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Andrew Taylor STILL1828-1917

Vie et uvre dA. T. STILL,fondateur de lostopathie Confrence prpare et prsente par

Pierre Tricot et Laurent Gaisnon

Socit des Ostopathes de lOuest7 mars 2009

Socit des Ostopathes de lOuest

Un peu dhistoire 2 dcembre 2000 sest pour la premire fois tenue en Bretagne une runion scientifique rassemblant les ostopathes Grand Ouest, issus dcoles diffrentes et appartenant des associations socio-professionnelles diffrentes. Dentre le ton tait mis sur la convivialit, la confraternit et lamiti. Puis, rgulirement, au printemps et lentre de lhiver, nous nous sommes retrouvs de plus en plus nombreux et avec de plus en plus de plaisir autour de thmes varis le plus souvent prsents par les plus anciens au bnfice des plus jeunes, toujours avec le soucis de partager pour dvelopper lide dune mdecine ostopathique indpendante et de pratique exclusive. Les buts essentiels de la SOO Rassembler les ostopathes du Grand Ouest, indpendamment leur appartenance une association socio-professionnelle ou syndicale. Favoriser un haut niveau de pratique et de technicit de ses adhrents Promouvoir l'ostopathie auprs des autres professions de sant Favoriser et entretenir les liens de confraternit Adhrer lassociation Pour adhrer lassociation, il faut tre ostopathe titulaire dun DO (ou quivalent VAE), exerant exclusivement l'ostopathie, dmarqu de toute autre profession de sant;drogation pour les tudiants de dernire anne de formation initiale (plein temps)

cotiser, actuellement (2009) de 30 par an 10 tudiants ( joindre justificatif). Pratique Contact: Gildas Delin 156 rue de Nantes 35000 Rennes Site Internet: www.soo-osteo.fr Courrier lectronique: [email protected]

Les EncombrantsCe nest pas gage de bonne sant que dtre bien intgr dans une socit profondment malade. Krishnamurti

Le jour o les boueurs prennent tout ce que ne peut contenir la poubelle standard, et que lon a dpos sur le trottoir pour sen dbarrasser, sappelle chez nous jour des encombrants. 1 Quest-ce qui justifie lassociation des encombrants et de lostopathie ? Eh bien, Cher Lecteur, cest que les ostopathes, eux aussi, ont leurs encombrants. Je veux parler de Still, Sutherland et dans une moindre mesure, Littlejohn et quelques autres. Et pourquoi, grand Dieu, Still et Sutherland sont-ils devenus des encombrants ? Les raisons en sont sans doute diverses, mais toutes concourent faire que nous ne dsirons plus aujourdhui ni nous recommander deux, ni les exhiber. Pendant longtemps, nos Anciens ne nous ont pas embts : ils taient inaccessibles. Leurs livres taient difficiles trouver, et de surcrot crits en anglais. On les utilisait pour les besoins de la cause du moment, notamment en les citant. Citations en gnral tires des premires pages, souvent altres et quasiment jamais rfrences, ou bien tires de textes dautres auteurs amricains On pouvait ainsi leur faire dire peu prs ce quon voulait. Ils taient utiles et ne nous gnaient pas. Le rve. Mais voil quest venu lide de quelques farfelus de traduire ces textes et de les mettre la porte de tous. Du coup, voil Still et Sutherland devenus bien encombrants ! On leur reproche en particulier dtre obsoltes, vieillis, davoir trop vers dans lsotrique et le spirituel. Bref, sont pas prsentables nos Anctres. Ils dtonnent, dit-on officiellement. Ils font tache pour parler clair. Il faut dire que Still na pas t raisonnable, non plus. Dabord, dans ses crits, avec pas moins de 300 vocations de Dieu et du divin dans son Autobiographie. De plus, il a semble-t-il fait exprs daller fureter dans tous les domaines possibles et imaginables, de prfrence les moins recommandables : phrnologie, magntisme, spiritisme, etc. 2. Certains affirment mme quil a t francmaon. 3 Il faut dire quappeler le Crateur, Grand Architecte, cest un peu voyant. Il y en a mme pour prtendre quil a t acupuncteur 4. Dieu merci, son poque Moon et Hubbard ntaient pas ns, sinon, il aurait bien t capable de mettre le nez chez les unificateurs et les scientologues... Sutherland ne vaut gure mieux : lui aussi voque souvent la Bible et le Crateur. En plus, il invente des choses impossibles comme la lumire liquide , ou parle de transmutation , de Souffle de Vie . Que voulez-vous quon fasse de a aujourdhui ? Le plus prsentable reste encore Littlejohn dans ses crits en tout cas (je me suis laiss dire que John Wernham y avait veill). Il est vrai que nos dtracteurs ne font pas dans la dentelle, tel le psychiatre Jean-Marie Abgrall, qui dans son livre Les charlatans de la sant 5 classe la plupart des pratiques non officielles et1. Ce texte reprend quasiment intgralement un ditorial crit pour le n 9 de la revue Apostill, automne 2001, plus que jamais dactualit. 2. C. Trowbridge, Naissance de l'ostopathie. 3. O. Auquier & P. Corriat L'ostopathie, comment a marche ? p. 40., confirm par le site de la Grande Loge Nationale de Lutce : http://www.glnf.fr/province/lutece/?refer=loge&LOG_N_ID=2870 4. J-P. Amigues Trait de clinique ostopathique, p. 88. 5. Abgrall Jean-Marie 1998. Les Charlatans de la sant. Paris : Payot. ISBN : 2-22889-194-0.

Les Encombrants

I

donc lostopathie, dans les patamdecines terme alternatif choisi pour charlatanerie et nhsite pas traiter les patients qui y recourent de gogos extatiques. 6 Vu le nombre de gens utilisateurs de ces pratiques, cela tend prtendre que le monde est vraiment peupl de fadas. Heureusement que les psychiatres sont l... Face une telle arrogance, il est videmment tentant de jouer profil bas et surtout de ne rien dire ou montrer qui pourrait irriter lautorit. Cest ce que font nos associations socio-professionnelles dans leurs plaquettes de prsentation de lostopathie. La plupart du temps, lorigine de lostopathie nest pas voque, pas plus que ne le sont, bien entendu, Still, Sutherland, ou Littlejohn. Et que dire des collges senss enseigner lostopathie ? des tudiants de fin de cycle, lors de sminaires post-gradus, je demande : qui a lu Autobiographie ? Qui a lu Philosophie de lostopathie ? Qui connat lhistoire de Sutherland ? Je suis atterr de voir le peu de mains qui se lvent, lorsquil sen lve... Pourquoi les ostopathes tentent-ils dsesprment de se couper de leurs racines, au motif plus ou moins avou (plutt moins que plus) quelles ne sont pas prsentables ? Sommes-nous donc devenus si petits, que nous ne soyons plus capables de discerner la grandeur de nos matres, au point davoir honte deux et de ne plus oser les voquer, de les ignorer, de ne mme plus oser dire qui nous sommes et sur quoi nous fondons notre pratique ? Pourtant, en examinant la manire dont ont agi ces Anciens, nous nous apercevons que leur comportement fut tout autre : ils ont os affirmer ce quils taient et ce quils pensaient, sans jamais accepter de compromis sur ce quils estimaient essentiel : leur philosophie. Est-il une autre manire dexister que tel que lon est vraiment ? Cela sappelle intgrit, et notez bien que je nai pas crit intgrisme . Dailleurs, quavons-nous opposer nos dtracteurs, si ce nest la philosophie qui fait le fondement de lostopathie ? Les ostopathes dpensent un temps et une nergie considrables ne pas tre ce quils sont et paratre ce quils ne sont pas. lvocation de ce problme, une phrase de Still me revient : N'ayez pas peur des ennemis qui ont attaqu chaque progrs que nous avons entrepris. Ils ne peuvent nous nuire, leurs coups ne sont que bndictions dguises. Notre plus grand danger, le seul danger qui peut en fait menacer le futur de l'ostopathie rside dans les erreurs de ceux qui se prtendent nos amis 7. En ces temps difficiles pour lostopathie, il me semble essentiel dveiller ou de rveiller nos consciences quiescentes dostopathes et de fournir les lments les plus justes possibles permettant chacun de dcider quel ostopathe il veut tre et quelle ostopathie il dsire pratiquer et voir reconnue. Cela ne peut videmment se faire en nous dbarrassant de nos anctres, mais en les respectant et en cherchant analyser leur message essentiel pour mieux lactualiser. Tel a t notre objectif en concevant cette confrence et la plaquette qui laccompagne.

6. Lire ce sujet larticle de Alain A. Abehsera Mdecines alternatives, mdecines conventionnelles p. 58. 7. A. Hildreth, The Lengthening Shadow of Dr. Andrew Taylor Still, p. 211.

II

Pierre Tricot et Laurent Gaisnon

Les Encombrants

Andrew Taylor StillPierre Tricot, Laurent Gaisnon

Table des matiresAndrew Taylor Still ............................................................................................................ 3Pourquoi une telle confrence ? ........................................................................ 3 Contexte historique et culturel .......................................................................... 4Un tat en deux parties ............................................................................................................................... 4 Une organisation sociale tablir ............................................................................................................ 6 La question de lesclavage et la guerre de Scession ....................................................................... 7

La mdecine dans les rgions pionnires ......................................................... 8La mdecine hroque .................................................................................................................................. 8 Dautres systmes .......................................................................................................................................... 9

La rvolution industrielle et les inventions .................................................... 13Quelques dates marquantes concernant les inventions ................................................................ 13 Benjamin Franklin (1706-1790) .............................................................................................................. 13 Robert Fulton (1765-1815) et le bateau vapeur ........................................................................... 14 James Watt (1736-1819) et la machine vapeur ............................................................................. 14 Thomas Edison (1847-1931) et la fe lectricit .............................................................................. 14 Les machines ................................................................................................................................................. 15

Religion et mysticisme dans les tats pionniers ............................................ 15Le Mthodisme ............................................................................................................................................ 15 Le spiritualisme mystique dEmmanuel Swedenborg ..................................................................... 16 Le transcendantalisme .............................................................................................................................. 16 La thosophie ............................................................................................................................................... 17 Le spiritualisme ............................................................................................................................................. 18

Courants philosophiques et humanitaires ...................................................... 19Lvolutionnisme .......................................................................................................................................... 19 Conflit intrieur ............................................................................................................................................ 21 La franc-maonnerie .................................................................................................................................. 21

Le personnage Still ............................................................................................ 22Le personnage .............................................................................................................................................. 22 Un fou fanatique .......................................................................................................................................... 23 Des dons particuliers .................................................................................................................................. 23 Homme curieux de tout, clectique, original .................................................................................... 24 Fministe de la premire heure .............................................................................................................. 25 Dautres traits caractristiques de Still ................................................................................................. 25

Le chemin de Still .............................................................................................. 26 L'ostopathie ..................................................................................................... 27La qute .......................................................................................................................................................... 27 Concept fondamentaux et philosophie de lostopathie .............................................................. 28 Dfinir lostopathie ................................................................................................................................... 31 L'ostopathie aujourdhui ......................................................................................................................... 32

Les techniques de Still ....................................................................................... 35Tmoignage dun descendant de Still .................................................................................................. 35Table des matires 1/51

Ce quil ne faisait pas... .............................................................................................................................. 35 Le craquement ne prouve rien ............................................................................................................... 36 Libert daction ............................................................................................................................................ 36 la recherche des techniques de Still ................................................................................................. 36

L'enseignement de lostopathie et lASO ..................................................... 37William Smith ................................................................................................................................................ 37 Des dbuts difficiles .................................................................................................................................... 38 Une belle expansion ................................................................................................................................... 39 Un certain Littlejohn... ................................................................................................................................ 40 Et un certain William Garner Sutherland ............................................................................................. 41 La concurrence ............................................................................................................................................. 41 Le dclin de l'ASO ....................................................................................................................................... 42

crire ....................................................................................................................43 La reconnaissance de l'ostopathie ................................................................. 43Premier temps, la lgalisation ................................................................................................................. 43 Second temps, la reconnaissance mdicale ....................................................................................... 44 Le revers de la mdaille ............................................................................................................................. 45

En guise de conclusion, lostopathie demain ? ............................................ 45 Bibliographie ..................................................................................................... 46 Annexe : La famille Still .................................................................................... 47Andrew Taylor Still ...................................................................................................................................... 47 Mary Margaret Vaughn Still (premire pouse de Still) ................................................................ 47 Mary Elvira Turner Still ............................................................................................................................... 47 Les enfants de Still ayant survcu .......................................................................................................... 48

Still, avec ses tudiants la table de dissection

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Pierre Tricot et Laurent Gaisnon

Andrew Taylor Still

Andrew Taylor StillPierre Tricot, Laurent Gaisnon1

Pourquoi une telle confrence ?Lorsquon sintresse lorigine de lostopathie, on saperoit rapidement quelle nest pas tombe du ciel mais quelle est bel et bien le fruit et laboutissement dun processus de rflexion de la part de Still, quelle rsulte de la cristallisation de diffrentes approches dans un certain cadre culturo-temporel, associ un processus de remise en cause, de volont de comprendre le fonctionnement du vivant et de la Nature. La naissance de lostopathie est donc la consquence immdiate dune implication personnelle totale de la part de son fondateur. Dailleurs, dans lhistoire de lostopathie, tout ceux qui ont fait avancer les choses lont fait avant tout par limplication complte de leur personnalit. Pour la prparation de cette journe, nous avons, entre autres, utilis les travaux de recherche historique mens par Christian Hartmann 2 dans les rserves du SNOM. 3 Selon lui, une une distinction trs claire doit tre tablie entre : les sources primaires (crits directs) considres comme fiables, et les sources secondaires pour lesquelles il faudra demeurer trs rserv car elles peuvent rsulter de spculations. L'Histoire est un grand miroir o l'on se voit tout entier. 4 On a ainsi prt Still des propos ou des actes qui ntaient pas forcment vridiques. Nous allons parler dhistoire, mais pour Hartmann comme pour nous, lintrt dtudier les sources de lostopathie est tout fait diffrent du simple apprentissage de dates et dvnements sans but pratique que lon retrouve dans de nombreux cours dhistoire. Le but ici est de comprendre le cheminement de Still, ce qui la amen dcouvrir les principes de lostopathie et surtout de sapproprier la faon dont il percevait le vivant, bref dintgrer les concepts stilliens. Nous allons aussi parler de philosophie, mais prcisons que lide de philosophie pour un amricain et particulirement pour Still, na pas grand chose voir avec celle que nous en avons. Quand nous pensons philosophie, nous assimilons immdiatement ce terme au contenu des cours de philo de terminale, de grande valeur, sans doute, mais prsents de manire tellement rbarbative, si peu en prise avec les proccupations du monde que nous vivons que nous nous en sommes dtourns, parce que nous nen percevions pas lutilit pratique. lvidence, lducation Nationale na pas encore remarqu que les proccupations dun adolescent daujourdhui sont fort loignes des penses des philosophes, mme les plus grands, des sicles passs et qu 17 ans, on veut que a bouge, on veut du concret ! Pour un amricain en gnral, et pour Still en particulier, le terme de philosophie prend une toute autre acception : il sagit dune vritable manire denvisager la vie, concrte et surtout pragmatique. Lefficacit simpose. Les conclusions sont tires de lobservation du vivant, par opposition une rponse spculative un questionnement thorique comme est la philosophie antique grecque telle laquelle nous sommes habitus. Pour profiter de la lecture de Still et de sa philosophie, quelques conditions simposent. Il faut notamment parvenir lire entre les lignes ce qui tente de sexprimer sous une terminologie, des1. Confrence prsente le 7 mars 2009 devant la Socit des Ostopathes de lOuest. 2. Christian Hartmann (MD, physio DO), se consacre depuis 2001 la recherche sur Still. Aprs 13 ans de formation mdicales, il estime avoir trouv ce qui lui manquait avec la prise en compte dans la philosophie de lostopathie de paramtres dpassant de loin les paramtres cliniques du modle mdical. 3. SNOM : Still National Osteopathic Museum, situ Kirksville (Missouri), le berceau de lostopathie. 4.J-J, Rousseau, Chronologie universelle ou histoire gnrale des temps depuis la cration du monde jusque prsent compose et dresse par Rousseau pour son usage, avant-propos, Gallimard, Bibl. de la Pliade, t.V, p. 490.

Pourquoi une telle confrence ?

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prjugs, des aspects techniques dun autre temps, dune autre culture. Beaucoup se sont dcourags en entamant la lecture de ses ouvrages. Ils se sont heurts ses conceptions dun autre ge (les dbuts de lre industrielle), son style souvent pompeux, parfois emphatique, truff de mtaphores, exprimes en phrases interminables. Pas facile de passer outre. Pourtant, le fonctionnement du vivant na pas chang en 100 ans et nos patients et nous-mmes savons que lostopathie fonctionne Trois personnes seulement ont visit les rserves du musum lan dernier pourtant elles reclent un trsor cach dont une grande partie des pices nest mme pas encore rpertorie ! De la philosophie de Still, existent beaucoup dinterprtations individuelles, personnelles. Elles ne prtendent pas tre la vrit. chacun de se plonger dans ses ouvrages, et chaque lecture la comprhension se fait diffrente. Fils de prcheur, Still sexprime aussi entre les lignes.

Contexte historique et culturelIl nest pas besoin daller trs loin dans lapprofondissement de lhistoire et de la philosophie de Still pour se rendre compte que le dveloppement de lostopathie est directement reli un contexte : celui de la vie des pionniers amricains lpoque de la colonisation de lOuest. Le comprhension de ce qui fut essentiel cette poque nous parat indispensable pour comprendre vritablement la dmarche de Still et les conclusions auxquelles il est parvenu.

Un tat en deux partiesAmrique et tats-Unis sont un continent et un pays coloniss par les europens. Ns le 4 juillet 1776, les tats-Unis dAmrique sont encore en 1828, anne de naissance de Still, un pays en devenir. cette poque, les tats-Unis rassemblent seulement 24 tats 5, tous situs dans le tiers Est du territoire amricain.

Washington 1889 Montana 1889 Oregon 1859 Idaho 1890 Dakota du Sud 1889 Dakota du Nord 1889 Minnesota 1858

CanadaNew Hampshire Vermont Michigan Wisconsin 1848 Michigan 1837 Iowa 1846Arkansa Illinois 1818 Colorado 1876 Kansas 1861 Missouri 1821 Indiana 1816 Ohio 1803 New York Pennsylvanie 1787 Virginie Occ Virginie 1863 1776 Caroline du Nord 1789 Caroline du Sud 1845 Gorgie 1861 Floride 1845 Maine

Massachussets Rhode Island Connecticut New Jersey Delaware Maryland

Wyoming 1890

Nevada 1864 Utah 1896 Californie 1850

Nebraska 1867

Arizona 1912

Oklahom a 1907 Nouveau Mexique 1912 Texas 1845

Arkansas 1836

Kansas City Kirksville

Alabama Louisiane 1819 1812 1817 Mississippi

Mexique650 km 4550 km 480 km

Les tats-Unis en 1828 (anne de naissance de Still)5. Aujourdhui, les tats-Unis rassemblent 50 tats. Lors de la dclaration dindpendance le 4 juillet 1776, et de la ratification de la premire constitution en 1787, ils en comptaient seulement 13.

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Pierre Tricot et Laurent Gaisnon

Andrew Taylor Still

Les terres du centre et de louest ne sont colonises quen partie et ne font pas encore partie de la confdration. Ce sont des contres sauvages et inhospitalires, au climat trs rude, livres au rgne animal, peuples de quelques tribus amrindiennes 6. La cte Est, premire colonise, est beaucoup plus dveloppe conomiquement, intellectuellement et culturellement. La vie quotidienne y est trs proche de celle de lAngleterre, monarchie en moins.

PionnierAux USA, ce mot dsigne un dfricheur de contres sauvages et incultes. La plupart des premiers pionniers amricains sont des immigrants la recherche dune terre bon march, et dun meilleur avenir. Dautres esprent faire fortune, notamment dans les lieux o lor a t dcouvert. Dautres, enfin migrent par idalisme. Ceux-l sont en gnral instruits, parfois lettrs. Hache et fusil sont les ustensiles de base du pionnier qui possde gnralement peu de choses au moment de se lancer dans laventure : quelques provisions, des instruments aratoires, des semences, des outils, parfois du btail. Il utilise des chariots bchs, dont la silhouette nous est familire. Il nous est difficile aujourdhui de concevoir les conditions de vie des pionniers du Middle Ouest cette poque. En 1856 un certain Abbott, ami de Still participant la colonisation du Kansas, crit dans une lettre des amis de lEst : Un territoire immense peu peupl, par des gens non acclimats, dont beaucoup habitent des cabanes o nos amis de lEst ne mettraient mme pas leurs chevaux, vivant dans la vulgarit, mais pire encore, pauvrement habills, luttant contre toutes les difficults dune vie de pionnier, coups de leurs amis. 7

Un tat despritInstall en plaine ou dans les rgions forestires, le pionnier ne peut compter que sur lui-mme et sur la manire dont il tire profit des ressources naturelles. La chasse fournit une bonne partie de la nourriture ainsi que les peaux et le cuir servant la confection des vtements. Sy ajoutent la cueillette (baies diverses, noix, fruits sauvages, racines) et pour ceux des plaines, les rcoltes. Plongs dans cette vie si rude, le pionnier dveloppe des traits caractristiques : il est pris de libert et dhorizons ouverts. Habitu ne compter que sur ses forces et son habilet pour survivre, il est individualiste. Son sens de la responsabilit se limite volontairement au clan. Il est anim dun sentiment religieux (le Mthodisme est la principale religion en Amrique cette poque) dvelopp par la prcarit des conditions de vie et dune grande mfiance, enfin, envers tout ce qui vient de lextrieur. Cest cet esprit qui animera la recherche de Still vers lostopathie. Comme les ressources naturelles de l'Ouest semblent illimites, les populations contractent l'habitude du gaspillage. Les grands troupeaux de bisons seront ainsi presque entirement massacrs 8 et nombre d'autres espces frleront l'extinction. Les fleuves se hrissent de barrages, ce qui dtruit leurs milieux naturels. Les forts sont dvastes par un dboisement excessif et les paysages dfigurs par des exploitations minires inconsidres. La Frontire 9 de peuplement qui marque la ligne de dmarcation entre les territoires dfrichs et l'espace encore vierge essentiellement occup par une faune sauvage et des tribus indiennes , est un front perptuellement mobile : tantt en avance et tantt en retrait, elle concide rarement avec la frontire politique et dsigne donc plus un front pionnier qu'une frontire telle qu'on l'entend gnralement (limite entre tats ou pays).

6. Notamment, Navajos, Apaches, Cherokees, Comanches, Sioux, Cheyennes et Shawnees. 7. C. Trowbridge : Naissance de lostopathie, pp. 96-97. 8. Voir ce sujet le rcit de Bill Cody, Buffalo Bill dans Incendie sur la prairie de Z. Comeaux, pp. 179-185. 9. Frontire, Frontalier : Dans la culture amricaine, le mot frontire ne signifie pas seulement une limite, entre deux pays par exemple, mais plus gnralement, une limite atteinte dans un domaine particulier, ici la colonisation. Les territoires atteints ntaient pas proprement parler des pays diffrents, mais des rgions non colonises gnralement occupes par diffrentes tribus indiennes.

Contexte historique et culturel

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LIndian Removal ActEn 1830, l'Indian Removal Act (Acte de dplacement des Indiens) propos par Andrew Jackson, alors prsident des tats-Unis, ordonne la dportation des Indiens d'Amrique vivant dans les territoires compris entre les treize tats fondateurs et le Mississippi, vers un territoire situ audel de ce fleuve. Cette loi concerne 60 000 Indiens d'Amrique. Elle reprsente une rupture dans l'attitude officiellement adopte par les colons amricains l'gard des premiers occupants du sol. Jusqu'en 1800, 98% des blancs vivent sur 7% du territoire amricain, l'est des Appalaches, sans gner les vingt millions d'amrindiens qui vivent l'ouest. l'est, les tats-Unis tolrent jusqu'en 1830 les Indiens, pour autant qu'ils adoptent un mode de vie civilis, c'est--dire l'abandon du nomadisme, la pratique de l'agriculture, l'abandon de la proprit collective des terres et l'adoption de la dmocratie. Ces conditions et la pression exerce autant par les colons que par les tats, pousse des dizaines de tribus migrer vers l'Ouest. Le dplacement de ces tribus des terres qu'elles occupaient est l'un des thmes majeurs de la campagne prsidentielle de 1828, qui porte Andrew Jackson au pouvoir. Il fait donc voter la loi en 1830. L'un des rares opposants fut le trappeur Davy Crockett. La Cour suprme des tats-Unis invalida cette loi, mais le prsident Jackson ne tint aucun compte de cette interdiction. Le gouvernement mena d'abord des ngociations, mais seule une faible partie des peuples concerns tait prte partir des centaines de kilomtres pour s'tablir dans une rserve. C'est finalement l'arme amricaine qui mena une vritable dportation des Indiens, avec rassemblements prliminaires dans des forts, concentration dans des camps et convoyage. Cette dportation, particulirement brutale, s'effectua marches forces. Des milliers d'Indiens sont morts tout au long du parcours, notamment dans la tribu des Indiens Cherokees, et cette piste est appele depuis la Piste des Larmes. 10

La rue vers lorLe 24 janvier 1848 de l'or est dcouvert en Californie. De 1848 1900, les populations se prcipitent sur les pistes, construisant des villes fonctionnelles, exterminant les Indiens sur leur passage. Que de crimes seront ainsi commis au nom de la frontire et surtout pour la soif de lor... En se dplaant sur les terrains de chasse des Indiens, une nouvelle violence est apparue. De nombreuses bandes de hors la lois se constituent. Nous sommes en pleine poque mythique du Far West amricain.

Le General Allotment ActLe 8 fvrier 1887 le Congrs amricain vote le General Allotment Act, encore appel Dawes Severalty Act, autorisant le prsident des tats-Unis vendre les terres indiennes des particuliers, en petites parcelles. L'objectif de cette loi est soit-disant d'intgrer les Amrindiens dans la socit amricaine blanche en les transformant en fermiers. Cest, bien plus exactement, une manire dtourne de sapproprier leurs terres, la collectivit de terres pratique par les Indiens tant suspecte aux yeux de lamricain pris de liberts et de possessions individuelles.

Une organisation sociale tablirAndrew Taylor Still nat le 6 aot 1928. Le prsident Andrew Jackson prend sa fonction en 1829. Jackson est lorigine dune loi permettant chacun dexercer une profession sil en a les comptences mme sil na ni formation, ni diplme. Cette loi cherche rsoudre de manire pragmatique un double problme de socit : besoin de main d'uvre pour rpondre la demande de services et ncessit dintgration des nouveaux arrivants. Beaucoup dimmigrants du vieux continent sont arrivs sans mtier ni diplme et ont appris leur activit sur le tas, par apprentissage direct. Il en va de mme pour ceux ns dans les rgions de la frontire ou loin des grands10. Z. Comeaux, Incendie sur la prairie, p. 26-27.

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Pierre Tricot et Laurent Gaisnon

Andrew Taylor Still

centres de la cte Est, parce quils ne disposent pas de structures denseignement. La socit amricaine doit ainsi permettre que toutes sortes de services soient assurs dans les contres pionnires, tout en facilitant l'intgration de toute une frange de population. Elle met galement en place un systme ducatif pour les nouvelles gnrations. Cette loi sappliquera longtemps encore, notamment dans le domaine mdical : toute personne habitue prodiguer des soins et qui en fait profession peut se prvaloir du titre de mdecin !

La question de lesclavage et la guerre de ScessionAu cur la problmatique amricaine depuis le dbut de lexistence de la confdration, le problme de lesclavage devient lpoque de Still, particulirement pineux. Outre laspect moral, thique et religieux (Dieu a-t-il cr indiens, noirs et blancs vraiment gaux ?), le problme est galement dordre conomique. Les tats du Sud, essentiellement agricoles, trouvent dans les esclaves une main d'uvre bon compte que la croyance en lingalit des races aide grandement justifier (Dieu la voulu ainsi...). Sur la question de lesclavage, lUnion est scinde en deux camps, pro et anti esclavagiste. Le Nord sest progressivement unifi autour du consensus antiesclavagiste. Mais les tats du Sud dont la force de production repose sur lesclavage prs de quatre millions desclaves noirs travaillent dans les plantations sudistes , sopposent rsolument labolition. Au cours du temps, les divergences dintrts entre le Nord, industriel, protectionniste et abolitionniste, et le Sud, agricole, esclavagiste et libre-changiste, saggravent et se radicalisent, crant un clivage de plus en plus important. LUnion tant de nature dmocratique, chaque nouvel tat qui vient sagrger peut, selon quil est pro ou anti-esclavagiste, faire basculer lensemble dans un camp ou dans lautre. Jusque dans le milieu des annes 1850, grce plusieurs compromis juridico-politiques, lquilibre a t maintenu entre les deux camps. Mais cette poque, le Kansas (tat ou vivent alors les Still), limitrophe du Missouri, commence revendiquer son rattachement lUnion. Les factions des deux bords sopposent, visant faire basculer ltat dans un camp ou dans lautre. Ds 1857, les premiers combats opposant les partisans des deux camps ont lieu dans les territoires frontaliers, notamment au Kansas. Still, sengage rsolument du ct anti-esclavagiste. Jusquen 1860, il reprsentera son comt auprs de la lgislature du Kansas.11

La guerre de ScessionEn fvrier 1861, peu avant linvestiture de Lincoln 12, sept tats du Sud font scession et fondent les tats confdrs dAmrique, dots dune constitution, avec leur tte Jefferson Davis 13. La guerre entre les tats confdrs et le reste de lUnion devient inluctable. Elle clate le 12 avril 1861. Still sengage chez les fdraux. Il joue un rle actif tout au long de la guerre, comme combattant (il sera mme bless au cours dun engagement 14), mais galement comme mdecin et chirurgien. Il assiste, souvent impuissant, la mort de nombreux soldats, pas toujours pour faits de guerre : Pendant la guerre de Scession, les plus grands ennemis du soldat ne furent pas les blessures de guerre, mais la maladie et linfection. Les chiffres concernant les morts des rgiments du Kansas refltent la crise mdicale nationale : 1 000 hommes du Kansas moururent au combat ou des suites de blessures contractes au combat ; 2 106 hommes moururent de maladie. Au sein des forces de lUnion, sur les 286 chirurgiens qui moururent pendant la guerre, 231 moururent de maladie. Bien que la mauvaise hygine ait indubitablement contribu lextension de la maladie, la poursuite de11. Quelques pisodes piques sont relats dans Autobiographie, chapitre ?? 12. Abraham Lincoln (1809-1865) : Homme politique amricain, Dput de lIllinois, puis snateur, farouche partisan de labolitionnisme, prsident des Etats-Unis en 1860, rlu en 1864, assassin en 1865 juste aprs la victoire du Nord dans la guerre de Scession. 13. Jefferson Davis (1808-1889) : Officier et homme politique amricain, Snateur en 1847, ministre de la Guerre en 1853. Prsident de la Confdration des tats du Sud en 1861, il fut lme de la rsistance du Sud. 14. Voir Autobiographie, chapitre 5 et Incendie sur la prairie, pp. 14-22.

Contexte historique et culturel

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la pratique de la mdecine hroque et particulirement lutilisation du calomel naida pas renforcer la constitution du soldat malade. 15 Il est galement dsespr par le peu de moyens dont il dispose pour soigner : En parlant de larme, laissez moi vous dire que jai servi en tant que chirurgien sous les ordres de Fremont 16 et que je sais de quoi je parle lorsque je dis que lquipement de la trousse du chirurgien tait complet lorsquelle contenait du calomel, de la quinine, du whisky, de lopium, des chiffons et un scalpel. Si un patient avait un pied dans la tombe, et un demi-litre de whisky dans une bouteille, le docteur devait travailler aussi dur pour faire sortir le whisky de la bouteille que pour maintenir le pied hors de la tombe. 17

Laprs-guerre et le grand tournantDmobilis, il constate avec stupfaction que dans les rgions o les mdecins sont plus rares, la mortalit infantile est moins forte : Au cours de la guerre civile, javais remarqu que dans les parties du Missouri et du Kansas o les docteurs avaient cess dexercer, les enfants ne mouraient pas. 18 En 1865 quatre membres de sa famille meurent au cours dune pidmie de mningite crbrospinale. Au-del de sa souffrance personnelle, il est traumatis par lincapacit des mdecins sauver ses enfants. Cest lorsque je me tenais l, regardant fixement trois membres de ma famille deux de mes propres enfants et un enfant que nous avions adopt , tous morts de la mningite crbro-spinale que je me posai les srieuses questions Avec la maladie Dieu a-t-il abandonn lhomme dans un monde dincertitude ? 19 Il pense abandonner la mdecine, mais finalement, cette preuve sera pour lui un puissant stimulant dans sa qute vers une autre mdecine.

La mdecine dans les rgions pionniresOutre les risques inhrents la vie de pionnier, se pose invitablement le problme de la sant. Vivant la plupart du temps isols, les pionniers ont appris se dbrouiller seuls pour grer les problmes de sant. Leur mdecine est essentiellement base de plantes, de racines, de vieux remdes populaires familiaux ou prpars par les mdecins indiens locaux. En plus de la Physick de Wesley, 20 existent sur la frontire amricaine beaucoup de manuels familiaux, guides simples destins aux pionniers isols. Les remdes se trouvent juste devant leurs portes, leur pargnant de sen remettre au rare mdecin frontalier, de payer ses honoraires, dingurgiter ses drogues ou dendurer ses traitements souvent drastiques et particulirement dangereux.

La mdecine hroqueLa mdecine officielle de ce temps est en effet plus proche des descriptions de Molire que de la mdecine actuelle. Elle est dailleurs le plus souvent non seulement inefficace, mais carrment nuisible. La thorie rgnante est celle de Benjamin Rush 21 qui, se fondant sur les dcouvertes de William Harvey 22 concernant la circulation sanguine, prtend que la fivre, en produisant une15. C. Trowbridge : Naissance de lostopathie, pp. 127-128. 16. John Charles Fremont (1813-1890) Explorateur, soldat et politicien amricain qui explora et dressa la carte de la plus grande partie de lAmrique de lOuest et du Nord-Ouest, snateur de Californie (1850-51) et candidat llection prsidentielle de 1856. 17. A.T. Still : Autobiographie, pp. 167-168. 18. Ibid. p. 242. 19. Ibid. p. 76. 20. John Wesley (1703-1791), fondateur du Mthodisme, principale religion au tats-Unis cette poque, a crit un ouvrage destin aider les gens pauvres et dmunis se soigner : Primitive Physick : an Easy and Natural Way of Curing Most Diseases. On pourrait traduire par : Mdicaments de base, moyen facile et naturel pour gurir la plupart des maladies . 21. Benjamin Rush (1746-1813) : Mdecin, rformateur politique et social amricain qui combattit de nombreuses thories mdicales tablies et pensa dautres moyens de combattre la maladie. Il fut pionnier dans les domaines de lhygine militaire et le traitement des maladies mentales. 22. William Harvey : (1578-1657), Mdecin anglais qui dcouvrit la circulation sanguine et le rle moteur du cur, je-

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tension dans les vaisseaux sanguins, provoque la maladie. Il en conclut que le traitement le plus adquat consiste relcher cette tension en utilisant les vieilles techniques de la saigne et de la purgation de lestomac et des intestins. Les patients sont saigns jusqu linconscience et purgs laide du calomel 23 jusqu prsenter des signes dempoisonnement mercuriel accompagns de salivation. Il faut du courage pour endurer ces pratiques, ce qui leur vaut dtre appeles mdecine hroque. Entre 1770 et 1850, le systme de Rush domine lenseignement et la pratique de la mdecine amricaine. Mais progressivement, une srieuse rsistance se dveloppe face ces pratiques qui sont peu peu dlaisses, au profit dautres drogues, telles lopium, la cocane et lalcool qui, hlas, entranent la dpendance et la fidlit du client. La plus sre des thrapeutiques cette poque est sans doute de ne rien faire. Still appellera les pratiques de ce temps mdecine de lpeu-prs, ou du viser-rater : Cest de la philosophie de lostopathie dont loprateur a besoin. Par consquent, il est indispensable que vous connaissiez cette philosophie sinon, vous chouerez svrement et nirez pas plus loin que le charlatanisme du viserrater. 24

La formation mdicale cette poque, la pratique mdicale nest pas rglemente au sein de lUnion. Elle ne le sera que progressivement partir des annes 1870. Dans les villes et contres de lEst, les mdecins sont forms dans des coles dont les programmes sont proches des cursus des collges et facults europens. Mais ces praticiens, souvent issus de milieux aiss (les tudes sont payantes et chres), ne sont gure dsireux part quelques idalistes de quitter le confort et la scurit de lEst pour la prcarit de la vie pionnire. Ainsi, comme le permet la loi Jackson ci-dessus voque, la plupart des mdecins des rgions frontalires se forment sur le tas, auprs dun praticien dj en exercice, ce savoir pratique tant complt par la lecture douvrages que possde le praticien. Still apprend donc la mdecine auprs de son pre, prcheur mthodiste et mdecin, et au contact des indiens shawnees et de leurs pratiques.

La mdecine cette poque en EuropeLvaluation des connaissances mdicales de l'poque en Europe semble galement indispensable pour comprendre le contexte amricain. cette poque Ignace Semmelweis (1818-1865), obsttricien hongrois, dcouvre lorigine infectieuse de la fivre puerprale et prconise aux praticiens de se laver les mains, mais il est combattu par les mdecins de lpoque et ses travaux ne sont pas diffuss. En France, Claude Bernard (1813-1878) jette les bases de la mdecine exprimentale, fondement de la mdecine actuelle. Louis Pasteur (1822-1895) et ses travaux commencent seulement tre reconnus, En Angleterre, Joseph Lister (1827-1912) lutte pour imposer la notion dasepsie, En Allemagne, Robert Koch (1823-1910) dcouvre le bacille de la tuberculose (1882), aboutissant la dcouverte de la tuberculine. Toutes ces recherches qui constituent le point de dpart de la mdecine scientifique moderne, sont peut-tre connues de Still et de ses contemporains de la frontire, mais la mfiance quil a dveloppe lgard de tout ce qui est mdical le rend trs circonspect leur gard et il ne les utilisera pas dans le dveloppement de lostopathie.

Dautres systmesDautres systmes existent, notamment les systmes botanistes, mais cause des infinies possibilits de variations dans cette mdecine et du manque de standards denseignement, elle finit partant les bases de la physiologie moderne. 23. Calomel : Protochlorure de mercure (Hg2Cl2). Poudre blanche trs fine, trs dense, insoluble dans leau, utilise en interne pour son action sur le tractus digestif (antiseptique doux, vermifuge, dcongestionnant du foie, cholagogue) et en pommade comme antiseptique. Aujourdhui, utilis comme pesticide et fongicide. 24. A.T. Still, Autobiographie, p. 144.

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tomber en dsutude. la mme poque, un certain Dr Beach combine ce quil considre comme le meilleur de la mdecine rgulire, des sorciers indiens, des sage femmes et des praticiens botanistes, au sein dun systme quil appelle clectisme. Aprs 1840, une autre philosophie mdicale, lhomopathie, prend de lexpansion. Fonde par le mdecin allemand Hahnemann 25, elle est apparue en Amrique dans les annes 1820. Cette philosophie sduit surtout les intellectuels et les rformateurs qui apprcient particulirement les faibles dosages quelle propose.

La mdecine indienneLes thories et les pratiques des Indiens en pharmacologie et en chamanisme, bien que rejetes par les Amricains, ont pourtant t utilises pour crer certains de leurs remdes, agrs par le corps mdical et labelliss comme dcouvertes scientifiques. Les mdicaments Indiens ntaient pas plus rationnels que ceux des Europens au temps de leurs dcouvertes. Lempirisme est roi. Le nombre de simples (plantes originelles) utilises par les Indiens tait beaucoup plus important que chez les europens. Tout en tant souvent conduites par les superstitions et les pratiques surnaturelles, leurs mthodes nen taient pas moins efficaces, et souvent trs cohrentes, par rapport leur culture. Fractures, piqres, blessures, irritations, et nombre de maladies concernant le corps extrieur taient traites de faons trs naturelles. En cas de maladies internes persistantes dont la cause ntait pas apparente, la coutume Indienne traditionnelle attribuait la maladie a des agents surnaturels. Si les mdicaments ordinaires namenaient pas la gurison, on faisait alors appel au chaman et ses mthodes. Vu le temps quil a pass auprs des indiens shawnees, il serait bien tonnant que Still nai pas appris grce eux des lments de leur mdecine. Et il serait tout aussi tonnant, pour un esprit pragmatique comme le sien, de navoir pas tir quelque profit de ces connaissances dans sa pratique mdicale. Il nen dit pourtant rien. On peut supposer que ce mutisme dlibr tire son origine du mpris dans lesquels les contemporains de Still tenaient tout ce qui touchait aux amrindiens, considrs comme des sous-humains. Faute dinformation de premire main, nous ne pouvons que spculer sur cette question.

Conception asiatique, philosophie taoste et mdecine chinoiseAux USA, une forte immigration de population asiatique a fourni une partie importante de la main duvre pour la construction de la branche Ouest du chemin de fer transcontinental. La mdecine chinoise bnficiait dj dune connaissance anatomique dveloppe et surtout dcrivait la relation corps mental esprit comme un tout. Il se peut, l aussi, que Still, esprit curieux sil en est, ait tir quelque profit de connaissances glanes a et l au cours des ses prgrinations avant de se fixer Kirksville en 1878. Mais l encore, il ne nous donne aucune indication et nous ne disposons daucune information de source primaire, ce qui nous laisse dans la supposition.

Le reboutementConcernant le reboutement, aucun doute. Still la pratiqu. Dans ses dbuts dinstallation Kirksville, il fait mme circuler une carte professionnelle sur laquelle est inscrite : Dr. A. T. Still Lightning Bone Setter, ce qui pourrait se traduire par Rebouteux clair . Nul ne sait o il a appris cet25. Samuel Hahnemann (1755-1843), mdecin allemand, inventeur de lhomopathie. Hahnemann dcouvrit sa voie en lisant le Trait des matires mdicales du mdecin anglais William Cullen. Frapp par la description de laction de lcorce du quinquina, lun des seuls remdes capables alors de soigner la fivre pernicieuse (la forme la plus grave du paludisme), il dcida de lexprimenter sur lui-mme. Il en absorba de fortes doses, plusieurs jours de suite et constata lapparition des symptmes mmes du paludisme. Hahnemann rpta lexprience sur des amis volontaires, avec du quinquina, puis avec dautres substances telle la belladone. Fort de ses rsultats, Hahnemann nona le premier principe de lhomopathie : la loi de similitude . Une substance toxique, administre faible dose, est capable de gurir des symptmes semblables ceux quelle provoque chez le sujet sain des doses plus fortes. Il imagina ensuite de diluer plusieurs fois ces substances. Puis il ajouta la notion dindividualisation des patients les uns par rapport aux autres, de faon adapter ses soins aux caractristiques propres chaque individu.

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art, mais certaines descriptions quil donne de ses techniques ne font aucun doute quant leur pratique.

Carte professionnelle de Still Kirksville

une femme de lEst venue le trouver pour savoir comment fonctionne lostopathie et qui insinue quil sagit dhypnotisme, Still rpond : Eh bien, Madame, nous discutons effectivement de la loi de lEsprit, de la matire et du mouvement. Cest peut-tre de l que vous tirez lassociation avec lesprit. Mais nous nous en occupons dune manire diffrente de ce que vous semblez prsumer et insinuer. Dans la seule journe dhier, jai rajust dix sept hanches. Et cela, sans recourir aucune suggestion, je puis vous le dire. Il y a quelques temps, W. O. Torrey du bureau de la sant du Missouri est venu avec les mmes doutes que vous. Ensemble, nous avons examin des patients. Il a diagnostiqu trois cas de luxation complte de la hanche, la tte du fmur carrment sortie de sa cavit. Il ma chronomtr et jai trait les trois hanches en quatre minutes et quinze secondes. Il a lui-mme valu les patients avant et aprs le traitement. 26 Mais son gnie aura t de ne pas se contenter de son savoir-faire qui, semble-t-il, tait immense et lui confrait une efficacit incomparable. Il a dsir plus : crer un art et une technique reposant sur des concepts cohrents et transmissibles. Ainsi est ne l'ostopathie fonde sur une philosophie qui la dpasse et la prennise.

Le mesmrismeMdecin allemand, Franz Anton Mesmer (17341815) soutient en 1776 sa thse de doctorat portant sur l'influence des plantes sur le corps humain, dans laquelle on retrouve l'influence des thories sur le magntisme du mdecin suisse Paracelse, du mdecin belge Jan Baptist van Helmont (Le traitement magntique des plaies, 1621), du mdecin cossais William Maxwell (De Medicina Magnetica, 1679), du jsuite allemand Athanasius Kircher et de Ferdinand Santanelli (Geheime Philosophie oder magish-magnetische Heilkunde, 1723). Il sera le fondateur de la thorie du magntisme animal, galement appele mesmrisme : un fluide physique subtil emplit l'univers, servant d'intermdiaire entre l'homme, la terre et les corps clestes, et entre les hommes eux-mmes. La maladie rsulte d'une mauvaise rpartition de ce fluide dans le corps humain et la gurison revient restaurer cet quilibre perdu. Grce certaines techniques, ce fluide est susceptible d'tre canalis, emmagasin et transmis d'autres personnes, provoquant des crises chez les malades pour les gurir. Selon Mesmer, tout homme possde un magntisme animal capable de gurir son prochain. Le magntiseur, diffuse ce fluide animal grce des passes, dites passes mesmriennes , sur tout le corps. Ridiculis Vienne, rejet, il se rend Paris, o il sattire une certaine renomme en pratiquant des dmonstrations de ses techniques pour les dames de la haute socit. Mesmer introduit la mthode de traitement collectif dite du baquet. C'est notamment lors de ces traitements collec26. A.T. Still, Autobiographie ,p. 91 et Comeaux, Incendie sur la prairie, p. 110.

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tifs que se manifestent des phnomnes contagieux de crises magntiques au cours desquelles les femmes de la meilleure socit parisienne perdent leur contrle, clatent d'un rire hystrique , se pment, sont prises de convulsions. partir de 1782, luvre de Mesmer est reprise par le Marquis de Puysegur (1751-1825) qui a t son lve, dans le cadre de la Socit de l'Harmonie. Un jour qu'il magntise un jeune paysan, qui souffre de lgers troubles respiratoires, il a la surprise de constater que celui-ci reste bien veill et lucide, rpondant toutes ses questions et obissant mme aux ordres du magntiseur, sans pour autant prsenter de crise convulsive. Et le patient en sort guri. Le marquis de Puysgur vient de faire la preuve que les crises convulsives ne sont pas indispensables. Il montre l'importance du contact verbal entre le magntiseur et le magntis, ouvrant du mme coup le conflit qui oppose encore de nos jours les tenants des thories physiologiques ceux des thories psychologiques. Pour Puysgur, le vritable agent curatif est la volont du magntiseur. Lhypnose, tombe en dsutude la fin du XVIIIe sicle va pourtant sexporter aux Amriques avec les pionniers. Dans Autobiographie, Still raconte comment il gurit un alcoolique de son vice. La manire dont il dcrit le traitement fait immanquablement penser de lhypnotisme. 27 Il se dfendra pourtant nergiquement contre lide que lon puisse assimiler lostopathie de la transe hypnotique : Avant de passer ce sujet, permettez moi de dire, que certaines personnes pensent que je suis un mcrant, une sorte dhypnotiseur, de mesmriste ou quelque chose du genre. Otez ce fatras de votre esprit maintenant et pour toujours. 28 Il nhsite pas proclamer que cela na rien voir avec lostopathie : Certains pensent que lostopathie est un systme de massage, dautres quil sagit de gurison par la foi. Pour ma part, je nai aucune foi, je dsire seulement que le fondement soit la vrit. Dautres pensent quil sagit dune sorte de chamanisme magntique. Elle nest rien de tout cela ; elle est fonde sur des principes scientifiques. 29 galement : Si, parce que je dnonce les drogues, vous me prenez pour un scientiste chrtien retournez chez vous, prenez une dose de raison et dbarrassez vous de telles notions. Si vous me considrez comme mesmriste, une grande dose danatomie pourrait chasser cette pense. 30 Il est probable que ces propos sont avant tout destins aux tudiants friands de drives plus ou moins loignes de lenseignement quils reoivent, mais aussi proclamer devant tous quelle est bien une science, tout fait respectable, fonde sur du concret reconnu, lanatomie.

La phrnologieVers 1800, un mdecin anatomiste allemand, Franz Joseph Gall (1758-1828), remarque que ses meilleurs tudiants ont les yeux particulirement protubrants. Il met lhypothse que les dformations la surface du crne seraient la consquence de la pression des organes du cerveau en lien avec telle ou telle facult mentale. Ceux chez qui ces organes sont trs dvelopps prsenteraient donc une bosse la surface du crne en regard de cette rgion du cerveau. Ce lien direct existant entre facults mentales, anatomie crbrale et morphologie du crne pose les fondements d'une discipline qu'il baptise crnioscopie et que l'un de ses disciples, Johann Caspar Spurzheim (1766-1833) rebaptisera phrnologie en 1810. la suite de Gall et de Spurzheim, dautres chercheurs se sont intresss aux localisations crbrales, ce qui fera considrer cette poque la phrnologie comme une branche scientifique de la mdecine. Ainsi, L. Rolando (1773-1831) repre sur lanimal des dficits spcifiques en relation avec lablation de diverses parties du cerveau. J.-B. Bouillaud (1796-1881) localise le centre du langage dans le lobe temporal, et P. Broca (1824-1880) dlimite cette zone avec prcision : la mmoire des mots, dmontre-t-il, a son sige au pied de la troisime circonvolution frontale (1861).27. A. T. Still, Autobiographie, pp. 100-101. 28. Ibid. p. 263. 29. Ibid. p. 252. 30. Ibid. p. 214.

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Les travaux de Broca habilitent la thorie, dont le sort restera li avant tout aux recherches sur laphasie. Dans le dernier quart du XIXe sicle, elle a la faveur des psychologues associationnistes, et se traduit par des descriptions dinnombrables schmas de centres dimages et de leurs associations. Jean Martin Charcot (1825-1893) utilise galement la phrnologie et devient clbre dans les domaines de la localisation crbrale, des dsordres de la moelle pinire, de lhystrie et de lhypnotisme. Charcot relie galement les nerfs aux dysfonctionnements viscraux et en comprimant les nerfs des endroits stratgiques parvient faire cesser une contracture ovarienne ou des troubles physiques. A lpoque la phrnologie sera trs rpandue dans la mdecine officielle. Elle sera enseigne dans les tudes de mdecine sur la cte Est des tats-Unis jusquau dbut du XXme sicle. Malheureusement, force dinterprtations fantaisistes, la phrnologie finira par tomber en discrdit : Depuis les annes 1850, des confrenciers itinrants, bien fournis en littrature facile lire et de prix abordable, parcouraient la campagne dmontrant une science de loi naturelle appele phrnologie. Pour illustrer la progression animale et humaine, les phrnologistes alignaient des rangs de crne grimaants et des moulages de cerveaux en pltre. Ornant les tagres des coles de campagne et des salles de confrences, avec des plateaux dobsttrique, des schmas anatomiques plus vrais que nature, des squelettes monts sur fil de fer et parfois, de bizarres spcimens mdicaux flottant dans des bouteilles de formol, ils donnaient une prsentation vivante de ce qui serait appel la science du cerveau. Les auditeurs entendaient les phrnologistes prcher que leurs corps taient des parties de lunivers, quils taient gouverns par des lois universelles et les phrnologistes leurs promettaient quen suivant ces lois, travers savoir et mnagement, la sant et lintelligence de leurs auditeurs pourraient samliorer. 31

La rvolution industrielle et les inventionsLa seconde moiti du XIXe sicle est galement marque par la rvolution industrielle qui fera passer la socit du travail manuel la mcanisation. Still au cours de sa vie voit natre et se dvelopper llectricit, la machine vapeur, le chemin de fer, le tlgraphe et le tlphone, lautomobile... Il est fascin par toutes ces dcouvertes au point mme de se dire mcanicien et dutiliser abondamment nombre de mtaphores utilisant les analogies empruntes aux machines et llectricit. Mais des changements aussi considrables au cours dune seule vie ne sont pas faciles grer : Alors, voix haute, Still sadressa sa fille : Blanche, un homme ne devrait pas vivre si longtemps. Trop de changements, trop de choses qui arrivent. a choque lesprit. Les choses ne sont plus sous contrle, une organisation en droute. 32

Quelques dates marquantes concernant les inventions1861 : premier mtro Londres 1866 : tlgraphe transatlantique 1869 : chemin de fer transcontinental amricain 1876 : tlphone Bell 1879 : ampoule lectrique Thomas Edison 1890 : avion Clment Ader

Benjamin Franklin (1706-1790)Dans les annes 1750, Franklin dcouvre linfluence de la temprature et de la pression sur le volume, invente le paratonnerre, les lunettes double foyer Il est aussi un chercheur pionnier dans le domaine de la mtorologie (cloches de Franklin destines dtecter les orages proches) et mme un des premiers hommes monter dans une montgolfire. En 1762, il invente le glass harmonica, instrument clavier compos de verres frotts.31. C. Trowbridge, Naissance de lostopathie, p. 134. 32. Z. Comeaux, Incendie sur la prairie, p. 196.

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Personnage parmi les plus illustres de l'histoire amricaine, Benjamin Franklin est un philosophe classique . Il est le premier ambassadeur des tats-Unis la cour du roi de France. Intellectuel complet et franc-maon de tradition britannique, il est imprimeur et prcurseur encyclopdiste avant la lettre, en imprimant et distribuant des almanachs dans les demeures les plus humbles des colonies britanniques d'Amrique. Chaque almanach est un condens de rcits, rflexions philosophiques, rudiments des sciences et recettes techniques. Il est l'un des pres de l'Indpendance des tats-Unis d'Amrique de 1776. On retrouve chez Franklin le gnie amricain tourn vers le ct concret et pratique de la philosophie, de la science et des techniques.

Robert Fulton (1765-1815) et le bateau vapeurConsidr comme l'inventeur du bateau vapeur, Fulton est en fait celui qui, par son talent d'ingnieur, parvint rendre rellement oprationnel un procd dj connu, comme le prouvent les expriences de Denis Papin en Allemagne (1707), dAuxiron et Claude Franois Jouffroy d'Abbans en France (1774), de John Fitch (1787) en Amrique, et de Symington (1788,1801) en Angleterre. Le 9 aot 1803, Fulton fait fonctionner le premier bateau vapeur sur la Seine, en prsence de plusieurs membres de l'Institut : Volney, Prony, Bossut et Carnot. Le 17 aot 1807, Fulton ouvre aux tats-Unis la premire ligne commerciale rgulire vapeur entre New York et Albany, sur l'Hudson. Il construit par la suite d'autres bateaux vapeur, et dessine le premier navire de guerre vapeur, qui porte son nom.

James Watt (1736-1819) et la machine vapeurJames Watt a grandement contribu la transformation de la machine vapeur embryonnaire en un moyen de production dnergie viable et conomique. Il sest aperu que la machine vapeur de Newcomen gaspillait prs des trois quarts de lnergie de la vapeur en chauffant le piston et la chambre. Watt a lide de dvelopper une chambre de condensation spare ce qui a augment significativement lefficacit. Des amliorations supplmentaires (isolation du cylindre de vapeur, la machine double action, un compteur, un indicateur et une valve de commande de puissance, adaptation du rgulateur boules) ont fait de la machine vapeur luvre de sa vie.

Thomas Edison (1847-1931) et la fe lectricitSurnomm Le magicien de Menlo Park, Edison est reconnu comme l'un des inventeurs amricains les plus importants et les plus prolixes. En 1876 il entreprend de dvelopper le tlphone mais Alexandre Graham Bell dpose son brevet juste avant lui. Edison dveloppe alors un microphone cartouche de carbone qui amliore considrablement les capacits du tlphone de son concurrent. En 1877, il achve la construction du premier vritable phonographe capable d'enregistrer et de rcouter la voix humaine et du son, qu'il ne cessera de perfectionner (Cylindre phonographique d'acier couvert d'une feuille en tain et d'une aiguille qui grave puis lit 2 minutes de sons recueillis ou diffuss par un cornet acoustique). En 1879, aprs avoir test 6 000 substances vgtales envoyes chercher dans le monde entier, avec un budget de 40 000 dollars, il dpose le brevet de l'ampoule lectrique base de filament en bambou du Japon sous faible voltage dans une ampoule de verre sous vide. En 1892, il fonde la General Electric, un des premiers empires industriels mondiaux, pionnier de l'lectricit, diffuseur, vulgarisateur et perfectionneur de technologies d'avant garde, auto-proclam inventeur du tlphone, du cinma et de l'enregistrement du son, il n'hsite jamais s'attribuer quantit d'inventions ralises par d'autres, jusqu' revendiquer le nombre record de 1093 brevets.

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Les machinesLe XIXme sicle est vritablement lre de la machine. Avec la dcouverte et l'extension de llectricit, immdiatement associe la magie et la domestication de la vapeur se dveloppera lre des machines. cette poque apparat galement le concept d arts industriels . Le crateur de la machine est un ingnieur. Le technicien qui utilise et entretient la machine doit comprendre comment celle-ci fonctionne sans pour autant tre capable de concevoir une machine. Still se dira lui-mme ingnieur : dans son Autobiographie, il a invent une machine monter le foin 33, une autre pour baratter le beurre. 34 Il utilisera abondamment lanalogie de Dieu crateur de lHomme, compar lingnieur crateur de machine, lostopathe tant le technicien, qui na pas chercher modifier la machine pour la parfaire, mais simplement comprendre comment elle fonctionne : L'ostopathie est la loi de Dieu, et quiconque pouvant amliorer la loi de Dieu serait suprieur Dieu lui-mme. 35. Tout est dj prvu pour que la machine fonctionne. Mais un seul rouage gripp peut compromettre le fonctionnement de la machine entire.

Religion et mysticisme dans les tats pionniersPendant toute la fin du XIXe sicle, le mthodisme, religion importe par les pionniers venant dAngleterre, sera la religion dominante des tats-Unis. Sur Still, dont le pre est prcheur mthodiste, elle exercera une influence particulirement importante. Il sen dtachera cependant trs nettement au cours de son volution personnelle, ce qui le fera considrer comme apostat et ne manquera pas de lui nuire : Alors que Mary et deux des enfants taient assis au temple, le doyen prsidant loffice, ancien prsident de luniversit Baker dnona publiquement Still et ses thories, le dcrivant comme un apostat de premier rang, qui devait soit changer, soit aller en enfer. 36

Le MthodismeCest un mouvement religieux protestant, issu de langlicanisme, fond en 1729, au sein dun cercle dtudiants de luniversit dOxford anim par John Wesley (1703-1791), et dont les membres se runissaient pour prier, tudier les textes sacrs et clbrer les offices et en raction la perversion de langlicanisme. Le srieux avec lequel ils accomplissaient leur devoir de chrtiens leur a valu dtre surnomms mthodistes par leurs camarades. Selon Wesley, ltre humain ne peut se parfaire lui-mme : on ne peut pas changer la faon dont lhomme est constitu. Mais nous pouvons nous prparer la perfection en agissant de manire responsable et juste, envers soi et envers les autres. La doctrine mthodiste privilgie lexprience personnelle de la conversion, de lengagement et de la sanctification. Elle se caractrise par une qute incessante vers la perfection et par un intrt actif pour le bien-tre social et la moralit publique. Le mthodisme constituera le principal courant religieux amricain du XIXe sicle, notamment chez les pionniers. Mme sil finira par sloigner du mthodisme, Andrew Taylor Still sera marqu par la rigueur morale et lexigence damlioration, la lutte pour le bien commun inhrents la doctrine. On retrouve ces exigences largement exprimes dans ses crits et dans sa philosophie.

Prcheur et mdecin cette poque, dans le Middle West amricain, il ny a gure de diffrence entre le mdecin des33. A.T. Still, Autobiographie pp. 79-81. 34. Ibid. 35. Ibid. p. 204. 36. C. Trowbridge, Naissance de lostopathie, pp. 164-165.

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corps et celui des mes. La mdecine fait dailleurs partie du ministre mthodiste. John Wesley, le fondateur du mthodisme, concevant la sant du corps comme troitement relie celle de lme, envisage le salut comme la restauration de lharmonie originelle entre me et corps. Par ailleurs, les accs de maladie dont il souffre lui-mme et sa dtresse face la maladie et la souffrance, omniprsentes chez les pauvres, le conduisent tudier la mdecine et lincorporer son ministre. Il crit donc Primitive Physick : an Easy and Natural Way of Curing Most Diseases (1747)37. Ce livre fait partie de ceux quemporte le prcheur itinrant de la frontire dans ses sacoches de selle. Abraham Still pratique donc galement la mdecine et cest logiquement auprs de son pre quAndrew sinitiera son art.

Le spiritualisme mystique dEmmanuel SwedenborgEmmanuel Swendenborg (1688-1772), Naturaliste, philosophe et thosophe sudois, de son vrai nom Emmanuel Swedberg, homme dou de capacits intellectuelles et psychiques rares, a jou un rle prpondrant dans le dveloppement des mathmatiques, de la chimie, de la physique et de la biologie. Ses Opera philosophica et mineralia (uvres philosophiques et minrales, 1734) exposent ses ides sur la drivation de la matire. Ses tudes en physiologie le conduisent crire conomia regni animalis (conomie du rgne animal, 1741), trait dans lequel il tente dexpliquer la corrlation entre la matire et lme. Il a par ailleurs collect toutes les connaissances de son temps sur le systme nerveux. Install Londres puis Paris, il pratique des dissections du systme nerveux central. Il part ensuite Venise, o il rdige une compilation de ses savoirs concernant le systme nerveux. Tous les organes ont une innervation sensitive donc tous les lments du corps sont relis au systme nerveux central (la batterie). Dans ses crits sur le cerveau, il dcrit le liquide cphalo-rachidien et ses mouvements autonomes. Swedenborg tait connu de Still et on peut supposer quune partie de lintrt que celui-ci a port au cerveau tout au long du dveloppement de lostopathie en est la consquence. En 1745, Swedenborg se dit victime de visions surnaturelles et se met tudier la thologie. Dans Arcana clestia (Arcanes clestes, 1749-1756), il propose un systme religieux fond sur une interprtation allgorique des critures, selon des instructions reues de Dieu. Selon Swedenborg, le monde naturel puise sa ralit dans lexistence de Dieu qui sest fait homme en la personne de Jsus-Christ. Le but suprme est de parvenir sunir Dieu travers lamour et la sagesse. Swedenborg meurt Londres le 29 mars 1772 comme il lavait prdit.

Le transcendantalismeLe transcendantalisme est un mouvement littraire, spirituel, culturel et philosophique qui merge aux tats-Unis, en Nouvelle-Angleterre, dans la premire moiti du XIXe sicle. Le mouvement dmarre avec la cration du Transcendental Club Cambridge (Massachusetts) le 8 septembre 1836 par quelques intellectuels rputs, notamment George Putnam, Ralph Waldo Emerson, et Frederick Henry Hedge. L'ouverture de ce club intervient en raction l'tat gnral de la culture et de la socit de l'poque, et plus particulirement comme une protestation contre la position majoritaire des intellectuels de Harvard et contre la doctrine de l'glise unitarienne enseigne la facult de thologie d'Harvard. Les transcendantalistes veulent fonder leur religion et leur philosophie sur des principes transcendantaux, qui reposent sur l'essence spirituelle et mentale de l'tre, sans dpendre ni se modifier par l'exprience des sensations. Les transcendantalistes ignorent peu prs tout de la philosophie allemande et s'appuient sur cette question sur le spiritualisme mystique d'Emmanuel Swedenborg et les travaux et crits de Thomas Carlyle, Samuel Taylor Coleridge, etc. Ils sont en revanche trs familiers des romantiques anglais et on peut considrer ce titre le mouvement37. Primitive Physick: an Easy and Natural Way of Curing Most Diseases on pourrait traduire par : Mdicaments de base, moyen facile et naturel pour gurir la plupart des maladies . Ce livre de remdes, crit en anglais courant fut dit trente trois fois du vivant de Wesley et beaucoup plus aprs sa mort.

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transcendantaliste comme un romantisme tardif et amricain. Du transcendantalisme, on peut retrouver chez Still beaucoup de traits essentiels et notamment l'intgration la Nature, non dissocie de l'humain, lide que de la Nature lhomme peut tout apprendre, en observant, lide de Dieu partout prsent qui infiltre sa cration et qui est immdiatement accessible l'homme.

La thosophieLe terme thosophie fait rfrence une doctrine qui soutient que toutes les religions sont des projections et tentatives de l'Homme pour connatre le Divin , et que, par voie de consquence, chaque religion possde une partie de la Vrit. Le terme de thosophie correspond galement un systme de croyances moderne spcialement utilis par Helena Blavatsky 38 qui fonde en 1875, New York, la Socit Thosophique, destine promouvoir sa propre doctrine. Cette organisation spiritualiste s'apparente d'autres mouvements initiatiques du mme ordre, avec lesquels elle a entretenu de nombreux liens jusqu' aujourd'hui (Franc-Maonnerie, RoseCroix, Martinisme). La Socit Thosophique est organise dans le but de dvelopper les sentiments de tolrance mutuelle et de bienveillance entre peuples de diffrentes races et de diffrentes religions, dencourager ltude des philosophies, des religions et des sciences des Anciens et aider aux recherches concernant la nature suprieure de lhomme et ses pouvoirs latents. Quest-ce qui nous permet de penser que Still a pu tre en relation avec la thosophie ? Outre le fait que les buts de cette socit allaient bien dans ses vues personnelles concernant la religion et la spiritualit, on trouve dans ses crits une preuve formelle de ce lien avec un texte appel biogne, correspondant au chapitre XI de Philosophie et principes mcaniques de lostopathie. Ce chapitre est vraiment original et parle de choses que Still nvoque nulle part ailleurs dans ses crits. En revanche, si ce texte est particulirement intressant, clairant certains cts de la pense stillienne, il apparat ex abruto dans son uvre publie, sans aucune rfrence quant son origine. Lexplication nous en a t fournie trs rcemment par Zachary Comeaux dans son livre Incendie sur la prairie, une histoire romance de la vie de Still et du dveloppement de lostopathie. Comeaux y fait sexprimer Still en ces termes : Coues tait chirurgien militaire, comme je lavais t. Il suivit les expditions qui aidrent civiliser le Sud Ouest. Il tait aussi un peu biologiste et naturaliste. Dans son tude de la flore et de la faune, il commena dcrire la force de vie qui diffrencie le vivant du non vivant. Son concept biogne est parfaitement dcrit et rsum dans une confrence quil donna devant la Socit Philosophique de Washington. mes yeux, son ide supportait mes propres ides concernant la manire particulire de reconnatre la main de Dieu dans lhomme vivant. 39

Elliott Coues (1842-1899)Qui donc est ce personnage dont parle Comeaux et dont nous navons jamais entendu parler ? Il sagit dun mdecin, biologiste, ornithologue amricain qui, comme Still, a commenc sa carrire comme chirurgien dans larme de Terre des tats-Unis, engag du ct de lUnion pendant la Guerre civile. Passionn ds lenfance par lornithologie, il publie aprs la Guerre plusieurs monographies importantes sur le sujet. partir des annes 1880, il se passionne pour la recherche psy38. Helena Blavatsky (1831-1891) Helena Petrovna von Hahn fondatrice de la Socit thosophique et d'un courant sotrique auquel elle donna le nom gnrique de Thosophie, et qu'on appelle plus clairement thosophisme . Ds 1948, elle voyage beaucoup et prtendra stre rendue, en Egypte, en Inde, au Tibet. Elle dit entretenir des communications avec des Matres de la Grande Fraternit Blanche, des Mahtma. Le 7 septembre 1875 (officiellement le 17 nov. 1875), elle fonde New York la Theosophical Society (Socit thosophique), avec le colonel Henry Steel Olcott comme prsident et le clerc d'avocat irlandais William Quan Judge comme secrtaire ; Helena Blavatsky est simple secrtaire correspondante. Bien que de nombreux tmoins lui accordent de rels pouvoirs paranormaux, une enqute faite en Indes sur les phnomnes paranormaux attribus Blavatsky semble dmontrer que tous ses exploits (apparition de lettres venues de Matres vivant au Tibet, matrialisation d'objets...) seraient classer soit comme des tricheries ou ruses, soit comme des hallucinations ou erreurs d'interprtation des tmoins... 39. Z. Comeaux : Incendie sur la prairie, p. 80.

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chique et les questions spirituelles et thosophiques, au point dassurer, entre 1885 et 1886 la prsidence de la branche amricaine de la Socit Thosophique. Il se demande si les grands principes de lvolution, dcrits par la science de son poque, ne pourraient pas tre galement applicables la recherche psychique, compltant ainsi la thorie de lvolution au point o Darwin la laisse. Il se propose de les employer pour expliquer les phnomnes dhypnotisme, de clairvoyance, de tlpathie, etc. Il est galement lorigine du concept biogne qui correspond en partie au concept vitaliste, fond en France par le mdecin et philosophe franais Paul-Joseph Barthez (1734-1806). Le vitalisme est une doctrine biologique selon laquelle les tres vivants, aussi simples soient-ils, se distinguent des entits non vivantes par la manifestation dune force vitale (ou principe vital ) non rductible des lois physiques et chimiques. Selon les vitalistes, les processus biologiques sont le rsultat dun principe vital indpendant des lois physico-chimiques. Les vitalistes nattribuent pas ncessairement la force vitale laction dun crateur divin. Mais Coues le fait et sen explique, au cours dune confrence donne en 1884 devant la Socit Philosophique de Washington. 40 La manire quil a dexprimer cette croyance rejoint trs troitement la manire dont Still, en bon mthodiste, insiste tout au long de son uvre sur la filiation divine de lhomme. Elle permet de mieux saisir la comprhension que Still avait de la nature spirituelle de lhomme et propose du mme coup des voies de recherche et de travail bien peu explores dans les approches mdicales et thrapeutiques classiques actuelles, y compris en ostopathie.

Le spiritualismeCarol Trowbridge rapporte que le spiritualisme amricain dbute en 1848 avec un phnomne connu comme les esprits frappeurs de Rochester. Dans une petite maison de Hydesville, dans ltat de New York, habite une certaine famille Fox qui, pendant plus dun mois, sera tourmente par des coups inexpliqus frapps dans la maison. Les surs Katie et Margaretta Fox, respectivement ges de 12 et 15 ans dclarent finalement quun esprit tente de communiquer avec elles. Elles imaginent un code pour interprter les coups et lesprit, rpondant par oui ou labsence de coup, rvle quil a t colporteur et a t assassin et enterr dans la cave de la maison quhabitent les Fox par un rsident prcdent. En novembre 1849, mises en avant par les comptes-rendus favorables parus dans le journal dHorace Greeley le New York Tribune, les deux surs commencent tenir des sances publiques dans la plus grande salle de Rochester et deviennent ainsi les gries du mouvement spiritualiste. partir de cette poque, des centaines de mdiums animent des sances de spiritisme accessibles quiconque veut communiquer avec le monde des esprits. Des prcheurs universalistes et swedenborgiens, dj familiers dans les techniques de transes et dans la croyance en la communication avec les esprits, embrassent immdiatement le spiritisme et sont rejoints par beaucoup de rformateurs et de scientifiques dans le dsir commun denquter sur les affirmations. 41 Dans Incendie sur la prairie, Comeaux confirme que Still sest adonn de telles sances. 42 Ces pratiques laissent les esprits rationnels que nous sommes perplexes, mais il semble bien qu cette poque aux USA elles aient t courantes et relativement bien tolres. Voici la manire dont Elliott Coues parle de ses propres perceptions : Jai personnellement pu observer le spectre dun bon nombre de personnes dcdes Je me rappelle une occasion o je venais juste de me mettre au lit et dteindre la lumire. Je me laissais aller au sommeil lorsque soudainement, je pris conscience dune prsence dans la pice. Limpression qui parvint mon esprit, fut que ctait la prsence dune personne rcemment dcde, avec laquelle javais t en relation trs troite ; en fait, je sentais lindividu en question particulirement proche de moi. peu prs au mme moment mergea trs lentement du sol une masse nbuleuse apparaissant comme une vapeur blanche,40. E. Coues, Biogne, confrence donne devant la Socit Philosophique de Washington, traduite et publie par P. Tricot (2008). 41. C. Trowbridge, Naissance de lostopathie, p. 148. 42. Z. Comeaux Incendie sur la prairie, pp. 131-138.

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brillante qui commena prendre forme comme le fait la fume sortant dun coffre ouvert par les pcheurs dans les comptes des mille et une nuits. Graduellement, la forme se prcisa, jusqu prsenter une image radiante de mon ami. Les lvres semblrent bouger et prononcer une dclaration intelligible en bref, un message, venant du dfunt. Je ne prendrais pas la peine de dire de quel message il sagissait, mais je puis vous assurer que la vision ntait pas un rve et la qualit du message tait de nature liminer, ma grande satisfaction, sans ambigut, la thorie de lhallucination. Qutait alors, cette forme de vapeur blanche lumineuse ? Quest une me humaine ? Voil une question pressante du plus haut intrt. 43

Pourquoi Still na-t-il jamais abord ces sujets directement ?Le problme est que nous navons pas de sources primaires. Il est probable que la difficult devant laquelle il se trouvait pour faire reconnatre des choses bien concrtes comme la relation anatomique et la sant lait dissuad de saventurer dans ces terrains mouvants, difficilement explicitables. Il considrait par ailleurs la spiritualit comme un chemin individuel, personnel et que le plus important tait de dvelopper sa propre capacit percevoir. Christian Hartmannn raconte que Harold Magoun junior lui a rapport avoir vu dans un carnet de Still une page dcriture normale et une autre dcriture automatique. criture mdiumnique ? Aprs le dcs de Still en 1917, toutes les informations sur sa spiritualit ont t mises part.

Courants philosophiques et humanitairesLvolutionnismeDans son livre De l'origine des espces au moyen de la slection naturelle, publi en 1859, Charles Darwin dveloppe une thorie de la descendance avec modification . Dans cet ouvrage, Darwin n'utilise pas le terme volution ni ne traite de l'espce humaine. Si l'ide d'volution est dj dans l'air du temps, Darwin la transforme en une thorie construite, soutenue par une ide rvolutionnaire : la slection naturelle. Selon lui, les organismes se modifient de gnrations en gnrations pour former, sur une longue chelle de temps, de nouvelles espces. En outre, il considre que la slection naturelle, si elle dtermine la survie et la mort des individus, est galement responsable de la disparition des espces, ainsi que d'entires formes de vie.

Charles Darwin (1809-1882)Le livre de Darwin arrive aux tats-Unis ds 1859. laffut de toute nouvelle voie dinvestigation, Still connait cette publication. Mais, en septembre de cette mme anne, Mary Vaughn, sa premire pouse, dcde de suites de couches. Les conflits larvs prcdant la guerre de Scession (1861-65), puis la guerre elle-mme, laquelle il participe activement, prennent toute son attention. Temps et tranquillit d'esprit lui manquent donc pour se plonger convenablement dans l'tude d'un sujet pour lui probablement trs ardu. Il avoue d'ailleurs n'avoir pas immdiatement saisi l'importance pratique des ides volutionnistes : Il y a quarante ans, j'ai trouv un parchemin au Kansas ; j'ai essay de le lire, sans y parvenir. Lcriture manuscrite tait trs lisible et la langue correcte, mais jtais atteint des oreillons de lignorance la fivre tait trs leve, et javais la gorge trs enfle des deux cts. Je ne pus avaler le moindre morceau de la grande table dresse au centre de lUniversit Divine, couverte des fruits les plus succulents. Je ne pus en profiter car jtais incapable dingurgiter toute solution, mme la plus dilue. Je ntais pas entran raisonner au-del de la coutume obsolte le plus grand obstacle de tous les temps. 44

43. P. R. Cutright, Elliott Coues, Naturalist and Frontier Historian p. 302. 44. A.T. Still, Autobiographie, 142-143.

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Herbert Spencer (1820-1903)Cest par Herbert Spencer que la pense volutionniste va, de biologique, devenir philosophique. Argumentant partir du modle de l'organisme, Spencer tente d'appliquer l'ide volutionniste tous les domaines de l'activit humaine, de dcrire et de prescrire l'volution sociale comme une dpendance simple et directe de l'volution biologique ; extrapolation par trop simpliste, qui lui fait commettre de nombreuses erreurs et fautes de logique. Pourtant, Ds les annes 1860, le systme de lvolution de Spencer se rpand et devient rapidement la bible sculire du dveloppement occidental . 45 La pense de Spencer simpose aux tats-Unis o il est bien plus populaire que Darwin , dans toute lEurope occidentale, mme en Russie et au Japon. Ses thses sont universellement diffuses dans les enseignements universitaires. Le succs des thories de Spencer aux tats-Unis tient sans doute plusieurs raisons. Elles sadressent tout dabord des gens au bagage philosophique peu tendu, ne disposant donc pas des outils et mthodes qui leur permettraient d'en discerner les failles. De plus, sa philosophie se fonde sur un principe simple, tendu toutes les manifestations du vivant, ce qui la rend sduisante et relativement accessible. Enfin, l'extrapolation du concept volutionniste au domaine social conforte la libre entreprise et la loi du plus fort, tayant ainsi largumentaire thorique des partisans du libralisme issu de la rvolution industrielle et allant dans le sens de lesprit pionnier, permettant de justifier facilement certains agissements comme lextermination ou la dportation des peuplades amrindiennes ou lexpansionnisme effrn dans les domaines industriel et conomique. Ses conclusions, appliques aux domaines conomique et politique vont, enfin, dans le sens du laisser-faire le plus conservateur servant bien des intrts, et notamment ceux des nantis, d'o, sans doute, son succs. Avec Spencer, l'volution se trouve dote d'un sens fix ds l'origine : l'univers progresse selon une loi de dveloppement qui assigne chaque ralit une direction prdtermine selon un ordre de perfection croissant. La socit humaine apparat ainsi comme la forme la plus haute de la vie et la socit industrielle la forme la plus avance de l''organisme' social. Miracle ! c'est le cas de le dire : Spencer prche pour le 'laisser-faire' et dmontre scientifiquement qu'il en rsultera, au bout du compte, une cohsion plus forte de la socit, une solidarit mieux assure, parce que rationnelle, de ses parties en l'occurrence les classes sociales. Il offre au capitalisme sauvage sa premire grande thodice. 46

Alfred Russel Wallace (1823-1913)Naturaliste, gographe, explorateur, anthropologue et biologiste britannique, co-dcouvreur, avec Charles Darwin, de la thorie de l'volution par la slection naturelle (Contributions to the Theory of Natural Selection 1870) Wallace fut galement l'un des principaux penseurs volutionnistes du XIXe sicle, contribuant au dveloppement et lexpansion de la thorie de l'volution. Il est l'un des premiers grands scientifiques s'tre inquit des consquences de l'activit humaine sur l'environnement, ce qui le fait considrer comme le pre de la biogographie. Vivement intress par la phrnologie, Wallace exprimenta trs tt l'hypnose, alors connue sous la forme du mesmrisme. Ds 1865, il s'intressa au spiritualisme. Aprs avoir examin les crits sur ce sujet et tent d'valuer les phnomnes dont il avait t le tmoin pendant des sances, il en vint accepter que la croyance correspondait une ralit naturelle. Il demeura, tout au long de sa vie, convaincu que malgr le nombre d'accusations de fraudes et de preuves de supercherie apportes par les sceptiques, au moins quelques sances taient authentiques. Sa dfense du spiritualisme et sa croyance en une origine immatrielle pour les plus hautes facults mentales de l'tre humain mit mal ses relations avec le monde scientifique, tout spcialement avec les prcurseurs de l'volutionnisme.45. Patrick Tort, Spencer et l'volutionnisme philosophique, p. 4. 46. Dominique Lecourt, L'Amrique entre la Bible et Darwin, p.76-77.

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Conflit intrieurComme nombre de ses contemporains, Still est sduit par les thories de Spencer mais cela gnre un conflit essentiel : bien que sa pertinence et sa cohrence le fascinent, cette philosophie s'oppose au modle biblique qui fonde la doctrine mthodiste (le crationnisme) 47 dans laquelle il baigne depuis l'enfance. Face ce dilemme, il aurait pu, comme tant d'autres, se rfugier dans la certitude confortable de la tradition et s'y figer. Mais Still est progressiste. Il est fascin par les vastes horizons qu'ouvre la thorie volutionniste. Enracin dans des convictions hrites du XVIIIe sicle, mais dsirant vivre en homme du XIXe , il doit grer ce changement, sans probablement tre conscient de ce qui se passe. Carol Trowbridge voque cet important conflit intrieur, aggrav par lincomprhension de ses contemporains : La thorie de lvolution dclencha un traumatisme tendu parmi les intellectuels. Quitter un point de vue statique sur le monde pour un de cration continue ne pouvait se produire sans un grand branlement. 48 Pour expliquer le traumatisme expriment par beaucoup dvolutionnistes, elle recourt la thorie de Leon Festinger sur la dissonance cognitive, traitant de la rponse humaine face aux situations de crise. Still correspond parfaitement ce schma : beaucoup de ceux qui se trouvent confronts la ncessit de dcider et de choisir entre deux ides irrsistibles et cependant conflictuelles souffrent de frustration et danxit jusqu ce que, au moins dans leur esprit, le conflit soit rsolu. [] Cette rsolution demande du temps. 49. Si Still s'est senti plus proche de Spencer que de Darwin, c'est peut-tre parce que Spencer, agissant en philosophe, apporte le problme (le modle volutionniste), mais tente de le rsoudre : Les Premiers principes, qui s'interrogent dans leur premier chapitre sur les rapports entre science et religion, s'achvent par une clbration de leur 'rconciliation'. 50 Cette rconciliation constitue une des originalits de la dmarche de Spencer. Au lieu d'ampli