1

Click here to load reader

Aux origines de la représentation : la notion de ... La notion de pictogramme décrite par Piera Aulagnier peut alors être éclairante. Pour la comprendre, il est nécessaire, avant

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Aux origines de la représentation : la notion de ... La notion de pictogramme décrite par Piera Aulagnier peut alors être éclairante. Pour la comprendre, il est nécessaire, avant

DES MOTS POUR COMPRENDRE

14 SANTÉ MENTALE | 164 | JANVIER 2012

« Ça mord ici », répéte Bertranden montrant son cou, sans pouvoir dire cequi le mord. « Piquée !», s’écrie Agnès ense tenant le genou. Chez les patients psy-chotiques, la verbalisation de symptômessomatiques ou de sensations corporellespeut déconcerter et le clinicien a parfois biendu mal à distinguer les sensations d’ordrehallucinatoire de celles qui ne le sont pas.La notion de pictogramme décrite par PieraAulagnier peut alors être éclairante. Pour

la comprendre, il est nécessaire, avant tout,de savoir qu’il existe différents types detraces psychiques, que Freud (1925) a dis-tingués ainsi :– des inscriptions psychiques non remé-morables, traces inconscientes d’expé-riences traumatiques (représentations dechoses). Il s’agit d’inscriptions brutes, nonsymbolisées, d’expériences sensori-affec-tives ou d’images mnésiques d’un objet.– des inscriptions psychiques remémo-rables, conscientes ou préconscientes, dis-ponibles sous forme de souvenirs (repré-sentations de mots). Il s’agit de représen-tations symbolisées, liées à la verbalisa-tion et susceptibles d’être refoulées.La représentation consciente se formeà partir d’une connexion entre la repré-sentation de mots et la représentationde choses correspondante. « L’acte depenser » (Freud, 1895) est alors possible.

LE PROCESSUS ORIGINAIREDe son côté, Aulagnier (1975) a créé lanotion de « pictogramme » pour décrire uneforme originaire de la représentation. Elle

concerne les mouvements de représen-tation chez le nourrisson, issus de ses pre-miers ressentis, alors qu’il est dans la sym-biose avec sa mère. Ce type de repré-sentation prend source dans un état d’in-différenciation entre une zone érogène(bouche) et l’objet source d’excitation etde plaisir (sein). Aulagnier (1975) parlealors « d’objet-zone complémentaire ».Le sujet et l’objet sont fusionnés sen-soriellement, dans une « indissociation,

éprouvant-éprouvé » (ibid., 1975). Toutse concentre sur cette jonction sensoriellefondatrice de l’activité de représenta-tion.En effet, à partir de cet éprouvé corpo-rel (de plaisir ou de déplaisir) peut seconstruire une pensée. Par exemple,c’est à partir de la rencontre de la bouchedu bébé avec le sein de la mère quel’enfant pourra halluciner, sous la formepictographique, la présence du sein lors-qu’il est absent. Le pictogramme a unefonction centrale dans le développementpsychique, celle de métaboliser l’expé-rience en une représentation. Pour Aula-gnier, rien ne peut se développer dansla psyché qui n’ait d’abord été métabo-lisé en une représentation pictographique.Il s’agit donc d’un « fond représenta-tif » constitué à partir de la sensorialité.La représentation pictographique nes’inscrit ni dans le « processus primaire »(représentation fantasmatique), ni dans« le processus secondaire » (activité signi-fiante et idéique dans l’énoncé discursif),mais dans le « processus originaire »

(pictogramme ou représentation picto-graphique), premier temps d’accès psy-chique à partir de traces sensorielles.

AFFECT ET PICTOGRAMMELe pictogramme se construit alors commeune information sensorielle. Il s’exprime àtravers un verbe relatif à une sensationcorporelle, dans laquelle la chose et lemot ne font qu’un. Dans ce sens, Gime-nez (2000) rapproche le pictogrammed’une « structure scénarisée réduite à saplus simple expression : il ne reste plus qu’unverbe de sensation concernant une partiedu corps » (ibid., p. 111). Il parle de« représentation de sensation ». Dans cetype d’inscription psychique, l’expériencesensori-affective est au premier plan. Dansce cas, l’affect ne peut être intégré dansun scénario ou associé à une représenta-tion de mots. La charge affective ne peutdonc pas être associée à une représenta-tion fantasmatique dans laquelle un affectserait ressenti par un sujet pour un objet.Elle reste alors relativement libre et donnelieu à une sensation corporelle angois-sante : « Ça fait clic ou clac dans leventre », disait un patient ; « C’est quoi ?du courant électrique? », questionne uneautre patiente en regardant sa jambe ;« une grosse bouche aspire », explique unpatient parlant de ses hallucinations.Nous retrouvons donc la trace de picto-grammes dans une « étrange réification duflux discursif » (Aulagnier, 1984) associéeau délire ou l’hallucination, à travers des repré-sentations corporelles de surface ou cénes-thésiques. Le sujet peut alors être submergépar des tensions intolérables. Ainsi, lesreprésentations pictographiques se retrou-vent très souvent dans le délire, notam-ment sous la forme de ce qu’Aulagnier anommé « pensée délirante primaire ».

Une rubrique bimestrielle pour comprendre les conceptsutilisés en psychiatrie… de la pratique vers la théorie et de la théorie vers la pratique. Un double mouvement.

SOPHIE BARTHÉLÉMYPsychologue clinicienne, chargée d’enseignement à l’université d’Aix-Marseille I.

Aux origines de la représentation :la notion de pictogramme

Le pictogramme a une fonction centrale dans le développement psychique, celle de métaboliserl’expérience en une représentation.

BIBLIOGRAPHIE

– Aulagnier P. (1975). La violence de l’interprétation.Du pictogramme à l’énoncé, Paris, PUF.

– Aulagnier P. (1984). L’apprenti-historien et lemaître-sorcier. Du discours identifiant au discoursdélirant ? Paris, PUF.

– Freud, S. (1895). Esquisse d’une psychologiescientifique. In La naissance de la psychanalyse(p.313-396). Paris : PUF, 1956.

– Freud S. (1925). La négation, in Résultats, Idées,Problèmes, II, Paris, PUF, 1985, p. 135-139.

– Gimenez, G. (2000). Clinique de l’hallucinationpsychotique. Paris : Dunod.

SM164_Mots_pour_comprendre.qxp 17/01/12 18:46 Page 14