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CAS CLINIQUE Figure 1. Potentiels évoqués sacculocoliques myogéniques absents à droite et à gauche : absence d’onde P13 et N23 reproductible. 16 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 Mots-clés : Syphilis – Surdité de perception – Aréflexie vestibulaire. Keywords: Syphilis – Sensorineural hearing loss – Vestibular areflexia. Otosyphilis Otosyphilis S. Imbaud-Genieys* * Centre d’explorations fonctionnelles otoneurologiques, Paris. B ien qu’ayant quasiment disparu depuis l’avènement de la pénicilline, la syphilis connaît une recrudescence récente du fait de l’apparition du virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Son incidence augmente : on compte 12 millions de nouveaux cas annuels dans le monde (1). Il faut savoir l’évoquer devant une symptomatologie atypique, notamment vertigineuse et/ou auditive. Observation Monsieur G., âgé de 45 ans, consulte pour l’apparition depuis 3 semaines d’une baisse d’audition bilatérale, d’acouphènes bilatéraux à type de sifflement continu et pulsatile à gauche, d’une hyperacousie douloureuse, et d’une instabilité associée à des oscillopsies. Monsieur G est homosexuel et séropositif au VIH-1, sous trithérapie depuis 2 ans. Une syphilis secondaire a été diagnostiquée 4 mois auparavant devant une éruption thoracique et palmoplantaire, et traitée par une injection intramusculaire (i.m.) de 2,4 millions de benzathine-benzylpénicilline. L’examen clinique vestibulaire, vidéo-nystagmographique et vidéo- oculographique montrait une ataxie se majorant à la fermeture des yeux, sans nystagmus spontané ou provoqué, un test d’Halmagyi positif de façon bilatérale et une aréflexie vestibulaire bilatérale aux épreuves caloriques, témoin d’une atteinte des canaux semi- circulaires latéraux ou des nerfs vestibulaires supérieurs. L’examen vidéo-oculomoteur était normal. Il n’y avait pas de signe d’atteinte des paires crâniennes, ni d’atteinte cérébelleuse. Les potentiels évoqués sacculocoliques myogéniques étaient absents à droite et à gauche, révélant un dysfonctionnement bilatéral du saccule vestibulaire ou du nerf vestibulaire inférieur (figure 1). L’examen audiométrique retrouvait un déficit auditif perceptif bilatéral, de profil globalement horizontal, prédominant du côté gauche (figure 2). Une IRM cérébrale montrait une arachnoïdite bilatérale située au niveau des méats acoustiques internes, associée à une labyrinthite bilatérale cochléaire et vestibulaire prédominant à gauche (figure 3). La sérologie était positive dans le sang (VDRL [Venereal Disease Research Laboratory] à 1:16 pour une norme inférieure à 1:2 ; TPHA (Treponema Pallidum Hemagglutinations Assay) supérieur à 1/20480 pour une norme inférieure à 1/80) et dans le liquide céphalorachidien (LCR) [VDRL positif à 1+ pour une norme inférieure à 1+]. Le LCR était inflammatoire à prédominance lymphoplasmocytaire ; ces résultats confirmaient le tableau de neurosyphilis (tableau). Un traitement par pénicilline G (18 millions) et méthylprednisolone (1 mg/kg/j) intraveineuse était instauré pendant 3 semaines. Un contrôle audiométrique et vidéonystagmographique à 1 mois et à 6 mois montrait une amélioration progressive des seuils auditifs, des réponses vestibulaires alors que le VDRL était abaissé à 1:4 (figure 2 et figure 4, p. 18). Un nouveau contrôle audiométrique et vidéonystagmographique est prévu 6 mois plus tard. Discussion La syphilis est une infection due à la bactérie spirochète Treponema pallidum ou tréponème pâle, non cultivable. La transmission se fait par voie sexuelle ou sanguine pour les syphilis acquises, et transplacentaire pour les syphilis congénitales.

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CAS CLINIQUE

Figure 1. Potentiels évoqués sacculocoliques myogéniques absents à droite et à gauche : absence d’onde P13 et N23 reproductible.

16 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012

Mots-clés :Syphilis – Surdité de perception – Aréflexie vestibulaire.

Keywords: Syphilis – Sensorineural hearing loss – Vestibular areflexia.

Otosyphilis Otosyphil is

S. Imbaud-Genieys*

* Centre d’explorations fonctionnelles otoneurologiques, Paris.

Bien qu’ayant quasiment disparu depuis l’avènement de la pénicilline, la syphilis connaît une recrudescence récente du fait de l’apparition du virus de l’immuno déficience humaine

(VIH). Son incidence augmente : on compte 12 millions de nouveaux cas annuels dans le monde (1). Il faut savoir l’évoquer devant une symptomatologie atypique, notamment vertigineuse et/ou auditive.

O b s e r v a t i o n

Monsieur G., âgé de 45 ans, consulte pour l’apparition depuis 3 semaines d’une baisse d’audition bilatérale, d’acouphènes bilatéraux à type de sifflement continu et pulsatile à gauche, d’une hyperacousie douloureuse, et d’une instabilité associée à des oscillopsies. Monsieur G est homosexuel et séropositif au VIH-1, sous trithérapie depuis 2 ans. Une syphilis secondaire a été diagnostiquée 4 mois auparavant devant une éruption thoracique et palmoplantaire, et traitée par une injection intramusculaire (i.m.) de 2,4 millions de benzathine-benzylpénicilline. L’examen clinique vestibulaire, vidéo-nystagmographique et vidéo-oculographique montrait une ataxie se majorant à la fermeture des yeux, sans nystagmus spontané ou provoqué, un test d’Halmagyi positif de façon bilatérale et une aréflexie vestibulaire bilatérale aux épreuves caloriques, témoin d’une atteinte des canaux semi-circulaires latéraux ou des nerfs vestibulaires supérieurs. L’examen vidéo-oculomoteur était normal. Il n’y avait pas de signe d’atteinte des paires crâniennes, ni d’atteinte cérébelleuse. Les potentiels évoqués sacculocoliques myogéniques étaient absents à droite et à gauche, révélant un dysfonctionnement bilatéral du saccule vestibulaire ou du nerf vestibulaire inférieur (figure 1). L’examen audiométrique retrouvait un déficit auditif perceptif bilatéral, de profil globalement horizontal, prédominant du côté gauche (figure 2). Une IRM cérébrale montrait une arachnoïdite bilatérale située au niveau des méats acoustiques internes, associée à une labyrinthite bilatérale cochléaire et vestibulaire prédominant à gauche (figure 3). La sérologie était positive dans le sang (VDRL [Venereal Disease Research Laboratory] à 1:16 pour une norme inférieure à 1:2 ; TPHA (Treponema Pallidum Hemagglutinations

Assay) supérieur à 1/20480 pour une norme inférieure à 1/80) et dans le liquide céphalorachidien (LCR) [VDRL positif à 1+ pour une norme inférieure à 1+]. Le LCR était inflammatoire à prédominance lymphoplasmocytaire ; ces résultats confirmaient le tableau de neurosyphilis (tableau).Un traitement par pénicilline G (18 millions) et méthylprednisolone (1 mg/kg/j) intraveineuse était instauré pendant 3 semaines. Un contrôle audiométrique et vidéonystagmographique à 1 mois et à 6 mois montrait une amélioration progressive des seuils auditifs, des réponses vestibulaires alors que le VDRL était abaissé à 1:4 (figure 2 et figure 4, p. 18). Un nouveau contrôle audiométrique et vidéonystagmo graphique est prévu 6 mois plus tard.

D i s c u s s i o n

La syphilis est une infection due à la bactérie spirochète Treponema pallidum ou tréponème pâle, non cultivable. La transmission se fait par voie sexuelle ou sanguine pour les syphilis acquises, et transplacentaire pour les syphilis congénitales.

CAS CLINIQUE

Figure 2. Audiogrammes. Première consultation : déficit auditif perceptif bilatéral, de profil globalement horizontal, prédominant du côté gauche. La perte auditive moyenne est de 33 dB à droite et 55,5 dB à gauche. À 1 mois : nette amélioration des seuils auditifs, en particulier du côté droit : la perte auditive moyenne est de 11,9 dB à droite et de 48 dB à gauche. À 6 mois : stabilité au niveau de l’oreille droite ; amélioration des seuils sur les fréquences medium au niveau de l’oreille gauche : la perte auditive moyenne est de 5,5 dB à droite et 24,5 dB à gauche.

Figure 3. IRM : arach-noïdite b i latérale et labyrinthite bilatérale vestibulaire et cochléaire prédominant à gauche ; séquence FLAIR (FLuid At t e n u a t e d I nv e r s i o n Recovery) en coupes fines : hypersignal des conduits auditifs internes et du labyrinthe (Dr F. Cyna Gorse).

Tableau. Les sérologies syphilitiques.

Méthodes à antigène non tréponémique

Méthodes à antigène tréponémique

servent à poser le diagnostic de l’acti-vité de la syphilis et ultérieurement à surveiller l’efficacité du traitement

servent à confirmer le diagnostic de syphilis

VDRL (Venereal Disease Research Labo ratory) [en France] positif 15 jours après l’apparition du chancre

TPHA (Treponema Pallidum Haemag-glutination Assay) positif 10 jours après l’apparition du chancre

RPR (Rapid Plasma Reagin test) [aux États-Unis]

FTA (Fluorescent Treponemal Assay)positif 7 jours après l’apparition du chancre

ELISA (Enzyme-Linked Immuno-Sorbent Assay)peu utilisés en France se positivent très précocement, surtout les ELISA/IgM

La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012 | 17

CAS CLINIQUE

Figure 4. Deuxièmes épreuves caloriques, 6 mois après la première consulta-tion : résultats exprimés en fréquence des nystagmus et en vitesse de la phase lente du nystagmus.

18 | La Lettre d’ORL et de chirurgie cervico-faciale • n° 331 - octobre-novembre-décembre 2012

La neurosyphilis (2) peut survenir dans la forme précoce (syphilis primaire ou secondaire) ou tardive (syphilis tertiaire) de la maladie. Sans traitement, 8 à 10 % des syphilis évoluent vers la neuro syphilis. L’otosyphilis (3-5) est une forme de neurosyphilis touchant spéci-fiquement le labyrinthe. Elle peut se rencontrer dans les cas de syphilis congénitale ou acquise. Dans l’otosyphilis acquise, il y a une surdité de perception uni- ou bilatérale de survenue brutale ou rapidement progressive, avec ou sans acouphènes et signes vestibu-laires (vertiges, instabilité, nystagmus). Dans les syphilis précoces, l’otosyphilis correspond à un syndrome méningé aigu basilaire provoquant une atteinte du VIII avec infiltration lymphocytaire

du labyrinthe. Le LCR est le plus souvent anormal (pléiocytose, hyperprotéinorachie et sérologie du tréponème positive). Dans les syphilis tardives, l’atteinte otologique résulte d’une ostéite ou périostite de l’os temporal conduisant à une dégénérescence du labyrinthe et de la cochlée. Le LCR est en général normal. Des surdités de transmission par fixation ossiculaire ont également été décrites. Dans la syphilis congénitale, des malformations du sac endolymphatique et des canaux semi-circulaires ont été observées avec possibilité d’hydrops chez l’adulte.

Diagnostic

La réalisation de 2 tests sérologiques (tableau, p. 17) [6] permet d’augmenter la sensibilité et la spécificité du diagnostic. Dans les syphilis primaires, le microscope à fond noir permet de mettre en évidence des tréponèmes dans la lésion. Dans la syphilis secondaire, tous les tests sérologiques sont positifs, avec des titres élevés en anticorps. Le diagnostic biologique de neurosyphilis repose sur des arguments non spécifiques (hypercellularité du LCR, hyperprotéi-norachie) et un VDRL positif dans le LCR. La diminution du VDRL dans le sang permet de suivre l’efficacité du traitement. La ponction lombaire est recommandée pour toutes les syphilis avec signes neurologiques, otologiques et oculaires, et pour tous les patients positifs au VIH. Une sérologie du VIH doit systématiquement être réalisée. Le diagnostic différentiel de l’otosyphilis se fait avec la maladie de Ménière, les étiologies tumorales, traumatiques et toxiques, la labyrinthite virale.

Traitement

Le traitement préconisé est le même que celui de la neurosyphilis : la pénicilline G intraveineuse, de 18 à 24 millions d’unités par jour pendant 15 jours à 3 semaines, associée à une corticothérapie, afin de réduire la réponse immunitaire et d’éviter la fibrose du labyrinthe et du sac endolymphatique.

C o n c l u s i o n

Plus le diagnostic d’otosyphilis est posé tôt, meilleure est la récupé-ration. Une baisse d’audition rapidement progressive avec ou sans atteinte vestibulaire doit faire rechercher à l’interrogatoire la notion de maladie sexuellement transmissible, de lésions cutanées anciennes, de signes ophtalmologiques. L’otosyphilis doit être recherchée, d’autant plus que le patient est séropositif au VIH. La ponction lombaire doit être systématique, quel que soit le stade de la syphilis. L’otosyphilis doit être traitée comme une neurosyphilis. ■

1. Luchtman C, Weisbrod DJ, Schwartz CE. Diagnosis and management of syphilis after unique ocular presentation. Can Fam Physician 2011;57:896-9.2. Marra CM. Update on neurosyphilis. Curr Infect Dis Rep 2009;11:127-34.

3. Jeans AR, Wilkins EG, Bonington A. Sensorineural hearing loss due to secondary syphilis. Int J STD AIDS 2008;19:355-6.4. Klemm E, Wollina U. Otosyphilis: report on six cases. J Eur Acad Dermatol Venereol 2004;18:429-34.

5. Mishra S, Walmsley SL, Loufty MR, Kaul R, Logue KJ, Gold WL. Otosyphilis in HIV-coinfected individuals: a case series from Toronto, Canada. AIDS Patient Care STDS 2008;22:213-9.6. Farhi D, Dupin N. Diagnostic sérologique de la syphilis. Ann Dermatol Venereol 2008;135:418-25.

Références bibliographiques