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Douleurs, 2007, 8, 3 190 ACTUALITÉS BRÈVES DE « DOULEURS » Brefs échos des congrès et des sociétés savantes, notes de lecture des revues spécialisées à l’usage des cliniciens, cette rubrique est ouverte à tous. La revue Douleurs encourage tous ses lecteurs à lui faire parvenir des informations brèves issues de leurs lectures, de leurs rencontres, de leurs expériences, de leurs travaux, de leurs voyages ou de leurs navi- gations sur le web, à l’adresse suivante : [email protected] Une référence bibliographique pour ceux qui souhaitent en savoir plus, un court commentaire critique seront bienvenus. 3 e congrès en soins palliatifs pédiatriques de Montréal Le numéro de février 2007 de la revue Médecine Palliative est entièrement consacré à la publication d’acte de ce congrès. Plusieurs auteurs francophones y proposent leurs exposés sur le thème des soins palliatifs en pédiatrie : deuil de l’ado- lescent, prise en charge aux urgences, suicide de l’enfant, limitations de traitements en réanimation… : le sujet est vaste d’où la richesse des communications. Deux de ces articles concernent la prise en charge de la douleur chez l’enfant. Le premier est signé Chantal Wood [1] et traite de manière exhaustive des moyens d’évaluation et de traite- ment : échelles d’évaluation en fonction de l’âge, principa- les pathologies algogènes, stratégies médicamenteuses et non médicamenteuses, tout y est, avec bibliographie à l’appui. Notre consœur canadienne Sylvie Lafrenaye y expose éga- lement [2] les données actuelles sur l’exposition précoce des enfants prématurés à la douleur. Il faut rappeler que tous les nocicepteurs sont présents à 20 semaines ; la myé- linisation du thalamus et du tronc cérébral est complète à 30 semaines, celle des voies nociceptives à 37 semaines. Contrairement à l’adulte, l’enfant prématuré est incapable de contre-stimuler une zone douloureuse, de lutter contre son anxiété par la mise en place de stratégies de coping ou par un détournement d’attention efficace. Suite à des dou- leurs répétées chez un enfant au cerveau immature, il existe une formation exagérée de synapses médullaires, donc une hypersensibilité à la douleur et même un abaissement du seuil douloureux. Puisqu’ils sont à risque de développer un syndrome douloureux chronique et/ou des somatisations multiples, une attention particulière doit être portée à la douleur des enfants prématurés. Mais l’auteur de l’article rappelle que l’analgésie en Unité de Soins Intensifs de Néo- natalogie reste un art : il s’agit de trouver un équilibre entre les effets secondaires potentiels des traitements antalgiques et la dérégulation du tonus sympathique si la douleur est mal soulagée. Plusieurs études sont donc encore en cours pour définir l’analgésie optimale à proposer aux nouveau- nés à risque… RÉFÉRENCES 1. Wood C. Prise en charge de la douleur aiguë de l’enfant. Médecine Pallia- tive 2007;6:35-45. 2. Lafrenaye S. Les douleurs infligées aux prématurés laissent longtemps des traces. Médecine Palliative 2007;6:55-60. Florentin Clère Attitudes des médecins généralistes face à la douleur : impact des recommandations de bonne pratique La lombalgie aiguë constitue un motif très fréquent de consul- tation : 1 adulte anglais sur 6 consulte son médecin généraliste (MG) pour un épisode douloureux chaque année. Comme en France [1-3], des recommandations de bonne pratique ont pu être diffusées afin de rationaliser l’approche du patient lombal- gique. C’est l’impact de ces recommandations que l’équipe de Breen [4] a cherché à étudier en interrogeant 21 MG. Il s’avère que ces praticiens s’estiment particulièrement démunis face au patient lombalgique : « un vrai cauchemar… », parfois « une complète perte de temps » ou encore, reprenant le titre de l’article « sans espoir ». Ils mettent notamment leur manque de temps pour s’intéresser à toutes les composantes de la douleur et les délais longs pour obtenir un rendez-vous avec un chirur- gien dans leur pays. Toujours est-il que la diffusion de recom- mandations théoriques ne suffit pas à la pratique des MG interrogés. Ils appellent à du concret : consensus sur le type d’exercices à réaliser, carnet d’adresses de kinésithérapeutes formés et/ou d’écoles du dos, participation à des réunions de synthèse pluridisciplinaire… Les auteurs concluent à la néces- sité de proposer aux MG de participer physiquement à une approche globale et pluridisciplinaire précoce. Au-delà des grandes lignes de prise en charge, l’équipe anglaise d’Hutchinson [5] a quant à elle cherché à évaluer la prescrip- tion d’antalgiques du 3 e palier de l’O.M.S. dans un contexte de douleur non cancéreuse. 115 questionnaires sur les 235 adres- sés à des MG du sud-est de l’Angleterre ont pu être retournés. 25 % ne prescrivaient jamais d’opioïdes forts en dehors du cancer. Pour les 75 % restants, la prescription était rarement

Attitudes des médecins généralistes face à la douleur : impact des recommendations de bonne pratique

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Douleurs, 2007, 8, 3

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A C T U A L I T É S B R È V E S D E « D O U L E U R S »

Brefs échos des congrès et des sociétés savantes, notes de lecture des revues spécialisées à l’usage des cliniciens, cetterubrique est ouverte à tous. La revue

Douleurs

encourage tous ses lecteurs à lui faire parvenir des informations brèvesissues de leurs lectures, de leurs rencontres, de leurs expériences, de leurs travaux, de leurs voyages ou de leurs navi-gations sur le web, à l’adresse suivante : [email protected] référence bibliographique pour ceux qui souhaitent en savoir plus, un court commentaire critique seront bienvenus.

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congrès en soins palliatifs pédiatriquesde Montréal

Le numéro de février 2007 de la revue

Médecine Palliative

est entièrement consacré à la publication d’acte de ce congrès.Plusieurs auteurs francophones y proposent leurs exposéssur le thème des soins palliatifs en pédiatrie : deuil de l’ado-lescent, prise en charge aux urgences, suicide de l’enfant,limitations de traitements en réanimation… : le sujet estvaste d’où la richesse des communications. Deux de cesarticles concernent la prise en charge de la douleur chezl’enfant. Le premier est signé Chantal Wood [1] et traite demanière exhaustive des moyens d’évaluation et de traite-ment : échelles d’évaluation en fonction de l’âge, principa-les pathologies algogènes, stratégies médicamenteuses etnon médicamenteuses, tout y est, avec bibliographie à l’appui.Notre consœur canadienne Sylvie Lafrenaye y expose éga-lement [2] les données actuelles sur l’exposition précocedes enfants prématurés à la douleur. Il faut rappeler quetous les nocicepteurs sont présents à 20 semaines ; la myé-linisation du thalamus et du tronc cérébral est complète à30 semaines, celle des voies nociceptives à 37 semaines.Contrairement à l’adulte, l’enfant prématuré est incapablede contre-stimuler une zone douloureuse, de lutter contreson anxiété par la mise en place de stratégies de coping oupar un détournement d’attention efficace. Suite à des dou-leurs répétées chez un enfant au cerveau immature, il existeune formation exagérée de synapses médullaires, donc unehypersensibilité à la douleur et même un abaissement duseuil douloureux. Puisqu’ils sont à risque de développer unsyndrome douloureux chronique et/ou des somatisationsmultiples, une attention particulière doit être portée à ladouleur des enfants prématurés. Mais l’auteur de l’articlerappelle que l’analgésie en Unité de Soins Intensifs de Néo-natalogie reste un art : il s’agit de trouver un équilibre entreles effets secondaires potentiels des traitements antalgiqueset la dérégulation du tonus sympathique si la douleur estmal soulagée. Plusieurs études sont donc encore en courspour définir l’analgésie optimale à proposer aux nouveau-nés à risque…

RÉFÉRENCES

1.

Wood C. Prise en charge de la douleur aiguë de l’enfant. Médecine Pallia-tive 2007;6:35-45.

2.

Lafrenaye S. Les douleurs infligées aux prématurés laissent longtemps destraces. Médecine Palliative 2007;6:55-60.

Florentin Clère

Attitudes des médecins généralistes face àla douleur : impact des recommandationsde bonne pratique

La lombalgie aiguë constitue un motif très fréquent de consul-tation : 1 adulte anglais sur 6 consulte son médecin généraliste(MG) pour un épisode douloureux chaque année. Comme enFrance [1-3], des recommandations de bonne pratique ont puêtre diffusées afin de rationaliser l’approche du patient lombal-gique. C’est l’impact de ces recommandations que l’équipe deBreen [4] a cherché à étudier en interrogeant 21 MG. Il s’avèreque ces praticiens s’estiment particulièrement démunis faceau patient lombalgique : « un vrai cauchemar… », parfois « unecomplète perte de temps » ou encore, reprenant le titre del’article « sans espoir ». Ils mettent notamment leur manque detemps pour s’intéresser à toutes les composantes de la douleuret les délais longs pour obtenir un rendez-vous avec un chirur-gien dans leur pays. Toujours est-il que la diffusion de recom-mandations théoriques ne suffit pas à la pratique des MGinterrogés. Ils appellent à du concret : consensus sur le typed’exercices à réaliser, carnet d’adresses de kinésithérapeutesformés et/ou d’écoles du dos, participation à des réunions desynthèse pluridisciplinaire… Les auteurs concluent à la néces-sité de proposer aux MG de participer physiquement à uneapproche globale et pluridisciplinaire précoce.Au-delà des grandes lignes de prise en charge, l’équipe anglaised’Hutchinson [5] a quant à elle cherché à évaluer la prescrip-tion d’antalgiques du 3

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palier de l’O.M.S. dans un contexte dedouleur non cancéreuse. 115 questionnaires sur les 235 adres-sés à des MG du sud-est de l’Angleterre ont pu être retournés.25 % ne prescrivaient jamais d’opioïdes forts en dehors ducancer. Pour les 75 % restants, la prescription était rarement

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justifiée par l’existence de référentiels [6], telles que nosrecommandations de Limoges [7], qui étaient peu connues.Même si la majorité des MG estimaient leur formation à la priseen charge de la douleur insuffisante, à l’inverse la formation etla connaissance des recommandations n’influençaient pas laprescription… Au terme de cette étude, les auteurs font leconstat suivant : la prescription d’opioïdes forts par les MGinterrogés est principalement situationnelle, donc subjective,et rarement guidées par des référentiels.Alors que penser de la rédaction de recommandations debonne pratique, notamment pour la prise en charge de ladouleur ? Les résultats de ces 2 études montrent une nou-velle fois qu’elles sont insuffisamment connues et utiliséespar les praticiens concernés. L’accent doit donc être missur la communication, sans oublier que les MG ont souventdes attentes beaucoup plus concrètes…

RÉFÉRENCES

1.

Recommandation pour la pratique clinique. Prise en charge diagnostiqueet thérapeutique des lombalgies et lombosciatiques communes de moins detrois mois d’évolution. Anaes, février 2000. http://www.has-sante.fr/portail/display.jsp?id=c_272083

2.

Prise en charge masso-kinésithérapique dans la lombalgie commune :modalités de prescription. HAS, septembre 2005. http://www.has-sante.fr/portail/display.jsp?id=c_464893

3.

Recommandation pour la pratique clinique. Diagnostic, prise en charge etsuivi des malades atteints de lombalgie chronique. Anaes, décembre 2000.http://www.has-sante.fr/portail/display.jsp?id=c_271859

4.

Breen A, Austin H, Campion-Smith C, Carr E, Mann E. “You feel so hope-less”: a qualitative study of GP management of acute back pain. Eur J Pain2007;11:21-9.

5.

Hutchinson K, Moreland AME, Williams ACC, Weinman J, HorneR. Exploring beliefs and practice of opiod prescribing for persistent non-cancer pain by general practitioners. Eur J Pain 2007;11:93-8.

6.

British pain society. Recommandations for the appropriate use of opioidsin persistent non-cancer pain. http://www.britishpainsociety.org/opioids_doc_2004.pdf

7.

Trèves R, Bannwarth B, Bertin P, Javier RM, Glowinski J, Le Bars M, PerrotS. Les recommandations de Limoges. Usage de la morphine dans les dou-leurs rhumatologiques non cancéreuses. Douleurs 2000;1:33-8.

Florentin Clère

Douleur chronique de l’adolescent : prévalenceet conséquences familiales

La douleur de l’enfant est une des priorités du 3

e

plangouvernemental français destiné à l’amélioration de laprise en charge de la douleur. Le développement d’outilsspécifiques, de consultations pédiatriques de la douleurest là pour répondre à cette problématique. Mais quelleest l’ampleur du problème ? Quelle est la prévalence dela douleur chez l’adolescent ? Quelles en sont les consé-quences en termes de scolarité et de vie familiale ? Afinde nous éclairer, la lecture du volume 11 du

Journaleuropéen de la douleur

s’avère intéressante puisqu’ilconsacre 3 articles à ces questions.

L’étude suédoise de Brun Sundblad [1] présente l’intérêt d’êtreréalisée à l’échelon national chez 1 975 adolescents, interrogésrétrospectivement sur l’existence de douleur dans les 3 moisqui ont précédé l’enquête. La moitié des adolescents avaientprésenté au moins un épisode douloureux dans la période étu-diée. Les résultats les plus intéressants concernent les douleurschroniques et/ou récurrentes : 17 % des filles et 9 % des gar-çons présentaient des céphalées au moins une fois parsemaine ; en ce qui concerne les douleurs abdominales, leschiffres étaient de 10 % chez les filles et 5 % chez les garçons.9 % des adolescents présentaient des douleurs musculo-sque-lettiques chroniques, sans différence en terme de sexe.

L’étude norvégienne de Larsson [2] a été réalisée dans2 départements du centre du pays, chez 2 360 adolescents :les auteurs se sont intéressés à l’existence de 4 types de dou-leurs : céphalées, gastralgies, lombalgies et de douleurs desmembres. 18,3 % des adolescents interrogés déclaraient souf-frir d’une douleur chronique et/ou récurrente (au moins 1 foispar semaine). 40 % d’entre eux, principalement des filles,avaient au moins 2 types de douleurs. Chez ces adolescents leréseau amical était plus réduit et l’absentéisme scolaire plusimportant. La persistance de la douleur après un an de suiviétait corrélée à l’existence de lombalgies ou de céphalées,d’une dépression, d’autres plaintes somatiques non douloureu-ses, d’activités de loisirs réduites. La présence de lombal-gies et d’un syndrome dépressif favorisait le développementde plaintes multiples, tout comme un divorce parental…

En effet l’interaction enfant-parents revêt une importance par-ticulière dans un tel contexte. D’autant que la plupart des ado-lescents concernés n’ont pour diagnostic à leur problématiqueque la notion de « douleur chronique ». Leurs parents sontalors déboussolés : ne pas connaître la cause de la douleur estvécu comme intolérable par les 14 parents de l’étude anglaisede Jordan [3]. Ils adoptent alors un comportement de recher-che absolue du diagnostic mais ce combat pour la légitimitén’est pas sans risques : suspicion de maltraitance par le corpssoignant, décompensation psychologique par épuisement,voire accusation de manipulation sur le plan médico-légal. Lesauteurs de l’étude souhaitent que les parents puissent êtreconsidérés comme des partenaires actifs et informés. L’incerti-tude et la détresse des parents nécessitent une approche spé-cifique, qui doit faire partie intégrante de la prise en chargeglobale de l’adolescent douloureux, afin de favoriser le déve-loppement de stratégies d’adaptation à l’échelle familiale.

RÉFÉRENCES

1.

Brun Sundblad GM, Saartok T, Engström LMT. Prevalence and co-occur-rence of self-rated pain and perceived health in school-children: age andgender differences. Eur J Pain 2007;11:171-80.

2.

Larsson B, Sund AM. Emotional/behavioural, social correlates and one-yearpredictors of frequent pains among early adolescents: influences of paincharacteristics. Eur J Pain 2007;11:57-65.