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Un café avec elle Je suis sorti pour marcher avec mon chien, Balto, qui nous accompagne depuis dix ans, dont l'hiver de cette année a été le pire de tous. En prévention des problèmes d'arthrose je lui ai mis des bas et des bottes et par dessus une manteau d'hiver. Il marche à mon côté en voulant se réchauffer près de mes pieds, mais aussi de prendre mon rythme, tout en conservant la queue haute, comme un bon chien leader qui est. Le vent souffle sans force mais toujours froid, s'infiltrant entre mon manteau, gênant mon visage, brûlant mes oreilles. Je vois un couple d'Haïtiens qui parlent haut et fort dans son dialecte, le créole. Comment peuvent-ils se chuchoter de quelque chose de romantique en se parlant ainsi? D'un immeuble, je vois sortir une femme âgée avec un sac vert moyen avec des déchets recyclables. Elle marche lentement pour le déposer sur le trottoir, se rend compte que je la regarde et me donne un sourire timide de salutation. Je le fait aussi avec un doux "Bonjour Madame" alors que j'incline légèrement ma tête. Elle sourit montrant ses dents blanches et en me regardant dans les yeux et avec toute tranquillité, me dit "Salut garçon, je te félicité pour bien habiller ton chien" Cette salutation si directe me rappelle mes compatriotes dans mon pays, si francs que leur sincérité se confond avec l'imprudence?. À cette occasion n'était pas le cas. J'avais déjà oublié que les Canadiens âgés sont très directs et sincères dans leur manière de penser, par opposition aux jeunes Canadiens, qui ne veulent pas partager leurs points de vue pour éviter toute confusion. Nous continuons en parlant quelques minutes de plus, tandis que Balto m'attend patiemment. Elle et moi,

Article 1 de Luis Francisco, Un Café Avec Elle

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Un café avec elle

Je suis sorti pour marcher avec mon chien, Balto, qui nous accompagne depuis dix ans, dont l'hiver de cette année a été le pire de tous. En prévention des problèmes d'arthrose je lui ai mis des bas et des bottes et par dessus une manteau d'hiver. Il marche à mon côté en voulant se réchauffer près de mes pieds, mais aussi de prendre mon rythme, tout en conservant la queue haute, comme un bon chien leader qui est.Le vent souffle sans force mais toujours froid, s'infiltrant entre mon manteau, gênant mon visage, brûlant mes oreilles. Je vois un couple d'Haïtiens qui parlent haut et fort dans son dialecte, le créole. Comment peuvent-ils se chuchoter de quelque chose de romantique en se parlant ainsi? D'un immeuble, je vois sortir une femme âgée avec un sac vert moyen avec des déchets recyclables. Elle marche lentement pour le déposer sur le trottoir, se rend compte que je la regarde et me donne un sourire timide de salutation. Je le fait aussi avec un doux "Bonjour Madame" alors que j'incline légèrement ma tête. Elle sourit montrant ses dents blanches et en me regardant dans les yeux et avec toute tranquillité, me dit "Salut garçon, je te félicité pour bien habiller ton chien"Cette salutation si directe me rappelle mes compatriotes dans mon pays, si francs que leur sincérité se confond avec l'imprudence?. À cette occasion n'était pas le cas. J'avais déjà oublié que les Canadiens âgés sont très directs et sincères dans leur manière de penser, par opposition aux jeunes Canadiens, qui ne veulent pas partager leurs points de vue pour éviter toute confusion.Nous continuons en parlant quelques minutes de plus, tandis que Balto m'attend patiemment. Elle et moi, avons développé une confiance inhabituelle, peut-être par le ton calme et la chaleur sincère de nos regards. La belle femme âgée m'invite à son appartement pour boire un café, qu'elle dit avoir récemment préparé. J'accepte avec plaisir et nous nous dirigeons à pas lent, tout en continuant de se parler. Je suis le rituel de ce pays et enlève mes bottes à l'entrée, pour ne pas salir le sol avec la neige et le sel qui sont partout. Je relève Balto et le laisse sur un petit tapis près d'une fenêtre.C'est un petit appartement avec l’arôme d'une femme, qui dégage une sensation de paix. Tout dans l'environnement est tiède. Le décor est simple, rien de luxueux, aucun excès. Un grand sofa large et moelleux m'invite à m'asseoir, mais pas avant d'enlever mes gants, manteau, foulard et tuque.Curieusement elle s'appelle Françoise, qui se traduit par Francisca. Je lui explique que mon nom est Francisco, qui se traduit par François et qu'une « e » marque la différence entre nos noms. Elle rit généreusement mais

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après elle me fait remarquer que ce n'est pas simplement une « e » ce qui nous différencie, mais il y a beaucoup d'autres choses, mais que fondamentalement tous les êtres sont égaux, même si nous marchons des chemins différents.Je prends une bonne gorgée d'un délicieux café, tandis que je médite ses mots et me convaincs une fois de plus qu'il y a beaucoup à apprendre des aînés, qui enseignent même avec leurs regards. Madame Françoise a environ 80 ans, le corps mince, un peu plus grande que la moyenne des femmes d'ici, cheveux blancs, et beaux yeux bleus. Son regard est placide, doux, calme, discret, fixe.On parle du froid sibérien de nos jours, des habitudes de vie dans mon pays, nous faisons des comparaisons. Nous parlons de nous-mêmes, elle m'a dit qu'elle est veuve depuis quinze ans et qu'elle ne voulait pas se remarier car elle jouissait pleinement de son célibat, son indépendance et sa solitude. Elle me parle de ses trois fils, qui ont quitté la maison quand ils étaient encore jeunes et qui vivent aujourd'hui dans d'autres villes au Canada. Justement, demain ils viennent se rejoindre pour fêter ensemble le premier jour de l'année. Elle est inquiète parce qu'elle ne sait pas comment les héberger tous, mais en fin de compte elle accepte que la chose la plus importante est d'être ensemble, en famille.Elle est heureuse parce qu'elle dit que tous les jours on peut apprendre quelque chose de nouveau et que l'apprentissage est ce qui donne un sens à sa vie et ce qui la maintient en vie. Tous les après-midi, dit-elle, elle se réunit avec d'autres amies de son âge pour partager de leurs expériences.

Je pense que cela doit être le sens de notre existence, partager. Pouvoir avoir quelque chose à partager, même si c'est une sourire, et avoir envie de le faire. Tous, absolument tous les êtres humains, nous avons quelque chose à partager. J'en suis sûr. Mais tout le monde n'ose pas le faire.

Je suis convaincu qu'avant de dormir, lorsque Madame Françoise pose sa tête sur l'oreiller, elle va fermer ses yeux, tandis que sur sa bouche, se dessinera un sourire de satisfaction. Parce que ce soir, je ferai de même.

Luis Francisco Solano Vargas29 mars 2014