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Artisanat & Innovation

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Mémoire de Charlotte Rodière, diplômée Design Textile

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Sommaire

I-Les définitions du luxe1-Définition du luxe

a-Généralitésb-Étymologiec-Le luxe, objet de polémique

2- Définition de l’objet de luxe

a-L’objet de luxe devenu marchandiseb-Définition par les consommateursc-Imbrication de la marque et de l’objet

3- Définition de la marque de luxe

a-Apparition du concept de marqueb-Définition du périmètre des marques établie par la professionc-Étude de la valeur ajoutée

4- Création et organisation du mythe de la marque

a-Édification du mythe-la charge narrative et imaginaire : l’ADN-la valeur économique et symbolique de la griffe par Pierre Bourdieu etYvetteDelsaut.

b-La sacralisation-le rapport au sacré comme dimension constitutive des marques-luxe et art contemporain où comment le luxe tente d’échapper à sa démocratisation

II-L’innovation 1-Définitions de l’innovation

a-Généralitésb-Les 3 phases de l’innovation selon Marc Gigetc-Place et enjeux du design dans l’innovation

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2-Le luxe et l’innovation

a-Constat actuel b-Le paradoxec- Légitimité/Identité-Éthique/Esthétique-L’exemple Chanel

3-Les points communs

a-Le luxe et l’innovation partagent des valeurs communes : « le meilleur état de l’art »b-Le refus du tout économiquec- L’antithèse tradition/innovation, une opposition mal fondéed-Le souci de cohérencee-Les exemples-les leviers de la communication du luxe-le renouveau de la représentation et du service

III-Vers un artisanat contemporain1-L’artisanat d’art, piliers du luxe

a-Le refus du prestige de l’artisanb-L’artisanat en héritage

2-Les savoir-faire et la communication a- Le recentrage b-La mise en scène

3-Le luxe durable

a-L’éloge du tempsb-Le laboratoire des possibles

4-Le maillage aux nouvelles technologies

a-Les nouvelles technologies de productionb-Le FashionLabc-Les nouveaux matériaux d-L’artisanat technologique

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Introduction Luxeetinnovationsontdeuxmotsquiaprioriparaissentdifficilementconcilia-

bles. Ceci est en partie du à la vision passéiste que renvoie le luxe, renforcée par les notions de tradition et d’héritage inhérentes à ce secteur. En somme, les gens verraient dans le luxe l’imaged’unmondefigédanslesvaleursd’untempspasséquil’avunaître.Pourtantleluxen’a jamais cessé d’évoluer et dans ses formes les plus récentes, nous l’avons vu passer de la représentation bling-blingdesannées2000àcelled’aujourd’huiqui,criseoblige,s’estfocalisé sur des valeurs plus nobles.

En effet, depuis quelques temps, nous assistons à un recentrage sur les références fondamentales du secteur. Face au contexte économique actuel, l’attitude du consomma-teur a changé. Lassé de la sur-consommation, il recherche maintenant qualité et perfection pour des produits plus durables. Entendant cela, les marques misent alors sur le respect de l’histoire et du patrimoine créatif pour donner du sens et de la valeur à leurs produits. Ceci passe par une revalorisation des savoir-faire et de l’objet authentique mis en avant dans de nombreuses campagnes publicitaires vantant dès lors une consommation plus patrimoniale qu’ostentatoire.

Cependant cette attitude prêchant le retour aux fondamentaux encourage d’autant plus la vision conservatrice du luxe et l’on comprend mieux ainsi son inadéquation avec l’idée d’innovation. En effet, le luxe semble s’ancrer dans une position si nostalgique que l’onpeut sedemander si cetteorientation (bienque légitimepuisqueacquiseaufildessiècles), ne le dispenserait pas d’innover ?

Jacques Carles1affirmeque:«certes,lesavoir-faireestunpilierduluxe,maisilnedoit pas prendre le pas sur les deux autres moteurs qui sont la création et l’innovation tech-nologique. » Si le luxe veut réveiller les envies d’une clientèle plus exigeante et attendant de lui le meilleur, il va devoir innover tout en respectant son patrimoine créatif.

Dominique Jacomet2leconfirme:«Lademandedesconsommateursd’aujourd’huioblige à manier héritage et innovation. Cette innovation s’appuyant elle-même sur trois le-viers possibles : le design et la création, l’artisanat, les nouvelles technologies. »

En effet, ces nouvelles technologies participent à l’actualisation, au renouvelle-ment des marques. Le luxe, quant à lui, permet de rendre ces technologies désirables et de les démocratiser. Ceci s’explique en partie parce que le développement de ces produits est couteux et qu’avant d’atteindre leur seuil de rentabilité qui les rendra accessibles à la grandedistribution,cestechnologiessontdevrais«produitsdeluxe.»

Cependant, le secteur du luxe est souvent frileux face à ces technologies et notam-ment dans celles de l’industrie du textile qui proposent pourtant de belles avancées pour la mode. Il est dommage que les marques de luxe les délaissent, car nous pourrions nous demander comment ce potentiel technologique, riche et innovant pourrait évoluer dans des domaines où on attend justement l’exception et l’originalité ? En faisant du luxe un laboratoire d’expérimentation, que pourraient donner ces matières dans les mains des arti-sans faiseurs de prestige ? Comment faire pour que le luxe devienne le passeur des progrès techniques ?

Pour démontrer ceci, nous pouvons prendre exemple sur la créatrice qui a cham-

boulé la dernière fashion week parisienne : Iris Van Herpen. Cette jeune styliste s’est as-sociée avec l’architecte Daniel Widrig pour développer une nouvelle technique basée sur l’imageriedigitaleetl’impression3D.Elledécouped’unepièce,dansdesmatériauxrévo-lutionnaires sortis de la construction navale et de l’architecture, les parties d’un vêtement

1PrésidentduCentreduluxeetdelacréation,propostenuslorsdu19èmeentretiendecemêmecercleenseptembre2010.

2Directeur général de l’Institut Français de la Mode, propos tenus lors de la 13ème conférence del’International Foundation of Fashion Institutes.

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qui sont ensuite assemblées à la main. Cette méthode de conception et de création permet d’obtenir les formes les plus audacieuses, sculpturales et étonnantes.

MaiscequiestleplusintéressantchezIrisVanHerpen,c’estsavolontédelierartisanatetinnovationdestechniquesetdesmatières.Elleditvouloir«associerlestechni-quesdufuturetcellesdupassé»afinquece«nouvelartisanat»créede«nouvellesformeset des techniques neuves qui referont de la mode un produit de valeur, un produit qui a du sens. ».

Ne voyons-nous pas, à travers cette créatrice, un exemple de ce que pourrait être un mariage réussi entre héritage artisanal et innovation technique ? Comment ces métiers d’art du luxe, ceux là même que les marques mettent en avant et qui font de ce secteur celui de l’excellence et du rêve, vont-ils s’adapter à ces technologies ?

Matièrepremièreinnovanteounouvellestechnologiesintelligentes,réussiront-ellesàs’intégrerdanslepaysagetraditionneldesgrandesmaisons?Comment,selonMarcGiget, Président de l’Institut Européen de Stratégies Créatives et d’Innovation, faire de l’artisanat, non pas «une technique du passémais une techniquemoderne inspirée dupassé » ?

Laconstructiondecemémoirevas’attacherenpremierlieuàdéfinirlanotionassezinsaisissablequ’estleluxe.D’aborddanssavisiongénéralepuisparl’analysedesca-ractéristiquesspécifiquesdesaversioncontemporaine.Eneffet,siàchaquepériodecorres-pond une forme dominante du luxe, pour la plupart relevant de la religion et de la puissance des États. Notre époque est quant à elle, majoritairement rattachées aux marques et aux intérêtséconomiques.Nousanalyseronsalorsl’émergenceetlesspécificitésdesmarquesde luxeafindemieuxcomprendre l’évolutionet lesenjeuxde laprofession.Nousnousattarderonsaprèsuninstantsurlacapacitédelamarqueàmodifierlestatutd’unobjetviasasignatureetlemytheorganiséautourdesonnom.Conservercette«aura»demandeunesavantemaîtriseetnousverronscommentlesmarquesprocèdentpourdifférencierleursproduits des biens de consommation ordinaires. Tous ces éléments nous permettront de mieux comprendre avec quels codes la marque de luxe doit jouer pour évoluer et innover.

Dans un deuxième temps, nous tenterons de cerner la notion d’innovation, mot tropsouventsur-employéafindecomprendrecommentcelle-cisestructureets’organise.Nousévoqueronsdanscetteperspectivelestroisgrandesphasesdel’innovationselonMarcGiget et nous nous interrogerons un instant sur la place du design lors de la synthèse créa-tive3. Puis à la lumière de ces informations, nous tâcherons d’analyser la relation entre le luxe et l’innovation. Tout d’abord par le paradoxe premier qu’elle suggère puis grâce à l’ana-lyse des concepts d’identité et de légitimité d’Elyette Roux nous comprendrons comment une marque de luxe opère pour évoluer sans se renier. Nous évoquerons alors les points communs que partagent les deux notions et nous observerons les différents mécanismes et modes de représentation mis en place par les maisons pour rester en accord avec leur temps.

C’est après ce développement que nous rentrerons dans le coeur du question-nement de ce mémoire, à savoir si les savoir-faire des maisons peuvent devenir un moteur d’innovation pour l’industrie du luxe. Une rapide analyse de l’importance de ces corps de métiers au coeur de la logique du luxe nous montrera comment ceux-ci sont devenus, grâce au contexte économique actuel, les parfaits représentant d’un luxe plus responsable. Cependant bien que les maisons valorisent beaucoup leur artisanat, la manière dont elles le communiquent nie sa modernité. Technologies de pointe et outils traditionnels cohabitent aujourd’hui dans les ateliers et permettent d’obtenir des résultats toujours plus proche de l’idéal de perfection que s’impose le luxe. Ce maillage avec les nouvelles technologies est un comportement vers lequel il faut tendre et nous analyserons quelques exemples de projets illustrant cette volonté de mariage entre héritage et modernité.

3DanssadéfinitionentendueparMarcGIGET

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Iris Van Herpen CollectionHauteCouture«Capriole»

automne/hiver2011/2012.© Mickaël Zoeter.

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1-Définitionduluxe

a-Généralités

Tenterdedéfinirleluxen’estpaschosefacile.OlivierAssouly,dansladéfinitionqu’il en donne pour l’ Encyclopaedia Universalis4 ditque : « l’opiniongénérale (...) rat-tache le luxe respectivement aux traditions, aux savoir-faire, aux marques, à la rareté, à la cherté, à la qualité, la durabilité, au plaisir, à la marginalisation des usages et à l’ostentation ». Cependant,sitouscescritèresformentunensemblecohérent,aucunmisàpartn’estsuffi-sant en tant que tel.

Ilaffirmequ’ilfautvoirdansleluxeunenotionprotéiformequelasociétéacom-mandéetfaitévolueraufildesesmutations.Sesexpressionsontconnudesvariationsaugrédescultures,desépoquesetdescirconstances(delamagnificencedelareligionchré-tienne à notre version actuelle, intégrée à des grands groupes commerciaux) et les formes qu’il prend (les échanges commerciaux ou bien la notion de luxe pour soi : avoir du temps, de l’espace...). En cela la notion du luxe est dynamique, elle sait s’adapter.

b-Étymologie

L’analyse de ses origines étymologiques n’en est pas plus aisée car elle se heurte à différentes sources. En effet, il s’est longtemps dit que le luxe était un dérivé de « lux » : lumière, et bien que cette interprétation fasse sens face à toute une imagerie collective mon-trant une opulence rutilante, elle est inexacte. Il faut voir dans l’origine de luxe, un dérivé du mot latin « luxus », issuduvocabulaireagricoleetquienpremiersignifie«pousserdetravers»,puis«pousseravecexcès»pourensuitedevenir«excèsengénéral».

Elyette Roux5voitquecettedéfinitionimpliquequeleluxesesitue:«endehorsdessentiers battus de la tendance », pour suivre sa propre route en imposant ses propres règles. Onpeuxvoirencelaqueleluxeestautonome,iln’apasàsesoucierdecollerauxtendancesde la mode car c’est lui qui les génère et les impose.

c-Le luxe, objet de polémique L’origine étymologique du mot appose dès le départ une valeur dépréciative au

luxe en le liant à l’excès marginalisé, signe de désordre et d’exubérance. Cette critique est visible dans la censure religieuse qui voit en lui le vice et la démesure comme pêchés de la foichrétienne.Objetdepolémiquesconstantes, il a toujoursétéaucoeurdesdébats.ParticulièrementauXVIIIèmesiècleoùilsopposaitsespartisans(Mandeville,Smith)quivoyaient en lui un moyen d’augmenter la puissance des nations et de contribuer au bon-heur des citoyens en participant aux progrès de la connaissance et des beaux arts ; à ses détracteurs (Rousseau), qui eux y trouvaient une source d’inégalité dans la distribution des richessesetunsacrificedesartsutilesaubénéficedesartsfutiles.

Il aura fallu attendre l’émergence du capitalisme pour que luxe gagne sa légitimité au nom d’un bien-être et d’un confort lié à la richesse matérielle de la bourgeoisie indus-trielle. A contrario, de la bourgeoisie aristocratique qui y a toujours vu une obligation de représentationpourseconformeràsonrang.SelonOlivierAssouly,leluxeapparaitàcetinstant comme :«l’opportunitéd’uneéconomiedesplaisirsqui,ensacrifiantlesbesoinsausuperflu,contribuesignificativementauprogrèsdelacivilisation».

4OlivierASSOULY,article«Luxe»,inUniversalia2011,Encyclopaedia Universalis.

5GillesLIPOVETSKYetElyetteROUX,le luxe éternel,Paris,Gallimard,2003,p.130.

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Le luxe devient alors particulier au système consumériste des société occidentales. C’est-à-dire qu’en plus de la production de biens nécessaires, la production industrielle induit des consommations d’objets symboliques qui ne basent plus sur la seule fonction-nalité mais sur l’esthétisme, la sensualité, l’hédonisme, le culturel. Bien que le luxe se soit d’abord manifesté par cette consommation d’objets chargés d’attributs, il est nécessaire de préciser qu’il ne se limite plus à cela, aujourd’hui les services tiennent une place équiva-lente. Cependant, c’est en analysant ces objets que que nous allons tenter de saisir cette notion complexe.

2-Définitiondel’objetdeluxe

a-L’objet de luxe devenu marchandise

Entre le milieu du XIXème siècle et le début du XXème, l’objet de luxe a connu un basculement de son statut sous l’effet de deux facteurs : l’évolution de la production (naissance de l’objet manufacturé et fabrication en série) et la transformation des modes de présentation et de commercialisation (débuts de la marque et de la distribution moderne). L’objetsetransformeenmarchandiseetladéfinitionduluxechange,passantd’unevisionindividuelle et aristocratique (le luxe comme un art de vivre et symbole d’élection) à celle d’objetdeconsommation.Leluxeglissedustatutde«modedevie»aurangde«moteurd’industrie », dispositif qui n’est plus régi par son usager mais par son producteur 6.

b-Sa définition par les consommateurs

Pourdéfinirl’objetdeluxeentantque«produit»auseindenotreconsommationactuelle, les professionnels se basent cependant toujours sur l’avis du client et commandent bonnombred’étudespourdéfinirlesenscommundesconsommateursàqualifierunpro-duitdeluxe.GillesMariondanssonarticle«Objetsetmarquesdeluxe»7, a sélectionné une enquête 8, réalisée dans sept pays (États-Unis, Japon et cinq pays européens).

Pour la majorité des consommateurs interrogés, un produit de luxe est d’abord de très bonne qualité et très cher. S’en suit après : plaisir pour soi, ne se démode pas, qui fait rêver, beau avant tout, de fabrication artisanale. Pour des pays comme le Japon ou les États-Unis s’ajoute le rôle important de la marque et de sa notoriété.

DanslesnotionsprincipalesretenuesparGillesMarion,nousnoterons:superflu,rareté,prix,detrèsbonnequalitéetdemarqueprestigieuse.Orenlesprenantuneàune,nousremarquonsqu’uneseuleapporteunespécificiténécessaireà laconstructiond’unpérimètre du luxe.

Eneffet,commeilleconstate,lanotiondesuperflurenvoieàunevieilleinter-rogation sur : Qu’est-ce que le non-nécessaire ? Celle de la rareté nous pose la question de la série limitée qui n’est pas seulement l’apanage des produits luxueux (ex : timbres de collection).Etsileluxeestcequiestcher,pouvons-nousqualifiertouslesautresbienshaut

6BrunoREMAURY,«L’objetdeluxeàl’èredelareproductibilitétechnique» inLe luxe, Essais sur la fabrique de l’ostentation,2èmeéditionrevueetaugmentée,(dir.OlivierAssouly),Paris,IFM-Regard,2011,p.305à307

7GillesMARION, «Objets etmarquesde luxe» inLe luxe, Essais sur la fabrique de l’ostentation, op.cit, p.397à421.

8B.DUBOISetC.PATERNAULT,«LeluxeenEurope:demandecomparablemaisvisionscontrastées»,CBNEWS,N°374,1994,p.84-85

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de gamme de luxueux ? La qualité du produit est une caractéristique centrale qui semble se définirpourcertainesmarquesparlafactureartisanale9, mais dans ce cas qu’en est-il des produits de luxe industrialisés ? Toutes ces questions semblent trouver leurs réponses dans la dernière notion qui est le prestige de la marque.

c-Imbrication de la marque

Dans notre vision contemporaine du luxe et plus généralement dans celle de no-tre consommation, nous ne pouvons pas nier le pouvoir des marques. Elles sont présentes partout et nous les comparons sans cesse mais concrètement, qu’est-ce qui différencie une marque de consommation ordinaire d’une marque de luxe ? Les marques de luxe semblent serevendiquerd’unsavoir-fairehorsducommun.Théoriequel’onconçoitaisémentquandonparledelamaîtrisedutravailducuird’Hermèsmaisquinoussemblecontradictoirequand on y oppose un autre exemple : le fait que la recette du Coca Cola soit tenu secrète pourpréserverlegoûtinimitabledelaboissongazeuse,nefaitpaspourautantducélèbresoda un produit de luxe. Il nous faut donc accepter l’idée qu’il existe différentes catégories de marques et que celles de luxe doivent sûrement remplir des conditions bien particuliè-res. Quelles sont-elles ?

3-Ladéfinitiondelamarquedeluxe

a-Apparition du concept de marque

Parmi lespluspuissantesdesmarquesde luxe françaises,unegrandemajoritéd’entre elles10 se sont fondées entre la seconde moitié du XIXème siècle et le début du XXème (période qui comme nous l’avons souligné précédemment a vu la réévaluation de l’objet de luxe en marchandise).

Cette transition entre deux siècles est une époque charnière de notre histoire et qui reste à ce jour la plus grande révolution technologique, industrielle, culturelle, écono-mique et sociale de l’histoire occidentale : la Belle-Époque. Le progrès fulgurant que cette période a engendré, a soutenu une frénésie entrepreneuriale inédite et permis la création de milliers d’entreprises. L’arrivée des grands magasins et les expositions universelles, dont celles deLondres en 1851 et Paris en 1900, ont également grandement contribué à l’es-sor des marques et à leur diffusion mondiale. À cette période par exemple, les malles de Louis Vuitton traversaient la planète, lui forgeant ainsi une réputation internationale encore d’actualité.

À la même époque, la mode11 connait un bouleversement en son sein. Charles

FrederickWorth (1825-1895) impose sa conception de la création de mode et crée lapremièremaisondecoutureen1858.Ilinstaurelesrèglesd’uneindustrieduluxevisantla création de modèles fréquemment renouvelés et faits aux mesures des clientes : la haute

9Celle-ciestpresqueemblématiquedecertainesmarquestellequ’Hermèsquisedit:«Artisancontem-poraindepuis1837».

10Boucheron(1858),Cartier(1847),Guerlain(1828),Hédiard(1854),Hermès(1837),LouisVuitton(1854),YvesDelorme(1845)(source : www.comitecolbert.com)

11 Historiquement, le luxe et la mode ont été associés car seules les élites pouvaient en profiter.Aujourd’hui des confusions persistent encore. Par exemple, les évènements attirant le plus l’attention surl’industriedelamodesontlesdéfilésdescréateurs,orceux-lànereprésententquelafrangelaplusluxueuse de l’habillement. Ce brouillage persiste et provient en partie des motivations de consommation d’articles de mode et de luxe.

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Fort de son expérience de layetier et emballeur, Louis Vuitton ouvre son premier magasin rue Neuve des Capucines(ci-dessus).Aujourd’huilamaisonestlaprincipalefilialedugroupeLVMH,véritableempire

elleestprésentedansplusde53pays.

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LaboutiqueLouisVuittondesChampsÉlysées,unesurfacede1.500m2sur4niveauxquiseraitlesep-tième«monument»leplusvisitédeFranceavecde3.000à5.000visiteursparjour.

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couture. Le couturier qui était autrefois aux ordres, simple anonyme dont les créations étaient ordonnées par les clients, leur impose cette fois ses idées et son style. La rupture avec le passé est nette : les vêtements sont alors réalisés en dehors des commandes par un créateur maintenant libre et indépendant. Délivré de son ancienne subordination, lecouturieraffirmesacapacitéàdirigerlamode.C’estledébutdel’âged’orducouturier12, du créateur tout puissant, que nous développerons plus loin quand nous aborderons l’aura de la griffe.

Les «maisons»de luxe, tellesqu’elles sontalorsnommées, intègrent la sociétéde consommation. Ce n’est cependant qu’après la Seconde Guerre mondiale qu’elles connaissent leur grand décollage et deviennent une industrie à part entière. Ces entreprises semi-artisanales et familiales ont laissé place à de grands groupes internationaux, preuve qu’elles ont su évoluer et se créer une place de choix au sein de la consommation des plaisirs.Cependant,nedevientpas«deluxe»quiveut.Danscemarchéélitisteetrestreint,dominé par des marques centenaires, il y a certaines conditions à respecter et critères à remplir.Autrefoistacitesetconsidéréescomme«allantdesoi»,ellesontétédepuisétudiéesetdébattuesafindedéfinirlepérimètredesmarquesdeluxe.

b-Définition du périmètre des marques établie parla profession C’estleComitéColbert(organismecréeen1954regroupant75marquesfrançaises

et13institutionsculturellesetœuvrantaurayonnementinternationaldel’artdevivrefran-çais13) qui a le premier tenté d’en dessiner les contours. Pour cela, il a commandé plusieurs étudesàdescabinetsspécialisésafindedéfinirlespourtoursdusecteuretdemieuxcernerainsilesenjeuxetdéfisdelaprofession.Nousallonsenobserverdeuxdontlesrésultatssont retranscris par Elyette Roux dans Le luxe éternel14.

Lapremièreétudedatede1995etprovientducabinetMacKinsey15 qui a procédé de deux manières pour répondre à la demande du comité. La première étant de cerner les secteursd’activités(35autotal)répondantauxcritèressuivants:– la fabrication et/ou la commercialisation de produits et de services destinés au consommateur final (donc éliminant les consommations intermédiaires) ;– l’incorporation de savoir-faire relevant de l’art appliqué, définis, au niveau de l’offre, par une implication humaine dans la création et, au niveau de la demande, par des produits ou services répondant à des besoins au-delà du fonctionnel, du nécessaire, et faisant appel aux sens.

Puisdanschacundes35secteursretenusontétésélectionnées:– les marques du sommet de la pyramide de prix, par catégorie de produits, c’est-à-dire aux prix sensiblement supérieur aux produits présentant des fonctionnalités tangibles comparables ;– les marques de notoriété internationale et ayant plus de cinq ans d’existence16.

12CettevalorisationducouturierestenlignedirecteavecladynamiqueamorcéeàlacourdeMarie-Antoinette où les coiffeurs et autres marchands de mode, tel que la célèbre Rose Bertin, ont acquis leurs titres de gloires et ont dessiné les contours de cette nouvelle profession.

13http ://www.comitecolbert.com/

14GillesLIPOVETSKYetElyetteROUX,le luxe éternel,op.cit,p.144à148.

15 McKinsey, «Douze propositions pour étendre le leadership des marques françaises», McKinsey-ComitéColbert,1990.

16LecomitéColbertétantuneinstancedereprésentationetdepromotionduluxefrançais,ilaégale-mentsouhaitéestimerlapartdumarcheduluxefrançais.Pourcelalecabinetaretenuune:définitionperceptuelle,c’est-à-direlesmarquesperçuescommefrançaises,caràl’originefrançaises,mêmesilastructure du capital a évolué depuis et si la marque était, à l’époque de l’étude, contrôlée par un ac-tionnaireétranger.Ensebasantsurcetteméthode, lapartdu luxe françaisen 1991estestiméà47%,permettantàlaFranced’accéderàladominationmondialedusecteur.En2005,l’étude«Eurostaff»pourlaministèredel’industriel’évaluaità36%.

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Uneautreétudemenéeégalementen1995parleministèredel’industrie17 tente de montrer l’évolution de la profession et les caractéristiques propres au concept de mar-que.L’industriedu luxeétantclairementdéfiniepar : «unensembledemarques», ilestdoncplusfacilededélimiterlescontoursduluxeenspécifiantsiunemarqueappartientounon au secteur. Pour cela, leur première hypothèse est de dire :– Un produit de luxe est un ensemble : un objet (produit ou service) plus un ensemble de représenta-tions : images, concepts, sensations, qui lui sont associés par le consommateur, donc que le consom-mateur achète avec l’objet et pour lesquelles il est prêt à payer un prix supérieur à celui qu’il accepterait de payer pour un objet ou un service de caractéristiques fonctionnelles équivalentes, mais sans ces représentations associées.

La seconde vise à évaluer l’estimation du consommateur face à une marque et le cabinet établit une règle disant :– Le consommateur, même s’il ne sait pas dire pourquoi avec précision et selon des critères objectifs, sait si une marque est de luxe ou non.

Cetteméthode appliquée à un ensemble demarques a permis d’identifier 412marques,dont148étrangères.

Cette approche montre combien l’image de la marque, son patrimoine immaté-riel est ancré dans l’inconscient du consommateur. Une marque de luxe est empreinte de significations,enlevez-leset l’objetde luxeenperdraitquasi totalementdesavaleur.Laquestion alors est, quelle est cette valeur ajoutée propre au luxe ? D’où vient cette propriété presque mystique ? Qui confère à l’objet de luxe cette aura qui échappe au régime des biens ordinaires ?

4-Création et organisation du mythe de la marque

a-Édification du mythe

Comme nous venons de le voir, la seconde moitié du XIXème siècle a vu l’appa-rition d’un nouveau phénomène, celui de la marchandise. Avant cela le luxe était un objet d’art, en quelques années il a perdu son unicité et est devenu un objet de consommation. Onl’aprivédessignesquilecaractérisaitauparavant:l’identitédeceluiquilefabriquait,le lieu d’achat, le temps et les usages nécessaires à son obtention ; l’objet doit maintenant parler de lui même et trouver un discours censé racheter son statut d’objet industrialisé18. En maintenant le rêve, il va tenir à distance la banalité d’un réel qu’une approche trop éco-nomique pourrait en partie contaminer.

– La charge narrative et imaginaire : l’ADN Bruno Remaury nous montre dans deux ouvrages consacrés à ce sujet que dès

lors, l’objet de luxe produit en série cherche à échapper à son avatar industriel et à la sphère delamarchandise.Pourcela ilvaaffirmerdesqualités intrinsèquesconstitutivesdesonstatut d’objet unique et cumuler un grand nombre de charges narratives et imaginaires19.

Ceci va avoir pour conséquence l’apparition d’un discours rhétorique autour de la marqueetdel’objetdeluxe.Lesentreprisesvonts’octroyerunpouvoird’auto-qualification

17P.NGIRAUD,O.BOMSELetE.FIEFFÉ-PREVOST,«L’industrieduluxedansl’économiefrançaise»,étudeduministèredel’industrie,1995.

18BrunoREMAURY,Marques et récits. La marque face à l’imaginaire culturel contemporain, Paris, IFM-Regard,2004,p.15-16.

19BrunoREMAURY,«L’objetdeluxeàl’èredelareproductibilitétechnique»inLe luxe, Essais sur la fabrique de l’ostentation,op.cit,p.309

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et user de toute une sémantique soulignant leurs qualités supérieures. L’entreprise devient alors une maison, les consommateurs se transforment en amateurs et elle ne vend plus des produits mais bien des objets.C’estaussil’apparitiondes«récitsdemarque»oucommeonlenommeentermemarketingl’«ADN»delamarque.

Gilles Lipovetsky dit que la marque s’affirme comme un «lieu de mémoire».D’abordparlaperpétuationdessavoir-fairespécifiquesàlafabricationetparlapromotionetmiseenscènedesaproprehistoire.Cetravails’organiseautourdelaglorificationdufondateur-créateur20quiacréél’espritdelamarqueetdelafidélitéaustylequ’ilainstauré.Avec également la mise en place de codes de reconnaissance et la célébration d’évènements significatifspourlamaison.Laconstructiondel’imagedelamarquedeluxedevientdoncinséparabledelagestionsymboliquedesesracinesetdutravaild’édificationd’unmythe.

– La valeur économique et symbolique de la griffe Pierre Bourdieu et Yvette Delsaut21 poursuivent cette idée dans un article com-

mun où ils soulignent la capacité de l’immatériel à constituer une valeur. Ils démontrent que la«griffe»,sansrientoucheràlanaturematérielleduproduit,letransformeenobjetdeluxe et lui confère d’un coup une nouvelle valeur économique et symbolique. C’est la magie socialeduluxequiopèreune«transsubstantiationsymbolique».

Ils comparent le créateur au peintre, qui appose sa signature en bas de son oeuvre. Àunedifférenceprès,lepeintren’apasàsejustifierdeson«art»alorsquelecréateur,cou-turierdanscetexemplelà,doitluifairefaceàlastructurespécifiquedeladivisiondetravail.Eneffet,lesobjetssignésdesa«griffe»nesontplusréalisésparsamain,etcettedivisionsépare la fabrication du bien matériel de sa production symbolique. Ceci est encore plus flagrantdansleprincipedeslicences,commePierreBourdieuetYvetteDelsautledisent,quand Dior met son nom sur une paire de collant, son apport réel est minime et c’est bien le nom que l’on monnaye alors.

Le pouvoir de la griffe est rendu possible par un système de croyance collective oucommelesauteursl’appellentla«méconnaissancecollective»quinientlastructurequichangelesobjetsensymboles.Lecréateurestdétenteurd’uncapitald’autoritéspécifiqueetmobilise grâce à ça le champdans son ensemble (journalistes, critiques clients..) afinqu’ilsproduisentcetteformespécifiquedecapitalsymboliqueenproduisantlacroyance.

Cependant, il faut ajouter aux propos de Pierre Bourdieu et Yvette Delsaut que dans notre époque actuelle, le créateur (bien que très présent médiatiquement) n’est pas l’unique détenteur de ce capital d’autorité. Il a derrière lui une armée d’équipes qui en-couragent, promeuvent et distribuent ses créations et qui par conséquent jouissent de la capacité à sublimer la marque et d’entretenir le mythe.

Lesecretdusuccèsd’unemarquereposesur lafaçondontelle (se)communi-que.Commenousl’avonsvu,l’emploid’undiscoursspécifique,l’apparitiondelanotiond’ADN de la marque... correspondent à des stratégies de communication ayant pour but de renforcer toujours plus la légitimité des marques et de creuser l’écart avec les enseignes de consommationcourante.L’uned’entreelles,lestorytellingou«l’artderaconterdeshistoi-res » se base justement sur cet effet de croyance. Christian Salmon, dans son livre consacré ausujet,citelesproposd’AshrafRamzy,conseillerenmarketingquisedéfinitlui-mêmecommeunfaiseurdemythe.Pourlui:«lesgensn’achètentpasdesproduits,maisleshistoi-res que ces produits représentent. Pas plus qu’ils n’achètent des marques, mais les mythes et les archétypes que ces marques symbolisent »22.

Le storytelling pour une marque de luxe est la valorisation de son histoire, son hé-ritage et la mise en valeur de celui-ci par le biais de différentes manifestations (campagnes publicitaires, site internet, expositions autour des archives, évènements anniversaires...).

20SelonBrunoREMAURYdansMarques et récits. La marque face à l’imaginaire culturel contemporain, il existe plusieurs types de récits de marques : liés au temps, aux lieux, aux états (ex : l’enfance), aux personnages, aux savoir-faire, à la matière. Pour les marques de luxe, il s’agit principalement des récits tournant autour du temps, du personnage et du savoir-faire.

21PierreBOURDIEU,YvetteDELSAUT.«Lecouturieretsagriffe :contributionàunethéoriedelamagie » In : Actes de la recherche en sciences sociales.Vol.1,janvier1975.pp.7-36

22ChristianSALMON,Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, Éditions LaDécouverte,2008,p.32.

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Plus l’histoire de la marque est longue, moins les occasions et les moyens de la retracer ne manquent. C’est une mine d’or pour les publicitaires qui usent du marketing narratif non plus pour simplement convaincre le consommateur d’acheter, mais pour le plonger dans un univers, l’engager dans une histoire crédible qui va l’attacher émotionnellement à la marque. Il ne s’agit plus de séduire ou de convaincre mais bien de produire un effet de croyance.

A la lumière de ces explications, nous remarquons donc que ce qui fait la diffé-rence des marques de luxe est : la mise en évidence des propriétés de leurs produits sémio-tisés, la capacité de l’immatériel à conférer une valeur à l’objet, le travail de la marque dans ses récits et dans sa représentation, ainsi qu’une subtile mise à distance des objets.

Cette mise à distance, qui n’est pas à confondre avec le principe de rareté, rend le produit désirable et suscite son admiration. C’est également ce qui va nous permettre de d’argumenter sur l’idée que le luxe est la résultante d’un processus de sacralisation.

b-Sacralisation de la marque

L’analyse de l’étymologie latine du mot « sacer » se traduit par «séparation» oumise à l’écart. Cette distance précédemment énoncée, associée aux codes, aux rituels qui soutiennent la mise en scène du luxe permet donc de différencier le luxe de la consomma-tion ordinaire, mais aussi et surtout du haut de gamme.

-Le rapport au sacré comme dimension constitutive des marques Cette notion de sacralisation permet de qualifier tout un ensemble de codes et

rituels dont usent les promoteurs du luxe et que Jean-Michel Bertrand rapporte ainsi :«idéalisation et culte de l’objet, présentationdu créateur selon lemodèle du génie ins-piré, capable de vision d’avenir, de discours du futur, de prophéties auto-réalisatrices. » Plus, l’installationdu:«ritueldudéfilécommeunmomentdecommunion»,«constructiondeflagships23d’exception,templesmodernesetvéritableslieuxdecultepermettantdeglorifierla marque et les produits 24 ». Pour l’auteur, ces exemples font preuve d’une simple analogie entre luxe et sacré qui permettrait d’user de métaphores et d’amener un peu de profondeur àundispositifmarketing.Oubien,ils’agiraitalorsd’uneréminiscencedelienspossiblesappartenant à un temps lointain où le luxe prenait place dans le culte rendu aux dieux. Pour appuyer son propos il cite, lui aussi, Bruno Remaury25 qui, ne se contentant pas de ce rapprochement analogique, a tenté de révéler le rapport au sacré comme une dimension constitutive des marques de luxe. Il commente son propos en quatre points :

1)D’aprèsDurkheim,lesacrésedéfinitcommeune:«forceimpersonnelleetdif-fuse ». De ce point de vue, le luxe se présente comme une réalité transcendante qui est lié à son pouvoir d’éblouissement. Cette explication met en évidence le fait que l’on ait long-temps cru que l’étymologie de luxe était lié à luxe : la lumière.

2)Lesvaleursdelamarquedeluxepeuventchanger.Onestpasséd’unrégimedel’ostentation à celui de la modestie, de l’artisanat, de métiers avec un vocabulaire s’adres-sant aux initiés.Cen’estdoncpas le contenudes valeursqui suffit àdistinguer le luxemais un régime de croyance et un mode de présence . Le luxe s’organise sur un système de valeurs symboliques et immatérielles qui marcherait selon une confrontation de deux exi-gences:«lamiseàdistance(comptoirdeprésentation,vitrines...nécessaireàlacréationdel’aura) et la proximité que suppose le plaisir de la possession ainsi que la profanation réalisé dansl’achatd’une«marchandise».

23Anglicismedésignantungrandmagasinexclusivementdédiéàlamarque.

24 Jean-Michel BERTRAND, «Luxe contemporain et sacré» in Le luxe, Essais sur la fabrique de l’ostentation,op.cit,p.319à330.

25Danscesdeuxouvragesprécédemmentcités:Marques et récits. La marque face à l’imaginaire culturel contemporain,Paris,IFM-Regard,2004et«L’objetdeluxeàl’èredelareproductibilitétechnique»inLe luxe, Essais sur la fabrique de l’ostentation,op.cit,p.305à317.

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ChristianDioraubalcondel’avenueMontaigne.Lamaisons’estétenduesurcingimmeubles,l’empiresur cinq continents.

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« Je crois que personne n’a été capable comme Monsieur Dior de construire un tel langage stylistique en seulement dix ans »

Raf Simons, nouveau directeur artistique de Dior depuis avril 2012.

Lejourdel’ouverture,enfévrier1947.Aucentre,l’actriceRitaHayworthvenuespécialementpourl’occasion. L’âge d’or du couturier tout puissant est en marche.

©Maywald

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3)MiseenparallèleavecLa part maudite de Georges Bataille et les cérémonies du potlach des Indiens d’Amérique du Nord qui consistaient à détruire des objets de luxe pourobtenirprestigeetdistinctionàtraverslaperteetledéfi;lesmarquesdeluxeseraitcaractériséesnonpaspasladestructionsdesproduitsmaispar:«uneimagedeprodigalité,une propension à éblouir en jetant littéralement l’argent par les fenêtres », dans l’apparence desboutiques,lesdéfilésetlesévènementsexceptions,lescampagnespublicitairesàgrosbudget.

C’est cette caractéristique qui différencie le plus la marque de luxe. Elle va inves-tir de gros moyens non seulement dans la création de son produit mais dans tous les autres domaines qui vont le communiquer et l’amener jusqu’à son client. Il ne faut pas voir dans cecomportementlaseuleidéedetransformerlestatutdesamarchandiseen«propriétépositive de la perte » mais plutôt une forme de cohérence et d’exigence à donner le meilleur quel que soit le domaine qu’il la représente.

-Luxe et art contemporain où comment échapper à sa démocratisation Alors que l’industrie démocratise le bien de luxe, celui-ci est en mal de cette sa-

cralisation tant recherchée et instrumentalisée. Pour retrouver son statut de bien unique il vadevoiruserd’artificesquivontpermettredelarégénérer.

Que ce soit dans ses formes anciennes (la peinture religieuse au sommet de la hiérarchie des genres dans la peinture classique) ou bien dans sa représentation contempo-raine (Golden Calf : le veau d’or de Damien Hirst qui est selon certain le symbole de ce qu’est devenu le marché de l’art contemporain 26), l’art a toujours porté en lui cette dimension sacrée. Le musée fait partie des institutions chargées de produire cette sacralisation. Il isole certains objets du reste du monde, il les met à distance.

Les industries du luxe vont faire appel à ce producteur de sacralisation qu’est l’art contemporain pour générer de la différence, de la rareté par rapport aux autres biens consommables.SelonOlivierAssouly,enfaisantcecilesproduitscommercialisésobéiraientalorsàuneclassificationissuedelacultureartistique.C’est-à-direqu’onamèneraitici:«unapport de valeurs symboliques et esthétiques destinés à neutraliser toute perte due à l’in-dustrialisation du luxe et à métamorphoser le caractère profane de marchandise en valeur sacrée27 ». De plus, ce glissement du sacré opèrerait aussi sur les consommateurs de luxe qui severraientéleveraurangd’«amateurd’art».

Suite à cette énumération des divers critères d’une marque de luxe, nous compre-nonsdésormaisquecelle-ciévoluedansununiversspécifique,qu’ellepréserveetentretientafinde conserver sa haute valeur symbolique et immatérielle.Cela lui impose certainesrèglesetdedemeurercohérenteaveclesvaleursqu’ellesprônentdepuissacréation.Maisalors, comment lui est-il possible d’innover, de se renouveler alors qu’elle évolue dans un cadre cloisonnée par des impératifs de respect à la tradition, à l’histoire, à l’héritage?

26HarryBELLET,article«Unbusinessvieuxcommel’art»,M le magazine du Mondedu20/04/2012.

27OlivierASSOULY,article«Luxe»,op.cit.

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1-Définitiongénéraledel’innovation

a-Généralités

L’innovationestuntermetrèslargequidanslalanguefrançaiseestcourammentsynonyme de nouveauté. Ce raccourci sémantique a pour effet de vulgariser son usage et aujourd’huin’importequelproduituntantsoitpeunouveaupeutêtrequalifiéd’innovantalors qu’il n’apporte aucune réelle évolution. Il parait donc nécessaire de se pencher sur la définitiondecemottropsouventsur-employéetdontlesenjeuxdépassentdebeaucoupl’idée que nous nous en faisons.

Il y a beaucoup de définitions de l’innovation car il y a beaucoup de dimen-sions à prendre en compte (anthropologique, sociologique, économique, technologique...). Aujourd’hui,à cause de l’appropriation du terme par la pensée économique, l’innovation estcomprisesousuneformeplusrestrictive.Pournousguiderdanscetterechercheetafind’élaborerunedéfinitionquitendraplusversl’innovationcommeuneaptitudeàpenserplutôt que comme la création d’un avantage concurrentiel, nous nous appuierons sur les proposdeMarcGiget1.

Pourlui,l’innovationestl’acte:«d’intégrerlemeilleurétatdesconnaissancesdans un service créatif permettant d’aller plus loin dans la satisfaction des individus et de la société2».Cependantl’étatdesconnaissancesenquestionévolueextrêmementvite.Oncompteenviron10millionsdechercheursenRecherche&Développement,plusde15000articlesscientifiquessortentparjouret1milliondebrevetsontétédéposésen20083. Ce sont des avancées considérables mais qui ne sont pour l’instant que de simples rouages appartenant à un grand mécanisme de synthèse. L’innovation ne se forme pas seulement sur les avancées technologiques mais, nous le verrons, sur une combinaison de beaucoup d’autres atouts.

b-Théorie de la synthèse créative selon Marc Giget

Si l’on se reporte au dictionnaire philosophique4, l’innovation est un terme plus neutre qui remplace celui de progrès. Nous avons tendance à user indifféremment des deux mots alors qu’ils sont différents. Il faut d’abord préciser que le concept de progrès a vu le jour durant la révolution industrielle. À ce moment là, les contemporains de la Belle Époque ont une vision très positive de l’apport de la science et de la technique qui résou-dra bientôt tous les problèmes de la société (vaccination, agro-industrie, électroménager...). Onassisteàuneidéalisationsanspareilleduprogrèsavecladéesseduprogrèsoulaféeélectricitéetdescaféduprogrèsfleurissentunpeupartoutauxquatrecoinsdenosvilles5. MaistoutcetenthousiasmeeststoppénetdanssonélanaveclesgrandescatastrophesduXXème siècle (les guerres mondiales, le totalitarisme, les génocides) qui ont rendu la notion problématique et elle s’est petit à petit substituée à celle d’innovation. De plus, le progrès tel qu’il a marqué l’Europe à ce moment là, correspond aujourd’hui à une vision passée

1MarcGIGETestprofesseurtitulairedelachairedeGestiondelatechnologieetdel’innovationauCNAM,animateurdes«Mardisdel’Innovation»etdirecteurdel’Instituteuropéendestratégiescréativeset d’innovation.

2Citationtiréedesaconférence«Produitscultesetbest-sellers,lesecretdesgrandesinnovations»tenuàl’universitéParisDauphinele10avril2012.

3HubertGUILLAUD,«MarcGiget,CNAM:Iln’yaquedesinnovationsouvertes!»,articledu19/06/2009pour la Fondation Internet Nouvelle Génération sur http://fing.tumblr.com/post/126457749/marc-giget-cnam-il-ny-a-que-des-innovations

4Dictionnairephilosophique,Fayard,septembre2004.

5Propos tenusparMarcGIGETpour lesMardisde l’innovation, «Stratégiesd’innovationà laBelleÉpoque»,séancetenuele6mars2012aux«Voûtes»,Paris.

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et nous avons du mal à y inclure certaines problématiques actuelles comme l’écologie, le développement durable.

MarcGigetdansladémonstrationqu’ilfaitsurladifférenceentreinnovationetprogrès6, nous explique que pour lui l’un mène à l’autre. En effet, selon l’analyse qu’il a fait des différentes périodes historiques d’innovation7, il a remarqué que celles-ci s’organisaient entroisphases,d’abord:«unerévolutionscientifique(quirequiertuncertaintempscarilfautintégrerlasciencenouvelleàl’ancienne);ensuite,unerévolutiontechnologique;enfinune phase de progrès proprement dite, c’est-à-dire une période où, ayant compris comment cela marche, chacun va mettre les nouvelles avancées au service de l’homme ». Cette période s’appelle également , la synthèse créative, c’est le moment où l’innovation se concrétise dans un ou une série d’objets.

Pour exprimer la synthèse créative, il prend l’exemple de la cathédrale gothique quicontientàelleseuleplusde1100innovationsparrapportàlacathédraleromane.Maisquand on la regarde, on ne voit pas toutes ces innovations individuellement, on voit juste la synthèse des techniques qui a permis de l’ériger, c’est la convergence des technologies en une seule réalisation8.

Pourlui,leprogrèsestdonc:«lacristallisationdel’avancéedesconnaissancesauservice de l’homme9 ». Le chercheur et l’ingénieur tiennent une place déterminante dans l’évolution de la science et des techniques mais c’est le designer qui concrétise toutes ces découvertes dans des produits ou des services. Il précise ensuite que le design revient sys-tématiquement à chaque période de synthèse créative. Nous allons donc nous pencher un instant sur le rôle et les enjeux du design durant cette phase.

c-Place et enjeux du design dans l’innovation

Pour comprendre la portée du design, il semble bon de retourner à ses sources. OnentendsouventqueledesignremonteraitàShaftesburyen1748,maiscelaestseule-mentvraipourlemotanglais«design»etnonpourleconcept.

Le terme vient de l’italien «disegno», inventé par le peintre GiogioVasari vers1550 pour définir une nouvelle approche chez les grands concepteurs-innovateurs de laRenaissance.Pourlapremièrefoisonassistaitàunedémarchestructuréequiintégrait:«unephased’imagination,dedéfinition,deconception,d’essais,d’ébauche,detests,prélimi-naire à toute réalisation10 ». La conception est séparée de l’exécution. Les artistes de l’épo-que étant multi-compétents (peintres, sculpteurs, architectes, mathématiciens...), cette pha-seintégraittouteslesdifférentesfacettesdutravailde«conception-design»:lespremierscroquis d’abord pour l’esthétique puis ensuite pour les techniques, les calculs, les modèles et les valeurs humaines. N’oublions pas que cette période est celle de l’humanisme et que lanotiondeprogrèsprécédemmenténoncée,sedéfinitseloncesmêmevaleurs:l’hommemesure de toutes choses. Le progrès comme amélioration de la condition humaine.

Lasynthèsecréativereflètecettenotionenétant le rassemblementde toutes lesconnaissancesauservicedesindividus.Ledesign,quantàlui,intègrele«meilleurétatdesconnaissances dans des produits créatifs, il apporte sa sensibilité, sa capacité à les mettre en

6MarcGIGET,« La Net époque, deuxième âge d’or du progrès à la française ?«,Quelavenirpourleprogrès?, les cahiers Ernst&Young,n°13,mars2012,p.15.

7Àsavoirlesprincipalespourl’Europe:letempsdescathédrales,laRenaissance,larévolutionindus-trielle/Belle époque et l’époque actuelle du Net.

8CettemétaphoreestétrangementsimilaireàcelledelacathédraledeWilliamMORRISetdumou-vementArt&Craftsbasésur l’organisationdescorporationsmoyenâgeuses.Pour lui, lacathédraleestla représentation de l’union des diverses techniques et savoir-faire qui oeuvrent à la réalisation d’une entreprise commune.

9MarcGIGET,« La Net époque, deuxième âge d’or du progrès à la française ? « , Quel avenir pour le progrès ?, op.cit,p.16

10 Interview de Marc GIGET pour l’Institut Français du Design, propos recueillis parAnne-MarieSargueil.www.institutfrancaisdudesign.com/Popups/art775.htm

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harmonie dans l’intérêt de l’individu11 ».C’est donc en puisant dans ces origines là, que l’on découvre le design comme une

pensée, une conduite intellectuelle. C’est à cette période là que la pratique n’a plus été circonscriteàununique«faire»etestentréedansunerelationentrediscoursettechnique.Marie-HaudeCaraësvoitledesigncomme:«unétatd’esprit,unedisciplinequichercheàharmoniser l’environnement humain, réputé comme principal facteur d’humanisation des techniques12 ». Quand elle parle ensuite du rapport entre design et innovation, on retrouve lapositionde«cristallisation»desconnaissancesdeMarcGiget,saufqu’enplusdeprendreencomptel’essorcroissantdesnouvellestechniques,l’actededesignsedoit:«d’analyserles mécanismes d’appropriation de ces techniques par les individus et les collectifs, de concevoir les usages, les pratiques, la réalité des besoins (...), d’appréhender l’instabilité de l’utilisation des ressources etc. » Le design fait le lien avec l’individu.

SelonMarcGiget,l’enjeududesignaujourd’huiestletravaild’équipe.Troplong-temps, le design a été coupé de la phase de conception et n’était convoqué qu’à la findu projet pour donner une forme à un produit déjà pensé13. Il faut créer des rencontres pluridisciplinairesmêlantscientifiques,architectes,sociologuesetdesignerspourréaliserensembleuneœuvrecommune,enquelquesortelacathédraledufutur.

2-Le luxe et l’innovation

a-Constat actuelSelonuneenquête IPSOS14, les françaisvoient le luxecomme :enpremier,une

marqueà73%,puisunetraditionà63%,unsavoir-faireuniqueetintemporelà58%etenfinunetraditionfamilialeà55%.Autrementdit,personnen’envisageleluxecommeunepro-duction d’innovations, mais plutôt comme un héritage.

Cettevisionestpeut-êtredueouentoutcasaccentuéeparlefaitquelesFrançaisontdeplusenplusdemalàcroireauprogrès.C’estleconstatquefaitMarcGiget15 ; il ex-plique que cette désaffection vient du fait que nous vivons une période de transitions où les Françaisn’observentpasencorelesrésultatsde«l’effervescenceinnovatrice».Nousnousapprêtons à entrer dans une grande période de progrès et cela génère des questions et des craintes. Cette réaction est en partie due à un sentiment de nostalgie envers la splendeur perdue de la France. En effet, il fut un temps où à la Belle Epoque, la France imposait au mondesapropreidéeduprogrès(lesuccèsdel’expositionuniversellede1900enestleplusgrandtémoignage).Aujourd’huilesFrançaisontlesentimentqu’ilsnesontplusprécur-seurs de cette marche en avant, d’où la nostalgie de cette grandeur passée.

Cesentimentestuneopportunitédontprofitent lesmarquesde luxeenusantdelanostalgiecommeressortpublicitairedansuneperspectivede«consommationdelamémoire ». Ségolène Ferrand16parlemêmede«consommationpatrimoniale»marquéeparun ancrage profond dans la tradition et l’héritage des savoir-faire. Elle explique que cette

11ProposdeMarcGIGETdurant la conférenceDesignet Innovationn°2 à l’ENSCI le8novembre2005.

12Marie-HaudeCARAËSarticle« Quelle recherche en design ? » in Culture et Recherche n°121, automne-hi-ver2009«Recherche,créativité,innovation»,p.28à29.www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/lettre-recherche/cr121.pdf

13MarcGIGETdurantlaconférenceDesignetInnovationn°2àl’ENSCIle8novembre2005.

14CitéedanslaconférencedeMarcGIGETpourlesMardisdel’innovation«Luxeetinnovation»,tenule3avril2012àl’ESSECParis.

15MarcGIGET,« La Net époque, deuxième âge d’or du progrès à la française ? « , Quel avenir pour le pro-grès?,op.cit,p.15.

16SégolèneFERRAND,«Mémoireetconsommation :gestiondelanostalgie»,Repères de mode 2003, visages d’un secteur,Paris,InstitutFrançaisdelaMode-Regards,2003,p.290.

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nostalgie apparait en réponse à l’apogée de la production standardisée, lassé par la surcon-sommation et la médiocrité des objets qu’elle a engendrés, le consommateur recherche aujourd’hui l’authenticité.

Démarcherenforcéeparlarécentecrisequiachamboulélesmarchésfinanciers,le luxe a laissé tomber les stars et les paillettes pour faire vendre et a mis en avant ses métiers d’arts. Garants d’une qualité indéniable par rapport à l’industrialisation massive, ils sont aussi un parfait support narratif pour les marques. Louis Vuitton, Gucci, Hermès (bien qu’il n’ait jamais cesser ce discours)... l’ont bien compris et utilisent leur héritage pour créer la fameuse valeur immatérielle chère au secteur à travers nombre de campagnes publicitaires17.

Orbienqu’ilsoitlouabledemettreenlumièrecesmétiersraresetprécieux,lamanière utilisée est-elle la bonne ? Est-ce qu’à force de jouer sur la grandeur passée des institutionsfrançaisesduluxe,celles-cinerisquent-ellespasdes’enfermerdansunevisiontrop passéiste ?

b-Le paradoxe Il existe en France une opposition mal fondée entre tradition et innovation. Nous

l’avons bien compris, le luxe revendique son patrimoine traditionnel et s’appuie scrupu-leusement dessus tant au niveau des produits que des procédés. Un positionnement qui est cependant cohérent car ce que recherche le client dans le luxe, c’est en grande partie la tradition18.

Orà trops’enfermersurunhéritage, lesmarquesde luxesecondamnentàunemort lente. Elles doivent être capable d’intégrer les changements de la société ainsi que les nouvelles manières de faire. En les occultant elles se replient sur la transmission à l’iden-tique19.Certaines,campéessurunedéfinitiontroprestrictivedeleurmétieretsurl’exal-tation de leurs techniques traditionnelles, se croient protégées. Si elles refusent de mêler leur culture aux nouvelles technologies, elles se retrouveront progressivement marginali-sées20. Néanmoins, cette prise de conscience ne se fait pas dans le mépris du passé, bien au contraire.Toutledéfidel’innovationpourlesmarquesdeluxeestdeserenouvelertoutenconservantl’héritageetlesacquislonguementaccumulésaufildutemps.

MarcGiget(toujours),nousexpliquequ’innoverc’estchangerenrestantsoi-même,en gardant l’esprit. Cet esprit est fondamental car c’est grâce à lui que les marques vont pou-voirserenouveler.Exemple:resterfidèleàleursvaleursmaisencontrepartieutiliserlestechniques les plus avancées pour être en phase avec le moment présent21.

c-Légitimité/Identité

Cette notion d’esprit,defidélitéàsoi-mêmeentreenrésonanceavecladémons-tration qu’Elyette Roux fait des principes de légitimité et d’identité des marques de luxe22.

17ClaireCOLASarticle «Quand lesmarquesde luxevalorisent l’artisanat :décryptagedes récentescampagnesdeLouisVuittonetGucci»,le8mars2011surhttp://clairecolas.wordpress.com/2010/03/08/quand-les-marques-de-luxe-valorisent-l’artisanat-decryptage-des-recentes-campagnes-publicitaires-de-louis-vuitton-et-gucci/

18ProposdeMarcGIGETpourlesMardisdel’innovation«Luxeetinnovation»,op.cit.

19ProposdeMarcGIGETpourlesMardisdel’Innovation«Culturedel’innovation,cultureetinnova-tion»,séancetenuele18octobre2011aux«Voûtes»,Paris.

20 Marc GIGET, «L’innovation dans l’entreprise»,Stratégies de conception pour l’innovation/Référence 42127210,basedocumentaireenlignetechniques-ingénieur.fr,publiéle10janvier2007.

21ProposdeMarcGIGETpourlesMardisdel’Innovation«Culturedel’innovation,cultureetinno-vation » op.cit.

22ainsiquetouteslesprochainescitationsàvenir:GillesLIPOVETSKYetElyetteROUX,le luxe éter-nel,op.cit,p.158à162.

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A travers l’analyse de ces notions, nous verrons comment elle considère que cette idée différencielesmarquesdeluxedecellesdeconsommationcouranteetjustifieleurvaleurajoutée.Cepositionnementestlefilconducteurquiaguidélesmarquesàtraversletemps,ainsi que la position à tenir pour perdurer.

Commençonsalorsparleconceptdelégitimitéquicommel’indiquesadéfinitionsignifie:«consacréouadmisparlaloi,conformeàl’équité,àlajustice,àlaraisonainsiqu’àl’autorité.»MaxWeber23 distingue trois types de légitimité différente : le type rationnel-lé-gal, le type traditionnel et le type charismatique. En appliquant cette typologie aux marques de luxe, nous pouvons isoler deux légitimités d’ordre différent : soit par la tradition (légi-timité traditionnelle), soit par la création (légitimité charismatique). Ces deux conditions là ont été nécessaires pour asseoir et diffuser la suprématie des grandes marques. Nombreuses sont celles qui ont établi leur légitimité autour de ces notions fortes.

Pourcellesserevendiquantde:«latraditionetdusavoir-faireassociésàlamai-trise d’un métier », il s’agit de démontrer une qualité d’exécution unique lié à une tradition manufacturière.C’estlecaspourlemétierde«sellier»chezHermès,celuide«malletier»chezVuitton,«bijoutier»pourCartierouencore«parfumeur»pourGuerlain.

Cettelégitimitéestdoncétablieparunetraditionartisanaleet«maintenuedélibé-rément dans et par la durée. »

Laseconde légitimité s’appuieelle sur «la créationavec le talentcréatiforiginalsans cesse renouvelé du créateur-fondateur » comme c’est le cas de beaucoup de couturier avec par exemple Coco Chanel, Yves Saint Laurent, Christian Dior...

Elyette Roux précise cependant que ces critères de légitimité sont en partie l’exclu-sivitédesmarquesfrançaises.Lesitaliennesetaméricaines,bienquedegrandesconcur-rentes,nedisposentpasd’un«passé»,d’unelongévitésuffisantepourfaireautorité.Dansledomainedelamodeetdel’accessoire,seuleslesmarquesfrançaisessontàcestadelàde l’histoire.

Mais,sicesfondementshistoriquesontétélesconditionsdel’affirmationdeleurlégitimité,conditionsautrefoisnécessaires,ellesnesontmaintenantplussuffisantes.Ilfautaujourd’hui ajouter, comme facteurs clés du succès d’une marque, la capacité à communi-querune«identitéclaireetlisibleprojetéedansletempsetdansl’espace,unoudeuxpro-duitsphares(...)aisémentidentifiablesetattribuablesàlamarqueetunecultureinnovatriceassociée à des processus de gestion rigoureux ». Toutes ces conditions impliquent une vision à long terme aussi bien qu’un ancrage dans l’actualité.

Pourréussircepari,lanotiond’identitésembleessentielle.«Caractèredecequiest un, de ce qui demeure identique à soi-même ; c’est le fait pour une personne d’être tel individu et de pouvoir être reconnu comme tel, sans nulle confusion grâce aux éléments qui le singularisent », ce terme suppose l’unicité, la permanence, la continuité.

Selon la définitionde l’identité selonGreimasdansSémiotique : dictionnaireraisonné de la théorie du langage24,leconceptd’identités’opposeàl’altérité:«l’identitésertàdésignerleprincipedepermanencequipermetàl’individuderester«lemême»,depersisterdansson«être»toutaulongdesonexistence(...)malgréleschangementsqu’ilprovoque ou subit (...), malgré les transformations de ses modes d’existence ou des rôles qu’il assure ».

23MaxWEBER,Économie et Société,tome1,1956,pourl’éditionallemande,etPLON,«AgoraPocket»,1995.

24 J.A GREIMAS, et J. COURTÉS, Sémiotique. Dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Paris, Hachette,t.II,1993,p.177-178.

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Ajoutonsàcelaladéfinitionqu’endonnePaulRicoeurdansSoi-mêmeunautre25. Pour lui l’identité ne renvoie pas seulement à la dimension de «mêmeté» (idem), car ilconsidèrel’identitécommedurableetdonclogiquementconstituéde«même»maisaussidu«soi»(ipse)pourquelanotiondesoi-mêmepuisseexister.

Jean-MarieFlochdansIdentitésVisuelles26analyseladéfinitiondePaulRicoeurenla décomposant de la manière suivante :

1-La permanence dans le temps, la continuité sont des critères qui permettentd’identifier ce que Paul Ricoeur appelle le «caractère», soit l’ensemble «des disposi-tions distinctes durables à quoi on reconnait une personne » donc ce qui correspond au «même»(idem).

2-Lavariationdesactionsindividuelles,leschangementsetinnovationsetdonclesdiversesfaçonsd’êtrefidèleàsesvaleurs,cellesparlesquellesonsereconnaitafinderester«soi»etassurerlemaintiende«soi-même»(ipse).

Toutecettedémonstrationmontrequec’estenrestantsoi-même,enrestantfidèleà ses valeurs fondamentales et ce même aux travers des changements que la marque de luxe trouve une solution cohérente pour marier innovation et tradition. Elyette Roux le résume d’ailleurstrèsbienàlafindesonpassagequandelledit:«L’identitéestlapermanencesousleschangements,(...)l’invariancesouslesvariations,(...)c’estenfincequirendunedisconti-nuité continue, c’est ce qui connecte le déconnecté. » Travailler sur l’identité d’une marque revientdoncàchercher:«lapermanencesouslesruptures,leschangements,l’innovationpour en saisir le sens ».

Éthique/Esthétique

Pourarticulerunedéfinitionspécifiquedu luxeetafindecomprendrepleine-ment sa différence, Elyette Roux intègre à son raisonnement les notions clés indissociables : celles d’éthique et d’esthétique propres aux marques de luxe. En supposant le luxe comme unefaçond’être,unemanièredevivreplutôtqu’onunefaçondefaire,oncomprendsalorsmieux la cohérence qui unit les produits à la marque.

L’éthiquesedéfinieparunesortedemoraleintime,unelignedeconduitequel’on se donne à soi-même grâce à nos propres critères moraux. L’éthique est endogène, de l’ordre du vouloir personnel, alors que la morale est exogène, de l’ordre du devoir prescris par la société.

DanssonlivreHomoaestheticus,LucFerryrappellequel’esthétiqueaétédéfi-nieen1750parBaumgartencomme«lasciencedelaconnaissancedusensible».C’estàcemomentquelebeaucommenceàêtrepenséentermedegoût:«Aumomentoùlebeauestsiintimementrapportéàlasubjectivitéhumainequ’àlalimiteilsedéfinitparleplaisirqu’il procure, par les sensations ou les sentiments qu’il suscite en nous27. » À cet instant, ce n’estplusparcequeensoi,unobjetest«beau»qu’ilplaîtmais,c’estparcequ’ilsusciteuneémotion,uncertainplaisirqu’onledéfinitainsi.

Photopage28/29:«Unhomme.Unepassion.Unrêve.GuccioGucciavéculaviedesartisansdanslaFlorence de 1921.Authentique. Inaltérable.Tourné vers la perfection. Son esprit inspire aujourd’huinostraditions.Labeautédecequ’ilavaitentreprisanimedesgénérationsd’artisansdepuis90ans.Sondésir de créer des pièces intemporelles habite chacun d’entre nous. Il évoque notre passé tandis que nous construisons notre futur. Et nous invite à perpétuer son héritage iconique - maintenant et pour toujours. »Citationtiréedelacampagnedepublicité«ForeverNow»parueenfévrier2010pourGucci.© Foto Locchi.

25PaulRICOEUR,Soi-même comme un autre,Paris,Éd.duSeuil,1990,p.137sq.danssonétudesurl’iden-tité personnelle et l’identité narrative.

26Jean-MarieFLOCH,Identités visuelles,Paris,P.U.F.,1995,p.40.

27LucFERRY,Homo aestheticus. L’invention du goût à l’âge démocratique,Paris,Grasset,1990,p.33.

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L’exemple Chanel

BenoîtHeilbrunn28 qui a également analyser ces notions, entend alors la notion d’éthique:«ausensd’organisersaconduiteentendantverslaréalisationdesvaleursquel’onsedonne»etcelled’esthétiquecomme:«uneapprochedel’universsensible,c’est-à-diredessens,impliquantune«visiondemondeetdurapportdesoiaumondesusceptiblede communiquer une émotion. »

Enajoutantque:«leluxes’inscritdanslacapacitéd’êtretoutàlafoisdansletemps et hors du temps »29, autrement dit la notion d’intemporalité, il prends pour exemple Chanel pour commenter l’articulation d’un projet éthique à une esthétique.

Chanel possède certains éléments de reconnaissance instantanée qui fondent son

patrimoine spirituel : la veste en tweed du fameux tailleur, le sac matelassé, l’escarpin, le caméliapourn’enciterquequelquesuns.Ilssontcequ’ElyetteRouxnomment:«lesinva-riants esthétique de Chanel30».Jean-MarieFlochamontrédanssonouvrageconsacréàcesujet que l’identité Chanel pouvait se comprendre par rapport à l’idée du total look, c’est-à-dire le maintien dans le temps d’une silhouette hors du temps31. À travers ce discours vestimentairequine se réduitpas àun simple ensembled’identifiants, lamarqueparlede la silhouette créée par Coco Chanel. Voilà qui nous amène à parler alors des invariants éthiques de la marque.

Le total look de Chanel repose sur l’identité stylistique de la créatrice, autrement dit sa vision du monde et de la femme et à ce moment là sur son rejet catégorique de la modefémininedesannées20-30.DictéeparPaulPoiret, lestyledel’époqueenfermelafemme et fait d’elle un objet de pure décoration, à l’exact opposé Chanel, quant à elle, rejette dans la mode féminine tout ce qui ne correspond pas à une véritable fonction du vêtement : porter, marcher, travailler, courir, faire du sport... Pour elle le vêtement doit être pratiqueetconfortable,elledit:«Jetravaillaispourunesociéténouvelle.Onavaithabilléles femmes inutiles, oisives, des femmes à qui leur camériste devait passer les bras. J’avais désormais une clientèle de femmes actives, une femme active a besoin d’être à l’aise dans sa robe. Il faut pouvoir retrousser ses manches32. » Coco Chanel est elle-même la représenta-tion de cette femme moderne et de sa quête de liberté.

Pour servir cette image, elle va par ailleurs utiliser les éléments signifiants duvestiaire masculin : le jersey, le gilet rayé, le béret, le pantalon, la cravate et les cheveux courts, soit autant de représentations du monde de l’homme et du travail. L’identité dis-tincteetsingulièredeChanelreposealorssur:«prendrecequisignifiemasculinettravail,et le transformer en son contraire, féminin et luxe, en revendiquant des valeurs de libertés féminines33. »

L’analysedesinvariants«chanéliens»montredesconstantesetunepersévérancelié à l’éthique et à l’esthétique instaurées par Coco. Dès lors on peut comprendre ce qui, au delà de la disparition de la créatrice, a assuré la pérennisation de la marque grâce à une création renouvelée qui est en même temps ancrée dans l’identité de la marque.

Aujourd’huiKarlLagarfeldproposedesré-interprétationspersonnellesdecetteéthiqueclairementidentifiéeetprojettedenouveauxmodèlesbaséssurcesystèmedeva-leurs et en phase avec l’époque.

Dans une interview pour Chanel News34 réalisée à propos de la nouvelle col-lection croisière 2012/2013 présentée le 14 mai 2012 àVersailles, le journaliste interroge

28BenoîtHeilbrunn,«Commentpenserlamarquedeluxeàl’âgedeladémocratisationduluxe?»inLe luxe, Essais sur la fabrique de l’ostentation,op.cit.,p.426.

29BenoîtHeilbrunn,ibid.,p.427.

30GillesLIPOVETSKYetElyetteROUX,Le luxe éternel,op.cit.,p.180.

31Jean-MarisFLOCH,L’Indémodable total look de Chanel,Paris,IFM-Regard,2004.

32CitéparJean-MarieFLOCH,Identités visuelles,op.cit.,p.112.

33 GillesLIPOVETSKYetElyetteROUX,Le luxe éternel,op.cit.,p.184-185.

34http://chanel-news.chanel.com/fr/

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KarlLagarfeldàproposd’uneillustrationqu’ilafaitpourillustrerlelivreChanel,savie35. Surcelle-ci,CocoChanelluidemande:«Quelcrimeallezvouscommettreenmonnom?»,le journaliste rebondit en lui demandant quel crime pense-t-il avoir commis lors de ce défilé.KarlLagarfeldprendpourexemplelamini-jupeenjean,ellen’ariendenouveau,il en fait déjà depuis vingt ans mais Chanel l’avait en horreur. Cependant, il ajoute qu’en son temps Chanel faisait des robes en jersey, matière de sous-vêtements d’hommes et qu’à l’époquecelachoquaiténormémentmaisChanel,elle,trouvaitçaformidable.Parcetexem-pleKarlLagarfeldnousmontrecommentilaré-interprétélasignaturedelamaison,etilconclutendisant:«Jecroisquelamodernitéetlabeautéclassiquepeuventêtreassociéeset mélangées par Chanel. »

3-Les points communs

a-La culture du meilleur état de l’art et du métier

Suite à ces exemples, nous comprenons que ce qui va permettre à une marque de luxe d’innover tout en respectant sa tradition originelle est l’importance de la cohérence dontellefaitpreuve.Leschangementsqu’elleopèredeviennentlégitimess’ilssontfidèlesàl’esprit de la marque. De plus, elle fait preuve d’une considérable exigence à appliquer cette ligne de conduite à toutes les diverses formes sensibles par lesquelles elle se manifeste : innover, c’est changer en restant soi-même.

Cette dernière idée nous amène à penser que, somme tout, luxe et innovation ne sont pas si antinomiques que ce que la conscience collective pourrait penser. En effet, MarcGigetvoitl’innovationcomme:«laculturedumeilleurétatdel’artetdumétier»36 dans l’objectif de voir plus loin. Ceci est une constante, une discipline que l’on peux fa-cilement rapprocher des exigences de certaines maisons de luxe qui se revendiquent des meilleursmatériaux,desmeilleuresfaçonsdefaire,desmeilleursartisans...Danssaconfé-rence consacrée au sujet37, il illustre son idée en démontrant qu’on ne trouve principale-ment que des objets de luxe en allant au musée, c’est-à-dire que l’on y expose ce qu’une so-ciété a su faire de mieux à un moment donné. Il voit dans le luxe une harmonie d’ensemble, un accord parfait qui fait de lui le meilleur état de l’art sans compromis.

Cette intransigeance dans la quête du meilleur nous permet d’introduire une propriété (que je pense) essentielle du luxe et qu’Elyette Roux nomme le refus du tout économique.

b-Le refus du tout économique

L’éthique du luxe considère comme des valeurs l’absence de nécessité mais aussi l’absenced’unetotalemaîtrisesurlemonde,autrementditquetoutnesoitpasdisponibleimmédiatement. Le luxe accepte voire parfois revendique un non-pouvoir sur le monde (les matériauxsontrares,onnemaîtrisepasletempsderéalisationd’unobjetfabriquéartisana-lement...)Cequesignifiele refus du tout économiqueestdonclerefusdutoutmaîtrisable.Oril est compliqué pour une marque qui tend à perdurer de nier l’économie qui est le principe

Photopage32:KarlLagarfeldsereprésenteentourédesinvariantsstylistiquesChanelaveclaquestion«Notwhatbuthownext»,autrementditnonpasquoi faire mais comment le faire, comment composer avec ce passé ? © Karl Lagarfeld.

Photopage33:LestyleCocoChanel,oulemaintiendansletempsd’unesilhouettehorsdutemps.© Man Ray

35JustinePicardie,illustrationsKarlLAGARFELD,Chanel, sa vie,Éd.Steidl,2011.

36 Marc GIGET pour les Mardis de l’innovation, «Culture de l’innovation, culture et innovation»,op.cit.

37MarcGIGETpourlesMardisdel’innovation«Luxeetinnovation»op.cit.

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même de sa gestion. La voilà au milieu d’un paradoxe qui l’oblige à concilier le principe vital d’économie et son refus du tout économique.

L’esthétiquepeutsedéfinircommel’approchedel’universdusensible,ellefaitappel à nos sens. Ceci implique posséder une vision du monde capable de communiquer uneémotion.L’esthétiquedu luxeparlede raffinement,desubtilitéetdequêtedeper-fection. Il s’ensuit donc une valorisation des savoir-faire et de la culture mais aussi une définitionpossibledestraitscommunsdetoutl’universsensibleduluxe.Celaneveuxpasdire qu’on puisse limiter l’esthétique du luxe à un style (baroque, classique ou autre) mais celamontrentque:« lecaractèreaccompliedutravail, l’effetdetotalitéet lacohérencedes diverses formes du sensible qu’il prend38 » sont d’autant de traits qui caractérisent cet univers.

Cette cohérence des représentations sensibles, déjà évoquée auparavant porte le nom de synesthésie39. Vue comme une recherche de perfection, elle est présente tout le long du parcours du produit de luxe, de la production à sa communication, puis son emballage, sadistributionetenfinsaconsommation.

Afindemieuxcernerlanotiondurefus du tout économique, voyons comment celui-cisemanifestelorsdelaproduction.Exemple,ilsignifieleconsentementparlamarqued’user de matières dont la qualité et la quantité ne sont jamais complètement prévisibles : rareté du cuir ou des pierres précieuses, aléas climatiques pesant sur une récolte, le temps volontairementlaisséàlaréalisationd’unobjetartisanaletau«plaisird’exécution»qu’ilprocure.

De son côté, dans sa dimension esthétique, il se manifeste par la conception d’ob-jets parfaits et dans la création d’un univers de la marque démontrant un monde sensible cohérent.Prenonsl’exempled’Hermès,poursesfameuxsacsKellyiln’utilisequelapartiecentraledespeaux.Lepoint«sellier»particulieràlamarqueesttoujourscousuàlamainpar les artisans des ateliers de Pantin en France, son lieu d’origine. Les peaux de crocodiles utilisées sont polies naturellement avec une pierre semi-précieuse pendant plusieurs heu-res pour révéler de vernis naturel de la peau (et non pas avec une simple couche de vernis). Ce n’est pas un exemple isolé, Vuitton continue de coudre ses sacs à la main et fabriquer les commandes spéciales dans ses ateliers d’Asnières. La Haute Couture, bien qu’en faillite, continue à réaliser ses modèles aux mesures des clientes et certains parfumeurs comme Guerlain se refusent à utiliser des parfums de synthèse dans leurs eaux.

ElyetteRouxaffirmequecettedoubledimensionéthiqueetesthétiqueduluxepermet de ne plus voir comme un paradoxe le fait que celui-ci puisse encore être appré-cié de nos jours et qu’il ne soit plus assimilé à un simple désir ou souci d’ostentation40. Ces deux dimensions doivent également être respectées tout le long du processus de pro-duction-distribution-consommation et obligent à faire preuve d’une très grande rigueur et d’une extrême cohésion dans la gestion de la marque. En effet, dans l’actuelle surabondance desmarques,leconsommateurdeplusenplusexigeantresterafidèleàunemarqueseule-mentsicelle-ciluiprouvequ’elleestégalementfidèleàelle-même.

ElyetteRouxconcluesonanalyseendéclarantque:«danslestempsàvenir,les marques se devront de respecter un double impératif : d’un côté, se renouveler sans cesse, en étonnant encore et toujours le consommateur ; de l’autre, offrir des créations, une image, des valeurs, une vision du monde, s’imposant à l’oeil et à l’esprit comme une évidence à partager 41. »

38 GillesLIPOVETSKYetElyetteROUX,le luxe éternel,op.cit.,p.169-170.

39 Phénomène neurologique qui prend en compte et associe tous les sens entre eux.

40 GillesLIPOVETSKYetElyetteROUX, le luxe éternel,op.cit.,p.176.

41Ibid.,p.177.

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c-L’antithèse tradition/innovation, une opposition mal fondée

Pour en revenir aux similitudes que partagent l’univers du luxe et l’innovation, il semble bon de reconsidérer l’antithèse tradition/innovation inhérente au secteur.

Toutd’abord,petitrappel:lemot«tradition»(enlatintraditio«actedetransmet-tre ») vient du verbe tradere,«fairepasseràunautrelivrer,remettre».LedictionnaireLittré delalanguefrançaisedistinguedifférentssensprincipaux,parmieux:«Actionparlaquelleonlivrequelquechoseàquelqu’un»;«transmissiondefaitshistoriquesdedoctrinesreli-gieuses,delégendes,d’âgeenâgeparvoieoraleetsanspreuveauthentiqueetécrite»;«toutce que l’on sait ou pratique par tradition, c’est-à-dire par une transmission de génération en génération à l’aide de la parole ou de l’exemple. » Cependant, contrairement à ce qu’on croit, la tradition ne se borne pas à la simple conservation ni à la transmission des acquis antérieurs.Danssadéfinition,RenéAlleauexpliquequ’eneffetelle intègre,aucoursdutemps, des existants nouveaux en les adaptant aux anciens. Sa nature n’est pas seulement pédagogique ou idéologique mais relève de la dialectique et de l’ontologie42. De ce fait, elle évolue, elle adapte la continuité de ses acquis anciens à la discontinuité de ses découvertes, de ses inventions. De plus, une invention qui ne serait pas transmise devrait être sans cesse réinventée et inversement, en l’absence de nouveaux acquis, les traditions de la préhistoire seraient encore les nôtres et notre culture actuelle n’existerait pas.

CetteidéerejointcelledeMarcGigetquiaffirmeque:«lagrandetraditionestune innovation qui vient du passé, tellement forte qu’elle est parvenue jusqu’à nous43. » Les innovations qui n’en étaient pas vraiment ne nous sont jamais parvenues. En appliquant cette logique aux marques de luxe, on comprend que les grandes maisons toujours en acti-vité sont en effet celles qui ont su innover et s’adapter à leur époque.

Hermès,desonmétiersellier,pressentantlafindel’èreduchevalfaceàcelledel’automobileasudiversifiésonactivitéenlatournantverslamaroquinerie.Lamarqueadéplacé son savoir-faire dans un autre champ tout en restant cohérente avec sa maitrise ducuir.Elleréitèreen1937aveclepremiercarrédesoie,matièrejusqu’alorsutiliséepourla confection des casaques de jockey et en accord toujours avec l’univers équestre de la maison.

Il en va de même pour un autre maroquinier, Louis Vuitton qui a révolutionné la bagagerie. Il passe de la malle bombée à la plate qui se range plus facilement dans les coffres desnouvellesautomobiles, il l’allègeenremplaçantlecuiralorsutiliséparunenouvelletoile imperméable où il apposera plus tard son monogramme pour lutter contre la contre-façon.Maislamaisonn’enestpasrestéelà,aujourd’huiilexisteungapentrelesprocédésutilisésparLouisVuitton,malletieren1854etceuxdel’actuelleentreprise,leadermondialde la bagagerie, qui, tout en garantissant une qualité irréprochable, se situe à la pointe des technologies de production, avec notamment des contrôles électroniques de process en continu, de la découpe laser et des automatismes très poussés.

NotrespécialisteMarcGigetaffirmequesilesentrepriseslesplusdynamiquesontune forte conscience de la nécessité d’innover, il n’en va pas de même pour celles reposant sur des métiers de longue tradition. Elles se pensent protégées par la prédominance de leurs techniques anciennes alors qu’en refusant le maillage de leur culture avec les technologies nouvelles, elles se marginalisent et peu à peu disparaissent 44.

Photo page de droite :Enhaut:Faisantofficedepionnierdanslemondedelamode,lamaisonHermèsimporteenFrancelesystème de la fermeture éclair et l’appose pour la première fois sur ses sacs destinés à l’automobile.photo : Zip , Hermès catalogue 1922 “À la gloire de la fermeture Éclair” ©Draeger Frères

Enbas:Motifsdescarrés«HermèspourColette»,impriméspatchworkouàpois,lethèmatiqueéquestrereste toujours présentes. © Matt Irwin

42RenéALLEAU,article«Tradition»,inUniversalia 2011, Encyclopaedia Universalis.

43 Marc GIGET pour les Mardis de l’innovation, «Culture de l’innovation, culture et innovation»,op.cit.

44MarcGIGET,«L’innovationdansl’entreprise»,Stratégiesdeconceptionpourl’innovation,op.cit.

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«Pourunemarque,innover,c’estrelancersaproprelégende45 ». C’est recharger le potentiel de la marque et tenter de la positionner en leader mondial d’aujourd’hui. En ne le faisant pas, la marque dérive, joue sur une grandeur passée pour vendre des produits qui ne sont plus ce qu’elle pourrait faire de mieux. Prenons l’exemple de l’horlogerie où de nombreuses entreprises ont refuser le maillage avec la technologie : mécanique de précision et électronique, conception assistée par ordinateur, production automatisée... et n’ont pas pusurvivre.L’entrepriseLip,quiapourtantinnoveraveclamontreàquartz,aluttercontrel’arrivéedel’électroniqueetaduserepliersurlehautdegamme.Marquederéférencedanslesannées70,elleestaujourd’huipratiquementinconnuedesplusjeunes.

Il faut comprendre alors que l’innovation est une prise d’initiative, une contribu-tionàl’évolutiondescodesd’unmétieretparfoismêmesaredéfinition.

En analysant ce schéma 46,nousremarquonsquetouslesverbeen«RE»représen-tent,lamaîtriseautrementditlaconnaissancedetouteslesrèglesdecequ’onatoujoursfaitetleurtransmission.Puisenmaîtrisantparfaitementcemétieretenintégrantleprogrèsdelaconnaissanceetleschangementsdelasociété,onsedirigeverslesverbesen«IN»quiapportent leurs contributions à l’évolution du monde.

Lesmarquesdeluxepossèdentcettemaîtriseissuedeleurlonguetradition,ellessont expertes mais c’est au niveau de la non-évolution de ces procédés de fabrication que se situe le risque majeur d’obsolescence des compétences de l’entreprise. Il y a souvent en effet une assimilation entre le produit traditionnel et son procédé de fabrication hérité du passé,laqualitédupremierétanttotalementidentifiéeaustrictrespectdusecond47.

L’attachement à la tradition ne doit donc pas être interprété de manière trop res-trictive. Une fois que le procédé initial a été mis au point, il correspond au meilleur état de la technique, des outils et des matériaux disponibles du moment. Un siècle après nous com-prennonsbienqueceux-ciontévoluéetcen’estpasêtrefidèleauxanciensconcepteursquedefigerlesprocédésennetenantpascomptedespossibilitésnouvellesqueceux-ciignoraient(lesnouveauxmatériaux,laCAO,l’automatisation...).

L’innovation, c’est l’envie d’aller plus loin sans rejeter ce qui se faisait avant, c’est proposercequisefaitdemieuxdanssondomaineenmariant lamaîtrise traditionnelledu métier aux évolutions technologiques. La marque propose à son client ce qu’elle est capable de faire de mieux pour satisfaire ses attentes et en respectant les valeurs que tout deux partagent. C’est ici que les valeurs de la marque, vues plus haut, prennent leurs sens. Prenons un exemple, les conducteurs de voitures de sport type Porsche ou Lamborghini. Ils n’attendent pas que leur marque leur propose une voiture moins chère ou plus polyvalente. Ils veulent ce que prône les valeurs de la marque à savoir un mélange de performance alliée au luxe et à la sportivité, il attendent que la marque viennent à eux avec ce genre de produits toujours plus évolués mais pas avec autre chose de différent.

45InterviewdeMarcGIGETpourl’InstitutFrançaisduDesign,op.cit.

46TirédelaconférencedeMarcGIGET«Culturedel’innovation,cultureetinnovation»,op.cit.

47MarcGIGET,«L’innovationdansl’entreprise»,Stratégiesdeconceptionpourl’innovation,op.cit.

RestaurerRéparerReproduireRénoverRéhabiliter

InventerInnoverInitierInaugurer

Progrès de la connaissance Évolution de la société

=la maîtrise

=l’initiative,la création

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Un produit culte fabriqué il y a dix ans de cela, même s’il est toujours un succès et déjà un peu dépassé. Il correspond à ce qu’on faisait de mieux avec la technologie d’il y a dixanspourlesconsommateursdecetteépoque.MarcGiget:«Innoverpourresterleader,c’estchangeruneéquipequigagne,autrementditc’esttrèsdifficileàfaire48. » Un procédé aussioriginaletefficacequ’ilsoitdoitêtrerégulièrementrevuetadaptéselonlesnouvellesconnaissances pour améliorer sa qualité et assurer sa pérennité.

d-Le souci de cohérence.

L’innovation n’est pas seulement une question de management, c’est avant tout la maitrise de son métier. Nous l’avons vu, le luxe se différencie des marques de grande consommation par l’exigence et la qualité dont il fait preuve dans toutes les formes qu’il prend. Les marques, bien qu’ayant étendu leur offre à tout un panel de domaines, tendent à rendre celle-ci aussi homogène et cohérente que possible. Pour que le consommateur saisisse l’innovation, celle-ci doit être présente dans tous les domaines ce durant tout le long de la mise en marché du produit, autrement dit de la production à la distribution. Aussi, si une innovation n’est communiquée, mise en avant, celle-ci à de fortes chances de passerinaperçue.Outrel’innovationlorsdelaphasedeconception/production,ilenexisted’autres qui permettent à la marque de s’ancrer dans son temps, de rester d’actualité. Elles affirmentlasupérioritédelamarquedeluxeetprouventsalégitimité.

Afindemieuxcomprendrecettethéorie,voicideuxexemplesmontrantcetteca-pacité à rester sur le devant de la scène.

Les leviers de l’innovation dans la communication.

Lorsqu’on parle de campagne publicitaire pour les marques de luxe, le premier exemple qui nous vient est l’annonce presse.

En effet, la presse est de nos jours encore le vecteur principal de la communication du luxe. Ce format est privilégié pour les maisons car il est le mieux adapté pour combiner qualité et temps. Le lecteur peut s’y attarder aussi longtemps qu’il veut et entrer dans l’uni-versdelaphoto,autrementditiln’estpaslimitédansson«tempsdeconsommation».

Cependant les marques souhaitent aller plus loin en alliant la qualité du contenu à l’expérience que la marque fait vivre au consommateur. Celui-ci est avant tout à la recher-che de la qualité et du service, c’est pourquoi la singularité du luxe doit se faire ressentir tantdanssaconceptionquedanssafaçondeparlerauclient.Pourcefaire,unenouvelletendance émerge : le court-métrage. Ces spots sont visibles simultanément, au cinéma, sur internet et parfois même à la télévision, média qui fut longtemps réservé uniquement à la consommation de masse mais ici, pas de slogans ou accroche tapageuse. Les marques appliquent le même principe de cohésion avec pour but la recherche du meilleur état de l’art, alors elles ne reculent devant rien : budget pharaonique, casting de rêve, réalisateur de renomméemondiale,moyenscolossauxpourobteniraufinaldesimagessublimesvantantles idéaux de la marque. Ces récits en image exaltant les valeurs des maisons renforcent leur légitimité et creusent encore un peu plus la distance avec les enseignes mass-market. De la mêmefaçonqu’aucinéma,leconsommateurpeutseprojeterdanscettehistoirequ’onluiraconte et pénétrer au coeur du rêve que veut susciter la marque.

Le premier à s’être lancé dans ce nouveau mode de communication fut Chanel en2004quidemandaaBazLuhrmann,leréalisateurdeMoulinRougedemettreenscènel’héroïnedumêmefilm,NicoleKidman,dansunpublicitédedeuxminutespourlefameuxN°5.Depuiscegenredepartenariatn’acessédecroitre:DavidLynchetGuyRitchiepourDior,Jean-PierreJeunetetMartinScorsesepourChanel,plusrécemmentRomanPolanskipour Prada, etc.

Le dernier évènement en date ayant récolté des critiques dithyrambiques est L’OdysséedeCartier.D’uneduréede troisminutes trente, lapublicitéaétédiffuséeenavantpremièreenprimetimele4mars2012surTF1etCanal+ainsiquesimultanémentdans une dizaine d’autres pays. La vidéo retrace l’odyssée des fondateurs de Cartier, à

48InterviewdeMarcGIGETpourl’InstitutFrançaisduDesign,op.cit.

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L’OdysséedeCartier,court-métrageréaliséparBrunoAveillanquiabordelesplusde160ansd’histoiredu joaillier, en racontant le voyage, entre rêve et réalité, de la panthère, célèbre emblème de la maison

depuis1914,àtraverslescontinentsquiontenrichilestyleCartier.

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travers lesdifférentspaysqu’ilsont sillonnépour faireconnaître leurscréationsà leursdébuts. Ce périple est porté à l’écran par l’emblématique panthère qui s’échappe de la boutique parisienne de la place Vendôme en brisant son enveloppe de diamant et qui croise au cour de son voyage les autres incontournables de la marque (la montre Santos-Dumont, le bracelet Love, les trois anneaux Trinity), de Saint-Petersbourg à l’Inde en passant par la grande muraille de Chine.

Cespayslà,bienquecorrespondantàceuxdesfidèlesclientsdelamarqueaudébut du siècle dernier, ne sont pas un choix anodin. Cette fois l’histoire de la marque cadre parfaitement avec la nouvelle cible des marques de luxe : les BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), nouveaux consommateurs de ce type de bien.

Merveilleusemiseenimagesdelastratégiedestorytellingprécédemmenténon-cée,cespotauranécessitépasmoinsde2ansdetravailetdesmoyensgigantesques.Grâceà luiCartieraura investiunenouvelle façondecommuniquer surunmédiadéjà saturéd’annonces en tout genre et réussi à capter près de huit millions de téléspectateurs dès la première seconde. Un succès retentissant prolongé par une expérience digitale qui nous permet ouvrir sur les nouvelles pratiques du luxe sur la toile.

Aujourd’hui, ne pouvant plus nier la puissance d’internet, les marques de luxe investissentlewebetlesréseauxsociaux.Maisbeaucoupdequestionssesontposéesaudé-part, comment s’adapter à ce média de masses sans vulgariser l’univers du luxe ? Comment conserver la qualité et l’expérience promise aux consommateurs en supprimant la barrière physique ? Le principal problème des marques de luxe qui se lancent sur le web est jus-tement de conserver le service client irréprochable qu’elles offrent dans leurs boutiques. La solution alors n’est pas de créer un site vitrine49 mais plutôt une plateforme dédiée. L’internaute peut grâce à elle, naviguer au coeur de l’univers de la marque, comme dans une boutique. Ce principe facilite alors la transmission des valeurs de la maison de luxe, en utilisant ce genre de plateforme il s’agit moins de communiquer sur le produit mais de faire vivre un moment unique à l’internaute via une expérience digitale didactique et inno-vante. Les marques de luxe rivalisent d’ingéniosité pour créer des pages interactives mêlant l’histoire de la marque, son actualité et du contenu exclusif permettant au web de trouver sa légitimité dans l’exclusivité. De ce point de vue, internet est un atout majeur pour le sto-rytelling. Preuve que ce nouveau moyen de représentation des marques intéresse de plus en plus et s’étend, Vogue a complètement repensé sa plateforme en ligne en s’affranchissant desaversionpapierpouradopterunevraieexpressiondigitale,depluslemagazinealancéunerubrique«expériencesdigitales»quirecenselemeilleurl’actualitéwebdesmarquesetde leurs ambassadeurs.

Burberry est une maison de luxe pionnière dans le domaine. À la pointe des nouvelles technologiesdigitales, ses initiativesnumériques lui ontpermis en 2011 d’êtreàlatêtedel’indexL2ThinkTankFashionDigitalIQ,organisationd’expertsquiévaluelacompétence digitale et le niveau d’innovation des marques globales. La marque possède son propre réseau social The Art of Trench, plateforme qui rassemble tous les passionnés du manteau iconique de la marque, leur permettant de poster leurs photos en trench et ainsi d’entrer dans le cercle de la communauté Burberry. Plus récemment, le programme Burberry Bespoke permet aux internautes de concevoir et d’acheter leur version personna-liséedutrenchmythique.Vendusentre1300et6500€,lastratégievisentaussiceuxquinepourront pas se l’acheter. En espérant leur offrir une part de rêve grâce à cette simulation, cette initiative consiste à créer l’envie et le besoin à travers des produits peu accessibles qui sont en fait la vitrine de produits d’appel à plus bas prix. Il ne faut pas oublier aussi que les principaux utilisateurs d’internet sont très jeunes, particulièrement actifs sur les réseaux sociaux et réceptifs à ce genre d’interactions, ils sont sensibilisés très tôt à l’esprit d’une marque. En maintenant une activité interactive constamment renouvelée, les marques de luxe peuvent s’assurer d’une future nouvelle clientèle qui aura, plus jeune, fantasmé via ses expériences digitales sur telle marque et qui une fois adulte sera déjà conquise par les valeurs decelle-ci.Êtreàlapointedesexpériencesdigitales,tellequelesdéfilésdemodeenréalitéaugmentée(3D)oumêmegrâceàdesmodèlesholographiquescommequel’afaitBurberrypoursonshowàPékinle13avril2012,permetàlamarquedes’inscriredansl’airdutempsetd’accroîtresonpotentielinnovant.

49Exemples:lessitesdeventesenlignesouautresmarquesprésentesuniquementsurleweb.

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La nouveauté dans la représentation et les services.

D’après l’article «Emballage, Le carton, c’est du luxe» du magazine L’Usine Nouvelle50,lesgéantsduluxeexigentquelesemballagesmagnifientleurproduitsetsoientde plus en plus innovant. Dans le luxe, le packaging ne sert pas seulement à protéger le produit qu’il contient, de nombreuses marques ont en partie fondé leur image sur un ru-ban(Hermès)oudesboîtesd’emballage(HermèstoujoursmaisaussiLaduréeouLancel)et il fait donc partie intégrante de la recherche synesthésique lors de la mise en marché d’un objet51. Pour cela, l’emballage doit apparaître commeune «oeuvre polysensorielle»quimobilisetoutlessensduclientetdevenirunécrinflatteurpourleséduireetsusciterledésir d’achat. Le crissement d’un papier de soie, l’odeur qu’il s’en dégage à l’ouverture, le léger relief senti sous les doigts dû à l’embossage du logo... sont autant de détails qui font le luxe.

Silesavoir-fairefrançaisenmatièredeflaconnageestbienconnu,cesoeuvresde papier-carton n’ont rien à envier aux verriers. Les grands groupes du luxe (LVMH,L’Oréal...)maintiennentledynamismelesecteurdupackagingenréclamantdesproduitstoujoursplussurprenants.Eneffet, ilsprivilégientlaproductionsurlesolfrançaispourdes raisons d’images et de sécurité d’approvisionnement, mais aussi parce que l’Asie qui bienqueproposantdesprixdéfianttouteconcurrence,nepeutpasencorerivaliseraveclesingéniositésetlesnouveauxmoyensdeproductionfrançais.Silessavoir-faireempiriquesrestenttoujoursdemise,ilsnesuffisentpas.Richard-DavidZaoui,ledirecteurcommercialdeWauters&filsditquelesentreprisesdusecteurfrançaisdoiventêtreàlapointedesnou-vellestechnologiessiellesneveulentpasdisparaître,ilajoute:«lesChinoispeuventtoutfaire manuellement, mais ils ne savent pas encore innover dans le luxe. »

Cette entreprise a d’ailleurs mis au point une technique de diamantage particu-lièreafinderecréersurl’emballagel’aspectdepetitsdiamantsincrustésenrelief.Afind’ob-tenircerésultatlaPMEadûfaireappelàtoussessavoir-faireetàtousseséquipementpouratteindre cette précision. Parmi les exemples d’autres nouveaux procédés, nous pouvons no-ter l’utilisation de la découpe laser qui permet d’obtenir des emballages haut de gamme à la finessededécoupeinégalée.Ouencore,lacréationd’uneffetrubanàl’aidedumarquageàchaud d’un polyester métallisé qui évite l’ajout d’un bandeau textile. Ceci est d’ailleurs une tendancedefonddanslafilièredel’emballage.Tenantcomptedesproblématiquesactuellesautour du développement durable, les producteurs cherchent à diminuer les quantités de matièresutiliséesetàréduireleprocessusdeproduction,entraînantparlamêmeoccasionune réduction des coûts. C’est également une ligne de conduite pour l’innovation.

Dans le prolongement de la mise en marché de l’objet de luxe, il existe un autre domaine qui a considérablement évolué en un siècle : celui de la distribution. De la petite boutique intimiste en passant par les salons feutrés où la Haute Couture accueillait ses clientes nous sommes passés aux mégastores surdimensionnés. Nés du développement des grandes maisons dans plusieurs secteurs du luxe, ces boutiques sont à la fois la manifesta-tion aux yeux de tous de la cohérence de la marque et une démonstration de puissance.

Le magasin est l’écran de projection de l’histoire de la marque mais aussi une métaphoredel’écrinquimetàdistancel’objetpouraccroîtreledésir52. Au même titre que l’emballage il doit tendre vers l’expérience polysensorielle. La perception dépasse la vue, elle est aussi tactile, olfactive, auditive, c’est là le signe de la continuité spatiale53 de la mar-que à travers la recherche de l’expérience vécue. La distribution c’est de la communication, le magasin cristallise toutes les valeurs de la marque et rehausse l’image du produit : les maisonsfontmaintenantsystématiquementappelàdesarchitectesprestigieuxafinquelamodernitéetleprestigequ’elleincarnesoitmanifestedèsquel’onperçoitleursmagasins.

50EnquêteInnovation,«Emballage,Lecartonc’estduluxe»,L’Usine Nouvelle n°3285,mai2012,p.52-53.

51GillesMARION,«Objetsetmarquesdeluxe»inLe luxe, Essais sur la fabrique de l’ostentation, op.cit, p.418.

52VincentBASTIENetJean-NoëlKAPFERER, Luxe oblige,op.cit.,p.253.

53GillesMARION,«Objetsetmarquesdeluxe»inLe luxe, Essais sur la fabrique de l’ostentation, op.cit, p.418.

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Pour appuyer cette idée prenons l’exemple de la dernière boutique parisienne d’Hermèsinauguréeennovembre2010.Celle-ciaprisplaceruedeSèvresdansl’anciennepiscinedestyleArtDécodupalaceleLutéciaconstruiteen1935.Aucoeurde1400mètrescarrés, cette nouvelle boutique marque un tournant dans la conception des boutiques de la marque.

A l’entrée, un escalier d’honneur nous accueille et nous invite à descendre au niveau inférieur. Là, au fond de l’ancien bassin, trois structures en lames tressées de bois, hautes de neuf mètres, créent un lien avec les immenses verrières qui baignent de lumière la boutique. Ces cabanes aux allures à la fois traditionnelles et futuristes abritent des espaces thématiques éphémères. Respectueux de l’histoire du bâtiment, les mosaïques d’origines ont été conservées. Dans le bassin, toute la surface a été recomposée de mosaïques en grès cérame et pâte de verre intégrant des tesselles brillantes qui recréent l’impression des re-fletslumineuxdel’eau54.

Danscetexercice,Hermèsaffirmesesvaleursprofondesàsavoirlerespectdestraditions, du savoir-faire et de l’architecture tout en racontant une histoire représentative de son époque. L’agence RDAI qui est à l’origine de cet aménagement , a réussi à instaurer un dialogue entre les volumes existants et à respecter l’harmonie entres les origines et aujourd’hui.«IciHermèsreliel’émotionfamilièreissuedelatraditionetlesouffledel’in-novation»,affirmePierre-AlexandreDumas,directeurartistiquedelamaison55. Le pari est réussi pour Hermès qui réussit à faire vivre une réelle expérience à son client dans ce lieu atypique.

Pour que cette expérience dans l’antre de la marque soit tout à fait complète, il faut également insister sur la notion de services. L’acte d’achat est chargé d’une émotion particulière et le personnel en boutique devient le porte-parole de la perfection des objets de la maison. C’est grâce à la qualité du service et l’attention porté au client que la mar-queposelesdernièrespierressonédificeetvaparlàscellerl’attachementduclientàlamarque.

Maislanotiondeservicesnes’arrêtepasàl’actedeventeenboutique.Jusquedanslesannées60etcemalgré l’apparitionduprêt-à-porter,unecertainetranchedelapopulation supérieure continuait à s’adresser à la couturière du quartier pour s’habiller. Lesrobesetcostumesétaientréaliséssur-mesure,onpourraitvoirençauncertainluxede proximité. Les clients entretenaient un lien social avec l’artisan qui était au service des gens de son quartier. Cette culture du lien avec l’artisan et cette notion de services se sont étioléesaufildutempsetaujourd’huinombresd’acteursduluxesouhaitentlerétablir.

Après avoir étendu leurs offres dans plusieurs domaines (prêt-à-porter, arts de la table, horlogerie, chaussures...), les marques se recentrent sur le sur-mesure. Pour exemple, Louis Vuitton offre depuis peu à ses clients l’expérience du très grand luxe pour préserver son image d’exclusivité malgré une taille aujourd’hui considérable. Après avoir développé des services de personnalisation de ses sacs de toile monogrammés, la marque a ajouté un nouvelétageàsonédifice:lahautemaroquinerie.CommelefaitHermès,LouisVuittonpropose aujourd’hui à ses clients de choisir les peaux et les modèles dans lesquels leurs sacs serontconfectionnés,surlisted’attente,pourunprixminimumde5.000eurosetpouvantatteindreplusieursdizainesdemilliersd’eurosselonlesfinitionsetlesmatériauxdésirés.Dansunsalonparticulier,lesclientessevoientproposerhuittypesdepeauxet26couleurspourcinqmodèlesemblématiquesdelamarque,dontlecélèbre«Triangle»datantde1932ou le nonmoins prisé «Lockit» (1958) fermépar un cadenas.Cette hautemaroquineriefabriquée dans un délai de quatre à six semaines dans les ateliers d’Asnières et d’Issoudun, est proposée en quantité limitée pour préserver sa rareté et donc le désir d’une clientèle triée sur le volet.

Photop.44/45 :En2008,LouisVuitton introduitMon Monogram. Ce service de personnalisation rend chaquepièceunique,enapposantàlamaindesbandesverticalesoudiagonales(choisiesparmi17cou-leursdifférentes)etde2ou3initialesbicolores.Avecplusde200millionsdecombinaisonspossibles,la marque a plus récemment développé ce concept sur Internet pour quelques-uns de ses modèles, simplifiantainsiladémarche.

55http://www.maison.com/ailleurs/boutiques/nouvelle-boutique-hermes-rue-sevres-2526/

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Toute cette partie nous prouve que contrairement à l’idée que l’on se fait, le luxe, ou du moins ses marques savent innover et elles le font même très bien depuis plus d’un siècle. Le strict respect de ses critères éthiques et esthétiques appliqués à tous ses domaines de représentation,permetàlamaisondeluxed’évoluerdansuncadresuffisammentlargepourévoluer sans cesse tout en conservant sa légitimité acquise le long des années.

Alorsque les français (et au sens large les européens) voient le luxed’une fa-çon plutôt passéiste, lui associant volontiers les termes tradition, héritage ou plaisir, lespays émergents très friands de ce type de consommation lui préfèrent le mot innovation. D’aprèsuneétudeIPSOSMarketing56,80%despersonnesinterrogéesparmilapopulationdes BRIC considèrent que le luxe est ce que l’on fait de plus avancé en la matière. Le luxe incarne pour eux un idéal de qualité et de modernité qui semblent un peu nous avoir échap-pé, à nous, pays européens qui possédons la grande majorité de ces marques, synonymes de plaisirs autrefois réservés à l’occident.

Cette vision obsolète concerne aussi l’artisanat du luxe. Vus comme des métiers désuets,enlisésdansunetraditionpoussiéreuse,ilssemblentparfoisvouésàfinirdansunécomusée,simpletémoind’unsavoir-faireancestral.Orlesmétiersd’artontsus’adapteràl’évolution de l’économie. De savoir-faire souvent régionaux, ils sont devenus des manufac-tures,puisdesentreprisesauXIXèmesiècleetenfindesmarquesauXXème.L’industrieduluxe a su tirer parti de cette richesse, voyons comment aujourd’hui elle va continuer sa mar-che en avant, entrainant avec elle ces métiers vers l’évolution et les enjeux de notre siècle.

56RémyOUDGHIRI,«Leluxe,synonymed’innovationdanslespaysémergents»,Marketing Magazine n°128,février2009.

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Intérieur de la Boutique Hermès, rue de Sèvres à Paris.

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1-L’artisanat d’art, pilier du luxe La notion d’artisanat et de savoir-faire est centrale dans l’identité du luxe, c’est

d’ailleurs à partir d’elle que l’industrie du luxe s’est développée. Les manufactures d’abord familiales sont devenues au XIXème siècle des entreprises, puis enfin des marques auXXème. La structure a changé mais le développement de celles-ci s’appuie toujours sur l’importance donnée à la main. L’artisanat est un pilier du luxe et sa consommation telle que nous la connaissons aujourd’hui, gérée par les grandes marques a été rendu possible grâce à une prise de pouvoir de l’artisan.

a-Le refus du prestige de l’artisan

Comme nous l’avons vu dans la première partie, l’essor des grandes marques pionnières du luxe correspond avec l’invention de la Haute Couture par Charles Frederick Worth et le fait que pour la première fois l’artisan prend le pas sur la cliente en devenant l’instituteurdu«bon»goûtetdestendances.Jusqu’àcetterévolution,lepouvoirdel’artisanétait réduit à son seul savoir-faire. Gilles Lipovetsky1 en fait la démonstration dans lorsqu’il évoque:«lerefusduprestigedel’artisan».IlexpliquequedepuislaRenaissance,lesartistessont admirés alors que les artisans demeurent inconnus, réalisant dans l’ombre le travail ordonné par le client. Jusqu’au milieu du XIXème siècle, une pièce réussie dépendait plus du goût de celui qui la commandait ou encore de la qualité de la matière première, que de la dextérité et la créativité de l’artisan.

Ce qui s’est passé lors de la naissance des marques est un grand changement, l’artisan est devenu professionnel de son art, d’exécutant il est passé prescripteur. Son savoir-faire et sa qualité reconnue l’ont guidé vers son indépendance.

b-L’artisanat en héritage

L’artisanat d’art est un des trésors de notre patrimoine culturel. Digne héritier des manufactures de Colbert2,ilcolportel’imaged’excellenceetderaffinementàlafrançaise.GlorifiédanslesmuséesoulorsdesjournéesduPatrimoine,nousavonstendanceàoublierque ces métiers certes rares ne sont pas morts. Ils ne se limitent pas à le seule restauration de mobiliers ou d’ouvrages d’antan. Des artisans font encore revivre cette tradition, ils l’en-richissentdejourenjourenlafaçonnantàleurépoque.

Longtemps relégué à cette seule facette du patrimoine historique, l’artisanat d’art acommencéàsouffrirdesonimagefigéedanslepassé.Cesmétiersd’unautretempsontcessé d’intéresser les jeunes et ne trouvant plus de relève, ils se voyaient petit à petit voués àdisparaître.Conscientsdel’immensepertequeseraitladisparitiondecestrésorsvivants,l’État (via le ministère de la Culture et différents organismes) et les maisons de luxe (via le Comité Colbert mais aussi individuellement) souhaitant pouvoir assurer le renouvelle-ment de leur précieuse main d’oeuvre, se sont mis à promouvoir et encourager la création artisanale.

La fondation Hermès qui soutient la valorisation des savoir-faire artisanaux ainsi que des maisons comme Cartier, qui ont ouvert leur propre école pour former les futures générations d’artisans, ou encore la société Paraffection sous l’égide de Chanel qui rachète progressivementtoussessous-traitantsafindelesmaintenirenvie...Lesexemplesneman-quentpasetgratifientenpluslesmarquesd’uneaurahumanistequilesavaitquelquepeu

1GillesLIPOVETSKYetElyetteROUX,le luxe éternel,op.cit,p.46.

2ColbertétaitsurintendantdesmanufacturessousLouisXIV,périodesouslaquellel’artdevivrefran-çaiss’estdéveloppé.Colbertafavorisélessavoir-faired’excellence:leGardeMeubledelaCouronne(devenuMobilierNational)oulatapisseriedesGobelins.Véritablemécènedel’artisanat,ilainspirésonnomauComitéColbertquipromeutleluxefrançais.

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quitté à l’heure du bling-bling3 et avec la fuite incontrôlée vers la démocratisation constatée audébutdesannées2000.

2-Les savoir-faire : clé de voûte de la communication

a-Le recentrage

Eneffet,suiteàlacrisefinancièrede2008,l’imagedeprospéritéinsolentequerenvoyait l’industrie du luxe a commencé à agacer. Pour remédier à cela, les marques ont effectuéunrecentragesurlesvaleursessentiellesduluxeavecpourmaîtresmotsqualitéetauthenticité.Afind’illustrercerevirement,lesmarquesontaxéleurcommunicationdansce sens et nous avons pu voir éclore de nombreuses campagnes presse mettant en scène les artisans au travail. En faisant ceci, les marques se démarquent de leurs concurrents (haut de gamme)quinepossèdentpascethéritageetrassurentdelamêmefaçonleconsommateurquis’interrogentdeplusenplussurlatraçabilitédesproduits.

La tendance actuelle de cette ligne de communication se manifeste de plus en plus par l’apparition de vidéos dévoilant les secrets de fabrications de produits cultes. En faisant entrer le consommateur dans les coulisses, les marques de luxe tissent des liens émotionnelsetfidélisentleclientenmettantl’accentsurl’héritagequ’ellesontsupréservé.Deplus,ellepermetdeconvaincredel’unicitédel’objetetfaitduclientunfinconnaisseursachant apprécier la valeur des gestes qu’il a découvert.

b-La mise en scène

Musiquebaroquelégère,grosplanssurlesmainspuissurlesoutilspatinésparletravail,trèspeudemots,lebruitdel’ateliersemêleàlamusique:lemaîtreopèreetnousassistons religieusement, derrière notre écran à la naissance du chef d’oeuvre. La majorité des vidéos4 proposées par les marques reproduisent cette même atmosphère feutrée et bien qu’exaltant la magie du savoir-faire, elle occulte une partie de la réalité des ateliers et conti-nue à enfermer l’artisanat dans sa vision passéiste.

Onconnaitladifficultépourlesmarquesdedévoilerleurprocessusdefabrica-tion,eneffetplusletrajetentreleproducteuretleconsommateurestflou,pluslemythepeut s’élaborer. Seuls des tours de main secrets garantissent la perfection et bien que la machine ultra-moderne à découpe laser soit bien présente dans l’atelier, elle ne possède

3 Le terme « bling-bling » est issu du jargon hip-hop et désigne les bijoux et le style vestimentaire de certains rappeurs mais aussi le style ostentatoire et excessif de leur mode de vie. Il s’est ensuite généralisé en faisant référence à un train de vie luxueux tendant vers le déraisonnable.

Photopage52 :Extraitde lacampagne«savoir-faire»de2009deLouisVuittonquimetenscène lesartisansdelamaisonet leurfaçonuniquedetravailller.ShootéeparlaphotographeDésiréeDolron,elle prend la forme d’un trypityque de portraits et revisite les codes des tableaux des peintres primitifs hollandais.ChaquevisuelreprésenteungestrepropreàlafabricationdesproduitsLouisVuitton,ici:«lacouseuseaufildelinetàlacire».Aumêmemoment,LouisVuittonproposeuneautrecampagnepublicitaireavecMadonnaenégérieultrasexy et séductrice. Cette confrontation symbolise un des nombreux paradoxes qui anime une marque de luxe.©Désirée Dolron

Photopage53:GrâceauxjournéesParticulièresLVMH,legroupetissedesliensémotionnelsavecsaclientèleenluifaisantdécouvrirsesateliers.Illesfidéliseainsietenmettantl’accentsurl’héritageuni-que et précieusement préservé.©Archives Louis Vuitton

4 Une sélection regroupant plusieurs vidéos d’ateliers de marques de luxe est visible surhttp://www.webandluxe.com/09/2011/quand-les-marques-de-luxe-veulent-faire-savoir-leur-savoir-faire/

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pas le même potentiel charismatique qu’un vieux marteau au manche en bois patiné par la sueur l’homme, on ne lui prête pas la même histoire et elle en est d’autant plus dure à intégrerdanslediscoursdelamarque.Orcesmachinesfontpartiedelaréalitédel’arti-sanat d’aujourd’hui. Loin de remplacer l’artisan, elle l’aide dans son travail : supprimant la pénibilité de certaines tâches, augmentant le rendement sur des étapes mineures pouvant être laissé à l’autonomie des machines ou encore en lui permettant d’obtenir des résultats toujoursplusprécisafindecréerunobjettoujoursplusparfait.

Lesmarquesdevrontrevoirbientôtleurfaçondecommuniquersurl’artisanat,en ne niant pas sa contemporanéité. Si ces machines sont là, ce n’est pas seulement à des finsproductivistesmaisaussiparcequ’elleslimitentlespertesetdonclegaspillagedecesmatièressiprécieuses.Onparledoncicidedéveloppementdurable,orl’industrieduluxene communique que très peu sur les démarches qu’elle lance5 et qui montrent pourtant qu’elle est soucieuse des enjeux de son époque. Pourquoi un tel silence ? Peut-être car ces préoccupations inquiètent et ne font pas rêver. Elles sont loin du masque d’hédonisme insouciant que le luxe a longtemps porté, de ce fait le revirement semble plus délicat à opérer. Pourtant cette conscience environnementale doublée par le caractère humain de la facture artisanale donne du sens à l’objet de luxe et le met en phase avec son époque qui se veut de plus en plus responsable. Pour valoriser l’artisanat durablement, pour le rendre plus attractif et en accord avec son temps, les maisons vont devoir le communiquer autrement. Tout l’enjeu sera alors de le faire tout en continuant à émerveiller.

3-Le luxe durable

a-L’éloge du temps

Le luxe s’inscrit dans le temps long : c’est l’anti-tendance, l’anti-saisonnier. L’objet de luxe est par essence durable, ces produits sont résistants (un sac de grande ma-roquineriepeutvivre20ans,lesmallesVuittonsontcentenaires,quantauxdiamants,onlesditséternels)etilsseréparent,lesmaisonspossèdentdesateliersderestaurationafinqueceux-cipuissentdéfierencoreunpeuplusletemps.L’objetdeluxeest intemporel, ilsejustifiemêmecommeuninvestissementintergénérationnel.GillesMarionditdeluiqu’il«estunemétonymiedutempsarrêté,unetracequirelielesgénérationspassées,présenteset futures6 ». Il est donc déjà tout inscrit dans le schéma de consommation responsable qui semanifesteactuellement,ilcorrespondàunachatréfléchiquiprivilégielaqualité,latra-çabilitédelafabricationd’unproduitfaitenFranceetquitraverseralesgénérationsavecgardant son style intemporel.

Le temps est une valeur centrale du luxe, par la durabilité du produit comme nous venonsdelevoirmaisavantçacarilestnécessaireàlafabricationartisanaleetàlarecher-che de l’objet parfait. Le luxe se donne le temps. Le temps du bien-faire, du bel ouvrage, ce-lui de la conception. Christian Blanckaert7,ex-directeurgénérald’Hermèsexpliquequ’«ilya deux types de luxe : il y a le luxe financier qui va vite qui veut vendre à n’importe quel prix, assezcherengénéral,maisvite,avecdesrésultats.Etpuisilyaleluxequiprendsontemps,qui s’inscrit dans une histoire : c’est un luxe signature ». La relation au temps dans ce luxe signature, patrimonial, souvent familial, est une notion qui est en décalage avec la société actuelle car il s’agit de donner la primeur à la patience nécessaire aux belles choses plutôt qu’à la rentabilité directe. Ce privilège est rendu possible uniquement parce que les mar-quespossèdentdesressourcesbudgétairessuffisantesetdesproduitsd’entréedegamme8 permettantunretourfinancierplusimmédiat.

5Ceciestsanscompter,StellaMcCartney,premièremarquedeluxevertequin’utilisenicuir,nifourruredans ses collections.

6GillesMARION,«Objetsetmarquesdeluxe» inLe luxe, Essais sur la fabrique de l’ostentation, op.cit, p.419.

7Interview pour http ://luxe.cles.com/innerviews/

8Exemplelaparfumerieetlescosmétiquesoulapetitemaroquinerie.

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LalignePleatsPleaseestlancéeen1993.Presque20ansplustard,IsseyMiyakepoursuitsaréflexionsurlesplisquidonnentformeauvêtements.

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Résultatsdesexpérimentationsd’IsseyMiyakeetduRealityLabaveclalignedevêtements132.5inspi-rés par les travaux du mathématicien William Thurston .

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b-Le laboratoire des possibles Associées ensemble, les notions de temps et de savoir-faire permettent

d’envisager le luxe comme un laboratoire d’expérimentation des techniques artisanales. Touslescritèressontréunis:lamaîtrisedestechniques,l’accèsauxtechnologiesmodernes,le tempsnécessaire à une vraie recherche et lesmoyens pour la financer.C’est ce qu’àdéciderdefairelecréateurjaponaisIsseyMiyakeenquittantsamarqueéponymeilyadixans.Ilrevientalorsen2007avecunnouveauprojet:leRealityLab.Entouréd’unepetiteéquipe,deManabuKikuchi,ingénieurtextileetSachikoYamamoto,ingénieuretmodéliste,il se lancedansunnouveauprojetqui apourvision «d’explorer l’avenirde la création,de découvrir de nouvelles méthodes de travail et d’employer de nouveaux matériaux. » Le RealityLab effectue des recherches sur les matériaux considérant que de ne pas dépendre des combustibles fossiles devient un enjeu essentiel pour l’avenir. Pour cela il utilisepourceprojet,unenouvellefibredepolyesterréaliséeparunesociétéjaponaiseàpartir de bouteilles en plastiques recyclées. Le procédé est révolutionnaire car il permet d’obtenirunematièretrèsdouceetrenouvelableàl’infini.Maisoutrel’aspectécologiquedeceprojet, il y aaussiunevraie réflexionetun travail techniquesur la réalisationduvêtement. Inspiré à partir des travaux mathématiques de l’universitaire Jun Mitani quia développé un logiciel pour créer des objets tridimensionnels à partir d’une feuille de papier plié, Issey Miyake propose des carrés pliés où le modèle n’apparait qu’unefoisdéplié.Le vêtementpassede la 2dimension à la 3dimensionen adaptantun travailacadémiqueàlaréalitédelamode,IsseyMiyakeditqueletravaildecelaboratoire:»n’estpas de créer de l’utopie, mais de concevoir des choses à la fois belles et viables ».

Atraverscetexemple,nouspouvonsnousdemandersiIsseyMiyakenes’estpasretiré des rangs de la mode, lassé par les attentes commerciales qui briment la créativité par un devoir de rendement toujours plus intense. En créant ce laboratoire, il s’est affranchi de cescontraintesafindeprendreletempsdedévelopperunenouvellevisionduvêtementdans sa conception, sa forme et sa matière.

En un siècle, le secteur de la mode en France a profondément changé. D’un mon-de artisanal doté d’un grand savoir-faire, on est passé progressivement à une activité de grandeproduction.Lerythmeeffrénédesdéfilésnepermetplusauxcréateursd’avoirunraisonnementcommeIsseyMiyakeauseindesonlaboratoire.Cequelamodenepeutplusse permettre après son extrême démocratisation, le luxe (incluant la Haute Couture comme étant la frange la plus luxueuse de la mode) en possède encore les capacités.

4-Le maillage aux nouvelles technologies Nousl’avonsvulorsdela2èmepartie,lesoucid’innovationestindissociabledu

luxe. Les usages, les formes, les matériaux, les techniques et les modes de fabrication doi-vent évoluer en permanence. Une marque de luxe pérenne doit adapter constamment son héritage technique et esthétique à l’air du temps. Autrement dit elle doit intégrer le meilleur destechniquesdeproductionmodernequiluipermettrontd’affinertoujourspluslaqualitédu produit.

a-Les nouvelles technologies de production Contrairement à ce que l’on pourrait penser l’introduction de ces machines in-

dustriellesauseindel’ateliernerivalisepasaveclegéniedelamain.Ons’estlongtempsgardé de communiquer sur ces outils d’optimisation qui juraient un peu avec le mythe arti-sanal de la marque de luxe mais il faut admettre que si elles sont là, c’est bien pour combler le but premier vers lequel tend le client : le produit parfait.

Les machines automatisent certaines tâches rébarbatives et permettent de consa-crerplusdetempsauxfinitionsmanuellesquiapportentlavraievaleurajoutée.Ellesper-mettent une optimisation globale : plus rapide, moins de perte, moins de fatigue. Pour don-

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nerunexemple,prenonslenouvelatelierLouisVuittondeMarsaz(Drôme)oùlesartisansbénéficientdepuispeud’unenouvellemachineconçuespécialementparLectraSystèmes9. Elleémetdespropositionsdeplacementetdecoupesdespeaux.Opérationrépétitivedesplus traditionnelles qui était jusqu’à maintenant réalisée à la main. En intégrant cette tech-nologie et une meilleure sélection des peaux, la marque augmente considérablement son tauxde«bon-du-premier-coup».Cependantaussiprécisequesoitcettemachine,ellenepourra pas remplacer l’artisan, elle n’acquerra jamais le long entrainement de son oeil et la sensibilité de sa peau à détecter le moindre défaut rédhibitoire.

Pour créer ces nouveaux outils, les concepteurs n’hésitent pas à s’inspirer de technologies déjà présentes dans d’autres domaines et à les adapter à de nouvelles exigences. C’est notamment ce qu’à fait Dassault Systèmes au sein de sa propre entreprise. Éditeurdelogicielsdeconceptionassistéeparordinateuren3Detdegestiondecycledeviedesproduits(PLM),ilaannoncéendécembre2011lelancementofficielduFashionLab,un incubateur technologique dont le rôle est d’aider les créateurs de mode à explorer et expérimenterdenouvellescréationsen3D.

b-Le FashionLab L’objectif de ce programme est de donner naissance à une offre dédiée à la mode

en intégrant les outils de conception, de simulation et de collaboration pour créer une col-lection complète.

Les premiers ambassadeurs du programme sont Julien Fournié, fondateur de la maison de couture du même nom, Jonathan Riss, directeur artistique de la maison JAY AHRetFrançoisQuentin,créateurdemontreduluxeetfondateurde4N.Toustroissontconvaincusquela3Dpeutcontribueràpropulserlamodeversdenouveauxsommetsetils collaborent étroitement avec les ingénieurs de Dassault Systèmes en vue de trouver de nouvellessolutionsinnovantespourfaçonnerl’avenirdumarchédesobjetsdeluxe.

Suivant notre thématique, l’exemple de Jonathan Riss qui se sert du logiciel pour créer ses broderies et ses bijoux est le plus adéquat10. En effet, en se servant de la simulation virtuelle pour donner forme à ses ornements et les appliquer sur les vêtements, le créateur peut communiquer plus facilement ses envies à son équipe et tester la faisabilité et le rendu desesdessinssurdesprototypesvirtuels.Ilaffirmequeceprocessusneréduitpasseule-ment le gaspillage généré par les essais de prototypes, mais il diminue également le coût et le temps de réalisation qui d’ordinaire ralentissent la phase de création. Grâce à l’intégra-tion de cette technologie en amont de la réalisation artisanale, nous sommes à nouveau dans ladémarchedu«bon-du-premier-coup».

Le temps gagné sur les différents prototypes permet d’aller plus loin dans la re-chercheetd’obtenirunrésultattoujourspluspousséetréfléchitoutenrespectantunmodede production plus durable que la méthode traditionnelle. De plus, on peut tout à fait imaginerquecenouveaumoyendeconceptiongénèredenouvelles façonsdepenser labroderie, en dématérialisant l’esquisse, le créateur s’affranchit de certaines contraintes et peut laisser court à son imagination. Aussi compliquée que soit son idée et si la réalisation semble impossible, le temps gagné permettra alors de se pencher sur des astuces voire de créer de nouvelles techniques pour arriver au résultat rêvé.

MaislàoùleprojetduFashionLabvaplusloinencore,c’estqu’ilnesecontentepas d’investir cette unique phase de conception/design. Comme nous l’avons vu dans la deuxièmepartie,pourqu’uneinnovationsoitperçue,elledoitêtreglobaleetinvestirplu-sieurs domaines de représentation.

Voulant intervenir dans le processus complet de création, le FashionLab s’est intéressé à la phase de recherche, l’élaboration des tendances. Conscients qu’aujourd’hui la majorité des ressources proviennent du web, les ingénieurs ont eu l’idée de créer une sorte de book électronique qui permettrait au créateur de naviguer virtuellement à l’intérieur de toutes ses inspirations. Les visuels collectés ne sont plus seulement des captures d’images

9AdrienCAHUZAC,«Mutation.LouisVuitton,l’industriel», L’usine Nouvelle N°3247,le7juillet2011.

10Voirphotopage.61.

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mais ils contiennent des liens actifs remontant jusqu’à leurs sources. Tout le principe de cette démarche est de dématérialiser la planche de tendance, de la rendre digitale et donc modifiable,exportablesurtoutessortesd’écran.Associéàlatechnologietactile,onimagineavec quelle aisance le créateur peut instinctivement organiser ses idées et les diffuser ins-tantanément à toutes ses équipes.

De son côté, Julien Fournié a entièrement fait confiance à la technologie duFashionLabpoursondéfiléhaute-couturedeprintemps-été2012:desesquissessurtablet-tetransforméesenprototype3Dàlascénographiedesondéfilérégléeenréalitévirtuelle.Dans un secteur encore très traditionnel et attaché à préserver son savoir-faire artisanal, ce créateurtechnophilefaitencorefigured’exception.

Pourréalisersonmodèleen3D,lesingénieursontdufilmerJulienFourniéafinde comprendre ses habitudes de dessins, le système a été ensuite paramétré pour qu’il puisse dessiner à main levée son vêtement avec un stylet sur une tablette graphique, exac-tement comme il le faisait avec un stylo et du papier. Le système est formaté sur une base d’une quinzaine de silhouettes qui lui permettent de reconnaitre le style du créateur.Chaque styliste possédant son propre trait, le logiciel doit effectuer cette reconnaissance àchaquenouvellemain.Afindevisualiserlecroquisen3D,lecréateuresquissequelquesvuesdecôtéetdedosafindepermettreauprogrammed’interpréterlesdimensionsetlesvolumes. À partir de ces dessins, les applications logicielles recréent un maillage sur lequel sont appliqués des algorithmes pour le déformer en fonction du tombé du tissu choisi.

Maispourl’heure,touslesmodèlesn’ontpaspuêtrereproduitsdecettemanière.«Nousn’avonspasencoreatteintlafinessenécessairepourréaliservirtuellementdesdra-pés de mousseline, mais nous devrions être au top dans six mois », confesse Julien Fournié11. En revanche, il a utilisé cet outil pour les modèles qui comportaient des tissus complexes et novateurs, comme la robe de Néoprène12 qui est l’emblème de cette collaboration. En dessinant ce croquis, il a entré avec l’aide des ingénieurs toutes les données relatives à cettematièretrèsparticulièredansune«tissuthèquevirtuelle».Grâceàçailapuensuiteplaceren3Dtoutlesmorceauxcomposantlevêtementpourvisualiserlerésultatfinal.Lenéoprène,matièredescombinaisonsdeplongée,estàl’inversedestissustrèsfluideunematièrequiseprêtemieuxàlamodélisation.D’ailleursc’estgrâceàlasimulation3Dquelecouturierquiavaitd’abordpenséàdesfinitionsclassiquesapuvoirqu’avecl’épaisseurdurésultatilvalaitmieuxappliquerunenouvellestechniquedemontage«couperenbordfranc».Deslaboratoiresspécialisés,telsquel’Institutfrançaisdutextileetdel’habillement(IFTH),sont actuellement chargés de caractériser tous les tissus existants pour compléter cettebasededonnées.«Ilfautlesmodéliserdansleurcomportementmécanique,maisaussidans leur rendu en mouvement, au niveau du tombé, des plis, des collisions… pour que leur représentation virtuelle soit la plus réaliste possible », explique Jérôme Bergeret, directeur du FashionLab13.

c-les nouveaux matériaux

Cetusagedunéoprènedansundéfiléhaute-couturenousamèneànousposerlaquestion du matériau de luxe qui semble être, comme nous l’avons vu au début, un des cri-tèresdequalificationdel’objetdeluxe.Cesmatériauxdoivent-ilsalorsêtrenécessairementnobles, précieux ou rares ?

C’estcequesemblepenserRolandBartheslorsqu’ilditqu’«unobjet luxueuxtienttoujoursàlaterre,rappelletoujoursd’unefaçonprécieusesonorigineminéraleouanimale, le thème naturel dont il n’est qu’une actualité14.»Cetteréflexionluivientdesonarticle sur le plastique qu’il considère comme une substance ménagère, plate et sans no-blesse dû à l’usage qu’on en faisait à l’époque : le simili. L’intérêt du simili était de l’ordre

11ChantalHOUZELLEetPhilippeDESFILESarticle« Lacréationen3Ds’invitedanslahautecou-ture » paru dans Les Échosdu24 janvier2012.http ://archives.lesechos.fr/archives/2012/LesEchos/21108-042-ECH.htm

12Voirphotopage60.

13ibid.

14 RolandBARTHES,«Leplastique»inMythologies(1957),Paris,Seuil,2003.

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Iris Van Herpen CollectionHauteCouture«HybridHolism»

automne/hiver2012/2013.© Sophie Van Der Perre.

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duparaîtreetnondel’usagepuisqu’ilvisaitàreproduireàmoindrecoûts lesmatériauxrares.Puisleplastiques’estaffranchidecetartifice,lafonctionancestraledelanatures’esttrouvéemodifiéecarennecherchantplusàl’imiter,cettematièreartificielleagénérésespropres formes.

Onpeutdoncpenserqu’ens’émancipantdecettefaçon,leplastiqueetautresnouveauxmatériauxartificielsontgagnéenlégitimité.Faireunfauxdiamant,delafaussesoie est sans intérêt pour le luxe, il faut exalter les qualités intrinsèques des matériaux et doncaussiseconfronteràeux.Unesoiesynthétiquepermetdesplissépermanents,lafibrede carbone a une solidité à toute épreuve mais à l’ère du tout écologique, communiquer sur cesmatériauxsemblefaitpeur.Onpréfèreparlerdecachemirebioquedepolyesterultra-sophistiqué car même si celui-ci est révolutionnaire, les marques craignent d’effrayer leur clientèle en communiquant sur une innovation qui ne parait pas rassurante. Une fois de plusleluxeseconfronteàladifficultépourcommuniquerfaceaudéveloppementdurable.StellaMcCartneyestàcejour,l’exempleleplusréussid’unluxebiomaiscelatiensaussiaufait que c’est une marque jeune, qui a pris cet engagement dès sa création et l’a intégré dans ses valeurs. Quand est-il pour les marques plus anciennes qui ont acquis leur légitimité grâceàlamaîtriseducuiroudelasoie?

L’exemple du néoprène est parlant à cet égard, il a réussi son entrée dans la Haute Couture, en modernisant l’allure des tenues, il a abandonné son image sport en prenant denouvelles formes.Balenciaga,Chanel,MarcJacobs l’ontadoptéetmêmeZara l’a faitdécouvrir au grand public, preuve de son succès. Ce qui l’a transformé, c’est le traitement qu’on lui a attribué. Quand on voit les résultats obtenus, nous sommes loin des tenues de plongeur:lagriffereconnaissableducouturier,lapattedel’artisan,lesfinitionspropresauluxe ont réussi à sublimer la matière.

Il semble clair qu’une maison comme Hermès ne pourra jamais entièrement abandonner le cuir, il fait partie de son histoire et toute sa légitimité repose dessus mais une cohabitation avec de nouveaux matériaux reste envisageable. Le souci du détail, le point sellierspécifiqueàHermès, lesgestesgarantdequalitépermettent la liaisonet lacohé-renceàl’universdelamarque.Cesavoir-fairesispécifiquepermetuneréelleappropriationdu matériau.

d-L’artisanat technologique du XXIème siècle

Cesoutilsdeconceptionassistéeparordinateur(CAO)etlespossibilitésqu’ilsoffrententermedepré-visualisationrapidenousamènentassezlogiquementversunautreoutilquipermetalorsdeconfrontercetaperçuàlaréalitédelamatière:l’imprimante3D.

L’impression tridimensionnelle est une technique de production industrielle dé-veloppée pour le prototypage rapide en plastique, cire ou métal. Elle permet de produire unobjetréelàpartird’unfichierCAOenledécoupantentranchespuisendéposantousolidifiantdelamatièrecoucheparcouchepour,enfindecompte,obtenirlapiècetermi-née.Leprincipeestdoncassezprochedeceluid’uneimprimante2Dclassique:lesbusesutilisées, qui déposent de la colle, sont d’ailleurs identiques aux imprimantes de bureau. C’est l’empilement de ces couches qui crée un volume15.

En associant ce procédé au travail de broderie expérimenté par Jonathan Riss etleFashionLab,onpeuttoutafaitimaginerqu’unélémentdelabroderie,penséen3Dpourrait s’imprimer et s’appliquer directement au sein de l’ouvrage brodé. Les matériaux utilisés ne se limiteraient plus alors aux perles, sequins et autres cabochons somme tout standards : le créateur pourrait créer de toute pièce ses fournitures à broder. Un problème se pose alors, est-ce que cette pièce, tirée d’une machine de prototypage industriel, réalisé dans un matériau pauvre peut-elle être considérée comme luxueuse ? De plus, comment remédieràlacopiedecetobjets’ilsuffitdelemodéliseretdel’imprimer?

Enpremierlieu,bienquel’impression3Dsoiteffectivementunetechniquedeproduction industrielle, la machine ne peut pas produire en série, ce n’est d’ailleurs pas son objectif, elle est là pour donner rapidement une forme à une idée, c’est un outil d’ex-périmentation.Onpeutdoncs’imaginerquechaqueobjetquinaîtsoussesbusesestuneexclusivité,deplusgrâceaulogicieldeCAOilesttrèsfacilementpersonnalisableetdevient

15http://fr.wikipedia.org/wiki/Impression_tridimensionnelle

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donc une pièce unique. Nous pouvons alors saisir aisément l’enjeu que pourrait avoir cette technologie dans l’activité sur-mesure des maisons de luxe, cependant pour être tout à fait luxueuse, cette technique ne peut se passer du savoir-faire artisanal.

Pour palier à la copie et à l’éventuelle pauvreté du matériau (je précise éventuelle car il n’est pas impossible que d’ici quelques années, ces machines puissent imprimer des couches de métaux précieux ou de toutes nouvelles résines aux résultats surprenants) l’in-tervention artisanale est indispensable. L’objet ne passera pas de la machine à la vente sans avoir été marqué de la main de l’artisan, c’est elle qui amène la cohérence. Qu’il soit une petite partie ou un tout, l’objet imprimé devra adopter la facture artisanale de la marque pour accéder à son statut d’objet de luxe. Loin de dénaturer le savoir-faire, ce mariage de technologie et de tradition apporte une richesse nouvelle et pousse encore plus loin les limites de la créativité.

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Conclusion :

Après ce long développement qui nous aura permis de mieux comprendre les enjeux de l’industrie du luxe, il semble qu’aujourd’hui ce domaine évolue au sein des va-leurs contradictoires qu’il doit arbitrer pour conserver sa cohérence. Les divers paradoxes auxquels ilfaitfacesontapparusd’aborddanslesannées70,quandilapréféréleprêt-à-porteretlesaccessoiresàlahautecouturepuisilssesontrenforcésdanslesannées80/90lors de la grande démocratisation du luxe. En voulant conquérir de nouveaux clients, le luxe a rompu avec ses valeurs d’exclusivité et de sélectivité et bien qu’en devenant accessible il a continué à projeter son idéal exclusif pour alimenter le désir et creuser l’écart qui pourrait le rapprocher de la grande distribution1.

Entre exclusivité et démocratisation, les contradictions n’ont dès lors pas cessé de se propager : pièce unique et production en série, intemporalité et tendances de mode,magnificenceetaustéritéetbiend’autresplusprochesdenotredébat:tempslonget instantanéité, tradition et innovation, artisanat et technologie. Le luxe d’aujourd’hui doit jongler avec ses valeurs intrinsèques et celles extrinsèques que lui imposent la modernité et l’air du temps.

Certainesdecescontraintessontplusdifficilesàintégrerqued’autres.Ledéve-loppement durable, comme nous l’avons vu, fait partie des principaux enjeux de notre siècle etleluxefaitfaceàdenouvellescontradictionsafindeleprendreencompte.Nonpasqueles marques ne se soucient pas de cette problématique, au contraire, nous l’avons vu dans la troisième partie : la prise de conscience est amorcée, des initiatives sont prises, certaines générantdevraiesinnovations.Maisquesont-ellessanslacommunication?

Lorsque j’ai commencé la rédaction de ce mémoire où je souhaitais parler d’in-novations dans les processus artisanaux du luxe, la première réaction de ma directrice de mémoire, Valentina Tortorella, fut de me signaler un important paramètre que j’avais oublié. Toutemaréflexionétaitexclusivementtournéeverslesnouveautésentermesdeprocessuset de réalisation ; elle m’a fait remarquer que l’innovation, notamment pour une marque de luxe, ne se limite pas à tel ou tel domaine : elle est globale. En effet, au sein de ces maisons , dont l’offre s’est étendue à moult secteurs d’activités, le plus grand souci est de maintenir la cohérence : s’impliquer, créer, innover dans tous ces domaines ainsi que dans toutes leurs formes de représentation (communication, distribution, merchandising...). En effet, une innovation qui n’est pas communiquée, n’en est pas vraiment une car nous, les consom-mateurs,lepublicn’enprenonspasconscienceetellepasseinaperçue.

C’est exactement le problème qui se présente dans le cadre du développement du-rable : les innovations ne sont pas communiquées. Par conséquent, les critiques fusent, elles dénoncent un secteur paraissant replié sur lui-même, accentuant une position réactionnaire et passéiste prenant tardivement conscience des enjeux. L’industrie du luxe accuse un re-tard et s’expose à des risques en terme d’image importants. Pourtant les grands groupes ont lancé des actions depuis environ dix ans mais ils n’en font pas étalage. Cette réticence s’explique dans le fait que le luxe passe pour être le domaine de l’exception, de l’irréprocha-ble.Orleluxesaitqu’ilnel’estpasencore.Bienquelesusinesfrançaisessoientautopdesstandards,ilestplusdifficiledecommuniquersurdespointscommelatraçabilitédesma-tières premières, le tannage des cuirs ou l’extraction de l’or : par conséquent les marques ne valorisent pas leurs initiatives de peur de se voir attaquées sur ces points moins travaillés.

Dansl’avenir,lesmarquesfrançaisesonttoutintérêtàjouerlacarted’unnouveauluxe durable et à sortir de leur mutisme. Si les petites structures peuvent plus facilement adapter leurs pratiques, trouver de bons fournisseurs car elles travaillent sur des petits volumes,celaestbeaucoupplusdifficileàgérerpourlesgrandsgroupes.Maislesoppor-tunités ne manquent pas non plus et leur plus grande structure permet aussi différentes avancées peut-être moins évidentes de prime abord. En effet, le développement durable ne se borne pas aux seuls aspects environnementaux, les enjeux sociaux sont aussi à prendre en compte.

1CarmenKARVELLA,article« La schizophrénie du luxe » in Influencian°2,juillet/septembre2012.

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Endéveloppantunartisanattechnologiquecommenousl’avonsvuen3èmepar-tie, les marques encouragent un processus de fabrication plus responsable, plus local et aussi plus soucieux des gens, en somme un mode de production plus humain. Après avoir favorisé la préservation de notre patrimoine culturel artisanal via des fondations et autres programmes d’encouragement, ainsi qu’en maintenant cette pratique hors de sa version muséifiéeetenl’exploitantdanssonutilitépremière(àsavoirlafabricationd’objetsusuelsdestinés à un consommateur), les marques peuvent investir aujourd’hui dans le capital humain.

Investir dans le capital humain c’est créer des emplois en France, valoriser le tra-vail artisanal, re-dynamiser les métiers d’arts en misant sur des employés que l’on va former sur le long terme, à qui on va inculquer les secrets du savoir-faire qui va faire d’eux l’un des plus importants rouages de l’univers du luxe. Ces démarches sont déjà amorcées au sein de quelques grandes marques qui recrutent des artisans novices pour ensuite les former soitdansdesécoles intégrées, soitgrâceàunapprentissageauprèsd’unartisanqualifiépendantauminimumtroisans.Maisleplusimportantdanscetteactionsocialeestlesouciet le soin apportés à ces employés. Le plaisir dans le travail et la satisfaction personnelle éprouvée par un employé épanoui est le meilleur garant de la qualité du produit qu’il aura faitnaîtredesesmains.Cetteréflexionn’estpassansrappelerlesidéesdeWilliamMorris,chefdefiledumouvementArt&Craftsetgranddéfenseurdel’artisanat,quidisaitvouloirpar les arts appliqués (qu’il définissait comme «la qualité ornementaleque leshommeschoisissentd’ajouterauxarticlesutilitaires»),«ajouterdelabeautéauxrésultatsdutravaildel’homme»etégalement«ajouterduplaisirautravaillui-même».Ildéfendaitleplaisirdecréer et le fait que tout homme, à son échelle, peut être un producteur de beauté et goûter à ce bonheur. Après les cinq années que j’ai passées à étudier la broderie puis le tissage, j’ai expérimenté ce plaisir là ; j’ai compris que le long apprentissage, la patience nécessaire aux bellesfinitions,laminutieetl’attentionauxdétailsnesontriencomparéesàlasatisfactionressentiedevantunbelouvragefaçonnédenosmains.Ceplaisirlàestjepenseprimordialdans la création, c’est un positionnement certes utopique mais qu’il faut cependant garder en tête car tous ces détails mis bout à bout pourraient être la clé de voûte d’un nouveau luxe éthique.

Certes, on peut reprocher au luxe son prix. En ces temps de rigueur et d’austérité, laformeinsolentedecesecteurfaitjaseretparaîtendécalageaveclespréoccupationsac-tuellesquiréclamentdefaireprofilbas.Maisderrièrecettefaçaded’opulenceetdesuper-ficialité,lesbénéficesengendréspermettentaussidefairedebelleschoses:premièrementpar les emplois que le secteur alimente (directement et indirectement grâce aux nombreux sous-traitants que les marques sollicitent et qui parfois maintiennent en vie2, deuxièmement par la recherche dans les arts appliqués qu’il encourage pour être toujours à la pointe de l’originalité, de l’innovation et de la perfection, puis également par le rêve qu’il continue de susciter et que génère la magie des beaux objets. C’est une chance d’avoir conservé en France ces grandes marques qui se donnent les moyens d’une vraie recherche dans la créa-tion et dans les arts appliqués.

C’est une chance de posséder et de transmettre la richesse de nos métiers d’arts qui font vivre la tradition tout en en créant une nouvelle. C’est une chance de pouvoir prendre le temps nécessaire au perfectionnement dans un monde où tout va plus vite. C’est cette chance là que j’ai voulu défendre tout le long de ce mémoire. En choisissant ce sujet j’ai aussi voulu me convaincre qu’il existait bien des endroits où ce travail était possible.

Aujourd’hui en poussant encore plus loin ce fantasme, pouvons-nous imaginer des-cellules de recherches appliquées aux techniques artisanales, un endroit où la crème des artisans se retrouverait pour confronter leurs techniques aux nouvelles matières et techno-logiesafindetrouverdenouveauxgestesetrésultatsautourd’unsavoir-fairemoderne.

Imaginons un instant cette cellule. A l’intérieur ingénieurs, chercheurs, stylistes, designers et artisans : pas de simples exécutants mais les meilleurs de leur domaine, ceux qui maîtrisant parfaitement leur savoir-faire peuvent s’en affranchir pour lui donner

2Rappelonsici,l’exempledelasociétéParrafectionquisousl’égidedeChanelrachètelafinefleurdesesfournisseursafindepréserverleursavoir-faireetlesaideràserenouveler.Cetteinitiativeviseàpé-renniser le made in France alors que, chaque année, de nombreux artisans mettent la clef sous la porte, faute de successeur. Pour rendre hommage à ces métiers en voie de disparition, chaque année depuis 2003Chanelmontreaugrandpubliccequifaitencoreaujourd’huil’exceptionetlarenommédelahautecouturefrançaise,lorsd’undéfiléunique.

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une nouvelle forme mais aussi un nouvel usage. Un chercheur faisant de la veille sur les innovations découvre une nouvelle technologie, outils, matière, fibre... issue d’un autredomaine d’application, cette découverte lui semble intéressante pour telle ou telle raison mais il faut que celle-ci devienne utilisable pour le luxe. Dans les mains de l’artisan cette nouveautévasetransformeraufildesrecherchesetdesexpérimentationsmaisplusquelaformeoul’usagequ’ellevaprendre,c’estletemps,lesmoyensfinanciersethumains,l’envied’aller plus loin, l’envie de faire mieux, plus beau, plus inédit quoi qu’il en coûte, qui va générer la véritable innovation ; celle-ci est dès lors un luxe à part entière.

L’artisan fait le lien entre la tradition et l’innovation, il est la mémoire des gestes anciens et l’investigateur des nouveaux, sa signature scelle un mariage réussi entre héritage et modernité et apporte la cohésion nécessaire à la légitimation de la nouveauté.Ce genre d’atelier expérimental peut-il s’intégrer au coeur de la grande machine des marques de luxe ouvat-ilseretrouverenmargecommeceluid’IsseyMiyake?Est-ceunavenirpossiblepourl’artisanat de demain ?

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Bibliographie sélective

Ouvrages

•ASSOULYOlivier,Leluxe,Essais sur la fabrique de l’ostentation, ouvrage collectif, Paris, InstitutFrançaisdelamode–Regard,2005.•BASTIENVincentetKAPFERERJean-Noël,Luxe oblige,Paris,éditionsEyrolles,2010.•BERGERONLouis,Les industries du luxe en France,OdileJacob,1998.•CASTARÈDEJean,Histoire du luxe en France, des origines à nos jours, Paris, éditions Eyrolles,2007.•CASTARÈDEJean,Que Sais-Je : le luxe,Paris,PUF,2012.•LIPOVETSKYGilles,ROUXElyette,Le luxe éternel, de l’âge du sacré au temps des marques, Paris,Gallimard,2003.•MORRISWilliam,L’art et l’artisanat,Paris,éditionsPayotRivagesPoche,2011.•PAQUOTThierry,Éloge du luxe. De l’utilité de l’inutile,Paris,BourinÉditeur,2005.•REMAURYBruno,Marques et récits. La marque face à l’imaginaire culturel contemporain, Paris,IFM–Regard,2004.•SAILLARDOlivier,Petit lexique des gestes Hermès,Paris,ActesSud-Hermès,2012.•SALMONChristian,Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris,ÉditionsLaDécouverte,2008.

Catalogues et ouvrages collectifs

•Repères de mode 2003, visages d’un secteur,Paris,InstitutFrançaisdelaMode–Regards,2003•Mode de recherche n°16,Paris,InstitutFrançaisdelaMode–Regards,Juin2011,www.ifm-paris.com/pdf/mode_rech_16.pdf.•In progress,cataloguedel’expositionprésentéeauGrandHornu,du9maiau12septembre2010.

Articles

•ALLEAURené,article« Tradition », in Universalia 2011,Encyclopaedia Universalis.•ASSOULYOlivier,article« Luxe » in Universalia 2011,Encyclopaedia Universalis.•BOURDIEUPierre,« Haute couture et haute culture » in Questions de sociologie, Paris, Éditiondeminuit,1988,p.196à206.•BOURDIEUPierre,DELSAULTYvette,« Le couturier et sa griffe : contribution à une théorie de la magie » in Actes de la recherche en sciences sociales. Vol.1,janvier1975,p.7à36.www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_1975_num_1_1_2447.•CAHUZACAdrien,« Mutation. Louis Vuitton, l’industriel », L’usine NouvelleN°3247,le7juillet2011•CARAËSMarie-Haude,article« Quelle recherche en design ? » in Culture et Recherchen°121,automne-hiver2009«Recherche,créativité,innovation»,p.28à29.www.culturecommunication.gouv.fr/var/culture/storage/lettre-recherche/cr121.pdf.•GIGETMarc,« La Net époque, deuxième âge d’or du progrès à la française ?» , Quel avenir pour le progrès ?», Les cahiers Ernst&Young,n°13,mars2012.www.ey.com/Publication/vwLUAssets/Chap1_2_GIGET/$FILE/Chap1_2_GIGET.pdf.•JACOBINSophie,article« Et maintenant Hermès fait des hélicoptères ! », compte rendu de la séancedu30mars2009duséminaireCréationdesAmisdel’EcoledeParis.•KARVELLACarmen,article« La schizophrénie du luxe » in Influencian°2,juillet/septem-bre2012.•OUDGHIRIRémy,« Le luxe, synonyme d’innovation dans les pays émergents », in Marketing Magazinen°128,février2009.•SARGUEILAnne-Marie,interviewdeMarcGigetpourl’InstitutFrançaisduDesignhttp://www.institutfrancaisdudesign.com/Popups/art775.htm

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Conférences et podcasts

•Conférencesdel’IFM:http://www.ifm-paris.com/EVENTS/CONFERENCE_PUB/conference.asp-ThomasParis:Spécificitésdelacréativitédanslamodeséancetenuele31janvier2012àl’IFM.-Christophe Rioux : La fonction de l’art contemporain dans le luxe.séancetenuele29novembre2011àl’IFM.-Thierry Paquot : Le luxe est-il encore luxueux ?séancetenuele10mai2011àl’IFM.

•Lesmardisdel’innovation:http ://vimeo.com/channels/mardisinno/-MarcGiget:Culturedel’innovation,cultureetinnovationséancetenuele18octobre2011aux«Voûtes»,Paris-MarcGiget:Stratégiesd’innovationàlaBelleÉpoqueséancetenuele6octobre2012aux«Voûtes»,Paris-MarcGiget:Stratégiesd’innovationdansleluxeetlabeautéséancetenuele3avril2012àl’ESSECParis.

•1.618Sustainableluxury:L’innovation, monde de demain et style de vie.

Sites web :

http://www.3ds.com/fashionlab/en/homehttp://www.buzz2luxe.com/http://clairecolas.files.wordpress.com/http ://www.comitecolbert.com/http://fing.tumblr.com/http://www.influencia.net/http ://luxe.cles.com/http ://www.luxincom.com/http ://www.webandluxe.com/

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Remerciements

À Sophie Coiffier, pour ses conseils et sa grande disponibilité.

À Valentina Tortorella, ma directrice de mémoire, pour m’avoir si bien guidé le long de cette aventure. Merci également à Xavier Dixsaut et au département Innovation et Environnement de Louis Vuitton pour m’avoir ouvert leur porte et accorder leur confiance.

À mes parents, pour m’avoir toujours soutenu dans mes choix et m’avoir laissé suivre cette voie, bien qu’elle ne fut pas toujours la plus évidente.

À Sylvain, pour sa présence et sa patience sans faille devant mes éternelles remises en question.

À mon Crew du 5ème étage pour avoir partager ces trois années mouvementées au gré des coups de stress et des grands fous rires.

À Lucile, pour sa précieuse aide pour la mise en page.

À Agnès, Caro, Muriel et Vio pour leur amitié et leurs oreilles attentives.

À Stéphanie (bien qu’elle ait essayé de me détourner du droit chemin durant ses déjeuners de l’oisive-té !) et à Antoine (bien qu’il m’ait fait découvrir Games of Thrones en plein milieu de ma rédaction!)

À Alfie pour sa douceur et son calme réconfortant.

Au Plein Soleil, au Floréal, à la Pause Café pour avoir accueilli nos réunions au sommet et nous avoir détourné du droit chemin pour une heure ou deux!

À Oishi et Picard pour avoir été mon refuge alimentaire.

Et à toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont vécu cette expérience avec moi.

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