Au delà du principe de plaisir (freud)

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  • 8/4/2019 Au del du principe de plaisir (freud)

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    Sigmund FREUD (1920)

    Au-del duprincipe de plaisir

    Traduction de lAllemand par le Dr. S. Janklvitch en 1920

    revue par lauteur.

    Un document produit en version numrique par Gemma Paquet, bnvole,professeure la retraite du Cgep de Chicoutimi

    Courriel: [email protected]

    dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales"fonde dirige par Jean-Marie Tremblay,

    professeur de sociologie au Cgep de ChicoutimiSite web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html

    Une collection dveloppe en collaboration avec la Bibliothque

    Paul-mile-Boulet de l'Universit du Qubec ChicoutimiSite web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm

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    Cette dition lectronique a t ralise par Gemma Paquet, bnvole,professeure la retraite du Cgep de Chicoutimi partir de :

    Sigmund Freud (1920)

    Au-del du principe de plaisir

    Une dition numriques ralise partir de lessai Au-del du principe de plaisirpubli dans louvrage Essais de psychanalyse. Traduction de lAllemand par le Dr. S.Janklvitch en 1920, revue par lauteur. Rimpression : Paris : ditions Payot, 1968,

    (pp. 7 82), 280 pages. Collection : Petite bibliothque Payot, n

    44. Traductionprcdemment publie dans la Bibliothque scientifique des ditions Payot.

    Polices de caractres utilise :

    Pour le texte: Times, 12 points.Pour les citations : Times 10 points.Pour les notes de bas de page : Times, 10 points.

    dition lectronique ralise avec le traitement de textesMicrosoft Word 2001 pour Macintosh.

    Mise en page sur papier formatLETTRE (US letter), 8.5 x 11)

    dition complte le 6 octobre 2002 Chicoutimi, Qubec.

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    Table des matires

    Au-del du principe du plaisir

    1. Le principe du plaisir2. Principe du plaisir et nvrose traumatique. Principe du plaisir et jeux

    d'enfants3. Principe du plaisir et transfert affectif

    4. Les mcanismes de dfense contre les excitations extrieures et leurchec. La tendance a la rptition5. La contrainte de rptition, obstacle au principe du plaisir6. Dualisme des instincts. Instincts de vie et instincts de mort7. Principe du plaisir et instincts de mort

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    SIGMUND FREUD

    N Freiberg (Moravie) en 1856, autrichien de nationalit, SigmundFREUD est mort migr Londres, en 1939.

    Crateur de la science psychanalytique, il est l'auteur d'une, uvre monu-mentale, qui constitue l'un des vnements les plus importants qu'ait eu enregistrer l'histoire des sciences de l'esprit.

    Ce livre contient les Essais de psychanalyseparmi les plus marquants queFreud ait crits et nous rvle les principaux jalons de sa pense et de samthode.

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    sigmund freud

    essais de psychanalysepetite bibliothque payot, n 44.

    Cet ouvrage, traduit par le Dr S. Janklvitch, a t prcdemment publi

    dans la Bibliothque Scientifique des ditions Payot, Paris.

    Celle nouvelle dition des Essais de Psychanalyse de FREUD repro-duit le texte dj traduit une premire fois en langue franaise, avec une fidlit que n'altre pas et au contraire affirme une mise jourterminolo-gique, conforme l'usage des termes que les psychanalystes franais ontadopt.

    Cet essai condense les aspects de la contrainte de rptition , phno-mne qui se situe au-del du principe du plaisir, mais ne le nie pas, observ

    dans les confins du Psychique et du Biologique.

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    Au-del

    du principe du plaisir

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    Au-del du principe du plaisir

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    Le principe du plaisir

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    La thorie psychanalytique admet sans rserves que l'volution des pro-cessus psychiques est rgie par le principe du plaisir. Autrement dit, nouscroyons, en tant que psychanalystes, qu'elle est dclenche chaque fois parune tension dsagrable ou pnible et qu'elle s'effectue de faon aboutir une diminution de cette tension, c'est--dire la substitution d'un tat agrable un tat pnible. Cela quivaut dire que nous introduisons, dans la consi-dration des processus psychiques que nous tudions, le point de vue cono-

    mique, et nous pensons qu'une description qui tient compte, en mme tempsque du ct topique et dynamique des processus psychiques, du facteurconomique, reprsente la description la plus complte laquelle nous puis-sions prtendre actuellement et mrite d'tre qualifie de mtapsychologique.

    Peu nous importe de savoir si, en tablissant le principe du plaisir, nousnous rapprochons de tel ou tel systme philosophique dtermin, consacr parl'histoire.

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    C'est en cherchant dcrire et expliquer les faits de notre observationjournalire que nous en arrivons formuler de pareilles hypothses spcula-tives. Nous ne visons, dans notre travail psychanalytique, ni la priorit ni l'originalit et, d'autre part, les raisons qui nous incitent poser le principe en

    question sont tellement videntes qu'il n'est gure possible de ne pas lesapercevoir. Nous dirons cependant que nous ne marchanderions pas notregratitude toute thorie philosophique ou psychologique qui saurait nous direce que signifient exactement les sensations de plaisir et de dplaisir qui exer-cent sur nous une action si imprative. Il s'agit l de la rgion la plus obscureet la plus inaccessible de la vie psychique et, comme nous ne pouvons pasnous soustraire son appel, nous pensons que ce que nous pouvons faire demieux, c'est de formuler son sujet une hypothse aussi vague et gnrale quepossible. Aussi nous sommes-nous dcids tablir entre le plaisir et ledplaisir, d'une part, la quantit d'nergie (non lie) que comporte la vie psy-chique, d'autre part, certains rapports, en admettant que le dplaisir corres-pond une augmentation, le plaisir une diminution de cette quantit d'ner-

    gie. Ces rapports, nous ne les concevons pas sous la forme d'une simplecorrlation entre l'intensit des sensations et les modifications auxquelles onles rattache, et encore moins pensons-nous (car toutes nos expriences depsycho-physiologie s'y opposent) la proportionnalit directe ; il est probableque ce qui constitue le facteur dcisif de la sensation, c'est le degr de diminu-tion ou d'augmentation de la quantit d'nergie dans une fraction de tempsdonne. Sous ce rapport, l'exprience pourrait nous fournir des donnes utiles,mais le psychanalyste doit se garder de se risquer dans ces problmes, tantqu'il n'aura pas sa disposition des observations certaines et dfinies,susceptibles de le guider.

    Nous ne pouvons cependant pas demeurer indiffrents devant le fait qu'un

    savant aussi pntrant que G. Th. Fechner concevait le plaisir et le dplaisird'une manire qui, dans ses traits essentiels, se rapproche de celle qui se dga-ge de nos recherches psychanalytiques. Dans son opuscule : Einige Ideen zurSchpfungs- und Entwicklungsgeschichte der Organismen (1873, Section XI,appendice, p. 94) il a formul sa conception de la manire suivante : tantdonn que les impulsions conscientes sont toujours accompagnes de plaisirou de dplaisir, nous pouvons fort bien admettre qu'il existe galement desrapports psycho-physiques entre le plaisir et le dplaisir, d'une part, et destats de stabilit et d'instabilit, d'autre part, et nous prvaloir de ces rapportsen faveur de l'hypothse que nous dvelopperons ailleurs, savoir que toutmouvement psychophysique dpassant le seuil de la conscience est accompa-gn de plaisir pour autant qu'il se rapproche de la stabilit complte, au-deld'une certaine limite, et est accompagn de dplaisir pour autant qu'il se rap-proche de l'instabilit complte, toujours au-del d'une certaine limite, unecertaine zone d'indiffrence esthsique existant entre les deux limites, quipeuvent tre considres comme les seuls qualificatifs du plaisir et dudplaisir...

    Les faits qui nous font assigner au principe du plaisir un rle dominantdans la vie psychique trouvent leur expression dans l'hypothse d'aprs

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    laquelle l'appareil psychique aurait une tendance maintenir un tiage aussibas que possible ou, tout au moins, un niveau aussi constant que possible laquantit d'excitation qu'il contient. C'est le principe du plaisir formul dansdes termes un peu diffrents, car, si l'appareil psychique cherche maintenir

    sa quantit d'excitation un niveau aussi bas que possible, il en rsulte quetout ce qui est susceptible d'augmenter cette quantit ne peut tre prouv quecomme anti-fonctionnel, c'est--dire comme une sensation dsagrable. Leprincipe du plaisir se laisse ainsi dduire du principe de la constance ; enralit, le principe de la constance lui-mme nous a t rvl par les faits m-mes qui nous ont impos le principe du plaisir. La discussion ultrieure nousmontrera que la tendance de l'appareil psychique, dont il s'agit ici, reprsenteun cas spcial du principe de Fechner, c'est--dire de la tendance la stabilit laquelle il rattache les sensations de plaisir et de dplaisir.

    Mais est-il bien exact de parler du rle prdominant du principe du plaisirdans l'volution des processus psychiques? S'il en tait ainsi, l'norme majo-

    rit de nos processus psychiques devraient tre accompagns de plaisir ouconduire au plaisir, alors que la plupart de nos expriences sont en contradic-tion flagrante avec cette conclusion. Aussi sommes-nous obligs d'admettrequ'une forte tendance se conformer au principe du plaisir est inhrente l'me, mais que certaines forces et circonstances s'opposent cette tendance,si bien que le rsultat final peut bien n'tre pas toujours conforme au principedu plaisir. Voici ce que dit ce propos Fechner 1 : Mais la tendance au butne signifie pas toujours la ralisation du but, cette ralisation ne pouvant, engnral, s'oprer que par des approximations. En abordant la question desavoir quelles sont les circonstances susceptibles d'empcher la ralisation duprincipe du plaisir, nous nous retrouvons sur un terrain sr et connu etpouvons faire un large appel nos expriences psychanalytiques.

    Le premier obstacle auquel se heurte le principe du plaisir nous est connudepuis longtemps comme un obstacle pour ainsi dire normal et rgulier. Noussavons notamment que notre appareil psychique cherche tout naturellement, eten vertu de sa constitution mme, se conformer au principe du plaisir, maisqu'en prsence des difficults ayant leur source dans le monde extrieur, sonaffirmation pure et simple, et en toutes circonstances, se rvle comme impos-sible, comme dangereuse mme pour la conservation de l'organisme. sousl'influence de l'instinct de conservation du moi, le principe du plaisir s'effaceet cde la place au principe de la ralit qui fait que, sans renoncer au but finalque constitue le plaisir, nous consentons en diffrer la ralisation, ne pasprofiter de certaines possibilits qui s'offrent nous de hter celle-ci, sup-porter mme, la faveur du long dtour que nous empruntons pour arriver auplaisir, un dplaisir momentan. Les impulsions sexuelles cependant, plusdifficilement ducables , continuent encore pendant longtemps se confor-mer uniquement au principe du plaisir, et il arrive souvent que celui-ci, semanifestant d'une faon exclusive soit dans la vie sexuelle, soit dans le moi

    1 Op. cit., p. 90.

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    lui-mme, finit par l'emporter totalement sur le principe de la ralit, et celapour le plus grand dommage de l'organisme tout entier.

    Il est cependant incontestable que la substitution du principe de la ralit

    au principe du plaisir n'explique qu'une petite partie de nos sensations pni-bles et seulement les sensations les moins intenses. Une autre source, nonmoins rgulire, de sensations dsagrables et pnibles est reprsente par lesconflits et les divisions qui se produisent dans la vie psychique, l'poque ole moi accomplit son volution vers des organisations plus leves et pluscohrentes. On peut dire que presque toute l'nergie dont dispose l'appareilpsychique provient des impulsions qui lui sont congnitalement inhrentes,mais il n'est pas donn toutes ces impulsions d'atteindre le mme degrd'volution. Il se trouve, au cours de celle-ci, que certaines impulsions oucertains cts de certaines impulsions se montrent incompatibles, quant leurs fins et leurs tendances, avec les autres, c'est--dire avec celles dont larunion, la synthse doit former la personnalit complte, acheve. la

    faveur du refoulement, ces tendances se trouvent limines de l'ensemble, nesont pas admises participer la synthse, sont maintenues des niveauxinfrieurs de l'volution psychique, se voient tout d'abord refuser toute possi-bilit de satisfaction. Mais elles russissent quelquefois (et c'est le plussouvent le cas des impulsions sexuelles refoules) obtenir malgr tout unesatisfaction, soit directe, soit substitutive : il arrive alors que cette ventualitqui, dans d'autres circonstances, serait une source de plaisir, devient pour l'or-ganisme une source de dplaisirs. A la suite de l'ancien conflit qui avait aboutiau refoulement, le principe du plaisir cherche s'affirmer de nouveau par desvoies dtournes, pendant que certaines impulsions s'efforcent prcisment le faire triompher leur profit, en attirant vers elles la plus grande somme deplaisir possible. Les dtails du processus la faveur duquel le refoulement

    transforme une possibilit de plaisir en une source de dplaisir ne sont pasencore bien compris ou ne se laissent pas encore dcrire avec une clart suffi-sante, mais il est certain que toute sensation de dplaisir, de nature nvrotique,n'est au fond qu'un plaisir qui n'est pas prouv comme tel.

    Nous sommes loin d'avoir puis toutes les sources de la plupart de nosexpriences psychiques dsagrables ou pnibles, mais s'il en existe d'autres,nous pouvons, non sans quelque apparence de raison, admettre que leurexistence n'infirme en rien la prdominance du principe du plaisir. La plupartdes sensations pnibles que nous prouvons sont occasionnes, en effet, soitpar la pression exerce par des impulsions insatisfaites, soit par des facteursextrieurs, qui tantt veillent en nous des sensations dsagrables en soi,tantt font surgir dans notre appareil psychique des attentes pnibles, unesensation de danger . La raction cette pression des impulsions insatis-faites et ces menaces de danger, raction par laquelle s'exprime l'activitpropre de l'appareil psychique, peut fort bien s'effectuer sous l'influence duprincipe du plaisir, soit tel quel, soit modifi par le principe de la ralit. Il nesemble donc pas ncessaire d'admettre une nouvelle limitation du principe duplaisir, et cependant l'examen des ractions psychiques au danger extrieur estde nature nous fournir de nouveaux matriaux et de nous rvler de nou-

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    velles manires de poser des questions, en rapport avec le problme qui nousintresse.

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    Au-del du principe du plaisir

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    Principe du plaisir et nvrose

    traumatique. Principe du plaisir etjeux d'enfants

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    A la suite de graves commotions mcaniques, de catastrophes de cheminde fer et d'autres accidents impliquant un danger pour la vie, on voit survenirun tat qui a t dcrit depuis longtemps sous le nom de nvrose trauma-tique . La guerre terrible, qui vient de prendre fin, a engendr un grand nom-bre d'affections de ce genre et a, tout au moins, montr l'inanit des tentativesconsistant rattacher ces affections des lsions organiques du systmenerveux, qui seraient elles-mmes conscutives des violences mcaniques 1.

    Le tableau de la nvrose traumatique se rapproche de celui de l'hystrie par sarichesse en symptmes moteurs, ruais s'en distingue gnralement par lessignes trs nets de souffrance subjective, comme dans les cas de mlancolieou d'hypochondrie, et par un affaiblissement et une dsorganisation trs pro-noncs de presque toutes les fonctions psychiques. Jusqu' ce jour, on n'a pasrussi se faire une notion bien exacte, tant des nvroses de guerre que des1 Voir Zur Psychoan zlyse der Kriegsneurosen. En collaboration avec Ferenczi, Abraham,

    Simmel et E. Jones. Vol. 1 de Internationale Psychoanalytische Bibliothek , 1919.

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    nvroses traumatiques du temps de paix. Ce qui, dans les nvroses de guerre,semblait la fois claircir et embrouiller la situation, c'tait le fait que lemme tableau morbide pouvait, l'occasion, se produire en dehors de touteviolence mcanique brutale. Quant la nvrose traumatique commune, elle

    offre deux traits susceptibles de nous servir de guides, savoir que la surprise,la frayeur semblent jouer un rle de premier ordre dans le dterminisme decette nvrose et que celle-ci parat incompatible avec l'existence simultaned'une lsion ou d'une blessure. On considre gnralement les mots frayeur,peur, angoisse comme des synonymes. En quoi on a tort, car rien n'est plusfacile que de les diffrencier, lorsqu'on les considre dans leurs rapports avecun danger. L'angoisse est un tat qu'on peut caractriser comme un tat d'at-tente de danger, de prparation au danger, connu ou inconnu ; la peur supposeun objet dtermin en prsence duquel on prouve ce sentiment; quant lafrayeur, elle reprsente un tat que provoque un danger actuel, auquel onn'tait pas prpar : ce qui la caractrise principalement, c'est la surprise. Je necrois pas que l'angoisse soit susceptible de provoquer une nvrose traumati-

    que; il y a dans l'angoisse quelque chose qui protge contre la frayeur etcontre la nvrose qu'elle provoque. Mais c'est l un point sur lequel nousaurions encore revenir.

    L'tude du rve peut tre considre comme le moyen d'exploration le plussr des processus psychiques profonds. Or, les rves des malades atteints denvrose traumatique sont caractriss par le fait que le sujet se trouve cons-tamment ramen la situation constitue par l'accident et se rveille chaquefois avec une nouvelle frayeur. On ne s'tonne pas assez de ce fait. On y voitune preuve de l'intensit de l'impression produite par l'accident traumatique,cette impression, dit-on, ayant t tellement forte qu'elle revient au malademme pendant le sommeil. Il y aurait, pour ainsi dire, fixation psychique du

    malade au traumatisme. Or, ces fixations l'vnement traumatique qui aprovoqu la maladie nous sont connues depuis longtemps, en ce qui concernel'hystrie. Breuer et Freud ont formul ds 1893 cette proposition : les hys-triques souffrent principalement de rminiscences . Et dans les nvroses deguerre, des observateurs comme Ferenczi et Simmel ont cru pouvoir expliquercertains symptmes moteurs par la fixation au traumatisme.

    Or, je ne sache pas que les malades atteints de nvrose traumatique soientbeaucoup proccups dans leur vie veille par le souvenir de leur accident.Ils s'efforcent plutt de ne pas y penser. En admettant comme une chose allantde soi que le rve nocturne les replace dans la situation gnratrice de lamaladie, on mconnat la nature du rve. Il serait plus conforme cette natureque les rves de ces malades se composent de tableaux remontant l'poqueo ils taient bien portants ou se rattachant leur espoir de gurison. Si,malgr la qualit des rves qui accompagnent la nvrose traumatique, nousvoulons maintenir, comme seule correspondant la ralit des faits, la con-ception d'aprs laquelle la tendance prdominante des rves serait celle qui apour objet la ralisation de dsirs, il ne nous reste qu' admettre que dans cettat la fonction du rve a subi, comme beaucoup d'autres fonctions, une grave

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    perturbation, qu'elle a t dtourne de son but; ou bien nous devrions appeler la rescousse les mystrieuses tendances masochistes.

    Je propose donc de laisser de ct l'obscure et nbuleuse question de la

    nvrose traumatique et d'tudier la manire dont travaille l'appareil psychique,en s'acquittant d'une de ses tches normales et prcoces : il s'agit des jeux desenfants.

    Les diffrentes thories relatives aux jeux des enfants ont t rcemmentexposes et examines au point de vue analytique par S. Pfeifer dansImago(V, 4), et je ne puis que renvoyer les lecteurs ce travail. Ces thories s'effor-cent de dcouvrir les mobiles qui prsident aux jeux des enfants, sans mettreau premier plan le point de vue conomique, de considration en rapport avecla recherche du plaisir. Sans m'attacher embrasser l'ensemble de tous cesphnomnes, j'ai profit d'une occasion qui s'tait offerte moi, pour tudierles dmarches d'un garon g de 18 mois, au cours de son premier jeu, qui

    tait de sa propre invention. Il s'agit l de quelque chose de plus qu'une rapideobservation, car j'ai, pendant plusieurs semaines, vcu sous le mme toit quecet enfant et ses parents, et il s'est pass pas mal de temps avant que j'eussedevin le sens de ses dmarches mystrieuses et sans cesse rptes.

    L'enfant ne prsentait aucune prcocit au point de vue intellectuel ; gde 18 mois, il ne prononait que quelques rares paroles comprhensibles etmettait un certain nombre de sons significatifs que son entourage comprenaitparfaitement; ses rapports avec les parents et la seule domestique de la maisontaient excellents, et tout le monde louait son gentil caractre. Il ne dran-geait pas ses parents la nuit, obissait consciencieusement l'interdiction detoucher certains objets ou d'entrer dans certaines pices et, surtout, il ne

    pleurait jamais pendant les absences de sa mre, absences qui duraient parfoisdes heures, bien qu'il lui ft trs attach, parce qu'elle l'a non seulement nourriau sein, mais l'a lev et soign seule, sans aucune aide trangre. Cet excel-lent enfant avait cependant l'habitude d'envoyer tous les petits objets qui luitombaient sous la main dans le coin d'une pice, sous un lit, etc., et ce n'taitpas un travail facile que de rechercher ensuite et de runir tout cet attirail dujeu. En jetant loin de lui les objets, il prononait, avec un air d'intrt et desatisfaction, le son prolong o-o-o-o qui, d'aprs les jugements concordants dela mre et de l'observateur, n'tait nullement une interjection, mais signifiait lemot Fort (loin). Je me suis finalement aperu que c'tait l un jeu et quel'enfant n'utilisait ses jouets que pour les jeter au loin . Un jour je fis uneobservation qui confirma ma manire de voir. L'enfant avait une bobine debois, entoure d'une ficelle. Pas une seule fois l'ide ne lui tait venue de tra-ner cette bobine derrire lui, c'est--dire de jouer avec elle la voiture ; maistout en maintenant le fil, il lanait la bobine avec beaucoup d'adresse par-dessus le bord de son lit entour d'un rideau, o elle disparaissait. Il pronon-ait alors son invariable o-o-o-o, retirait la bobine du lit et la saluait cette foispar un joyeux Da ! ( Voil ! ). Tel tait le jeu complet, comportant unedisparition et une rapparition, mais dont on ne voyait gnralement que le

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    premier acte, lequel tait rpt inlassablement, bien qu'il ft vident que c'estle deuxime acte qui procurait l'enfant le plus de plaisir 1.

    L'interprtation du jeu fut alors facile. Le grand effort que l'enfant s'impo-

    sait avait la signification d'un renoncement un penchant ( la satisfactiond'un penchant) et lui permettait de supporter sans protestation le dpart etl'absence de la mre. L'enfant se ddommageait pour ainsi dire de ce dpart etde cette absence, en reproduisant, avec les objets qu'il avait sous la main, lascne de la disparition et de la rapparition. La valeur affective de ce jeu estnaturellement indpendante du fait de savoir si l'enfant l'a invent lui-mmeou s'il lui a t suggr par quelqu'un ou quelque chose. Ce qui nous intresse,c'est un autre point. Il est certain que le dpart de la mre n'tait pas pourl'enfant un fait agrable ou, mme, indiffrent. Comment alors concilier avecle principe du plaisir le fait qu'en jouant il reproduisait cet vnement pour luipnible? On dirait peut-tre que si l'enfant transformait en un jeu le dpart,c'tait parce que celui-ci prcdait toujours et ncessairement le joyeux retour

    qui devait tre le vritable objet du jeu ? Mais cette explication ne s'accordegure avec l'observation, car le premier acte, le dpart, formait un jeu ind-pendant et que l'enfant reproduisait cette scne beaucoup plus souvent quecelle du retour, et en dehors d'elle.

    L'analyse d'un cas de ce genre ne fournit gure les lments d'un conclu-sion dcisive. Une observation exempte de parti-pris laisse l'impression que sil'enfant a fait de l'vnement qui nous intresse l'objet d'un jeu, 'a t pourd'autres raisons. Il se trouvait devant cet vnement dans une attitude passive,le subissait pour ainsi dire ; et voil qu'il assume un rle actif, en le reprodui-sant sous la forme d'un jeu, malgr son caractre dsagrable. On pourrait direque l'enfant cherchait ainsi satisfaire un penchant la domination, lequel

    aurait tendu s'affirmer indpendamment du caractre agrable ou dsagr-able du souvenir. Mais on peut encore essayer une autre interprtation. Le faitde rejeter un objet, de faon le faire disparatre, pouvait servir la satisfac-tion d'une impulsion de vengeance l'gard de la mre et signifier peu prsceci : Oui, oui, va-t'en, je n'ai pas besoin de toi; je te renvoie moi-mme. Le mme enfant, dont j'ai observ le premier jeu, alors qu'il tait g de 18mois, avait l'habitude, l'ge de deux ans et demi, de jeter par terre un jouetdont il tait mcontent, en disant : Va-t'en la guerre ! On lui avait racon-t alors que le pre tait absent, parce qu'il tait la guerre; il ne manifestaitd'ailleurs pas le moindre dsir de voir le pre, mais montrait, par des indicesdont la signification tait vidente, qu'il n'entendait pas tre troubl dans lapossession unique de la mre 2. Nous savons d'ailleurs que les enfants expri-1 L'observation ultrieure confirma pleinement cette Interprtation. Un jour, la mre ren-

    trant la maison aprs une absence de plusieurs heures, fut salue par l'exclamation : Bb o-o-o-o qui tout d'abord parut inintelligible. Mais on ne tarda pas s'apercevoirque pendant cette longue absence de la mre l'enfant avait trouv le moyen de se fairedisparatre lui-mme. Ayant aperu son image dans une grande glace qui touchait presquele parquet, il s'tait accroupi, ce qui avait fait disparatre l'image.

    2 L'enfant a perdu sa mre alors qu'il tait g de 5 ans et 9 mois. Cette fois, la mre tantrellement partie au loin (o-o-o), l'enfant ne manifestait pas le moindre chagrin. Entre-temps, d'ailleurs, un autre enfant tait n qui l'avait rendu excessivement jaloux.

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    ment souvent des impulsions hostiles analogues en rejetant des objets qui, leurs yeux, symbolisent certaines personnes 1. Il est donc permis de se deman-der si la tendance s'assimiler psychiquement un vnement impressionnant, s'en rendre compltement matre peut se manifester par elle-mme et ind-

    pendamment du principe du plaisir. Si, dans le cas dont nous nous occupons,l'enfant reproduisait dans le jeu une impression pnible, c'tait peut-tre parcequ'il voyait dans cette reproduction, source de plaisir indirecte, le moyend'obtenir un autre plaisir, mais plus direct.

    De quelque manire que nous tudiions les jeux des enfants, nous n'obte-nons aucune donne certaine qui nous permette de nous dcider entre cesdeux manires de voir. On voit les enfants reproduire dans leurs jeux tout cequi les a impressionns dans la vie, par une sorte d'ab-raction contre l'inten-sit de l'impression dont ils cherchent pour ainsi dire se rendre matres. Maisil est, d'autre part, assez vident que tous leurs jeux sont conditionns par undsir qui, leur ge, joue un rle prdominant : le dsir d'tre grands et de

    pouvoir se comporter comme les grands. On constate galement que le carac-tre dsagrable d'un vnement n'est pas incompatible avec sa transformationen un objet de jeu, avec sa reproduction scnique. Que le mdecin ait examinla gorge de l'enfant ou ait fait subir celui-ci une petite opration : ce sont ldes souvenirs pnibles que l'enfant ne manquera cependant pas d'voquer dansson prochain jeu ; mais on voit fort bien quel plaisir peut se mler cettereproduction et de quelle source il peut provenir : en substituant l'activit dujeu la passivit avec laquelle il avait subi l'vnement pnible, il inflige uncamarade de jeu les souffrances dont il avait t victime lui-mme et exerceainsi sur la personne de celui-ci la vengeance qu'il ne peut exercer sur lapersonne du mdecin.

    Quoi qu'il en soit, il ressort de ces considrations qu'expliquer le jeu parun instinct d'imitation, c'est formuler une hypothse inutile. Ajoutons encorequ' la diffrence de se qui se passe dans les jeux des enfants, le jeu et l'imita-tion artistiques auxquels se livrent les adultes visent directement la personnedu spectateur en cherchant lui communiquer, comme dans la tragdie, desimpressions souvent douloureuses qui sont cependant une source de jouis-sances leves. Nous constatons ainsi que, malgr la domination du principedu plaisir, le ct pnible et dsagrable des vnements trouve encore desvoies et moyens suffisants pour s'imposer au souvenir et devenir un objetd'laboration psychique. Ces cas et situations, susceptibles d'avoir pour rsul-tat final un accroissement de plaisir, sont de nature former l'objet d'tuded'une esthtique guide par le point de vue conomique; mais tant donn lebut que nous poursuivons, ils ne prsentent pour nous aucun intrt, car ilsprsupposent l'existence et la prdominance du plaisir et ne nous apprennentrien sur les manifestations possibles de tendances situes au-del de ce prin-cipe, c'est--dire de tendances indpendantes de lui et, peut-tre, plus primi-tives que lui.

    1 Voir Eine Kindheitserinnerung aus Dichtung undWahreitD.Imago ,V/4, Sammlung

    Kleiner Schriften zur Neurosenlehre , IVe Srie.

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    Au-del du principe du plaisir

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    Principe du plaisir

    et transfert affectif

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    Vingt-cinq annes de travail intensif ont eu pour consquence d'assigner la technique psychanalytique des buts immdiats qui diffrent totalement deceux du dbut. Au dbut, en effet, toute l'ambition du mdecin-analyste devaitse borner mettre au jour ce qui tait cach dans l'inconscient du malade et,aprs avoir tabli un cohsion entre tous les lments inconscients ainsi

    dcouverts, en faire part au malade au moment voulu. La psychanalyse taitavant tout un art d'interprtation. Mais, comme cet art tait impuissant r-soudre le problme thrapeutique, on recourut un autre moyen qui consistait obtenir du malade une confirmation de la construction dgage par le travailanalytique, en le poussant faire appel ses souvenirs. Dans ces efforts, on seheurta avant tout aux rsistances du malade; l'art consista alors dcouvrir cesrsistances aussi rapidement que possible et, usant de l'influence purementinter-humaine (de la suggestion agissant en qualit de transfert ), le dci-der abandonner ces rsistances.

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    Plus on avanait cependant dans cette vole, plus on se rendait compte del'impossibilit d'atteindre pleinement le but qu'on poursuivait et qui consistait amener la conscience l'inconscient. Le malade ne peut pas se souvenir de

    tout ce qui est refoul; le plus souvent, c'est l'essentiel mme qui lui chappe,de sorte qu'il est impossible de le convaincre de l'exactitude de la constructionqu'on lui prsente. Il est oblig, pour acqurir cette conviction, de revivre dansle prsent les vnements refouls, et non de s'en souvenir, ainsi que le veut lemdecin, comme faisant partie du pass 1. Ces vnements revcus, reproduitsavec une fidlit souvent indsire, se rapportent toujours en partie la viesexuelle infantile, et notamment au complexe dOedipe et aux faits qui s'yrattachent, et se droulent toujours dans le domaine du transfert, c'est--diredes rapports avec le mdecin. Quand on a pu pousser le traitement jusqu' cepoint, on peut dire que la nvrose antrieure a fait place une nouvelle nvro-se, une nvrose de transfert. Le mdecin s'tait efforc de limiter autant quepossible le domaine de cette nvrose de transfert, de transformer le plus d'l-

    ments possible en simples souvenirs et d'en laisser le moins possible devenirdes objets de reproduction, d'tre revcus dans le prsent. Le rapport quis'tablit ainsi entre la reproduction et le souvenir varie d'un cas l'autre. D'unefaon gnrale, le mdecin ne peut pas pargner au malade cette phase dutraitement ; il est oblig de le laisser revivre une partie de sa vie oublie etdoit seulement veiller ce que le malade conserve un certain degr de sereinesupriorit qui lui permette de constater, malgr tout, que la ralit de ce qu'ilrevit et reproduit n'est qu'apparente et ne fait que reflter un pass oubli.Lorsqu'on russit dans cette tche, on finit par obtenir la conviction du maladeet le succs thrapeutique dont cette conviction est la premire condition.

    Si l'on veut bien comprendre cette obsession qui se manifeste au cours du

    traitement psychanalytique et qui pousse le malade reproduire, revivre lepass, comme s'il faisait partie du prsent, on doit tout d'abord s'affranchir del'erreur d'aprs laquelle les rsistances qu'on a combattre proviendraient del' inconscient . L'inconscient, c'est--dire le refoul , n'oppose auxefforts du traitement aucune rsistance ; il cherche, au contraire, secouer lapression qu'il subit, se frayer le chemin vers la conscience ou se dchargerpar une action relle. La rsistance qui se manifeste au cours du traitement apour source les mmes couches et systmes suprieurs de la vie psychiqueque ceux et celles qui, prcdemment, avaient dtermin le refoulement. Maiscomme l'observation nous montre que les mobiles des rsistances, et lesrsistances elles-mmes, commencent par tre inconscients au cours du traite-ment, nous sommes obligs d'apporter notre manire de nous exprimercertaines corrections. Pour viter toute obscurit et toute quivoque, nousferons bien notamment de substituer l'opposition entre le conscient et l'in-conscient l'opposition entre le moi cohrent et les lments refouls. Il estcertain que beaucoup d'lments du moi sont eux-mmes inconscients, et cesont prcisment les lments qu'on peut considrer comme formant le noyau

    1 Voir Zur Technik der Psychoanalyse.II Erinnern, Wiederholen und Durcharbeiten.

    Sammlung Kleiner Schriften zur Neurosenlehre , IVe Srie, 1918, p. 441.

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    du moi et dont quelques-uns seulement rentrent dans la catgorie de ce quenous appelons leprconscient. Aprs avoir ainsi substitu une terminologiepurement descriptive une terminologie systmatique ou dynamique, nous pou-vons dire que la rsistance des malades analyss mane de leur moi, et nous

    voyons aussitt que la tendance la reproduction ne peut tre inhrente qu'ce qui est refoul dans l'inconscient. Il est probable que cette tendance ne peutse manifester qu'aprs que le travail thrapeutique a russi mobiliser leslments refouls 1.

    Il est hors de doute que la rsistance oppose par l'inconscient et le pr-conscient se trouve au service du principe du plaisir, qu'elle est destine pargner au malade le dplaisir que pourrait lui causer la mise en libert de cequi se trouve chez lui l'tat refoul. Aussi tous nos efforts doivent-ils tendre rendre le malade accessible ce dplaisir, en faisant appel au principe de laralit. Mais quels sont les rapports existant entre le principe du plaisir et de latendance la reproduction, autrement dit entre le principe du plaisir et la

    manifestation dynamique des lments refouls ? Il est vident que la plusgrande partie de ce qui est revcu la faveur de la tendance la reproductionne peut qu'tre de nature dsagrable ou pnible pour le moi, puisqu'il s'agitsomme toute de manifestations de penchants rprims. Mais c'est l undplaisir dont nous connaissons dj la qualit et la valeur, dont nous savonsqu'il n'est pas en contradiction avec le principe du plaisir, puisque, dplaisirpour un systme, il signifie satisfaction pour l'autre. Mais le fait curieux dontnous avons nous occuper maintenant consiste en ce que la tendance lareproduction fait surgir et revivre mme des vnements passs qui n'impli-quent pas la moindre possibilit de plaisir, des vnements qui, mme dans lepass et mme pour les penchants ayant subi depuis lors une rpression, necomportaient pas la moindre satisfaction.

    L'panouissement prcoce de la vie sexuelle infantile devait avoir une trscourte dure, en raison de l'incompatibilit des dsirs qu'il comportait avec laralit et avec le degr de dveloppement insuffisant que prsente la vieinfantile. Cette crise s'est accomplie dans les circonstances les plus pnibles ettait accompagne de sensations des plus douloureuses. L'amour manqu, leschecs amoureux ont inflig une mortification profonde au sentiment de di-gnit, ont laiss au sujet une sorte de cicatrice narcissique et constituent,d'aprs mes propres observations et celles de Marcinowski 2, une des causesles plus puissantes du sentiment d'infriorit , si frquent chez les nvro-tiques. L'exploration sexuelle, laquelle le dveloppement corporel de l'en-fant a mis un terme, ne lui a apport aucune conclusion satisfaisante ; d'o sesdolances ultrieures :. Je suis incapable d'aboutir quoi que ce soit, rien neme russit. L'attachement, tout de tendresse, qui le liait le plus souvent auparent du sexe oppos au sien, n'a pas pu rsister la dception, la vaine

    1 Je montre ailleurs que c'est l' action suggestive du traitement, c'est--dire l'attitude

    accommodante L'gard du mdecin, ayant sa profonde racine dans le complexe paren-tal, qui vient ici en aide la tendance la reproduction.

    2 Marcinowski, Die erotischen Quellen der Minderwertigkeitsgefhle, Zeitschrift frSexualwissenschaft , IV, 1918.

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    attente de satisfaction, la jalousie cause par la naissance d'un nouvel enfant,cette naissance tant une preuve vidente de l'infidlit de l'aim ou del'aime ; sa propre tentative, tragiquement srieuse, de donner lui-mme nais-sance un enfant a chou piteusement; la diminution de la tendresse dont il

    jouissait autrefois, les exigences croissantes de l'ducation, les paroles srieu-ses qu'il se voyait adresser et les punitions qu'on lui faisait subir l'occasionont fini par lui rvler toute l'tendue du ddain qui tait dsormais son lot.Cet amour typique de l'poque infantile se termine selon un certain nombre demodalits qui reviennent rgulirement.

    Or, la faveur du transfert, le nvrotique reproduit et ranime avec beau-coup d'habilet toutes ces circonstances indsires et toutes ces situationsaffectives douloureuses. Le malade s'efforce ainsi d'interrompre le traitementinachev, de se mettre dans une situation qui ranime en lui le sentiment d'tre,comme jadis, ddaign de tout le monde, de s'attirer de la part du mdecin desparoles dures et une attitude froide, de trouver des prtextes de jalousie ; il

    remplace l'ardent dsir d'avoir un enfant, qu'il avait autrefois, par des projetsou des promesses d'importants cadeaux, le plus souvent aussi peu rels quel'objet de son dsir de jadis. Cette situation que le malade cherche reproduiredans le transfert, n'avait rien d'agrable autrefois, alors qu'il s'y est trouv pourla premire fois. Mais, dira-t-on, elle doit tre moins dsagrable aujourd'hui,en tant qu'objet de souvenirs ou de rves, qu'elle ne le fut jadis, alors qu'elleimprima la vie du sujet une orientation nouvelle. Il s'agit naturellement del'action de penchants et d'instincts dont le sujet s'attendait, l'poque o ilsubissait cette action, retirer du plaisir; mais bien qu'il sache par exprienceque cette attente a t trompe, il se comporte comme quelqu'un qui n'a pas suprofiter des leons du pass : il tend reproduire cette situation quand mme,et malgr tout, il y est pouss par une force obsdante.

    Ce que la psychanalyse dcouvre par l'tude des phnomnes de transfertchez les nvrotiques se retrouve galement dans la vie de personnes nonnvrotiques. Certaines personnes donnent, en effet, l'impression d'tre pour-suivies par le sort, on dirait qu'il y a quelque chose de dmoniaque dans toutce qui leur arrive, et la psychanalyse a depuis longtemps formul l'opinionqu'une pareille destine s'tablissait indpendamment des vnements ext-rieurs et se laissait ramener des influences subies par les sujets au cours dela premire enfance. L'obsession qui se manifeste en cette occasion ne diffregure de celle qui pousse le nvrotique reproduire les vnements et lasituation affective de son enfance, bien que les personnes dont il s'agit neprsentent pas les signes d'un conflit nvrotique ayant abouti la formation desymptmes. C'est ainsi qu'on connat des personnes dont toutes les relationsavec leurs prochains se terminent de la mme faon : tantt ce sont desbienfaiteurs qui se voient, au bout de quelque temps, abandonns par ceuxqu'ils avaient combls de bienfaits et qui, loin de leur en tre reconnaissants,se montrent pleins de rancune, pleins de noire ingratitude, comme s'ilss'taient entendus faire boire celui qui ils devaient tant, la coupe d'amer-tume jusqu'au bout ; tantt ce sont des hommes dont toutes les amitis seterminent par la trahison des amis ; d'autres encore passent leur vie hisser

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    sur un pidestal, soit pour eux-mmes, soit pour le monde entier, telle ou tellepersonne pour, aussitt, renier son autorit, la prcipiter de la roche tarpienneet la remplacer par une nouvelle idole ; on connat enfin des amoureux dontl'attitude sentimentale l'gard des femmes traverse toujours les mmes

    phases et aboutit toujours au mme rsultat. Ce retour ternel du mme nenous tonne que peu, lorsqu'il s'agit d'une attitude active et lorsqu'ayant d-couvert le trait de caractre permanent, l'essence mme de la personne intres-se, nous nous disons que ce trait de caractre, cette essence ne peut semanifester que par la rptition des mmes expriences psychiques. Maisnous sommes davantage frapps en prsences d'vnements qui se repro-duisent et se rptent dans la vie d'une personne, alors que celle-ci se com-porte passivement l'gard de ce qui lui arrive, sans y intervenir d'une faonquelconque. On songe, par exemple, l'histoire de cette femme qui avait ttrois fois marie et qui avait perdu successivement chacun de ses maris peu detemps aprs le mariage, ayant juste eu le temps de lui prodiguer les soinsncessaires et de lui fermer les yeux 1. Dans son pome romantiqueLa Jru-

    salem dlivre, le Tasse nous donne une saisissante description potique d'unepareille destine. Le hros Tancrde tue, sans s'en douter, sa bien-aimeClorinde, alors qu'elle combattait contre lui sous l'armure d'un chevalierennemi. Aprs les funrailles de Clorinde, il pntre dans la mystrieuse fortenchante, objet de frayeur pour l'arme des croiss. L il coupe en deux, avecson pe, un grand arbre, mais voit de la blessure faite l'arbre jaillir du sanget, en mme temps, il entend la voix de Clorinde, dont l'me s'tait rfugiedans cet arbre, se plaindre du mal que l'aim lui a inflig de nouveau.

    En prsence de ces faits emprunts aussi bien la manire dont les nvro-tiques se comportent au cours du transfert qu'aux destines d'un grand nombrede sujets normaux, on ne peut s'empcher d'admettre qu'il existe dans la vie

    psychique une tendance irrsistible la reproduction, la rptition, tendancequi s'affirme sans tenir compte du principe du plaisir, en se mettant au-dessusde lui. Et ceci admis, rien ne s'oppose ce qu'on attribue la pression exercepar cette tendance aussi bien les rves du sujet atteint de nvrose traumatiqueet la manie que la rptition qui se manifeste dans les jeux des enfants. Il estcertain toutefois que rares sont les cas o l'action de la tendance la rptitionse manifeste toute seule, dans toute sa puret, sans l'intervention d'autresmobiles. En ce qui concerne les jeux des enfants, nous savons dj quelles ensont les autres interprtations possibles. La tendance la rptition et larecherche du plaisir par la satisfaction directe de certains penchants semblents'unir d'une ici faon assez intime, pour former un tout dans lequel il estdifficile de discerner la part de l'une et de l'autre. Les phnomnes du transfertsont manifestement l'expression de la rsistance oppose par le moi, quis'efforce de ne pas livrer les lments refouls ; et quant la tendance larptition que le traitement cherche utiliser en vue des fins qu'il poursuit, ondirait que c'est encore le moi qui, dans ses efforts pour se conformer auprincipe du plaisir, cherche l'attirer de son ct. Ce qu'on pourrait appeler la

    1 Voir sur ce sujet les excellentes remarques de C. J. Jung, dans son article Die Bedeutung

    des Vaters fr das Schicksal des Einzelnen. Jahrbuch fr Psychoanalyse , 1, 1909.

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    fatalit, au sens courant du mot, et que nous connaissons dj par les quelquesexemples cits plus haut, se prte en grande partie une explication ration-nelle, ce qui nous dispense d'admettre l'intervention d'un nouveau mobile,plus ou moins mystrieux. Le cas le moins contestable est peut-tre celui des

    rves reproduisant l'accident traumatique ; mais en y rflchissant de prs, onest oblig d'admettre qu'il existe encore pas mal d'autres cas qu'il est impos-sible d'expliquer par l'action des seuls mobiles que nous connaissons. Ces casprsentent un grand nombre de particularits qui autorisent admettre l'inter-vention de la tendance la rptition, laquelle apparat plus primitive, pluslmentaire, plus impulsive que le principe du plaisir qu'elle arrive souvent clipser. Or, si une pareille tendance la rptition existe vraiment dans la viepsychique, nous serions curieux de savoir quelle fonction elle correspond,dans quelles conditions elle peut se manifester, quels sont exactement lesrapports qu'elle affecte avec le principe du plaisir auquel nous avons accordjusqu' prsent un rle prdominant dans la succession des processus d'excita-tion dont se compose la vie psychique.

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    Les mcanismes de dfense contre

    les excitations extrieures et leurchec. La tendance la rptition

    Retour la table des matires

    Ce qui suit doit tre considr comme de la pure spculation, comme uneffort pour s'lever bien au-dessus des faits, effort que chacun, selon sa propreattitude, sera libre de suivre avec sympathie ou de juger indigne de sonattention. Il ne faut pas voir, dans les considrations que nous dveloppons ici,autre chose qu'un essai de poursuivre jusqu'au bout une ide, afin de voir, parsimple curiosit, jusqu'o elle peut conduire.

    La spculation psychanalytique se rattache une constatation faite aucours de l'examen de processus inconscients, savoir que la conscience, loinde reprsenter la caractristique la plus gnrale des processus psychiques, nedoit tre considre que comme une fonction particulire de ceux-ci. Dans saterminologie mtapsychologique, elle dit que la conscience reprsente la fonc-tion d'un systme particulier qu'elle dsigne par la lettre C. Comme la con-science fournit principalement des perceptions d'excitations venant du monde

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    extrieur et des sensations de plaisir et de dplaisir qui ne peuvent provenirque de l'intrieur de l'appareil psychique, on est autoris attribuer au syst-me P.-C. (perception-conscience) une position spatiale. Ce systme doit setrouver la limite qui spare l'extrieur de l'intrieur, tre tourn vers le

    monde extrieur et englober tous les autres systmes psychiques. Mais nousnous apercevons aussitt que toutes ces dfinitions ne nous apprennent rien denouveau, qu'en les formulant nous nous rattachons l'anatomie crbrale avecses localisations, c'est--dire la thorie qui situe le sige de la consciencedans l'corce crbrale, dans la couche la plus extrieure, la plus priphriquede l'organe central. L'anatomie crbrale n'a pas se demander pourquoi(anatomiquement parlant) la conscience est localise la surface mme ducerveau, au lieu d'avoir un sige plus protg ailleurs, quelque part dans lescouches profondes, aussi profondes que possible, du cerveau. Il est possibleque l'examen des consquences qui dcoulent de cette localisation pour notresystme P.-C. nous fournisse des donnes nouvelles.

    La conscience n'est pas la seule caractristique que nous attribuons au pro-cessus se droulant dans ce systme. Les impressions que nous avons recueil-lies au cours de nos expriences psychanalytiques nous autorisent admettreque tous les processus d'excitation qui s'accomplissent dans les autressystmes y laissent des traces durables qui forment la base de la mmoire, desrestes qui sont des souvenirs et qui n'ont rien voir avec la conscience. Lesplus intenses et les plus tenaces de ces souvenirs sont souvent ceux laisss pardes processus qui ne sont jamais parvenus la conscience. Il nous estcependant difficile d'admettre que le systme P. C. prsente, lui aussi, desrestes aussi tenaces et durables des excitations qu'il reoit. Si, en effet, il entait ainsi, la capacit de ce systme recevoir de nouvelles excitations netarderait pas se trouver limite 1, tant donn que toutes les excitations qu'il

    reoit doivent, par dfinition, rester toujours conscientes : si, au contraire,elles devenaient inconscientes, nous nous trouverions dans l'obligation para-doxale d'admettre l'existence de processus inconscients dans un systme dontle fonctionnement est, par dfinition, toujours accompagn du phnomne dela conscience. En admettant que, pour devenir conscientes, les excitations ontbesoin d'un systme spcial, nous ne changeons rien l'tat de choses existantet nous ne gagnons rien. De cette hypothse se dgage une conclusion qui,sans tre rigoureusement logique, n'en apparat pas moins trs vraisemblable, savoir qu'une seule et mme excitation ne peut la fois devenir conscienteet laisser une trace conomique dans le mme systme: il s'agirait l, pourautant qu'on reste dans les limites d'un seul et mme systme, de deux faitsincompatibles. Nous pourrions donc dire qu'en ce qui concerne le systme C.,le processus d'excitation y devient conscient, mais sans y laisser la moindretrace durable, que toutes les traces de ce processus qui servent de base ausouvenir rsultent de la propagation de l'excitation aux systmes intrieursvoisins. C'est en ce sens qu'a t conu le schma qui figure dans la partiespculative de mon Interprtation des rves (1900). Lorsqu'on songe au peu

    1 Nous suivons, dans cet expos, les considrations dveloppes par Breuer dans la partie

    thorique de ses Studien ber Hysterie, 1895.

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    que nous savons d'autres sources relativement au mode de naissance de laconscience, on conviendra que la proposition, d'aprs laquelle la consciencenatrait l ou s'arrte la trace mnmique, prsente du moins la valeur d'uneaffirmation prcise et dfinie.

    Le systme C. prsenterait donc cette particularit que, contrairement cequi se passe dans tous les autres systmes psychiques, le processus d'excita-tion ne produit aucune modification durable de ses lments, mais s'vanouitpour ainsi dire par le fait qu'il devient conscient. Une pareille drogation largle gnrale ne peut s'expliquer que par l'action d'un facteur inhrent ceseul systme et manquant dans tous les autres, ce facteur pouvant bien trereprsent par la localisation trs expose du systme C., localisation lafaveur de laquelle il se trouve en contact immdiat avec le monde extrieur.

    En simplifiant l'excs l'organisme vivant, nous pouvons nous le repr-senter sous la forme d'une boule indiffrencie de substance irritable. Il en

    rsulte que sa surface oriente vers le monde extrieur se trouve diffrenciedu fait mme de son orientation et sert d'organe destin recevoir les excita-tions. L'embryologie, pour autant qu'elle constitue une rcapitulation del'volution phylognique, nous montre, en effet, que le systme nerveux cen-tral provient de l'ectoderme et que l'corce grise du cerveau, qui descenddirectement de la surface primitive, pourrait bien avoir reu en hritage sesproprits essentielles. Rien ne s'oppose donc l'hypothse d'aprs laquelleles excitations extrieures, force d'assaillir sans cesse la surface de la bouleprotoplasmique, auraient produit dans sa substance des modifications dura-bles, la faveur desquelles les processus d'excitation s'y drouleraient d'unemanire diffrente de celle dont ils se droulent dans les couches plus profon-des. Il se serait ainsi form une corce, tellement assouplie par les excitations

    qu'elle recevait sans cesse, qu'elle aurait acquis des proprits la rendant apteuniquement recevoir de nouvelles excitations et incapables de subir unenouvelle modification quelconque. Applique au systme C., cette hypothsesignifierait que les lments de la substance grise, ayant atteint la limite desmodifications qu'ils taient susceptibles de subir du fait du passage d'excita-tions, sont devenus inaccessibles toute nouvelle modification quelconquesous ce rapport. Mais ils seraient en revanche capables de faire natre laconscience. Le fait de l'apparition de la conscience est certainement en rapportavec la nature des modifications subies aussi bien par la substance que par lesprocessus d'excitation qui l'atteignent et la traversent. Quelle est exactementcette nature ? A cette question il est possible de donner plusieurs rponses,dont aucune n'est encore susceptible de vrification exprimentale. On peutsupposer qu'en passant d'un lment un autre, l'excitation doit vaincre unersistance et que c'est la diminution de la rsistance qu'on doit rattacher latrace durable laisse par l'excitation (trajet fray) ; on aboutirait ainsi laconclusion qu'aucune rsistance de ce genre n'est vaincre dans le systme C.o le passage d'un lment un autre se ferait librement On peut rattacher cette manire de voir la distinction, tablie par Breuer, entre les lments dessystmes psychiques, quant la nature de leurs charges nergtiques. Ildistinguait, en effet, entre l'nergie sous tension, ou dissimule, et l'nergie

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    circulant librement 1 ; si bien que les lments du systme C. seraient carac-triss par le fait qu'ils contiennent uniquement de l'nergie libre, se dchar-geant sans avoir des obstacles vaincre, sans tension ni pression. Je crois ce-pendant qu'on ferait bien, dans l'tat actuel de nos connaissances, de s'abstenir

    de toute affirmation prcise sur ce sujet. Il n'en reste pas moins que les consi-drations qui prcdent nous permettent d'tablir un certain rapport entrel'apparition de la conscience, d'une part, le sige du systme C. et les parti-cularits des processus d'excitation qui s'y droulent, d'autre part.

    Mais la boule protoplasmique et sa couche corticale, expose aux excita-tions, nous permettent de faire d'autres constatations encore. Ce fragment desubstance vivante est plong dans un monde extrieur, charg d'nergies de laplus grande intensit, et il ne tarderait pas succomber aux assauts de cesnergies, s'il n'tait muni d'un moyen de protection contre les excitations. Cemoyen consiste en ce que sa surface la plus extrieure, se dpouillant de lastructure propre tout ce qui est vivant, devient pour ainsi dire anorganique,

    se transforme en une sorte d'enveloppe ou de membrane destine amortir lesexcitations, ne laisser parvenir aux couches plus profondes, ayant conservleur structure vivante, qu'une partie de l'intensit dont disposent les nergiesdu monde extrieur. Ainsi protges, les couches plus profondes peuvent seconsacrer l'emmagasinement des quantits d'excitation qui ont russi franchir la membrane extrieure. En se dpouillant de ses proprits organi-ques, celle-ci a pargn le mme sort toutes les couches situes en dedansd'elle, sa protection n'tant toutefois efficace que pour autant que l'intensitdes excitations ne dpasse pas une certaine limite au-del de laquelle la mem-brane extrieure elle-mme se trouve dtruite. Pour l'organisme vivant, laprotection contre les excitations constitue une tche presque plus importanteque la rception d'excitations; il possde lui-mme une rserve d'nergie et

    doit veiller avant tout ce que les transformations d'nergie qui s'oprent enlui, en affectant des modalits particulires, soient soustraites l'action nive-lante, c'est--dire destructrice, des formidables nergies extrieures. Larception d'excitations sert avant tout renseigner l'organisme sur la directionet la nature des nergies extrieures, rsultat qu'il peut obtenir en n'empruntantau monde extrieur que de petites quantits d'nergie, en s'assimilant celle-ci petites doses. Chez les organismes trs volus, la couche corticale, excitable,de ce qui fut jadis la boule protoplasmique s'est depuis longtemps retire dansles profondeurs internes du corps, mais certaines de ses dpendances sontrestes la surface, immdiatement au-dessous de l'appareil de protectioncontre les excitations. Ce sont les organes des sens qui renferment essen-tiellement des dispositifs destins recevoir des excitations spcifiques, maisaussi des appareils particuliers, grce auxquels se trouvent redouble la pro-tection contre les excitations extrieures et assur l'amortissement desexcitations d'une intensit dmesure. Ce qui caractrise les organes des sens,c'est que le travail ne porte que sur de petites quantits des excitations ext-rieures, sur des chantillons pour ainsi dire des nergies extrieures. On peut

    1 Studien ber Hysterie, par J. Breuer et S. Freud, 4e dition, 1922 .

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    les comparer des antennes qui, aprs s'tre mises en contact avec le mondeextrieur, se retirent de nouveau.

    Je me permets d'effleurer en passant une question qui mriterait une dis-

    cussion trs approfondie. En prsence de certaines donnes psychanalytiquesque nous possdons aujourd'hui, il est permis de mettre en doute la proposi-tion de Kant, d'aprs laquelle le temps et l'espace seraient les formes ncessai-res de notre pense. Nous savons, par exemple, que les processus psychiquesinconscients sont intemporels . Cela veut dire qu'ils ne sont pas dispossdans l'ordre du temps, que le temps ne leur fait subir aucune modification,qu'on ne peut pas leur appliquer la catgorie du temps. Ce sont l des carac-tres ngatifs dont on ne peut se faire une ide exacte que par la comparaisonentre les processus psychiques inconscients et les processus psychiquesconscients. Notre reprsentation abstraite du temps semble plutt emprunteau mode de travail du systme P. C., et correspondre notre auto-perception.tant donn ce mode de fonctionnement du systme en question, un autre

    moyen de protection contre les excitations est devenu ncessaire. Je me rendsfort bien compte de ce que ces considrations prsentent d'obscur, mais je suisoblig de me limiter de simples allusions.

    Nous venons de dire que la boule protoplasmique vivante est munie d'unmoyen de protection contre les excitations venant du monde extrieur. Et nousavons montr auparavant que sa couche corticale la plus extrieure s'estdiffrencie, pour devenir l'organe ayant pour fonction de recevoir les exci-tations extrieures. Mais cette couche corticale sensible, qui formera plus tardle systme C., reoit galement les excitations venant du dedans. Or, la posi-tion qu'occupe ce systme, la limite qui spare le dehors du dedans, et lesdiffrences qui existent entre les conditions dans lesquelles il reoit les exci-

    tations des deux cts exercent une influence dcisive sur le fonctionnementaussi bien du systme C. que de l'appareil psychique tout entier. Contre ledehors il possde un moyen de protection qui lui permet d'amortir l'action desquantits d'excitations qui viennent l'assaillir. Mais contre le dedans il n'y apas de moyen de protection possible, si bien que les excitations provenant descouches profondes se propagent telles quelles, sans subir le moindre amor-tissement, au systme C., certaines particularits de leur succession donnantlieu la srie des sensations de plaisir et de dplaisir. Il convient de diretoutefois que les excitations venant du dedans prsentent aussi bien par leurintensit que par d'autres caractres qualificatifs (ventuellement aussi parleur amplitude) une correspondance plus grande avec le mode de fonc-tionnement du systme C. que les excitations qui affluent du monde extrieur.Mais deux faits se dgagent d'une faon incontestable de la situation que nousvenons de dcrire : en premier lieu, les sensations de plaisir et de dplaisir,par lesquelles se manifestent les processus qui se droulent l'intrieur del'appareil psychique, l'emportent sur toutes les excitations extrieures ; et, endeuxime lieu, l'attitude de l'organisme est oriente de faon s'opposer toute excitation interne, susceptible d'augmenter outre mesure l'tat de dplai-sir. De l nat une tendance traiter ces excitations provenant de l'intrieurcomme si elles taient d'origine extrieure, afin de pouvoir leur appliquer le

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    moyen de protection dont l'organisme dispose l'gard de ces dernires. Telleserait l'explication de la projection qui joue un si grand rle dans le dter-minisme des processus pathologiques.

    J'ai l'impression que les considrations qui prcdent sont de nature nousrapprocher de la connaissance des conditions et des causes de la prdominan-ce du principe du plaisir. Il reste cependant vrai qu'elles ne nous fournissentpas une explication des cas o existe une opposition ce principe. Faisonsdonc un pas de plus. Nous appelons traumatiques les excitations extrieuresassez fortes pour rompre la barrire reprsente par le moyen de protection. Jecrois qu'il n'est gure possible de dfinir le traumatisme autrement que par sesrapports, ainsi compris, avec un moyen de dfense, jadis efficace, contre lesexcitations. Un vnement tel qu'un traumatisme extrieur produira toujoursune grave perturbation dans l'conomie nergtique de l'organisme et mettraen mouvement tous les moyens de dfense. Mais c'est le principe du plaisirqui, le premier, sera mis hors de combat. Comme il n'est plus possible d'em-

    pcher l'envahissement de l'appareil psychique, par de grandes quantitsd'excitations, il ne reste l'organisme qu'une issue : s'efforcer de se rendrematre de ces excitations, d'obtenir leur immobilisation psychique d'abord,leur dcharge progressive ensuite.

    Il est probable que le sentiment spcifiquement pnible qui accompagne ladouleur physique rsulte d'une rupture partielle de la barrire de protection.Des excitations venant de cette rgion priphrique affluent alors continuelle-ment vers l'appareil psychique central, comme s'il s'agissait d'excitations pro-venant de l'intrieur de l'appareil 1. Et quelle raction contre cette irruptionpouvons-nous nous attendre de la part de la vie psychique ? Elle fait appel toutes les charges d'nergie existant dans l'organisme, afin de constituer dans

    le voisinage de la rgion o s'est produite l'irruption une charge nergtique,d'une intensit correspondante. Il se forme ainsi une formidable contre-charge , au prix de l'appauvrissement de tous les autres systmes psychiqueset, par consquent, au prix d'un arrt ou d'une diminution de toutes les autresfonctions psychiques. Toutes ces images tant destines fournir un appui nos hypothses mtapsychologiques, les illustrer tout au moins, nous tirons,de la situation que nous venons de dcrire, la conclusion que mme un syst-me possdant une charge leve est capable de recevoir l'afflux de nouvellesquantits d'nergie, de les transformer en charges immobilises, c'est--direpsychiquement lies . Un systme est capable de lier des nergiesd'autant plus considrables que sa propre charge, l'tat de repos, est plusleve ; et, inversement, moins la charge d'un systme est leve, moins gran-de est sa capacit de recevoir l'afflux de nouvelles nergies et plus dsas-treuses seront les consquences d'une rupture de sa barrire de dfense. Onaurait tort de nous objecter que l'augmentation des charges au niveau de largion o s'est produite l'irruption s'explique beaucoup plus facilement par lapropagation directe des quantits d'nergie qui affluent. S'il en tait ainsi, les

    1 Voir Triebe und Triebschicksale. SannlungKleiner Schriften zur Neurosenlehre , IV,

    1918.

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    charges nergtiques de l'appareil psychique ls subiraient bien une augmen-tation, mais le caractre paralysant de la douleur, l'appauvrissement de tousles autres systmes resteraient inexpliqus. Mme l'action drivative, siprononce, de la douleur n'infirme en rien notre manire de voir, car il s'agit l

    d'une action purement rflexe, c'est--dire s'effectuant sans l'intermdiaire del'appareil psychique. Le caractre vague et indtermin de toutes nos consid-rations que nous dsignons sous le nom de mtapsychologiques provient de ceque nous ne savons rien concernant la nature du processus d'excitation quis'effectue dans les lments des systmes psychiques et que nous ne nouscroyons pas autoriss formuler une opinion quelconque sur ce sujet. Nousoprons ainsi toujours avec un grand X que nous introduisons tel quel danschaque formule nouvelle. Que ce processus puisse s'effectuer en utilisant desnergies qui diffrent quantitativement d'un cas l'autre, la chose est larigueur admissible; qu'il possde plus d'une qualit (une sorte d'amplitude, parexemple), voil ce qui est encore probable ; en fait de conception nouvelle,nous avons cit celle de Breuer qui admet deux formes de charge nergtique

    des systmes (ou de leurs lments) : une forme libre et une forme lie. Et, ce propos, nous nous permettrons d'mettre l'hypothse que la liaison desnergies affluant dans l'appareil psychique se rduit au passage de ces ner-gies de l'tat de libre circulation l'tat de repos immobile.

    A mon avis, on ne doit pas reculer devant la tentative de concevoir lanvrose traumatique commune comme une consquence d'une vaste rupturede la barrire de dfense. Cela revient remettre en honneur la vieille et navethorie du choc, en opposition, semble-t-il, avec la thorie plus rcente, et auxprtentions psychologiques plus grandes, qui met l'accent tiologique, non surla violence mcanique, mais sur la frayeur et la conscience du danger quimenace la vie. Mais il ne s'agit pas d'une opposition absolue, et la conception

    psychanalytique de la nvrose traumatique ne se confond d'aucune faon avecla thorie plus grossire du choc. Alors que cette dernire thorie conoit lechoc comme une lsion directe de la structure molculaire, voire de la struc-ture histologique, des lments nerveux, nous attribuons l'action du choc larupture de la barrire de protection de l'organe psychique, avec toutes lesconsquences qui en rsultent. Nous ne songeons nullement rabaisserl'importance de la frayeur. Nous l'avons dj dit : ce qui caractrise la frayeur,c'est l'absence de cette prparation au danger qui existe, au contraire, dansl'angoisse et qui comporte une surcharge nergtique des systmes qui sontles premiers appels subir l'excitation. En raison de cette absence de chargenergtique ncessaire, ou en raison de ce que la charge dont disposent lessystmes est infrieure aux exigences de la situation, ces systmes ne sont pasen tat de lier les quantits d'nergie qui affluent et les consquences de larupture se produisent d'autant plus facilement. Nous voyons ainsi que l'an-goisse qui fait pressentir le danger et la surcharge nergtique des systmesdestins subir l'excitation constituent la dernire ligne de dfense contrecelle-ci. Dans un grand nombre de traumatismes l'issue de la situation dpend,en dernire analyse, de la diffrence qui existe entre les systmes non prparset les systmes prpars parer au danger par une surcharge nergtique;mais partir d'une certaine intensit du traumatisme, ce facteur cesse de jouer.

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    Ce n'est pas la faveur de la fonction qu'ils ont acquise sous l'influence duprincipe du plaisir et qui consiste procurer au rveur une ralisation hallu-cinatoire de ses dsirs, que les rves du malade atteint de nvrose traumatiquele ramnent toujours et rgulirement la situation dans laquelle s'tait pro-

    duit le traumatisme. Nous devons plutt admettre que ces rves correspondent un autre objectif, lequel doit tre ralis, avant que le principe du plaisirpuisse affirmer sa matrise. Ils ont pour but de faire natre chez le sujet un tatd'angoisse qui lui permette d'chapper l'emprise de l'excitation qu'il a subieet dont l'absence a t la cause de la nvrose traumatique. Ils nous ouvrentainsi une perspective sur une fonction de l'appareil psychique qui, sans tre enopposition avec le principe du plaisir, n'en est pas moins indpendante etsemble plus primitive que la tendance rechercher le plaisir et viter ledplaisir,

    Ce serait donc le lieu ici de poser une premire exception la loi d'aprslaquelle les rves seraient des ralisations de dsirs. J'ai montr plusieurs

    reprises qu'on ne pouvait en dire autant des rves d'angoisse ni des rves dechtiment , ces derniers mettant la place de la ralisation inadmissible dedsirs dfendus le chtiment qui s'attache ces dsirs, autrement dit la rac-tion, elle aussi voulue et dsire, de la conscience de culpabilit contre lepenchant rprouv. Mais les rves du malade atteint de nvrose traumatiquene se laissent pas ramener au point de vue de la ralisation de dsirs, et il enest de mme des rves auxquels nous nous heurtons dans la psychanalyse etdans lesquels on trouve le souvenir de traumatisme psychiques de l'enfance.Les rves de ces deux catgories obissent plutt la tendance la rptitionqui, cependant, trouve son appui, au cours de l'analyse, dans le dsir, encou-rag par la suggestion , d'voquer ce qui a t oubli et refoul. C'est ainsique le rve n'aurait pas davantage pour fonction primitive de s'opposer ce

    que la ralisation voulue de penchants perturbateurs vienne troubler le som-meil ; il n'a pu acqurir cette fonction qu'aprs que tout l'ensemble de la viepsychique est tomb sous la domination du principe du plaisir. S'il existe un au-del du principe du plaisir , il est logique d'admettre que la tendance durve la ralisation de dsirs ne reprsente qu'un produit tardif, apparu aprsune priode prliminaire, marque par l'absence de cette tendance. Il n'y a ld'ailleurs aucune opposition avec sa fonction ultrieure. Lorsqu'enfin cettetendance s'est fait jour, nous nous trouvons en prsence d'une autre question :les rves qui, ayant pour objectif la liaison psychique d'impressions trauma-tiques, obissent la tendance la rptition, sont-ils galement possibles endehors de l'analyse ? A cette question on peut, d'une faon gnrale, rpondred'une faon affirmative.

    En ce qui concerne les nvroses de guerre , pour autant que ce terme nedsigne pas seulement le simple rapport entre le mal et sa cause immdiate,j'ai montr ailleurs qu'ils pouvaient bien tre des nvroses traumatiques dontl'explosion aurait t facilite par un conflit du moi 1. Le fait mentionn plus

    1 Zur Psychoanalyse der Kriegsneurosen. Einleitung. Internationale Psychoanalytische

    Bibliothek , No 1, 1919.

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    haut, savoir que lorsque le traumatisme dtermine en mme temps une gros-se lsion, les chances de l'apparition d'une nvrose se trouvent diminues,cesse d'tre incomprhensible, si l'on veut bien tenir compte de deux circons-tances sur lesquelles la recherche psychanalytique insiste d'un faon particu-

    lire. La premire de ces circonstances est que la commotion mcanique doittre considre comme une des sources de l'excitation sexuelle 1 ; la deuximeconsiste en ce que les affections douloureuses et fbriles exercent, pendanttoute leur dure, une puissante influence sur la rpartition de la libido. C'estainsi que la violence mcanique, exerce par le traumatisme, librerait unquantum d'excitation sexuelle qui, en l'absence de toute angoisse correspon-dant la reprsentation du danger, serait capable d'exercer une action trauma-tique, si, d'autre part, la lsion somatique qui se produit en mme tempsn'avait pour effet de fixer sur l'organe ls, par une sorte de surcharge narcis-sique, le trop plein de l'excitation 2. C'est galement un fait connu, mais quin'a pas t suffisamment utilis par la thorie de la libido, que les troublesgraves qui affectent la rpartition de la libido dans la mlancolie, par exemple,

    disparaissent momentanment par suite d'une affection organique intercur-rente, et que mme une dmence prcoce, sa phase la plus avance, peut,dans les mmes conditions, subir une rgression momentane.

    1 Voir les remarques se rapportant ce sujet, dans Die Wirkung des Schaukelns und

    Eisenbahnfahrens, faisant partie desDrei Abhandlungen zur Sexualtheorie, 4e dit. 1920.En franais : TroisEssais sur la thorie de la Sexualit. N. R. F.

    2 Voir Zur Einfhrung des Narzissmus, dans Kleine Schriften zur Neurosenlehre, 4e Srie,1918.

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    Au-del du principe du plaisir

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    La contrainte de rptition.

    Obstacle au principe du plaisir

    Retour la table des matires

    Du fait que la couche corticale, point d'arrive des excitations, ne possdepas de barrire de dfense contre les excitations venant du dedans, la propa-gation de celles-ci acquiert une grande importance conomique et donnesouvent lieu des troubles conomiques qui peuvent tre assimils aux n-vroses traumatiques. La source la plus abondante de ces excitations d'origine

    interne est reprsente par les penchants, les tendances, les instincts del'organisme, par toutes les influences qui, ayant origine dans l'intrieur del'organisme, se propagent l'appareil psychique, et constituent l'objet le plusimportant, mais en mme temps le plus obscur de la recherche psychologique.

    Il ne sera peut-tre pas trop os d'affirmer que les influences manant despenchants et des instincts se manifestent par des processus nerveux qui nesont pas lis, c'est--dire par des processus nerveux se droulant librement,jusqu' la dcharge complte. Ce que nous savons de meilleur sur ces proces-

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    sus nous a t fourni par l'tude du travail qui s'accomplit dans les rves. Cettetude nous a montr, en effet, que les processus qui se droulent. dans lessystmes inconscients diffrent totalement de ceux qui s'effectuent dans lessystmes (pr)-conscients, que dans l'inconscient les charges subissent

    facilement des transferts, des dplacements, des condensations, autant demodifications qui, si elles se produisaient dans les matriaux conscients, nedonneraient que des rsultats dfectueux et errons. Ces modifications sont lacause des singularits bien connues qui apparaissent dans le rve manifeste,aprs que les traces prconscientes des vnements diurnes ont t laboresd'aprs les lois de l'inconscient. A ces processus qui s'accomplissent dansl'inconscient (transferts, dplacements, condensations) j'ai donn le nom de processus primaires , afin de les mieux diffrencier des processus secon-daires qui se droulent dans notre vie veille. Comme les penchants etinstincts se rattachent tous des systmes inconscients, nous n'apprendronsrien de nouveau en disant qu'ils obissent des processus secondaires et,d'autre part, il n'est pas ncessaire de faire un grand effort pour identifier le

    processus psychique primaire avec la charge libre, et le processus secondaireavec les modifications qui se produisent dans la charge lie, ou tonique, deBreuer 1. La tche des couches suprieures de l'appareil psychique consisteraitdonc lier les excitations instinctives obissant aux processus primaires. Encas d'chec, il se produirait une perturbation analogue la nvrose traumati-que, et c'est seulement lorsque les couches suprieures ont russi s'acquitterde leur tche que le principe du plaisir (ou le principe de la ralit qui en estune forme modifie) peut sans contestation affirmer sa matrise. En attendantce moment, l'appareil psychique a pour mission de se rendre matre de l'exci-tation, de la lier, et cela, non en opposition avec le principe du plaisir, maisindpendamment de lui et, en partie, sans en tenir compte.

    Les manifestations de la tendance la rptition, telles que nous les avonsobserves au cours des premires activits de la vie psychique infantile et dutraitement psychanalytique, prsentent au plus haut degr un caractre instin-ctif et, lorsqu'elles sont en opposition avec le principe du plaisir, un caractredmoniaque. Pour ce qui est du jeu de l'enfant, nous croyons comprendre quesi l'enfant reproduit et rpte un vnement mme dsagrable, c'est pourpouvoir, par son activit, matriser la forte impression qu'il en a reue, au lieude se borner la subir, en gardant une attitude purement passive. Chaque nou-velle rptition semble affermir cette matrise et, mme lorsqu'il s'agitd'vnements agrables, l'enfant ne se lasse pas de les rpter et de les repro-duire, en s'acharnant obtenir l'identit parfaite de toutes les rptitions etreproductions d'une impression. Plus tard, ce trait de caractre est appel disparatre. Une plaisanterie spirituelle, entendue pour la deuxime fois, restepresque sans effet, une pice de thtre laquelle on assiste pour la deuximefois ne laisse jamais la mme impression que celle qu'on a reue lorsqu'on y aassist pour la premire fois. Bien plus : il est difficile de dcider un adulte relire un livre qu'il vient de lire, alors mme que ce livre lui a plu. Chez l'adul-te, la nouveaut constitue toujours la condition de la jouissance. L'enfant, au

    1 Voir section VII de mon ouvrage Traumdeutung. Psychologie der Traumvorgnge.

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    contraire, ne se lasse pas de demander l'adulte la rptition d'un jeu qu'il luiavait montr ou auquel il avait pris part avec lui ; et lorsqu'on lui a racontune belle histoire, il veut toujours l'entendre nouveau, l'exclusion de touteautre, il veille ce qu'elle soit rpte mot par mot, relve la moindre modi-

    fication que le conteur se permet d'y introduire, dans l'espoir peut-tre de sefaire bien voir de l'enfant. Il n'y a pas l d'opposition au principe du plaisir,car la rptition, le fait de retrouver l'identit sont dj en eux-mmes unesource de plaisir. Au contraire, dans le cas du sujet soumis l'analyse, il estvident que la tendance qui le pousse reproduire, la faveur du transfert, lesvnements de la priode Infantile de sa vie est, sous tous les rapports, ind-pendante du principe du plaisir, le transcende pour ainsi dire. Le malade secomporte en cette occasion d'une manire tout fait infantile et nous montreainsi que les traces mnmiques refoules, se rattachant ses toutes premiresexpriences psychiques, n'existent pas chez lui l'tat li et sont mmes dansune certaine mesure incompatibles avec les processus secondaires. Cettemme tendance la rptition se dresse souvent devant nous comme un obs-

    tacle thrapeutique, lorsque nous voulons, la fin du traitement, obtenir que lemalade se dtache compltement du mdecin ; et il est supposer que ce quifait natre cette tendance dmoniaque, c'est la vague angoisse, la crainte qu'-prouvent les gens non familiariss avec la psychanalyse de voir se rveiller eneux quelque chose qu' leur avis on ferait mieux de laisser dormir.

    Mais quelle est la nature des rapports existant entre les impulsions instinc-tives et la tendances la rptition? Il est permis de penser que nous sommesici sur la trace d'une proprit gnrale, encore peu connue, ou, tout au moins,n'ayant pas encore t formule explicitement, des instincts, peut-tre mmede la vie organique dans son ensemble. Un instinct ne serait que l'expressiond'une tendance inhrente tout organisme vivant et qui le pousse reproduire,

    rtablir un tat antrieur auquel il avait t oblig de renoncer, sous l'in-fluence de forces perturbatrices extrieures ; l'expression d'une sorte d'lasti-cit organique ou, si l'on prfre, de l'inertie de la vie organique 1.

    Cette conception de l'instinct peut paratre trange, car nous sommeshabitus voir dans l'instinct un facteur de changement et de dveloppementet non le contraire, c'est--dire un facteur de conservation. D'autre part, la vieanimale nous offre des exemples qui semblent confirmer le dterminismehistorique des instincts. Lorsque certains poissons entreprennent, pendant lasaison du frai, de longues migrations, afin d'aller dposer leur frai dans deseaux dtermines, souvent trs distantes de leurs habitats coutumiers, ils neferaient, d'aprs certains biologistes, que rechercher des habitats anciens qu'ilsont t obligs, au cours du temps, d'changer contre de nouveaux. Il en seraitde mme des migrations des oiseaux migrateurs, mais pour nous dispenser dechercher d'autres exemples, nous n'avons qu' nous souvenir que les phno-mnes de l'hrdit et les faits de l'embryologie nous fournissent la plus belleillustration de la tendance organique la rptition. Nous savons notamment

    1 Je ne doute pas que des hypothses analogues sur la nature des instincts n'aient dj

    t mises et formules par d'autres auteurs.

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    que le germe d'un animal vivant est oblig, au cours de son volution, dereproduire, ne serait-ce que d'une faon trs brve et rapide, les structures detoutes les formes dont cet animal descend, au lieu d'adopter, pour arriver saconfiguration dfinitive, le chemin le plus court. Il s'agit l d'un processus qui

    ne se prte qu'en partie, et en petite partie, une explication mcanique etdans lequel les facteurs historiques jouent un rle qui est loin d'tre ngli-geable. Et, de mme, la puissance de reproduction s'tend trs loin dans lasrie animale, comme, par exemple, dans les cas o un organe perdu estremplac par un organe de nouvelle formation, identique au premier.

    Mais, dirait-on, rien n'empche d'admettre qu'il existe dans l'organisme, enmme temps que des tendances conservatrices qui poussent la rptition, destendances dont l'action se manifeste par les formations nouvelles et parl'volution progressive. Cette objection n'est certes pas ngliger et nous nousproposons d'en tenir compte dans la suite. Mais, au pralable, nous ne pou-vons rsister la tentation de pousser jusqu' ses dernires consquences

    l'hypothse d'aprs laquelle tous les instincts se manifesteraient par la ten-dance reproduire ce qui a dj exist. On pourra reprocher aux conclusionsauxquelles nous aboutirons ainsi d'tre trop profondes , voire quelque peumystiques : ce reproche ne nous atteindra pas, car nous avons la conscience dene chercher que des rsultats positifs ou de ne nous livrer qu' des consi-drations fondes sur de tels rsultats, en faisant notre possible pour leurdonner le plus grand degr de certitude.

    Si donc les instincts organiques sont des facteurs de conservation, histo-riquement acquis, et s'ils tendent vers la rgression, vers la reproductiond'tats antrieurs, il ne nous reste qu' attribuer l'volution organique commetelle, c'est--dire l'volution progressive, l'action de facteurs extrieurs, per-

    turbateurs et dtournant l'organisme de sa tendance la stagnation. L'trevivant lmentaire serait trs volontiers rest immuable ds le dbut de sonexistence, il n'aurait pas mieux demand que de mener un genre de vieuniforme, dans des conditions invariables. Mais c'est sans doute, en dernireanalyse, l'volution de notre terre et de ses rapports avec le soleil qui a eu sarpercussion sur l'volution des organismes. Les instincts organiques conser-vateurs se sont assimils chacune des modifications de la vie, qui leur ont tainsi imposes, les ont conserves en vue de la rptition ; et c'est ainsi qu'ilsdonnent la fausse impression de forces tendant au changement et au progrs,alors qu'en ralit ils ne cherchent qu' raliser une fin ancienne en suivantdes voies aussi bien nouvelles qu'anciennes. Cette fin vers laquelle tendraittout ce qui est organique se laisse d'ailleurs deviner. La vie se mettrait enopposition avec le caractre conservateur des instincts, si la fin qu'elle cherche atteindre reprsentait un tat qui lui fut totalement tranger. Cette fin doitplutt tre reprsente par un tat ancien, un tat de dpart que la vie a jadisabandonn et vers lequel elle tend retourner par tous les dtours de l'volu-tion. Si nous admettons, comme un fait exprimental ne souffrant aucuneexception, que tout ce qui vit retourne l'tat inorganique, meurt pour desraisons internes, nous pouvons dire : la fin vers laquelle tend toute vie est lamort; et inversement . le non-vivant est antrieur au vivant.

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    Sigmund Freud, Au-del du principe de plaisir (1920) 36

    A un moment donn, une force dont nous ne pouvons encore avoir aucunereprsentation a rveill dans la matire inanime les proprits de la vie. Ils'agissait peut-tre d'un processus ayant servi de modle et analogue qui, plus

    tard, a fait natre, dans une certaine couche de la matire vivante, la con-science. La rupture d'quilibre qui s'est alors produite dans la substance inani-me a provoqu dans celle-ci une tendance la suppression de son tat detension, la premire tendance retourner l'tat inanim. La substance vivan-te avait encore, cette phase de dbut, la mort facile; le chemin vital, dter-min par la structure chimique de la jeune vie, ne devait pas tre long parcourir. Pendant longtemps, la substance vitale devait ainsi natre et renatrefacilement et facilement mourir, jusqu' ce que les facteurs extrieurs dcisifsaient subi des modifications qui les ont rendus capables d'imposer lasubstance ayant survcu leur action souvent violente des dviations de plusen plus grandes du chemin vital primitif et des dtours de plus en pluscompliqus pour arriver au but final, c'est--dire la mort. Ce sont ces dtours

    emprunts par la vie dans sa course la mort, dtours fidlement et rigoureu-sement observs par les instincts conservateurs, qui formeraient ce qui nousapparat aujourd'hui comme le tableau des phnomnes vitaux. Telles sont lesseules hypothses auxquelles on arrive relativement l'origine et au but de lavie, lorsqu'on attribue aux instincts un caractre purement et uniquementconservateur.

    Non moins tranges que ces dductions apparaissent celles qu'on peu