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Médecine palliative Soins de support Accompagnement Éthique (2012) 11, 50—54 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com SOINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE Au corps de l’attente, l’inattendu en soins palliatifs To be waiting for the unpredictability in palliative care Marielle Le Floc’h 1 Équipe mobile soins palliatifs/médecine interne infectieux, centre hospitalier Bretagne-Atlantique, 20, boulevard M.-Guillaudot, 56000 Vannes, France Rec ¸u le 2 evrier 2011 ; accepté le 12 octobre 2011 Disponible sur Internet le 26 novembre 2011 MOTS CLÉS Corps ; Mort ; Attente ; Enfermement ; Condamné ; Inattendu ; Désir Résumé Dans les lieux d’accompagnement en soins palliatifs, nous rencontrons les patients pris dans une attente vers la mort, pour la mort inscrite dans un « déjà ». Ce sont des corps en instance, regardés, condamnés, enfermés dans un « arrêt de mort ». Tout semble bouclé dans l’échange avec l’Autre, au risque de l’inscrire d’emblée comme tragique. Drôle d’endroit, drôle de moment pour une rencontre de laquelle peut surgir, tout semblait s’éteindre, un inattendu. Inattendu comme manifestation du désir. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Body; Death; Waiting; Locking; Condemned; Unexpected; Desire Summary In palliative care services, we meet patients who are waiting for death, for whom death is already there. These are bodies in suspense, watched and locked up in a death sentence. Everything about their relations with others appears to be closed, at the risk of being a tragedy. It’s a strange place, a strange time for a meeting where, at a time when everything seems to be passing away, something unexpected can appear. It’s an unexpected event that will reveal desire. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction L’attente comme telle n’existe pas. Elle est constituante de la relation à l’Autre : attendre quelque chose de, être en attente, se faire attendre. . . De ce temps vers la mort, le sujet bricole, invente. Il y a des aménagements subjectifs face au corps en instance, mis à Adresse e-mail : marielle.le [email protected] 1 Psychologue clinicienne. 1636-6522/$ see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2011.10.001

Au corps de l’attente, l’inattendu en soins palliatifs

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édecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2012) 11, 50—54

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

OINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE

u corps de l’attente, l’inattendu en soins palliatifs

o be waiting for the unpredictability in palliative care

Marielle Le Floc’h1

Équipe mobile soins palliatifs/médecine interne infectieux, centre hospitalierBretagne-Atlantique, 20, boulevard M.-Guillaudot, 56000 Vannes, France

Recu le 2 fevrier 2011 ; accepté le 12 octobre 2011Disponible sur Internet le 26 novembre 2011

MOTS CLÉSCorps ;Mort ;Attente ;Enfermement ;Condamné ;Inattendu ;Désir

Résumé Dans les lieux d’accompagnement en soins palliatifs, nous rencontrons les patientspris dans une attente vers la mort, pour la mort inscrite dans un « déjà là ». Ce sont des corpsen instance, regardés, condamnés, enfermés dans un « arrêt de mort ». Tout semble bouclédans l’échange avec l’Autre, au risque de l’inscrire d’emblée comme tragique. Drôle d’endroit,drôle de moment pour une rencontre de laquelle peut surgir, là où tout semblait s’éteindre, uninattendu. Inattendu comme manifestation du désir.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSBody;

Summary In palliative care services, we meet patients who are waiting for death, for whomdeath is already there. These are bodies in suspense, watched and locked up in a death sentence.

Death;Waiting;Locking;Condemned;Unexpected;Desire

Everything about their relations with others appears to be closed, at the risk of being a tragedy.It’s a strange place, a strange time for a meeting where, at a time when everything seems tobe passing away, something unexpected can appear. It’s an unexpected event that will revealdesire.© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction

L’attente comme telle n’existe pas. Elle est constituante de la relation à l’Autre : attendrequelque chose de, être en attente, se faire attendre. . . De ce temps vers la mort, le sujetbricole, invente. Il y a des aménagements subjectifs face au corps en instance, mis à

Adresse e-mail : marielle.le [email protected] Psychologue clinicienne.

636-6522/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.medpal.2011.10.001

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Au corps de l’attente, l’inattendu en soins palliatifs

disposition, condamné, enfermé. Les affects nous livrentalors une vérité du sujet dans sa possibilité à vivre en-corps.

Dans ce temps vers la mort, le patient attend. Il attendquelque chose de l’autre, puis de moins en moins pour sesaisir des rencontres qui s’inscrivent, ouvrant ainsi à un pos-sible inattendu. Inattendu qui s’inscrit dans l’intervalle dedeux signifiants, deux rencontres, comme effet de sujet. Ils’agit de l’inattendu comme expérience du désir à l’œuvre.La dialectique du transfert comme moteur des rencontresintroduit un pas de côté où le sujet surgit « hors attente ».

Là où tout semble défini, où le réel du corps condamne,enferme, le sujet s’anime. D’un corps « prison », déserté,quelle part possible d’imprévisible, abri d’inattendu àdéchiffrer comme point de discontinuité où le sujet composeavec ce que Jacques Lacan nomme la « virtualité perma-nente d’une faille ouverte dans son essence » [1]. Par lessituations cliniques exposées, il est ici question d’aborderla clinique de l’inattendu. Il s’agit de l’inattendu commesurgissement du désir, qui permet le passage d’un corpscondamné sans parole à un corps qui parle.

Une clinique du corps en attente

« Elle se fait attendre, elle n’est pas encore venue me cher-cher », ou encore, « elle se fait désirer, c’est long vous netrouvez pas ? ». . . Paroles qui transpirent dans les couloirsdes services devenus pour un temps des salles d’attente,des lieux du « déjà là ». De ces paroles de patients dansl’attente d’une mort annoncée aux prises avec le réel ducorps, que pouvons nous entendre ? Quels effets de corps,quels rapports du corps à l’Autre, comment « ca » parle ?

Avant d’aller plus loin dans nos propos, il apparaît utiled’apporter un éclairage sur ce qu’est un corps, corps touchépar le réel de la maladie à pronostic létal.

« Depuis que le mot ‘‘corps’’ — du latin corpus — a pris saforme orthographique moderne — au xive siècle — il s’est vuredoublé de ces adjectivations : ‘‘physique’’, comme adjec-tif, apparaît vers la fin du xve siècle et s’impose vers lemilieu du xviie siècle ; ‘‘somatique’’ fait son apparition audébut du xviie siècle mais ne s’impose qu’au xixe siècle. C’estau xvie siècle qu’‘‘organique’’ apparaît en son acceptationmoderne, avant de trouver dans la notion d’organisme — duxviie au xixe siècle — un renfort décisif. » Souligne Paul LaurentAssoun [2]. L’auteur poursuit, « En apparence, le corps réel(. . .) c’est bien le corps organique (. . .) pourtant, ce corps-organisme instrumentalisé se révèle bien abstrait » [2, p.10,11].

Le corps, est en même temps « être de surface » et lasubstance qui constitue la « personne » vivante. C’est égale-ment le « corps » cadavérisé (Leichman, Leiche) où « s’avoueen quelque sorte l’être-là du corps. » note Paul LaurentAssoun [2, p. 15].

Le corps défini par le Littré est ce qui fait l’existencematérielle d’un homme ou d’un animal, vivant ou mort.

Jacques Lacan parle d’ex-sistence comme l’être hors del’essence, il y a du « déjà là ». Il est à noter que le corpsqui intéresse la psychanalyse n’est pas celui de la méde-

cine. Dans la psychanalyse, il s’agit du corps qui ex-siste audiscours de la science. Le discours de la science produit uncorps rebut, embarrassant, qui fait hors sens. Dans son sémi-naire « Encore » [3], Jacques Lacan invente l’être parlant où

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ujet et jouissance sont pensés via un corps pris par le signi-ant mobilisé par l’inconscient. Le parlêtre serait ainsi leorps parlant. Il écrit quelques années plus tard : « Le corpse fait apparition dans le réel que comme malentendu. » [4].’auteur poursuit « Il n’y a d’autre traumatisme de la nais-ance que de naître comme désiré. Désiré ou pas — c’est duareil au même — puisque c’est par le parlêtre » [4, p. 12].e corps ici intéressé n’est donc pas celui de la science maise moi freudien comme lieu où la jouissance prend corps.e moi n’est pas maître dans sa demeure comme le souligneigmund Freud en 1917, dans son livre « Essais de psychana-yse appliquée ». Il y a toujours quelque chose qui échappe,ette part d’insaisissable, énigmatique.

« Je suis étiqueté mourant depuis 30 ans. . . Je n’en suisas délivré. . . Je suis enfermé dans mon corps à mort. »aroles adressées à l’autre, un Autre. Mr S. séropositif à0 ans entend l’annonce de sa mort imminente. Il accuseéception de l’annonce comme l’annonce d’une fin de vie,ie « déjà éteinte depuis le divorce de mes parents, à2 ans. C’est le début de ma descente aux enfers » dit-il. À2 ans débutent ses errances et sa toxicomanie. Aujourd’huincore ce corps dit mourant le met dans une position’attente. Mais une attente dans la vie « Combien de temps

vivre encore ?. . . ». Ces dernières années, il s’est consacré œuvrer à sa « bonne conduite » (ses mots). Plus de drogue,i d’alcool. « Pour bonne conduite, j’ai l’espoir d’une remisee peine, de gérer le temps d’attente, en tout cas de choisira place dans la file. . . Je vis. » Dit-il. Cette bascule appa-

aît au moment où son père est hospitalisé pour « démence ».lors qu’il est en quête depuis toujours de la reconnaissancee ce père, ce dernier perd l’esprit. Mr S. insiste à plu-ieurs reprises sur le fait qu’« Il (son père) ne pouvait pluse reconnaître ». L’attente de la reconnaissance du père

erait ici liée à l’attente de la mort. L’incapacité du père la reconnaître du fait qu’il perde l’esprit, semble convo-uer chez Mr S. l’appropriation de sa propre vie jusqu’alorsendue impossible. « Avant c’était ‘‘le’’ mort, euh ‘‘la’’ort. . . Le mort : c’était moi. » Note-t-il. Mr S. laisse désor-ais surgir en lui la vie, se détachant de l’attente de la

econnaissance du père, attente vers la mort. Il se surprend « vivre enfin. . . » précisera-t-il.

L’attente du latin attendere (prêter attention) prendlusieurs sens. Il s’agit de rester dans un lieu jusqu’à ceu’arrive quelqu’un ou quelque chose, c’est aussi compterur la venue de quelqu’un ou quelque chose ou encore êtrerêt. Vient donc s’y loger le désir.

L’attente c’est à la fois un manque à être etun manque à avoir.

C’est donc en même temps être en attente et attendreuelque chose. Il y a là un impossible face à la mort, impos-ible comme réel. Face à la mort il y aurait une attente auxrises avec un impossible à dire. . . Pas pour tous.

En effet, certains patients se laissent surprendre par unnattendu. Il s’agit d’un inattendu comme manifestation deeur désir. L’attente comme structure du fantasme est alors

e qui permet de tromper le manque. À la place de l’attentee la mort surgit le désir. C’est un bouleversement qui opère.égagé d’un impossible, le patient peut s’inscrire dans uneapacité à dire par son corps et/ou par la parole.
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tre en instance. . .

Je suis entre la vie et la mort. . . » Tels sont les propos deertains patients.

Le sujet est pris dans une tension, un entre deux. « Suis-jene vivante déjà morte ou une morte ensevelie vivante ? »uestionnera une patiente manifestant une division entrespoir et crainte. Une vie au jour le jour, prend place. Auxrises avec le désir de l’Autre, la patiente s’interroge « Quee veut-on ? ». Interpelant l’équipe soignante sur une pos-

ible conduite à tenir pour alimenter un espoir de sursis,lle investit ici la question de son désir. C’est une ques-ion importante car il s’agit pour cette patiente de faireace à l’énigme du désir de l’autre, désir qu’elle approchet dont l’angoisse fait signal. L’angoisse se manifeste face

l’imprévu, l’inattendu, l’imprévisible d’une jouissancensupportable, jouissance de l’Autre.

Odile est hospitalisée depuis un mois dans un contexte’évolution de sa maladie. « Je sais que je vais peuttre mourir bientôt, dit-elle. Peut-être. . . J’attends, enfer-ée. Pourquoi puisqu’il n’y a plus rien à faire ? Que me

eulent-ils ? (faisant par là référence aux médecins qu’elleencontre). ». L’angoisse apparaît insupportable « C’est pasue j’ai peur de la mort. Enfin. . . Mais je ne comprends pas ceu’on me veut, on me maintient enfermée, pourquoi ?. . . ».es jours suivants, Odile chute à plusieurs reprises de sonauteuil sans aucune raison organique (pas de perte deonus, pas de troubles de l’équilibre notés). Elle se blesseux bras, aux jambes. Elle manque de se couper gravementvec son couteau, au moment du repas.

Exposée à l’angoisse, elle trouve une parade : monnayervec son corps pour « avoir la paix ! » dira-t-elle. Elle sortinsi de scène, livrant de sa chair pour arrêter l’angoisse etne plus être à la merci des médecins » ajoutera-t-elle.

tre à la merci de l’autre/Être regardé

ttendre c’est aussi être disponible à l’autre. De quelutre ? La mort présentifiée, Autre imaginaire ? Les méde-ins ? L’équipe soignante ? Les examens pour lesquels il fauttre présent, mettre son corps à disposition ? Quelle solu-ion pour le sujet afin de se dégager de ce qui peut êtrensupportable ?

Être de jouissance ou avoir le droit de jouir.

Si le sujet manifeste un impératif de jouissance, il’enlève de fait la possibilité à l’autre d’y avoir accès. Ile fait ainsi gardien du temple, d’un corps à préserver.ais au-delà d’un droit, il s’agit d’abord d’un impératif à

ouir, jouir de l’avoir d’un corps jusqu’à son anéantissement.lice, atteinte d’un cancer découvert à un stade avancé,efuse tout traitement. Elle attend dit-elle, que ca vienne.lle ne mange plus, ne va plus à la selle, ne parle presquelus, arrache les perfusions. Elle explique qu’elle bouche un

orps dont elle seule a l’accès. Aux prises avec la jouissance,lle semble détruire à l’infini, de manière méthodique (boutar bout). Elle s’assure par là d’un avoir absolu pour à laois s’en défaire, le détruire. Insupportable donné à voir de

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M. Le Floc’h

anière imprévue aux autres qui l’entourent « De ca (monorps) vous n’aurez rien ». Le regard règle le rapport à laouissance. « L’insupportable c’est m’apercevoir que je suisegardée à n’importe quel moment. On entre, on regarde »joute-t-elle.

Le regard confronte à l’Autre.

Autre pris dans la norme du libéralisme qui pousse à « toutoir, favorisant la tyrannie du sur-moi » souligne Francineeddock [5].

Dans son livre « Naissance de la clinique », Michel Fou-ault décrit la médecine moderne, née de l’instauration duegard médical. Il écrit « Le regard qui voit est un regard quiomine » [6].

Dès le moment où le patient est en instance, à dispositionu « corps médical », de ceux qui le représentent, se règle unapport à la jouissance de l’Autre. C’est une jouissance quichappe. Patrice Monribot note à ce propos qu’une solutionour le sujet serait de « affranchi(r) du regard (. . .le sujet)eut alors vaquer à d’autres nouages. » [7] pour qu’opère unnattendu.

tre condamné . . . à mourir/Avoir un corpsondamné

i la mort est inscrite dès le moment où l’on naît, l’annonce’un réel à l’œuvre met le sujet en place de condamné. « Jeuis condamné(e). Je suis un(e) condamné(e). ». L’identitést posée, il y a une nomination irréversible avec laquelle leujet va devoir faire, bricoler, inventer. L’attendre c’est laister. Pour la pister il faut être en alerte, ne pas s’endormir.

L’insomnie y trouve ici son lit, pour ne pas rencontrer laort. Cependant, c’est du côté du réveil que se situe la mort

crit Jacques Lacan en réponse à une question de Catherineillot [8]. Par le symbolique, le réveil c’est la mort pour leorps. « Ne pas dormir pour ne pas se réveiller » tels sontes propos d’une patiente que rencontre l’équipe mobile deoins palliatifs.

L’ennui se manifeste également dans cette attente. Ilst souvent verbalisé par les patients. Entendu comme uneemande de faire quelque chose pour passer le temps, lesoignants proposent, donnent à lire, faire . . . mais l’ennuiemeure. Cela peut alors être interprété comme un « rienouloir faire » du côté du patient.

Mme P., parle peu. Elle attend une place en convales-ence « parce qu’il faut ». Les rares propos énoncés mettentn avant l’ennui.

« Je ne sais pas quoi faire . . . je ne dors pas, je’ennuie. . . Je trouve le temps long. . . Je n’aime pas’ennuyer . . . d’habitude je ne m’ennuie jamais. . . Je veux

aire quelque chose, et en même temps je ne veux rien faire. quoi ca sert maintenant ? Que faire ? Je ne veux pas êtreeule mais je ne veux voir personne non plus. . . ».

L’insomnie et l’ennui apparaissent comme des signes cli-iques parfois nécessaires pour certains sujets. Il s’agirait

à d’une manière de faire « durer » le temps. L’ennui vien-rait ainsi questionner le sens de l’être là, de l’existence.’est également une rupture manifeste d’un impossible àe rien faire et une incapacité à faire. Ces manifestations
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Au corps de l’attente, l’inattendu en soins palliatifs

cliniques peuvent ouvrir un espace duquel peut surgir ledésir pour contrer l’attente de la mort. Dans cette contin-gence, l’ennui peut être entendu comme une réponse nonpas à une volonté de ne rien faire mais à un désir de fairequi est en attente.

Il y a donc à être attentif (ve) aux signes cliniques pourne pas trop vite les éradiquer dans certains cas. L’attentionportée à ces signes peut ainsi venir questionner l’amour etle désir du sujet.

Dans un paradoxe, je veux et je ne peux pas,je peux et je ne veux pas, il y a là un impossibleà être et une impuissance à faire. C’est l’attente

d’un désir.

Enfer-mement/Être enfermé dans soncorps

Être ou ne pas être qu’un corps.

Mr D. est hospitalisé depuis quelques mois en longséjour. Il est atteint du Locked-in syndrome ou syndromed’enfermement (également connu sous le nom de syndromede verrouillage). Il s’agit d’un état neurologique rare danslequel le patient est totalement conscient, en éveil. Il voittout, il entend tout mais ne peut ni bouger ni parler, en rai-son d’une paralysie complète, excepté le mouvement desyeux ou plus particulièrement des paupières. Les facultéscognitives du sujet sont intactes. Les patients atteints dece syndrome sont pleinement conscients de leur corps etde leur environnement. Depuis quelques semaines son états’aggrave, la communication qui jusque là s’établissait parclignement des yeux n’opère plus. Mr D. ne répond pas.

Lorsque je le rencontre pour la première fois il est recro-quevillé sur lui-même, en position fœtale. Les quelquesminutes de présentation et de commentaires des diversesphotos présentes dans la chambre seront les premièresamorces de la rencontre. À la proposition d’une autre ren-contre, Mr D. qui jusque là n’avait pas bougé, manifestede manière nette de tout son corps un oui, confirmé parl’interprétation qui lui est adressée. Mouvement en force,venu animer un corps devenu inhabité aux yeux des soi-gnants. Il s’agissait pour le sujet soit de cesser ou decontinuer à être. Être mais pas qu’un corps. Être par leparlêtre. D’un corps qui limite, borde, le sujet tente parquelques manifestations d’y loger son désir. D’un corps sansexpressivité, lisse, la manifestation franche d’un désir derencontre fait son œuvre de coupure et de surprise.

Être ou avoir un corps.

On ne peut à la fois être un corps et avoir un corps. Il y alà un couple impossible car on ne peut avoir ce que l’on est.Pour avoir un corps, il faut en être privé d’un accès direct

du fait de l’entrée du sujet dans le langage.

Le sujet se trouve confronté à l’alternative suivante : labourse ou la vie comme le note Jacques Lacan dans sonséminaire : « les quatre concepts fondamentaux » [9].

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Soit il s’oriente du côté de la bourse et perd la vie etar conséquent ne peut plus jouir de la bourse. Soit il choi-it la vie et n’a plus la bourse pour jouir de la vie. Uneolution serait alors de conjuguer l’être du sujet par l’avoirn corps. Mais lorsque avoir un corps n’est plus que souf-rance et que l’être du sujet va mal, quelle solution pour ceernier ?

Christine, 47 ans, est hospitalisée en psychiatrie aprèsvoir tentée de se pendre dans sa chambre d’hôpital.lle y était hospitalisée suite à l’évolution de sa mala-ie appelée Chorée de Huntington. Il s’agit d’une maladieéréditaire incurable dont l’évolution inexorable conduiters la mort. Elle le sait. Son père est décédé à 50 ans.hristine, âgée de 25 ans à l’époque, en garde un souve-ir traumatisant. Moment pour elle de l’annonce de cettealadie dont les premiers signes apparaîtront à 40 ans.ès lors elle connaît les aboutissants d’une vie à venir :égénérescence neuronale affectant les fonctions motricest cognitives aboutissant à une démence, gestes incohé-ents et anormaux indépendants de sa volonté, troubles de’équilibre et léthargie. Si le corps est un territoire familierue l’on oublie, la maladie telle que la chorée de Huntingtonnferme, découpe. La douleur elle l’a. Elle se situe du côtée l’avoir. Signes d’existence d’un corps qui lui échappe.Y’a qu’à mourir » dit-elle. Seule manière de s’éjecter de

’horreur de la scène, de refuser son corps. Comment dèsors prendre corps autrement que par la maladie à mort ?

Jacques Lacan affirme « Un corps vivant est un corps quie jouit » [10]. Il ajoute qu’il s’agit d’un « corps qui se jouite lui-même » [11]. C’est le « corps parlant » [12].

Dans la rencontre avec notre patiente, le corps est auendez-vous d’emblée. « Ca éclate » dit-elle. D’un corps sousension, dans un mode pulsionnel, elle réclame que « ca »’arrête. La première rencontre fait effet de surprise pourhristine. Elle remarque non sans perplexité que ses gestesésorganisés, incontrôlables, s’apaisent quand elle parle.lle exprime avec difficulté ce refus d’être dans ce corpsont on tire les ficelles. « Couper les ficelles » voilà ce qu’ilallait faire pour que ces mouvements de corps en roue libreessent. La tentative de pendaison avec le cordon de saerfusion s’en est suivie : « tirer la ficelle ». . . Le signifiant

ficelle » prendra toute son importance dans les rencontresuivantes.

Christine est fille de boucher, elle deviendra elle-mêmeouchère. À la suite du décès du père elle reprend leommerce paternel. « J’étais la spécialiste de la lame, etes rôtis bien ficelés ». Si le réel de la chair n’est pluscelé, il erre. La belle bouche-erre pourrait-on dire ! Lesots sont venus ficeler les limites mises à mal du corps. Lesots régulent la jouissance. Le corps se fait lieu de régu-

ation symbolique d’un enfermement ou localisation de laouissance pour notre patiente.

Vivre avec et dans son corps, dans l’attentesuppose un rapport de jouissance.

Ne pourrait-on pas dire alors que « celui qui vit en accordvec le temps, est celui qui perd son temps pour sauver sonit ? » [13] Comme le note Odile Bernard-Desoria.

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onclusion : de l’attente à l’inattendu

e ces vignettes cliniques que pouvons nous retenir ?bsence, retrait, insomnie, ennui, passage à l’acte, sont desxpressions du corps parlant qui ne cesse jamais de se dire.

Là où le corps va mal, lorsque le pronostic létal estngagé, le patient se trouve pris dans les mailles d’un dis-ours où tout se programme : annonce, soins de confort,xamens. . . Une mise en attente s’y loge comme manièree faire avec les soins, avec l’autre dans un « déjà là de laort ». Le sujet pouvant se laisser aller jusqu’à ne plus être

u n’est plus qu’un corps. Le sujet pris dans le réel du corps,n appelle à l’Autre. Il attend quelque chose des soignants,e trouvant un rapport d’aliénation. Si l’attente aliène leujet à l’Autre, la dialectique demande/désir lorsqu’ellepère, entraîne une séparation pour que ca continuencore. Des configurations singulières de l’attente aux amé-agements du corps en instance, dépendant, condamné,nfermé, surgit l’inattendu.

Dans cette attente, à quoi sommes-nous, entant que professionnels d’une équipe,

convoqués ?

Souvent aux prises avec cette attente de la mort duatient, un point de butée se manifeste. On se regardeomme dans une salle d’attente, ne sachant que dire, que seire pour « soulager » l’autre. L’attente fait point de ferme-ure. Ca boucle, ca bouche. C’est une attente néanmoinsécessaire lorsqu’il s’agit d’attendre l’inattendu. C’est-à-ire : se rendre disponible à cette surprise pour que s’yoge une part du sujet. Il s’agit donc de faire le pariu sujet (de l’inconscient) à travers les tourments de laaladie létale. Dans les rencontres, les échanges avec les

oignants, le patient prend part à ce qui le concerne. Si,ote Jacques Lacan, « par son corps même, le sujet émetne parole » [14], il s’agit d’une parole comme demande,emande d’être aimé. C’est une demande toujours insatis-aite en tant que « le désir s’ébauche dans la marge qui, pourinéaire qu’elle soit, laisse paraître son vertige, pour peu

u’elle ne soit pas recouverte par le piétinement d’éléphantu caprice de l’Autre » souligne Jacques Lacan [15]. Désiru patient mais aussi désir du soignant à maintenir pourttendre . . . l’inattendu.

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M. Le Floc’h

Inattendu comme effet de sujet, dans un sursaut de seéapproprier son existence par la voie du désir. Désir commee-sidérer, porte de sortie de la jouissance de l’Autre pourxister en corps.

élaration d’intérêts

’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en rela-ion avec cet article.

éférences

[1] Lacan J. Propos sur la causalité psychique (1946). Écrits. Paris:Seuil; 1966. p. 176.

[2] Assoun PL. Clinique du corps, tome 1, lecons psychanalytiquessur corps et symptômes. Paris: Anthropos; 1997. p. 9.

[3] Lacan J. Le séminaire, livre XX. Encore (1972—1973). Paris:Seuil; 1975.

[4] Lacan J. Le séminaire La Dissolution, « Le malentendu », inOrnicar ? No 22—23,. Paris: Navarin; 1980. p. 12.

[5] Beddock F. Il n’y a rien de plus réel que le corps. In: Tramesno 30—31, avril 2001.

[6] Foucault M. (1963), naissance de la clinique. Paris: PUF; 2003.p. 38.

[7] Monribot P. « Un corps vivant est un corps qui se jouit » texteprononcé lors du colloque de l’ACF/VLB le 17 juin 2000 àAngers, les dires du corps. Cahiers de la Cause freudienne,no 15, automne; Paris: 2000.

[8] Lacan J. (1974), réponse à une question de Catherine Millot,improvisation : désir de mort, rêve et réveil. L’âne; 1981, no 3,p. 3.

[9] Lacan J. Le Séminaire, livre XI (1964). Les quatre conceptsfondamentaux de la psychanalyse, lecon 16 le sujet et l’autre :l’aliénation. Du Seuil, coll. Points essais; 1990, p. 237.

10] Lacan J. Le Séminaire, livre XX. Encore (1972/73). Paris: Seuil;1975. p. 26.

11] Lacan J. Le Séminaire, livre XXI, les non-dupes errent, lecondu 12/03/1974.

12] Lacan J. Le Séminaire, livre XX. Encore (1972/73). Paris: Seuil;1975. p. 114.

13] Bernard-Desoria O. Le Temps et l’Être : rapports suspects, leSéminaire de l’année 1991. Paris: Soleil Carré; 1993.

14] Lacan J. Le Séminaire, livre I. Les écrits techniques de Freud.Seuil; 1985. p. 292.

15] Lacan J. Subversion du sujet et dialectique du désir. Les écrits.Paris: Seuil; 1966. p. 814.