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2 | économie & entreprise JEUDI 29 NOVEMBRE 2018 0123 L’Alliance 10,6 10,5 10,5 9,6 7,3 6,3 5 4,7 3,6 3,2 1 Groupe Volkswagen* Toyota General Motors Hyundai-Kia Mitsubishi 5,8 Nissan 3,8 Renault Ford Honda Fiat Chrysler PSA Suzuki * Hors camions Renault-Nissan-Mitsubishi : le numéro un mondial de l’automobile VENTES 2017, EN MILLIONS DE VÉHICULES Usine Renault de Maubeuge Nissan NV250 (en 2019) Argentine Usine Renault de Cordoba Nissan Navara Mexique Usine Nissan de Cuernavaca Renault Alaskan Espagne Usine Nissan de Barcelone Renault Alaskan France Usine Renault de Flins Nissan Micra Russie Usine Renault-Lada de Togliatti Nissan Almera Usine Renault de Moscou Nissan Terrano Usine Renault de Sandouville Nissan NV300 Corée du Sud Usine Renault de Busan Nissan Rogue Pays dans lesquels des usines Renault produisent des Nissan et inversement 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2022 10 2 0 4 6 8 1,5 1,6 1,7 2,7 2,9 3,8 4,3 5 5,7 10 Inde Usine de l’alliance de Chennai Renault Kwid, Captur, Duster, Docker Nissan Micra, Sunny, Terrano Une économie de coûts liée à des synergies industrielles EN MILLIARDS D’EUROS Une stratégie d’intégration industrielle qui porte ses fruits Des productions croisées de Renault et Nissan dans dix sites de l’alliance C’ est une nouvelle ère qui s’ouvre entre Renault, Nis- san et Mitsubishi. Jeudi 28 novembre, Thierry Bol- loré, le nouveau directeur général délégué de Re- nault, doit échanger avec Hiroto Saikawa, le nouvel homme fort de Nissan, et Osamu Ma- suko, le patron de Mitsubishi, à l’occasion du comité exécutif de l’Alliance Renault-Nissan, qui se tient à Amsterdam. Dix jours à peine après l’arrestation de Car- los Ghosn pour des soupçons de malversa- tions financières, les trois dirigeants doivent évoquer l’évolution de l’alliance, notam- ment la coentreprise néerlandaise (RNBV) détenue par Renault et Nissan, qui réunit de- puis le début du siècle les constructeurs fran- çais et japonais. Sur LCI, mardi 27 novembre, Bruno Le Maire, le ministre de l’économie et des finan- ces, a déjà prévenu : « Dans la gouvernance, il est prévu que le directeur général de Renault soit le président de l’alliance. Cette règle ne doit pas changer. » Et pas question de toucher aux accords liant toutes les parties. « Il y a aujourd’hui un partage qui me paraît le bon, il y a un équilibre qui est le bon. Il y a des partici- pations croisées entre Renault et Nissan qui ne doivent pas changer », a assuré M. Le Maire. Avec les déboires judiciaires de son fonda- teur, l’alliance qui a permis aux construc- teurs de réaliser ensemble plus de 5,7 mil- liards d’euros de synergies et de devenir le premier groupe automobile mondial, avec 10,6 millions de véhicules vendus en 2017, est bien plongée en pleine crise. Si les trois sociétés et les pouvoirs publics français et japonais soutiennent cette al- liance industrielle atypique, ses règles de fonctionnement semblent remises en ques- tion. Depuis l’incarcération de M. Ghosn, les dirigeants de Nissan exigent des évolutions. L’un de ses responsables a même lâché à la presse nippone : « Nous devons revenir à l’idée originale d’une relation gagnant-gagnant. » De quoi parle-t-on ? En 1999, quand Re- nault apporte 5 milliards d’euros pour re- prendre et redresser Nissan, perclus de 20 milliards d’euros de dettes, une décision est prise par Louis Schweitzer, alors PDG. « Renault s’est engagé à devenir l’actionnaire de référence, tout en préservant Nissan et en mettant en place un système complexe per- mettant au constructeur japonais de rester autonome, rappelle un bon connaisseur du dossier. C’est une ambiguïté fondamentale de la situation actuelle. » Aujourd’hui, note l’économiste Bernard Jul- lien, spécialiste du secteur automobile à l’uni- versité de Bordeaux, « voir Mitsubishi, détenu à 34 % par Nissan, faire ce que lui demande son actionnaire de référence apparaît tout à fait normal, tandis que Renault, qui détient pour- tant 43 % de Nissan, ne peut rien lui dire ». Comment en est-on arrivé là ? La clé s’ap- pelle Carlos Ghosn. A la tête d’une vingtaine de « Renault Boys », le manageur de choc se rend au Japon en 1999 pour redresser le constructeur japonais. Très vite, Nissan re- trouve les sommets. En 2005, un second tournant intervient. Promu PDG de Renault au départ de Louis Schweitzer, M. Ghosn dé- cide de conserver son poste de patron chez Nissan, alors que ce n’était pas prévu. « RESSENTIMENT » Il lance un « Yalta » entre les deux groupes. Chacun devra se développer dans des zones géographiques exclusives. A Renault le Brésil, l’Inde et la Russie ; à Nissan la Chine et les Etats-Unis. L’effet est immédiat pour les deux sociétés. La première, qui vendait encore 2,5 millions de véhicules en 1999, en écoule 3,8 millions en 2017. La seconde est passée, sur la même période, de 2,6 millions de voitu- res à 5,8 millions dix-huit ans plus tard. La dynamique des marchés américains et chinois porte Nissan. Renault, lui, connaît des difficultés sur des marchés en dents de scie. Conséquence : Nissan propulse son chiffre d’affaires au-delà des 90 milliards d’euros en quinze ans, tandis que Renault peine à atteindre la barre des 60 milliards d’euros. A l’heure actuelle, Nissan (32 mil- liards d’euros) pèse presque deux fois plus en Bourse que Renault (18 milliards), alors que le « petit » Renault détient 43 % du « gros » Nissan, et que ce dernier détient 15 % du français. Outre ce déséquilibre économique, les sa- lariés des deux alliés ont longtemps crié à la discrimination. Quand M. Ghosn est revenu en 2005 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de- Seine) pour reprendre en main la marque au losange, « il a eu tendance à reprocher aux équipes françaises et à leurs méthodes de ne pas être à la hauteur de Nissan. D’où un res- sentiment », rappelle M. Jullien. Pis, les arbitrages sont toujours interprétés comme une victoire de la partie adverse. C’est d’abord Renault qui se plaint. Jus- qu’en 2011, les couloirs de Boulogne-Billan- court bruissent de reproches contre les choix pro-Nissan du grand patron. A mesure que Renault sort de l’ornière et croît, c’est Nissan qui commence à maugréer. Quand Carlos Ghosn opte pour la fabrication de la petite Nissan Micra à l’usine de Flins (Yveli- nes), au détriment de l’usine indienne du ja- ponais, les Nippons s’étranglent. « Et depuis le départ de son poste opérationnel chez Nis- san, courant 2016, l’entreprise a senti une perte d’influence au sein de l’alliance, cons- tate un cadre au Japon. A force de ne le voir que deux à trois jours par mois dans l’Archipel, Nissan se sentait moins défendu et loin du centre du pouvoir à Amsterdam. » « Sur les déséquilibres entre les deux socié- tés, il y a toujours eu beaucoup de fantas- mes », balaie cependant un cadre de Renault. « Les arbitrages entre les deux sociétés ont toujours été fondés sur la performance, in- siste un ancien cadre. Si l’un des construc- teurs savait faire mieux seul qu’à travers une coopération, il pouvait mener leur projet. Il fallait juste le justifier économiquement. » TROUVER UN MODUS OPERANDI Le second virage récent dans la vie de l’al- liance a été pris en 2015, quand l’Etat est monté au capital de Renault pour y imposer les droits de vote doubles afin d’obtenir une minorité de blocage sur les sujets stratégi- ques. M. Ghosn a été pris de court, tout comme Nissan. D’un seul coup, les Japonais ont redécouvert l’importance de l’Etat et ce qu’il faisait peser comme risque à long terme, à savoir un affaiblissement industriel de sa base japonaise. « L’Etat a sous-estimé l’impact de ce rachat d’actions sur la psycholo- gie japonaise, pense un haut fonctionnaire. Inconsciemment, Nissan s’est rendu compte que Carlos Ghosn ne pourrait pas toujours le protéger de son actionnaire de ré- férence. Pour sortir de la crise, l’accord, tou- jours secret, liant Renault et Nissan (le RAMA) est revu afin de donner plus d’auto- nomie à Nissan et de rogner sur les pouvoirs, notamment de nomination et de révoca- tion, du français. Pas assez pour Nissan en « SUR LES DÉSÉQUILIBRES ENTRE LES DEUX SOCIÉTÉS, IL Y A TOUJOURS EU BEAUCOUP DE FANTASMES », DIT UN CADRE DE RENAULT Equilibres mouvants entre Renault et Nissan Avec l’affaire Ghosn émerge une revendication japonaise, à savoir la révision des termes de l’alliance. Une requête que le gouvernement français n’entend pas satisfaire AUTOMOBILE sa ligne de défense est désormais claire. Carlos Ghosn, démis de ses fonctions de président de Nis- san jeudi 22 novembre, se défend des accusations de sous-déclaration de ses revenus devant le parquet de Tokyo, qui lui valent sa garde à vue depuis le 19 novembre. Selon le quotidien japonais Asahi Shimbun, Carlos Ghosn a expliqué qu’il n’avait pas déclaré une partie de ses revenus aux autorités boursières, parce que son conseiller juridique lui avait affirmé que ces revenus, payés après sa re- traite, ne devaient pas y figurer. La somme concernée correspond à environ 5 mil- liards de yens pendant cinq ans, soit quelque 39 mil- lions d’euros. Entre 2010 et 2015, M. Ghosn a déclaré une rémunération annuelle de 1 milliard de yens pour ses fonctions à la tête de Nissan, au lieu de 2 milliards de yens, assure le parquet. « [L’ancien di- recteur délégué Greg Kelly] m’a dit qu’il n’y avait aucun problème », a-t-il déclaré lors de son interro- gatoire, rapportent des sources à l’Asahi Shimbun. « Je n’ai pas pensé que c’était illégal », a-t-il ajouté. Le parquet juge que les actionnaires auraient dû être informés de la rémunération totale et donc du mil- liard de rémunération devant être versé après sa re- traite. Or, selon M. Ghosn, « le futur paiement [de cette rémunération] n’est pas finalisé ni engageant. Ce n’était donc pas mon devoir de le déclarer. » M. Kelly a assuré qu’il avait vérifié auprès de con- seils juridiques extérieurs s’il devait ou non déclarer cette rémunération. Selon M. Ghosn, c’est Nissan qui avait imaginé ce paiement différé afin d’éviter toute critique face à l’ampleur de son salaire au Japon. Nouvelles révélations En Europe, les sociétés déclarent en général dans leur document de référence, soumis aux actionnaires, la totalité d’une rémunération, en incluant les paie- ments différés, et notamment les stock-options et la retraite chapeau. A sa décharge, assure au Monde une source au Japon, « les cadres ne s’occupent pas eux-mêmes de leurs déclarations financières ou fisca- les. C’est généralement l’entreprise qui s’en occupe ». Alors que M. Ghosn est déjà représenté par un avocat japonais, Motonari Otsuru, il vient de s’ad- joindre, selon le Wall Street Journal, les services de deux avocats new yorkais, Brad Karp et Michael Gertzman, du cabinet Paul, Weiss, Rifkind, Whar- ton & Garrison. Au-delà de la défense de l’ex-patron de Nissan devant la justice, le quotidien tokyoïte a évoqué de nouvelles révélations de présumés abus de biens sociaux. Outre l’emploi de sa sœur et la mise à disposition de résidences par Nissan, une nouvelle affaire concer- nerait M. Ghosn. En 2008, lors de la crise financière, il aurait fait assumer par Nissan quelque 1,7 milliard de yens (13,2 millions d’euros) de pertes sur des in- vestissements personnels. Le quotidien assure que, lorsque la banque de M. Ghosn lui a réclamé davan- tage de cautions sur des investissements spécula- tifs réalisés sur les changes en 2006, le dirigeant a utilisé Nissan comme garant. Le groupe aurait donc dû absorber ses pertes de 13,2 millions d’euros. Une information démentie mercredi 28 novembre par Motonari Otsuru, un des avocats de M. Ghosn, dans des déclarations faites à l’agence Bloomberg. p ph. j. Face à la justice japonaise, Carlos Ghosn affine sa ligne de défense

AUTOMOBILE - prepaecocarnot.files.wordpress.com · 0123 jeudi 29 novembre 2018 infographie le monde sources : sociÉtÉs alliance renault-nissan participations croisÉes entre les

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2 | économie & entreprise JEUDI 29 NOVEMBRE 20180123

INFOGRAPHIE LE MONDE SOURCES : SOCIÉTÉS

Alliance Renault-Nissan

PARTICIPATIONS CROISÉES ENTRE LES ENTREPRISES

Nissan

2014 2015 2016 20172014 2015 2016 2017

Renault

Nissan

Nissan

Renault

Renault

Renault prédominant dans la gouvernance

Des déséquilibres porteurs de tensionsVENTES DEPUIS LA CRÉATION DE L’ALLIANCE, EN MILLIONS DE VOITURES

CHIFFRE D’AFFAIRES 2017, EN MILLIARDS D’EUROS

MARGE OPÉRATIONNELLE, EN % DU CHIFFRE D’AFFAIRES

0

1

2

3

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2000 2005 2010 2015 2017

3,8

2,5

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5,8

92,1 58,8

3,95,1

6,34,8

5,87 6,4 6,6

Renault50 %

Nissan

possède 15 % de Renault(sans droit de vote)

possède 43,4 % de Nissan

possède 34 % de MitsubishiMotors

50 %

L’Alliance

10,6 10,5 10,59,6

7,36,3

5 4,73,6 3,2

1

GroupeVolkswagen*

Toyota GeneralMotors

Hyundai-KiaMitsubishi

5,8Nissan

3,8Renault

Ford Honda FiatChrysler

PSA Suzuki

* Hors camions

Renault-Nissan-Mitsubishi : le numéro un mondial de l’automobileVENTES 2017, EN MILLIONS DE VÉHICULES

Usine Renault de MaubeugeNissan NV250 (en 2019)

ArgentineUsine Renault de CordobaNissan Navara

MexiqueUsine Nissan

de CuernavacaRenault Alaskan

EspagneUsine Nissande Barcelone

Renault Alaskan

FranceUsine Renault de Flins

Nissan Micra

RussieUsine Renault-Lada de TogliattiNissan AlmeraUsine Renault de MoscouNissan Terrano

Usine Renault de SandouvilleNissan NV300

Corée du SudUsine Renault de BusanNissan Rogue

Pays dans lesquels des usines Renault produisent des Nissan et inversement

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2022

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1,5 1,6 1,72,7 2,9

3,8 4,35

5,7

10

IndeUsine de l’alliance de ChennaiRenault Kwid, Captur, Duster, Docker Nissan Micra, Sunny, Terrano

Une économie de coûts liée à des synergies industriellesEN MILLIARDS D’EUROS

Une stratégie d’intégration industrielle qui porte ses fruitsDes productions croisées de Renault et Nissan dans dix sites de l’alliance

C’ est une nouvelle ère quis’ouvre entre Renault, Nis-san et Mitsubishi. Jeudi28 novembre, Thierry Bol-loré, le nouveau directeurgénéral délégué de Re-

nault, doit échanger avec Hiroto Saikawa, le nouvel homme fort de Nissan, et Osamu Ma-suko, le patron de Mitsubishi, à l’occasion du comité exécutif de l’Alliance Renault-Nissan, qui se tient à Amsterdam.

Dix jours à peine après l’arrestation de Car-los Ghosn pour des soupçons de malversa-tions financières, les trois dirigeants doiventévoquer l’évolution de l’alliance, notam-ment la coentreprise néerlandaise (RNBV) détenue par Renault et Nissan, qui réunit de-puis le début du siècle les constructeurs fran-çais et japonais.

Sur LCI, mardi 27 novembre, Bruno LeMaire, le ministre de l’économie et des finan-ces, a déjà prévenu : « Dans la gouvernance, il est prévu que le directeur général de Renault soit le président de l’alliance. Cette règle ne doit pas changer. » Et pas question de toucheraux accords liant toutes les parties. « Il y aaujourd’hui un partage qui me paraît le bon, ily a un équilibre qui est le bon. Il y a des partici-pations croisées entre Renault et Nissan qui nedoivent pas changer », a assuré M. Le Maire.

Avec les déboires judiciaires de son fonda-teur, l’alliance qui a permis aux construc-teurs de réaliser ensemble plus de 5,7 mil-liards d’euros de synergies et de devenir lepremier groupe automobile mondial, avec 10,6 millions de véhicules vendus en 2017,est bien plongée en pleine crise.

Si les trois sociétés et les pouvoirs publicsfrançais et japonais soutiennent cette al-liance industrielle atypique, ses règles de fonctionnement semblent remises en ques-tion. Depuis l’incarcération de M. Ghosn, les dirigeants de Nissan exigent des évolutions. L’un de ses responsables a même lâché à lapresse nippone : « Nous devons revenir à l’idéeoriginale d’une relation gagnant-gagnant. »

De quoi parle-t-on ? En 1999, quand Re-nault apporte 5 milliards d’euros pour re-prendre et redresser Nissan, perclus de20 milliards d’euros de dettes, une décision

est prise par Louis Schweitzer, alors PDG. « Renault s’est engagé à devenir l’actionnairede référence, tout en préservant Nissan et enmettant en place un système complexe per-mettant au constructeur japonais de rester autonome, rappelle un bon connaisseur dudossier. C’est une ambiguïté fondamentale dela situation actuelle. »

Aujourd’hui, note l’économiste Bernard Jul-lien, spécialiste du secteur automobile à l’uni-versité de Bordeaux, « voir Mitsubishi, détenu à 34 % par Nissan, faire ce que lui demande sonactionnaire de référence apparaît tout à fait normal, tandis que Renault, qui détient pour-tant 43 % de Nissan, ne peut rien lui dire ».

Comment en est-on arrivé là ? La clé s’ap-pelle Carlos Ghosn. A la tête d’une vingtaine de « Renault Boys », le manageur de choc serend au Japon en 1999 pour redresser le constructeur japonais. Très vite, Nissan re-trouve les sommets. En 2005, un second tournant intervient. Promu PDG de Renault au départ de Louis Schweitzer, M. Ghosn dé-cide de conserver son poste de patron chez Nissan, alors que ce n’était pas prévu.

« RESSENTIMENT »Il lance un « Yalta » entre les deux groupes.Chacun devra se développer dans des zones géographiques exclusives. A Renault le Brésil,l’Inde et la Russie ; à Nissan la Chine et lesEtats-Unis. L’effet est immédiat pour les deuxsociétés. La première, qui vendait encore 2,5 millions de véhicules en 1999, en écoule 3,8 millions en 2017. La seconde est passée,sur la même période, de 2,6 millions de voitu-res à 5,8 millions dix-huit ans plus tard.

La dynamique des marchés américains etchinois porte Nissan. Renault, lui, connaît des difficultés sur des marchés en dents de scie. Conséquence : Nissan propulse son chiffre d’affaires au-delà des 90 milliardsd’euros en quinze ans, tandis que Renault peine à atteindre la barre des 60 milliards d’euros. A l’heure actuelle, Nissan (32 mil-liards d’euros) pèse presque deux fois plus en Bourse que Renault (18 milliards), alors que le « petit » Renault détient 43 % du« gros » Nissan, et que ce dernier détient 15 %du français.

Outre ce déséquilibre économique, les sa-lariés des deux alliés ont longtemps crié à la discrimination. Quand M. Ghosn est revenu en 2005 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) pour reprendre en main la marque aulosange, « il a eu tendance à reprocher auxéquipes françaises et à leurs méthodes de nepas être à la hauteur de Nissan. D’où un res-sentiment », rappelle M. Jullien.

Pis, les arbitrages sont toujours interprétéscomme une victoire de la partie adverse.C’est d’abord Renault qui se plaint. Jus-qu’en 2011, les couloirs de Boulogne-Billan-court bruissent de reproches contre leschoix pro-Nissan du grand patron. A mesureque Renault sort de l’ornière et croît, c’est Nissan qui commence à maugréer. Quand

Carlos Ghosn opte pour la fabrication de la petite Nissan Micra à l’usine de Flins (Yveli-nes), au détriment de l’usine indienne du ja-ponais, les Nippons s’étranglent. « Et depuis le départ de son poste opérationnel chez Nis-san, courant 2016, l’entreprise a senti une perte d’influence au sein de l’alliance, cons-tate un cadre au Japon. A force de ne le voir que deux à trois jours par mois dans l’Archipel,Nissan se sentait moins défendu et loin ducentre du pouvoir à Amsterdam. »

« Sur les déséquilibres entre les deux socié-tés, il y a toujours eu beaucoup de fantas-mes », balaie cependant un cadre de Renault.« Les arbitrages entre les deux sociétés ont toujours été fondés sur la performance, in-siste un ancien cadre. Si l’un des construc-teurs savait faire mieux seul qu’à travers une coopération, il pouvait mener leur projet. Ilfallait juste le justifier économiquement. »

TROUVER UN MODUS OPERANDILe second virage récent dans la vie de l’al-liance a été pris en 2015, quand l’Etat estmonté au capital de Renault pour y imposer les droits de vote doubles afin d’obtenir une minorité de blocage sur les sujets stratégi-ques. M. Ghosn a été pris de court, tout comme Nissan. D’un seul coup, les Japonais ont redécouvert l’importance de l’Etat et ce qu’il faisait peser comme risque à longterme, à savoir un affaiblissement industriel de sa base japonaise. « L’Etat a sous-estimé l’impact de ce rachat d’actions sur la psycholo-gie japonaise, pense un haut fonctionnaire.

Inconsciemment, Nissan s’est renducompte que Carlos Ghosn ne pourrait pas toujours le protéger de son actionnaire de ré-férence. Pour sortir de la crise, l’accord, tou-jours secret, liant Renault et Nissan (le RAMA) est revu afin de donner plus d’auto-nomie à Nissan et de rogner sur les pouvoirs,notamment de nomination et de révoca-tion, du français. Pas assez pour Nissan en

« SUR LES DÉSÉQUILIBRES ENTRE LES DEUX SOCIÉTÉS, IL Y A TOUJOURS EU

BEAUCOUP DE FANTASMES »,

DIT UN CADRE DE RENAULT

Equilibres mouvants entre Renault et Nissan

Avec l’affaire Ghosn émerge une revendication japonaise, à savoir la révision des termes de l’alliance. Une requête que le gouvernement français n’entend pas satisfaire

A U T O M O B I L E

sa ligne de défense est désormais claire. CarlosGhosn, démis de ses fonctions de président de Nis-san jeudi 22 novembre, se défend des accusations desous-déclaration de ses revenus devant le parquetde Tokyo, qui lui valent sa garde à vue depuis le 19 novembre. Selon le quotidien japonais Asahi Shimbun, Carlos Ghosn a expliqué qu’il n’avait pas déclaré une partie de ses revenus aux autorités boursières, parce que son conseiller juridique lui avait affirmé que ces revenus, payés après sa re-traite, ne devaient pas y figurer.

La somme concernée correspond à environ 5 mil-liards de yens pendant cinq ans, soit quelque 39 mil-lions d’euros. Entre 2010 et 2015, M. Ghosn a déclaré une rémunération annuelle de 1 milliard de yens pour ses fonctions à la tête de Nissan, au lieu de 2 milliards de yens, assure le parquet. « [L’ancien di-recteur délégué Greg Kelly] m’a dit qu’il n’y avait aucun problème », a-t-il déclaré lors de son interro-gatoire, rapportent des sources à l’Asahi Shimbun.« Je n’ai pas pensé que c’était illégal », a-t-il ajouté. Leparquet juge que les actionnaires auraient dû être

informés de la rémunération totale et donc du mil-liard de rémunération devant être versé après sa re-traite. Or, selon M. Ghosn, « le futur paiement [decette rémunération] n’est pas finalisé ni engageant. Ce n’était donc pas mon devoir de le déclarer. »

M. Kelly a assuré qu’il avait vérifié auprès de con-seils juridiques extérieurs s’il devait ou non déclarercette rémunération. Selon M. Ghosn, c’est Nissan quiavait imaginé ce paiement différé afin d’éviter toute critique face à l’ampleur de son salaire au Japon.

Nouvelles révélationsEn Europe, les sociétés déclarent en général dans leurdocument de référence, soumis aux actionnaires, la totalité d’une rémunération, en incluant les paie-ments différés, et notamment les stock-options et la retraite chapeau. A sa décharge, assure au Monde une source au Japon, « les cadres ne s’occupent pas eux-mêmes de leurs déclarations financières ou fisca-les. C’est généralement l’entreprise qui s’en occupe ».

Alors que M. Ghosn est déjà représenté par unavocat japonais, Motonari Otsuru, il vient de s’ad-

joindre, selon le Wall Street Journal, les services de deux avocats new yorkais, Brad Karp et MichaelGertzman, du cabinet Paul, Weiss, Rifkind, Whar-ton & Garrison. Au-delà de la défense de l’ex-patron de Nissan devant la justice, le quotidien tokyoïte a évoqué de nouvelles révélations de présumés abus de biens sociaux.Outre l’emploi de sa sœur et la mise à disposition derésidences par Nissan, une nouvelle affaire concer-nerait M. Ghosn. En 2008, lors de la crise financière,il aurait fait assumer par Nissan quelque 1,7 milliardde yens (13,2 millions d’euros) de pertes sur des in-vestissements personnels. Le quotidien assure que,lorsque la banque de M. Ghosn lui a réclamé davan-tage de cautions sur des investissements spécula-tifs réalisés sur les changes en 2006, le dirigeant autilisé Nissan comme garant. Le groupe aurait doncdû absorber ses pertes de 13,2 millions d’euros. Une information démentie mercredi 28 novembre par Motonari Otsuru, un des avocats de M. Ghosn, dansdes déclarations faites à l’agence Bloomberg. p

ph. j.

Face à la justice japonaise, Carlos Ghosn affine sa ligne de défense

0123JEUDI 29 NOVEMBRE 2018 économie & entreprise | 3

INFOGRAPHIE LE MONDE SOURCES : SOCIÉTÉS

Alliance Renault-Nissan

PARTICIPATIONS CROISÉES ENTRE LES ENTREPRISES

Nissan

2014 2015 2016 20172014 2015 2016 2017

Renault

Nissan

Nissan

Renault

Renault

Renault prédominant dans la gouvernance

Des déséquilibres porteurs de tensionsVENTES DEPUIS LA CRÉATION DE L’ALLIANCE, EN MILLIONS DE VOITURES

CHIFFRE D’AFFAIRES 2017, EN MILLIARDS D’EUROS

MARGE OPÉRATIONNELLE, EN % DU CHIFFRE D’AFFAIRES

0

1

2

3

4

5

6

2000 2005 2010 2015 2017

3,8

2,5

2,6

5,8

92,1 58,8

3,95,1

6,34,8

5,87 6,4 6,6

Renault50 %

Nissan

possède 15 % de Renault(sans droit de vote)

possède 43,4 % de Nissan

possède 34 % de MitsubishiMotors

50 %

L’Alliance

10,6 10,5 10,59,6

7,36,3

5 4,73,6 3,2

1

GroupeVolkswagen*

Toyota GeneralMotors

Hyundai-KiaMitsubishi

5,8Nissan

3,8Renault

Ford Honda FiatChrysler

PSA Suzuki

* Hors camions

Renault-Nissan-Mitsubishi : le numéro un mondial de l’automobileVENTES 2017, EN MILLIONS DE VÉHICULES

Usine Renault de MaubeugeNissan NV250 (en 2019)

ArgentineUsine Renault de CordobaNissan Navara

MexiqueUsine Nissan

de CuernavacaRenault Alaskan

EspagneUsine Nissande Barcelone

Renault Alaskan

FranceUsine Renault de Flins

Nissan Micra

RussieUsine Renault-Lada de TogliattiNissan AlmeraUsine Renault de MoscouNissan Terrano

Usine Renault de SandouvilleNissan NV300

Corée du SudUsine Renault de BusanNissan Rogue

Pays dans lesquels des usines Renault produisent des Nissan et inversement

2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2022

10

2

0

4

6

8

1,5 1,6 1,72,7 2,9

3,8 4,35

5,7

10

IndeUsine de l’alliance de ChennaiRenault Kwid, Captur, Duster, Docker Nissan Micra, Sunny, Terrano

Une économie de coûts liée à des synergies industriellesEN MILLIARDS D’EUROS

Une stratégie d’intégration industrielle qui porte ses fruitsDes productions croisées de Renault et Nissan dans dix sites de l’alliance

cas de rapprochement plus étroit, alors quele patron, juste avant son arrestation, était sur le point d’annoncer une fusion, selon le Financial Times.

Longtemps, Carlos Ghosn s’est opposé àcette option, car il a été marqué par les multi-ples échecs de fusions dans l’automobile. « Conserver deux entreprises et approfondirles synergies a beaucoup d’avantages par rap-port à une fusion : on se concentre sur l’essen-tiel, c’est-à-dire les coopérations et les écono-mies, on ne se disperse pas », avait-il coutumede dire. « Son discours était constant, se re-mémore un ancien de Bercy. Les deux socié-tés ne sont pas mûres pour fusionner, répé-tait-il. Tant que 10 milliards d’euros de syner-gies ne sont pas atteints, une fusion n’a pas desens. » Or, cet objectif est fixé à 2022, mais la situation a évolué.

« Près de vingt ans après le sauvetage de Nis-san, certains responsables japonais pensent que Nissan a finalement remboursé son dû à Renault, via notamment les dividendes, inter-prète Takahiro Fujimoto, chercheur de l’uni-versité de Tokyo. Ils pensent donc qu’un rap-port plus égalitaire en matière d’actionnariat est désormais nécessaire. » Théoriquement, Nissan pourrait monter au capital de Renault à hauteur de 25 %, ce qui annulerait, selon la loi japonaise, les droits de vote du français dans le constructeur japonais. « Cela rétabli-rait l’équilibre, mais ce serait une déclaration de guerre. Personne n’y croit vraiment, mêmesi la menace couve au Japon », souligne un ob-servateur à Paris.

L’urgence est de trouver un modus ope-randi pour l’alliance. « Si l’on résume, avecCarlos Ghosn, l’alliance était sous le règne d’un autocrate qui décidait de tout, juge Ber-nard Jullien. Désormais, l’alliance doit mettreen place une démocratie, avec un processus de règlement des différends, afin d’assurer l’avenir de l’attelage. » p

philippe jacqué

L’alliance, complexe édifice industrielFrançais et Japonais déclarent vouloir préserver l’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, devenue le premier constructeur mondial, qui permet d’énormes investissements

V u de Paris comme de Yo-kohama, s’il est un pointsur lequel Français et Ja-

ponais semblent s’accorder dansl’affaire Carlos Ghosn, c’est bien sur la nécessité du sauvetage de l’Alliance Renault-Nissan-Mitsu-bishi. Jeudi 22 novembre, quel-ques heures après la destitutiondu président de Nissan par sonconseil d’administration, les mi-nistres de l’économie français etjaponais, Bruno Le Maire et Hi-roshige Seko, réaffirmaient leursoutien à cette « coopération ga-gnante ». Quant aux dirigeants dugroupe tricolore comme ceux duconstructeur nippon, ils ont étéunanimes et constants : il fautpréserver cet acquis.

Tout le monde veut donc de l’al-liance. Mais, au fait, qu’est-ellevraiment ? En quoi consiste con-crètement cette association auto-mobile unique au monde ; cettepépite industrielle sur laquelle lesdirigeants japonais de Nissan semblent vouloir mettre plus fer-mement la main.

Pour commencer, l’Alliance Re-nault-Nissan-Mitsubishi est une énorme addition de chiffres. 10,6 millions de véhicules vendus en 2017, 5,54 millions lors du pre-mier semestre 2018, 450 000 em-ployés, 122 usines. Cette taille depremier constructeur mondial a un avantage : elle donne des moyens considérables d’investis-sement dans les technologies de lavoiture du futur pour laquelle doi-vent se cumuler de coûteuses re-cherches sur les motorisations, la connectivité et la conduite auto-nome. Si Renault a pu annoncer être capable d’investir 18 milliards d’euros en R&D d’ici à 2022, c’est bien parce que l’effet multiplica-teur de l’alliance est là.

Mais ce n’est pas l’essentiel. L’al-liance est un complexe édifice in-dustriel dont la clé de voûte était certes la personne de CarlosGhosn (d’où la forte inquiétude actuelle), mais dont la pierre an-

gulaire est une société fondée au début des années 2000 aux Pays-Bas, Renault-Nissan BV, et dont le président n’est autre que l’irrem-plaçable patron franco-libanais-brésilien. C’est là que se concentrele pouvoir. C’est dans les bureaux de RNBV, à Amsterdam, que la ren-contre au sommet Renault-Nis-san se tiendra jeudi 29 novembre.

Cette mécanique des synergiesrapporte près de 6 milliards d’euros en baisse de coûts indus-triels aux trois entreprises cha-que année. Tout est parti desachats, avec la création de la Re-nault-Nissan Purchasing Organi-zation (RNPO) en 2001. L’idéeétait simple : en mutualisant tout ce qu’on achète, on baisse les prix de revient. Cette logique a été étendue avec succès à la recher-che et au développement, à la lo-gistique, à l’organisation de la production, à la stratégie qualité, à l’après-vente…

Production croiséeEt le système ne s’arrête pas là. Comme chez les constructeurs in-tégrés mais multimarques (parexemple, le groupe Volkswagen),Renault-Nissan-Mitsubishi s’ap-puie sur trois plates-formes tech-niques communes, les CMF (pourCommon Module Family), à partir desquelles sont produits des di-zaines de modèles aux silhouet-tes variées. Par exemple, des véhi-

cules aussi différents et emblé-matiques des deux marques que le Nissan Qashqai et les RenaultScenic et Talisman dérivent d’unmême module : la CMF-C/D.

La logique est poussée encoreun peu plus avec ce que l’on ap-pelle la production croisée (on fa-brique du Nissan chez Renault et du Renault chez Nissan). Fré-quent dans les usines de moteurs ou de boîtes de vitesses, le prin-cipe s’étend désormais à dix sites d’assemblage de véhicules de l’al-liance dans le monde, dont trois en France. Par exemple, en 2017, l’usine Renault de Flins (Yvelines) a produit 94 000 Nissan Micra destinées au marché européen,ou encore le site Renault de Bu-san, en Corée du Sud, a fabriqué122 400 Nissan Rogue, des 4 × 4 ur-bains écoulés sur le marché nord-américain.

Pendant vingt ans, le travail leplus essentiel de M. Ghosn a été de faire avancer cette intégrationindustrielle. Avec des succès va-riés : « Si, côté achats et ingénierie, l’alliance fonctionne bien, dans les usines c’est plus poussif », juge unexpert industriel. Le plan Alliance2022 de Carlos Ghosn – dévoilé en 2017 et toujours en vigueur – répond à cette critique en don-nant un sérieux coup d’accéléra-teur au partenariat. Le projet pré-voit en particulier que, d’ici qua-tre ans, les deux tiers des véhicu-les vendus par les troisconstructeurs seront assembléssur des plates-formes communes (en 2016, on n’en était qu’à 20 %). Un module véhicules à batteries sera créé. Il permettra de produiredouze modèles 100 % électriques à partir d’un lot de composantscommuns. Au total, ce sont 10 milliards d’euros de synergiesqui sont attendus.

Mais d’ici là, l’alliance existera-t-elle encore ? Ou aura-t-elle dis-paru, victime des antagonismes nationaux ? Chaque constructeur reviendra-t-il à sa dimension ori-

ginelle ? « Ce serait aller contre le cours de l’histoire : nous nous diri-geons logiquement vers la concen-tration d’une industrie encore très atomisée, estime Laurent Petizon,directeur général du cabinet deconseil AlixPartners. Et ce seraitla pire des manières d’affronter la zone de turbulences sévères qui esten train de secouer l’industrie automobile. Bref, cela n’aurait pas de sens. Mais le Brexit non plusn’avait pas de sens. Et pourtant le Brexit a eu lieu. » p

éric béziat

Cette mécaniquedes synergies rapporte près de 6 milliards

d’euros en baissede coûts

industriels auxtrois entreprises

chaque année

Les mille et une façons d’arrondir les fins de mois des PDG japonaisAu Japon, la rémunération des dirigeants est dix fois moins élevée qu’aux Etats-unis

tokyo - correspondance

L e Japon comble son retarddans la rémunération desdirigeants d’entreprise.

Longtemps l’Archipel n’a offert que des revenus « limités » aux PDG, par rapport aux standards en vigueur en Europe et aux Etats-Unis. En 2017, leurs rémunéra-tions s’élevaient en moyenne à 1,2 million de dollars (1,06 million d’euros), contre 11,7 millions de dollars aux Etats-Unis (calcul ducabinet Willis Towers Watson).

Mais les pratiques évoluent,comme en témoigne le classe-ment réalisé à partir des déclara-tions de revenus fournies par les entreprises au terme de l’exercice 2017 clos fin mars : 538 dirigeants (travaillant pour 240 sociétés) ont gagné plus de 100 millions de yens(778 000 euros). Soit 15 % de plus qu’en 2016.

En tête du podium, Kazuo Hirai.Pour sa dernière année à la tête de Sony, il a perçu 2,7 milliards de yens (21 millions d’euros). Dans le classement figure également des étrangers comme Didier Leroy, le

Français vice-président de Toyota, avec 9 millions de dollars (8 mil-lions d’euros), 50 % de plus qu’en 2016. Quant à M. Ghosn, qui a renoncé à ses fonctions de PDG de Nissan en 2017, il a officielle-ment gagné 6,6 millions de dol-lars (5,8 millions d’euros), 30 % de moins sur un an.

Paradis fiscauxLa rémunération des dirigeants ne s’arrête pas au salaire. L’Archi-pel sait jouer de l’optimisation fiscale. Ainsi Masayoshi Son, fon-dateur du géant des télécomsSoftbank et première fortune du Japon (19,3 milliards d’euros),d’après Forbes, a touché en 2018un salaire de 137 millions de yens.Il aurait en outre perçu l’équiva-lent de 10,2 milliards d’euros dedividendes.

Sur les 8,3 milliards de yens de ré-munération reçus par Tadashi Ya-nai, fondateur de Fast Retailing, société propriétaire d’Uniqlo, et deuxième fortune de l’Archipel (17 milliards d’euros), 96 % sont des dividendes. Cet engouement pour les dividendes s’explique par

leur fiscalité. Si le taux marginal d’imposition sur les revenus est de45 % pour les rémunérations an-nuelles de plus de 40 millions de yens, les dividendes sont, eux, taxés à 20 %.

Les patrons ont aussi recoursaux montages et aux paradis fis-caux. Kazuo Okada, 16e fortune du Japon (2,6 milliards d’euros) et di-rigeant d’Universal Entertain-ment, un fabricant de machines à sous, a établi une structure à Hon-gkong gérant les 55 millions d’ac-tions qu’il détient dans son groupe. Le président de Lixil, Yoi-chiro Ushioda, serait résident de Singapour. Tadashi Yanai aurait placé des avoirs aux Pays-Bas.

Autre aspect important du fonc-tionnement à la japonaise, la légis-lation sur les abus de biens so-ciaux reste souple. Les propriétai-res de compagnies, familiales no-tamment, préfèrent laisser l’argent dans la société et l’utiliser à des fins personnelles dans le ca-dre, notamment, des activités de responsabilité sociale des entre-prises : le financement d’un or-chestre, l’achat d’un vignoble ou la

construction d’un golf. « L’entre-prise finance souvent la danseuse du patron », s’amuse un ex-ban-quier d’affaires de Tokyo.

Cela s’accompagne d’avantagesen nature, logement, voiture avec chauffeur ou bureaux, dont les di-rigeants bénéficient même à la re-traite. Pour améliorer leurs pen-sions, ils héritent de postes de con-seillers ou d’administrateurs, par-fois jusqu’à plus de 80 ans. Vingt-deux administrateurs de Mitsubishi Electric Corporation touchent plus de 100 millions de yens (778 000 euros) par an, in-cluant bonus ou stock-options.

Cela alors qu’ils ont bénéficié du« taishokukin », la traditionnelle enveloppe versée à l’employé au moment de son départ à la re-traite. Kazuo Hirai, de Sony, a reçu pour la fin de son activité un por-tefeuille d’actions d’une valeur de 1,18 milliard de yens. Dans l’affaire Carlos Ghosn, accusé d’avoir mi-noré ses revenus, sa défense expli-que que les revenus non mention-nés devaient servir pour une forme de taishokukin. p

philippe mesmer

LE CONTEXTE

DES PRÉCÉDENTES ALLIANCES RATÉESFord-MazdaFord Motor Company a contribué à la restructuration du japonais Mazda Motor Corporation, en for-mant une alliance, en 1979, avec une prise de participation de 25 %. Ce chiffre a été porté à 33,4 % en 1996. L’américain a re-noncé à sa position de premier actionnaire en 2010 et ne détient plus de parts de Mazda.

General Motors-ToyotaNummi était le nom de l’usine détenue à 50-50 par General Mo-tors et Toyota. Cette unité a commencé à produire des voitu-res en 1984. Mais l’usine a fermé en 2010, après la faillite de GM et le retrait de Toyota.

Daimler Chrysler-Mitsubishi MotorsDaimler Chrysler a acquis une participation de 37 % dans Mitsubishi Motors Corporation en 2000, mais l’alliance s’est ré-vélée rapidement chaotique. Carlos Ghosn a procédé à un achat de 34 % du capital de Mit-subishi par Nissan, en 2016.