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Auguste Cabanès - Poisons Et Sortilèges

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  • DOCTEURS CABAXS ET L. NASS)

    Poisonset

    Sortilges

    LES CESARSENVOUTEURS ET SORCIERSLES BORGIA

    LIBRAIRIE PLON

  • POISONSET

    SORTILGES

  • Les auteurs et les diteurs dclarent rserver leurs droits

    de reproduction et de traduction en France et dans tousles pays trangers, y compris la Sude et la Norvge.

    Ce volume a t dpos au ministre de l'intrieur(section de la librairie) en mai 1903.

    DES MMES AUTEURS

    Sous presse :

    Poisons et Sortilges (i* srie)

    LES MDICIS LA BRINVILLIERS ET LA VOISIN LE RGENTLA SCIENCE DU XX* SICLE

    I

    PARIS. TYP. PLON-NOURRIT ET c'% 8, RUE GARANCIRE. 4400.

    I

  • fDocteurs CABANES et L. NASSJ

    POISONSET

    SORTILEGESLES CSARS

    ENVOUTEURS ET SORCIERSLES BORGIA

    I

    PARISLIBRAIRIE PLON

    PLON-NOURRIT et G", IMPRIMEURS-DITEURS8, RUE GARANCIRE 6*

    4903Toui droits rservi

  • PREFACE

    Plus est hominem extinguere venenoquam occidere gladio.

    De toutes les armes que le gnie de l'homme ainventes pour nuire son semblable, le poison

    est la plus lche ; l'empoisonneur est le plus mpri-sable des criminels.

    C'est qu'en effet son acte n'a aucune excuse;

    quel qu'en soit le mobile la vengeance, la cupi-

    dit, la haine ou l'amour, c'est un acte rflchi,

    prmdit, qui ncessite chez son auteur une con-tinuit logique de l'intention nocive. Les prpara-

    tifs en tant fort longs, il a le temps d'couter la

    voix de sa conscience, et de se laisser pntrer par

    le remords; si donc il perptre son crime, c^estbien en connaissance de cause, aprs en avoirpes toutes les consquences.

    Il faut considrer, en outre, que l'empoisonneurne choisit le plus souvent cette arme vile que

  • II PREFACE

    pour chapper aux poursuites de la justice, aujugement de ses contemporains ou de la postrit;car il pense, Fencontre du proverbe fameux, quel'chafaud fait la honte, et il tient plus l'estime

    des hommes, leur considration et sa scuritmatrielle, qu' son repos moral.

    Rien n'est plus mystrieux qu'une cause d'em-poisonnement : l'accusation ne peut nettement seprciser; ses arguments ne sont pas probants. Si

    aujourd'hui les progrs de la toxicologie permet-tent aux jurs de prononcer un verdict affirmatif, encore que parfois ils commettent de terribles

    erreurs, aux sicles prcdents, la science tait

    d'un bien faible secours ceux qui assumaient lalourde charge djuger ces procs. Cette circonstancefavorisait trangement les projets des criminels,qui, grce l'impuissance des savants, pouvaient

    impunment porter la mort ceux qui taient unobstacle leurs ambitions,

    Mais chaque mdaille a son revers, et s'il futpendant longtemps loisible aux empoisonneurs derpandre la terreur dans le public, par contre, cedernier, hypnotis par cette crainte continuelle,eut une frayeur invincible de ce poison inconnu,

    pouvant chaque instant se glisser en lui. Il lui

    attribua toutes les morts mystrieuses ; car, mmeaujourd'hui, il a de la vie une si singulire concep-tion, l'homme s'accoutume tellement l'existence,

  • PRFACE mqu'il ne peut croire que celle-ci lui soit ravie brus-

    quement par une cause naturelle, et il lui faut le

    spectacle des longues agonies pour lui rappeler

    combien fragile est le lien qui le rattache la terre.La mort subite d'un de ses semblables sur-

    tout d'un puissant de ce monde veille imm-diatement dans sa pense le soupon. Si mainte-nant nous sommes un peu familiariss avec ces

    maladies soudaines, qui nous assaillent et nous

    terrassent en pleine apparence de sant, nos pres

    les ignoraient, ne les pressentaient mme pas.Rien d'tonnant, par consquent, ce qu'ils aient

    eu du poison une lgitime crainte, qu'ils l'aientconsidr comme un facteur politique important.

    L'histoire du poison peut, en effet, tre envi-sage deux points de vue : politique et social.Le premier est un chapitre d'histoire gnrale, etnon des moins importants, puisqu' certainespoques, sous les Csars, les Borgia^ les Mdicis,

    la Rgence, puisque dans certains pays rgimeautocratique, o les despotes sont faits et dfaitspar des rvolutions de palais, puisque, disons-

    nous, l'opinion courante, l'opinion accepte, est

    que le poison a interrompu le cours normal desdynasties, et prcipit du trne, ceux-l mme quin'y taient monts que grce sa faveur.La ralit n'est pas si dramatique; il faut en finir

    avec ces lgendes qui alimentent si aisment la

  • IV PREFACE

    verve du romancier, mais que l'historien ne peutaccepter sans hrsie. Certes, il est des lgendes

    qu'il convient peut-tre de ne pas dflorer, et le

    souci de la vrit historique ne doit pas en faire

    oublier le charme pntrant, ni la potique morale.Mais celles-ci doivent tre dtruites, qui nous pr-sentent l'humanit plus mauvaise encore qu'ellene l'est, qui sont la honte, et non la gloire des

    socits passes.

    Les lgendes d'empoisonnement qu'on a creset propages autour de certains personnages his-toriques sont de ce nombre ; nous n'entendonspas ici faire une uvre apologtique ; nous sommes

    rests impartiaux dans l'analyse des documentsqui ont servi asseoir notre jugement, et nousavons pu ainsi acqurir la conviction que les

    verdicts des contemporains et de la postrit ont

    t le plus souvent dicts, moins par le seul soucid'une justice intgrale, indiffrente aux clameurspopulaires, que par les passions politiques qui

    aveuglent l'opinion publique et l'entranent aux

    pires exagrations. Et c'est ainsi que nous pour-

    rons montrer que la plupart des crimes imputs auxempereurs romains, Catherine de Mdicis, l'en-

    tourage de Louis XIV, au Rgent, Louis XVI,

    sont des crimes imaginaires, dont il convient de

    laver leur mmoire.11 n'en est malheureusement pas de mme au

  • PREFACE V

    point de vue social ; si le poison a pargn les ttescouronnes probablement parce que plus vuln-rables par d'autres armes, il a caus de vritablespidmies qui ont, plusieurs reprises, ravag lasocit, et provoqu dans les esprits cette inqui-tude morbide, qui est comme la caractristiquede la mentalit humaine, ces priodes trou-bles.

    Mais il faut tout d'abord tablir les liens qui unis-

    sent le poison la sorcellerie, le crime la supers-

    tition. C'est un fait constant, en effet, que chaque

    pidmie d'empoisonnement est en rapport directavec une pidmie de sorcellerie. Lorsque l'hommecherche dans le culte de Satan, dans le commerce

    des dmons, la satisfaction de ses ambitions et deses passions, fatalement il est amen user dupoison. Et la raison en est simple : si les pratiques

    de magie noire peuvent parfois russir et lapreuve n'en est pas donne, ce n'est que dansdes circonstances tellement spciales, que bien

    rarement le sorcier peut les raliser. Aussi, dpit

    par l'insuccs, mais persvrant dans son inten-tion nocive, il demande au poison la faveur que ledmon lui refuse. L'histoire des empoisonnementsest donc celle de la sorcellerie, ou plutt toutesdeux sont corollaires l'une de l'autre, et reconnais-sent les mmes origines : le mauvais instinct quipousse un homme dans la voie du mal, le dchai-

  • VI PREFACE

    nement des passions que ne modre plus le freinde la conscience.

    Ces sorciers et sorcires, qui pensaient, au

    moyen ge, jouer un rle utilitaire en venant ausecours des malheureux qui leur faisaient appel,

    Michelet nous les a montrs mettant profit lasolitude o ils vivent, pour apprendre empirique-ment les vertus des plantes et des pierres de la

    fort qui les abrite. Puis, plus tard, ayant pour

    ainsi dire acquis droit de cit, grce la compli-

    cit tacite du pouvoir, qui les reconnaissait presqueofficiellement, puisque tous, grands et petits, vou-

    laient s'y faire initier, ils tinrent boutique et conti-

    nurent leurs recherches savantes. Ils devinrentfaux-monnayeurs, et perfectionnrent leurs pro-

    cds d'empoisonnement. Les ravages qu'ils cau-saient allaient croissant, jusqu' ce qu'enfin, lesage gnie d'un Colbert les dtrna de cette auto-rit usurpe, et que la police se dcida aies traquer.

    Ils rentrrent alors dans l'ombre, mais persv-rrent dans leurs entreprises avec cependant moinsde succs et moins de scurit.La science vint au secours de la socit menace

    ;

    mais, hlas I malgr le dvouement, le talent etl'opinitret des savants, elle resta toujours enarrire; elle fut constamment battue dans cette

    lutte; leurs dcouvertes, pniblement et lentementtablies, grce au jeu logique de la raison et de la

  • PREFACE VII

    mthode, d'autres les avaient faites, pousss parune sorte de prescience, par l'ambition aussi de

    trouver la substance mystrieuse et fatale, inconnuede tous, par le dsir de devenir l'arbitre infaillible des

    destines humaines. Et c'est ainsi que les Borgia,notamment, avaient devin l'existence des alca-lodes de la putrfaction et utilis leurs proprits

    toxiques, quatre sicles avant leur dcouverte parles mdecins.

    Ceux-ci, du reste, n'ont pas toujours jou lebeau rle en matire de procs d'empoisonne-ment. Certes, on ne peut leur reprocher leur insuf-

    fisance ; ils ne sont pas responsables des lacunes de

    l'enseignement qu'ils reurent. Cependant, si quel-ques-uns furent la hauteur de leur tche, d'autres les mdecins de cour firent montre d'unemorgue insupportable, lien est qui, pour masquerleur ignorance, et pour s'excuser d'avoir laiss

    mourir leurs malades, dirent hautement que leursaugustes clients avaient succomb un empoison-nement ; ils contriburent ainsi crer cettelgende absurde, effrayer le public, toujoursconfiant dans leur parole.Le poison ne semble plus appel dsormais

    jouer un rle social et politique important. Lascience a enfin pris sa revanche; elle a devancles progrs des empoisonneurs, et il lui sera facilede djouer leurs tentatives. Les mdecins lgistes

  • VIII PREFACE

    sont arms, et si jamais de nouvelles pidmiesviennent clater, c'est que les criminels, faisant

    servir la cause du mal les donnes de la mthodeexprimentale, seront eux-mmes devenus dessavants malfaisants. Mais ils seront bientt re-joints et dpasss par ceux qui, travaillant modes-tement au bonheur de l'humanit, luttent, sansrelche ni merci, contre les obstacles accumulssur la route qui conduit au progrs social, et aussihlas I contre les malheureux gars que des pas-sions immodres poussent aux abmes du crime t

  • POISONS ET SORTILEGES

    LA LGENDE ET L'HISTOIRE

    LES POISONS DANS LA MYTHOLOGIE

    Les lgendes mythologiques ne sont pas seulement,comme on serait tent de le croire, d'agrables fictionscres par l'imagination fertile des anciens. Elles ontleur philosophie, leur morale propre, et rpondent desralits prcises, dformes, il est vrai, par la tradition,mais qu'il est possible de rtablir, en dbarrassant lafable de tout le fatras symbolique dont elle est grossie.Comme toutes les religions, le paganisme ancien (1)

    prsente un caractre surnaturel et un caractrehumain; le premier est d'ordre Imaginatif, le secondest d l'observation, que celle-ci s'applique l'tude

    (1) Les sorciers du moyen ge, en reconnaissant dans Satanet ses acolytes la suprme puissance du Mal, en lui achetant, prix d'mes, ce pouvoir occulte que le dmon mettait au servicede ses fidles, ne faisaient que continuer la tradition antique :mais, au lieu d'offrir aux Dieux infernaux le sacrifice d'un ani-mal consacr, ils vendaient leur salut et leur part de flicitstemelles promises par ri''glise... Ce n'est pas, du reste, le seulpoint commun qu'on pourrait tablir entre la sorcellerie et lepaganisme. ...

  • 2 POISONS ET SORTILEGES

    des phnomnes ou celle de l'me. En un mot, labase de chaque lgende mythologique, on retrouve ledrame humain qui lui a donn naissance; toutes poss-dent donc une part de vrit, aussi bien que les contesenfantins de Perrault, ou les fables de notre bon LaFontaine.

    Le poison joue un rle considrable dans la traditionpaenne. Dans leur panthisme universel, les anciensavaient difi la vertu et le crime; ils reconnurent doncdes desses empoisonneuses, au mme titre que lachaste Pallas ou la voluptueuse Astart : les lgendesde Mde et de Circ en sont la preuve.

    Mde, Circ, hrones dtestables, dont le nom vo-que l'esprit les forfaits fminins les plus excrables;les filles d'Hcate, petites-filles du Soleil, dchues aurang de demi-divinits, sont famihres du poison, descharmes et des philtres, dont elles abreuvent leursimprudents ennemis.Leur histoire mrite d'tre rappele. Lors de l'exp-

    dition des Argonautes, le premier essai de grandenavigation dont la relation soit venue jusqu' nous, lafille du roi de Golchos, Mde, voulant faciUter Jason,son mari, la conqute du trsor qu'il est venu cher-cher, une toison d'or garde par un dragon, remet Jason des herbes enchantes, c'est--dire des poisons,pour assoupir le monstre; et, le trsor enlev, ellepart avec le ravisseur, entranant dans sa fuite sonfrre Absyrthe.

    Mde et Jason rgnaient en Thessalie, quand, lasuite de nouveaux voyages, Jason, pris de la fille duroi de Gorinthe, rsolut de l'pouser, en rpudiantMde. Celle-ci eut beau recourir aux charmes ma-

  • LES POISONS DANS LA MYTHOLOGIE 3

    giques, elle ne put regagner le cur de Jason.Aussi, voulant se venger de sa rivale, lui envoy-

    t-elle une robe empoisonne comme celle du centaureNessus, puis elle tua ses propres enfants, la postritde Jason.

    Devenue, dans son exil, l'pouse de Thse, roid'Athnes, Mde vengea de nouveau par le poisonl'affront d'une infidht; mais celte fois sa main laservit mal : Thse ne prit point. D'aprs la tradition,Mde avait employ de l'aconit, rapport de Scythie,dont sa mre Hcate lui avait probablement enseignles vertus (1).

    Sa sur, Circ, avait donc de qui tenir. Nul, ditDiodore, ne connut mieux qu'elle la nature diffrentedes plantes et leurs proprits merveilleuses; nul neporta plus loin l'art de prparer les poisons; elle fit denouvelles dcouvertes par son gnie.

    Marie au roi des Scythes ou Sarmates, Circ empoi'

    (1) Les parents de Mde, Ate et Hcate, avaient une connais-sance approfondie des poisons.Homre dsigne Ate pur l't pitlite o/oo^povo;, que les traduc-

    teurs ont rendu par les mots savant, cruel ou malfaisant. D'aprsles scoiiastes, cette expression implique que les connaissancesd'Ale taient universellet et hrditaires. (V. Odysse, chant X,V. 137, dit. Samuel Clarke, p. 2j9 ; Londini, 1740.)

    Voici ce qu'a crit Diodore de Sicile sur la reine de Colchos,mre de Mde :

    La femme d'Ate, Hcate, tait fort savante dans la composi-tion des poisons, et ce fut elle qui trouva l'aconit. Elle prouvaitla force de chacun d'eux, en les metlanl dans les viandes qu'elleservait aux trangers. Ayant acquis une grande exprience danscet art fun

  • 4 POISONS ET SORTILEGES

    sonna son mari pour rgner sa place. Mais ce qui afait la triste clbrit de l'enchanteresse, c'est le rcitdramatique de VOdysse qui la montre transformant enpourceaux les compagnons d'Ulysse, parce que ceux-ci,s'tant trop approchs de son palais, avaient excit soninquite jalousie.

    Si nous en croyons Ovide (1), Girc avait eu desdevanciers : le cruel Lycaon, roi d'Arcadie, qui vivaitquatre sicles avant elle, avait t chang en loup;premier exemple de cette forme bizarre d'alinationmentale connue sous le nom de lycanthropie, laquelleon doit l'origine populaire des loups-garous.

    La lycanthropie tait frquente dans l'antiquit; onpourrait en relever de nombreux cas dans la littratureancienne et les lgendes paennes. Nous nous conten-terons d'en rappeler les principaux.

    Les Prtides^ filles du roi Prtus d'Argos (1498 av.J.-C), se croyaient changes en vaches et parcouraientla Thrace en beuglant.

    Le divin Mlampus les gurit avec de l'ellbore (2),qui, mille ans plus tard, tait encore le purgatif d'Hip-

    pocrate; ce qui prouve que dj on attribuait la folie la bile noire.

    Ovide a consacr une des plus belles parties de sonuvre potique, les Mtamorphoses, ces traditionsmythologiques, allusions trs videntes aux pidmiesde folie qui svirent aux temps prhistoriques,, preuves

    (1)Territus ipse fugit, nactusque silentia rurisExulat frustraque, loqui conatur.

    (2) Hahnemann, Dissertation hist. et mdic. sur l'ellborisme,dans tudes de Mdecine (Paris, 1855), t. II, p. 157.

    I

  • LES POISONS DANS LA MYTHOLOGIE 5

    que le nervosisme n'est pas d aux conditions de lavie moderne, mais qu'il est inhrent l'humanit elle-mme, dont il constitue une des tares incurables. Ilest mme certain qu'il va en s'attnuant, avec les pro-grs de la civilisation et le recul des superstitions.

    Faut-il rappeler ici les transformations de Cycnuschang en cygne, d'Io en gnisse, de Galisto en ourse,d'Ocyroc en cavale, de Jupiter en taureau (c'est sous

    cette forme qu'il enlve Europe), d'Acton en cerf, deCadmus en serpent, de Lyncus en lynx, d'Ascalapheen hibou, des Pirides en pies, d'Arachn en araigne,de Philomle en rossignol, d'Atalante en lionne, etc. ?

    D'autres sont mus en pierre, comme Battus; enfleur, comme Narcisse; en roseau, comme Syrinx. Par-

    fois, ce sont des peuplades entires qui tombent frap-pes : les paysans lyciens sont transforms en gre-nouilles (1).

    Virgile, qui, dans les Bucoliques^ s'est fait l'cho del'opinion populaire de son temps, nous rvle les pra-

    tiques des loups-garous, des ncromanciens et des sor-ciers, runies dans le mme personnage; il nous montreMris, tantt se changeant en loup l'aide de plantesvnneuses, tantt voquant les noirs esprits, tanttencore ensorcelant les moissons (2).

    L'histoire de Circ, quelques variantes prs, seretrouve dans les diffrents auteurs anciens : nous ne

    (1) Ovide, Mtamorphoses, passim.(2)

    lias herbas, atque hc Ponto mihi lecla vencnaIpsc ddit Mris, nascuntur pliirima Ponto.His ego ssepe lupiim iicri, et se coridcre sylvisMoerin, spe animas imis excire sepulcris,Atque satas alio vidi traduscere mesiet.

  • 6 POISONS E SORTILEGES

    ferons que rappeler Mde dans les Mtamorphosesd'Ovide^ Tirsias dans VOEdipe de Snque, Erisichtodans la Pharsale de Lucain, Ganidie dans les Epodes

    d'Horace, Manto dans la Thhade de Stace, Antinodans Silius Italiens.

    D'autre part^ les contes orientaux prsentent souventd'habiles magiciennes changeant, comme Girc, leshommes en btes de somme.

    Gelles d'Italie attiraient prs d'elles le voyageur tropconfiant^ et lui faisaient manger, dans du fromage

    ,

    une drogue qui le changeait en bte de somme. Ellesle chargeaient alors de leurs bagages, et, le voyagetermin, elles lui rendaient sa forme primitive. Sansnul doute, elles lui troublaient l'esprit l'aide d'un

    narcotique,, puis le ramenaient la ralit par un anti-dote appropri; moins qu'il ne faille voir dans cettelgende qu'un exemple de la puissance que les femmessavent exercer sur les esprits faibles et sans volont

    pour rsister leurs charmes ensorceleurs (1).Plusieurs individus, raconte Porta, auxquels on a

    administr de ces poisons, tombent dans des halluci-nations tranges; ils se croient mtamorphoss en ani-maux, les uns nageant sur le sol, comme des phoques;

    les autres transforms en oies ou en bufs, broutant

    l'herbe (2).

    Mais voici le cas le plus singulier de lycanthropie :

    Pamphile, d'aprs Apule, avait le pouvoir de se

    changer en oiseau, pour voler auprs de celui qu'elle

    aimait. Gette mtamorphose s'oprait l'aide d'une

    (1) Cf. Gilbert, Philtres, charmes et poisons.(2) Id., Essai historique sur les poisons.

  • LES POISONS DANS LA MYTHOLOGIE 7

    certaine pommade dont elle s'enduisait le corps; pourreprendre sa forme naturelle, elle rompait le charmeen mangeant des roses. Il parat, toujours d'aprs lamme autorit, que les onguents de Pamphile n'avaientpas tous le mme genre de vertu, car un certain Lucius,ayant pntr dans la demeure de la sorcire absente,et voulant aussi se transformer en oiseau, se trompade pot, se frotta d'une pommade diffrente, et au lieude devenir oiseau, fut chang en ne. C'est sous cetteforme qu'Apule le promne au milieu des aventuresles plus extraordinaires : le malheureux avait bienconscience de son tat, mais il ne parvint rompre lecharme dont il tait victime qu'en broutant des roses,qu'un hasard bienfaisant mit enfin sa porte (1).

    Si de lantique nous passons l're chrtienne (2),nous trouvons, enracine plus profondment encoredans l'imagination populaire, la croyance aux loups-garous et aux mtamorphoses animales. Bosquet ra-conte, dans sa Normandie pittoresque, que l'empereurSigismond (1366), ayant voulu pntrer le mystre dela lycanthropie, manda les plus doctes thologiensqui, en sa prsence, reconnurent, aprs mille preuves

    (1) Cf., Philtret, etc.

    (2) Saint Augustin raconte {Cit de Dieu, liv. XVIII, ch. xvii),d'aprs Varrox, qu'un nomm Dmlrius resta loup pendantdix ans et reprit ensuite sa premire forme.

    Sai.nt Macaire (300 de J.-C.) plongea dans l'eau bnite unefemme qui se croyait change en cavale. (Leloyer, des Spectres,p. 924).

    BoDix {De la Dmonomanie des norciers), s'en rfrant JeanTrithme (1462-1516), avance qu'en l'an 626, Baan, roi de Bul-garie, se transformait en loup quand il le voulait et se rendaitinvisible volont.

    (V. aussi Chroniques d'HiRSAUCE; Saint-Gall, 1690; 2 vol. in-fol.)

  • 8 POISONS ET SORTILEGES

    lumineuses^ que la transformation des hommes enloups-garous (1) tait un fait positif, et que soutenir

    le contraire tait tourner l'hrsie.En 1521, Burgot, dit le Grand-Pierre^ et Verdung,

    Michel, comparaissaient devant l'inquisition sous l'accu-

    sation de magie et de lycanthropie.On procde l'interrogatoire de Grand-Pierre, qui

    confesse avoir conclu un pacte avec le dmon, pactequ'il a fidlement observ pendant deux ans. Au boutde ce temps, il est revenu des pratiques religieuses;

    c'est alors que s'est prsent Michel, qui l'a de nou-veau entran dans la voie de la perdition. Michel lui

    a propos de courir travers la campagne, lui rap-pelant son serment Lucifer. Michel possdait unepommade, avoue l'inculp^ dont il m'a frott nu; peine cette opration tait-elle termine que je mesuis vu sous la forme d'un loup; je marchais quatrepieds, mes membres taient velus et couverts delongs poils; je parcourais l'espace avec la rapidit duvent.

    Michel s'est frott son tour. Telle a t la vlo-cit de sa course, au dire de son coaccus, que l'ilavait de la peine suivre ses mouvements.

    Pour reprendre les traits humains, ils ont eu recours une autre pommade, d'une efficacit spciale.

    Passe encore si les deux monomanes s'en taienttenus participer aux crmonies du sabbat. Mais,prenant leur rle de loup tout au srieux, ne se sont-ilspas aviss de faire la chasse l'homme, ou plutt aux

    (1) Gerulphus, en latin du moyen ge; Garval, vieux mot em-ploy en Normandie.

    i

  • LES POISONS DANS LA MYTHOLOGIE 9

    femmes et aux enfants, qui leur offraient moins dersistance? C'est du moins leurs aveux que nous con-signons.

    Une nuit, dit l'un d'eux, mettant profit les leonsde Michel Verdung, j'attaquai belles dents, aussittque je me sentis transform en bte froce, un jeunegaron, g de six sept ans, que je me proposais detuer; ses cris, ses vocifrations m'empchrent d'envenir mes fms; je fis aussitt retraite; je gagnai entoute hte l'endroit o j'avais cach mes habits et jeparvins, en me frottant le corps avec de l'herbe,

    recouvrer la forme humaine. Une autre nuit que j'tais transform en loup, ainsi

    que Michel, et que nous parcourions ainsi la campagne,

    nous sommes venus bout de tuer une femme quicueillait des lgumes. Nous nous disposions traiteravec la mme cruaut un individu qui parvint prendrela fuite et qui ainsi se trouva soustrait notre fureur.

    Une autre fois, nous avons donn la mort unepetite fille, ge d'environ quatre ans; l'exceptiondes bras, tout son cadavre a servi assouvir notrefaim. Michel trouva cette chair dlicieuse, bien qu'elle

    rpugnt beaucoup mon estomac. Dans une autre circonstance, nous avons tu

    ensemble une autre petite fille; c'est au cou que noussumes son sang, et que nous attaqumes sa chair.

    Une troisime victime du sexe fminin a t immoleencore par Michel et par moi; j'tais affam, j'ai mangune partie des entrailles de cette enfant.

    Enfin nous avons tu une quatrime fille, ged'environ neuf ans, qui avait refus de m'assister deses aumnes.

  • 10 POISONS ET SORTILEGES

    J'ai commenc aussi par blesser avec mes dentsune chvre qui paissait dans la campagne; je me suisensuite servi d'un instrument tranchant pour couperla gorge cet animal.

    Ces dpositions mritent-elles crance? Devons-nousaccepter pour rels ces crimes monstrueux, dont sevantent deux misrables rustres^ videmment sousl'empire d'hallucinations maladives? Comment croirequ'ils aient pu tuer jusqu' quatre personnes, et qu'ilsaient pu en dvorer la chair, sans que rien n'en aittranspir, sans que ni parents ni voisins ne s'en soientmus? Qu'importe, comme l'crit avec beaucoup de sensJean de Wier, dans le commentaire qu'il a donn duprocs des deux lycanthropes; qu'importe que les deuxptres aient indiqu avec une certaine prcision le sexe,l'ge, le genre de mort des sujets qu'ils prtendaientavoir massacrs, puis dvors; qu'ils rapportent, avecune sorte de forfanterie, l'impression produite sur leurpalais par la dgustation du sang et de la chair crue?C'est l'exagration mme, l'inconsciente monstruositde cette confession qui nous met en dfiance, et nouspermet dinfrer que les deux misrables taient enproie un dlire maladif.

    Dans certains cas^ les lycomanes ont peut-tre rpandule sang humain, mais dans l'affaire dont il est ques-tion, comme dans celle connue sous le nom d'affairede Poligny, il n'est point dit que les restes des cinq

    cadavres, dont les accuss ont prtendu avoir dvorla chair, aient t prsents aux juges. La procduren'aurait certes pas manqu de mentionner, si lescadavres avaient t retrouvs^ et le sige et le nombredes blessures releves sur le corps des victimes. Ce sont

  • ILES POISONS DANS LA MYTHOLOGIE H

    donc les tmoignages de deux alins qui ont emport laconviction des juges et qui ont fait admettre la vraisem-blance des prtendues scnes de carnage qui se seraientpasses dans une partie de la Franche-Comt (1),en 1521.

    Pouvaient-ils tre autrement qu'alins, ceux qui

    ont tenu les propos tranges que nous recueillons surles lvres de l'un des lycanthropes : J'tais compl-tement nu, lorsque mes mtamorphoses dhomme enbte devaient s'effectuer; j'ignore ce que devenaitma peau de loup lorsque je redevenais homme. Michelrestait vtu pendant qu'il se sentait transform enloup-garou ; et ceci, plus significatif encore :

    t II nous est arriv plus d'une fois de nous accoupleravec des louves (2); nous prouvions autant de plaisirpendant ces accouplements que si nous avions taccoupls avec des femmes.

    Et pourtant, en dpit de ces observations tranges,les juges du temps ne traitaient pas leurs rcits fantas-tisques de divagations; de trs bonne foi sans doute.

    (i) De 1598 1600, la lycantliropie svit pidmiquemcnt dansle Jura. Boguet, le grand juge de la rgion, fut charg d'instruirele procs de ces malheureux et s'acquitta de sa mission avectant de z'le qu'il se vantait, sur la fin de sa carrire, au dire deVoltaire, de n'avoir pas fait prir moins de six cents lycan-thropes ou dmonolAlres

    (2) Ce.s cas d'auto-suggestion taient frquents : dans unepidmie d'hystro-dmonopalhie, survenue dans un couventd'Allemagne, au seizime sicle, on en relve un certain nombre:la nymphomanie de quelques-unes de ces religieuses les portait rechercher, en rve ou en imagination, le commerce desanimatix ; cela n'empchait pas qu'elles aflirmassent avec forcequ'elles avaient rellement cohabit avec ces animaux, des singes,des chats, des chiens, etc. L'une d'entre elles prtendait mmequ'elle accoucherait quelque jour d'une porte d'animaux.

  • 12 POISONS ET SORTILEGES

    ils prononaient une sentence qu'ils croyaient juste etquitable.

    N'existe-t-il pas un jugement rendu en 1574, quireconnat formellement l'existence de ces btes malfai-

    santes : un nomm Gilles Garnier condamn pour avoir,sous la forme d'un loup-garou, pris une jeune fille dedouze ans_, l'avoir tue, dpouille et mange, et quien avait mme port les meilleurs morceaux safemme? Les juges ne virent point la folie de cethomme, mais considrrent qu'il avait perdu sa person-nalit humaine : devenu loup, il agissait en loup etdevait tre tu comme un loup. Ils eurent l'intime con-

    viction qu'ils jugeaient non pas un homme, mais unanimal.

    Aussi bien, certaines poques, o la folie rotoma-niaque est quasi pidmique, elle provoque des accsd'aberration mentale voisins de ceux que nous venons

    de rapporter. Cervantes s'en est fait l'cho involon-

    taire. Son hros, Don Quichotte, n'est videmment pasun loup-garou, et nanmoins il prsente une dforma-tion singulire de l'esprit, que l'on peut rapprocher

    des cas prcdents : il transforme les brebis en hros,les moulins vent en gants, sa Dulcine du Tobosoen grande princesse; il n'a pas la notion exacte de laralit, grce au prisme grossissant travers lequelil voit choses et gens. Cette singulire manie recon-nat videmment pour cause un dfaut d'quilibreentre ses facults intellectuelles et ses facults senso-

    rielles, qui ne sont pas en harmonie. Que d'autres, dureste, ont, aprs lui, t victimes de cette maladie dujugement, et suivent les traces du triste chevalier dela Manche ! . .

    .

  • LES POISONS DANS LA MYTHOLOGIE d3

    Quelle explication rationnelle donner de la lycan-thropie (1)? Est-il possible de commenter, l'aide deslumires de la science actuelle, ses effets fabuleux?

    Plusieurs hypothses sont plausibles.Cette aberration mentale peut, ou bien reconnatre

    une cause extrieure (intoxication par les charmes,

    drogues, etc.), ou bien tre la consquence d'un trau-matisme mental : la suggestion.

    Flandin (2) expose en ces termes la premire thorie : Il est des plantes, crit-il, qui produisent sur

    rhomme des effets tels qu'ils rvent, tant veills,qu'ils se croient transforms en pierre, en arbre, enanimal.

    Au nombre de ces plantes sont la jusquiame, quiveut dire fve de pourceau; la mandragore, vulgaire-ment appele herhe de Circ.

    Mais qui ne sait que ces plantes, vritables poi-sons (3), produisent faible dose un drangement de

    (1) La lycanthropie est srieusement discute par les crimi-naiistes et les mdecins, et presque tous, encore au dix-septimesicle, se rallient la superstition populaire.Le docteur Nynauld, dans son livre De la Lycanthropie, ddi

    en 1615, au cardinal Duperron, archevque de Sens, combat lathorie de Bodin.Dans sa Dmononianie (liv. II, chap. vi), celui-ci soutient que

    la transformation d'hommes en btes peut tre relle ou mat-rielle, mais avec des attnuations qui permettent d'apprcier lesfantaisies de la science mdicale de cette poque.

    D'aprs le docteur Nynauld, l'apparition des sorcires en loupsprovient d'une double illusion, produite par les artifices dudiable dans les esprits : illusion des spectateurs, persuasion dela sorcire qu'elle est rellement transforme en loup, aprss'tre frotte de certains onguents fournis par le diable, halluci-nation qui lui donne le dsir invincible de courir traverschamps. (Delacroix, Les Procs de sorcellerie.)

    (2) Flandin, Traita des poisons.(3) Boguet reconnat cependant que le fromage et les poudres

  • 14 POISONS ET SORTILGESl'esprit, de vritables aberrations momentanes? Quine connat les effets de l'opium et ceux du haschich?

    tre transform en pourceau, la manire descompagnons d'Ulysse, c'est donc, par l'ivresse, avoirperdu la raison, et jusqu'au sentiment de sa personna-lit; tre sous l'empire d'une hallucination ou d'unealination mentale passagre, sorte de dlire dj tantde fois constat, qui porte en mdecine le nom delycanthropie ou plus gnralement de zoanthropie. La deuxime thorie est base sur le phnomne

    mental connu sous le nom de suggestion. A celle-ci serattachent les possessions dmoniaques ou autres; caron peut tre possd autrement que par le dmon. Unanimal est en vous, vous oblige imiter ses actes : c'estde l'auto-suggestion. Dans d'autres cas, le mdecin peutchanger la personnalit dune hystrique ou d'une n-vropathe, en lui persuadant qu'elle est mue en chien , enchat ou tout autre animal : c'est de l'htro-suggestion.On trouve dans les maisons d'alins de frquents

    exemples de ces cas morbides : il est des individus quise croient homme d'un ct et cheval de l'autre, commeles centaures de la fable. On a cit l'observation d'unmalheureux malade qui se disait lapin. Entendait-il uncoup de fusil, il rampait, tout tremblant, sous son lit,en s'criant: Voil la chasse; c'est fait de moi, pauvrelapin!

    Qu'on rapproche ces observations mdicales desrcits de l'antiquit, et on sera amen conclure queles potes piques, crateurs ou hritiers des lgendes

    dont quelques-uns des condamns prtendaient avoir fait usage,pour empoisonner des hommes et causer des maladies aux bes-tiauxi ne contenaient aucun principe nuisible.

  • LKS POISONS DANS LA MYTHOLOGIE 15

    mythologiques, ont pris pour des ralits de simples

    rcits d'hallucins (i).

    Ce n'est qu'au commencement du dix-neuvime sicleque les mdecins reconnurent le caractre pathologiquede ces affections mentales. Encore eurent-ils lutter

    contre l'opinion publique, pour faire accepter leur thse

    de l'innocence de ces dmons.La lutte a toujours t vive, d'ailleurs (2), quand les

    alinistes, rompant en visire avec les prjugs sociauxet les erreurs admises pendant des sicles, ont plaid

    la cause de la folie criminelle et de l'irresponsabilit

    des sadiques ou des suggestionns.

    En 1824, un Espagnol, Manuel Blanco, sous l'influence

    (1) Guillaume d'Auvergne a rapport le cas d'un mlancoliquequi s'absentait quelquefois de son domicile quelques heures dela journe et qui affirmait, en rentrant dans sa maison, qu'ilvenait de donner la chasse des innocents, et qu'il lui arrivaitsouvent d'tre transform en loup. On ne tarda pas dcouvrir,en suivant la trace de ce prtendu loup-garou, que, par le fait, il.se retirait dans une caverne obscure, o il restait plus ou moinslongtemps ravi en extase. C'tait au sortir de pareils accs qu'ilse vantait d'avoir port la terreur dans le voisinage des habi-tations. A l'aide de soins convenables, cet homme fut rendu son ancien bon sens. (Calveil, La Folie au point de vue hislo-rique, etc.)

    (i) A signaler toutefois une affaire de lycanthropie juge Angers en 1598, au moment mme o se passaient dans le Jurales vnements que nous venons de relater, affaire dont l'issuefait le plus grand honneur au Parlement de Paris. Un lycan-thrope, du nom de Roulet, avait t condamn mort par lelieutenant-criminel d'Angers; le lycanthrope ayant interjetappel, la cour de Paris fut appele le juger. Elle dcrta qu'ily avait plus de folie chez le pauvre idiot que de malice et desortilge, et ordonna en consquence que Roulet serait plac l'hpital de Saint-Gcrmain-des-Prs, o l'on avait coutume demettre les fous, pour y demeurer l'espace de deux ans. (Cf.Dela.ncre, Vlncrdulit et mcrance du sortilge pleinement convaincu, in-4, 1622).

  • 16 POISONS ET SORTILEGES

    de l'ide qui lui vint d'tre ensorcel, s'tant cru

    chang en loup, avait tu six personnes, et avait dvormme quelques parties du corps de chacune d'elles.C'tait l vritablement un fou, qui avait agi sous l'in-

    fluence des croyances populaires en la possibiUt d'un

    tel changement de personnalit. Durand de Gros pro-testa contre la condamnation mort de ce malheureux :Il s'agit, crivait-il, d'une aberration mentale, ne parauto-suggestion.

    Libault a rapport un cas d'altration d'esprit peu prs analogue. Seulement le changement de per-sonnalit, au lieu d'avoir pris son origine dans une

    auto-suggestion, fut caus par affirmation verbale. Unefdlette de neuf dix ans se croyait transforme enchienne. Elle marchait quatre pattes dans la maison,

    aboyait, se couchait devant les portes pour les garder, et,

    quand quelqu'un entrait, se jetait sur lui pour le mordre.Toutefois, elle sortait de ce rle ds qu'on l'interpel-

    lait : alors elle rpondait aux questions qu'on lui adres-

    sait et se laissait conduire par ses proches. Elle fut

    gurie en deux sances d'hypnotisme. Plus tard, onapprit que son pre lui avait suggestionn qu'elle taitune chienne, pour assouvir ses passions.

    On le voit, les deux thories renferment chacune unepart de vrit. Il est infiniment probable, en effet, que

    les loups-garous de l'antiquit et du moyen ge taientles naves victimes tantt des philtres (a) vgtaux,tantt d'une suggestion directe.

    Ce sont donc bien des malades qu'on a jadis envoysau bcher; ce sont des innocents qu'on a condamnsau feu. C'est la gloire de la science moderne d'avoirdbrouill le chaos o sombra la raison humaine une

  • LES POISONS DANS LA MYTHOLOGIE 17

    poque de barbarie; c'est grce la perspicacit denos alinistes qu'il nous est donn de comprendreces phnomnes de possession et de dmonopathie,qui ne relvent plus, en notre sicle de lumire, des

    juridictions ou des tribunaux exceptionnels, mais del'apprciation raisonne du mdecin lgiste.

    I

    PIECES JUSTIFICATIVES

    (a)

    LES PHILTRES DE l'ANTIQUIT : LE NEPENTHS

    Parmi les philtres, capables de produire une altration momen-tane de la raison ou de plonger dans une extase particulireceux qui les absorbaient, il en est un dont Homre parle maintes reprises, et sur lequel il nous parat ncessaire de fournirquelques claircissements : c'est la plante connue sous le nomde npenths.

    Qu'tait-ce au juste que le npentbs? videmment un narco-tique, mais lequel?

    Certains n'ont voulu voir dans ce breuvage merveilleux qu'uneimage allgorique du pouvoir qu'exerce la femme par sa beautet ses discours. On ne peut que sourire de cette explication.

    S'agissait-il d'une de ces boissons enivrantes, analogue aumalat des Turcs, au bindj des Arabes, l'ava des insulaires dela mer du Sud, dans la composition desquelles entrent plusieursnarcotiques?Dans le quatrime livre de Odysse, le npenths dsigne un

    remde merveilleux, capable d'amener l'oubli du chagrin et dedissiper la colre. C'est Hlne, aprs son retour de Troie, quiversa cette drogue, dont elle tenait le secret d'une gyptienne,dans le vin de ses convives, pour ramener la gat trouble parle souvenir de son enlvement.Les femmes de Thbes, en Egypte, seules possdaient le secret

    de la composition du npenths. Mais ces lgendes ne nousapprennent rien de prcis, et nous en sommes encore aujour-

    2

  • 18 POISONS ET SORTILEGES

    d'hni rduits aux hypothses. Notre seule ressource est de dis-cuter l'opinion des anciens sur ce sujet.Les uns identifient le npcnths avec le Panax Chironium de

    Thophraste, parce qu'on l'administre, infus dans le vin, contrele rhumatisme, et aussi comme aphrodisiaque.

    Pline, par une galanterie trs rtrospective, le suppose pro-venir d'un Helenium, et raconte sans rire que, d'aprs la tradi-tion la plus sre, VHelenium naquit des larmes d'Hlne!

    Galien a pens que la Buglosse pourrait bien fournir le npen-ths, car, infuse dans le vin, elle devient un cordial exhilarant.

    Sprengel identifie le npentlis avec l'opium : hypothse quioffre peu de probabilit cependant, car l'opium communique auvin un got dtestable, et ce n'est certes pas sous celte formeque les Orientaux le consomment d'habitude. D'ailleurs, tous lesnarcotiques y ont pass : jusquiame, belladone, stramoine,chanvre indien, etc.S'appuyant sur le tmoignage de Diodore de Sicile, certains

    n'ont pas hsit affirmer que le npenths fut du haschish,employ dans l'Inde depuis la plus haute antiquit. Le haschish,il est vrai, ne s'est gnre rpandu en Syrie et en Egypte que versle sixime ou le septime sicle de l're chrtienne. C'est laraison qui a dtermin M. Franois Villard, dans sa thse surle haschish (Paris, 1872) prfrer la jusquiame ou la mandra-gore au haschish, comme ayant t le npenths des Anciens. Laraison n'est pas suffisante : rien ne prouve que du temps d'Ho-mre, une prparation de chanvre indien ne ft connue en Egypteet en Grce.Un voyageur qui parcourut la Turquie, la Perse et l'Inde au

    commencement du dix-septime sicle, en revint imbu de celteide, que le npenths tait du... caf! Hlne versant le caf ses invits, c'est un joli anachronisme!

    Enfin, on a encore suppos que la plante fournissant la droguehomrique tait un glaeul ; mais ce sont l autant d'hypothses,qu'il serait aussi vain de discuter que de contredire. (V., pourplus de dtails, le curieux article du D-^ Hahn, dans lo, Chroniquemdicale, 1" septembre 1898.)

  • LES POISONS AUX TEMPS PRIMITIFS

    LES FLCHES EMPOISONNES DES TRIBUS SAUVAGESLE POISON d'preuve

    L'art funeste de rempoisonnement est, pourrait-ondire, contemporain de la perversit humaine, et cetteperversit est aussi ancienne que le monde.

    Il faut remonter jusqu' Tpoque prhistorique pourtrouver Torigine et l'emploi des armes empoisonnes.Qu'il luttt pour sa dfense ou pour sa subsistance,

    Ihomme primitif avait combattre des adversairesqui lui taient bien suprieurs sous le rapport de laforce physique, en juger par les vestiges d'animauxgigantesques que les fouilles ont mis et mettent tousles jours dcouvert (i).

    11 tait naturel que pour suppler sa faiblessel'homme se fabriqut des armes : elles furent, dans leprincipe, rudimentaires, un silex taill, que la mainpouvait saisir et lancer ou un silex fix au bout d'unroseau. Plus tard, il songea aies enduire d'un des poi-sons que la nature mettait 'sa porte et dont le

    (1) Pour la documentation de ce chapitre, nous avons consult,outre les ouvrages mentionns ci-dessous, les Bulletins de laSocit. (VAnthropologie de Paris, 1883, pp. 205, 274; 1888, 194;1889, 404; 1891, 706, 755; 1898, 294; la Revue de l'cole d'Anthro-pologie, 1891, p. 97; 1892, 12; 1893, 301; 1897, 248; 1898, 323;4900, 108, 167, 190; 1902, avril.

  • 20 POISONS ET SORTILEGES

    hasard ou rexprience lui avait rvl les proprits. Cette pratique d'empoisonner les armes se retrouve,

    e'crit le docteur Malbec,, chez presque tous les peuples

    primitifs, toutes les poques, dans tous les pays,sous toutes les latitudes, et peine modifie dans laforme de l'arme ou la nature du poison ; et il sembleque ce sont les traditions lgues d'ge en ge par lespremiers anctres, que l'on retrouve encore aujour-d'hui chez les peuples sauvages qui font usage d'armesempoisonnes, pour rpondre aux mmes besoins. L'homme quaternaire ne semble pas s'tre muni

    d'armes empoisonnes ; les premires traces de l'usagede ces armes remontent l'ge de la pierre polie.En 4858, Geofroy-Saint-Hilaire, en prsentant la

    Socit d'Anthropologie des dbris de flches recueil-lis dans une grotte, en mme temps que des ossementsd'animaux appartenant des espces actuellement dis-parues, faisait observer que plusieurs pointes de cesflches taient creuses de rainures, destines, selontoute apparence, recevoir des substances vn-neuses (1).

    Un peu plus tard, le professeur Parrot dcouvrait,dans une grotte de la Dordogne, une tte de flche,qui offrait sur chaque face une gouttire pro-fonde (2).

    Depuis lors, les recherches se sont multiplies : ilest amplement prouv, par des tmoignages nom-breux, que les hommes fossiles ou palolitiques empoi-sonnaient leurs armes ; on a trouv, en ces dernires

    (1) Comptes rendus de VAcadmie des Sciences, 10 novembre 1858,(2) Comptes rendusde l'Association pour l'avancement des Sciences,

    session de Bordeaux (1872).

  • LES POISONS AUX TEMPS PRIMITIFS 21

    annes, des pointes de sagaies en os et en corne de

    renne, avec de simples entailles situe'es les unes au-des-

    sus des autres, une distance peu prs gale, qui

    taient, selon toute vraisemblance, destines loger

    et retenir du poison.Si nous passons aux temps historiques, nous retrou-

    verons les poisons sagittaires en usage chez les peu-

    ples les plus divers.

    Homre, le plus document des historiens, quand iln'est pas le plus inspir des potes, nous rvle

    qu'Ulysse va demander llus, roi d'pire, du poison,pour y tremper ses flches. Par respectpour les Dieux,

    llus oppose un refus Ulysse. Mais Minerve, c'est--dire la rflexion et la sagesse, vient en aide Ulysse

    et fait accorder par Jupiter Tpoux de Pnlope ceque celui-ci n'a pu obtenir du roi d'pire.

    Il y a dans Homre un autre pisode, qui nousclaire mieux encore sur ce sujet. Les flches d'Her-cule (1) ont t trempes dans la bile de l'hydre de Lerne,pour les rendre plus meurtrires. L'oracle a dclarque, sans elles, jamais Troie ne serait prise par lesGrecs. Frapp mortellement de l'une de ces flches,le centaure Nessus n'eut qu rougir sa tunique desang, pour la rendre fatale qui la revtirait. Hritierde ces flches terribles, Philoctte, pour en avoir eu lepied seulement effleur, fut atteint d'une plaie incu-rable et devint un objet d'horreur pour ses compa-

    (1) Ce serait avec des flches empoisonnes qu'Hercule auraitbless par mgarde le centaure Chiron, et frapp mortellementle centaure IS'essus, lors de l'eDlvement de Djanire.Dans VOdysse, Homhe parle d'un poison mortel pour l'homme,

    extrait d'une herbe, et servant tremper les flches de bronze.(Elie.n, liv. V, 56.)

  • 22 POISONS ET SORTILEGES

    gnons, qui l'abandonnrent dans une le dserte.Quelque lgendaires que soient ces rcits, ils com-

    portent une part de vrit, et il convient de ne pas lesrejeter sans examen ; nous pouvons au moins eninduire que les Grecs savaient coup sr tirer parti

    du poison des flches.De mme, chez les Celtes, au rapport d'Aristote,

    il existait un poison, qu'ils appelaient eux-mmestoxique

    ;poison qui dterminait une dcomposition si

    prompte, que les chasseurs, lorsqu'ils avaient frappd'une flche un cerf ou quelque autre animal, cou-

    raient rapidement exciser la partie blesse, avant quele poison n'et pntr, afln que l'animal pt ser-vir de nourriture, et aussi pour qul ne se putrfit

    pas (1).Les Celtes employaient, pour enduire leurs traits,

    le fruit d'un arbre assez analogue comme forme auxchapiteaux des colonnes corinthiennes, et dont le suc

    tait mortel (2).Ovide a dpeint quelque part les G tes indompts

    (au miheu desquels il passa une partie de sa vie), tou-jours cheval, lare en main, et sur l'paule un car-quois rempli de flches trempes dans le fiel de lavipre (3). En un autre endroit, il rapporte que cen'tait pas seulement le fiel du reptile qui servait cet usage, mais bien son sang (4); ce qui rendait,

    (1) De mirabilibus consultationibus, lxxxvi du tome IV, p.collection Didot.

    (2) Strabon, Gographie, liv. IV, chap. iv, | 6.(3)

    Omnia viperco spicula telle linunt.(4)

    Nec qun vipereo tela cruore madent.

  • LES POISONS AUX TEMPS PRIMITIFS 23

    dit le pote, ces flches doublement mortelles (1).Sans doute, les Gtes tenaient-ils leur recette des

    Scythes, qui prparaient leur poison de la manire quisuit (2) : Les Scythes gardent les vipres femelles,

    portant dj des petits, et les font macrer quelquesjours. Lorsque le tout leur parat suffisamment putr-fi, ils versent du sang d'homme dans une petite mar-mite qui, ferme avec un couvercle, est enfouie dansle fumier. Lorsque ce sang est galement putrfi,le hquide sreux qui reste la surface est ml auputrilage de la vipre, et ainsi ils font un poison

    mortel (3).

    Les Daces et les Dalmates, les premiers, riverains duDanube, les seconds, habitants des bords de l'Adria.tique, au nord-ouest de la Grce, enduisaient les dards

    avec deux substances, Vhelenium, et le ninum, dontnous reparlerons plus loin, substances qui, mises encontact avec le sang des blesss, les tuent, mais qui,manges, ne font aucun mal (4).A part le venin de la vipre, tous les poisons qui

    viennent d'tre mentionns appartiennent aux espcesvgtales; ils devaient tre, quelle que ft leur prove-

    nance, d'une virulence particulire, en juger par lasret et la promptitude de leurs effets.Pour ce qui est du venin de la vipre, on est aujour-

    d'hui fix sur son action : une statistique (5) soigneu-

    sement difie tablit une proportion de lthaUt de

    (1) Memre, ludes mdicales sur les potes latins.(2) De mirabilibus comull., chap. cxli du t. IV.(3) Elien, loe. cit., liv. IX, chap. xv.

    (4) Paul d'Egine (dit. Briau), liv. XXXVIII, p. 355.(5) Viaud-Grand-Marais, lude mdicale sur les serpents de la

    Vende et de la Loire-Infrieure.

  • 24 POISONS ET SORTILGES4 pour 100. Mais les serpents de l'antiquit n'avaient-

    ils pas un venin plus violent que ceux qu'on rencontre

    de nos jours? Le fait, sans tre facile dterminer,n'est pas improbable. Le poison tait^ en tout cas^

    fourni par diffrentes espces de vipres; ce qui

    explique son activit variable, activit plus ou moinsgrande^ du reste, suivant diverses circonstances detemps, de temprature, etc. Le venin, mme dessch,conservait son action toxique.

    Dans les pays o la vipre est actuellement trscommune, elle restait toujours relativement peu abon-dante. Outre que chaque animal ne fournissait qu'unequantit minime de poison, les grands froids qu'il ad subir aux poques primitives ne favorisaient passa propagation; force fut donc nos anctres de re-courir aux poisons vgtaux.

    Les principales plantes vnneuses employes parais-sent avoir t le gouet ou pied-de-veau, la clmatite ou

    herbe aux gueux, qui tire son nom de l'emploi qu'enfont certains mendiants pour simuler des plaies ulc-reuses sur les membres; les euphorbes, purgatives;les renoncules, acres et irritantes ; les anmones, dont seservent encore les habitants du Kamtschatka ; lesellbores, les cigus, la jusquiame noire, la digitale pour-pre, vulgairement appele berlue, parce qu'elle troubleles sens et l'esprit ; la belladone et la stramoine, et sur-

    tout les aconits : c'est un aconit qui fournit, encore denos jours, dans les montagnes de l'Inde, le plus redou-table poison pour empoisonner les armes. La dter-mination botanique des autres plantes vnneuses estreste incertaine, et on ne peut faire que des conjec-tures leur endroit.

  • LES POISONS AUX TEMPS PRIMITIFS 25

    Le vgtal dont parle Strabon (1), et dont le fruit avait

    la forme d'un chapiteau corinthien, tait-il un figuierou un pavot? Les fruits des diffrentes espces de figuiers

    de notre pays ne paraissent pas avoir cette forme devolute renverse. Et si la capsule du pavot peut trsimparfaitement rappeler un chapiteau, le pavot ne sau-rait tre considr comme un arbre. Or, Strabon parlepositivement d'un arbre et non d'un arbuste ou d'une

    plante, dont le suc aurait eu un pouvoir toxique (2).Le poison obtenu avec le limeum tait connu des Gau-

    lois sous le nom de poison des cerfs, venenum cervarium.Ce limeum parat tre une espce vgtale disparue.Littr a mis l'opinion que cette plante devait treune renoncule (3) et cette opinion est partage parl'minent botaniste Billon.

    (i) Les Orites, peuples voisins de l'Indus, dit encore Strabon,taient dans l'usage de frotter de poisons mortels leurs flches,faites d'un bois durci au feu. C'est d'un pareil trait que Ptolmefut atteint, et il serait mort des suites de sa blessure, s'il n'ett secouru par Alexandre.Ce prince crut voir en songe un homme qui lui montra une

    racine avec sa tige et ses feuilles et qui lui conseilla de la pileret de l'apphquer sur la blessure de Ptolme. Ds qu'il futveill, se rappelant la figure de la plante, il la chercha, latrouva en grande quantit, et s'en servit pour toute son arme.Les barbares, tonns d'un pareil remde, se soumirent volon-tairement Alexandre. Strabon, liv. XV, p. 725, dit. grecque;t. V, p. 101 et suiv. del'dit. de l'an XIII.

    Strabon n'adopte pas la fable du songe. II est plus naturel depenser, dit-il, qu'Aleitandre fut instruit de la vertu du vgtalpar quelqu'un du pays, et que les flatteur du prince inventrentle reste.

    (2) Cf. un travail de Lagneau, lu l'Institut (Acad. des Ins-cript ), le 2 novembre 1877.

    (3) Le Raniinculus Ihora ou le Doricum pardalianches (Cf. Pline,liv. XXVII, chap. lxxvi, p. 240 et n 39, p. 248, texte et traduc-tion de Littr, collection Nisard; article Renoncule, du Diction-naire encyclopdique det Sciences mdicales; 1876).

  • 26 POISONS ET SORTILGESQuant Vhelenium et au ninum, ils se rapproche-

    raient par leurs effets du curare, dont la plus remar-quable proprit est d'tre un poison des plus violents^

    quand on l'introduit dans une plaie, tandis qu'il estinoffensif quand on l'ingre dans le canal intesti-nal (1).

    Mais les Celtes et les Gaulois (2) se servaient sur-

    tout de poisons extraits de Vellbore et de Vif : le suc

    de l'ellbore blanc^ dont on extrait la vratrine, est, en

    effet, d'aprs les recherches modernes,, un poison desplus actifs.

    Pour ce qui est de Vif, ou plutt de ce que les Gau-

    lois (3) dsignaient sous le nom de taxus, le principe

    (1) Claude Bernard, Leons sur les effets des substances toxiqueset mdicamenteuses.Les Daces et les Dalmates enduisaient les dards avec ce qu'on

    appelait autrefois Vhelenium (aune) (P. d'GiNE, trad. Briau,liv. XXXVIII, p. 355).

    (2) D'aprs Pline, les Gaulois trempaient leurs flches dechasse dans l'ellbore {Hist. natur., liv. XXV, chap. xxv, p. 175,dit. Littr); d'autres fois, ils les enduisaient d'une prparationqu'ils appelaient le poison des cerfs (op. cit., liv. XXVI, p. 240).

    (3) Les Franks de Germanie, de mme que les Gaulois, se ser-vaient certainement de flches empoisonnes, selon la formuledes Indiens d'Amrique, ou une recette qui s'en rapprochait.

    Sulpice Alexandre, cit par Grgoire de Tours, conte que,lorsque, vers 388 aprs Jsus-Christ, Quintilien, lieutenant deMaxime, eut combattre les Franks transrhnans, les Germainsse servirent de flches trempes dans le suc d'herbes vnneuses,de sorte que les blessures mme les plus superficielles dtermi-naient fatalement la mort.

    Grgoire de Tours relate que Sigebert fut frapp, en 573, aumiheu de son arme, par deux missaires de Frdgonde, avecde grands couteaux, vulgairement appels scramaxes, enduitsde poison. (Grg. de Tours, Op. omnia, t. II, p. 157, dit. de1836.)

    Les Vandales, d'aprs Sidoine Apollinaire, se servaient gale-ment de javelots empoisonns (Pang. de Majorien, t. III, p. 86.)L'usage des flches empoisonnes fut svrement puni par la

  • LES POISONS AUX TEMPS PRIMITIFS 27

    vnneux en est signal, ds la plus haute antiquit,par les historiens, les naturahstes, voir par les

    potes (1). Pris en boisson, au dire de Dioscoride (2)il dtermine un refroidissement, touffe et enfin tue.11 suffisait d'avoir bu du vin conserv dans des barilsen bois d'if; mieux encore, d'avoir mang, de s'treassis et endormi l'ombre de cet arbuste, pour enressentir des effets mortels (3) . Des expriences rcentesont permis d'tablir l'exagration de ces rcits.Le principe toxique de l'if est trs ingalement

    rpandu dans les diffrentes parties du vgtal etrside principalement dans les feuilles, dont les prpa-rations ont parfois dtermin la mort (4). On a encoreextrait, tant des feuilles que des semences ou amandesdes fruits de l'if, un alcalode, la taxine. dont quinze

    centigrammes, introduits dans la veine jugulaire d'unchien, ont suffi pour le tuer en une demi-heure (5),

    Bien que la plupart des substances (6) employes

    loi salique, chez les Franks, vers le commencement du cinquimesicle : Celui qui aura voulu frapper autrui, nonait le textede loi, avec une flche empoisonne... sera condamn payerdeux mille cinq cents deniers, qui font soixante-deux sous etdemi. Deux gicles environ plus tard, les prescriptions lgales s'taient

    fort adoucies : celui qui avait rpandu le sang d'autrui avec undard empoisonn payait une indemnit de douze sous.

    (1) Virgile, Bucoliques, glogue IX, vers 30.(2) Mal. mdicale, t. II, et De venenis, chap. xii.(3) Pli.ne, Hist. natur., t. XVI, chap. xx, texte et trad. de

    Littr.

    (4) Annales d'hygine, 2 srie, t. IV.(5) Revue de Hayem, i" anne, t. VII (1876) et Gazette hebd. des

    Sciences mdic. (6 oct. 1876;.(6) Une des substances les plus communment employes

    comme poison des flches tait Vaconit, que Pline considraitcomme un toxique des plus violents : au seizime sicle, AmbroisoPar faisait la remarque, propos de l'aconit tue-loup (luparia),

  • 28 POISONS ET SORTILEGES

    pour empoisonner les flches soient reconnues commedoues de proprits toxiques, il en est un certainnombre qui nous paraissent d'une bnignit relative etdont on ne s'explique gure aujourd'hui les effets qu'onnous en rapporte. Nous sommes, il est vrai, rests

    ignorants de leur mode de prparation et de la manipu-lation qu'on leur faisait subir ; or rien ne nous dit que

    ce ne ft pas l que rsidait le secret de leur puissance.

    Au surplus, les botanistes, aids des physiologistes,arriveront-ils peut-tre un jour dterminer d'unemanire plus prcise la composition de ces poisons,dont la formule, si elle est jamais perdue, pourraitnanmoins tre peu prs reconstitue.

    Depuis que les armes feu ont presque partoutremplac les armes de jet, l'tude des flches empoi-sonnes ne prsente plus gure qu'un intrt ethnolo-gique et historique; cependant on trouve toujours enusage de pareilles armes parmi les peuples o la civi-lisation moderne n'a pas encore pntr, et il importede bien connatre la nature des poisons employs, afind'y porter remde, si l'occasion s'offre d'en observerles effets.

    Les tribus indiennes du nord et du sud de l'Am-rique furent, une certaine poque, trs expertes dans

    que les flches trempes dedans son jus, leurs blessures sontmortelles. (uvres, in-fol., 1652, p. 505).Les Espagnols, l'imitation des Gaulois, faisaient plutt usage

    de la racine d'ellbore. Claude Bernard rappelle (loc. cit.) qu'unporte-arquebuse de Philippe III usa d'un poison de flches fabriquavec cette substance.

  • LES POISONS AUX TEMPS PRIMITIFS 29

    l'art de prparer des flches empoisonnes. Le modede prparation auquel ces peuples avaient recoursvariait suivant les endroits. Il s'est conserv, sans

    modification, en certaines rgions.

    Dans l'Amrique du Sud, c'est le curare qui est sur-tout employ : il a pour base de sa prparation unestrychne, mais d'autres plantes lui sont parfoisajoutes ; du reste, le curare des Galibis, par exemple,n'est pas le mme que celui des Roucouyennes ; celuides Roucouyennes diffre de celui des Marpuros, etc.La rcolte de la liane poison donne lieu de grandes

    ftes, que de Humboldt a tout au long dcrites et pen-dant lesquelles l'ivresse de ceux qui y prennent partest obligatoire.

    On recueille le curare et on le conserve dans despots de terre et des calebasses.

    Dans l'Amrique du Nord, on semble avoir renonc l'usage des flches empoisonnes, jadis fort en hon-neur dans certaines rgions : c'est ainsi que lesComanches se servaient de la baonnette espagnole

    ,

    un vgtal particulier dont ils peraient simplementla gousse encore verte, avec la pointe des flches qu'ils

    voulaient rendre toxiques.

    Les Apachea Coyoteros prparaient leurs poisons encrasant les ttes de plusieurs serpents sonnettesavec des fragments de foie de cerf; ils laissaient lemlange se putrfier, trempaient alors dans le liquidela pointe de leurs dards et le laissaient se desscherlentement.

    La mort doit-elle tre attribue, en ce cas, lamatire septique du sang ou des substances animalesdcomposes, ou bien seulement au venin du ser-

  • 30 POISONS ET SORTILEGES

    pent, la crotaline ou viprine ? La premire hypothsenous parat la plus probable.

    D'autres tribus^ les Moquis de l'Arizona, prparent lepoison de leurs flches de diverses faons : ils pren-

    nent un serpent sonnettes^, qu'ils irritent jusqu' cequ'il se soit mordu lui-mme; puis le prtre de l'ordre duserpent plonge la pointe des flches et une partie dubois dans le sang de l'animal que l'on fait couler. Lapersonne blesse par une de ces flches meurt ordinai-

    rement en trois ou quatrejours; mais si le bless a subiau pralable un jene prolong, l'action du poison estbien plus rapide.

    Un procd tout diffrent, mais reposant sur lemme principe, consiste secouer un nid d'abeilles,et, quand elles sont trs excites, les abattre avecde petites branches lies en faisceau. On crase lesinsectes tus dans un mortier de pierre et on trempeles flches dans cette sorte de pte animale. Il doit seformer, en pareil cas, surtout de l'acide formique,qui n'est pas mortel, mais seulement trs vsicant.Au lieu d'abeilles, les Indiens ont recours aux four-

    mis rouges, dont les blessures sont pour le moins trsdouloureuses et dterminent une inflammation consi-drable au niveau de la partie atteinte.Des tribus voisines prfrent se servir du sang mens-

    truel, qu'ils considrent comme dou de propritsminemment nocives; les notions que l'on a acquises ences derniers temps sur les leucomanes (ou poisons desmatires organiques) ne sont pas pour infirmer cetteconjecture empirique.

    Les Esquimaux perdus dans les vastes rgions polairesdu nord de l'Asie et de l'Amrique empoisonneraient,

  • LES POISONS AUX TEMPS PRIMITIFS 31

    croit-on, la pointe des flches dont ils se servent avec

    de Taconit.Les Thibtains de la Tartarie utiliseraient, semble-

    t-il, l'opium brut.

    Les indignes de Java et de Cochinchine fabriquent

    leur poison avec de Vupas antiar ou avec Tcorce de la

    racine d'une grande liane des forts vierges, dont ilsretirent un extrait ronge, connu sous le nom 'upas

    tieut, dont le principe actif est de la strychnine, mlede brucine.

    En Ocanie, les javelots sont empoisonns avec dela chair en putrfaction. Aux Nouvelles-Hbrides, lespointes des flches sont presque toujours enduitesd'une pte, forme avec de la terre prise spcialementdans des trous creuss au bord de la mer par descrabes et ptrie avec le suc d'un euphorbe extrmementvnneux; aussi les blessures faites par les armesempoisonnes des No-Hbridais sont-elles des plusdangereuses. Les blesss succombent rapidement, enproie des accidents ttaniques.

    Dans le continent noir africain, on fait grand usagede traits venimeux (i). Les Somalis empoisonnent leursdards avec le suc du bois (ouabao : on en a retirun glucoside cristallis, Vonabane, qui tue un chien

    (1) Nous nous demandions, crit Stanley, en quoi consistait leproduit homicide inocul par les armes des Africains. Or, enrevenant de Nyanza, pour aller porter secours au major Bartlielot,nous trouvmes dans les cabanes des paquets de fourmis rouges ;nous apprmes alors que les corps de ces insectes, sclis etrduits en poudre, cuits ensuite dans de l'huile de palme, ser-vaient frotter la pointe des flches.

    Stanley raconte, en outre, que c'est en enveloppant de feuillesfraches le bout du dard, que les sauvages vitent de s'empoi-sonner eux-mmes pai* le contact de leurs terribles armes.

  • 32 POISONS ET SORTILGESde volume moyen la dose de deux milligrammes!Dans la valle du Niger, au Gabon, au Dahomey, les

    tribus ont plutt recours une apocyne, la graine deYine, plus connue sous le nom de strophantus.

    D'autres peuplades emploient la fve de calabar, des

    euphorbes, des solanes, des asclpiades, etc.

    Certains Peaux-Rouges trempent leurs flches dans

    une macration de tabac concentre.Un naturaliste qui a sjourn pendant plusieurs

    annes sur les bords de l'Ornoque, vers 1825, a rap-port une coutume des indignes, qu'il importe de

    mentionner, dans une histoire des poisons.

    Aprs la saison des pluies, vers le mois d'avril,lorsque le fleuve a dbord de chaque ct, une dis-tance de vingt trente kilomtres, et lorsqu'il est

    revenu dans son lit, il laisse un terrain trs humideo les crapauds abondent.

    Les indignes, munis d'un sac et d'un bton pointu,partent la nouvelle lune, ramassent les crapauds,

    qu'ils embrochent, et mettent au fur et mesure

    chaque brochette dans un sac. Le soir, lorsque leur

    rcolte est juge suffisante, ils allument des feux etmettent au-dessus chaque brochette, fixe ses

    extrmits sur deux btons fourchus. Le feu fait exsu-der un venin, qu'on recueille dans un vase, dans lequel

    on fait tremper les pointes des flches, pour les impr-

    gner du suc vnneux; on les implante ensuite, duct oppos la pointe, dans un gteau de terre glaiseafin de les desscher.

    Pour en faire usage, le chasseur est arm d'unesarbacane, de six huit pieds de long, c'est--dire de

    plus de deux mtres, dans laquelle il souffle pour en-

  • LES POISONS AUX TP:MPS primitifs 33

    voyer les traits empoisonns aux petits animaux, etmme des mammifres de la grosseur des singes;la blessure serait toujours mortelle. Le poison du cra-paud ne serait donc pas, comme certains l'ont cru_, unvain mythe.MM. Laborde et Rondeau, entre autres, ont eu, ei\

    ces derniers temps^ la curiosit de rechercher la com-position des poisons servant enduire les traits. Bien

    que ces recherches n'aient pas abouti des rsultats

    trs positifs ce qui tient, sans doute, la modifica-

    tion des substances" actives sous l'influence du temps, ils sont parvenus cependant isoler certains prin-cipes, tels que la strophantine. On a galement cons-tat que certaines tribus, et pour n'en citer qu'une,les Indiens du haut Amazone, font usage de diversstnjchnos, parmi lesquels celui d'o provient le curare.

    Il est, en tout cas, prouv que le poison des flchesest, avant tout, un poison bulbaire. Comme l'observele docteur Rondeau, il est remarquable que les peu-plades sauvages, par un instinct merveilleux, soient

    toutes arrives des procds semblables, dont on ap^ine comprendre les premires applications ; appli-itions qui ont t, chez les premiers qui en ont fait

    usage, le fruit d'une observation sagace, qui a fort lieu

    de surprendre chez des peuplades barbares, moins'le ne considrer le phnomne que comme le rsultatlu pur hasard.

    N'est-il pas galement remarquable que le poisonque provoque la piqre anatomique des tudiants mo-dernes, selon une juste rflexion du professeur Bordier(de Grenoble), fit partie, ces poques lointaines, deTarmement national; et ne peut-on dire que dans ces

  • 34 POISONS ET SORTILEGES

    primitifs et inconscients laboratoires de bactriologie,on cultivait couramment les microbes que nous tu-dions aujourd'hui?

    Certes, aucun des peuples qui empoisonnaient leursflches, en les laissant sjourner dans la terre fangeuseet la vase, ne savait par quel mcanisme se produi-saient les accidents conscutifs aux blessures; maisl'exprience leur avait montr la nocuit de pareillesarmes, que les dcouvertes toutes rcentes des micro-organismes ont confirme d'une manire si clatante.

    Quoi qu'il en soit, la science, selon l'observationjudicieuse de MM. Malbec et Bourgeois, a retir del'tude des armes empoisonnes un bienfait pour l'hu-manit, puisqu'elle a trouv, dans les poisons destinsseulement tuer, quelques substances qui sont au-jourd'hui devenues de prcieux auxiliaires dans l'artde gurir.

    ** *

    Mais le poison n'a pas seulement servi, dans les gesprimitifs, la pche, la chasse et la guerre ; on l'aencore utilis comme preuve judiciaire, comme exor-cisme, destin reconnatre et confondre Tesprit dumal. Ainsi que l'a crit M. Bordier, alors que partoutl'ide de possession diabolique voque dans l'esprit duprimitif l'ide de convulsion, partout aussi on a, pourdpister l'esprit du mal, choisi un poison convulsivant;si l'accus meurt dans les convulsions, c'est qu'il taitsorcier; s'il survit, l'accusateur est vendu commeesclave. Cependant, Madagascar, on se sert d'uneapocyne> le clbre tanghin (tanghina venenifera) qui>

  • LES POISONS AUX TEMPS PRIMITIFS 35

    par exception, n'est pas un convulsivant, mais unpoison paralysant.

    Depuis loccupation franaise, nous ne saurions dire-i les grandes assises judiciaires, connues sous le nomd'ordaiies, sont encore en vigueur. Toujours est-il que,pendant longtemps, elles ont fait de nombreuses vic-times, parmi ces peuples, dans les basses classes princi-palement. Les riches pouvaient, eux, se librer Faide

    d'une certaine somme dargent; quant aux esclaves,l'oprateur les portait comme morts et les faisait dis-

    paratre, pour aller les revendre plus loin.

    Dans les procs ordinaires, les plaideurs avaient prisIhabitude de se faire reprsenter par des chiens, sur

    lesquels le poison ne manquait pas son effet ; c'taittout bnfice, puisqu'une existence humaine taitpargne.Dans l'Amrique du Nord, pour chtier la femme

    adultre, on la contraignait avaler une forte dose de

    piment; si sa figure ne se contractait pas, elle tait

    tenue pour innocente ; venait-elle faire la grimace,elle tait considre comme coupable et la justice sui-vait son cours.

    Au surplus, conclut M. Bordier, les e'preuves par lepoison n'taient pas plus sottes que le jugement deDieu au moyen ge et que le duel notre poque.

    Quelque effort qu'il fasse, quelque importance qu'ilse donne, le civilis aura toujours de la peine faireoublier le sauvage.

  • LES CONNAISSANCES TOXICOLOGIQUESDES ANCIENS

    La science des poisons et des venins fut, tout ledmontre, trs cultive dans l'antiquit; la connais-sance des toxiques ne devait pas tarder entraner

    celle de leurs remdes.De bonne heure on sut se prmunir contre le poison,

    soit par Tusage frquent des antidotes, soit en absor-bant journellement du poison petites doses, qu'onaugmentait par degrs, jusqu' saturation. Sans douteles anciens ignoraient-ils l'explication des faits trangesqui se droulaient sous leurs yeux, mais on ne peutleur dnier des connaissances, surtout en matire dechimie, qu'attestent suffisamment les mixtures plusou moins alambiques qui sont parvenues jusqu'nous.

    C'est surtout l'tude des poisons qu'ils consa-craient leurs veilles, et cette tude n'tait pas unebesogne vile, laisse des mains inexpertes : les roiseux-mmes ne ddaignaient pas de s'en occuper.

    Les rois de Pergame, qui commencrent rgneren l'an 283 avant notre re, et dont les tats seperdirent, aprs un sicle et demi, dans l'empireromain, les rois de Pergame, plus connus sous lenom d'Attales, ont fait une tude approfondie des

  • LES CONNAISSANCES TOXICOLOGIQUES DES ANCIENS 37

    poisons (i). Ces recherches pouvaient bien tre dictes

    par lintrt personnel : dans la crainte du poison^ iltait naturel que les rois cherchassent s'en pr-

    server, en prenant les mesures que leur dictait la

    simple prudence.

    Une des plus rpandues tait celle que l'on pourraitappeler Ypreuve de la boisson, que Xnophon assuretre de date fort ancienne : on la trouve dj la courde l'aeul maternel de Cyrus, Astyage.

    L'chanson qui prsentait la coupe au roi devaitboire le premier, en versant dans sa main une portiondu breuvage. L'usage si frquent que l'on faisait dupoison chez les Mdes, avait inspir aux princes cettesage prcaution (2).

    Les rois d'Egypte, de Syrie, de Pergame, de Pont,exprimentaient sur leurs proches, d'o les vocableseuphoniquement sinistres 'Eupator, Philopator, Philo-mtor, Philadelphe, accols aux noms des rois Ptolme,Antiochus, Eumne et Mithridate.

    Mithridate n'a pas usurp le renom qul s'est acquiset qui travers les sicles s'est conserv jusqu' nous.Il n'tait pas seulement trs vers dans la toxico-logie (3); il peut encore tre considr comme un pr-curseur de certaines dcouvertes dont on a trop vantla nouveaut.Un mdecin grec, le D' Lambadarios, s'est attach

    dmontrer que le pre de l'immunisation artificielle et

    (I) Galien, De antidolis, liv. I. Lipsi, 1827.(t) XNOPHON, Cyropdie, liv, I, chap. iir, t. II, p. 12, dit.

    Lff.vre. Paris, 1842.

    (3) Au temps o il combaltait les Romains, il avait empoisonntoutes les fontaines qui se trouvaient sur le passage des armesennemies.

  • 38 POISONS ET SORTILEGES

    de la srumthrapie n'tait autre. . . que le roi Mithridate 1Le royal praticien oprait^ en effet, de la faon sui-

    vante, et ici nous respectons le texte qui nous est

    soumis :1 Il prenait du poison chaque jour une dose

    telle que l'empoisonnement ne pouvait se produiredans son organisme ; ce faisant, il croyait qu'il se ren-dait rfractaire ce poison.

    2 S'il voyait que le poison qu'il allait prendre taitbien fort, il prenait un antidote, soit avant, soit aprs

    avoir pris le poison, croyant qu il diminuait de la sortedans l'estomac mme la force virulente du poison ; et enagissant ainsi pour introduire dans son organisme le poi-son attnu, Mithridate ne faisait que ce que la science

    moderne fait pour provoquer l'immunisation artificielle.3" Le procd enfin que Mithridate employa plus

    tard pour perfectionner sa mthode d'immunisationartificielle consistait runir dans un antidote tous lespoisons connus, avec lesquels il mlait les substances

    aromatiques auxquelles il avait reconnu les propritsd'attnuer la virulence du toxique.

    C'est avec un pareil antidote que Mithridate expri-

    menta toute sa vie sur lui-mme (1) et sur les con-damns, et qu'avec le temps il avait pu acqurir une

    (1) Sa cruaut et ses passions violentes, qui lui suscitrentitant d'ennemis, l'avaient pntr d'une telle crainte d'treempoisonn, qu'il fit d'tonnantes recherches pour connatre]tout ce qui se rapporte la toxicologie; il faisait sur les crimi-nels et sur lui-mme l'essai de toutes les substances vnneuses|et prenait journellement une certaine quantit de poison et de'contre-poison; il s'accoutuma tellement ainsi l'usage des toxi-ques, qu'au moment de sa dernire dfaite, voulant user du poisonqu'il portait toujours avec lui, il ne put russir par ce moyen se donner la mort. Philippe, Histoire des Apothicaires.

    m *

    II

  • LES CONNAISSANCES TOXICOLOGIQUES DES ANCIENS 39

    telle exprience et une telle rputation dans la prpa-ration de l'antidote, que c'est lui, comme un autre

    Institut pastorien, que s'adressaient mme des mde-cins, pour faire contrler leurs prparations particu-lires d'antidote

    .

    Les expriences de Mithridate furent, dit-on, rp-tes par Attale, roi de Pergame, et aussi par Galien,

    qui nous confirme que le roi de Pont avait crit un

    livre o il avait consign sa manire d'oprer.Mais le roi Mithridate ne s'en serait pas tenu l'im-

    munisation artificielle : il aurait galement pressenti lasrumthrapie. Voici comment il s'y prenait : pour serendre rfractaire au venin de la vipre, notre augusteconfrre avait invent un procd assez semblable celui dont on se sert aujourd'hui pour introduiredans l'organisme le srum antittanique et antidipht-rique : il avait song ajouter l'anlidote dont nousvenons de parler le sang des animaux qui se nourris-sent de serpents venimeux, pour en pouvoir ainsiprendre le venin attnu ou modifi^ car il croyaitqu'ainsi pris, l'antidote non seulement ne provoqueaucune manifestation d'empoisonnement, mais qu'ilpossde aussi une action prventive contre cet empoi-sonnement, par l'immunisation artificielle que par celamme il provoque. En consquence, il choisit^ pour-suit notre auteur, les oies de la mer Noire qu'il croyaittre rfractaires au venin de la vipre force de s'ennourrir ; et, l'appui de son opinion que les oies fai-saient bien leur nourriture habituelle de toutes lesvipres qu'elles rencontraient, le mdecin de la patriede Pricls invoque les tmoignages de Clius Aur-lianus et de Pline.

  • 40 POISONS ET SORTILEGES

    Pour ce dernier auteur au moins, il nous a t aisde contrler les assertions qu'on lui prte. A dfaut dutexte original, nous avons eu recours l'excellentetraduction, due la plume doublement comptente deLittr, et voici le passage que nous avons relev :

    Mithridate,, crit Pline, le plus puissant des rois deson poque, et dont Pompe acheva la dfaite, fut,plus qu'aucun des hommes qui l'avaient prcd,curieux des faits de mdecine; nous en avons despreuves certaines, indpendamment de la rputationqu'il s'est faite; lui seul s'est avis d'avaler, aprsavoir pris des prservatifs, chaque jour du poison,afin d'en neutraliser par habitude les effets malfai-

    sants. Il est l'inventeur d'antidotes, dont l'un conserve

    encore son nom. On croit qu'il imagina le premier demler aux antidotes le sang des canards du Pont, parcequ'ils vivent d'animaux venimeux (1). Premier point noter : les oies de Mithridate

    n'taient que de vulgaires canards.

    Est-ce dire que Mithridate ne se soit point occupde recherches toxicologiques ? Qu'il se soit montr, dsl'ge de maturit, et peut-tre auparavant, ardent

    tout apprendre et tout connatre? le fait ne sembleplus douteux aujourd'hui : Les sciences, critM. Thodore Reinach (2), se partageaient, avec leslettres, l'intrt de Mithridate; mais, dans les sciences,il poursuivait surtout les rsultats pratiques : l'tude

    de la nature n'tait pour lui que la prface de la mde-cine, et la mdecine, c'tait surtout la toxicologie.

    (1) uvres de Pline, t. II, liv. XXV, p. 165-166 (dit. Littr).(2) Th. Reinach, Mithridate, roi de Pont.

    I

  • LES CONNAISSANCES TOXICOLOGIQUES DES ANCIENS 41

    S'il faut en croire le mme biographe, Mithridateaurait cherch autre chose qu'un dlassement dans sestravaux de laboratoire. Pour ce monarque soupon-neux et dfiant, la nature tait une vaste officine^

    laquelle, ds son enfance, il avait demand des armeset des remdes : remdes contre les embches dont iltait entour, armes secrtes et terribles pour servird'instruments sa vengeance.

    De la sorte, il se dbarrassa de Laodices, d'Alce, deSardes et de son fils Ariarathe. 11 gardait, d'ailleurs, desprovisions de poisons, avec les mmes soins que ses plusprcieux trsors, et il en portait toujours sur lui, en casde besoin, enferm dans la poigne de son cimeterre.

    Pline prtend qu'aprs la dfaite de Mithridate,Pompe trouva, dans les archives secrtes du monarquevaincu, entre autres recettes, celle de son antidote (i).

    M. Th. Reinach croit l'existence de toute une biblio-thque sur la science des poisons, que Pompe fit tra-duire et mettre en ordre par son affranchi Lne. C'tait, dit-il, un curieux mlange d'observationsridicules. Toutes les contres de l'empire avaient tinterroges, tous les rgnes de la nature mis con-tribution : le rgne minral fournissait certaines pierresprcieuses; le rgne animal, le sang des canards pon-tiques, que Ton croyait vaccins par les herbes vn-neuses dont ils faisaient leur nourriture habituelle;quant aux vgtaux, on sait coml>ien la riche florepontique tait clbre par son abondance en poisonset en remdes (2).

    (1) Cf. L'Esprit des journaux, t. XII. 35o(2) Th. Reinach, loe. cit.

  • 42 POISONS ET SORTILEGES

    En quoi donc consistait ce prservatif fameux, dontla rputation est venue jusqu' nous ?On a beaucoup dissert sur la composition autant

    que sur les vertus de l'antidote de Mithridate, et il nesemble pas qu'on soit prs de tomber d'accord sur cepoint si sujet controverses. Pline, auquel il faut tou-jours recourir_, toutes rserves faites, nous donne laformule suivante : Prenez, crit-il, deux noix sches,deux figues, vingt feuilles de rue, broyez le toutensemble, aprs avoir ajout un grain de sel : celuiqui prendra ce mlange jeun sera pour un jour l'abri de tout poison (1).

    Est-ce bien l le produit que les pharmacopes ontsi longtemps dsign sous le nom d'lectuaire de Mithri-date; ou devons-nous tablir une distinction entrecette prparation jadis si vante et l'antidote universelattribu au mme auteur?

    Ce que l'on appelle Vlectuaire de Mithridate compre-

    nait quarante-six substances d'autres disent cin-

    quante-quatre (2), que l'on retrouve presque toutes,

    concidence bizarre, dans la thriaque d'Andromaque ;mais a-t-on la preuve que c'est bien Mithridate querevient la paternit de cette prparation complexe? Et,comme nous venons de le dire, ne se serait-il pas, travers les sicles, tabli une confusion entre le mdi-cament et le poison?

    (1) Histoire naturelle de Pline, t. II, liv. XXIII, p. 128.(2) L'lectuaire de Mithridrate se composait de 54 substances;

    c'tait le plus compliqu de tous les antidotes alors connus. Onsait que la clbrit de cette composition a travers prs de vingtsicles; elle n'a cess que depuis peu d'annes de faire partie denos dispensaires pharmaceutiques, et figure encore dans quelquespharmacopes trangres. Philippe, Histoire des Apothicaires.

  • LES CONNAISSANCES TOXICOLOGIQUES DES ANCIENS 43

    Un crivain qui vivait en l'an 200, et qui fut tu parCaracalla pendant un repas, Quintus Srnus Sammo-nicus, avait laiss son fils une bibliothque composede soixante-deux mille volumes et d'un pome sur lesmdecins et les remdes, en vers assez plats (1).

    Ce Quintus Srnus,, homme trs instruit, prtend,comme Phne, que Pompe dcouvrit dans le palais deMithridate la formule vritable du contre-poison dontfaisait usage le souverain ; or, cette formule se trouve

    tre absolument analogue celle que le compilateurlatin nous a laisse.

    Il y a donc, comme on voit, une trs grande diff-rence entre celte composition, dans laquelle n'entraientque trois ou quatre substances, et Tlectuaire que l'on

    attribue au roi de Pont.Mithridate aurait-il invent l'un et l'autre produit

    ou l'antidote mrite-t-il plus de porter son nom que

    l'lectuaire (2)? Nous n'oserions en dcider (3), maisfaute de pouvoir tablir ces origines incertaines, nousavons cru devoir rapporter l'opinion d'un crivain,

    qui corrobore celle, toujours si sujette caution, del'agrable brodeur qu'est le naturaliste Pline.

    Peut-tre sesera-t-on demand comment un souverainaussi proccup du souci de gouverner et de guerroyer

    (1) Cet ouvrage a t imprim en 1581 (in-l), Paris et en 1662(in-8), Amsterdam.

    (2) V. Bulletin de Pharmacie, premire srie, t. IV, p. 506-507,art. de Cadet.

    (3) Philippe, dans son Hixtoire des Apothicaires, ne crainl pasde se montrer plus affirmatif : Indpendamment de la formuledu clbre lecluairo, on en trouva une autre que l'on regardacomme celle de son vritable contre-poison : elle se coniposaitde feuilles de rue pilcs avec du sel, des amandes de noix etdes figues grasses {loc. cit., p. 3i).

  • 44 POISONS ET SORTILEGES

    que l'tait le rival implacable et si longtemps heureuxde la puissance romaine (1), a pu trouver les loisirsncessaires pour des travaux de laboratoire? On aurasurtout quelque lieu de s'tonner qu'il se soit si rapi-dement initi des sciences qui exigent un long etlaborieux apprentissage. Cet tonnement cessera quandon saura comment Mithridate s'instruisait de ce qu'ilignorait.

    Au cours de ses recherches, Mithridate tait entr encorrespondance avec les plus illustres mdecins de sontemps. Zachalias, de Babylone, lui adressa un trait sur

    la mdecine, o il signalait notamment les vertus mira-culeuses de Vhmatite, pierre souveraine contre lesmaladies des yeux et du foie_, contre les blessurescauses par les armes blanches^, et dont la possessionassurait aux plaideurs le gain de leurs procs, auxptitionnaires le succs de leurs requtes.Un savant plus clbre, mais tout aussi charlatan,

    tait Asclpiades^ de Prusias en Bythinie, tabli Romeet crateur d'un nouveau systme mdical, fond surles proprits curatives du vin. Celui-ci refusa lesoffres sduisantes de Mithridate, qui voulait l'attirer

    sa cour; au lieu de sa personne, le nouvel Hippocraten'envoya cet autre Artaxercs qu'un trait sur la mde-cine, rdig d'ailleurs dans une langue trs lgante (2).

    (1) Philippe, loc. cit.

    (2) Nous avons des ouvrages d'Asclpiades, fameux mdecin,adresss ce prince, et que lui envoya l'auteur, sollicit dequitter Rome pour sa cour. Il (Mithridate) est le seul homme,cela est certain, qui ait parl vingt-deux langues (VII, 24) etpendant les cinquante-six ans qu'il rgna, il ne se servit jamaisd'interprtes avec les peuples qui lui taient soumis. (Histoire7iat2irelle de Pline, t. II, liv. XXV, p. 165-166.)

  • LES CONNAISSANCES TOXICOLOGIQUES DES ANCIENS 45

    Au reste, il ne manquait pas de mdecins la courde Mithridate. Comme la cour des Ptolmes et desSleucides, ils formaient une sorte de hirarchie, dont

    le chef portait le titre d'archidtre ou mdecin en chef.Nous connaissons dj un de ces architres^ Papiasd'Amisos, fils de Mnophile, qui comptait parmi lespremiers amis du roi . et cumulait ses fonctions mdi-cales avec celle de prpos aux appels ; trait deressemblance de plus avec les mdecins des Ptolmes,qu'on employait souvent des missions politiques etconfidentielles.

    Un autre mdecin de Mithridate fut l'habile chirur-gien Timothe, qui le gurit un jour d'une blessure la cuisse avec une rapidit merveilleuse. Enfin,dans les derniers temps, le roi se confiait de vul-gaires empiriques (1), comme ces Scythes Agariensqui traitaient les blessures par le venin des ser-

    pents (2).

    Pline ne nous avait-il pas dit, de son ct, que

    Mithridate avait un got si vif pour la mdecine, qu'ilsollicitait des renseignements auprs de tous ses su-jets, qui occupaient une partie considrable de la

    terre (3)?Grce ces moyens multiples d'informations, le roi

    de Pont avait acquis des connaissances presque ency-clopdiques : il n'tait pas seulement vers dans la

    (1) On assure qu'ayant t bless dans une bataille, les Agares,peuples de la Scytliie, l'avaient guri avec des mdicamonts danslesquels entrait du venin de serpent. C'est l probablement lasource de l'intrt qu'il attachait l'tude des toxiques et desanimaux venimeux. Philippe, op. cit.

    (i) Tu. Rbinacu, Mithridate Eupator, roi de Pont.(3) Pli>e, loc. cit.

  • 46 POISONS ET SORTILEGES

    science des poisons, la botanique lui tait aussi fami-

    lire (1).

    Combien la gloire de Mithiidate et t plus pure,s'il et su mettre profit les vertus bienfaisantes desplantes qu'il tudiait, au lieu d'en faire les instruments

    complaisants de ses passions criminelles 1

    (1) Cratevas a attribu Mithridate la dcouverte d'une planteappele Milhridatia (Erythronium dens canis, L.)Linnus lui attribue pareillement une seconde plante, le scor-

    dotis ou scordion {Nepeta scordutis, L.), qui aurait t dcritepar ce prince lui-mme.

    Ces deux plantes ont isolment de nombreux usages, et mles d'autres ingrdients, elles entrent dans la composition d'anti-dotes. (V. Pline, t. II, liv. XXVI, p. 175.)

    t

  • LES POISONS EN ORIENT

    A l'exemple de Mithridate, les rois d'Egypte auraientconnu et exprimente' plusieurs poisons, dont les for-

    mules sont peu prs toutes perdues.L'Egypte est la terre classique du poison. La fille

    de Jupiter (Hlne) possdait des poisons compossavec art, qu'elle tenait de lgyptienne Polydamna,femme de Thon (1). Dans le clbre papyrus d'Ebers,mis au jour par MM. Maspro et Ghabas, il n'estquestion que de baumes, depomma'les ou d'onguents;mais ce ne sont l que des fragments trs incompletsde la science gyptienne.

    Il poussait certainement sur la terre des Pharaonsdes herbes toxiques, que savait utiliser la fameusesecte de Toth, caste sacerdotale, dont le pouvoir taitimmense, et n'aurait pu se maintenir, s'il n'avait eurecours des pratiques plus ou moins mystrieuses, ole poison jouait son rle.

    C'est, d'ailleurs, des gyptiens que les Grecs appri-rent l'art de prparer les poisons.

    Sur les peuples de l'Inde et de l'Assyrie, y comprisla Mdie et la Perse, il nous reste des coutumes et deslois qui ont un sens prcis, donn par les historienseux-mmes.

    (1) Odyste, chant IV, v. 227 et silir.

  • 48 POISONS ET SORTILGESDans l'Inde, il existait une loi, portant la peine de

    mort contre celui qui avait fait connatre un poison,

    sans indiquer l'antidote. Avait-on, au contraire, dcou-

    vert l'un et l'autre, on tait rcompens parles rois.Les Gathens, autre peuple de l'Inde, avaient une

    loi qui forait les femmes veuves se brler sur lebcher de leurs maris.

    Cette loi;, dit Strabon (1), avait t rendue pour

    arrter les empoisonnements commis par les femmesqui prenaient djeunes amants, et abandonnaient leursmaris. Avec Strabon, Diodore de Sicile attribue cette

    coutume au mme peuple des Gathens; mais ilremarque qu'on n'exigeait point ce sacrifice des pousesenceintes ou qui avaient des enfants du dfunt : ce quia,t confirm par des voyageurs du seizime sicle.