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Assistance nutritionnelle au cours des insuffisances hépatocellulaires Nutrition support in liver diseases X. Hébuterne Fédération d’hépato-gastroentérologie et de nutrition clinique, hôpital de l’Archet 2, 06202 Nice cedex 3, France MOTS CLÉS Foie ; Cirrhose ; Nutrition ; Nutrition entérale ; Protéines ; Acides aminés branchés KEYWORDS Liver; Cirrhosis; Nutrition; Enteral nutrition; Protein; Branched chain amino acid Résumé La dénutrition est fréquente chez les malades en situation d’insuffisance hépato- cellulaire. Elle peut être facilement déterminée par la mesure de la circonférence muscu- laire brachiale. Elle est favorisée par de nombreux facteurs parmi lesquels la diminution des ingesta liée à l’anorexie et à des régimes aberrants et les troubles métaboliques liés à l’insuffisance hépatocellulaire sont au premier plan. Lorsque les malades sont hospitalisés, la dénutrition s’aggrave, fréquemment favorisée par une alimentation hospitalière souvent peu adaptée et les épisodes de jeûne liés à la pratique d’examens complémentaires et aux complications de l’hypertension portale. Chez tous les malades cirrhotiques, les apports énergétiques et protéiques devraient être de 30 à 35 kcal/j et de 1,2 à 1,5 g/j, respective- ment. Une supplémentation en vitamines est souvent également nécessaire. De nombreuses études ont clairement démontré l’intérêt du support nutritionnel chez ces malades. En cas de dénutrition modérée, une supplémentation orale enrichie en acides aminés ramifiés peut améliorer leur devenir. En cas de dénutrition plus sévère chez un malade hospitalisé, la nutrition entérale doit être envisagée. Enfin, un support nutritif périopératoire doit être proposé chez les malades qui doivent subir une chirurgie lourde comme une résection hépatique pour carcinome hépatocellulaire ou une transplantation hépatique. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Protein energy malnutrition is particularly frequent and severe in cirrhotic patients and may be determined by the routine measure of the mid-arm muscle circum- ference. The reasons for malnutrition include various factors such as anorexia, poor diet, and altered metabolic state. When the patient is hospitalized, malnutrition is frequently worsened due to the test-related necessity of fasting, continued anorexia, and complica- tions such as gastrointestinal bleeding. Dietetic recommendations must be done to all patients. In cirrhotic patients energy needs are about 30 to 35 kcal/d with 1.2 to 1.5 g/d of protein. Oral supplementation with vitamins is often mandatory. Many studies have now clearly demonstrated that in malnourished patients nutrition support may improve outcome. In case of moderate malnutrition oral supplement enriched with branched chain amino acids may be useful. In case of severe malnutrition in hospitalized patients, enteral nutrition may be considered. Peri-operative nutrition support should be considered before surgery for hepatocellular carcinoma or liver transplantation. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Adresse e-mail : [email protected] (X. Hébuterne). EMC-Hépato-Gastroentérologie 2 (2005) 319–329 www.elsevier.com/locate/emchg 1769-6763/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emchg.2005.08.001

Assistance nutritionnelle au cours des insuffisances hépatocellulaires

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Page 1: Assistance nutritionnelle au cours des insuffisances hépatocellulaires

Assistance nutritionnelle au coursdes insuffisances hépatocellulaires

Nutrition support in liver diseasesX. HébuterneFédération d’hépato-gastroentérologie et de nutrition clinique, hôpital de l’Archet 2,06202 Nice cedex 3, France

MOTS CLÉSFoie ;Cirrhose ;Nutrition ;Nutrition entérale ;Protéines ;Acides aminésbranchés

KEYWORDSLiver;Cirrhosis;Nutrition;Enteral nutrition;Protein;Branched chain aminoacid

Résumé La dénutrition est fréquente chez les malades en situation d’insuffisance hépato-cellulaire. Elle peut être facilement déterminée par la mesure de la circonférence muscu-laire brachiale. Elle est favorisée par de nombreux facteurs parmi lesquels la diminution desingesta liée à l’anorexie et à des régimes aberrants et les troubles métaboliques liés àl’insuffisance hépatocellulaire sont au premier plan. Lorsque les malades sont hospitalisés,la dénutrition s’aggrave, fréquemment favorisée par une alimentation hospitalière souventpeu adaptée et les épisodes de jeûne liés à la pratique d’examens complémentaires et auxcomplications de l’hypertension portale. Chez tous les malades cirrhotiques, les apportsénergétiques et protéiques devraient être de 30 à 35 kcal/j et de 1,2 à 1,5 g/j, respective-ment. Une supplémentation en vitamines est souvent également nécessaire. De nombreusesétudes ont clairement démontré l’intérêt du support nutritionnel chez ces malades. En casde dénutrition modérée, une supplémentation orale enrichie en acides aminés ramifiés peutaméliorer leur devenir. En cas de dénutrition plus sévère chez un malade hospitalisé, lanutrition entérale doit être envisagée. Enfin, un support nutritif périopératoire doit êtreproposé chez les malades qui doivent subir une chirurgie lourde comme une résectionhépatique pour carcinome hépatocellulaire ou une transplantation hépatique.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract Protein energy malnutrition is particularly frequent and severe in cirrhoticpatients and may be determined by the routine measure of the mid-arm muscle circum-ference. The reasons for malnutrition include various factors such as anorexia, poor diet,and altered metabolic state. When the patient is hospitalized, malnutrition is frequentlyworsened due to the test-related necessity of fasting, continued anorexia, and complica-tions such as gastrointestinal bleeding. Dietetic recommendations must be done to allpatients. In cirrhotic patients energy needs are about 30 to 35 kcal/d with 1.2 to 1.5 g/dof protein. Oral supplementation with vitamins is often mandatory. Many studies havenow clearly demonstrated that in malnourished patients nutrition support may improveoutcome. In case of moderate malnutrition oral supplement enriched with branched chainamino acids may be useful. In case of severe malnutrition in hospitalized patients, enteralnutrition may be considered. Peri-operative nutrition support should be consideredbefore surgery for hepatocellular carcinoma or liver transplantation.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Adresse e-mail : [email protected] (X. Hébuterne).

EMC-Hépato-Gastroentérologie 2 (2005) 319–329

www.elsevier.com/locate/emchg

1769-6763/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.emchg.2005.08.001

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Introduction

La malnutrition protéinoénergétique est fréquentechez les patients atteints d’une maladie du foie, etplus particulièrement au cours de la cirrhose. Ladénutrition chez le cirrhotique, comme dansd’autres circonstances pathologiques, risque d’in-fluencer négativement le devenir clinique des ma-lades. Dans cet article, nous essaierons de répondreaux questions suivantes : quelle est la prévalencede la dénutrition chez les malades qui présententune insuffisance hépatocellulaire ? Quelles en sontles causes ? Quelle est l’influence de la dénutritionsur l’évolution clinique des malades ? Enfin, com-ment la traiter et quelle est la conséquence de laprise en charge de la dénutrition sur le devenir desmalades ?

Prévalence de la dénutrition

La prévalence de la malnutrition protéinoénergéti-que au cours des maladies hépatiques chroniquesvarie en fonction de la sévérité de l’atteinte hépa-tique et de la présence d’un alcoolisme actif.1–3 Onestime habituellement que plus de 50 % des mala-des cirrhotiques sont dénutris et les chiffres les plusélevés ont été rapportés chez des malades hospita-lisés avec une cirrhose à un stade avancé. Cepen-dant, la plupart des méthodes d’évaluation del’état nutritionnel sont mises en défaut chez lesmalades cirrhotiques, ce qui pose d’importants pro-blèmes pour apprécier leur degré de dénutrition.L’ascite et les œdèmes augmentent artificielle-ment le poids corporel ; les protéines plasmatiquesreflètent surtout la fonction hépatique et sont in-fluencées par les troubles de l’hydratation ; lacréatininurie des 24 heures est modifiée du fait del’insuffisance rénale associée. La mesure de lacomposition corporelle par impédancemétrie bio-électrique n’est pas validée dans cette populationet est parasitée par la présence d’un troisièmesecteur. Dans un travail récent, Caregaro et al.4 ontévalué la prévalence de la dénutrition chez 120 ma-lades hospitalisés pour une cirrhose (77 d’originealcoolique et 43 d’origine virale) par des mesuresanthropométriques, des mesures des protéinesplasmatiques et une évaluation de l’immunité. Labonne corrélation retrouvée entre les protéinesplasmatiques (albumine, transthyrétine, transfer-rine, retinol binding protein) avec le score deChild-Pugh confirme que chez ces malades, cesanomalies reflètent beaucoup plus la fonction hé-patique que la dénutrition. Dans cette étude, ladétermination des paramètres anthropométriques :épaisseur cutanée tricipitale (ECT) et circonfé-

rence musculaire brachiale (CMB), apparaissaitcomme la méthode la plus précise d’évaluation del’état nutritionnel. Une malnutrition protéinoéner-gétique définie par une ECT et/ou une CMB endessous du 5e de percentile de la valeur standard,était trouvée chez 34 % des malades (Fig. 1).Comme on pouvait s’y attendre, la prévalence de ladénutrition était plus élevée chez les malades avecune maladie hépatique sévère (Child-Pugh C) quechez les autres mais, contrairement aux protéinesplasmatiques, les marqueurs anthropométriquesn’étaient pas corrélés à la sévérité de la maladie.La prévalence de la dénutrition était identiquequelle que soit l’étiologie de la cirrhose. Les mesu-res de l’ECT et de la CMB sont utilisables mêmechez les malades qui présentent une rétention hy-drosodée car les œdèmes s’accumulent très rare-ment au niveau des membres supérieurs.5,6 Dansune autre étude, l’ECT était diminuée chez 49 % descirrhotiques.7 Il semble que la détermination routi-nière de l’ECT et de la CMB chez des maladescirrhotiques doit être recommandée pour permet-tre de déterminer l’état nutritionnel de ces mala-des (Fig. 2).

Causes de la dénutrition

Malnutrition protéinoénergétique

Dans la majorité des cas, l’étiologie de la malnutri-tion protéinoénergétique est multifactorielle (Ta-bleau 1). Les malades avec une insuffisance hépa-tocellulaire ont une tendance à l’anorexie et ontsouvent des perturbations du goût. L’alimentationconsommée est souvent déséquilibrée et en parti-culier carencée en protéines, en zinc et en vitami-nes du groupe B. L’alcoolisme et/ou une gastropa-thie associée favorisent les nausées et lesvomissements. La prescription de régimes alimen-taires hyposodés stricts, voire hypoprotidiques,

Figure 1 Prévalence de la dénutrition (ECT ou CMB inférieuresau 5e de percentile) chez des cirrhotiques en fonction de laclassification de Child. Adapté de Caregaro et al.4

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contribue largement à la diminution des ingesta.Des perturbations des peptides impliqués dans lecontrôle de la prise alimentaire ont été observéeset plusieurs équipes ont démontré qu’il existait desanomalies de la sécrétion de leptine8–11 chez lesmalades cirrhotiques. Récemment, Marchesini etal.12 ont démontré que les taux circulants de ghré-line, un peptide sécrété par l’estomac et dontl’augmentation précède la prise alimentaire chezl’homme, étaient augmentés chez les malades cir-rhotiques qui présentaient une diminution de leursingesta. Cette observation, similaire à celle faitechez des malades cancéreux, suggère que l’aug-mentation de ghréline est un mécanisme compen-sateur qui survient en réaction à l’anorexie dont lacause est très probablement centrale au niveau del’hypothalamus.En dehors des troubles du contrôle de l’appétit,

les malades porteurs d’une insuffisance hépatocel-

lulaire sont souvent mis à jeun au cours des hospi-talisations répétées pour des examens complémen-taires et/ou en raison de complications dues àl’hypertension portale. Chez certains sujets, l’ab-sorption des nutriments est altérée du fait d’unehypertension portale splanchnique,13 d’une choles-tase, voire d’une insuffisance pancréatique asso-ciée. De plus, une pullulation microbienne intesti-nale14 et une entéropathie exsudative15 peuventsurvenir chez ces malades et participer à la malab-sorption protéique.Les perturbations métaboliques sont constantes

au cours de la cirrhose et favorisent la dénutrition.En raison de son activité métabolique intense, lefoie tient une place importante dans le métabo-lisme énergétique ; il est responsable d’environ20 % de la dépense énergétique de repos (DER),alors qu’il ne représente que 2 % du poids corporel.Beaucoup d’auteurs ont étudié la DER chez le cir-rhotique qui a été trouvée parfois normale et par-fois élevée. Une étude réalisée chez 473 maladesavec une cirrhose histologiquement prouvée a re-trouvé un hypermétabolisme chez 33,8 % d’entreeux.16 Lorsque la DER est exprimée par unité demasse maigre (MM), elle est plus élevée chez lesmalades cirrhotiques que chez les témoins et l’hy-permétabolisme est corrélé à la sévérité de lamaladie.17 L’alcool et les virus à tropisme hépati-que peuvent induire un hypermétabolisme par eux-mêmes. L’alcool apporte 7,1 kcal/g ; cependant,malgré sa haute densité énergétique, les animauxou les hommes chez qui l’alimentation a été subs-tituée de manière isoénergétique par de l’alcoolont tendance à maigrir. Nous avons récemment

Figure 2 Évaluation de la dénutrition à l’aide des marqueurs anthropométriques : épaisseur cutanée tricipitale (ECT) et circonférencemusculaire brachiale (CMB).

Tableau 1 Causes et mécanismes de la dénutrition chez unmalade avec une insuffisance hépatocellulaire.

Facteursfavorisant ladénutrition

Mécanismes

Diminutiondes apportsalimentaires

Anorexie, nausées, vomissementsPériodes de jeûne au cours des hospita-lisations, régimes (sans sel strict, hypo-protidique)

Anomaliesmétaboliques

Augmentation de la dépense énergéti-que, hypercatabolisme protidique,insulinorésistance, néoglucogenèse

Malabsorption Insuffisance pancréatique associée,cholestase, entéropathie liée à l’alcool

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démontré que les malades porteurs d’une hépatitevirale C chronique sans cirrhose présentent un hy-permétabolisme. Celui-ci était corrélé à la chargevirale et disparaissait après traitement par l’inter-féron chez les répondeurs et pas chez les non-répondeurs.18 De plus, les épisodes aigus tels queles infections, les hémorragies digestives ou la sur-venue d’un hépatocarcinome induisent fréquem-ment un hypermétabolisme.

Métabolisme des glucides

Physiologiquement, la glycémie est maintenueconstante malgré le jeûne grâce à la productionhépatique de glucose provenant de la glycogéno-lyse ou de la néoglucogenèse. Chez l’insuffisanthépatique, les réserves de glycogène sont dimi-nuées, ce qui limite d’autant les possibilités deglycogénolyse. Cependant, l’hypoglycémie n’estobservée qu’à un stade tardif de la cirrhose ou aucours des hépatites fulminantes, du fait de l’aug-mentation de la néoglucogenèse.19,20 La néogluco-genèse est métaboliquement très coûteuse et sefait au détriment des acides aminés, induisant ainsiune augmentation de la protéolyse. Les aminoaci-dogrammes plasmatiques sont souvent perturbéschez le cirrhotique.21 Une diminution globale dupool d’acides aminés est observée ; celle-ci porteplus spécifiquement sur les acides aminés rami-fiés (AAR) : valine, leucine, isoleucine. Une éléva-tion modérée de certains acides aminés aromati-ques comme la phénylalanine et la tyrosine estparfois décrite.22 En conséquence, le ratio acideaminé aromatique sur AAR augmente et il a étépostulé que cette anomalie pourrait jouer un rôledans le déterminisme de survenue d’uneencéphalopathie hépatique. Une autre anomaliemétabolique souvent rencontrée dans cette mala-die est l’insulinorésistance. Le quotient respira-toire non protéique est plus bas chez le cirrhotiqueque chez des témoins, ce qui traduit une augmen-tation de l’oxydation des lipides.23 Ainsi, la sourceénergétique principale chez ces patients provientde la b-oxydation des acides gras du tissu adipeux.1

De nombreuses carences en vitamines et en mi-cronutriments ont été observées chez le cirrhoti-que. Les causes en sont la diminution de la prisealimentaire, des anomalies métaboliques tellesqu’un défaut d’activation et/ou de transport dansl’organisme, une dégradation accélérée, une aug-mentation des besoins et un défaut de stockage.Des carences en vitamines liposolubles ont, ellesaussi, été démontrées chez l’alcoolique en rapportavec une carence d’apport, une cholestase, voireune malabsorption. Certains oligoéléments commele zinc et le sélénium sont aussi diminués chez lecirrhotique, ce qui participe à l’immunodépression.

Pronostic de la dénutrition chezle cirrhotique

Cette question est essentielle car elle conditionnele bien-fondé d’une attitude nutritionnelle inter-ventionniste. En effet, si la dénutrition per se ag-grave le pronostic de la cirrhose, elle doit êtretraitée de manière indépendante et il est possibleque ce traitement nutritionnel améliore le pronos-tic du malade. À l’inverse, si la dénutrition n’estque la conséquence de l’insuffisance hépatique etqu’elle n’influence pas le pronostic, une interven-tion nutritionnelle paraît peu en mesure de modi-fier le cours évolutif de l’affection et/ou de l’épi-sode actuel.Dans une étude réalisée chez 156 malades,

O’Keefe et al.7 ont démontré une relation significa-tive entre la dénutrition et l’anergie. La mortalitéétait de 50 % chez les malades anergiques contre18 % chez les malades immunocompétents. Chez lesmalades porteurs d’une insuffisance hépatocellu-laire, le travail de Caregaro et al.4 qui fait réfé-rence répond clairement à la question puisque,dans cette étude, la probabilité de survie à 2 ansdes malades qui avaient une CMB et/ou une ECTinférieure au 5e de percentile, était nettementinférieure à celle des malades non dénutris, et ceindépendamment de la gravité de la maladie éva-luée par le score de Child-Pugh (Fig. 3). La dénutri-tion constitue donc bien un facteur indépendant demortalité chez le malade cirrhotique. À côté de soneffet négatif sur l’immunité, la dénutrition peutaussi influencer négativement le cours évolutif dela cirrhose en aggravant l’insuffisance hépatocellu-laire. En effet, la réduction des substrats disponi-bles engendre une diminution des synthèses protéi-ques qui altère les capacités de régénérationhépatique ainsi que la synthèse de certaines enzy-mes et hormones.24

Figure 3 Probabilité de survie à 6 mois, 1 an et 2 ans chez lesmalades cirrhotiques avec une circonférence musculaire bra-chiale (CMB) supérieure ou inférieure au 5e de percentile.Adapté de Caregaro et al.4

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Prise en charge de la dénutrition

La prise en charge nutritionnelle du malade ensituation d’insuffisance hépatocellulaire va de sim-ples recommandations diététiques nécessaires cheztous les malades à la nutrition entérale (NE).Comme pour toute autre affection, la nutritionparentérale n’est indiquée que dans les trois situa-tions suivantes : insuffisance intestinale avec ma-labsorption grave d’origine anatomique ou fonc-tionnelle, occlusion intestinale chronique, échecd’une nutrition entérale bien conduite. On voitainsi que chez un malade cirrhotique, ces situationssont exceptionnelles et donc que la nutrition paren-térale ne sera utilisée que dans des cas très parti-culiers.

Recommandations diététiques (Tableau 2)

La suppression de l’alcool est la base de toute priseen charge nutritionnelle chez le malade porteurd’une insuffisance hépatocellulaire d’origine alcoo-lique et constitue un prérequis sans lequel touteautre forme de traitement serait irrémédiablementvouée à l’échec. La mise en place d’un contrat avecle malade, en l’avertissant clairement et sans com-plaisance des risques encourus en l’absence desevrage, est absolument nécessaire.Les besoins énergétiques sont discrètement aug-

mentés au cours de la cirrhose. Cependant, ensituation stable, des apports de 30 à 35 kcal/kg depoids sec/j semblent suffisants.25 Il peut être né-cessaire de les augmenter à 40 kcal/kg de poidssec/j en cas d’infection ou de complication. Danstous les cas, il faut limiter au maximum les périodesde jeûne qui aggravent l’état nutritionnel. Au coursde la cirrhose, les besoins protéiques sont augmen-tés et les apports ne devraient pas être inférieurs à60-80 g/j (1,2 à 1,5 g/kg de poids sec/j).25 Larestriction protéique chronique, dans le but deprévenir une encéphalopathie hépatique, ne nous

paraît pas acceptable. En cas d’encéphalopathie, ilest nécessaire de maintenir un apport minimum de60 g/j de protéines, quitte à augmenter la posolo-gie des traitements standards comme le lactu-lose.22 Dans les rares cas où le patient ne tolère pascet apport protéique, la substitution des protéinesalimentaires par des AAR est logique et, dans notreexpérience, efficace. Un travail multicentrique ita-lien démontre très clairement l’intérêt de la sup-plémentation orale en AAR chez les malades quiprésentent une encéphalopathie hépatique chroni-que.26 Ce travail a été ensuite confirmé par uneautre étude où la supplémentation orale en AARchez les malades en encéphalopathie hépatiquechronique améliorait nettement leurs fonctions co-gnitives.27 Nous reviendrons plus loin sur la place dela supplémentation orale en AAR au cours de l’in-suffisance hépatocellulaire.Chez le malade en situation d’insuffisance hépa-

tocellulaire, l’apport glucidolipidique doit être nor-malement équilibré. Si le régime sans sel est d’uneincontestable efficacité clinique pour le traitementde la surcharge hydrosodée, il doit être mis enbalance avec son habituel effet désastreux sur laprise alimentaire. Il est parfois préférable « d’auto-riser » un peu de sel pour que le malade conserveson appétit. En pratique, le régime « sans selstrict » est banni au cours de la cirrhose. En cas dedécompensation, il est habituel de proposer unrégime « sans sel large » qui apporte environ 3 g deNaCl par jour. Plusieurs études épidémiologiquesrévèlent la fréquence élevée de carences en vita-mines chez l’alcoolique cirrhotique. Les principalesvitamines affectées sont : l’acide folique, la vita-mine B1, la vitamine B6, et la vitamine PP dont lasupplémentation qui doit être assurée systémati-quement fait partie intégrante de la prise en chargethérapeutique. Chez l’alcoolique chronique enphase de sevrage, la supplémentation orale sui-vante peut être proposée : Vitamine B1-B6 Roche

®

(250 mg de B1 et de B6 par cp) 1 cp × 3/j, Spécia-foldine® 5 mg 1 cp × 3/j, Nicobion 500 mg® 1 cp/j.Les carences en vitamines liposolubles doivent êtresystématiquement évoquées et recherchées et peu-vent faire l’objet d’une supplémentation qu’il estimpossible de standardiser. Il est cependant impor-tant de savoir qu’un apport excessif en vitamine Apeut avoir chez le malade cirrhotique un effetprofibrosant.28,29 D’autre part, il a été montré queles taux sériques de vitamine A ne reflétaient pasles concentrations intrahépatiques.30 Globale-ment, on estime que chez un malade cirrhotique,un apport quotidien supérieur à 25 000 UI/j peutêtre toxique. Il faut être particulièrement vigilantcar certaines spécialités apparemment anodinescontiennent des quantités importantes en vitamine

Tableau 2 Apports nutritionnels recommandés chez un ma-lade cirrhotique.

Suppression totale et définitive de l’alcool quelle que soit lacause de la cirrhoseApport énergétique 35–40 kcal/kg de poids sec/jApport protéique > 1,2 g/kg de poids sec/j

Supplémentationsystématique en : Vitamine B1

Vitamine B6Vitamine B9Vitamine PP

Éviter les erreursde régime

Hypoprotidique au long coursSans sel strict

323Assistance nutritionnelle au cours des insuffisances hépatocellulaires

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A. Des travaux récents suggèrent que l’ostéopénieet l’ostéoporose sont fréquentes en cas de cir-rhose.31 Ceci justifie souvent chez ces malades unesupplémentation en calcium (1 g/j) et en vitamineD (800 UI/j).

Supplémentation nutritionnelle orale

Supplémentation nutritionnelle orale standardEn cas de dénutrition chez des malades ambulatoi-res, l’utilisation de suppléments nutritionnelsoraux peut être proposée. Hirsch et al.32 ont suivipendant 1 an 26 patients qui recevaient une supplé-mentation orale (1000 kcal et 34 g de protéines parjour), et 25 sujets contrôles. Le nombre d’hospita-lisations et leur durée étaient significativementréduits dans le groupe traité, essentiellement enraison d’une réduction des épisodes infectieux. Lesparamètres nutritionnels (CMB, albumine) et hépa-tiques (bilirubine, temps de Quick) étaient signifi-cativement améliorés dans le groupe supplémenté.Une autre étude a montré la faisabilité d’une sup-plémentation orale au long cours ainsi que sonintérêt dans la prise en charge globale des mala-des.33

Supplémentation nutritionnelle orale richeen acides aminés ramifiésInitialement, les AAR ont été proposés pour la priseen charge de l’encéphalopathie hépatique aiguë.Les nombreuses études qui ont comparé les AAR auxtraitements conventionnels au cours de l’encé-phalopathie hépatique aiguë chez le cirrhotique,sont dans l’ensemble discordantes et peu convain-cantes. Ceci n’est pas surprenant, tant le traite-ment du facteur déclenchant est certainement cequi conditionne le plus l’évolution de l’encéphalo-pathie hépatique aiguë. Pour cette raison, l’éven-tuel effet des AAR est en grande partie masqué aucours de ces études interventionnelles. Dans uneméta-analyse, Naylor et al.,34 en prenant ces para-mètres en considération, semblent démontrer l’in-térêt des AAR sur la récupération mentale au coursde l’encéphalopathie hépatique. Cependant, aucuneffet sur la mortalité n’a pu être mis en évidence.Au cours de l’encéphalopathie hépatique aiguë, lesAAR pourraient être utilisés en cas d’échec desautres traitements et en particulier en cas de per-sistance des symptômes malgré la correction dufacteur déclenchant.Au cours de l’encéphalopathie hépatique chroni-

que, l’intérêt des AAR semble plus clair. Dans untravail multicentrique contrôlé, Marchesini et al.26

ont randomisé 64 malades pour recevoir en plus deleur alimentation habituelle une supplémentationisoazotée en AAR ou en caséine (0,24 g/kg). Après

3 mois, les différents critères d’évaluation del’encéphalopathie hépatique s’amélioraient dans legroupe traité alors qu’ils étaient inchangés dans legroupe sous caséine (Fig. 4). Sur le plan nutrition-nel, la balance azotée devenait très nettementpositive chez les malades sous AAR, et ce traite-ment était associé à une amélioration de la fonc-tion hépatique. Cette étude suggère que chez lesmalades cirrhotiques en encéphalopathie hépati-que chronique, un apport protéique quantitative-ment normal comprenant des AAR devrait être pro-posé plutôt qu’un régime hypoprotidique.Les AAR ont aussi d’intéressantes propriétés mé-

taboliques chez le cirrhotique. En particulier, étantmétabolisés dans les tissus périphériques et nondans le foie, ils sont ainsi capables de positiver labalance azotée de malades en situation de catabo-lisme intense ou d’insuffisance hépatique.35 Destravaux fondamentaux récents suggèrent que lesAAR pourraient avoir un effet direct sur la régéné-ration hépatique chez les malades en situationd’insuffisance hépatocellulaire.36–40 Ainsi, la ques-tion de l’utilisation systématique de formules enri-chies en AAR chez les cirrhotiques dénutris doit seposer. Une étude publiée en 1997, et passée ina-perçue, suggère que ce type de traitement peutêtre bénéfique.41 En effet, 75 patients ayant béné-ficié d’une résection hépatique pour carcinomehépatocellulaire ont été randomisés pour recevoirune supplémentation en AAR (Aminoleban EN®)pendant 1 an et ont été comparés à 75 autres nonsupplémentés. Le groupe supplémenté présentaitmoins d’épisodes d’encéphalopathie, prenait plusde poids et améliorait son albuminémie comparati-vement au groupe contrôle. Aucune différencen’était notée en termes de récidive tumorale et desurvie globale après un suivi moyen de 3 ans. Lasupplémentation systématique en AAR a fait l’objetde deux études récentes. Dans la première, à laméthodologie particulièrement soignée,42 troisgroupes d’environ 60 malades cirrhotiques rece-vaient soit une supplémentation systématique enAAR (2,4 g/j), soit un placebo isoazoté et isoéner-gétique, soit un placebo isoénergétique sans azote,en double aveugle pendant 1 an. Malgré une com-pliance médiocre en particulier pour les AAR, letaux de réhospitalisations et le nombre total dejours d’hospitalisation étaient significativement di-minués dans le groupe supplémenté en AAR (Fig. 5).L’albuminémie, le score de Child-Pugh, l’appétit etla qualité de vie s’amélioraient uniquement dans legroupe supplémenté en AAR, alors que ces paramè-tres se dégradaient dans les autres groupes. Dans laseconde étude,43 84 malades porteurs d’un hépato-carcinome et devant être traités par chimioembo-lisation (une séance tous les 3 mois), étaient rando-

324 X. Hébuterne

Page 7: Assistance nutritionnelle au cours des insuffisances hépatocellulaires

misés pour recevoir ou non une supplémentation enAAR pendant 1 an. Les malades supplémentés pré-sentaient moins de complications post-chimio-embolisation, en particulier moins de décompensa-tions œdématoascitiques. Comme dans l’étude

précédente, l’albuminémie mais aussi la bilirubiné-mie se dégradaient moins dans le groupe supplé-menté que dans le groupe contrôle. À la lumière deces études, il nous semble utile de développer dessuppléments nutritionnels enrichis en AAR pour les

Figure 4 Évolution de l’encéphalopathie hépatique au cours d’une supplémentation en acides aminés ramifiés (AAR) ou en caséinechez des malades en encéphalopathie hépatique chronique. Adapté de Marchesini et al.26

Figure 5 Nombre total de jours d’hospitalisation et taux moyen de réhospitalisations chez des malades cirrhotiques supplémentés enacides aminés ramifiés (BCAA) ou avec un placebo isoazoté et isoénergétique (L-ALB) ou isoénergétique sans protéine (M-DXT). Adaptéde Marchesini et al.42

325Assistance nutritionnelle au cours des insuffisances hépatocellulaires

Page 8: Assistance nutritionnelle au cours des insuffisances hépatocellulaires

malades cirrhotiques. Un effort tout particulier de-vrait être fait pour améliorer la palatabilité de cessuppléments.

Nutrition entéraleTraditionnellement, la NE n’est pas ou peu utiliséeau cours de la cirrhose et ce, pour deux raisons :

• des apports protéiques importants pourraientprécipiter le cirrhotique en encéphalopathie hé-patique ;

• les sondes nasogastriques pourraient favoriserles hémorragies digestives par rupture de vari-ces œsophagiennes.Ces deux assertions sont fausses et ont empêché

que de très nombreux malades bénéficient d’uneprise en charge nutritionnelle adéquate. En effet,si les grosses sondes gastriques en PVC sont tradi-tionnellement contre-indiquées chez les maladesporteurs de varices œsophagiennes, les petites son-des en silicone ou en polyuréthane (8F à 12F) ac-tuellement utilisées en NE n’augmentent pas lerisque de ruptures de varices œsophagiennes.44

D’autre part, plusieurs études visant à évaluer l’in-térêt de la NE au cours de la cirrhose ont étépubliées ;44–49 toutes concluent à la bonne tolé-rance de la NE tant sur le plan digestif que métabo-lique.50 Comme dans toute autre affection, le trai-tement de la dénutrition doit être proposé auxmalades cirrhotiques. Comme nous l’avons déjà ditplus haut, il nous semble que du fait de l’intégritédes fonctions digestives, la NE est la voie préféren-tielle d’administration des nutriments dans cettesituation et qu’elle est préférable à la nutritionparentérale qui expose ces malades aux complica-tions liées aux cathéters. D’autre part, la NE pour-rait avoir un effet bénéfique propre indépendam-ment de son effet nutritionnel, en particulier aucours des hépatites alcooliques aiguës. Deux étudesrécentes suggèrent un effet de la NE sur l’évolutionde la cirrhose chez des malades hospitalisés. Cabréet al.46 ont randomisé 35 malades cirrhotiques dé-nutris pour recevoir ou non une NE apportant2115 kcal/j dont 70 g de protéines (avec 20 gd’AAR). Les apports spontanés du groupe contrôleétaient de 1320 kcal/j et 42 g de protéines. Latolérance de la NE a été excellente, en particulierelle n’a entraîné ni encéphalopathie hépatique, nihémorragie digestive. Entre le début et la fin del’hospitalisation, l’albuminémie augmentait (25,2 ± 1,1versus 29,4 ± 1,3 g/l, entre le début et la fin dutraitement) dans le groupe NE alors qu’elle restaitinchangée dans le groupe contrôle. De même, lescore de Child-Pugh s’améliorait dans le groupe NEmais pas dans le groupe contrôle. Une autre étudedont la méthodologie est proche, confirme ces ré-sultats puisque dans le groupe des patients rece-

vant la NE la bilirubinémie s’améliorait alorsqu’elle restait élevée dans le groupe contrôle. Demême, la clairance de l’antipyrine ne s’amélioraitque dans le groupe traité.49 Ces résultats suggèrentfortement un effet direct de la renutrition sur lamaladie hépatique. L’impact de la NE sur la surviedes patients a été évalué dans ces deux études.46,49

Au cours de la première, la mortalité hospitalièreétait significativement plus basse dans le groupe enNE comparativement au groupe contrôle (12 % ver-sus 47 %) alors qu’il n’y avait pas de différence dansla seconde étude. Il est possible que la durée pluslongue du traitement dans le premier travail(23 jours versus 11 jours) explique en partie cettedifférence. Dans une étude récente, de Ledinghenet al.51 n’ont retrouvé aucun effet de la NE chez descirrhotiques dans les suites d’une hémorragie diges-tive par rupture de varices œsophagiennes. Cepen-dant, dans ce travail, la NE n’était proposée quepour 4 jours en moyenne, ce qui est probablementbeaucoup trop court pour espérer démontrer unquelconque effet clinique.Une autre étude du groupe de Barcelone s’est

intéressée au problème de la place de la NE aucours de l’hépatite alcoolique aiguë.52 Soixante etonze malades qui présentaient une hépatite alcoo-lique sévère ont été randomisés pour recevoir soit40 mg/j de prednisolone, soit une NE (2 000 kcal/j,72 g/j de protéines dont 31 % d’AAR) pendant28 jours. La mortalité n’était pas différente entreles deux groupes mais survenait plus précocementdans le groupe en NE alors que la mortalité tardiveétait plus fréquente dans le groupe qui recevait laprednisolone (Fig. 6). Un effet synergique de cesdeux traitements est possible et est en cours d’in-vestigation. Au cours de l’hépatite alcooliqueaiguë, la NE est une alternative intéressante à lacorticothérapie. Elle est indiquée en première in-tention en cas de contre-indication aux corticoïdescomme une infection et en seconde intention encas d’inefficacité des corticoïdes (non-diminutionde la bilirubinémie après 7 jours de traitement).

Figure 6 Probabilité de survie à 1 an chez des malades aprèshépatite alcoolique grave selon le traitement proposé (predni-solone versus nutrition entérale). Adapté de Cabré et al.52

326 X. Hébuterne

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Support nutritionnel périopératoireAu cours des périodes périopératoires, l’organismeest soumis à un stress important et la nutritionartificielle a été recommandée chez les maladesinitialement dénutris.53,54 Chez le cirrhotique, untravail a clairement démontré qu’une nutrition pa-rentérale (NP) périopératoire enrichie en AAR per-mettait de réduire la morbidité des hépatectomiespour carcinome hépatocellulaire (CHC).55 En effet,malgré l’amélioration des techniques chirurgicaleset les progrès de la réanimation, la chirurgie duCHC du cirrhotique reste grevée d’une lourde mor-bidité et après hépatectomie majeure (deux seg-ments hépatiques ou plus), la mortalité est prochede 25 %. Les deux principales complications obser-vées sont une détérioration de la fonction hépati-que en postopératoire et la survenue de problèmesinfectieux. Ont été randomisés 124 malades devantbénéficier d’une hépatectomie réglée pour CHC :64 recevaient une NP périopératoire, 60 ne rece-vaient pas de NP et constituaient le groupecontrôle. Les malades recevaient un mélange ter-naire (30 kcal/kg/j), la solution d’acides aminésétait enrichie en AAR (35 % de l’apport protéiquetotal). La morbidité postopératoire a été de 34 %dans le groupe nourri et de 55 % dans le groupecontrôle (p = 0,02). La NP réduisait surtout lescomplications septiques (17 % versus 37 % :p = 0,01) et la survenue d’une ascite nécessitant untraitement diurétique (25 % versus 50 % :p = 0,004). Il y eut cinq décès dans le groupe NP et9 dans le groupe contrôle (NS). Une autre étude,réalisée chez 50 malades, suggère l’intérêt cliniquede l’alimentation entérale postopératoire précoceintrajéjunale après transplantation hépatique2,56

qui réduit la fréquence des complications infectieu-ses. Il nous semble que l’assistance nutritive préo-pératoire devrait être beaucoup plus souvent utili-sée chez les malades en situation d’insuffisancehépatocellulaire dont on a vu la grande prévalencede la dénutrition. Un questionnaire a été envoyé à21 centres européens de transplantation hépati-que. Sur les 16 qui ont répondu, tous reconnais-saient que la dénutrition était un problème impor-tant chez ces malades. La plupart proposaient unenutrition artificielle postopératoire à leurs mala-des, mais très peu avaient recours à un supportnutritionnel (même oral) en préopératoire.57 Cecipeut paraître surprenant lorsque l’on sait queparmi les facteurs pronostiques négatifs pour unetransplantation hépatique, le seul qui puisse êtretraité est justement la dénutrition. D’autre part,de nombreuses études reconnaissent l’intérêt d’unsupport nutritif préopératoire avant un acte dechirurgie digestive majeur54 et une étude récentesuggère qu’un support nutritionnel enrichi en im-

munonutriments permet de réduire les complica-tions infectieuses postopératoires.58 Il nous sem-ble, comme à d’autres,59 qu’un malade qui rentredans un programme de transplantation hépatiquedevrait avoir une prise en charge nutritionnellepréopératoire particulièrement soigneuse.

Conclusion

Un malade en situation d’insuffisance hépatocellu-laire est un malade le plus souvent dénutri. Ladénutrition, favorisée par les anomalies métaboli-ques et l’anorexie induites par l’insuffisance hépa-tique, est aussi due à quelques aberrations nutri-tionnelles qu’on ne devrait plus voir. Ladétermination routinière du statut nutritionnel deces malades par la mesure de la CMB est simple etindispensable car la dénutrition est un facteur indé-pendant de mortalité. La prise en charge nutrition-nelle « active » du cirrhotique est justifiée, etplusieurs travaux tendent à démontrer l’efficacitéclinique d’un support nutritif bien conduit. La miseen place de véritables protocoles de prise en chargede la dénutrition dans les services d’hépatologie etles centres de transplantation hépatique nous sem-ble nécessaire.

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Points forts

Chez un patient présentant une pathologiehépatique chronique, la recherche d’une dénu-trition est fondamentale.La détermination des paramètres anthropo-

métriques, épaisseur cutanée tricipitale, cir-conférence musculaire brachiale est la plusutile.La supplémentation nutritionnelle orale ou

riche en acides aminés ramifiés, voire la nutri-tion entérale, permettent de diminuer la mor-bidité et la mortalité.

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