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aux limites de l'hermétisme

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Thaddée Lucan

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Thaddée Lucan.

Énoncé théorique sous la direction du professeur Dieter Dietz.Assistant : Marc SchmitDirecteur pédagogique : professeur Harry GuggerMaître EPFL : Menzel Götz

EPFL2011 - 2012

Clôture e(s)t ouverture, Aux limites de l’hermétisme

Avant-propos. Pourquoi l’hermétisme ? .........................................................9 - De l’importance des prisons .........................................................................12 - De l’architecture des prisons… ...................................................................21 - …À l’hermétisme ........................................................................................21 Chapitre I. Définir l’hermétisme. - Signification courante et savante ..................................................................25 - Paradoxe de l’étymologie .............................................................................29 - Synonymes ...................................................................................................32 Chapitre II. Clôture et ouverture. - La limite comme frontière ............................................................................35 - Le passage comme échange ..........................................................................41 - La limite fabrique l’espace ...........................................................................44 Chapitre III. Deux modèles d’hermétisme. ...................................................51 - Le modèle nucléaire ......................................................................................54 - Le modèle de la constellation .......................................................................78 Chapitre IV. Clôture est ouverture. - S’ouvrir à l’hermétisme ..............................................................................107 - Repenser l’hermétisme et l’espace clos ......................................................111 Bibliographie ...............................................................................................115

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Clôture e(s)t ouverture, Aux limites de l’hermétisme

Avant-propos. Pourquoi l’hermétisme ? .........................................................9 - De l’importance des prisons .........................................................................12 - De l’architecture des prisons… ...................................................................21 - …À l’hermétisme ........................................................................................21 Chapitre I. Définir l’hermétisme. - Signification courante et savante ..................................................................25 - Paradoxe de l’étymologie .............................................................................29 - Synonymes ...................................................................................................32 Chapitre II. Clôture et ouverture. - La limite comme frontière ............................................................................35 - Le passage comme échange ..........................................................................41 - La limite fabrique l’espace ...........................................................................44 Chapitre III. Deux modèles d’hermétisme. ...................................................51 - Le modèle nucléaire ......................................................................................54 - Le modèle de la constellation .......................................................................78 Chapitre IV. Clôture est ouverture. - S’ouvrir à l’hermétisme ..............................................................................107 - Repenser l’hermétisme et l’espace clos ......................................................111 Bibliographie ...............................................................................................115

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à mes parents,Odile et Jacqueset Chloé...

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AVANT PROPOS

Pourquoi l’hermétisme ?

     « L’architecture est le grand livre de l’humanité, l’expression

principale de l’homme à ses divers états de développement, soit comme

force, soit comme intelligence »1. Si Victor Hugo, dans Notre-Dame de

Paris, restreignait alors la portée de son affirmation à la période allant de

« l’origine des choses jusqu’au quinzième siècle » il semble qu’aujourd’hui

encore celle-ci puisse s’appliquer à notre monde et découvrir une vérité

éternelle de l’architecture. Frank Lloyd Wright ne déclarera-t-il pas, près

d’un siècle plus tard « que l’heure est venue pour l’architecture de

reconnaître sa propre nature, de comprendre qu’elle dérive de la vie », alors

même qu’en 1923, en France, paraissait le premier numéro de la revue au                                                                                                                1 Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris, éd. Eugène Hugues, 1832, p. 230.

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Pourquoi l’hermétisme?

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titre significatif L’Architecture vivante. Bien d’autres exemples pourraient

encore être ici employés pour souligner ce qui apparaît bien être un lieu

commun de la pensée en architecture, l’idée que l’architecture est avant tout

le reflet de la vie des hommes, le reflet d’une société, d’une mentalité, d’une

époque donnée et des problèmes qui l’accompagnent.

C’est de cette idée implicite que je suis parti, lorsque, au gré de mes

lectures et de mes expériences, je me suis intéressé à un thème qui a priori

ne semblait pas si proche des problématiques architecturales, celui de la

prison. Voyant dans ce sujet d’actualité brûlant la cristallisation de questions

à la fois politiques, démocratiques, sociétales et sociologiques, il m’a semblé

que, si Hugo, Wright, Le Corbusier et bien d’autres avaient raison, si

l’architecture était bien « l’expression principale de l’homme », « dériv[ant]

de la vie », une architecture vivante, alors le thème des prisons devait aussi

être pour elle d’une importance majeure, et l’une des façons de comprendre

ce que représente aujourd’hui la prison en France, et en général dans nos

sociétés démocratiques modernes, était de partir du point de vue de

l’architecture pour en cerner l’essentiel. Plus encore, se définissant avant

tout comme « un établissement fermé aménagé pour recevoir les

délinquants »2, comme un espace clôt donc, avant de renvoyer à une « peine

privative de liberté subie dans ce local »3 ou à une institution, la prison, prise

comme objet à la fois social et spatial, apparaît comme un objet de pensée                                                                                                                2 Article « Prison », Dictionnaire Le Micro-Robert, dir. Alain Rey, Canada, 1988, p. 809. 3 Ibidem.

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privilégié pour l’architecture. Or, force est de constater que les faveurs des

plus grands architectes sont allées jusqu’ici à des programmes de logements,

ou des programmes dont le succès provenait moins de l’avancée sociale et

sociologique dont ils seraient les témoins que de la beauté de l’œuvre

achevée, de sa célébrité et de sa gloire médiatique. Certes, on peut citer à

titre d’exemples marquants le projet réalisé par Rem Koolhaas de la prison

de Koepel Panotique à Arnhem (Pays-Bas, 1979-1981), ou celui de

Neutelings à Dordrecht (Pays-Bas, 1993), mais la liste de références serait

immédiatement allongée si nous abordions ici la question de l’architecture

des musées, des centres culturels, des palais des congrès... Mon ambition et

ma motivation premières étaient donc de souligner l’importance des prisons,

et de voir ce que l’étude architecturale pouvait m’en apprendre, mais aussi ce

que le concept de prison pouvait me faire découvrir de l’architecture, en

voyant à quels outils d’analyse il renvoie, quels concepts il éclaire, quelles

possibilités il ouvre.

Rem Koolhaas, étude de la rénovation d’une prison panoptique, Arnhem, Pays-Bas, 1979-81. in S,M,L,XL.

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Pourquoi l’hermétisme?

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De l’importance des prisons.

Puisque le point de départ d’un mémoire est l’étudiant qui doit le

définir, il importe en premier lieu d’exposer l’importance personnelle que

représente pour moi le thème de la prison. M’intéressant depuis longtemps à

l’univers particulier qu’est l’univers carcéral, parce qu’il représente un lieu

habité sans trêve, véritable communauté autonome, mais aussi parce qu’il

accueille des individus mis à l’écart d’une société dont ils sont pourtant le

produit, j’ai beaucoup lu, beaucoup vu aussi, de documentaires, de films ou

de reportages sur cet univers sans jamais toutefois avoir le sentiment d’en

comprendre le fonctionnement. Ma motivation provient donc à la fois d’une

curiosité nourrie au fil des années, mais aussi du sentiment, plus

Riedijk Neutelings, prison PI 196, Dordrecht, Pays-Bas, 1993. in At Work (2004).

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professionnel, que l’architecte détient également une responsabilité

importante dans le fonctionnement et la vie des prisons, et, a fortiori, dans la

capacité de celles-ci à réhabiliter ou non les prisonniers.

Néanmoins, loin du seul divertissement ou d’une curiosité

singulière, mes recherches ont aussi été largement guidées par le fil de

l’actualité, en France particulièrement, où le sujet des prisons a pris une

importance cruciale, à la fois démocratique, politique et sociétale.

En effet, il suffit de voir l’inflation d’articles français écrits

récemment au sujet de la surpopulation carcérale ou de la honte de la France

de l’état de ses prisons pour comprendre qu’il ne s’agit plus seulement d’un

enjeu disciplinaire ou judiciaire, mais bien d’un problème de société

complexe qui révèle un visage triste de notre société. Les titres de ces divers

articles parlent d’ailleurs d’eux-mêmes : si l’on s’en tient au seul journal Le

Monde, l’un des quotidiens les plus lus en France, celui-ci titrait le 20 mai

2011 « Prisons : triste record », et plaçait à l’entrée de son journal un

éditorial intitulé « Prisons surpeuplées ou peuple suremprisonné ? » dans

lequel il rappelait qu’au 1er juillet 2011 73 320 personnes étaient placées

sous écrous en France, chiffre qui atteint aujourd’hui les 74 108 personnes4,

un record absolu dans l’histoire pénitentiaire. Le 26 juillet l’article « Prison :

silence, on entasse » rappelle que l’Etat français est à nouveau condamné, à

trois reprises en quelques semaines, par la justice administrative « en raison

                                                                                                               4 Chiffres donnés par le ministère de la Justice française et accessible en ligne sur son site http://www.justice.gouv.fr/prison-et-reinsertion-10036/les-chiffres-clefs-10041/statistiques-mensuelles-de-la-population-detenue-et-ecrouee-22209.html.

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Pourquoi l’hermétisme?

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des conditions d’existence qui ont cours dans ses prisons […] (cellules trop

exiguës, toilettes non cloisonnées, absence de ventilation, mauvaise hygiène

des locaux, impossibilité de circuler pour les détenus handicapés…) ». Le 15

octobre, il titrait encore « Comment les prisons françaises fabriquent de la

récidive », en soulignant que 59% des détenus sont de nouveau condamnés

dans les cinq ans suivant leur libération. Le 15 novembre, la surpopulation

carcérale est de nouveau invitée dans les tribunes du quotidien, quatre mois

après l’article déjà cité, avec un article dont le titre sobre indique aussi

l’impasse devant laquelle l’indifférence des Français et des dirigeants nous

place « La surpopulation carcérale s’aggrave en France ». Enfin, le 26

novembre Le Monde y consacre de nouveau son éditorial et choisit un titre

aussi inquiétant que réel « On meurt dans les prisons françaises ».

Journal Le Monde, 26 novembre 2011

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En chiffre, sur les 74 108 personnes écrouées en France, 65 262

personnes sont détenues dans les prisons françaises, ce qui représente une

augmentation de 6,2% par rapport à l’année précédente, et une augmentation

de 50% sur dix ans, les 8 846 personnes restantes bénéficient

d’aménagements de leur peine, c’est-à-dire de liberté conditionnelle ou

surveillée (bracelet électronique). Pendant cette même période le nombre de

places disponibles n’a guère évolué, alors que les condamnations de la Cour

Européenne des droits de l’homme ne cessent, elles, d’augmenter. Les 189

établissements pénitentiaires que compte la France n’offrent en effet que 57

268 places. On compte ainsi 367 détenus pour 180 places à Béthune (203,9

%), 882 pour 588 à Villepinte (150 %), 239 pour 94 à Nouméa (254,3 %), 89

pour 40 à La Roche-sur-Yon (222,5 %), 604 pour 371 à Gradignan (162,8

%), 163 pour 90 à Auxerre (181,1 %) (chiffres au 1er juillet 2011, selon la

direction de l'administration pénitentiaire)5. Dans un rapport récent, l’Ined

(Institut national d’études démographiques) rappelle que « le taux de suicide

augmente depuis 50 ans en milieu carcéral en France métropolitaine »6, une

augmentation reprise depuis 2008 qui ne cesse de s’accroître, et ajoute que

« La France présente le taux de suicide carcéral le plus élevé de l'Europe des

Quinze, avec des détenus qui se suicident 5 à 6 fois plus que les hommes

âgés de 15 à 59 ans ».

Devant une telle urgence, de nombreux projets de création de prisons

ont été lancés, le président de la République, Nicolas Sarkozy, ayant même                                                                                                                5 Article « Prisons : silence, on entasse », Le Monde du 26 juillet 2011. 6 « Suicide en prison : la France comparée à ses voisins européens », in Populations et sociétés, n° 462, Décembre 2009.

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Pourquoi l’hermétisme?

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1960 1970 1980 1990 2000 2010

Jan- 2006 Jan- 2007 Jan- 2008 Jan- 2009 Jan- 2010 Jan- 2011

56 000

58 000

60 000

62 000

64 000

66 000

68 000

70 000

64 003

66 178 66 089

68 975

10 000

20 000

30 000

40 000

50 000

60 000

France

Danemark

Belgique

Portugual

Royaume-Uni

Finlande

Suède

Italie

Autriche

Allemagne

Irlande

Pays-Bas

Espagne

Grèce

0 3 6 9 12 15 18 21

Source: G. Duthé, A. Hazard, Population & société, n°462, INED, décembre 2009.OPI, Observatoire International des Prisons, Les conditions de détention en France - rapport 2011.

30

25

20

15

10

5

Taux pour 10 000

Évolution du taux de suicide dans les prisons françaises depuis 1960

Taux de suicide en prison dans l’Europe de quinze,moyenne 2002-2006.

Évolution de la population sous écrou en France depuis 2006.

Effectif de la population emprisonnée en France 1950-2005.

1960 1980 2000

Source: G. Duthé, A. Hazard, Population & société, n°462, INED, décembre 2009.OPI, Observatoire International des Prisons, Les conditions de détention en France - rapport 2011.

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annoncé mardi 13 septembre la création de 30 000 places de prisons d’ici à

2017. Néanmoins, comme le rappelle encore le rapport paru le 7 décembre

par l’OIP, l’Observatoire International des Prisons, sur Les conditions de

détention en France si « l’augmentation exponentielle du parc carcéral se

poursuit entre 2005 et 2011, [elle ne parvient pas] à enrayer durablement le

phénomène de surpopulation », puisque « l’accroissement du parc carcéral a

tendance à générer une augmentation des incarcérations, si bien qu’il

n’apporte pas en soit une réponse durable au problème de surpopulation ».

Une telle affirmation souligne ainsi de façon claire l’origine du problème et

l’ampleur de ses enjeux. Loin de représenter un simple problème judiciaire

ou pénitentiaire, l’état des prisons indiquent les failles du système pénal

français et pose de nouveau la question que Michel Foucault formulait en

1971 « On nous dit que les prisons sont surpeuplées. Mais si c’était la

population qui était suremprisonnée ? »7. L’évolution des politiques pénales

françaises témoigne, en effet, d’une systématisation et d’une aggravation des

sanctions pénales qui illustrent la façon dont la société française considère

actuellement la peine et la prison. Alors que celles-ci étaient, au sortir de la

Révolution française, puis au sortir de la Seconde Guerre mondiale,

considérées comme des moyens de réhabilitation pour le coupable, et que la

prison apparaissait donc, non pas comme un lieu d’exclusion mais comme

un lieu destiné à favoriser le changement du criminel en vue de sa

réinsertion, l’inflation pénale actuelle et le manque d’intérêt porté à l’état

déplorable des prisons, indiquent clairement que la peine, comme la prison,

                                                                                                               7 Michel Foucault, « Manifeste du Groupe Information Prisons du 8 février 1971 », Dits et Ecrits : 1954-1988, tome II, Editions Gallimard, 1994, p. 174.

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Pourquoi l’hermétisme?

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sont aujourd’hui considérées comme de purs moyens d’exclusion et de

punition. Comme l’a très justement souligné Denis Salas dans son ouvrage

La volonté de punir8, le droit de punir, réduit à sa seule dimension

répressive, est devenu en France l’expression d’une volonté de punir

exprimée par une société apeurée et victimaire cherchant à tout prix à

éloigner le danger, et faisant de la prison le lieu par excellence où peuvent

s’enfermer ses peurs et ses inquiétudes incarnées par des prisonniers

désindividualisés. Le problème des prisons représente ainsi un problème à la

fois politique, social et démocratique mais qui, me semble-t-il, revêt

également une importance pour l’architecture.

                                                                                                               8 Denis SALAS, La volonté de punir, essai sur le populisme pénal, Pluriel, 2005.

Denis Salas, La volonté de punir, Paris, Pluriel, 2005.

Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975.

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Une importance pour l’architecture pour deux raisons. D’une part,

parce qu’avec l’annonce de la création de plus de 30 000 places de prison

d’ici à 2017 les architectes seront appelés à devoir repenser les prisons

françaises pour que les problèmes rencontrés actuellement ne se représentent

pas. Or, au vu des nombreux rapports actuels faisant état de la dégradation

de l’état de santé mental des prisonniers dans les nouvelles prisons, du fait

du manque de contact humain et du manque de lieux collectifs prévus, il

paraît non seulement nécessaire de se repencher sur ce programme, mais

également de tâcher de le repenser fondamentalement en prenant en compte

les données actuelles et le point de vue des prisonniers, principaux

intéressés. Outre la typologie des prisons, il s’agit également de repenser le

fonctionnement et l’apparence interne des prisons en prenant en compte la

parole des détenus, dont l’un d’eux disait précisément à Catherine Rechard,

une journaliste française qui a réalisé un documentaire suivant Le

Déménagement de prisonniers de la vieille maison d’arrêt Jacques-Cartier

(Rennes) vers le nouveau centre de détention de Vezin-Le-Coquet en mars

2010, « Ici, il y a un joli petit confort. Mais le confort, on peut s’en passer.

On ne peut pas se passer de contact »9. D’autre part, et dans ces conditions, il

me paraît d’autant plus probant que les prisons doivent constituer un enjeu

important pour les architectes puisque nous avons une responsabilité face à

la société civile, et plus particulièrement face aux personnes dont l’habitat

détermine la condition.

                                                                                                               9 Article « Les prisons "modèles" interdites de diffusion », Le Monde du 14 octobre 2011. L’article porte précisément sur l’interdiction qu’a reçu la journaliste de diffuser son documentaire, preuve criante du désaveu français.

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Pourquoi l’hermétisme?

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Images tirées du reportage Envoyé spécial : Fleury Mérogis – Les images interdites(reportage filmé par les détenus clandestinement)diffusé le 2 avril 2009 sur France 2.

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

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De l’architecture des prisons …

Mon projet premier était donc de consacrer mon mémoire aux

prisons afin d’en étudier les différentes théorisations et réalisations

architecturales et d’en cerner les enjeux. Mais très vite je me suis aperçu

qu’il s’agissait là d’un sujet trop restreint qui ne m’aurait mené qu’à étudier

un programme restreint et un objet architectural précis, là où mon désir était

d’aborder une notion s’appliquant aussi bien à l’architecture qu’à d’autres

domaines. L’hermétisme s’est présenté naturellement.

… à l’hermétisme.

Cette notion me paraissait en effet propre à penser plusieurs

dimensions et plusieurs phénomènes de notre monde contemporain.

D’une part, parce qu’elle représente une des facettes de nos sociétés occidentales actuelles. Si celles-ci se présentent avant tout comme des

sociétés de plus en plus ouvertes, du fait de la mondialisation et de

l’extension des échanges et des communications permises notamment par

internet, elles se caractérisent également par des phénomènes parallèles de

fermeture, de limitation et de cloisonnement, bref elles se présentent

également comme des sociétés hermétiques. De Tocqueville à Marcel

Gauchet ou Gilles Lipovetsky, nombreux sont les philosophes, sociologues

et penseurs qui ont souligné l’individualisation croissante de nos sociétés

libérales dans lesquelles l’individu est devenu le sujet par excellence à

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Pourquoi l’hermétisme?

Page 22: aux limites de l'hermétisme

protéger, et dans lesquelles les notions de solidarité ou de collectivité ont

perdu leur sens et leur valeur. Néanmoins, ce repli sur soi s’observe

également à des échelles plus petites : le communautarisme fait preuve, au

sein même de la société, de la constitution de groupes de plus en plus

hermétiques les uns aux autres, n’ayant ni les mêmes pratiques ni le même

langage, et désireux de garder cette séparation stricte. De même, le repli

identitaire et nationaliste, constaté dans la majorité des pays européens où les

partis d’extrême droite gagnent chaque jour de nouvelles voix, mais aussi

dans les pays arabes fraîchement sortis de leurs révolutions, et où les

élections démocratiques ont fait des partis traditionnalistes islamistes les

grands vainqueurs, témoigne de cette fragmentation et de la constitution

d’entités identitaires séparées et souvent hermétiques les unes aux autres. À

la fois reliés et rassemblés dans ce même monde « global », en constante

relation et communication, les individus actuels seraient donc à la fois

ouverts au monde, mais aussi repliés sur eux-mêmes, isolés et fragmentés.

En témoigne l’image d’un individu placé derrière son ordinateur dans un

coin du monde, l’angle de son bras et celui de son ordinateur délimitant un

espace restreint où seul le sujet siège, alors même que l’écran numérique

symbolise l’ouverture au monde permise par internet.

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 23: aux limites de l'hermétisme

La question qui s’est alors posée à moi était de savoir si l’on pouvait

encore parler d’hermétisme pour caractériser cette fermeture, et si

précisément, l’hermétisme ne témoignait pas de cette idée d’une limitation

positive, d’une fermeture ouvrant néanmoins à d’autres mondes, tout

comme, dans les siècles passés, elle représentait un système de pensée

obscur mais permettant d’accéder à des idées secrètes, des vérités cachées.

D’autre part, la notion d’hermétisme me paraissait particulièrement

intéressante à étudier en architecture puisqu’elle renvoie à la fois à l’idée

d’un espace clos, fermé, et limité. Il s’agissait, en l’analysant, de reprendre à

nouveau frais le concept connexe de limite afin de voir si celui-ci ne peut

recevoir qu’un sens négatif, ou si la limite ne suppose pas aussi une

ouverture vers autre chose, une liaison plus qu’une stricte séparation.

L’étendue de domaines que me permettait d’aborder un concept aussi large

que celui d’hermétisme me permettait enfin d’établir une typologie

architecturale vaste dans laquelle aucune échelle ne serait oubliée.

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Définir l’hermétisme

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CHAPITRE I

Définir l’hermétisme

Signification courante et savante

L’hermétisme   est   une   notion   dont   il   existe   plusieurs  

significations.   Lorsque   l’on   évoque   ce   mot   dans   des   disciplines  

intellectuelles   telles  que   la  philosophie,   la   science  ou   l’alchimie   il  nous  

rapporte   directement   à   l’ésotérisme   et   l’occultisme  ;   c’est-­‐à-­‐dire   se  

référant   à   des   disciplines   connues   de   seulement   quelques   initiés   et  

souvent   associées   à   des   notions   surnaturelles,   mystérieuses,   qui   ne  

peuvent   pas   être   comprises   par   la   "science   officielle",   supposée  

matérialiste.  L’hermétisme  évoque  quelque  chose  de  clos,  de  replié  sur  

lui-­‐même  ;   que   se   soit   tant   du   point   de   vue   intellectuel   que   physique.  

Lorsque   l’on   dit   d’une   personne   qu’elle   est   hermétique   cela   nous   fait  

directement  penser  à  quelqu’un  avec  qui  il  est  difficile  de  communiquer  

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et  laissant  peu  paraître  ses  réactions  et  sentiments,  c’est-­‐à-­‐dire  un  sujet  

fermé  et  impénétrable,  «  L'adolescent  avait  fermé  des  yeux  qui  peut-­‐être  

eussent   trahi   malgré   lui   une   faiblesse,   le   désir   de   plier,   −   visage  

strictement  hermétique  »1.  Néanmoins, si le terme reste aujourd’hui encore

employé dans le langage courant, en ce qui concerne la philosophie,

l’alchimie ou d’autres sciences auxquelles il se rattache, il renvoie désormais

à un concept désuet, une idée ancienne et une époque déterminée, le Moyen-

Âge, faisant de lui une notion largement abandonnée ou sans plus d’autorité,

et presque une notion tautologique : elle-même hermétique.

L’alchimie, par exemple, qui, au Moyen-Âge, était la branche de la science

considérée comme hermétique, consacrait ses recherches à la connaissance

de la transmutation des métaux, c’est-à-dire à la transformation de métaux

ordinaires en or, une quête depuis bien longtemps délaissée, qui ne sert plus

que de prétexte à certaines nouvelles fantastiques. La Table d’émeraude

(Tabula Smaragdina en latin) est un des textes les plus célèbres de la

littérature alchimique et hermétique. Selon la légende, elle présente

l’enseignement de Hermès Trismégiste, fondateur mythique de l'alchimie, et

aurait été retrouvée dans son tombeau, gravée sur une tablette d’émeraude.

Elle regroupe un ensemble de textes très occultes traitants d’astrologie,

d’alchimie, de botanique, de médecine et de philosophie.

                                                                                                               1 François Mauriac, Désert de l’amour, Paris, 1925, p. 24.

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

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Heinrich Khunrath, La table d’émeraude, 1606, de l’édition l’Amphitheatrum Sapientiae Eternae.

Matthäus Merian, Archontologica cosmica hermetica, 1638.

27

Définir l’hermétisme

Page 28: aux limites de l'hermétisme

L’hermétisme chrétien, juif et musulman se référait au principe d’initiation

transmis par un maître à quelques disciples soigneusement choisis, pour

l’accession à un niveau transcendant de la religion. Les étapes de ce parcours

étaient : la gnose (éveil, prise de conscience, renoncement au mal et quête du

Dieu suprême), le discours, l’intellect (exercices de contemplation

silencieuse), la progression sur la voie d’immortalité s’accompagnant de la

pratique de l’astrologie (pour connaître le chemin de la remontée de l’âme)

et l’alchimie (pour apprendre à se transformer soi-même). « Ils [des prêtres]

avaient bien l'air, eux-mêmes, de se mouvoir avec gêne dans ces ténèbres,

d'aller à l'aveuglette, de tourner avec un inconscient malaise autour de ces

dogmes hermétiques. Ils affirmaient. Ils affirmaient quoi? Ce qu'on leur avait

affirmé »2.

De nos jours le terme n’est presque plus employé pour désigner des courants

intellectuels, scientifiques ou religieux ; il est utilisé comme adjectif ou

renvoie simplement à une notion physique ou spatiale, à quelque chose par

exemple de « fermé par un (…) joint hermétique »3.

                                                                                                               2 Roger Martin du Gard, Les Thibault : La Mort du père, Paris, 1929, p. 1384 3 Larousse ménager, Paris, 1926, p. 459

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 29: aux limites de l'hermétisme

Paradoxe de l’étymologie

Comme nous le disions l’hermétisme nous renvoie dans le langage

courant à ce qui est fermé, ne communiquant pas avec l’extérieur, toutefois

si l’on étudie ce qu’il en est de l’origine de ce mot cela est tout à fait

l’inverse.

L’étymologie du mot hermétique nous renvoie au dieu grec : Hermès. À

l’inverse de la fermeture et du repli sur soi, le dieu Hermès est le dieu des

limites des champs et des frontières; des routes et des voyageurs; des

marchands et du commerce. C’est un messager il est celui qui conduit l’âme

dans l’autre monde, vers le royaume d’Hadès. Messager des dieux, il est le

médiateur, le principe de la transition entre les mondes, entre les dieux et les

hommes, entre les dieux et les dieux. Ce dieu est donc synonyme de

mouvement et de protocole. « Il représente, dans l’espace et dans le monde

humain, le mouvement, le passage, le changement d’état, les transitions, les

contacts entre éléments étrangers. A la maison, sa place est la porte,

protégeant le seuil, repoussant les voleurs parce qu’il est lui-même le Voleur

(…) celui pour qui n’existent ni serrure, ni enclos, ni frontière (…). Présent

aux portes (…), il siège aussi à l’entrée des villes, aux frontières des Etats,

aux carrefours (…), au long des pistes, marquant le chemin (…), sur les

tombeaux, ces portes qui ouvrent au monde infernal (…) ».1

                                                                                                               1 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, François Maspéro, 1965, Chapitre 3, "L'organisation de l'espace. Hestia - Hermès : sur l'expression religieuse de l'espace et du mouvement chez les Grecs" (repris de L'Homme, Revue française d'anthropologie, Paris, 1963, n°3).

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Définir l’hermétisme

Page 30: aux limites de l'hermétisme

Hieronymus Frezza, Hermès, 1704, The British Museum.

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 31: aux limites de l'hermétisme

Lorsqu’il est représenté, deux choses peuvent nous interpeller par rapport à

l’énoncé de ce mémoire, la première sont les ailes qu’il porte sur son casque

et sur ses chevilles, ceci illustre la vélocité de ce dieu ; la seconde est le

caducée qu’il tient dans ses mains. Ce caducée fut l’objet de nombreuses

interprétations d’ésotéristes de toutes époques ; aujourd’hui il est utilisé

comme emblème par les alchimistes de notre époque : les pharmaciens.

La notion et le mot hermétisme sont donc en sens très paradoxaux ;

d’un point de vue cette notion nous renvoie directement à quelque chose de

clos, d’imperméable (un objet hermétiquement fermé), et d’un autre point de

vue l’origine de ce mot nous renvoie au dieu du protocole, celui de la

communication entre deux mondes. Toutefois une dimension de séparation

est à constater dans son étymologie : le dieu Hermès est celui de la

communication entre deux mondes hermétiques l’un par rapport à l’autre,

celui des vivant et celui des morts. Il est impossible pour un sujet

quelconque d’effectuer par ses propres moyens des allées et venues et de

communiquer entre ces deux mondes, Hermès est celui pouvant permettre

cela. Il accompagne et transmet au-delà des limites infranchissables.

 

31

Définir l’hermétisme

Page 32: aux limites de l'hermétisme

Synonymes

Le terme hermétisme n’est pas proprement défini en architecture. Néanmoins

si l’on étudie ses synonymes, certains uns d’entre eux sont des notions qui

ont largement été abordées dans cette discipline.

… alchimie, astrologie, ésotérisme, herméticité, magie, obscurité, occultisme, sorcellerie, abscons, abstrait, cabalistique, caché, clos, limite, cryptographique, difficile, énigmatique, étanche, fermé, impénétrable, imperméable, incompréhensible, inintelligible, irrévélé, mystérieux, nébuleux, obscur, occulte, secret, sibyllin, ténébreux…

En terme d’espace le mot qui nous renvoie le plus directement à

l’hermétisme est celui de limite. Cette notion est un des piliers de

l’architecture, elle fut théorisée par de nombreux intellectuels, notamment

des architectes, mais aussi des par philosophes tel qu’Emmanuel Kant (ces

points seront développés plus profondément dans les chapitres suivants). La

limite est tout à fait comparable à l’hermétisme, car elle ferme un univers, un

espace ou une pensée, mais ouvre sur autre chose.

 

32

Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 33: aux limites de l'hermétisme

Le fleuve Amazone,Amérique du Sud.

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Définir l’hermétisme

Page 34: aux limites de l'hermétisme

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Page 35: aux limites de l'hermétisme

CHAPITRE II

Clôture et ouverture

La limite comme frontière

En architecture le terme limite est de fait une notion ayant une très

grande résonnance ; d’un certain point de vue on peut considérer que

l’architecture est le fait de créer des espaces au moyen de limites plus ou

moins évidentes. L’architecture établit des limites et des passages pour

configurer un monde, alors que l’illimité (en grec l’apeiron) est inhabitable.

À l’origine, la limite est ce qui sépare l’espace connu du monde inconnu, elle

peut être de différentes natures et peut remplir différentes fonctions.

Pendant très longtemps la limite prenait sens lorsqu’il s’agissait de séparer

l’espace habité de l’espace inconnu. En ce sens la forêt (comme d’autres

limites naturelles telles que les montagnes) était considérée comme un lieu

fantastique et sauvage. La limite peut aussi avoir une dimension

35

Page 36: aux limites de l'hermétisme

significative. Dans le sport, par exemple, les délimitations d’un terrain

marquent des espaces à l’intérieur desquels des règles très précises sont

appliquées ; cette fonction de la limite nous renvoie à la typologie de certains

lieux de cultes, comme les temples, où certains espaces ne sont accessibles

que par certains acteurs et selon certaines règles religieuse. La limite est

donc synonyme de ce qui n’est pas accessible, de frontière, elle peut être

naturelle ou établie par l’être humain.

Un espace peut également être cerné par des limites non physiques, la langue

ou la religion font par exemple figures de limites socioculturelles.

Toutefois la limite linéaire permet en effet de marquer la différenciation

mais aussi l’interaction. « Une limite est un agencement mettant en contact

deux espaces juxtaposés et permettant leur interface »1. La frontière

américano-mexicaine est par exemple non seulement une ligne qui délimite

la souveraineté des deux Etats mais également un lieu d’échange et de

mixité. La limite n’est donc pas forcément quelque chose de négatif comme

l’acception triviale du terme pourrait nous le laisser penser. La limite est ce

qui sépare certes, mais elle offre aussi à ceux qui l’ont établi une aire

d’autonomie, et permet d’échanger. Les limites constituent aussi des

ouvertures, comme l’affirme Martin Heidegger : « la limite n’est pas ce où

quelque chose cesse, mais bien, comme les Grecs l’avaient observé, ce à

                                                                                                               1 J. Lévy et M. Lussault, « Limite », in Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Belin, Paris, 2003, p. 566

36

Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 37: aux limites de l'hermétisme

partir de quoi quelque chose commence à être »2. Dans son texte Limites,

passages et transformations en jeu dans une architecture des milieux, Chris

Younès commente ainsi la formule kantienne, « en toutes limites… il y a

quelque chose de positif, puisque les limites du connaissable donnent

toujours à penser »3 :

Dans les Prolégomènes, Kant élabore le concept de limites en liaison et en opposition avec celui de bornes. Aussi bien les limites que les bornes sont des frontières mais la différence entre elles revient à ceci : tandis que les bornes sont des frontières négatives (des négations, explique Kant), les limites sont des frontières positives. Elles indiquent du même coup qu’elles déterminent un espace et le distinguent d’un autre qui lui est adjacent. Kant ajoute qu’ « en toutes limites… il y a quelque chose de positif, puisque les limites du connaissable donnent toujours à penser ». Quant à la notion de passage, elle conduit à s’interroger sur des situations intermédiaires mouvantes puisque ce mot exprime tout à la fois l’action de passer à travers, le trajet, l’issue, l’entre-deux ambigu par lequel s’opèrent des relations, des transitions et des médiations.

                                                                                                               2 Martin Heidegger, « Bâtir, habiter, penser », in Essais et conférences, trad. A. Préau, Paris, ed. Gallimard, 1980, p. 183 3 Chris Younès, "Limites, passages et transformations en jeu dans une architecture des milieux", publication du mois d'avril 2008 par le LAA (Laboratoire Analyse Architecture), première publication dans la lettre du réseau PHILAU (Réseau scientifique thématique Philosophie Architecture Urbain), Le Philotope, n°6, 2007, p. 66.

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Clôture et ouverture

Page 38: aux limites de l'hermétisme

Extend of Qin Empire

Beijing

Shanghai

Hong-Kong

EastChinaSee

800 km.

Bayof

Bengal

Great wall (Ming)

Extend of Qin Empire

Dunhuang Jiuquan

Lanzhou

YinchuanZhenbeitai

Pianguan

Yanmenguan

Niangziguan

Taiyuan Guguan

Beijing

Tianjin

Shenyang

Xian

Mongolia

Extend of Qin Empire

Beijing

Shanghai

Hong-Kong

EastChinaSee

800 km.

Bayof

Bengal

Great wall (Ming)

Extend of Qin Empire

Dunhuang Jiuquan

Lanzhou

YinchuanZhenbeitai

Pianguan

Yanmenguan

Niangziguan

Taiyuan Guguan

Beijing

Tianjin

Shenyang

Xian

Mongolia

La Grande Muraille de Chine.

38

Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 39: aux limites de l'hermétisme

Checkpoint Charlie

Invalidenstr.

Chausseestr.

Bornholmer Str.

Heinrich-Heine-Str. Oberbaumbrücke

Sonnenallee

Griebnitz-see Neubabelsberg

Staaken

FRENCHSECTOR

BRITISHSECTOR

SOVIET SECTOR

AMERICAN SECTOR

Checkpoint Charlie

Invalidenstr.

Chausseestr.

Bornholmer Str.

Heinrich-Heine-Str. Oberbaumbrücke

Sonnenallee

Griebnitz-see Neubabelsberg

Staaken

FRENCHSECTOR

BRITISHSECTOR

SOVIET SECTOR

AMERICAN SECTOR

Le mur de Berlin.

39

Clôture et ouverture

Page 40: aux limites de l'hermétisme

60 km.

PalestineIsraël

TheDeadSee

Israël

Palestine

Gaza

Jerusalem

Jerusalem

Jordan river

60 km.

PalestineIsraël

TheDeadSee

Israël

Palestine

Gaza

Jerusalem

Jerusalem

Jordan river

Le mur de Jerusalem.

40

Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 41: aux limites de l'hermétisme

Le passage comme échange

Comme il a été mentionné dans la partie précédente, l’architecture a

pour but de créer des espaces au moyen de limites plus ou moins évidentes et

perméables. Cela suppose donc qu’il faille accéder à ces espaces ; ces limites

sont alors percées par un ou des points de passages permettant la

communication entre l’extérieur et l’intérieur.

Le point de passage créer la communication entre deux univers ; le monde

connu et l’inconnu. Selon de nombreux intellectuels le monde est composé

de limites que l’homme cherche à franchir, cette zone d’union et de

séparation est fondamentalement une des plus primitives situation humaine.

L’architecture ne doit et toute façon ne peut, à moins d’emmurer quelqu’un,

être totalement hermétique, elle définit un espace clos détenant des points de

passages, c’est en ces points précis que l’échange se fait.

On pénètre dans un espace pour en découvrir un autre. Martin Heidegger

écrivait à propos de ces points de connexion dont le parangon serait le pont,

« « Léger et puissant », le pont s’élance au-dessus du fleuve. Il ne relie pas

seulement deux rives existantes. C’est le passage du pont qui seul fait

ressortir les rives comme rives. (…) Le pont rassemble autour du fleuve la

terre comme région. (…) Finalement, l’un d’entre eux devient un lieu et cela

grâce au pont. Ainsi ce n’est pas le pont qui d’abord place un lieu pour s’y

41

Clôture et ouverture

Page 42: aux limites de l'hermétisme

tenir, mais c’est seulement à partir du pont lui-même que naît un lieu. »1. En

d’autres termes, c’est le passage, cette jonction qui donne aux éléments leur

sens, elle qui les détermine et les définit comme parties distinctes. Sans elle,

nous n’avons pas affaire à deux rives, mais à deux espaces sans lien aucun,

sans détermination commune, qu’elle soit positive ou négative. De fait, le

passage dé-limite l’espace en le scindant en deux, et fait de la limite leur

élément déterminant, à la fois point de fermeture mais aussi point commun.

                                                                                                               1  Martin Heidegger, « Bâtir, habiter, penser », in Essais et conférences, trad. A. Préau, Paris, ed. Gallimard, 1980, p. 183  

Golden’s Bridge, San Francisco, 1933-1937.

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 43: aux limites de l'hermétisme

De même, si les sociétés humaines, que l’on se place à l’échelle de la famille

ou à celle de la nation, sont constituées d’unités autonomes et indépendantes,

celles-ci se déterminent à partir de leurs limites (la limite géographique, d’un

canton par exemple détermine une collectivité locale, la limite de la langue

détermine une communauté, la limite d’âge une catégorie de citoyens…) qui

sont toujours aussi des points de passage possibles.

Ainsi, loin de représenter une fin, une borne infranchissable, la limite porte

immédiatement en elle aussi l’idée de passage, de jonction et d’ouverture.

De même, si nous en revenons à l’acception que peut avoir la notion

d’hermétisme en architecture il paraît impossible de la réduire au simple sens

de ce qui est fermé, ce au travers de quoi rien ne passe, puisque

l’architecture n’établit jamais de borne définitive mais constitue l’espace à

partir de limites, de passages, de lieux ambivalents, à la fois ouverture et

fermeture, telle une porte. Cette caractéristique apparaît d’autant plus

lorsqu’on ne se représente plus seulement la limite de façon linéaire mais

comme la délimitation d’un espace clos.

43

Clôture et ouverture

Page 44: aux limites de l'hermétisme

La limite fabrique l’espace

  Comme   il   a   été  mentionné  dans   le   chapitre   précédent   la   limite  

linéaire  est   ce  qui   sépare  deux  espaces,  mais  aussi   ce  qui   les  unit.  Elle  

représente   à   la   fois   la   délimitation   et   le   lieu   d’échange     et   de  

communication  entre  deux  mondes  qu’elle  définit.  

Sur un terrain plat, vous construisez un mur aveugle rectiligne, d’une hauteur

supérieure à la taille d’un homme et de longueur importante. Il va diviser

votre terrain en deux parties et va définir ainsi deux demi-espaces, entités

clairement identifiables mais qui s’ignorent, puisqu’elles ne peuvent

communiquer. Votre mur est une sorte de mur de Berlin qui isole deux

mondes. Vous avez de la sorte trois objets, liés mais pourtant pratiquement

séparés : le mur qui est le plein, et chacun des deux espaces situés de part et

d’autre.

Si, dans votre mur, vous percez une porte, ce trou sera le seul point de

passage entre les deux espaces. Le mur va désormais régler la relation encore

minimale entre les deux espaces. Ensuite vous percez ce mur de diverses

fenêtres et portes, et la relation entre les deux espaces s’anime, s’intensifie et

se diversifie au fur et à mesure que vous percez davantage de trous. A la

limite, le mur, percé à l’extrême, cesse pour ainsi dire d’exister en tant que

tel. Il n’est plus objet, mais filtre qui structure la relation entre les deux

espaces. Nous n’avons plus, en fin de compte, que deux objets (les deux

espaces) articulés l’un à l’autre par un filtre interposant une relation

diversifiée entre eux. Pourtant nos trois objets d’origine sont encore là, ainsi

44

Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 45: aux limites de l'hermétisme

« la limite entre intérieur et extérieur répond à d’autres besoins que la seule

séparation ».1

                                                                                                               1 Jacques Lucan, Composition, non-composition – architecture et théories, XIXe-XXe siècles, PPUR, Luasanne, 2009, p. 572

AB

A

B

45

Clôture et ouverture

Page 46: aux limites de l'hermétisme

L’architecture est composée à l’aide de divers éléments constructifs (murs,

piliers, poutres, planchers) ; ceux-ci constituent le plein ; en assemblant ces

différents éléments on donne vie aux vides de l’édifice ; les espaces. Ces

espaces sont articulés au moyen d’éléments vides, qui sont des trous dans la

matière, les fenêtres, les portes et les espaces intermédiaires. D’un certain

point de vue l’on peut considérer que les véritables objets de l’architecture

sont les espaces ; donc les vides. Le rôle de l’architecte serait alors de

concevoir en positif les éléments négatifs, comme si l’on noircissait le fond

d’une page de texte de manière à laisser apparaître les lettres en blanc.

Les pleins composant les imites d’un espace peuvent être plus ou moins

affirmés et perméables. Par exemple si l’on mettait en opposition deux

programmes emblématiques d’une même époque ; le château et la cathédrale

gothique, nous pourrions constater que le plein n’engage pas les mêmes

fonctions.

Le château est composé en volume et en plein, c’est un objet isolé et posé

dans un paysage, il est recroquevillé et figé sur lui même, c’est une

architecture ne communiquant pas avec le monde, si ce n’est pour se

défendre. Nous pouvons dire que le château est un édifice dont les limites ne

sont que fermeture.

La cathédrale gothique est quand à elle le fruit d’une architecture conçue en

creux et en vide, dont le but est la raréfaction de la matière et l’ascendance

vers le divin ; une architecture en mouvement et ouverte sur le monde. Les

limites de la cathédrale cherchent à s’ouvrir sur l’extérieur, à n’être plus que

des filtres de clarté laissant transparaître la lumière.

Cathédrale de Coutance, France, XIIIe siècle. L’architecture normande au moyen-âge, Caen, ed. Charles Corlet, 1994.

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 47: aux limites de l'hermétisme

Cathédrale de Coutance, France, XIIIe siècle. L’architecture normande au moyen-âge, Caen, ed. Charles Corlet, 1994.

Dover Castle, Royaume-Uni, XIIIe siècle. C. Platt & A. Kersting, The architecture of medieval britain, ed. Yale University, 1991.

47

Clôture et ouverture

Page 48: aux limites de l'hermétisme

À l’échelle urbaine, la ville est faite de masses juxtaposées, les pleins. A

l’image du plan de Nolli, la ville est composée de pleins, pour les

programmes privés, de structures ouvertes, pour les édifices publics. Dans

ce plan de la ville de Rome conçu en 1748, les limites des parcelles, ou du

bâti, sont les espaces publics, les rues, les places et les bâtiments publics (qui

pour la plupart sont des églises). Les cours intérieurs des îlots n’apparaissent

pas car elles sont uniquement accessibles au privé, les seules cours qui sont

dévoilées sont les cours des édifices publics, qui sont accessibles au public et

non des espaces publics à proprement parler.

Ainsi ici, les limites sont les espaces publics, c’est à dire les lieux de

communication et d’échange, la limite n’est pas, comme nous l’avons

mentionné au préalable, quelque chose de fermé, mais bien l’endroit ou

l’interaction se fait.

Plan de la ville de Rome par Nolli, dit Plan de Nolli, 1748. Cesare De Seta, Le citta nella storia d’Italia, Rome, ed. Laterza, 1981.

48

Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 49: aux limites de l'hermétisme

49

Clôture et ouverture

Page 50: aux limites de l'hermétisme

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Page 51: aux limites de l'hermétisme

CHAPITRE III

Deux modèle d’hermétisme

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Page 52: aux limites de l'hermétisme

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 53: aux limites de l'hermétisme

Comme nous l’avons vu dans la partie précédente la limite est en

architecture ce qui permet de créer le vide, l’espace. Nous sommes donc

passés d’une limite linéaire, une frontière, à la limite qui se referme, laissant

lieu à un espace précis, habité. Ainsi, deux modèles hermétiques distincts ont

été établis, le modèle nucléaire, constitué de limites séquentielles et donc

d’espaces successifs, et le modèle de la constellation, composé d’espaces

indépendants, ne fonctionnant que par leur cohabitation. Ces deux modèles

supposent toujours que la limite soit synonyme d’ouverture, sur le plan

physique ou intellectuel.

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Deux modèles d’hermétisme

Page 54: aux limites de l'hermétisme

Le modèle nucléaire

Le premier modèle hermétique schématisé est le Nucléaire. Le

schéma nucléaire est, comme son nom l’indique, développé autour d’une

centralité, « relatif au noyau de la cellule »1. Les typologies de différentes

échelles qui vous être présentées, sont organisées autour d’une centralité plus

ou moins affirmée. Dans certains cas la centralité ne sera que le fruit d’une

mémoire ancienne, d’un tracé ; et dans d’autres le tout sera organisé au

service d’un point central.

Le schéma nucléaire suppose que les limites successives définissent des

espaces entre chacune n’entres elles.                                                                                                                1 François Graf & Roger Husson, Manuel de biologie générale á l'usage des travaux pratiques, Paris, ed. Gauthier-Villars, 1965, p.47

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 55: aux limites de l'hermétisme

Ces espaces ont deux contours, le contour extérieur, dont la forme est libre,

et le contour intérieur, plus proche du centre, qui est le négatif de la limite

antérieure.

Le schéma nucléaire est fait d’un centre autour duquel plusieurs limites

successives sont disposées. Chacune de ces limites sont à la fois un obstacle

supplémentaire, et à la fois permettent d’accéder à un nouvel espace ou une

nouvelle aspiration.

La limite est synonyme d’empêchement et d’avancement.

À l’image d’un atome, dont l’enveloppe ou membrane nucléaire permet à la

fois la fermeture de l’atome, mais aussi les échanges entre le cytoplasme et

le nucléoplasme au moyen des nombreux pores dont elle est pourvue.

Wolfgang Kühnel, Atlas de poche d’histologie,Paris, ed Flammarion, 1995.

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Deux modèles d’hermétisme

Page 56: aux limites de l'hermétisme

Dans les typologies nucléaires les limites sont souvent synonymes

d’ouverture. Le sujet qui franchit différentes enceintes, le fait souvent dans

but de s’ouvrir sur autre chose ; dans le cas d’un temple par exemple, la

centralité est souvent le lieu de recueillement où il peut atteindre un certain

niveau de transcendance, dans le cas d’un aéroport le sujet franchît différents

seuils de sécurité, afin de s’envoler vers un ailleurs.

Dans le cas de la prison, il faudrait en théorie que le détenu soit emprisonné

derrière des barreaux pour qu’il puisse être réhabilité et qu’il puisse s’ouvrir

à nouveau sur la société lors de sa sortie. La prison, si l’on s’en donne les

moyens, doit être un moyen pour le sujet dangereux, d’accéder à un

changement de son comportement.

Catalogue

Le modèle nucléaire La ville de Paris …………………………………………………………....58 L’aéroport de Roissy ……………………………………….……………..62 Architecte Paul Andreu, terminal 1, Paris, 1967-1974. Temple Angkor Wat ………………………….…………………………...66 Cambodge, XIIème siècle. Projet de prison ……………………………...........................................69 Architecte J. N. L. Durand, projet pour une prison en ville, 1817. Fort Boyard ……………………………………………………………...…72 Construction de 1801 à 1857, Poitou-Charentes. Le musée Solomon R. Guggenheim ……….…………………………...75 Architecte Frank Lloyd Wright, New York, 1959.

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 57: aux limites de l'hermétisme

Catalogue

Le modèle nucléaire La ville de Paris …………………………………………………………....58 L’aéroport de Roissy ……………………………………….……………..62 Architecte Paul Andreu, terminal 1, Paris, 1967-1974. Temple Angkor Wat ………………………….…………………………...66 Cambodge, XIIème siècle. Projet de prison ……………………………...........................................69 Architecte J. N. L. Durand, projet pour une prison en ville, 1817. Fort Boyard ……………………………………………………………...…72 Construction de 1801 à 1857, Poitou-Charentes. Le musée Solomon R. Guggenheim ……….…………………………...75 Architecte Frank Lloyd Wright, New York, 1959.

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Paris « La ville n’est homogène qu’en apparence. Son nom prend même un accent différent selon les endroits où l’on se trouve. Nulle part – si ce n’est dans les rêves – il n’est possible d’avoir une expérience du phénomène de la limite aussi originaire que dans les villes. Connaître celles-ci, c’est savoir où passent les lignes qui servent de démarcation, le long des viaducs, au travers des immeubles, au cœur du parc, sur la berge du fleuve ; c’est connaître ces limites comme aussi les enclaves des différents domaines. La limite traverse les rues ; c’est un seuil ; on entre dans un nouveau fief en faisant un pas dans le vide, comme si on avait franchi une marche qu’on ne voyait pas »1. Si l’on considère que l’histoire d’une ville se grave dans ses limites, il n’est pas meilleur exemple que Paris. Son plan évoque la section d’un tronc de bois ou d’un atome; où le centre (historique) s’entoure de plusieurs strates homogènes, au fur et à mesure que la ville croît. Paris comptera plus de sept enceintes successives dans son histoire. Le noyau de ce développement par couches successives est l’île de la Cité, « la grève de cette île fut sa première enceinte et la Seine son premier fossé… »2. Les différentes murailles ont laissé peu de traces sur le plan architectural : seuls subsistent quelques pans de l'enceinte de Philippe Auguste et quelques pavillons de Ledoux rescapés du mur des Fermiers généraux. C'est surtout dans le tissu urbain qu'elles ont profondément marqué l'évolution urbaine de Paris, en particulier dans les dessins concentriques des boulevards qui reprennent exactement le tracé des différentes enceintes. Bien que celles-ci aient disparu, il est tout à fait possible lorsque l’on regarde un plan actuel de Paris de deviner où étaient-elle situées, au vu de la morphologie circulaire des boulevards. Chaque nouvelle enceinte renferme toujours un nouvel espace avec l’enceinte précédente ; la forme de cet espace est libre sur sa face périphérique regardant vers l’extérieur, mais sa face intérieure est toujours le négatif de la couche antérieure. La forme de ces espaces épouse celle de ceux contre qui ils s’appuient. À l’image d’une poupée russe, la forme n’est jamais totalement libre puisqu’elle englobe un espace existant. Les limites de Paris devraient être des limites ouvertes, permettant à la ville de s’ouvrir sur l’extérieur, mais aussi à l’extérieur de pouvoir pénétrer à l’intérieur de Paris. Ceci n’est pas le cas. Paris est une ville fermée et figée ne communiquant pas avec les quartiers qui l’entourent ; le développement de ceux-ci ne s’est pas fait avec une vision d’ensemble, ceci principalement à cause des politiques qui ne voulaient pas voir la population des banlieues se mélanger avec la population parisienne. Dans les médias par exemple, vous n’entendrez que très rarement parler de « l’agglomération parisienne », mais très souvent de « Paris et sa banlieue », cela dénote parfaitement ce qu’il en est de la situation actuelle. Toutefois cet aspect figé de la capitale pousse les dirigeants à prendre des mesures afin de rendre la ville plus dynamique, cela n’est pas fait dans le but d’accroître la mixité sociale de ville mais bien son économie. Ainsi, il y a quelques années le projet du Grand Paris a vu le jour, il n’est aujourd’hui qu’à l’étape d’étude, mais pointe déjà le fait

                                                                                                               1 Walter Benjamin, Paris capitale du XIXe siècle, Paris, ed. du Cerf, 1989, p. 113. 2 Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris, ed. Gosselin, 1831, p. 55

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projet du Grand Paris a vu le jour, il n’est aujourd’hui qu’à l’étape d’étude, mais pointe déjà le fait que si la ville de Paris veut rester une place forte dans le monde, et non seulement du point de vue touristique, elle doit ouvrir ses limites.

Les fortifications au bastion 10, XXe arr. 10 sept, 1919.Jean-Louis Cohen, Des fortifs au périf, Pavillon de l’Arsenal, Paris, ed. Picard, 1991.

Destruction de l’enceinte de Thiers, 1924.Jean-Louis Cohen, Des fortifs au périf, Pavillon de l’Arsenal, Paris, ed. Picard, 1991.

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Les enceintes de Paris, plan de Rochegude et Dumoulin, Champion 1923. Jean-Louis Cohen, Des fortifs au périf, Pavillon de l’Arsenal, Paris, ed. Picard, 1991.

“Plan de défense stratégique de la commune de Paris et ses environs”, H. Dron, 1872.Guy le Halle, Les fortifications de Paris, Paris, ed. Horvath, 1986.

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Roissy, terminal 1, conçu par Paul Andreu, région parisienne, 1967-1974. L’aéroport de Roissy, qui aujourd’hui pour beaucoup n’est qu’un monstre de béton de l’époque moderne, n’en reste pas moins un bâtiment révolutionnaire pour son époque. Roissy 1 surprend par sa forme, un cercle strict autour duquel sont rattachés des satellites accessibles à partir du centre du cercle. Roissy I est avant tout un cercle et un gigantesque mouvement aspirant et refoulant. Dans ce projet la géométrie est très importante, « la volonté de donner au bâtiment une forme de cercle était indissociable de celle que le bâtiment fonctionne comme un cercle – avec les symétries du cercle, sur un système radiocentrique – sans que s’introduisent à l’intérieur des éléments dont la géométrie viendrait contredire l’aspect extérieur »1. Les espaces sont tous organisés selon cette géométrie. Le cercle central, est découpé dans sa hauteur en neuf strates; le premier niveau accueille les boutiques et l’entrée pour les voyageurs en transport en communs (bus ou RER), le second est celui des départs, le troisième est celui du transfert, le quatrième celui des arrivées, des niveaux cinq à sept se trouve le parking et enfin les deux derniers niveaux, huit et neuf, abritent les restaurants et les douanes. Tous ces niveaux sont accessibles à partir du centre, nous pourrions donc qualifier cette typologie de nucléaire inversé, on pénètre l’espace à partir du centre puis on franchit les différentes limites pour accéder aux espaces les plus hermétiques en périphérie. Le paradoxe est justement que les espaces les plus inaccessibles, ceux où vous embarquer ou débarquer de l’avion, sont ceux rayonnant autour du cercle, les sept satellites d’embarquement, reliés au bâtiment principal par des souterrains. Dans une typologie classique de modèle hermétique nucléaire, telle que celle d’un temple, l’espace le plus impénétrable est celui qui se trouve au centre du plan, ici ceci est inversé. Le concepteur de ce bâtiment, Paul Andreu, a pris le parti de l’automobile, il est assez frappant de constater que la route mène directement au cœur de l’ouvrage et que le parking au lieu d’être souterrain, se trouve en réalité aux derniers niveaux de l’édifice. Ceci renforce l’aspect dynamique du bâtiment, tant dans sa forme, que sa fonction. Nous sommes ici pleinement dans ce que nous pourrions qualifier d’espace hermétique. Les portiques de sécurité successifs, le fait que le ciel ne soit jamais perceptible tout au long du parcours préalable à l’étape finale ; ceci pour enfin pénétrer dans les satellites d’embarquement depuis lesquels vous pouvez observer le tarmac et accéder aux avions qui vous permettrons de partir vers un ailleurs.

                                                                                                               1 Serge Salat & Françoise Labbé, « Paul Andreu, métamorphose du cercle », Milan-Paris, ed. Electo Moniteur, 1990, p. 61

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Page 63: aux limites de l'hermétisme

Vue aérienne du terminal 1 de l’aéroport de Roissy.Philip Jodidio, Paul Andreu, architect, Basel, ed. Birkhäuser, 2004.

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Schém

a conceptuel de l’organisation spatiale de l’aéroport de Roissy.

Philip Jodidio, Paul A

ndreu, architect, Basel, ed. B

irkhäuser, 2004.

Coupe du term

inal 1 de l’aéroport de Roissy.

Philip Jodidio, Paul A

ndreu, architect, Basel, ed. B

irkhäuser, 2004. 64

Page 65: aux limites de l'hermétisme

Satellites d’embarquement.

Entrée.

Tokyo Bay

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CLÔTURE EST FERMETURE

CLÔTURE EST OUVERTURE

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Page 66: aux limites de l'hermétisme

Temple d’Angkor Vat, Cambodge, XIIème siècle.

Le temple d’Angkor Vat, classé au patrimoine de mondial de l’Unesco, est l’une des plus remarquable construction de la civilisation humaine. Ce temple fut érigé au XIIème siècle par le roi Suryavarman II (1113-1150) lors de se conversion au bouddhisme ; son plan centré et sa succession d’enceintes sont organisés au service du sanctuaire central, où se trouve le dieu Bouddha sous la forme d’une statue. Le temple est organisé d’une manière scénographique frontale et successive. La progression vers le sanctuaire ne se fait pas d’une manière fluide ; pour accéder à son entrée il faut traverser huit limites, qui ne sont franchissables que par certains individus remplissant les critères religieux nécessaires à leurs passages. On atteint enfin le sanctuaire central par douze escaliers très raides qui représentent la difficulté d'atteindre le royaume des dieux. Tout cet espace est organisé autour de la progression spatiale et spirituelle, les limites successives représentent des obstacles nécessaires à l’ouverture vers un niveau ultime de recueillement et de méditation.

Vue du ciel de l’ensemble d’Angkor Wat. Henri Stierlin, Angkor, Fribourg (CH), ed. Architecture Universelle, 1970.

Vue depuis la première enceinte bâtie du temple d’Angkor Wat.Henri Marchal, Les temples d’Angkor, Paris, ed. Albert Guillot, 1955.

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Page 67: aux limites de l'hermétisme

Vue aérienne du temple d’Angkor Wat.Henri Marchal, Les temples d’Angkor, Paris, ed. Albert Guillot, 1955.

Vue depuis la première enceinte bâtie du temple d’Angkor Wat.Henri Marchal, Les temples d’Angkor, Paris, ed. Albert Guillot, 1955.

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Page 68: aux limites de l'hermétisme

Douve.

Digue franchissant la douve.

Propylées bordant la douve.

Bassins.

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Galeries des bas-reliefs.

Préau cruciforme.

Blbliothèques.

Galeries de la 2èm

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Massif de la 1ère enceinte.

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Concours de prison, en 1793. J. N. L. Durand, Précis des leçons d’architecture, Second volume, Paris, 1817. Le projet de prison ci-dessus fut réalisé au sortir de la révolution française (1789) en 1793, et était « supposé être pour une grande ville »1. Sa forme s’apparente à celle d’une forteresse. Le panoptique, qui a été inventé sept années auparavant par Jeremy Bentham, n’a pas encore son influence dans le langage architectural français de l‘époque, le modèle qui prévaut alors est celui de l’architecture militaire. Le plan pavillonnaire par ailes successives rappelle en effet celui d’une caserne dans lequel le plan répond à une symétrie parfaite. Les quatre ailes sont séparées par trois cours de tailles similaires, deux des ailes semblent abriter les cellules, qui sont toujours orientées vers l’intérieur des cours, afin de diminuer les risques d’évasion, les deux autres ailes semblent être destinées à abriter les lieux de vie en commun, tel que les lieux de travail. Ces ailes parallèles les unes aux autres sont jointes en leur extrémités par deux galeries. Les galeries sont coupées en deux ; une moitié loge des cellules, l’autre des lieux de vie en commun. Quatre tourelles de surveillance se trouvent aux quatre extrémités du bâtiment, et ne sont rattachées que par un seul angle cassé à l’édifice, ce qui permet une observation à 270° depuis chaque tourelle. Afin de garantir un maximum d’hygiène, aucune chambre ne se trouve au rez-de-chaussée, ce qui permet de les exempter d’humidité. Les infirmeries sont placées dans le dernier étage des pavillons, et sont ouvertes sur toutes leurs faces afin d’empêcher les risques de contamination des autres détenus. Les cours sont assez vastes et permettent une bonne circulation de l’air. Un des aspects sans doute les plus intéressants de cet ouvrage est sa succession d’enceintes. La première enceinte formant un carré parfait est celle séparant stricto sensu la prison du monde extérieur ; la ville. A l’intérieur de celle-ci se trouve la façade extérieure de l’ouvrage, une enveloppe qui pourrait être comparée à l’enceinte d’une forteresse telle que celles conçues par l’ingénieur et architecte militaire Vauban. On peut alors supposer que la première enceinte ne sert pas de clôture, mais plutôt à délimiter une zone tampon entre la prison et le monde extérieur. Cette zone dégagée permet une observation efficace depuis les tourelles, et permet également de protéger hygiéniquement la ville autour. Ici « on a taché de réunir la plus grande salubrité à la plus grande sûreté. Au moyen de l’enceinte qui éloigne la prison de toutes les maisons avoisinantes, elle se trouverait environnée d’une masse d’air considérable ».2

                                                                                                               1 J. N. L. Durand, Précis des leçons d’architecture, Second volume, Paris, 1817, p.72. 2 Ibidem.

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Page 70: aux limites de l'hermétisme

Le langage architectural de cette prison est emprunté à celui des édifices militaires. La notion qui prévaut dans la composition de cet ouvrage est celle de la délimitation entre un intérieur et un extérieur. Une forteresse, à l’inverse d’une prison, se protège du monde extérieur ; ici c’est l’extérieur que l’on protège. La forme d’ensemble reste néanmoins la même, le seul élément ajouté étant la seconde enceinte permettant de créer ce vide d’observation entre la prison et l’extra-muros. Dans ce bâtiment il n’y a pas de réelles recherches quant à l’agencement des espaces intérieurs les uns par rapports aux autres ; le bâtiment est divisé en deux parties parfaitement symétriques, l’une étant destinée à abriter les cellules, l’autre à réunir les espaces de vie en commun. L’emplacement des tours de surveillance n’est pas lié à la composition programmatique intérieure, elle est uniquement définie par l’extérieur de l’édifice. La question de la surveillance des détenus à l’intérieur de la prison n’est pas ici abordée. L’enjeu principal de la composition spatiale de cet ouvrage est donc d’empêcher au maximum tout risque d’évasion d’un détenu, que la limite ne soit que clôture. L’intérieur, quand à lui, avec sa grande proportion d’espaces communs, présente une ouverture possible à la réhabilitation du détenu (pour l’époque).

Plan du premier étage.J. N. L. Durand, Précis des leçons d’architecture, Second volume, Paris, 1817.

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Page 71: aux limites de l'hermétisme

Vide entre la prison et la ville.Espace tampon.

Postes d’observation.

Cours.

Cellules.Ateliers.

Ville

Ville

VilleVille

Tokyo Bay

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CLÔTURE EST FERMETURE

CLÔTURE EST OUVERTURE

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Page 72: aux limites de l'hermétisme

Fort Boyard, Charente-Maritime (France), 1804-1857.

L’hermétisme physique comme nous l’avons vu se défini par une spatialité fermée, c’est à dire un espace déterminé, dans lequel on entre par un ou plusieurs points établis ; c’est un espace ayant ses propres règles et cherchant à se séparer du monde qui l’entoure. La notion synonymique se rapprochant le plus de l’hermétisme est celle de l’inaccessibilité. De ce point de vue, de nombreux environnements naturels n’ayant pas de limites précises peuvent être perçus comme des espaces hermétiques. La mer par exemple est un espace, qui dans l’absolu est inaccessible à l’Homme. Son accessibilité est rendue possible grâce à la création d’outils qui permettent à l’homme de la maîtriser (bateaux). Sur la mer l’homme à dû inventer des objets pour se défendre, le premier nous venant à l’esprit est le bateau, mais du fait de sa fragilité, il dû imaginer des points fixes et rigides situés à des emplacements stratégiques : les forts. L’exemple que nous analyserons est celui du Fort Boyard, construit sur un banc de sable, il fait figure de prouesse technique et illustre la domination de l’homme sur un environnement naturel hostile. Un autre aspect justifiant le choix de ce fort, fut son utilisation : il ne fût presque jamais employé comme une place de défense, ce qu’il lui valu le surnom de fort inutile, la seul véritable fonction qu’il eu fût d’être utiliser comme une prison. La construction de ce fort, commencée en 1801, connue de nombreuses péripéties ; plusieurs fois abandonné, revu, puis reconduit, le projet est finalement achevé en 1857. La longévité de ces travaux est due à la difficulté qu’ont eu les ingénieurs à établir un socle suffisamment fixe pour accueillir la construction, sur la nature du sol existant : des bancs de sable. L’érection du socle, bien que les travaux connussent quelques arrêts, dura presque cinquante années (1801-1849). Le projet qui à la base devait faire 100 mètres de long, sur 50 de large ; fut revu à la baisse et réduit presque de moitié pour ne faire que 68 mètres sur 31. La construction du fort à proprement parler, ne pris quant à elle qu’une dizaine d’année. Les premiers canons sont placés en 1859, mais son utilisation militaire ne sera jamais celle qu'elle aurait dû être. Onze ans après son achèvement, en 1870, le fort se voit confié une nouvelle fonction : l’emprisonnement. Son emplacement au milieu de l’océan confère à l’espace toutes les qualités requises en terme de sécurité pour une prison. De nombreux exemples de prisons au milieu de l’eau existent, le plus connu d’entre eux est sans doute le pénitencier d’Alcatraz au large de San Francisco. Le fort Boyard, qui était capable d’accueillir deux cent cinquante soldats, durant deux mois sans contact avec le continent, abritera jusqu’à trois cent détenus en même temps. Le fort est assez rapidement laissé à l’abandon, et ce jusque dans les années 1990. Ce lieu, qui est prévu pour accueillir des soldats mis en « isolement », détient toutes conditions pour placer des éléments indigents que l’on désire mettre à l’écart. Ici l’hermétisme est renforcé par le degré quasi absolu d’autarcie. Le bâtiment est divisé en quatre couches : le sous-sol, abritant les réserves (eau, denrées, munitions), le rez-de-chaussée est réservé à l’intendance, le premier et le second étages abritent les sous-officiers. Lorsque le fort est transformé en prison, la disposition programmatique des 66 pièces de l’édifice sera quasiment la même : au rez-de-chaussée les gardiens et les intendances ; aux étages les détenus, répartis dans les 44 pièces (22 par étages). Fort Boyard est un lieu totalement clos dont il est presque impossible de sortir par ses propres moyens. C’est un espace fermé par la limite la plus ouverte qu’il y existe, l’océan.

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Page 73: aux limites de l'hermétisme

Vue aérienne du fort Boyard à marée basse.Archives départementales de Charente-Maritime, photographie de C. Ayrault.

Plan de la rade de l’île d’Aix par l’ingénieur Vanéchout,1847.Centre historique des archives, château de Vincennes.

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Page 74: aux limites de l'hermétisme

Fort Boyard

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Le musée Solomon R. Guggenheim, conçu par Frank Lloyd Wright, New York, 1959. « L’architecture, pas seulement comme force émanant de la fonction, mais conçue en tant qu’espace enclos. L’espace enclos pourrait être considéré désormais comme la réalité du bâtiment. Le sens du dedans, ou l’espace intérieur, c’est ce que l’architecture me semble devoir exprimer. La conception de l’intérieur, voilà ce qui singularise l’architecture par rapport à la scultpure ou à la peinture. Le bâtiment devient une création d’un espace-intérieur en lumière. »

F. L. Wright, « In the realm of ideas » (conférence de 1931à l’Art Institute de Chicago), in Pfeiffer (dir.), Frank Lloyd Wright collected writings, vol. 2, p. 89. Le musée Solomon R. Guggenheim inauguré en 1959, fruit de seize années de travail de l'un des architectes les plus novateurs de son temps, et du nôtre, Frank Lloyd Wright, incarne à merveille la façon dont la limite peut être comprise comme un passage, une ouverture continuée, et non comme une clôture stricte. Imaginé sur le modèle du coquillage, le musée est construit à partir d'une forme architecturale dominante, la spirale ascendante dont la courbe déployée autour d'une rampe douce permet d'accéder aux dix étages de l'établissement et aux nombreuses salles d'exposition qu'ils desservent. De même que dans le coquillage, la surface extérieure semble représenter une fermeture radicale alors que sa continuité ouvre sur l'intérieur, l'extérieur du musée donne l'impression d'un espace fermé et clos sur lui-même, alors que la spirale, de l'intérieur est précisément ce qui ouvre l'espace. Ici, la limite de la rampe structure l'espace en l'ouvrant. Sa continuité avec la toiture de verre relie le sol au ciel, et trace une courbe ascendante qui, si elle limite bien la course du visiteur, lui offre le spectacle d'un espace expansif. à chaque étage, l'interdépendance entre les espaces est assurée, de nouveau, par la limite de la rampe, qui ouvre au regard des hôtes du musée les œuvres d'art du monde.

Perspective, 1951.Neil Levine, The architecture of Frank Lloyd Wright, Princeton, ed. Princeton Universtity Press, 1996.

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Page 76: aux limites de l'hermétisme

Vue intérieure des niches d’exposition.Robert McCarter, Frank Lloyd Wright, Australie, ed. Phaidon, 1999.

Vue intérieure.Robert McCarter, Frank Lloyd Wright, Australie, ed. Phaidon, 1999.

Prison panoptique, Cuba, 1926.

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Page 77: aux limites de l'hermétisme

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Page 78: aux limites de l'hermétisme

Le modèle de la constellation

Le second modèle hermétique schématisé est celui de la

constellation. La constellation est un groupe d’unités, ayant différentes

proportions et pouvant remplir différentes fonctions, les unes par rapport aux

autres.

Le premier titre qui a été donné à cette partie était celui de monades. La

monadologie est une théorie leibnizienne (Gottfried Leibniz, 1646-1716)

stipulant que toute substance se développe en suivant des lois intérieures, en

suivant sa propre tendance : chacune a donc sa loi propre et ne reçoit aucune

influence de l’extérieur. Ce qui existe est donc pour Leibniz l’individuel ; il

n’existe que des unités, aucun mouvement, ni échange ne peut se faire entre

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 79: aux limites de l'hermétisme

les monades, « Les Monades n’ont point de fenêtres par lesquelles quelque

chose y puisse entrer ou sortir »1.

Dès lors nous pouvons nous poser la question de savoir comment fonctionne

le monde dans son ensemble, alors que chaque monade ne peut pas interférer

sur une autre. Leibnitz nous explique qu’il existe une harmonie universelle

préétablie entre tous les êtres ; cette harmonie est établie et régulée par celui

qu’il appelle « le grand horloger » ou le « grand architecte », Dieu, « Aussi

Dieu seul fait la liaison et la communication des substances, et c’est par lui

que les phénomènes des uns se rencontrent et s’accordent avec ceux des

autres »2. Le monde est composé de monades indépendantes les unes des

autres, mais « Leibniz admet que chaque monade en reflétant tout l'univers y

ajoute quelque chose de particulier »3.

                                                                                                               1 Gottfried Leibnitz, Monadologie, 1714, paragraphe. 7 2 Gottfried Leibnitz, Discours de métaphysique, 1686, publication en 1846. 3 Marcel Proust, Le côté de Guermantes, in « À la recherche du temps perdu », tome. 2, Paris, ed. Gallimard, p. 479, 1921.

Portrait of Gottfried Leibniz, German philosopher,1695.Bernhard Francke, Herzog Anton Ulrich-Museum.

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Deux modèles d’hermétisme

Page 80: aux limites de l'hermétisme

Le terme de monades ne semblait pas adapté au titre de ce modèle

schématique. Celui-ci stipule en effet que les unités sont indépendantes les

unes des autres, mais que celles-ci peuvent aussi communiquer et interagir

entres elles, ce qui n’est pas le cas dans la théorie leibnizienne.

Le terme de constellation est donc apparu comme étant une évidence. La

constellation désigne par essence un groupe d’éléments indépendants si bien

reliés entre eux, qu’indépendamment les uns des autres, ils n’ont pas

d’existence, mais constituent par leur réunion un phénomène qui présente

quant à lui un certain caractère autarcique. En astronomie la constellation est

« groupe d'étoiles formant une figure plus ou moins précise dont il tire

généralement son nom »4.

La constellation définit un ensemble, un groupe d’éléments indépendants les

uns des autres ne fonctionnant que grâce à leur interaction.

Une telle organisation s’illustre parfaitement par l’image du corps humain

dont les organes multiples, quoiqu’uniques et différents, sont

interdépendants et ne trouvent leur place dans ce tout qu’est le corps qu’en

raison de leurs rapports aux autres parties, c’est-à-dire en raison de

l’ensemble vivant duquel ils participent.

                                                                                                               4 http://www.cnrtl.fr/definition/constellation

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

Page 81: aux limites de l'hermétisme

Anatomie normale du corps humain,1894.Laskowski & Balicki, U.S. National Library of Medicine.

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Deux modèles d’hermétisme

Page 82: aux limites de l'hermétisme

Catalogue

Le modèle de la constellation La ville de New York, Manhattan …………………………..……..……..84 Yamanote line ……………………………………...……………………...88 Tokyo, 1885. La chartreuse …………...……………………...………….………………92 Florence, 1342. Prison de Fresnes ……………………..…………………..………………96 Architecte Henri Poussin, Fresnes, 1895-1898. Prison Mazas …………………….………………...…………………….100 Architectes Gilbert et Lecointe, Paris, construite en 1843 détruite en 1898. Le musée de Kanazawa …………………………..……………............103 Architectes Sejima And Nishizawa And Associates (SAANA), 1999-2004.

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Page 83: aux limites de l'hermétisme

Catalogue

Le modèle de la constellation La ville de New York, Manhattan …………………………..……..……..84 Yamanote line ……………………………………...……………………...88 Tokyo, 1885. La chartreuse …………...……………………...………….………………92 Florence, 1342. Prison de Fresnes ……………………..…………………..………………96 Architecte Henri Poussin, Fresnes, 1895-1898. Prison Mazas …………………….………………...…………………….100 Architectes Gilbert et Lecointe, Paris, construite en 1843 détruite en 1898. Le musée de Kanazawa …………………………..……………............103 Architectes Sejima And Nishizawa And Associates (SAANA), 1999-2004.

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Page 84: aux limites de l'hermétisme

Manhattan, New York.

Construite à partir d'un plan préétabli, la ville de New York représente a priori, le parangon d'un espace dans lequel la limite ne joue que comme clôture. Définissant des ilots strictement délimités dont la structure est immobile, le plan de la ville paraît y interdire l'ouverture en privilégiant la symétrie du quadrillage urbain, et la planification de son occupation. Cependant, la construction qui s'y est opérée donne aujourd'hui à la ville son caractère varié et ouvert. C'est l'architecture verticale, celle définissant la forme des buildings et maisons occupant l'espace qui le permet, puisque la variété des bâtiments, tant dans leur forme, leur taille que dans leur division en sous-espaces, incarne la liberté d'occupation réelle de l'espace. La limite supérieure des bâtiments, leur toiture, ouvre ici vers l'espace du ciel et appel à la construction, là où le tracé au sol semblait enclore la ville. Ainsi, c'est bien dans les limites du système parcellaire que cette ouverture a été rendue possible. De même que les lignes des rues et avenues représentent, pour l'habitant new yorkais, non un ensemble de bornes, mais bien les points de passages qui lui permettent de circuler dans l'espace public, fluide et ouvert à tous.

Ground zero.S. Robbin & R. Neuwirth, Mapping New York, London, ed. Black Dog, 2009.

Plan d’occupation et d’extension future de New York. 1898S. Robbin & R. Neuwirth, Mapping New York, London, ed. Black Dog, 2009.

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Page 85: aux limites de l'hermétisme

Ground zero.S. Robbin & R. Neuwirth, Mapping New York, London, ed. Black Dog, 2009.

Plan du premier étage.Rem Koolhaas, Delirious New York, Thames & Hudson, 1978.

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Tokyo Bay

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CLÔTURE EST FERMETURE

CLÔTURE EST OUVERTURE L’architecture.

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Tokyo Bay

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CLÔTURE EST FERMETURE

CLÔTURE EST OUVERTURELe new yorkais.

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La Yamanote Line comme élément structurant de l'espace urbain à Tokyo

Les premiers travaux à l’origine de la ligne Yamanote telle que nous la connaissons aujourd’hui, ont débuté en 1885. Cette première ligne reliait le nord au sud de Tokyo, de Akabame à Shinagawa. En 1903, le trafic ferroviaire du nord de Tokyo est amélioré, assurant la connexion entre Ikebukuro et Tabata. Ce n’est que six ans plus tard que ces deux lignes se rejoignent pour former la ligne baptisée définitivement Yamanote line. En 1925, l’ouverture du trafic entre Kanda et Ueno, permet aux habitants de Tokyo de traverser la ville du nord au sud en passant par la gare centrale de la capitale nipponne, et scelle la fonction indispensable de la ligne Yamanote dans l’activité de Tokyo, et plus largement du japon. Outre son immense pouvoir, dans le fonctionnement du quotidien des habitants de Tokyo, cette ligne agit comme un symbole, un signe de la culture, une ceinture protectrice de l’histoire et du patrimoine de Tokyo. Au milieu de l’ovale que forme cette ligne se trouve le palais impérial, les institutions d’états, et les habitations de l’ancienne noblesse japonaise, zone préservée de l’urbanisation galopante qui s’empara du monde et de la périphérie du japon, au début du vingtième siècle. On étudiera, le fonctionnement polyvalent de cette ligne, centre régulateur et modulateur, indispensable à la préservation du Tokyo d’hier, anneau incontournables aux vues de l’évolutions du Tokyo de demain. En 1868, le début de l’ère Meiji sonne la fin de la politique d’isolement du japon, et l’entrée en compétition du potentiel économique du japon dans la nouvelle économie industrielle qui souffle sur le monde entier. Les grandes puissances deviennent urbaines, et le japon n’échappe pas à la règle, Tokyo doit alors devenir un muscle assez solide pour soutenir et gérer l’activité économique japonaise, régler la disponibilité du travail, réduire les distances, aller plus vite, devenir électrique et moderne. La difficulté imposée par les nouvelles règlent de compétitivité du monde se manifeste a l’heure ou la densité de la population de Tokyo augmente alors qu’il est impossible de touché au centre interdit. Comportant comme nous l’avons exposé précédemment le haut lieu de l’histoire culturelle et politique du japon ancien, le palais impérial, les institutions, et la noblesse. La Yamanote line a le double rôle d’une frontière agissant comme porte et comme mur. Les pôles économiques secondaires se construisent à l’extérieur du centre, de la membrane imperméable. Ces différents noyaux qui se développent en périphéries du centre, tout en gardant une proximité offerte par le réseaux des transport et des voies ferrées, et en particulier par la Yamanote line, sont significatifs d’une activité que l’on qualifiera de polynucléaire, et rendent compte de la singularité du système de Tokyo, et souligne l’exceptionnelle influence de la Yamanote line dans le dynamisme tokyoïte. En comparant le fonctionnement d’une ville comme Paris avec Tokyo, on se rend compte de la différence formelle de la ville et de son fonctionnement. Le plan de a la ville de Paris évoque la section d’un tronc de bois, le centre historique s’entoure, au fur et à

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Page 89: aux limites de l'hermétisme

mesure que l’activité économique se développe, de plusieurs strates homogènes. Un seul noyau suffit à construire le dessin de plus en plus large d’une cellule. La périphérie de Tokyo, est constituée de plusieurs noyaux d’intense activité économique et culturelle, qui comportent leurs centres, leurs banlieues, reliées entre elles par le réseau. Concrètement, la Yamanote line fut le point de départ de tout le mode d’urbanisation de Tokyo. En repoussant les grands pôles à l’extérieur du centre, les compagnies de chemins de fer n’ont cessé de vouloir relier les centres périphériques, non seulement au centre de Tokyo, mais aussi entres eux, et ainsi redessiner le mode de communication entre les flux de voyageurs, et de consommateurs. La Yamanote line est le symbole de l’urbanisation tokyoïte depuis la seconde guerre mondiale. Le Japon se distingue par les multiples facettes de son identité, tout au long de la Yamanote line celles-ci se succèdent. La force de Tokyo est le fait que son centre soit compartimenté en plusieurs électrons qui à eux tous donnent sa force à la capitale nipponne. Tokyo s’est développé autour de ce réseau de transport qui aujourd’hui est bien plus qu’une simple ligne de métro ; c’est l’élément fédérateur de la métropole : la limite du centre et ce qui l’ouvre.

Railway Lines in Tokyo and its suburbs.www.docstock.com.

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Tokyo Bay

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Shin-Okubo

Takadanobaba

Mejiro

Ikebukuro

Shinjuku

Harajuku

Yoyogi

Shibuya

Ebisu

Meguro

Gotanda

Osaki

Komagome

Sugamo Tabata

Nishi-Nippori Nippori

Uguisudani Ueno

Okachimachi

Ikebukuro

Akihabara

Kanda

Tokyo

Yurakucho

Ikebukuro

Shimbashi

Hamamatsucho

Tamachi

Shinagawa

Palais Impérial

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CLÔTURE EST OUVERTURE

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La chartreuse de Florence, 1342.

Lorsque que l’on évoque la notion d’espaces hermétiques, un des premier univers nous venant à l’esprit est celui du monde religieux. Nous savons que la quasi-totalité des religions ont le désire que leurs religieux (les moines, les bonnes sœurs, les bonzes, les loubavitchs…) soient en général mis à l’écart de la société. Cet aspect de la religion est très présent dans le catholicisme. Bien que certains moines participent à la vie de leur paroisse, ceux-ci habitent toujours entres eux dans des monastères ou des abbayes. Cette mise à l’écart est faite dans le but de préserver la pureté de l’âme et de l’esprit du sujet. Dans les différents programmes religieux destinés à loger les moines, un se démarque particulièrement des autres par son hermétisme total : les chartreuses. L’ordre des chartreux fut fondé à la fin XIème siècle par Saint Bruno ; cet ordre catholique était le parangon de la vie cénobitique (personne vivant de façon austère, comme retirée du monde). Les chartreux « devaient vivre dans la solitude la plus absolue ; le prieur et le procureur de la maison pouvant seuls sortir de l’enceinte du monastère ; chaque religieux était renfermé dans une cellule, à laquelle on ajouta un petit jardin vers le milieu du XIIème siècle »1. Les chartreuses « étaient établi(e)s de préférence dans des déserts, dans les montagnes, loin des lieux habités »2. Tout comme pour les détenus dans le modèle pénitentiaire proposé en 1786 par J. Bentham ; pour les chartreux « le silence est la règle de sa vie, la solitude est son régime »3. Toutefois dans le panoptique le replis sur soit même est fait dans le but d’une réhabilitation de l’esprit, afin de pouvoir réintégrer un individu dans la société sans qu’il ne puisse devenir à nouveau une menace pour autrui. Dans les chartreuses les moines viennent en retraite, afin de trouver « l’anéantissement de soi-même après les agitations de la vie »4 ; ils seront obligatoirement enterrés dans le cloître de la chartreuse dans laquelle ils venus trouver leur retraite éternelle. Les finalités du panoptique et de la chartreuse ne sont donc pas du tout les mêmes. Néanmoins une analogie spatiale entre le programme de la prison et celui de la chartreuse peut aisément être établi. Du point de vue d’ensemble les chartreuses sont toujours divisées en deux parties. Une partie publique et une partie privée. La partie publique qui est celle par laquelle on entre dans la chartreuse, est celle comprenant tout les espaces ou les moines peuvent être amener à communiquer ou se retrouver (il faut savoir que les chartreux ne se retrouvaient que certains jours de l’année afin de célébrer des évènements particuliers). Cette partie comprend donc les chambres pour les hôtes, le fournil, le logis du prieur, les réserves, les étables, le réfectoire, l’église avec toutes les annexes qu’elle comprend et la prison.

                                                                                                               1 E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l’architecture, Tome premier, 1875, p. 307. 2 Ibidem. 3 E. Viollet-le-Duc, Eléments et théorie de l’architecture, Tome III, Paris, 1901, p. 648. 4 Ibid. , p. 650.

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La partie publique ne communique que par un passage bien défini, d’une largeur suffisante pour pouvoir acheminer les denrées nécessaires aux chartreux. La deuxième partie, qui est sans doute celle nous intéressant le plus, est celle dans laquelle les chartreux passent la quasi-totalité de leur temps : les cellules. Les cellules sont disposées sur les trois faces d’un préau, la quatrième étant celle communiquant avec les espaces publics. L’espace tampon entre les cellules et le préau est la galerie couverte du cloître permettant d’accéder à toutes les cellules ; ce schéma n’est pas sans nous rappeler celui du panoptique, avec toutes ses cellules regardant vers l’atrium, reliées entre elles par les coursives. Chaque cellule est organisée de sorte que le moine soit le moins possible perturbé dans sa solitude. Entre la galerie du cloître et la cellule se trouve un couloir qui isole le religieux du bruit ou du mouvement du cloître ; au bout de ce couloir se trouve un petit portique permettant au prieur de voir l’intérieur du jardin, et d’approvisionner le chartreux ; les provisions sont alors déposées dans un autre sas prévu à cet effet. La cellule du chartreux est composée d’une salle, d’une pièce comprenant lit, table, banc et bibliothèque, et d’un oratoire (le chartreux pouvant alors célébrer seul les hospices). L’espace extérieur de la cellule comprend un jardin et un promenoir couvert. Bien sûr cette cellule n’est pas comparable par le confort qu’elle offre avec celle que Bentham propose dans son panoptique. Un autre point subsidiaire permet d’être annoté car il renforce le parallèle possible entre le panoptique et la chartreuse. Sur les plans nous pouvons constater la présence d’un escalier au bout de l’espace tampon entre la cellule et le cloître ; cet escalier permet au prieur d’accéder aux combles de la cellule et de pouvoir ainsi surveiller le chartreux dans son isolement. La chartreuse, qui est une sorte de thébaïde pour les moines aspirant au recueillement, est en de nombreux points comparable au panoptique de J. Bentham, néanmoins cela se cantonne au niveau spatial, car la destinée de ces objet n’est pas la même, l’une est le recueillement, l’autre la punition. C’est un espace clos dont l’objectif est l’ouverture spirituelle et la méditation.

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Certosa pavia.Giovanni Fallani, Abbazie en conventi, 1973, p.108.

Plan du rez-de-chaussée de la chartreuse de Florence.J. Guadet, Eléments et théorie de l’architecture, Tome II, Paris, 1901.

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Cellules monastiques.

Cloître.

Habitation du prieur.

Cour d’entrée.

Espaces communs.

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Point du vue du commun des mortels.

Point du vue du chartreux.

Cellule d’un chartreux.

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Prison de Fresnes, Fresnes (France), conçue par Henri Poussin, 1898.

Aujourd’hui bon nombre d’entre nous regrettent, pour des questions de réhabilitation du détenu (les visites) et d’affirmation de ce programme emblématique au sein d’une société démocratique, que les prisons soient reléguées dans des espaces ruraux, hors de la ville. Pourtant lorsque le nombre de constructions de prisons explose, à la fin du XVIIème et au début XVIIIème siècle, celles-ci se font à l’intérieur des villes. Par exemple, au milieu du XVIIIème siècle, Paris intra-muros ne compte pas moins d’une douzaine de centres d’enfermement. Aujourd’hui il n’en reste que deux : le dépôt du palais de justice et la prison de la santé. Ce phénomène est dû à plusieurs facteurs. Au sortir de la révolution française on pense la peine et la prison ; il y a une véritable réflexion autour de ce sujet, la question de la réhabilitation est centrale. Peu à peu ces préoccupations s’estompent, « Paris qui commence à devenir une réserve de riches »1 voit naître un désir chez sa population : l’exclusion des prisons hors de Paris. Conçu en remplacement des prisons de la Grande-Roquette, de Mazas et de Sainte-Pélagie, Fresnes est, à son ouverture en 1898, un établissement modèle, comme le fut la Santé 30 ans plus tôt. La nouvelle maison de correction du département de la Seine instaure toutefois une nouvelle rupture. Par rapport à sa situation géographique d’abord. Fresnes est une “prison moderne” au sens où l’implantation en centre-ville a été délibérément écarté (questions d’hygiène). Au sens architectural ensuite. Inspiré par des prisons étrangères (Wormwood Scrubs, Londres), l’architecte Henri Poussin (1853-1905) y abandonne toute référence au modèle panoptique pour adopter une disposition générale en blocs séparés qui ressemble à un poteau télégraphique (modèle pôle téléphonique). Les établissements pénitentiaires de Fresnes marquent également le triomphe du cellulaire, aménagé avec un confort relatif qui suscitera bien des critiques. Fresnes est la preuve que le mode d’emprisonnement cellulaire n’exige pas obligatoirement la forme d’un panoptique. Le panoptique commence à cette époque à présenter de nombreuses limites, notamment son manque de flexibilité. Une prison strictement panoptique (et non une prison mixte, comme c’est le cas de la santé) ne peut accueillir qu’un type de centre d’enfermement (détention-arrêt-centrale). Fresnes en adoptant la disposition dite « separate block system » peut facilement accueillir des programmes divers. Fresnes est une prison emblématique de par sa taille et son modernisme ; elle servira par la suite de modèle à un grand nombre de prisons, dont certaines sont aujourd’hui mondialement connues telle que Riker’s Island à New York. C’est un monstre pénitentiaire pour l’époque, au point qu’au moment de son inauguration, son directeur

                                                                                                               1 C. Carlier, J. Spire & F. Wasserman, Fresnes la prison, les établissement pénitentiaires de Fresnes : 1895-1990, Paris, 1991, p. 8.

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Page 97: aux limites de l'hermétisme

dira « ce n’est point une prison, c’est une ville. »2 . Contrairement aux prisons panoptiques, Fresnes, avec son plan pavillonnaire s’apparentant à celui d’un hôpital, n’est pas enfermée dans une forme stricte qui restreindrait une multiplicité programmatique. La composition programmatique de Fresnes n’est pas faite dans une forme fermée, comme pourrait l’être celle d’un bâtiment ; elle est faite à l’image d’un quartier. A l’époque, Fresnes n’est pas révolutionnaire pour la forme des bâtiments qui la compose, mais elle l’est pour son plan d’ensemble. C’est un espace totalement hermétique, qui fonctionne selon des règles qui lui sont propres ; ici, à l’inverse du panoptique, nous ne sommes plus à l’échelle de l’édifice, mais du quartier. Un quartier autonome, auquel la notion de surveillance a été ajouté. L’analyse des bâtiments présente dans cet exemple moins d’intérêt ; nous pouvons toutefois noter la maîtrise quasi absolue d’Henri Poussin dans la composition des plans des différents bâtiments. Pour nous l’intérêt sera ici d’étudier comment fonctionnent ces espaces hermétiques les uns par rapports aux autres dans un même ensemble. Un des problèmes qui surgit à la fin du XIXème siècle à propos des prisons en ville est le fait qu’elles « attristent et stérilisent les quartiers qui les environnent »3. Lorsque l’administration pénitentiaire acquière le terrain pour la construction de Fresnes cette « question n’est pas posée, d’autant plus que la valeur foncière de Fresnes est bien basse »4. La composition de la prison peut donc se faire sur un terrain très vaste permettant la création de ce quartier pénitencier. La prison comprend plusieurs édifices et accès qui sont tous clôturés par un grand mur d’ensemble. Il y a ensuite des sous clôtures qui permettent de séparer les bâtiments les uns des autres, et d’enceindre les voies d’accès. La prison de Fresnes est composée de trois parties majeures, elles-mêmes divisées en sous-parties. La prison de Fresnes, est une constellation fermée, qui pour l’époque fait figure d’exemple par sa composition spatiale. A l’intérieur de cet ensemble clos, des éléments indépendants et spécifiques sont réunis, donnant à la prison l’aspect d’un quartier urbain autarcique conçu d’un trait.

                                                                                                               2 Journal des débats, 28 août 1898. 3 C. Carlier, Histoire de Fresnes, prison « moderne », Paris, 1998, p. 179.

4 Fresnes la prison, les établissement pénitentiaires de Fresnes : 1895-1990, C. Carlier, J. Spire & F. Wasserman, Paris, 1991, p. 28.

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Plan du rez-de-chaussée de la prison de Fresnes.J. Guadet, Eléments et théorie de l’architecture, Tome II, Paris, 1901.

Plan du rez-de-chaussée de la prison de Fresnes.Nikolaus Pevsner, A history of building types, Princenton University Pres, 1976.

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Plan du rez-de-chaussée de la prison de Fresnes.J. Guadet, Eléments et théorie de l’architecture, Tome II, Paris, 1901.

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La prison Mazas, conçue par Gilbert et Lecointe en 1850 à Paris dans le XIIème arrondissement, détruite en 1898.

La prison Mazas due aux architectes Gilbert et Lecointe, étudiée depuis 1836, fut construite entre 1843 et 1850 puis détruite à l’occasion de l’Exposition Universelle en 1898. Elle constitue sans doute un des chefs d’œuvres des panoptiques non circulaires français. Située dans le centre de Paris (XIIème arrondissement), elle se trouve dans un contexte urbain. A l’époque, la prison Mazas impressionne bien sûr par sa forme mais aussi par le nombre de cellules individuelles qu’elle abrite, 1260. Cette prison est faite à l’origine pour accueillir des détenus n’ayant pas encore été condamnés, c’est-à-dire des criminels présumés ou des détenus en attente de jugement. La prison Mazas est donc une maison d’arrêt et un centre de détention. La nature du programme de cette prison (arrêt et détention) lui confère sa forme, « la maison d’arrêt ou de justice est cellulaire de jour et de nuit. Tout doit être prévu pour qu’un détenu en cellule ne puisse avoir aucune communication avec un autre détenu ».1 Les architectes Gilbert et Lecointe répondent ici parfaitement au programme qui leur est confié. J. Guadet dans son traité Eléments et théorie de l’architecture dira d’eux : « sans autre objectif que leur programme, sans autre exigence de ce programme, ils ont fait une œuvre romaine, j’entends de celles que faisaient les Romains dans leurs travaux d’utilité et non de faste ». 2 Le principe appliqué ici est celui du panoptique préconisé par Jeremy Bentham, qui à l’époque fait figure de progrès mais présentant ses limites par le nombre de cellules qu’il propose ; « rappelons que le projet de Blouet était de 585 cellules ; Harou-Romain le fantastique ne dépassait pas 485 cellules »3. La prison a une capacité de 1260 cellules, ce qui est considérable pour une prison française de l’époque située en ville. Dans son ensemble la prison est composée de six ailes à trois étages rayonnant autour d’une tour centrale de 45 mètres de hauteur, au niveau de laquelle se situe une rotonde vitrée donnant vue sur tout l’intérieur de la prison. Chaque aile est composée de 200 cellules, dans lesquelles, fait notable, aucun espace de vie en commun n’est prévu. Les ailes sont percées par un couloir central au rez-de-chaussée s’élevant sur toute la hauteur ; aux deux étages supérieurs les cellules sont desservies par des coursives ; cette disposition favorise l’observation des gardiens depuis la tour de surveillance située à l’extrémité de chaque aile. La tour de surveillance est « un pavillon d’une construction élégante et légère supporté par huit colonnes et vitré. C’est là que se tiennent les chefs de surveillance ; d’un seul regard et en tournant sur eux-mêmes ils embrassent toutes les galeries de la prison, dans toute leur hauteur »4. Ainsi on ne surveille plus les prisonniers eux-mêmes, comme dans le rêve benthamien, mais seulement les circulations. La tour centrale est surmontée d’une chapelle permettant de célébrer les messes, il suffit d’entrouvrir la porte de chaque cellule pour que tous les détenus puissent suivre l’office en même temps. Il n’y a donc aucun espace de vie en commun, les détenus restent dans leurs cellules 23 heures sur 24. Les détenus ne doivent ni pouvoir se voir ni pouvoir s’entendre, ainsi les cellules sont séparées par des murs épais et sont voutées. L’intérieur de l’édifice est donc composé de cellules, d’une tour d’observation, des infirmeries et, pour la détention, des dépendances où le détenu peut s’entretenir avec l’extérieur (avocat, juge et famille). L’espace de visite, communiquant avec

                                                                                                               1 J. Guadet, Eléments et théorie de l’architecture, Tome II, Paris, 1901, p. 511. 2 Ibidem. 3 « Architecture carcérale et architectes fonctionnalistes en France au XIXe siècle », Revue de l’art, n° 32, 1976, p. 44. 4 Gilbert, Encyclopédie d’architecture, Paris, 1853, p. 175-182.

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l’extérieur, est une pièce d’étendue moyenne, divisée par deux grilles en trois parties : une partie pour les visiteurs, puis dans toute la longueur de la pièce, un corridor dans lequel un surveillant peut circuler ; enfin au delà d’une seconde grille des cases pour les détenus, qui ne peuvent ainsi parler aux visiteurs qu’à travers deux grilles trop espacées pour que l’on puisse faire passer quoi que ce soit de l’une à l’autre. La prison Mazas s’appuie ainsi sur le modèle pennsylvanien, dans lequel chaque détenu est confiné dans une cellule individuelle. Alors que dans le pénitencier Haviland de Philadelphie les détenus sont regroupés lors de la promenade, ici les détenus sont également séparés pendant ce moment de la journée. Les cent cours individuelles sont regroupées dans cinq unités, ne nécessitant chacune qu’un seul gardien pour être surveillée. Ces modules sont des panoptiques à l’intérieur du panoptique. La prison Mazas est une radicalisation du pénitencier de Haviland en Pennsylvanie (1829), un modèle adapté pour un centre de détention (courte durée), mais qui aujourd’hui semblerait totalement inadapté à une longue peine et à la réhabilitation du détenu. Les murs de cette prison ne sont que fermeture et l’espace ne permet aucune ouverture de l’esprit ni changement de comportement.

Plan du rez-de-chaussée.J. Guadet, Eléments et théorie de l’architecture, Tome II, Paris, 1901.

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Cours individuelles.

Postes d’observation.

Cellules individuelles.

Postes d’observation.

Intendances.

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Musée de Kanazawa, conçu par K. Sejima R. Nishizawa (SANAA), 1999-2004.

Le musée de Kanazawa, véritable chef d’œuvre de l’architecture contemporaine, frappe par son élégance et sa radicalité. Le bureau SANAA cherche toujours dans ses projets à reprendre les fondements de l’architecture, pour produire une architecture complexe qui soit simple et lisible, ainsi qu’une esthétique de la précision. «Les constructions de Sejima et Nashizawa donnent l’illusion d’être simples. » commentaire d’accompagnement à la remise du prix Pritzker 2010. Ici le modèle de constellation hermétique trouve toute sa place. Le musée, qui est un espace fermé dans son ensemble, n’en reste pas moins ouvert sur son site. L’enveloppe extérieure du bâtiment ne donne absolument pas le sentiment de fermeture, mais au contraire, ouvre sur l’extérieur, et pousse le visiteur à regarder le monde qui l’entoure d’une autre manière. L’enveloppe n’est plus objet, mais filtre qui structure la relation entre l’intérieur et l’extérieur du musée. L’intérieur du musée est une surface libre sur laquelle des boites, de différentes formes et dimensions, sont disposées de manière presqu’indépendante. Chacune de ces salles renferme un univers qui lui est propre, l’éclairage se fait de manière naturelle ou artificielle ; ce qui fait que chaque boite détient sa propre atmosphère, parfois celles-ci sont ouvertes et parfois au contraire elles sont complètement closes et renfermées sur elles-mêmes. Le musée d’art moderne de Kanazawa est le parangon spatial du modèle hermétique de la constellation qui a été établi dans cet énoncé théorique traitant de la question de la clôture comme ouverture.

K. Sejima R. Nishizawa 1995-2000, El Croquis, 2000.

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Vue de la face extérieure depuis l’intérieur du musée.www.architizer.com

Intérieur d’une salle d’exposition.www.architizer.com

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Enveloppe extérieure.

Salles d’exposition.

Espaces privés (bureaux ou WC).

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CHAPITRE IV

Clôture est ouverture

S’ouvrir à l’hermétisme.

Le survol rapide que les deux parties précédentes nous ont permis de

faire des différents espaces considérés comme hermétiques a souligné

combien, loin de renvoyer seulement à l’idée d’un espace clos, impénétrable

ou incompréhensible, la notion d’hermétisme en architecture dénote

également l’idée d’une ouverture, de passage et de communication.

En effet, en prenant comme synonyme principal de l’hermétisme la

notion de limite, et en étudiant, aussi bien conceptuellement que

spatialement, à quoi celle-ci renvoie, nous avons vu que la limite constitue

toujours, en même temps qu’une clôture, une ouverture vers deux espaces

distincts, et qu’elle représente ainsi le lieu de passage entre ces deux espaces.

Plus encore, l’étude de lieux religieux (chartreuses et temples bouddhistes),

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

ou de villes strictement organisées (Paris ou New York), a souligné combien

les limites qui structurent l’espace sont celles qui lui donnent sens, qui

donnent à chaque cellule spatiale son identité propre par opposition avec

l’espace annexe, mais sont également les trames spatiales par lesquels ces

espaces peuvent communiquer et évoluer. Loin d’être fixes et immuables, les

limites de chaque espace en indiquent l’identité, l’évolution, et les

connexions avec d’autres espaces. De fait, parler d’un espace hermétique

permet à la fois de parler d’un espace dont l’organisation spatiale s’articule

autour de fermetures, et de montrer comment, dans cet espace, chaque limite

ouvre vers un autre espace, et comment la communication et les passages

spatiaux s’opèrent à travers ces clôtures. Clôture est ouverture.

De même, dans la société, parler de groupes identitaires hermétiques, ou

comprendre l’individualisme et le repli sur soi des sujets modernes en terme

d’hermétisme, permet de souligner à la fois les multiples fermetures et

fractures qui caractérisent nos sociétés, et les ouvertures et lieux de passages

qui y apparaissent en même temps. Cela s’observe à différentes échelles.

Au niveau de la nation, parler d’une société hermétique, comme peuvent

l’être les nations orientales géographiquement et culturellement éloignées de

nos sociétés occidentales, permet aussi bien de souligner les différences

identitaires qui les constituent, les limites spatiales et culturelles qui nous en

séparent, que d’indiquer les points de passages qui peuvent nous permettre

de les comprendre par comparaison avec nos propres limites. Etudier

l’organisation spatiale ou sociale de ces sociétés et les limites qui les

structurent, comme par exemple les limites sociales des castes en Inde, ou

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Clôture est ouverture

ses limites géographiques, permet de comprendre le fonctionnement de cette

société et de nous ouvrir à sa culture à partir, précisément, de l’étude de ses

limites et des réseaux qui s’y inscrivent. Clôture est ouverture.

Si l’on se place maintenant à l’intérieur de la nation, et que l’on étudie les

groupes communautaires identifiés par beaucoup comme des groupes

hermétiques du fait de leurs pratiques religieuses ou de la barrière de la

langue qui les distinguent des autres, si donc, dans le cas de la France, on

observe les relations entre les populations de confession musulmane,

largement stigmatisées aujourd’hui, et le reste de la population, on s’aperçoit

aisément de ce double sens du terme limite. Certes, les pratiques culturelles

telles que les prières dans la rue, ou l’usage de la langue arabe, peuvent

constituer des limites qui identifient ces populations en les fermant aux

autres. Mais ces différences peuvent aussi, si elles sont acceptées et tolérées

par l’ensemble du peuple, indiquer les points de passage entre différentes

cultures et l’ouverture d’une société. Par exemple, un passant d’une autre

confession peut croiser sur sa route un religieux musulman en prière sans

prendre sa posture à genoux comme le symbole d’une fermeture ou d’une

différence radicale, mais comme celui de la mixité sociale et de l’ouverture

de sa société. En ce sens, la limite sociale, culturelle et spatialement inscrite

par la position du religieux peut être comprise comme le signe d’une

communication entre différentes cultures et différentes identités. Clôture est

ouverture.

De même, et nous arrivons ainsi à la plus grande échelle, celle de l’individu,

le débat qui eut lieu il y a deux ans sur l’autorisation du port de la burqa en

France, est parlant. La burqa constitue, au niveau individuel, la limite

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

spatiale la plus radicale, puisqu’elle désigne le port du voile intégral, et que

le voile se définit lui-même comme une « pièce d’étoffe destinée à cacher

quelque chose. Voile épais. »1. Or, au cours du débat houleux qui eut lieu en

France, et bien que celui-ci ait sanctionné le port du voile en l’interdisant

dans les lieux publics (une motion qui fut également adoptée par les députés

Suisse en 2011), les arguments des défenseurs de ce droit au port du voile

mirent en avant la façon dont cette limite textile pouvait également signifier

matériellement l’ouverture des français à une autre culture, indiquer

concrètement la cohabitation et la mixité sociale tant prônée par la France. Si

le port du voile est considéré, non comme le signe d’une soumission de la

femme à la loi religieuse, mais comme son choix autonome et personnel, et

que celui-ci est donc le symbole de son identité particulière, le respect par le

reste de la population de sa décision, et l’inscription dans l’espace public de

cette limite mouvante peut être perçue comme l’incarnation spatiale de

l’acceptation de la différence, et de la compréhension de la limite comme

zone d’échange et de communication. La limite représente ici la décision

d’un individu, l’expression de sa différence, mais aussi le choix de partager

cette différence en espérant que celle-ci sera acceptée comme le signe d’une

ouverture et non pas d’une fermeture identitaire radicale. Clôture est

ouverture.

Bien entendu, la polémique qui eut lieu autour de ce sujet sensible indique

combien aujourd’hui, aussi bien en architecture, qu’en sociologie, ou en

                                                                                                               1 Dictionnaire Littré, article « voile.1 ».

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Clôture est ouverture

sciences repenser l’hermétisme en termes d’ouverture et de relations est

délicat.

Repenser l’hermétisme et l’espace clos.

C’est pourtant le but que je me suis fixé dans le cadre de ce mémoire.

Comme je l’ai précisé en avant-propos, il s’agissait avant tout de revenir à la

notion d’hermétisme, une notion aussi importante et actuelle que vague et

mystérieuse, afin de voir ce qu’elle pouvait désigner et comment nous

pouvions l’utiliser pour penser un espace, ou la société, de façon non pas

strictement négative mais aussi constructive.

L’étymologie de ce mot, rappelée dans la première partie, indiquait déjà

cette ambivalence terminologique, puisqu’elle renvoie au Dieu Hermès, le

Mercure romain, Dieu messager assurant le passage entre les hommes et les

Dieux, la terre et l’Olympe, ainsi que le passage des hommes du monde des

vivants aux Enfers de la mort. Déjà résidait ici le double sens du mot limite,

puisque la fermeture d’un monde garantie en même temps l’ouverture vers

un autre. Par ailleurs, le sens courant du mot hermétisme qui renvoie cette

fois-ci à Hermès Trismégiste, père mythique des sciences occultes et modèle

de l’herméneute (littéralement, celui qui interprète, sait lire), indique

également cette polysémie, les sciences occultes et la magie renvoyant à un

savoir occulte, fermé à la majorité des hommes, mais dont la connaissance

des règles et des textes permet néanmoins d’accéder à des vérités cachées.

Ce savoir constitue à la fois la limite comme fermeture, et comme ouverture

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Clôture e(s)t ouverture, aux limites de l’hermétisme

puisque c’est son apprentissage qui garantira ensuite à l’homme l’accès à

d’autres vérités.

À partir de cette double acception du terme hermétisme et de la mise

en valeur du sens positif du terme limite, il s’agissait pour moi d’indiquer

comment nous pouvons repenser l’espace clos en architecture en y

pensant la limite non plus comme fermeture mais bien comme ouverture, comme lieu de passage et de communication.

De la même façon, il s’agissait de montrer comment, dans notre société

actuelle marquée par le multiculturalisme, la diversité et la mise en commun

d’espaces et de cultures radicalement différents, on pouvait penser ces

entités hermétiques, non pas comme des groupes fermés et imperméables qu’il s’agirait d’uniformiser, mais comme des sphères

dont il faut protéger les particularités et la richesse. Dans ce sens, une

fois encore, il s’agissait de penser les limites identitaires, culturelles ou

géographiques comme des synonymes d’ouverture, en voyant comment la

limite elle-même crée l’ouverture en invitant à la différence, en incarnant

le passage vers un monde nouveau, une culture opposée ou un espace

distinct. Ainsi, l’ambition de ce mémoire a-t-elle aussi été de voir comment,

à l’heure où une grande partie des programmes d’architecture prône

l’ouverture en s’appuyant sur la réalisation d’espaces neutres, les moins

connotés et donc aussi les plus uniformes possibles, il était possible de

penser l’ouverture tout en incarnant la diversité et la mixité de nos sociétés.

Penser la limite, et donc la différence, comme ouverture, m’a semblé être

une solution possible, puisque cela permet de penser un espace différencié,

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Clôture est ouverture

dans lequel les particularités sont mises en avant, sans pour autant considérer

la différence comme une fermeture mais en prenant la limite comme le lieu

de passage et de communication entre les différents espaces concentrés.

Appliquée à l’espace hermétique par excellence, la prison, cette idée m’a

donc ramené à mon objet de pensée inaugural, en m’obligeant à me

demander comment nous pourrions en repenser les limites afin que celles-ci

ne soient pas exclusivement synonymes de fermeture et de mise à l’écart,

mais puissent également être des espaces d’ouverture vers la société.

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