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Auguste Galland est né à Vignieu le 6 janvier 1888 · Web viewAprès quelques atermoiements on nous informe que nous allons réoccuper les positions que nous venons de quitter

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AUGUSTE GALLANDRécit d’un poilu

L’offensive de LorraineAoût 1914

Les DardanellesJusqu’au 10 août 1915

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La société de gymnastique de VignieuAuguste Galland est né à Vignieu le 6 janvier 1888. Il fréquenta l’école communale et, à douze ans, réussit son certificat d’études. Plus tard on le retrouve à Lyon, il réside d’abord 13 montée des Carmes et est employé de soierie. Il s’installe plus tard 13 rue Emile Zola, sa profession, comme l’atteste son livret militaire, est alors employé de banque. On sait également que, en 1912, il était moniteur de la société de gymnastique de Vignieu. Il se marie le 11 avril 1914 avec Jeanne Rojon. Celle-ci est originaire de Ruy, elle est née le 1er juillet 1896 donc plus jeune que lui de huit ans. Ils habiteront Lyon cependant dès le début de la guerre Jeanne retournera vivre à Ruy avec ses parents. Nous conservons ses écrits : une série de poèmes et le récit de ses campagnes.Auguste Galland a fait son service militaire à Thonon, il est de la classe 1908, a été incorporé au 30e régiment d’infanterie le 8 octobre 1909 et a été nommé caporal le 15 avril 1910. Il est libéré du service actif le 26 septembre 1911.La mobilisation générale a lieu le 1er août 1914, il rejoindra son corps le 2 août. Il a alors 26 ans. Voici son affectation: 4è section, 9è compagnie, 3è

bataillon, 30è Régiment d’Infanterie, 14è Corps d’Armée rattaché à la 1ére

Armée du général Dubail positionnée à la frontière de la Lorraine.Il participe du 19 au 21 août à la bataille de Morhange. Il est sur le flanc droit, au col de Saales après une incursion en Lorraine allemande sur Schimeck.

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Il participe du 25 au 27 août à la bataille de la Haute Meurthe où le 30è RI s’empare de la Mortagne et repousse avec les 22è 52è et 140è RI l’avance allemande sur Nompatelize.Participe-t-il à la bataille de la Marne ? Nous ne le pensons pas .Vers la mi-septembre le 14è Corps d’Armée est transféré à l’ouest. Il est rattaché à la 2è Armée du général Castelnau dont il occupe le flanc gauche, sur la Somme, à 10 kilomètres à l’est d’Amiens.Il participe aux combats d’Herleville où il est blessé au pied le 25 septembre 1914Il est soigné à Rennes puis à Saint Chef tout près de Vignieu. On apprend aussi qu’il est allé à Grignan dans la Drôme.Revenu au corps le 25 février 1915 au 22è Régiment d’Infanterie, il sera affecté au 175è R.I. (8è compagnie, 3è section) désigné pour faire partie du Corps Expéditionnaire d’Orient.Il débarque, le 27 avril 1915, à trois heures du matin au Cap Helles, sur la presqu’île de GallipoliIl est nommé sergent et cité à l’ordre du Corps Expéditionnaire d’Orient le 4 mai 1915.Il est décédé le 10 mai, par une journée sans combat, peut-être du fait d’un tireur d’élite, alors qu’il s’était écarté pour faire ses besoins.Du 8 au 14 mai le Corps Expéditionnaire de Gallipoli a perdu 65% de ses effectifs

Ses récits militaires se trouvaient à l’intérieur de son porte-feuilles qui porte encore la trace de la balle. Nous sommes en possession de feuilles de format assez proche de notre format actuel, entièrement recouvertes d’une écriture fine exécutée à la plume et à l’encre violète. Le tout est difficilement déchiffrable à la loupe. L’expédition des Dardanelles est décrite sur un carnet qui a été visé par son lieutenant et dont voici le texte. «Seddulbahr 11 mai 1915. Hommage respectueux au brave ami et camarade Galland tombé la tête haute, à la Française, le 10 mai à midi, d'une balle au cœur. Son souvenir restera pour nous un exemple de courage et de bravoure. Nous le pleurons et le vengerons (la signature est illisible).» Ses poèmes sont calligraphiés de sa main : écriture élégante avec pleins et déliés. Il nous a laissé environ 200 vers et cela pose problème. Comment un simple titulaire du certificat d’étude a-t-il pu maîtriser ainsi l’art de bien rédiger ? Nous avons appris que, autrefois, chez les Galland, on écrivait beaucoup, on faisait même des vers. Son meilleur ami de Vignieu nous donna, lui aussi, une réponse : c’était un autodidacte ! Certes, on peut travailler seul mais pour maîtriser l’alexandrin nous pensons qu’il faut échanger quelquefois des idées. Avec qui a-t-il pu le faire ? Quels amis a-t-il trouvé? Qui a pu le conseiller ? Le saurons-nous un jour ?Nous sommes ses petits enfants, nous pensons que ces écrits sont intéressants, qu’ils témoignent d’une époque révolue, qu’ils valent la peine d’être publiés.

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Le livre d’Or de VignieuAuguste Galland

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Auguste Galland avait été incorporé au 30e régiment d’infanterie basé à Thonon. Il rejoindra son corps le 2 août. Il combattra dans l’est au sein de la première armée commandée par le général Dubail.

Jeudi 6 août 1914:Départ d’Annecy à deux heures du matin. Sonnerie, réveil, vite prêt. Il pleut. Longue attente en gare. Trois heures et demie: embarquement dans des compartiments voyageur 3e classe, d’autres sont dans des wagons aménagés. Je suis près de la portière, à Ambérieu j’envoie une lettre faite dans le train. Besançon, j’achète une carte. Belfort, y restera-t-on? On repart en direction d'Epinal.Vendredi 7 août 1914:Epinal: six heures, attente sur le quai. En route pour un cantonnement. Epinal mort, tout fermé, jolie ville, forts, affiches évacuation. La Baffe, Charmois devant Bruyères. Exercice de déplacement, garde sur route d’Epinal de 20 heures à 24 heures.Lundi 10 août 1914:

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Exercice le matin de 6 heures à 10 heures. L’après-midi exercice du bataillon. Départ de suite, au retour soupe renversée, étape très dure. A 10 heures et demie nous sommes à Bruyères. A minuit réveil pour partir sans avoir dormi et presque mangé, très dure marche dans la nuit. Le 54e nous dépasse.Mardi 11 août 1914:Nous arrivons à 9 heures 30 à quelques kilomètres de Corcieux exténués. Il y a des bruits sur la présence de patrouilles allemandes. S’il faut se battre c’est impossible nous sommes harassés. Nous restons ici quelques heures puis par Corcieux nous allons à la Houssière pour un cantonnement assez bon.Mercredi 12 août 1914:Repos bien mérité.Jeudi 13 août 1914:Départ à 2 heures et demie en direction de Saint Dié. Nous marchons à travers bois: c’est une forêt superbe, Croix Saint Georges, Saint Léonard, Saulcy sur Meurthe, Sainte Marguerite. Le deuxième dragon est cantonné à Ste Marguerite, ma section est envoyée pour couvrir le sixième d’artillerie. Je pars en patrouille de couverture. On entend bien le canon. La chaleur est torride, on s’imagine être aux manœuvres. A 12 heures nous buvons le café, à 14 heures c’est le départ, nous n’avons pas été prévenus et il faut courir à travers champs pour rattraper la compagnie. Nous n’avons rien mangé depuis la veille et encore! L’étape est très dure, nous rencontrons une charrette pleine de suspects, deux gendarmes l’encadrent. L’un d'eux prévient qu’un soldat alsacien est dans la voiture: il ne faut pas le brimer. Nous rencontrons des gens qui se sauvent et nous les croyons venir d’Alsace. Nous croisons le service de ravitaillement du 54e. Ils se sont déjà battus. Nous arrivons à Bertrimoutier, nous dressons un cantonnement d’alerte. Du cimetière dont nous avons crevé les murs nous déblayons le champ de tir (pruniers coupés), nous dominons la vallée.Vendredi 14 août 1914:Départ à 2 heures à Ste Marguerite, longue pause puis demi-tour et nous retournons cantonner à Bertrimoutier. Nous rencontrons un régiment qui retourne au feu, ils se sont déjà battus. On entend le canon. A huit heures du soir tout le monde est couché, nous allons partir dans la nuit. Le 9e hussard part avant nous. Vers minuit, debout, nous allons cette fois partir pour la frontière. Cette fois nous y allons par Provenchères Colroy. Nous quittons la route pour prendre à droite un mauvais chemin très pénible et raviné, nous sommes à quelques kilomètres de la frontière: des sentiers, un par un, batteries alpines, dans les bois, la frontière! Des guides nous indiquent de l'eau, ils sont longs à revenir, nous les suspectons. On nous déploie, le général de brigade Blazer arrive: "Où allez-vous? Restez là, couchez-vous, reposez-vous mes enfants. Une reconnaissance de cavalerie est envoyée, à son retour nous partons.A 10 heures, après une heure de marche à travers bois en colonne de demi-section, une patrouille ennemie nous tire quelques coups de fusil. Je suis moi-même en patrouille à la lisière du bois.C'est un grand vallon découvert avec quelques maisons. Nous n'avons pas l'impression d'être à la guerre. Nous sommes las et nous avons faim. Il pleut, nous faisons de petits et nombreux arrêts pénibles. A la dernière pose je somnole, rêve, puis brusque réveil sur la réalité: la guerre. Nous allons avoir à traverser un espace découvert de 1200 à 1500 mètres en vallon. Une patrouille est envoyée, elle arrive au fond vers les maisons: rien. La première section sort du bois en tirailleur, fait 50 à 80 mètres et se couche: rien. Ma section, à gauche, sort à son tour, y a-t-il vraiment du danger? A peine avons-nous débouché du bois qu'une fusillade intense éclate, bien repérée. Le premier bond est d'une cinquantaine de mètres au bout desquels le caporal Maugelas, à un mètre de moi, est touché. Il crie. C'est une balle dans la cuisse, je le rassure. D'autres sont atteints et crient. Les balles crépitent, elles tombent tout

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autour de moi, nous ne pouvons bouger. Où tirer? Nous ne voyons rien. D'où viennent les balles? La lisière du bois est fauchée, une balle traverse ma musette. Deux infirmiers viennent relever Maugelas. A peine arrivé l'un d'eux tombe mort. L'autre demande un homme pour l'aider. Beret y va, il reçoit de suite une balle à la main. Il l'emmène quand même. Nous rampons jusqu'à la crête, c'est un très léger repli. Il aurait fallu entrer dans le bois. Ceux qui ne sont pas sortis tirent. Il pleut, nous sommes trempés mais nous n'y pensons guère. Immobilisé, je pense à Vignieu, à sa fête. Nous restons ainsi plusieurs heures. De tous côtés parviennent des cris de nouveaux blessés. Les balles sifflent sans interruption, le sol est tout labouré. Et nous n'y pouvons rien! On attend la dernière minute, j'y suis presque résigné. Le tir est très bien dirigé, nous avons affaire à des tireurs de premier ordre. Nos mitrailleuses sont placées et tirent. On crie «hausse à 1250 mètres » mais où tirer? Nous ne voyons pas. Ceux de droite, mieux placés, tirent, mais où est le capitaine? Nos mitrailleuses repérées sont obligées de se taire. Par moment, la fusillade diminue, va-t-on s'arrêter? Nous avons sommeil, c'est pour recommencer de plus belle. Vers cinq heures seulement dans un moment de légère accalmie on nous donne l'ordre de rentrer dans le bois. Il pleut. A peine ce mouvement se dessine-t-il qu'une violente rafale survient. Nous nous y traînons le plus rapidement possible. Nous voilà dans le bois! On veut nous faire rentrer un peu à l'intérieur mais je n'avais pas encore tiré. J'avais failli y rester mais j'avais vu tomber des amis et je voulais à mon tour tirer. Derrière un arbre, je tire, ça me soulage. Le sapin qui m'abrite reçoit de nombreuses balles pin! pin! z z z! Comme je tirais, une balle sous mon bras droit à quelques centimètres de ma poitrine arrache l'écorce de l'arbre. Cela dure une bonne demi-heure puis comme il pleut on ne voit guère. Tout cesse. Nous nous retirons dans le bois assez haut. L'ennemi, retranché, nous attendait, nous dominant. Pour arriver à lui c'était impossible. Quelques obus de 65 (cinq ou six) furent lancés et durent porter car on entendit des cris. Nous voici sur le plateau dominant la position ennemie mais il y a au moins 800 mètres. Il y a des blessés. Le capitaine Cavaud dit: «Ne vous arrêtez pas mes enfants, laissez là vos camarades afin qu'on puisse les soigner.» On parle d'une vingtaine puis c'est quarante, en réalité il y en a trente six. On entend les plaintes, les râles: c'est pénible. Six sont morts. Arrivés sur le plateau nous creusons des tranchées et faisons des abattis. Il pleut toujours, nous sommes trempés jusqu'aux os.Nous n'avons rien mangé depuis 24 heures. Nous nous installons en avant poste, les faisceaux sont formés puis, autour des sapins, nous nous serrons le plus possible pour avoir moins froid. Nous sommes dans un état lamentable tant moral que physique. Nous nous endormons. Tout à coup une fusillade précipitée nous réveille. Nous avons de la peine à secouer les hommes. Il fait noir, on ne se voit pas à un mètre. Il pleut toujours. Chacun prend un fusil quelconque, en ordre, en grelottant. L'eau nous ruisselle de partout, nous attendons. Ceux qui sont aux postes d'écoute tirent, des hommes affolés font mine de partir, de mon mieux je les tiens. Puis tout bruit cesse, nous restons encore assez longtemps debout puis de nouveau nous nous asseyons contre les arbres. Nous sommes glacés par les mouvements de nos habits. Trempés, nous nous rendormons moins vite. Oh! Que c'est pénible! Nouvelle alerte! Quelques rares coups de feu, erreur de sentinelle probablement.

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Près de Saint DiéAvant 1914. Une frontière bien gardée.

Samedi 15 août 1914:

Le 8 août Joffre signe le document qui fixe les directions maîtresses de l’offensive de Lorraine : Sarrebourg pour la première armée, la côte de Delme pour la deuxième. Sur le terrain, elle se réalise du 15 au 19 août. Les fantassins de Dubail feront la conquête de la ligne des cols des Vosges.

Il faisait presque jour lorsque nous nous levons. Après s'être en un instant préparé nous nous remettons à creuser des tranchées faisant face à plusieurs directions. Le bruit court que nous sommes cernés. Va-t-on nous faire reculer? Ah! Non, nous ne le voulons pas! Pendant que mes hommes (après les avoir installés) travaillent à la construction de tranchées, je me remets à écrire à ma femme. Ma lettre n'est pas gaie mais courageuse. La pluie a presque cessé, j'en profite pour rapidement changer de chemise et mettre une veste qui, dans mon sac, n'a été que peu mouillée ; ça va mieux, je n'ai que les jambes et les pieds mouillés. Le jour est venu, des patrouilles ont été envoyées et nous attendons. Que se passe-t-il? Où est l'ennemi? Sommes-nous en nombre? Les vivres arriveront-ils bientôt? Nos travaux de retranchement se perfectionnent. Nos dispositions de résistance sont bientôt prises. Les camarades tombés hier sont dans nos pensées. Le 99e est avec nous à notre droite. A gauche ceux qui nous ont bousculés hier. Devant nous? ... le bois. A droite des Boches avec, comme à notre gauche, un espace découvert mais avec un ravin moins grand. Après de minutieuses observations nous y découvrons des tranchées ennemies. Je me porte à la lisière où se trouvent déjà des officiers et des sous-officiers des 30e et 99e et, à l'aide de jumelles, je fouille le terrain. Déjà quelques obus français y sont envoyés. Leurs tranchées bien dissimulées sont d'abord introuvables, ce n'est qu'après un long examen que nous arrivons à les repérer. Il y a aussi de l'artillerie sur une crête boisée. Toutes ces indications sont bientôt communiquées à notre artillerie qui arrose de ses projectiles toute la crête et le versant. Nous suivons ce-ci avec intérêt. Leur artillerie également tire sur la nôtre: c'est un duel. Une tranchée est repérée par notre artillerie, quelques obus y sont lancés coups sur coups. Ils portent. On entend des cris puis, comme des lapins, les

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Boches se sauvent dans un petit bois en arrière. C'est très drôle, nos obus les y suivent. Leur artillerie fait rage. La nôtre un moment se tait: ils sont repérés sans doute. Cela dure peut-être un quart d'heure et de nouveau les nôtres travaillent et quel travail! Leur supériorité bientôt s'affirme. Les Boches semblent évacuer leurs tranchées. Ils doivent avoir de l'artillerie démolie. Une grande partie de la journée passe ainsi. Il pleut par intermittence. Toujours rien à manger, nos vivres de réserve sont fortement entamés et nous avons faim, nous avons du café.Après avoir changé plus d'une fois nos dispositions de défense nous allons prendre l'offensive. Le 99e va prendre d’assaut la position qui vient d'être balayée par notre artillerie et qui semble évacuée. Nous allons nous lancer contre ceux qui nous ont hier fait tant de mal. D'ici nous les dominons. Quelques coups de feu y sont envoyés mais nous ne voyons rien. La distance est d'ailleurs assez grande: 1800 mètres au moins. Nous descendons et des observateurs y découvrent quelques hommes qui ressemblent à des civils. Une rafale leur est envoyée. Ils déguerpissent. Nous faisons cesser le feu en disant que ce sont des infirmiers qui relèvent leurs morts et leurs blessés de la veille. En avons-nous atteint? Nous descendons encore dans le bois, nous y faisons de nouvelles tranchées et nous attendons. Ah! Comme nous voudrions bien que la bataille s'engage maintenant! Comme nous pourrions bien tirer et nous sommes à l'abri ou presque.Dimanche 16 août 1914:Nous sommes en observation. A droite des tranchées boches ont été démolies par notre artillerie. Alerte ! Nous sommes repérés par l'artillerie ennemie cachée imprudemment dans un petit bois vers Sainte Croix. Elle doit se replier en passant par-là. Nous sommes bien postés, fusils braqués. Le capitaine vient et me dit: «  Oh! Comme vous êtes bien ici. » Ils ne peuvent nous échapper s'ils passent par-là mais ils ont deux itinéraires possibles. Nous attendons avec quelque angoisse en fixant sur la route tous nos regards. Il fait presque nuit.Lundi 17 août 1914:Sainte Croix: tabac, saucisses, départ vers l'ouest. Nous longeons la frontière sur un chemin à travers la montagne. A la nuit nous sommes éreintés, nous faisons halte. Il pleut, nous avons faim. Quelques hommes se trouvent mal: alcool de menthe. On croit pouvoir s'arrêter, une patrouille est envoyée dans le bas fond. Il pleut, nous descendons à travers les sapins, voici quelques maisons, y allons-nous cantonner? Où est l'ennemi? Nous nous remettons en route. Nous remontons plus à gauche, très péniblement, très lentement. Des hommes se trouvent mal, ne peuvent se traîner, des camarades les aident. Je supporte un de ma section avec l'aide d'un autre. Bientôt je suis à mon tour à bout de force. Nous n'y voyons goutte. Il essaie de marcher seul. Nous avons faim, nous ne pensons à rien, nous enfonçons dans la boue jusqu'aux chevilles. Nous arrivons enfin au sommet. Avons- nous marché longtemps? Des tranchées avec de légers abris sont là, allons-nous les occuper pour enfin nous arrêter un peu? Nous formons les faisceaux: défense d'aller dans les tranchées, chacun est anéanti. On parle d'une espèce de château ou fortin que nous allons attaquer, dans quel état grand dieu! Le capitaine et tous les officiers consultent leur carte, ils paraissent inquiets et désorientés. Ils ont dû se tromper de chemin ou bien jugent-ils la position défavorable? Nous repartons. Oh! Comme c'est dur pour se remettre en marche! Quelle heure est-il? Où sommes-nous? Où est l'ennemi? On ne se le demande même pas. Où allons-nous? Nous trouvons un poteau frontière et des chemins impossibles. Nous marchons par un, nous sommes au fait de la montagne. Pourquoi nous a-t-on fait revenir en arrière? Je suis désorienté. Nous marchons toujours ou plutôt nous nous traînons, sans un mot, trempés car il pleut. Et quand mangerons-nous? Quand arriverons-nous? Nous sommes épuisés. Peut-être y a-t-il encore un peu de café. Nous descendons sans quitter la frontière et en marchant vers le nord. Nous passons près d'une maison en Allemagne, peut-être y aurait-il quelque chose à manger mais nous sommes tellement las que personne ne va voir. Un peu plus loin on nous arrête, nous faisons une

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pause. Nous sommes encore en Allemagne. L'idée de devoir reculer jusqu'en France après cette entrée à Sainte Croix nous altère le moral déjà affaibli par la faim et la fatigue. Nous rompons les faisceaux, faudra-t-il encore marcher? Les officiers eux-mêmes éreintés ne peuvent faire lever les hommes couchés partout dans la boue. Nous n’allons pas plus loin. Nous voici sur la route puis nous rentrons dans le bois. Il pleut, le 52e ou le 75e est là. Nous allons passer la nuit pas loin d'ici alors nos forces renaissent un peu. Nous allumons des feux, nous nous réchauffons, nous nous séchons à moitié. Un champ de pommes de terre est tout près nous en faisons cuire un peu, pas suffisamment car nous sommes trop las. Le 52e nous apporte le café et le thé. Ah! Comme nous leur en sommes reconnaissants! Il pleut de nouveau mais devant ces grands feux nous séchons en partie. Je conduis une corvée à l'eau à des maisons toutes proches. Il fait noir. Le capitaine La….. tombe dans un puits non couvert et à fleur de sol. On le retire je ne sais comment, trempé. Nous demandons pour lui chaussettes, chemise, veste etc. Sur des brindilles de sapins je m'étends et il pleut. Je me couvre avec mon sac. La chaleur du feu me fait revivre et comme une masse je reste ainsi quelques heures c'est à dire jusqu'à l'alerte qui, tandis qu'il commence à faire jour, nous rassemble.Mardi 18 août 1914:Voiture à pain videAprès une longue attente qui nous déprime encore nous partons par la route déformée. Nous sommes de nouveau en France, le moral est altéré. Nous repassons par un village que nous avons traversé le 16 au matin. Nous reconnaissons le pont vers lequel un supplément de cartouches nous avait été distribué. Où allons-nous? Les uns disent que nous nous reportons en arrière pour cantonner et nous refaire. Nous en avions tellement besoin que chacun accueille ce bruit avec satisfaction. Mais bientôt nous nous engageons à droite dans petit chemin qui semble devoir se perdre à travers champ. Nous faisons une pause de quelques minutes. Ceux qui ont encore un dernier biscuit se cachent pour le manger. Un groupe d'officiers entre nous et l'avant garde casse la croûte. En route! Encore! Déjà nous n'en pouvons plus! C'est trop de fatigue et nous avons faim. Nous allons à Saales nous dit-on, plus qu'une petite heure. Peut-être là-bas trouverons-nous à manger, marchons donc, nous franchissons une crête et bientôt nous voyons le col de Saales. La ville est un peu enterrée et encore cachée. Des chasseurs sont arrêtés par-là, de l'artillerie nous dépasse. Un peu plus loin nous rentrons dans un champ pour laisser la route libre. Le soleil est sorti, il est brûlant. Chacun est étendu. Pendant un long moment c'est un défilé ininterrompu de canons, voitures, ambulances et trains régimentaires. A tous nous demandons du pain. Nous sommes bientôt de nouveau à la frontière. Le poteau est déjà arraché. Nous voyons les premières maisons bombardées. Un dur combat a eu lieu par-là quelques jours auparavant. Voici les douanes: postes allemandes sur laquelle on a peint Postes Françaises. Saales, nous ne nous y arrêtons pas. Nous marchons près de deux heures sans pause. Le bruit court que nous allons avoir du pain mais que pour cela il faut aller plus loin. Les voitures sont là-bas, nous faisons une halte et nous touchons un peu de pain: une boule pour huit, deux bouchées quoi! De nouveau nous sentons l'ennemi près de nous. Rothau: nous nous arrêtons dans le village survolé par les aéros boches. Les habitants ont l'air curieux sympathique. On nous emmène cantonner, nous sommes dans une école, chacun s'étend par terre. Il n'y a pas de paille mais nous sommes à l'abri ce qui ne nous est pas encore arrivé. Nous touchons l'ordinaire mais nous sommes tellement harassés de fatigue que personne ne peut faire cuire la viande. Les chefs de section doivent désigner des hommes pour cela. Pas de soupe et pourtant nous pourrions la faire. Il fait nuit, le canon tonne. Défense de se coucher sans avoir mangé. Le courrier! Je suis au deuxième étage, déchaussé, les pieds en sang, je souffre atrocement. Deslavis me monte deux lettres, les premières que je reçois, elles sont parties le même jour, le 9 je crois, c'est un journal de ma Jeanne. Depuis mon départ il lui avait fallu attendre mon adresse pour me les envoyer. Je suis tellement heureux que j'oublie la

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fatigue pour vite lui répondre. J'écrivais, assis par terre, à la lueur d'une bougie. Tous mes camarades sont étendus. Nous mangeons un repas à moitié cru: c'est le premier depuis le 14. Il pouvait être 10 heures et demie quand nous pouvons nous disposer à dormir. Une heure après alerte! Impossible de se mouvoir, les officiers et sous-officiers secouent les hommes. J'ai des difficultés à me rechausser car mon pied a enflé et est tout sanguinolent. Je me chausse néanmoins et, en deux minutes, nous sommes en bas. Les faisceaux formés nous attendons dans la rue le signal du départ. Après une longue attente pendant laquelle les officiers ont de la peine à empêcher les hommes de s'étendre et s'endormir par terre, le général arrive et demande ce que nous faisons là. Son ordre de se tenir prêt à la moindre alerte a été interprété trop largement. Il nous renvoie au cantonnement. Il devait être plus de minuit lorsque de nouveau nous rentrons.

Saulcy sur Meurthe

Mercredi 19 août 1914:

L’offensive française a dessiné une large poche en territoire allemand. La conte-attaque partira de Strasbourg et de Metz. Elle débutera vers le 20 août. Elle pèsera sur les deux flancs de la poche formée par l’avance de la I ère et de la II ème armée.

Vers trois heures et demie debout! Il commence à faire jour. Où va-t-on? Prendre position quelque part? Le canon tonne et a tonné toute la nuit. Nous repartons en arrière. Pourquoi avons-nous fait ce chemin hier alors que nous n'en pouvions plus? Nous allons occuper une crête au sud de Rothau. Il faut y être avant le jour. Très péniblement nous partons, je souffre horriblement du pied droit mais je n'aurais pas voulu rester là puisque les autres vont se battre. Nous passons par Fouday puis nous nous mettons en route vers le nord-est. Nous devons être, dit-on, soutien de l'artillerie. Malgré toute ma bonne volonté je n'en peux plus, il faut ralentir, je m'accroche derrière les voitures de munitions et marche un moment ainsi. Une halte, contre ordre, retour en arrière! Ces marches inutiles dépriment les hommes. Pourrai-je les suivre? Je reprends mon sac, nous sommes une demi-douzaine. Le major, voyant mon état, m'enjoint de rester près de la voiture médicale. Ce que je fais. Nous voici de nouveau devant Fouday. Le 30e après un arrêt repart. Depuis hier soir nous n'avons rien mangé et beaucoup marché. Etendu sur l'herbe, je n'ose me déchausser car après, je ne pourrai plus remettre mon soulier. Une femme nous donne un morceau de pain gros comme deux poings mais nous sommes huit.

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Des chasseurs sont par-là. Ils partent également. De tous côtés la fusillade fait rage. Les Allemands ont repris l'offensive, partout des obus nous arrivent, nous nous déplaçons. Nous voici vers la gare. Les balles sifflent de tous côtés surtout vers la droite. Du pain! J'en prends une boule et en dévore une partie. J'enrage de ne pouvoir tirer, où sont les camarades? Ils se battent peut-être, eux. Une grêle d'obus démolit en partie les abris qui nous garantissaient, des blessés! Je demande au major la situation. Il la connaissait peu mais elle était mauvaise. Le général est par-là: « Mes enfants il faut défendre Rothau ». Quelques débris se mettent en route, une fraction de chasseurs et j'y entraîne quelques éclopés. Nous y allons lentement. Un infirmier porte mon fusil, nous sommes une dizaine. Des chasseurs sont arrêtés dans le bois bordant la route à gauche. Le passage plus loin, est très dangereux, à découvert et balayé par les balles ennemies. Nous nous mettons avec eux un moment mais nous devions aller à Rothau nous mettre à la disposition du colonel Collet. Je repars avec mes hommes d'occasion. Nous marchons un moment dans le bois, c'est excessivement pénible. Nous voici dans un ravin, à l'abri. Nous reprenons la route. La fièvre du combat m'a fait oublier que mon pied saigne. Il faut marcher. A Rothau, les blessés arrivaient, je vole un fusil. Nous voici dans le village. Ordre du capitaine: défendre la voie ferrée, établir pour cela des barricades. Je m'y porte. Bertin se joint à moi. Une première barricade est vite faite près du pont, elle est très bien faite. Une autre se monte à cinquante mètres plus loin puis une troisième plus près de l'ennemi vers la gare entre deux murs hauts de trois mètres, situation merveilleuse pour balayer la plaine. C'est avec une hâte fébrile que nous y avons travaillé. J'ai recueilli tous les hommes égarés que j'ai rencontrés. Et nous voilà une quinzaine, cinq hommes sont envoyés à la gare. Je place un observateur en avant de la barricade, en dehors de la voie, contre un petit talus et donne tous les ordres et indications pour le combat d'après ceux que j'avais reçus. Tenir jusqu'au bout, ne pas s'en aller jusqu'à ordre de partir. Nous défendons ainsi l'entrée directe du village. J'ai bientôt vingt cinq hommes ayant arrêté tous ceux qui passaient mais nous sommes repérés. Les balles sifflent venant de la gauche, en face et à droite. L'artillerie nous arrose de shrapnells. Notre situation devient excessivement critique et nous ne pouvons tirer. Ah! S’il en venait directement sur nous comme nous ferions de la belle besogne! Des officiers viennent voir mon installation. « C'est bien! Tenez jusqu'au dernier, si vous reculez vos camarades de gauche seront perdus. » Cependant c'est un bombardement ininterrompu, la gare est déjà en partie détruite. Mes hommes s'affolent en constatant les progrès ennemis à droite et à gauche. Nous allons être cernés disent les froussards, j'ai beaucoup de peine à les tenir. A chaque instant des officiers viennent s'assurer que nous sommes toujours là et me renouvellent l'ordre de tenir jusqu'au dernier. Le commandant Collet lui-même vient. J'ai un guetteur à quelques mètres en avant de la barricade. Bertin est à la gare. Voulant voir de mes propres yeux la situation je me porte vers mon observateur. A peine ai-je quitté la barricade que j'aperçois des hommes qui en profitent pour chercher à se retirer. Je vais leur intimer l'ordre de rester mais (notre situation très critique les excusent) quelques-uns s'affolent et c'est avec des menaces que je dois les tenir. Cependant je voudrais savoir ce qui se passe, mon observateur s'étant terré ne regarde presque plus. C'est une décharge continuelle d'artillerie et de balles qui nous arrive de plus en plus serrée mais je dois tenir. Un de mes hommes dont je regrette ne pas savoir le nom s'offre pour tuer le premier qui chercherait à se sauver. Je peux donc me porter en avant. Tandis que derrière la barricade ils sont relativement abrités, je suis à découvert. Je vois les nôtres qui se retirent, nous allons pouvoir tirer. Ah! Qu’il en vienne sur nous, nous pourrons faire de la bonne besogne. Un obus éclate à trois ou quatre mètres sur nos têtes, les éclats nous arrosent. J'en ramasse un entre mes pieds, il vient de derrière, je m'y brûle les doigts. Il m'a passé entre les jambes après avoir troué ma capote. Le morceau était de la grosseur de ceux qui emportent une jambe ou une tête mais je n'y pense pas. On entend que des cris et des hurlements mêlés à une fusillade et une pluie d'obus comme je n'en ai pas

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encore entendu. A droite, à gauche, les Allemands poussent des charges. Je me rends bien compte de notre position. Je sens que nous sommes de plus en plus entourés. Les nôtres se retirent, pourvu qu'ils ne m'oublient pas. Je ne peux m'en aller sans ordre. Enfin un lieutenant de ma gauche en se retirant me crie de le suivre. Je n'ai pas à le répéter à mes hommes. D'un bond nous voilà derrière la deuxième barricade, avec peine je les y tiens un moment puis la troisième. La retraite est générale, nous continuons à nous retirer le long de la voie ferrée. Bientôt nous devons la quitter, leur artillerie l'arrose. Nous nous joignons à ceux qui étaient à notre gauche. Mon pied me faisant souffrir horriblement je vais lentement et bientôt je suis en arrière. Nous voici sur la route après avoir traversé bois et ruisseaux. Nous nous retirons sur Fouday. Je m'arrête sur un talus de la route pour me refaire un pansement ne pouvant aller plus loin. Je défais rapidement la dernière boîte de conserve qui me restait et l'avale. Depuis bientôt deux jours je n'ai rien eu que du café. Je suis à l'abri, le crépitement des balles n'est pas loin mais elles ne tombent pas dans ce ravineau. Soudain, comme je me préparais à repartir, j'aperçois un homme, des nôtres, sur la route, à deux cents mètres, égaré, tout affolé qui, croyant sans doute en moi voir un Boche se couche à plat ventre et, du même mouvement, me met en joue. D'un bond, je saute au milieu de la route, lui faisant face en ouvrant mes pans de capote pour mieux montrer mes pantalons rouges. Il était temps! Voyant sa méprise l'homme se lève et, honteux sans doute, ne veut venir à moi à mon appel. C'est un de ceux qui voient l'ennemi dans tout ce qui bouge. Je me remets en route, à Fouday on me dit que la 9e est plus loin, je continue à marcher et trouve en effet le sergent Bugnon avec la 4e section dans une maison. Il avait été placé là par le général comme récompense. J'y trouve des copains perdus depuis deux jours et qui me croyaient mort. Je me repose un moment. Que j'en avais besoin! La 9e est toute dispersée, elle a subi de rudes coups ces deux jours et s'est fait féliciter par le général. Avec une bravoure digne d'elle, elle a pendant que j'étais à Rothau, brillamment soutenu le 99e et protégé sa retraite tandis que ce régiment s'était affolé en recevant subitement quelques obus. La 9e a arrêté un bataillon lui faisant subir des pertes sensibles. Après environ une heure la section Bugnon reçoit l'ordre de partir. Le reste de la 9e est signalé vers Plaine et nous allons tacher de les rejoindre. Nous partons mais, de nouveau, ne pouvant marcher, je me trouve en arrière. Je souffre toujours horriblement mais ne veux m'arrêter, les autres vont se battre. En route, je recueille six ou huit hommes égarés et les emmène avec moi. Nous voici bientôt dans une zone balayée par les obus. Après avoir grimpé un coteau abrupt voici un petit village déjà en partie détruit, l'école toute trouée. De tous côtés les obus font rage. Une rafale s'abat en plein sur le groupe de maisons où nous nous trouvons. De l'artillerie est en position tout près et c'est elle que l'ennemi vise. Pour arriver vers la 9e il faut traverser la zone battue. Un commandant d'artillerie me défend de passer: «Restez à l'abri. » Mais il n'est pas d'abri ici. Les maisons dégringolent ou brûlent. Une femme et ses deux enfants, quatre et huit ans, se trouvent dans leur maison. Un obus traverse le toit, tombe dans la pièce où ils se croyaient à l'abri, enlève la tête de l'aîné et l'envoie contre le mur, arrache les membres du cadet et la mère reçoit trois éclats dans la poitrine. Les éclats des shrapnells ou débris de toutes sortes pleuvent partout. Nous ne pouvons rester là et je me porte plus bas avec mes huit rescapés. Il ne faut pas songer à rejoindre la 9e pour le moment, je cherche une autre unité. J'ai avec moi un homme de la 99e. Un cycliste du général le voyant nous dit: « N'allez pas vous montrer au général, le 99e, il ne peut plus les voir. » Lui faisant remarquer que nous étions du 30e il reprend. « Oh! Le 30e , il le met au repos, il l'a félicité, ils ont bien travaillé. » J'aperçois une fraction du 30e avec un officier, je me porte à sa rencontre: c'est le

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lieutenant B avec le drapeau de sa garde. Il me prend avec lui en disant: «On ne sera peut-être pas trop. » Je ne sais comment nous allons nous en sortir. Ils avancent! De tous côtés des villages brûlent: Fouday, Rothau, Plaine etc. Nous nous dirigeons vers X pour y passer la nuit. L'artillerie, le ravitaillement, toute la nuit fausse alerte, pas mangé, le jus au réveil.

Rothau, vue sur la Bruge

Vendredi 21 août 1914:Nous partons avant le jour sans bruit. Nous trouvons une section de la 9e. Pause. Du pain! Nous faisons cuire rapidement quelques pommes de terre, un bifteck. Chaque homme met deux ou trois boules dans son sac pour des camarades qu'on va retrouver et qui n'ont rien depuis plusieurs jours. Nous formons déjà environ une compagnie dont je ne me rappelle pas des éléments, je crois que le capitaine Lagarde était avec nous. Nous marchons ainsi longtemps en grande partie à travers bois. Nous descendons un chemin encombré par l'artillerie et rencontrons des prisonniers boches. Nous sommes à la hauteur de Rothau et nous avançons toujours sur Schirmeck par le nord. Le 28e nous croise. Nous arrivons avec le reste du troisième bataillon. Ils ont passé la nuit par ici. Le pain est partagé: une boule pour douze ou seize. Vite nous organisons le terrain pour la défense d'après les indications générales données nous creusons des tranchées en avant et à droite. Nous sommes la pointe la plus avancée. Des blessés en quantité sont amenés de l'avant, du 30e et ou du 75e, il y a des allemands parmi lesquels des officiers. Un champ de pommes de terre est tout près, j'y conduis une corvée mais défense de faire la soupe: pas de feu! Notre contre-offensive nous a, dit-on, redonné Rothau duquel nous sommes bien en avant. C'est ici que le capitaine Schaubert avec la quatrième section a été victime de sa témérité. Il est parti en reconnaissance avec cette section pendant la nuit et personne n'est revenu. Le colonel, le capitaine Tan...., le capitaine Cav... en étaient et se sont miraculeusement sauvés avec cinq ou six hommes cernés de toute part à la pointe du jour. Nous devons tenir à n'importe quel prix jusqu'à six heures du soir puis nous retirer. Nos travaux sont sérieux: tranchées, abatis en partie effectués par un cheval d'officier allemand capturé. Il fait presque nuit lorsque nous nous mettons en route. Nous sommes deux bataillons du 30e. Il manque la 4e section dans laquelle étaient plusieurs de mes anciens copains. Nous marchons assez longtemps. Où allons-nous? C'est Lagarde qui nous a pris sous son commandement. Pourquoi quittons-nous cette position puisque personne n'y prend place? Sans trop savoir pourquoi nous sommes tristes. Nous ne sommes pas convaincus et cependant

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nous nous retirons. Nous voici déjà en arrière de Rothau. Il fait noir. Après une assez longue marche nous passons vers ce village où je me trouvais hier et qu'on bombardait. Marche en silence. Nous entendons des bruits mystérieux dans la nuit: coups de sifflet, cris. Où est l'ennemi? En sommes-nous près? Le capitaine réclame le silence absolu. Nous marchons péniblement par deux ou par un. Bientôt nous sommes glacés par ces paroles du capitaine Lagarde qui réclame du silence: «Pas de bruit mes enfants, nous n'avons pas le droit d'être gais, demain nous seront peut-être... » Je n'ai pas compris la suite mais ces quelques mots prononcés sur un ton lugubre nous font mal. Toutes les suppositions circulent: nous sommes cernés, nous sommes trop longtemps restés là-bas, le passage nous est coupé etc. Mais bientôt nous voyons de l'artillerie. Cela nous rassure et nous arrivons enfin à Bourg Bruche.Samedi 22 août 1914:Je ne me souviens pas de quelle façon nous avons commencé la journée mais dès les premières heures nous étions postés sur le versant au sud de Bourg Bruche face à l'est. Nous creusons immédiatement des tranchées, allons-nous combattre? On n'entend pas de bruit ce matin ce qui n'est jamais de bon augure. Mais comme toujours, nous sommes près à tout. La pluie s'amène, nous confectionnons rapidement des abris avec des genets. Des obus arrivent, nous nous terrons. A peine nos tranchées sont-elles finies et bien faites pour lutter contre l'artillerie que nous recevons l'ordre d'avancer. Nous sommes presque au sommet de la crête et il faut recommencer nos travaux. Notre artillerie s'amène, un commissaire d'abord puis quelques officiers. Rapidement ils inspectent la vallée de Rothau. Ils doivent avoir des renseignements sur les positions ennemies. Je suis tout heureux, je vais pouvoir les regarder travailler. Aussitôt les pièces s'amènent, au galop elles escaladent tout: talus, haies, fossés. De quelques coups de pioches les artilleurs abattent légèrement des talus et, à grands coups de fouet, ils y lancent leurs chevaux, pauvres bêtes qui déjà n'ont que les os et la peau et toutes écorchées! Ils font appel à des hommes du 30e avec leurs outils pour mettre en place les pièces ce qui est l'affaire d'un instant. Le capitaine donne ses instructions, les voilà prêts à tirer. Ils déplacent certaines pièces: angle de site trop élevé, hausse minimum trop grande. Les chevaux sont déjà cachés à l'arrière. Je m'approche d'une pièce et me fais expliquer par un sous-officier la manipulation de notre 75. Nous attendons toujours sous un soleil de plomb, la pluie ayant cessé. Des officiers et sous-officiers d'artillerie arrivent au galop: ce sont des ordres. Bientôt, sans avoir tiré, ils emmènent tout et, au galop, les deux batteries dégringolent, traversent Bourg Bruche et se portent vers le bois au-delà. Dans la plaine, c'est un fourmillement d'artillerie, de fourgons régimentaires, de chasseurs. Nos tranchées sont très rudimentaires, elles nous abritent mal mais nous sommes contre un talus très en pente et non loin de la crête. Vers onze heures et demie les premiers obus arrivent. Ce sont leurs 108 au bruit formidable. Les premiers sont mal repérés puis rapidement le tir se rectifie. Cela dure une demi-heure puis le calme revient. Chacun en profite pour s'arranger un peu, creuser, entasser des mottes. Quand la canonnade reprend, nous sommes un peu mieux protégés. Nous regrettons les tranchées que nous avons laissées ce matin et que d'autres occupent. Le 30e est là, contre ce coteau, immobilisé. De plus en plus précipités et ajustés les obus nous pleuvent sur la tête avec un bruit effrayant. Les percutants font de ces trous! Et les éclats de terre jaillissent de tous côtés. Les shrapnells sont admirablement ajustés. Il tombe bien 50 obus à la minute, c'est un sifflement continu et le bruit de l'éclatement terrorise. Cependant pas de cris encore, c'est très étonnant. Très repérés, les obus tombent tous dans la zone occupée. Notre position en arrière de cette crête abrupte est très bonne, les obus qui ne sont pas arrêtés vont, par la loi de la trajectoire, tomber bien plus loin. Des percutants, en grand nombre, touchent le sol au fait de la crête et nous couvrent de terre et d'éclats. Par moment nous recevons tout, ensuite c'est un autre point qui est arrosé et quelques obus seulement sont pour nous. Cela dure depuis plusieurs heures déjà et la grêle des projectiles

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qui, par moment, semble diminuer un peu reprend plus forte encore. Nous nous y habituons et, avec des camarades, nous nous amusons à suivre le sifflement, la trajectoire de chaque obus lorsqu'il était destiné à d'autres mais quand nous le sentions arriver sur nous comme chacun se faisait petit! Quoique par un fait vraiment providentiel nous n'ayons pas de pertes connues notre situation n'est plus tenable. Il faut se déplacer. Nous nous portons par file plus en arrière sur le village mais quelques minutes après, leur tir rectifié nous arrose. Comment donc nous repèrent-ils? Après un arrêt assez long nous descendons dans le village, adossés au talus ou abrités derrière les maisons. Bientôt c'est le village qui reçoit tout. Le jour commence à tomber, nous sommes accrochés à un talus près de la route. Un mouvement se dessine sur Saales sur le cimetière. Le général arrive, il paraît content et sûr de lui sans doute à cause de l'inutilité de ce bombardement. Il dit : «Ils nous ont envoyé des obus pour plus de cent mille francs pour ne rien faire. » A ce moment un obus tombe dans la haie du cimetière derrière laquelle des hommes sont abrités: deux morts et quelques blessés. Sur la route balayée également la circulation n'est pas intense, quelques cycles et les autos de l'Etat Major circulent. Un peu plus loin, je vois deux hommes qui tombent.Le capitaine du premier bataillon dit à ses hommes: «Vous avez été braves aujourd'hui nous allons vous récompenser. Je vous offre une promenade en auto de nuit. » En effet, bientôt tout le bataillon est transporté à l'aide des autos du ravitaillement au col de Sainte Marie que les Boches viennent de reprendre. Ils enlèvent la position et viennent nous rejoindre quelques jours après. Ce bombardement intensif a beaucoup déprimé les hommes et la faim vient encore s'y ajouter. Où allons-nous passer la nuit? Que sont devenus tous les régiments? Nous ne voyons plus personne! Quelques chasseurs seulement. Après quelques atermoiements on nous informe que nous allons réoccuper les positions que nous venons de quitter. Cela ne nous sourit pas beaucoup. Il fait noir. Nous ne sommes pas couverts. L'ennemi a dû se rapprocher à la faveur de son bombardement. Nous allons nous jeter peut-être dans la gueule du loup. Nous y retournons avec précautions. Une section du 75e nous crie: « France! Nous sommes du 75e , ne tirez pas.» Nous avançons encore, il fait noir! Je suis en patrouille de couverture, nos hommes ne me suivent qu'à regret. Nous trouvons à droite des chasseurs qui vont passer la nuit par ici. Cela me donne un peu confiance mais nous avançons toujours. Nous marchons en tâtonnant, nous n'y voyons qu'à deux mètres. Nous tombons à chaque instant dans un trou d'obus. Nous avons beaucoup de peine à amener tous les hommes. Où est l'ennemi? On l'a signalé dans le bois en face du ravin. Enfin nous voici à la ligne de tranchées la plus avancée. Nous devons y passer la nuit. Les instructions sont données en cas d'attaque. Les chasseurs sont sur notre droite. En silence chacun prend ses dispositions. Le sergent Long est envoyé avec quelques hommes en poste d'écoute un peu en avant. La fatigue, la faim, le bombardement surtout ont altéré considérablement le moral.Dimanche 23 août 1914:Nous dormons mal, il fait froid, nos escouades sont un peu mélangées, nous nous attendons à une surprise. Chaque bruit est interprété de toutes sortes de façons. La nuit froide est interminable. Comme il allait faire jour les sous-officiers secouent les hommes: aux armes! Nous croyons à une attaque, en un instant tout est prêt. Girard est envoyé en patrouille et revient de suite sans s'être assez écarté. A mon tour j'y suis envoyé. Je prends quatre hommes, je devais reconnaître le bois qu'on disait hier soir occupé par l'ennemi. Sans penser au danger d'une telle mission je pars. Bientôt mes hommes se resserrent contre moi et je ne peux les tenir à leur place, ils ont la frousse. Je suis obligé de marcher en tête. Les fougères et les genets nous cachent mais cachent aussi toute notre vue. N'allons-nous pas tomber dans une embuscade. Nous voici, l'arme à la main, prêts à faire feu à la lisière du fourré. Il nous faudra maintenant traverser un grand espace découvert. Je dois y envoyer un homme, le premier, mais aucun ne veut y aller. Je les rassure sur le danger qui cependant était réel si, comme on le

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supposait, l'ennemi était dans le bois. Je leur donne alors les instructions et m'élance, à la grâce de dieu, dans la ravine. Je suis de l'autre côté: rien! Je fais signe à mes hommes qui n'osent venir. Je reste ainsi un long moment seul et les vois enfin qui partent tous d'un bond. Toujours rien. Ils sont un peu rassurés, je leur donne à chacun, d'un geste, leur direction. Dix minutes après nous arrivons vers nos tranchées. Le commandant Lanusse s'y trouvait, c'est à lui que je rends compte de ma tournée. Il me félicite et nous voici de nouveau dans nos tranchées sommaires que nous arrangeons un peu. Le jour est venu et quand mangerons-nous? Dans la matinée, n'ayant pas été attaqués, une corvée est envoyée à l'eau. On la distribue le long de la tranchée. Nous avons faim. Un homme a une glace de poche, je me regarde et me fais tellement peur ! J'étais noir, sale, aussi à la première distribution d'eau je me lave la figure. La journée passe ainsi sans combat bien qu'on sente l'ennemi sur nous. Quelques coups de feu épars et ne portant pas, quelques obus mais c'est un qui vive continuel et fort pénible. Nous ne mangeons toujours pas. On dit que nous devons tenir le plus longtemps possible et nous replier sur Saales. Pourquoi toujours nous replier? Et que sont devenus tous les régiments qui étaient à nos côtés? Nous aurions pu avancer si on ne nous avait dégarnis ainsi. Notre état moral est de plus en plus mauvais. Ils sont trop nombreux! Ils ont des obusiers contre des 75.Bourg Bruche, soudain une nouvelle, l'ordinaire est arrivé à B.B. Je m'offre comme chef de corvée avec quatre ou cinq hommes. Je descends rapidement au village. Nous touchons des vivres quelle chance! Nous allons peut-être pouvoir faire la soupe: du café, du sucre en abondance. Le lieutenant me donne une poignée de tabac. Du pain! Chaque homme de corvée en a une boule de rabiot que nous entamons joyeusement tout de suite. Nous trouvons une carriole et en route! Mais nous avons trop de matériel et il faut aller chercher des renforts. Des hommes du 10e nous donnent un morceau de cochon. Ah! Que c'était bon! Nous partons enfin tous. La viande est laissée dans une maison à mi-côte où sont installées les cuisines. Et là, oh surprise! On vient d'apporter un cochon. C'est le capitaine Long qui l'a découvert dans une maison abandonnée et, comme on ne parlait pas encore de l'arrivée des vivres, avec quelques hommes, huit poules de la même manière sont apportées. Je reste jusqu'à minuit vers les feux pour la répartition des denrées. Le café est monté aux hommes. Je mange un morceau de lard tout rouge et d'un bon goût! Le cochon n'ayant pas été saigné, le lard tout meurtri à coup de bâton est rouge de sang. Ah! C’est bon quand même. Je remonte aux tranchées. L'ennemi est signalé à quelques centaines de mètres. Nous veillons. Nous avons du courage, nous avons du pain, nous aurons de la viande.Lundi 24 août 1914:Le jour n'est pas loin lorsque les cuisiniers amènent la bidoche. Chaque homme a un morceau de poule, ô ! Si peu, une tranche de cochon et la portion de lard, le tout à moitié cru, bien entendu, mais personne ne se plaint. Dans la vallée, la fusillade déjà crépite. A notre droite, des chasseurs semblent engagés, notre tour ne doit pas tarder mais, malgré cela, la journée ne fut pas très mouvementée. Je ne me rappelle pas si quelque fait saillant l'a marquée. Le soir nous allons passer la nuit à X. Nous sommes dégarnis et nous avons l'air encore de nous retirer. Cela, sans même être poursuivi, de nous-même, pourquoi? On dit que c'est une embuscade que nous tendons à l'ennemi pour l'attirer sur Saales. Nous nous efforçons d'y croire mais nous sommes de plus en plus déprimés par ce recul volontaire. La nuit arrive et nous partons dans la direction de Saales c'est à dire de la frontière. Où sont nos camarades des jours précédents? Que se passe-t-il ailleurs? Autant de questions que l'on se pose mutuellement. Par des chemins masqués vers le bois nous arrivons à Saales puis ce sera la frontière. Nous sommes tellement affaiblis par les privations de ces derniers jours que, déjà, nous demandons une pose après deux heures de marche seulement. Les gens du pays nous regardent passer, nous en sommes honteux et souffrons de cet état de chose auquel nous ne comprenons rien. Nous prenons de petits chemins au nord. Nous marchons ainsi longtemps

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dans la nuit. Nous trouvons d'autres troupes et la nuit était déjà avancée quand on nous arrête près de deux ou trois maisons dont nous nous emparons. Nous nous préparons à y passer les deux ou trois heures qui nous séparent du jour. Mardi 25 août 1914:Réveil! Accablés, nous faisons le jus. Du pain! Demi-ration, du tabac. Le café était prêt à boire mais il faut le balancer et vite partir. Nous allons bientôt nous trouver en France, cela ne nous réjouit pas. Nous trouvons bientôt une grande route toujours dans les montagnes. Nous ne connaissons rien de la situation. Le canon comme toujours tonne sans cesse mais nous sommes à l'abri. Des officiers de l'Etat Major nous arrêtent et nous font dissimuler rapidement. Eh! Quoi! Les Boches seraient là! D'où sortent-ils? Mais oui ce sont eux, notre route est coupée. Ils sont dans les montagnes tout près, à droite et en avant. Cela ne nous paraît pas possible. Les officiers, craignant que nous ne soyons déjà repérés, nous font masser contre un talus. J'entends le capitaine de l'Etat Major causer et j'en conclus ceci. Les Boches sont là, tout près, notre situation est critique, ils nous ont vus et n'ont rien fait, ils n'ont pas tiré, c'est une embuscade. Nous en sommes informés, il faut agir comme si nous ne savions pas qu'ils sont là, les tromper et tâcher de nous en tirer. Nous ne les voyons pas mais les officiers de l'Etat Major nous montrent où ils sont. Pas un coup de feu, c'est la caractéristique des situations graves des attaques par surprise. J'essaie de m'expliquer la cause de notre retraite volontaire de la vallée de la Bruche et pourquoi les Allemands nous pressaient si peu ces derniers jours. Une colonne allemande s'avançait par un passage plus au nord et il n'y avait personne pour les y recevoir. Nous allions ainsi être coupés. La vérité était plus triste encore. Une unité du 15e corps a flanché lâchement, les Allemands se sont rués dans cette trouée et, en avalanche, arrivaient à la frontière qu'ils avaient déjà atteinte et dépassée lorsque nous y sommes arrivés. Notre adversaire de la vallée de la Bruche, au lieu de nous presser nous terrait et avançait sur chaque aile. Après un arrêt assez long, pendant lequel, insensiblement des factions se détachaient et prenaient une nouvelle formation nous rebroussons chemin et nous nous dirigeons vers le sud ou sud-ouest. Nous allons tacher de nous porter face à notre nouvel adversaire, c'est du moins ce que, non sans peine, j'ai conclu et ce qui, je le crois encore, doit être la vérité. En effet, après nous être sortis de dessous leurs griffes car ils nous tenaient, nous allons par de longs détours et très rapidement nous porter sur un point où nous pouvons, avec plus de chance, les bousculer, les arrêter un peu et passer. Nous y voici. Déjà, à notre gauche, c'est à dire au nord, nord-ouest, le combat est engagé, acharné. Sans perdre de temps les dispositions de combat sont prises. Nous faisons face au nord-ouest et nous avançons en échelons. La 9e compagnie s'arrête un instant derrière un petit bois. Je suis envoyé en patrouille de couverture avec quatre hommes. Le lieutenant qui était à la lisière du bois du côté de l'ennemi m'envoie plus loin pour trouver les traces de la 4e compagnie et établir la liaison, la 9e doit suivre. Une fraction se trouve massée derrière une maison plus loin, à droite. En utilisant le terrain très difficile je m'y porte rapidement. J'ai laissé un homme pour la liaison avec la 9e, j'en laisse un autre. Cette fraction quitte son emplacement: c'est la 11e. Un officier me dit que la 4e est en avant, que lui-même marche sur ses traces. Vite, j'envoie un de mes hommes pour que la 9e suive. J'attends un bon quart d'heure, couché dans un pré derrière un arbuste. A quelques cent mètres, à gauche, c'est la lutte acharnée et les balles m'arrivent plus ou moins serrées. Je m'aplatis en suivant d'après le bruit les positions ennemies. De tous côtés ils fourmillent, d'où sortent-ils? Je pourrai fournir de précieux renseignements tout à l'heure. Enfin mon homme arrive avec mon premier agent de liaison. Presque aussitôt après notre départ la compagnie a reçu un ordre et est partie vers la gauche. Mes quatre hommes sont là et hésitent à s'avancer, la zone étant balayée par les balles. Il ne faut pas songer rejoindre la compagnie. Je me porte

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en avant pour rejoindre la 11e et combattre avec eux. Notre passage au pas de course dans un espace découvert est salué par une rafale mais personne n'est atteint. Nous voici à l'abri, je regroupe mes hommes. Le capitaine est là-bas ainsi que le sergent de mitrailleuses et la 11e un peu plus loin. Je vais raconter au capitaine ce que j'ai vu. Cela concorde, dit-il, avec ce que l'on vient de me dire. « En avant, commande-t-il, rapidement à la côte 10 pour les prendre de flanc. » L'adjudant commandant les mitrailleuses me demande si je peux rester avec lui pour effectuer des tirs dans le cas où, surpris, il ne pourrait se retirer. « Nous voulons faire du bon travail, me dit-il, il faut que nous en démolitions. » Cela me plaît énormément, si je reste à sa disposition cela fait cinq fusils pour le soutenir. Après avoir traversé un ravin, des ruisseaux à gué, nous escaladons des rochers. Les mulets des mitrailleuses ont été laissés près du lieu où la 9e stationnait. Les hommes portent les pièces à dos. Au petit village les gens sont affolés, nous y faisons un moment d'arrêt. Les maisons sont assaillies. Je bois un litre de lait, achète six oeufs et en gobe quatre tout cela en un instant. En route, l'adjudant me dit à nouveau de ne pas le perdre: il aura besoin de moi. Dans la montagne légèrement boisée nous grimpons difficilement. Le combat est violent à gauche et presque derrière nous. Nous devons être repérés car sans interruption des balles nous arrivent. Nous voici en terrain à peu près plat et couvert de sapins. D'ici nous ne pouvons rien faire, point de champ de tir. Nous allons un peu plus loin à 600, 800 mètres et nous nous trouvons dans un petit bois de la lisière duquel nous comptons pouvoir travailler. La 11e compagnie y arrive également. Nous avons reçu des tirs de flanc et pas encore pu envoyé un coup de fusil. On s'impatiente, on enrage. Nous comptions pouvoir travailler d'ici mais nous ne voyons rien. Des observateurs guettent. Dans toutes les directions sont envoyés des hommes à la recherche d'un objectif mais toujours rien. Nous ne pouvons rester ainsi isolés. Nous nous mettons en route pour rejoindre le reste du régiment, la 11e compagnie part également. Les mitrailleurs emportant leur chargement, mes hommes les aident. En route, je prends deux trousses de cartouches d'un mitrailleur qui n'en peut plus. Vingt quatre kilos pour regrimper les rochers c'est éreintant.

Bruyères : Des blessés ramenés du front

Nous dégringolons ensuite avec des à pic de deux à trois mètres. Sous leur chargement les hommes n'en peuvent plus. Un de mes hommes n'ayant rien pris au passage dans le village je lui donne un oeuf. Les autres nous ont bien devancés. Un peu de pas de gymnastique et nous

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sommes dans le village où, ce matin, je me suis un peu ravitaillé. Nous le traversons rapidement et plus loin, bientôt, nous voyons nos mulets qui nous attendent avec leurs gardiens. Nous leur faisons signe de descendre. Les voici. Rapidement nous les chargeons et nous reprenons la route. Des espaces découverts sont traversés au pas de gymnastique. Le jour descend. Nous marchons vers l'ouest ou le sud-ouest en retraite quoi. Nous traversons un village dans le contrebas, des pruniers dépouillés, les gens effrayés. Nous sommes en France maintenant et l'ennemi entre chez nous et ce n'est guère encourageant. Nous grimpons un coteau, la pluie s'amène en averse, il fait presque nuit. Nous voilà groupés sous d'épais châtaigniers, mulets et hommes. L'adjudant s'assure que je suis avec lui. Nous partons en colonne par un sentier dans le bois ma patrouille en arrière garde. Bientôt nous sommes espacés et tenons une distance trop grande de la tête à la queue mais il ne doit pas y avoir de danger par-là. Cependant dans un pré, à droite, un cheval se débat avec une balle dans le ventre. Le chevalier tourne autour de lui et ne semble pas vouloir s'en séparer. Il y a des Boches par-là? Ce n'est pas possible. Où avaient-ils passés? Une balle française égarée sans doute. Il pleut de plus belle, nous sommes dans le bois. J'ai des coliques qui m'obligent à m'arrêter. Me voilà seul devant plusieurs sentiers. Je surveille ma gauche où l'ennemi est signalé. Je rattrape les autres. Nous marchons, je suis avec mes quatre hommes. Soudain des coups de feu nourris suivis de cris! Des hommes sont atteints. Les balles sifflent, nous ne voyons encore personne. En retraite! Chacun s'élance du côté de la lisière du bois. C'est un bruit indescriptible, cris, fusillade. Mes hommes se serrent autour de moi. Les mitrailleurs plus loin ont pris la même direction, nous faisons des bonds dans le bois! Sentant des cris sur nous, je me retourne dans ma course et vois à quinze mètres les Boches qui nous poursuivent en criant. Peut-être disent-ils: « Rendez-vous » mais nous ne pensions pas à nous rendre. Je ne saurais décrire mes impressions de ce moment là. Les balles nous sifflaient aux oreilles et venaient de très près puisque des leurs étaient sur nous à une dizaine de mètres. Ils devaient avoir la baïonnette mais je ne l'ai pas vue. Je vois seulement ces sales gris arrivant à grandes enjambées en poussant des cris sauvages. Mes forces sont décuplées, je fais des bonds prodigieux passant entre les balles qui sifflent et font toc, toc contre les arbres. Un talus de deux mètres de hauteur, je le saute sans hésitation. Mes hommes me suivent de près à droite et à gauche. Nous voici dans les broussailles, nous avançons plus lentement. D'autres talus de deux à trois mètres se succèdent, cela nous sauve. Nous avançons plus lentement. Je fonce la tête la première dans les broussailles pour m'ouvrir un passage en même temps je m'assure que mon fusil fonctionne. Je prends quelques cartouches à la main et cours toujours. Ceux qui nous poursuivaient se sont arrêtés mais les balles sifflent de plus belle dans le bois. Ils ne nous voient plus: c'est déjà un grand avantage. Enfin voici la lisière du bois, une descente puis la plaine et là-bas, à huit cents mètres, le village que nous avons traversé tout à l'heure. Sans hésitation nous nous lançons dans le découvert. Je n'ai plus que trois hommes, un y est resté. A notre gauche, les mitrailleurs sont également sortis du bois et bondissent vers le village. En quelques bonds nous voilà au bas de la pente mais là c'est un marais et notre élan nous est fatal. Je m'enfonce jusqu'au-dessus des genoux, impossible de m'en sortir. Les balles nous arrivent plus serrées et mieux ajustées. Un homme encore est atteint, il se sauve quand même. Je m'en sors avec peine et après cinquante mètres de marécages c'est la terre ferme mais je suis à bout de forces et de souffle. Je regarde de tous les côtés, les nôtres, surpris, se retirent avec précipitation. Des chasseurs sont à gauche après les mitrailleurs vers le village. Ce sont des fractions du 30e. Je cours encore un peu en obliquant à droite vers la route. Là, à bout de souffle, je me mets au pas tenant mon sac sur le côté gauche pour me protéger un peu des balles. Je m'achemine vers le village.La route est criblée de projectiles. Enfin me voici au village tout étonné d'en avoir réchappé. On y travaille déjà à établir des barricades (fil de fer). Des fractions du 30e et du 75e sont là

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avec des chasseurs, rapidement nous préparons la défense. Je suis allongé à plat ventre sur la route face au bois. La nuit s'amène nous tirons sur la lisière. Les balles également nous arrivent à notre droite c'est à dire vers notre ligne de retraite. Les Allemands attaquent furieusement des chasseurs les reçoivent. Derrière nous, de l'autre côté de la route se trouve un talus et un petit mur qui dépasse de cinquante centimètres. Je fais remarquer à un capitaine qui se trouve là que nous serions mieux derrière ce mur. Rapidement il le regarde, dit oui puis, se reprenant: « Non, restez là, ce serait plus difficile à s'en sortir lorsqu'il faudra battre en retraite. » Encore en retraite! Cette perspective est de plus en plus pénible. Nous ne pouvons rester là. Nous avons l'ennemi devant nous, à notre gauche et derrière, de plus il cherche à nous couper à droite notre route pour la retraite. Combien sont-ils dans le bois? Nombreux car la fusillade est nourrie et ils tiennent un front assez étendu. Ils sont arrivés avant que nous ayons passé et qui sait si plus loin d'autres ne nous attendent pas encore.Des mitrailleurs ont laissé des leurs également. Ils y ont perdu aussi des pièces, des mulets atteints ont dû être abandonnés. On dit que leurs conducteurs ont enlevé une pièce de mitrailleuse pour qu'ils ne puissent pas s'en servir contre nous. La nuit est venue mais nous sommes toujours à tirer sur l'ennemi qui est sorti du bois. Ils poussent des charges à droite que les chasseurs refoulent. Tout un régiment d'artillerie est encore à passer et commence seulement à défiler. Nous ne devons quitter ce point que lorsqu'il ne restera plus un camion à passer. Il fait noir maintenant, la fusillade ne s'est pas arrêtée mais peu de coups sont ajustés. Nous avons la baïonnette au canon pour repousser toute attaque. En face, le bois est à deux ou trois cents mètres mais il y a une bande de marais et un talus qui nous renforcent. Parmi les victimes de ce jour c'est le sergent Briand qui m'a le plus fait de peine. Depuis le départ d'Annecy je l'avais comme ami. Il était instituteur près de Rumilly. Combien de fois avais-je dû le remonter, il était d'un pessimisme sur cette guerre et moi trop optimiste peut-être. Le pauvre garçon a reçu une balle dans le ventre et a été laissé aux soins des habitants du village, du maire je crois. Son état était très grave. Nous nous portons plus loin, à droite, vers le point le plus dangereux, là où, sans cesse les Boches foncent, là où ils pourraient le mieux nous couper la retraite. Nous ne sommes pas nombreux mais l'obscurité nous favorise et les Allemands n'osent venir résolument vers nous. Leur coup est-il manqué? Ensuite nous quittons ce point pour nous avancer davantage sur la route de repli qui rentre alors dans la forêt. Nous attendons là que toute l'artillerie ait défilé. Il pleut, quelques coups de fusil seulement vers le village, ici plus rien. Succédant à cette tension extrême de ces heures tragiques, la réaction se produit, la fatigue nous accable et j'ai grand peine à ne pas dormir sous la pluie qui tombe de plus belle.En route enfin! Nous marchons ainsi longtemps dans la nuit. Je ne me souviens pas de quelle façon j'ai regagné la 9e compagnie mais j'ai passé la nuit avec elle dans une grange sur le bord de la route dans un grand état d'énervement et d'accablement. Nous ne craignions pas d'attaque: ils n'oseraient pas de nuit s'aventurer si loin. Des barricades sont établies sur la route pour arrêter les Boches dont des patrouilles sont signalées. Mercredi 26 août 1914:Nous sommes à Reddroback, deux kilomètres de Saint Jean d'Ormont. La nuit se passe très bien, elle était d'ailleurs fort avancée déjà quand nous sommes arrivés au cantonnement. Nous ne nous séparons pas des armes et, avant le jour, nous sommes debout. Après un stationnement sur la route, un sous-officier, je ne me souviens lequel, fait rentrer les hommes dans la grange pour qu'ils se reposent un instant encore. Il reste dehors à veiller ainsi que quelques autres, j'en étais également. Le jour commençait à pointer, aucun bruit, cela est toujours dangereux. Le capitaine Lagarde s'amène et furieusement reproche et menace le sous-officier qui n'a pas ses hommes dehors. En un instant, bien que la plupart d'entre eux se soient endormis tout le monde est debout. L'ennemi est sur nous! L'artillerie part plus loin. Nous allons occuper des tranchées sur les

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crêtes dominant Reddroback, tranchées faites par le génie pour tireur debout avec bancs. Notre situation est merveilleuse pour balayer la vallée. Je suis avec l'adjudant chef Favre. Les principaux points sont mesurés, repérés. Nous avons quelques maisons éparses, des bosquets, des petits bois, ravins, mamelons, un terrain enfin propice à l'attaque. De bonne heure la lutte est engagée. Nous recevons quelques balles et bientôt une pluie d'obus. La lisière du bois est visée avec précision. Au fond des tranchées, le sac sur la tête nous attendons. Bientôt nous devons nous retirer plus avant dans le bois et une deuxième tranchée est ébauchée. Nous revenons ensuite occuper la première et pouvons ainsi suivre les progrès de l'ennemi. Plusieurs fois des feux sont commandés et ne peuvent être exécutés. Des sections voisines tirent par intermittence. Nous voyons des nôtres, à gauche se replier. Nous formons l'aile droite de la défense. Nous pouvons bientôt tirer aussi mais pas trop loin. Ceux qui sont à quelques centaines de mètres de nous sont bien cachés et nous ne leur pouvons rien. Soudain, à notre droite, à sept cents mètres des hommes isolés, une patrouille s'avance. Ce sont des chasseurs dit-on, d'autres disent que ce sont des Boches. Nous ne tirons pas. Après, cette patrouille est suivie d'une colonne, On hésite encore, on voit mal. Si c'était des nôtres! Et si ce sont des Boches, ils vont nous prendre de flanc ou de derrière. Je regarde moi-même avec la jumelle de l'adjudant et crois voir l'ennemi. D'autres hommes sont affirmatifs. L'adjudant lui-même est convaincu et commande un feu par slaves. Le champ investi est noir en ce moment. « En joue feu! » Trois ou quatre slaves sont ainsi envoyées et quel travail! Nous entendions leurs cris malgré la fusillade et la canonnade qui nous arrivait toujours. Puis on ne voyait plus rien à par quelques points noirs: les morts. Nous tirons sur le bois dans lequel les premiers sont rentrés, sur le bosquet d'où ils sont sortis et qui doit abriter ceux qui se sont prudemment cachés lors de la première décharge. A notre gauche, les nôtres se replient. Une section placée en avant sur un coude de la route arrive vers nous. D'autres la suivent. Le commandant Lau, à ce moment, reçoit l'ordre de se replier. Nous rentrons plus avant dans le bois et nous nous arrêtons aux tranchées commencées tout à l'heure. Le commandant hésite et au bout d'un moment nous descendons de nouveau dans nos premières tranchées. Notre position est très bonne ici. Nos tranchées, bien faites, nous sont un abri de premier ordre et rien ne peut arriver sur nous sans que nous puissions lui infliger de sérieuses pertes. Le bois en cas de retraite nous est précieux. Un seul danger: nous pouvons être tournés à droite et nous savons que des forces ennemies s'y sont déjà glissées. Une section est donc placée en observation face à notre droite. D'autre part nous aurions besoin pour nous refaire un peu le moral que tous ces reculs joints à tant de souffrances physiques ont considérablement altéré, nous aurions donc besoin de rester là où forcément nous aurons des occasions de faire du mal à l'ennemi s'il continue d'avancer. Chacun fait cette même réflexion: comme ils sont nombreux! De tous côtés, dans le lointain, on aperçoit ces masses noires. Des files qui se meuvent vers nous mais ils sont trop loin pour que nous puissions les atteindre. On se convainc alors que cette retraite est nécessaire. Il nous faudra reculer encore, toujours reculer et c'est l'invasion de notre France maintenant qui s'opère. Malgré tout je refuse de croire à la défaite de nos armées et reste des rares gardant confiance au succès final et, cherchant à expliquer, à convaincre les démoralisés que nos échecs ne sont que momentanés et que puisque nous sommes si inférieurs en nombre par ici nous devons leur être supérieurs plus au nord et avoir l'avantage. Il n'en était rien.Nous recevions toujours leurs marmites, des 77 et des 105, non seulement la lisière mais tout le bois maintenant était arrosé. Ils savaient bien que notre retraite était inévitable. Le commandant Lanusse a dit-on reçu une deuxième fois l'ordre de se retirer, c'est trop tôt, chacun le sait mais le signal de la retraite est donné. Nous partons. Nous marchions à travers bois depuis un long moment déjà quand arrive une estafette porteuse d'un ordre pour le commandant. Nous nous arrêtons, c'est paraît-il le contre-ordre.Il faut aller réoccuper nos emplacements ainsi que le sommet du bois à droite. C'est trop tard, déjà les Boches s'en sont emparés. Le commandant se rend bien compte de la folie d'une

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réoccupation et hésite longuement. A ce moment arrive le 53e bataillon de chasseurs. Le commandant se concerte avec le commandant ou capitaine et ils décident l'assaut du bois, fort en pente à cet endroit. Je suis des premiers en tête de la deuxième section. Un ravin me protège pendant dix mètres puis c'est la charge véritable. Nous grimpons en s'accrochant aux arbres. Là-haut, nous apercevons le jour. Mais soudain voici une décharge, beaucoup d'hommes sont atteints. La crête est occupée ainsi que les tranchées que nous avions tout à l'heure. L'ennemi nous canarde. Un arrêt! Nous nous aplatissons un instant. « En avant! » En hurlant nous grimpons mais à chaque instant il y a de nouveaux blessés. Nous sommes à quatre vingt mètres d'eux. On n'entend pas le sifflement des balles: c'est trop près mais elles font toc, tic dans les arbres. Aouh! Je chancelle, une douleur aiguë dans l'épaule! « Je crois que j'y ai » dis-je à mes voisins. A cet instant la charge s'arrête, les hommes se tapissent. Je reste debout à regarder à travers les arbres. Je vois bouger à cinquante mètres. Les balles au même instant criblent l'arbre qui me couvre à moitié. « Baisse-toi donc et va-t-en, maintenant tu as ton compte » me crie Chevillard. Est-ce que c'est grave? Je ne sais même pas si je suis blessé. L'épaule me fait mal, me brûle mais je la bouge bien. « Je reste » dis-je. « Tes souliers sont frais » me dit-on.  Je constate que mes bretelles de suspension, mes courroies de sac et ma capote sont percées, coupées. Je dois être blessé mais ce n'est pas grave et je me mets à tirer comme mes camarades. A ce même instant, un homme, à ma droite, reçoit une balle au menton comme il tournait la tête. Sans pousser un cri, le menton simplement arraché, il tombe à la renverse, agite les bras légèrement et reste là: il est mort. Les balles crépitent de plus belle. Nous essayons de reprendre le mouvement en avant. L'adjudant Favre commande : «  En avant, en avant. » Il se lève et, au même instant, reçoit une balle dans le bras ou l'épaule. Le chef Grain est également blessé. L'adjudant se retire. Le mouvement en avant, à peine dessiné, est marqué par des cris d'une quantité de nouveaux blessés. C'est fou de tenter une telle attaque. « Au talus » commande-t-on. En deux secondes, nous sommes dix mètres plus bas dans un ravin. De là nous tirons beaucoup, mon épaule me fait moins mal, mon bras manœuvre et je peux tirer. « Va-t-en donc » me dit Chevillard. « Je ne crois même pas être blessé », lui dis-je. « Si tu voyais ton sac! » me fait-il. Une tentative est encore faite à droite pour faire une brèche à l'ennemi et arriver à la cime mais en vain. C'est trop tard, nous ne pourrons leur reprendre cette position. Nous voyons la nécessité d'abandonner l'attaque. Par fraction nous nous retirons après avoir laissé dans cette tentative téméraire et inutile un grand nombre d'hommes. La 9e compagnie n'a plus que des sergents pour la diriger. Les chasseurs ont autant souffert que nous dans cette affaire. Nous restions longtemps encore dans le bois à recevoir des balles mais que faire ici? Encore une fois il faut nous en aller. Cette position que les Allemands viennent d'avoir à si bon compte est formidable. De cette crête, ils commandent la vallée qui aboutit à Saint Dié. Cela ne fait plus de doute. Ce n'est qu'à Epinal que nous pourrons avec l'aide des forts arrêter cette avalanche. Pendant cette attaque malheureuse et désespérée ainsi que la retraite qui en est la conséquence les unités s'étaient fractionnées et mélangées et je me trouvais avec dix à seize hommes au milieu des chasseurs. Nous descendons jusqu'à la lisière et prenons un chemin forestier qui la longe et va dans la direction de Saint Dié. Les balles de l'ennemi nous suivent mais nous ne nous en inquiétons même pas. Ce ne serait pas aussi triste de mourir que de se voir ainsi sans cesse contraint sous le nombre à reculer. Nous trouvons aussi un certain nombre de morts et de blessés sur le chemin, faits parmi ceux qui nous précèdent. Nous nous arrêtons. Je voudrais rejoindre ma compagnie. Où est-elle? Je laisse filer les chasseurs mais ne vois pas trace du 30e. La fusillade derrière nous s'est à peu près arrêté ce qui prouve que les nôtres ont abandonné la partie, par contre, à droite, la lutte est furieusement engagée. Suivons les chasseurs puisque nous ne voyons pas les nôtres.

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Bientôt, dans la boue, je ramasse un morceau de la grosseur d'une demi-gamelle que j'avais déplacé avec le pied. C'est du pain peut-être. Je le racle et trouve avec joie, dans ce morceau de boue, une jolie tranche de jambon. A quelques mètres, dans le fossé, un morceau de pain. Comment cette manne se trouve-t-elle là? L'explication est dans le buisson et consiste en une voiturette d'enfant dans laquelle se trouvent encore une bouteille vide et des hordes de vieille femme. La propriétaire, fuyant devant l'invasion, avait tout abandonné pour aller plus vite, sans doute. Jamais je n'ai mangé une aussi bonne tranche de jambon malgré la boue qui craquait sous la dent car j'avais raclé et non coupé la saleté pour avoir moins de déchets. Nous étions restés trois seulement, les autres ayant poursuivi leur route sans s'apercevoir de cela. Nous nous partageons cet envoi de Lucullus et rejoignions les camarades qui venaient de se joindre au 30e. Plus loin, à droite, un village, nous y allons. Les obus y arrivent mais c'est néanmoins un lieu de ralliement où nos troupes dispersées tentent de se regrouper. Je vois arriver l'adjudant Favre avec Grain qui, tous deux blessés, s'aident mutuellement à marcher et se dirigent sur Saint Dié. Je vais leur demander l'état de leurs blessures: « Pas graves, et vous? » me demande l'adjudant me croyant également atteint. « Je ne crois pas être blessé ou tout au moins ce n'est pas grave, lui dis-je. Je n'ai pas eu le temps de me défaire mais l'épaule ne m'inquiète plus. » Ô! Bonheur, une voiture de pain dans le village. Nous nous y précipitons mais ce pain à des taches, peut-être a-t-il reçu la pluie? Il est tout moisi, pourri, immangeable. J'en prends néanmoins une boule parmi les moins mauvaises et suis le mouvement de retraite, sur la grande route qui emmène entre les hauteurs que nous n'avons pas la chance d'occuper et qui descend à Saint Dié. Nous nous arrêtons. Il pouvait être cinq ou six heures du soir. Des artilleurs font le jus, nous sommes environ quinze de la 9e, quelques-uns ont du café, nous le faisons au fond du ravin. C'est sur la route un défilé ininterrompu de blessés dont certains sont horriblement atteints. Ils vont sur Saint Dié en se tenant le ventre avec les mains, la tête en sang, les bras brisés, d'autres plus gravement atteints sont transportés sur des brancards, le sang parfois coule sans interruption. D'autres, semblables à des cadavres, blancs, livides, sont plus tristes encore. On a déjà tant vu de ces choses là, on n'en est presque plus touché, ce qu'on craint c'est de trouver parmi ceux-là un ami et cette crainte m'éloigne de la route. Je reste au fond du ravin vers un ruisseau et là, fébrilement, un foyer est installé. Le café est broyé entre deux cailloux et, à peine l'eau est-elle chaude que vite nous l'y jetons de crainte de ne pouvoir le finir. Le jus nous remet un peu. D'une ferme sous le bois je vois une femme descendre deux grands bidons de lait. Déjà des artilleurs courent à sa rencontre, je saute le ruisseau et y cours également, j'arrive pour avoir le dernier quart. Elle ne veut pas qu'on la paie, elle en a encore un peu là-haut. Vite, je saute appeler mes hommes et peut-être avons-nous le temps de faire la soupe. Des hommes vont rester faire chauffer l'eau et nous trouverons bien là-haut des pommes de terre et des légumes. Le sergent Bugnon s'amène avec quelques hommes et reste avec nous. La pluie est venue et tombe maintenant serrée. Avec trois hommes j'arrive à la ferme, trempé. Nous y buvons chacun un quart de lait, on nous donne de quoi faire la soupe et nous descendons comme il commençait à faire nuit. Mais il nous a fallu tout abandonner. Cela eut été trop beau la soupe en un tel moment. Le sergent Bugon n'est plus là, il est parti avec la quinzaine d'hommes chercher un abri pour la nuit. Et nous, où allons-nous aller? La ferme est à cinquante mètres du bois que les Allemands occupent. N'importe retournons-y, peut-être aurons-nous encore quelque chose à manger. Il pleut toujours mais nous avons tellement l'habitude d'être mouillé et d'avoir faim. Nous inspectons d'abord la lisière du bois mais nous réfléchissons. Il ne faut pas passer la nuit là, nous nous exposons à nous faire prendre comme des lapins dans un piège et nous exposons les habitants de la ferme aux représailles des Boches. Nous allons donc partir. Ils nous offrent des pois en salade, c'est tout ce qu'ils ont, pas de pain, rien autre. Le fils et le gendre sont à la guerre. Il reste deux femmes et la mère ainsi qu'un jeune homme.

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Une alerte! Je ne mange pas, retirons-nous pour ne pas faire assassiner ces gens. Le jeune homme a aidé à emmener des blessés, il veut retourner dans le bois en chercher. Nous l'en dissuadons, ce serait fou, ce serait sa mort. Il fait nuit maintenant, nous redescendons toujours le ventre vide. Le deuxième bataillon est en bas. Nous trouvons également une fraction de la 9e. Où allons-nous? Longue station! Après avoir descendu quelques centaines de mètres sur la grande route, nous nous engageons dans un petit chemin à droite et nous grimpons un petit coteau, un talus plutôt, au sommet duquel nous trouvons de grands bâtiments en construction, des casernes, dit-on. Le toit est placé, pas de fenêtre, des ouvertures avec courant d'air, des tas de briques, des sacs de chaux. C'est là que nous allons passer le reste de la nuit. La compagnie avec laquelle nous sommes, a touché l'ordinaire et fait la soupe qu'elle a apportée ici dans de grandes marmites. La faim me tenaille le ventre. A la distribution je me présente et, sans remarquer que je n'étais pas des leurs, on me donne une portion que j'avale gloutonnement. J'avais honte de recourir à de tels procédés et en voyant mes camarades qui n'avaient rien à manger, je vais demander aux hommes de cette compagnie s'ils veulent leur donner un peu de leur ration. C'est un oui général d'autant mieux que chacun ayant eu une portion il restait du rabiot à distribuer et qui me fut remis. Comme nous leur étions reconnaissant! Enfin nous nous allongeons sur les pavés, toutes les lumières sont éteintes, pas d'allumettes, pas de bruit. Nous craignons les obus, nous sommes brisés, nous sommes levés sans regret le lendemain avant le jour.

Saint Dié. Rue d’AlsaceMaisons incendiées lors des combats du 27 août 1914

Jeudi 27 août 1914:Cette journée devait être une des plus tristes. Ces bâtiments qui nous abritaient, étant facilement repérables pour l'artillerie ennemie, nous sommes debout avant le jour et, chose excellente, nous faisons le jus avant de partir. J'en bois à trois ou quatre endroits. J'avais ainsi près d'un litre de café dans le ventre pour commencer la journée. C'est d'ailleurs tout ce que je possédais comme vivre à part encore un peu de pain moisi et immangeable dans ma musette. Nous partons bientôt dans la direction du village que j'avais traversé la veille: Provenchère je crois, allant ainsi à la rencontre de l'ennemi. Nous trouvons en route le sergent Bugnon qui avait recueilli 15 à 20 hommes y compris les miens de la veille. Nous nous joignons à lui, une voiture de pain moins mauvaise que celle de la veille est dévalisée. Le combat est commencé

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et leur artillerie fait rage. Très rapidement nous arrivons au village et occupons une crête. En avant la fusillade est nourrie, nous recevons des balles de toutes les directions, les obus tombent partout. L'offensive ennemie est irréversible et c'est toujours la même réflexion: comme ils sont nombreux! Notre artillerie ne peut les arrêter. Hier soir, d'ailleurs, un certain nombre de pièces ont dû être abandonnées, les artilleurs n'ayant pas eu le temps d'atteler et leur infanterie de soutien (99e ou 140e) étant partie trop vite. Pendant la nuit une tentative a été faite pour en reprendre car elles n'avaient pas été emmenées par l'ennemi et une partie a été reconquise. Le capitaine d'artillerie, de sa personne, y est allé. Il a été, je crois, cité à l'ordre du jour pour cela. De plus en plus leurs obus nous arrivent serrés, leur infanterie apparaît de tous côtés, enveloppante. De toutes les lisières de bois, de toutes les hauteurs partent des coups de feu. Les balles sifflent à nos oreilles sans discontinuer. Leur attaque prend d'instant en instant plus de forme, se précise, nous enveloppe. De notre côté c'est un flottement affreux. On ne voit plus d'officiers, ils sont presque tous morts. On ne reçoit point d'ordres, point d'indications. Notre artillerie (ce qui en reste) est là leur crachant désespérément mais en vain, tous ses obus. Le bois, à droite, dominant la route de Saint Dié est en leur possession et, de plus en plus, ils avancent, nous enveloppent. En face nous les voyons innombrables et se rabattant de plus en plus vers la gauche. Toutes les hauteurs sont en leur possession et nous sommes acculés dans ce ravin où toutes leurs balles se croisent, où leurs obus, bien repérés, font pleuvoir une grêle de shrapnells. Chez nous plus de commandement, la rage de l'impuissance nous étreint.On ne plaint plus ceux qui tombent, on les envie. Le village dans lequel nous nous sommes retirés est en partie détruit. Les habitants, en pleurant, partent hâtivement dans la direction de Saint Dié emportant un panier ou une voiturette de vivres. Ce sont des vieillards, des femmes avec des enfants. Cela me fait mal encore plus que la défaite que nous subissons. De tous côtés les nôtres reculent, les Allemands nous resserrent de plus en plus. L'artillerie est obligée de partir. Quelques batteries, plus en arrière, protègent un peu notre retraite mais d'une façon insuffisante, inefficace. Malgré le danger toujours croissant nous sommes maintenus là et sommes réduits à ne plus pouvoir tirer ayant dû abandonner notre position devenue intenable. Très peu de blessés sont relevés, on n'a ni le temps ni les moyens de les transporter.C'est la retraite! A peine le signal en est-il donné ou plutôt, à peine les chefs ne tiennent-ils plus leurs hommes que sur la route criblée d'obus, dans les prés qui la bordent, à gauche et jusqu'au bois qui est un peu plus haut occupé par l'ennemi, c'est un sauve qui peut lamentable. Sans ordre aucun, pêle-mêle, infanterie, artillerie, voitures se sauvent, s'écrasant mutuellement. Tous les régiments mélangés: infanterie, chasseurs, batterie de montagne, artillerie de campagne, chevaux, mulets, cavaliers, fantassins sont lancés de toute la vitesse de la débâcle dans ce ravin formé par la route adossée au talus et une bande de pré bordée, à gauche, par le coteau boisé. Du talus au bois c'est un mélange de toutes les armes, de tous les régiments. Les obus ennemis tombent sans discontinuer et avec précision sur notre voie de retraite. Heureusement leurs shrapnells éclatant trop haut n'ont pas causé tous les dégâts que l'ennemi pouvait en attendre. Parmi ce chaos épouvantable arrivent des blessés, les uns s'appuyant sur des camarades plus valides, d'autres portés à dos ou sur un brancard fait de fusils ou de branchages, d'autres encore accrochés sur les fourgons d'artillerie et dont les secousses cruelles leur arrachaient des cris. C'est ainsi que nous arrivâmes à Saint Dié, les obus nous avaient suivis et c'est la ville, maintenant, qui recevait tout. Sans pénétrer au cœur de la ville, nous prenons une petite rue à droite. Les canons, fourgons, voitures tiennent le milieu, par un ou deux les fantassins marchent sur les bords. Bientôt, les gendarmes, barrant la route, nous font prendre une rue transversale, à gauche. Nous traversons la Meurthe sur une passerelle visée par les obus. Nous traversons une grande place et nous voici, bientôt, en dehors de la ville. En traversant Saint Dié, les habitants, affolés, nous versaient à boire, nous

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donnaient: tabac, cigarettes, pain etc. Des gendarmes encore barrent la route et nous indiquent la direction: à gauche. Ils sont là pour canaliser la retraite, empêcher que des fuyards puissent se cacher ou s'égarer. Les obus nous suivent mais moins serrés, les faubourgs ainsi que les ponts de la gare sont particulièrement visés. On ne pense plus à la résistance. La force morale n'existe plus: c'est la débâcle, l'écrasement pense chacun. Il nous faudrait vite arriver à Epinal. On parle de défendre Saint Dié, à quoi bon! Nous ne pouvons pas les arrêter dans ce trou, ils le dominent.

Saint Dié sera occupé du 27 août au 11 septembre.

Cependant des troupes y sont et se préparent à livrer à l'ennemi un combat de rues, des barricades sont faites hâtivement, c'est ce que nous dit un cavalier. Nous ne devrions pas rester là, pensai-je, notre place est là-bas mais nous sommes là par la volonté du haut commandement qui, par la gendarmerie, nous y a dirigé. Il pleut, je me mets à l'abri contre la porte close d'une maison. Bientôt passe une section, je m'y joins. Nous nous arrêtons vers un groupe de maisons, le 30e est en partie par-là avec des officiers. Dans un café nous achetons du vin, je ne peux en avoir, l'entrée est bientôt interdite. Nous envoyons un jeune homme chercher du vin ou du rhum, il m'apporte un demi de rhum. A ce moment nous partons vers une ferme à travers champs. Il pleut toujours. Aussitôt arrivés nous nous reposons un peu, les sergents Rossi et Bugnon sont là, nous leur offrons à boire. Nous nous installons pour être à l'abri. Le capitaine Lan...se fait son possible pour arrêter la débandade, il a déjà recueilli un certain nombre d'égarés de tous les régiments et les joint à nous. Un chasseur qui se retire seul, à travers pré, à 200 mètres, ne s'arrête pas à son ordre et continue de marcher en tournant le dos à l'ennemi. Le capitaine prend un fusil, le met en joue et fait feu. Fut-il touché? Je ne sais mais le capitaine s'amène vers nous et nous dit: « Je viens de tirer sur un homme qui se sauvait, je crois l'avoir touché et tirerai sur tous ceux qui se sauveront. » Des sentinelles sont placées au sommet de la maison et bientôt nous quittons cet emplacement pour nous porter plus au sud. Nous ne sommes plus en contact mais il faut veiller, l'ennemi a pu s'infiltrer vers notre droite. Nous nous mettons encore à l'abri dans une grange car il pleuvait toujours. Un vieil homme nous donne des prunes blanches. Nous quittons encore cet abri. Où allons-nous? Nos chefs n'en savent rien, nous marchons à travers champs, sur la route. Là-bas, des gendarmes semblent donner des renseignements, transmettre des ordres. Nous nous dirigeons vers eux et ils nous font reprendre la direction de Saint Dié.Où et comment avons-nous passé la nuit? Je ne m'en souviens pas.Vendredi 28 août 1914:Le lendemain, à la première heure, nous nous trouvions à Rougiville, à quatre ou cinq kilomètres de Saint Dié. De bonne heure, le combat est engagé. Notre artillerie ouvre le feu mais la leur lui est supérieure en nombre. Cette journée n'a laissé, dans ma mémoire, que très peu de souvenirs. Je ne vois que très vaguement son début, peut-être, par la suite, les souvenirs se préciseront. Seuls, les faits suivants qui auraient pu coûter la vie à beaucoup des nôtres sont nets dans mon esprit. C'était l'après-midi, les unités s'étaient à peu près reformées, regroupées, une fraction de la 9e, la mienne, est envoyée en observation sur une crête, face à une vallée où la lutte était très vive. Nous avions les sergents Rossi et Bugnon et une trentaine d'hommes. Je pars en patouille de couverture et atteins la crête sans incident. Là, nous dûmes, pour avoir un champ de tir dégagé, nous avancer à travers les genets et fougères qui, très heureusement, garnissaient le sommet, nous masquant admirablement jusqu'au bord de la pente. A quelques centaines de mères, en face de nous, c'est la lutte acharnée et bientôt, sans doute, nous allons y être mêlés. Quelques balles égarées ou non nous arrivent. A l'aide de deux jumelles nous sondons le terrain à la recherche d'objectifs mais nous ne pouvons toujours pas tirer. Le sergent Rossi

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m'appelle et me dit de prendre quatre hommes et de me porter en avant, à droite, à la lisière du bois. Je lui réponds: « Juste le temps de raccrocher ma molletière et j'y pars. » Cela me demande deux minutes. En rampant, ensuite, je me dirige vers la droite mais le sergent m'arrête: « Restez là, j'y ai envoyé Ducret, couvrez-nous alors à gauche. » Ne croyant pas le danger immédiat, nous avions quitté le sac. Le soleil était de plomb et, ainsi étendus sur le ventre, on grillait. En face de nous le combat se déroulait et nous allions incessamment pouvoir tirer. A gauche, une grande hauteur boisée nous domine et rend notre position dangereuse si l'ennemi est maître du bois. J'observe et place mes hommes, les yeux braqués de ce côté là. Toujours des balles nous arrivent mais peu nombreuses et venant de loin. Nous ne pouvons déterminer leur point de départ. Une partie des hommes s'était accroupie sous le feu du soleil et le bruit du combat. Soudain, du bois, à notre droite et de derrière part une rafale qui nous crible de projectiles, le sol est labouré, cailloux, terre, branchages sont projetés dans tous les sens. Les balles sifflent, on nous fusille presque à bout portant, dans le dos. En quelques secondes la position est évacuée. Nous sautons à gauche plusieurs talus de deux mètres qui nous protègent. Comment les Boches sont-ils là, derrière nous? Est-ce bien des Boches? Si c'est eux notre situation est très grave. Nous dégringolons la pente, encore deux ou trois cents mètres et c'est la route. Nous nous portons rapidement derrière la première maison, nous nous rassemblons pour partir plus loin. Les espaces découverts, entre chaque maison, sont traversés au pas de gymnastique et nous nous étonnons que l'ennemi ne nous tire plus dessus. Cette fusillade dans le dos nous avait tellement surpris que la plupart des hommes qui avaient quitté leur sac l'abandonnèrent. Nous sentions l'ennemi tellement près que cela aurait été fou de rester en vue quelques instants de plus pour emporter son sac. J'étais de ceux qui s'en étaient séparés et qui l'avaient totalement oublié quand survint la décharge. Ce n'est qu'en bas, sur la route, que je me suis aperçu que je ne l'avais pas. Nous étions un certain nombre dans ces conditions, deux hommes, même, n'avaient pas leur fusil. Ils l'ont lâché parce que des balles l'avaient brisé. Où allons-nous? Notre mission était de tenir de façon à dégager la ligne de retraite de Bruyère-Epinal mais l'ennemi peut nous prendre dans le dos. Peut-être ne sont-ils pas nombreux et, à tout prix, il faut dégager cette route qui, en cet endroit, rentre dans la montagne boisée. Nous nous portons rapidement dans le bois pour le mettre en état de défense. Des tranchées sommaires sont construites mais pourrons-nous, si peu nombreux, tenir ouverte cette voie jusqu'à ce que toutes nos troupes aient pu passer? Nous ne voyons plus personnes. Ne serait-ce pas plutôt des nôtres qui nous auraient pris pour des Boches? Et je regrette mon sac qui contient mon livret militaire et beaucoup de choses: linge, mouchoirs, papier à lettre etc. Ne pourrais-je pas le retrouver? La confiance revient, je décide quelques camarades. Nous allons tenter de les aller chercher. En route ! Avec cinq ou six hommes et un gamin de quatorze ou quinze ans. Celui-ci nous avait suivis et se trouvait avec nous lors de la décharge. Je vois des hommes du 75e et leur demande des renseignements, espérant que ce sont des éléments de chez eux qui nous ont tirés dessus. Je ne peux rien savoir. Enfin, nous approchons de l'endroit fatal avec mille précautions. Comment savoir si ce sont des Boches? On écoute, regarde, cherche. Chtt! fait un homme, rampant à côté de moi. Chacun s'arrête, qu'y a-t-il? Il venait de trouver une balle boche qu'il me montre. Ce sont donc bien eux! Deux ou trois hommes ne veulent plus avancer et sautent derrière un talus puis se retirent. Pourtant nous ne sommes plus qu'à une vingtaine de mètres de nos sacs. Tant pis, allons-y! Le gamin est toujours là, il quitte son fusil et son képi et marche à trois mètres devant nous, à gauche. Nous arrivons ainsi au sommet du talus, sans bruit, quand, soudain, le vaillant gamin, effrayé, se jette en arrière affreusement pâle. Nous sautons derrière un talus à quelques mètres en arrière et là nous lui demandons ce qu'il avait vu. Il nous assure que les Boches sont là. Il a vu quelque chose de gris ramper dans les broussailles, nous n'en étions plus qu'à quelques mètres pourtant. Enfin nous partons par la

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même ligne de retraite que la première fois et avons bientôt rejoint les camarades dans le bois. Là, nous nous faisons encore à l'idée que ce ne sont pas les Boches, c'est peut-être le 75e, si nous allions aux renseignements! Des hommes de ce régiment sont là et d'autres partent dans la direction où nous avons reçu la décharge. Voici ce que l’un d’eux nous dit: « Nous avons tiré sur les Boches, nous étions à la lisière du bois, le lieutenant nous fait ouvrir le feu puis, un instant après il commande: « Cessez le feu! » et disparaît en nous entraînant dans le bois. » Cette conduite du lieutenant paraît bizarre à ses hommes. Voici l'explication: le lieutenant croyant voir des Boches fait ouvrir le feu et, lorsque nous nous retirons, s'apercevant de sa méprise il quitte précipitamment sa position.

Fin du récit relatif au mois d'août 1914

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SEPTEMBRE 1914

La bataille de la Marne débute le 6 septembre, le 10 septembre Moltke décide la retraite sur l’Aisne et la Vesle et le 13 le gros de l’armée française reprend contacte avec les avant-postes allemands. Il est probable qu’Auguste Galland n’a pas participé à cette bataille. Le 14è Corps d’Armée auquel il appartient sera transféré à l’ouest. Nous le retrouvons le 25 septembre à Herleville près d’Amiens.

Vendredi 25 septembre 1914:Après deux heures de repos (l'ordinaire étant arrivé vers minuit et je m'étais couché à deux heures) nous nous levons. Que sera la journée? Chacun regrette le capitaine tombé hier soir mais on a déjà tant vu tomber de ceux que l'on regrette que bientôt on n'en parle plus. L'adjudant Rossi (sergent il y a 15 jours) devient commandant de la compagnie. Nous sommes en réserve pour l'instant et nous restons dans le village derrière les faisceaux, prêts à partir. Le 54e d'artillerie part puis revient. Bientôt les blessés commencent à arriver: c'est le 99e qui a reçu une tuile. Il en défile une quantité, c'est lamentable.Bientôt l'artillerie part et, à la suite de la 11e compagnie, nous nous dirigeons vers l'est à la lisière près du village. La fusillade de tous côtés fait rage, l'artillerie semble avoir déchaîné tous ses canons. Par bonds nous nous portons d'abri en abri vers le village de Herleville d'où part le plus intense crépitement. Les obus tombent drus sur nos têtes mais je ne crois pas qu'il y ait encore de blessés à la compagnie. Ma demi-section (je suis depuis quelques jours chef de demi-section) n'est pas encore entamée.Les 10e et 11e compagnies sont déployées en avant, nous nous déployons à notre tour à droite de la route, le village à enlever est à trois kilomètres et, pour y arriver, c'est une grande plaine rarement coupée par de légers replis. L'artillerie nous bombarde avec fureur, nous sommes très mal protégés aussi il y a bientôt des morts et des blessés. Un obus de mélinite tombe à quelques pas, je suis couvert de terre et de cailloux mais pas de mal. Les obus à shrapnells éclatent juste au-dessus de nos têtes. Les éclats sifflent et tombent tout autour de nous. On se terre pour le mieux. L'ordre de se porter en avant est donné. Nous y allons par bonds en utilisant les petits trous de mitrailleurs que nous laissent ceux qui nous précèdent. Nos bonds sont de plus en plus précipités, nous voici sur la première ligne après en avoir laissé quelques-uns tout au long de la plaine. Nous savons que nous sommes là pour une charge à la baïonnette car les principes du service en campagne précédant la charge ont été suivis: nous sommes des troupes d'assaut.Les Boches tirent toujours. Le 3e bataillon met baïonnette au canon et, bien qu'en plein découvert, (nous sommes encore à 600 mètres), la charge commence. Les quelques clairons échelonnés sonnent, les cris de « En avant » retentissent et cette vague formée de un millier de baïonnettes et de poitrines hurlant « En avant! » s'avance au pas de course. Pendant ce temps notre artillerie ouvre un feu terrible sur le village qui, en moins de cinq minutes, est complètement en feu. L'assaut me paraît bien préparé mais nous sommes trop loin. Les premiers bonds (car nous avançons toujours par bonds) ne sont pas très meurtriers pour nous mais soudain arrive une grêle de balles. Je me trouve en arrière d'un petit chemin en déblai perpendiculaire à notre ligne de marche, je m'y porte avec ma demi-section à laquelle sont

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mêlés quelques hommes d'autres unités. De cet abri nous ouvrons le feu sur la lisière du village et sur une hauteur plus en arrière et à droite qui me paraît devoir être fortement occupée. Les balles sifflent sur nos têtes mais grâce à notre position nous n'avons pas de blessés. Tout le bataillon est sur la même ligne et la droite opère une conversion à gauche qui nous permettra d'aborder le village en l'encerclant un peu. Tous ces préparatifs sont faits avec un grand sang froid, sans affolement de la part des chefs, avec furie de la part des soldats.Encore une fois le bataillon tout entier part en avant. C'est une immense clameur, on n'entend plus les clairons. Chacun vole, la baïonnette haute en hurlant. C'est de la fièvre, du délire mais les balles sifflent et il en tombe! Trois bonds sont encore exécutés, nous sommes à 180 mètres, 200 mètres du village. Les Boches qui ont dû se retrancher nous canardent salement. Nous ouvrons également le feu. Comme la crête, à droite, me paraît la plus dangereuse, je l'indique comme objectif. Il fait presque nuit, le village, complètement en feu, éclaire sinistrement le champ de bataille. Nous tirons toujours mais moins, nos munitions commençant à baisser. A l'aide d'une pelle-pioche que j'ai eu l'heureuse idée de ramasser en route, je me fais un petit butoir sur lequel je place encore mon outil, fort heureusement car une balle presque aussitôt vient y frapper et ricoche sur cet abri improvisé, je l'aurais reçue en pleine tête. Un camarade, à droite, est blessé et gémit. Comme mes cartouches devenaient rares je lui demande les siennes, il m'en jette alors deux paquets puis m'en tend une poignée. Comme je me penche pour les prendre: pin! Je sens une brûlure dans le pied droit, je suis touché! En deux secondes une vive douleur m'arrache un "aouh!" On me demande à gauche: « Blessé caporal? » Puis, insensiblement, la douleur diminue et je me demande si, réellement, je suis blessé ou si, comme l'autre fois, je n'ai été qu'effleuré. Je porte la main sous le pied et la retire ensanglantée. Je ne sais alors sous l'empire de quelle idée j'ai agi mais je saisis mon fusil et décharge avec rapidité une dizaine de cartouches. De nouveau la douleur m'arrête, mon pied brûle mais les balles pleuvent. Je ne peux me faire un pansement alors, ne voulant pas que mes cartouches restent, je continue à tirer avec une sorte de rage.La direction du tir ennemi me semble s'être modifiée et venir de la bordure des maisons. Toutes les balles passent trop haut, la bordure du village est dans un léger repli de terrain et forme un angle mort. Je fais tirer sur le pied des maisons en recommandant de viser très bas. Presque aussitôt l'intensité du tir ennemi disparaît. Mon idée était juste. Notre artillerie s'arrête, les Boches recommencent à balayer le terrain mais plus en arrière de nous. A notre aile droite on tire furieusement, la gauche n'a pas d'objectif sûr et tire peu. Notre artillerie leur envoie une nouvelle et terrible rafale tandis que, chez nous, nous crions de tous côté: « Cessez le feu! En avant! » Je crie de toutes mes forces mais ne peux bouger. Le colonel est là, excitant les hommes, le bataillon tout entier fait un bond sous une pluie de balles mais, de nouveau, il doit se terrer. Il fait nuit, on distingue à peine les abords du village mais ce dernier ne forme lui-même qu'un énorme brasier. J'attends impatiemment l'obscurité qui doit un peu diminuer l'intensité du feu. Le pied de nouveau me fait souffrir. Je me déchausse et me fais un pansement sommaire. A droite, mes deux hommes, les plus près, sont également blessés. Je veux les panser, trois ou quatre fois de suite une rafale nous oblige à baisser la tête. Le bataillon est immobilisé, il est trop loin et la pluie de balles trop intense pour se lancer d'un seul bond aux positions ennemies. Il est trop près pour ne pas conserver cette avance si audacieusement et si chèrement acquise. Il va donc passer la nuit sur ses positions et ce n'est que le lendemain matin qu'il enlèvera définitivement la position ennemie. Enfin il fait nuit mais comment se sortir d'ici? Je ne puis marcher et le poste de secours est à plus de trois kilomètres. Deux camarades sont tombés à mes côtés. L'un d’eux ne peut pas se traîner, je cherche à l'aider mais c'est impossible. Je dois donc le laisser en lui promettant de lui envoyer des brancardiers. Avec une peine infinie je me traîne lentement à travers champ en me servant de mon fusil. Je marche sur les genoux et, tout au long du trajet, je trouve d'autres blessés, je

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heurte un mort. Un peu au hasard, je vais lentement, j'appelle et on me répond. Chevillard, légèrement touché vient m'aider mais c'est encore plus pénible que de marcher seul. J'arrive enfin vers le chemin où, tout à l'heure, nous nous étions arrêtés et là, je trouve une vingtaine de blessés. Après un moment de repos nous nous mettons en route. Nous sommes cinq ou six, nous avançons un peu au hasard. Heureusement le temps est clair et je me guide sur l'étoile polaire. Les obus n'ont cessé de tomber et rendent très dangereuse notre route mais néanmoins nous allons très lentement. Le sergent de la deuxième compagnie ne veut pas aller plus loin, il prend mal au cœur. Bientôt je perds les camarades, mon pied me fait mal, j'arrête tous les vingt mètres. Je marche tantôt à quatre pattes en me servant des genoux, tantôt à cloche-pied avec mon fusil que je n'ai pas voulu quitter comme appui. J'arrive même à m'appuyer un peu sur le talon du pied blessé. De tous côtés on entend des plaintes, des appels, on ne voit pas de brancardiers. Les obus tombent toujours. Je suis sur la grande route. Il me semble avoir fait déjà vingt kilomètres. Combien ai-je mis de temps pour arriver au poste de secours? Je ne sais mais il m'a semblé que la moitié de la nuit y avait passé.En y arrivant, je trouve une voiture pleine de blessés qui allait partir. Je m'y traîne et, comme il y avait une place, on me grimpe dedans. Nous allons à Harbonnières, à quelques kilomètres et je passe le reste de la nuit dans une école. Le lendemain on me porte dans l'église remplie également de blessés. Là, je trouve Bertin qui, porteur du courrier de la 9e compagnie, distribuait les lettres. Il y avait pas mal de camarades de la compagnie. Je l'appelle et il accourt en me disant qu'il y avait deux lettres pour moi. Je me félicitais de m'être fait transporter ici avant mon tour car après cela aurait été trop tard pour le courrier. J'entends le bruit des autos qui arrivent et doivent nous transporter. Ils ne pourront pas tout emmener d'un coup. Je cherche à partir avec les premiers. J'appelle un civil qui me prend sur son dos et me porte à la voiture où l'on est plutôt mal. C'est un camion et les secousses ne sont pas très douces.

FIN

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Auguste Galland, après un séjour à Rennes aura la chance d’être soigné à l’hôpital militaire 124 bis créé à Saint Chef tout près de Vignieu où résident ses parents et non loin de Ruy où sa femme est revenue vivre dans la maison paternelle et où est née sa fille qui n’est encore qu’un nourrisson. Avant d’être réintégré dans l’armée il passera quelques semaines à Grignan dans la Drôme. Une tante, résidant à Saint Chef, et dont le mari est gestionnaire de l’hôpital lui écrit une longue lettre datée du 23 février 1915 et dont voici de courts extraits.« Vous devez sans doute vous préparer à repartir au front, ou plutôt à la guerre, la vraie, qui va bientôt commencer, car jusqu’ici ce n’était que l’avant-guerre. La vraie campagne va s’ouvrir. Elle sera formidable, on le sait mais courte sans doute. La confiance est partout dans l’air. Tous les cœurs français se tournent vers ce printemps avec une foi profonde. Au seuil de la saison nouvelle, la reprise de la vie est telle qu’il semble déjà que l’impérieux éveil des grandes forces s’impose victorieusement. »« Bon courage et bon espoir pour le cas où vous partiriez bientôt via Allemagne. Et du tac au tac, hein!  Si vous avez le bonheur d’en être, œil pour œil, dent pour dent. Ne vous laissez pas attendrir par les beaux yeux bleus des Gretchen. Pour moi j’ai l’âme peu tendre et je ferais un mauvais général. »

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1915 LES DARDANELLES

Historique

La Turquie entre en guerre au côté de l’Allemagne le 31 octobre 1914.Ce sont les Anglais sous l’impulsion de Winston Churchill, Premier Lord de l’Amirauté, qui ont eu l’idée d’entreprendre aux Dardanelles une diversion de grande envergure pour abattre l’Empire ottoman, rétablir la liaison avec les Russes et assurer la sécurité de Suez. Les Français s’y rallient et les Russes demandent à leurs alliés d’agir contre la Turquie. La Grèce met, de fait, à la disposition des alliés, l’île de Lemnos toute proche des Dardanelles. En février 1915, les Turcs échouent dans une offensive ayant pour objectif le canal de Suez.A partir de février 1915 autour de la rade de Moudros dans l’île de Lemnos une puissante escadre se rassemble comprenant le Queen Elisabeth, un croiseur de bataille, 16 autres cuirassés, 4 vieux cuirassés français, 5 croiseurs légers, 22 torpilleurs (dont 6 français), 9 sous-marins (dont 4 français) et un croiseur russe. Elle effectue des bombardements sur les ouvrages de Kumkale et de Seddulbahr sans grands résultats. Son but est de remonter jusqu’à Constantinople. Une attaque de grande envergure a lieu le 18 mars 1915 mais la flotte ne peut forcer le passage au niveau de Canakkale sous le feu des canons turcs.Le corps expéditionnaire, au début, comprend 80 000 hommes sous les ordres du général Hamilton. Il est formé de 4 divisions anglaises et de la division française du général d’Amade. La Grèce, le 1 er mars, offre une division mais Saint Pétersbourg n’en veut pas craignant de voir les Grecs dans Constantinople. L’offensive terrestre aurait dû intervenir juste après l’attaque navale du 18 mars mais on s’aperçoit que les unités qui arrivent à Lemnos ne peuvent être engagées faute d’être en possession de leur matériel réparti à tort et à travers sur les bâtiments de transport. On se replie sur Alexandrie où ces derniers sont rechargés dans un ordre plus rationnel tandis que l’escadre est renforcée de 5 cuirassés anglais et de 2 français dont le Henri IV.Un mois a été gaspillé ce qui permet au général allemand Liman von Sanders qui organise la défense des Dardanelles de prendre ses dispositions pour accueillir l’assaillant. Le 25 avril tout est prêt. Le débarquement principal a lieu au cap Hellés près de Seddulbahr pour prendre Krityia. (Auguste Galland sera sur ce front). Le corps Anzac (formé de soldats d’Australie et de Nouvelle Zélande) prendra pied près de Gapa Tepe pour traverser la presque île en direction de la côte est. Une diversion, confiée à des Français, a lieu à Kumkale, en voici le détail. La traversée dure quatre heures. Partis sur des canots, sous le feu des canons tucs heureusement contre battus par ceux de la division navale,

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les Français atteignent la rive asiatique. Kumkale est prise. Le 26, à midi, le général d’Amade donne l’ordre de la retraite. Les Français ont 20 officiers et 758 hommes hors de combat, ils ramènent 500 prisonniers. La diversion réussit puisque les Turcs immobiliseront deux divisions dans cette région jusqu’au 29 avril.Les alliés espèrent que les opérations progresseront vite. Ils pensent que les défenses turques une fois maîtrisées la flotte remontera jusqu’à Constantinople mais de partout la résistance est grande, des tranchées sont creusées et, comme sur le front de France, les lignes s’immobilisent. Un débarquement (65 000 Britanniques) sur les arrières turcs à Souvla commence le 6 août 1915 mais l’offensive est vite bloquée. C’est Mustapha Kemal (celui qui se nommera plus tard Atatürk, le père des Turcs) qui dirige les contre-attaques. Là encore on creuse des tranchées et le front s’immobilise.Dès la fin de l’été 1915 la campagne des Dardanelles se révèle stérile alors que de nouveaux dangers se lèvent sur le Danube. Face aux 17 divisions turques il y avait alors 150 000 alliés dont 30 000 Français. Le 25 septembre 1915 une division française quitte Seddulbahr pour Salonique où va se constituer une nouvelle armée d’Orient. Grâce à la base de Moudros le corps expéditionnaire sera évacué et cette opération qui sera un succès sera terminée le 10 janvier 1916.

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Mercredi 24 février 1915Le bruit d'un départ. Rien de précis. C'est un convoi de gradés, nous le suivons. A 11 heures 30 tous les caporaux partent. Départ cinq heures pour Chomarret et Bourgoin par Lyon.Jeudi 25 février 19915Arrivée à Bourgoin à 8 heures 30. Répartition des escouades (j'ai la dixième), habillement. A 17 heures à Ruy jusqu'au lendemain matin 5 heures 30.Vendredi 26 février 1915.A 7 heures rassemblement. Revue par le capitaine à 9 heures, par le général d'Aubigny à 16 heures. Mes parents arrivent à 11 heures. Je les rejoins à Ruy à 13 heures jusqu'à 15 heures. A 17 heures je sors, je les revois tous et je suis à Ruy jusqu'à 21 heures.Samedi 27 février 1915Départ à 8 heures 30. Arrivée à Grenoble à midi, revue passée par le général. On va cantonner Chambre du Commerce. Assez bien. Le soir, libre, je soupe et couche chez Riou.Dimanche 28 février 1915De 11 heures 30 à 12 heures 30 libres, je vais dîner chez Julien qui est venu à Uriage. Didier et Imbarre viennent l'après-midi. On sort à 5 heures puis je vais souper chez Julien. Revue cours St André.Lundi 1er mars 1915Je vais dîner chez Riou. On est prêt à partir. C'est pour cette nuit.Mardi 2 mars 1997Réveil à 1 heure, à la gare à 3 heures. On part 4 heures 46 pour Moirans, Valence. Halte repas à Orange. La Provence déjà verte, les abricotiers en fleurs. Champs d'oliviers.Arrivée à Marseille à 17 heures. Cantonnés au môle no 4.Mercredi 3 mars 1997Je visite le port, très intéressant, immense, avec Riche, Guilligney, Depollier. Nous allons faire un tour en ville. La Cannebière on déjeune à l'Etoile Polaire.Jeudi 4 mars 1997On embarque à bord de la Provence. Je suis en deuxième classe. On est six ou huit par cabine de trois ou quatre. Je suis rue de Chicago no 418. A 17 heures on part. Deux remorqueurs sortent le paquebot. Du pont supérieur je regarde disparaître Marseille déjà tout éclairé. On passe entre la côte et le château d'If. Au revoir la France. La côte avait à peu près disparu lorsque je suis rentré dans la cabine.Vendredi et samedi 5 mars 1915Très bien dormi. Dès le réveil tout le monde est sur le pont. On ne voit de tous côtés que l'immensité bleue. Le cercle qui nous limite l'horizon donne l'impression d'être très rapprochés. Nous sommes suivis par d'autres bateaux. On passe près de la Sardaigne. Un contre torpilleur italien nous croise. Nous avons, dit-on, stoppé cette nuit. Nous voici en vue de la côte tunisienne. La mer est toujours calme, pas de malade. Bizerte! Nous ne restons pas dans le port, nous allons à vingt kilomètres plus loin dans une baie et là les ancres sont jetées.Dimanche 7 mars 1915Dès le matin la mer est agitée, nous sommes toujours immobiles dans la baie de Sidi-Abdallah. Une vingtaine de vaisseaux dont quelques-uns de guerre se trouvent dans la baie en file de quatre. Un cuirassé tout près de nous, au fond, à gauche un gros croiseur.

Lundi 8 mars 1915Toujours immobiles. Quoiqu’intéressante, la côte devient monotone. Ses villages arabes, ses champs d'oliviers, ses coteaux très verts ne nous intéressent plus. Campement de marabouts Sidi Abdallah paraît très bien caserne, arsenal.

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Bizerte, avenue de France

Bizerte. La poste

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MARDI 9 MARS 1915.Le bruit du départ circule. A midi on part pour Bizerte, ses abords très jolis, ses villas superbes. Au port des curieux, les Arabes. Vers 13 heures 30 on débarque, traverse la ville, caserne des zouaves retour à 17 heures, consignés. Un certain nombre sort. A l'appel des manquants.MERCREDI 10 MARS 1915.Réveil à 5 heures. A 6 heures on sort. La plage. La pluie nous prend, nous rentrons à 8 heures. Les amateurs de moukères pris en ville en prévention de Conseil de guerre. Départ 18 heures 30. Trois compagnies nous rendent les honneurs.JEUDI 11 MARS 1915.La mer est agitée, roulis et tangage très fort, déjà beaucoup sont malades, je ne sens rien encore. Nous passons en vue de Malte mais plus à ce qui se présumait nous ne nous y arrêtons pas. Je reçois deux lettres.VENDREDI 12 MARS 1915.La journée entière passe sans que terre apparaisse. La mer s'est un peu calmée à la surface mais ses lames de fond secouent le bateau d'une façon si brusque que c'est bien plus pénible qu'hier. Vais-je avoir le mal de mer?SAMEDI 13 MARS 1915.La mer s'est calmée. C'est toujours la grande bleue. A gauche des montagnes à la crête couverte de neige. Est-ce la Crète? A la nuit nous marchons encore vers l'est.DIMANCHE 14 MARS 1915.Temps superbe, mer calme. Nous sommes dans la mer Egée. Direction: nord, nord-ouest, nord-est. Une quantité d'îlots, de récifs, pas d'îles productives, des rochers. Un village seulement. Exercice de signaux. Au soir même direction.LUNDI 15 MARS 1915.J'assiste au lever du soleil sur la mer parsemée d'écueils, superbe! On arrive de bonne heure dans une espèce de lac-golfe de l'île Lemnos. Spectacle sans égal on compte une quarantaine de vaisseaux il y en a sûrement plus de 50: anglais, français, guerre et commerce. Je reste longtemps la nuit à rêver.MARDI 16 MARS 1915Réveil à 4 heures il pleut, le 175e débarque dans des canots, de jour je reste. On voit plusieurs villages, des campements d'Anglais, un fourmillement d'hommes et de chevaux sur terre, un mouvement ininterrompu des vaisseaux, c'est féerique. Un bateau arrive des Dardanelles avec un énorme trou d'obus dans sa coque 27 morts.MERCREDI 17 MARS 1915.Nouveau débarquement à 6 heures, il fait beau. Les canots ne peuvent aborder la grève. On saute à l'eau pour s'y rendre. C'est un exercice de débarquement, formation de combat. On mange au sommet, montage des tentes et retour à la Provence qui descendait ses chevaux sur des chalands turcs.JEUDI 18 MARS 1915.

C’est le 18 que la flotte allié essaie de forcer le passage des Dardanelles. Elle échouera et fera demi-tour sous le feu des canons turcs.

On reste sur le bateau. Tous les chevaux sont descendus, deux sont encore morts dont l'un pendant son transfert sur le chaland. On parle d'aller pour quelques jours camper sur l'île.VENDREDI 19 MARS 1915.La mer est excessivement agitée, l'eau en est toute trouble (nous avons seulement une vingtaine de mètres de fond). Les marins disent qu'elle doit être très mauvaise au large.SAMEDI 20 MARS 1915.

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A 6 heures la 3e section prend la garde, j'en suis donc: quatorze puis seize factionnaires. Très occupée, la journée passe assez vite, nuit pas trop dure.DIMANCHE 21 MARS 1915.Je descends à terre avec Beau, le village de Moudros m'intéresse, ses mœurs, trois races. Juifs, musulmans et slaves se distinguent par la couleur des maisons et coutumes. La fontaine, les marchands (maison de Paris) retour en vedette. J'ai trois lettres au retour.LUNDI 22 MARS 1915.Toujours sur l'eau, à 7 heures la boîte est levée mes lettres partent donc pour la France. On trouve le temps long, le pont est consigné. On parle d'aller débarquer. Le port s'est garni d'un grand nombre de bateaux de guerre et de commerce.MARDI 23 MARS 1915.Rien de particulier. Le temps commence à nous durer. Exercice de 12 heures à 16 heures sur les ponts supérieurs: signalisation. Vers le soir plusieurs paquebots et bâtiments de guerre quittent la rade.MERCREDI 24 MARS 1915.Toujours la même monotonie. Seuls, les cuirassés nous intéressent le Queen … en particulier est admiré, canons jumeaux. Huit jeunes soldats (classe 15) se font punir de prison. Etant sentinelles dormaient. De nouveau des bateaux se mettent en route pour ? L'Egypte dit-on. Ce sera bientôt notre tour sans doute.JEUDI 25 MARS 1915.On sent le départ proche. On parle d'aller à Alexandrie débarquer pour quelques temps. En effet le soir le vers 18 heures on commence à amener les chevaux sur les mêmes chalands turcs qui les ont débarqués. La 8e compagnie étend son "cantonnement": un homme par couchette. Je passe en première classe rue du Havre 305, peu de changement avec les deuxièmes.VENDREDI 26 MARS 1915.Très intéressante journée. On termine l'embarquement des chevaux (un gendarme se fait serrer). Des lettres! A 12 heures la Provence démarre, sur son passage tous les bateaux sonnent. Aux chants des hourras! Nous marchons de suite très vite, dix-huit nœuds dit-on. A la sortie de la rade un contre-torpilleur se met en marche à notre droite. Va-t-il nous accompagner? Non. Où allons-nous? Bientôt on se dirige vers le sud c'est donc bien pour l'Egypte.SAMEDI 27 MARS 1915.La mer est très calme, le temps superbe. Direction: Sud, sud-ouest. Nous marchons toujours très vite et les îles sont de bonne heure dépassées. A 14 heures, le général d'Amade remet au lieutenant colonel en présence des gradés et d'une délégation de soldats le drapeau du 175e sur le gaillard d'avant, discours du général, minute émouvante les vingt et un coups de canon sont tirés. A notre hauteur, à droite et en arrière, nous apercevons deux bateaux suivant la même direction que nous.DIMANCHE 28 MARS 1915.Un brouillard masque l'horizon, la pluie tombe par intermittences, j'en suis très contrarié car dès 7 heures nous arrivons en vue d'Alexandrie que l'on devine plutôt qu'on ne le voit dans le brouillard. On approche du port qui paraît très grand. Cuirassé, croiseur américain formidable plus de quarante canons. Lentement nous abordons. A 16 heures 30 débarquement devant un certain nombre de spectateurs. Les honneurs sont rendus au drapeau et nous défilons à travers la ville. Accueil enthousiaste, manifestation d'étudiants sur notre parcours on crie "Vive la France ou Vivat la Frantza", chapeaux bas. Arrêt à l'extrémité de la ville sur une belle place puis le tramway nous emmène au camp V…

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LUNDI 29 MARS 1915Nous avons passé la nuit sous nos tentes à vingt mètres de la mer. La journée d'hier nous a laissé une impression profonde que la surprise du tramway a rendue complète. Mais nous voici presque dans le désert, c'est du sable pur, nu, sans un brin d'herbe. Sur nos têtes "Mahomet" est un brasier. Je prends un demi-bain. Le bois manque pour la cuisine. La journée passe assez bien.MARDI 30 MARS 1915Réveil à 5 heures, à 6 heures on part à l'exercice dans le sable, marche très pénible. Il fait une chaleur! La perspective de passer un mois ici n'est pas très souriante. L'après-midi petit exercice de santé! Nous allons dans un bois de palmiers. Les gourbis arabes. Le camp est expressément consigné. Quelques marchands viennent nous voir. Les nuits sont bonnes.

Paysage du Sud

MERCREDI 31 MARS 1915.La mosquée tout près de nous nous est interdite, je le regrette. Le cimetière arabe à côté sur notre gauche, sur une crête un moulin à vent. A 7 heures nous partons pour l'extrémité S.E. du camp pour quatre jours. Nous allons fournir un réseau de sentinelles pour empêcher à tout

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militaire de sortir du camp. C'est un rôle de policier. A moins d'un ordre ultérieur du général, Alexandrie sera consignée à la troupe. Chacun le regrette et espère que cette consigne ne sera que provisoire. Nous voici installés dans un bois de palmiers attenant à un village arabe. Il y fait moins chaud, nous y serons très bien. Nous encerclons le parc d'artillerie, artillerie de campagne et de montagne. Plus loin des sénégalais bivouaquent puis de l'infanterie coloniale, des zouaves. De l'autre côté à l'est du camp une plaine très verte d'un aspect très fertile et riche contraste singulièrement avec la nudité du camp. Le Nil est à huit Kilomètres. Un canal sur lequel on aperçoit des voiles est à trois kilomètres.JEUDI 1er AVRIL 1915.De 6 heures à 8 heures exercices de combats puis nous allons prendre la garde. Trois sentinelles le jour, cinq la nuit barrent l'entrée du village arabe. Quelques villas d'européens des Grecs. Toute la journée les marchands nous cassent la tête. Un lieutenant récalcitrant. Visite du général.VENDREDI 2 AVRIL 1915.A 8 heures nous sommes relevés par la demi-section. Nous rentrons au camp et prenons le jour à la compagnie. Je fournis deux factionnaires. En portant la soupe aux prisonniers je traverse le parc d'artillerie, le campement des nègres où je m'arrête un instant (la toilette). Au retour, le village où se trouvent de superbes villas, la voie ferrée. Le Collège. Je reçois quatre lettres.SAMEDI 3 AVRIL 1915.A 6 heures, l'adjudant Bal emmène la section à l'exercice en dehors du camp. Une grande et belle route noire que nous suivons nous fait traverser un village exclusivement arabe formé surtout de marchands épiciers un débit de boisson. A 8 heures, nous allons prendre la garde. Le sergent étant malade, je suis de poste. Rien d'anormal.DIMANCHE 4 AVRIL 1915.Pâques, tristes pâques pour nous et pour tous. A 8 heures, le sergent Goubet vient me relever. Serons-nous libres? Non. Aussi la journée nous paraît-elle bien longue et triste.LUNDI 5 AVRIL 1915.Réveil à 4 heures 30. Vers 6 heures sans être remplacés nous quittons notre poste pour nous rendre ensuite à la revue! Devant des milliers de spectateurs qui sans cesse applaudissent et crient: " vive la France " Le général d'Amade nous passe en revue. Discours, remise du drapeau, honneurs au drapeau, hymnes nationaux. Défilé en colonne double: le 175e, les zouaves, l'infanterie coloniale, les Sénégalais, les chasseurs d'Afrique, l'artillerie bien applaudie. Les Boys scouts, le général anglais. Le soir pas d’exercice mais consignés.MARDI 6 AVRIL 1915.Nous recommençons la vie de caserne: exercice de six heures à dix heures, sieste de douze heures à quatorze heures, exercice de quatorze heures à dix-sept heures. Je reçois trois lettres. Le camp n'est plus consigné avec C. G. je vais jusqu'au au palais.MERCREDI 7 AVRIL 1915Journée bien remplie. Réveil à quatre heures, départ à six heures. Une heure dans le sable et on atteint la route de R..... Des forçats, sans doute sous la garde de gendarmes égyptiens, travaillent à la construction de la Route. Un arabe en prières. Les porteuses d'eau. Edifice oublié Aboukir? Retour même itinéraire. Exercice de combat. Le soir à neuf heures exercice de nuit.JEUDI 8 AVRIL 1915Emploi du temps de chaque jour: exercice le matin jusqu'à dix heures. A l'arrivée, les Arabes font fortune avec la “mounda”, les oranges et toutes leurs saletés: “rachat-louquoum”, confiserie etc. Les gosses viennent attraper nos restes de cuisine qui sont plutôt maigres. On parle de décamper la semaine prochaine.

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VENDREDI 9 AVRIL 1915Exercice comme chaque jour. On parle d'un départ prochain, pour mercredi dit-on. Je ne le dirai pas.SAMEDI 10 AVRIL 1915Réveil à 3 H. 30 marche, manœuvre du régiment, le général est avec nous. Nous allons vers l'Est. A la manœuvre charge de cavalerie. L'assaut du village arabe, frayeur des habitants qui se sauvent devant nos baïonnettes en agitant les bras. Retour par la route trop blanche, marche très dure, il fait une chaleur! A deux kilomètres des tentes le capitaine fait apporter de l'eau. Le soir, je vais chez le colonel, je vois J.C.DIMANCHE 11 AVRIL 1915Tir le matin pour certains hommes. On parle d'un départ mercredi. Pendant que j'étais avec Cotte, le capitaine me fait appeler pour la proposition de sous-officier. On ne me trouve pas, c'est encore renvoyé, je commence à être habitué à cette malchance.LUNDI 12 AVRIL 1915:Réveil à 3 heures 30 pour exécuter une double action (un débarquement général par de l'infanterie). La manœuvre a lieu et nous rentrons vers 9 heures un peu étonnés. On fait des ballots des effets que l'on désire laisser au dépôt. On croit au départ sans savoir rien de précis. Irons-nous aux Dardanelles? Vers Smyrne? En Syrie? MARDI 13 AVRIL 1915:On commence à douter du départ. Ce serait pour demain et on ne sait rien. C'est renvoyé dit-on. Emploi du temps habituel.MERCREDI 14 AVRIL 1915:Réveil à 3 heures 30. J'entends dire que les mulets embarquent à midi et que le tir a lieu. On part à l'exercice. Vers 8 heures une estafette arrive fait rentrer toutes les compagnies: c'est le départ! Nous ramassons nos effets. Je laisse un paquet personnel. J'envoie mon imperméable. On part demain.JEUDI 15 AVRIL 1915:Avant le réveil tout le monde est debout, les sacs sont vite prêts. Réveil en fanfare! En route! On prend le train à San Stefano, long arrêt. Le défilé dure, il fait trop chaud. 11 heures 30 on embarque sur le Provence, mêmes cabines. 39 bateaux déjà partis dit-on. Où allons-nous?VENDREDI 16 AVRIL 1915:On termine l'embarquement du matériel. Riz, fayots toujours. Vers 13 heures on lève l'ancre. Du quai et des bateaux près desquels nous passons on nous fait des ovations. J'ai eu une lettre hier au soir puis deux autres aujourd'hui et deux autres encore. La mer est calme. La barque du pilote est bousculée par la Provence qui stoppe. On touche. On croit cette fois aller aux Dardanelles peut-être en passant par Lemnos.SAMEDI 17 AVRIL 1915:Nous marchons vers le N. NO. La troisième section est de service. Nous passons bien à l'ouest vers la Grèce. Les îles sont presque toutes habitées moins arides que celles vues précédemment. Vers 10 heures nous arrivons à Lemnos. Les 5e et 6e compagnies touchent des outils de parc et débarqueront sans sac. Baie de Moudros même aspect: une quinzaine de cuirassés, torpilleurs, le Queen Elisabeth, le Henri IV et ses deux sous - marins. DIMANCHE 18 AVRIL 1915:Toujours à Moudros. On parle de débarquer ce soir. Je suis de jour. Départ et arrivée de bateaux, coup d’œil sans égal. La proclamation du général d'Amade lue devant chaque compagnie sur le gaillard d'avant. C'est d'une logique! Notre rôle d'après le capitaine. On ne part pas aujourd'hui. Des lettres! Chacun est heureux.LUNDI 19 AVRIL 1915:Rien de particulier, on s'étonne de n'être pas encore parti? De nouveau on parle de Smyrne. MARDI 20 AVRIL 1915:

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Pour un anniversaire c'est une journée qui passe bien tristement. Nous occupons notre temps comme nous pouvons: revue d'armes, signalisation. Le soir avec le capitaine C. je descends voir les machines, j'en suis émerveillé. Les chaufferies, 400 tonnes de charbon par jour, l'arbre de couche, les 4 machines à produire l'électricité, les frigorifiques, Les 7 millions de litres d'eau nécessaires à la fabrication de la vapeur pour un jour.MERCREDI 21 AVRIL 1915:Avec le sergent B. et 20 hommes je vais à terre chercher des vivres, la mer est très agitée et il pleut, on se trempe. L'exercice de débarquement prévu a lieu pour les compagnies. Retour vers 10 heures. On nous complète à 200 cartouches. Le capitaine fait peser notre chargement sans le sac: 20 à 30 kg, d'autres à 23 kg. Le général puis l'amiral anglais viennent à bord de la Provence.JEUDI 22 AVRIL 1915:Bonne journée! Je reçois mon paquet puis quatre lettres. J'ai la carte de Turquie. Le matin signalisation, l'après-midi on nous lit les ordres du Colonel. En avant! Des renseignements sur la Turquie: vocabulaire, monnaies, conseils etc. La proclamation du général Hamilton. Le matin exercice de débarquement.VENDREDI 23 AVRIL 1915:A 10 heures 30 exercice de débarquement, à terre nous faisons des tranchées. Les Anglais font un exercice de T.S.F. Retour difficile nous nous échouons. Les bateaux anglais défilent escortés de cuirassés. C'est demain notre tour dit-on. Je reçois une carte.SAMEDI 24 AVRIL 1915:La rade se dégarnit constamment, des bateaux partent. Il devait y avoir plus de cent bâtiments. Est-ce pour ce soir? On s'énerve dans l'attente.

Déclaration du général Hamilton

Soldats de France, soldats du RoiNous allons accomplir une entreprise sans précédent dans la guerre

moderne. De concert avec nos camarades de la flotte nous allons opérer un débarquement de vive force sur une place en face de positions que l’orgueil de nos ennemis présente comme inexpugnable.Le débarquement sera mené avec l’aide de Dieu et de la marine. Les positions seront emportées d’assaut et la guerre aura franchit une étape de plus vers un glorieux achèvement. Souvenez-vous, dit Lord Hitchner dans ses adieux à votre général, souvenez-vous qu’une fois que vous aurez mis le pied sur la presqu’île de Gallipoli vous aurez à combattre jusqu’au triomphe définitif. Le monde entier a les yeux fixés sur notre marche en avant. Prouvons-lui que nous sommes dignes de la grande œuvre confiée à nos armes.

DIMANCHE 25 AVRIL 1915:

Début du débarquement allié au Cap Hellés.

Enfin nous partons! Vers 5 heures nous levons l'ancre mais, vers 7 heures seulement, nous traversons la passe. A 8 heures la messe. Où allons-nous? Europe? Asie? Nous sommes en tête. Des bateaux suivent. Je suis content, j'écris. Nous marchons lentement et bientôt nous

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entendons le canon. Nous nous arrêtons à l’île de Ténédos . Le soir nous touchons des effets kaki.LUNDI 26 AVRIL 1915:Nous partons de Ténédos dans la journée. Un torpilleur amène des prisonniers. Revue en kaki. Nous marchons le canon tonne. Les Dardanelles! Nous suivons facilement le bombardement. Les cuirassés tirent tous. Le Queen Elisabeth fait sauter un village, nous voyons les lignes de tirailleurs. Nous débarquons cette nuit, à 11 heures nous touchons un repas froid.MARDI 27 AVRIL 1915:Après avoir passé la nuit, équipés, vers 3 heures nous commençons à débarquer, il faisait jour quand notre tour arrive. Sur le pont nous suivons une violente attaque de nuit. Nous débarquons tranquillement et aussitôt après, l'ennemi bombarde le débarcadère qui est démoli. Les Anglais arrivent en masse. En avant! Nous sommes en deuxième ligne. Nous avançons assez vite dans les tranchées. Nous atteignons la ligne fixée. Nous revenons passer la nuit dans un bois. Trois attaques. Nous ne sommes pas abrités, les balles sifflent. Nuit sans repos.MERCREDI 28 AVRIL 1915:Nous faisons le jus à 8 heures. Nous partons en première ligne. Journée très dure et meurtrière. De mon escouade six hommes touchés, quatre sont évacués. Guill... blessé, le commandant tué. Sans discontinuer nous sommes mitraillés. Dans la plaine, deux attaques contre les positions ennemies sont repoussées. Je suis à la ligne la plus près des Turcs, sur cinq je suis le seul non touché. Nous nous retirons par la route des Anglais.Deuxième attaque: je reste dans un trou d'obus entre nos tranchées et celles de l'ennemi sous le feu croisé.JEUDI 29 AVRIL 1915:La nuit a passé assez calme, il a plu et fait froid. Le moral est très affecté par notre échec et nos pertes d'hier. Nous sommes soutien d'artillerie. Enfin nous aurons de l'artillerie.VENDREDI 30 AVRIL 1915:Rien de porterSAMEDI 1er MAI 1915:La nuit a été bien froide. Vers minuit nouvelle violente et longue attaque. Les 75 entrent de suite en jeu et tirent beaucoup. Nous recevons quelques balles, à ce moment je fais la relève de mes sentinelles. Nous revenons occuper notre emplacement de la veille. La journée passe sans combats, un duel d'artillerie seulement. Va-t-on dormir tranquilles? Nous n'y comptons guère. A 22 heures violente attaque générale par l'ennemi. Nous allons à l'avant. Nos premières lignes cèdent, les Sénégalais également. Les voilà! Ne tirez pas! Cruelle alternative.DIMANCHE 2 MAI 1915:Qui est-ce? Des rafales, Ils avancent, nous encerclent, ce sont eux! Ils sont à moins de dix mètres. Un sergent victime de son courage. Le corps à corps. J'en tue trois à bout portant.Le carnage. A répétition dans les masses. Ils se sauvent. La charge. Nous les avons. Le général, le colonel blessé. Armanet, Cruzillier, le capitaine Gonder le lieutenant Maubert, l'aspirant Du Tilly tués. La bataille dure jusqu'à la nuit.LUNDI 3 MAI 1915:C’est une hécatombe de Turcs, un massacre, des milliers des leurs sur le champ de bataille. Nous reprenons le terrain perdu. Des camarades manquent. Nous sommes tous dispersés. Nouvelle et violente attaque de nuit repoussée! Le lundi nous nous reformons à l'abri, deux sections, à la compagnie plus d'officier. Journée calme. Je suis de nouveau proposé pour sous-officier. Nous enterrons nos morts.MARDI 4 MAI 1915:La nuit n'a été qu'un long combat très violent. En deuxième ligne au début nous allons bientôt en première renforcer la 9ème compagnie. La fusillade ne cesse pas. Notre artillerie fait rage. Les Sénégalais au centre cèdent, on les renforce. C'est la charge! Pourrons-nous tenir jusqu'au

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jour? Il le faut. Enfin le jour arrive. La bataille dure encore mais l'ennemi, dix fois plus nombreux, est obligé de se retirer en laissant des milliers de morts. Leurs blessés nous tirent dessus. La journée se termine, calme. Nous sommes découragés. Nous faisons la soupe et, à la nuit, nous sommes en première ligne.MERCREDI 5 MAI 1915:Des lettres dans la tranchée. Hier soir nous avons fait une quarantaine de prisonniers cela relève le moral. Toute la nuit sur toute la ligne c'est une fusillade nourrie. Je brûle 6 à 800 cartouches. L'attaque ennemie échoue. Au jour tout se calme. Des renforts nous arrivent. Nous sommes mieux qu'hier. Oui nous tiendrons. Nous restons jusqu'à la nuit en première ligne. Nous nous organisons pour parer à toute attaque. Je suis nommé sergent. A la nuit nous sommes relevés par la légion. Nous rentrons dans le bois et y passons la nuit. JEUDI 6 MAI 1915: Jeudi matin réfection de la compagnie en quatre sections avec des renforts venus de la base. J'ai la 4e 1/2 section. Mercier, arrivé hier, a la 3ème. A 10 heures nous prenons l'offensive. Notre repos a duré longtemps. Nous sommes en deuxième ligne et avons peu de pertes. L'ennemi est refoulé. Nous avons gagné près d'un kilomètre. Nous allons à la première ligne pour revenir passer la nuit dans une tranchée à l’arrière.VENDREDI 7 MAI 1915:Il fait froid, fausses alertes. Deux fois je vais à la recherche des blessés dans la nuit. Au matin, nous gagnons une tranchée plus en avant. L'artillerie nous arrose, beaucoup d'obus n'éclatent pas. Le combat s'engage violent, surtout au centre, nous sommes l'aile droite. A 16 heures nous devons nous porter en avant. Les zouaves arrivent à la sortie de la tranchée.SAMEDI 8 MAI 1915:Nous sommes fauchés par les mitrailleuses. Le lieutenant tombe. A gauche c'est la charge. Les Turcs reculent puis reviennent. Nous les acculons dans un ravin que nous cernons presque. La nuit vient trop tôt pour que nous puissions en profiter. Position hardie pour la nuit, pas d'officiers, nous creusons. Feu d'infanterie et d'artillerie toute la journée. Une balle dans mon sac une autre dans le cou. Nous ne sommes pas ravitaillés. Un homme à ma droite est blessé. Le soir feu d'artillerie extrêmement violent. Nous allons à la tranchée d'extrême droite face au ravin. Tir de slaves toute la nuit.

Auguste Galland est mort le 10 mai par une journée sans combat. Il a été cité à l'ordre de L'armée.

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Voici la lettre d’un camarade relatant comment Auguste Galland a trouvé la mort

Presqu’île de Gallipoli, 3 juillet 1915

Je fais réponse à votre lettre du 19 mais non sans peine car il m’est aussi pénible qu’à vous, de vous raconter la mémorable journée du 10 janvier, jour où votre fils et à la fois mon ami est tombé.Je me serais toujours refusé à vous la raconter directement mais, comme vous êtes convaincu du malheur que causent, hélas, les horreurs de la guerre, mon devoir est de ne vous rien cacher. Il n’y a plus à en douter, votre cher fils est bien mort mais mort en bon Français. Aussi sa conduite irréprochable lui a valu une mort sans souffrance car d’après ses camarades il est tombé comme la foudre en se portant la main au cœur. La balle certainement lui a perforé le cœur mais ce qui rend la chose plus navrante c’est qu’il est tombé au moment le plus calme de la journée. Quelques balles sifflaient seulement et c’est en prenant son équipement que sans doute il avait quitté pour faire ses besoins qu’il a été touché.Il avait cependant passé les plus violents combats, dont ceux du 28, du 2, du 6 et du 8 sans la moindre égratignure. Le 8 mai il a été cité à l’ordre du jour et nommé sergent pour s’être défendu à lui seul de trois turcs dont un officier allemand. Dans tous ces combats il a été magnanime et il s’en est toujours sorti. Il faut donc accuser le malheur de sa destinée puisque la mort l’a ravi au moment le plus calme.J’ai donc fait envers lui ce qu’il aurait fait pour moi D’ailleurs un de ses camarades lui avait déjà enlevé soigneusement tout ce qu’il possédait sur lui. Je n’ai rien gardé que sa pipe comme souvenir. Il est mort à midi et demi, je suis monté le voir à 4 heures et nous l’avons enterré entre 7 heures et demi et 8 heures du soir près du fortin surnommé le repos des morts, cela se trouve dans une pente à environ 2 kilomètres de la crête de Hachi Baba qui est encore entre les mains des Turcs. Nous avons placé sur sa tombe une croix en bois avec diverses inscriptions ainsi que quelques fleurs.Il a été pleuré et regretté de toute la compagnie et dans la cérémonie non pas faite par un prêtre mais par le lieutenant Bâle commandant la 8e

compagnie nous avons tous promis de le venger. Lui a tenu parole, il est mort glorieusement le 4 juin, et nous toujours près à le suivre.Je n’ignore pas la douleur écrasante que vous éprouvez tous mais consolez-vous et restez courageux car si votre cher disparu est éteint, son âme son honneur et sa gloire ne s’éteindront jamais dans sa famille, dans son pays ni dans l’histoire.Voilà à peu près tous les renseignements que je peux vous donner et ils sortent d’un ami sincère qui ne l’oubliera jamais et le vengera.

Réflexions

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Lorsque je serai retourné là-bas, quand je serai redevenu un acteur de cette tragédie qui dépasse en horreur tout ce que l’on peut imaginer, veux-tu de temps en temps m’envoyer quelques mots lors même que, soit par ma faute ou celle des circonstances tu ne recevrais rien de moi. Tu feras ainsi œuvre de patriotisme et la chose est à la mode.L’arrivée du courrier ? Mais c’est le seul moment où l’on redevienne un homme. Le vaguemestre ? A sa vue c’est le foyer, c’est la famille, c’est tout ce que l’on aime et qu’on a laissé, peut-être pour toujours, qui surgit à la pensée, qui se montre sous une forme un peu étrange comme dans un mirage. Cette vie d’autrefois ? On se demande si c’est bien vrai qu’on l’a vécue et on ne compte guère la revivre.Ah! L’arrivée du courrier, quelle bonne ou terrible chose selon qu’il apporte ou non quelque lettre. Lorsque dans une tranchée s’amène le vaguemestre ou plus souvent un militaire quelconque porteur d’un paquet de lettres, les sifflements des balles ni les éclatements des obus ne s’entendent plus. Les gémissements des blessés même se taisent. Il y a parfois huit ou dix jours qu’il n’est rien arrivé alors commence un des moments les plus angoissants que l’on puisse imaginer. Nous nous approchons à nos noms, les lettres circulent de mains en mains du vaguemestre à l’heureux destinataire qui, le plus souvent, s’éloigne comme s’il craignait que sa lettre lui soit volée. L’espoir et l’angoisse se lisent dans tous les visages et quand c’est fini chacun cache sa petite larme, larme de bonheur pour ceux qui ont reçu un peu de réconfort et de courage par les êtres aimés qu’ils ont laissé là-bas mais larme bien triste pour qui n’a rien.Et ceux sur qui s’acharne la fatalité qui, depuis de nombreuses semaines n’ont rien reçu des leurs comme ils redoutent l’arrivée du courrier qui ne leur apporte jamais rien ! Et pourtant ils ont quelqu’un, aussi, là-bas, ils ont une femme, un enfant, une mère, une sœur et rien, toujours rien.

Et les blessés, comme ils sont choyés ! C’est beau, pour toi, cher ami, de t’y être adonné et d’y consacrer, encore à présent, les loisirs, que tu laisses l’étude. J’aime, dans ta lettre, le passage qui exprime tes regrets de n’avoir pu continuer à servir la patrie en disant que tu n’avais jamais été aussi heureux que dans ces moments là. Comme ils vont droit au cœur des blessés ces soins dont on les entoure ! A la gare de M… où j’avais été évacué nous étions une quantité de blessés et nous y avons séjourné assez longtemps pour que femmes, hommes, jeunes gens comme toi puissent nous prodiguer leurs soins ou leurs gâteries et nous, qui depuis deux mois avions oublié qu’il existait encore de ces choses là, nous ne pouvions supporter froidement cette transition trop belle. Des larmes étaient dans tous les yeux étonnés et je me rappelle qu’une dame, voyant une larme couler de l’œil d’un blessé à qui elle arrangeait avec mille précautions le pansement lui demanda : « Vous souffrez beaucoup n’est-ce pas ? » Il ne put lui répondre et fit signe avec la tête : « Non. » Mais les autres qui, comme moi, étaient là et avaient aussi leur larme d’étonnement et de reconnaissance prête à sortir, savaient bien que ce n’était pas la souffrance qui avait mouillé les yeux du camarade.

Au combat on ne se rend pas compte de la vie que l’on y mène mais maintenant que je pense, envisage froidement les choses je m’étonne d’une quantité de faits qui d’ici me semblent impossibles et qui pourtant se renouvelaient journellement. Je suis effrayé maintenant par tous les dangers auxquels j’ai miraculeusement échappé et les souffrances surhumaines que nous avons endurées. A de très rares exceptions près chaque soldat français est un héros et ceux qui n’ont pas, à leur actif, quelque action étonnante c’est que l’occasion leur a manqué

Je crois avoir toujours cru à notre succès final et définitif, à l’écrasement, à l’anéantissement de la loi teutonne mais ce sera long et le froid ne diminuera pas les souffrances des

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combattants. Ce qui soutient le courage sur le front, plus peut-être que ne le croient ceux qui restent ici c’est l’attention dont ils sont l’objet de la part des non combattants. C’est tout ce qu’on fait pour eux en France : des vêtements chauds. Ceux et celles qui travaillent ne se doutent pas avec quelle gratitude la paire de chaussettes ou le chandail seront accueillis. Je suis certain que les plus rudes guerriers se sentiront attendris et que leurs yeux se gonfleront lorsqu’on les leur remettra en leur disant que ce sont les femmes, toutes les femmes qui ont travaillé pour

J’ai essayé une fois de décrire le champ de bataille et j’y ai renoncé. En vain je cherchais les mots qui auraient pu en donner une idée. Ils n’ont pas encore été créés et j’ai déchiré la page dans laquelle j’avais essayé de fixer mes impressions, de dépeindre la guerre parce que tous les mots qu’il me fallait employer avaient déjà servi et que ce que j’avais à dire dépassait en horreur et en grandeur tout ce qu’ils avaient pu décrire jusqu'à lors. Oh, oui ! Cette guerre sera la dernière, je le crois, j’en suis sûr. Sa sauvagerie, ses atrocités, ses ravages irréparables sont les garants plus que suffisants pour une paix de très longue durée sinon perpétuelle.Ah ! Quelle ironie ! Les diplomates, en prévision d’une guerre possible avaient arrêté des conventions d’après lesquelles les choses se passeraient d’une façon presque humaine, c’est à dire loyale, où le plus fort serait le vainqueur, un peu comme dans un match de boxe et avec cela qu’avons-nous ? Une lutte sauvage, opiniâtre, monstrueuse, sans merci, inhumaine, surhumaine où toutes les atrocités, tous les crimes sont commi

La Convention de Genève ! Combien je la maudis ! Ce fut, au début surtout, une force de l’ennemi. Nous autres Français, par humanité, par loyauté surtout, nous la respectons à la lettre affaiblissant ainsi, bien souvent, nos chances de victoire. Mais eux s’en servaient comme d’une arme, et quelle arme  puisqu’elle leur permettait, à l’abri de la croix rouge ou du drapeau blanc, emblèmes sacrés n’avait-on répété et qui garantissaient à ceux qui en étaient couverts la plus absolue et plus généreuse sécurité de venir nous mitrailler chez nous et nous espionner ! Leur espionnage s’étend à tout et partout, tu le sais aussi bien que moi. Comme organisation c’est méthodique autant que haineux et ignoblemen

Non, les Allemands ne sont pas des hommes comme les nous, jamais un Français ne ferait ce que je leur ai vu faire et ce que j’ai appris par les gens qui en ont été les tristes victimes. Oh ! Ils ne sont pas meilleurs soldats que nous, au contraire ce sont des lâches brutes et jamais un Boche ne ferait ce que nous avons fait.Ce qui est formidable chez eux c’est leur organisation militaire. En ceci ils sont nos maîtres quoiqu’on en dise. Ils l’ont merveilleusement préparée cette guerre et l’ont voulue ainsi qu’elle existe c’est à dire atroce, monstrueuse, criminelle. Leur préparation pour une guerre telle était honteusement parfaite.

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Frontières en 1914

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Positionnement des armées

Premiers engagements

Jusqu’au 20 août 1914

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Itinéraires empruntés d’après une carte Michelin

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LE FRONT PRES DE SAINT DIE

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LE FRONT SUR LA SOMME

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FRONTIERES AVANT 1914

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Les Détroits

Les Dardanelles :

Le détroit des Dardanelles fait correspondre la mer de Marmara avec la

mer de l’Archipel. Sa longueur est de 68 kilomètres sa largeur varie de

1800 mètres à 7 kilomètres. Il est parcouru par des courants très violents.

Les détroits ont été neutralisés par la convention de 1841 de Londres et

par les traités de Berlin (1878) et de 1919. Ils ont été déclarés libres et

démilitarisés et placés sous la surveillance d’une commission

internationale par le traité de Lausanne en 1923. Ils ont été remilitarisés

en 1936 après la conférence de Montreux et les forts sont réoccupés

depuis par l’armée turque. Ils ont été ouverts au passage des navires

alliés le 13 janvier 1945.

Le Bosphore :

Le détroit du Bosphore relie la mer de Marmara à la mer Noire entre

l’Europe et l’Asie. Il mesure 23 kilomètres de longueur, sa plus grande

largeur est de 3 kilomètres et son point le plus étroit n’excède pas 600

mètres. Il est profond de 20 mètres. Il est parcouru par des courants allant

de la mer Noire à la mer de Marmara.

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Avancée des armées alliées

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