" sera en revanche en partie poursuivie après dès la Libération.

Dès 1940 la répression est particulièrement forte contre l'école publique et les institutions para- scolaires, nées pendant la seconde moitié de la Illème République. 4 4 L'instituteur est corrupteur de la jeunesse, et responsable de la défaite." L'ennemi est ici intérieur, connu, et d'autant plus facile à désigner que tout dans l'idéal laïc est contraire à l'esprit de la Révolution Nationale du Maréchal: la libre pensée comme le scientisme, et la foi dans le progrès comme le militantisme républicain. Une loi donne en juillet 1940 le droit de révoquer purement et simplement tout fonctionnaire qui parait être "un élément de désordre, un politicien invétéré, ou un incapable." 4 4 II faut atteindre le mal dans sa source," commente La Croix. Et J. Chevalier rétablira même l'instruction religieuse facultative dans le primaire. Un ressentiment profond gagne alors les milieux enseignants, non ralliés au régime, qui ne fera que s'aiguiser au fur et à mesure des différentes initiatives du régime en direction de l'enfance, de la jeunesse, de la famille et de l'église.

Dans les milieux cléricaux, on applaudit évidemment à cette politique revancharde qui veut effacer plus d'un demi-siècle de 4 'république impie" et prône un retour aux valeurs évangéliques essentielles. De 1940 à 1942, en effet, l'adhésion au régime des catholiques, de leurs prêtres et de leur hiérarchie est quasi-totale et même spontanée. Vichy donne des garanties quant au rétablissement de l'église dans ses privilèges, en ré-autorisant les congrégations à enseigner (septembre 1940), en sollicitant avis et projets en matière de politique de la famille et de l'enfance. L'alliance église-état sera même pour quelques temps la plus étroite que la France ait connu depuis les années 1873-74, sans toutefois conduire à ce qui aurait pu être un concordat.

Mais c'est peut-être aussi parce qu'il y a des conceptions divergentes à Vichy. A l'ordre moral catholique s'oppose de plus en plus un nouvel ordre fasciste, nationaliste et païen. Aux partisans de la résolution des conflits sociaux par la charité, s'opposent techniciens et technocrates qui raisonnent davantage en termes d'équipements et de coûts relatifs. En fait, après l'été 1942, au moment du retour de Laval, de la déportation massive des juifs et du service de travail obligatoire en Allemagne (STO), l'église se découvrira profondément divisée à l'égard du régime, comme la France entière du reste. Des chrétiens et des prêtres nombreux rejoindront à leur tour la résitance.

La politique de la famille est certainement plus ambigue encore. Sur le plan idéologique, la famille est magnifiée: 4 4 face à la décadence il faut recréer de

5. Paxton, France de Vichy; Duquesne, Catholiques.

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véritables unités organiques [dont la famille] composants d'un ordre moral, biologique et social." Le divorce est interdit pendant les trois premières années du mariage. Le régime flatte les pères de famille nombreuse et la loi Gounot institue encore en décembre 1942 l'Union Nationale des Associations Familiales (sans toutefois le pluralisme relatif que lui reconnaîtra l'ordonnance Billoux en 1945). Pourtant, cette grande ambition est doublement contre-dite par les faits. D'une part, le passage de la vocation nataliste de la famille à la vocation éducatrice fait le lit de toute une technicisation des problèmes de l'enfance, et de l'enfance "difficile" en particulier. D'autre part, à la socialisation familialiste des jeunes enfants s'oppose le modèle para- militaire imposé par la politique de la jeunesse. Deux développements, dont les effets seront pour l'avenir plus impor- tants que la politique d'ordre moral elle-même.

En fait, les groupes de jeunes en uniforme existaient bien avant Vichy, tant à gauche, que chez les catholiques ou encore liés aux ligues fascistes. Mais l'ambition du régime, qu'anime un catholique militant grand admirateur de Lyautey et de Pétain, Lamirand, va plus loin. Il s'agit de parvenir au plus tôt à un mouvement unique de la jeunesse. Et c'est paradoxalement l'opposition marquée de l'église à l'intégration de ses mouvements d'action catholique de jeunes: Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC), Jeunesse Agricole Chrétienne (JAC), Jeunesse Etudiante Chrétienne (JEC), ainsi que la division de la France en deux qui l'en empêcheront.

Restent tout de même deux initiatives importantes, inspirées l'une et l'autre de l'armée et du scoutisme, le mouvement Compagnons et les Chantiers de Jeunesse.

Le mouvement Compagnons, qui doit être Г avant-garde de la Révolution Nationale, se présente en fait comme un mouvement de jeunes chômeurs, où l'adhésion personnelle est facultative, mais dans lequel se trouve compromis la plupart des mouvements de jeunesse autorisés par le régime (tous les scoutismes, les Auberges de Jeunesse, l'Union Chrétienne des Jeunes Gens, etc.) Répartis en compagnies rurales, urbaines, artistiques, les Compagnons sont engagés à divers travaux "utiles" à la collectivité. Mystique du chef et anti-modernisme s'y combinent sans difficultés. Suspecté de se rapprocher de la résistance, et d'abriter de nombreux réfractaires au STO, le mouvement sera dissous par Laval en 1944. Mais l'expérience de ces courtes années influencera directement ou indirectement les centres d'apprentissage, les foyers de jeunes travailleurs, les maisons de jeunes, une bonne partie du mouvement d'éducation populaire et le secteur naissant de l'éducation spéciale.

Les Chantiers, avec le général de La Porte du Teil, ont d'abord une mission temporaire de "reprise en main" des jeunes de la classe 40 non incorporés par suite de la défaite. Mais bientôt cette obligation s'étend à tous les jeunes Français de 20 ans par l'institution d'un stage obligatoire de 8 mois. Comme chez les Compagnons, on s'occupe à des travaux forestiers, de génie civil ou agricole, complétés de véritables cours d'éducation morale, sociale et virile. Comme pour le mouvement Compagnons, la fin des Chantiers correspondra aux débuts de la politique du STO en 1943.

Avec 25 000 compagnons, et plus de 90 000 jeunes dans les Chantiers en permanence pendant trois ans, Vichy marque ainsi toute une génération à l'heure de son arrivée dans la vie active. Influence qui ne sera que partiellement contre- dite par l'entrée dans la résistance.

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C'est dans ces conditions idéologiques et pratiques qu'il faut situer une série d'initiatives décisives concernant l'enfance déliquante, déficiente et en danger moral. Vichy innove c'est évident, mais dans le cadre des alliances qui autorisent sa politique sociale globale, et en cohérence avec les autres perspectives de l'ordre moral.

Pendant le Vichy de Pétain, c'est à dire avant avril 1942, dans la France coupée en deux, se développent deux séries d'initiatives nettement distinctes. Au Nord, sous l'égide de la magistrature, s'ouvrent des centres d'accueil à grands renforts de bénévoles du scoutisme, correspondant nettement à une extension des juridictions des mineurs. Et la Loi du 24 Juillet 1942 sur les tribunaux pour enfants et les centres d'observation, loi qui ne sera suivie d'aucun décret d'application, mais par contre reprise en partie à la Libération sous la forme des ordonnances de 45, couronne cette première avancée. Se développe ainsi un nouveau dispositif privé de gestion non carcérale de la population délinquante et en danger moral, pendant que se maintient un encadrement carcéral dans un secteur public réduit (Instituts Publics d'Education Surveillée, IPES).6 Disjonction et complémentarité encore actuelles. Au Sud au contraire, en quel- ques régions pilotes, et impulsée par le commissariat général à la Famille, c'est toute une coordination dans la protection de l'enfance et de l'adolescence qui se met en place. Projet plus ambitieux et plus totalitaire aussi, qui lie toutes les enfances inassimilables, du délinquant à la grande variété des enfants malheureux, en danger moral, évacués etc.

Un premier plan officiel, élaboré par un prêtre toulousain, l'abbé Plaque- vent, prévoit déjà un "dépistage systématique et précoce," un dispositif d'accueil, d'observation et de triage, ainsi qu'une gamme d'établissements de traitement. Toute une idéologie de "prophylaxie morale contre les fléaux familiaux" sous-tend le projet qui prend corps avec nuances et succès relatifs à Toulouse, Lyon, Montpellier en particulier. Au Nord, comme au Sud, cette premiere phase est donc largement dominée par ce "paternalisme nauséeux" dont parlent encore certains résistants.

Sans rompre totalement sur le plan idéologique, une seconde phase s'ouvre vers 42-43 qui consacre d'abord une double évolution. D'une part s'est opéré un transfert de responsabilités et d'initiatives du commissariat à la Famille vers le ministère de la Santé, tenu par un médecin le Dr Grasset, et où le procureur Jean Chazal est chargé de mission. D'autre part, un certain nombre de psychiatres spécialisés (Lafon à Montpellier, Dechaume à Lyon, Heuyer à Paris) sont parvenus à faire valoir leurs projets d'organisation et de fonctionnement en matière d'enfance difficile. Nous entrons alors avec eux dans une phase résolument technicienne qui permet de fixer là, la naissance du secteur Enfance Inadaptée.

Les Associations Régionales de Sauvegarde de l'Enfance et de l'Adolescence (ARSEA)7 seront à partir de cette date la commune stratégie du ministère, de son chargé de mission et des principaux techniciens de l'enfance. Il s'agit qu'en chaque région (il y en aura 17 puis 16) se mette en place une

6. IPES: "Instituts Publics d'Education Surveillée," dénomination officielle depuis février 1940 des "colonies pénitentiaires."

7. Devenues depuis 1964 les Centres Régionaux pour l'Enfance et l'Adolescence Inadaptée (CREAI).

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association de la loi de 1901 , mais selon des statuts types et en y accueillant des membres de droit, deux dispositions profondément dérogatoires par rapport à cette loi. Les ARSEA, qui reçoivent directement leurs directives et leurs subsides du Ministère de la Santé, ont à gérer directement un centre d'observation régional polyvalent, et à donner un appui technique et financier aux oeuvres et centres de rééducation dont la demande d'affiliation est agréée. Enfin il est prévu que s'y trouve rattaché à plus ou moins long terme une école de cadres (future école d'éducateurs).

Ainsi les ARSEA réussissent-elles la combinaison de deux opérations, l'une politique, l'autre technique, inaugurant par là une ère plus technocratique du social. Ce type d'organisation, exhorbitant par rapport à la loi de 1901 , est bien un produit du dirigisme et de l'ingérence des pouvoirs publics sous Vichy. Mais, instituées régionalement, en une période où l'autonomie provinciale et les pouvoirs des préfets régionaux sont importants, et instituées sous la forme associative qui consacre la notabilisation obligatoire des techniciens et "bonnes âmes" que la nouvelle cause rassemble, les ARSEA participent aussi à la recomposition des pouvoirs 4 'périphériques" au pouvoir d'état sous la responsabilité des préfectures. En cela aussi les ARSEA sont des enjeux politiques.

Les ARSEA sont donc vecteur de la technicisation progressive des institu- tions de placement, et de la rééducation elle-même. L'opération trainera des années, c'est certain, mais déjà des institutions modèles sont désignées (Kergoat dans les Côtes du Nord, les Centres d'observation de Montpellier, l'orphelinat de Grèze dans l'Hérault), des normes techniques et financières sont élaborées, un personnel plus qualifié et plus conforme commence à être formé à Toulouse, Lyon, Montpellier et Montesson près de Paris. Et sur cette nouvelle scène de la mise en tutelle et du placement rééducatif des enfants, comme de la formation des cadres rééducateurs, ce sont bien les psychiatres da la neuro-psychiatrie ou de l'hygiène mentale infantile qui ont pris la direction des opérations. Ils entraînent maintenant tout un secteur à se définir et s'organiser selon les critères de la nouvelle technicité qu'ils légitiment, pendant que l'affiliation aux ARSEA ap- paraît bien comme le seul moyen de leur survie financière.

Comme on le voit, le dispositif est original, adapté et n'est en rien contradic- toire avec la doctrine corporatiste officielle. D sera même rapidement efficace puisque dix régions seront soit équipées, soit en voie de l'être, en 1944 au moment de la Libération.

Plus globalement, ce type de prise en charge de l'Enfance Inadaptée semble porter doublement les marques de l'époque. Directement d'abord. Vichy man- ifestement joue la carte des oeuvres privées, donc de l'église en la matière, et favorise la mise en selle de certains grands clercs: les Abbés Plaquevent, Barthélémy, etc. D'autre part en l'absence de vie démocratique parlementaire et même locale, Vichy bouleverse l'équilibre élus/techniciens au profit de ces derniers. Vichy attire l'élite professionnelle, l'élite des experts. Que sont psychiatres, magistrats, et fonctionnaires de la Santé en 1942, 1943, sinon ces nouveaux techniciens du social? Et la nomination d'un médecin, le Dr Grasset, au poste de secrétaire d'Etat, puis de ministre, la promotion du juge Chazal, conseiller technique, la confiance faite au major Péan, de l'armée du Salut, chargé de mission, sont autant de décisions qui participent de cette prédominance des techniciens sous Vichy.

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Enfin, s'agissant de la jeunesse, Vichy qui n'a qu'une obsession l'encadrement, mobilise à cette fin toute une génération de jeunes cadres issus évidemment des mouvements de jeunesse. En fait, toute une gamme d'attitudes existe dans la jeunesse vis à vis du régime. Du militant de la Révolution Nationale des années 1941-1942, jusqu'au résistant de 1943-1944, en passant par toutes les formes intermédiaires de collaboration critique, de double jeu, de semi-clandestinité. Le secteur Enfance Inadaptée naissant puise lui aussi en cette pépinière les nouveaux éducateurs dont il a besoin. Mais des hésitations de la jeunesse à l'époque, laissée à elle-même du fait de la guerre et sollicitée par Vichy, il recueille aussi toutes les contradictions. A certains égards on peut dire, que loin de l'embrigadement des Chantiers de jeunesse, le thème de l'enfance à protéger, vu les séquelles de la guerre et de l'occupation servira en quelques sorte d'anti-dote civique, c'est à dire de point d'annulation des différences socio- politiques.

C'est ainsi, entre clercs, nouveaux techniciens et cadres des mouvements de jeunesse, tous ''travailleurs du social," que va se constituer le complexe tutel- iate pour l'enfance et la jeunesse inadaptée sous Vichy. Le différentiel "corps médical," "scoutisme" de l'époque du Front Populaire, s'y transforme dans le sens suivant: psychiatres (neuro-psychiatrie infantile) d'une part et cadres rééducateurs de l'autre, ceux qui savent (production de théorie) et ceux qui ne savent pas mais sont en mal d'action (production de pratiques), et ainsi de suite tous les éléments d'une division du travail qui organise encore aujourd'hui ce secteur.

Outre la séparation historique avec l'Education Nationale, une autre séparation s'y organise sur une partition politique évidente: l'enfance inadaptée mobilise surtout des universitaires et/ou des psychiatres du secteur privé. Pendant qu'à l'hôpital psychiatrique, de St Alban par exemple,8 la réflexion théorique et pratique vers une "psychiatrie alternative" occupe surtout des psychiatres du cadre public, manifestement plus engagés dans la résistance que les premiers, quand bien même ont-ils le plus souvent été les uns et les autres les élèves de mêmes maîtres (Heuyer, Pichón).

Mais il y a aussi un second effet de Vichy et de la guerre confondus, effet retour si l'on peut dire, un effet d'organisation. A l'état qui investit clercs, techniciens et cadres, il faut répondre par une organisation, dont ces nouveaux acteurs sociaux seront aux- mêmes les promoteurs. Il s'agit d'égaliser les échanges, autrement dit de sceller une sorte de nouveau contrat social. L'histoire rapporte que les premières tentatives de coordination régionales furent à Toulouse avec l'Abbé Plaque vent et à Montpellier avec le Dr Lafon, essentiellement privées, mais déjà fonctionnaires et associations collaboraient. Quand le juge Chazal, promu conseiller technique en 1 942, conçoit tant au service de l'Etat dont il était fonctionnaire qu'au service des oeuvres, la stratégie des associations régionales, il met simplement en forme le nouveau contrat social, autrement dit il normalise l'échange en fixant les droits et les devoirs réciproques.

Indépendamment même de toute efficacité pratique, qui sera du reste beaucoup plus tardive, la nouvelle synthèse entérine déjà un certain type de partage des pouvoirs, que ni la Libération, ni les débats sur le secteur public et le secteur

8. CERFI, "Histoire."

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privé, ni la guerre scolaire après 1947 ne devaient fondamentalement bouleverser. L'amplification tutélaire en direction de l'enfance sous Vichy est donc inséparable de sa double mutation technicienne et organisationnelle. Répondant à l'origine à une demande d'expertise de la part de la magistrature, elle prend appui d'une reprise de service cléricale très conjoncturelle et ne se développe finalement qu'à la condition d'une exclusion: le corps enseignant et ses référents laïques et républicains.

C'est dans ces conditions que se met en place, semble-t-il, l'ensemble institutionnel de l'éducation spéciale. On peut dire avec Gramsci qu'il s'agit bien là d'un "appareil privé d'hégémonie civile."

Dans de telles conditions, la filiation du cadre rééducateur, futur éducateur spécialisé, qui apparait en tant que profession aux mêmes dates, n'est pas aisée à reconstruire.

Du petit personnel d'encadrement des années antérieures, il conserve l'assujetissement aux enjeux dressés par techniciens, notables et fonctionnaires de l'Etat. Du chef scout, du responsable de mouvements de jeunesse, du moniteur de colonies de vacances, il transfert charisme et disponibilité au service de l'enfance inadaptée. Dans les entreprises maintenant mieux définies d'observation et de rééducation, en institution il est l'agent d'encadrement indispensable. De la mystique du chef, si caractéristique de Vichy, il gagne enfin d'être formé sur le modèle directif et affectif des écoles de cadres.

Quatre écoles de rééducateurs voient en effet le jour durant les années 1942, 1943 et 1944: Toulouse, Lyon, Montesson (près de Paris) et Montpellier, gérées par des Associations Régionales influentes (sauf Montesson à l'origine).

Pour être plus précis, on peut globalement identifier trois types de cadres rééducateurs à l'origine: l'éducateur d'observation, requis par psychiatres et juges pour enfants à occuper une place à la fois technicienne et d'encadrement dans les centres d'observation, en même temps que son alter ego, dont l'évolution professionnelle sera pourtant bien différente: le psychologue spécialisé. A côté de lui, et distinct pour quelques années encore, l'éducateur de simple encadrement, le plus souvent sur le modèle du scoutisme. C'est la représentation dominante des origines de la profession d'éducateur. Enfin, dans la tradition purement catholi- que, une sorte d'éducateur, en réalité des éducatrices essentiellement, se consacre aussi à partir de ces dates à l'enfance en difficulté, non sans volonté 4 'pastorale," va sans dire. La femeuse ' 'vocation' ' de l'éducateur spécialisé semble être héritée justement de cette phase de haute sollicitude à l'égard de l'enfance, dont un certain scoutisme n'est pas exempt d'ailleurs.

Trois modèles donc, ou plus exactement trois systèmes de référence. Le second et le troisième sont anciens. On pourrait même penser que la rééducation n'est que leur aboutissement ultime, facilité et surdéterminé à la fois par l'occupation et Vichy. En réalité c'est le modèle technicien, parce qu'il est en rupture vis à vis des modèles pédagogiques classiques, parce qu'il intègre la dimension technicienne dans la prise en charge tutélaire de l'enfance (d'où l'observation et la rééducation) qui donne à cet ensemble une signification et une spécificité historique. C'est l'éducateur d'observation et ses moyens nouveaux qui, plus ou moins rapidement selon les régions, convertira l'ensemble du champ éducatif à la ré-éducation et non l'inverse. Le secteur Enfance Inadaptée ne nait pas de scouts désoeuvrés et "désirant servir," mais bien de la nécessité de révolutionner puis d'institutionnaliser l'observation, le triage et la rééducation de

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610 Historical Reflections

l'enfance. D'ailleurs scouts et néo-clercs seront pas la suite constamment sollicités de se définir vis à vis de la nouvelle technologie, de l'intégrer ou de s'en voir exclus.9

Cela dit, il faut revenir tout de même sur la place des mouvements de jeunesse et du scoutisme en particulier dans l'économie des mutations qui s'opèrent sous Vichy. Le scoutisme (laïc et confessionnel confondus) apporte d'abord un renversement assez complet dans la relation du délinquant à son surveillant par rapport à l'attitude essentiellement répressive des années précédentes. La pédagogie scoute fait en effet de 4 'l'accrochage affectif' non seulement une technique mais encore une morale "professionnelle" et du petit groupe un principe d'organisation permanent. Toutefois, cette relation au délinquant reste essentiellement institutionnelle. Un délinquant est un délinquant, un caractériel reste un caractériel. Nulle réflexion sur la genèse psychologique, à la limite nul besoin de connaître le délit à l'origine du place- ment. Le jeune est là, psychiquement, affectivement, dans Г 4 4 ici et maintenant' ' de l'espace éducatif. Faire silence sur son cas, c'est aussi le couper de son histoire, de son milieu pour n'en connaître que l'éducabilité présente, c'est guetter essentiellement l'aptitude des jeunes à se soumettre puis à consentir à une discipline affirmée faite pour eux, et garantie dans sa semi-libéralité par l'existence hors les murs d'un juge, des IPES ou de la prison.

Le scoutisme est aussi une pédagogie de tous les moments de la vie. En ce sens, elle est totalitaire, et bien mieux armée que les pédagogies scolaires, forcément partielles à contenir et convertir à tout moment, et en toutes circons- tances, toutes les impulsions imaginables d'un groupe d'adolescents "dif- ficiles." Le scoutisme, pédagogie du loisir pour jeunes bourgeois, se transforme ainsi en une pédagogie "populiste" du quotidien dans sa totalité, nuit et jour, en semaine et le dimanche, en vacances comme en dehors des heures de travail. Mouvement colonisateur dont la force est en défintive de se substituer ou de relayer facilement l'ordre familial. Enfin, le scoutisme ne rompt pas avec la moralisation des années antérieures. Au contraire, il en adapte le contenu. Et si conjoncturellement il diffuse les valeurs mises en avant par le régime - appel au sentiment de l'honneur, et au sentiment religieux, exemple permanent du chef, salut aux couleurs, et esprit patriotique - c'est qu'elles sont en grande partie les siennes.

H. Joubrel propose dans l'un de ses ouvrages un tableau, et quelques commentaires sur les indications thérapeutiques du scoutisme. 10 Que peut appor- ter la pratique du scoutisme en cure libre pour des gens atteints globalement de "troubles du caractère"? se demande-t-il pour conclure:

Le scoutisme capte particulièrement les instables psycho-moteurs, il est un remède idéal à l'esprit de vadrouille. . . . Les petits paranoïaques pourr- ont devenir le responsable jouissant des privilèges du chef mais conscient de ses devoirs d'entr'aide. ... Il n'y a guère que les vrais débiles, les pervers inaffectifs, les sérieux psychopathes qui ne puissent bénéficier du scoutisme.

Ces considérations sont importantes à plusieurs titres. Elles permettent tout

9. Bessayguet, Chauvrière et Ohayon, Les socio-clercs. 10. Joubrel, Scoutisme .

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Chauvière 611

Les indications Thérapeutiques de scoutisme Tendances Article de la Loi scoute (Eclaireurs de France) Caractérielles Méthodes scoutes L'éclaireur Instabilité Jeux, sorties, camps sait obéir psycho-motrice Chant, jeu dramatique est loyal

Système des patrouilles n'a qu'une parole Travaux manuels est travailleur, économe Emotivité Responsabilités individuelles au sein est toujours de bonne humeur

de la patrouille. Appel au sentiment est propre dans son corps, ses pensées, de l'honneur. Discussions collectives. ses paroles et ses actes Travaux manuels. Vie en plein air n'a qu'une parole Insignes et traditions. est loyal et chevaleresque.

Dépression Jeux, sorties, camps est toujours de bonne humeur Jeu dramatique sait obéir Epreuves de classes et de brevet est travailleur

n'a qu'une parole Paranoïa Système des patrouilles sait obéir

Exemple du chef de troupe est l'ami de tous est loyal et chevalersque se rend utile et fait chaque jour une bonne action est toujours de bonne humeur est courtois et respectueux des convictions ďautrui

Impulsivité Système des patrouilles sait obéir Travaux manuels est l'ami de tous Chant, art dramatique est propre dans ses paroles, ses actes n'a qu'une parole

Perversité Vie au plein air est l'ami de tous Système des patrouilles est chavaleresque Chant est bon pour les animaux Exemple du chef se rend utile

est respectueux du bien d'autrui est propre dans son corps, ses paroles et ses actes

Source: H. Joubrel, Le scoutisme dans l'éducation et la rééducation des jeunes (Paris: PUF, 1951).

d'abord de supposer, que par delà les 80% de vols dans les délits reprochés aux dits délinquants, par delà la sophistication étiologique déjà largement répandue dans les milieux médico-psychiatriques, c'est plus implement d'une police des caractères, d'une police des comportements dont ce dispositif est implicitement chargé. Sous la toise boutgeoise des valeurs, dans le tableau symbolisé par la loi Scoute, le nombre des 4 'petits chenapans" et 4 'petits voyous' ' ne peut en tout état de cause qu'artificiellement augmenter.

De plus l'exclusion des cas lourds ou difficiles circonscrit très explicitement ceux vis à vis desquels tout mouvement humanitaire, fut-il généreux, dévoué ou simplement accueillant, est conduit à la répression, du moins à la contention ou encore à s'en remettre à la science (entendre à la psychiatrie). Attitude déjà caractéristique des milieux enseignants, que nous retrouvons intacte au principe même de ce grand mouvement éducatif. La notion d'éducabilité a des limites, qui reproduisent l'exclusion et travaillent à renforcer et opacifier le cordon sanitaire autour de l'enfance.

Ainsi vont charisme et prophétisme du scoutisme au service de l'enfance délinquante. L'influence du scoutisme allait être longtemps dominante dans ce secteur (recrutement, mais aussi organisation professionnelle, future Association Nationale des Educateurs de Jeunes Inadaptés, ANEJI, fondée en 1947), ac- cumulant les contradictions avec le courant techniciste médico-psychiatique.

L'apogée de ce développement tutélaire et technicien historique se découvre

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612 Réflexions Historiques

à la lecture des travaux d'un Conseil technique de Г enfance déficiente et en danger moral, créé en juillet 1943 par le ministère de la Santé. Et puisqu'il s'agit très officiellement d'élaborer une doctrine de la rééducation, on conçoit parfaite- ment que la neuro-psychiatrie infanto-juvénile y soit sur-représentée jusqu'aux limites de l'hégémonie. Des travaux "scientifiques" de ce conseil, c'est surtout l'adoption de la notion d'enfance inadaptée et d'une classification opérationnelle correspondante qu'il faut retenir.

Un relevé des désignations couramment en usage avant 1943, qui renvoient toutes à un Symptomatologie plus ou moins morale de la déviance, atteste déjà de plusieurs propositions pour unifier totalement ou en partie ce domaine. Ainsi, après les pupilles de l'assistance publique (quelquefois vicieux selon les termes de la loi de 1904), les enfants de justice et l'enfance coupable, les jeunes vagabonds, les enfants arriérés, les anormaux d'asile et anormaux pédagogiques, trouve-t-on une première tentative d'origine judiciaire en 1926: les enfants en danger moral, puis après 1940 presque simultanément la notion d'enfance malheureuse (Plaquevent), d'enfance irrégulière (École Lyonnaise), d'enfance dysharmonique (École Montpelliéraine). Dès lors on comprend mieux la nécessité et l'économie de la notion d'enfance inadaptée, et la mutation relative que cette notion entraine dans le discours dominant sur le symptôme. "Nous n'avons recherché," dira le Dr Lafon en 1971, "qu'une terminologie générale dans un souci de simplification, de brièveté et de délicatesse. Ce terme a paru le plus approprié." Mais si l'accommodement est en effet simple, nous découvrons aujourd'hui que ses fonctions étaient nombreuses. Enfance inadaptée sépare et naturalise une enfance à problèmes du problème global de l'enfance. Le concept invite à une catégorisation, moyen de l'observation et du triage des inadaptés, critère d'équipement et de gestion du secteur de l'enfance inadaptée. Il a enfin une fonction publicitaire que les médias amplifieront facilement après 1943.

Par rapport aux globalisations précédentes la clôture est portée plus loin, mais avec un flou nécessaire à une extensivité sans bornes. Dans ces conditions, la nomenclature établie en 1943-44 pour le compte du même conseil technique par le Dr Lagache avec le concours de neuf autres experts, parait bien avoir pour fonction principale d'opérationnaliser cette nouvelle terminologie. A cette fin, son préambule établit d'abord la fameuse définition qui, plusieurs fois remise au goût du jour depuis cette date, reste cardinale dans tout le secteur de la rééducation:

est inadapté un enfant, un adolescent ou plus généralement un jeune de moins de 21 ans que l'insuffisance de ses aptitudes ou les défauts de son caractère mettent en conflits prolongés avec la réalité et les exigences de l'entourage conformes à l'âge et au milieu social du jeune.

Du singulier employé là au verbe être qui veut donner à la définition une portée universelle, de l'équivalence des inadaptations innées et acquises à celle des critères de réalité et des critères sociaux, tout dans cette proposition individualise et naturalise l'inadaptation.11

Dès lors, on peut bien distinguer entre "les trois catégories qui dominent le tableau clinique": les malades, les déficients, les caractériels, l'essentiel est ailleurs, c'est à dire coder tout à la fois enfants et institutions. Et nous savons que

11. CERFI, "Histoire."

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Chauvière 613

l'efficacité de cette opération fut grande puisque, malgré la "révolution analyti- que" ses effets structurent et suturent encore le champ des inadaptations sociales. Secondairement, le Conseil Technique se préoccupe aussi de réinsertion sociale. Une étonnante perspective dans la conjoncture de chômage, de concentration et de rationalisation industrielle qui désespère déjà les petites et moyennes entreprises! Du moins le conseil technique fait-il littéralement offre de ses inadaptés au marché du travail, vantant leurs qualités inexplorées, et leur adaptabilité assurée au système du rendement. Quelques pages sont même étonnantes de naïveté et ď ' 'esclavagisme' ' à la fois. Mais si elles révèlent aussi le non-dit ou le refoulé des actuels programmes d'IMPro ou CAT (Institut Médico-Professionnel, Centre d'Aide par le travail). Dr Préault:

Il faut convaincre les employeurs de la nécessité de disposer d'une main d'oeuvre qui pourrait dans certains cas n'être rémunérée que partiellement et de la nécessité de pratiquer une révision et une rationalisation des postes dans l'entreprise ... Le débile mental [pour prendre un exemple] montre un rendement professionnel en fonction de son quotient intellectuel. Dans les niveaux les plus élevés il peut encore faire un ouvrier ou un artisan qualifié. Dans les niveaux les plus bas un robot dressé à une fonction simple. L'avantage des débiles réside dans leur soumission, le débit régulier de leur automatisme, leur fidélité canine. La taylorisation du travail s'applique parfaitement à eux, et ils sont capables de se plier à des besognes qui répugnent à des ouvriers normaux!

A la libération, un premier événement semble essentiel, c'est l'apparition d'une direction de l'Education Surveillée au Ministère de la Justice, qui est saluée politiquement comme une victoire contre la carcéralisation des mineurs pratiquée jusqu'à la guerre. Pourtant si la percée tant attendue par certains, d'un courant psycho-rééducatif dans le secteur public de la Justice pour enfants, est bien aussi l'enjeu dês ordonnances de 45, il n'en demeure pas moins que cette percée est et restera longtemps toute relative. En cela elle stigmatise aussi toute la résistance prudente de la magistrature, radicale- socialiste de tradition, à la stratégie d'extension de la psychiatrie infantile, par oeuvres privées et coordination interministérielle interposées. Il y a toute une division du travail social en direction de l'enfance qui se joue à la Libération au travers des fameuses ordonnances.

L'autre grande question au Ministère de la Santé cette fois, c'est le devenir des ARSE A. Billoux, du Parti Communiste, est le premier à prendre ce por- tefeuille, il y sera suivi jusqu'en 1945 par deux autres communistes (PC), un socialiste (SFIO), et un premier ministre du Mouvement Républicain Populaire (MRP). Le Dr Le Guillant, psychiatre du cadre public, compagnon de route du Parti Communiste, militant proche du Dr Bonnafé pour une psychiatrie d'extension - terme en usage avant la psychiatrie de secteur - remplace Chazal comme conseiller technique au Ministère (lequel deviendra le premier juge pour enfants de Paris après les ordonnances de 1945).

Que faire en effet de la politique engagée sous Vichy de mobilisation des oeuvres privées, au demeurant difficilement remplaçables, et difficilement nationalisables même en période de reconstruction nationale? Il est des alliances, même politiquement ambigúes, qu'il faut savoir conserver dès lors qu'il s'agit d'action sociale. C'est en tout cas ce que Billoux et Le Guillant vont s'appliquer à leur tour à développer et à justifier, non sans contradictions, dans la doctrine

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614 Historical Reflections

autant que dans les faits. Reconduire le dispositif ARSEA, le généraliser, et surtout, ce qui est le plus surprenant pour ces hommes, devenir les chantres de la synthèse possible des oeuvres et de Г administration, des ministères entre eux, et des familles idéologiques qui composent le puzzle de l'Enfance Inadaptée dont certaines sont à peine sorties de la collaboration. Il est vrai que tant Bonnafé que Le Guillant sont psychiatres. S'ils sont en désaccord idéologique et politique avec les leaders du courant de neuro-psychiatrie infantile (Heuyer, Lafon, Kohler) ils n'en demeurent pas moins partie prenante du développement d'ensemble de la psychiatrie dite sociale.

S'ouvre ainsi une courte période pratiquement scotomisée dans la mémoire de ce secteur, qui dure le temps de l'expérience tripartite en France: 1944 à 1947. Bien des détails devraient être remis à jour des nombreuses initiatives plus ou moins alternatives à la stratégie des ARSEA qui voient le jour durant ces trois années, avec bien souvent l'appui contradictoire des conseillers techniques du ministère de la Santé. Ainsi Fernand Deligny,12 tant au travers de la "Grande Cordée" que dans l'aide qu'il apporta aux syndicalistes CGT du métro, tentant d'organiser à la base, entre familles traminotes, un système d'échange des enfants difficiles devant leur éviter de tomber dans le circuit enfance inadaptée. Ainsi l'Association Nationale des communautés d'Enfants (l'ANCE) et les Centres d'Entrainement aux Méthodes d'Education Active (CEMEA), essayant d'organiser dans la tradition inaugurée par le Front Populaire un réseau de maisons d'accueil particulièrement destiné aux enfants victimes de la guerre, sans souci de thérapeutique a priori. Ainsi des instituteurs de l'Education Nationale chargés des classes de perfectionnement, tentant de se mobiliser à travers les Cahiers de l'enfance inadaptée avec l'aide d'une inspectrice, mais que la suren- chère laiciste à l'égard du Ministère de la Santé devait conduire pour longtemps à une relative inefficacité. Ainsi enfin, une expérience historiquement exemplaire, et unique au centre d'observation de Vitry, dont Le Guillant après 1947 prend quelque temps la direction: certains éducateurs y constituent des cellules politi- ques du PC, une sorte de base pour les premiers militants CGT du Secteur Enfance Inadaptée après 1954.

Aucune de ces expériences ne débouche réellement, c'est à dire n'est à l'origine de pratique réellement alternative. L'ANCE, Vitry, subsisteront bien sûr. Deligny poursuivra ses tentatives ailleurs, après un temps d'errance. Les CEMEA, dans l'ombre des psychiatres de gauche se spécialiseront quelque temps dans les infirmiers psychiatriques, avant de revenir sur ces terrains avec la formation des moniteurs éducateurs. Mais malgré la personnalité de H. Wallon que l'on retrouve dans chacune de ces expériences, aucune ne fera école. En cela, 1944-1947 est bien l'époque des alternatives dérisoires. En fait, le secteur enfance inadaptée qu'ont investi et où travaillent dans le silence de l'amour ou de la vocation les courants pédotropes et de psychiatrie infantile, facilités par Vichy, auxquels s'agrègent les nombreux perplexes ou hésitants devant la situation politique de l'époque, réfugiés dans l'action sociale, est déjà enkysté.

De cet enchevêtrement le MRP, auquel revient ce ministère, après 1947 et la

12. Sur Fernand Deligny, outre ses propres ouvrages - Graine de crapule, Les Vagabonds efficaces, et Adrien Lhomme, réédités pour la plupart aux Editions Maspéro - on consultera Moreau, Fernand Deligny. (C'est l'une des premières analyses historiques et synthétiques du "Delignysme.")

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disparition des communistes du gouvernement, devait facilement prendre le contrôle, c'est à dire réguler la gestion, en en assurant la pérennité. Mme Poinso-Chapuis, qui magistrat, militante du MRP, présidente de FARSEA de Marseille, puis ministre de la Santé, sera l'artisan, avec Lafon, définitivement blanchi de la collaboration de cette nouvelle et définitive hégémonie, de la reconduction du contrat social tissé sous Vichy et qui lie administration centrale et associations privées. Triomphent alors les organisations que ce secteur s'est lui-même forgé, non sans appuis politiques. Г ANEJI, association corporative des éducateurs aux relents Vichyssois en 1947. L'UNIOPSS, Union Nationale Interfédérale des Oeuvres Privées Sanitaires et Sociales, réplique sous la protec- tion d'un ministre MRP, à l'excès de centralisation de la Sécurité Sociale en 1947 également. Une sorte de riposte des ayants-droits. Enfin FUNAR, Union Nationale des Associations Régionales, structure de participation et de concerta- tion officielles des associations régionales représentant les oeuvres, et du minis- tère.

Ainsi la décennie 1940 apparait-elle décisive pour les nombreux interfaces qui s'y organisent. Si l'impulsion technicienne vient manifestement des milieux de la psychiatrie infantile, avec bien souvent une commande plus ou moins explicite de la part des magistrats spécialisés, l'efficacité institutionnelle de ces initiatives que portent Vichy et son régime, tient aussi à ce qu'elles rencontrent et fécondent toute une 4 'reprise d'ordre" chez de ' 'jeunes chefs' ' (scouts, compag- nons, etc. . . .), le tout sur un arrière-plan d'anti-laïcisme outrancier. Le secteur enfance inadaptée peut être dit en cela un complexe médico-pédagogique histori- que. Et l'adoption de la notion d'enfance inadaptée (1943) apparaît dès lors comme la principale suture de ce dispositif, pendant que la formation des cadres (futurs éducateurs spécialisés) en assure la reproduction.

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