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ARTICLE ORIGINAL Attaques de requins en Nouvelle-Cale´donie. Cas cliniques Shark attacks in New Caledonia. Case reports C. Maillaud a, * , P. Tirard b , G. Van Grevelynghe c , C. Sebat a , F. Durand a a Samu/Smur/SAU/UHCD, centre hospitalier territorial de Nouvelle-Cale´donie, BP J5, 98849 Noume ´a,Nouvelle-Cale´donie b Institut de recherche pour le de ´veloppement (IRD), BPA5, 98848 Noume´a, Nouvelle-Cale´donie c Centre me ´dical, 1, rue Rico-Carpaye, 97420 Le Port, Re´union Accepte´ le 2 juillet 2009 1. Observations Nous proposons une me ´ta-analyse statistique et qualitative de deux se ´ries de cas releve ´s en Nouvelle-Cale ´donie, tota- lisant 40 observations. La premie `re se ´rie de cas a e ´te ´ releve ´e par Dreyer [1], au cours d’une enqueˆte re ´trospective et prospective, mene ´e au centre hospitalier territorial (CHT) de Nouvelle-Cale ´donie du 1 er mai 2000 au 31 avril 2001, en collaboration avec l’un des auteurs (P.T.), et ayant fait l’objet d’une the `se de doctorat en me ´decine sous la direction d’un autre des auteurs (G.V.G.). Dreyer a ainsi recueilli 21 observations, sur une pe ´riode e ´chelonne ´e entre 1958 et 2001 [1]. La seconde se ´rie de cas est l’aboutissement d’une enque ˆte prospective du 1 er mai 2002 au 31 avril 2009, au CHT de Nouvelle-Cale ´donie par l’un des auteurs (C.M.). Cette de ´marche a e ´te ´ comple ´te ´e par des donne ´es re ´trospectives tire ´es essentiellement de questionnaires adresse ´s aux me ´de- cins des dispensaires de Brousse et des ı ˆles courant 2006. Les crite `res d’inclusion dans ce travail ont e ´te ´ soit une hospita- lisation au CHT de Nouvelle-Cale ´donie (pour la majorite ´ des patients), soit la transmission d’une observation par un Journal Europe´en des Urgences (2009) 22, 33—37 MOTS CLE ´ S Attaque de requin ; Nouvelle-Cale ´donie ; Pacifique sud ; Indopacifique tropical Re ´sume´ Les attaques de requins sont des accidents rares mais non exceptionnels dans l’Indopacifique tropical. Nous pre ´sentons les donne ´es tire ´es de deux se ´ries de cas cliniques releve ´es en Nouvelle-Cale´donie. Nousde ´crivons les circonstances des accidents, les espe `ces de requins en cause, le degre ´ de gravite ´ des le ´sions observe ´es et leurs facteurs pronostiques. # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. KEYWORDS Shark attack; New Caledonia; South Pacific; Tropical Indo-Pacific Summary Shark attacks account for uncommon but not exceptional accidents in tropical Indo- Pacific. We report data from two case report series, both collected in New Caledonia. We point out circumstances surrounding the accidents, shark species involved, injuries severity level and factors of prognosis. # 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Maillaud). 0993-9857/$ — see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.jeur.2009.07.001

Attaques de requins en Nouvelle-Calédonie. Cas cliniques

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Page 1: Attaques de requins en Nouvelle-Calédonie. Cas cliniques

ARTICLE ORIGINAL

Attaques de requins en Nouvelle-Caledonie. Cascliniques

Shark attacks in New Caledonia. Case reports

C. Maillaud a,*, P. Tirard b, G. Van Grevelynghe c, C. Sebat a, F. Durand a

a Samu/Smur/SAU/UHCD, centre hospitalier territorial de Nouvelle-Caledonie, BP J5, 98849 Noumea, Nouvelle-Caledonieb Institut de recherche pour le developpement (IRD), BP A5, 98848 Noumea, Nouvelle-CaledoniecCentre medical, 1, rue Rico-Carpaye, 97420 Le Port, Reunion

Accepte le 2 juillet 2009

Journal Europeen des Urgences (2009) 22, 33—37

MOTS CLESAttaque de requin ;Nouvelle-Caledonie ;Pacifique sud ;Indopacifique tropical

Resume Les attaques de requins sont des accidents rares mais non exceptionnels dansl’Indopacifique tropical. Nous presentons les donnees tirees de deux series de cas cliniquesrelevees en Nouvelle-Caledonie. Nous decrivons les circonstances des accidents, les especes derequins en cause, le degre de gravite des lesions observees et leurs facteurs pronostiques.# 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.

KEYWORDSShark attack;New Caledonia;South Pacific;Tropical Indo-Pacific

Summary Shark attacks account for uncommon but not exceptional accidents in tropical Indo-Pacific. We report data from two case report series, both collected in New Caledonia. We pointout circumstances surrounding the accidents, shark species involved, injuries severity level andfactors of prognosis.# 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Observations

Nous proposons une meta-analyse statistique et qualitativede deux series de cas releves en Nouvelle-Caledonie, tota-lisant 40 observations.

La premiere serie de cas a ete relevee par Dreyer [1], aucours d’une enquete retrospective et prospective, menee aucentre hospitalier territorial (CHT) de Nouvelle-Caledonie du1er mai 2000 au 31 avril 2001, en collaboration avec l’un des

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Maillaud).

0993-9857/$ — see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droitdoi:10.1016/j.jeur.2009.07.001

auteurs (P.T.), et ayant fait l’objet d’une these de doctoraten medecine sous la direction d’un autre des auteurs(G.V.G.). Dreyer a ainsi recueilli 21 observations, sur uneperiode echelonnee entre 1958 et 2001 [1].

La seconde serie de cas est l’aboutissement d’uneenquete prospective du 1er mai 2002 au 31 avril 2009, auCHT de Nouvelle-Caledonie par l’un des auteurs (C.M.). Cettedemarche a ete completee par des donnees retrospectivestirees essentiellement de questionnaires adresses aux mede-cins des dispensaires de Brousse et des ıles courant 2006. Lescriteres d’inclusion dans ce travail ont ete soit une hospita-lisation au CHT de Nouvelle-Caledonie (pour la majorite despatients), soit la transmission d’une observation par un

s reserves.

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34 C. Maillaud et al.

medecin de dispensaire, soit une entrevue avec la victimed’une attaque lorsque celle-ci n’avait pas donne lieu a dessoins a l’hopital ou en dispensaire. Ont ete exclues, confor-mement a la definition d’une attaque de requin [2,3], lesagressions sans morsure et les predations posthumes. Nousavons ainsi collige 19 cas, sur une periode comprise entre1994 et 2009.

Nous presentons les donnees tirees des deux seriesconfondues, soit 40 cas, en precisant les divergences entreles deux travaux lorsque necessaire.

L’incidence moyenne de ce type d’accident est inferieurea 1 par an (40 cas en 50 ans). Elle est d’un cas tous lesdeux ans (21 cas sur 43 ans) dans le travail de Dreyer [1] etsuperieure a un cas par an (19 cas en 14 ans, soit 1,4 cas paran) dans la serie d’un des auteurs (C.M.). L’incidence sur les25 dernieres annees, les deux series confondues (34 cas, soit1,4 cas par an), est proche de celle de la seconde durantcette periode.

La mortalite des attaques et morsures de requins apparaıtde sept cas sur 40 (soit 17,5 %). Elle est de cinq cas sur 21 (soit24 %) dans le travail de Dreyer [1] et de deux cas sur 19 (soit10,5 %) dans celui d’un des auteurs (C.M.).

La distribution geographique des attaques est la suivante :27 cas sur 40 (soit 67,5 %) ont eu lieu dans le lagon ou sur lerecif de la Grande Terre, un cas a l’ıle Ouen, quatre cas a l’ıledes Pins, trois cas a Ouvea, deux cas a Lifou, un cas a Mare,un cas aux Surprises. Les attaques mortelles relevees parDreyer [1] ont eu pour cadre quatre fois la Grande Terre etune fois l’ıle des Pins, celles relevees par un des auteurs(C.M.), une fois la Grande Terre et une fois Lifou.

La grande majorite des victimes sont des hommes adultes(34 cas), ages de 33 ans en moyenne au moment des faits.

Les victimes des attaques pratiquaient les activitessuivantes : chasse sous-marine dans 22 cas (soit 55 %), apneedans six cas (soit 15 %, dont peche au troca : trois cas et pechea la langouste : deux cas), snorkelling (palmes—masque—tuba) ou natation dans cinq cas (soit 12,5 %, dont un cas avecshark feeding en surface), peche a la senne dans trois cas(soit 7,5 %), surf dans deux cas (soit 5 %), l’activite etant nonprecisee dans deux cas (soit 5 %) (Tableau 1). La predomi-nance de la chasse sous-marine est comparable dans le travailde Dreyer [1] (12 cas sur 21, soit 57 %) et dans le la serie laplus recente (dix cas sur 19, soit 52,5 %).

La capture de poissons avait precede l’attaque dans lagrande majorite des cas concernant la chasse sous-marine :20 sur 22 cas (soit 91 %). Elle est fortement probable quoique

Tableau 1 Activites des victimes au moment de l’accident.

Activite des victimes Nombrede cas

Pourcentagede cas

Chasse sous-marine 22 55,0Apnee (dont peche au trocaet a la langouste)

6 15,0

Snorkelling (palmes—masque—tuba)et natation

5 12,5

Peche a la senne 3 7,5Surf 2 5,0Activite non precisee 2 5,0

Total 40 100,0

non formellement documentee dans un cas (soit 4,5 %),exclue dans un cas (soit 4,5 %) ou une manipulation intem-pestive d’un requin dormeur a provoque une reaction agres-sive de l’animal.

Dans deux cas, imputes, respectivement, a Galeocerdocuvier et a Carcharhinus leucas et n’ayant pas concerne deschasseurs sous-marins, la presence de carcasses de mammi-feres a proximite du lieu de l’accident peu avant celui-ci aete signalee : rejet a la mer des reliefs alimentaires d’unefete dans un cas, echouage d’un cachalot nain dans un autre.

Les cinq attaques mortelles relevees par Dreyer [1] ontconcerne quatre apneistes (trois pecheurs de trocas et un delangoustes) et un chasseur sous-marin ; celles apparaissantdans la serie d’un des auteurs (C.M.) ont eu pour victimes unenageuse en palmes—masque—tuba (snorkelling) et un surfeur.

Au total, les accidents impliquant chasseurs sous-marinset apneistes font l’objet de 28 observations (soit 70 % des cas)et de 71,5 % des attaques mortelles. Les nageurs avec ou sanspalmes—masque—tuba (snorkelling) et les surfeurs ont etevictimes, respectivement, de cinq et de deux attaques (soit12,5 et 5 % des cas), chacun de ces deux groupes correspon-dant a 14,25 % des attaques mortelles.

Les accidents sont survenus en surface dans 26 cas (dontune premiere charge au-dessus de la surface dans le casd’une attaque de surfeur par un grand requin blanc Carcha-rodon carcharias), lors de la remontee en fin d’apnee pres dela surface dans sept cas, cette donnee n’etant pas renseigneedans six cas.

Une eau trouble ou peu claire, la presence de la victimedans l’eau la nuit est notee dans neuf cas (soit 22,5 %). Lavisibilite est bonne dans la majorite des autres cas.

Les especes de requins en cause ont ete identifiees, soitpar les victimes, soit par l’examen des lesions realisee par undes auteurs (P.T.), dans 29 cas, comme etant : le requin tigreG. cuvier dans dix cas (soit 25 %), le requin gris de recifsCarcharhinus amblyrhynchos dans six cas (soit 15 %), lerequin bouledogue ou requin taureau Carcharhinus leucasdans cinq cas (soit 12,5 %) (Fig. 1), le requin pointes blanchesde recifs Carcharhinus albimarginatus dans deux cas (soit5 %), le requin citron Negaprion acutidens dans deux cas (soit5 %), le grand requin blanc Carcharodon carcharias dansun cas (soit 2,5 %), le requin gris Carcharhinus plumbeusdans un cas (soit 2,5 %), le grand requin marteau Sphyrnamokarran dans un cas (soit 2,5 %), le requin dormeur Nebrius

Figure 1 Carcharhinus leucas (photo Yves Lefevre).

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Tableau 2 Especes de requins en cause dans les accidents.

Espece en cause Nombre de cas Pourcentage de cas

Galeocerdo cuvier (requin tigre) 10 25,0Carcharhinus amblyrhynchos (requin gris de recifs) 6 15,0Carcharhinus leucas (requin bouledogue, requin taureau) 5 12,5Carcharhinus albimarginatus (requin pointes blanches de recifs) 2 5,0Negaprion acutidens (requin citron) 2 5,0Carcharodon carcharias (grand requin blanc) 1 2,5Carcharhinus plumbeus (requin gris) 1 2,5Sphyrna mokarran (grand requin marteau) 1 2,5Nebrius ferrugineus (requin nourrice, requin dormeur) 1 2,5Espece indeterminee 11 27,5

Total 40 100,0

Attaques de requins en Nouvelle-Caledonie. Cas cliniques 35

ferrugineus dans un cas (soit 2,5 %), l’espece etant indeter-minee dans 11 cas (soit 27,5 %) (Tableau 2).

Le requin tigre G. cuvier est implique dans sept cas dontdeux mortels la serie de Dreyer [1] et dans trois cas dont unmortel dans la serie de l’un des auteurs (C.M.) ; la letalite desattaques de requin tigre apparaıt de 30 % les deux seriesconfondues, sans grande difference d’une serie a l’autre(29 % contre 33 %).

Les attaques mortelles ont ete le fait de G. cuvier(trois cas), de Carcharhinus leucas (un cas), de Carcharodoncarcharias (un cas) et d’especes indeterminees (deux cas).

La taille de l’animal en cause est estimee dans 34 cas soitpar les victimes, soit par l’examen des lesions (P.T.) commeetant : superieure ou egale a 2 m dans 23 cas (soit 57,5 %),comprise entre 1,50 et 2 m dans dix cas (soit 25 %), inferieurea 1,50 m dans deux cas (5 %). Elle est indeterminee danscinq cas (soit 12,5 %).

Les lesions observees ont concerne les membres inferieursdans 26 cas (soit 65 %) (Fig. 2), les membres superieurs dans13 cas (soit 32,5 %), le tronc dans quatre cas (soit 10 %),l’extremite cephalique dans trois cas (soit 7,5 %) (Fig. 3), leslesions etant de localisations multiples dans huit cas (soit20 %).

Figure 2 Plaies d’un pied chez un surfeur (avec section del’artere pedieuse, non visible sur l’image), attribuee a unCarcharhinus amblyrhynchos de taille moyenne (photo de ClaudeMaillaud).

Les lesions constatees ont ete limitees aux plans cutaneset sous-cutanes dans 14 cas (soit 35 %), musculaires ettendineuses dans 22 cas (soit 55 %), nerveuses dans 14 cas(soit 35 %), osseuses dans cinq cas (soit 12,5 %, dont quatremortels). Des sequelles fonctionnelles ont ete notees danstrois cas (soit 7,5 %), consecutives a des sections nerveuses.

Des lesions arterielles ont ete constatees dans 12 cas(soit 30 %), a l’origine de chocs hemorragiques dans six caset de deces dans six cas, dont deux tres rapides du faitdans l’un de lesions severes d’une cuisse avec sectiond’une artere femorale, dans l’autre de lesions severesd’une cuisse avec perte de substance majeure et sectiond’une artere femorale, associee a une section d’un brasdans son tiers superieur. Par ailleurs, un choc hemorra-gique a ete observe consecutivement a d’importants dela-brements musculaires, en l’absence de section arteriellesignificative et, ce, malgre la pose d’un garrot [4]. A noteregalement une section d’une artere pedieuse sans conse-quence hemodynamique notable grace a une compressionprecoce du vaisseau lese.

Enfin, un deces est survenu des suites d’une plaie thora-cique avec perte de substance majeure, associee a uneamputation d’un avant-bras.

Figure 3 Plaies de la face (vue apres sutures) chez un chasseursous-marin, attribuees a un requin pointes blanches de recifsCarcharhinus albimarginatus de taille moyenne (photo deClaude Maillaud).

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2. Discussion

La comparaison des deux series fait apparaıtre quelquesdivergences, pour lesquelles nous proposons les explicationssuivantes.

La frequence plus elevee des attaques dans le travail leplus recent pourrait etre le reflet d’une plus grande sensi-bilite du recueil des donnees sur un mode prospectif ou bientraduire une augmentation de la frequentation des eauxcaledoniennes par les usagers du milieu marin au fil desannees.

La discordance des donnees relatives a la mortalite desattaques, plus elevee dans la serie de Dreyer [1] que danscelle d’un des auteurs (C.M.) pourrait etre due en partie aunombre relativement faible d’observations relevees autotal (40), ce qui en limite la portee statistique, d’autantque les periodes de recueil de donnees sont de longueursdifferentes.

Elle peut par ailleurs s’expliquer par la rarefaction au fildes annees dans le lagon caledonien de plusieurs especes derequins de grande taille autour des zones de plus en plusurbanisees, tout particulierement aux abords de Noumea.Sous l’effet d’une pression anthropique sans cesse crois-sante, les principales especes pourvoyeuses d’accidents mor-tels comme G. cuvier et Carcharhinus leucas semblent avoirlaisse le champ libre a d’autres especes mieux adaptees a lapresence humaine comme Carcharhinus amblyrhynchos etNegaprion acutidens entres autres. De plus petite taille maisen plus grand nombre, ces dernieres especes proportionnel-lement plus impliquees dans les accidents les plus recentssont connues pour leur comportement territorial et agressif acertaines periodes de l’annee. Leurs dentures et leurs atta-ques beaucoup moins vulnerantes que celles des grandspredateurs opportunistes pourraient expliquer le contrasteentre l’accroissement global des accidents et la diminutionde la mortalite imputable a ceux-ci. Par ailleurs, Carcharo-don carcharias, identifie dans un cas mortel recent, est connupour ne frequenter que sporadiquement les eaux de laNouvelle-Caledonie.

Les deux series sont comparables quant a la forte propor-tion de chasseurs sous-marins victimes des accidents et lagravite des attaques imputables au requin tigre G. cuvier.

Les donnees propres a la Nouvelle-Caledonie pouvant etreretirees de ces deux series de cas meritent d’etre compareesaux donnees disponibles par ailleurs sur les attaques derequins dans les autres ensembles insulaires francais del’Indopacifique tropical [3,5—9], ainsi que dans les pays ouces accidents sont les plus frequents, comme l’Australie,l’Afrique du Sud et les Etats-Unis [2,8].

L’incidence des accidents est plus faible que celle, de 4 a 5par an, constatee en Polynesie francaise [7]. Toutefois, lesdonnees recentes concernant la Polynesie francaise prennenten compte des accidents de shark feeding (activite entre-temps interdite dans ce pays) qui representent pres de lamoitie des cas. En comparant les donnees apres en avoirexclu les morsures liees a cette activite, la frequence desaccidents apparaıt a peine plus elevee en Polynesiefrancaise, de l’ordre de 1,5 cas par an. L’incidence desattaques de requins en Nouvelle-Caledonie est legerementsuperieure a celle d’un cas par an environ notee a l’ıle dela Reunion [3], mais pour une population humaine trois foisinferieure a celle de ce DOM.

La mortalite des accidents en Nouvelle-Caledonie esttres superieure a celle constatee en Polynesie francaise, ouelle apparaıt nulle dans le travail le plus recent et se chiffrea 4 % toutes series confondues [5—7]. Elle est egalementsuperieure a celle observee aux Etats-Unis hors Hawaii (4 %)et a Hawaii (13 %) [8]. Elle est en revanche nettementinferieure a celle observee a l’ıle de la Reunion (55 %) et enAustralie (41 %), et legerement inferieure a celle observeeen Afrique du Sud (20 %) et ainsi qu’a la moyenne mondiale,estimee a 22 % par l’International Shark Attack File [3,8]. Laproportion de sequelles fonctionnelles est identique a cellenotee en Polynesie francaise [7].

La forte proportion de chasseurs sous-marins dans les deuxseries caledoniennes est a rapprocher de celle observee enPolynesie francaise dans un travail recent [7], a savoir plus de60 % des cas hors shark feeding, ainsi que dans des publica-tions plus anciennes [5,6]. La stimulation alimentaire exer-cee par le poisson fleche sur les requins est une donnee bienconnue et qui semble determinante dans ce type d’accidents[2,3,7,9]. Par ailleurs, la presence de carcasses de mammi-feres dans deux autres cas a probablement represente unfacteur de stimulation alimentaire pour les especes mises encause dans ces observations, dont l’opportunisme alimen-taire est etabli [2,3,9].

Les apneistes semblent particulierement vulnerables auxattaques de requins en Nouvelle-Caledonie. Cela pourraits’expliquer par le fait que, depourvus de fusil de chasse sous-marine, ils ne peuvent utiliser celui-ci en debordoir pourrepousser l’animal en cas d’attaque. Dans la majoritedes cas, des activites de prelevement (troca, langouste)ont ete associees aux accidents. Ailleurs, les attaquesd’apneistes apparaissent peu frequentes [2].

La proportion de nageurs, adeptes ou non du palme—masque—tuba (snorkelling), parmi les victimes d’attaquesde requins en Nouvelle-Caledonie apparaıt nettement plusfaible qu’a la Reunion et dans les pays anglo-saxons ou ilsrepresentent plus de 50 % de celles-ci [2,3,8]. L’accidentfatal a une nageuse pratiquant le snorkelling releve dans laserie la plus recente constitue le premier deces touchantcette categorie d’usagers du milieu marin en Nouvelle-Caledonie.

De meme, les deux cas d’attaques de surfeurs, dont unmortel, releves dans la serie la plus recente sont les premiersnotes a notre connaissance en Nouvelle-Caledonie, alors quecette activite est fortement pourvoyeuse d’accidents sou-vent graves dans d’autres zones geographiques, en particu-lier a la Reunion [2,3,8].

Concernant ces deux activites, la possibilite d’attaques depredation de la part de requins de grande taille et aucomportement alimentaire opportuniste tels que G. cuvier,Carcharodon carcharias (especes en cause dans deux casmortels) et Carcharhinus leucas explique que soient parfoisconstatees des lesions gravissimes d’evolution tres rapide-ment fatale, comme c’est ailleurs decrit [2,3,8].

Il existe une discordance entre les donnees caledonienneset celles relatives a la turbidite de l’eau et aux facteurshoraires, telles qu’elles apparaissent dans la plupart desseries, exception faite de celles relevees en Polynesiefrancaise [2,3,5—10]. Nous supposons que les facteurs clas-siquement reconnus comme facilitateurs d’accidents (mertrouble, fin d’apres-midi) sont secondaires s’agissant desattaques de chasseurs sous-marins et d’apneistes. Par ail-

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leurs, les deux attaques de surfeurs que nous avons relevees,dont une est attribuee a Carcharodon carcharias, predateurdiurne [2], sont survenues en eau claire.

La grande diversite des especes de requins en cause,comparable a celle notee en Polynesie francaise [7], pourraitexpliquer la proportion moins elevee que la moyenne mon-diale d’accidents mortels en Nouvelle-Caledonie. En effet,l’implication d’especes piscivores de taille moyenne tellesque Carcharhinus amblyrhynchos dans un nombre significatifde cas peut etre correlee a des lesions assez peu delabrantes.Toutefois, plusieurs observations montrent les limites decette correlation : lesions mineures infligees par des requinsde grande taille tels que S. mokarran et Carcharhinus leucas,choc hypovolemique suite a une section arterielle suite a lamorsure d’un Carcharhinus amblyrhynchos de taille moyenne(l’attaque par S. mokarran etant d’ailleurs la premiere noteedans le Pacifique francophone a notre connaissance).

La majorite des deces dans nos cas est attribuee aux troisespeces generalement considerees comme les plus dangereu-ses pour l’homme [3,8,9], a savoir le requin tigre G. cuvier, lerequin bouledogueou requin taureauCarcharhinus leucaset legrand requin blanc Carcharodon carcharias (dont l’attaqueque nous avons relevee est la premiere en Nouvelle-Caledonieimpliquant cette espece selon nos donnees).

Le pronostic des accidents semble nettement correle a laseverite des lesions arterielles consecutives aux morsures.Toutefois, la classification pronostique dite de Feinberg (oude Durban pour les auteurs anglo-saxons) [2,3,10] semble peuadaptee aux realites oceaniennes. En effet, des chocs hypo-volemiques parfois mortels ont ete observes pour des lesionsarterielles reputees de bon pronostic a la lecture de cetteclassification, voire en l’absence de lesion arterielle signifi-cative. Les delais de prise en charge de la victime du fait del’eloignement geographique representent un facteur pronos-tique tout aussi decisif que le calibre des vaisseaux leses [4].

3. Conclusions

Les attaques de requins en Nouvelle-Caledonie sont compara-bles de par leur frequence a celles relevees ailleurs dans lesensembles insulaires francais de l’Indopacifique. De par leurgravite, elles se situent a un niveau intermediaire entre cellesobservees, d’une part, en Polynesie francaise et, d’autre part,a la Reunion. Les accidents resultent majoritairement du

contact de chasseurs sous-marins et d’apneistes soit avecdes especes piscivores de taille moyenne, soit avec des car-nassiers opportunistes de grande taille, ce qui concourt aexpliquer le large eventail des lesions observees. Le facteurfacilitant de ce type d’accident que represente la presence depoisson blesse lors de la chasse sous-marinemerite encore unefois d’etre souligne. Nageurs et surfeurs representent uneproportion moindre de victimes, mais ils sont exposes auxattaques potentiellement fatales de grands predateurs. Lepronostic des accidents est lie autant auxconditionsdemiseenœuvre des secours medicalises qu’aux caracteristiques deslesions vasculaires resultant des morsures.

Remerciements

Tous nos remerciements a Yves Lefevre pour avoir mis a notredisposition la photographie de Carcharhinus leucas que nousreproduisons avec son aimable autorisation.

References

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