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r,fI!?æ B angkokby Nuit, clubs, sexe et argient: dans la copitale thailcndaise, les pros- titués mcsculins, cussi appelés (money boys>, subissent une réalité aussi dure que leur jeunesse est éphémère. Reportage. Prl l' Fra i'icJe S i*:ri:i,. i Bangkok, surnommée la cité des anges/ reste Ia ville la plus gay d'Asie. Son principal quartier chaud nocturne, baptisé Silom, s'orga- nise autour de deux longues rues adjacentes, toujours bruyantes et bondées dans cette mégapole au trafic automobile saturé. Les tou- ristes déambulent, dans la chaleur tropicale, Ie long de ces rues se trouve une ribambelle de petites étales extérieures vendant des pro- duits locaux et des articles textiles bon marché. lls font face à pléthore de salons de massage et de bars qui côtoient des tailleurs abordant les passants dans la rue pour leur proposer des costumes en cash- mere sur mesure, prêts en quelques heures. Le long de cette rue se trou- vent des impasses, appelées <soiu, ou sont situés les bars et établisse- ments spécialisés. Concernant le 6 Noven'rbre 09 - 360"

Article bangkok

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reportage sur la prostitution masculine en Thailande

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Page 1: Article bangkok

r,fI!?æ

BangkokbyNuit, clubs, sexe etargient: dans la copitalethailcndaise, les pros-titués mcsculins, cussiappelés (money boys>,subissent une réalitéaussi dure que leurjeunesse est éphémère.Reportage.Prl l' Fra i'icJe S i*:ri:i,. i

Bangkok, surnommée la cité des

anges/ reste Ia ville la plus gay

d'Asie. Son principal quartier chaudnocturne, baptisé Silom, s'orga-nise autour de deux longues rues

adjacentes, toujours bruyantes etbondées dans cette mégapole au

trafic automobile saturé. Les tou-ristes déambulent, dans la chaleurtropicale, Ie long de ces rues où se

trouve une ribambelle de petitesétales extérieures vendant des pro-

duits locaux et des articles textilesbon marché. lls font face à pléthorede salons de massage et de barsqui côtoient des tailleurs abordantles passants dans la rue pour leurproposer des costumes en cash-

mere sur mesure, prêts en quelques

heures. Le long de cette rue se trou-vent des impasses, appelées <soiu,

ou sont situés les bars et établisse-ments spécialisés. Concernant le

6 Noven'rbre 09 - 360"

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nightmilieu homo, il y en a 3 principales.

L'une d'entre elles est remplie de

bars gays, assez classiques, ou noc-

tambules et touristes se retrouventavant d'aller s'encanailler dans la

n u it de Ban gkok. L'autre < soi > ho mo

est composé de clubs. L'entrée de

la rue est équipée d'un portique ou

des gardes contrôlent l'identité des

asiatiques pour en interdire l'accès

au mineur. Le plus branché de ces

clubs s'appelle DJ Station. Particu-

lièrement bondé le week-end, du

fait que la sécurité ne limite pas le

nombre de clients, il

est presque impos-

sible d'y bouger. llestpar ailleurs conseillé

de vérifier les sorties

de secours en y en-

trant. On peut trou-ver également au-

tour de ces endroits

des salons devantl'entrée desquels at-

tendent de jeunes

hommes qui propo-

sent des massages à l'huile pour 5oo

baths (rS CHF), avec 5oo baths sup-

plémentaires pour Ies finitions spé'

ciales....

5hows en tous genresNéanmoins, le <soi> le plus célèbre

de la vie gay de Bangkok s'appelle

Dangthawee, concentrant les gogo

bars qui on fait la réputation sul-

fureuse de la ville, véritable super-

marché du sexe. Une vingtaine de

gogo bars - des bordels - qui fonc-

tionnent tous de la même manière,

se suivent le long de cette rue. Des

rabatteurs, jamais agressifs, pro-

posent d'entrer pour jeter un coup

d'æil aux garçons qui s'y exhibent.Ensuite, une fois les clients instal-

lés dans des canapés autour d'une

scène centrale, le show démarre

toujours par le défi1é d'une cinquan-

taines de jeunes thaï, à peine ma-

jeurs, qui paradent en maillot de

bain sur lequel est

inscrit un numéro.

Ces garcons ne sontpas payés par l'éta-

blissement, ils at-

tendent simplementqu'un client les ap-

pelle pour leur offrirun verre. Le jeune

garçon espère que

le client finira la nuitavec iui et, ainsi, faireson business.

Ensuite démarre le véritable show

ou s'enchainent des numéros

sexuels effectués par des thaï par-

ticulièrement bien montés et des

transsexuels qui chantent ou exé-

cutent des sketches comiques. Les

modèles passent, en même temps,

de table en table, avec leur sexe

en érection en avant, exhibé tel un

trophée, pour le faire toucher aux

clients dans l'espoir de pouvoir ré-

cupérer un pourboire de roo bath (3

CHF). Le show se finit toujours par

une scène de sodomie réalisée dans

des positions improbables et par-

ticulièrement sportives. Le couple

tourne ensuite dans la salle, touten continuant à copuler, pour re-

cueillir des pourboires. En dehors de

quelques couples, souvent hétéros

et asiatiques, l'essentiel de la clien-

tèle est composé d'occidentaux be-

donnants d'âge mûr, venus seuls ou

en groupe toucher quelques jeunes

éphèbes asiatiques.

Une forme de proxéné-tismeAry travaille dans l'un de ces bars

où il défile simplement en maillotde bain, espérant trouver un clientpour la soirée. Comme l'ensemble

des prostitués qui travaillent dans

les gogo bars de Bangkok, Ary est

indépendant et peut fixer ses tarifscomme il le souhaite. ll n'a pas a re-

verser d'argent à un souteneur. Cela

étant, les patrons de ces bordels

exercent une autTe forme de proxé-

nétisme. D'abord, parce que tous les

garçons y travaillent et s'y exhibentgratuitement, exceptés ceux qui

y exécutent des numéros sexuels

sur scène. Le deal passé entre lebar et les money boys qui restent

torse nu toute la soirée consiste à

faire consommer ' 't'lrt'::r .b 3.1

Novembre 09 - 360" 7

Page 3: Article bangkok

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Ies clients qui les choisissent en

se faisant offrir des verres, dont le

prix est fixé à z5o baths (z,so CHF),

quelque soit le bar ou la boisson.

Sur ce montant, le bar reverse 50

baths (r,50 CHF) par consommationau garçon sur Ies verres qu'il se faitoff rir et sur les consommations sup-

plémentaires qu'il réussit à faireprendre au client.

Enfance misérableDans les autres boys bars, oùr il n'y

a pas de show, et où les consom-

mation sont moins chères, les mo-

ney boys doivent souvent reverseT

3oo baths (10 CHt) au patron du barquand ils partent avec un homme,

quelque soit le tarif qu'ils deman-

dent ensuite à leur client.Dans les saiôns de massage, il y gé-

néralement un montant fixe pour

le massage en lui même que le pa-

tron conserve, auquel s'ajoute un

pourboire minimum, généralement

de l'ordre de 5oo baths (15 CHF) qui

revient au jeune masseur en rému-

nération des ses services sexuels.

Les prostitués sont libres de chan-

ger ou de quitter l'établissement

dans lequel ils travaillent quand ilsle souhaitent. Ce n'est pas un pro-

blème pour les patrons des bars

et salons de massage: du fait de lapauvreté du pays, ils peuvent facile-

ment et rapidement remplacer les

garçons qui partent, les candidats

étant légion.

L'histoire d'Ary, bien que particu-

lière comme toutes les vies, est re-

présentative et symptomatique de

celle des money boys thailandais.

I Novembre 09 - 360"

,u.$'s e 3.r $É's -{i*ê'è"€SYnê

ffiî$:$*-s:*: .."s.::T ::-,: *i- " rendTe au poste de

police et demanderqu'on le place dans

un orphelinat. ll est accepté dans

un établissement géré par une

fondation américaine, à Bangkok,

qui vient en aide aux enfants de la

rue. ll a alors pu retouTner a l'école,

ll a zo ans et vient de la provincepauvre de Nakon Panom, situé au

nord est du pays. ll n'a jamais réelle-

ment connu sa mère, qui l'a donné

a une autre famille quand il avait

2 ans, parce qu'elle ne pouvait pas

le nourrir. Cette famille d'accueil,qu'il considère comme sa vraie fa-

mille, l'a élevé jusqu'à ce qu'il ait 9

ans. Son père est ensuite revenu lechercher. ll a ainsi vécu quelques

années dans Ia rue avec son géni-

teur. Alors qu'il avait LL ans, son

père l'a vendu à un homme qui s'est

proposé de s'occuper de lui en le

nourrissant et le logeant. Aprèsquelques jours, cet homme a abusé

de lui. Ary s'est alors sauvé pour se

LE QUART|ER DES BARS À BANGKoK

comprenant que c'était la seule so-

lution qu'il avait pour se sortir de

cette vie misérable.

Prostitué dès r4 ansll nous raconte comment il a com-

mencé à vendre son corps. <rJ'avais

14 ans et je faisait mes devoirs avec

un autre collégien dans un bar. Un

homme est venu me voir et m'a de-

mandé de l'accompagner aux toi-lettes. Il a sorti son sexe et m'a de-

mandé de le sucer. J'étais excité

Page 4: Article bangkok

Fàrce que je n'avais jamais eu d'ex-

Êérience sexuelle avant. Après être

cassé à l'acte il m'a donné 5oo baths

t:5 CHF). Ca m'a fait comprendre que

je pouvais gagner de l'argent assez

facilement> En Thaïlande, il est as-

sez f réquent que les hommes mariés

aient des relations homos avec de

jeunes garçons, sans pour autant se

considérer comme gay. La pauvreté

et le nombre élevé de prostitués fa-

cilitent cette démarche.

Ary a découvert son homosexualité

à la pré-adolescence, mais sans pou-

voir mettre un nom dessus. Dans la

campagne d'où il vient, être gay n'a

pas de sens, la sexualité se résume

a être hétérosexuel ou <lady boy>.

ll s'agit de transsexuels, très nom-

breux, à tel point que la Thaïlande

est devenue le principal pays au

monde à proposer des opérations de

changement de sexe.

Ary nous explique: < Je n'avais pas

conscience d'être gay, je pensais

pl u s q ue je devais recou ri r à u ne opé-

ration pour devenir un lady boy, cela

me paraissait être le seule solution.A l'école, les autres élèves se mo-

quaient de mes manières féminines.

Ce n'est qu'en arrivant à Bangkok,

quand j'ai découvert le milieu gay et

les autres money boys, que j'ai com-

pris que j'étais homo.>

Depuis ses 14 ans, Ary n'a jamais

cessé de se prostituer. Ces princi-

paux clients, comme les autres mo-

ney boys, sont des occidentaux gé-

néralement âgés de plus de 5o ans

qui viennent chercher en Thaïlande

du sexe à bon marché avec de jeunes

asiatiques. Ary préfère d'allleurs tra- ,+:l\"5.è,è

Page 5: Article bangkok

i "! \ MA-w

_ r-*_ -s

vailler avec des étrangers qu'avec

des thaïlandais. (Les clients occi-

dentaux sont généralement plus

gentils parce que, si on refuse de

faire quelque chose, ils n'insis-

tent pas. Contrairement aux thai,qui, lorsqu'ils paient, sont plus exi-

geants)). ll a ses propres règles. (Je

n'embrasse jamais un client, refuse

les rapports non protégés et toutesles pratiques extrêmes comme le

SM. Egalement, et je ne suis que pas-

sif. > Ses tarif s, com me Ia plu part d es

prostitués, varient généralement

entre 1 ooo (30 CHF) et z ooo baths(60 CHF) mais cela peut aller jusqu'à

5 ooo Bath (150 CHF) pour un touristeétranger qui débarque et ne connaitpas les prix. Dans les bons mois, ilrencontre une vingtaine de clienten moyenne. Mais comme tous ses

congénères, Ary subit la crise de-

puis 3 ans et le déclin du tourismequ'elle a entraîné. <Avant la crisepolitique, on pouvait se faire jusqu'a

50 ooo baths (1500 CHF) par mois

avec les étrangers. Maintenant si on

arrive à r5 ooo baths (+50 CHF), c'est

déjà bienrll va à l'université pour y suivre

des cours de management hôte-

lier et compte arrêter de vendre

ses charmes lorsqu'il aura fini ses

10 Novembre 09 - 360'

études. <C'est vral que j'en

ai marre de cette activité,

mais pour l'instant, je n'ai

pas d'autre choix pour survivre et payer les cours).

Son rêve serait de pouvoir

aller travailler à l'étranger et

d'y recommencer une nou-

velle vie. Très symptoma-

tique de l'esprit religieux omnipré-

sent et très prégnant en Thaïlande,

Iorsqu'on interroge Ary sur la pire

expérience de sa vie, maigré Ies

difficiles épreuves qu'il a traver-

sées, il répond: <La pire chose que

j'ai vécue, c'est d'avoir dû voler de

la nourriture donnée en offrande

au Bouddha lorsque je vivais avec

mon père. Après cel4 rien ne peut

être plus grave> (Les thaïlandais ontI'habitude de déposer de la nourri-ture sur des autels bouddhistes ex-

térieurs présents un peu partout à

travers laville.)

Ary cohabite avec trois autresprostitués dans un petit appartement spartiate et dépouillé de

20 m2, Ioué 1 ooo baths (3o CHF),

par mois, situé dans les faubourgsde la ville. Maew, colocataire d'Ary,

travaille dans un salon de mas-

sage. Egalement originaire d'uneprovince pauvre du Nord du pays

où il ne mangeait pas à sa faim,Maew est arrivé dans la capitaleà l'âge de 15 ans, sur les conseils

d'un amid'enfance, également mo-

ney boy.

Quand ils souhaitent sortir et avoirdes relations sexuelles amoureuses

et non tarifées, les quatre amis se

rendent dans le quartier gay de

Ramkhanhaeng. Loin des rues fré-

quentées par les étrangers et tou-

ristes, les boites gays y ont une

clientèle à 990/o locale, composée en

partie d'étudiants et de jeunes tra-

vailleurs. ll serait insultant et mal-

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venu de proposer de l'argent à l'un

des clients de ces établissements.

Cette scène gay leur permet de re-

devenir, le temps d'une soirée, de

jeunes homos normaux.

Moins de solidaritéMaew, qui exerce depuls 7 ans, in-

siste également sur les dégâts qu'a

fait la crise du tourisme sur les rela-

tions quasi fraternelles qu'entrete-

naient entre eux les travailleurs du

sexe. ll explique: <Avant, il y avaitune vraie solidarité entre nous. Si

un client n'était pas intéressé, on

l'envoyaitvers un de nos amis. Main-

tenant c'est fini. lly avait égalementune sorte de code de l'honneur. Par

exemple, le prix minimum demandé

ne devait jamais être inf érieur à 5oo

baths (r5 CHF), c'était une règle.

Mais les affaires sont devenues si

difficiles que certains ne respectentplus cet engagement.>

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lL; aussi n'a qu'un souhait, celui de

p,ruvoir retrouver une activité nor-

-ale. ll économise pour pouvoir re-

tourner dans sa province natale et y

;uvrir un petit commerce. Mais il a

:onscience que ce sera long et diffi-cile et q u e l'âge I i m ite est vite attei nt

dans la prostitution. Maew, âgé de

22 ans, sait qu'il ne lui reste avec de

la chance que 5 années pour conti-

nuer ce business. La plupart des mo-

ney boys doivent abandonner cette

activité quand ils atteignent 25,

voire 3o ans. Les touristes préfèrent

souvent les jeunes garçons âgés d'a

peine plus de 18 ans.

ll préfère ne pas penser à ce qui se

passera plus tard, car sans diplôme,

il aura du mal a trouver un job inté-

ressant. ll y a une alternative à la-

quelle il pense parfois, comme beau-

coup des travailleurs du sexe, celle

de trouver un étranger qui l'aime et

souhaite se mettre en couple avec

lui. Si on luidemande si c'est l'amourqu'il cherche, il a l'honnêteté de ré-

pondre non. (Trouver un occiden-

tal avec qui vivre serait avant toutparce qu'il m'apporterait la sécu-

rité financière dont j'ai besoin. Si, en

plus, je l'aime bien, ce sera un plus,

mais pas le plus important>

Malgré le sourire toujours arboré

par ces dizaines de milliers de jeunes

qui vendent leurs charmes et l'am-

biance festive qui règne en continu

à Bangkok, c'est presque toujours le

drame de la pauvreté q.ui amène ces

garçons à se vendre aux occidentaux

en quête de chair fraîche et d'exo-

tisme sexuel.