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© MASSON Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 4, 451-454 451 C. VERNY et coll. Brève communication Atrophie optique, cataracte et signes extra-pyramidaux par mutation du gène OPA3 C. Verny 1 , P. Amati-Bonneau 2 , F. Dubas 1 , Y. Malthiéry 2 , P. Reynier 2 , D. Bonneau 3 1 Département de Neurologie, 2 INSERM E0018 et Laboratoire de Biochimie et Biologie Moléculaire, 3 Service de Génétique Médicale, Centre Hospitalier Universitaire, Angers. Reçu le 30/08/2004 ; Reçu en révision le 03/11/2004 ; Accepté le 08/11/2004. RÉSUMÉ Introduction. En 1961, Garcin et collaborateurs publiaient dans la Revue Neurologique le cas de patients d’une même famille atteints d’une atrophie optique associée à une cataracte et à des signes neurologiques. Les auteurs en faisaient une nouvelle entité clinique dis- tincte des cadres nosologiques décrits à l’époque (syndromes de Behr, Marinesco-Sjögren ou maladie de Friedreich). Méthode. Cette famille a été suivie pendant 40 ans et le séquençage de différents gènes responsables d’atrophies optiques a été réalisé. Résultats. La mutation G277A du gène OPA3 est responsable de la pathologie observée dans cette famille. Discussion. Une nouvelle entité clinique est ainsi identifiée : l’atrophie optique et cataracte autosomique dominante provoquée par une mutation hétérozygote du gène OPA3, un gène nucléaire codant pour une protéine mitochondriale. Mots-clés : Atrophie optique • Cataracte • Syndrome extrapyramidal • Autosomique dominant • OPA3 SUMMARY An OPA3 gene mutation is responsible for the disease associating optic atrophy and cataract with extrapyramidal signs. C. Verny, P. Amati-Bonneau, F. Dubas, Y. Malthiéry, P. Reynier, D. Bonneau, Rev Neurol (Paris) 2005; 161: 4, 451-454 Introduction. In 1961, Garcin et al. described a family with several members affected with optic atrophy associated with cataract, and neurological symptoms. The authors believed this condition to be distinct from other diseases known at that time, e.g. the Behr syndrome, Marinesco-Sjögren syndrome and Friedreich’s ataxia. Method. This family was followed over a period of 40 years and genes known to be responsible for optic atrophy were sequenced. Results. The G277A mutation of OPA3 gene was responsible for this familial disease. Discussion. A new clinical entity is identified: autosomal dominant optic atrophy and cataract, due to a heterozygous mutation of the OPA3 gene, a nuclear gene encoding a mitochondrial protein. Keywords: Optic atrophy • Cataract • Extrapyramidal syndrome • Autosomal dominant OPA3 INTRODUCTION En 1961, Raymond Garcin et collaborateurs publiaient dans la Revue Neurologique un mémoire original intitulé : « Sur une affection hérédofamiliale associant cataracte, atrophie optique, signes extrapyramidaux et certains stig- mates de la maladie de Friedreich (sa position nosologique par rapport au syndrome de Behr, au syndrome de Mari- nesco-Sjögren et à la maladie de Friedreich avec signes oculaires) » (Garcin et al., 1961). Cette observation de six malades d’une même famille atteints de troubles neurologiques et ophtalmologiques avait fait évoquer une ataxie de Friedreich à laquelle s’ajou- taient des signes oculaires et extrapyramidaux (Fig. 1). Huit autres patients apparentés n’avaient qu’une cataracte sans signe neurologique associé. Il n’y avait pas de notion de retard mental ni de consanguinité dans cette famille. Les auteurs soulignaient à l’époque que les signes neurologi- ques étaient au second plan chez leurs patients, derrière les manifestations ophtalmologiques. Dans ce mémoire, Ray- mond Garcin et ses collaborateurs discutaient la possibilité de rapprocher la maladie de cette famille de trois identités alors décrites : – le syndrome de Behr (OMIM : 210000) qui associe une atrophie optique et des signes neurologiques (Behr, 1909). Cependant les patients de la famille décrite par Garcin et al. Tirés à part : C. VERNY, Département de Neurologie, Centre Hospitalier Universitaire, Hôtel-Dieu, 4, rue Larrey, 49933 Angers Cedex 1. E-mail : [email protected]

Atrophie optique, cataracte et signes extra-pyramidaux par mutation du gène OPA3

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Page 1: Atrophie optique, cataracte et signes extra-pyramidaux par mutation du gène OPA3

© MASSON Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 4, 451-454 451

C. VERNY et coll.

Brève communication

Atrophie optique, cataracte et signes extra-pyramidaux par mutation du gène OPA3

C. Verny1, P. Amati-Bonneau2, F. Dubas1, Y. Malthiéry2, P. Reynier2,D. Bonneau3

1 Département de Neurologie,2 INSERM E0018 et Laboratoire de Biochimie et Biologie Moléculaire,3 Service de Génétique Médicale, Centre Hospitalier Universitaire, Angers. Reçu le 30/08/2004 ; Reçu en révision le 03/11/2004 ; Accepté le 08/11/2004.

RÉSUMÉIntroduction. En 1961, Garcin et collaborateurs publiaient dans la Revue Neurologique le cas de patients d’une même famille atteintsd’une atrophie optique associée à une cataracte et à des signes neurologiques. Les auteurs en faisaient une nouvelle entité clinique dis-tincte des cadres nosologiques décrits à l’époque (syndromes de Behr, Marinesco-Sjögren ou maladie de Friedreich). Méthode. Cettefamille a été suivie pendant 40 ans et le séquençage de différents gènes responsables d’atrophies optiques a été réalisé. Résultats. Lamutation G277A du gène OPA3 est responsable de la pathologie observée dans cette famille. Discussion. Une nouvelle entité cliniqueest ainsi identifiée : l’atrophie optique et cataracte autosomique dominante provoquée par une mutation hétérozygote du gène OPA3, ungène nucléaire codant pour une protéine mitochondriale.

Mots-clés : Atrophie optique • Cataracte • Syndrome extrapyramidal • Autosomique dominant • OPA3

SUMMARYAn OPA3 gene mutation is responsible for the disease associating optic atrophy and cataract with extrapyramidal signs.C. Verny, P. Amati-Bonneau, F. Dubas, Y. Malthiéry, P. Reynier, D. Bonneau, Rev Neurol (Paris) 2005; 161: 4, 451-454

Introduction. In 1961, Garcin et al. described a family with several members affected with optic atrophy associated with cataract, andneurological symptoms. The authors believed this condition to be distinct from other diseases known at that time, e.g. the Behr syndrome,Marinesco-Sjögren syndrome and Friedreich’s ataxia. Method. This family was followed over a period of 40 years and genes known to beresponsible for optic atrophy were sequenced. Results. The G277A mutation of OPA3 gene was responsible for this familial disease.Discussion. A new clinical entity is identified: autosomal dominant optic atrophy and cataract, due to a heterozygous mutation of the OPA3gene, a nuclear gene encoding a mitochondrial protein.

Keywords: Optic atrophy • Cataract • Extrapyramidal syndrome • Autosomal dominant OPA3

INTRODUCTION

En 1961, Raymond Garcin et collaborateurs publiaientdans la Revue Neurologique un mémoire original intitulé :« Sur une affection hérédofamiliale associant cataracte,atrophie optique, signes extrapyramidaux et certains stig-mates de la maladie de Friedreich (sa position nosologiquepar rapport au syndrome de Behr, au syndrome de Mari-nesco-Sjögren et à la maladie de Friedreich avec signesoculaires) » (Garcin et al., 1961).

Cette observation de six malades d’une même familleatteints de troubles neurologiques et ophtalmologiquesavait fait évoquer une ataxie de Friedreich à laquelle s’ajou-

taient des signes oculaires et extrapyramidaux (Fig. 1).Huit autres patients apparentés n’avaient qu’une cataractesans signe neurologique associé. Il n’y avait pas de notionde retard mental ni de consanguinité dans cette famille. Lesauteurs soulignaient à l’époque que les signes neurologi-ques étaient au second plan chez leurs patients, derrière lesmanifestations ophtalmologiques. Dans ce mémoire, Ray-mond Garcin et ses collaborateurs discutaient la possibilitéde rapprocher la maladie de cette famille de trois identitésalors décrites :

– le syndrome de Behr (OMIM : 210000) qui associe uneatrophie optique et des signes neurologiques (Behr, 1909).Cependant les patients de la famille décrite par Garcin et al.

Tirés à part : C. VERNY, Département de Neurologie, Centre Hospitalier Universitaire, Hôtel-Dieu, 4, rue Larrey, 49933 Angers Cedex 1.E-mail : [email protected]

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n’avaient pas de syndrome pyramidal, d’incoordinationmotrice ou de retard intellectuel habituellement présentsdans ce syndrome.

– le syndrome de Marinesco-Sjögren (OMIM : 248800) quiassocie cataracte, hérédodégénérescence spino-cérébelleuseet retard mental avait également été évoqué (Marinesco etal., 1931 ; Sjögren, 1947). Là encore, dans la famille deGarcin et al., l’atteinte pyramidale et cérébelleuse ainsi quele retard mental manquaient. De plus, l’atrophie optiquen’est pas un signe classique du syndrome de Marinesco-Sjögren.

– enfin, l’hypothèse de la maladie de Friedreich (OMIM :229300) avait été soulevée (Friedreich, 1863). Toutefois,les signes ophtalmologiques sont rarement au premier plandans cette maladie. Si l’atrophie optique est classique dansla maladie de Friedreich, la cataracte et les signes extrapyramidaux sont inhabituels.

Ces constatations conduisirent les auteurs de ce mémoireà ne pas inclure cette famille dans l’un de ces syndromes età conclure en 1961 à l’appartenance au groupe des hérédo-dégénérescences nerveuses à manifestations ophtalmologi-ques prépondérantes, en se gardant, selon leurs proprestermes, de « rapprochements et d’effractions neurologiquesabusifs ».

Nous avons eu l’occasion de revoir, plus de quarante ansaprès l’observation initiale de Garcin, des membres de cettefamille et nous avons entrepris une étude en biologie molé-culaire en se reposant la question du diagnostic de cettemaladie génétique et de sa place dans la nosographieactuelle.

MÉTHODES

Clinique

Les patients ont été examinés dans le cadre d’une consul-tation multidisciplinaire de neuro-génétique par un neuro-logue et un généticien. Des prélèvements sanguins ont étéeffectués après avoir obtenu un consentement éclairé de lapart des patients.

Génétique moléculaire

Les détails méthodologiques de l’étude de biologie molé-culaire ont été rapportés par ailleurs (Reynier et al., 2004).En résumé, le séquençage direct des deux gènes connusactuellement pour être responsables d’atrophies optiques(OPA1 et OPA3) ainsi que celui de l’ADN mitochondrial aété réalisé.

RÉSULTATS

Clinique

PATIENTE III-3Il s’agit du cas index de l’article de 1961. Lorsqu’elle

avait été examinée à l’âge de 38 ans, elle avait une baissede l’acuité visuelle rendant la lecture et les déplacementsimpossibles. Il n’y avait ni troubles moteurs ou sensitifs, niatteinte cérébelleuse. Les réflexes ostéotendineux étaient

Fig. 1. – Arbre généalogique de la famille. Symboles : cercle = femme ; carré = homme ; individu en noir = atteint ; individu barré = décédé ;astérisque = individu génotypé ; flèche = cas index.Pedigree of the family. Symbols: filled=affected; open=unaffected; square=male; circle=female; star=subjects in whom ADN was sequenced;arrow=index case.

I

II

III

IV

V

VI

1 2 * 3 *

* 1 * 2 * 3 * 4 * 5 * 6 *

* 1 * 2 * 3 4 5 * 6 *

1 * 2 * 3

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faibles, sauf les réflexes achilléens qui étaient abolis. Despieds creux et un écartement des auriculaires étaient obser-vés ainsi qu’un tremblement d’attitude des membres supé-rieurs de type extrapyramidal. Le balancement du brasgauche était diminué et un signe de Froment était présent àgauche. Le phénomène de roue dentée était plus net à droiteet les réflexes de posture exagérés. Sur le plan ophtalmolo-gique, il existait une atrophie optique bilatérale et une cata-racte de type congénital cortical surtout antérieur. L’acuitévisuelle était de 2/10e à chaque œil.

Cette femme maintenant âgée de 83 ans a été opérée àl’âge de 71 ans de sa cataracte et son acuité visuelle actuelleest de 1/10e à chaque œil. L’examen neurologique actuel decette patiente retrouve le tremblement d’attitude des mem-bres supérieurs sans que l’on puisse l’estimer prédominantd’un côté (il était, en 1961, plus important à droite). Unerigidité extrapyramidale est toujours présente, mais làencore sans l’asymétrie initialement rapportée. Les piedscreux et l’écartement des auriculaires dans l’attitude du ser-ment existent toujours. Les réflexes ostéotendineux sontabolis aux membres inférieurs (alors que les réflexes rotu-liens étaient encore présents, mais faibles en 1961). Nousavons donc l’impression globale que le tableau clinique neu-rologique de cette patiente a peu évolué en quarante ans.

PATIENTE IV-1Cas n

° 030465 — Il s’agit de l’une des filles du casindex. Cette femme, née en 1943, avait présenté unebaisse de l’acuité visuelle avant l’âge de 10 ans. À l’âgede 15 ans, une atrophie optique et une cataracte postérieureont été diagnostiquées. L’examen neurologique montraitalors un tremblement d’attitude des membres supérieurs, unsigne du poignet figé de Froment à gauche ainsi qu’unedéviation des index sur la gauche lors de la manœuvre deRomberg. La jeune fille avait alors des pieds creux et uneébauche de mains bottes. L’évolution s’est faite versl’aggravation de la baisse d’acuité visuelle jusqu’à 1/10e àchaque œil. Un traitement chirurgical de la cataracte a étéréalisé à l’âge de 47 ans et 48 ans. L’examen du champvisuel effectué à l’âge de 58 ans montrait un scotome cen-tral bilatéral. Sur le plan neurologique, la patiente a étérevue à l’âge de 60 ans. Elle a toujours un tremblementd’attitude des membres supérieurs. Le signe du poignet figéde Froment et la déviation des index, pourtant attentive-ment recherchés, n’ont pu être mis en évidence.

PATIENTE IV-2Cas n° 030278 — La deuxième fille du cas index était

atteinte d’une poliomyélite antérieure aiguë à l’âge de18 mois. Elle a gardé d’importantes séquelles paraplégiquesne permettant pas d’obtenir d’information précise auxmembres inférieurs. Sur le plan neurologique, à l’âge de13 ans, un tremblement d’attitude au niveau des doigts ainsiqu’une attitude en hyper-extention des premières phalangesétaient observés. Sur le plan ophtalmologique, il existaitdéjà une importante baisse de l’acuité visuelle, surtout à

droite, avec une atrophie optique bilatérale et une cataractesous-corticale antérieure.

La patiente a été opérée à l’âge de 45 ans et 46 ans de lacataracte avec mise en place d’un implant ; à l’âge de57 ans, l’acuité visuelle était à 2,5/10e pour l’œil droit et3,2/10e pour l’œil gauche.

Là encore, sur le plan neurologique, l’examen n’était pastrès différent de celui réalisé alors qu’elle était adolescenteavec essentiellement un tremblement d’attitude.

PATIENTES V-1, VI-1, IV-6 ET V6Elles sont âgées respectivement de 36 ans et 9 ans. Elles

ont une atrophie optique et une cataracte, mais ne présententpas d’anomalie neurologique. Nous avons pu obtenir, dansla descendance d’une sœur du cas index également atteinte,des informations cliniques sur les patients IV-6 et V-6 quiont également un phénotype uniquement ophtalmologique.

Biologie moléculaire

L’étude moléculaire, dont les résultats sont rapportés parailleurs (Reynier et al., 2004), a permis d’identifier danscette famille une mutation au niveau de l’exon 2 du gèneOPA3. Cette mutation ponctuelle transforme un G (guanine)en A (adénine) en position 277, ce qui au niveau de laprotéine modifie l’acide aminé en position 93 qui est uneglycine à l’état normal et devient chez les patients unesérine (G93S). Cette mutation est retrouvée chez les huitmalades qui ont été testés ; elle est absente chez les huitsujets sains de la famille ainsi que chez 400 témoins.

DISCUSSION

Actuellement, plus d’une quinzaine de maladies généti-ques comportant une atrophie optique (soit pure soit asso-ciée à des signes extra-ophtalmologiques) ont été identifiées.Les mieux connues sont les atrophies optiques autosomi-ques dominantes (AOAD) dont 40 p. 100 sont dues à desmutations du gène OPA1 (OMIM 165500). Ce gène codepour une protéine de la membrane interne de la mitochon-drie (Alexander et al., 2000 ; Delettre et al., 2000) et estimpliqué dans des formes pures d’atrophies optiques. Laresponsabilité du gène OPA1 a été exclue dans la famillerapportée ici par séquençage direct et par étude de liaisonavec des marqueurs génétiques encadrant le gène.

L’autre grande entité génétique responsable d’atrophieoptique est la neuropathie optique héréditaire de Leber(OMIM 535000). Cette maladie est due à différentes muta-tions de l’ADN mitochondrial et se transmet suivant unehérédité maternelle (Leber, 1871 ; Wallace et al., 1988). Laneuropathie optique de Leber se traduit en général par uneatrophie optique isolée, mais des signes neurologiques peu-vent quelquefois être associés dans le cadre du syndrome« Leber plus » (Thobois et al., 1997). Dans la famille pré-sentée ici, les signes cliniques ne correspondaient pas àceux d’une neuropathie optique héréditaire de Leber et la

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recherche des 18 principales mutations mitochondrialesresponsables de cette pathologie s’est révélée négative.

La plupart des autres syndromes d’atrophies optiquesassociées à des signes extra-ophtalmologiques sont detransmission autosomique récessive. Parmi ceux-ci, l’acidu-rie 3-méthylglutaconique de type 3 (MGA) (MIM:258501)ou syndrome de Costeff (Anikster et al., 2001), correspondà l’association d’une atrophie optique bilatérale, d’unespasticité de début tardif, d’une atteinte extrapyramidale, detroubles cognitifs et d’élimination anormale d’acide 3-méthylglutaconique dans les urines. Le phénotype de cettemaladie est proche de celui observé dans le syndrome deBehr. Le gène responsable de cette affection a récemmentété identifié : il s’agit du gène OPA3 qui est localisé sur lebras long du chromosome 19 à proximité du gène respon-sable de la myotonie de Steinert. Ce gène code pour uneprotéine de la membrane interne de la mitochondrie dont lafonction est à ce jour inconnue.

Nous avons étudié le gène OPA3 chez les patients de lafamille rapportée ici sur la base d’un gène candidat à la foisimpliqué dans une forme d’atrophie optique et codant pourune protéine de la mitochondrie. Ce séquençage a été réa-lisé en dépit du fait qu’il n’y avait aucune parenté cliniqueentre le syndrome de Costeff et les signes que nous obser-vions chez les sujets atteints. La mise en évidence d’unemutation ségrégeant avec la maladie dans la famille etabsente sur un large panel de témoins a permis de conclureà la responsabilité d’OPA3 dans la pathologie observéedans cette famille. L’implication du gène OPA3 dans cesyndrome d’atrophie optique et cataracte autosomiquedominante a été depuis confirmée par la découverte d’uneautre mutation de ce gène dans une seconde famille indé-pendante de celle rapportée par Garcin (Reynier et al.,2004). Ainsi, différentes mutations du gène OPA3 peuventêtre responsables selon leur nature d’atrophies optiquesautosomiques récessives (MGA) ou dominantes. Il ne s’agitpas de différents degrés de sévérité d’une même maladiepuisque tous les parents hétérozygotes d’enfants atteints deMGA sont asymptomatiques, mais bien de deux maladiesdifférentes : l’acidurie 3-méthylglutaconique ou syndromede Costeff et l’atrophie optique et cataracte autosomiquedominante. OPA3 est le deuxième gène identifié dans lapathogénie des atrophies optiques dominantes. Ce gène,comme OPA1, code pour une protéine mitochondriale.Ainsi, les trois formes d’atrophie optique pour lesquellesles mécanismes génétiques sont connus impliquent soitl’ADN mitochondrial (neuropathie optique héréditaire deLeber), soit des gènes nucléaires codant pour des protéinesmitochondriales (OPA1 et OPA3).

L’atrophie optique et cataracte autosomique dominanteque les auteurs de la revue neurologique de 1961 n’avaientpas voulu inclure dans l’un des syndromes « atrophies opti-ques plus atteintes neurologiques » déjà connus correspon-dait donc bien à une nouvelle maladie ophtalmologique

dans laquelle des signes extrapyramidaux discrets sont pos-sibles mais inconstants. Cette maladie ne correspond mani-festement pas au syndrome de Behr ou de MarinescoSjögren, pas plus bien entendu qu’à une ataxie de Frie-dreich. La biologie moléculaire a donc confirmé le raison-nement clinique de ces auteurs qui avaient su donner unegrande place à la hiérarchisation des signes cliniques : il nes’agissait pas d’une maladie neurologique avec atrophieoptique et cataracte, mais d’une atrophie optique et cata-racte accompagnées parfois de quelques discrets signesneurologiques. La prudence et le sens clinique des auteursde l’article de 1961 refusant d’effectuer des rapproche-ments nosologiques abusifs méritaient d’être rappelés à lalumière des moyens actuellement à notre disposition.

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