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Le Jumelé Printemps 2008 1 p.5 Changer le mode de scrutin Printemps 2008 Médias anglophones 7 | Intégration durable 9 | Le Mentorat 10 | 400 e autochtone 12 | Conte africain 14 | La conscience du tyran 14 | Musique du monde 15 Dans l’espace public pages > 1 à 7 p.3 p.9 p.11 p.13 p.16 La Fondation Alex et Ruth Dworkin est fière de soutenir Le Jumelé et sa mission de sensibilisation aux relations interculturelles > suite en page 6, ÉTHIQUE > suite en page 4, MINORITÉS > suite en page 6, BYE BYE Un air de déjà vu Jeune femme nomade Pour y plonger ses racines Les diplômés s’organisent E n observant les bancs du par- lement à Ottawa ou à Québec, difficile de trouver trace de la diver- sité observée dans la population canadienne. Où se trouvent donc les 19,8 % de personnes nées à l’étranger que recensait en 2006 Statistiques Canada 1 ? Si on y ajoute les premières nations et la deuxième génération, la représentation des minorités dans les instances politiques devient famélique. Serait-ce le signe d’une discrimina- tion systémique ? La législation canadienne demeure avant-gardiste en matière d’accès à la politique pour ses nouveaux arri- vants. Comme le note Carolle Simard 2 « à l’opposé de la plupart des pays européens, il est possible d’obtenir la citoyenneté (…) après trois années de résidence consécutives (…) ce qui confère aux immigrants l’égalité des droits juridiques et politiques, notam- ment l’exercice du droit de vote et l’éligibilité aux paliers municipal, L ’humour est un indicateur signi- ficatif de l’évolution des préjugés dans une société. Comme le Québec se targue d’être un des hauts lieux de l’humour mondial – fonds publics à l’appui –, je me suis amusé à com- parer le traitement accordé par trois spectacles de fin d’année à des enjeux comme notre invasion de l’Afghanis- tan et la xénophobie au Québec, des sujets « chauds », révélateurs de ce qu’on pourrait appeler le pH politique des auteurs ! L’Infoman et Bye Bye À Radio-Canada, deux gros « shows » moussés par une promotion mur à mur – toujours à nos frais – sont venus rassembler les Québécois devant leurs écrans télé le 31 décem- bre. Il fallait bien avoir de quoi à dire le lendemain et le surlendemain… En parler quatre mois plus tard, c’est un peu comme ouvrir un sac de restes de dinde oublié sous la neige sur la galerie, mais faut ce qu’il faut pour ne plus se laisser « casser le party » l’an prochain! J’ai choisi de les comparer avec la revue de fin d’année du groupe de cabaret engagé « Les Zapartistes », justement en tournée avec un excel- lent nouveau show sur les divisions idéologiques, « L’île de Pâques ». « L es allophones boudent le fran- çais », « Recul historique du français au Québec »… Voilà les titres de deux articles du quotidien Le Devoir, respectivement du 1 er février et du 5 décembre derniers. Deux titres accrocheurs, l’un qui attise le feu, l’autre qui fait peur. Et l’éthique jour- nalistique dans tout cela ? Remisée au placard, le temps de stigmatiser les immigrants ? Les articles sont à l’image de leur titre : alarmistes et donneurs de leçons. Les journalistes sont-ils capables de parler des immi- grants de manière objective ? Petit décodage. Sur la question des cours de fran- cisation pour immigrants, Robert Dutrisac ne lésine pas pour pointer du doigt ces « allophones qui boudent le français » : « 30 % à 40 % des immi- grants […] lèvent le nez sur les cours de français qui leur sont offerts », « ces immigrants qui évitent les classes de francisation » ou encore « qui se passent de cet apprentissage ». Ces ter- mes ne sont pas neutres. En les choi- sissant, le journaliste ne se contente pas d’énoncer des faits : il les juge. Pourtant, cet article n’est ni une chro- nique ni un billet d’humeur… Ce ton volontiers donneur de leçons est d’autant plus déplacé que le jour- naliste semble ignorer une chose : un immigrant débarque rarement au Qué- bec avec des millions dans les poches. Sa priorité n’est pas de maîtriser le français – ce qui ne veut pas dire qu’il snobe cette langue - mais de trouver un travail pour vivre décemment. Communautés culturelles et politique Des minorités peu visibles Maxime Bertrand et Yves Grignon au delà des préjugés page 8 Immigration et intégration linguistique Et l’éthique journalistique dans tout cela ? Bye Bye Blues L’auteur, un tout nouveau résident permanent du Québec, est journa- liste de métier. BENJAMIN VACHET L’auteure est journaliste indépen- dante. Française, elle a vécu trois ans en Roumanie avant de poser ses valises au Québec. ALINE NOGUèS Martin Dufresne est traducteur, chercheur et militant antisexiste. Il assure un travail de veille pro- féministe face aux tactiques du mouvement international de la condition masculine. MARTIN DUFRESNE Entrevue Maria Mourani

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Le Jumelé Printemps 2008 1

p.5Changer le mode de scrutin

Printemps 2008

Médias anglophones 7 | Intégration durable 9 | Le Mentorat 10 | 400e autochtone 12 | Conte africain 14 | La conscience du tyran 14 | Musique du monde 15

Dans l’espace public pages > 1 à 7

p.3 p.9 p.11 p.13 p.16La Fondation Alex et Ruth Dworkin est fière de soutenir Le Jumelé

et sa mission de sensibilisation aux relations interculturelles

> suite en page 6, Éthique

> suite en page 4, MinoritÉs

> suite en page 6, bye bye

Un air de déjà vu Jeune femme nomadePour y plonger ses racines

Les diplômés s’organisent

En observant les bancs du par-lement à Ottawa ou à Québec,

difficile de trouver trace de la diver-sité observée dans la population canadienne. Où se trouvent donc les 19,8 % de personnes nées à l’étranger que recensait en 2006 Statistiques Canada1 ?

Si on y ajoute les premières nations et la deuxième génération, la représentation des minorités dans

les instances politiques devient famélique.

serait-ce le signe d’une discrimina-tion systémique ?La législation canadienne demeure avant-gardiste en matière d’accès à la politique pour ses nouveaux arri-vants. Comme le note Carolle Simard2 « à l’opposé de la plupart des pays européens, il est possible d’obtenir la citoyenneté (…) après trois années de résidence consécutives (…) ce qui confère aux immigrants l’égalité des droits juridiques et politiques, notam-ment l’exercice du droit de vote et l’éligibilité aux paliers municipal,

L’humour est un indicateur signi-ficatif de l’évolution des préjugés

dans une société. Comme le Québec se targue d’être un des hauts lieux de l’humour mondial – fonds publics à l’appui –, je me suis amusé à com-parer le traitement accordé par trois spectacles de fin d’année à des enjeux comme notre invasion de l’Afghanis-tan et la xénophobie au Québec, des sujets « chauds », révélateurs de ce qu’on pourrait appeler le pH politique des auteurs !

L’infoman et bye bye À Radio-Canada, deux gros « shows » moussés par une promotion mur à mur – toujours à nos frais – sont venus rassembler les Québécois devant leurs écrans télé le 31 décem-bre. Il fallait bien avoir de quoi à dire le lendemain et le surlendemain… En parler quatre mois plus tard, c’est un peu comme ouvrir un sac de restes de dinde oublié sous la neige sur la galerie, mais faut ce qu’il faut pour ne plus se laisser « casser le party » l’an prochain!

J’ai choisi de les comparer avec la revue de fin d’année du groupe de cabaret engagé « Les Zapartistes », justement en tournée avec un excel-lent nouveau show sur les divisions idéologiques, « L’île de Pâques ».

« Les allophones boudent le fran-çais », « Recul historique du

français au Québec »… Voilà les titres de deux articles du quotidien Le Devoir, respectivement du 1er février et du 5 décembre derniers. Deux titres accrocheurs, l’un qui attise le feu, l’autre qui fait peur. Et l’éthique jour-nalistique dans tout cela ? Remisée

au placard, le temps de stigmatiser les immigrants ? Les articles sont à l’image de leur titre : alarmistes et donneurs de leçons. Les journalistes sont-ils capables de parler des immi-grants de manière objective ? Petit décodage.

Sur la question des cours de fran-cisation pour immigrants, Robert Dutrisac ne lésine pas pour pointer du doigt ces « allophones qui boudent le français » : « 30 % à 40 % des immi-grants […] lèvent le nez sur les cours de français qui leur sont offerts », « ces immigrants qui évitent les classes de francisation » ou encore « qui se

passent de cet apprentissage ». Ces ter-mes ne sont pas neutres. En les choi-sissant, le journaliste ne se contente pas d’énoncer des faits : il les juge. Pourtant, cet article n’est ni une chro-nique ni un billet d’humeur…

Ce ton volontiers donneur de leçons est d’autant plus déplacé que le jour-naliste semble ignorer une chose : un immigrant débarque rarement au Qué-bec avec des millions dans les poches. Sa priorité n’est pas de maîtriser le français – ce qui ne veut pas dire qu’il snobe cette langue - mais de trouver un travail pour vivre décemment.

Communautés culturelles et politique

Des minorités peu visibles

Maxime bertrand et yves Grignon au delà des préjugés

page 8

Immigration et intégration linguistique

et l’éthique journalistique dans tout cela ?

bye bye blues

L’auteur, un tout nouveau résident permanent du Québec, est journa-liste de métier.

Benjamin Vachet

L’auteure est journaliste indépen-dante. Française, elle a vécu trois ans en Roumanie avant de poser ses valises au Québec.

aline noguès

Martin Dufresne est traducteur, chercheur et militant antisexiste. Il assure un travail de veille pro-féministe face aux tactiques du mouvement international de la condition masculine.

martin Dufresne

Entrevue Maria Mourani

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Le Jumelé Printemps 20082

Le Jumelé, à la croisée des cultures, souhaite ouvrir un dialogue entre les personnes immigrantes et celles issues de la société d’accueil. Il vise à encourager la tolérance en matière de pluralité sociale, culturelle, religieuse, historique et coutumière. Toute personne peut soumettre un texte au Jumelé afin qu’il soit diffusé. Néanmoins, Le Jumelé ne peut s’engager à diffuser tous les textes qu’il reçoit. Par ailleurs, Le Jumelé se réserve le droit de réduire la longueur des textes qui lui sont proposés, de supprimer certains passages jugés offensant ou superflus, et de reformuler certaines phrases ou sections de textes pouvant conduire à des erreurs d’interprétation.

le jumelé518, rue Beaubien Est Montréal (Québec) H2S 1S5Téléphone : (514) 272-6060 poste 209Télécopieur : (514) 272-3748Courriel : [email protected] web : www.lejumele.blogspot.com

Éditeurs TCRI et SEIIM www.tcri.qc.caUne co-édition de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes et du Service d’éducation et d’intégration interculturelle de Montréal.

Dépôt légalISSN 1495-6276Bibliothèque Nationale du QuébecBibliothèque Nationale du CanadaAvril 2008

rédactrice en chefBlandine Philippe

rédacteur en chef adjointBenjamin Vachet

rédacteursAnouk Lanouette-Turgeon, Aline Noguès, Benjamin Vachet, Blandine Philippe, Dulce Maria Cruz Herrera, Florence Sallenave, Frans Van Dun, Isabelle Gavard, Jacques Landesque, Laura Kneale, Martin Dufresne, Mekki Merrouni, Mercédez Roberge, Myriame El Yamani.

comité d’orientationAhmed Kouaou, Blandine Philippe, Frans Van Dun, Giovanni Fiorino, Hélène Bérubé, Rivka Augenfeld, Sylvain Thibault.

relecture et correctionBlandine Philippe, Benjamin Vachet

administrationEstelle Gravel, Giovanni Fiorino

Bande dessinéeChristian Cather

illustration des rubriquesAnnick Philippe

conception graphiqueStéphane Champagne

signature graphiqueCaroline Marcant

tirage certifié amecQ10 000 exemplaires

impressionPayette & Simms inc.

Distribution Courrier A & A

Droits d’auteur Toute reproduction des textes, des illustrations et des photographies du Jumelé est interdite sans une autorisation écrite des éditeurs. Bien que toutes les précautions aient été prises pour assurer la véracité des informations contenues dans Le Jumelé, il est entendu que les éditeurs ne peuvent être tenus responsables des erreurs issues de leur utilisation. Les auteurs des articles publiés dans Le Jumelé conservent l’entière responsabilité des théories ou des opinions qu’ils émettent dans leur texte.

Édito

« Choc culturel» ?

Récemment, une lectrice du Jumelé exprimait

son amertume quant à l’ab-sence d’une réelle rencontre des cultures. Il lui semblait

que malgré tout ce qui se dit et s’écrit sur l’interculturalisme au Québec, les vraies rencontres ne se font pas, ou trop peu. Un autre lecteur constate avec regret : « Il y a tellement d’organismes, de cours universi-taires, de spécialistes de l’interculturel, de recherches et quoi encore... alors que sur le terrain les contacts sont tellement rares. »

Poussant un peu plus loin le propos, Mekki Merrouni aborde dans cette édition la redondance de la réflexion, depuis vingt ans, sur ces mêmes sujets et pose deux questions majeures : l’une sur l’impact réel de la recherche académique et l’autre sur le ressassement des mêmes difficultés de l’in-tégration depuis tout autant d’années. Les conclusions de la Commission Bouchard-Taylor ne sont pas encore connues que déjà certains se demandant si elles auront un impact opérationnel.

Rappelons que le Jumelé est une tribune libre. En ce sens, il offre ses pages aux acteurs terrain et aux individus qui sou-haitent faire connaître leurs visions, parta-ger leurs expériences, interpeller l’opinion ou encore dénoncer des situations jugées inéquitables.

La question de l’emploi et du choix fait par les médias de masse pour traiter du vaste sujet de l’immigration et de l’intégra-tion sont parmi les sujets les plus épineux. Les contributions de Laura Kneale, Alines Noguès et Martin Dufresne nous guident

ici vers une lecture critique de ce qui est le plus souvent présenté comme au-dessus de la critique.

Ces deux vecteurs, emploi et médias, nous amènent à nous questionner sur la place accordée aux minorités dans nos espaces publics. Benjamin Vachet nous en présente ici un portrait actualisé : pratiques politiques et fonction publique sont-elles les modèles que nous souhaitons pérennes ou pourraient-elles au contraire tracer des voies nouvelles plus conformes à la compo-sition de notre société actuelle ? Le Mouve-ment pour une démocratie nouvelle suggère une direction.

S’il est des sujets irritants dont nous devons continuer de parler, nous tentons le plus souvent de le faire en veillant à ce que le propos soit constructif. Le Jumelé veut également mettre de l’avant ce qui nous unit, présenter des projets promet-teurs, montrer des modèles de réussite et des chemins inspirants. Nous découvrons par exemple dans ce numéro la création d’un nouvel organisme regroupant les diplômés hors Québec, un projet de persé-vérance scolaire par le mentorat ou encore une expérience novatrice de soutien au potentiel artistique et musical des nou-veaux-arrivants.

N’est-ce pas dans ces expériences concrè-tes de vie que les différences culturelles entre Québécois et nouveaux-arrivants peu-vent profiter à des constructions porteuses d’avenir, plus prometteuses ? ■

BlanDine PhiliPPe

sondage en ligne et prix à gagner Soucieux d’améliorer continuellement son contenu et de rester attentif à l’avis de ses lecteurs, le Jumelé vous invite à participer à un sondage sur le site internet www.tcri.qc.ca/jumele.html. Vous courrez la chance de gagner l’un des prix offerts par le journal aux participants : le coffret de 3 dvd « Pure laine » ou le livre « Le Québec sur le divan » qui vient de paraître.Votre avis est très important : en répondant à ces quelques questions, vous contri-buez à faire du Jumelé un outil de promotion du dialogue et des échanges autour des relations interculturelles au sein de la société québécoise. Merci d’avance pour votre collaboration !

erratumDans notre dernière édition du Jumelé, en page 7 (article : Croire au tambour et en sa langue) il aurait fallu lire « Germaine Mesténapéo, conteuse innue et intervenante sociale » et non pas « travailleuse sociale ». En page 15 de cette même édition (article de Nadia Lakrouz : Le difficile combat des femmes immigrantes uni-versitaires), il fallait lire, en bas de deuxième colonne : « Un emploi dans ce secteur est alors considéré par nombre de ces femmes comme une stratégie d’attente dans l’espoir qu’une place en francisation se libérera, ou que le conjoint trouvera une situation reflétant son niveau de compétence... ». Avec toutes nos excuses.

Prochain numéro : Été 2008Projet d’article ? Coup de cœur ? Envie de réagir ? Nous écrire ? Partager ? Témoigner ? Contactez-nous !Les textes proposés ne doivent pas dépasser 700 mots ou 2 feuillets.Date de tombée de réception des textes : 1er juin 2008.514-272-6060 poste 209 [email protected]

Abonnement au JumeléPour ne rater aucun numéro, Le Jumelé vous offre la possibilité de vous abonner et de recevoir le journal à l’adresse de votre choix. Individus : seulement 19 $ / année.Tous les détails sur le www.tcri.qc.ca/jumele.html ou par téléphone au 514-272-6060 poste 209.

Cath

er

Le Jumelé a besoin de votre soutien !Poursuivant sans relâche depuis huit ans sa mission de sensibilisation aux relations interculturelles, Le Jumelé a toujours besoin de l’appui des forces du milieu. Deux moyens sont proposés pour soutenir le rayonnement du Jumelé :- Être un point de dépôt ? contactez-nous pour plus de détails !- faire un don ? nous émettons des reçus de charité pour fin d’impôt ! contactez-nous.

A découvrir : « Le québec sur le divan »

En pleine crise des accommodements raisonnables, « Le Québec sur le divan – Raisonnements de psys sur une société en crise » offre une thérapie de groupe aux habitants de la belle Province. Avant la remise du rapport de la com-mission Bouchard-Taylor, neuf spécia-listes des troubles du comportement posent leur diagnostic sur l’état de santé psychologique de la société québécoise. Un voyage passionnant dans l’inconscient collectif d’un Québec en plein ques-tionnement où analyses, questions et solutions se côtoient pour permettre au Québec de sortir de la crise et de grandir en confiance.

Avec la collaboration de Rose-Marie Charest, Dr Suzanne Lamarre, Dr Pierre Mailloux, De Michel Mes-sier, Dr Hubert Wallot, Dr Abdelaziz Chrigui, Dr Marie Hazan, Dr Gérald Wiviott, Dr Marc-Alain Wolf.

« La Québec sur le divan – Raison-nements de psys sur une société en crise » Collec-tif sous la direction d’Eric Clément et du Docteur Marc-Alain Wolf. Éditions Voix parallèles. 192 pages. 29,95 $.

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Le Jumelé Printemps 2008 3

Dans l’espace public

La fonction publique pointée du doigt

Le manque de représentation des communautés culturelles ne se

limite pas à la politique. Dans la fonc-tion publique, les intentions supplan-tent également les actions. Si les lois existent, les résultats sont maigres. Comme le précise Fo Niemi du Centre de Recherche-Action sur les Relations Raciales « nous avons des lois et des structures, mais elles ne fonctionnent pas de manière efficace, faute de volonté de changement et de ressour-ces adéquates »1. En effet, la loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans les organismes publics, adoptée en 20002, oblige les institutions publiques et parapubliques de 100 employés et plus à permettre un accès égal aux femmes, aux autochtones et aux personnes issues des minorités visibles et eth-niques. Le problème, souligné par la CSN : en 1997, sur 48 employeurs de l’administration publique provinciale et territoriale, 41 comptaient moins de cent emplois permanents ! En mars 2005, Fo Niemi rappelait que « depuis 1981, le taux de représenta-tion de ces groupes dans la fonction

publique du Québec n’a pu dépasser les 2 %. Au niveau fédéral, le dernier rapport de l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada pour l’année 2003-2004 révèle que seulement 4,8 % des postes de direction au niveau fédéral sont occupés par des minori-tés visibles »3. Le 26 mars 2005, The Gazette sou-lignait qu’à Montréal, les minorités visibles formaient à peine 6 % des 29 000 employés de la Ville. De son côté, la magistrature québécoise n’est pas en reste avec deux personnes issues des minorités visibles sur plus de 200 postes de compétences fédérale et provinciale.En 2006, le rapport annuel de la Com-mission canadienne des droits de la personne notait toutefois une amé-lioration puisque les minorités visibles passaient de 8,1 % en 2005 à 8,6 % de la fonction publique. Néanmoins, ce pourcentage reste inférieur à la main d’œuvre disponible chez les minori-tés visibles contrairement aux trois autres catégories4 visées par l’équité en matière d’emploi dans la fonction

publique. Fin mars, la ministre de l’Immigration et des Communautés Culturelles, Yolande James, annon-çait parmi les mesures d’intégration pour les immigrants des actions pour faciliter l’intégration des nouveaux employés issus des communautés culturelles5. Preuve qu’il reste du

travail à faire, en attendant des résul-tats enfin probants ! ■

1- Citations extraites de l’interview réalisée par Victor Teboul www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=9699, pour le compte du webzine www.tolerance.ca.

2- Projet de loi n°143 « Loi sur l’accès à l’égalité en emploi dans des organismes publics et

modifiant la charte des droits et libertés de la personne » adoptée le 1er décembre 2000.

3- Fo Niemi « Conférence Conseil National des Minorités Visibles du Québec », Mardi 29 mars 2005.

4- Qui sont : les femmes, les autochtones et les personnes handicapées.

5- « L’immigration : un moteur économique pour le Québec – 68 millions pour ouvrir plus grande les portes de l’emploi » - MICC, le 31 mars 2008.

Benjamin Vachet

Après un échec en 2003 et 2004, Maria Mourani a finalement remporté le comté d’Ahuntsic en 2006. « Une circonscription difficile à gagner » avoue-

t-elle « mais j’ai été bien aidée et le travail de terrain a fini par payer ». Née à Abidjan en Côte d’Ivoire, originaire du Liban, la députée bloquiste fait aujourd’hui parti des rares représentants des communautés culturelles à s’asseoir sur les bancs du parlement canadien.

Le Jumelé : Comment expliquez-vous la faible représentation des commu-nautés culturelles dans la politique canadienne et québécoise ? Maria Mourani : Les raisons viennent des communautés comme du pays d’accueil. D’un côté, les personnes qui immigrent ont, au départ, peu d’intérêt pour la politique. Elles recommencent tout à zéro et leurs priorités, légitimes, vont vers le travail. De plus, beau-coup restent connectées à la politique de leur pays d’origine. L’implication politique vient dans un second temps. Les communautés italienne, grecque ou juive qui sont arrivées il y a plus longtemps sont mieux représentées. Elles sont organisées et participent au débat car elles en maîtrisent les règles. Sans compter que tous les nouveaux arrivants ne possèdent pas la culture démocratique. Pour certains, la poli-tique est synonyme de danger, de

torture et de dictature.D’un autre côté, il y a la société d’ac-cueil qui a un rôle majeur à jouer en terme d’éducation à la politique notamment : expliquer les institutions, les partis politiques, encourager la par-ticipation des communautés… Certai-nes provinces sont plus ouvertes que le Québec. Ici, on trouve encore des partis pour envoyer les candidats des com-munautés dans les « comtés kamika-zes » sans aucune chance d’élection.

Le Jumelé : Que pensez-vous des solu-tions proposées pour lutter contre ce phénomène (quotas, modification du mode de scrutin, incitations finan-cières…) ?Maria Mourani : Je suis favorable à tout ce qui améliorera la situation actuelle, la discrimination positive notamment mais pour l’instant, les partis politiques, dont le mien, y sont

réticents. Ils insistent sur l’aspect anti-démocratique d’une telle mesure car ce sont les militants qui doivent élire leurs candidats. Je pense pour ma part que le rôle du parti est de les sensibili-ser à la richesse qu’apporte la diversité dans un parti. Il y a en plus des occasions : dans le comté de l’Acadie, nous aurions pu présenter une personne d’origine arabe puisque cette communauté y est for-tement représentée ou une personne d’origine libanaise dans celui de Saint Laurent. D’autant que le vote se fait souvent davantage sur le parti que sur la personne. Ce serait des signes forts pour les communautés et les militants. Toutefois, certains gestes sont encou-rageants comme la nomination de Yolande James à un poste de ministre ou celle de Maka Kotto comme candi-dat pour le comté du Bourget. Concernant le mode de scrutin, il me semble que si on doit le modifier, alors il faut changer tout le système politi-que. Je ne serais pas contre inclure un peu de proportionnel mais le système britannique actuel n’est pas adapté. ■

ProPos recueillis Par Benjamin Vachet

Maria Mourani : « Les partis doivent sensibiliser les militants »

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Le ministère de l’Immigration et des Communautés Culturelles a annoncé, lundi 31 mars dernier, la mise en place d’une série de mesures d’accueil et d’inté-gration pour les immigrants. Au total, 68 millions de dollars seront consacrés, d’ici 2011, à ce projet qui pré-voit notamment un accompagnement personnalisé en ligne pour les futurs arrivants, une formation enrichie sur le fonctionnement du milieu de travail québécois ou encore l’extension du programme d’aide à l’intégra-

tion des immigrants et des minorités visibles en emploi (PRIIME)… Egalement au centre de l’attention de la ministre, les entreprises seront sollicitées afin d’employer davantage de travailleurs immigrants. Si ces mesures complètent celles annoncées en matière de francisation des immigrants, la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes (TCRI) explique qu’elles ne sauraient suf-fire. 68 millions sur trois ans, c’est beaucoup et trop peu

« pour rattraper le temps perdu et redresser la situation car nous vivons actuellement une importante crise en matière d’intégration des nouveaux arrivants » suggère Hassan Hassani, coprésident de la TCRI. En effet, alors que le taux de chômage des nouveaux arrivants atteint des sommets inégalés, l’enveloppe budgétaire annoncée fait pâle figure surtout si on la compare aux 1,4 milliards supplémentaires que le fédéral investira d’ici 2011 dans les mesures d’intégration dans le reste du Canada.

L’organisme s‘inquiète de l’éparpillement des mesures et des acteurs qui nuisent au cheminement des nouveaux arrivants ainsi que du choix du gouvernement de miser de plus en plus sur l’immigration temporaire pour répon-dre à la pénurie de main d’œuvre. Une stratégie moins coûteuse, certes, mais moins efficace à long terme que de consacrer cet argent à améliorer le processus de sélection d’accueil et d’intégration des immigrants per-manents dont le Québec a tant besoin. ■

Un premier pas vers plus d’intégration, à confirmer

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Le Jumelé Printemps 20084

provincial et fédéral ». Dans les faits toutefois, les com-

munautés culturelles peinent à se faire une place à Québec et Ottawa bien que 73 % de la population s’avoue favorable à une meilleure représentation des minorités à l’Assemblée3.

Le fédéral mène la danseBonnet d’âne de l’ouverture aux communautés, l’assemblée provin-ciale ne compte que 6 députés sur 125 nés hors du Canada. Dès lors, les déclarations du ministère des Communautés Culturelles et de l’Im-migration qui « mise sur la pleine participation des immigrants et des Québécois des communautés cultu-relles à la vie économique, sociale, culturelle et institutionnelle »4 tom-bent à plat.

Reste le fédéral comme relatif motif d’espoir. A la chambre des communes, 13,31 % des députés sont nés à l’étranger, à la Chambre haute du Parlement, ils sont 10 sénateurs sur 105. S’il est difficile de pavoiser, cela prouve que le Québec n’est pas fermé aux minorités puisque plu-sieurs circonscriptions de la province ont fait confiance à un membre des communautés culturelles pour les représenter sur le plan fédéral.

Pour Carolle Simard, professeure de Sciences Politiques à l’UQAM, dans le grand jeu de la représentati-vité, toutes les communautés cultu-relles ne se valent pas. Celles qui sont installées depuis longtemps sur le territoire (italiens, juifs, grecques…) ont tiré leur épingle du jeu. Et ce sont finalement celles d’après 1970 qui peinent à accéder au pouvoir5.

L’avis des partisSi bien que de l’avis des partis, le temps fera office d’intégration. Le

combat des minorités rejoignant souvent celui des femmes, Katia Atif du Centre des Femmes de Verdun a étudié la question : « le programme des partis s’intéresse peu aux mino-rités. Historiquement, le parti Libé-ral semble être le plus sensible mais cette approche superficielle est sur-tout tactique. Il suffit de voir com-ment le parti a agi durant le débat sur les accommodements raisonna-bles, soufflant sur le feu au lieu de l’éteindre ». Quant au Parti Québé-cois, il se souvient encore du conflit qui l’avait opposé à la communauté italienne au moment de l’adoption de la Loi 101. Seul Québec Solidaire se positionne sur le sujet en s’imposant

lui-même des quotas. Peut-être parce que sa direction bicéphale, Françoise David et Amir Khadir, sait combien il est difficile pour une femme ou un immigrant de percer en politique ?

Dressant fièrement leurs quel-

ques représentants des communautés comme les arbres qui cacheraient la forêt, les partis politiques provin-ciaux reprennent le schéma des partis nationaux. A l’échelle fédérale aussi la question intéresse plus les petits partis que les vainqueurs potentiels, trop sûrs de leur fait.

quelles solutions ?Les idées ne manquent pas pour améliorer cette situation. Quotas, incitations financières, modification du mode de scrutin… Cette dernière fournit d’ailleurs un bel exemple d’une volonté politique défaillante. Qualifié, en 1972, par René Léves-que de « démocratiquement infect »,

le mode de scrutin fait l’unanimité en sa défaveur. Du moins en théorie car quand il faut passer à l’action, les certitudes deviennent hésita-tions, puis finalement oubli. L’insuf-fisance de courage politique ou le

goût patenté d’un certain statu quo cantonnent les minorités en marge du processus politique. Et si la régle-mentation incite les partis politi-ques à les intégrer sans obligation, les résultats demeurent minces. Les propositions du Directeur général des élections restent lettres mortes devant les réticences politiques qui s’abritent derrière la difficulté « de convenir d’une définition applicable de ce que sont les minorités et de qui en fait partie ».

Il est amusant mais peu surpre-

nant de constater que la position des partis ayant des affinités diffère selon qu’il s’agisse d’enjeu fédéral ou provincial. Au Parti Québécois, pas question de quotas. Tandis qu’à Ottawa, le Bloc Québécois ne dirait pas non à des incitations financières (5). A Québec, l’ADQ clame le besoin de proportionnalité alors que dans le même temps, le Parti conservateur rejette majoritairement qu’ « un parti qui obtient 10 % des votes obtiennent 10 % des sièges ».

Le spectre de 1995Même si Martin Lemay, député du Parti Québécois et porte-parole du deuxième groupe d’opposition en matière d’immigration, de commu-nautés culturelles et de citoyenneté, pense que « ça ne compte plus et que le programme politique social-démo-crate de son parti fait la part belle aux communautés culturelles », les propos du premier ministre péquiste Jacques Parizeau ont marqué « une baisse tangible de l’engagement de la part de nos institutions politiques

dans la lutte contre la discrimination et pour l’instauration de changements réels » selon Fo Niemi, directeur géné-rale du Centre de Recherche-Action sur les Relations Raciales (6).

A l’époque, ce dernier avait pointé du doigt le vote ethnique comme cause majeure, avec l’argent, de la défaite au référendum sur la souveraineté du Québec. En stigma-tisant les communautés, il a coupé le parti québécois de celles-ci et peut-être, par la même occasion, diminué leur impact dans le débat politique.

En effet, pourquoi s’en occuper puisque de toute façon, elles votent pour le parti Libéral ?

Pour faire bouger les choses, les communautés

culturelles seront-elles contraintes d’employer la devise du Boston Tea Party, en 1773, « no taxation whi-thout representation » ? ■

BENJAMIN VACHET

1- Source Statistiques Canada – « Immigration et citoyenneté » - Diffusion n° 4, 4 décembre 1007.

2- Carolle Simard, « Présentation à la 4e conférence nationale Metropolis », Toronto, Mars 2000.

3- Sondage CROP effectué du 16 septembre au 3 octobre 2004 auprès de 1000 personnes vivant au Québec, pour le compte du Centre de recherche et d’information sur le Canada.

4- Ministère des communautés Culturelles et de l’Immigration « Enoncé de politique en matière d’immigration et d’intégration », Québec, Direction des Communications, 1990, p.19.

5- J. H. Black « La sous-représentation des minorités visibles : l’opinion des candidats ». Perspectives Electorales – Décembre 2006.

6- Citations extraites de l’interview réalisée par Victor Teboul www.tolerance.ca/Article.aspx?ID=9699, pour le compte du webzine www.tolerance.ca.

Des minorités peu visiblesDans l’espace public

L’insuffisance de courage politique (...) cantonne les minorités en marge du processus politique

> suite de la page 1

Cette année, Revenu Québec innove et facilite la tâche à100 000 citoyens en leur offrant leur déclaration déjàremplie grâce à un projet pilote.Pour ces citoyens, cette nouvelle déclaration de revenuspréremplie est des plus simples à utiliser.

Ces derniers n’ont qu’à✓ vérifier les montants déjà inscrits par Revenu Québec ;✓ ajouter des montants, si cela est nécessaire ;✓ s’assurer de demander les déductions et les crédits

auxquels ils ont droit.

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Un horizon de simplification, au

www.revenu.gouv.qc.ca.

Une déclaration de revenus préremplie ?Oui, c’est possible !

Parmi les solutions améliorant la représentativité politique des minorités, les quotas... Une solution imposée courageusement par Amir Khadir et Françoise David au sein de Québec Solidaire.

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Le Jumelé Printemps 2008 5

Déjà préoccupante sur le plan socioéconomique, la marginalisation politique des groupes minoritaires et racisés au sein du Québec moderne l’est davantage sur l’échiquier politique. La très faible représentation des minorités au sein des instances parlementaires et décisionnelles renvoie une image faussée de la composition de la société québécoise. La démographie étant ce qu’elle est, il est invraisemblable d’ima-giner la croissance du nombre de per-sonnes ne se reconnaissant pas dans leur parlement. Tant que nous utilise-rons le mode de scrutin actuel - unino-minal à un tour - le pluralisme politique de la société ne concordera pas avec sa représentation effective. En effet, ce dernier favorise les choix stratégiques et la nomination de candidats connus ce qui élimine le choix risqué de pré-senter les membres des communautés culturelles, autant que les femmes.

Des barrières sont toujours présen-tes chez certains partis politiques et le

mode de scrutin québécois représente un obstacle majeur à la représentation politique des communautés culturelles. Actuellement, la seule façon de repré-senter la population est de remporter la course dans une circonscription favorable, ce qui souvent signifie un savant assemblage de facteurs comme l’appartenance au groupe ethnocul-turel majoritaire dans la circonscrip-tion, l’association à un parti ayant de réelles chances d’obtenir des votes, le tout combiné aux performances de la « concurrence », puisqu’il ne faut qu’un vote pour départager la première place de toutes les autres !

À titre d’exemple, il est permis de se demander si l’Assemblée nationale aurait compté un membre d’origine italienne si cette communauté n’avait pas résidé de façon concentrée dans la circonscription de Viau. Le hasard des résultats électoraux et les opportunités politiques décident actuellement de la diversification ou non du parlement alors que cela devrait résulter d’une responsabilité collective.

L’importance d’une réforme du mode de scrutin

Pour corriger ce déficit démocrati-que, il faut des gestes déterminants et

des mécanismes structurants. Croire que seul le temps réglera le problème relève de la pensée magique. En choi-sissant un mode de scrutin davantage proportionnel, combiné à des incita-tions à ouvrir la gouverne à toutes et à tous, la société gagne à tous les niveaux de représentativité.

Il ne s’agit pas ici de réclamer que chaque communauté soit représentée en fonction de sa part démographique, mais plutôt d’obtenir une assemblée respectueuse de la diversité ethno-culturelle de sa société et ouverte à cette contribution. Il en va de l’égalité d’accès aux postes de représentation et de la nécessité que toute la population se sente interpellée et concernée par les décisions prises en son nom.

La perspective de se doter d’un nou-veau mode de scrutin est l’occasion de cesser d’accepter l’inéquitable représen-tation des idées ainsi que la sous-repré-sentation de la diversité ethnoculturelle. Ne pas intervenir signifierait exclure

volontairement les géné-rations futures.

La représentation poli-tique demeure un indica-teur de l’inclusion ou de l’exclusion politique. Son degré et sa portée servent

également à évaluer le fonctionne-ment des institutions démocratiques. En revanche, l’exclusion politique sup-pose la négation ou la fragilisation de la citoyenneté allant jusqu’à l’atteinte des droits civils et politiques des citoyens exclus. L’exclusion des processus poli-tiques, des institutions démocratiques et des instances parlementaires ne font que confirmer le déficit démocratique découlant d’une participation civique inégalitaire.

La sous-représentation politique des minorités : un déficit à corriger

À l’heure où le déficit démocratique provoqué par la sous-représentation des minorités d’origines ethnocultu-relle, immigrante et racisée est devenu un enjeu majeur pour les premiers concernés, mais aussi pour certains mouvements associatifs et communau-taires québécois, la société tout entière doit s’interroger sur l’impact du mode de scrutin en vigueur au Québec.

Les citoyennes et citoyens issus des minorités se mobilisent et prennent leurs responsabilités, notamment en prenant conscience de l’importance de s’engager dans l’action politique. Leur présence dans les organisations de base est indispensable pour acquérir des

compétences, de l’expérience politique, ainsi qu’une certaine reconnaissance afin de briguer les postes de candidats et d’élus. Le renouvellement et la diver-sification des forums de participation dans l’espace public et politique se présentent comme l’une des réponses à la sous-représentation des groupes minoritaires issus de l’immigration. Mais toutes ces initiatives ne peuvent rien sans un mode de scrutin reflétant les intérêts du Québec d’aujourd’hui, où la diversité ethnoculturelle est une dimension constitutive de son identité et de ses institutions.

Le Mouvement pour une démocra-tie nouvelle (MDN) est un mouvement citoyen non partisan qui s’emploie à ce que le Québec dispose d’un mode de scrutin respectueux de la volonté popu-laire, permettant une représentation égale entre les femmes et les hommes, incarnant la diversité ethnoculturelle québécoise ainsi que le pluralisme poli-tique, et attribuant une juste place aux régions. Son rôle est d’aider la popu-lation à évaluer les propositions à la lumière de ces résultats. ■

Informations :www.democratie-nouvelle.qc.ca

Notre mode de scrutin remis en question

Le système électoral canadien est basé sur le modèle anglais. Il s’agit du scrutin uninominal majoritaire à un tour. Dans une circonscription, l’électeur vote une fois pour un seul candidat qui l’emporte en obtenant la majorité relative, c’est-à-dire plus de voix que ses concurrents peu importe l’écart. Le parti qui gou-verne est celui qui a gagné le plus de circonscriptions.

Dulce Maria Cruz Herrera est chercheure associée au Centre de recherche sur l’immigration, l’ethnicité et la citoyenneté (CRIEC) et membre du conseil d’administration du MDN.

Dulce maria cruz herrera

Mercédez Roberge est présidente du Mouvement pour une démo-cratie nouvelle (MDN).

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Dans l’espace public

En choisissant un mode de scrutin davantage proportionnel (...), la société gagnerait à tous les niveaux de représentativité

La diversité ethnoculturelle qu’on décrit si « enrichissante », si importante pour le développement économique et démographique du Québec est, dans

les faits, sous-représentée en politique. Un simple coup d’œil sur la composition de l’Assemblée nationale suffit à prouver que ce baromètre du degré d’ouverture et d’intégration des communautés reste désespérément dans le rouge.

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Réforme du mode de scrutin Pour une Assemblée nationale rassembleuse

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Le Jumelé Printemps 20086

Être scripteur d’humour est un métier comme un autre. Sauf quel-ques trop rares exceptions, les shows télé de fin d’année et les galas puisent chez les mêmes cyniques de service, qui colportent leurs « bitcheries » d’un producteur à l’autre, en brodant sur les mêmes « personnalités » ou « évé-nements » convenus et en sachant exactement où s’arrêter dans toute véritable critique des pouvoirs.

Cette année, les gagmen de l’Info-man ont manifesté ce qui semble être un virage à droite de Radio-Cadenas, avec des guili-guili des plus polis à nos politiciens (Charest, Dumont, Gagnon-Forget, Dion). On a envoyé, toujours à nos frais, Jean-René Dufort et une équipe de tournage en Afghanistan pour faire quelques blagues plattes. Façon d’apaiser la résistance à une guerre particulièrement impopulaire au Québec ? Effort de guerre oblige, j’imagine… malgré la voix pseudo-ironique de l’animateur, ça sentait la pub à peine déguisée pour « nos For-ces », une politique décidée aux plus hauts échelons de la CBC puisque l’ex-humoriste Rick Mercer fait le même travail de promotion au réseau anglais, entre deux bulletins de nouvelles qui semblent souvent dictés par le Penta-gone ou la CIA.

notre guerre contre « ces gens-là »Du côté du « Bye Bye 2007 » des ex « Rock et belles oreilles », j’ai été déçu par leur traitement des droits des minorités au Québec. Après avoir longtemps enfoncé le clou de l’into-lérance en multipliant les stéréotypes racistes sur les demandeurs d’accom-modements, les scripteurs ont trouvé un autre angle cette année. Sans doute gênés par l’intolérance affichée aux audiences de la Commission Bou-chard-Taylor, on s’est commodément déculpabilisés en attribuant le ressac xénophobe des dernières années aux seuls citoyens d’Hérouxville, présen-tés comme des demeurés congénitaux dans un scénario de film d’horreur.

Quant aux pays appauvris, déchirés par la politique des empires, on a eu droit à un « Tour du monde » navrant

de bêtise, par exemple, faire chanter « Ouagadou-dou-dou » par nos humo-ristes vieillissants déguisés en réfugiés au Darfour, entre autres caricatures racistes. C’était navrant.

« rire est une si jolie façon de montrer les dents… »En contraste, l’équipe des Zapartistes écrit ses propres textes et prend un peu plus de risques. Ils y avaient été de quelques gags faciles et portraits méprisants l’an dernier – épinglant notamment Mme Michaëlle Jean. Cette année, ils ont (enfin) intégré une comédienne – Brigitte Poupart – et beaucoup mieux ciblé les diverses figures de la bonne conscience des « Québécois de souche ». Par exemple, ils ont confronté leur public, plutôt nationaliste, au monologue d’un Nord-africain à qui on refuse toujours un emploi convenable et qui met juste-ment en perspective le fameux dossier du voile islamique.

La marque de commerce des Zapar-tistes demeure leurs incarnations hyperréalistes de nos chefs de partis : cynisme inquiétant de MM. Harper et Charest, inanité de Stéphane Dion (François Patenaude, lunaire), etc. J’ai trouvé moins convaincant le portrait

que faisait le génial Christian Vanasse de Mario Dumont en imbécile heu-reux : l’homme est plus dangereux que cela. Pauline Marois m’a semblé injustement épinglée - la misogynie fait encore vendre, hélas.

Un beau moment d’empathie cependant à l’égard d’André Boisclair qu’ils avaient découpé en rondelles l’an dernier. Un rappel de l’opportu-nisme qui fait loi, en politique comme souvent en humour.

En résumé, faisons un bon choix de shows ! Les Zapartistes – des sociolo-gues comédiens, faut le faire ! – nous font non seulement rire mais réfléchir, surtout dans leur dernier spectacle avec un tour d’horizon de certaines bonnes consciences…

En comparaison, L’Infoman a fait le pitre en léchant les mains qui le nour-rissent et Bye Bye/RBO a misé sur les maquillages, les redites de leur style de jeunesse et un cynisme qui sem-ble ne faire mouche que lorsque les

comédiens rient de leur classe sociale d’origine.

Le 31 décembre prochain, pas de télé pour moi ! ■

MARTIN DUFRESNE

L’excellent show « Les Zapartistes à l’Île de Paques » - avec un monolo-gue dévastateur sur «l’accueil » fait aux immigrant-e-s - est présenté en supplémentaire jeudi le 24 avril au Club Soda. Un must !

Dans l’espace public

Immigration et intégration linguistique

et l’éthique journalistique dans tout cela ? bye bye blues

« Comme le sait le taureau, le voile c’est pas lui qui est dangereux, c’est celui qui l’agite… »

> suite de la page 1

L’apprentissage du français viendra plus tard, à force d’immersion et le cas échéant, via les enfants scolarisés dans cette langue.

Par ailleurs, il est erroné d’écrire qu’en suivant des cours de français à plein temps, l’immigrant reçoit « une prime de participation en sus de l’aide sociale ». Une prime ? Oui, mais déri-soire. En cumul avec l’aide sociale ? Certainement pas ! Un immigrant choisi par le Québec n’a pas le droit de demander l’aide sociale pendant les trois premiers mois qui suivent son arrivée.

Dans « Recul historique du français au Québec », Guillaume Bourgault-Côté semble quant à lui prévenir : Tremblez, patriotes québécois, vous êtes en danger ! Pourquoi ? La première phrase identifie tout de suite, dans sa construction binaire, les gentils et les méchants : « le français [victime] perd des plumes, et les allophones [coupa-bles] prennent du poids ».

En poursuivant la lecture, on com-prend que le français qui « perd des plumes » n’est pas le français en géné-ral mais le français langue maternelle et le français parlé à la maison. Mais que fait-on de celui parlé dans la rue, à l’école par les enfants de la loi 101, au travail par leurs parents ? Compte-t-il pour du beurre ce français-là ?

Si l’on cherche à mesurer le degré d’intégration des immigrants à la société québécoise, s’en tenir aux chif-fres du français parlé à la maison (soit 54 % des foyers montréalais) constitue une grossière erreur.

Petite anecdote : à la maison, je parle majoritairement… roumain. C’est la langue maternelle de mon conjoint et après avoir vécu plusieurs années en Roumanie avec lui, j’ai gardé le pli

de parler cette langue. Menaçons-nous l’identité linguistique du Québec ? Je ne crois pas ! Je suis Française et mon conjoint a repris ses études, dans un Cégep… francophone. Pourtant, nous faisons partie de ces 46 % de Mon-tréalais qui font « reculer le français au Québec » en ne le parlant pas à la maison…

Je suis persuadée que de nombreu-ses familles vivent la même chose : allophones à la maison, francopho-nes au travail. Pas de quoi s’émouvoir donc… Ou plutôt, si ! Pour se réjouir de cette richesse linguistique dont héri-teront les petits Québécois à naître et issus de parents venus d’ailleurs.

Pour en revenir à cet article du Devoir, il serait de mauvaise foi de ma part de taire une phrase de son der-nier paragraphe : « l’important, c’est davantage la langue qui est parlée dans les relations quotidiennes que celle parlée à la maison ». Contente de le lire ! Dommage cependant qu’il ne s’agisse que de deux lignes, si loin du titre alarmiste.

De tels articles me dérangent. En tant qu’immigrante, je ressens une certaine amertume à constater une telle stigmatisation et dramatisation ; en tant que journaliste, je suis conster-née de lire des textes faisant si peu cas d’un minimum d’éthique journalisti-que. Je ne tirerai pas de conclusions hâtives sur la presse québécoise, ni même sur le journal Le Devoir à partir de ces deux articles.

Mais j’espère que le lecteur québé-cois saura faire preuve d’esprit critique et de lucidité pour accueillir les nou-veaux arrivants sans les juger.

Est-ce trop demander ? Je ne l’es-père pas… ■

ALINE NOGUèS

> suite de la page 1

Le français en bonne place au Québec

Malgré les inquiétudes attisées par des discours partisans, le français ne se porte pas si mal au Québec. Selon une récente étude de Statistiques Canada, la langue offi-cielle était utilisée en 2006 par 94,3 % des travailleurs québécois, en légère hausse depuis 2001. De bons résultats qui s’expliqueraient selon l’organisme par « la forte croissance dans l’immigration récente des groupes de langues maternelles arabe, espagnole et roumaine, en raison de leur propension plus grande à connaître et à utiliser le français». Au cours des cinq dernières années, le Québec s’est enrichie de 600 000 personnes parlant le Français, soit près de 10 % de sa population totale.

Souvent affiliée aux problèmes identitaires, la question de la langue, aussi inté-ressante soit-elle en terme électoral, peut donc céder sa place à d’autres débats plus constructifs pour promouvoir le dialogue et l’échange avec les communautés.

Raymond BACHANDDéputé d’OutremontMinistre du Développement économique,de l’Innovation et de l’ExportationMinistre du TourismeMinistre responsable de la région de Montréal

5450, ch. de la Côte-des-Neiges, Suite 115 Montreal (Quebec) H3T 1Y6 Tel. (514) 482-0199

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Jusqu’au 20 avril

Festival Vues d’Afrique Le Festival Vues d’Afrique propose de découvrir le continent africain et les pays créoles à travers l’œil de la caméra. Plus d’une centaine de films du monde entier invitent le spectateur au voyage aux cinémas du Parc, Beaubien, de l’ONF et à la Cinémathèque québécoise.

Tout le programme sur www.vuesdafrique.org

1er au 24 mai

Festival Accès AsieA l’occasion du mois du patrimoine asiatique, la 13e édition du Festival Accès Asie propose du 1er au 24 mai un dépaysement total sur fond d’expositions, de spectacles et d’ateliers. Une invitation vers des horizons culturels nouveaux et variés pour respirer les parfums d’Orient et voir le monde autrement.

Tout le programme sur www.accesasie.com

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Le Jumelé Printemps 2008 7

Dans l’espace public

Si certains journaux francophones ont semblé se faire un devoir de parler des accommodements rai-sonnables pratiquement tous les jours, la couverture du sujet par les médias anglophones est restée plus restreinte. Plaçant la question dans le contexte du nationalisme québécois, leur regard se veut sou-vent critique et distancié. Par exem-ple, en décembre 2007, le journal The Globe and Mail fait paraître un article sur la chanson « Dégé-nérations » du groupe québécois Mes Aïeux. Comme le note Konrad Yakabuski, son succès fulgurant auprès de la jeunesse québécoise pourrait être attribué à la recher-che d’une connexion avec le passé. Constat qu’il trouve paradoxal à la lumière de l’histoire récente du Québec, notamment de l’époque de la Grande Noirceur.

Abondant dans le même sens, un article de la Canadian Press explique aux lecteurs anglophones à quel point la Commission Bou-chard-Taylor a été critiquée et va même jusqu’à la renommer « podium de l’intolérance ». Toutefois, du côté des médias francophones, le controversé chroniqueur Richard Martineau va bien plus loin. Dans « Degrés de noirceur » paru sur son blogue sur Canoe.ca, il montre ses vraies couleurs de chroniqueur du Journal de Montréal en exemple parfait de la caricature sensation-naliste présente dans la presse fran-cophone. En effet, il s’attaque au propos rapporté à la Commission, citant Gregory Charles et Normand Brathwaite comme des Noirs qui plaisent au grand public car ils « ne sont pas vraiment Noirs ».

Ceci étant dit, la presse anglo-phone ne cherche pas nécessaire-ment à libeller le Québec de raciste et xénophobe. La Commission tend à être analysée à travers deux pris-mes : l’appropriation du débat pour des avantages politiques, notam-ment par l’opposition, ainsi que le décalage du traitement des débats dans les journaux. L’article « Reaso-nable accommodation hearings no model to follow, observers say » de Marianne White cite Fatima-Zahra Benjelloun, membre du Conseil des Musulmans de la ville de Québec : « les médias montrent uniquement

des cas d’accommodements raison-nables qui sont des menaces aux valeurs québécoises. »1. La question de savoir si la couverture médiati-que attise les tensions raciales au Québec n’est alors pas superflue.

« the detractors » Francophone ou anglophone,

les désaccords sur les fondements de la Commission sont fréquents. Le collectif Personne N’est Illégal/No One is Illegal proteste à plu-sieurs reprises contres la tenue des audiences. Membre du collectif, Nazila Bettache s’exprime à Radio Tadamon (CKUT 90.3 FM) sur la supériorité qui se manifeste dans la terminologie du débat, expliquant que les mots « accommodement » et « raisonnable » réfèrent à l’idée d’une rationalité supérieure aux demandes formulées par les immigrants. Elle renchérit en déconstruisant l’idée de Québécois « de souche », terme également dérangeant pour plu-sieurs Québécois. Caroline Allard, rédactrice de la « Lettre ouverte des Québécois dits « de souche » contre l’intolérance», explique qu’elle a voulu souligner l’absurdité d’une telle catégorisation.

Mais la dichotomie entre médias anglophones et francophones demeure peut-être moins marquée que celle opposant médias alterna-tifs versus grands médias. Quelque soit la langue employée, la majorité de la presse alternative tend à enca-drer le débat dans une perspective plus globale. Lorenzo Fiorito cadre la saga d’Hérouxville dans la mon-tée du sentiment anti-arabe dans les médias depuis le 11 septembre 20012. Léon Ouaknine fait quant à lui un parallèle intéressant sur l’em-phase mise sur ce débat et la place de la religion dans notre société3.

À la lumière de leurs détrac-teurs, les médias francophones et anglophones ont autant de points communs que de divergences. Les journaux anglophones jouissent du luxe de la distance objective pour analyser le phénomène ce qui n’exclut pas certains dérapages plus sensationnalistes. Sans conteste, seuls les médias alternatifs offrent un cadre d’analyse plus diversifié. Cadre d’analyse plus à même de traiter une question si complexe. ■

1 Citation traduite de l’anglais.2 « Hypocrisy in Quebec » - Siafu, avril 20073 « Le dialogue des cultures au Québec : Oui,

dans le respect de la laïcité des institutions publiques ! » - Le Jumelé, automne 2007

Accommodements raisonnables D’une langue à l’autre

« Are the Québécois racist ? »

Bachelière en Études inter-nationales, Laura Kneale a vécu une dizaine d’années en Espagne, en Équateur et aux États-Unis.

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Alimenté par un traitement médiatique pernicieux, le débat sur les accom-modements raisonnables a relancé la question du mariage entre l’identité

québécoise et celles de ses communautés. Un débat logiquement repris dans la presse anglophone avec, toutefois, une certaine différence de traitement. Prenons donc le temps de comparer les deux sauces médiatiques…

Chères amies,Chers amis,

Je désire d’abord saluer les exploits du journal Le Jumelé, à la croisée des cultures. La qualité remarquable de cette publi-cation n’est certainement pas étrangère à la récente augmen-tation de son tirage, ainsi que de son nombre d’abonnés. Je me réjouis des succès de ce journal et je félicite toutes les personnes qui y travaillent très fort pour imprimer un aussi bon périodique.

Cette édition spéciale du journal m’interpelle vivement car je crois que le Québec représente une terre d’accueil de qua-lité pour tout citoyen du monde qui désire croître dans une

société équitable et accueillante. À ce sujet, depuis que le chef de l’opposition officielle m’a nommée porte-parole en matière d’immigration et de communautés culturelles, j’ai exprimé à plusieurs reprises le souhait que chaque personne qui choisit le Québec pour y vivre puisse connaître une expérience d’intégration réussie et enrichissante.

Les nouveaux arrivants représentent une force de travail que le gouvernement se doit de reconnaître, en plus de constituer un apport inestimable sur le plan culturel. Mon désir le plus cher est que chaque nouveau citoyen se sente chez lui, au Québec, et qu’au moment où il entend « Bienvenue au Québec », ce soient plus que des mots !

Au plaisir de vous rencontrer !

Cordialement,

Catherine MorissetteDéputée de CharlesbourgPorte-parole de l’opposition officielle en matière d’immigrationet de communautés culturelles

Hôtel du Parlement1045, rue des Parlementaires

2e étage, Bureau 2.45Québec (Québec) G1A1A4Téléphone : 418 644-9506

[email protected]

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Le Jumelé Printemps 20088

Couples mixtesAu-delà des prejugés

Ils ne représentent que 3 % des unions libres et des mariages mais intéres-sent déjà les chercheurs comme la professeure d’anthropologie de l’Université de Montréal, Deirdre Meintel : « il s’agit d’un segment de la population qu’on ne peut ignorer et qu’on se doit de mieux connaître ». Ah bon, mais pourquoi ?

Tout simplement parce qu’en s’unissant entre personnes prétendu-ment différentes de par leurs origines et leur culture, les couples mixtes génèrent certainement un « melting pot » prometteur. Dans le rêve d’une humanité harmonieuse, ils représen-tent un absolu, le mélange parfait de ce que peut créer l’immigration. Mais les stéréotypes demeurent et souf-flent sur les braises de l’incompré-hension. Famille, religion, éducation des enfants… Certaines questions semblent autant d’impasses sur les voies tortueuses du bonheur. Alors, est-ce que ça peut marcher ?

Pas si différentsLe groupe échange-jeunesse du

Centre Afrika en avait fait le thème de son repas-causerie du mois de mars. Deux couples témoins se sont prêtés au jeu à travers trois sujets : les défis, les gains et l’éducation des enfants dans un couple mixte. Il en ressort un consensus que résume Hanh : « nous ne sommes pas si différents des autres couples. Dans chaque domaine, chacun apporte sa façon de voir ». Pourtant, le cocktail détonnant d’une vietnamienne et d’un Togolais suggère un choc cultu-rel. « Nous parlons la même lan-gue, avons suivi un cursus scolaire

semblable, mon enfance à Saigon ressemble à la sienne ». Un avis que partage son partenaire, Guy : « le défi reste toujours le même : est-ce que ça va marcher ? »

Renvoyées dans les cordes, les différences seraient donc davan-tage le fruit « de la personnalité de chacun » pour Hanh. Car comme lui répond en écho Guy : « le couple n’est pas la fusion, l’exigence que l’autre devienne soi ». Sur la même longueur d’onde, Maxime et Yves, couple haïtien-québécois précise que « Maxime vivant ici depuis 1970, le choc culturel était presque impossi-ble ». Leur expérience suggère-t-elle alors que le choc culturel annoncé n’est que préjugé ?

se connaître avant toutMais l’assistance est là pour rap-

peler les stéréotypes accrochés à ces unions « hors normes ». Pour ces deux couples, pas de conflit cultuel, la religion les unit. Mais pour le reste, les enfants, la place des fem-mes etc. ? Humblement, Guy précise : « Nous ne sommes pas ici pour don-ner la recette du succès. Mais dans un couple, mixte ou pas, l’important est d’identifier les zones sur lesquel-les on ne fait pas de compromis ». De quoi lever bien des obstacles, cette réflexion fournit un fil d’Ariane aux aspirants.

Le couple de Brigitte, québécoise, a « cédé sous le poids de la place que son partenaire réservait à la femme ». Une autre raconte « la difficulté d’une amie dont le mari n’exprimait pas ses sentiments, une caractéristique des Africains », selon elle.

En examinant leurs propres valeurs, toutes deux auraient pu dès le départ constater l’impasse. L’amour rend aveugle… Et puis, ces soi-disant différences culturelles ne masquent-elles pas le syndrome de l’excuse par l’origine cachant des marques de tempéraments indivi-duels ?

La similitude culturelle n’assure pas non plus un long fleuve tran-quille vers la réussite et la compré-hension comme le relève Oswald dont le couple a buté sur la belle famille alors qu’il vivait avec une compatriote africaine. « Aujourd’hui, ma belle famille autochtone m’ac-cueille bien mieux », avoue-t-il.

Le regard des autres Au centre des discussions, la

belle famille revient d’ailleurs sou-vent. Maxime et Yves n’y ont pas échappé au départ : « je n’étais pas Maxime, juste l’ambassadrice de la culture haïtienne », se souvient-elle. Dans l’acceptation familiale, comme sociale, se retrouve le regard des autres. « On a parfois l’impression d’être une curiosité », reconnaît Guy. Mais, encore une fois, ce « syndrome de la belle famille » n’est-il pas commun à tous les couples ? « Tout comme se retrouvent dans toute union les problématiques de l’éduca-tion d’un enfant », renchérit Hanh.

Plus populaire chez les 20-29 ans1,

chance inestimable de découvrir une nouvelle culture, le couple mixte nécessite néanmoins de la pru-dence. Guy met en garde contre « la tentation de l’exotisme, le fantasme de retrouver chez l’autre ce qu’a construit notre imagination ».

Dans la multiplicité des possibi-lités d’union mixte, ces deux exem-ples rassurent et posent finalement la question : les barrières ne sont-elles pas celles qu’on s’impose ? ■

1 En 2001, ils représentaient 5 % de tous les couples de 20 à 29 ans. Source Statistiques Canada. 7 septembre 2007.

Benjamin Vachet

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Individus et société

Dans une note parue en septembre dernier, Statistiques Canada révèle qu’ils augmentent depuis 1990. En 2001, 452 000 canadiens avaient

fait le choix de dépasser les clivages culturels pour former un couple mixte. De quoi susciter la curiosité.

La journée mondiale du réfugié offrira une occasion de ren-dre hommage à la force et à la détermination remarquable des réfugiés et aussi une opportunité pour remercier celles et ceux qui assurent la protection des réfugiés et leur fournissent la chance de rebâtir leur vie dans la sécurité et la dignité. Pour cette édition 2008, le parvis de l’Eglise Saint-James, rue Sainte-

Catherine accueillera à partir de 15 h, stands, animations, expo-sitions et spectacles.

L’évènement pourra également compter sur l’appui de l’humo-riste Boucar Diouf et de madame Rivka Augenfeld, porte-parole de la journée mondiale du réfugié au Québec.Informations sur www.unhcr.ca

Journée mondiale du réfugié : 20 juin

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Le Jumelé Printemps 2008 9

Emploi

Droit au travail qualifiéLes diplômés s’organisent

Un nouvel organisme de défense des nouveaux arrivants est né !

Encore un, me direz-vous ? Mais le Regroupement des diplômés hors Qué-bec, RDHQ, s’attaque à un vide qu’il devenait urgent de combler pour les immigrants confrontés aux problèmes de reconnaissance de leurs diplômes et surtout de leurs compétences au Québec.

Afin de défendre le droit au travail qualifié pour les nouveaux arrivants et après avoir constaté que seuls les médecins s’étaient organisés ainsi, ce groupe a décidé de constituer un orga-nisme à but non lucratif. Si l’Associa-tion des médecins hors Québec agit depuis plusieurs années, rien n’exis-tait jusqu’à présent pour les autres métiers, renvoyant ainsi le reste des travailleurs vers les groupes commu-nautaires déjà surchargés.

La relative et récente ouverture de certains ordres professionnels aux immigrants ne peut cacher la problé-matique de l’intégration en emploi des nouveaux arrivants. En effet, qu’en est-il de l’uniformisation des reconnaissances entre le ministère de l’Immigration et des Communau-tés Culturelle (MICC), les ordres, les universités et les CÉGEP ? Chacun semble reconnaître et facturer ce qui l’arrange, à un coût qui peut atteindre parfois plusieurs milliers de dollars.

La liste des problèmes à résou-dre est longue… Qu’en est-il de la reconnaissance des compétences professionnelles et de l’expérience de travail ? Que fait-t-on pour recon-naître les compétences au poste de travail et non à travers de simples bouts de papier ? Comment régler le problème des cartes de compétences dans le secteur de la construction où le travail au noir règne en maître et où certains « fiers à bras » font la loi alors que le secteur pourrait offrir de l’ouvrage à plusieurs milliers de nouveaux arrivants ? « Les viaducs ne s’écroulent pourtant pas plus en Amérique du sud, en Europe ou en Asie qu’au Québec ! » Et que faire pour ces milliers d’immigrants surqualifiés qui travaillent en entreprise au salaire minimum alors qu’ils possèdent des compétences intéressantes pour les entreprises québécoises ?

Pour répondre à ces questions, le RDHQ se fixe donc les buts suivants :

• Regrouperetmettreenréseaulespersonnes diplômées hors Québec,

• AiderlesdiplôméshorsQuébecdans la reconnaissance de leurs diplômes, de leurs compétences et de leurs acquis professionnels,

• Fairedu lobbyingauprèsdesordres professionnels ainsi que

des instances gouvernementales et internationales pour simplifier les démarches de reconnaissances de diplômes des immigrants,

• Contribueràrassemblerlesordresprofessionnels, les OBNL, les minis-tères et les universités afin que tous travaillent à harmoniser les pratiques de reconnaissances des diplômes et des compétences pro-fessionnelles,

• Donnerunavisetcontribuerauxtravaux de recherche sur les recon-naissances de diplômes, de compé-tences et d’acquis expérientiel,

• Analyserlesretombéesstatistiques,psychologiques, économiques de la non-reconnaissance des diplômes des immigrants au Québec par sec-teur d’activité (statistiques natio-nales, locales et sectorielles) et en divulguer les résultats.

Actuellement, les statistiques du MICC rapportent que la moitié des demandeurs d’une reconnaissance de diplôme ou de formation acquise hors du Québec auprès des ordres profes-sionnels obtient une reconnaissance partielle et doit, par le fait même, compléter une formation d’appoint en vue d’une reconnaissance com-plète. Les demandeurs qui reçoivent une reconnaissance complète consti-tuent 33% de l’ensemble et ceux qui voient leur demande refusée repré-sente 16%.

En étant continuellement en rela-tion avec les organisations de défense des nouveaux arrivants, des immi-grants et des réfugiés, le RDHQ se place au cœur de la problématique de ces dizaines de milliers d’incon-nus qui, par manque de connaissance de la société d’accueil, de moyens financiers ou par découragement, ne cherchent pas à faire reconnaître leurs diplômes. ■

Bénévoles recherchés

Le RDHQ cherche des administrateurs et des membres bénévoles pour faire avancer les choses. Pour contacter l’organisme ou en devenir membre, rendez-vous sur le www.diplomes-horsquebec.com ou au siège social, dans l’arrondissement Ville Marie : 2170 rue Crescent à Montréal (514) 227-3731

Des avancées relatives au Québec

Malgré quelques bonnes intentions, le gouvernement du Québec peine à faire avancer le dossier de la reconnaissance des diplômes. Comité multipartite sur l’accès aux professions et métiers réglementés, plan d’action en matière d’éducation des adultes et de formation continue pour un accès rapide à des formations de mise à niveau, groupes de travail … Les propositions se succè-dent. Le 8 février dernier, encore, lors d’une assemblée du Conseil interpro-fessionnel du Québec, qui regroupe les 45 ordres professionnels du Québec, la ministre de l’Immigration et des Com-munautés Culturelles, Yolande James signait une entente avec le président de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

Pas de quoi pavoiser néanmoins. En effet, dans son « projet visant à facili-ter l’accès aux professions et métiers réglementés », le MICC révèle en février dernier que seulement 38 % des Ordres professionnels, soit 17 sur 45, dévelop-pent présentement ou ont développé des outils ou des mesures spécifiques à la reconnaissance des acquis et com-pétences des personnes diplômées à l’étranger qui exercent une profession réglementée. Pierre angulaire du débat sur l’intégration, la reconnaissance des diplômes et des compétences est une urgence.

Le Jumelé reviendra sur ce thème dans une prochaine édition.

La première fois que j’ai entendu « développement durable », j’ai tout de suite pensé « Environnement ». La notion, introduite en 1987 par le rapport Brundtland1, parlait d’un développement « répondant aux besoins du présent sans compro-mettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». Cette notion va donc bien au-delà… Elle souligne la double nécessité de satisfaire prioritairement les besoins essentiels de l’humanité, qui ne sont pas comblés pour une large partie de celle-ci, tout en préser-vant les richesses limitées sur les-quelles reposent nos sociétés. Pour ce faire, le développement durable s’appuie sur trois domaines, repris et développés lors de la conférence des Nations Unies sur l’environne-ment et le développement durable, en 1992, puis lors du Sommet mon-dial sur le développement durable en 2002 : l’économique, le social et l’environnemental.

un parallèle saisissant Dans le cadre d’un colloque sur le développement durable, je me suis intéressée au volet de l’emploi. Très vite, j’ai dressé un parallèle entre la mission et les services offerts au CARI St-Laurent et les valeurs défendues par la loi sur le dévelop-pement durable votée au Québec (2). En 2006, celle-ci posait 16 principes de base pour guider l’administration publique dans son action et répon-dant à certaines préoccupations majeures du rapport Brundtland, telles : la démocratie, le partage, la coopération, l’équité et la solida-rité sociale, le respect, la paix et les droits humains.

De façon plus précise, je me suis demandée quels étaient les besoins d’un nouvel arrivant en terme d’em-ploi, la réalité du terrain et l’impact sur les générations futures d’une intégration réussie ou non.

Pour un immigrant, l’emploi est une voie prioritaire vers l’inté-gration. Economiquement, cela lui permet d’assurer sa survie et celle de sa famille s’il y a lieu. Mais ce n’est pas tout ! Réussir à obtenir un emploi dans son domaine, utiliser les compétences acquises hors Canada

et continuer à les développer, voilà le fruit d’une intégration réussie ouvrant la voie, ensuite, vers des postes plus élevés prompts à amé-liorer sa qualité de vie.

D’un point de vue social, retrou-ver son domaine professionnel à un poste proche ou dans ses compétences évite la frustration liée au déclassement social et au senti-ment de perte d’utilité. L’emploi reste également un bon moyen d’inté-grer les codes culturels de la société d’accueil.

Quant à l’aspect environnemen-tal, il me semble difficile de sensibi-liser une personne sur ces questions lorsqu’elle est en état de survie. Par contre, un immigrant peut être por-teur d’idées novatrices pour l’entre-prise afin de lui permettre d’évoluer dans une approche d’économie de ressources et de protection de l’en-vironnement. Les difficultés que vivent les employeurs pour renouve-ler et conserver leur personnel sont une réalité criante. Or, une autre réalité, culturelle cette fois, réside dans l’implication des immigrants habitués à avoir de longues carrières au sein de la même compagnie. Les entreprises d’ici ont donc tout inté-rêt à embaucher ces salariés prêts à s’investir durablement.

Enfin, l’impact d’une bonne intégration demeure crucial pour la deuxième génération. Une des raisons majeures de l’immigration consiste à donner un avenir à son enfant, ce qui passe par une bonne scolarisation. Or, comment l’envi-sager dans un foyer où le manque de moyens matériels et l’ambiance de frustration peuvent conduire les jeunes à décrocher et à se retrouver dans la rue, compromettant ainsi leurs capacités à répondre à leurs besoins futurs ?

Depuis toujours, l’action du Cari Saint Laurent favorise l’ac-cès, dans l’égalité, aux ressources et lutte contre l’exclusion sociale en s’appuyant sur des principes que nous retrouvons dans la loi Québécoise sur le développement durable. ■

1- « Notre avenir à tous », publié dans le cadre de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement.

2- www.menv.gouv.qc.ca/developpement/resume-loi.pdf

Travail et intégrations’employer à s’intégrer…. Durablement

L’auteure est directrice du développement Gestion RH+, coopérative de solidarité

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L’auteure est conseillère en emploi.

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Souvent cantonnée à un volet environnemental, la notion de développement durable doit également être au cœur de la politique d’intégration et d’emploi

comme s’y attelle le Cari Saint Laurent.

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Je me suis demandée quels étaient les besoins d’un nouvel arrivant en terme d’emploi, la réalité du terrain et l’impact sur les générations futures d’une intégration réussie ou non.

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Le Jumelé Printemps 200810

Jeunes raccrocheursLe Mentorat : un projet prometteur

Lidia* a 22 ans. Elle a quitté l’école à 16 ans, enceinte. Aujourd’hui, elle

entreprend de terminer son secondaire pour s’offrir un meilleur avenir pro-fessionnel et aussi, aider son enfant à faire ses devoirs, plus tard. Le fran-çais n’est pas sa langue maternelle et malgré la difficulté à en comprendre certaines règles, elle reste déterminée. Arrivé au Québec à 16 ans avec ses parents, Karim a tout de suite tra-vaillé dans la restauration. Cinq ans plus tard, son salaire ne lui offrant pas le niveau de vie qu’il souhaite, il retourne à l’école pour obtenir son diplôme d’études secondaires (DES). Son objectif ? Avoir sa propre compa-gnie. Toutefois, il a besoin d’aide en mathématiques et c’est pourquoi il a poussé la porte du bureau de Valérie, aujourd’hui, pour s’inscrire au pro-gramme Persévérance scolaire de la Maisonnée, offert aux élèves du Centre Marie-Médiatrice.

Prévenir le décrochageQu’est-ce au juste que le projet Per-

sévérance scolaire ? Chapeauté par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, il s’agit d’un service offert aux jeunes raccrocheurs issus de l’im-migration qui éprouvent des difficultés sur le plan académique. Ces étudiants ont la possibilité d’être jumelés à un mentor qui les aidera dans leur che-minement.

Dans les centres d’éducation aux adultes, les cours magistraux sont rares. Les élèves travaillent seuls et demandent des explications au pro-fesseur au besoin. « Les cours durent deux heures et il y a en moyenne 40 élèves par classe », explique Valérie Breau de la Maisonnée, « de sorte que

l’enseignant n’a environ que trois minutes par élève ! ». Bref, les profes-seurs manquent de temps pour aider adéquatement les élèves en diffi-culté… qui risquent de se décourager et d’abandonner.

Des résultats ?« Année après année, nous consta-

tons que les élèves inscrits au pro-gramme terminent tous leur année scolaire » se réjouit Valérie. « En fait, le soutien du mentor peut être l’élément clé, le petit coup de pouce qui va moti-ver le jeune à persévérer. » Elle relate le cas de Yoan. Introverti et timide, il avait beaucoup de difficultés à l’école et très peu confiance en lui. « Quand il s’est inscrit au programme, il avait de gros risques de décrocher dans un proche avenir », affirme Valérie. Mais la rencontre avec son mentor lui a permis de retrouver graduellement la motivation pour poursuivre ses études. Non seulement ses résultats scolaires se sont améliorés, mais il a pris de l’assurance et a surmonté sa timidité. À preuve, il a décidé de se joindre à une équipe d’élèves qui préparent un voyage en Espagne, organisé par l’école. Aujourd’hui, il fait du béné-volat à la cafétéria du Centre Marie-Médiatrice et organise toutes sortes d’activités en prévision du départ.

Le mentor et son rôle Les mentors peuvent être des étu-

diants universitaires, des profession-nels, des enseignants retraités. Les qualités recherchées sont la capacité de communiquer la matière, la matu-rité relationnelle, l’ouverture d’esprit, la réceptivité à l’égard des difficultés et du vécu des décrocheurs en particulier et des immigrants en général.

Le mentor joue un rôle de moti-vateur, de guide, d’accompagnateur. Il favorise l’autonomie académique, personnelle et professionnelle de l’élève. Autrement dit, le suivi est axé sur l’évolution scolaire mais tou-

che aussi les sphè-res personnelle et psychosociale.

« M ê m e a p r è s la période de suivi, beaucoup de jeunes et de mentors restent en contact. », précise Valérie. C’est dire si l’expérience s’avère enrichissante pour les deux parties. Après seulement quatre ren-contres, Isabelle, men-tor, en témoigne : « Je ne savais pas à quoi m’attendre parce que je connais très peu cette génération et que je n’ai pas d’ex-périence d’enseigne-ment. Ça m’a permis d’explorer ma créati-vité d’une façon très valorisante et aussi de découvrir que je pouvais être sur la même longueur d’on-des qu’une fille de 18 ans issue d’une culture différente, même si j’ai le dou-ble de son âge et presque rien en com-mun avec elle au départ ».

En plus d’assurer un suivi adapté à chaque dyade, l’équipe de la Mai-sonnée propose aux mentors diverses formations, par exemple sur la relation d’aide, le soutien aux apprentissages, la communication interculturelle.

Mis en place à titre exploratoire depuis 2004 dans deux centres d’édu-cation des adultes de la métropole, le programme sera étendu à de nom-

breux établissements dès septembre 2008. La demande de mentors risque donc d’augmenter dans les prochains mois et les prochaines années ! ■

Voyageuse en dehors des sentiers battus, Anouk Lanouette-Turgeon est également traductrice et étu-diante au certificat en immigra-tion et relations interethniques.

anouK lanouette turgeon

Jeunes

MARTIN LEMAYdéputé de Sainte-Marie-Saint-Jacques

576, rue Sainte-Catherine Est, bureau 200Montréal (Québec) H2L 2E1Téléphone : 514 525-2501Télécopie : 514 [email protected]

23, 24 et 25 mai Ethnoculture présente Catharsis 2008

films, ateliers et conférences Pour une zone de compréhension mutuelle des différences culturelles, sexuelles et raciales

Au Québec, les minorités ethnoculturelles vivent parfois en marge de la société québécoise et restent ancrées dans leurs traditions et leurs préjugés.L’éducation et la communication des valeurs et des droits fonda-mentaux attribués à la différence (sexuelle, religieuse ou ethnique) sont des besoins quotidiens pour l’ensemble des communautés ethnoculturelles. La sexualité y est souvent un tabou et l’homo-sexualité est condamnée comme un acte barbare ou est considé-rée comme une maladie occidentale qui risque de contaminer toute la famille ou encore comme un crime à punir absolument. Elle est généralement ressentie comme un déshonneur pour la famille et la communauté.

Les communautés LGBTTT ethnoculturelles sont ignorées et souvent discriminées au sein même de la communauté LGBTTT québécoise.Ethnoculture offre pour une troisième année un événement culturel unique, propice au dialogue, au respect et à la compré-hension mutuelle des différences culturelles, sexuelles et raciales afin de prévenir et combattre les préjugés, la discrimination et l’intolérance. Toutes les activités de l’événement sont gratuites et se tiendront à l’UQAM. Tout le programme sur www.ethnoculture.org

Bourse Jeunes promoteursA l’image de ce qu’offre le Service d’aide aux jeunes entrepreneurs (SAJE), la Fonda-tion du Maire de Montréal pour la jeunesse (FMMJ) propose aux 18-35 ans issus des communautés culturelles et qui vivent à Montréal une aide au démarrage de leur entreprise, allant jusqu’à 10 000 dollars. Les candidats ont jusqu’au 2 mai pour déposer leur dossier en vue de l’obtention de cette bourse et des services offerts. Pour plus d’informations www.fmmj.ca

La Maisonnée est présentement à la recherche de nouveaux mentors. Si l’expérience vous intéresse, communiquez avec Valérie Breau ou Marion Herry au 514 271-3533. L’engagement bénévole demandé est de deux heures par semaine pendant toute l’année scolaire ou pour une période minimale de trois mois.

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Le Jumelé Printemps 2008 11

Son bout de la TerrePour y plonger racines

Régions

Voilà près de quinze années qu’elle vit à Montréal. Jusqu’à présent, il

lui a toujours semblé que c’était elle qui avait fait ce choix. N’avait-elle pas d’ailleurs décidé par elle-même d’im-migrer ? Ne reconduisait-elle pas elle-même cette option, à chaque année qui passe, malgré un léger mais lancinant leitmotiv : ici, ailleurs, rester, partir, retourner au pays ?

Avec le temps, l’âge avançant et les priorités évoluant, un sentiment tenace précisait lentement son œuvre, jouant avec la migrante, faisant dan-ser sa psyché comme un bouchon de liège sur la vague, le cœur et le corps ballotés, d’un continent à l’autre, d’une culture à l’autre. Difficile dans ce contexte d’enfouir ses racines plus profondément que le creux de ces vagues. Difficile pour elle de savoir où poser ses valises et le plus souvent ses armes.

Bien sûr il y a la job, les amis, les différents engagements familiaux et sociaux. Il y a aussi les expressions et le goût du terroir de son nouveau pays qui coulent maintenant dans ses veines. Tout cela est désormais acquis depuis bien longtemps déjà.

Mais il demeure ce petit quelque chose, cette subtile saveur distincte, cette résonnance absente, cette cica-trice qu’un indigène ne possède pas : celle d’une filiation partiellement reçue et donc partiellement transmissible, lorsque l’on vit en terre d’adoption.

Il avait fini par comprendre l’enjeu qui se présentait sur leur route. Cette année enfin, il se décidait à faire quel-que chose s’il voulait la garder près de lui. De son côté, elle s’efforcerait de lâcher-prise et de le laisser agir : ce serait à lui de lui faire signe, à lui de s’imposer en douceur, avec la force de l’évidence.

C’est ainsi que deux clics de souris échangés avec Antoine et Jean-Fran-çois allaient précipiter le bouchon sur une rive tangible.

Cet hiver, emmitouflée dans son Kanuk, le regard fixé à l’horizon de deux rivières gelées, elle a dit oui : elle est devenue propriétaire d’un lopin de terre dans la Maskinongé.

En lui offrant un bout de leur terre

à bois, ces deux amis ne se doutaient pas de la portée de leur geste. Leur terre allait offrir à l’immigrante un chez-soi quelque part. Elle en « pleu-rit », comme dira son fils.

Cette fois c’est vrai, le Québec l’at-trape... et la retient.

Le Québec décide de la faire sien et lui demande de lui appartenir.

L’expérience est loin d’être ano-dine. Son dorénavant bout de la Terre fait naître chez elle des réponses aux absences de questions et plus précisé-ment encore, il lui offre une reconnais-sance dont elle ne soupçonnait pas le besoin. Oui, une Re-Co-Naissance. Un sentiment certainement partagé par la plupart des immigrants, d’où qu’ils soient et où qu’ils aillent.

En même temps, cette terre signe un point de non-retour. L’Europe et ses racines originelles ne devront sans doute plus être envisagées comme une alternative d’avenir pour elle. Le deuil sera à faire.

Accrochée à flanc de vallons, la petite bourgade d’Hunterstown, aujourd’hui rattachée à Saint-Paulin, devient une invitation à explorer la permanence des éléments, un repère à construire.

Elle se surprend à constater com-ment les gens de la région prennent le temps de vivre, d’être, de parler, d’écouter et de répondre à ses ques-tions.

Elle y revisitera l’histoire du Qué-bec dont elle se sent dorénavant partie intégrante.

Finalement, elle commencera à mieux comprendre pourquoi les gens d’ici sont comme ils sont. Elle sait qu’elle apprendra à les aimer autre-ment et sans doute mieux qu’elle n’a pu le faire jusqu’ici, en ville.

Dès que la neige aura fondu et que le sol sera dégelé, elle ira enterrer ses armes de migrante, à l’ombre du pin rouge. Quinze années lui auront été nécessaires avant de se sentir légiti-mement reconnue dans son nouveau pays. ■

Ça y est... elle l’a fait… ou plus exactement, lui l’a fait. Le long d’une route enneigée, devant une étendue de glace, à l’ombre d’un pin rouge, il lui a

demandé d’unir sa destinée à la sienne.

BlanDine PhiliPPe

Vous êtes une personne immigrante ?Le Centre multiethnique de Québec vous offre des services, individuels

et collectifs, adaptés à votre situation.

369, rue de la Couronne, 3e étageQuébec (Québec), G1K 6E9

Tél. : (418) 687-9771www.centremultiethnique.org [email protected]

Heures d’ouverture : du lundi au vendredi 8 h 30 à 12 h / 13 h à 16 h 30

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un chez-soi quelque part

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Le Jumelé Printemps 200812

Histoire

La Société du 400e ne pouvait décem-ment oublier les Premières Nations au moment de célébrer la capitale provinciale. C’est donc avec enthou-siasme que les organisateurs ont invité les Hurons-Wentake à partici-per aux préparatifs de l’évènement. Désignés comme Nation-Hôte en raison notamment de leur proximité géographique avec Québec, ces der-niers ont pris la tête de la délégation autochtone pour faire le lien avec la Société du 400e.

De concert avec les autres com-munautés dont l’Assemblée des Premières Nations du Québec et Labrador, les Hurons-Wentake et leur Grand Chef Max Gros-Louis (photo ci-contre) ont concocté un programme libre et varié célébrant l’art traditionnel et contemporain. « Il était important que tout le monde soit représenté pour enseigner la richesse de notre culture et favoriser un échange avec le public » insiste Marcel Godbout, président de l’Of-fice du tourisme Wendake.

Aux côtés des célèbres Pow Wow, danses, musiques et chants tradition-nels, le cinéma et les arts autochto-nes modernes ont donc été associés à cette astucieuse programmation dont le point culminant sera sans doute la méga production musicale mise en scène par Jacques Crête et jouée par des artistes autochtones, Kiugwe1.

Culture en vitrine, histoire en sous-sol

Si tout le monde semble se félici-ter de cette « vitrine inédite pour la mise en valeur de nos savoir-faire », quelques voix s’élèvent pour agiter le spectre de la folklorisation. Auré-lie Arnaud de Femmes Autochtones du Québec ne cache pas ses craintes : « nous réfléchissons à la manière de participer mais restons un peu méfiantes vis-à-vis de l’image véhi-culée ». Difficile de faire valoir la question des femmes autochtones

dans une programmation qui accorde beaucoup de place au culturel mais néglige les réalités plus gênantes du passé et du présent.

Dans l’organisation de telles festivités, gare aux maladresses et vogue la diplomatie triomphante d’une nation unie derrière sa jolie capitale. Au risque de glisser sous le tapis le linge sale des histoires de famille.

Pourtant, avec un regroupement international exceptionnel per-mettant aux Chefs d’au moins 40 Nations et à quelques 400 représen-tants autochtones du Canada de se retrouver pour un sentier symboli-que, le 17 juillet, l’occasion serait belle de faire connaître les ombres de l’histoire et les enjeux actuels des luttes menées sur le terrain par les Premières Nations.

Pour Marcel Godbout, « mieux vaut laisser ça aux politiciens et pri-vilégier l’aspect culturel pour mettre en valeur la richesse de notre patri-moine millénaire ». Même son de cloche du côté de la Société du 400e car « on ne peut réécrire l’histoire ». Ni sans doute parler du présent, pas question de gâcher la fête !

initiative individuelleReste que certains, sans vouloir

jouer les rabat-joie, préfèrent agir de leur côté comme Ernest Domi-nique. Avec son collectif « Je me

souviens… des premiers contacts », l’artiste autoch-tone présentera au Musée des civilisations de Qué-bec, une exposition musi-cale retraçant l’histoire des Premières Nations à tra-

vers trente toiles réalisées avec des teintures naturelles sur des peaux de caribous, sur une trame sonore de l’artiste innu Florent Vollant. De quoi combler le vide laissé par le 400e qui « privilégie les festivités et traite peu d’histoire », selon Ernest Dominique. Certes, faire la fête, c’est important, mais ça ne suffit pas pour raconter 400 ans. ■

1 « Le temps de la rencontre » en langue wendat

Premières nations400e : une occasion à saisir ? Benjamin Vachet

Quelques dates à retenir 21 juin : Journée nationale des Autochtones

17 juillet : Grande marche des Premières Nations

Du 18 juillet au 7 septembre (les fins de semaine) : Kiugwe de Jacques Crête à l’amphithéâtre de la Nation à Wendake avec une partie déambulatoire dans le village et aux abords de la chute Kabir Kouba.

Du 8 au 17 août : Danses et chants traditionnels

Du 16 août au 7 septembre : Arts visuels et artisanat

Du 5 au 13 septembre : Contes et légendes

À partir du 18 septembre : « Notre histoire dans tous les sens », exposition musi-cale du collectif « Je me souviens... des premiers contacts », avec souper gastronomi-que lors du vernissage Réservations et renseignements sur le : www.ernestdominique.ca

Détails et informations sur le programme du 400e sur le www.tourismewendake.com ou sur le

www.monquebec2008.sympatico.msn.ca/monQuebec2008

les communautés aussi participent !

Terre d’immigration, le Québec associe également ses communautés culturelles à la Fête. Ainsi, Québec Interculturel 2008 propose plusieurs activités sur le thème de l’immigration, célébrant leur participation à la construction et à l’épanouissement de la société qué-bécoise. Découvrez notamment, tout au long de 2008, l’exposition « Québec interculturel depuis 400 ans déjà », une rétrospective en images et en textes de l’histoire des communautés culturelles au Québec.www.quebec-interculturel.org

Basé sur le thème de « la Rencontre », le 400e anniversaire de la fondation de Québec a logiquement intégré les Premières Nations à sa programmation.

L’occasion de promouvoir la culture autochtone mais pas nécessairement son histoire passée et présente.

Une programmation qui accorde beaucoup de place au culturel mais néglige les réalités plus gênantes du passé et du présent

« Notre passé, notre avenir : nos enfants »Du 22 au 24 mai, la prochaine consultation du Conseil Canadien pour les Réfugiés (CCR) mettra l’accent sur « l’intérêt supérieur de l’enfant » à travers le thème « Notre passé, notre avenir : nos enfants ». A Winnipeg, le public est invité à venir réfléchir aux façons de sup-primer les obstacles auxquels font face les réfugiés et les immigrants avant, pendant et après leur arrivée au Canada. Informations et inscription sur le site internet www.ccrweb.ca

Conseil des droits de l’Homme à Genève ne pas assimiler l’islam au terrorisme Ce 27 mars, le Conseil des droits de l’Homme a adopté six résolutions parmi lesquelles, une portant sur la protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales dans le contexte de la lutte contre le terrorisme. Le Conseil a condamné la diffamation des reli-gions dans une résolution qui mentionne uniquement l’islam et critique les « stéréotypes délibérés visant des religions et des personnes sacrées dans les médias ». Le texte déplore « l’utilisation de la presse écrite, des médias audiovisuels et électroniques », afin d’inciter « à des actes de violence, à la xénophobie ou à l’intolérance » et à « la discrimination à l’égard de l’islam ou de toute autre religion ».

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Le Jumelé Printemps 2008 13

Saviez-vous que ?

Il est surprenant de retrouver dans les travaux de la commission Bou-chard-Taylor beaucoup des thèmes, observations, questionnements et propositions évoqués il y a bien long-temps… Jugez plutôt : on y parle d’un « contexte de dénatalité, d’une quête identitaire et d’un chômage structu-rel », on s’y interroge sur les « buts de l’immigration », la « politique de recrutement des immigrants » et sur « leur intégration au sein de la société québécoise ». Voilà qui sonne comme un air de déjà vu et nous renvoie deux décennies en arrière…

un même constatEn matière d’intégration et de

scolarité*, il y a 20 ans, les cher-cheurs observaient que si les enfants qui arrivent très jeunes s’intègrent facilement dans les écoles primai-res à faible concentration ethnique, l’intégration est plus difficile au secondaire pour les jeunes immi-grés à cause de la faible force insti-tutionnelle de l’école. Observation, avouons-le, encore tout-à-fait per-tinente aujourd’hui. En a-t-on alors tiré une leçon au niveau de la sélec-tion et de l’intégration des immi-grants à l’école ?

Concernant l’intégration cultu-relle, le Québec était déjà présenté comme ayant des difficultés à affir-mer son identité politique. Les

chercheurs se demandaient alors comment aider les jeunes impliqués dans des tensions interraciales et interculturelles, à définir leur identité propre et leurs modes d’intégration au Québec, mais aussi comment la province, avec son vécu de minorité, composera-t-elle avec ses minorités pour cheminer vers l’acceptation de la différence dans une démarche de cohésion sociale ? A partir de quels critères définit-on le « Québécois », questionnent-ils ? Avant de s’interro-ger : « comment demander aux immi-grants de s’intégrer en leur envoyant régulièrement dans le même temps le message qu’ils ne sont pas Qué-bécois ? ». « Le besoin s’impose », concluaient-ils, « de clarifier la poli-

tique nationale à ce niveau ». Obser-vations et questionnements revenus encore une fois lors des débats de la Commission Bouchard-Taylor !

Quant à l’intégration au mar-ché du travail, les chercheurs souli-gnaient la détérioration de l’emploi immigré observée depuis 1981 : ces derniers subissant une déqualifica-tion en arrivant au Québec, occupant des emplois sous-qualifiés, concen-trés dans les secteurs manufacturiers et des services et étant pratiquement absents des administrations publi-ques et parapubliques. On croirait lire l’article du jour d’un quotidien actuel ou le dernier rapport de quelque organisme local sur la question !

D’où les questions posées à l’épo-que : les conditions d’accessibi-lité à la formation et à l’emploi

permettent-elles aux membres des communautés culturelles de s’inté-grer aisément à la vie économique québécoise ? Comment valoriser leurs formations et leurs expérien-ces acquises hors du Québec ? Au vu de l’ampleur de la crise de l’em-ploi immigré aujourd’hui, il semble que ces interrogations n’aient guère interpellé les responsables politi-ques.

bonnes questions, peu d’actionsSe pose alors la question de

l’impact réel de la recherche aca-démique sur la politique de l’immi-gration ? Beaucoup de travaux de recherche sont réalisés sur cette pro-blématique mais pourquoi ne débou-chent-ils pas dans les cas lourds en particulier, comme celui de l’emploi, sur des politiques et des plans d’ac-tion efficaces et concrets ? Pourquoi continue-t-on à ressasser le même constat de difficultés d’intégration depuis plus deux décennies ? La recherche académique serait-elle déficiente et ses résultats non-opé-

rationnels ou bien ses recommanda-tions se heurtent-elles à des intérêts hostiles à l’ouverture tout-azimut de la société québécoise sur les immi-grants ?

Autant de questions qui là encore, demeurent en suspens. ■

*- Les communautés culturelles au Québec et la recher-

che en éducation. Actes du 1er colloque du Groupe

d’Intérêt sur le Pluralisme Ethnique en Éducation

(GIPEE) tenu les 2 et 3 mai 1990. Édités par Elca Tar-

rab, Ginette Plessis-Bélan et Yves Girault, Université de

Montréal : Faculté des Sciences de l’Éducation, 1991.

Immigration et intégrationComme un air de déjà vu

Titulaire d’un doctorat en sciences de l’éducation, Mekki Merrouni est formateur du SEIIM. Il s’inté-resse plus particulièrement à l’interculturel et l’éducation en milieu pluriethnique.

meKKi merrouni

La commission Bouchard Taylor a généré un vaste engoue-ment de la part des Québécois et Québécoises. Pour preuve, elle se classe en deuxième position des consultations publi-ques les plus prolifiques en matière de mémoires reçus, derrière la Commission nationale sur l’avenir du Québec de 1995. En effet, 901 documents ont été remis lors des audiences. Si le nombre ne fait pas la qualité, l’un d’en-tre eux, également soumis au Jumelé, fait preuve d’une grande ambition.

Inspiré par le projet d’un Musée canadien des droits de la personne à Winnipeg (Manitoba), Vincent Léger, consul-tant en valorisation patrimoniale et en développement socioéconomique durable, propose de mettre sur pied dans la province, à Montréal ou à Québec, un « lieu public national pour efficacement améliorer la compréhension interculturelle ». L’édifice serait chargé de faire mieux

connaitre l’histoire de l’implantation des communautés culturelles sur le territoire de l’Amérique du nord. Cette idée novatrice permettrait, par exemple, d’en savoir plus sur la formidable et méconnue histoire de la migration des autochtones depuis l’Asie, celle des Français depuis la région de Le Perche ou bien encore, celle des diasporas acadienne, haïtienne, irlandaise, italienne…

Face à un investissement colossal de 105,75 millions de dollars majoritairement financés par le fédéral pour l’éla-boration du Musée de la guerre à Ottawa, l’auteur de ce mémoire pose une question cruciale dans son plaidoyer : « Axer nos sites historiques sur des questions militaires est-il toujours pertinent et est-ce véritablement ce qu’il y a de mieux ou de plus important à connaître et à transmettre dans la culture du Québec et du Canada ? ». Affaire à suivre…

Repenser les muséescr

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Pourquoi continue-t-on à ressasser le même constat de difficultés d’intégration depuis plus de deux décennies ?

Le récent débat sur les accommodements raisonnables et son prolongement dans les forums de la commission Bouchard-Taylor fait ressurgir la question

de l’immigration au Québec. Une question pourtant déjà largement traitée dans les années 80 et 90.

La commission prend son tempsAnnoncé pour le 31 mars 2008, le rapport des consultations de la commission Bouchard-Taylor ne sera finalement publié que deux mois plus tard. Dans un communiqué du 5 mars, le conseil des Ministres a fait savoir qu’il accordait ce délai tenant compte des remarques des coprésidents déclarant que « les consultations publiques se sont terminées peu avant Noel, si bien qu’il ne restait guère que deux mois pour produire le rapport. Cependant, la tâche est énorme. Il faut mettre à profit une masse impressionnante de documents et maîtriser de nombreuses questions très complexes .»

Voyage culinaire Jusqu’au 8 mai, l’artiste originaire du Saguenay-la-Saint Jean, Andrée Anne Vien, part à la découverte de la diversité culturelle montréalaise via son cosmopolitisme culinaire. Son projet Les lieux invisibles invite le public à venir partager un repas avec l’artiste pour s’interroger sur la représentation de la culture d’un pays à travers sa cuisine. Les restaurants deviennent alors des lieux de rencontres culturelles et de connaissances.

Une initiative originale à apprécier sur réservation au www.leslieuxinvisibles.ca

La commission Bouchard-Taylor : retour vers le futur ?

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Le Jumelé Printemps 200814

Comment la civilisation occiden-tale, fière de son libéralisme et de

sa rationalité, riche d’une production culturelle au-dessus de tout soupçon, a-t-elle pu dévaster et piller le reste du monde depuis des siècles, allant jusqu’au génocide et à l’esclavage, mais en toute bonne conscience?

C’est la question fascinante que commencent à poser les écrits post-colonialistes, un nouveau champ de réflexion qui gagne nos universités.

Edward W. Saïd – décédé récem-ment – a signé L’orientalisme (1979), magistral déboulonnage de l’image qu’ont créée des « Orientaux » les écri-vains et cinéastes des pays colons : tissu de stéréotypes et fantasmes « exotiques », qui dénient l’humanité et les droits des populations atta-quées, exploitées. (La pornographie ne fait pas autre chose à l’endroit des femmes.)

Dans un deuxième ouvrage, dense et instructif, Culture et impérialisme, Saïd retourne le projecteur et décons-truit l’image que s’est donnée de lui-même le Blanc dans ce processus de « rencontre impériale » entre notre civilisation et les leurs, bafouées.

Il analyse des auteurs-phares de l’Occident – Dickens, Austen, Conrad, Verdi, Balzac, Camus… –, mais aussi le vécu et les écrits des peuples enva-his, dans un extraordinaire travail de synthèse de cultures que nous avons combattues, niées.

« L’empire suit l’art »On imagine facilement la production culturelle comme flottant au-dessus des marécages de la politique... Ce serait l’affaire de « monuments intel-lectuels, affranchis de toute attache avec le monde », ironise l’auteur.

Même quand on reconnaît le poids de l’impérialisme, on peut voir

la culture comme un simple reflet de cette politique, de l’infrastructure économique.

Saïd – qui se décrivait comme un intellectuel « vivant entre deux mon-des », sa Palestine natale et la France – oppose à ces réductions un auda-cieux bond en avant. Il propose, avec le poète William Blake, que « l’empire suit l’art, et non l’inverse ».

La littérature coloniale et son dis-cours sur « l’Autre » auraient nourri l’aventure coloniale, créant la bonne conscience du tyran. Rudyard Kipling (Kim) a été jusqu’à plaindre le « far-deau de l’homme Blanc », sacrifiant

sa santé pour « civiliser » l’Inde et l’Afrique…

Mais ce point de vue est aussi devenu un piège où s’est enfermé le colo-nisateur, avec l’inven-tion de son bon droit à exporter ses valeurs manu militari.

notre point aveugleÉmerge de ce livre un portrait nuancé et généreux – mais d’autant impla-cable – de l’impensé de la culture « occidentale », le point aveugle du pouvoir impérial, éclairé à partir de la résistance multiforme des peuples expropriés.

Dans le cas du racisme, cet impensé est la « blanchitude ». Saïd met à jour un pseudo-universalisme et un aveuglement face aux êtres traités comme moins qu’humains, même chez des auteurs comme le

Joseph Conrad au Congo ou Graham Greene en Haïti qui comprennent très bien leur place mais restent incapa-bles d’imaginer l’avenir.

Difficile de ne pas penser à nos médias, tétanisés au sujet des impas-ses de nos « missions » afghanes et irakiennes ou d’autres effets génoci-daires de la politique US.

Culture et impérialisme – une lec-ture passionnante et un fil d’Ariane pour échapper aux nouvelles sim-plifications auxquelles nous invite un empire prêt à tout, y compris se redonner la position traditionnelle du missionnaire. ■

Culture et impérialisme, Edward W. Saïd, Fayard/Le Monde diplomatique, 2000, 558 p., 44.95$

edward saïd et la bonne conscience du tyran

Histoire africaine La parole et le vent

martin Dufresne

« Il faut un réajustement remarquable et massif des idées et des perspectives pour mesurer tout ce que la décolonisation, la culture de la résistance et la littérature d’opposition à l’impérialisme ont apporté à l’art moderne. »

entendue de christine aDjahi (BÉnin) et écrite par myriame el yamani

Deux amis marchent dans le désert. Ils placotent, s’amusent à se souvenir de leur enfance, s’émerveillent des dunes qui se renouvellent sans cesse. Ils marchent encore et écoutent le silence prometteur d’une belle journée.

Ils marchent toujours et commencent à se disputer pour un rien. Ils ne se souviennent même pas de quoi. Le premier gifle le second, apparemment sans raison. Celui-là a la joue toute rouge, mais ne dit rien. Il prend une brindille et écrit sur le sable : « Mon ami m’a giflé ».

Ils recommencent à marcher, sans dire un mot. Le soleil est chaud, terriblement chaud et ils ont très soif. Ils marchent encore et écoutent le silence tendu de cette dispute.

Ils arrivent près d’une oasis, avec en son milieu un cours d’eau.Sans hésiter, ils se déshabillent et plongent dans l’eau fraîche et agréable. Tout d’un coup, le second, celui qui a été giflé, crie « au secours », car il ne sait pas nager. Le premier se précipite, prend son ami sur ses épaules et le sort de l’eau.Tout essoufflés, l’un et l’autre, ils se regardent sans un mot.Remis de ses émotions, le second cherche et trouve une pierre sur laquelle il grave : « Mon ami m’a sauvé la vie ».

Et ils repartent sur ce chemin de désert, regardant les étoiles pour ne pas perdre la piste. Au bout d’un certain temps, le premier demande au second : « Dis-moi, pourquoi as-tu fait cela ? »Une fois, tu écris sur le sable : « Mon ami m’a giflé » ; une autre, tu graves sur la pierre : « Mon ami m’a sauvé la vie ». Dis-moi pourquoi ? Ça n’a aucun sens ».« Tu sais », lui répond le second, « quand il t’arrive quelque chose de grave, de difficile, d’insurmontable dans la vie, il faut l’écrire sur le sable, pour que le vent du pardon l’envole. Mais quand il t’arrive quelque chose de bien, de mémorable, d’agréable, il faut alors le graver sur la pierre... la pierre du cœur... qu’aucun vent ne peut jamais emporter ».À ce moment-là, les deux amis ont écouté le silence de la vie et le bien qu’il procure. ■

Culture

Lecture

Ce conte vous a plu ? Vous aimez rêver, voyager ? Vous évader à travers les récits oniriques de plus de deux cents conteuses, conteurs, musiciennes et musiciens venus des quatre coins du Monde ? Cela est rendu possible grâce à la Maison Internationale du Conte.

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Le Jumelé Printemps 2008 15

Culture

L’an passé, dans le cadre d’un pro-jet pilote financé par le ministère de l’Immigration et des Communautés Culturelles (MICC), nous avons ren-contré dix de ces immigrants musi-ciens, arrivés au cours des deux dernières années. Quatre sont des professionnels comme Brahim, ancien saxophoniste de l’orchestre maison du Roi du Maroc, Shuni, Taïwa-naise, championne nationale de flûte chinoise en bambou (dizi) qui mêle également son souffle aux musiques actuelles, Pedrito, guitariste issu d’une famille de musiciens tradition-nels cubains ou encore Alex, batteur européen qui roule sa bosse avec des groupes de pop de chaque côté de l’Atlantique.

Quatre autres sont musiciens amateurs tel Radouane qui tricotait son luth (oud) chaque fin de semaine avec un band de quartier en Algérie, Véronique qui a toujours chanté dans une chorale communautaire, un gos-pel universitaire ou un groupe funk, Igori capable de jouer les standards américains arrangés pour accordéon moldave, et Fulgence, originaire du Sénégal, venue de la région pari-sienne où elle animait des groupes de rue dans le cadre de projets d’intervention sociale. Enfin, il y a aussi Alberto, le Colombien qui pianote et synthétise une musique New Age à saveur andine, et Gérard Carcagno qui gratte du Brassens et animait des ateliers d’éveil musical dans les garderies.

Si les priorités de ces immigrants sont de trouver un logement et une job, leur souhait serait également de continuer la musique. Pas nécessai-rement pour en tirer profit mais au moins pour garder vivante cette acti-vité culturelle épanouissante et ras-sembleuse qui adoucit les mœurs. Or, et bien que la musique soit, au Qué-bec, le facteur culturel le plus authen-tique, ces musiciens immigrants peinent à jouer de leur mandoline une fois arrivés sur la terre d’accueil. Et souvent, hélas, ce potentiel musical se déshydrate ou s’en va ailleurs.

que vive la musique !L’expérimentation d’un mécanisme d’accueil spécialisé pour les musi-ciens pourrait accélérer le temps et les coûts d’acclimatation et d’inté-gration des immigrants. Cette année, nous recruterons une soixantaine de nouveaux arrivants pour les soutenir dans leurs démarches d’intégration socioculturelle à travers des projets dans les milieux scolaire et commu-nautaire.

Dans les écoles primaires, ils par-ticiperont notamment à des activi-tés de francisation. Par exemple, un joueur de sax d’origine pakistanaise se présentera dans la classe d’une demi-douzaine de jeunes pakistanais. Il y animera une rencontre-discussion sur la musique, la culture et la vie des jeunes là-bas. Les élèves seront ainsi amenés à exprimer, en français, leur culture maternelle. En plus de favo-

riser l’usage de la langue, ces inte-ractions renforceront l’apprentissage du vivre ensemble. Cette expérience

de reconnaissance culturelle dévelop-pera le sentiment d’appartenance à la communauté francophone.

Avec le Réseau des Maisons de Jeunes de Montréal, nous allons aussi créer des groupes de percus-sions brésiliens, africains, antillais... Et par la suite, faire en sorte que les jeunes échangent leurs expériences musicales.

Mélange des genres Enfin, pour unir toutes ces petites entreprises intersociomusicales, une série de rencontres sera organisée entre musiciens québécois et musi-ciens fraîchement débarqués. Orga-nisés par notre partenaire, le Bain Mathieu, ces rendez-vous hebdo-madaires débuteront à partir de juin sous le titre : « Les Mardis au Bain ». Des artistes issus de la relève musicale québécoise accueilleront en musique, seuls ou en groupe, des musiciens

venus d’Asie, d’Europe, d’Afrique ou d’Amérique Latine. Le concept de ces soirées donnera l’occasion aux nou-veaux arrivants de se présenter musi-calement et de s’intégrer, par jeux musicaux, à la musique du groupe local présent.

Les Mardis au Bain seront égale-ment un forum, un champ libre pour des interventions et des expérimen-tations musicales. Ils s’adresseront à toutes celles et ceux qui communi-quent par la musique : aux musicolo-gues curieux de connaître le potentiel qui immigre au Québec, aux rappeurs qui veulent balancer leurs bons mots sur de la musique du Maghreb, aux violonistes qui cherchent un joueur de tabla, aux guitaristes attirés par la musique slave… Tous les mardis, le public fera l’expérience de l’intimité du métissage musical. ■

une idée rafraîchissante

Construits à la fin du 19e siècle pour répon-dre aux problèmes d’hygiène, les Bains publics ont depuis perdu cette vocation. Certains se sont mués en piscines publi-ques, d’autres ont été réaffectés à diffé-rentes utilités. Parmi la vingtaine d’édifices construits à Montréal, le Bain Mathieu a repris des couleurs en 2000 à l’initiative de la Société pour Promouvoir les Arts Gigantesques (SPAG). Cette organisation sans but lucratif a transformé l’ancien bain public en atelier de création et en salle de réception. Banquets, tournages, spectacles, réceptions et soirées dansantes s’y dérou-lent donc depuis, au fond de la piscine qui a été conservée intacte !

Initiative culturelleLa musique au-delà des frontières

Né au Maroc, au Québec depuis trente ans, Jacques Landesque a été successivement, dessina-teur en architecture, marionnet-tiste, scénariste et réalisateur en télévision, producteur spécialisé dans les musiques du monde et soucieux de l’avenir culturel de Montréal.

jacQues lanDesQue

Chaque année, une trentaine de milliers d’immigrants s’installent dans la région métropolitaine. Parmi eux, plusieurs musiciens, amateurs ou

professionnels amènent leur bagage musical. Que faire de ce potentiel culturel dédouané ?

21 mai au 5 juin

Festival TransAmériquesLe Festival TransAmériques est un événement majeur de danse-théâtre unique en son genre au pays présentant des spectacles

novateurs. Du 21 mai au 5 juin, les artistes et compagnies invités exerceront leur art aux quatre coins du globe et participeront tous, à leur manière, au renouvellement des formes et à la vitalité de la création contemporaine.Tout le programme sur www.fta.qc.ca

31 mai

Rencontre de la DiversitéLa deuxième édition de la Rencontre de la Diversité, organisée par Vision Diversité, se tiendra le 31 mai à l’université Concordia, à

Montréal. L’occasion de célébrer la diversité culturelle comme une force de développement pour la société québécoise.Tout le programme sur www.visiondiversite.com

11 au 24 juin

Festival Sefarad de MontréalDésormais annuel, ce festival est la vitrine de la diversité de la culture juive sépharade et francophone. Lieu de rencontre et d’échange inter-culturel, l’évènement présente, du 11 au 24 juin, une programmation artistique variée en théâtre, musique, cinéma et photographie. Un passionnant colloque s’y tiendra également sur le statut de la femme au sein de la religion.Tout le programme sur www.sefarad.ca

12 au 22 juin

Festival Présence autochtoneLe festival Présence autochtone organisé par Terres en vues est le rendez-vous culturel incontournable des Premières Nations. C’est une plateforme pour les artistes amérindiens et inuit, une occasion de rencontre internationale et un lieu de libre débat sur les sujets touchant aux peuples autochtones.Au programme de cette édition qui se déroulera du 12 au 22 juin : expositions, projections, rediffusion de films et clips de Wapikoni mobile, spectacles et célébration du jour du solstice. Tout le programme sur www.nativelynx.qc.ca

Le concept de ces soirées donnera l’occasion aux nouveaux arrivants de se présenter musicalement et de s’intégrer, par jeux musicaux, à la musique du groupe local présent

La musique comme moyen d’intégration

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Le Jumelé Printemps 200816

Culture

Un dimanche au beau milieu du mois de mars avec des averses

de neige à gros flocons. Rassemble-ment familial à l’occasion du départ à la retraite d’une cousine, Yolande, dans un restaurant tranquille un peu en retrait du chemin Gascon à Terrebonne. Embrassades. Plusieurs enfants, peu de jeunes à l’exception d’une belle blonde aux yeux bleus qui se démarque. Surprise !

– Julie* ! C’est pas vrai !– Oui, c’est tout à fait vrai, mon oncle. J’ai rangé mon sac à dos dans le garde-robe pour un bon bout de temps.– Je ne te crois pas…– Sans blague, après un séjour de plusieurs mois en Égypte et quelques semaines en Palestine. Inutile de te dire que je ne suis plus tout à fait la même… Bon, c’est le branle-bas ici et les retrouvailles... Mais tantôt, j’aime-rais qu’on se parle un peu à part.– OK.

Le brunch se déroule allègrement. Le menu présente un petit quelque chose de multiculturel : menu cabane à sucre et crêpes bretonnes ! La jasette dans la famille coule de source. Plusieurs matantes parlent en même temps. Yolande est gênée et émue. Les petits mots et les cadeaux lui arrachent des larmes. Elle n’est pas habituée à être le centre d’un rassemblement. C’est plutôt Julie, sa fille, qui vole la vedette habituellement.

Le temps passe vite. Les enfants com-mencent à courir dans tous les sens. Les invités regardent leurs factures. Mine de rien, je m’arrange pour me retrouver en face de Julie, près de la caisse. Depuis toujours, je lui ai porté un regard admiratif, ce qui ne lui a jamais échappé évidemment.

– Puis, Julie, qu’est-ce que tu deviens ?– Ne sois pas surpris. Tu sais que je te fais confiance. T’es l’immigrant de la famille, t’as voyagé beaucoup, en particulier au Maghreb, et en plus, t’es arabisant. Bien des œillères te sont tombées…– Voyagé, oui. Arabisant, oui, mais si peu. La langue arabe est un océan. J’y navigue un peu en barque fragile… Ça prendrait plutôt un grand paque-bot. Mais j’avoue que cette langue me passionne. Et, partant, toute la culture arabe et la religion musulmane.– Alors, où j’en suis… Avant de par-tir, j’ai terminé ma maîtrise en philo. Je veux devenir prof. Mais avant de décrocher un poste, je fais un détour.

Mon voyage m’a marquée, surtout mon passage dans le Sinaï. Alors, pour digérer mes expériences, je me suis inscrite à un cours d’anthropolo-gie et de sciences religieuses. J’avoue que l’Islam m’attire. Je compte même m’inscrire à un cours de langue arabe littéraire, celle du Coran.– De toi, rien ne m’étonnera jamais. Toutefois, puis-je te poser une ques-tion? Si tu la trouves indiscrète, n’y réponds pas.– Pas de problème.– Est-ce que tu « sors » avec un ami arabe ? La plupart du temps, quand une Québécoise commence à s’inté-resser à l’Islam, ou à porter le voile, cherchez le copain musulman qui est derrière. La fille va prétendre évidem-ment que cela n’a rien à voir, que c’est par conviction personnelle… Ce ne serait pas ton cas par hasard ?– Non, du tout. Il est vrai que j’ai des condisciples maghrébins et libanais avec lesquels je m’entends très bien, et certains m’ont joliment fait la cour, mais il n’est vraiment pas question d’un lien amoureux. C’est plus pro-fond que ça. Et il ne s’agit pas non plus d’une conversion instantanée ou rationnellement inexplicable. Je sais que cela peut arriver. Quel étudiant en littérature française ne connaît pas le second pilier à l’entrée du chœur de Notre-Dame de Paris ? Claudel y fut touché définitivement par une illumi-nation surnaturelle. Il y a eu des cas semblables en direction de l’Islam.– En effet. – Dans mon cas, mon oncle, même si j’aspire à une foi porteuse et une spi-ritualité, pas de coup de théâtre. Je me sens attirée vers l’Islam, oui, mais ma démarche est lente et critique. Pour l’instant, j’explore, je déblaie le terrain, je réfléchis, je médite les textes sacrés. J’ai évidemment plus de questions que de réponses.– Ton approche est sage.– C’est dans cette perspective que j’aimerais te rencontrer à l’occasion, un peu pour faire le point sur mon cheminement. C’est trop tôt pour en parler à ma mère ou à des amis. Ils ne comprendraient pas. J’attends le moment propice. – Bon, ça me fera plaisir. Appelle-moi. Nous pourrions prendre un petit café chez nous ou quelque part en ville... Mais, à vrai dire, je ne vois pas encore très bien ce que tu attends de moi. Depuis longtemps, j’ai perdu moi-même mes certitudes, sans être un bateau à la dérive. Il me reste des convictions solides et je cherche plutôt le fil d’or qui parcourt les doctrines et croyances de toutes les grandes tradi-tions religieuses. Pourquoi s’obstiner sur ce qui divise ? – Je te suis.– Par ailleurs, comme je ne peux pas me dire musulman, il va falloir qu’un jour tu t’adresses à un guide de cette religion, même si les guides éclairés ne remplissent pas les mosquées.– D’accord, mais je ne suis pas rendue

là. Chaque chose en son temps. Tu me connais, je suis une fille de décision. Je déteste rester longtemps assise entre deux chaises.– En tout cas, c’est un privilège pour un vieil oncle dont la santé donne des signes d’usure que d’être interpellé par une jeune nièce qui a tout l’avenir devant elle.Alors, partons ensemble sur une piste du désert à la découverte d’une oasis. Sans illusions toutefois. Une démarche commune ne conduit pas forcément à

une conclusion identique. La foi ne se trouve pas au bout d’un raisonnement rigoureux, philosophique ou scienti-fique. Elle dépasse la méthode expé-rimentale… Enfin, quoiqu’il arrive, le climat de nos échanges devra rester empreint de respect mutuel.– Exactement. Je te lâche un coup de fil prochainement.

Mon petit-fils m’attrape par la main :– Regarde, grand-papa. Avec mes nou-veaux souliers rouges, je cours deux

fois plus vite.– Bravo, Pier-Alex ! Tu cours comme un lièvre.

Les gens se dispersent. Yolande com-mence une nouvelle étape dans sa vie. Que ce soit pour une cure de jou-vence. ■

* Le nom de Julie est fictif, car elle tient absolument à l’anonymat.

La suite dans le prochain numéro du Jumelé.

Jeune femme nomade… en direction de quelle oasis ?

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L’auteur fut tour à tour enseignant en Afrique et au Québec, fonction-naire au ministère de l’Immigra-tion à Bruxelles, avant de fonder le journal régional L« Écrivain public » à L’Assomption (Lanau-dière) et de raconter cinq parcours d’immigrants dans son livre Tout quitter pour la liberté.

frans Van Dun