Aux glaces polaires by Pierre Jean Baptiste Duchaussois

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Aux glaces polaires by Pierre Jean Baptiste Duchaussois

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Project Gutenberg's Aux glaces polaires, by Pierre Jean Baptiste DuchaussoisThis eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and withalmost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away orre-use it under the terms of the Project Gutenberg License includedwith this eBook or online at www.gutenberg.org/licenseTitle: Aux glaces polairesIndiens et esquimauxAuthor: Pierre Jean Baptiste DuchaussoisRelease Date: July 14, 2015 [EBook #49441]Language: FrenchCharacter set encoding: UTF-8*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK AUX GLACES POLAIRES ***Produced by Laurent Vogel, Nicole Pasteur, Chuck Greif and the OnlineDistributed Proofreading Team at http://www.pgdp.netDU MME AUTEUR:_Les Surs Grises dans lExtrme-Nord du Canada_ (Deuxime dition).Traduction anglaise de ce volume par le R. P. Thomas Dawson, O. M. I.:_The Grey Nuns in the Far North_ (Mc Lelland and Stewart, Toronto,Canada).DOIVENT PARAITRE:I.--_Aptres Inconnus_ (Les Frres Coadjuteurs O. M. I. dans lesvicariats arctiques).II.--_DEdmonton lOcan Glacial_ (rcit de voyage).AUX GLACES POLAIRES_Indiens et Esquimaux_IMPRIMI POTEST._Edmonton, die 6 januarii 1921._HENRI GRANDIN, O. M. I._Provincialis (Alberta-Saskatchewan)._IMPRIMATUR._Parisiis, die 19 Martii 1922._ Ludovicus, Card. DUBOIS_arch. Paris_._Tous droits de reproduction et traduction rservs pour tous les pays_R. P. DUCHAUSSOISOblat de Marie ImmaculeAUXGlaces Polaires_Indiens et Esquimaux__Je meurs content, Jsus,maintenant que jai vu votre tendardlev jusquaux extrmitsde la terre!_(Paroles du Pre Grollier expirant, la mission de Notre-Dame de Bonne-Esprance,fort Good-Hope, CerclePolaire, le 29 mai 1864.)TRENTE-TROISIME MILLECet Ouvrage est en vente au prix de Frs. =7.50=--=8.75= francoPARISUVRE DES MISSIONSO. M. I.4, Rue AntoinetteP. TQUILIBRAIRE-DITEUR82, Rue Bonaparte1922[Illustration: S. G. Monseigneur DONTENWILL_Archev que de Ptolmas_Suprieur gnral de la Congrgation des Missionnaires Oblats de MarieImmacule]=A Sa Grandeur, Monseigneur Augustin DONTENWILL, Archev que dePtolmas, Assistant au Trne pontifical, Suprieur gnral de laCongrgation des Missionnaires Oblats de Marie Immacule.=_Saint-Albert (Canada), 8 dcembre 1920._MONSEIGNEUR ET BIEN-AIM PRE,_Voici le livre que Votre Grandeur ma command dcrire.__Il traite dun apostolat de plus de soixante-dix ans, aux latitudesextr mes du monde habit; et il parat une heure o, dans le vicariatdu Mackenzie du moins, nul pr tre na encore pntr, si ce nest vosenfants, les_ Missionnaires Oblats de Marie Immacule._Votre Grandeur a voulu que rien ne ft pargn pour que ce rcit desuvres apostoliques de lAthabaska-Mackenzie pt escompter aussi sonhumble place parmi les ouvrages dethnologie, de gographie etdhistoire gnrale, qui intressent si vivement aujourdhui leslecteurs des publications sur lExtrme-Nord canadien. Cest pourquoivous mavez envoy parcourir, avec Mgr Breynat, vicaire apostolique duMackenzie, qui daignait se faire mon auguste Mentor, les rgions dont jedevais parler.__Ensemble, nous nous lanmes donc dans les immensits arctiques, enesquif lt, en traneau lhiver, logeant dordinaire lenseigne dudsert ou de la for t.__Un un, nous trouvmes, leur poste de joyeux dvouement, tous lesmissionnaires, depuis les vieillards la barbe de neige jusquauxderniers venus. Une une, du lac Athabaska aux abords de lOcanGlacial, nous admirmes toutes leurs missions...__Toutes? Non, je ne puis le dire--et cest la seule dception que jeus emporter de ma vie du Nord--: lune delles, la mission Saint-Raphal,du fort des Liards, ne voulut point de nous. Et, pourtant, quelle f tenous y avait t promise par le R. P. Vacher, son cur errant, que nousavions rencontr, durant lt, au fort Simpson, confluent du fleuveMackenzie et de la rivire des Liards! Il avait tant_ suppli _MgrBreynat daller, cote que cote, encourager ses pauvres Indiens, qui,dans leurs bois presquinaccessibles, navaient pu voir leur v quedepuis longtemps, que le voyage avait t dcid. Nous partirions entraneau, lanne suivante, du Grand Lac des Esclaves, et nous irionsattendre, au fort des Liards, un mois, deux peut- tre, que le dgel nouspermt de revenir en pirogue. En fin de mars, tout fut pr t, en effet;et dj nous fouettions nos coursiers, lorsquarriva une lettre dp chedepuis quatre mois par le Pre Vacher, lequel_ suppliait _le vicaireapostolique et son compagnon de ne point paratre chez lui, attendu quela p che et la chasse avaient compltement manqu, et quil lui seraitimpossible, avec les quelques patates sauves de la gele de lautomne,de nourrir, huit jours, nos personnes et nos chiens.__Vous maviez prescrit dtre court, Monseigneur: On lit assez peu leslongs livres, de notre temps, mcriviez-vous. Oserai-je avouer que montourment aura t de vous obir en cela?__Se voir, un jour, les mains pleines desoigneusement ramasses dans les champsde semeurs de lEvangile, tre rduit sertir dans le cadre restreint que lonperles apostoliques,lointains, o les jetrent tantnen choisir que ce quil fautsest trac, et devoir rejetertoutes les autres dans loubli: se peut-il tche plus douloureuse?LEsprit Saint nous dfend de louer les vivants_--ante mortem, ne laudeshominem quemquam--_je le sais. Mais les morts, mais tous ces aptrestombs dans la primitive Eglise de lExtrme-Nord, ntait-ce pas unlivre entier quil aurait fallu pour raconter les_ Actes _de chacun?__Puisse, nanmoins, leffort qui a t tent de composer, des traitspris tous, la physionomie_ du missionnaire des pauvres au pays desglaces, _apporter une contribution modeste la gloire de lEglisecatholique, notre Mre, et montrer, une fois de plus, quelle seule estla grande civilisatrice, parce quelle seule unifie, dans lgalitdevant Dieu quelle pr che, dans la charit fraternelle quelle ordonne,et dans laspiration vers lternel bonheur o elle conduit, toutes lesraces et tous les peuples de lunivers.__Sans perdre de vue quun ouvrage dhistoire ne possde que la valeur desa documentation, jai espr que la mission, que vous, mon suprieurgnral, maviez confie, me servirait de crance, et que la rvision demon travail, faite par les deux vicaires apostoliques de lAthabaska etdu Mackenzie, me dispenserait darrter sans cesse la lecture par des_renvois. _Aux ouvriers spcialistes de lhistoire, jindiquerai quilstrouveront dans les archives piscopales du Mackenzie, au fortRsolution, le manuscrit do fut tir le prsent volume, et quen margedes affirmations diverses, ils verront, diligemment marques, lessources, indites le plus souvent, do elles auront jailli.__Cest Saint-Albert, notre vieille Mission du Nord-Ouest, et dans lademeure sanctifie par les dernires annes et par la mort du_ Serviteurde Dieu, _Mgr Grandin, que jai eu la consolation de finir cet ouvrage.__A vous, Monseigneur et bien-aim Pre, je le ddie respectueusement, enimplorant sur lui votre bndiction.__Mais, ce jour m me, avant de le confier au courrier de Rome qui vous leportera, et aprs lavoir humblement offert au Sacr-Cur par les mainsde notre Mre Immacule, jirai le dposer, dans la crypte de lanciennecathdrale, sur les tombeaux, qui se touchent, de Mgr Grandin et du PreLacombe; et l, genoux, je prierai ces grands missionnaires du passden disperser les pages, sil plat Dieu, parmi la jeunesse qui sepassionne pour le sacrifice et pour le salut des mes.__De Votre Grandeur le fils trs soumis et trs aimant en N. S. et M. I._Pierre DUCHAUSSOIS, O. M. I.Rponse de Monseigneur le Rvrendissime Suprieur gnral:L. J. C. et M. I._Rome, le 17 fvrier 1921.__Mon bien cher Pre Duchaussois_,_La lecture de votre manuscrit ma procur de consolantes impressions etma donn de vives esprances.__Vous avez exploit une des matires les plus riches qui existent etvous avez russi le faire sans nuire lintrt de votre ouvrage.Bien plus, vous avez trouv, dans cette abondance m me, un moyen devarier les effets et de multiplier le bien que vous en attendiez.__A prendre contact avec de tels exemples, comment les mes gnreuses neconcevraient-elles pas pour lapostolat un dsir des plus intenses? Vousavez su donner tous ces rcits un tour si vivant, vous avez si bienmnag les rapprochements et les contrastes, vous avez mis en lumiredune manire si exacte le courage de nos missionnaires, quil seraimpossible de rester indiffrent devant les faits que vous racontez etles situations que vous dpeignez.__Votre livre mrite encore un loge tout particulier, au point de vue dela documentation; elle est vraiment digne du soin que vous y avezapport.__Une considration, qui nest pas ddaigner, mest suggre par lalecture de quelques-unes de vos descriptions les mieux russies. Nosmissionnaires ne dsirent pas la publicit, tant sen faut; ontrouverait m me parfois quils se taisent trop. Mais je pense que votrelivre leur sera un rconfort, en ce sens quil leur donnera lesprancede se voir soutenus brve chance par de nouveaux pionniers delEvangile. En un mot, ils seront heureux que tout ce que vous ditessoit dit, et dit par un talent tel que le vtre.__Il parat que votre plume ne veut pas sarrter en si bon chemin. Tantmieux! Nous attendons avec une impatience qui se devine les volumespromis, et nous sommes srs quils rpondront aux premiers. Nous savonsque vous continuerez y mettre lamour de votre Famille religieuse,lesprit de zle, et aussi llgance du style, le charme du rcit quicaractrisent celui-ci.__Quant vous, vous savez que vous possdez pour ce travail notre pleineapprobation et tous nos encouragements. Allez donc de lavant et prenezconfiance en Dieu! La bndiction de Celui qui veut le salut de tous leshommes, et particulirement de ces pauvres Indiens et Esquimaux delAthabaska-Mackenzie, ne vous fera certainement pas dfaut. Je mepermets dy joindre la mienne, en demandant au divin Matre de fcondervos labeurs.__Croyez, mon bien cher Pre, mes paternels sentiments en N. S. et M.I._AUGUSTIN DONTENWILL, _O. M. I._,_Arch. de Ptolmas_,Sup. Gnral.[Illustration: QUELQUES FOURRURES DU MACKENZIE]CHAPITRE PREMIERLES FOURRURES_Le PASSAGE DE LOUEST.--Les Fourrures.--La coloniefranaise.--Superficie du Canada.--Etendue de lancienneNouvelle-France.--Les PAYS DEN HAUT.--Les coureurs-des-bois.--LesCompagnies de la Baie dHudson et du Nord-Ouest.--Leur fusion.--Lesvrais pionniers.--Rapports de lHonorable Compagnie avec lesmissionnaires.--Pauvre v que-roi.--Le terrain dgalit._Ceux qui furent les lves des sminaires ou collges ecclsiastiques,de 1860 1900, se souviennent dun v que missionnaire, haut de taille,respirant lhumilit, qui sarrachait parfois ses solitudes delExtrme-Nord amricain, pour aller mendier, de par le Canada, laBelgique et la France, des ressources et des aptres.Ctait Mgr Grandin.A la fin de la causerie cur cur, o il avait dcrit, sans en riendguiser, les difficults de ses missions, du ct des lments et duct des hommes; o la peinture stait faite de plus en plus sombre,comme plaisir, son visage exprimait tout coup lanxit, et sa voixsanimait dune conviction irrsistible:--Dans ce pays de sauvages et de b tes fauves, scriait-il, sous ceciel glacial, sur ce sol couvert de neige, il vient cependant descommerants, qui sexposent tous les dangers, pour acheter des peauxdours et de martres: pas une queue de loup ne se perd dans nos pays dedsolation... Et on ne trouverait pas des pr tres pour y venir chercherdes mes!*****Cette rflexion du vnrable v que nous livre, en deux mots, la doubleclef de lhistoire du Canada, le double secret de tous les efforts parlesquels limmense continent commenc de se conqurir lEurope et Dieu: les _fourrures_ et les _mes_.Lexploitation des fourrures ne fut pas, vrai dire, le premier but desmarins du Vieux-Monde qui abordrent lAmrique. Depuis le Moyen-Age, ler ve des nations riveraines de lAtlantique: Espagne, France,Angleterre, tait de trouver le _passage de lOuest_, conduisant laChine.Y avait-il, entre lEurope et lAsie, du ct de lOccident, une autreterre, et par suite un autre ocan que lAtlantique? La gographie nepouvait que se poser cette question.En 1492, Christophe Colomb, au nom de lEspagne, atteignit lle deSan-Salvador, quil croyait avoisiner les Indes. Do le nomd_Indiens_, qui appartenait aux vritables habitants de lIndeancienne, passa abusivement, pour leur rester, aux Indignes delAmrique. Par la m me erreur, lAmrique fut dnomme dabord les_Indes Occidentales_. Les Indignes furent aussi appels _Peaux-Rouges_,parce quils se teignaient le corps avec de la terre rouge.En 1534, le 24 juillet, sur un cap de la baie de Gasp, Jacques Cartierplante la croix fleurdelise, avec linscription: _Vive la France!_ Ilpense avoir touch un bout de lAsie, et il espre, quen remontant lefleuve Saint-Laurent, il coupera cette presqule asiatique qui lespare encore du Cithay (la Chine).En 1576, Martin Frobisher, au nom de lAngleterre, sarrte dans unebaie de la terre de Baffin, quil croit tre le ple nord, voisin delAsie.Lillusion ne sera pas encore dissipe, plus dun sicle de l, car LaSalle, arrivant au golfe du Mexique, en 1682, croira avoir trouv enfinla mer vermeille de la Chine.Pendant deux sicles, la France et lAngleterre--la Francesurtout--poursuivront la recherche de cette _mer vermeille_ qui doitbaigner lAsie orientale: la France travers le continent de lAmriquedu Nord, lAngleterre travers les glaces de locan Arctique.En 1792 seulement, locan Pacifique sera dcouvert, par del leNord-Ouest et les montagnes de la Colombie Britannique, par AlexanderMackenzie, que conduiront six Canadiens Franais.*****Ces dcouvertes aventureuses du _grand passage de lOuest_, de nature intresser la science et la politique du Vieux-Monde, eussent-ellessuffi attirer dans le Nouveau une immigration blanche capable de lepeupler? Non, pour trs longtemps. Cest pourquoi les premiersexplorateurs, dont lambition tait de crer une Nouvelle-France, semirent en qu te de ressources faire valoir auprs des futurs colons etdes gouvernements europens.Ils songrent lexploitation minire. Des mines, le Canada possdaitles plus riches du globe peut- tre, nous le savons maintenant; mais, ence temps-l, nul ne le souponnait, et le rsultat des premirestentatives pour les trouver fut drisoire.La culture qui, de nos jours, promet au Canada la rputation de grenierdu monde, et qui nourrira des centaines de millions dhommes, seprsentait alors comme chimrique, au sein dinterminables hivers.Autant la vgtation tropicale de lAmrique centrale attirait lesEspagnols et les Portugais, autant les rigueurs relles et lariditapparente de lAmrique septentrionale rebutaient les Franais. Lesmatelots rapatris contribuaient aussi rendre le recrutement peuprs impossible, par des rcits effrayants sur les orages, lesbrouillards, les banquises, les longs et rudes hivers, les attaques dessauvages.... Comment dterminer de paisibles laboureurs quitter leurpetit champ du tant beau pays de France, et traverser, sur de lentsvoiliers, des mers peine sillonnes, pour aller dfricher, sans espoirde succs, de si lointaines for ts?Mais il y avait les fourrures.Elles devaient couvrir ltendue entire du Canada, en juger par ceque nous voyons encore aujourdhui.Ctaient principalement la martre-zibeline, la loutre, la mouffette(sconse), lhermine, le pkan, le putois (vison), lisatis, la fouine,le castor, le blaireau, le lynx, londatra (rat musqu), le glouton,lours noir, lours gris, lours blanc, et le renard de toutes couleurs:bleu, blanc, jaune, crois, argent, noir, cette dernire varitdonnant la plus inapprciable des fourrures.Cette richesse vivante tait l, soffrant aux premires convoitisesvenues. Nos explorateurs, Cartier, Roberval, Champlain surtout, enfirent briller lappt aux yeux de la France.Lindolence du roi et de ses ministres se laissa veiller, et descompagnies commerantes se formrent, dotes du monopole des fourrures;mais--et ctait, en ralit, le but vis par les intelligents_dcouvreurs_-- la condition quelles implanteraient chaque anne surle sol de la Nouvelle-France quelques familles de bons catholiquesfranais.*****Ainsi naquit luvre de lvanglisation au Canada. Grce aux fourruresprcieuses, les mes purent tre conquises.Si les Indiens, en effet, neussent trouv sous leurs flches que lebison, llan, le renne, le phoque, dont la chair pourvoyait leurnourriture et la peau leurs habits, combien de sicles encore lepaganisme les et-il retenus dans sa nuit? Mais des lgions danimaux demoindre taille, que les Peaux-Rouges voyaient avec indiffrence, selonlexpression de Mgr Tach, taler au milieu de la dsolation le luxe deleurs v tements, taient l, attirant les commerants et les colonsqui deviendraient les appuis du missionnaire, trop pauvre, lui, et tropfaible pour affronter, tout seul, limmensit sauvage des for tsvierges, de la prairie, des lacs et des montagnes de lAmrique borale.Les compagnies de fourrures, quoique plus ou moins fidles leursengagements de _coloniser_, suffirent donner Champlain, au soir desa vie, en 1633, un sicle aprs larrive de Jacques Cartier, laconsolation de voir stablir dfinitivement la colonie franaise.Des groupes du Perche, du Maine, de lAnjou, du Poitou, de la Saintonge,de lIle-de-France, de la Bretagne et de la Normandie, continurent serpandre dans la valle du Saint-Laurent, depuis locan Atlantiquejusquaux grands lacs centraux: tous, seigneurs et censitaires,artisans et engags qui, tout en dfrichant et cultivant, se livraient la traite des pelleteries, la chasse, la p che.*****Cest dans les cent trente ans qui allrent de limplantation de lacolonie par Champlain au malheureux trait de Paris (1633-1763) que seplace lhistoire pique du Canada: poque o les quelques milliers deFranais de la Nouvelle-France, mollement soutenus par la mre-patrie,eurent faire face, en m me temps quaux difficults de leurtablissement, la jalousie envahissante de lAngleterre et auxincursions dvastatrices des Iroquois, ses sauvages allis.Le trait dUtrecht, en 1713, avait cd lAngleterre lAcadie,Terre-Neuve, et le territoire de la Baie dHudson. Le trait de Paris,10 fvrier 1763, abandonna le reste du Canada.Cette amputation, que la France ressent de plus en plus douloureuse, mesure quelle voit se dvelopper le Canada, ne devint-elle pas le salutde la colonie elle-m me? Le tendre rameau ne se ft-il pas bris, sousla temp te qui secouait dj, jusque dans ses racines, le vieux troncrobuste de la France? Comment le jeune Canada et-il rsist la grandervolution de 1789?*****Les Canadiens franais trouvrent cependant, dans leur nouvellemtropole, une martre acharne touffer, dun m me geste brutal, etleur langue franaise et leur foi catholique. Mais cette rvolution,ils taient prpars. Pris de front, corps corps, sur le terrainnational et religieux, les Canadiens Franais sont indomptables. Ilslont toujours prouv. Ils le montrrent si bien lAngleterre que, deconcession en concession, elle fut oblige de dcrter le rgime de1867, rgime de la _Confdration_, qui gouverne le Canada sur leprincipe fondamental de lgalit civile et politique des deux races,anglaise et franaise, des deux langues et des deux religions. Depuislors, la libralit de lAngleterre ne sest point dmentie, et lesCanadiens Franais peuvent grandir, sous son drapeau imprial, enconservant, sur leur blason, qui est celui du Dominion lui-m me, lavieille devise normande: _Dieu est mon droit_, marie celle de lOrdrede la Jarretire: _Honni soit qui mal y pense_.Et ils grandissent.Ils ntaient que 60.000, lpoque de la sparation davec la France.Les voil multiplis, sans mlange, plus de 3.000.000. La pratique desvertus chrtiennes et familiales a fait merveille. Ils peuplent lamagnifique province de Qubec, une grande partie des provinces maritimeset de lOntario, et ils se comptent prs de 400.000 dans les villes etcampagnes de lOuest canadien. Des 8.500.000 habitants de toutespuissances et de toutes langues, qui composent la Puissance du Canada,le groupe franais est devenu le plus nombreux et le plus homogne.Par les robustes travailleurs de ses champs et for ts, par les lauratsde ses brillantes universits catholiques, franaises et bilingues, cegroupe sera bientt plac la barre de lavenir commercial,intellectuel et social du Canada entier. Toutefois, dans le mouvement dehaute et pure vitalit qui lemporte, il met sa fiert se souvenir dela France, sans oublier ses devoirs de loyaut au drapeaubritannique[1].Lobstacle actuel la paisible prosprit des Canadiens Franaissincarne en une meute dOrangistes, parqus dans lOntario, do ils serpandent par leurs journaux, leurs agences, leur valetaille, afin desalir, blesser et tuer quiconque parle franais et professe lecatholicisme.*****De notre colonie franaise du Canada, il nous faut suivre maintenant,pour aborder du m me coup notre sujet, une phalange intrpide, trop peuconnue, trop souvent dcrie, et laquelle la civilisation etlEvangile sont redevables de la facilit de leurs conqu tes: laphalange des _coureurs-des-bois_.De m me que, plus dun sicle avant Cartier, le dcouvreur attitr duCanada, avant m me le Vnitien Cabot et le Florentin Verazanno, desmarins Basques, Bretons et Normands avaient touch de leurs petitesbarques les rivages du golfe Saint-Laurent et commenc y faire dsirerla France avec sa religion, ainsi les coureurs-des-bois prcdrent danslOuest amricain, avec leur foi catholique et leur amour de la France,les dcouvreurs officiellement envoys par les princes de lEurope.Quel fut le domaine des coureurs-des-bois?Nous connaissons approximativement ltendue du Canada actuel. Comprisentre locan Atlantique lest et locan Pacifique louest, etentre les Etats-Unis au sud et locan Arctique au nord, il mesureenviron 9.500.000 kilomtres carrs, superficie presque gale celle delEurope. Ses lignes droites seraient de 5.000 kilomtres, delAtlantique au Pacifique, et de 3.500 kilomtres, des Etats-Unis sonextr me limite continentale de locan Arctique.Le Canada, ainsi considr, ntait autrefois quune partie de laNouvelle-France, au temps de la domination franaise. La Nouvelle-Francecomprenait en outre Terre-Neuve, le Labrador, le bassin du Mississipi,lAlaska: quivalent de lEurope et de lAustralie ensemble.Le domaine des coureurs-des-bois fut la portion la plus vaste de cetteancienne Nouvelle-France. Il stendait des Grands Lacs Suprieur etMichigan au Pacifique, et de la Floride la mer Glaciale.La gographie franaise primitive appela les rgions situes par delles Grands Lacs, tantt le _Grand Steppe de lOuest_, tantt la _Terrede Rupert_, tantt les _Territoires du Nord-Ouest_. Pour lescoureurs-des-bois, elles neurent jamais quun seul nom: _Les Pays denHaut_, que les Anglais, venus longtemps aprs, traduisirent parlimposante formule: _The Great Lone Land_ (_La Grande TerreSolitaire_).[Illustration: UN VIEUX COUREUR-DES-BOIS]Les coureurs-des-bois sintitulrent firement: _Les Voyageurs des Paysden Haut_.Les _Pays den Haut_ taient le grand inconnu mystrieux.Des sauvages emplums, venus peu peu aux approches des postes avancs,pour troquer des peaux de b tes, avaient parl de troupeaux de bisonsqui couvraient leurs plaines, aussi loin que lil pouvait porter, et delgions de castors qui peuplaient leurs tangs. Ctait vers le milieudu XVIIe sicle, poque o la colonie, aux prises avec les Anglais etles Iroquois, voyait tarir lapport des fourrures, source principale deses revenus. Quelques audacieux se risqurent, la suite des sauvages,dans ces pays inexplors. Ils revinrent chargs de pelleteries et dercits fantastiques. Lre des coureurs-des-bois tait ouverte.*****A quelles profondeurs senfoncrent ces chevaliers errants des plaineset des for ts canadiennes? Par quelles voies? A travers quellespripties? Ils nont point crit leurs aventures homriques. Ils nontpoint laiss de tumulus, de pierres milliaires pour orienter lenqutede lhistoire. Ce que nous savons, cest quen 1680 ils taient dj aumoins 800, en dpit de lordonnance de 1673, qui dfendait aux jeunescolons dembrasser la vie de trappeur, sous peine du fouet, lapremire offense, et des galres, la rcidive, ces exodes tant tenuspour nuisibles aux murs, la religion, lagriculture, lindustrie, la vie domestique, la nation. Nous savons aussi que, moins dunsicle aprs cet dit du roi de France, des coureurs-des-bois avaientgagn jusquau Cercle polaire, et quen 1789, lorsque Mackenziedescendit, jusqu son embouchure, le fleuve qui porte son nom, il neput trouver, pour le guider, quun Beaulieu, rsident du pays, et unquipage franais.Les romanciers, qui prirent ces conqurants du dsert et de lespaceles caractres de leurs personnages, nont rien exagr de leur passionpour la vie des Indiens, de leur courage tout oser, de leur endurance,de leur gaiet surtout, gaiet du bon rire franais dont on riait dunbout du monde lautre, gaiet gouailleuse un tantinet, qui nclate son aise que dans les solitudes des bois, loin de la contrainte, et laquelle les natures les plus moroses sabandonnent, ds leurs premierspas dans la _sauvagerie_.*****Il fut un temps o le mtier de coureur-des-bois tait regard par lajeunesse comme un stage indispensable de sa formation et une professiondhonneur, laquelle il tait lche de se drober. A peinepouvaient-ils chapper la tutelle de leurs parents et tromper lasurveillance des soldats de la colonie, que les jouvenceaux remontaient la sourdine le Saint-Laurent, traversaient les Grands Lacs, et, desbords du Lac Suprieur, se lanaient enfin sur cet Ouest de leurs r ves,cet Ouest fascinant, si fascinant quil lest encore aujourdhui, toutremodel quil soit par la main de lhomme. Ils allaient de lacs enrivires, de bois en savanes, jusqu la _prairie_ immense, dontlimmensit m me invitait toujours davantage la marche et la course.Les plus hardis dpassrent les montagnes Rocheuses. Quelques-unsrevinrent se fixer dans la colonie, ou en France, contents davoir faitleurs preuves. Beaucoup ne regagnaient les _Pays den Bas_ (Ontario,Qubec) que le temps dy vendre leurs fourrures, et, parfois, dendissiper le profit en folles joies; puis ils se replongeaient, pourquinze autres mois, dans la libert. Plusieurs ne reparurent jamais,soit quils eussent trouv la mort dans les eaux, sous la dent desfauves, ou dans les combats sauvages; soit plutt quils eussent pntrdans la vie m me des tribus de leur choix, par des mariages.La noblesse franaise elle-m me se rendit lappel magique des Paysden Haut, et se fit une gloire de se donner le noviciat de lpoque. Ily eut gens dhermine et dpe qui laissrent, jusque dans les neigesles plus lointaines, des rejetons de leur ligne, que lon nomme encoredes de Mandeville, de Saint-Georges, de la Porte, de Charlois, delEspinay, et combien dautres, revenus leur sang et leurs nomssauvages, mais dont les yeux portent toujours des reflets de lantiqueNoblesse!*****Deux de ces coureurs-des-bois furent les initiateurs de la clbreCompagnie de la Baie dHudson, quaucune histoire, religieuse ouprofane, du Nord-Ouest ne peut ignorer, tellement cette Compagnie sestfaite lme matrielle des premiers sicles de ces pays. Ces deuxclaireurs furent Pierre-Esprit Radisson, et son beau-frre, MdartChouart de Groseillers. Ns lun et lautre en France, ils taientvenus, tout enfants, au Canada. Leurs quipes dans les Pays den Haut,telles que Radisson les rapporte, clipseraient les lgendairesaventures de Robinson Cruso.De 1658 1660, dix ans par consquent avant Joliet et le PreMarquette, vingt ans avant La Salle et le Pre Mambr, soixante-dix ansavant La Vrandrye et le Pre Messager, ils parcoururent les rgionsappeles aujourdhui: Wisconsin, Iowa, Dakota-Sud, Montana, Manitoba. En1661-1662, ils atteignirent le versant de la Baie dHudson, virent labaie James, et revinrent Qubec. Leurs fourrures taient si nombreuseset si belles que leur fortune en et t faite, si le gouverneur de lacolonie ne les et confisques, accusant les deux trappeurs de les avoiracquises, sans stre munis du permis lgal.Sestimant injustement ls, Radisson se laisse persuader par uncommissaire anglais de Boston quil doit se venger de toute la France,en livrant lAngleterre le secret des richesses quil a dcouvertesdans les parages de la Baie dHudson. En 1666, il est la cour deLondres avec Groseillers. Il expose ce quil sait Charles II, lun desderniers Stuarts. Une expdition par mer, la Baie dHudson,sorganise. Elle russit. Le prince Rupert, cousin de Charles II, estsaisi par Radisson dun projet de compagnie. Bonne occasion pour Rupert,sorte dcumeur des mers lui-m me, de rtablir sa fortune brise parCromwell. La socit est forme, les fonds runis. Le 22 mai 1670, sansse demander si ce quil donne appartient au roi de France ou au roidAngleterre, Charles II signe la charte qui octroie au _Gouverneur(Rupert) et la Compagnie des Aventuriers traitant dans la BaiedHudson_, la possession sans rserve du sol, le monopole de toutes lesfourrures, avec le droit exclusif de p che et de chasse, dans toute lacontre arrose par les cours deau, fleuves et rivires tributaires dela baie dHudson.Pendant plus dun sicle, la _Compagnie des Aventuriers_ trafiquauniquement aux postes tablis sur le rivage m me de la baie dHudson,sans pntrer dans les terres, les sauvages y apportant eux-m mes leurspelleteries. Mais ce facile commerce ne tarda pas tre troubl par laFrance qui, indigne des empitements de Charles II, ordonna la_Compagnie de la Nouvelle-France_ de semparer des _factoreries_(forts-de-traite) de la Compagnie des Aventuriers. De Troyes,dHiberville, Laprouse sillustrrent dans ces expditions la BaiedHudson. Les forts-de-traite furent plusieurs fois pris et repris. Desbateaux furent couls bas. Il y eut des carnages. Mais le rendement desfourrures compensait si bien les pertes, que la Compagnie desAventuriers tint bon, jusqu labandon de la Baie dHudson lAngleterre, au trait dUtrecht (1713).*****En 1763 (trait de Paris), la France se retira tout fait du Canada.Mais non tous les Franais. Plusieurs de ceux-ci, commerants defourrures, avaient pntr toujours plus loin dans le continent, lasuite des coureurs-des-bois. Ils parvinrent intercepter les veines dutrafic indien qui se rendait la Baie dHudson. En 1783, se voyantcependant individuellement trop faibles pour lutter contre la Compagniedes Aventuriers, ils sassemblrent en une socit admirablementorganise, sous le contrle de quelques actionnaires de Montral,Ecossais dvous aux Stuarts pour les deux tiers, Franais pour lautretiers, mais tous galement mcontents de lAngleterre, et prirent le nomfameux de _Compagnie du Nord-Ouest_.Presque tous les employs de la Compagnie du Nord-Ouest furent desCanadiens Franais. Le franais tait la langue officielle, et lesmatres cossais se firent un devoir de lapprendre et de le parler.Telle fut la cause de leur succs. En quelques annes, la Compagnie duNord-Ouest couvrit lOuest, le Nord, lExtrme-Nord et la ColombieBritannique dun rseau de forts-de-traite.Une seule chance de vie restait la Compagnie des Aventuriers: suivreson adversaire et sinstaller ses cts. Mais lexprience des voyagesdans les steppes et les for ts lui manquait. Son personnel anglais,dautre part, ne pouvait prtendre au prestige affectueux sur lessauvages que staient gagn les explorateurs franais. Ses _engags_ nepouvaient davantage soutenir la comparaison avec les _Voyageurs de Paysden Haut_: guides, timoniers, canotiers, portefaix, coureurs ettrappeurs de colossale renomme. Dans la crainte de sombrer, elle se mit recruter, elle aussi, des serviteurs Canadiens Franais, et savancer vers lOuest, mesure quelle parvenait quiper sesconvois.*****Une suite de combats sanglants, de voies de fait, dexcs abominablesmarqurent les quarante annes de cette concurrence. Le dsert en aenseveli le souvenir. Le tort que se firent rciproquement ces ambitieuxde la fortune fut tel, quau milieu dune abondance inoue de fourrures,les deux socits touchrent lheure de la ruine. Le prtexte desquerelles tait le reproche dinvasion sur le terrain dautrui: Voustes sortis du domaine de votre charte, disait la Nord-Ouest la BaiedHudson. Le pays est anglais, et vous ntes que Franais, rpliquaitla Baie dHudson.Il est plus facile de sembrasser que de se convaincre. Cest ce quefirent les deux rivales, au plus fort de la bataille, en 1821.Tandis quau fond du Nord, commis et engags, hors datteinte des bonnesnouvelles pour une anne encore, continuaient sentre-dtruire, lest tes de Montral et de Londres se rapprochaient. Les capitaux furentmis en commun, les personnels respectifs conservs, tous lestablissements maintenus, les meilleurs articles des rglementsamalgams, et les deux organisations fondues en un corps parfaitementarticul, solide, et rest indestructible jusqu nos jours, sous levocable d_Honorable Compagnie de la Baie dHudson_.Durant cinquante ans, lHonorable Compagnie senrichit des fourrures quelui valut son monopole, de droit dabord, de fait ensuite, dans les_Pays den Haut_.En 1869, le gouvernement canadien lui acheta un domaine de prs de4.600.000 kilomtres carrs, afin den former les provinces actuelles duManitoba, de la Saskatchewan, de lAlberta et de la ColombieBritannique, ainsi que les _Territoires_. Il lui versa une indemnit de7.500.000 francs et lui laissa la libre proprit de trs vastesrserves de terrain, au sein m me des provinces constitues.*****La Compagnie de la Baie dHudson a-t-elle mrit le titre de mre uniquede tout progrs et de toute civilisation, que lui ont dcern quelquestouristes dun rapide t, dans les rgions arctiques? Dautrescrivains lavaient gratifie du m me honneur, en parcourant les plaineset les montagnes du Nord-Ouest proprement dit.La vrit est que, tout en savanant, la faveur descoureurs-des-bois, dans les solitudes sauvages des _Pays den Haut_,elle ferma toujours ses chemins, autant quelle le put, au reste dumonde. Systmatiquement, elle choisissait les dtours les plus aptes drouter les reconnaissances. Sur tous ses employs pesait la loi noncrite, mais absolue, du silence. Lorsquils regagnaient les milieux derace blanche, ils vitaient les journaux comme la peste; et nonseulement se gardaient-ils de raconter les mystres du Nord, mais ilsentretenaient soigneusement la lgende des arpents de neige, etdpeignaient en couleurs effrayantes ces pays jamais inhabitables.Si le _Nord-Ouest_ voit fleurir aujourdhui, sur ses plainesfertilises, dopulentes colonies, si les richesses de ses montagnes etde ses bois se dvoilent, si les p cheries de ses grands lacs sontexploites, cest aux missionnaires quen revient la gloire. Il ontrvl lOuest et le Nord du Canada au Canada lui-m me, qui les ignorajusquen 1867. Les dfricheurs et planteurs, les vrais pionniers duNord-Ouest ont t Mgr Provencher, Mgr Tach, Mgr Grandin, avec leurspr tres, parmi lesquels la civilisation ne louera jamais assez M.Thibault, M. Bourassa, les Pres Vgreville, Tissot, Maisonneuve, Leduc,Andr, Lestanc, Rmas, Fourmond, Hugonard, Lacombe particulirement,dont un homme dEtat canadien a dit quil navait fait quouvrir deschemins pour aller plus loin et lever des autels pour monter plushaut.Nous citerons plus loin les pionniers arctiques.*****Comme ce chapitre prliminaire doit nettement dfinir lattitude de laCompagnie de la Baie dHudson envers nos missionnaires, il importe dedistinguer entre la _haute administration_, compose des directeurs deLondres et du gouverneur les reprsentant au Canada, et les_administrations locales_.La _haute administration_ se montra toujours dfrente, et parfoisobligeante. Elle comprit que son intr t lui dfendait de mcontenterles coureurs-des-bois canadiens, ses serviteurs indispensables, enmaltraitant les pr tres, quils vnraient. Elle savait aussi que lepr tre ne pr cherait aux Indiens que le respect lautorit et letravail consciencieux. Cest ainsi quun acte du gouverneur Simpson, en1858, sauva probablement du protestantisme tout le district duMackenzie. Larchidiacre anglican Hunter avait pris place dans lesbarques qui ravitaillaient cette rgion jusqu locan. Il allaitporter sa doctrine aux sauvages du bas-Mackenzie, avides de religion. LePre Grollier, rsidant au Grand Lac des Esclaves, notre mission la plusseptentrionale alors, voulut suivre le prdicant. Ce que voyant, le_bourgeois_ du Mackenzie et tous ses _commis_ signrent une ptitiondemandant au gouverneur que laccs du district ft interdit, dslanne suivante, et pour toujours, aux missionnaires catholiques. SirGeorge Simpson, en guise de rponse, rprimanda ses subalternes, et leurenjoignit de transporter le Pre Grollier o il lui plairait daller, dele loger et de le nourrir gratuitement, jusquau jour o ils luiauraient bti un abri convenable, lendroit de son choix. Il en fut dela sorte aux dbuts de plusieurs fondations, qui eussent t trsdifficiles, sans le secours de la Compagnie.Mais si la haute administration nentrava jamais le dveloppement desuvres apostoliques, bien des ennuis leur furent mnags, dans lescommencements surtout, par certaines administrations locales. Celles-ci,en vertu de la savante organisation m me de la Compagnie, voyaient lemissionnaire pratiquement livr leur merci[2].Escomptant lesprit mercantile des actionnaires, plusieurs bourgeoissingnirent extorquer, _per fas et nefas_, tout ce qui pouvait allergrossir, de si peu que ce ft, le trsor gnral. Peut- treespraient-ils que les plaintes du missionnaire bless ne pseraientgure, une fois mises en balance avec les profits raliss, et quellesse classeraient delles-mmes, Londres, dans les _de minimis_ dont ilnimporte de se soucier. Dailleurs, narriveraient-elles pas si tard,ces plaintes, tant de mois, tant dannes aprs loccasion du grief,quelles paratraient inopportunes?Une malveillance, raisonnant ainsi, ne pouvait que surveiller durementle missionnaire. Pas plus que le pauvre animal de la fable, il navaitle droit de tondre, dans la toison du Nord, la largeur de sa main. Apeine apprenait-on quun sauvage au bon cur lui avait fait prsentdune fourrure pour lenvoyer son vieux pre de France, ou que lemissionnaire avait nglig doffrir au fort-de-traite une dpouille defouine quil avait tue lui-m me, que les hauts cris se jetaient sur luide toutes parts. On alla jusqu lui faire un crime des lambeaux depeaux dont il confectionnait son v tement, ses simples mitaines. A lamoindre alerte dinfraction aux _droits_ monopoliss par la Compagnie,un rapport tait dress, et lvque du missionnaire incrimin devaitintervenir auprs du gouverneur abus.Tout tait redouter, si le _bourgeois_ joignait lpret cupide lefanatisme sectaire. Malheur surtout au pr tre dont la prsence seraitdevenue la condamnation dune conduite licencieuse!Les bourgeois _tyrans_ ne furent pas le grand nombre. Il y en eut asseztoutefois pour inspirer Mgr Grandin les lignes que nous voulons citer.*****Ctait au commencement. Les quelques missionnaires du Mackenzie, depuisle lac Athabaska jusquau fort Good-Hope, rclamaient un v que. Le PreGrollier, du Cercle polaire, insistait le plus:--Il faut un v que, crivait-il, un v que qui aura sur les sauvageset les engags de la Compagnie, pour les affaires de notre saintereligion, un prestige gal celui du bourgeois pour les affairestemporelles: un _v que-Roi_, en un mot, qui nous gardera, qui nousdfendra. Sans quoi, nous prissons.Mgr Tach, v que de Saint-Boniface, rsolut de faire droit cettesupplique. En attendant le rsultat des ngociations avec le Saint-Sigepour la formation du vicariat dAthabaska-Mackenzie et pour lanomination du Pre Faraud, comme titulaire, il envoya Mgr Grandin, soncoadjuteur, faire la visite de cette immensit.Cest au cours de ce voyage aux glaces polaires, qui dura trois ans, queMgr Grandin crivit Mgr Tach, le 17 janvier 1861:...Que vous dirai-je du pauvre _v que-roi_? Cest que le titredvque-_esclave_ vaudrait bien mieux. Le malheureux v que de ce payssera ncessairement le trs humble serviteur du dernier commis dudistrict. Il ne pourra rien faire sans la Compagnie. Il ne pourra m mese procurer sans elle les choses les plus essentielles la vie. Il seradans la ncessit de fermer les yeux sur les choses les plus blmables,de louer les hommes les plus mprisables, tel quun N... Que peut-onencore attendre dun tel homme qui vous dit quil vous aime enparticulier, et vous dteste comme homme public? Cest peu comprendre laroyaut que de comparer un pauvre v que, dans cette position, unroi.Mgr Grandin avait alors 32 ans. Trente ans plus tard, v que deSaint-Albert, il consacrait Mgr Legal, son coadjuteur. Ce jour-l,arriv au moment dune longue existence, sur ce sommet do lesperspectives noffrent plus au regard que les grandes lignes de leurensemble, confondant les dtails des personnes et des choses qui ontservi les construire, il laissa aller son esprit et son cur unerevue de la vie des missions du Nord et de la sienne. Quelques mots deson patriarcal discours contiennent ce dont il faudra nous souvenir:Lorsque nous pntrmes pour la premire fois dans le territoire duMackenzie, nous emes surmonter une grande opposition de la partde la Compagnie de la Baie dHudson, toute puissante dans le pays,et sans laquelle nous ne pouvions le plus souvent ni voyager, nim me envoyer nos lettres nos suprieurs; il fallait donc compteravec cette Compagnie. Heureusement que la plupart de ses serviteurstaient catholiques, et que, par l m me, elle devait compter unpeu avec nous.*****Il nest quun seul terrain dgalit, sur lequel les commerants defourrures et les missionnaires se rencontrrent trop souvent, et avecune pareille endurance: celui des privations, des sacrifices de toutesles aises de la vie, de la vie elle-m me quelquefois. Des serviteurs dela Compagnie en vinrent changer leurs dernires provisions contre despeaux de b tes apportes par les sauvages. La faim venait alors.Au printemps 1890, Mgr Grouard descendait, en canot, le fleuveMackenzie, jusqu son embouchure o il devait rencontrer les Esquimaux.En passant au fort Wrigley, situ au milieu du district du Mackenzie, iltrouva le _commis_ du poste et son _engag_, occups tous deux dterrer pniblement des racines, afin de retarder la mort. Lhiveravait amen la famine. Dj les malheureux avaient mang les fourrureselles-m mes quils avaient achetes. Mgr Grouard les sauva, en leurdonnant la grosse part de ses propres provisions de voyage.*****Voil les souffrances endures pour les dernires queues de loup delExtrme-Nord, et qui impressionnaient si vivement Mgr Grandin. Ilaimait les rappeler ses missionnaires, comme stimulant de leur zle.Lui-m me se les donnait en exemple:--Oh! douleur! crit-il dans ses notes intimes, dans limmense pays quimest confi il ne se perd pas une peau de b te; et des mes, des mesqui ont cot le sang de Jsus-Christ se perdent tous les jours! Etjhsiterais me sacrifier, moi? _Absit!_[Illustration: MISSIONNAIRE ET PETITS CATCHUMNES ESQUIMAUX]CHAPITRE IILES AMES_Les anciennes nations Peaux-Rouges.--Pourquoi vont-ellesmourir?--La maternelle Consolatrice.--Les Dns et lesEsquimaux.--Athabaska-Mackenzie.--Origine des Dns.--Leurmonographie.--Abjection de la femme, de lenfant, du vieillard.--LaCroix dans les glaces._Le voyageur qui aborde aujourdhui le Canada aux ports dHalifax, deSaint-Jean ou de Qubec, sil vient dEurope; aux ports de Victoria, deVancouver ou de Prince-Rupert, sil vient dAsie; et se laisse emporterde lAtlantique au Pacifique par lun des trois chemins de fer dont lesbras dacier relient ces ocans, voit, dans sa course de 1.200 lieuesaccomplie en six jours, surgir, ici du sein des for ts, l des rives deslacs et des fleuves, plus loin des horizons de la prairie, une pliadede villes magnifiques: Moncton, Rimouski, Lvis, Trois-Rivires,Nicolet, Saint-Hyacinthe, Montral, Valleyfield, Ottawa, Pembroke,Kingston, Toronto, North-Bay, Sudbury, Saint-Boniface, Winnipeg,Calgary, Regina, Gravelbourg, Saskatoon, Prince-Albert, Battleford,Edmonton, Kamloops, New-Westminster; et, de lune lautre des cesvilles, jaillir de toutes parts une floraison de villages, brillantsdavenir.Ce que le voyageur ne remarque pas, tant elle sest efface dj, cestlempreinte des races qui ont fait place celles daujourdhui.Ce que rien ne lui apprendrait plus, cest que la France trouva cetteimmensit peuple de nations sauvages, comptant alors, les principalesdu moins, des millions dindividus, et rduites maintenant des groupeschtifs, mens eux-m mes par une dcadence fatale lanantissementcomplet.Ces _nations_ taient, de lAtlantique aux montagnes Rocheuses: Les_Hurons-Iroquois_, les _Algonquins_, les _Sioux_, les _Pieds-Noirs_; et,des montagnes Rocheuses au Pacifique: les _Tsimpianes_, les _Hadas_,les _Kwakwilth_, les _Sliches_, les _Koutenays_.*****Pourquoi vont-elles mourir?Sans oser comparer nos vues bornes aux insondables desseins de Dieu quiappelle les peuples la vie et les en retire, pour livrer la placequils occupaient dautres peuples, destins grandir et disparatre leur tour, nous pouvons reconnatre que, lorsque la Francese prsenta, les Peaux-Rouges taient affligs de ces signes quiprsagent la fin des nations particulires, comme ils prsageront la findu monde entier: _surget gens contra gentem_. Les tribus se faisaientune guerre sans quartier.Champlain trouva lAmrique dans les batailles, et dut se rangerlui-m me, avec les Hurons et les Algonquins, contre les Iroquois armspar lAngleterre et la Hollande. On sait quelles exterminations cesIroquois portrent dans les camps de leurs ennemis, avant de sgorgerentre eux.La corruption de quelques libertins, injectant son venin au cur de cesenfants de la nature, acheva de les tuer. LIndien, lIndienne seconfirent ces tars de notre race, et furent bientt la proie detoutes les contagions honteuses, que propagrent la malpropret et lapromiscuit sauvages.La petite vrole, la scarlatine fauchrent ensuite les pauvresdbilits, si ignorants de toute hygine quils se jetaient leau, ouse roulaient dans la neige, pour temprer leur fivre.Dailleurs, les Peaux-Rouges se virent trop brusquement saisis par la_civilisation_ des races blanches, civilisation labore, petit petit,par tant de sicles. Lindigne de la prairie et de la for t pouvait-ilne pas tre submerg par cette mare qui se ruait sur lui? Pouvait-illuder la loi de tout organisme astreint se transformer: sadapter oudisparatre? De sadapter on ne lui donna pas le temps. Il neut qudisparatre.Ainsi, pour apporter un exemple, lestomac indien, accoutum sonalimentation trs simple et toute naturelle, ne put rsister nosprparations culinaires pices, factices, indigestes.Que dire alors de leau-de-vie? En prsence de l_eau-de-feu_, comme illappelle lui-m me avec la justesse quil met caractriser tout objet,le sauvage ne rsiste aucune intemprance, aucune sollicitation decruaut. Afin dacheter leau-de-feu, que lui apportaient volont lesCompagnies de la Baie dHudson et du Nord-Ouest, au temps de leurrivalit surtout, il dpeupla ses terrains de chasse, tuant outranceles bisons, les orignaux, les rennes, les chevreuils, dont lescommerants prenaient la chair pour se nourrir, et les animaux fourrures quils demandaient pour senrichir. La passion deleau-de-feu, plus que toute autre, a min la race peau-rouge et rduitses victimes et leurs enfants une misre sans remde. Le gouvernementcanadien, lorsquil prit possession des _Pays den Haut_, dfenditlimportation de lalcool parmi les Indiens. Mais trop tard. Le maltait irrparable.A ceux qui survcurent jusqu ce dernier demi-sicle, restait du moinsla libert. Mais la race blanche, devenue gardienne de la rouge, luimesura m me cette dernire source de sa vitalit.Les Etats-Unis transportrent tous les tronons de tribus compris dansla confdration, dans une section de lOklahoma, quon appela le_Territoire Indien_.Le gouvernement canadien agit plus humainement. Il laissa aux sauvages,vivant dans le voisinage des contres colonises par les Blancs, desterrains de leurs choix, sous le nom de _rserves_. Ces rserves quenous regarderions, nous, europens, comme de vastes fiefs, semblent desprisons ces anciens souverains de la libert. Ils peuvent y vivre,protgs, nourris m me au besoin, par lEtat, mais comme des dtenus,condamns stioler toujours davantage, loin du soleil et de lespace.Il faut avoir vu, disait Mgr Tach, lindomptable sauvage sedresser au milieu des immenses prairies, se draper aveccomplaisance, dans sa demi-nudit, promener son regard de feu surdes horizons sans bornes, humer une atmosphre de libert qui ne setrouve nulle part ailleurs, se complaire dans une sorte de royautqui navait ni les embarras de la richesse, ni la responsabilit dela dignit! Il faut avoir vu cet infatigable chasseur, levantjusqu une sorte denthousiasme religieux les pripties, leschances et les succs dune chasse qui jamais na eu de pareille!Oui, il faut avoir vu tout cela, et voir le sauvage daujourdhui,tranant sa misre, priv de son incomparable indpendance, dans untat continuel de g ne et de demi-jene, ayant ajout ses vicesles dgotantes consquences de limmoralit des blancs! Il fautavoir vu tout cela, et lavoir vu sous linfluence de la sympathie,pour comprendre tout ce que souffrent les sauvages daujourdhui.Depuis 1880, date de ces lignes de Mgr Tach, les sauvages nont pasfini de souffrir. Ils nont fait que sacclimater, pour ainsi dire, ces souffrances, qui les ont rduits quelques groupements de familles,si petits et si trangers les uns aux autres que les unionsconsanguines, auxquelles ils sont comme forcs dsormais, ont commenc rendre invitable leur extinction dfinitive.*****LEglise et enray limmolation du Peau-Rouge, si on let coute.Elle en retarda du moins lagonie. Sa piti maternelle et sa charitdivine veilleront toujours sur les bons, sur les convertis. Sonapostolat continuera de disputer les autres ltreinte duprotestantisme. Elle poursuit au fond de leur retraite les quelquescentaines dinfidles, qui refusrent les pactes du gouvernement, etchoisirent de reculer toujours plus loin dans leurs for ts, dernierrefuge de leur indpendance et de leur paganisme. Divine Consolatrice,elle restera, jusqu la fin, pour endormir sur son cur les derniersbaptiss de ces fires tribus.Le bienfait de la foi a donc t la compensation misricordieuseaccorde par Dieu aux dernires gnrations. Ce travail, entrepris auXVIIe sicle, sous la domination franaise, ralenti au XVIIIe,sous la perscution anglaise, sest pleinement dvelopp au XIXe. LeXXe en verra lachvement.[3]*****Nous devions ce salut de compassion aux anciennes nations trouves parnos pres, dans le Bas-Canada et le Nord-Ouest: nations vanglises parnos missionnaires, et dont les tristes dbris taient sur le chemin quenous avions suivre, pour atteindre, plus loin, beaucoup plus loin,dans les rgions polaires, les deux grandes familles indignes, que nousnavons pas encore nommes, et qui sont lobjet de notre ouvrage: lanation des _Dns_ et les _Esquimaux_.*****Nous voil transports, avec les Dns et les Esquimaux, plus de 3.000lieues de la France, parmi des sauvages dcouverts par lescoureurs-des-bois, guides de la Compagnie du Nord-Ouest, vers 1780; parlEglise Catholique en 1844; et vivant encore maintenant dans ltat denature, qui fut celui des Algonquins, Hurons et Iroquois, au XVIesicle.[Illustration: PIED DE CORBEAU, CHEF DES PIEDS-NOIRS]Les Dns et les Esquimaux ne sont point confins dans des _rserves_.Personne ne leur a contest encore limmensit de leur pays, parce quilest trop froid, trop inculte, trop inabordable. Seuls, les commerantsde pelleteries et les missionnaires sy coudoient, se conformant lavie sauvage, sevrs de toutes les commodits, comme de tous lesmalaises, de la civilisation moderne. Cest pourquoi lhistoire desDns et des Esquimaux doit tre, par elle-m me, la plus simple et laplus intressante du Nouveau-Monde.Le domaine principal des Dns et des Esquimaux est la rgion qui futlongtemps connue sous le nom d_Athabaska-Mackenzie_. Quelques mots dedescription sont ici indispensables.*****Un coup dil jet sur lensemble de la carte murale montre le Canadadcoup en pices gographiques, alignes de lAtlantique au Pacifique:neuf provinces, dont sept se ddoubleraient en des espaces suffisants plusieurs royaumes.Les provinces du premier groupe: Nouvelle-Ecosse, Ile du Prince-Edouard,Nouveau-Brunswick, Qubec et Ontario, suivent les rives duSaint-Laurent, golfe et fleuve, puis les courbes des Grands LacsOntario, Eri, Huron et Suprieur, pour sarrter au mridien le plusoccidental de la baie dHudson. Les milliers de rivires qui baignentles gracieuses Laurentides, les collines odorantes, les bois pleins deramages, les champs panouis, le firmament qui mire son azur dans leslacs de cristal, lharmonie infinie des paysages font de ces provincesde lEst canadien, notre sens, lun des plus pittoresques et des plusagrables Edens que lon puisse r ver.De lOntario aux montagnes Rocheuses, se juxtaposent, spares par ledroit mridien conventionnel, le Manitoba, la Saskatchewan, lAlberta:les trois provinces de la _prairie_ (_the prairie provinces_). Laprairie, qui constitue leur partie sud, sy droule, dans un horizonsans fin, pendant les trois jours que la vapeur met la parcourir, surses 500 lieues de large. Elle a pourtant ses rivires, ses ruisseaux etses lacs, ses coules profondes, et, de loin en loin, ses lots boiss;mais son niveau gnral donne au regard limpression dune plainecontinue. Les gologues la considrent comme le fond dessch de deuxmers, rentres, lune dans locan Glacial, lautre dans la baiedHudson. Le charbon, trouv ds les premires couches du sol, attesteque des for ts lont couverte depuis. Les chausses de castors, qui lazbrent en tous sens, rappellent quelle fut ensuite marcageuse.Aujourdhui, la terre fconde merge partout, nimplorant que le soc dela charrue et le grain du semeur.Des montagnes Rocheuses lOcan Pacifique, nous traversons la ColombieBritannique, ocan ptrifi de montagnes, Suisse du Canada,rservoir dincalculables richesses poissonneuses, minrales etforestires.*****Quant aux noms d_Athabaska_ et de _Mackenzie_, on les chercherait envain sur les cartes rcentes du Canada. Ils ne sont conservs que par laCompagnie de la Baie dHudson, pour dsigner ses districts de fourrures,et par lEglise Catholique, pour dsigner ses vicariats apostoliques.Un seul vicariat runit dabord les deux territoires: le vicariatdAthabaska-Mackenzie. Il exista, comme tel, pendant 40 ans, de 1862 1901, sous Mgr Faraud et Mgr Grouard, son successeur. En 1901, il futscind, cause de son immensit et des progrs de lvanglisation.LAthabaska, au sud, resta Mgr Grouard. Le Mackenzie, au nord, chut Mgr Breynat.*****Le vicariat d_Athabaska_ comprend la partie nord de la province delAlberta, du 55e degr de latitude au 60e, et langle nord-ouestde la province de la Saskatchewan, dans lequel se prolonge et finit lelac Athabaska. Si lon dcompte la partie du bassin de la rivire laPaix, comprise entre le fort Vermillon et les montagnes Rocheuses, etdont les grasses prairies, lhumus profond, se voient envahies par unflot de population blanche, lon remarque que les trois quarts duvicariat dAthabaska font corps avec la partie boise du vicariat duMackenzie. La lisire sud des bois de lAthabaska donne asile quelquesrameaux de la tribu des Cris, de la nation Algonquine, et quelquesrares colons de race blanche. Quant lintrieur de la for t, il estencore, comme lorigine, le terrain vague et libre des sauvages Dns.L, commence le champ arctique, exclusivement exploit par le commercedes fourrures et lapostolat des mes.*****Le vicariat du Mackenzie se partage, avec le vicariat du Keewatin, sonparallle, lespace gographique dsign par _Les territoires duNord-Ouest_ (_North-West Territories_). Il prend le versant de locanGlacial, et laisse au Keewatin presque tout le versant de la baiedHudson.En 1901, date de sa sparation davec le vicariat dAthabaska, levicariat du Mackenzie traversait les montagnes Rocheuses et englobait leYoukon.Mais le Youkon srigea son tour en prfecture indpendante en 1908,et en vicariat apostolique en 1917.Le vicariat actuel du Mackenzie senferme donc entre les montagnesRocheuses et le 100e degr de longitude (Greenwich), de louest lest; et entre le 60e degr de latitude et locan Glacial, du sudau nord. Sa largeur du sud, qui est la plus troite, est assise, lafois, sur les provinces de la Colombie Britannique, de lAlberta et dela Saskatchewan. Au nord, il sagrge chaque anne de nouveauxterritoires, mesure quils se dcouvrent et se prcisent. Le ple nordest la limite de sa juridiction. Son tendue continentale est coupe,vers les deux tiers de sa superficie, par le _Cercle polaire_.Jusquau Cercle polaire se continuent les for ts vierges de lAthabaska:forts, non pas de ch nes, de h tres, de fr nes, de noyers, drables,ou de pins (les moins frileuses de ces espces ne dpassent gure le55e degr de latitude nord), mais de cyprs, de sapins (_pinettes_en langage du pays), de trembles, de peupliers-liards, de bouleaux, desaules. Le bouleau et lpinette sont les pionniers de la vgtation duct de la mer Glaciale.Pass le Cercle polaire, ces arbres, qui taient alls samaigrissantinsensiblement, se rabougrissent tout fait, et seffacent bientt,pour laisser aux vents de locan Arctique une large zone compltementnue, ternellement glace, appele par les Franais la _Terre Strile_,et par les Anglais _The Barren Land_. Sur le seuil de cette vaste avenuede la mer polaire, on peut crire: _ubi nullus ordo, sed sempiternushorror inhabitat: Ici est le sjour du chaos et de lhorreur ternelle_.Cest la patrie des Esquimaux; cest la tombe de leurs premiersmissionnaires, les Pres Rouvire et Le Roux, quils ont massacrs en1913.*****Les Dns habitent les bois de lAthabaska et du Mackenzie, et lesEsquimaux les dserts de la Terre Strile.*****A laquelle des races humaines appartiennent les Dns et les Esquimaux?Lancienne classification de lhumanit en cinq races diverses lesrangeait dans la rouge; mais lanthropologie rattachait nagure tous lesrameaux de lespce humaine trois troncs: le tronc blanc ou caucasique(Japhet), le tronc jaune ou mongolique (Sem), le tronc noir ou thiopien(Cham).Cest indubitablement au tronc jaune, mongolique, smitique quil fautrapporter tous nos Peaux-Rouges et Esquimaux.Lhonneur davoir mis cette vrit en vidence revient un humblemissionnaire du Mackenzie, le Pre Petitot. Les circonstances en furentpresque thtrales.Ctait en 1875, poque de la pousse rationaliste qui sefforait desubmerger dans la ngation et le sarcasme lautorit des Livres Saints,touchant lunit de la cration de lhomme. Le fait des migrationsScandinaves qui colonisrent le Groenland, le Labrador et Terre-Neuve,aux IXe et Xe sicles, ntait pas tabli alors; la facilit dupassage de lAsie lAmrique, par les archipels du dtroit de Behring,paraissait plus que douteuse; et les relations suivies--decommunications et de langage--entre les tribus du Kamtchatka, enSibrie, et les tribus de lAlaska, en Amrique, taient inconnues.Limmigration des peuples indignes pouvait donc tre aisment donnepour impraticable. La science navait qu laffirmer en quelquesdiscours sonores; et cen tait fait de la foi. Si, en effet, lesPeaux-Rouges nont pu migrer dun autre continent, ils sontautochtones. Sils sont autochtones, la rvlation de lunit de notreespce est un mensonge, et la Bible scroule tout entire sur lesruines de sa premire page!Cette conclusion venait dtre formule dans la salle des Cerfs dupalais ducal de Nancy, au mois de juillet 1875, en lAssembleinternationale des savants amricanistes de lunivers. Le baron deRosny, professeur de langue japonaise, prsentait, en une brillanteconfrence, ce fruit dsir des travaux du Congrs; et il rptait,triomphant, avec Voltaire, quon peut citer partout et toujours,disait-il: Du moment que Dieu a pu crer des mouches en Amrique,pourquoi naurait-il pas pu y crer des hommes?La joie des libres-penseurs et lhumiliation des catholiques taient leur comble. A ce moment, le Pre Petitot, qui se trouvait danslassemble, avec le Pre Grouard, se lve, invoque son titre demissionnaire des Dns et des Esquimaux du Cercle polaire, parmilesquels il vient de passer quinze annes, et demande modestement quonveuille bien suspendre jusquau lendemain la conclusion du dbat. Lesapplaudissements firent comprendre au Comit quil devait accepter larequ te du missionnaire.Quelle nuit pour le Pre Petitot, et pour les jeunes novices de Nancy,quil constitua ses secrtaires! On sen souvient encore dans lacongrgation des Oblats de Marie Immacule.Le lendemain, il tait pr t.Il parla, au milieu de la sympathie croissante de lauditoire; mais ilne put finir. Le jour suivant, il poursuivit sa thse, devant une salleque sa rputation faisait dj dborder. Les libres-penseurs semblaientclous dans leur silence, et la foule applaudissait toujours. Aucune desnombreuses clbrits de la science, venues de tous les points du globe,ne fut en tat de rpondre au Pre Petitot. Le Comit, sentant leterrain manquer la cause de limpit, voulut interrompre lorateur,dans son troisime discours; mais lassistance protesta, et force fut M. de Rosny denregistrer cette proposition dment prouve, et dsormaisinattaquable:Il est tabli, par la communaut de leurs croyances, de leursusages, de leurs coutumes, de leurs langues, de leurs armes, avecles races asiatiques et ocaniennes; par leurs souvenirs dautresterres, dont ils dcrivent les animaux inconnus aux leurs, que lesEsquimaux, les Dns et les autres Peaux-Rouges sontincontestablement dorigine asiatique.*****Ce fut, pour la libre-pense, un chec sensible.Le Pre Petitot, venu tout simplement en France pour faire imprimer sesdictionnaires Dn et Esquimau, se vit, sa grande confusion, mis enrenomme par cette victoire, ainsi que par dautres travaux auxquelslinvita ensuite la _Socit de Gographie_; il fut nomm membre desSocits d_Anthropologie_ et de _Philologie_, reut une mdailledargent, en rcompense dune carte de ses dcouvertes polaires, tracede sa main, que la _Socit de Gographie_ sengageait faire graver ses frais, et retourna ses sauvages de Good-Hope, portant laboutonnire de sa pauvre soutane le ruban violet dofficier dAcadmie.Depuis 1875, lorigine asiatique des Peaux-Rouges sest de plus en plusconfirme. Les Dns et les Esquimaux ne sont pas loin dtre dclarsles frres des Chinois et Japonais, tandis que les autres familles serattacheraient plutt aux branches tartaro-finnoises du m me troncmongolique.[Illustration: JEUNE ESQUIMAUDE DU MACKENZIE]La conversion des Dns est un fait presque accompli. Celle desEsquimaux nen est encore qu la semence des martyrs.La diffrence entre les caractres de ces deux familles estsingulirement profonde. Sparons-les, ds maintenant. Un chapitre seraconsacr aux Esquimaux. Aux Dns et leur missionnaires revient laplus grande part.*****Les Dns de lAthabaska-Mackenzie se partagent en huit grandes tribus:les _Montagnais_, les _Mangeurs de Caribous_, les _Castors_, les_Couteaux-Jaunes_, les _Plats-Cts-de-Chiens_, les _Esclaves_, les_Peaux-de-Livres_, les _Loucheux_. Les trois premires occupentprincipalement lAthabaska, et les cinq autres le Mackenzie[4].Les Indiens de ces tribus ont conserv les traits physiques que nous ontdcrits les premiers explorateurs. Mieux prservs, par leur loignementet leur rude climat, de la contamination trangre, ils demeurent lesmoins dgnrs des Peaux-Rouges, les moins affligs de la scrofule, durachitisme, des difformits qui dvorent les restes des nationsIroquoise et Algonquine.*****On peut les peindre bien dcoupls, dpassant la moyenne de notretaille, la t te plutt conique, les pommettes saillantes, les yeux brunfonc et dun luisant huileux, les cheveux noirs jusque dans lavieillesse, ce qui nempche pas les vtrans de la vie, couronnedbne, de commencer leurs discours par ces mots: Tu vois, les hiversont neig sur ma t te; jai les cheveux tout blancs... Cette cheveluredrue, paisse, dfiant notre calvitie pitoyable, est la gloire naturellede lIndien: cest pourquoi le scalp de lennemi fut, de tout temps, lebeau trophe de guerre. Et cependant, comme ils la ngligent sur leurspersonnes! Abandonne sa croissance, elle tombe, la gauloise, surles oreilles et le cou jusquaux paules, quelle ne dpasse gure, tantchez lhomme que chez la femme. Est-il besoin de mentionner quelle est,ds le bas-ge, le chteau-fort de la vermine? Le Dn pur sang estimberbe. Ses dents blanches et richement mailles forment une armaturequi susera sur les durs aliments schs, mais qui ne ptira ni nesbrchera jamais.*****Les hommes marchent, les jambes arques, la manire bancale, la pointedes pieds projete en dedans. Cette tournure est le rsultat voulu dunepratique, plus facile dcrire par la parole que par la plume, laquelle on les a soumis, petits garons: elle donne aux membresinfrieurs une lasticit infatigable pour les courses la raquette, etune souplesse fline pour traquer les fauves.*****Les v tements primitifs taient en peaux de renne, dorignal, ou delivre. Les hommes saffublaient de blouses velues, arrondies par lebas, chancres sur les cts. Les jambes sengageaient, jusqumi-hauteur seulement, dans des tubes appels _mitasses_, que retenaientdes lanires assujetties la ceinture. Une sorte de pagne sauvegardaitla dcence. Le reste des membres tait laiss aux morsures du climat.Nos habits europens neurent point de sitt raison de la coupeancestrale: il est encore des sauvages qui sempressent de faire sauterle fond des pantalons neufs quils achtent, afin de nen garder que lesjambes, en guise de _mitasses_.*****Les femmes portaient la m me blouse que les hommes, mais trs longue. Lafemme dne, modle de modestie, trouverait honteusement sauvagescertaines modes de la dernire civilisation.*****[Illustration: SUZANNE]A larrive des commerants, les Dns, comme les autres Indiens,abandonnrent peu peu leurs habits lgers, chauds et impermables pournos lourdes toffes tisses. Progrs dplorable. Un sauvage ne sait nilaver ni rapicer. Ses hardes, quil dchire sa premire course travers le bois, son lainage, quil empte de sueur et de graisse, ne ledfendent plus contre le rhumatisme, les congestions, les inflammationsmeurtrires.*****Ce nest pas pourtant que la vanit ait oubli tout fait ce coindsol de son empire, et que notre Indien ne tienne _faire toilette_aux grandes occasions. La femme ajoutera une ligne de perles et deverroteries la bordure de sa robe. Lhomme fera lemplette dunechemise, quil passera simplement sur celles quil portait dj: et lespavillons nouveaux de battre avec les vieux, par-dessus le pantalon,aux vents du ciel. Tel est le sort de tout habit quil ne quittera plusson matre quavec les annes, en tombant de lui-m me jusquau dernierlambeau.*****Les sauvages les plus voisins des forts-de-traite se rangent,dailleurs, peu peu, aux soins de lhygine et de la propret. Latenue de quelques-uns devient irrprochable.*****Une seule pice de lancien _complet_ a survcu partout, tant chez lemissionnaire et la religieuse que chez lIndien: le _mocassin_.Chaussure molle, reposante, faite en peau chamoise dorignal ou derenne, et cousue de _nerfs_ (fibres daponvrose), le mocassin, queretiennent quelques tours de deux souples lanires en peau, enveloppechaudement le pied.*****Le logement du Dn est son moindre souci. Il peut tenir la _belletoile_ par des tempratures extr mes. Lorsquil veut sabriter,quelques branchages, jets sur des aunes penchs, lui servent de maison.Ou bien il applique des peaux de renne, dorignal, de phoque, sur desperches disposes en large cercle la base et se rencontrant enfaisceau au sommet: cest la _loge_, la rsidence rgulire. Le litconsistera en une simple toison de buf musqu, dlan ou de loup. Lefoyer tiendra en quelques tisons allums au milieu de la loge. Pourmobilier: un chaudron, quelques tasses en zinc ou en corce de bouleau,dans lesquelles on boit le th--nectar du sauvage--, un fusil, unehache, deux pipes: lune pour lhomme, lautre pour la femme.*****En un quart dheure, la maison sera plie, empaquete sur le canot sicest lt, sur le traneau si cest lhiver. Un autre quart dheure larebtira pour le campement du soir.*****Cest dans ce palais mobile que naquit le roi des for ts glaces; lquil se repose entre ses chasses; l quil fait sa prire Dieu; lquil lui rendra son me, sans regretter ni une richesse, ni unbien- tre quil naura point souponns, et qui auront cot tant desang et de larmes ses frres inconnus, les autres mortels.La langue des Dns[5], inpuisable en mots concrets, peu prsdpourvue dexpressions abstraites, reprsente assez fidlement ltatpsychologique de ces hommes des bois, qui ne connurent, avant lesmissionnaires, que des ncessits grossirement sensibles. Les sens, lavue et loue surtout, la mmoire des lieux et des personnes semblentabsorber les forces de lme et alourdir lessor des facultssuprieures vers les penses leves et les sentiments exquis. Unsauvage apercevra lobjet invisible aux plus perants de nos regards. Ilorientera sa marche sur les constellations de la nuit, sur les teintesdu feuillage, sur la forme des bancs de neige martels par les vents. Ilconnatra, avant ses douze ans, lanatomie dtaille des animaux et desplantes, et nommera chacune de leurs fibres. Il noubliera jamais cequil aura une fois remarqu. Il se guidera, vieillard, dans les ddalesdune for t, o il naura pass quau hasard, dans son enfance. Mais laflamme de son intelligence, parmi tant dorganes en veil, parat dormirsous la cendre dune ignorance sculaire. Non que cette noble facultsoit absente ni impuissante. La logique parfaite qui a bti sa langueest l pour le prouver. Mais de quelle laborieuse ducation ledveloppement complet de ces esprits sera-t-il le fruit? Labstractionpure, si simple quelle nous paraisse, comme le nom dune vertu, commeun coup dil densemble sur les explications dune vrit, leur chappepresque toujours. M me le sens des familires comparaisons, aveclesquelles nous commenons instruire les enfants de nos pays, leur estsouvent un mystre. Racontez un Indien de culture moyenne lesparaboles, limpides et suaves, que Notre-Seigneur daigna proposer notre entendement: vous constaterez combien il ressemble encore auxJuifs lents comprendre. Lorsque vous aurez fini de lui expliquerlhistoire de la brebis perdue, attendez-vous la question: Cettebrebis-l, ou mieux ce renne-l, tait-il bien gras?... Est-ce quelhomme la mang, aprs lavoir attrap?Le Pre Roure, missionnaire des Plats-Cts-de-Chiens, avait longuementexpos lhistoire de Lazare et du mauvais riche une sauvagesse quilestimait des plus veilles. Limage du catchisme de la Bonne Presseavait m me servi dillustration:--Voyons! As-tu compris comme il faut?--Ah! oui, Pre, jai bien compris, rpondit-elle en montrant tour tour le personnage du ciel et celui de lenfer: Lazare, cest moi; leriche, cest toi. Ton hangar est plein de provisions, et moi souvent jenai rien manger!Cherchera-t-on ensuite le sens potique, artistique, chez le sauvage?Pour lui, beaut gale utilit. Une belle for t sera une futaie detroncs demi-calcins par lincendie, travers lesquels son traneaupourra facilement passer, et quil abattra, peu deffort, pour sechauffer. Un alignement de cuissots de rennes, nombreux, entrelards,serait une dcoration sans pareille dans son glise.Le sauvage est un positif.Sans la ngliger tout fait, les missionnaires laissrent au secondplan la formation _artistique_ de lIndien. Ils sappliqurent approfondir les idiomes sauvages, afin de bouleverser leur gniematriel et de les forcer exprimer lme paenne la ralit desvertus, des mystres et des commandements de notre sainte religion.Aprs quoi, ils se mirent enseigner. Ils y russirent. Ce fut unetche de gants.*****Nous appelons les _Dns_, daprs la propre dnomination que toutes lestribus de la nation se donnent elles-m mes._Dn_ veut dire l_homme_, lhomme _par excellence_.Les voisins des Dns, Esquimaux au nord, Cris au sud, recourent, pourse qualifier, aux expressions correspondantes de leurs langues.Tous animent ces mots: _Dn_, _Innot_, _Eniwok_, de lorgueil dunerace qui se croit la seule humaine, et qui mprise ce qui nest paselle-m me, apportant ce naf tribut de confirmation au phnomne,consign sans exception par lhistoire, que tout peuple, ancien oumoderne, grand ou petit, blanc, noir ou jaune, sestima toujours lepremier des peuples.*****Dans quel tat lEvangile trouva-t-il les _Dns_, ces _hommessuprieurs_, ces _uniques raisonnables_, lorsque sa lumire se projetasur leurs dserts?Ils taient _assis dans les tnbres de la mort_.Ils taient ce que nous fmes dans les Germains, qui sacrifiaient Thoret Friga; dans les antropophages de Bretagne et dIrlande; dans lesDruides, pr tres des immolations humaines; dans les Gaulois, adorateursde Bellone et de Mars, et qui buvaient le sang dans le crne de leursennemis. Ils taient ce que nous serions encore bientt, si leursconditions de vie redevenaient les ntres. Laissez une paroisse sanspr tre pendant vingt ans, disait le saint cur Vianney; on y adorera lesb tes. Aprs une moins longue absence, Mose ne trouva-t-il pas sonpeuple aux pieds du Veau dOr? Retournant au paganisme des sauvages,nous finirions comme eux, de m me que nous commenmes avec la barbariede nos aeux, sil est vrai que le barbare est le premier lment de lacivilisation, et que le sauvage en est le dernier dchet.Tous les peuples que na point illumins la Rvlation divine, ou qui enont ddaign les bienfaits, sont idoltres. Le dmon ne fait que rev tirdes formes adaptes aux passions de ses esclaves, pour dcevoir lesraisons livres elles-m mes et corrompre les curs qui ne sont point Dieu. Sil rencontre des instincts froces, il les met en action dansdes sacrifices sanglants et des pratiques de vengeance belliqueuse: cefut le cas des Algonquins de la prairie. Si, au contraire, la nationsauvage, tombe sous sa puissance, possde une me naturellementreligieuse, de temprament pacifique, il la rassure touchant ladbonnairet du vrai Dieu quelle cherche, et exploite sa faiblesse enlui dcouvrant des _gnies_ appliqus sa perte, et dont il lui importedapaiser la mchancet, en les honorant: ce fut le cas des Dns duNord.Les Dns avaient eu leur temps de guerre contre les Algonquins et lesEsquimaux. Puis, ils staient entretus de tribu tribu. Trop dcimsenfin, ils avaient renonc aux combats ouverts, et taient devenus lespoltrons fuyards, que nous trouvmes.Leur imagination leur forge sans cesse des _ennemis_ qui lespoursuivent. Tous les missionnaires du Mackenzie ont assist cesscnes de folles paniques, qui seraient des plus risibles, si ellesninspiraient la compassion. Le Pre pr chera paisiblement, au milieudun camp sauvage; tout coup un cri retentira dans la feuille:_dndjr!_ Sance tenante, les Indiens se prcipitent sur les loges,les abattent, sembarquent, et tous les bras poussent au large lespirogues. Quest-ce donc? Une femme, un enfant, quelque idiot a cruentendre le dclic dun chien de fusil, ou bien il aura remarqu uneherbe froisse. La peur lempoigne. Il jette lalarme: _dndjr!ennaslini! Cest lennemi!_ Rien ne retiendrait le camp emport parlpouvante: ni lassurance donne par le missionnaire que tout estsauf, ni la considration quils se trouvent des centaines de lieuesde toute habitation.Quel est cet _ennemi_, ce _dndjr_ (littralement l_homme mauvais,inimicus homo_)? Personne ne pourrait le dire; personne ne la jamaisvu, bien que chacun affirme lavoir rencontr un jour. Mais il est l,nul nen saurait douter; et il ny a de salut que dans la fuite. Etvoyez lastuce de cet _ennemi_, font-ils remarquer: il ne vient jamaislhiver, le lche! parce que sur la neige nous verrions ses traces, maisseulement lt!Pauvres cerveaux, affaiblis par les privations, par lisolement, par lesanciennes dfaites, et, dit le missionnaire, par le dmon qui multiplieleurs frayeurs, afin daccrditer ses ministres, les _sorciers_, quisarrogent la puissance et le privilge dvincer l_ennemi_, le_dndjr_!Le sorcier, dont le prestige universel na pas encore reu le coupfatal, centralisait jadis le culte des Dns envers les _espritssuprieurs_.Les esprits suprieurs taient rpartis selon le systme manichen: lebon et les mauvais. Du _Puissant bon, Ydarinson_, venait tout lebien: des _Puissants mauvais, Ydarislini_, venaient tous les maux; etlhomme ntait que lenjeu irresponsable de la lutte quils selivraient, lutte dont les mauvais esprits sortaient ordinairementvainqueurs.Le Puissant bon et juste, qui ne se dgageait pas des formes palpablesde lunivers, tait Celui par qui la terre avait t faite,_Noltsini_. Certaines tribus, comme les Peaux-de-Livres et lesLoucheux crurent la trinit de cet esprit, presque la manire desEgyptiens: Le Pre, assis au znith; la Mre, au nadir; le Fils,parcourant le ciel de lun lautre.Un jour, en sy promenant, racontent les Peaux-de-Livres, ce_Fils_ aperut la terre. Alors, tant retourn vers son _Pre_, illui dit, en chantant (et ce chant est conserv parmi lesPeaux-de-Livres): O mon Pre, assis en haut, allume donc le _feu_cleste, car sur cette petite le (la terre, que les Indienscroient tre une le ronde), mes beaux-frres sont depuis longtempsmalheureux. Vois-le donc, mon Pre! Alors, descends vers nous, tedit lhomme qui fait piti!*****La vieille sorcire Katchoti, qui le Pre Petitot demandait si lesDns avaient ou dire que le Fils de Dieu ft venu sur la terre,rpondit:Oui, longtemps avant larrive des Blancs, ma mre me disait quunetoile avait paru dans louest-sud-ouest, et que plusieurs de notrenation sy taient transports. Depuis ce temps-l, nous sommestous spars. Les Montagnais ont gagn le Sud; leurs flches sontpetites et mal faites. Les Loucheux se sont dirigs vers le Nord;leurs femmes sont maladroites. Mais nous, les hommes vritables,nous sommes demeurs dans les montagnes Rocheuses, et il y a fortpeu de temps que nous sommes arrivs sur le bord du Mackenzie.*****Toutes les lgendes indiennes nont pas cette puret. Mais chaque pasde leurs rcits apparat la trace des traditions primitives. LesMangeurs de Caribous racontaient ainsi Mgr Breynat la rvolte et lapunition des anges:Le corbeau tait le plus beau des oiseaux. Il avait la plus bellevoix, et son chant charmait la terre. Mais lorgueil vint dans sonesprit, et cela irrita tellement les autres oiseaux quils seprcipitrent sur lui, le prirent par le cou, et, le tenant de lasorte, le plongrent dans le charbon. Le corbeau, demi-trangl,essayait de crier. Cest depuis ce temps-l quil est noir et quilfait _cro-a, cro-a_.*****Parmi les incohrences et les obscurits du paganisme, les missionnairesfurent cependant heureux de dcouvrir parfois des clarts sur lau-del,entretenues par le bon sens naturel, qui est le regard ingnu et profondde toute me neuve et droite:Jexaminais un jour la main dun vieillard, prive de son pouce,raconte Mgr Tach. Stant aperu de mon attention, il me dit, dunton de conviction qui me toucha: Jtais, la chasse, en hiver,loin de ma loge. Il faisait froid. Je marchais. Tout coup,japerois des caribous (rennes). Je les approche; je les tire; monfusil crve et memporte le pouce. Dj beaucoup de mon sangntait plus. En vain je mefforai den tarir la source.Impossible. Alors jeus peur de mourir. Mais me souvenant de Celuique tu nommes Dieu, et que je ne connaissais pas bien, je lui dis:Mon Grand Pre (_Settsi_), on dit que tu peux tout; regarde-moi,et, puisque tu es le Puissant, soulage-moi. Tout coup, plus desang, ce qui me permit de mettre ma mitaine. Je regagnai ma loge,o je mcrasai de faiblesse, en entrant. Je compris alors quelleest la force du Puissant. Depuis ce moment, jai toujours dsir dele connatre. Cest pourquoi, ayant appris que tu tais ici, jesuis venu de bien loin, pour que tu menseignes servir Celui quima sauv, et qui, seul, nous fait vivre tous.*****Mais ces sentiments de pit envers le vrai Dieu, sils naissaient dansles mes paennes, ne tardaient pas dordinaire y tre touffs parlobsdante terreur des esprits mauvais, et cest devant le sorcier quesinclinaient bientt toutes les penses, toutes les esprances:--A quoi bon, disait le sorcier, vous occuper dun esprit dont le devoirest de vous faire du bien? Laissez-le, et employez vos prires et vosforces vous rendre propices les _puissants mauvais_.*****Ces esprits nfastes, lIndien les voyait par lgions. Ils remplissaientlair, soufflaient dans les temp tes, grondaient dans les rapides,soulevaient les lacs, hurlaient dans les orages, ventaient leschasseurs, dispersaient les poissons, causaient toutes les maladies,frappaient les jeunes gens que la vie navait pas encore uss. Affolspar la crainte de dplaire tant de gnies malfaisants, les Dns seprenaient dans un rseau de superstitions, et ne se confiaient plusquau charme du sorcier, lhomme de mdecine.[Illustration: CHEZ EUX, DANS LES BOIS]Le sorcier entre-t-il en communication directe avec les dmons?Plusieurs missionnaires penchent le croire. Aucun ne laffirmerait. Ilest cependant des faits que ni la prestidigitation ni le charlatanismenont encore expliqus.La sorcellerie dne se diversifie selon son objet. La magie _noire_,qui est la principale, apaise les esprits. L_oprative_ excute desprestiges amusants ou terrifiants. L_inquisitive_ retrouve les chosesperdues, rvle les alles et venues des absents, hte larrive desbarques, etc. La _malfactive_ jette des sorts sur les ennemis. Lesmagiciens, selon le crmonial de cette dernire, se dpouillent deleurs v tements, entourent leur t te et toutes leurs articulations deliens et de franges en poils de porc-pic, placent des cornes sur leurfront, quelquefois une queue leur dos, et, se tenant accroupis dans laposture dun animal, ils chantent, hurlent, roulent les yeux,maudissent, commandent leurs ftiches, et se dmnent dune manirehideuse et bestiale.La _jonglerie_ la plus frquente est la _curative_. Elle procde soitpar succion, soit par incantation, soit par insufflation.Au sujet de cette dernire mthode, le Pre Le Guen, missionnaire de laTribu des Esclaves, reut un jour cette rplique dun sorcier duFort-des-Liards quil essayait de convertir:--Tu nous dfends de souffler sur les malades. Et toi donc! Est-ce quetu ne souffles pas sur les enfants, quand tu les baptises, et sur lesgrandes personnes aussi?Les classifications de la sorcellerie ne sont point dues auxobservations du missionnaire. Il entend, avec douleur, le tam-tam et lesvocifrations; mais sil apparat soudain parmi les nergumnes, silfranchit seulement une certaine limite du voisinage, le chaman sedclare paralys, et la conjuration sarrte. Les dtails connusproviennent des divulgations faites par des sorciers convertis. Lun deces sorciers, homme de remarquable intelligence, devenu ferventchrtien, dvoila ainsi quelques-uns des longs mystres de la jongleriecurative:Lorsque le _mdecin_ se propose de gurir un malade, il sy disposepar un jene absolu, ne buvant, ni ne mangeant durant trois ouquatre jours. Alors, il se fait prparer un _chounsh_, ou loge demdecine. Pendant quon la dresse, il demeure assis dans sa tente,et il sait pourtant tout ce qui se passe au dehors. Il sait dansquelle partie de la for t on a coup les perches qui serviront ladresser et quelle est la nature des arbustes qui les ont fournies.Le _chounsh_ ayant t construit loin du camp, et les perches quile composent lies avec trois cordes, le sorcier, quoi quil nenait pas t inform, dit: Tout est pr t; et, se levant aussitt,il se dirige vers la loge de mdecine, lbranle par trois fois, enfait trois fois le tour, et enfin y pntre et sy couche, enobservant toujours son jene. Aprs y avoir fait un somme plus oumoins long, il procde la _mdecine_. Celui qui, _ cause de sespchs_, est malade, se rend alors auprs du mdecin, accompagndun autre vieux _pcheur_, sain de corps. Il sassied dans la logeet _se confesse_ au jongleur, qui le sonde plusieurs reprises, entchant de lui arracher la connaissance de tous ses crimes. Aprsquoi, il fait descendre lesprit _You-anz_ sur le malade, et,pour cela, il chante en saccompagnant du tambour. Les chants demdecine, dont il y a une grande varit, se composent de trois ouquatre notes tristes rptes satit, avec accompagnement decontorsions et dinsufflations. Plusieurs y m lent de vieux motsqui nont aucune signification dans la langue actuelle, mais quisont rputs blasphmes; tel est, entre autres, le mot _soshlouz_.Lorsque le jongleur connat que lesprit est descendu sur lemalade, il sapproche de lui avec son gnie familier, et, tousdeux, font des _passes_ au malade pour lendormir, et, lespritentrant en lui, il sendort. Alors le _You-anz_ arrache le pchet le jette au loin, et en m me temps la maladie quitte lemoribond. Lesprit, le prenant, le replace sur la terre afin quily vive, et, en ly replaant, il pousse un grand cri qui veille lesauvage parfaitement guri. Cest ainsi que nos anc tresgurissaient les malades. Les sorciers daujourdhui ne sont quedes hommes sans puissance.*****Le missionnaire qui vient de rapporter ce discours, ajoute:En dpit de ce dernier aveu, il est peu dactes de la vie des sauvages,encore infidles, qui ne subissent linfluence de la sorcellerie, tantcette croyance est enracine chez eux.*****La pierre de touche de la valeur morale des socits humaines a t, detous temps, lattitude de la force devant la faiblesse. La faiblessecest la femme, cest lenfant, cest le vieillard.Que furent la femme, lenfant et le vieillard, chez les Dns?Contraste trange! Ces sauvages pacifiques, timides jusqu la lcheten prsence de ltranger, ne connaissaient que la duret, et souvent lacruaut vis--vis des tres sans dfense de leurs foyers.La femme dne gisait, il y a soixante ans, dans lavilissement complet.Aucune joie ne venait jamais toucher son cur, dans sa longue carrirede souffre-douleur. Esclave de lhomme, il la prenait comme pouse, lapr tait, lchangeait, la rejetait, la vendait, selon son plaisir. Lescoups pleuvaient constamment, avec les injures, sur ses paules. Uneflche, une balle pouvait la frapper, au gr de son tyran. Si la vie luitait accorde, aucun droit ne lui tait reconnu. Lhomme allait lachasse, tuait la b te, et son rle tait fini. Tous les travaux, depuisle dpeage du gibier jusqu lapprt du campement, restaient le lot dela femme. Avant que les Blancs eussent appris aux sauvages se servirde chiens, la femme tait attele au traneau, pendant que lhommevagabondait ct. Quand les chiens viennent mourir, on lattelleencore. La pauvre crature ne se croyait pas m me une me, et sonhumiliation lui tait devenue si naturelle quelle ne pouvait croire queDieu soccupt delle, ni que la religion pr che par le missionnaireft pour elle, aussi bien que pour les hommes.En 1856, le Pre Grandin consolait une Montagnaise, baptise, qui sedsolait davoir perdu son fils:--Pour rendre ton cur plus fort, je te prparerai tous les jours pourfaire ta premire communion, lors du passage du grand pr tre (MgrTach).Comme la sauvagesse le regardait tout bahie, le Pre Grandin rpta sapromesse.--Me comprends-tu?--Non.--Je te dis que je vais tinstruire sur la sainte Eucharistie, pour quetu puisses communier, lors de la visite de Mgr Tach, le grand Chef dela prire.--Je ne comprends pas, je ne comprends pas!Dconcert, le missionnaire appela une femme _mtisse_ parlant franaiset montagnais:--Viens donc mon secours. Ma grandmre me comprend pour tout, exceptpour une chose: Je lui dis que je la prparerai pour sa premirecommunion, et elle me dit toujours quelle ne me comprend pas.Aprs les explications de linterprte, la grandmre reprit:--Ah! oui, je comprenais! Mais je supposais que mon petit-fils, lhommede la prire, se trompait, en me disant ce quil ne voulait pas dire.Qui aurait pu supposer quune pauvre vieille sauvagesse pt tre admise la sainte communion?Un sauvage du lac Athabaska vint un jour trouver le m me missionnaire,aprs une instruction qui lavait touch:--Pre, je comprends maintenant que les femmes ont une me comme nous.--Mais je nen ai pas parl.--Oh! Pre, lorsque tu nous as dit que le Fils de Dieu avait pris unemre parmi les femmes de la terre, jai bien compris que les femmes ontune me et un ciel, comme les hommes!La Trs Sainte Vierge Marie, pr che par la religion catholique fut doncla divine main qui refit la femme, mprise du paganisme, cetteaurole de vnration et daffection, que nous ne trouvons jamais tropbelle au front de nos mres chrtiennes. La sauvagesse, enfinrhabilite, bnit, dans la for t, Notre-Seigneur Jsus-Christ, comme Lebnissent les femmes de notre civilisation, qui nont point oubliquelles tristes choses elles seraient encore, sIl ntait venu leverlanathme originel: Je multiplierai tes douleurs, et les replacer,par la prdication de ses aptres, sur le trne de leur dignit humaine.*****Lenfant, chez les Dns paens, partagea le sort de sa mre.Louis Veuillot crivait, en 1866:Le genre humain est dou dune sorte de got tuer les enfants...Il ny a gure que le christianisme qui combatte efficacement cettesingulire coutume; et l o le christianisme baisse, la coutume,vaincue par lui, reprend son meurtrier empire... Quand il ny auraplus de christianisme, comment le progrs fera-t-il pour conserverles hommes?*****Les Dns respectrent, tout le moins, les lois de la nature, et nemirent pas tuer les enfants les raffinements que lon connatailleurs. Ils les laissrent natre.Les garons taient ordinairement les bienvenus, sauf les infirmes, enqualit de futurs chasseurs. Ds que le petit avait tu son premieroiseau, son premier livre, on lui faisait des f tes. Au premier renne,ou au premier orignal, lautorit paternelle navait plus qu dcliner.Le fils, meilleur chasseur que son pre, devenait le matre de la loge,et rglait tout sa volont.Mais malheur aux petites filles! Aujourdhui encore, les mres se dirontfires de leurs garons, et les prsenteront tout venant: Cest un_dnyou_, celui-ci! un _petit homme_! Quant leurs filles, elles nenparlent que le moins possible.Aux temps paens, la mort attendait les petites filles naissant au deldu nombre requis pour les besoins de la race et des travaux. Condamnesdavance, elles taient excutes sur-le-champ. La mre elle-m me sechargeait de les touffer, car lhomme se ft trop avili, si vulgairebesogne. Si lenfant tait pargne, son martyre commenait avec sa vie.Elle grandissait et se prparait son rle dpouse et de mre, enpartageant, avec les chiens, la nourriture et les coups. Durant lesfamines, lorsque les parents se dcidaient manger leurs enfants, cestpar les filles quils commenaient. Lhomme dsignait la femme lavictime du jour, en lui remettant le couteau.Pour lorphelin, quel que ft son sexe, il tait abandonn aux loups,dans les bois; ou bien, si quelque parent le laissait suivre lecampement, sa condition tait si misrable quil et prfr la mort.*****Un spectacle qui na point fini de soffrir pniblement nous, lorsquenous visitons les sauvages christianiss, nous rvle, par la rsistancedes abus tant defforts du missionnaire, quelle dut tre, autrefois,l