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Arthur Bonifay

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2 3

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4 5

A R T H U R B O N I F A Y

D E S S I N E R D E S C A R A C T È R E S E N D E U X M I L L E D O U Z E

É c o l e S u p é r i e u r e d e s A r t s D é c o r a t i f s d e S t r a s b o u r g

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Page 4: Arthur Bonifay

6 7

Ouvrage composé en Felipe,

caractère dessiné par Geoffrey Pellet en 2011.

Achevé d’imprimé en mars 2012 à Strasourg.

À l'Atlantico.

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Page 5: Arthur Bonifay

8 9

— S O M M A I R E —

I N T R O D U C T I O N

P A R T I E I - L A L E N T E M U T A T I O N

D E S F O R M E S D E N O S L E T T R E S

1 . L E S M O U V E M E N T S D E L ’ É C R I T U R E ,

O R I G I N E S D E N O T R E M O D È L E A C T U E L

a. Le dessin de nos capitales

b. Maturation de nos minuscules

c. L’imprimerie, ancrage culturel

2 . L E X I X e S I È C L E , L E S I N G R É D I E N T S

P O U R U N E E X P L O S I O N T Y P O G R A P H I Q U E

a. Un contexte

b. De nouveaux outils

c. Un terrain de libertés

3 . L A L E C T U R E ,

C O M P L E X I F I C A T I O N D ’ U N S Y S T È M E

a. L’italique, premier variant

b. Des familles aux super-familles

p.13

p.19

p.24

p.24

p.28

p.35

p.41

p.41

p.43

p.45

p.49

p.49

p.52

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Page 6: Arthur Bonifay

10 11

P A R T I E I I - L E S E N J E U X

D E L A C R É A T I O N T Y P O G R A P H I Q U E E N 2 0 1 2

1 . U N E S A T U R A T I O N T Y P O G R A P H I Q U E

a. Un public plus attentif

b. Gratuité généralisée

c. Une multiplication des outils de création

2 . P O U R Q U O I E N R A J O U T E R ?

a. Se détacher des classifications

b. L’art pour l’art

c. La typographie comme un luxe

3 . É T A T D E S L I E U X D E S R É A L I S A T I O N R É C E N T E S

a. Les ‹revivals›

b. Les ‹typos de graphistes›

c. Les ‹utilitaires›

d. Les créations originales

— S O M M A I R E — — S O M M A I R E —

P A R T I E I I I - E N T R E T I E N S

A U T O U R D E Q U A T R E Q U E S T I O N S

P I E R R E d i S C I U L L O

E M M A N U E L B E S S E

E M M A N U E L R E Y

J E A N - B A P T I S T E L E V É E

M A X I M E F I T T E S

B E N J A M I N V I A L L A R D

F R A N K A D E B I A Y E

R A D I M P E Š K O

G E O F F R E Y P E L L E T

J O A C H I M M Ü L L E R - L A N C É

C O N C L U S I O N

G L O S S A I R E

B I B L I O G R A P H I E

W E B O G R A P H I E

R E M E R C I E M E N T S

p.59

p.61

p.61

p.64

p.70

p.74

p.76

p.78

p.82

p.86

p.87

p.88

p.92

p.94

p.101

p.103

p.106

p.111

p.114

p.116

p.120

p.122

p.126

p.128

p.132

p.139

p.142

p.146

p.150

p.152

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Page 7: Arthur Bonifay

12 13

I N T R O D U C T I O N

Assis dans un café, un cadre annonce à ma droite le Picon

à 3€. À côté, une affiche m’informe qu’en février deux groupes

locaux viendront en ce même lieu jouer leur musique que j’ima-

gine rock. Face à moi, une autre affiche précise que le samedi

ici, c’est Burger Party. À ma gauche, une pancarte m’indique que

la bière du mois est l’Affligem alors que mon voisin est plongé

dans la lecture de Libération. Sur ma table, la tasse dans laquelle

a été servi mon allongé fait de la publicité pour les cafés Reck

alors que le stylo que je tiens dans mes mains se présente sous

le nom de Paper Mate Flair et que mon lecteur MP3 me rappelle

que j’écoute Life on Mars de David Bowie.

Je viens de balader mes yeux une quinzaine de secondes

dans ce lieu public et pendant ce laps de temps, je suis entré en

contact avec plus d’une dizaine de styles de caractères typogra-

phiques. Chacun d’eux, avec ses spécificités, me racontait son

histoire. Mon œil qui a pris l’habitude d’observer la typographie

en a identifié certains, il peut deviner approximativement la date

de création des autres, et différencier ceux qui à première vue

se ressemblent.

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Page 8: Arthur Bonifay

14 15

On définit le début de l’histoire de l’homme par l’invention

en Mésopotamie de l’écriture. Elle marque le début de nos civi-

lisations. Environ 5400 ans plus tard, et un demi millénaire après

l’invention de la typographie, Il parait légitime que la maîtrise de

cet outil de savoir aboutisse à son omniprésence tout autour de

nous. Seulement, si l’on peut saisir la présence de la typographie

à chaque instant à nos côtés, on ne peut pas dire qu’elle soit

considérée comme un art majeur de notre temps. Du moins on

ne peut pas encore affirmer qu’elle soit appréciée et reconnue

par le grand public. J’en prends pour exemple les rencontres

internationales de Lure, qui est le plus grand évènement français

consacré annuellement à la typographie, et qui ne regroupe les

bonnes années qu’une centaine de personnes en une semaine

(intervenants et publics compris).

Qui, aujourd’hui, peut nommer un typographe ? Le plus

connu reste encore le premier de l’histoire, à savoir Johannes

Gutenberg, ce dernier étant bien plus célèbre pour l’invention

de l’imprimerie (qui lui est communément attribuée) plutôt que

pour le caractère textura et le gris typographique remarquable

qui composa sa fameuse Bible à 42 lignes. Avouons-le nous, qui

se soucie réellement de typographie ?

Pourtant en France, avec un taux d’alphabétisation avoi-

sinant les 100%•, personne ne peut l’ignorer. Chacun la côtoie

quotidiennement, et même s’il ne s’en soucie pas consciemment,

a un rapport sensible aux lettres.

S’il est bien évident qu’une scripte, une elzévir et une

fracture font appel à de biens différents univers dans notre

inconscient collectif /01/, on peut dire que le choix de chacune

de ces familles de caractères influence notre lecture, l’intonation

ou même le timbre de la voix récitant le texte dans notre tête.

En revanche, il est plus aventureux d’assurer que deux caractères

appartenant à la même famille, et ayant un dessin assez similaire,

aient des répercussions différentes sur notre sensibilité /02/.

99% des personnes âgées de plus de 15 ans savent lire et écrire. Source : The CIA World Factbook, étude datant du 11 mars 2011.

a. Mistral, 30 pt.— Famille des scriptesb. Times New Roman Regular, 30 pt.— Famille des elzévirsc. Wittenberger Fraktur Bold, 30 pt.— Famille des fractures

/01/a.

b.

c.

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16 17

Or aujourd’hui, un quart de siècle après l’invention de

l’ordinateur personnel, alors que l’échange de données s’est

banalisé, chacun se trouve dans la capacité d’entrer facilement

en possession de centaines de typographies différentes. Ceci

soulève alors une série de questions : lorsque la majorité des

lecteurs ne semblent pas discerner l’intérêt du dessin derrière

le signe, et qu’une gigantesque quantité de fontes est déjà

en circulation, le créateur de caractère a t-il encore sa raison

d’être ? La mort du typographe est-elle programmée dans cette

ère de la gratuité où il semble normal à une quantité de gens

d’accéder gratuitement à une infinité d’alphabets ? Qui est

encore prêt à investir dans un jeu de lettres payantes ?

Si le métier de typographe a bien évolué depuis sa création,

force est de constater que la dématérialisation marque un nouveau

tournant dans l’histoire de ce métier. Dans notre exposé à suivre,

nous nous intéresserons dans un premier temps aux principaux

bouleversements à travers les âges, aussi bien d’un point de vue

formel que parmi nos habitudes de lecture. Cette étude historique

permettra d’établir les liens entre les différents outils mis à dispo-

sition des créateurs de caractères au fil du temps et les résultats

qui en ont découlé. Suite à cette recherche, nous analyserons

le contexte actuel et soulèveront les problématiques inédites

auxquelles les typographes contemporains doivent faire face. Au

cœur de notre sujet, nous verrons en quoi une forme de création

est désormais révolue et quels sont les axes de recherche à venir.

Enfin, dans un dernier temps, je comparerai les points de vue

d’une série de personnalités appartenant au monde de la création

typographique contemporaine, afin de saisir les motivations, les

enjeux, et les raisons d’exister d’un art vieux de 500 ans.

/02/a.

b.

c.

a. Arial Regular, 30 pt.— Famille des linéalesb. Helvetica Regular, 30 pt.— Famille des linéalesc. Univers 55 Roman, 30 pt.— Famille des linéales

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18 19

— P A R T I E I —

L A L E N T E M U T A T I O N

D E S F O R M E S D E N O S L E T T R E S

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P A R T I E I

L A L E N T E M U T A T I O N

D E S F O R M E S D E N O S L E T T R E S

C’est quoi la véritable forme d’un M ? À travers cette

question dont la réponse nous semble de prime abord évidente,

Pierre di Sciullo nous invite à une réflexion plus grande qu’il n’y

paraît. Premièrement, questionner la forme d’un M appelle indi-

rectement à balayer dans notre mémoire toutes les différentes

formes que nous associons au signifiant M et d’en constater les

différences /03/. Cet exercice permet de prendre conscience

rapidement de la multiplicité des formes qui existent pour repré-

senter un simple fragment de notre alphabet.

Dans un second temps, le terme ‹véritable› nous pousse

à réfléchir sur ce qui fait qu’un M est un M, et non un N ou un

W. Quel est le point commun parmi la multiplicité des formes

possibles pour désigner ce M ? Existe-t-il un tronc commun, une

forme pure et simplifiée autour de laquelle tous les signes typo-

graphiques seraient dessinés ?

Dans Les Neurones de la lecture paru en 2007, Stanislas

Dehaene semble pencher pour le ‹oui› à cette question. Il indique

a.

e.

i.

m.

q.

b.

f.

j.

n.

r.

c.

g.

k.

o.

s.

d.

h.

l.

p.

t.

/03/

a. Felipe Big.— b. Rosewood Std Regular.— c. Impact Regular.—d. Hobo Std Mediume. Lithos Pro Regular.— f. Herculanum Regular.— g. Krungthep Regular.— h. OCR A Std Regulari. Hœfleur Text Italic.— j. Gill Sans Italic.— k. Zapfino Regular.— l. Verdana Bold Italicm. Cooper Std Black.— n. Comic Sans MS Regular.— o. Papyrus Regular.— p. Didot Regularq. TriplexItalic Bold.— r. Courier Oblique.— s. Baskerville Italic.— t. Cochin BoldItalic

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22 23

que dans notre système cérébral, un objet est décomposé

en fragments par notre système visuel et que nous avons des

neurones prompts à décoder chacune de ces formes basiques.

Aussi, dans le processus de lecture, il nomme ces formes

élémentaires ‹protolettres›. Nous aurions donc en chacun de

nous, une base de données de formes que notre cerveau est

capable d’assimiler : cercle, demi-cercle, trait vertical, diago-

nale… La combinaison ou la simple présence de certains de ces

signes nous permettrait alors l’identification des différentes

lettres. Cerise Heurteur, qui a mené une étude sur les systèmes

de lectures basée sur les travaux de Stanislas Dehaene, conclut

que ‹bien que la forme du modèle des protolettres varie selon

la typographie utilisée […] une structure commune se dégage,

grâce à laquelle nous pouvons reconnaître les lettres›•. Ainsi donc

elle affirme l’existence de structures invisibles nous permettant

d’identifier les lettres. Ces ‹protolettres› /04/, que l’on peut

qualifier de véritables squelettes de notre alphabet, permettent

aux typographes une grande variété dans le dessin de caractères.

Cependant, l’évantail de formes de nos lettres ne s’est développé

que très progressivement. Nous allons voir comment.

HEURTEUR, Cerise.— ‹Pendant la lecture› in Graphê, n˚47.— Paris, novembre 2010. /04/ exemples de protolettres

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24 25

1 . L E S M O U V E M E N T S D E L ’ É C R I T U R E ,

O R I G I N E S D E N O T R E M O D È L E C O N T E M P O R A I N

Bien que mon exposé porte sur la typographie et l’évolution

de ses formes et qu’il devrait par conséquent commencer au XVe

siècle de notre ère, je vais dans un premier temps effectuer un

rapide retour sur la naissance de notre alphabet et son évolution

jusqu’à l’invention de Gutenberg.

a. Le dessin de nos capitales

Le principe d’un alphabet pour transcrire visuellement une

langue n’est de loin pas le premier système que l’homme ait mis

au point. Si, comme je l’indiquais en amont dans l’introduction,

les premières traces d’écriture datent de 5000 avant J-C, les

premières traces avérées d’alphabet datent de 1500 avant J-C,

soit trois millénaires et demi plus tard. Elles sont la retranscrip-

tion de langues dites sémitiques, parlées alors dans une région

correspondant aujourd’hui à la Syrie, au Liban, à Israël et à la

Jordanie /05/. Cette source originelle de l’alphabet est aussi

bien celle de notre alphabet latin que celle des autres formes

d’alphabets qui existent aujourd’hui. Dans cette première version,

on peut reconnaître des éléments que nous avons toujours en

héritage plusieurs siècles après. Par exemple, bien que toutes les

lettres que nous utilisons aujourd’hui n’avaient pas été inventées, il

est intéressant de noter que leur ordre n’a quasiment pas changé.

D’après les recherches d’Alan Gardiner, les formes de

cet alphabet protosinaïtique nous viennent de pictogrammes,

qui par acrophonie• ont donné leur nom aux lettres. C’est ainsi

que le taureau, ‹aleph› en sémitique a servi de modèle au A.

On remarquera également qu’‹aleph› est aujourd’hui le nom de

la première lettre de l’alphabet hébreu, et qu’il est proche de

l’‹alpha› grec et de l’‹alif› arabe. Le peuple grec n’est donc pas

réellement à l’origine de notre système d’écriture, comme son

nom (alphabet = alpha + bêta) le laisserait pourtant supposer.

L’apport des Grecs aura été d’avoir inventé la voyelle vers

-900 avant notre ère. En effet, pour la retranscription écrite

des langues sémitiques, l’utilisation de consonnes suffisait.

Néanmoins son absence pour écrire les langues grecques se

fit ressentir. C’est ainsi que pour leurs besoins spécifiques, les

Grecs ont fait évoluer un système âgé alors de 600 ans. On notera

donc que les formes de nos lettres capitales, qui nous semblent

aujourd’hui arbitraires, se basent sur un dessin figuratif, que

plusieurs millénaires d’immuables réinterprétations ont fait

disparaître /06/.

Fait d'attribuer la valeur phonétique du premier phonème à un idéogramme.

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26 27

Inscription protosinaïtique ‹Évolution schématique du phonogramme A› par Adrian Frutiger.

/05/ /06/

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b. Maturation de nos minuscules

La naissance des minuscules est plus récente et fait suite

à une transformation lente des capitales. Autour de l’an 0, les

Romains dominent le monde méditerrannéen; leur alphabet est

celui que nous utilisons de nos jours (à quelques lettres près),

c’est un dérivé de l’alphabet étrusque, lui-même emprunté aupa-

ravant aux Grecs /07/. L’inspiration de ses formes reste proche

de celles utilisées par les Grecs; malgré quelques transforma-

tions, il n’y a pas de grande métamorphose.

Le rayonnement de l’empire romain amène ses scribes

à rédiger de nombreux textes, notament pour des affaires

courantes. À ces fins, les Romains utilisaient le calame sur

papyrus ou le stylet sur tablette. Le dessin de lettres sur ces

nouveaux supports permettait une graphie beaucoup plus libre et

rapide. Cette fluidité nouvelle transforma petit à petit l’écriture

pour finalement donner naissance à ce que l’on nomme la cursive

romaine /08/, dérivée des lettres latines et qui se caractérise par

un grand nombre de ligatures et d’abréviations. La gestuelle a

changé, le tracé des lettres également.

La cursive romaine engendre au fil du temps l’écriture

onciale /10/ et la semi-onciale /09/, toutes deux plus rondes.

À partir de cette écriture semi-onciale, datant du IVe siècle, se

/07/

a.

b.

c.

a. Alphabet grec primitif, v. -750 b. Alphabet étrusque, v. -650c. Alphabet latin v. -500

/08/ Exemple de cursive romaine.Lettre adressée par Vitalis à Achilius.Égypte, entre 317 et 324.

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30 31

/11//10/

/09/

a. Écriture anglo-saxonne, Épître de Saint Paul, écrit à Werder sur la Ruhr au VIIIe siècle.b. Écriture mérovingienne.— Extrait d'un document daté du 25 avril 854.c. Cursive de l'Italie du Nord, appelée parfois ‹écriture lombarde›, VIIIe siècle.d. Écriture mérovingienne.— Extrait d'un manuscrit de Grégoire de Tours, VIIe siècle.e. Écriture wisigothique, Commentaire sur l'évangile de Saint Luc, IXe siècle.f. Semi-onciale irlandaise.— Extrait du psautier de Salaberga, VIIIe siècle.

Onciale romaine : Évangéliaire de Prüm, scriptorium de Saint-Martin-de-Toursmanuscrit du IXe siècle.

Semi-onciale romaine : Concilia minora Galliae, manuscrit du VIIe-VIIIe siècle.

a. b.

c. d.

e. f.

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32 33

dégagent certains dessins de lettres minuscules tels que nous

les utilisont aujourd’hui. Puis vint la chute de l’empire romain

au Ve siècle; les échanges entre régions éloignées diminuent

sensiblement, ce qui fut à l’origine d’un phénomène intéressant.

Chacun des peuples d’Europe, alors relativement coupé de ses

voisins, développe ce que l’on appelle une ‹écriture nationale› /11/.

Il ne s’agit pas ici de l’émergence de nouveaux alphabets ou d’une

transformation en profondeur des lettres héritées de Rome, mais

d’une appropriation régionale de la semi-onciale.

On peut expliquer ce phénomène de différentes raisons.

Avec les grandes invasions ayant suivi la chute de Rome, on aurait

pu imaginer que l’évolution du bas-latin vers différentes langues

romanes un peu partout en Europe ait pu influer sur les courbes

des lettres, que naturellement, la mélodie d’une langue se soit

reflétée par des formes plus ou moins rondes, piquantes ou

contrastées. Mais à cette époque ‹le latin [reste] la seule langue

écrite en Occident›•, du moins dans les textes officiels; on ne

peut donc pas conclure que les spécificités de chaque langue

(dans la redondance des lettre, la musicalité etc.) aient pu

modifier l’aspect général de l’alphabet.

J’émets alors l’idée que ces stylisations soient nées de la

volonté de chaque peuple de s’approprier les lettres et d’en faire

les représentantes d’une culture propre. Je parle ici d’une fierté

Nom des ateliers dans lesquels les copistes réalisaient des livres copiés manuellement, avant l'introduction de l'imprimerie.

PERROUSSEAUX, Yves.— Histoire de l'écriture typographique, de Gutenberg au XVIIe siècle.— La Fresquière : Atelier Perrousseaux éditeur, 2005.— p.18

nationale qui aurait poussé les copistes de l’époque à réinterpré-

ter les canons de semi-onciale pour les scriptoria• de leur région.

Ainsi, l’aspect global d’un texte indiquait immédiatement sa

provenance géographique, la faisant rayonner culturellement.

Quelles qu’aient été les raisons de la naissance de ces

différents styles, il est en tout cas très intéressant de noter que

dans ce court laps de temps à l’échelle de l’histoire de l’écri-

ture (quatre siècles, du Ve au VIIIe), un tronc commun (même

modèle de lettres, même langue d’écriture) ait pu engendrer

de nombreuses branches, tendant chacune à l’émancipation.

On peut alors légitimement se questionner sur l’influence qu’a

une culture sur la graphie de son alphabet. La fragmentation

des sensibilités a mené à une multiplication des formes car si

ici, ce ne sont ni les outils ni d’autres éléments exterieurs qui

ont conditionné ces nouvelles différenciations, ce sont bien les

hommes. Fin de la parenthèse sur les écritures dites ‹nationales›.

Au VIIIe siècle, les dialectes romans sont de plus en plus

parlés au royaume des Francs. Charlemagne, alors seul au

pouvoir, souhaite sous l’impulsion du moine Alcuin, endiguer le

déclin de cette langue noble qu’est le latin. Pour cela, il impose

le retour à l’école, dans laquelle on étudie sa grammaire. Cette

action de vaste ampleur a eu pour conséquence de voir émerger

une nouvelle écriture, que l’on a appelé la caroline en référence

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à Charlemagne /12/. C’est cette dernière qui est considérée

comme étant à l’origine de nos minuscules actuelles. Une fois

encore, on peut constater que la diffusion d’un courant de

pensée unique a accouché d’un type d’écriture particulier.

c. L’imprimerie, ancrage culturel

Nous venons de voir comment sont nés nos modèles latins

de lettres majuscules et minuscules. Si l’on peut s’apercevoir que

l’alphabet moderne se fixe peu à peu à partir du IIIe siècle, l’in-

vention de Johannes Gutenberg au milieu du XVe siècle va ancrer

définitivement ses formes dans notre culture. L’accroissement

fulgurant du nombre de livres fut tel que jamais auparavant

les lettres n’avaient été aussi visibles. Les livres n’étaient plus

alors des objets rares que l’on ne trouvaient que dans les églises

et couvents, ils étaient devenus relativement accessibles.

Rapidement, ce n’était plus seulement la Bible qui était imprimée

mais aussi des textes littéraires et ouvrages pratiques, consoli-

dant ainsi auprès d’un public de plus en plus large la popularité

du livre. Le paysage visuel devient donc de plus en plus chargé

de lettres à partir de cette seconde moitié du XVe siècle. Cette

omniprésence nouvelle va marquer la fin du changement d’allure

jusqu’alors continu de nos signes alphabétiques comme si le

poids du plomb avait imprimé suffisament profondément en nous

un squelette général, désormais définitif. On peut résumer ce

phénomène par le fait que nous ne savons lire que ce que nous

sommes habitués à lire. L’explosion du livre, et par conséquent

de la lecture, a créé un précédent dans l’inconscient collectif,

qui fait de ces premiers caractères imprimés le premier repère à

très grande échelle d’un dessin particulier de nos lettres.

/12/ ‹Écriture carolingienne›Benedictionale de Saint-Aethewold, écrit en Angleterre au Xe siècle.La première ligne et les deux ‹Amen› sont calligraphié en onciale.Le ‹BENEDICAT ET› est issu de la capitale romaine.

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/13/ /14/Page de la Bible de GutenbergVolume 1, Ancien Testament, ‹Épître de Saint Jérôme›.— Mayence : 1454-1455.

Page du Songe de Poliphile de Francesco Colonna, imprimé par Alde Manuce‹Le premier triomphe›, Centaures tirant le char triomphal - Nymphes en procession Venise : 1499.

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Mayence, dont était originaire Gutenberg, fut le premier

foyer d’imprimeurs, rapidement suivit par Venise dont Alde

Manuce fut une figure emblématique. Ces premiers imprimeurs

avaient pour volonté de diffuser massivement les livres tels

qu’on les connaissaient déjà à l’époque, pas d’en révolutionner

la forme. Les premiers caractères typographiques étaient donc

directement inspirés des livres manuscrits. Comme en Allemagne,

le courant de pensée dominant prêchait le retour aux vertus du

christianisme originel, les imprimeurs du Nord prirent comme

modèle pour leurs caractères les manuscrits gothiques. Cette

écriture verticale, lourde et rigoureuse faisait alors partie de

cette doctrine religieuse stricte /13/. En revanche, en Italie, la

pensée humaniste s’imposait, et c’est donc naturellement que les

imprimeurs en place calquèrent leurs polices /14/ sur les écrits

humanistiques de l’époque. Leur graphie était en partie inspirée

de la Rome antique•, inspiratrice de ce mouvement de pensée.

Nous nous trouvons ici, aux premières heures de l’imprimerie, déjà

face à deux styles typographiques, véhiculant chacun un courant

de pensée singulier, et qui vont servir à imprimer des textes aux

contenus fort différents. Pour la première fois, l’aspect des lettres

ne reflète plus seulement un peuple, une langue ou une région,

mais aussi un grand courant de pensée.

Pour les capitales

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40 41

2 . L E X I X e S I È C L E , L E S I N G R É D I E N T S

P O U R U N E E X P L O S I O N T Y P O G R A P H I Q U E

Nous venons de voir l’apparition de la structure commune

à tous les caractères latins, nous pouvons maintenant nous

intéresser à l’évolution de la ‹chair› qui enveloppa ce premier

squelette durant les siècles suivant l’apparition de l’imprimerie.

Je ne vais pas ici retracer une histoire exhaustive de l’aventure

typographique, mais plutôt m’arrêter sur le tournant historique

que constitue le XIXe siècle. Nous pourrons par la suite créer des

parallèles avec les enjeux de la création typographique en 2012.

a. Un contexte

Au XIXe siècle, l’industrialisation éclot en Europe et change

radicalement son aspect. Les usines nouvelles attirent les travail-

leurs dans les villes, qui enflent tout à coup, se métamorphosant

en métropoles. Cette concentration va mener aux balbutiements

de la société de consommation de masse, qui elle-même va

donner naissance à la réclame que l’on va retrouver rapidement

partout sur les murs. Jusqu’alors, durant trois siècles de création

typographique, la motivation première des imprimeurs était de

faciliter la lecture en créant des caractères ne fatigant pas les

yeux, le support privilégié des lettres était alors le livre. L’essor

/15/

CHÉRET, Jules.— Grands magasins du Louvre, 1890.— Lithographie, 241,8 x 82,5 cm

CHÉRET, Jules.— Purgatif Géraudel, 1891 Lithographie, 241,7 x 83,2 cm

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de la presse quotidienne, grâce notamment à une population de

plus en plus alphabétisée, permettra aux typographes de conti-

nuer à créer des polices pour une lecture soutenue. Néanmoins

c’est bien la réclame et l’apparition de lettres à une toute

nouvelle échelle, qui sera la source d’un réel bouleversement

dans le dessin de lettres.

Technique d’impression à plat qui permet la création et la reproduction à de multiples exemplaires d’un tracé exécuté à l’encre ou au crayon sur une pierre calcaire

b. De nouveaux outils

Là où le monde de la typographie va être amené à se

modifier en profondeur, cela va être pour répondre aux besoins

nouveaux de la réclame. En effet avec elle le support des lettres

change, ainsi que l’échelle et le mode de lecture. La typographie,

produit lourd de la métallurgie, ne s’adapte guère aux grandes

affiches. L’imprimé va donc se développer grâce à une invention :

la lithographie•. Cette technique va être abondamment utlisée

par des artistes comme Jules Chéret /15/ ou Henri de Toulouse-

Lautrec /16/. Le dessin des lettres se fait alors directement par la

main de l’affichiste sur la pierre, les titrages sont par conséquent

généralement souples et enlevés /17/.

Parallèlement, la machine à graver des poinçons de Lynn

Boyd Benton va permettre d’augmenter la cadence de production

des caractères typographiques. ‹L’œil et la main du graveur fait

désormais place à la science du dessinateur. L’exécution n’est

plus une part essentielle de la production; elle cède le pas à la

conception, et n’est plus qu’une question technique, secondaire.›•

Avec ces nouveaux procédés, répondant à de nouveaux besoins,

les dessinateurs de caractères se trouvent subitement devant un

champ de possibilités démultiplié.

BEDOIN, Laurence.— ‹La machine à graver les poinçons›www.garamond.culture.fr/fr/page/la_machine_a_graver_des_poincons

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44 45

c. Un terrain de libertés

La réclame présente des enjeux nouveaux. Les textes

sont courts; il faut être direct, aller à l’essentiel, être impac-

tant. Il s’agit moins d’être lu que d’être vu. Dans cette volonté

d’attraction visuelle, certaines lettres vont s'ornementer /18/,

d’autres vont devenir beaucoup plus grasses, donnant naissance

aux normandes /19/. Sous l’impulsion de William Caslon IV, les

empattements disparaissent, ce qui donne naissance aux linéales

/20/. Dans un autre esprit, les empattements sont géométrisés,

devenant blocs, ce qui créera la famille des égyptiennes /21/. La

trace de la main de l’homme tenant une plume s’efface.

Le XIXe siècle n’est donc pas simplement témoin d’un

remodèlement des formes typographiques, il est témoin d’un

réel renouvellement et est en cela remarquable du point de vue

de la création. On voit que l’heureuse conjonction d’un nouveau

support, de nouveaux outils et de nouveaux besoins ont permis

aux dessinateurs de caractères de s’affranchir de certaines

contraintes techniques et formelles pour finalement ouvrir des

voies inédites à leur art.

TOULOUSE-LAUTREC, Henri.— Confetti Bella, 1894.— Lithographie, 56,5 x 44,3 cm.TOULOUSE-LAUTREC, Henri.— Salon des Cents, 1896.— Lithographie, 60,3 x 40,8 cm.BRADLEY, William.— Narcoti-Cure, 1895.— Zincographie, 51,7 x 35,7 cm.KALAS, Ernest.— Exposition d'affiches artistiques, 1896.— Lithographie, 137,7 x 84,4 cm

/16.a/

/17.a/

/16.a//16.b//17.a//17.b/

/16.b/

/17.b/

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/19//18/

/20/

/21/

/18/

/19/

/20/

/21/

‹Normande› Five-Line pica n°5, Thorowgood, 1821.‹Majuscules ornementales›Specimen of Printing Types, H.W. Caslon & Co. Londres, 1862.‹Égyptienne›Spécimen de la fonderie de E. Tarbé, Paris, 1835.‹Linéale› Two Lines English EgyptianSpécimen de William Caslon IV, Grande-Bretagne, 1816.

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48 49

3 . L E L E C T U R E ,

C O M P L E X I F I C A T I O N D ’ U N S Y S T È M E

a. L’italique, premier variant

Il n’y a pas que la silhouette des lettres qui a été amenée

à se transformer à travers les siècles. Nos habitudes de lecture

également se sont modifiées. Le développement de l’écrit et

la diversification de sa nature ont naturellement entraîné une

complexification de la lecture.

Nous l’avons vu, quand l’imprimerie naît, les textes des

premiers livres sont coulés essentiellement en caractères

gothiques au Nord de l’Europe et en caractères romains au Sud,

imitant ainsi les livres des copistes. Les lettrines /13/ constituent

alors le seul élément de texte se différenciant du reste. C’est

à l’aube du XVIe siècle en Italie, alors que le monde du livre est

encore en pleine transition, qu’un premier bouleversement va

avoir lieu.

Dans le contexte de l’époque, bien que le livre subisse une

expansion incroyable, personne ne remet encore en jeu sa forme.

Il reste un objet volumineux qui ne se consulte pas partout. C’est

alors qu’Alde Manuce, installé à Venise, va avoir pour idée de

développer la production de livres de petit format, ancêtres de

‹in-octavo›DE NAZIANCE, Grégoire, Orationes lectissimae XVIVenise : Alde Manuce, 1516.— Bibliothèque municipale de Caen.Le dauphin entourant l'ancre est la marque d'Alde Manuce

/22/

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nos livres de poche actuels, les livres ‹in-octavo› /22/. Il destine

ses livres pour un public restreint et fortuné, afin qu’ils puissent

lire les classiques latins et les textes humanistes en tout lieu. Pour

cela, il doit faire graver ses caractères dans de petits corps et

essayer au mieux de gagner de l’espace pour que ses ‹in-octavo›

n’aient pas une épaisseur excessive. C’est ainsi qu’il va créer

à l’aide de son graveur Francesco Griffo l’italique /23/. Cette

nouvelle écriture imite la graphie des lettrés italiens de l’époque

(et donc de ses lecteurs), et a l’avantage d’être plus étroite que

le romain. Ce qui était une contrainte imposée par un format, et

un certain lectorat, a été transformé par Alde Manuce en ce qui

s’avéra être un succès immédiat. L’imprimerie était encore jeune

et la tradition manuscrite était encore importante au yeux des

intellectuels, qui se reconnurent dans cette italique aux courbes

fluides.

À cette époque, italique et romain ne sont employés que

séparément. Il faudra encore un demi-siècle avant de voir les

premiers textes associant les deux. C’est ce temps d’adaptation

qu’il a fallu aux imprimeurs pour qu’ils aient l’idée d’utiliser l’une

en complément de l’autre. Un nouveau niveau de lecture est né :

l’italique, permettant une exergue dans un texte romain et inver-

sement. Et étrangement, ce n’est encore que bien plus tard que

l’harmonisation de ces deux écritures arrivera, l’italique comme

complément du romain dans une même police.

On voit ici que c’est un changement de format, et donc

de statut du texte, qui a entraîné l’apparition d’un nouveau

type d’écriture. Lorsque le regard du lecteur est modifié, son

appréhension du texte l’est également. La lecture demande

une éducation par l’habitude. Nous ne sommes pas aptes à des

changements soudains, nous avons besoin de dizaines d’années

d’adaptation pour accepter de remettre en cause ce que l’on

connaît. L’apparition brusque de nouvelles écritures ne peut

survenir que lorsque notre façon de lire est également modifiée.

/23/

TITE-LIVE, Ex. XIIII T. Livii decadibus prima, tertia, quarta, (…)Venise : Alde Manuce, 8˚, 1518Bibliothèque municipale de Caen. Les majuscules italiques sont apparues un peu après les minuscules italiques.On remarque sur cette page que les majus-cules sont encore en romain.

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52 53

b. Des familles aux super-familles

Avec le XIXe siècle, les transformations que nous avons vues,

les caractères semi-gras et gras font leur apparition et s’installent

dans le paysage typographique. Comme pour l’italique d’Alde

Manuce et Francesco Griffo, leur intégration en tant que variantes

de caractères ‹réguliers› n’est pas immédiate; ils existent d’abord

pour eux-mêmes. Sans me livrer à un retour sur toutes les évolu-

tions qui ont amené à l’expansion des super-familles, je me

concentrerai sur la première police a avoir possédé très grand

nombre de styles : l’Univers /24/ d’Adrian Frutiger.

On ne présente plus Adrian Frutiger. Dans le monde de la

typographie, il est probablement la personnalité vivante la plus

importante. Ses caractères sont parmi les plus utilisés et appré-

ciés dans le monde. Sa renommée lui fut acquise lorsqu’en 1957, il

signa l’Univers chez Deberny & Peignot. Ce caractère fut une petite

révolution. La photocomposition en était à ses débuts lorsque

Charles Peignot a investi en 1954 dans la Lumitype dont il perce-

vait le potentiel. Après avoir sorti quelques caractères classiques

comme le Garamond, le Bodoni, le Baskerville ou le Caslon, il

demande au typographe suisse (en poste dans la fonderie depuis

1952) un caractère inédit. À cette époque, chez Deberny & Peignot,

le caractère qui se vend le mieux est l’Europe•. Les linéales

regagnant fortement en popularité, c’est logiquement vers cette

option que la fonderie va se diriger.

Jusqu’alors, quand les fonderies sortaient leurs nouveau-

tés, les variantes étaient limitées, et ce n’est qu’une fois leur

succès avéré que le développement de la famille s’effectuait. La

machine Lumitype avait représenté un grand investissement de

la part de Deberny & Peignot, mais elle avait l’avantage d’avoir

un coût de fabrication pour de nouveaux caractères avantageux

par rapport aux caractères coulés dans le plomb. L’Univers a

été prévu pour comporter 21 variantes dès sa sortie, ce qui était

un travail d’envergure totalement inédit. L’ampleur du projet

amèna Adrian Frutiger à se poser certaines questions sur ses

choix graphiques : ‹Pour le style romain, une terminaison oblique,

classique, aurait été plus belle, j’en avais bien conscience. Mais

je voulais faire 21 styles, et les styles étroits ne pouvaient pas

s’achever sur des obliques, ça ne faisait pas beau›•. Jamais les

contraintes d’harmonisation n’avaient été portées si loin; on

comprend bien dans les propos du Suisse que cela influença

son dessin. La rigueur qu’impose une famille si large était un

défi à relever, ce qui est peut-être la raison pour laquelle on

juge communément l’Univers plus froid que l’Helvetica de Max

Miedinger sorti la même année. Cela se ressent notament dans

la classification inédite, quasi scientifique que Frutiger a utilisé

pour ses variantes, basée sur des nombres. Le chiffre des

Nom donné au Futura pour sa commecialisation en France. OSTERER, Heidrun & STAMM, Philipp.— Adrian Frutiger – Caractères. L’œuvre complète.— Bâle : Birkäuser, 2009.— p.92

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/24/ /25/

Schéma de Bruno Pfäffli présentant les 21 styles d'origine de l'Univers.

Poster de présentation du Thesis.— 1994

dizaines indique la graisse (plus il est grand, plus le variant est

gras), le chiffre des unités indique la chasse (plus il est élevé,

plus le variant est étroit); les chiffres impairs désignent des

romains et les chiffres pairs des italiques. L’Univers 83 est donc

large, gras et italique alors que l’Univers 39 est maigre, étroit

et romain. Ce système fût réemployé par Frutiger pour d’autres

projets. Nous sommes en 1957 lorsque Deberny & Peignot sortent

la première fonte permettant une utilisation optimale de l’espace

dans la page. Ceci constitue un point fondamental dans l’élargis-

sement des familles typographiques.

Par la suite, des personnes comme Luc(as) de Groot avec

le Thesis (1994-1999) /25/ ont encore agrandi ce que pouvait être

une famille d’un même caractère. Cette fois-ci, des caractères

avec et sans empattements font partie d’un même ensemble.

TheSans (sans empattements), TheSerif (avec empattements) et

TheMix (intermédiaire) sont les trois groupes dans lesquels les

variants habituels se déclinent à sa sortie. L’ampleur du travail

est colossale, inimaginable sans l’outil informatique. Aujourd’hui,

la super-famille Thesis continue à se développer, ajoutant des

variants est-européens, cyrilliques, grecs, vietnamiens, arabes

et comprenant un nouveau grand groupe : TheAntiqua. Nous nous

trouvons aujourd’hui en présence de ce type de super-familles

typographiques qui permettent de presque tout écrire, avec les

déclinaisons appropriées.

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56 57

Tout au long de l’histoire de la typographie, les dessinateurs

de caractères ont travaillé pour faciliter notre lecture, la rendre

plus cohérente, ou à l’inverse rendre les lettres plus extrava-

gantes. Ils ont aussi bien créé des caractères pour être lus de loin

que d’autres pour une lecture continue. Des systèmes ont été

inventés pour mettre en avant des fragments de texte, d’autres

pour en harmoniser les différentes parties. Si bien que l’on peut

dire qu’aujourd’hui nous n’avons plus de besoin en la matière. Le

spectre typographique est si large que l’on peut y trouver toute

sorte de forme utile ou non. Néanmoins si nous sommes au bout

d’une nécessité de nouveauté, sommes-nous pour autant à la

fin de la création de caractères ? Nous allons le voir dans notre

seconde partie sur les enjeux que comporte encore la typographie

au XXIe siècle.

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— P A R T I E I I —

L E S E N J E U XD E L A C R É A T I O NT Y P O G R A P H I Q U E

E N 2 0 1 2

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P A R T I E I I

L E S E N J E U X D E L A C R É A T I O N

T Y P O G R A P H I Q U E E N 2 0 1 2

1 . U N E S A T U R A T I O N T Y P O G R A P H I Q U E

a. Un public plus attentif

Aujourd’hui, chaque personne qui entre en possession d’un

ordinateur (aussi bien Mac que PC) entre en même temps en

possession de plus d’une centaine de fontes (sans compter les

variantes typographiques). Cela semble normal pour la plupart

des consommateurs. L’alphabet appartient à l’homme depuis

des millénaires. Pourquoi payerions-nous pour son utilisation ?

Ce raisonnement, qui fait totalement abstraction du travail du

dessinateur, tend à se répandre tant l’accès à la typographie se

facilite avec la numérisation. L’aspect positif de ce constat (car

oui il y en a un) est que l’œil d’un nombre de plus en plus élevé

de personnes n’appartenant pas au petit monde du graphisme

s’éduque à la typographie. En effet, n’importe qui aujourd’hui

est amené à se trouver face à Word ou quelque autre logiciel de

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traitement de texte pour rédiger un courrier, une invitation à un

anniversaire, une affiche pour un chien perdu, etc. Il faut donc

à un nombre grandissant de personnes se glisser occasionnel-

lement dans la peau du graphiste et être confronté au délicat

choix typographique. Il convient alors d’observer attentivement

le lot d’alphabets qui nous est proposé, constater les différences

même minimes, faire plusieurs essais pour un même texte, pour

finalement opérer une sélection selon des critères relatifs au

texte, à nos goûts personnels. Au vu du développement croissant

du parc informatique, nous sommes de plus en plus nombreux à

effectuer cette démarche. On peut ainsi dire que nous sommes

de plus en plus nombreux à ne plus simplement voir les lettres

mais à les regarder, à en observer leur courbes, à considérer leur

côté sensible, et pas seulement leur aspect pratique.

Nous nous trouvons en outre dans une ère où la mode est à

la personnalisation, au culte de l’objet unique, conçu spécialement

pour/par nous. Cela va aussi bien de la chaussure à la voiture que

des lunettes au lecteur MP3, etc. La typographie participe dans

les traitements de texte, les discussions instantanées sur internet

(MSN, Skype…) ou dans l’élaboration de blogs personnels à l’ex-

pression du ‹moi›. Elle nous représente dans ce que nous sommes,

ce que nous avons à exprimer ; elle nous différencie des autres,

montre notre originalité. Dans une époque où les états d’âme

d’une génération s’affichent sur internet, il convient d’être en

possession d’une fonte joyeuse, une amoureuse, une dépressive…

/26/

/26/

Images provenant de blogs tenus par des adolescents.

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64 65

b. Gratuité généralisée

Si je parle ici d’un intérêt grandissant pour le domaine de la

typographie, je n’oserais tout de même pas parler d’engouement,

car comme je le soulignais précédemment, les caractères auxquels

le grand public s’intéresse en premier lieu sont ceux qu’il possède

sans les avoir acheté. Payer pour accéder à de nouvelles créations

typographiques n’est pas encore une démarche envisagée par

le grand public. Et comment pourrions-nous le lui reprocher ?

Aujourd’hui fleurissent sur internet un nombre grandissant de sites

proposant de fournir gratuitement des typographies /27/ – Dafont

en est le plus célèbre. Ces sites diffusent majoritairement des

caractères appartenant à la famille des ‹fantaisie›, qui, comme son

nom l’indique, se caractérise par une certaine liberté formelle. On

y propose donc majoritairement des typographies utilisables pour

du titrage ou des textes de longueur réduite, mais pas unique-

ment. On y trouve également nombre de pastiches de fontes de

dessinateurs de caractères, ce qui présente un réel souci. Mon

propos n’est pas ici de m’ériger comme un défenseur des profes-

sionnels que l’on vole et plagie – ce qui est pourtant le cas – mais

je souhaite ici souligner un problème de plus grande portée. Ces

pastiches ont de grandes lacunes dans leurs jeux de caractères

(absence quasi systématique de signes diacritiques• par exemple)

/28/, et surtout ont des approches de très mauvaise qualité /29/.

Comme le dit Jean-Baptiste Levée sur son site internet : ‹un bon

réglage des espaces (ou approches) est le gage d’un gris typogra-

phique harmonieux qui contribue grandement à la lisibilité›. Il faut

un œil aiguisé pour régler ce type de détails, cela ne s’improvise

pas. Or sur les sites de partage gratuit de fontes, les détails typo-

graphiques sont fréquemment négligés car les polices sont pour la

plupart réalisées en quelques heures. Cette tendance à diffuser de

la fausse qualité présente donc un danger certain pour les dessina-

teurs traditionnels : une éducation ratée du détail au grand public.

Signe diacritique : signe accompagnant une lettre (accent, cédille, tilde etc.).

/27/

Sites de partage de fontes :www.1001fonts.comwww.urbanfonts.comwww.dafont.com

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Chaque grande invention dans l’histoire de l’homme

bouleverse par ricochet le monde de la typographie. Comme

je l’exprimais plus tôt, l’apparition d’une invention majeure

comme l’imprimerie avait permis de fixer une fois pour toute

un modèle de notre alphabet dans l’esprit des lettrés de

l’époque. L’invention de l’ordinateur personnel, que l’on peut

juger d’importante également tant elle a modifié l’ensemble de

notre société, entraîne quant à elle une sensibilisation du grand

public à la typographie. Or la profusion de caractères aux détails

négligés (chasse, harmonisation, équilibre…) dans un moment où

le grand public commence à les observer attentivement pourrait

s’avérer désastreux, et sonner le glas d’une tradition typogra-

phique. Si un grand nombre de personnes commence à prendre

pour modèle les ‹mauvaises› fontes, alors il est certain que

notre héritage se perdra progressivement, héritage qui réside

essentiellement dans les détails, la micro-typographie. Et c’est

malheureusement ce que l’on peut redouter dans notre ère de

gratuité qui favorise la diffusion de la quantité plutôt que celle

de la qualité.

Et encore une fois, comment pourrions-nous reprocher

au grand public son intérêt pour des typographies mauvaises

mais gratuites lorsque même les graphistes ne montrent que

très rarement l’exemple ? Si j’évoquais précédemment une

centaine de typographies sur un ordinateur à l’achat, presque

chaque étudiant en graphisme en possède sur son ordinateur des

dizaines de milliers sans en avoir payé aucune /30/. L’échange

/28/

Beaucoup de signes sont manquants pour cette fonte en distribution gratuite sur le site Dafont.

a. HARABARA, André.— Harabara.— 21 pt.— Dafont.— 2010.b. BLOEMSMA, Evert.— Cocon.— 21 pt.— FontShop.— 2001.On voit bien que les espaces entre les lettres du Harabara sont trop fins.C'est particulièrement visible au niveau du ‹ill›.

/29/

a.

b.

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68 69

de données tue à petit feu les typographes. Un fichier pour

une fonte pèse si peu que leur circulation de clé USB à clé USB

accélère le mouvement, sans que les dessinateurs ne touchent le

moindre sou. Cette pratique existe bien évidemment également

chez certains professionnels. De mon expérience personnelle et

de celle de mon entourage, je n’ai jamais entendu parler d’une

action de justice intenté à un graphiste ayant utilisé une fonte

sans license ; cela relève plus de la légende urbaine. L’affichage

sur internet présente également aujourd’hui de grandes failles

dans la protection des licences. Il est possible de télécharger

une typographie que l’on trouve en utilisation sur internet, si

bien que des fonderies telles qu'Emigre interdisent formellement

l'utilisation de leurs caractères sur le web.

On comprend alors aisément que les typographes vivant

uniquement de leur pratique se comptent sur les doigts d’une

main en France. Beaucoup cumulent une activité de graphiste

et dessinent des caractères dans leur temps libre, plus pour le

plaisir que pour se nourrir.Bibliothèque de fontes d'un étudiant en graphisme comprenant 42 470 polices.Pour indication, la simple famille LL Brown (dans l'aperçu) coûte 620 CHF (± 515€).

/30/

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70 71

c. Une multiplication des outils de création

En 2012 de plus en plus de monde s’improvise typographe,

grâce notamment au développement d’outils informatiques

de génération de fontes. Car, si aujourd’hui les typographies

affluent sur internet, les logiciels également. Par conséquent,

un nombre grandissant d’individus s’en empare. On en trouve

des sophistiqués comme Fontlab /31/, utilisé par les profes-

sionnels, ou Fontographer /32/, un peu plus simple d’abord. Il

en existe aussi pour un public beaucoup plus large. Glyphs /33/,

application créée par le typographe Georg Seifert, se présente

par exemple comme ‹l’éditeur de fontes pour tout le monde›.

Parmi ces outils citons encore Prototyp-0 de Yannick Mathey

/34/, qui permet en un temps record, en variant une somme de

paramètres de créer une infinité de caractères. Ces derniers

logiciels poussent un large public à s’essayer à la création

typographique. Bien souvent ce sont ces créations spontanées

que l’on retrouve en téléchargement gratuit sur des sites

comme Dafont. Cette démocratisation est engendrée par le fait

que la typographie est, dans l’esprit collectif, notre héritage

à tous, que nous partageons tous depuis notre plus tendre

enfance l’expérience de l’écriture, et que par conséquent, nous

devrions donc tous être capable de créer une fonte. L’outil

informatique, directement accessible chez nous était la seule

chose qui manquait à chacun pour exprimer cette envie. La

dématérialisation des caractères permet à chacun de s’essayer

à leur élaboration.

L’ouverture de plus en plus grande des outils de la typo-

graphie amène en ce moment une véritable libération des

formes. Très souvent le manque de technique des personnes

s’improvisant créateur de caractères est compensé par une

audace qui s’avère parfois plus intéressante qu’un caractère de

labeur supplémentaire, même très bien exécuté. Si bien souvent

le résultat n‘est pas très heureux, c’est pourtant ce phénomène

de démocratisation qui a permis à des autodidactes comme

Pierre di Sciullo ou Frank Adebiaye d’émerger.

L’intérêt nouveau pour cet art appliqué, la facilité et la

gratuité de son accès, ainsi que la démocratisation de sa création

sont trois facteurs qui conduisent aujourd’hui à une saturation

typographique. Alors qu’il y a moins d’un demi-siècle, le graphiste

avait le choix chez son fournisseur entre une cinquantaine de

fontes, il en retrouve de nos jours plusieurs dizaines de milliers

directement sur son ordinateur. Cette profusion nouvelle entraî-

née par la perte de contraintes matérielles de la typographie

(poids, volume…) est inédite. Elle pose plus que jamais la question

de la nécessité de la création de caractères, alors qu’une immense

diversité existe déjà autour des formes basiques de nos lettres.

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/31/ /33/

/32/

‹Grâce au procédé automatisé, Prototyp-0 accélère consi-dérablement le processus de création.›

Glyphs, ‹l'éditeur de fontes pour tout le monde›.

/34/

FontLab

Fontographer

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74 75

2 . P O U R Q U O I E N R A J O U T E R ?

Dans ce contexte de surabondance et de libre circulation des

typographies, nous sommes amenés à nous questionner : pourquoi

créer de nouveaux caractères ? Qu’est-ce qui peut justifier la

conception d’un objet de plus ? À ces questions, chacun a son

point de vue. Pour ma part, je dirais qu’une partie des réponses se

trouve dans les questions, et plus particulièrement sur le thème

de la création. Nous touchons ici à la série de questionnements

qui m’a amené à la rédaction de ce mémoire : où se situe l’espace

de création dans une discipline tellement normée ? Comment être

créatif avec tant de contraintes imposées par des siècles de tradi-

tion d’écriture ? Est-ce encore de la création que de dessiner une

énième mécane, didone ou garalde ? À cette dernière question,

je répondrais non. Je pense qu’il faut distinguer la création pure

de ce que je désignerais comme des variations originales. La

typographie est déjà extrêmement restreinte dans son langage

formel du fait que les tracés de ses signes ne sont pas seulement

dictés que par des valeurs esthétiques mais évidemment aussi

par des contraintes de lisibilité. Un A doit avoir l’air d’un A, un

B d’un B… Ainsi donc, quand une nouvelle mécane apparaît, elle

peut avoir une allure plus ou moins différente de celles dessinées

jusqu’ici mais elle conserve un trop grand nombre de carcacté-

ristiques ‹normées› appartenant à sa catégorie pour qu’elle soit

selon moi une création ‹originale›. Olivier Bessard-Banquy et

Christophe Kechroud-Gibassier écrivent dans l’introduction de La

typographie du livre français (Les cahiers du livre, 2008) ‹après

le Didot - et si l’on excepte les caractères dédiés à l’affichage ou

la composition de fantaisies – la typographie ne sera plus qu’une

incessante réinterprétation des fontes du passé›. Il en va selon

moi de même à chaque fois qu’un nouveau caractère appartient

stricto-sensu à une case de la classification Vox-ATypI. Ce qui

m’amène à aborder l’obsolescence de cette classification, ainsi

que des autres systèmes de classification.

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Page 39: Arthur Bonifay

76 77

a. Se détacher des classifications

La classification Vox /35/ entamée en 1952 a été entérinée par

l’Atypi (Association Typographique Internationale) en 1962, avant

l’émergence du numérique. Bien qu’actualisée, elle ne s’adapte

déjà plus à la réalité de la création de caractères d’aujourd’hui.

Comme l’ancienne classification Thibaudeau (1921), elle se base sur

des critères esthétiques et historiques, ce qui ne lui permet pas de

prendre en compte l’émergence de formes innovantes suceptibles

d’apparaître. Certains grands distributeurs de caractères tels que

FontShop créent leurs propres familles définissant plus précisem-

ment leurs nouveautés (amorphes, conceptuelles…).

D’autres façons de classer les caractères existent ou ont

été ébauchées. Muriel Paris, graphiste et auteur de plusieurs

ouvrages sur la typographie, a tenté de réaliser une nouvelle

classification, pour finalement abandonner face à la complexité

d’un tel projet. Une définition informatique existe : le système

Panose. Développé en 1985 par Benjamin Bauermeister, c’est

un système se basant sur la mesure de dix critères visuels (à

l’origine sept) d’une fonte pour en donner par une suite de dix

chiffres la description codée. Ce système dont le brevet est

possédé par Hewlett-Packard n’est que peu usité.

Mais qu’importent les cases dans lesquelles on tente de

ranger les caractères ; il convient de constater qu’aujourd’hui les

barrières dressées tendent à être de plus en plus transgressées.

De nombreux caractères créés récemment se situent entre les

lignes établies, rendant utopique l’idée d’avoir une définition

globale capable de représenter tous les caractères. On pourrait

tout au mieux envisager une vision instantanée. C’est dans la

nature même du créateur (de caractère ou de quoi que ce soit

d’autre) que de repousser les limites de sa discipline, de voir

plus loin que ce qu’il connaît déjà. Raisonner en termes de

classification revient à admettre l’absence de création, car cela

impliquerait qu’il n’y a plus de dépassement possible.

/35/ Classification en 9 groupes de Vox, 1955.

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Page 40: Arthur Bonifay

78 79

b. L’art pour l’art

La question du besoin n’a plus de raison d’être dans le

monde de la typographie. Si l’on adoptait une position extrême,

on pourrait considérer qu’une seule police, ou un jeu très

restreint, comme le soutient Massimo Vignelli, qui affirme n’en

avoir utilisé que trois ou quatre dans sa vie de graphiste, et

qui en juge bonnes ‹au mieux une douzaine›•. Le point de vue

qu’il défend est que la typographie est devenue un business

avec la révolution industrielle du XIXe siècle et qu’à partir de ce

moment-là les typographes se sont mis à produire une quantité

de fontes pour se nourrir. Il pense également qu’un bon graphiste

n’utilise que très peu de typographies différentes, à l’inverse

d’un mauvais graphiste qui en utilisera une grande quantité. C’est

une position excessive, volontairement provocante. Je pense le

contraire. Pour une bonne affiche par exemple, un choix judi-

cieux de caractère peut suffire à réaliser une bonne image /36/.

Le raisonnement de Massimo Vignelli réduit la typographie à sa

fonction de lecture, occultant sa partie sensible. Il n’est d’ailleurs

pas anodin de noter que l’Helvetica, caractère dit ‹neutre› soit

son caractère de prédilection. Jean-Baptiste Levée, lors d’une

conférence à Strasbourg, comparait le design typographique au

design de chaises. Il arguait que le besoin de nouvelles formes

de chaises, comme de caractères, était depuis bien longtemps

révolu, mais que pourtant nous continuions à en créer. Pourquoi ?

Parce que le temps fait que nous avons toujours besoin de

nouveauté. La chaise, comme le caractère typographique, ne

répond pas qu’à une fonction utilitaire ; elle a également un

aspect spécifique qui la rend moderne, extravagante, classique…

Cela est dans la nature de chaque art appliqué de répondre en

même temps à des questions pratiques et artistiques ; se posi-

tionner à l’extrême d’un côté ou de l’autre devient réducteur.

C’est cette question d’équilibre qui constitue de mon point de

vue tout l’enjeu d’une création intéressante, car ce qu’il y a de

plus difficile à doser est la part de fonctionnel et d’original, de

traditionnel et d’innovant, d’identifiable et de spécifique.

Vignelli, Massimo.— ‹We use way to many fonts›.— 15 avril 2010.http://bigthink.com/ideas/19591

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/35/

a. CAMINADA, Remo.— Chicago Mountain Swing.— Chicago Mountain Swing 30 x 42 cm.— 2004.b. SCHRAIVOGEL, Ralph.— Live, Evil prevails when good men fail to actSacha Wigdorovitz.— Sérigraphie 128 x 90,5 cm.— 2009c. BAS BACKER, Rik.— Festival international de l'affiche et des arts graphiques de Chaumont.— Ville de Chaumont.— 2004.d. BEHAGE, Dirk & TER BEKKE, Evelyn.— Merlin ou la terre dévastéeThéâtre de la Colline.— Sérigraphie, 150 x 100 cm.— 2009.e. BORSCHE, Mirko.— Mozart Pires Bruckner Haitink.— Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks.— 2011.f. VIER5.— Hinterland.— CAC Bretigny.— 2009.

a. e.b. f.

c. d.

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82 83

c. La typographie comme un luxe

Si la typographie n’est pas en danger, on ne peut pas

en dire autant des typographes. Je parle ici des dessinateurs

traditionnels, ceux qui sortent par exemple du DSAA Design

Typogaphique d’Estienne ou d’autres écoles d’Europe et du

monde. Il est en effet très difficile de vivre de la création typo-

graphique à l’heure du téléchargement. De la même manière que

le cinéma a perdu une quantité incroyable de spectateurs en salle

avec la généralisation d’internet, le transfert de données met en

danger le travail des créateurs de caractères, alors même qu’un

public plus large s’y intéresse.

Les typographes traditionnels sont encore les seuls à

pouvoir créer des caractères de labeur beaux et fonctionnels.

Mais en avons-nous seulement encore besoin ? Car si, comme

je le soulignais, l’art pour l’art se défend, en terme de lecture

continue, c’est bien l’aspect pratique des lettres qui prévaut. Un

caractère de texte se doit d’être discret, presque invisible. Or de

ce point de vue, on peut dire que la prolifération nouvelle risque

d’entraîner un déclin du dessin de fontes de labeur. Nous avons

déjà beaucoup de caractères à empattements et quelques sans

serif auxquels le grand public s’est habitué ; en ajouter n’est plus

très utile. Si l’on admet que ce que nous lisons le mieux est ce

que nous sommes habitués à lire, alors le confort de lecture n’a

plus guère besoin d’être amélioré.

Le salut du typographe reposerait à mon sens plus sur ses

qualités techniques que sa capacité d’innovation. La science du

dessin de caractère se base sur le détail. La vitesse à laquelle

nous absorbons aujourd’hui les informations fait que le lecteur

d’aujourd’hui n’a plus le temps de s’attarder sur les détails.

L’optimisation des fontes pour écran, la création de super-

familles incluant les alphabets cyrilliques, hébreux ou arabe, me

semblent être des enjeux que seuls les typographes traditionnels

sont capables de relever. C’est certainement pour cela que d’un

point de vue personnel, après un grand engouement pour cette

discipline, et mon envie de m’y atteler très sérieusement, je m’en

suis détaché, préférant privilégier une discipline qui me semble

plus propice à une expression libre comme le graphisme.

Si aujourd’hui les moyens de créer des lettres sont acces-

sibles au plus grand nombre, il est une chose qui ne s’achète pas :

le savoir-faire. C’est dans cette voie de la technique et de l’hy-

perprécision que les dessinateurs traditionnels peuvent subsister

à l’heure où les non-initiés se sont emparés de l’éclatement des

formes. Si l’on devait faire une comparaison avec le monde de

la mode, je dirais que les typographes traditionnels ont plus à

apporter en faisant de la haute couture que du prêt-à-porter.

De toute manière, les commanditaires sont bien souvent

de grands groupes comme des banques, des compagnies

aériennes… Qui d’autre pourrait s’offrir ce luxe ? Les prix des

caractères sont la plupart du temps très élevés, liés au temps

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investi dans leur réalisation et au nombre de leurs variants. Par

exemple, on peut trouver sur le site d’Emigre la famille complète

du Mr Eaves Sans de Zuzana Licko pour 449 dollars. Sur Fontshop,

quatre styles du Parisine de Jean-François Porchez coûtent 140€,

le jeu complet 1120€. Sur le site de Colophon une simple variante

de l’Aperçu coûte 40 ou 50 livres sterling, la famille complète

est à 375 livres /36/. Bien que les polices précédemment citées

offrent beaucoup de raffinements comme les petites capitales ou

les chiffres elzéviriens, l’achat d’un caractère n’est pas un inves-

tissement anodin.

/36/

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3 . É T A T D E S L I E U X D E S R É A L I S A T I O N R É C E N T E S

Bien que je ne sois pas partisan de classifications, je pense

que l’on peut distinguer aujourd’hui quelques grands courants

de création de caractères, représentatifs de notre temps.

Différentes façon d’envisager le dessin de caractères en 2012 se

dégagent chez nos contemporains.

a. Les ‹revivals›

Parmi les nouveaux genres de caractères, ceux qui parlent le

plus au présent de notre passé sont les ‹revivals›. Ces caractères

se basent sur le dessin de fontes pré-numériques. Il est d’ailleurs

paradoxal de noter que malgré toutes les nouvelles possibilités

offertes par l’ordinateur et les options OpenType, on voit sortir

aujourd’hui un grand nombre de numérisation de caractères du

passé.

Issus parfois simplement d’un nombre réduit de lettres, les

‹revivals› sont dans leur élaboration plus un exercice d’harmoni-

sation que de création. Le travail effectué par le typographe est

ici presque plus historique que graphique. Si ce genre n’est que

rarement vecteur de surprises, certains travaux se distinguent.

C’est notament le cas du Francesco de Franck Jalleau. Partant d’un

caractère gravé par Francesco Griffo pour le Songe de Polyphile

en 1499, il ne se base pas sur les poinçons de l’époque mais sur les

lettres une fois imprimées sur le papier, comprenant les imper-

fections qui en découlent (son a et son e dont les contre-formes

sont bouchées sont caractéristiques) /37/. Le résultat apporte une

rondeur, une vibration et une élégance inattendues pour un carac-

tère numérisé.

/37/

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b. Les ‹typos de graphiste›

Ce genre désigne les caractères dessinés par des graphistes

non typographes. Souvent réalisés pour les besoins d’affiches

ou d’évènements particuliers, ils ne sont utilisables que pour le

titrage. Certains dessinateurs traditionnels suggèrent d’avoir

recours à deux années pour réaliser un travail sérieux ; nous en

sommes ici très loin. Le temps du graphiste n’est pas le même

que celui du typographe (même si les cadences exigées de ces

derniers sont de plus en plus rapides).

Les ‹typos de graphistes› sont très souvent des linéales,

décoratives qui suivent l’air du temps. On les retrouve le plus

souvent utilisés pour des commanditaires qui veulent donner

d’eux-même une image jeune : boîtes de nuit, marques de prêt-

à-porter, festivals… Ce genre, très ancré dans son époquepeut

être comparé aux papillons dont on admire la beauté un jour mais

dont la vie est éphémère. Il est également le reflet de l’amour des

graphistes pour cet art qui réclame un enseignement minutieux

qu’ils n’ont pas reçu.

Pierre di Sciullo /38/ est certainement le plus bel exemple

de graphiste ayant montré toute sa passion pour la typographie.

Il aime d’ailleurs à se définir comme ‹typographiste›. Reconnu

pour son travail typographique sur la langue, la sonorité des

mots, sa marque de fabrique reste l’expérimentation autour des

formes de nos lettres latines.

/38/

DI SCIULLO, Pierre.— Quelques styles du Minimum.— 1988.

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90 91

/39/

NAWROT, Karl & WARTON, WalterLM Typeface2007.

Identité visuelle pour la galerie Lüttgenmeijer.

/42/

KELAVA, JosipMelbourne Dance Company2012.

Identité visuelle pour laMelbourne Dance Company.

/40/

M/M ParisThe alphabet2001.

/43/

VANNI, PierreFrom 3D To Paper, From Ink To BloodThe Lazy Dog2010.

/41/

ILL STUDIONouveau Casino2010.

Identité visuelle du Nouveau Casino.

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92 93

c. Les ‹utilitaires›

Chaque nouvelle fonte naît d’un besoin spécifique, qu’il

s’agisse simplement d’une commande pour un livre, une identité

visuelle ou d’une affiche. Certaines ont pourtant une vocation

très particulière, un but tout à fait spécifique. Plusieurs carac-

tères ont été notament dessinés pour aider la lecture des

dyslexiques, comme le Dyslexie /44/ de Christian de Boer. Dans

un autre registre, le Minuscule de Thomas Huot-Marchand ou le

Talion de Maximes Fittes /45/ ont été conçus pour la lecture en

très petit corps.

L’allure des ‹utilitaires› est entièrement façonnée par

leur fonction, créant alors des formes inédites (comme dans

le Minuscule 2 /46/). il devient alors intéressant d’observer les

effets produits par leur utilisation décontextualiée.

/44/

Images extraites de la vidéo‹Dyslexie is a typeface for dyslectics›.— 2011.

/45/

Fittes, MaximeTalion2011.

/46/

HUOT-MARCHAND, ThomasMinuscule 2.— 256TM2002-2005.

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94 95

d. Les créations originales

Que ce soit par leurs formes ou par leurs caractéristiques

singulières, certains caractères échappent à toute comparaison.

Ils sont pour moi les plus surprenants et les plus intéressants

car ce sont ceux qui peuvent ouvrir la voie à des évolutions

futures. On trouve aussi quelques exemples de typographes

ou fonderies qui arrivent à présenter des caractères basés sur

une qualité historique du dessin dotés de signes originaux.

Celui qui représente le mieux ce difficile équilibre est selon

moi Radim Pesko (voir ppt.134-135), dont les caractères sont

surprenants et paraissent pourtant familiers. Le BAT de Charles

Mazé /47/ se situe également entre les lignes de la tradition

et de l’inédit dans sa version italique. Pour qu’une fonte nous

semble agréable, elle doit se baser sur ce que le lecteur a

l’habitude de lire ; c’est pour cela que la plupart du temps l’ori-

ginalité du dessinateur ne s’exprime que sur un nombre limité

de signes, afin de lui donner une personnalité et une familiarité

immédiate.

/47/

MAZÉ, CharlesBAT2009.

‹Le romain plutôt calme répond aux exigences d’un caractère de labeur tandis que l’italique se démarque en révélant citations, titres de livres ou d’œuvres à l’intérieur du texte. Se basant sur des exercices de calligraphie réalisés à la plume, les typographies BAT sont toutefois moins rigides et plus chaudes qu’une didone classique, dont la répartition du contraste est poussée jusqu’à l’excès dans la version italique grasse.›

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Je place aussi dans cette catégorie les travaux qui exploitent

les possibilités nouvelles offertes par l’outil informatique et le

standard OpenType. Je pense entre autre à l’History de Peter

Bil’ak /48/, qui permet de combiner une multitude de dessins de

lettres relatifs aux différentes époques de l’histoire de l’écriture.

Je pense également au Montreuil de Julien Priez /49/ avec lequel

on peut composer horizontalement ainsi que verticalement, grâce

à une habile décomposition des lettres sur plusieurs lignes et un

interlettrage régulier. Je pense enfin au Delvard Gradient qui

joue sur un dégradé de graisses selon la longueur de la ligne sur

laquelle il est composé /50/. Ce genre de caractères repousse les

limites de la typographie telle que nous la connaissons aujourd’hui,

et bien que leur utilisation soit souvent délicate à envisager, ils

présentent du point de vue de la recherche un progrès énorme.

/48/

BIL'AK, PeterHistory.— Typotheque Type Foundry2008.

Schéma des couches séparées de l'History avec indications sur la période qui les a inspiré.

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/49/

PRIEZ, JulienLes différents modules du Montreuil (2010)et trois affiches composées avec.

‹J'ai considéré les signes comme des unités qui, par combinaisons, peuvent devenir des groupes, se métamor-phoser, se mélanger pour devenir autres, tout en gardant un même socle, une même identité. Je me suis inspiré du système d'écriture des téléphones portables. Plusieurs unités formelles dans une touche du clavier.›

/50/

a. Delvard Gradient Rightb. Delvard Gradient Insidec. Delvard Gradient Left

Trois des quatre styles du Delvard Gradient deTyponine 2011.

a. b. c.

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100 101

— P A R T I E I I I —

E N T R E T I E N SA U T O U R

D E Q U A T R EQ U E S T I O N S

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P I E R R E d i S C I U L L O• Créateur de caractères• Graphiste, fondateur de Qui ? Résiste• Enseignant en typographie

/51/

Quantange, 1989.Police de caractères ‹orthographico-phonético-plastique›.

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Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui vous poussent à créer des caractères ?

• La diversité des situations de lecture.

• Les contraintes spécifiques à chaque commande.

• L’évolution des modes de vie, des technologies et en

conséquence la mutation des modes de lecture.

• Mon plaisir à malaxer formes et sens.

Qu’est-ce qui différencie votre création du travail de vos

contemporains ?

Ce n’est pas à moi de le dire. Je vais quand même me

risquer : le fait que je ne suis pas au départ typographe, que

j’explore le texte à la fois sur le plan littéraire (jouer avec les

mots) et sur le plan graphique. Les créateurs de caractères

dont je me sens le plus proche :

• Susana Licko pour son rapport à l’outil.

• René Knipp pour le déploiement dans l’espace.

• Cassandre pour les formes et la couleur.

• Van Blokland et Van Rossum pour le goût du jeu et de la

dynamique.

P d S

P d S

P d S

P d S

Pensez-vous que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

Qu’est ce qu’une tradition ? S’agit-il de consacrer toute

production sous prétexte qu’elle vient du passé ? La tradition des

‹Catherinettes›• disparaît et je ne le déplore pas. Il est vrai que

le gros du flux de la création typo aujourd’hui, peux masquer les

recherches plus solides, aux yeux des novices. Mais c’est le corol-

laire d’une évolution très positive : la désoccultation des outils de

création typo qui étaient la chasse gardée d’un petit groupe de

messieurs. L’écriture appartient à tout le monde.

Quels peuvent être les objectifs de la création typogra-

phique des années à venir ?

L’écriture va continuer à courir après l’évolution du langage

et des modes de vie.

On appelle ‹Catherinettes› les jeunes femmes de vingt-cinq ans encore célibataires. Le jour du 25 novembre, elles "coiffent Sainte Catherine", c'est à dire qu'elles se rendent en cortège, coiffées d'un chapeau jaune et vert, devant une statut de Sainte-Catherine, à la recherche d'un mari.

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E M M A N U E L B E S S E• Étudiant en DSAA Design Typographique à Estienne.

Julius, 2011.Projet personnel.

Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui vous poussent à créer des caractères ?

Je pense que la typographie est un outil privilégié et essen-

tiel du design graphique. Dans cette mesure, il m’apparaît comme

naturel de concevoir une création typographique nouvelle pour

un projet nouveau. Cela revient à penser des formes propres à un

contexte, trouver une réponse à une problématique de design (de

toute façon, dans la grande majorité des cas, le design graphique

s’exprime avec des mots). Je pense que focaliser sa pratique sur

la typographie ne relève pas d’une lubie ou même d’un hobby,

puisque c’est la matière première d’un objet de design graphique

et, si l’on désire tant innover dans l’image, pourquoi ne pas prendre

en compte directement l’information en manipulant les lettres ?

Ensuite, créer un caractère, c’est fournir à d’autres les outils

de la création graphique. Combien d’affiches, de livres ne vivent que

par leur choix typographique ? J’aime l’idée d’un homme de l’ombre à

qui on peut légitimement attribuer le mérite d’une création efficace

(même si parfois les mecs qui utilisent les créateurs de caractères

sont des vautours et s’arrogent toute la gloire, ce qui me pousse à

vouloir conserver mon rôle de designer graphique avant tout). Cela

permet aussi de donner naissance à des collaborations très inté-

ressantes, c’est toujours fascinant de voir son caractère utilisé par

quelqu’un dont tu apprécies le travail et cela permet d’être surpris.

E B

/52/

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Au-delà de ça, j’ai toujours été fasciné par les lettres comme

éléments abstraits porteurs de sens. Comme j’aime à penser qu’un

bon objet de design graphique doit fonctionner en petit et en noir

et blanc, ce n’est que logique pour moi de m’attaquer à la lettre.

Qu’est-ce qui différencie votre création du travail de vos

contemporains ?

Comme le terme contemporain est un peu vague, tout ce

que je peux dire c’est que comparé à certains, j’ai une vision

qui peut paraitre irrévérencieuse de la création typographique

traditionnelle. Je n’aime pas l’idée de cette obligation de

respecter l’Histoire qui fait courber l’échine à grand nombre

de créateurs. Sans parler du mauvais goût ambiant. En France

notamment, comme c’est un pays très frustré de son manque de

modernité qui s’attache à sa gloire passée, il est très difficile

de percevoir une pensée typographique autre que celle de la

deuxième partie du XXe siècle, de laquelle je ne me sens pas

proche du tout. J’aspire à une culture typographique nourrie,

certes, de l’Histoire mais qui ne se limite pas aux frontières

des pays. Ça sonne un peu hippie, mais finalement je pense que

c’est plutôt être conscient de l’époque dans laquelle on vit, des

complexes et des barrières qui ont été franchis.

E B

Pensez-vous que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

La tradition typographique se perd forcément puisqu’elle

est intrinsèquement liée au progrès technique. Ce n’est pas

tant la rapidité de création qui pose problème, c’est le manque

de lucidité des designers face à leurs créations. Un projet fini

n’est pas forcément un bon projet, ce n’est pas nouveau. Ce

que la rapidité d’exécution, due à la démocratisation des outils,

a engrangé à mon sens, c’est un manque de recul vis-à-vis de

l’originalité et de la justesse des productions. C’est valable pour

plein de domaines liés à la création : ceux qui n’aurait pas le cran

de créer si les moyens étaient moins accessibles sont ceux qui

ne vont pas au bout des choses et donc ceux qui fournissent un

travail moyen. Ceux-là ont désormais acquis une visibilité plus

grande, mais le problème ne date pas d’hier.

Quels peuvent être les objectifs de la création typogra-

phique des années à venir ?

Je pense qu’il faut essayer de redorer le blason de notre

pays sur la scène internationale et tenter de démontrer que des

esprits vifs y travaillent avec des ambitions modernes. Il faut

s’ouvrir parce que la France aujourd’hui ne vaut pas grand chose

comparée à d’autres pays qui ont une tradition de design.

E B

E B

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Ce dont je parle concerne principalement le design gra-

phique, mais la typographie en tant qu’acteur majeur peut avoir

une influence énorme sur la situation à venir. Afin d’y parvenir,

il faut faire la part des choses entre une histoire très riche, un

savoir-faire qui n’est plus à démontrer et qu’il ne faut pas bafouer,

et une nécessité d’ouverture aux interrogations actuelles du

design graphique. Quand je regarde les créations des designers

qui me plaisent, peu utilisent des caractères français, il faut

changer ça.

E M M A N U E L R E Y• Créateur de caractères (Swiss Typefaces)• Graphiste indépendant

/53/

Euclid BP.— Swiss Typefaces2010.En cours développement.

/54/

Utilisation dans une publication pour Maria Jeglinska Office for Design & Research.

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Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui vous poussent à créer des caractères ?

On est en 2012 : la plupart des gens utilisent des polices

de caractères datant de dizaines, voir centaines d’années. Pour

moi, un graphisme actuel demande des outils contemporains,

et la typographie est l’outil du graphisme. À chaque période

son image : les courbes des objets de design ou la musique par

exemple correspondent à notre époque. Je pense que la plupart

des créateurs de polices de caractères sont en retard sur l’évolu-

tion esthétique de notre société, ou y sont insensibles. Si j’avais

le sentiment de ne rien avoir à apporter de nouveau dans la typo,

je ferais probablement autre chose.

Qu’est-ce qui différencie votre création du travail de vos

contemporains ?

Une partie de la réponse se trouve dans celle d’haut-des-

sus : je ne me reconnais, dans la démarche, que dans peu de

créateurs contemporains, en-dehors de mon collègue Ian Party.

Vient s’ajouter qu’en plus d’être impliqué dans la création et

distribution de caractères avec Swiss Typefaces, j’ai mon propre

bureau de graphisme. J’ai donc les capacités de juger l’offre

actuelle, de me positionner par rapport à celle-ci, et d’y répondre.

E R

E R

E R

E R

De plus, je suis entouré de gens qui testent mes typos

durant leur développement, comme Maxime Büchi pour le

magazine Sang Bleu par exemple. Si elles ne sont pas en mesure

de contribuer à un layout contemporain et lanceur de tendances,

cela signifie que ma création ne vaut pas la peine d’être aboutie.

Pensez-vous que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

Les traditions ne m’intéressent pas.

Quels peuvent être les objectifs de la création typogra-

phique des années à venir ?

Je ne me pose pas ce genre de question.

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Page 58: Arthur Bonifay

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Qu’est-ce qui différencie votre création du travail de vos

contemporains ?

Je ne pense pas que ce soit à moi de répondre à cette

question !

Pensez-vous que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

Non, l’utilisateur ne s’y trompe pas. Ou, plus précisément,

je pense qu’en général, au vu de l’offre typo, la plupart du temps

on en a pour son argent.

Quant à la question de la ‹tradition typographique›, il

faudrait d’abord définir ce terme. Je me sens plus traditionnel en

faisant l’Acier BAT /56/ que le Panorama /55/…

Quels peuvent être les objectifs de la création typogra-

phique des années à venir ?

Les mêmes que toujours : servir le contenu, servir le

lecteur, ses attentes et ses besoins ; en fonction d’impératifs

stylistiques, techniques et économiques.

J E A N - B A P T I S T E L E V É E• Créateur de caractères• Membre fondateur du Bureau des Affaires Typographiques• Représentant français à l'ATyPi

Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui vous poussent à créer des caractères ?

La commande, et l’envie de faire de bons caractères que je

n’ai pas déjà vu.

J B L

J B L

J B L

J B L

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Panorama, 2004-(…).En cours de développement.

/56/

Acier BAT.— BAT.— 2010.Revival de l'Acier de Cassandre,

paru chez Deberny et Peignot en 1930.

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M A X I M E F I T T E S• Créateur de caractères diplômé de DSAA Design Typographique à Estienne en 2011

Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui vous poussent à créer des caractères ?

Même si la production de fontes s’est intensifiée depuis

la démocratisation des outils informatiques, je ne pense pas

qu’il s’agisse d’une raison pour arrêter de créer. On pourrait

comparer le design de caractères au design d’objet : d’un point

de vue fonctionnel, il existe déjà suffisamment de modèles de

chaises pour satisfaire tout le monde et tous les usages. Ce n’est

pas pour autant que les designers se sont arrêtés de conce-

voir de nouvelles chaises. Selon moi, il en va de même pour la

création typographique. Pour citer Peter Bil’ak, je pense que ‹ce

qui motive avant tout la réalisation de fontes, c’est le besoin de

créer, de s’exprimer›. Parallèlement la création typographique,

en tant qu’outil, aura toujours lieu d’être ne serait-ce que pour

répondre à des besoins spécifiques et à de nouveaux usages.

Qu’est-ce qui différencie votre création du travail de vos

contemporains ?

C’est difficile pour moi d’évaluer ce qui différencie mon

travail de celui des autres, d’autant que j’étais encore étudiant

il y a peu. Dans mon travail, j’essaye de m’inspirer de tout ce qui

m’entoure. Je me documente beaucoup sur la création typogra-

phique, mais pas forcément la scène actuelle, sûrement par peur

d’être influencé… À l’école Estienne, j’ai eu la chance de recevoir

M F

M F

Kriterion, travail en cours.À sortir prochainement chez le B.A.T.

/57/

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un enseignement traditionnel du dessin de lettres. J’ai appris que

la création de caractères passe avant tout par le dessin. Je me

réfère à ces bases dans ma pratique quotidienne tout en essayant

d’y injecter un air de contemporanéité. Disons que j’essaye de

jongler entre ce savoir-faire traditionnel et les mutliples possi-

bilités offertes par les outils informatiques. On pourrait voir ça

comme l’un des traits caractéristique de ma démarche créative.

Pensez-vous que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

Les impératifs du marché – qu’on les accepte ou non –

amènent à concevoir des polices de caractères dans un laps de

temps de plus en plus réduit. La puissance des outils informatiques

à notre disposition permet aujourd’hui de faciliter et d’accélerer

le développement des fontes. Si le dessin sur ordinateur a déjà eu

tendance à standardiser les formes typographiques, les outils de

développement n’ont fait que confirmer cette tendance. Cepen-

dant, il faut aussi considérer ces outils comme des moyens d’offrir

un évenvail de fontes plus complètes et mieux adaptées aux

besoins des graphistes (graisses multiples, petites capitales, dif-

férents styles de chiffres etc.). Comme dans toutes les disciplines

du design, il est important de vivre avec son temps afin de faire

évoluer les pratiques. C’est probablement un mal pour un bien.

M F

Quels peuvent être les objectifs de la création typogra-

phique des années à venir ?

C’est une bonne question… De multiples directions sont

envisageables. Il est très probable que le code et les outils de

développement joueront un rôle dans les années à venir. Ces der-

nières années, de nouveaux types de familles de caractères ont

ainsi vu le jour, renouvelant du même coup l’utilisation qui peut en

être faite (History, Delvard Gradient etc.). Sinon, actuellement de

plus en plus de designers se penchent sur le marché des écritures

non latines, notamment dans les pays en développement. Les

pays comme l’Inde ou la Chine disposent finalement d’une variété

typographique très restreinte comparativement aux pays utilisant

l’alphabet latin. Ça peut être un enjeux intéressant dans le futur.

Quoi qu’il en soit, la typographie a encore de beaux jours devant

elle. Qui sait de quoi demain sera fait…

M F

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B E N J A M I N V I A L L A R D• Créateur de caractères diplômé de DSAA Design Typographique à Estienne en 2011

Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui vous poussent à créer des caractères ?

Je dirais qu’on est jamais mieux servi que par soi-même.

Par exemple, je pense souvent à des typographies avec des

formes bien précises. Et bien souvent aucune des polices de ma

bibliothèque ne me satisfait complètement. Il y a toujours un

détail qui me contrarie.

Qu’est-ce qui différencie votre création du travail de vos

contemporains ?

La typographie est une discipline exigeante. Pour ma part,

je considère que mon travail n’a pas encore son identité. Je suis

toujours dans une phase où j’observe, j’apprends…

Pensez-vous que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

Je ne pense pas, je n’ai pas vraiment l’impression que la

tradition disparaisse en fait. Les nouveaux caractères dessinés

rapidement, c’est juste un nouveau genre de typographie. Je

trouve ça cool mais je n’y attache pas plus d’importance que ça.

Quels peuvent être les objectifs de la création typogra-

phique des années à venir ?

Je vois rarement des typographies non-latines séduisantes

et j’ai l’impression qu’il y a de nombreux champs à explorer de ce

côté-là.

B V

B V

B V

B V

BTP.— A is for Apple.— 2011.Caractère réalisé en collaboration avec Jérémy Perrodeau, Maximes Fittes et Léo Pico pour la revue Étapes (n˚195, ‹Quelque part entre graphisme et architecture›).

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F R A N K A D E B I A Y E• Créateur de caractères• Créateur et directeur de Velvetyne Type Foundry• Auteur d'ouvrages sur la typographie

Chaumont.— Velvetyne Type Foundry. 2011.

Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui vous poussent à créer des caractères ?

J’ai trouvé dans la création typographique un mode d’ex-

pression suffisamment accessible et plastique pour exprimer ma

personnalité. Cette pratique, très personnelle, de la création

typographique va de pair avec une pratique assidue de l’écriture,

poétique en particulier. J’écris des lettres et je dessine des mots.

Qu’est-ce qui différencie votre création du travail de vos

contemporains ?

Contrairement aux autres dessinateurs de caractères, je

suis un parfait autodidacte, tant en matière graphique qu’artis-

tique. Je suis venu à la typographie via l’informatique lorsque je

me suis intéressé à l’art vectoriel. J’étais fasciné par ces images

que l’on pouvait redimensionner à l’infini sans qu’elles perdent en

qualité. Je me suis penché sur ces images qui ne pouvaient être

générées qu’avec un ordinateur : les fractales et les courbes de

Bézier, avec une nette inclination pour les secondes.

Ce qui différencie ma création de mes contemporains, c’est

que mon rapport à la machine n’est pas le même. Je suis gauche

et gaucher, je dessine fort peu et ne suis guère calligraphe.

L’outil informatique n’est donc pas pour moi un mal nécessaire,

mais une bénédiction, une opportunité de faire quelque chose

F A

F A

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que je ne me serais sans doute pas aventuré à faire dans d’autres

conditions. Il n’y a pas chez moi la malédiction du ‹paradis perdu›

de l’original sur papier. Ce qui vit, c’est ce qu’il y a sur l’écran,

même si je me plais de plus en plus à immortaliser mes travaux

dans des livres papier, mais c’est une destination et non plus

l’origine.

Pensez-vous que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

Non, je ne le pense pas. On ne peut pas tout dessiner

rapidement. On peut prendre beaucoup de raccourcis dans la

typographie de titrage, beaucoup moins dans la typographie de

labeur. Avec les formations de dessin typographique, il y a une

vraie tradition qui se perpétue dans la lignée des Adrian Frutiger,

José Mendoza, Ladislas Mandel, Roger Excoffon, Bernard Arin,

François Boltana, Franck Jalleau, Jean-François Porchez, etc.

Tous ces grands noms ont fait et font encore école, et mon

généalogie est loin d’être exhaustive.

F A

Quels peuvent être les objectifs de la création typogra-

phique des années à venir ?

‹On n’écrase pas le Zeitgeist, ni l’air du temps› disait

Charles Peignot•. Ainsi que je le suggère dans un texte à

paraître••, le grand défi de la création typographique des années

à venir, c’est, à mon sens, celui de l’urbanisme de l’information,

c’est d’être suffisamment en prise avec la société, pour pouvoir

dire, écrire, restituer ce qu’elle est, dans toutes ses compo-

santes. Je pense notamment à la dimension multiculturelle de la

société française, par exemple. Les caractères franco-arabes,

franco-vietnamiens, franco-chinois et franco-africains, par

exemple, devraient ainsi se multiplier. On pense souvent aux

Grecs du Roi de François Ier, mais on oublie son alliance avec

Soliman le Magnifique. Le monde (de la typographie) est plus

vaste qu’il n’y paraît.

F A

cité par BAUDIN, Fernand, in L'Effet Gutenberg.— Paris : Cercle de la Librairie, 1994.Frank Adebiaye le cite à son tour dans son François Boltana et la naissance de la typographie numérique, Atelier Perrousseaux éditeur, 2011.‹Discours sur l’état du trait d’union› in Annuaire 1554 de la scène typographique française vivante.

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Qu’est-ce qui différencie votre création du travail de vos

contemporains ?

De toute évidence je ne peux pas répondre à cette

question…

Pensez-vous que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

Ce qui arrive à la typographie est arrivé aux autres medias

(cinéma, musique, etc.) qui sont devenus plus faciles d'accès

grâce aux logiciels. Mais quand vous regardez attentivement tous

ces travaux vous vous rendez compte à quel point peu de gens

ont réellement quelque chose de nouveau ou d'intéressant à dire.

Quels peuvent être les objectifs de la création typographique

des années à venir ?

Je ne sais pas, mais nous utiliserons sûrement la communi-

cation à l'aide de typographie plus que jamais, il sera donc très

intéressant d'y réfléchir.

R A D I M P E Š K O• Créateur de caractères• Enseignant à la Rietveld Academie d'Amsterdam• Auteur dans plusieurs publications, notamment Dot Dot Dot magasine

Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui vous poussent à créer des caractères ?

L'intérêt pour ce domaine de manière générale, la curiosité

de voir de nouvelles créations fonctionner et aussi quelque chose

qui relève du domaine de l'urgence ou du besoin de créer.

R P

R P

R P

R P

‹Capture d'écran prise sur www.radimpesko.com›Larish Alte RP.— Digital Type Foundry.2010.

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G E O F F R E Y P E L L E T• Étudiant en DSAA Design Typographique à Estienne.

Felipe, 2011.Caractère réalisé pour l'identité visuelle du Bureau Mirko Borsche.Caractère employé pour cet ouvrage.

Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui te poussent à créer des caractères ?

Je dessine des caractères — si ‹caractère› est encore le bon

mot — parce que c’est un gros morceau dans le travail du ‹gra-

phiste› — si c’est encore le bon mot. Tant qu’il y aura du texte, il

y aura de la typographie et tant qu’il y aura de la typographie, il y

aura des nouveaux caractères. Ce qui m’intéresse, c’est d’imaginer

qu’il n’ y a que du texte dans le travail du graphiste. Que le texte

puisse être un compromis, une sorte de synthèse des autres outils

de la communication. Pour cela, je dois m’assurer qu’il bénéficie

des meilleurs égards, qu’il soit toujours au centre de mes préoccu-

pations. C’est en quelque sorte l’arme que je veux privilégier, tel

que Legolas privilégie l’arc ou Gimli la hache.

Qu’est-ce qui différencie ta création du travail de tes

contemporains ?

Je suis loin d’être un expert. Je ne me considère pas comme

typographe, au sens traditionnel du terme. Et je ne fais pas grand

chose pour l’être. Je me distingue peut-être en cherchant à ne pas

réagir comme un typographe. C’est à dire en n’abordant plus la

création de caractère comme une discipline technique du dessin.

Je m’efforce à chercher une idée solide pour justifier un dessin.

Une idée n’est pas un luxe. Après ça, je n’ai pas peur de manquer

de technique. J’irai même jusqu’à dire qu’un manque de technique

G P

G P

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est une bonne contrainte pour diriger une création. Je suis d’avan-

tage séduit par les performances qu’offre l’OpenType. Celles-ci

sont un aspect contemporain de la technique typographique, qui

n’a pas grand chose à voir avec les considérations techniques

d’autrefois qu’impliquaient l’usage du plomb et de la presse ou

par la suite, de la photocomposition. C’est une nouvelle phase

dans l’histoire de la typographie, à laquelle appartiennent aussi

de nouveaux comportements (par exemple l’Open Source) et de

nouveaux enjeux (lecture en ligne, etc).

Penses-tu que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

Je pense que oui. C’est un phénomène logique qui atteint

toutes les spécialités du design. Le design doit se mettre à niveau

vis-à-vis du contexte dans lequel il existe. D’une certaine manière,

la tradition est une bonne chose lorsqu’elle peut être ‹diluée›

dans un apprentissage ; autrement dit, lorsqu’elle s’accorde, au

détriment de certains sacrifices, aux nouvelles technologies et

aux nouveaux rapports humains. Le progrès n’est possible qu’en

parallèle de certains compromis. Ainsi aurions-nous pu peut-être

sacrifier le terme de ‹caractère› typographique. Mais la tradition

est aussi là pour maintenir la discipline, pour continuer à la faire

exister. Du coup, tous les sacrifices ne sont pas permis.

G P

Quels peuvent être les objectifs de la création typographique

des années à venir ?

Il est évident que la création typographique à fort à faire

pour les années à venir. Au delà de son perfectionnement tech-

nique, dans lequel je ne suis pas vraiment impliqué, la typographie

doit gagner en respect. Quand je dis ça, je pense au champ de

la publicité et de la communication d’entreprises de poids. Si la

tradition et le cours historique ont tendance à maintenir la typo-

graphie dans une logique de savoir-faire (surtout en France !), et

donc par boule de neige, dans le champ de la culture savante, il

reste à prouver son efficacité dans le champ de la communication

de marque et de la publicité. Je ne dis pas qu’une telle activité

typographique n’existe pas, au contraire. Je crois seulement

que la typographie est encore loin de manifester l’étendue de

son pouvoir dans ce contexte. C’est d’ailleurs un problème plus

général, qui est que le marketing remplace désormais l’activité du

designer. Dans ce cas précis, je recommande chaudement que l’on

mette de côté la tradition, pour déplacer les richesses cachées de

la typographie contemporaine sur le devant de la scène ‹mains-

tream›. Quelques exemples éloquents, en Europe et dans le

monde, prouvent que c’est possible. Mais la France a comme un

problème avec le progrès. Le temps doit faire les choses.

G P

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J O A C H I M M Ü L L E R - L A N C É• Créateur de caractères• Graphiste, directeur de Kame Design• Fondateur de TypeBox LLC• Auteur dans plusieurs revues

Dans le contexte actuel d’abondance typographique, quelles

sont les motivations qui vous poussent à créer des caractères ?

La pure curiosité. Parfois l’inspiration vient directement

du monde de la typo, mais la majeure partie du temps elle naît

de formes intéressantes qui apparaissent au hasard dans mon

environnement, des pièces mécaniques, des jeux d’ombre et

lumière, des choses qui ressemblent à des lettres. Quelque soit

l’idée, je me demande toujours : Est-ce que je peux appliquer ce

traitement ou cette ‹règle visuelle› sur toute une police ? – Cela

provient certainement de mes débuts en tant que graphiste

durant mon adolescence. À chaque fois que je voyais des formes

intéressantes je me demandais, est-ce que moi aussi je pourrais

faire quelque chose comme ça ? Suis-je assez bon ? Et j’essayais

et réessayais jusqu’à ce que je comprenne comment faire.

Mon intérêt personnel m’a aussi aidé à m’immuniser contre

la question usée ‹N’y a-t-il pas déjà assez de polices ?›. Et

bien, n’avons-nous pas déjà assez de musique ? Et encore, nous

entendons la même poignée de chansons à la télé, à la radio,

dans les magasins, dans les salles de sport. Par période, tous les

graphistes courent après la même police : je me souviens que ce

fut le cas notamment pour le Template Gothic, le Meta, le Din,

l’Interstate, le Gotham. Je pense que nous n’avons pas assez de

curiosité, de culture, d'intelligence.

La plupart des gens qui se lancent dans le dessin de carac-

J M L

FF Lancé.— FontShop1983-1997.

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tères sont rapidement déçu quand après avoir terminé un si long

projet, ils découvrent que la vente de caractères en dehors du

‹Top 10 des typos› est vraiment décourageante. Je ne fais pas

de grands projets spéculatifs ; il m’est impossible de deviner ou

de prédire le marché, il est trop risqué de passer beaucoup de

temps sur un projet pour ne pas trouver d’acheteurs. À partir de

beaucoup d’idées et de croquis, je choisis généralement ceux qui

seront encore amusants à terminer après cent heures de travail.

Puisque mes dessins ne sont pas toujours à la mode ou

utiles, je n’espère pas vendre beaucoup mon travail et je ne peux

dépendre financièrement que de ça. Cependant, je demande un

prix honnête pour mes polices car je ne veux pas dévaloriser les

prix pour mes collègues qui vivent de leur ventes. Je me méfie

des designers qui offrent leurs polices juste pour être populaire

auprès d’une foule de profiteurs qu’ils ne rencontreront jamais

en personne. Trop de modestie et de servilité tire notre profes-

sion vers le bas.

Qu’est-ce qui différencie votre création du travail de vos

contemporains ?

J’aimerais me définir comme expérimental et concis, alors

que la majeure partie du monde OpenType est engagée dans la

profusion de variantes, le raffinement et l’expansion de styles

dans les super-familles, la plupart du temps dans un esprit tra-

J M L

ditionnel. Néanmoins, ‹expérimental› ne signifie pas pour moi

s’amuser au hasard de façon rebelle, mais explorer profession-

nellement – et si je voulais être provoquant, dans un but et de

façon ciblée.

La plupart de mon travail pourrait être déprécié ou cata-

logué comme ‹typo de titrage fantaisie›, nouveauté ou vanité,

s’il est jugé superficiellement. Pourtant, je ne décore pas les

lettres de fioritures pour les cartes de vœux ou les auvents des

magasins. Je m’interroge surtout sur la forme des lettres elles-

mêmes et je tente de les façonner de manière à ce que leur

reconnaissance soit un défi, mais de façon uniforme sur tout

l’alphabet.

Pensez-vous que la multiplication de nouveaux caractères

dessinés rapidement tende à faire disparaître une certaine

tradition typographique ?

À la fin des années 80, le graphisme a connu le même

souci lorsque la P.A.O. a poussé comme une mauvaise herbe

dans toutes les arrière-boutiques - mais après quelques années,

les clients devinrent plus malins et firent la différence entre le

graphisme de qualité et le travail d’amateur. Tout c’est réglé

progressivement, et j’espère qu’il en sera de même la typogra-

phie : une séparation progressive du mauvais et du bon. Donc, je

ne m’inquiète pas à propos de la tradition typographique, elle

J M L

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n’est jamais tombée au plus bas. Côté haut niveau, les améliora-

tions sont incroyables en comparaison avec les premières polices

numériques.

J’admet que l’augmentation de la production de masse

embrouille et inquiète les utilisateurs, mais cela n’aboutit pas au

chaos, mais à moins d’expérimentations : un public non aguerri

recoure à ce qu’il considère comme des ‹valeurs sûres›, menant

à la surexploitation regrettable de certaines polices numériques

comme le Comic Sans, le Trajan ou le Papyrus.

Quels peuvent être les objectifs de la création typogra-

phique des années à venir ?

Techniquement, je pense que les prochaines années seront

toujours dominées par l’exploration de caractères pour écran,

spécialement autour des questions de la qualité du contour en

lien avec la résolution de l’écran et sa luminosité : la typographie

pour les appareils mobiles et internet. Ce sont principalement

des défis techniques avec lesquels j’ai dû traiter à quelques

reprises, et je n’aime pas trop ça. Finalement, ces problèmes

disparaitront en même temps que la résolution des écrans s’amé-

liorera, mais alors un nouveau média sera inventé qui sera lancé à

basse résolution à nouveau.

J M L

D’un point de vue esthétique, je suis un peu lassé par le

super-détaillé, le ‹faux-baroque› nostalgique et les polices

calligraphiques aux variants contextuels infinis, et j’espère que

cet engouement sera bientôt terminé. J’ai observé avec intérêt

les nombreuses tentatives récentes de sans-sérif fonctionnelles,

mais je trouve le sujet un peu épuisé désormais. Les typogra-

phies que j’apprécie et que parfois j’envie, sont celles partant

d’idées simples et insolites exprimées avec des formes simples :

des choses que je n’ai jamais vu auparavant, c’est ce que je veux.

Mais cela va t-il arriver.

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C O N C L U S I O N

Tout au long de notre histoire, l'émergence de nouveaux

outils ont fait évoluer significativement la création typogra-

phique. Les signes de notre alphabet ne sont pas fixes, ils sont

sensibles à leur époque ; ils sont le reflet d'une culture qu'ils

donnent à voir et à lire.

Les changements dans notre vie quotidienne amenés par

l'arrivée du numérique et d'internet ont des répercussion dans

l'univers typographique. L'accès facilité aux caractères et aux

outils permettant leur élaboration a poussé un public non-initié

à s'approprier ce domaine jusqu'ici réservé à une petite élite.

Le cercle d'amateurs de typographie s'élargit de jour en jour,

poussant un nombre grandissant de personnes à s'essayer à son

dessin, ce qui entraîne une profusion nouvelle de caractères à la

qualité très variable.

Je pense que ce phénomène d'abondance doit être saisi par

les typographes comme une chance car il permet par effet de

contraste une mise en valeur des travaux de qualité. Le nombre

croissant de nouveaux caractères entraînant irrémédiablement

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de multiples similarités, l'originalité se trouve immédiatement

mise en avant. C'est une chance en particulier en ce qui concerne

les polices jouant sur les possibilités offertes par OpenType de se

démarquer face à l'écrasante majorité de caractères ‹simples›.

Il s'agit ici selon moi de la plus grande source de créativité et

de renouvellement offerte aux typographes. C'est pourquoi je

m'étonne que certains créateurs de caractères continuent à

dessiner des polices appartenant à des familles historiques, alors

même que de nouvelles ouvertures se présentent à eux.

Cependant, le danger de la surproduction est de ne pas voir

émerger des travaux intéressants qui seraient noyés au milieu

d'un océan de réalisations. C'est une des raisons pour lesquelles

je ne souhaite pas dans le cadre de mon diplôme dessiner un

caractère, un de plus parmi tant d'autres. Mes compétences

techniques étant limitées, ma volonté de dépasser le cadre tradi-

tionnel de la typographie serait frustrée.

Je me positionne en tant que graphiste et considère que

la typographie en est sa plus petite unité. Je pense que nous,

graphistes, sommes intimement liés aux créateurs de caractères.

Nous sommes les premiers à utiliser leurs créations pour nos

travaux. Notre rôle dans le choix des polices est déterminant

pour la diffusion d'un travail de qualité vers un public aujourd'hui

plus sensible à la question typographique qu'auparavant. Nous

sommes en quelque sorte les régulateurs de ce qui est visible

et il est de notre intérêt de diffuser de ‹beaux› caractères afin

de rendre le public exigeant. Car si l'on se positionne dans cette

perspective de plus petite unité du graphisme, on peut supposer

qu'un public désireux de qualité typographique deviendrait dési-

reux de qualité graphique tout court.

Il est frappant d'observer la qualité graphique générale

lorsque l'on voyage aux Pays-Bas ou en Allemagne ; en France,

nous avons beaucoup moins cette culture graphique. Serait-il

possible alors qu'en réussissant une ‹éducation typographique›

en France, nous participions à susciter un désir de graphisme ?

Rien n'est moins sûr, néanmoins je crois que c'est un défi pour les

typographes et graphistes des années à venir qui sera passionant

à relever.

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A P P R O C H E

Espaces laissés vides entre les lettres par le dessinateur de

caractères. Les ‹blancs› entre les lettres.

C A R A C T È R E D E L A B E U R

Caractères utilisés pour la composition de longs textes courants.

D’un dessin sobre, on les oppose généralement aux caractères

de fantaisie ou de titrage, utilisés pour des textes brefs, destinés

avant tout à être vus plus qu’à être lus.

C H A S S E

La chasse est la largeur de la lettre augmentée de ses approches.

Elle peut varier d’un signe à l’autre et d’un alphabet à l’autre.

C O N T R E - F O R M E

Lors de la gravure d’un poinçon typographique, parties creuses.

Cela correspond, sur l’imprimé final, aux vides à l’intérieur et

entre les lettres.

C O R P S

Taille, dimension d’un caractère. Il s’exprime en points. Dans un

caractère bien conçu, un dessin différent sera produit afin qu’il

conserve sa lisibilité quelle que soit la taille où on l’emploie.

E M P A T T E M E N T / S É R I F

Les empattements sont les terminaisons des lettres appelées

aussi sérifs. Les lettres sans empattements sont dites sans sérifs.

F A M I L L E

Également appelée famille de caractères. Ensemble des carac-

tères élaborés en vue de leur utilisation conjointe. Par exemple,

la famille Garamond se compose des styles romain et italique

ainsi que des graisses normal, demi-gras et gras. Chacun des

assortiments de style et de graisse forme un caractère.

F O N D E R I E

Entreprise spécialisée dans la fabrication de caractères typogra-

phiques en plomb. Aujourd’hui, les distributeurs de caractères

numériques sont encore appelées fonderies, même si aucune

‹fonte› de métal n’est réalisée.

G L Y P H E

En typographique numérique, signe graphique (lettre, chiffre,

signe de ponctuation, espace, etc.).

G R A I S S E

Il s’agit de l’épaisseur de la lettre.

— G L O S S A I R E — — G L O S S A I R E —

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G R I S T Y P O G R A P H I Q U E / C O U L E U R T Y P O G R A P H I Q U E

Aspect foncé d’un bloc typographique. La couleur dépend de

l’épaisseur relative des traits constituant les caractères d’une

police mais aussi de la chasse, du corps et de l’interlettrage

utilisés pour la composition du bloc de texte.

I T A L I Q U E

Version inclinée ou scripte d’un caractère. Les lettres ‹droites›

sont des caractères romains.

L I G A T U R E

Lettres collées entre elles. On trouve en français, outre les liga-

tures fonctionnelles fi, fl, ff, ffi, ffl, la ligature grammaticale Œ

œ et, parfois, les ligatures ornementales ct et st.

O P E N T Y P E

Le format OpenType englobe les précédents formats de polices

TrueType et Adobe PostScript Type 1. Tel qu’il a été conjointement

défini par Microsoft et Adobe Systems, il constitue sur le plan

technique une extension du format TrueType Open de Microsoft

pouvant contenir des contours de polices PostScript ou TrueType

dans un même fichier de polices exploitable à la fois sur plates-

formes Macintosh et Windows. Il peut également inclure un jeu de

caractères étendu reposant sur la norme de codage Unicode ainsi

que des fonctions de traitement typographique évoluées appli-

cables au positionnement et à la substitution de glyphes, autori-

sant l’intégration de plusieurs variantes de glyphes au sein d’un

même fichier de polices.

P O L I C E / F O N T E

Les termes ‹fonte› et ‹police› sont synonymes. Ils définissent un

caractère dans un style donné.

R O M A I N

Désigne traditionnellement la variante ‹droite› d’un caractère

d’une famille, par opposition à sa version italique

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BAUDIN, Fernand.— L’effet Gutenberg

Paris : Cercle de la Librairie, octobre 1994.— 472 p.

BESSARD-BANQUY, Olivier & KECHROUD-GIBASSIER Christophe

La typographie du livre français

Bordeaux : Presses universitaires de Bordeaux, 2008.— 280 p.

BRINGHURST, Robert.— La forme solide du langage

Paris : Ypsilon éditeur, 2011.— 80 p.

CALVET, Jean-Louis.— Histoire de l’écriture

Paris : Pluriel, 1996.— 304 p.

FRUTIGER, Adrian.— L'Homme et ses signes - Signes, symboles,

signaux (2e édition)

Reillane : Atelier Perrousseaux éditeur, 2000.— 320 p.

DUSONG, Jean-Luc & SIEGWART, Fabienne.— Typographie, du

plomb au numérique

Paris : Dessain et Tolra, 1996.— 200 p.

GEYER, Marie-Jeanne & LAPS, Thierry

Le Salon de la rue - L'affiche illustrée de 1890 à 1910

Strasbourg : Éditions des Musées de Strasbourg, octobre 2007.— 200 p.

HOCHULI, Jost.— Le détail en typographie

Paris : B42, mai 2010.— 68p.

JUBERT, Roxane.— Graphisme, typographie, histoire

Paris : Flammarion, 2005.— 434 p.

MANDEL, Ladislas.— Du pouvoir de l’écriture

Reillanne : Atelier Perrousseaux éditeur, 2004.— 228 p.

MANDEL, Ladislas.— Écritures – Miroir des hommes et des sociétés

Reillanne : Atelier Perrousseaux éditeur, 1998.— 240 p.

OSTERER, Heidrun & STAMM, Philipp.— Adrian Frutiger – Carac-

tères. L’œuvre complète

Bâle : Birkäuser, 2009.— 462 p.

OUAKNIN, Marc-Alain.— Les mystères de l’alphabet

Paris : Assouline, 1997.— 384 p.

— B I B L I O G R A P H I E —

L i v r e s

— B I B L I O G R A P H I E —

L i v r e s

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PERROUSSEAUX, Yves.— Histoire de l’écriture typographique, de

Gutenberg au XVIIe siècle

La Fresquière : Atelier Perrousseaux éditeur, 2005.— 430 p.

SMEIJERS, Fred.— Counterpunch, making type ine the sixteeth

century, designing typefaces now (2e édition)

Londres : Hyphen Press, 2011.— 200 p.

— B I B L I O G R A P H I E —

A r t i c l e s

BIL'AK, Peter.— ‹L'histoire de l'History›

in Livraison 13 | Langage et typographie

Strasbourg, janvier 2010.— p.26 > p.33

BIL'AK, Peter.— ‹Méthodes de distribution - Les caractères nu-

mériques sur le marché mondial›

in Typographie - Graphisme en France 2009 / 2010

Paris, août 2009.— p.20 > p.25

HEURTEUR, Cerise.— ‹Pendant la lecture› in Graphê 47

Paris, novembre 2010.— p.17 > p.22

HUOT-MARCHAND, Thomas.— ‹Minuscule›

in Livraison 13 | Langage et typographie

Strasbourg, janvier 2010.— p.70 > p.73

KUDRNOVSKÁ, Linda.— ‹Typo Berlin› in Étapes : 198

Paris, novembre 2011.— p.68 > p.71

OBALK, Hector.— ‹Sensible à la typographie - premier épisode›

Supplément au n°4, volume 20, juin 1997, de la revue Signes.

PRIEZ, Julien.— ‹Une typographie pour la ville de Montreuil›

in Graphê 47.— Paris, juin 2010.— p.1 > p.11

WLASSIKOFF, Michel.— ‹La lettre et le temps›

in Typographie - Graphisme en France 2009 / 2010

Paris, août 2009.— p.2 >

— B I B L I O G R A P H I E —

L i v r e s

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A r t i c l e s

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BEDOIN, Laurence.— ‹La machine à graver les poinçons›.— 2011

www.garamond.culture.fr/fr/page/la_machine_a_graver_des_poincons

BIL'AK, Peter.— ‹À la recherche d'une théorie générale du dessin

de caractères›.— 2006.

http://www.typotheque.com/articles/a_la_recherche_d_une_theo-

rie_generale

DORNE, Geoffrey.— ‹Dyslexie et typographie : comment simplifier la

lecture aux dislexiques par la typographie ?›.— 31 mai 2011.

http://graphism.fr/dyslexie-typographie-comment-simplifier-la-

lecture-aux-dislexiques-par-la-typographie

DORNE, Geoffrey.— ‹Glyphs, un nouvel outil pour créer vos typo-

graphies !›.— 12 juillet 2011.

http://graphism.fr/glyphs-nouvel-outil-pour-crer-vos-typographies

VIGNELLI, Massimo.— ‹We use way to many fonts›.— 15 avril 2010.

http://bigthink.com/ideas/19591

‹PANOSE Classification Metrics Guide›.— 1997

http://www.panose.com/ProductsServices/pan1.aspx

256TM - www.256tm.com/fr

A is for Apple - www.aisforapple.fr

BAT - www.batfoundry.com

b+p swiss typefaces - swisstypefaces.com

Colophon - www.colophon-foundry.org

Commercial - commercialtype.com

DS Type - dstype.com

FontShop - www.fontshop.com

Emigre - www.emigre.com

Linotype - www.linotype.com

Typonine - www.typonine.com

Typotheque - www.typotheque.com

— W E B O G R A P H I E —

A r t i c l e s

— W E B O G R A P H I E —

F o n d e r i e s

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— R E M E R C I E M E N T S —

À ma famille et mes amis pour leur soutien, et particulièrement

ma mère pour son anglais précis, mon père pour son anglais

approximatif (mais pratique), Flore Chemin pour tout, Julia

Chantel pour s’être démenée pour notre classe, Alexandre

Nghiem-Phu pour sa présence et Gauthier Boutrou pour son

absence remarquée.

À Frank Adebiaye, Emmanuel Besse, Maxime Fittes, Joachim

Müller-Lancé, Geoffrey Pellet, Pierre di Sciullo, Jean-Baptiste

Levée, Radim Peško, Emmanuel Rey et Benjamin Viallard pour

leur participation généreuse.

À mes professeurs Olivier Deloignon, Philippe Delangle et Pierre

Rœsch pour leurs conseils précieux.

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